(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 389) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à midi et demi.
La séance est ouverte.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier dont la rédaction est approuvée.
M. de Luesemans fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Bavode, ancien préposé des douanes, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la révision de sa pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs fabricants de Baelen demandent le rétablissement des droits d'entrée sur le bétail et les céréales. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.
« L'administration communale de Smeerhebbe-Vloersegem demande que le gouvernement prenne des mesures pour soulager la classe nécessiteuse et prie la chambre de modifier la législation sur le domicile de secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Snellaert, de Saint-Génois et Delecourt, délégués d'un congrès de gens de lettres flamands qui a eu lieu à Gand, demandent un traité qui assure le droit de propriété littéraire et une loi qui supprime les droits de douane sur les livres. »
- Même renvoi.
« Plusieurs cultivateurs des cantons de Frasnes et de Flobecq demandent le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires et l'établissement d'un droit d'un franc 50 centimes par 100 kilog. »
M. Jouret. - Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du rapport de la section centrale, présenté par M. Rousselle, concernant les denrées alimentaires.
Cette pétition est signée par les principaux fermiers des deux cantons de Flobecq et de Frasnes, qui n'ont absolument pour seule et unique ressource que l'agriculture ; par conséquent elle est bien digne d'attirer toute l'attention de la chambre.
- Cette proposition est adoptée.
« L'administration communale d'Ath prie la chambre d'allouer au budget les fonds nécessaires pour l'exécution des travaux de canalisation de la Dendre ou d'y employer le cautionnement déposé par la société concessionnaire du canal latéral à la Dendre. »
M. Delescluse. - L'article qui concerne cet objet a été voté hier. Je propose en conséquence de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Dickschen réclame l'intervention de la chambre pour obtenir du gouvernement la quantité de sel nécessaire à la préparation de 100,000 billes, ou l'engagement de le rembourser de la somme qu'il aura dû débourser pour la fourniture du sel. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs fabricants de Bruxelles, Malines, Thielt, Roulers, Courtray, etc., demandent que l'administration de la prison de Saint-Bernard limite la fabrication des toiles russias aux besoins de l'exportation, qu'elle mette en adjudication publique ce qui doit être fabriqué pour l'intérieur. »
M. de Haerne. - Les signataires de cette pétition, qui m'ont prié de la déposer sur le bureau , réclament contre le projet de loi, présenté dernièrement par M. le ministre de la justice, relative à la demande d'un crédit de deux millions, pour la confection des toiles qui se fait par les soins de l'administration de la prison de Saint-Bernard. Plusieurs autres pétitions dans le même sens, ont été présentées à la chambre depuis quelques jours. Je demande que la chambre fasse à l'égard de celle-ci ce qu'elle a fait à l'égard des autres, c'est-à-dire qu'elle ordonne le renvoi de ces pétitions à la section centrale et leur dépôt sur le bureau pendant la discussion.
M. Rodenbach. - Je comptais faire cette proposition. Ayant été devancé par l'honorable préopinant, je me borne à l'appuyer, me réservant de prendre la parole lorsque cet objet viendra en discussion.
- Cette proposition est adoptée.
La discussion est ouverte sur l'article unique du projet de loi, dont la section centrale propose l'adoption, et qui est ainsi conçu :
« Article unique. Le gouvernement est autorisé à pourvoir aux fonctions de caissier de l'Etat, jusqu'au jour où ce service sera définitivement organisé en vertu d'une loi. »
M. Moxhon. - Messieurs, la loi qui est soumise à vos délibérations a un caractère d'urgence tel, qu'il ne nous laisse pas d'option ; nous devons l'admettre sans examen.
Cette loi est non seulement à mes yeux une loi de prorogation accordée à la Société Générale, mais encore son adoption aura pour conséquence de placer le gouvernement à l'avenir dans la nécessité de se soumettre aux exigences de cet établissement financier.
Le pays attendait impatiemment les mesures que vous devez adopter pour remplacer un établissement dont les garanties primitives ont été dénaturées. Il est aussi impatient de connaître avec certitude sa position financière vis-à-vis de l'Etat ; enfin il aurait voulu pouvoir apprécier à leur juste valeur les garanties sous lesquelles il a si longtemps abrité ses opérations.
Il est regrettable que jusqu'ici le secret soit demeuré impénétrable sur le mérite des négociations qui ont précédé les projets de lois élaborés au ministère des finances. Tout ce que nous savons, c'est que nos deux grands établissements financiers sont intervenus dans les négociations.
Le pays sait fort bien que l'un d'eux n'a pas besoin du patronage de l'Etat pour soutenir son crédit.
J'ai toute confiance dans l'habileté de M. le ministre des finances en cette occasion, comme en toute autre. Il aura regardé en face les obstacles que l'on aura jetés sur son chemin, il aura eu besoin de toute la fermeté dont il est capable pour résister aux obsessions d'intérêts particuliers considérables. Quelque déplorable que soit ce combat de l'intérêt particulier contre les véritables intérêts de l'Etat, j'en ai la certitude, il ne faillira pas à la tâche. Les intérêts du pays auront été son seul guide. Je lui demanderai seulement si l'Etat continue à garantir les billets mis en circulation par la Société Générale, si à l'avenir il les garantira et, dans l'affirmative, jusqu'à quelle concurrence.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Moxhon sont, je pense, prématurées. Elles n'ont pas trait précisément à l'objet en discussion. J'ai eu l'honneur de faire connaître à la chambre que les négociations ouvertes entre le gouvernement et nos deux principaux établissements financiers, en vue de fonder une institution de crédit avaient eu d'heureux résultats.
Lorsque la chambre examinera les propositions que nous avons à lui soumettre à cet égard, ce sera le moment de faire connaître, de discuter les conditions auxquelles l'institution nouvelle sera établie. Maintenant il s'agit uniquement d'autoriser le gouvernement à traiter provisoirement le service du caissier de l'Etat. Cette mesure est indispensable, elle est urgente; elle ne peut soulever aucun débat, et l'on ne peut dire avec le préopinant que la chambre aura voté sans examen, sans avoir eu le temps d'examiner.
Les mesures qui doivent nécessiter un examen approfondi, ce sont celles dont la chambre est saisie. Je n'ai pas voulu que la chambre fût appelée à voter un projet de loi transitoire sur le service du caissier de l'Etat, sans avoir sous les yeux des mesures définitives, afin que chacun eût la conviction que ce n'était pas pour éluder les obligations qui sont imposées au gouvernement, que nous venons demander l'autorisation de régler provisoirement le service du caissier de l'Etat.
Lorsque nous discuterons les propositions définitives dont la chambre est saisie, l'honorable membre aura toute satisfaction quant aux arrangements pris avec les banques et aux garanties des billets ayant cours forcé.
L'honorable membre n'a pas voulu demander, je présume, si dès ce moment et jusqu'à l'institution de la banque nouvelle, les billets continueront encore à avoir cours forcé; car il est trop évident qu'il en doit être ainsi. Quand l'institution nouvelle sera installée, il n'y aura plus en circulation que ils billets de cette institution. Les billets de la banque nouvelle sont déclarés convertibles, par conséquent le cours forcé cessera lors de l'établissement de cette banque.
Pendant l'état transitoire, entre l'émission des billets de la banque nouvelle et le retrait des billets des banques anciennes, il y aura une certaine somme de billets non remboursés; ces billets resteront dans les caisses de la banque nouvelle et continueront à être garantis par l’État sous le bénéfice des privilèges et hypothèques constitués par les lois de mars et mai 1848. Combien de temps cet état transitoire subsistera-t-il ? Nul ne saurait l'indiquer. Tout dépend des circonstances. Mais on fera en sorte que cet état cesse aussi promptement que possible.
Ce que je puis dire c'est que le jour de l'installation de la nouvelle banque, les billets seront convertibles et que la somme des billets non remboursés qui se trouveront dans les caisses de la banque nouvelle ne sera pas assez considérable pour qu'on ait besoin d'en faire usage, à moins de circonstances exceptionnelles, de circonstances tout à fait imprévues. Je pense que ces explications anticipées sont de nature à satisfaire l'honorable préopinant.
(page 390) - La discussion est close.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet.
Le projet est adopté à l’unanimité des 78 membres présents.
Ces membres sont : MM. Osy, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rolin, Rousselle, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Van den Berghe de Binckum, Vanden Brandon de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootvcn, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Boulez, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baille (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, Debroux, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumon (Auguste), Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon et Verhaegen.
M. David (pour une motion d’ordre). - Messieurs, il est possible, il est même probable que la chambre prendra des vacances pour le nouvel an. Jusqu'ici le projet de loi sur l'institution d'une banque nationale n'est pas distribué, bien qu'il ait paru dans un journal de la capitale. Comme nous pourrions consacrer une partie de nos vacances à l'examiner avec soin et maturité, je demanderai donc qu'il soit envoyé à tous les membres de la chambre avant le nouvel an.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je me propose de faire distribuer incessamment avec l'exposé des motifs ce projet de loi qui se trouve déjà au Moniteur. Si cette distribution ne peut se faire avant que la chambre se sépare, je ferai adresser le projet à tous les membres de la chambre. Certains travaux urgents ne me permettent pas de surveiller en ce moment l'impression.
M. Manilius, rapporteur. - Messieurs, je saisis l'occasion de la présence de M. le ministre de la guerre, pour lui rappeler que j'ai eu l'honneur de faire, dans cette enceinte, des motions tendantes à le prier de vouloir déposer en même temps que le budget de la guerre, le budget des hommes qui doivent faire la guerre, c'est-à-dire la loi sur le contingent de l'armée. J'ignore quel est le motif pour lequel M. le ministre n'a pas daigné répondre à mon invitation. Cependant je dois faire observer que je l'ai renouvelée une deuxième fois et que je m'y suis pris à temps, attendu que ma première motion a été faite dans la discussion de l'adresse. Je dois ajouter que M. le ministre de la justice a eu l'obligeance de déclarer qu'il en ferait part à son collègue. Néanmoins, messieurs, ce que j'ai prévu alors est arrivé : la loi du contingent n'a été déposée que lorsque le budget de la guerre était déjà en sections et même en section centrale, il y a plus, lorsque le rapport était déjà prêt.
Messieurs, si j'ai fait cette motion alors, c'était dans l'intérêt de la discussion du budget de la guerre, car ces deux lois sont inséparables, d'autant plus que la grande minorité qui s'était prononcée contre le budget de 1849 laissait non seulement espérer une notable réforme dans ces deux lois, mais tout démontrait qu'il était indispensable d'examiner ces questions à fond.
Je dois, messieurs, rappeler du haut de la tribune que mes instances pour arriver à une bonne organisation de l'armée, et notamment à une bonne loi de recrutement; que ces instances ne datent pas d'hier, qu'elles ne datent pas même depuis le 24 février 1848, mais qu'elles datent de la loi d'organisation que nous avons discutée en 1845. Lors de cette discussion, j'avais le bonheur d'être soutenu par des membres qui siègent aujourd'hui dans les conseils de Sa Majesté. A cette époque, j'avais même l'appui de ceux qui étaient alors les conseillers de la Couronne, et qui promettaient formellement qu'ils examineraient, qu'ils étudieraient et qu'ils proposeraient une loi nouvelle, loi que nous attendons vainement depuis dix-neuf ans.
Les anciens membres du congrès, qui siègent encore dans cette enceinte, doivent se rappeler qu'on avait fait une obligation formelle au gouvernement d'examiner de nouveau la loi du recrutement. On a fait plus, après avoir établi cette obligation à l'article 118, on y est revenu dans l'article final, et on a mis la loi sur le recrutement au nombre de celles qui devaient être présentées les premières.
Je sais, messieurs, qu'on présentera mon insistance sous de fausses couleurs ; mais je le déclare, mes couleurs sont le noir, le jaune et le rouge. Je repousse le rouge quand on veut l'isoler, mais j'aime à m'en couvrir quand il est uni au noir et au jaune. Je déclare que je veux, moi, une bonne armée, une armée bien organisée; je veux y dépenser l'argent nécessaire, mais dans la proportion des ressources de mon pays ; je veux voter les hommes, mais dans la proportion de ce qui est réglé par le budget.
Je veux alléger autant que je le puis ce tribut, qui pèse le plus sur nos classes inférieures.
Si je m'exprime en ce moment d'un ton solennel, c'est pour avertir le pays et la presse plutôt que mes honorables collègues; je sais qu'ils n'ont pas besoin de cet avertissement, mais il est dans le pays d'autres organes en vue desquels une réponse me paraît nécessaire.
Je bornerai là mes observations pour le moment.
Je voterai le crédit des hommes, comme j'ai voté hier le crédit d'argent; je me réserve toute ma liberté d'examen lorsque nous discuterons le budget de la guerre.
Cette réserve est d'autant plus naturelle que la levée de 10,000 hommes, que nous allons voter, ne peut se faire que dans le mois d'avril.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, de tous temps, le contingent de l'armée a toujours été présenté à la fin de l'année; c'est pour me conformer à cet usage, que j'ai suivi la même marche. Cependant, si la chambre désire que la loi du contingent de l'armée soit présentée en même temps que le budget, je n'y vois pas le moindre inconvénient, et je me conformerai à la décision de la chambre.
Quant à la fixation du contingent, elle est également la même depuis 18 ans; seulement elle a été réduite par mesure transitoire à 70 mille hommes, par suite des modifications qui ont été apportées à la loi sur la milice, par la loi du 8 mai 1847.
Ces modifications sont déjà une première amélioration. On n'a pas perdu de vue l'examen des lois qui constituent l'état militaire; on ne cesse de rechercher quelles améliorations il est possible d'y apporter.
C'est ainsi que l'année dernière le remplacement par l'Etat a été introduit. Ce système, vivement réclamé depuis longtemps, était fort difficile à organiser et je puis annoncer qu'il réussit parfaitement. Son adoption est une très grande amélioration apportée à la loi sur la milice.
Quant à la fixation du contingent, il est très facile de la justifier. Depuis notre émancipation politique, le chiffre de 80,000 hommes a été fixé comme minimum de la force nécessaire pour faire face à toutes les nécessités de la défense militaire du pays et au maintien de l'ordre.
Lorsqu'au mois de décembre 1831, le gouvernement vint pour la première fois demander aux chambres de mettre à sa disposition un contingent de 80,000 hommes, personne ne trouva ce chiffre exagéré.
Le rapport de la section centrale de l'époque prouve qu'aux yeux de plusieurs membres, ce chiffre parut même trop faible. On n'a qu'à lire, pour s'en convaincre, le rapport fait au nom de la section centrale par l'honorable M. Dumont.
La grande préoccupation de la chambre était que ce contingent ne fût trop faible. Pour la rassurer, il fallait introduire dans la loi un paragraphe particulier, stipulant que le contingent était fixé à 80,000 hommes, non compris la garde civique mobilisée. Et en effet, 20,000 gardes civiques mobilisés furent mis à peu près en même temps à la disposition du gouvernement en sus du contingent de 80,000 hommes.
Ces forces ne parurent pas encore suffisamment rassurantes, car nous étions encore alors sous l'influence des malheurs de 1831, et tout le monde comprenait la nécessité d'une armée fortement organisée ; aussi les chambres mirent-elles à la disposition du gouvernement une levée extraordinaire de 30,000 hommes. Toutes les sections de la chambre approuvèrent ces mesures à l'exception de deux sections qui trouvèrent le chiffre de 30,000 hommes trop faible et qui proposèrent de le porter à 50,000 hommes.
Ainsi à cette époque, alors que la Hollande seule nous menaçait, alors que la France et l'Angleterre avaient leurs armées prêtes à nous défendre, on mettait à la disposition du gouvernement un contingent de 80,000 hommes, 20,000 gardes civiques mobilisés et 30,000 hommes de levée extraordinaire, soit un total de 130,000 hommes ! Et aujourd'hui vous lui contesteriez un contingent de 70,000 hommes pour faire face à tous les dangers qui peuvent nous menacer d'un moment à l'autre.
Je suis convaincu qu'on ne trouverait pas un seul militaire qui osât assumer la responsabilité du maintien de l'ordre et de la défense du pays avec une force inférieure. Quant à moi, je dois déclarer à la chambre que je ne puis consentir à aucune réduction sur la force du contingent et que je n'accepterais pas la responsabilité des conséquences qui en résulteraient.
M. Manilius. - Messieurs, j'ai formellement déclaré que je voterais pour la loi du contingent ; les moyens de défense du pays, nous les discuterons quand le budget de la guerre sera discuté; si M. le ministre veut anticiper sur la discussion, je me déclare prêt à la soutenir, et dans ce cas, je ne m'en tiendrai pas à ce que je viens de dire à la chambre.
Je répète que je ne désire pas voir séparer le budget de la guerre de la loi du contingent. Puisque M. le ministre de la guerre vient de déclarer que c'est sur le contingent qu'il fixe son budget, et qu'il appuie son budget sur une dizaine ou une vingtaine de notes, je me contente d'une note qui indique au moins sur quelle force le budget se trouve basé, pour l'éventualité d'une mise sur pied de guerre. Qu'il fasse cette mention dans son budget futur pour 1851, qu'il doit nous présenter avant deux mois, car l'article premier de la loi de comptabilité l'oblige à nous présenter, non un morceau de papier blanc, mais un budget réel avant le 1er mars. Si j'ai rappelé la demande que j'avais faite précédemment que la loi sur le contingent fût présentée en même temps que le budget de l'armée, je l'ai fait à dessein, parce que le moment approche où M. le ministre devra déposer son budget, et que je tiens à savoir, quand j'examine les crédits demandés, le nombre d'hommes à l'entretien desquels ils sont destinés à pourvoir, parce que je ne veux accorder d'argent qu'en proportion des hommes que l'on pétitionne. Ces deux questions sont corrélatives, elles se lient intimement même et la chambre ne doit pas vouloir qu'on les scinde. Je ne suis pas entré dans le fond de la question, bien que je sois prêt (page 391) à le faire si la chambre veut revenir sur la décision qu'elle a prise de renvoyer la discussion du budget de la guerre après les vacances. Mais quant à présent, comme je respecte les décisions de la chambre, je me borne à inviter M. le ministre à ne plus formuler de demande d'urgent sans faire connaître le nombre d'hommes auquel il est destiné.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - A entendre l'honorable préopinant, il semble, parce que j'ai répondu à son interpellation, que je ne respecte pas les décisions de la chambre, alors que c'est lui-même qui vient d'ouvrir ce débat.
L'année dernière, j'ai déposé mon budget dans les termes prescrits par la loi de comptabilité; cette année, je le déposerai encore dans les délais de rigueur. Quant à la loi sur le contingent de l'armée, j'ai déclaré que je ne ferais aucune difficulté à la présenter en même temps que le budget, si la chambre l'ordonnait.
Je ne sais pas ce que M. Manilius veut de plus.
Il vient de vous dire qu'il était prêt à entamer immédiatement la discussion du budget de la guerre. Je suis prêt aussi; je suis aux ordres de la chambre si elle juge à propos de revenir sur sa décision.
Mais je tiens à constater que je n'ai pas dit un mot qui pût impliquer que je voulais m'opposer aux décisions de la chambre et que l'honorable député de Gand me prête gratuitement une intention que je n'ai jamais eue.
Quant au vote sur le contingent de l'armée, il a toujours été convenu qu'il n'engageait pas le vote du budget.
M. Manilius. - Je demande la parole. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - M. Manilius a parlé deux fois; je ne puis lui accorder la parole sans consulter la chambre.
- La chambre consultée autorise M. Manilius à prendre la parole.
M. Manilius. - Nous savons que M. le ministre a déposé son budget à la date prescrite par la loi de comptabilité, mais nous savons aussi que la chambre a remis l'impression à la session suivante parce qu'on croyait que M. le ministre aurait fait jusque-là de notables changements.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez dit qu'il avait déposé un morceau de papier blanc.
M. Manilius. - Nous savons aussi qu'il a été imprimé sans changement aucun.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est une double erreur ; je demande la parole.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En ma qualité de ministre des finances, je suis plus particulièrement chargé de l'exécution de la loi de comptabilité de l'Etat. Tout à l'heure M. Manilius est tombé dans une erreur très fâcheuse qu'il devait rétracter; il a dit qu'on avait déposé un morceau de papier blanc, faisant allusion au dépôt du budget de la guerre; il a dit là une chose qui n'est pas.
Le budget de la guerre a été déposé tel qu'il devait l'être conformément à la loi; il a été entendu à cette époque que ce budget ne serait pas imprimé. Voilà ce que j'ai déjà eu l'honneur de dire en faisant rectifier des déclarations inexactes sur ce point. Les budgets seront encore déposés cette année dans les délais déterminés par la loi de comptabilité.
Le cabinet actuel est le premier qui ait rempli ses obligations d'une manière scrupuleuse complète, entière, absolue sous ce rapport.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - L'honorable M. Manilius a reconnu, retirant sa première assertion, que le budget a été déposé, mais il a prétendu qu'il avait été reproduit sans changement aucun. C'est une nouvelle erreur, car il a été représenté avec une diminution fort notable. Je n'ai rien à ajouter.
M. Jacques. - Je demande la parole, non pour m'opposer au projet, mais seulement pour motiver mon vote : je n'ai que quelques mots à dire.
Messieurs, je ne m'effraye pas du chiffre de 80 mille hommes qu'on regarde comme nécessaire pour la défense du pays; ce qui m'effraye, c'est le système de recrutement qui fait peser la charge de la défense du pays du même poids sur les prolétaires que sur les millionnaires. Je consens encore cette année à voter la loi du contingent de l'armée , telle qu'elle est présentée; mais si dans l'intervalle qui nous sépare de la session de 1850 à 1851 le gouvernement n'a pas pris l'initiative d'une proposition de loi pour remédier à ce que ce système de recrutement a d'injuste, je ne pourrai plus donner mon assentiment à la loi du contingent de 1851.
Il y a une connexité très grande entre le mode de recrutement et le chiffre des dépenses de l'armée. Si, par un nouveau mode de recrutement, on parvenait à substituer l'enrôlement volontaire aux levées de milice, si l'on parvenait à faire de l'état militaire une carrière pour le soldat, comme il l'est pour l'officier; les soldats pourraient rester au service de 25 à 30 ans, de manière que l'on n'aurait plus besoin d'un aussi grand nombre de recrues chaque année. Or, l'instruction des recrues entre pour une proportion notable dans les dépenses du budget de la guerre, et dès lors la diminution du nombre des recrues aurait pour résultat de permettre de réduire notablement le chiffre total du budget sans diminuer la force de l'armée.
- La discussion est close.
« Article 1er. Par mesure transitoire résultant de la loi du 8 mai 1847, le contingent do l'année pour 1850 est fixé au maximum de soixante et dix mille hommes. »
- Adopté.
« Art. 2. Le contingent de la levée de 1850 est fixé au maximum de dix mille hommes qui sont mis à la disposition du gouvernement. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1850. »
- Adopté.
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet de loi.
En voici le résultat :
Nombre des votants, 85.
84 votent pour l'adoption.
1 (M. David) vote contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption : MM. Osy, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint,. Trémouroux , Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Veydt, Vilain XIIII, Allard , Boulez , Bruneau , Cans, Christiaens, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Bocarmé, Debourdeaud'huy, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dechamps, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumon (Auguste), Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon et Verhaegen.
La discussion continue sur l'article 24 : « Service de la Dyle et du Demer : fr. 50,000. »
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, je ne recommencerai pas les discours que j'ai prononcées dans cette enceinte, afin d'obtenir ce que j'appelle justice, pour les riverains du vallon du Démer. Vous ne m'écouteriez pas, et vous auriez raison; car cette question est épuisée; cette question est jugée définitivement.
J'en viens directement à l'objet en discussion ; ne serai pas long, je réclame un instant d'attention.
On se plaint depuis 40 ou 50 ans de ce que des inondations désastreuses s'étendent périodiquement dans la vallée de la Dyle et du Démer, depuis Malines jusque dans les environs de Hasselt.
Ces plaintes ont été formulées vainement pendant longtemps. Plusieurs plans ont été proposés. Le corps des ponts et chaussées était d'avis de construire un canal et de réserver le lit de la rivière à l'écoulement des eaux. La dépense fit ajourner ce projet d'année en année; en attendant, les riverains restèrent exposés à tous les désastres du fléau des inondations. Les réclamations redoublèrent et eurent du retentissement dans cette enceinte. La question fut discutée par cette chambre. Le gouvernement fit dresser un plan d'ensemble en 1844, et provoqua un rapport d'un ingénieur distingué. Tous les intérêts parurent satisfaits du plan proposé. Je fis un amendement pour augmenter le crédit, et je proposai un libellé qui fut adopté; ce crédit s'est reproduit depuis quelques années. Les travaux qui ont été exécutés l'ont été à la satisfaction générale.
Le conseil provincial de Brabant lui-même, dans sa dernière session, a émis le vœu qu'on activât davantage les travaux. Il émit le vœu que la législature votât des subsides plus considérables.
Voyons maintenant comment M. le ministre des travaux publics tient compte de ce vœu.
Il vous propose un crédit qui constitue une réduction de 50,000 francs sur celui voté l'année dernière. Le motif qu'il allègue, c'est qu'il n'y a pas de plan d'ensemble, pas de plans détaillés pour l'application d'une somme plus considérable que celle qu'il propose.
Eh bien, je dis que ce motif n'est pas sérieux. Le motif réel est de réduire le budget de 50,000 fr., afin de faire une économie.
Je conviens qu'il faut des plans détaillés, des coupes pour la mise à exécution des travaux. Je conviens qu'il ne faut pas s'engager inconsidérément dans l'inconnu.
Mais je suis à même d'affirmer qu'il existe un plan d'ensemble, que les plans détaillés pourraient être produits en moins de quinze jours. Si l'administration centrale est dépourvue de ces plans, c'est qu'elle l'a voulu ainsi.
Il est donc constant que ce motif n'en est pas un. Le véritable motif, c'est une économie qu'on veut faire de 50,000 francs sur le crédit total du budget.
Je suis aussi partisan des économies que qui que ce soit. Mais je voudrais que l'économie portât sur des articles plus susceptibles d'être réduits. S'il était nécessaire, il ne me serait pas difficile d'indiquer des articles plus susceptibles de réduction que celui en discussion.
C'est ainsi que pendant que l'on économise sur les sommes nécessaires aux victimes des inondations, l'on propose un crédit de 949,975 fr. pour construction de routes nouvelles. Or sur ce crédit, il y a une somme de (page 392) 387,975 fr., dont l'emploi ne peut être défini pour le présent, et qui ne pourra l'être qu'au fur et à mesure des besoins. C'est ainsi que s'est exprimé M. le ministre, en répondant à la section centrale qui avait réclamé des renseignements sur l'usage que le gouvernement comptait faire du crédit demandé.
Voilà donc 387,975 fr., que M. le ministre réclame, et pour lesquels il n'y a ni plans ni destination déterminée. Pourquoi le gouvernement ne porte-t-il pas ses réductions sur des crédits semblables ?
C'est ainsi que, pendant que l'on économise sur les victimes des inondations, l'on réclame des crédits pour des dépenses que je qualifierai de dépenses de luxe. J'entends parler des crédits proposés pour reconstruire des quais à Courtrai, à Bruges, pour construire à neuf un quai de débarquement à Anvers, destiné à favoriser le débarquement des bateaux à vapeur. Et ici, je le ferai remarquer en passant, la ville d'Anvers qui perçoit les droits de quai, ne contribue pas pour un centime à cette dépense, qui tend à favoriser sa prospérité.
Voilà des crédits susceptibles de réduction. Construire des routes, des quais, ouvrir des débouchés, ce sont des dépenses utiles, puisque ces dépenses tendent à créer des richesses nouvelles. Mais avant de créer des richesses nouvelles, il importe de prendre des mesures pour conserver les richesses que l'on possède.
Travailler à prévenir des inondations qui nuisent aux travaux de l’agriculture, qui rendent les propriétaires incapables d'acquitter leurs contributions à l'Etat, est certes chose plus urgente que de chercher à créer des richesses nouvelles.
Messieurs, la réduction proposée a jeté l'alarme parmi les populations riveraines du Demer. Déjà plusieurs pétitions ont été déposées sur le bureau. Il en est une où j'ai remarqué la considération suivante. Voici ce que disent les pétitionnaires :
« Vous avez voté des millions pour prévenir les inondations de l'Escaut et de la Lys, nous refuserez-vous quelques cent mille francs pour préserver nos propriétés du fléau des inondations ? »
Messieurs, si j'avais été consulté pour la rédaction de leur requête, je leur aurais conseillé d'ajouter :
On nous a promis un canal depuis 30 ans. Les plans sont bien et dûment rédigés. Le gouvernement a pris des engagements formels, et le canal ne se réalise pas. On nous a promis une voie ferrée; il ne s'exécute pas. Nous ne connaissons le chemin de fer, qu'en contribuant par nos contributions à couvrir le déficit qu'il occasionne au Trésor.
On a commencé à exécuter des travaux qui doivent améliorer notre situation, et voilà que le gouvernement en arrête la marche. Est-ce là de la justice distributive ?
L'honorable M. Rolin, disait hier : « Les localités, qui sont dépourvues de voies ferrées, ont droit à la sollicitude du gouvernement. » Eh bien, je fais appel à la sollicitude de M. le ministre, en faveur des riverains du Demer, j'espère qu'il ne restera pas indifférent à cet appel.
L'honorable M. Frère, lorsqu'il était ministre, a eu plus d'égard pour cet intérêt respectable.
Voici le langage qu'il nous tenait le 28 janvier 1848, en nous proposant un crédit suffisant :
« J'ai pu me convaincre en parcourant le pays, que cet état de choses est très fâcheux. Le gouvernement ne négligera pas cet objet. Souvent on a réclamé, je suis loin de dire sans raison contre les inondations qui mettent une grande quantité de terre excellente sous les eaux. »
Je voudrais que l'honorable M. Rolin imitât cet exemple, et ne vînt pas mettre en avant, pour se dispenser d'agir, des motifs dénués de fondement, tels que ceux-ci : absence de plans d'ensemble, absence de système, comme si on avait marché jusqu'à présent dans l'inconnu.
L'application que le gouvernement se propose de faire des crédits qu'il nous demande, est faite comme cela arrive trop souvent, de manière à accorder beaucoup aux centres de population, dont on craint l'influence, et peu ou rien aux populations qui vivent pacifiquement dans des contrées écartées, oubliées, et dont on ne se rappelle, que pour les faire contribuer aux charges publiques.
Cette manière de procéder révolte le sentiment d'équité, qui existe chez moi. J'ai toujours eu un goût décidé à soutenir les faibles, ceux qui ne parlent pas haut; c'est à ce titre que je suis venu soutenir aujourd'hui les justes intérêts des riverains du Demer.
Je ne leur offre pas mon habileté, cela pourrait leur nuire, mais ils peuvent compter et sur mon dévouement et sur mon énergie.
Je propose avec mes collègues de l'arrondissement de Louvain, d'augmenter le crédit demandé de 50,000 fr.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, l'honorable préopinant n'aura pas fait en vain un appel à la sollicitude du gouvernement en faveur des populations riveraines du Demer. En attendant, je tiens à constater que ce n'est pas par manque de bienveillance ni pour me ménager la faculté de réserver les faveurs du budget aux populations les plus puissantes et les plus influentes qu'il a été porté au budget de cette année un moindre crédit qu'à celui de l'année dernière pour l'amélioration de celle rivière.
J'ai dit, messieurs, et je répète que si le Demer ne figure au budget de cette année que pour une dépense extraordinaire de 50,000 francs, c'est parce que le département n'est pas saisi de projets pour des travaux d'une importance plus grande. Lorsque la section centrale, en me transmettant une observation d'une section particulière, m'a demandé des explications à cet égard, j'en ai provoqué moi-même de nouvelles de la part de l'administration des ponts et chaussées. Une note m'a été fournie dans laquelle il a été déclaré de nouveau qu'aucun plan d'ensemble pour les améliorations à exécuter au Demer n'avait été arrêté. Deux projets ont été en présence : l'un ayant pour objet la construction d'un canal de Diest jusqu'à Trois-Fontaines; l'autre un plan d'amélioration en lit de rivière. Le conseil des ponts et chaussées, avant de se prononcer sur le mérite du plan d'amélioration en lit de rivière, a voulu qu'il fût décidé auquel de ces objets serait donnée la préférence.
Depuis ce temps aucune décision n'est intervenue, et le conseil des ponts et chaussées n'a eu à émettre aucun avis sur un plan d'ensemble.
J'ai invité dernièrement l'ingénieur chargé de ce service à me transmettre au plus tôt le résultat de ses études.
La chambre pensera sans doute avec moi qu'il serait imprudent de voter successivement des crédits, sans connaître d'avance ni l'ensemble des travaux à exécuter, ni le montant des sommes à y consacrer.
C'est l'unique but que j'ai eu en vue, et si, comme j'ai tout lieu de le croire, d'ici à peu de temps le gouvernement est saisi des projets qui sont à l'étude, le Demer recevra, au budget de 1851, une compensation de la perte qu'il subit au budget de 1850.
Je ne répondrai pas aux observations qui ont été présentées incidemment par l'honorable M. de Man. S'il croit devoir critiquer un chiffre particulier du budget, s'il croit pouvoir signaler une proposition qui aurait été dictée par un esprit de faveur, qu'il le signale alors qu'il s'agira de la discussion des articles auxquels ces propositions se rapportent, et non d'une manière vague et générale à propos d'un article auquel elles sont étrangères.
Je crains peu les critiques qu'il pourra m'adresser en ce sens. Ma conscience, sous ce rapport, est parfaitement tranquille. Mon seul désir est de faire bonne et égale justice à toutes les parties du pays.
M. le président. - Voici l'amendement qui vient d'être déposé sur le bureau :
« Les soussignés ont l'honneur de proposer à la chambre que le crédit porté à l'article 24 soit porté au chiffre de 113,000 fr.
« (Signé) Christiaens, de Binckum, de Luesemans, de Man d'Attenrode. »
M. Christiaens. - Messieurs, permettez-moi de dire quelques mots seulement. Je vous prie de croire qu'il ne s'agit pas ici d'une réclame électorale.
Je ne vous ferai pas l'historique de toutes les vicissitudes administratives dont le Demer a été l'objet depuis bientôt un demi-siècle. Des plans et des contre-plans, des pétitions et des contre-pétitions, des députations administratives suivies de députations administratives dans un sens contraire, telles ont été les vicissitudes qu'a subies le Demer depuis bientôt un demi-siècle. Si je voulais supputer tout ce que, administrativement, sous les divers rapports que je viens d'énumérer, le Demer a coûté, avec ces sommes on parviendrait ou l'on serait parvenu à faire les améliorations à la navigation du Demer dont il est question en ce moment.
Le Demer, messieurs, a été traité comme un enfant perdu, et par la province lorsqu'il appartenait à la province, et par le gouvernement depuis que le gouvernement en a l'administration. Je dois toutefois le reconnaître, la faute n'en est pas au gouvernement seul ; cet état de choses est provenu en partie de la rivalité des intérêts des localités situées dans le vallon du Demer.
Je ne ferai pas non plus la critique des ouvrages commencés. Je crois qu'il pourra y avoir utilité à y faire quelques rectifications dans l'intérêt des inondations dont on s'est tant plaint; mais jusqu'ici ce que nous avons à désirer, ce que tous les habitants du vallon du Demer ont à désirer, c'est le parachèvement des travaux commencés.
Ce qui m'étonne, c'est que le gouvernement n'ait pas compris que là il ne s'agit pas seulement d'un intérêt de localité, intérêt qui se rattache à l'intérêt général du pays, mais qu'il s'agit d'un intérêt direct du trésor de l'Etat. C'est là une question que je toucherai en quelques mots et qui n'a pas été traités par les honorables orateurs qui m'ont précédé.
Messieurs, il y a, à Diest, point extrême en amont où aboutit le Demer navigable, une forteresse que vous avez décrétée en 1835 ou 1836. Dès lors le gouvernement avait un intérêt majeur à hâter l'amélioration de la navigation du Denier. Des millions ont été enfouis dans la forteresse de Diest, et, dans ces millions, le transport des matériaux y prend une très grande part. Je demande dès lors pourquoi le gouvernement, qui pouvait réaliser des économies considérables en améliorant la navigation du Demer, ne s'est pas hâté en dépensant par an, non pas 100 mille francs, mais 200 mille à 300 mille francs, afin que les ouvrages fussent complètement achevés et que l'on pût amener, par eau, sur les lieux les matériaux considérables qui ont été transportés à Diest à grands frais.
Messieurs, 100 millions de briques, arrivées de Boom, par le Demer, sont venues laborieusement à Diest, laborieusement parce que la navigation était dans un état pitoyable. Eh bien! messieurs le fret de ces briques de Boom à Diest a été jusqu'à 10 francs par mille. Or, je mets en fait que si le Demer avait été mis en bon état de navigabilité d'après le plan qui a été dressé pour les travaux d'amélioration en lit de rivière, tels qu'ils se font maintenant, le fret aurait été réduit au moins d'un bon tiers, si pas de moitié. Or, si le fret de ces 100 millions de briques, de la chaux, etc., avait été réduit d'un gros tiers ou de moitié, calculez, messieurs, quelle économie le trésor eût réalisée de ce chef.
Voilà, messieurs, l'intérêt qui a été négligé, je ne dirai pas par le ministère actuel, mais par tous les ministères qui se sont succède, depuis que les fortifications de Diest ont été décrétées.
Je dis donc, messieurs, qu'au lieu de diminuer le crédit destiné aux travaux du Demer, |il faudrait, non seulement l'augmenter au-delà de (page 393) l'importance des mesures prises l'année précédente et l'année antérieure, mais encore se hâter d'achever les travaux du Demer, même en y consacrant des sommes beaucoup plus considérables. »
C'est d'après ces idées, messieurs, que, d'accord avec mes honorables collègues de Louvain, j'ai proposé une augmentation de 50,000 fr. J'espère que les considérations que je viens d'émettre vous prouveront que, dans l'intérêt même du trésor, il importe d'achever promptement les travaux en lit de rivière. Un fait doit frapper vos esprits, c'est que depuis que des travaux en lit de rivière ont été effectués, le fret a diminué d'un quart, c'est-à-dire qu'il est tombé de 8 à 6 fr. Or là où les travaux restent à faire, la navigation est plus difficile qu'elle ne l'était là où les travaux ont été exécutés ; l'exécution de ces travaux ferait donc encore baisser le fret de moitié, de sorte que les pierres de Boom transportées à Diest, au lieu de coûter 8 fr., ne coûteraient que 3 fr. ou 3 fr. 50 c.
M. le ministre des travaux publics vient de me promettre qu'il porterait au budget de 1851 une somme d'autant plus forte qu'on a diminué le crédit au budget de 1850; mais, bien que les plans de détail ne soient pas entièrement préparés, ne pourrait-il pas accepter notre amendement dans le but de hâter la rédaction de ces plans de détail? Je crois qu'on pourrait y arriver avant que l'année ne soit à moitié.
Je livre les considérations que je viens de présenter au gouvernement et à la chambre.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. de Theux. - Je viens simplement demander à M. le ministre des travaux publics de comprendre dans les études qu'il fait faire, l'écoulement des eaux de la province de Limbourg, qui est également intéressée aux travaux du Demer.
- L'amendement de MM. Christiaens, de Luesemans et de Man d'Attenrode est mis aux voix; il n'est pas adopté.
Le chiffre proposé par le gouvernement est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 25. Service de la Senne. Location de la maison habitée par l'éclusier de Vilvorde : fr. 250.
- Adopté.
« Art. 26. Canaux de Gand à Ostende. Entretien et travaux d'amélioration : fr. 65,859. »
M. le président. - La section centrale ayant proposé un amendement au littera G, je mettrai successivement en discussion les divers litteras.
« Litt. a. Travaux d'entretien ordinaire dans la Flandre orientale : fr. 5,579. »
- Adopté.
« b. Travaux d'entretien ordinaire dans la Flandre occidentale : fr. 19,600. »
- Adopté.
« c. Travaux de plantation entre les ponts de Mariakerke et de Lovendegem et entre le hameau de Nieuwendamme et la ferme dite des Jésuites : fr. 3,680. »
- Adopté.
« d. Renouvellement de la partie mobile du pont d'Aeltre : fr. 9,000. »
- Adopté.
« e. Renouvellement de la partie mobile du pont de Deurne : fr. 9,000. »
-Adopté.
« f. Renforcement et exhaussement des digues, revêtement en briques des talus de la partie des canaux comprise entre les villes de Bruges et d'Ostende : fr. 9,000. »
- Adopté.
« g. Réparation des quais dans la traverse de Bruges (part de l'Etat, égale aux deux tiers de la dépense) : fr. 10,000. »
- La section centrale propose une réduction de 2,500 fr., ce qui réduirait le chiffre du littera g à 7,500 fr.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je ne m'oppose pas à la réduction proposée par la section centrale, pourvu qu'il soit bien entendu que le gouvernement n'en restera pas moins libre de traiter sur les bases qu'il a indiquées dans sa réponse à la section centrale, et je dois dire ici à l'honorable M. de Man que ce n'est pas pour accorder une faveur à la ville de Bruges que le gouvernement contribuera à la réédification du quai, mais pour remplir une obligation que lui impose une convention de 1763, dont il ne croit pas devoir décliner la force obligatoire.
M. Delfosse. - La section centrale n'a rien trouvé à redire au projet du gouvernement; mais elle pense qu'il n'y a pas lieu d'augmenter le chiffre du budget, tant que le gouvernement n'aura pas réalisé ce projet, c'est-à-dire tant qu'il n'aura pas conclu avec la ville de Bruges l'arrangement dont il est fait mention dans les développements fournis à l'appui du budget.
- Le chiffre de 7,500 francs est mis aux voix et adopté.
« Art. 27. Service du canal de Mons à Condé.
« Entretien ordinaire : fr. 10,000.
« Travaux d'entretien extraordinaire et d'amélioration, charge extraordinaire : fr. 18,284. »
M. le président. - La chambre a décidé qu'à l'occasion de cet article, il serait donné lecture de la pétition qui nous a été adressée par plusieurs habitants de Tournay.
La parole est à M. T'Kint de Naeyer pour lire la pétition.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture de la pétition, qui est ainsi conçue :
« Messieurs,
« Les soussignés viennent réclamer une réduction notable sur les péages des canaux de Mons à Condé et plus spécialement de Pommeroeul à Antoing.
« L'intérêt de l'industrie commande cette réduction ; la justice l'exige.
« Les péages de la ligne de navigation de Saint-Ghislain à Antoing s'élèvent au taux énorme d'un franc par tonneau. Le combustible supporte donc de ce chef une charge de 7 à 8 p. c. de sa valeur, et comme il est l'un des agents nécessaires de la manufacture, c'est une aggravation du prix de revient, fatale à la production indigène dans sa concurrence avec l'étranger.
« D'ailleurs la position faite aux canaux, comparée à celle des autres voies de transport, est étrange.
« Le produit des barrières balance à peine les frais d'entretien des routes : l'Etat ne perçoit rien en amortissement des capitaux émis.
« Les tarifs des chemins de fer pour les denrées pondéreuses ont été fixés à un taux tellement abaissé qu'il reste douteux si les frais de traction et d'entretien sont couverts : l'Etat donne encore ici le capital gratuitement.
« Les canaux ont payé de longtemps et leur capital de construction et les frais de leur entretien, et cependant un péage énorme pèse sur ceux qui en font usage.
« Cela est-il juste! Et n'est-ce pas assez de l'énormité de leurs patentes, sans que les bateliers soient encore accablés sous le poids des péages?
« Ces péages sont sans cause, ils sont d'une inégalité considérable, et c'est celui du canal de Pommeroeul qui est de beaucoup le plus onéreux.
« Or, qu'arrive-t-il?
« Du bassin houiller de Mons à l'Escaut, il existe deux voies de navigation :
« Par Condé;
« Par Pommeroeul et Antoing.
« La première a été créée au moyen de centimes additionnels payés par les départements intéressés; la seconde par concession, toutes les deux ont couvert leurs frais.
« Or, une loi nous force à user exclusivement du canal de Pommerœul où les péages sont écrasants et nous prohibe l'emploi plus économique de beaucoup de la voie de Condé.
« Il en résulte un fait étrange.
« De Saint-Ghislain à Roubaix par Condé, Tournay et le canal de l'Espierre, la distance est justement double de celle de Saint-Ghislain à Tournay par Pommeroeul.
« Et le fret est en moyenne de 5 p. c. moins élevé pour Roubaix que pour Tournay !
« Les riverains de l'Escaut ont payé la construction du canal de Condé, et on leur en refuse l'usage.
« Ils ont remboursé par les péages ceux du canal de Pommeroeul et on les maintient, c'est-à-dire on établit sur cette navigation une contribution écrasante!
« Or, cette contribution est injuste parce qu'elle est sans cause : elle est inconstitutionnelle parce qu'elle ne retombe que sur une fraction du pays.
« Avec l'abaissement des péages du canal de Charleroy, avec le tarif actuel du chemin de fer, le maintien des péages du canal de Pommeroeul, serait la ruine de la navigation et des bateliers, déjà écrasés sous le poids d'énormes patentes, la ruine du commerce florissant des rives de l'Escaut.
« Le maintien de ces péages serait contraire à la justice, à la Constitution; vous ne le voudrez pas. Vous ordonnerez l'abaissement des péages du canal de Pommeroeul à Antoing et le libre usage de la navigation par Condé. »
M. Dumortier. - Messieurs, cette pétition est très sérieuse. Les pétitionnaires invoquent des faits qui intéressent au plus haut degré les intérêts commerciaux en Belgique. Rien n'est plus important, mais en même temps rien n'est plus difficile que de conserver entre les différents bassins houillers la pondération nécessaire, pour que l'un n'empiète pas sur les autres. Eh bien, cette difficulté a été malheureusement tournée par la réduction des péages sur les chemins de fer pour les marchandises pondéreuses, et en second lieu, par la réduction des péages sur le canal de Charleroy cl sur la Sambre canalisée.
Aujourd'hui, on demande une semblable réduction de péages sur le canal de Mons à Condé et sur celui de Pommeroul à Antoing. Cette demande est fondée en équité; car si vous diminuez sur l'un, vous devez, pour rester conséquents, diminuer aussi sur l'autre ; et pourtant il en résulte une réduction incontestable de recolles pour le trésor public.
Voilà donc comment les choses se passent. Par le fait de la réduction des péages sur les voies de communication, qui a été opérée par le gouvernement, on a favorisé toutes les parties orientales de la Belgique, tandis que les parties occidentales restent dans la même situation. Je demanderai si de pareilles choses peuvent se continuer.
Pour mon compte, je tirerai de là une conclusion différente de celle des pétitionnaires : c'est qu'il serait sage, dans l'intérêt du trésor, de (page 394) retirer les arrêtés malencontreux qui ont diminué le chiffre de nos recettes, et de rétablir par là l'harmonie entre les différents bassins. Que si ce système n'était pas admis, il n'en resterait qu'un : ce serait de faire droit à la pétition, et par conséquent de diminuer encore les recettes du trésor.
Je ne prétends pas que la chambre doive décider cette grave question en ce moment; mais puisqu'elle a été soulevée à l'occasion du budget, je n'ai pas pu m'empêcher de présenter ces observations à la chambre. Je demande, au surplus, que la pétition soit renvoyée à MM. les ministres des travaux publics cl des finances avec demande d'explications.
M. Le Hon. - Messieurs, j'ai peu de mots à dire sur l'objet de la pétition dont il vient d'être fait lecture. Je n'entrerai pas dans les considérations générales que vient d'effleurer l'honorable préopinant; mais je crois que la pétition mérite, à un point de vue spécial, d'être recommandée à M. le ministre des travaux publics : c'est à raison de l'origine même et de la hauteur du péage établi sur la navigation du canal d'Antoing.
La chambre peut ignorer que, jusqu'en 1826, les houilles du bassin de Mons, pour s'écouler en Belgique, vers les Flandres, devaient, en suivant le canal de Mons à Condé, emprunter le territoire français, et y payer au passage de deux écluses (celles de Gœulzin et de Rodignie) un tribut qu'on n'évaluait pas à moins de 800,000 fr. par année.
Le canal qui rattache Mons à Condé, c'est-à-dire à l'Escaut français, a eu pour destination primitive et principale d'ouvrir, aux produits des exploitations de Mons, les marchés de l'Oise et de la Seine, par le canal de Saint-Quentin. Pour les marchandises entrées en consommation et faisant ce long parcours, le droit perçu aux écluses n'était pas exorbitant; mais il était très onéreux à celles qui ne passaient qu'en transit par deux points très rapprochés de la même frontière.
La construction du canal d'Antoing n'a eu pour but que d'affranchir du transit et du péage notre navigation vers les Flandres, en lui traçant une direction nouvelle de Saint-Ghislain à Antoing, par le territoire belge.
Vous concevez qu'on a pu alors établir un droit de tonnage élevé, pourvu que ce droit offrît encore au commerce un avantage notable sur les péages français.
Qu'a fait le concessionnaire des écluses en 1827? Lorsque le canal d'Antoing fut ouvert à la navigation, il a réduit le tarif de ses perceptions au quart, c'est-à-dire de 18 à 4 1/2 et de 9 à 3 1/4. Naturellement il devait encourager nos produits à transiter encore.
Le gouvernement provisoire, dès 1831, se hâta de prendre une mesure fort sage; il abaissa de moitié le droit établi sur le canal d'Antoing, et le taux en était encore de 3 cents.
Il est d'autant plus élevé aujourd'hui qu'il dépasse considérablement le tarif réduit de nos principales voies de communication, soit ferrées, soit fluviales ; il y a donc de toute nécessité une révision à faire du taux de ce péage, pour lui appliquer avec justice le système général de réduction.
Je ne place pas sur le même rang le canal de Mons à Condé, qui n'a jamais supporté qu'un droit très faible et qui soit avant, soit depuis l'année 1827, a toujours eu une navigation très active. Mais voyez à quelle mesure on a été obligé de recourir ensuite, pour que le canal d'Antoing ne fût pas pour ainsi dire abandonné.
En 1838, la concession de M. Honorez étant arrivée à son terme, les droits perçus aux écluses françaises furent presque réduits à rien ; les houilles de Mons, dès ce moment, eurent intérêt à transiter encore le territoire français, pour échapper cette fois aux perceptions du canal d'Antoing; de sorte que pour empêcher ce transit par la France, il a fallu imposer aux bateaux belges entrant en Belgique par l'Escaut français le même droit que s'ils avaient parcouru le canal d'Antoing. La pétition des commerçants notables de Tournay demande la révocation de cette mesure, en même temps que l'abaissement des péages sur le canal d'Antoing.
J'ai cru que l'exposé de ces faits était nécessaire pour prouver à M. le ministre des travaux publics que les vœux auxquels je viens donner mon appui ont des droits tout particuliers à sa justice cl à son intérêt.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, la question de la réduction du tarif des péages se rattache au budget des voies et moyens; elle demanderait des détails qu'il serait impossible de donner en ce moment.
- Le chiffre est adopté.
M. Allard. - Il est entendu que la pétition sera renvoyée au ministre des travaux publics.
M. Rousselle. - J'appuie la proposition qu'a faite l'honorable M. Dumortier, de renvoyer la pétition au ministre des travaux publics et au ministre des finances. Comme M. le ministre des travaux publics nous a annoncé l'intention d'examiner les tarifs des péages sur les voies navigables, je recommande cette pétition à toute sa sollicitude.
- Le double renvoi proposé est ordonné.
« Art. 28. Service du canal de la Campine.
« a. Entretien des terrassements, des ouvrages d'art, des fascinages et des digues des première et deuxième sections : fr. 48,700 fr.
« b. Plantations sur les chemins de halage et sur les terrains qui longent le canal, charge extraordinaire : fr. 14,000 fr.
« c. Rechargement des digues, soit en gravier, soit en terre végétale, charge extraordinaire : fr. 8,000 fr.
« d. Déplacement d'un pavillon sur la première section, charge extraordinaire : fr. 1,000. »
M. Loos. - J'ai une interpellation à adresser au gouvernement relativement à l'achèvement du canal de la Campine. Aujourd'hui que la chambre réclame des économies, que le trésor a besoin de faire des recettes nouvelles, il serait de l'intérêt du pays d'achever le canal de la Campine pour lequel on a déjà dépensé 12 à 15 millions qui ne rapportent que 20,000 fr. Il reste à dépenser 3,000,000 de fr. pour terminer les travaux. Dans un rapport présenté en février 1848, on les évaluait à 2,400,000 fr., mais j'admets que les évaluations peuvent être restées au-dessous des dépenses réelles.
Pour rendre productifs 12 à 15 millions, il faudrait donc faire une dépense de 3 millions. Dans les réponses faites par le ministre des travaux publics à la section centrale, je vois que, quand il trouvera le moment opportun, il s'empressera de satisfaire aux vœux émis dans le sein de la troisième section qui réclamait l'achèvement du canal.
C'est, messieurs, un acte de mauvaise administration que de laisser improductif un capital, quand, par un moyen quelconque, on peut le rendre productif.
J'admettrai volontiers que, dans l'état actuel de nos finances, des travaux de cette espèce sont inopportuns; mais si nous manquons de ressources pour les exécuter et qu'il soit impossible de songer à contracter un emprunt, je dirai : Comme vous avez le plus grand intérêt à ce que les capitaux engagés ne restent pas improductifs, ayez recours à la concession, avisez à une combinaison quelconque, ne laissez pas 15 millions ne produire, comme cela a lieu depuis quatre ans, que 20,000 fr., car c'est là, je le répète, un acte d'administration inintelligent, une mauvaise gestion des deniers publics. Je pensais que M. le ministre, qui est venu voir les choses de ses propres yeux, aurait compris qu'il devait prendre un parti quelconque, soit demander des ressources aux chambres, soit proposer une concession, enfin un moyen quelconque de rendre productifs les travaux exécutés.
Le gouvernement pourrait retirer de ce canal, s'il était terminé, 600,000 à 700,000 fr.au moins. Ce n'est pas une recette à dédaigner. Si M. le ministre pense que le moment opportun n'est pas venu de faire des dépenses en exécution de travaux, moi je pense que le moment de faire des recettes est venu depuis longtemps pour le pays. Si l'on ne veut pas demander des fonds pour l'exécution des travaux qu'il reste à faire, qu'on en fasse l'objet d'une concession; on trouvera là un moyen de les exécuter et de rendre productive une somme considérable qui jusqu'ici ne rapporte rien.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je partage l'opinion de l'honorable M. Loos; je n'ai jamais hésité à déclarer que l'achèvement du canal de la Campine est, à mes yeux, un des travaux les plus urgents. Répondant à la section centrale, je disais :
« L'opinion du gouvernement sur la nécessité du prompt achèvement du canal de la Campine n'a pas varié. On ne saurait douter, en effet, que, aussi longtemps que la section de ce canal, comprise entre Herenthals et Anvers, ne sera point exécutée, les travaux déjà faits et les capitaux dépensés resteront en grande partie stériles. Aussi le département des travaux publics n'hésite-il pas à mettre cet ouvrage en première ligne de ceux qu'il importe d'exécuter.
« Dès que le moment opportun lui paraîtra venu, il s'empressera de satisfaire au vœu émis dans le sein de la cinquième section. »
Mais le moment est-il opportun de faire un appel au crédit pour l'exécution de ce travail ou de tout autre? Il me semble qu'il convient d'en abandonner l'appréciation au gouvernement.
Ce n'est pas au département des travaux publics seul qu'il appartient de proposer des emprunts.
Le gouvernement a pensé que, dans les circonstances présentes, son premier soin était de veiller aux nécessités du trésor.
Il a cru qu'aussi longtemps que le pays ne serait pas revenu à une situation financière normale, il ne pouvait songer à entreprendre des constructions nouvelles. Cet étal de choses est plus fâcheux pour le ministre des travaux publics que pour personne.
Y a-t-il lieu de suppléer pour l'achèvement du canal de la Campine, à l'insuffisance momentanée des ressources de l'Etat, par le moyen indiqué par l’honorable préopinant, c'est-à-dire donner le canal en concession? C'est la première fois que cette idée est émise. Mais je ne la crois pas réalisable. Le canal est à peu près achevé ; il ne reste plus à exécuter que la section d'Herenthals à Anvers. Est-ce le tout ou la partie non achevée que l'on voudrait voir donner en concession?
Je crois que ni l'une ni l'autre de ces idées n'est acceptable. Que l'honorable M. Loos se rassure. Il doit comprendre combien il est pénible pour le gouvernement de devoir s'abstenir de terminer des travaux qui, dans sa conviction, seraient féconds en résultats pour l'industrie et pour te trésor. Cela seul doit lui donner la confiance que, dès qu'il lui sera possible d'achever ces travaux, il n'en négligera pas l'occasion.
Je ne doute pas que mes successeurs penseront à cet égard ma manière de voir.
M. Loos. - Je n'ai pas demandé que le canal d'Herenthals à Anvers fût exécuté en ce moment au moyen de ressources nouvelles, mais j'ai dit que depuis quatre ans que je réclamais chaque année l'exécution de ce canal, tous les ministres qui se sont succédé ont reconnu l'urgence des travaux, mais ont donné pour cause de l'inexécution le défaut de (page 395) ressources. On avait finalement demandé des crédits, mais des événements extraordinaires n'ont pas permis d'en faire usage.
J'ai indiqué un autre moyen, qui est plus praticable que ne le pense M. le ministre. Je n'entends pas entrer dans les détails de l'opération, c'est là l’affaire du ministre, mais je dis : Si vous présentez à des entrepreneurs un appât de bénéfice quelconque, vous trouverez moyen d'exécuter la section d'Herenthals à Anvers. A quelles conditions ? Je ne sais pas. Mais en offrant un bénéfice raisonnable, vous trouverez des entrepreneurs qui l'exécuteront.
Le premier article qu'on propose pour le service de l'entretien du canal est de 48,700 fr. et le produit est de 20,000 fr. Ces 20,000 fr., c'est le maximum de ce que la partie achevée du canal a produit annuellement. Vous êtes donc intéressés, fissiez-vous un assez grand sacrifice, à ce que le canal s'achève d'une manière quelconque; car il vous rapportera alors le 600,000 à 700,000 fr. au moins. Je l'ai déjà dit, c'est une ressource qu'il ne faut pas négliger.
- L'article 28 est mis aux voix et adopté.
« Art. 29. Canal d'embranchement vers Turnhout. Entretien et travaux d'amélioration,
« Charge ordinaire : fr. 8,000.
« Charge extraordinaire : fr. 12,900 fr.
- Adopté.
« Art. 30. Petite-Nèthe canalisée. Cinquième annuité à payer à la province d'Anvers, 50,000 fr.
« Entretien et travaux d'amélioration : fr. 10,000.
« Total : fr. 66,000. »
M. Coomans. - Je sais qu'il est désagréable de prendre la parole pour de petites rivières. Je n'ignore pas que les grosses rivières, les grands fleuves sont beaucoup mieux écoutés et traités. Mais l'exemple du Demer ne me découragera pas ; et je tiens à appeler très sérieusement l'attention de l'honorable ministre des travaux publics, non pas sur la nécessité d'une augmentation immédiate de dépense, mais sur l'état de gêne où se trouve souvent la navigation de la Petite-Nèthe, précisément à cause des progrès que fait l'agriculture dans les environs de la rivière.
C'est une idée très répandue que l'eau manque communément dans la Campine. Cela est vrai en thèse générale, mais il y a beaucoup d'endroits où il y a trop d'eau. Il y a beaucoup de marécages et d'eaux stagnantes, de petits ruisseaux qui débordent à chaque instant. A mesure que l'œuvre du défrichement avance, le dessèchement artificiel des landes précipite le cours des ruisseaux, qui, déjà trop étroits, sortent parois de leur lit.
Toutes ces eaux se répandent dans les petites rivières, et en rendent la navigation difficile. Il serait donc utile, bon (j'appelle l'attention de M. le ministre des travaux publics sur ce point) de surveiller l'aménagement des ruisseaux, de favoriser et d'étendre la navigation sur la Petite-Nèthe.
Ce serait un moyen de favoriser l'agriculture et le commerce dans cette partie de la province d'Anvers.
Permettez-moi, messieurs, de dire un mot pour appuyer les observations très justes de l'honorable M. Loos. Il a prouvé qu'au point de vue du trésor même, il était bon de faire certaines dépenses, de compléter certains travaux, même en temps de pénurie. L'achèvement du canal de Campine est dans ce cas. Le canal de la Campine forme aujourd'hui un double cul-de-sac, une voie sans issue ; il aboutit ou plutôt il est arrêté à Turnhout d'une part et à Herenthals de l'autre ; et l'intérêt financier de la Belgique même exige qu'au plus tôt on achève ce grand et excellent travail, dont nous n'avons recueilli que des fruits bien faibles, eu égard aux sommes que nous y avons consacrées.
- L'article 30 est adopté.
« Art. 31. Canal de Moervaert. Entretien ordinaire ; fr. 1,849.
- Adopté.
« Art. 32. Ouvrages établis pour améliorer le régime des eaux du sud de Bruges. Entretien : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 33. Canal de Deynze à Schipdonck. Travaux d'entretien ordinaire : fr. 4,000. »
- Adopté.
« Art. 34. Canal latéral à la Meuse de Liège à Maastricht. Travaux d'entretien : fr. 25,000. »
M. Mercier. - J'ai à faire sur cet article une observation qui avait été faite par la section centrale à M. le ministre des travaux publics. La première section avait pensé que, tant qu'un canal n'était pas exploité, ne rendait aucun service à l'Etat, il devait être considéré comme étant en construction. On ne peut donc porter au budget des frais d'entretien; jusqu'au moment de la mise en exploitation, tous les frais d'entretien doivent être prélevés sur les frais de construction du canal; cela n'est pas douteux; les observations de M. le ministre des travaux publics, consignées au rapport de la section centrale, n'ont pas rencontré l'objection de la première section.
Je conviens que, d'après le contrat passé avec l'entrepreneur, ces frais ne lui incombent pas. Mais il n'est pas moins vrai qu'il est irrégulier de faire figurer au budget les frais d'entretien, tant que le canal n'est pas livré à la circulation. Il y a là confusion dans cette manière de procéder.
Je ne fais pas de proposition. Je soumets cette observation à la chambre et à M. le ministre des travaux publics lui-même.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - La charge de l'entretien incombe à l'Etat, non pas seulement en vertu de la convention avec l'entrepreneur, mais en vertu du cahier des charges de l'adjudication primitive, et en vertu, quant à la partie hollandaise, de la convention internationale du 12 juillet 1845.
Je ne crois pas, du reste, que les observations de l'honorable préopinant soient fondées.
D'abord, l'intérêt financier est nul ; il est facile de le démontrer. Si j'insère dans le cahier des charges que les frais d'entretien incomberont à l'entrepreneur, à partir de l'an prochain ou dans deux ans, il est évident que le résultat sera le même, car les calculs de l'entrepreneur seront faits en raison de cette charge additionnelle.
En second lieu, il me semble fort naturel que, quand des travaux ont subi l'épreuve de six mois de durée, il est très naturel que l'entrepreneur soit déchargé de l'entretien.
M. Mercier. - L'honorable ministre n'a pas compris l'objection que j'ai présentée. Je n'ai pas prétendu qu'un intérêt financier fût véritablement en cause, mais bien un intérêt de régularité. Je soutiens qu'en bonne comptabilité on ne peut faire figurer au budget les frais d'entretien d'un canal qui n'est pas achevé ; cette dépense doit nécessairement être comprise dans les frais de construction.
- L'article 34 est adopté.
« Art. 35. Travaux de second ordre, frais d'études et de levée de plans, achat et réparations d'instruments : fr. 7,000. »
- Adopté.
« Art. 36. Entretien des bacs et bateaux de passage et de leurs dépendances : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art. 37. Subsides à allouer à la direction du poldre de Lillo, charge extraordinaire : fr. 1,500. »
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je demande, par amendement à l'article 37, que la somme de 1,500 francs soit portée à 2,000 francs. Je n'ai pas eu le temps de communiquer cet amendement à la section centrale. Il est nécessité par une convention qui a été conclue avec le poldre de Lillo, en vertu de laquelle l'Etat s'engage à payer annuellement, pendant cinq ans, un subside de 2,000 francs.
M. Cools. - Je demanderai une explication à M. le ministre.
Il est de fait que les poldres doivent suffire à leur entretien ; que c'est une charge à supporter par les propriétaires. Ici on s'écarte de cette règle; on a fait un arrangement par suite duquel l'Etat accorde un subside pendant cinq ans. Je voudrais savoir quels sont les motifs de cette faveur, pourquoi on adopte, pour ce poldre, une règle différente de celle qui est suivie pour tous les autres.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - L'observation de l'honorable M. Cools est juste; c'est une disposition tout à fait exceptionnelle. Mais elle n'est pas sans antécédents quant au poldre de Lillo.
La chambre doit savoir dans quelle position ce poldre s'est trouvé par suite des événements de la guerre. L'Etat est intervenu une première fois, pour venir en aide aux propriétaires qui ont eu à supporter la charge d'une double reconstruction de la digue. C'est une disposition de faveur, si l'on veut; mais nous croyons accomplir un devoir d'humanité et de justice en payant à l'association une somme de 2,000 fr. pendant cinq ans, pour l'aider à supporter la charge d'entretien pendant les premières années qui suivront la reprise.
- Le chiffre de 2,000 fr. est mis aux voix et adopté.
« Art.38. Entretien et travaux d'amélioration du port d'Ostende.
« Charge ordinaire : fr. 47,150 fr.
« Charge extraordinaire : fr. 134,500 fr. »
- Adopté.
Art. 39. Entretien et travaux d'amélioration du port de Nieuport.
« Charge ordinaire : fr. 15,933 55 c.
« Charge extraordinaire : fr. 20,666 fr. 67 c. »
- Adopté.
« Art. 40. Travaux d'entretien de la côte de Blankenberghe : fr. 90,000. »
- Adopté.
« Art. 41. Entretien des phares et fanaux : fr. 1,000. »
- Adopté.
« Art. 42. Traitement des ingénieurs et conducteurs des ponts et chaussées, des ingénieurs et conducteurs-adjoints à ce corps. - Frais de bureau et de déplacement.
« Charge ordinaire : fr. 516,600.
« Charge extraordinaire : fr. 44,267. »
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, le gouvernement nous demande un crédit de 898,500 fr., fractionné en trois articles, pour traitements et frais de bureau du personnel supérieur et inférieur du corps des ponts et chaussées. Mon intention n'est pas de proposer une réduction sur ce chiffre, bien qu'il soit très élevé. Mais si je ne demande pas de réduction, je tiens beaucoup à ce que ce crédit ne soit pas augmenté (page 396) d’une manière indirecte. C'est à cet effet que j'ai proposé à la section centrale un amendement ainsi conçu :
« Des traitements ou indemnités ne peuvent être alloués aux fonctionnaires ressortissant au département des travaux publics sur les crédits spéciaux alloués pour des travaux de construction. »
La section centrale a adopté cette proposition à l'unanimité de ses membres.
Voici, messieurs, en peu de mots les motifs de cette proposition. Au commencement de h session de 1847-1848, l'honorable M. Frère-Orban, alors ministre des travaux publics, déposa, pendant la discussion de son budget, une nomenclature de fonctionnaires que je tiens ici, et il proposa d'attacher leurs traitements au budget des travaux publics. Cette proposition tendait à augmenter les crédits destinés aux traitements de 143,868 fr. 50 c, pour l'administration des chemins de fer, et de 102,500 francs pour le service des ponts et chaussées.
Cette communication fut l'objet de l'étonnement de la chambre. Le gouvernement ne nous révéla cet état de choses qu'avec embarras; j'en fus péniblement impressionné. Après une discussion, cette augmentation de crédit fut adoptée. C'était inévitable. Mais alors, afin de prévenir le retour de propositions semblables, j'ai proposé un article additionnel qui tendait à y mettre obstacle.
Permettez maintenant, messieurs, que je vous explique quelle était la cause de ces augmentations de dépenses auxquelles la chambre s'attendait si peu. La législature ayant adopté un système de travaux publics considérables, vota des emprunts pour faire face à la dépense qu'ils devaient occasionner.
Il est d'usage de désigner le produit de ces emprunts sous le nom de fonds spéciaux destinés à la construction. Qu'a fait le gouvernement depuis le commencement de ces travaux jusqu'à cette époque ? Il a prélevé les traitements du personnel chargé de la direction des constructions sur les crédits spéciaux votés pour les constructions mêmes.
Bien des fois, messieurs, je me suis élevé contre cette manière d'agir qui permettait au gouvernement d'augmenter continuellement le personnel des ingénieurs à notre insu, car ces traitements n'étaient pas portés au budget. On me répondait alors qu'il était dangereux de rattacher ces traitements au budget. Car, disait-on, une fois les travaux terminés, le personnel sera congédié.
C'est un personnel qui n'est pas permanent, c'est un personnel temporaire, qui ne doit exister que pendant l'exécution des travaux. Je fus obligé de me contenter de ces explications, bien qu'elles me parussent de peu de valeur et peu rassurantes. Mes prévisions ne se sont que trop réalisées.
Le gouvernement est venu nous faire la proposition que je viens de rappeler ; et deux crédits considérables pour le personnel du chemin de fer et pour celui du corps des ponts et chaussées, vinrent augmenter leur dotation.
Je fis donc alors une proposition ; elle devient l'article second du budget de 1848. Mais la loi du budget n'a qu'une durée annuelle. L'année dernière, vous vous rappelez que le budget a été voté en une seule séance, je n'ai pas eu le temps de reproduire cette proposition. Aujourd'hui je viens vous proposer de vouloir adopter l’article 2, tel qu'il a été admis en section centrale.
Lorsque je fis une proposition semblable au commencement de 1848, voici ce que M. le ministre des travaux publics, qui était alors l'honorable M. Frère-Orban, se hâta de me répondre: « Le gouvernement ne se rallie pas à la proposition de l'honorable M. de Man; c'est au contraire l'honorable membre qui s'est rallié à la proposition du gouvernement en formulant en lettres ce que j'ai formulé en chiffres. »
Voilà ce que l'honorable M. Frère disait le 31 janvier 1848.
Vous voyez, messieurs, d'après ces paroles, que le ministre me disputait en quelque sorte l'initiative de cette proposition, qu'il prétendait lui appartenir.
Mais, messieurs, au second vote le gouvernement parut regretter d'avoir été aussi loin, et il fit un pas en arrière; il souleva des objections, il prétendit, que l'adoption de ma proposition empêcherait de prélever sur le fonds spécial les salaires des ouvriers qui accompagnent les ingénieurs, les porte-chaînes, les porte-mire, etc. ; il demanda que la proposition n'étendît ses effets qu'au personnel des chemins de fer; ma proposition fut modifiée dans ce sens au second vote.
Je me suis efforcé, cette année, d'aller au-devant des objections du gouvernement en rédigeant la proposition qui vous est soumise. Sa rédaction n'empêchera pas le gouvernement de disposer des fonds spéciaux pour salarier les ouvriers qui aident les ingénieurs à niveler le terrain. Il ne s'agit pas, dans ma proposition, de salaires ; il s'agit de traitements.
Les traitements sont les émoluments des fonctionnaires. Les salaires instituent les émoluments des ouvriers.
J'espère que l'honorable M. Rolin ne s'opposera pas à l'adoption de la proposition de la section centrale.
En effet, le crédit si considérable demandé pour le personnel doit suffire aux besoins du service. Prélever des traitements sur les fonds spéciaux, c'est une manière détournée d'augmenter le personnel. L'intérêt public, le contrôle bien entendu de la législature, la régularité exigent que les crédits destinés au personnel soient écrits clairement au budget.
Si M. le ministre repousse la proposition, c'est qu'il a l'intention de continuer un déplorable système;, je ne pourrais me l'expliquer autrement.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je ne puis me rallier à la proposition qui vient d'être faite et je vais en dire les motifs en peu de mots.
Les faits que l'honorable préopinant signale me paraissent constituer un abus et un abus grave. Je n'ai jamais toléré, et mon honorable collègue n'a pas toléré davantage, que des traitements et des indemnités fussent payés à un personnel quelconque des ponts et chaussées, sur les, fonds destinés à des travaux quelconques de construction. J'ai poussé, messieurs, la sévérité sous ce rapport, à ce point que j'ai cru devoir supprimer une clause que j'avais découverte dans le cahier des charges d'une entreprise qui se faisait pour le chemin de fer, clause qui portait qu'un tantième de 1 p. c. était réservé pour les ouvriers nécessiteux et que l'excédant de ce tantième, qui ne serait pas consacré aux ouvriers de l'entrepreneur, tournerait au profit de la caisse de secours du chemin de fer. Il m'a paru que c'était là un subside déguisé, qu'il n'était pas permis, au département des travaux publics d'accorder, subside qui n'était pas directement voté par les chambres. Cet article a disparu à jamais des contrats qui se font pour le chemin de fer.
Ce n'est donc pas, messieurs, en vue de faire renaître de pareils abus que je crois devoir m'opposer à l'amendement de la section centrale. (Interruption.)
M. le président. - Ce n'est pas un amendement, c'est un article 2.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Il a été discuté à l'occasion de cet article, et je demande à répondre aux motifs qu'on a fait valoir pour l'appuyer.
Voici, messieurs, ce qui s'est passé.
Précédemment, à l'occasion de la construction d'ouvrages nouveaux, on a nommé des agents temporaires.
Il est évident que la pensée première de ceux qui ont nommé ces agents, était que les fonctions viendraient à cesser au moment où les travaux seraient achevés.
Cependant, messieurs, cela n'a point été réalisé, et ces agents temporaires sont restés, non pas dans le corps, puisque jamais ils n'y ont appartenu à proprement parler, mais ils sont restés attachés indirectement au corps et ils ont continué à grever le budget. C'est une grande difficulté de la réorganisation. Par des considérations d'humanité, j'ai demandé à la chambre des fonds pour pouvoir donner à ces agents temporaires un traitement de disponibilité et je leur réserve exclusivement toutes les places qui peuvent devenir vacantes au département des travaux publics dans quelque administration que ce soit, bien qu'ils n'y aient jamais appartenu, je leur réserve et des postes d'éclusiers, et des places dans l'administration des postes, et des places au chemin de fer, en un mot toutes les places qui peuvent devenir vacantes. J'ai été tellement dominé par cette pensée d'humanité, que je n'ai pas été une seule fois coupable d'avoir cédé aux sollicitations; pas un étranger au département n'a été placé, en dehors des agents dont il s'agit.
Que faut-il faire, messieurs, pour parer à un abus comme celui dont se plaint l'honorable M. de Man? J'espère qu'il viendra un temps où nous seront capables de faire des travaux, à faire des dépenses que je regarde comme productives; alors il faudra encore une fois des agents temporaires, mais pour qu'ils ne deviennent pas une charge permanente il faudra précisément les payer sur le fonds de construction, non pas d'une manière indirecte, mais en déclarant aux chambres quelle est la somme destinée à ces agents temporaires. Si vous n'agissez pas ainsi, bientôt vous aurez de nouveau ces agents temporaires que tout mon désir est de voir disparaître.
M. Delfosse. - On doit reconnaître qu'il y a eu autrefois un grave abus que l'honorable M. de Man a blâmé avec raison. Des fonds spéciaux ont été plus d'une fois employés en partie à grossir les traitements ou les indemnités du corps des ponts et chaussées.
C'est pour empêcher le retour de cet abus que l'honorable M. de Man a proposé l'amendement qui a été adopté par la section centrale.
Mais l'engagement formel que M. le ministre des travaux publics vient de prendre de ne jamais employer les fonds spéciaux à un tel usage, sans en référer préalablement aux chambres, cet engagement doit satisfaire l'honorable M. de Man, et je l'engage à ne plus insister sur l'adoption de son amendement.
M. de Man d'Attenrode. - Je désirerais pouvoir répondre à l'appel que vient de m'adresser l'honorable préopinant, je le désirerais bien sincèrement. Mais la réponse de M. le ministre est loin de me satisfaire, de me tranquilliser sur ses intentions.
Dans la première partie de sa réplique, il déclare que les faits que je signale constituent un abus grave, qu'il n'a jamais tolérés. Je m'attendais donc à voir M. le ministre se rallier à la proposition de la section centrale.
Mais dans la deuxième partie, il s'y oppose, parce que, dans l'éventualité de nouvelles constructions, il faudra, d'après lui, user encore d'agents temporaires, et prélever leurs traitements sur les frais de constructions, si l'on ne veut pas que la charge de ces traitements devienne permanente.
Messieurs, le langage tenu par M. le ministre est à peu près le même que celui que tenaient ses prédécesseurs ; il y a une différence, cependant, c'est que la chambre sera avertie, si on a encore recours à ces moyens. Cela est plus régulier certainement, mais conçoit-on qu'un crédit de plus de 900,000 francs ne soit pas suffisant pour solder le personnel préposé à l'entretien et à la construction?
(page 397) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - C'est une erreur.
M. de Man d'Attenrode. - Vous venez de déclarer que de nouvelles constructions exigeraient encore des agents temporaires (interruption), et si j'ai bien compris, il en existerait môme encore aujourd'hui, je ne sors pas de ce dilemme, si vous renoncez franchement à faire usage d'agents subsidiés sur les fonds spéciaux, adoptez la proposition. Si vous continuez à vous y opposer, cela me prouve que le système que je combats se reproduira encore. Je maintiens donc ma proposition.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, des explications complètes ont été fournies à la section centrale; ces explications ont passé par les yeux de l'honorable M. de Man, il a pu y voir que les agents temporaires sont compris dans le chiffre même qui est en discussion.
M. de Man d'Attenrode. - Encore un mot, messieurs. Il me reste une autre interpellation à adresser à M. le ministre; elle concerne les traitements de quelques membres du corps des ponts et chaussées, d'une manière indirecte, j'en conviens.
J'avais demandé en section centrale le tableau des bâtiments appartenant à l'Etat habités par les fonctionnaires de ce corps. Cet état nous a été communiqué. J'en ai fait le relevé, et il en résulte qu'il existe dans le pays plusieurs constructions qu'on est convenu d'appeler des pavillons, et qui servent de demeure à messieurs des ponts et chaussées. Je connais l'un de ces pavillons, celui de Hocht sur la Meuse, non loin de Maestricht. Ce pavillon a l'aspect d'une belle maison de campagne, entourée de trois hectares de cour et jardin.
Je désirerais savoir sur quels crédits le gouvernement a autorisé la dépense que cette construction a occasionnée. Cette dépense ne peut être évaluée à moins de 50,000 fr.
L'ingénieur qui habite ce pavillon n'a pas même ses bureaux dans cette habitation ; les bureaux sont établis, dans la maison éclusière dans le voisinage.
Sur quels fonds la dépense de cette construction, qui est un objet d'étonnement et de scandale pour le pays environnant, a-t-elle été imputée? Voilà la question que je réitère au gouvernement. Il y a longtemps que je siège dans cette chambre, eh bien, je ne me rappelle pas d'avoir voté des crédits pour créer des habitations de plaisance à messieurs les ingénieurs; cela n'a jamais été dans l'intention de la législature.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je pourrais répondre par un seul mot : c'est que je suis complètement innocent du fait, et que le pavillon était entièrement debout, avant que je fusse ministre.
Mais il y a plus : si l'honorable M. de Man avait eu la bonté d'appeler mon attention sur cet objet et de me demander des renseignements, je lui aurais ouvert volontiers mes cartons, comme je les lui ouvrirai volontiers en toute occasion. Quoi qu'il en soit, sans pouvoir l'affirmer cependant, je crois que le pavillon a été construit sur les fonds particuliers de l'ingénieur.
M. de Man d'Attenrode. - Le pavillon appartient à l'Etat.
M. Cools. - Messieurs, je demande la parole uniquement pour confirmer l'observation de l'honorable M. de Man, à savoir, qu'à tort ou à raison, les faits qu'il signale excitent à un haut degré l'attention du pays. Puisqu'en ce moment M. le ministre des travaux publics ne peut pas donner des explications suffisantes, je l'engage à donner des éclaircissements désirables au budget prochain.
M. Jacques. - Messieurs, je suis disposé à voter les articles qui concernent l'administration des ponts et chaussées; mais par suite des observations qui ont été faites par l'honorable M. de Man, et de la réponse qui a été donnée par M. le ministre des travaux publics, je crois qu'il y aurait utilité à maintenir l'article 2 additionnel proposé par la section centrale, et voici sur quoi je motive cette utilité : c'est que dans le projet d'organisation que j'ai trouvé sur le bureau, j'ai vu un article il ainsi conçu :
« Lorsque le service de travaux importants exigera l'emploi d'agents temporaires, notre ministre autorisera leur admission et fixera leur salaire, lequel sera imputé sur les fonds affectés aux travaux. »
J'ai bien entendu que M. le ministre n'entend point disposer dans ce sens pour 1850 de sommes allouées au budget : mais je crois que, pour que l'abus qu'on a combattu autrefois ne se reproduise pas, il est bon d'admettre dans le budget de 1850, l'article proposé par la section centrale, et que lorsqu'il sera nécessaire de faire usage de la faculté qui est mentionnée à l'article 11 du projet d'arrêtés de réorganisation, l'on fasse alors voter séparément la partie des crédits spéciaux, qui concerne le personnel, afin que le chiffre qui y est destiné ne soit pas confondu avec le chiffre destiné aux travaux. Je pense donc que quand l'occasion se présentera de recourir à des agents extraordinaire, il n'y aura pas la moindre difficulté à faire des articles séparés dans les propositions du gouvernement, tant pour la partie des fonds destinée à salarier les agents temporaires, que pour la partie des fonds destinés aux travaux.
Si l'on n'admet pas une disposition de cette nature, je crains qu'avant trois ou quatre ans, l'on ne voie reparaître les abus contre lesquels on a tant crié dans les sessions antérieures.
M. Delfosse. - Je ferai remarquer à l'honorable préopinant que l'amendement de l'honorable M. de Man ne porte que sur le budget de 1850; l'honorable préopinant n'ayant pas de craintes pour l'exercice 1850, mais seulement, pour un terme plus éloigné, n'a pas du raison pour désirer l'adoption d'un amendement qui vient d'être abandonné par son auteur.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Pour prévenir les abus qu'on pourrait craindre, il est dit dans les arrêtés organiques que j'ai déposées sur le bureau, que les fonctions des agents temporaires qui seraient nommés à l'avenir cesseront de plein droit au moment de l'achèvement des travaux pour lesquels ils auront été nommés.
Il sera désormais impossible qu'on les conserve plus longtemps ; il faudrait pour cela que le ministre méconnût positivement ses devoirs.
M. le président. - Toute cette discussion a porté, non sur le chiffre, mais sur l'article 2 de la loi du budget. Quand nous en serons k cet article, nous nous rappellerons qu'il a été discuté et que la discussion a été close.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - L'article 42 du budget porte :
« Art. 42. Traitement des ingénieurs et conducteurs des ponts et chaussées, des ingénieurs et conducteurs-adjoints à ce corps. - Frais de bureau et de déplacement.
« Charge ordinaire : fr. 516,000.
« Charge extraordinaire : fr. 44,267. »
Et l'article 43 :
« Art. 43 Traitement et indemnité du personnel subalterne des ponts et chaussées et des gardes-ponts à bascule, pontonniers, éclusiers, etc.
« Charge ordinaire : fr. 299,212.
« Charge extraordinaire : fr. 26,421. »
Voici le changement que je propose et auquel la section centrale donnera, je l'espère, son assentiment.
Je propose de porter le chiffre de l'article 42 pour les charges ordinaires à 511,800-00 et à pour les charges extraordinaires à 40,799-97. Total fr. 552,599 97, d'où il résulte sur l'ensemble de cet article une diminution de 8,267 fr.
D'un autre côté, je propose de porter le chiffre de l'article 43, pour la dépense ordinaire à 316,248 fr. 23 cent., et pour la dépense extraordinaire à 16,742 fr. 17 cent., ce qui augmente de 7,327 fr. 40 c. le crédit pour le personnel subalterne, et de ces deux modifications combinées il résultera en définitive une économie d'un millier de francs environ.
- L'article 42, tel que M. le ministre a proposé de le modifier, est mis aux voix et adopté.
L'article 43, modifié, est également adopté.
« Art. 44. Frais des jurys d'examen et voyage des élèves de l'école du génie civil : fr. 12,000. »
- Adopté.
M. Moncheur. - Avant d'aborder la discussion sur le chemin de fer de l'Etat, je demanderai la permission d'adresser une interpellation sur deux points à M. le ministre des travaux publics. Je n'ai pu la rattacher à aucun chapitre spécial; elle a plus d'analogie avec celui-ci qu'avec aucun autre. Il s'agit d'un chemin de fer concédé.
M. le président. - Je vous engage à laisser continuer la discussion du budget; votre motion y est étrangère.
M. Moncheur. - Ce n'est pas un hors-d'œuvre, puisqu'il s'agit de chemin de fer.
- Plusieurs voix. - Vous parlerez dans la discussion générale sur le chapitre relatif au chemin de fer.
M. le président. - La discussion générale sur le budget des travaux publies a été fermée. La chambre entend-elle ouvrir une discussion générale sur le chemin de fer?
M. Delfosse. - Il est certain que M. Moncheur peut présenter ses observations dans la discussion générale du chapitre, mais quand son tour de parole viendra.
M. Vilain XIIII. - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Voilà cinq ou six ans, qu'à propos du budget du ministère des travaux publics, on agite dans cette chambre la question du coût du chemin de fer. Chaque orateur vient présenter des chiffres différents. L'honorable M. Dumortier a traité cette question avec beaucoup de zèle, de verve et de talent; c'est lui qui l'emporte par le nombre des millions. M. le ministre des travaux publics, dernier venu dans la discussion, est celui qui accuse le moins de millions. Il y a d'autres orateurs qui prennent un juste-milieu.
Plusieurs membres sont inscrits pour parler encore sur cette question. Quant à moi, j’en ai assez. Contrairement au proverbe : « Du choc des opinions jaillit la lumière », plus on parle, plus il se fait d’obscurité autour de moi. J’en ai assez de ces ténèbres et des efforts qu’on tente pour les dissiper.
Je demande que ce débat ait un terme et que la question soit déférée à un juge impartial, indépendant, établi par la loi, la cour des comptes. Je demande que le président de la chambre écrive officiellement au président de la cour des comptes pour lui demander un compte commercial, sommaire, si l'on veut, mais complet, sur le coût du chemin de fer, compte qui mette une bonne fois tout le monde d'accord.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - J'applaudis de tout mon cœur à cette proposition ; et j'ajoute que j'ai préparé les matériaux (page 398) pour rendre cet examen extrêmement facile. D'ici à 15 jours ou un mois au plus, je publierai le compte commercial du chemin de fer. Ce compte est là. Je le tiens en main. Alors il sera facile de voir quel est le coût du chemin de fer, et à la cour des comptes de le vérifier.
M. Le Hon. - Je ne suis pas inscrit pour parler sur cette partie du budget, et je n'entends pas prendre part à la discussion. Mais je ne puis m'empêcher de soumettre à la chambre une observation, c'est que l'honorable vicomte Vilain XIIII vient de prononcer un discours, et de formuler son opinion, en concluant par demander que l'on ferme la bouche aux orateurs inscrits.
L'honorable membre a très habilement dit ce qu'il pensait du chemin de fer et de ses dépenses. Sauf les développements dont il s'est abstenu, et que, pour ma part, je regrette malgré le peu de temps qui nous reste, il a ouvert la discussion. Quels que soient notre désir d'aller vite et notre impatience de finir, nous ne pouvons convenablement clore un débat à peine entr'ouvert, sur le chapitre le plus important du budget.
Respectons le droit des premiers orateurs inscrits, sauf notre droit de clôture.
Tel est l'effet de tous les conflits d'opinion : souvent la lumière jaillit pour les uns là où les autres ne trouvent qu'obscurité.
M. Dumortier. - J'appuie de tout mon cœur la demande de l'honorable M. Vilain XIIII, qui consiste à avoir de la cour des comptes un état de situation du chemin de fer. C'est de toute nécessité. C'est d'autant plus nécessaire, que M. le ministre des travaux publics paraît se disposer à nous présenter un compte qui sera le sien. Or, ce n'est pas le compte du ministre que nous devons avoir, c'est le compte de la vérité.
M. le président. - Je ne puis laisser passer cette assertion. Je prie M. Dumortier d'expliquer ou de rétracter ces paroles.
M. Dumortier. - J'ai dit : « Ce n'est pas le compte du ministre que nous devons avoir, c'est le compte de la vérité. » Je ne suis nullement embarrassé pour m'expliquer très franchement sur cette assertion.
Il y a deux comptes en présence : un que j'ai eu l'honneur d'indiquer et que j'ai puisé dans les comptes rendus présentés par les ministres qui se sont succédé au département des travaux publics ; l'autre présenté par l'honorable ministre des travaux publics et qui renferme d'énormes erreurs. Je n'ai pas eu le moins du monde la pensée de dire que M. le ministre des travaux publics n'ait pas dit la vérité. Mais la chambre comprendra que, dans ce débat, les chiffres du ministre ne peuvent pas plus que les miens être admis comme des vérités; les chiffres produits par une autorité indépendante peuvent seuls être admis comme tels. Je me soumets à l'avance à ce que décidera la cour des comptes.
M. le président. - L'honorable M. Dumortier vient de déclarer que ses chiffres ne doivent, pas plus que ceux de M. le ministre des travaux publics, être considérés comme constituant la vérité. Du moment qu'il s'applique à lui-même une appréciation qui, au premier coup d'œil, aurait pu paraître antiparlementaire, elle n'a évidemment aucun caractère injurieux.
M. Dumortier. - Je ne sais où l'on pourrait voir l'apparence d'une injure dans ce que j'ai dit.
Ce que nous voulons c'est un compte vrai, à l'abri de toute discussion. Sous ce point de vue, j'appuie de toute mon âme la motion faite par l'honorable M. Vilain XIIII. Mais cependant avec l'honorable M. Vilain XIIII, je désire que la discussion puisse avoir lieu. C'est d'autant plus nécessaire qu'il a été prononcé, dans la séance d'hier, un discours contenant des chiffres, qui ne seraient pas autres, si l'honorable membre s'était concerté avec M. le ministre des affaires étrangères. Il ne faut pas d'ailleurs que la cour des comptes se méprenne sur ce que nous attendons d'elle.
M. Delfosse. - Il est certain que la discussion doit être libre et complète; il faut cependant espérer que l'on ne s'occupera pas en ce moment de la question des tarifs. Ce serait perdre du temps, puisqu'un projet de loi a été présenté dans une précédente séance; ceux qui ont encore des observations à produire sur la question des tarifs feront bien de les ajourner jusqu'au moment où le projet de loi sera discuté.
M. Vermeire (pour un fait personnel). - L'honorable M. Dumortier dit que les chiffres que j'ai fournis dans la séance d'avant-hier fourmillent d'inexactitudes et reposent sur des bases erronées. C'est possible, je ne prétends pas à l'infaillibilité.
L'honorable préopinant dit ensuite que, pour me procurer ces chiffres, je me suis entendu avec le département des travaux publics.
M. Dumortier. - Ce n'est pas ce que j'ai dit.
M. Vermeire. - Alors j'ai mal compris, et ma réclame devient sans objet.
- Plusieurs membres demandent la division de la motion de M. Vilain XIIII.
M. le président. - La division est de droit.
M. Moncheur (sur la position de la question.). - Je demande s'il est entendu que je pourrai adresser à M. le ministre des travaux publics ; les interpellations que j'ai annoncées. Si la discussion générale est close, je ne pourrai plus avoir la parole.
M. Vilain XIIII. - Ma motion d'ordre ne tend pas à clore la discussion générale sur le chapitre du chemin de fer; elle tend seulement à la clore sur la question du coût du chemin de fer. Cette question pouvait se reproduire par le discours qu'avait annoncé l'honorable M. Dumortier et par la réponse que M. le ministre n'aurait pas manqué de lui faire. C'est seulement sur ce point que je demande la clôture.
M. Lelièvre. - Je ne m'oppose pas à la proposition de l'honorable M. Vilain XIIII, ainsi entendue.
M. Dumortier (sur la position de la question). - Messieurs, la question qui est soulevée se présente sous deux points de vue : la clôture sur une partie de la question du chemin de fer; en second lieu ce qu'il faut demander à la cour des comptes.
Quant à la clôture sur une partie de la question, je pense que vous voudrez bien m'accorder quelques minutes pour rectifier les erreurs contenues dans le travail présenté par l'honorable M. Vermeire.
M. le président. - Vous n'avez la parole que sur la position de la question.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix!
M. Dumortier. - C'est sur la position de la question que je parle.
M. le président. - Vous rentrez dans la discussion; je ne puis vous le permettre.
M. Dumortier. - Je ne veux pas rouvrir la discussion; je ne parle que sur la position de la question.
Messieurs, si nous faisons une demande à la cour des comptes, et j'appuie la proposition qui nous est faite à cet égard, il faut que la cour des comptes sache ce que nous désirons.
Je demanderai donc à l'honorable comte Vilain XIIII, auteur de la motion, ce qu'il entend par un compte commercial. Cette demande n'est pas rigoureusement telle que je la conçois. Ce qu'il faut demander à la cour des comptes, c'est un état de situation du chemin de fer par rapport au trésor public. Un compte commercial doit entrer dans une foule-de détails qui ne sont pas à l'appréciation de la cour des comptes ; il doit comprendre les tarifs, les produits des tarifs. (Interruption.)
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. - M. Dumortier est dans la question. Il s'agit de savoir quelle est l'étendue de la proposition que vient de faire M. Vilain XIIII.
M. Dumortier. - Je pense donc interpréter la pensée de l'honorable comte Vilain XIIII, en disant que par un compte commercial il entend un état de la situation des chemins de fer par rapport au trésor public.
M. le président. - Je mets aux voix la première partie de la proposition de M. Vilain XIIII; elle tend à clore la discussion sur la question du coût du chemin de fer.
- Cette première partie de la proposition est adoptée.
M. le président. - La seconde partie de la proposition tend à demander à la cour des comptes un état de situation financière du chemin de fer.
- Cette seconde partie de la proposition est également adoptée.
M. le président. - Nous reprenons la discussion générale sur le chapitre du chemin de fer.
M. Van Renynghe. - En prenant un instant la parole, mon intention n'est pas de récriminer contre l'honorable ministre qui préside au département des travaux publics. Je ferai seulement observer que, dans ma conviction, il n'y a pas de justice distributive à ne faire jouir de la faveur d'une voie ferrée que quelques parties de nos provinces, à l'exclusion des autres qui, elles aussi, supportent les déficits considérables occasionnés par l'exploitation du chemin de fer de l'Etat. La province de la Flandre occidentale, si digne de la sollicitude du gouvernement, est, en très grande partie, privée de ces avantages.
L'injustice ne serait pas tellement flagrante si les recettes du chemin du fer suffisaient pour couvrir les intérêts des capitaux que nous a coûté son exploitation, bien que la loi de 1834 exige que le chemin de fer couvre non seulement l'intérêt, mais encore l'amortissement du capital.
Et puis, comme dans un temps donné, le matériel devra être renouvelé, c'est encore la plus grande partie des contribuables, se trouvant dans la position que je viens de dire, qui devront concourir au payement de frais qui ne profitent, pour ainsi dire, qu'au commerce et à l'industrie et fort peu à l'agriculture, abandonnée à ses propres ressources, mais qui ne sont pas loin de se tarir.
Par conséquent, si les chemins de fer de l'Etat ne peuvent subsister d'eux-mêmes, du moins toutes les industries du pays devraient pouvoir en profiter, attendu que tous les contribuables concourent indistinctement à combler le déficit qu'il occasionne annuellement.
Un honorable membre a dit, dans une séance précédente, que le chemin de fer de l'Etat est le véritable chancre de nos finances. Je suis de son avis. Si l'on n'y prend garde, il plongera le pays dans un chaos de difficultés. Pour le justifier, on dit qu'il est une œuvre nationale. Soit, mais n'oublions pas que cette œuvre, toute nationale qu'elle est, compromet la situation financière de la nation en ne profitant qu'à quelques-uns de ses membres.
Je crois donc que ce système d'expérimentation doit finir, et qu'il faut que l'on tâche de mettre l'exploitation du chemin de fer en concession. Je suis certain que le gouvernement trouverait des compagnies qui, en exploitant avec plus d'économie, nous aideraient à combler les déficits annuels de nos budgets. Alors aussi les localités importantes, qui se (page 399) trouvent privées de chemin de fer, auraient, pour ainsi dire, la certitude d'être dotées d'une faveur dont elles sont actuellement déshéritées.
L'année dernière, j'avais dit quelques mots pour attirer l'attention de M. le ministre des travaux publics sur la partie du chemin de fer concédé qui devait traverser la plus grande partie du district que je représente; je ne puis que m'y référer. J'appuie en même temps les observations judicieuses, faites par mon honorable collègue d'Ypres, concernant le même objet.
J'ajouterai cependant que le gouvernement, en attendant un meilleur état de choses, devrait se servir, dans ses propres intérêts, de tous les moyens qui sont en son pouvoir pour hâter l'exécution de cette ligne du chemin de fer concédé, qui, n'étant nullement parallèle au chemin de fer de l'Etat et parcourant les localités les plus populeuses et les plus fertiles de la Flandre occidentale, et de plus alimentée par les riches contrées limitrophes de la France, serait très productive non seulement pour la compagnie concessionnaire, mais encore pour l'Etat qui se créerait une nouvelle ressource pour diminuer les déficits considérables, occasionnés annuellement pour l'exploitation de ses voies ferrées.
M. le Bailly de Tilleghem. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour attirer également l'attention de M. le ministre des travaux publics sur la construction d'un embranchement du chemin de fer, celui de la station de Lichtervelde par Thielt vers Deynze.
Je demanderai au gouvernement de vouloir déclarer à la chambre comment il entend remplir les obligations de son contrat avec la compagnie du chemin de fer de la Flandre occidentale.
Cet embranchement reste inexécuté avec d'autres embranchements.
Ils font partie d'un travail général, et se relient essentiellement avec la ligne principale du chemin de fer de la Flandre occidentale de Bruges à Courtray.
Cette compagnie s'était engagée à construire ces divers embranchements.
Celui de la section de Lichtervelde par Thielt vers Deynze a été décrété par une loi.
Il est infiniment important, dans l'intérêt du travail de l'industrie linière de la Flandre centrale.
Mes honorables collègues députés de Thielt et d'Ypres ont démontré, dans la séance d'avant-hier, tous les avantages qui doivent résulter de la construction de ces embranchements pour les populations industrielles de cette contrée, et j'espère vivement que ces ouvrages pourront recevoir leur exécution.
J'attendrai avec confiance la réponse que M. le ministre des travaux publics voudra bien rendre à nos interpellations.
Puisque j'ai la parole, je demanderai la permission de dire un mot touchant la construction de la route empierrée de la commune de Vive-St-Eloy par Oostroosebeke à Ingelmunsler, et qui doit établir des communications entre la commune d'Ingelmunster, où est la station du chemin de fer de la Flandre occidentale, et la commune de Vive-St-Eloy sur la Lys.
Je prierai également M. le ministre de vouloir bien me donner quelques renseignements à ce sujet.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Ma réponse sera bien simple.
Une loi du 8 juin 1848 a prorogé au 18 mai 1851 les travaux du chemin de fer de la Flandre occidentale. Jusqu'au 18 mai 1851, le seul droit du gouvernement est de rappeler à la compagnie les obligations qui lui incombent.
La compagnie m'a promis de me soumettre prochainement ses idées relativement à l'achèvement de ce chemin de fer.
M. le président. - Avant de continuer la discussion, je voudrais que la chambre fixât l'heure de la prochaine séance.
- Plusieurs membres. - Une séance du soir !
- D'autres membres . - Demain, à 11 heures.
M. Lelièvre. - Je propose d'avoir une séance ce soir. Sans cela la séance de demain ne suffira pas pour terminer nos travaux urgents.
- La chambre décide qu'il y aura une séance le soir à 7 heures.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin) présente un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir un crédit provisoire au département des travaux publics pour faire face aux dépenses du mois de janvier de l'exercice 1850.
Sur la proposition de M. David, la chambre renvoie ce projet à l'examen de la section centrale du budget des travaux publics.
M. de Mérode. - Messieurs, une des choses les plus fâcheuses pour l'équilibre des recettes et des dépenses, c'est, sans contredit, l'ardeur avec laquelle les ministres qui devraient être les plus actifs promoteurs des moyens de le maintenir, cherchent, au contraire, à répandre, autant que possible, l'idée que le trésor de l'Etat peut faire toutes sortes de cadeaux aux spéculateurs industriels et commerciaux au préjudice des finances communes, alimentées par le grand nombre des contribuables qui ne spéculent point ou du moins se contentent de profits modestes et ne fatiguent point l'administration de leurs exigences.
Ainsi quelle lutte de plusieurs années n'a-t-il pas fallu soutenir contre le gouvernement lui-même pour que l'impôt payé du sucre ne fût pas presque entièrement détourné appliqué à dos primes exorbitantes ; et que de millions n'a pas coûté au trésor cette longue alliance ministérielle avec des intérêts particuliers?
L'année dernière, après des réclamations si souvent infructueuses, nous sommes enfin parvenus non à supprimer, mais à diminuer d'une manière notable, le détournement obstiné des recettes publiques.
Maintenant il nous reste à combattre, en première ligne, les munificences gouvernementales sur les chemins de fer, dont on nous présente comme les ennemis, avec autant de raison qu'on nous eût signalés comme contraires à l'usage du sucre et à la prospérité du commerce parce que nous ne pensions pas devoir entretenir les raffineries aux dépens des finances de l'Etat.
Certes, je n'aime pas le gouvernement absolu, je l'ai suffisamment prouvé; mais on doit convenir que les affaires y sont conduites plus prudemment que dans les nouveaux gouvernements constitutionnels. Témoin l'importante réserve que possédaient les gouvernements de Prusse et de Sardaigne, tout en diminuant les impôts.
L'organisation ministérielle mobile, qui transforme en Belgique toute personne ayant l'esprit et la parole facile en financier ou en directeur suprême des travaux publics, et qui ne permet jamais qu'elle reste assez longtemps à sa tâche pour la comprendre à fond, amène ce résultat, que les représentants de bonne volonté sont ici forcés, quant à la défense du trésor, de remplir les obligations qui incomberaient à des ministres, exclusivement attachés à leur administration, formés de longue main par l'expérience des affaires, et de la sorte accoutumés à la prévoyance.
Ce qui est toutefois particulièrement singulier maintenant, c'est qu'on nous annonce du banc ministériel la nécessité d'accepter de nouveaux impôts, pendant qu'on s'y est complu à réduire les recettes établies, et qui ne présentaient aucune vexation comme les produits des canaux frappés par ce testament d'un ex-ministre des travaux publics, bienfait de même nature que celui de l'assemblée constituante de la république, en France, par lequel était supprimé l'impôt des boissons.
Avant-hier M. le ministre de la justice avouait au sénat, en demandant un crédit supplémentaire, que les recettes étant en déficit, il n'y avait pour couvrir ce crédit que des bons du trésor, c'est-à-dire la création d'une dette nouvelle, et lorsque l'honorable M. Dumortier ou M. de Man font les plus louables efforts pour parvenir à améliorer dans un sens productif la régie du chemin de fer, ils ne reçoivent que des répulsions du banc ministériel. M. le ministre des travaux publics emploie toute son habileté, tout son talent de parole à les combattre, en mêlant ensemble les questions diverses et les reliant les unes aux autres, par de fausses analogies ; en cherchant ailleurs des exemples que des circonstances différentes rendent inapplicables à la gestion de nos chemins de fer et de nos canaux qui appartiennent au même exploitant. En résumé, au lieu de chercher des lumières dans le débat, et des ressources pour notre budget des voies et moyens, les organes du gouvernement semblent considérer comme une victoire l'amoindrissement de ces ressources et comme un excellent remède à ce mal, la création de nouveaux impôts; mais d'autres trouvent alors plus simple de réduire le budget de l'armée, dont l'utilité conservatrice semble douteuse à beaucoup de monde, dès que le péril qu'elle doit écarter n'est pas imminent, et c'est ainsi que se vérifie l'assertion récente de M. Dumortier, que le chemin de fer, tel qu'il est conduit, est le principal élément destructif de la défense du pays.
Messieurs, les membres de cette chambre qui ont déjà parlé sur le budget des travaux publics ont indiqué à M. le ministre actuel, comme moyen de combler le déficit du chemin de fer, soit l'exploitation par une compagnie, et il n'a point encore été répondu à ce sujet aux questions de l'honorable M. Julliot, soit les réductions de dépenses du personnel et l'augmentation des tarifs; et j'ajouterai, pour mon compte, le retranchement du faste dans les stations, qui ne devraient être que des abris commodes où le luxe est parfaitement inutile, parce qu'une station n'est qu'un lieu de passage où chacun reste le moins possible, et qu'il faut réserver l'ornementation pour les véritables monuments, c'est à-dire les grands édifices publics habités ou bien destinés à des réunions prolongées.
L'honorable M. Toussaint a parlé surtout du tarif des places de première classe ; quant à moi, je suis persuadé que si la révision en hausse a lieu, elle doit porter proportionnellement sur toutes les classes. Si cette proportion n'est pas suivie, on ne gagnera rien, et l'an prochain on viendra nous dire que l'expérience, dans le cas où on l'adopterait, a été faite sans profit. Je le déclare encore une fois, je ne connais rien de plus absurde que de fournir à perte aux dépens de l'Etat de la locomotion, tandis que l'Etat ne vend à perte au peuple ni du pain, ni du chauffage, ni des vêtements.
Ensuite là où il n'y a point de traction par la vapeur, et celle-ci n'est après tout que l'exception, le gouvernement ne nourrit pas des chevaux et n'organise pas des diligences pour traîner les voyageurs, à quelque classe qu'ils appartiennent. Il en est de même pour le transport des marchandises. Ainsi charger le contribuable en général des déficits excessifs occasionnés, en vertu de cette idée bizarre que le mouvement par l'eau chaude peut être onéreux au gouvernement, tandis qu'il n'est obligé à rien pour le mouvement par chevaux, est une mesure des plus partiales que signalait, le 9 novembre, en ces termes, M. Chasseloup-Laubat (page 400) rapporteur sur une loi concernant le chemin de fer de Marseille à Avignon :
« Pourquoi, disait-il, veut-on mettre ces créations exclusivement dans les mains de l'Etat, lorsqu’il s'agit du chemins de fer? Sans doute, c'est pour voir abaisser les tarifs de manière que la circulation puisse se faire au meilleur compte possible. Eh bien, ce système ne tendrait à rien moins qu'à faire en sorte que l'Etat s'emparât de tous les moyens, de toutes les industries du transport ; car, si par hasard l'Etat ne s'emparait que de l'industrie des transports des chemins de fer, vous iriez à consommer la plus immense injustice, les lignes de chemins de fer n'existant pas dans toutes les localités, et, pour être conséquents à votre système, vous seriez fatalement conduits à vous emparer de tous les transports, même par les routes ordinaires; car, autrement, je le répète, vous auriez commis une grande injustice. »
Je ne pense pas que M. le rapporteur du projet de loi concernant le chemin de fer d'Avignon à Marseille ait lu nos discussions et qu'il ait emprunté mes observations anciennes pour les produire à la tribune française et les opposer aux conceptions de la Montagne, presque toujours favorable à l'intervention la plus étendue de l'Etat comme à la réduction des recettes.
Ce qui est certain aujourd'hui, c'est que les voies ferrées ne sont bonnes que lorsqu'elles traversent de grands centres de population et qu'ailleurs elles ne sont pas applicables.
Ainsi donc la plus grande partie des communes de la Belgique n'en jouira point, et bien des districts entiers n'en posséderont aucun. Dès lors, il est indispensable de réformer au plus tôt le régime adopté pour les chemins de fer, parce qu'il est contraire au principe d'équité distributive qui ressort de tout l'ensemble de la Constitution.
Il est un autre objet que je recommande à l'attention de M. le ministre des travaux publics, parce qu'il est plus important même que l'ordre financier. C'est, de la part du gouvernement, l'abstention du travail les jours fériés, selon le principe de toutes les communions chrétiennes et dont le respect commence à être pris en considération sérieuse par les hauts pouvoirs politiques en France depuis les leçons que leur donnent les événements. Nos chambres s'accordent régulièrement le repos des dimanches et fêtes chômées, et le gouvernement dans sa sphère, je ne dis pas au-delà, doit le maintenir pour ses ouvriers et employés. Il importe donc que ceux qui se trouvent en grand nombre attachés aux chemins de fer de l'Etat conservent la faculté, alternative du moins quand elle ne peut être absolue, de pratiquer les devoirs de la religion. Si tout est bien à cet égard, je n'ai qu'à en féliciter M. le ministre des travaux publics; mais si l'on peut faire mieux, je le prie de ne pas négliger un progrès qui, plus que tout autre encore, mérite sa sollicitude.
M. Julliot. - Depuis le renouvellement des chambres législatives, le premier, dans cette enceinte, j'ai réclamé la mise à l'étude, je dirai même la mise en pratique de l'exploitation de nos chemins de fer par l'intérêt privé.
C'était au commencement de la session dernière. A cette époque, messieurs, plusieurs honorables collègues, opposés à ce système, me disaient que j'émettais une idée excentrique, que je n'étais pas homme pratique, et qu'à la session suivante j'y verrais plus clair, que je me rangerais de leur côté; aussi, messieurs, ma voix fût-elle isolée pour protester par un vote négatif contre l'exploitation par l'Etat.
Nous sommes arrivés, messieurs, à l'époque où, d'après la prédiction, je devais avoir fait ma conversion, où je devais avoir adopté les idées pratiques de plusieurs de mes honorables collègues.
Et en effet, il se produit un mouvement dans les idées, mais ce n'est pas dans les miennes, car mes adversaires d'alors se rapprochent de moi.
L'honorable M. Vermeire, dont, au point de vue d'homme pratique, les conseils ne sont pas à dédaigner, somme le gouvernement de faire de telle manière que le chemin de fer se suffise à lui-même.
L'honorable M. Vandenpeereboom reconnaît l'injustice qu'il y a à faire contribuer aux dépenses du chemin de fer les petites villes qu'il a ruinées.
Les honorables collègues David, Dechamps et Mercier, qui ont été à l'œuvre eux-mêmes, critiquent le système qui fonctionne, et cependant ne donnent guère de remède pour y parer.
Et les honorables MM. de Man et Van Renynghe, jusqu'à ce jour partisans assez dévoués de la centralisation, vous demandent d'une manière pertinente l'exploitation de notre chemin de fer par des compagnies concessionnaires. Puis est venu l'honorable ministre des travaux publics qui, après nous avoir dit la veille qu'il prenait ses enseignements dans l'exploitation intelligente et profitable des compagnies, nous a fait un discours hier, dont la conclusion inévitable est que l'Etat, en exploitant lui-même, est astreint à faire beaucoup plus de frais que ne le ferait l'intérêt privé.
Messieurs, je ferai une prophétie à mon tour : c'est que si dans le courant de l'année il arrive quelque événement qui nécessite un crédit extraordinaire de dépense au chemin de fer, et la complication des canaux y aidant, je croirai au triomphe immédiat de la cause pour l'année prochaine; la force des choses, dans tous les cas, nous y conduira dans un bref délai. Je désire que le pays m’entende, et même que des compagnies fassent dès à présent des propositions au gouvernement ; nous aurons à les examiner l'année prochaine. Et s'il m'était permis de citer une nouvelle que j'ai recueillie dans la conversation, c'est que déjà une compagnie aurait offert quelque chose comme sept pour cent de tous les capitaux engagés.
Je me permettrai donc de renouveler ma demande, à savoir : si le gouvernement a fait étudier la question de l’exploitation de nos chemins de fer par l’intérêt privé, et si l’opinion du cabinet est d’accord avec celle émise l’année dernière par l’honorable ministre des travaux publics, à savoir : que jamais l’État ne devrait se dessaisir de faire le voiturier lui-même, que le grand élément de civilisation ne pouvait être exploite utilement que par lui.
J'espère que M. le ministre voudra bien nous donner quelques explications.
MtpR. - Je ne renouvellerai pas la discussion sur le coût du chemin de fer, sur ses produits actuels, et sur ses produits possibles. Je ne répondrai pas aux reproches qu’on adresse aux ministres des travaux publics, à celui qui est ici en ce moment comme à ceux qui l’ont précédé. La question de l’utilité et de la productivité du chemin de fer se résoudra par l'expérience.
Je dirai seulement à l'honorable M. Julliot que je persiste dans l'opinion que j'ai manifestée l'année dernière, et que personnellement je fais le vœu que jamais l'Etat belge n'abandonne à la spéculation privée l'exploitation de cette œuvre nationale. Cependant je suis disposé à faire à l'honorable membre une légère concession. D'après ce qui lui a été rapporté, il semblerait pouvoir me mettre sur la voie pour arriver à la découverte de cette compagnie particulière qui offre au gouvernement belge 7 p. c. de tous les capitaux engagés dans la construction du railway.
- Un membre. - Six et demi.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je rabattrai encore un demi et je dirai 6 p. c. Je suis sûr qu'il voudra bien m'aider à savoir par qui, dans quelles circonstances, à qui une offre semblable a été faite. Quant à moi, je lui déclare que je n'en ai nulle connaissance; et si je recevais une proposition de cette nature, je croirais devoir en faire confidence à la chambre et consulter mes amis sur l'opportunité d'y prêter l'oreille.
Qu'on veuille donc bien, une fois pour toutes, renoncer à ces illusions. Que ces partisans de l'abandon des chemins de fer belges à la spéculation privée fassent donc appel aux compagnies concessionnaires. Il me semble que nous ne parlons pas ici dans le désert; comment se fait-il donc que jamais capitaliste ne se soit présenté, les écus à la main, offrant de nous rembourser le capital, ou de nous en servir un intérêt, je ne dirai pas de 7 p. c, mais un intérêt quelconque.
Je déclare, et personne assurément ne révoquera en doute ma parole, que, depuis que je suis aux affaires, jamais offre n'a été faite, par qui que ce soit, à quelques conditions que ce soit, et que je n'ai pas entendu parler d'offres qui auraient été faites précédemment.
Du reste, je fais la réserve bien expresse de mes convictions, et je déclare que je considérerais la cession du chemin de fer comme une calamité et comme une honte pour le pays. (Interruption.)
Je ne puis pas empêcher les honorables membres qui me contredisent de conserver l'entièreté de leur opinion, mais je leur demande aussi la permission de conserver la mienne. Comme Belge, je combattrai cette idée dans toutes les occasions, par tous les moyens en mon pouvoir.
Du reste, croit-on que nous soyons sourds à tous les conseils qui nous viennent et d'ici et du dehors? Croit-on que jamais nous n'ayons fait de la matière des tarifs l'objet d'un examen sérieux, réfléchi, impartial? J'ai entendu dire, il est vrai, dans le cours de cette discussion, par je ne sais quel orateur, que tous les ministres qui se succèdent au pouvoir sont dominés par le désir d'étendre le cercle de leur action pour donner satisfaction à leur amour-propre.
Eh bien, messieurs, ce n'est pas pour moi seulement que je proteste, mais je proteste pour mes devanciers comme pour moi. Non, je ne veux pas croire que ceux qui ont eu l'honneur d'avoir la main dans les affaires du pays, aient été dominés par la misérable pensée de leur personnalité. Mais l'eussent-ils eue mille fois, à moins d'être des hommes dépourvus de toute intelligence, n'auraient-ils donc pas compris que la plus grande, la plus belle satisfaction de leur amour-propre, disons mieux, leur plus grande gloire, eût été de pouvoir dire à la législature : Moi j'ai été plus heureux que ceux qui m'ont précédé; j'ai rendu productif ce qui était onéreux pour le trésor ? Croyez-vous donc que ce ne serait pas là, pour un ministre, la plus belle récompense du dévouement qu'il aurait apporté au pays?
Ce que j'ai fait, messieurs, je l'ai fait dans l'étendue de mes convictions et dans la mesure de mes forces, mais je suis loin de croire que les tarifs qui m'ont été légués par mon honorable prédécesseur, et que j'ai faits miens, dont je n'entends pas décliner la responsabilité, que ces tarifs soient irréprochables. Je ne repousse nullement l'examen. Je crois, au contraire, qu'il y aura des modifications à y apporter ; mais sera-ce dans le sens que mes honorables adversaires le désirent? Je n'en sais rien, c'est une question qui mérite le plus mûr examen, et j'en apporterai consciencieusement les éléments à la chambre et au pays. Je les ai laborieusement préparés.
Quelles sont, par rapport au budget, les conclusions auxquelles on veut arriver par cet éternel débat? A-t-il quelque trait à la discussion? Nullement. Car je n'en ai entendu élever aucune critique contre aucun de chiffres de la dépense.
J'ai répondu à la première question de M. Julliot. Je crois qu'il m'en a posé une autre à laquelle je suis prêt à répondre avec la même franchise. Il a désiré connaître mon opinion sur l'opportunité de supprimer le ministère des travaux publics....
- Plusieurs membres. - Non, non, ne répondez pas ! Aux voix !
(page 401) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je dois cependant un mot de réponse à une observation faite par l'honorable comte de Mérode : c'est relativement à l'observation des jours fériés. M. de Mérode ne peut avoir donné à sa recommandation qu'un seul sens, c'est que personne ne soit mis dans l'impossibilité de remplir ses devoirs religieux. Je déclare que je partage entièrement ses convictions, mais je dois ajouter qu'il résulte des informations que j'ai prises, que les intentions du gouvernement à cet égard sont parfaitement exécutées.
M. Dumortier. - La question de la cession du chemin de fer n'est pas celle dont je désire entretenir la chambre; mais je dois dire que la proposition qui a été faite tout à l'heure par l'honorable M. Julliot n'est pas tout à fait dépourvue de fondement.
Il est possible qu'aucune offre comme celle dont il s'agit n'a été faite à M. le ministre des travaux publics actuel, je suis même convaincu qu'il en est ainsi; j'en ai pour garant, d'abord la parole de M. le ministre, et en second lieu la situation de l'Europe ; mais il est à ma connaissance, et , tous les anciens membres de la chambre savent que, il y a quelques années, un des plus riches banquiers de l'Europe est venu offrir au gouvernement une somme de 200 millions pour reprendre les chemins de fer.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quelle histoire !
M. Dumortier. - Sauf à régler en commun un tarif pour l'exploitation.
Si une proposition de ce genre nous était faite, elle donnerait lieu de notre part à un examen sérieux ; il ne faudrait certes pas la repousser au nom de la dignité nationale. Je ne vois pas que la dignité de la France, la dignité de l'Angleterre soient en jeu, parce que dans ces pays les chemins de fer sont exploités par des compagnies particulières. Je fais consister la dignité nationale dans une autre question ; c'est de faire honneur à ses affaires, c'est de ne pas avoir chaque année des déficits, c'est de ne pas mettre chaque année forcément en jeu la grande question de l'armée.
Je reconnais qu'il serait sans doute préférable que le gouvernement continuât à exploiter les chemins de fer ; mais le meilleur moyen de faire continuer l'état des choses actuel, c'est d'arriver à ne plus avoir de déficits. Le jour où chacun de nous sera sur que la bourse des contribuables ne doit pas chaque année payer une part quelconque pour combler le déficit, on ne viendra plus soutenir qu'il y a lieu de remettre le chemin de fer à une compagnie.
Messieurs, un autre point de vue qui se rattache à la discussion actuelle, c'est celui des constructions et des réparations au chemin de fer ; j'engage le gouvernement à être à l'avenir économe pour les constructions relatives au chemin de fer. Les stations donnent lieu à des dépenses considérables. Ainsi la station de Gand coûtera plus d'un million...
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - 800,000 francs.
M. Dumortier. - M. le ministre dit 800,000 fr.; je désire que cela n'aille pas au-delà. N'est-ce pas une somme énorme que 800,000 fr.? Que rapporte au trésor public, je vous le demande, une station coûtant 800,000 francs? Vous faites à Gand une station au prix de 800,000 fr.; Liège, qui un aussi grand appétit que Gand, demandera aussi une station, , Anvers en fera autant. (Interruption.) J'entends dire que Malines fera la même demande. Sont-ce là des dépenses fructueuses? N'est-il pas constant que les capitaux qui vont s'absorber dans les stations pourraient être mieux utilisés dans d'autres circonstances?
Et puisque je parle de stations, je ferai une autre observation : c'est que, tandis que dans certaines stations, on voit la pierre de taille jusque dans les fondements, dans d'autres stations on n'en voit pas du tout. Sur la ligne de Jurbise à Ath, par exemple, le soubassement n'est pas même en pierres de taille, il est construit en briques; il en est de même à Maffles, et cependant cette localité a dans son voisinage les plus belles carrières de pierres de taille.
De deux choses l'une : ou la pierre de taille est utile, ou elle est inutile. Si on la juge inutile à Ath et à Maffles, pourquoi la prodiguer ailleurs?
Messieurs, évitons, dans les constructions à faire de dépenser, des sommes considérables en pure perte ; bornons-nous à ce qui est nécessaire, faisons les doubles voies, entretenons le matériel, et si nous pouvons économiser quelques millions, on rendra un grand service au trésor public, et l'on diminuera d'autant les sommes que l'Etat doit payer pour le chemin de fer.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Messieurs, je dirai à l'honorable député de Roulers que la seule station qui ail été exécutée, depuis que je suis au département des travaux publics, c'est la station de Tournay. Je crois que cette station a été décrétée dans des proportions de plans et de dépenses convenables et nullement monumentales.
On a parlé des stations de Bruxelles et de Gand. La première existait, telle qu'elle existe aujourd'hui, et la seconde était fort avancée avant mon arrivée aux affaires ; je ne suis donc responsable ni des plans, ni de la dépense. Mais je ne pense pas qu'il y ait lieu de se révolter contre l'énormité des sommes qui y ont été consacrées.
Quand la station de Bruxelles sera achevée, elle aura coûté 17 à 18 cent mille francs. La station de Gand en coûtera 800,000. (Interruption.)
C'est beaucoup! me dit-on. Je veux bien l'admettre; mais je dirai à ' l'honorable M. Dumortier que la gare de la compagnie du chemin de fer de Strasbourg à Paris a coulé sept millions en terrains et sept millions en constructions, ensemble quatorze millions.
On me dira que si des compagnies font des folies, ce n'est pas une raison pour que le gouvernement belge les imite. Mais autant il est vrai de dire que les constructions du chemin de fer ne doivent pas être luxueuses, autant je déplorerais qu'on proscrivît toute idée de goût et de grandeur. Les arts ne rapportent rien, financièrement parlant. Une statue ne donne pas un centime d'intérêt, mais le sentiment du noble, du grand et du beau élève l'âme, et la dispose aux grandes, aux belles et aux nobles choses. Il appartient au gouvernement de le cultiver.
- Une voix. - Pas dans les stations.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Dans les constructions de stations comme partout ailleurs. Sans doute il faut se garder de l'excès, et ce serait folie de sculpter les pierres jusque dans les fondations ; mais je dois dire que ce qui a été vu par un honorable représentant, il ne m'a pas été donné de le voir. (Interruption.)
Je ne l'ai pas vu. Il y a un milieu à garder entre le terre-à-terre et le faste.
M. Lelièvre. - Je demande la parole pour adresser une interpellation au ministre des travaux publics.
- Plusieurs voix. - La clôture !
M. Lelièvre. - Messieurs, je désire connaître si l'on peut espérer un prompt achèvement du chemin de fer de Namur à Liège.
J'appelle également l'attention de M. le ministre sur la continuation des travaux pour l'établissement de la station de Namur. Dans un moment où la classe laborieuse est privée d'ouvrage, il me semble qu'il serait très utile d'achever l'exécution de ces travaux. Je recommande cet objet à la sollicitude du gouvernement.
A cette occasion, je crois devoir également rappeler à M. le ministre une demande des habitants d'Andenne tendante à obtenir la construction, sur la Meuse, d'un pont qui doit relier la route de Namur à Liège avec le nouveau chemin de fer.
Je le prie instamment de faire droit à cette réclamation qui me paraît appuyée sur les plus justes motifs.
Enfin, messieurs, il serait essentiel de nous faire connaître s'il est permis d'espérer qu'on s'occupera enfin sérieusement de la construction du chemin de fer de Namur à Louvain. Je prie le gouvernement de bien examiner si une transaction avec la société du Luxembourg ne serait pas préférable à un procès qui me paraît chanceux et dans lequel l'Etat a déjà succombé en première instance.
M. Moncheur. - J'avais demandé la parole pour faire à M. le ministre des travaux publics les mêmes interpellations que celles qui viennent de lui être adressées par l'honorable préopinant; et j'avais plusieurs observations à y ajouter; mais vu l'impatience de la chambre, je me bornerai à appuyer ces mêmes interpellations.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Trois questions m'ont été posées : la première, si l'on peut espérer que le chemin de fer de Namur à Liège et la station de Namur seront bientôt achevés. Je puis répondre à cette première question affirmativement. La seconde est de savoir s'il y a quelque apparence qu'un pont pourra être construit à Andenne.
Je répondrai à l'honorable M. Lelièvre que je me suis intéressé à ce pont depuis longtemps.
Je pense que la compagnie de Namur à Liège, qui a un intérêt direct à cette construction, y doit contribuer pour une part. Une négociation a été entamée à cet effet avec la compagnie; dès qu'elle aura répondu à mes ouvertures, je m'adresserai à la ville d'Andenne, à la province et aux industriels directement intéressés, pour connaître dans quelle proportion ils seront disposés à contribuer de leur côté aux frais de la construction ou aux charges de la concession.
Quant à la continuation du chemin de fer de Louvain à la Sambre, je dois déclarer qu'il m'est absolument impossible de conclure, dans l'état actuel des choses, une transaction, pour l'achèvement de ce chemin, avec la compagnie du Luxembourg. Nous sommes en présence de la loi de concession. Il ne nous est pas permis de reculer devant l'article 18 qui a tracé au gouvernement la ligne à suivre, comme conséquence de la déchéance.
Il suffit de lire cet article pour s'en convaincre.
Nous ne sommes pas en procès avec la compagnie de Louvain à la Sambre; elle a purement et simplement abandonné ses travaux, il ne s'agit donc pas de transiger avec elle, mais d'appliquer les conséquences de la déchéance qu'elle a encourue.
- La discussion est close.
L'article 45 est mis aux voix et adopté.
« Art. 46. Primes à accorder aux fonctionnaires et employés des diverses branches de service : fr. 140,000. »
- Adopté.
« Art. 47. Salaires. Service général. Direction : fr. 16,400. »
- Adopté.
« Art. 48. Entretien des routes et des stations : fr. 1,120,000. »
M. de Theux. - Je désire adresser une interpellation à M. le ministre des travaux publics. On a beaucoup parlé du luxe des constructions du chemin de fer. Ces observations ne s'adressent pas aux stations du chemin de fer du Limbourg, où l'on ne fait rien. Je prie M. le ministre d'examiner le cahier des charges et de tenir la main à la stricte (page 402) exécution des engagements contractés pur lu compagnie concessionnaire, car on se plaint vivement de l'état d'abandon où l'on laisse cette partie du pays.
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je ne cesse de rappeler la compagnie à ses engagements; j'espère qu'elle s'y conformera.
- L'article 48 est mis aux voix et adopté.
« Art. 49. Salaires. Locomotion et entretien du matériel : fr. 1,461,130. »
M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, la chambre est impatiente de finir cette discussion; je ne l'occuperai plus qu'un moment: je ne ferai pas de discours : je ne me livrerai pas à une déclamation; je me bornerai à soumettre à mes honorables collègues et à M. le ministre quelques chiffres, quelques faits que je pense être dignes de leur attention.
Je veux vous entretenir, messieurs, des dépenses d'exploitation du chemin de fer. Je trouve ces dépenses excessives et hors de toute proportion avec celles que révèlent les comptes des compagnies en Angleterre et en Allemagne.
Les dépenses d'exploitation du chemin de fer belge s'élèvent à près de 63 p. c. des recettes; c'est là le chiffre qui ressort du compte rendu de 1847. En Angleterre, si je m'en réfère aux comptes des compagnies pour le premier semestre de 1849, ces dépenses sont en moyenne de 46 p. c. Je parle de 1849; antérieurement elles étaient beaucoup moindres, mais le produit de ces chemins de fer a considérablement diminué depuis 1845; la Suisse exploitée qui, à cette époque , donnait en moyenne, par six mois, 2,640 livres sterling de recettes, n'en a plus donné en 1849 que 1,780. - Ce résultat est dû à l'établissement de lignes rivales.
Les frais d'exploitation se sont élevés en moyenne en Angleterre à 46 p. c. des recettes; cependant, pour pouvoir comparer cette situation à la nôtre, il faut déduire du chiffre des dépenses ce que les compagnies anglaises payent en redevances, droits et impôts. Ainsi, elles payent une somme considérable pour redevances de paroisses, de comtés, pour droits de passagers. Ces différentes contributions sont tantôt de 5, tantôt de 10, tant même de 20 p. c. des dépenses générales.
Et ne croyez pas, messieurs, que ce soit sur les lignes les moins importantes que les dépenses sont moindres. Je prends le Great-Western, qui, pour son étendue, peut être comparé au réseau belge : les dépenses y ont été, toutes taxes et tous droits compris, de 42 p. c. Sur le grand chemin de fer de Londres et du Nord-Ouest, chemin de fer qui a une étendue de 669 1/2 milles, les recettes pour les six mois, finissant le 30 juin dernier, ont été de 1,033,047 liv. st., les dépenses, après déduction des charges qui ne sont pas portées par notre chemin de fer, se sont élevées à 35 p. c. des recettes.
Voyons maintenant des lignes d'une moindre importance. Celle de Londres à Brighton donne une dépense de 42 p. c.; celle du Lancashire et du Yorkshire, une dépense de 43 p. c.
Si nous passons en Ecosse, nous trouvons un résultat encore plus favorable. La ligne d'Edimbourg et Glascow avait donné, pour les 6 mois, au 1er janvier 1849, en recette, 98,837 liv. sterl. ; en dépenses, si j'en déduis une somme de 12,883 liv. sterl. qui est le montant de celle payée pour impôts, en dépenses, dis-je, 33,283 liv. sterl., ou 33 1|2 p. c. des recettes.
J'ai dit en commençant que la moyenne des dépenses en Angleterre est d'environ 46 p. c. Ce résultat nous est fourni par les comptes de 52 compagnies pour le premier semestre de 1849. Ces comptes établissent une recette de 5,393,210 liv. sterl., et une dépense de 2,508,210 liv. sterl,, y compris ces frais d'impôts dont j'ai parlé et qui ne pèsent pas sur le chemin de fer belge.
Quant à la nature des autres dépenses, elle est tout à fait la même qu'en Belgique. Les frais d'entretien du matériel, de la voie, des rails, etc., tout y est compris comme chez nous. Seulement plusieurs compagnies prennent la précaution de s'assurer, en outre, par un fonds de réserve pris sur les bénéfices nets, contre la détérioration de leur propriété, matériel et voie.
J'ai parlé de l'Angleterre et de l'Angleterre dans l'année courante, pour que les fraudes que l'on a reprochées à plusieurs compagnies ne me fussent pas opposées.
Permettez-moi de dire encore un mot de l'Allemagne. (Interruption.)
- Plusieurs voix. - La clôture !
M. de Brouwer de Hogendorp. - Je n'ai pas l'habitude d'abuser des moments de la chambre. Je ne parle pas par amour-propre, mais parce que je crois que les renseignements que j'ai à donner peuvent être utiles. Si la chambre en juge autrement, je terminerai.
- Plusieurs voix. - Non, non. continuez !
M. le président. - La parole est continuée à l'orateur ; on ne peut pas demander la clôture au milieu d'un discours.
M. de Brouwer de Hogendorp. - J'aurai bientôt fini, messieurs; j'écarterai toutes les paroles inutiles.
En Allemagne, les dépenses d'exploitation sont également beaucoup moindres qu'en Belgique. Je prends dix-huit lignes ouvertes en 1845. Je n'ai pas pu compulser des comptes postérieurs. Ces dix-huit lignes avaient ensemble une étendue de 310 2/10 lieues de 5 kilomètres. Les recettes, pendant l'année 1845, s'élevèrent à fl. 11,739,286, les dépenses à fl. 5,834,994, ce qui f:il, par lieue exploitée, fr. 40,618, soit 49 7il0 pour cent des recettes. En Belgique, la dépense par lieue exploitée est de fr. 81,960, soit, comme je l'ai dit, 62 8/10 p. c.
En Allemagne, la dépense d'administration et de perception est par lieue exploitée, de 3,969 fr.
En Belgique, elle est de fr. 5,386.
Pour que ceux qui croient que l'improductivité de notre chemin de fer résulte d'un tarif trop bas, qui veulent, par conséquent, que le prix du transport soit élevé, ne pensent pas que ces chiffres plaident leur cause, j'ajouterai que le produit moyen, par voyageur, par lieue, est à peu près le même en Belgique qu'en Allemagne. Il est chez nous de fr. 0 26.17 ; il est en Allemagne de fr. 0 26.8.
La dépense de locomotion, d'entretien du matériel, d'entretien des routes et du transport est dans la même proportion des dépenses générales en Allemagne qu'en Belgique.
J'ajouterai encore que la dépense totale par lieue de parcours est en faveur de notre chemin de fer. Elle est, chez nous, de fr. 12 23 contre 12 77 en Allemagne. J'ajouterai que la classification des voyageurs est également en notre faveur. La proportion par classes est, en Allemagne : voyageurs de première classe, 2.6 pour cent; en Belgique, 11.22 pour cent ; deuxième classe, en Allemagne, 20.4 pour cent; en Belgique, 24.64 pour cent de la totalité. J'ajouterai, enfin, que notre matériel ne nous a pas coûté trop cher; son prix est en moyenne ce qu'il est sur les principales lignes anglaises.
Mais où est donc la cause de l'improductivité de notre chemin de fer? Je ne la rechercherai pas, messieurs, mais évidemment elle est en dehors du cercle des faits que je viens de vous exposer.
- L'article 49 est adopté.
« Art. 50. Salaires. Transports et perception : fr. 615,600. »
- Adopté.
« Art. 51. Service général. Direction : fr. 118,744. »
- Adopté.
« Art. 52. Entretien des routes et des stations : fr. 389,000. »
- Adopté.
« Art. 53. Billes et fers des voies : fr. 872,000. »
- Adopté.
« Art. 54. Locomotion et entretien du matériel : fr. 2,014,000. »
- Adopté.
« Art. 55. Renouvellement du matériel : fr. 300,000. »
- Adopté.
« Art. 56. Transports et perception : fr. 190,000. »
- Adopté.
« Art. 57. Personnel: fr. 36,500. »
- Adopté.
« Art. 58. Matériel, 3,500 fr. »
- Adopté.
« Art. 59. Personnel : fr. 1,123,000. »
M. David. - Je voudrais rendre M. le ministre des travaux publics attentif à une fraude qui peut se commettre, quoique je ne croie pas qu'elle se soit encore commise. Le facteur rural reçoit les lettres à la poste. Il peut, en route, indiquer une taxe extraordinaire, puisque c'est à la plume qu'on indique ces taxes. Je demanderai au ministre s'il ne serait pas possible d'indiquer au moyen d'une griffe les taxes extraordinaires auxquelles une lettre serait soumise.
- L'article 59 est adopté.
« Art. 60. Matériel : fr. 463,500. »
- Adopté.
« Art. 61. Frais de construction et d'entretien de voitures destinées au service des postes sur le chemin de fer : fr. 40,000. »
M. le président. - La section centrale propose de diviser le chiffre, de porter 20,000 fr. à la colonne des charges ordinaire set 20,000 fr. à la colonne des charges extraordinaires.
M. le ministre se rallie-t-il à cette proposition?
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Oui, M. le président.
- Le chiffre ainsi divisé est adopté.
« Art. 62. Personnel du conseil des mines. Traitements : fr. 41,700. »
- Adopté.
« Art. 63. Personnel du conseil des mines. Frais de route : fr. 600. »
- Adopté.
« Art. 64. Personnel du conseil des mines. Matériel : fr. 2,000. »
- Adopté.
« Art. 65. Subsides aux caisses de prévoyance et récompenses aux personnes qui se sont distinguées par actes de dévouement : fr. 45,000. »
- Adopté.
(page 403) « Art. 66. Impressions, admis de livres, de cartes et d'instruments, publication de documents statistiques; encouragements et subventions ; essais et expériences : fr. 7,000. »
- Adopté.
« Art. 67. Traitements et indemnités du personnel du corps des mines.
« Charges ordinaires : fr. 128,400.
« Charges extraordinaires : fr. 8,367. »
- Adopté,
« Art. 68. Jurys d'examen et voyages des élèves de l'école des mines : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 69. Pensions : fr. 7,000. »
- Adopté.
« Art. 70. Secours à des employés, veuves ou familles d'employés qui n'ont pas de droits à la pension : fr. 5,000. »
- Adopté.
« Art. 71. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 18,000. »
- Adopté.
M. le président. - Il a été adopté quelques amendements peu importants.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix!
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, je demande encore un instant d'attention afin de communiquer à la chambre la réponse que M. le ministre des travaux publics a bien voulu me communiquer relativement à la construction d'un pavillon à Hocht. (Interruption.) Permettez, messieurs, qu'on vous éclaire, le pays y est intéressé. Voici la note que je tiens de l'obligeance de l'honorable M. Rolin. Le pavillon de Hocht a été construit au moyen des crédits alloués pour la première section du canal de la Campine par la loi du 29 septembre 1842. Le gouvernement ne peut affirmer que ce pavillon soit compris dans le cahier des charges ci-joint; mais il pense cependant qu'il sert à l'usage auquel étaient destinées les maisons qui figurent à l'article 9.
Voyons, messieurs, quelles sont ces maisons ? L'article 9 fait mention de maisons destinées aux préposés à la manœuvre des ponts tournants sur le canal de la Campine.
Eh bien, messieurs, au lieu d'une modeste maison d'éclusier, on nous a construit à grands frais une maison de plaisance pour messieurs les ingénieurs sur les bords de la Meuse. J'espère que M. le ministre mettra ordre à cet abus.
Il me reste à faire remarquer qu'il reste à la chambre à se prononcer sur l'article 2 nouveau, que propose la section centrale.
M. le président. - On s'occupera de cet article lorsqu'on arrivera au projet de loi.
- La chambre déclare l'urgence et décide qu'elle passera immédiatement au vote définitif du budget.
M. le président. - Le premier amendement a été apporté à l'article 2. Il consiste à porter une somme de 9,000 fr. de la colonne des charges ordinaires dans celle des charges extraordinaires.
M. Le Hon. - Messieurs, n'ayant pu, par suite d'une indisposition, assistera la séance d'avant-hier, je m'étais réservé de revenir sur cette question au budget prochain. Puisque l'occasion du second vote se présente, je crois devoir vous soumettre quelques mots très concluants, selon moi, sur les inconvénients de la décision que vous avez prise.
Vous avez voté à votre insu, messieurs, un changement organique et la suppression d'une garantie administrative pour une classe d'intérêts très importante.
Il existe, pour toutes les choses qui se passent à la surface du sol, que tout le monde peut voir et surveiller, des contrôleurs et des inspecteurs soumis eux-mêmes à un inspecteur général. Vous les trouvez utiles aux ponts et chaussées, au chemin de fer, aux finances, etc., et vous ne voulez pas qu'il y ait une inspection supérieure dans un service public dont les agents, chargés de faire observer les lois et les règlements jusque dans les entrailles de la terre, peuvent, par tant de moyens, entraver et arrêter les travaux des mines, compromettre même les droits et la fortune des concessionnaires. Qui ne sait combien la science des ingénieurs est souvent en lutte avec les faits; combien l'esprit de système, abandonné à ses tendances, peut faire de mal ; combien enfin les exigences de la théorie s'obstinent quelquefois à prévaloir contre les possibilités de la pratique? Eh bien, votre dernier vote ne laisse au gouvernement, pour éclairer ses décisions sur tous ces conflits, graves et nombreux, que l'avis des ingénieurs en chef placés à la tête de chaque district minier.
Je n'entends accuser personne; mais s'il est un service dont les agents sont exposés à toutes les obsessions et les intrigues de l'intérêt privé comme à l'action incessante des influences locales, c'est assurément le service des mines en province. Au milieu des dangers de cette position, le seul moyen de maintenir le fonctionnaire dans la voie du devoir, c'est de le placer sous la surveillance légale d'une haute spécialité.
Cela est d'autant plus nécessaire, qu'aujourd'hui, dans le système de l'organisation nouvelle, l'administration des mines est réunie à celle des ponts et chaussées, et que le directeur de cette dernière a besoin, chambre des représentants, pour remplir un service auquel il est étranger, du concours actif d'une capacité spéciale. Il faut assigner à cette capacité un rang élevé, pour, qu'elle exerce une autorité morale sur le personnel administratif; en un mot, il faut un inspecteur général.
On a dit qu'il y aurait, à Bruxelles, au ministère, un directeur ou chef de division chargé d'éclairer le ministre sur les rapports des agents qu'au besoin même un ingénieur pourrait contrôler les actes d'un de ses collègues; mais qui ne voit que ce rouage est insuffisant, parce qu'il n'est pas assez élevé, et qu'il est administratif au lieu d'être technique?
Au reste, messieurs, vous serez toujours libres de vous prononcer de la même manière au budget de 1851 ; mais avec plus d'examen et de réflexion. Il s'agit, non du chiffre, mais de la qualification du crédit alloué. Sera-t-il ordinaire, c'cst-à-dire permanent? Extraordinaire, c'est-à-dire maintenu à l'état provisoire? C'est là ce que vous ne pouvez pas juger légèrement, lorsqu'au nom des intérêts que votre décision doit affecter, je viens vous dire qu'elle leur enlève tout un système de garantie administrative. Je puis même ajouter qu'elle en prive le gouvernement lui-même, puisqu'on matière d'exploitation de mines et d'établissements métallurgiques, il a besoin d'être éclairé sur des choses techniques, sur des questions de science appliquée à l'industrie pour lesquelles il ne peut accorder sa confiance et un contrôle supérieur qu'à une haute spécialité.
Je demande donc, messieurs, que la chambre revienne sur sa résolution et porte le traitement de l'inspecteur général des mines à la colonne des crédits ordinaires.
M. David. - Messieurs, je ne pensais pas qu'on reviendrait sur cette question, après les explications qui avaient été données par M. le rapporteur. Il a parfaitement expliqué les rouages de l'administration des mines. Nous avons des aspirants-conducteurs, des conducteurs, des ingénieurs, et puis, à la tête des divisions, des ingénieurs en chef, dont les rapports viennent aboutir au bureau central du directeur à Bruxelles.
Ainsi l'inspecteur général est un rouage qui n'est pas tout à fait indispensable.
Je demande donc à la chambre de maintenir sa première décision. (Aux voix! aux voix!)
M. Le Hon. - Messieurs, permettez-moi de répondre à l'honorable membre; j'ai un motif particulier pour le faire. Le préopinant n'a pas dit un mot des raisons de haute utilité et de garantie administrative que j'ai fait valoir en faveur du maintien de l'inspection générale. Oui; il y a des aspirants, des sous-ingénieurs et des ingénieurs dans les provinces;: mais savez-vous quels intérêts vous servirez en supprimant la surveillance d'un agent supérieur? Vous servirez ces intérêts qui cherchent à faire prévaloir les influences de localité sur la justice indépendante de l'administration centrale, afin de les mieux exploiter sans contrôle. Vous dévierez de l'esprit de la loi du 21 avril 1810, l'une des grandes créations de l'empire, qui a replacé les concessions cl les exploitations de-mines sous la main de l'Etat. (Aux voix! aux voix !)
- L'amendement est mis aux voix et définitivement adopté.
Les amendements introduits dans les articles 37, 42 et 45 sont définitivement adoptés sans discussion.
La chambre adopte ensuite l'amendement proposé par la section centrale pour former l'article 2 du projet de loi de budget et qui est ainsi conçu :
« Art. 2. Des traitements ou indemnités ne peuvent être alloués aux fonctionnaires ressortissant au département des travaux publics sur les-crédits spéciaux alloués pour des travaux de construction. »
L'article premier du projet de loi est également adopté.
Il est conçu comme suit :
« Le budget du département des travaux publics est fixé pour l'exercice 1850, à la somme de quinze millions huit cent trente-sept mille-cinq cent huit francs quatre-vingt-treize centimes (fr. 13,837,508-95), conformément au tableau ci-annexé. »
M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - J'ai à proposer la disposition suivante qui formerait l'article 3.
« Le ministre des travaux publics est autorisé, par dérogation à l'article 19 de la loi sur la comptabilité de l'Etat, d'adjuger pour un terme de cinq ans, prenant date à partir du 1er janvier 1850, la fourniture des impressions nécessaires à l'administration du chemin de fer. »
Voici, messieurs, les raisons qui m'ont déterminé à proposer cet article.
Il m'a paru que, aussi longtemps qu'on n'adjugerait les impressions que pour une seule année, nous n'aurions pas d'espoir d'obtenir un rabais quelque peu important sur cette dépense. En effet celui qui est adjudicataire a sur tous ses concurrents l'avantage de posséder tous les matériaux des impressions qui sont à peu près constamment les mêmes. Une tentative a été faite d'adjuger les impressions pour cinq ans et, conformément à l'espoir que j'avais conçu, nous avons obtenu un rabais de 20 p. c. Je regarde comme constant que ce rabais est du uniquement à la condition que l'adjudication était faite pour un terme de cinq ans.
M. de Man d'Attenrode. - Je regrette que M. le ministre des travaux publics soit venu faire cette proposition tout à fait à la fin de la discussion, lorsque nous n'avons plus le temps de l'examiner. M. le ministre fait entrevoir qu'il y aura un bénéfice pour le trésor; eh bien, je consens, quant à moi, à adopter la proposition; mais à la condition, comme le veut l'article 10 de la loi de comptabilité, qu'il soit rendu compte-de l'opération toute exceptionnelle qui est proposée.
M. Rodenbach. - J'appuie la proposition de M. le ministre, puisqu'il s'agit de réaliser une économie. On dit qu'elle vient un peu tard, (page 404) mais il vaut encore mieux faire de semblables propositions un pou tard que de ne pas les faire.
- La proposition de M. le ministre des travaux publics est mise aux et adoptée.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget.
En voici le résultat :
68 membres ont répondu à l'appel;
67 membres ont répondu oui ;
1 membre (M. Julliot) a répondu non.
En conséquence, le budget des travaux publics est adopté. Il sera transmis au sénat.
M. le président. - La séance est suspendue jusqu'à 7 heures.
(Il est 5 heures un quart.)
La séance est reprise à 7 heures un quart.
Cette proposition est ainsi conçue :
« Art. 1er. La loi du 31 décembre 1848, concernant les denrées alimentaires, est provisoirement prorogée jusqu'au 1er février 1850. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
M. le président. - L'article 2 n'étant qu'une affaire de forme, la chambre voudra peut-être confondre la discussion générale avec la discussion de l'article 1er. (Oui ! oui!) En ce cas, je vais faire connaître les amendements qui ont été présentés.
Voici d'abord l'amendement proposé par la section centrale à l'article premier :
« Art. 1er. La loi du 31 décembre 1848, concernant les denrées alimentaires, est prorogée jusqu'au 15 février 1830.
« Néanmoins le droit de 50 centimes sur les denrées dénommées au paragraphe premier de l'article premier de cette loi, à l'exception de l'orge et de la drêche (orge germée) est porté à un franc. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je pense qu'il ne peut pas y avoir lieu à délibérer sur la proposition de la section centrale; elle me paraît devoir être écartée par la question préalable. Cette proposition n'est autre chose que la première proposition de la section centrale, laquelle, par un vote formel de la chambre, a été ajournée au mois de février prochain. Il y a donc à cet égard résolution. Proposer aujourd'hui de décider de nouveau ce que la chambre a décidé, c'est contrevenir à une résolution de la chambre. C'est donc le cas ou jamais à résolution préalable.
M. le président. - Le gouvernement ne se rallie pas à la proposition de la section centrale ; il se réserve de la faire écarter par la question préalable ; nous y reviendrons tantôt.
Vient maintenant l'amendement de M. Sinave :
« Art. 1er. Toute déclaration des denrées dénommées dans la loi précisée, destinées pour la consommation du pays, sera soumise à une obligation spéciale et éventuelle de payer les droits ultérieurement à déterminer par la loi à intervenir. »
M. Sinave sous-amende son amendement ainsi qu'il suit :
« Pour toute quantité inférieure à cinq cents hectolitres on sera tenu de consigner pour le froment, l'avoine, le sarrasin, le maïs, les vesces et les pois, un franc, et l'orge et la drêche forge germée), cinquante centimes les 100 kilog. »
- Des voix. - La question préalable.
M. Lebeau. - C'est la même chose.
M. Rodenbach. - La question préalable doit avoir la priorité.
M. le président. - On demande également la question préalable sur l'amendement de M. Sinave.
M. Mercier. - Messieurs, la chambre en renvoyant le projet de loi présenté par l'honorable M. Bruneau, à l'examen de la section centrale, a voulu faire chose sérieuse. Elle a voulu que la section centrale, comme dans toute autre circonstance, exprimât franchement et librement son opinion sur le projet. Il eût été vraiment dérisoire de lui faire ce renvoi uniquement pour qu'elle eût à y répondre par une aveugle approbation. C'était un droit et un devoir pour la section centrale d'examiner à fond cette proposition; sa conviction et sa responsabilité ne lui ont pas permis de l'appuyer telle qu'elle était conçue, elle aurait manqué à sa mission Si elle n'avait amendé le projet dans le sens qu'elle croyait le plus conforme aux intérêts du pays ; la section centrale a été d'avis qu'on ne pouvait laisser plus longtemps l'industrie agricole dans une situation aussi fâcheuse que celle dans laquelle elle se trouve en ce moment; elle a craint, qu’avant le vote d'une loi nouvelle le marché intérieur ne fût encombré de grains étrangers, ce qui aurait pour résultat l'avilissement des prix de nos céréales.
L'honorable membre auteur de la proposition avait déjà fait pressentir que le terme fixé au 1er février prochain devrait probablement être prolongé, et en effet, c'est ce que l'on peut facilement prévoir.
La section centrale est-elle venue, comme on l'a dit, renouveler purement et simplement sa première proposition? Non, elle l'a modifiée sous deux rapports : d'abord quant au terme, puisqu'elle n'assigne à la loi provisoire qu'une durée d'un mois et demi; ensuite quant au fond, puisqu'elle a écarté de sa première proposition tous les changements relatifs à la tarification du bétail et du riz; elle ne les a maintenus qu'à l'égard des céréales; c'est par esprit do conciliation qu'elle n'a pas reproduit tout son premier amendement on lui assignant la durée que propose l'honorable M. Bruneau.
La section centrale n'ayant fait qu'user de son droit en présentant un amendement au projet qui a été envoyé à son examen, c'est à tort qu'on cherche à lui opposer la question préalable. Aucun des motifs allégués pour appuyer cette motion n'a le moindre fondement ; je viens de le démontrer.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le préopinant me paraît tomber dans une singulière erreur quand il prétend que la section centrale ayant été saisie de la proposition, elle a pu, ne l'adoptant pas, y substituer l'amendement dont l'examen avait été écarté par la chambre.
Messieurs, c'est une question de bonne foi. Qu'est-ce que la chambre a voulu faire ? Je n'examine pas si elle a eu tort ou raison. Qu'a voulu la chambre en ajournant la proposition de la section centrale, qui consistait à porter de 50 c. à 1 fr. le droit d'entrée sur les céréales étrangères? La chambre a trouvé que la discussion devait être très longue et qu'elle ne pourrait pas être terminée convenablement avant la fin de l'année.
C'est pour ce motif qu'elle a renvoyé la discussion au mois de février prochain. Que lui propose-t-on? D'imposer non pas de 50 centimes au droit actuel, mais d'un franc, l'entrée des grains étrangers. Qu'arrivera-t-il si on délibère sur cette proposition ? Que la discussion qu'on voulait éviter, parce qu'on trouvait que le temps manquait pour qu'elle pût être assez complète, que cette discussion va se reproduire, à moins que vous ne supposiez que, parce qu'il ne s'agit que de six semaines, on admettra sans discussion le droit d'un franc. Ce serait faire preuve d'une bonhomie pas trop grande, que de croire que la discussion d'une loi temporaire, relative à ce même droit que l'on reconnaissait devoir être très longue, ne se reproduira pas à l'égard de cette même loi également temporaire, mais temporaire pour un terme plus court.
Je ne considère pas la proposition de la section centrale comme sérieuse; elle n'a pas pu, après le vote de la chambre qui écartait sa proposition, lui proposer la même chose, avec cette seule différence que c'est pour six semaines au lieu de douze mois. Cette proposition doit être écartée par la question préalable si les décisions de la chambre ont quelque valeur pour la chambre elle-même.
M. de Theux. - Je suis étonné d'entendre M. le ministre des finances prétendre que la proposition de la section centrale n'est pas sérieuse; je pense que ses travaux sont sérieux. Si l'on pouvait objecter le manque de sérieux à une proposition, ce serait à celle de la question préalable. Je m'attendais, en voyant invoquer la question préalable, à entendre citer l'article du règlement sur lequel on s'appuie. Il est impossible de rien trouver dans le règlement au moyen de quoi on puisse demander la question préalable.
Quand une proposition fut faite par M. Bruneau pour un mois , proposition qui, dans son esprit, devait être étendue à six semaines, d'après le nouvel ordre du jour, la chambre n'a pas décidé qu'on adopterait le chiffre proposé par le gouvernement ou M. Bruneau; ce qu'on a décidé, c'est la durée temporaire moindre que la première, parce qu'on a trouvé qu'on n'avait pas le temps de discuter à fond une loi annule ou plus longue si on le désirait ; mais quant au chiffre du droit à établir pour un mois ou six semaines, il n'en a rien été dit.
C'est la première fois, depuis 19 ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette chambre, que j'entends proposer la question préalable sur un amendement d'une section centrale. M. Bruneau a fait une proposition, cette proposition vous l'avez renvoyée à la section centrale; la section centrale, comme c'était son droit et son devoir si elle le croyait utile, vous a proposé un amendement. Cet amendement, vous ne pouvez le repousser par la question préalable; ce serait vouloir étouffer la discussion.
M. Coomans. - M. le ministre des finances dit que nous sommes devant une question de bonne foi; je l'admets, j'ai déclaré moi-même que nous étions sur ce terrain délicat, et que l'ajournement de la discussion du projet de loi était une question de loyauté. J'en appelle de nouveau à la chambre, au gouvernement : si on nous avait dit, il y a quinze jours ou trois semaines, que nous ne serions pas admis à discuter la question en litige, n'est-il pas certain que de vives réclamations se fussent élevées et que ma voix n'eût pas été la seule qui eût protesté contre cet ajournement ? Car je ne suis pas seul à penser, à proclamer que cette loi du 31 décembre estime des principales causes des souffrances de l'agriculture; notre devoir était de faire disparaître cette cause pour alléger ses souffrances. (Interruption.)
Si je comprends bien, on ose nier que l'agriculture souffre? Est-ce ma faute si je ne puis pas développer mon opinion?
Ne m'avait-on pas promis solennellement que je pourrais discuter cette question avant le premier janvier, et combattre la loi que l'on veut maintenir par surprise?
La section centrale a agi avec bonne foi, j'ajouterai avec beaucoup d'intelligence: elle a deviné, elle a prévu que le délai de 6 semaines, qu'on propose d'accorder encore à la spéculation, serait mis à profit par le commerce pour ajouter encore au trop plein de céréales qui existe déjà en Belgique. Je fais encore une fois appel à la bonne foi de cette assemblée; chacun ne sait-il pas au dehors comme dans cette enceinte, que le droit d'un franc sera décrété par la prochaine loi? Plusieurs d'entre vous qui (page 405) combattent ce droit, pensent qu'il sera établi. La même opinion est partagée par le négoce, qui va agir dans cette prévision. N'est-il pas probable, certain même que d'ici à six semaines les importations de blé vont augmenter dans une proportion telle que le marché sera fourni, surchargé pour 4 ou 6 mois? La section centrale n'a-t-elle pas bien fait, ne fût-ce que dans l'intérêt du trésor, de prévenir un pareil résultat en proposant dès à présent le droit d'un franc pour les céréales? Son amendement ne porte que sur le blé; il est inexact de dire, comme l'a fait l'honorable ministre de l'intérieur, que la section centrale demande que vous adoptiez dès à présent toutes ses propositions.
Il ne s'agit que des céréales, tandis que, d'après le projet primitif de la section centrale les droits seraient augmentés non seulement sur le blé, mais sur le bétail et sur les riz.
Eh bien, à ne parler qu'au point de vue du trésor (je laisse l'agriculture de côté, car, selon moi, il n'y a rien de protecteur dans la proposition de la section centrale, je n'y vois que l'intérêt du trésor), il est clair, messieurs, qu'il faut dès à présent élever un peu le droit de douane.
M. le président. - Vous vous occupez du fond. Ce n'est pas là la question préalable.
M. Coomans. - Repoussant la question préalable, m'efforçant de prouver qu'elle ne doit pas être admise, je suis obligé d'invoquer les arguments qui me paraissent les plus solides.
- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. Coomans. - Messieurs, il n'y a rien de protecteur dans la proposition de la section centrale; mais je dis qu'alors qu'on nous a menacés de nouveaux impôts, alors qu'on a prouvé que le trésor a des besoins urgents, le gouvernement est mal venu à dédaigner cette augmentation de recettes.
Car je pourrais dire au gouvernement : Si nous ne vous avions pas forcé l'an dernier de percevoir ces 1,100,000 fr. de recettes que vous avez faites en 1849, sur les denrées alimentaires, qu'eussiez-vous fait ? Vos embarras n'eussent-ils pas été plus grands encore?
Le gouvernement est venu l'autre jour nous dire que c'était un très grand résultat qu'une augmentation de recette d'un million sur les chemins de fer. Eh bien, le prétendu impôt que nous aurons perçu en 1849 sur les denrées alimentaires s'élève à 1,100,000 fr. Pourquoi dédaigne-t-il cette somme ?
Qu'eût il fait, je le répète, si ces 1,100,000 fr. étaient venus à lui manquer ?
M. le président. - C'est là le fond et non la question préalable.
M. de Theux. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Messieurs, l'article 24 du règlement décide clairement que la question préalable et la discussion du fond se confondent. Ce n'est qu'au moment du vote que la question préalable obtient la priorité. La discussion principale ne peut être suspendue ou arrêtée que par une réclamation d'ordre du jour, de priorité ou de rappel au règlement.
Voici ce que dit l'article 24 :
« Les réclamations d'ordre du jour, de priorité et de rappel au règlement, ont la préférence sur la question principale et en suspendent toujours la discussion. La question préalable, c'est-à-dire celle qu'il n'y a pas lieu à délibérer, la question d'ajournement, c'est-à-dire celle qu'il y a lieu de suspendre la délibération ou le vote pendant un temps déterminé et les amendements sont mis aux voix avant la proposition principale, les sous-amendements avant les amendements. »
Il faut donc, messieurs, que le fond soit discuté, et ce n'est qu'au moment du vote que l'on doit accorder la priorité à la question préalable.
Si je fais cette observation, c'est dans l'intérêt de nos travaux, car au fond je soutiens que la question préalable n'est pas soutenable. Chaque membre a le droit d'amendement et à plus forte raison les sections et une section centrale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le système qui vient d'être présenté par l'honorable M. de Theux aurait de singulières conséquences. Je suppose que la chambre décide tout à l'heure qu'elle ne veut pas s'occuper de la proposition, et c'est son droit, l'honorable M. de Theux viendra immédiatement faire la même proposition ; l'honorable M. de Theux soutiendra que la discussion doit recommencer de nouveau, et que ce n'est qu'au moment du vote qu'on pourra opposer la question préalable. Il y aura un second vote de la question préalable, et un autre membre après l'honorable M. de Theux viendra une troisième fois faire la même proposition. Ce qui forcera la chambre à supporter trois fois de suite la même discussion.
L'interprétation que donne l'honorable M. de Theux à l'article 24, n'est donc pas admissible. L'article 24 dit que la question préalable, la question d'ajournement et les amendements sont mis aux voix avant la question du fond. Mais le point de savoir si la chambre, une fois qu'elle a pris une résolution, est forcée de subir une nouvelle discussion....
M. Coomans. - Il n'y a pas de résolution prise.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La chambre a pris une décision formelle. Elle a décidé qu'elle ne s'occuperait pas de la loi des céréales actuellement. Elle a décidé formellement après un appel nominal réclame par vous. Elle a décidé par appel nominal que la discussion de la loi des céréales ne viendrait qu'après les vacances, à l'époque du 1er février 1850.
Que propose-t-on aujourd'hui? Je fais appel à la loyauté de la chambre, à sa bonne foi. Que propose-t-on? On propose exactement la même chose. On veut donc recommencer à discuter sur un point qui a été irrévocablement écarté.
Messieurs, je ne veux pas rentrer dans le fond de la question. Je veux me maintenir sur le terrain de la question préalable, et je m'abstiens pour cette raison de répondre à des observations de l'honorable M. Coomans, qui s'appliquent uniquement au fond. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Si l'on s'imagine que l'on peut, à l'aide de ce moyen, obtenir un vote à l'égard de cette loi, dans l'espoir qu'elle ne sera pas sanctionnée et que par le fait on retombera sous l'empire de la loi de 1834 dans l'intervalle, on est dans l'erreur. Peut-être n'y aura-t-il plus de loi, si ce n'est la loi générale qui régit les douanes ; mais vous n'aurez pas la législation de 1834. Elle est abolie, et elle ne sera pas rétablie.
M. Coomans. - Elle n'est pas abolie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La législation de 1834 est abolie et elle ne sera pas rétablie !
M. Vilain XIIII. - Par quelle loi ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais vous le dire, car il faut que les illusions disparaissent.
M. le président. - Nous nous occupons du point de savoir si la question préalable doit être confondue avec la question du fond.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande à lire le texte de la loi. La loi du 31 décembre 1848 porte :
« A partir du 1er janvier 1849, jusques et y compris le 31 décembre de la même année, le froment, le seigle, etc., seront soumis, à l'entrée, à un droit de cinquante centimes les cent kilogrammes. »
Cette loi a nécessairement abrogé la loi du 31 juillet 1854.
Lorsqu'elle sera expirée, si elle n'est pas renouvelée, il n'existera plus de législation spéciale sur les denrées alimentaires.
M. le président. - M. le ministre, ne discutez pas le fond.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'arrête là, M. le président.
M. le président. - Il s'agit de régler l'ordre de la discussion. Depuis quelque temps on se complaît à demander la parole pour des rappels au règlement, et on semble ignorer que l'exécution du règlement est spécialement confiée à la vigilance et à l'impartialité du président.
Il s'agit en ce moment d'une proposition de question préalable. Or, la question préalable, d'après le règlement, signifie qu'il n'y a pas lien à délibérer.
Exécutant le règlement tel que je le conçois, je crois que c'est use question qui ne peut pas être confondue avec la question du fond. Il faut se borner à la question préalable, par cela même qu'elle est préalable et qu'elle écarte toute autre discussion.
Voilà comment j'entends exécuter le règlement. Néanmoins s'il y avait de l'opposition, je m'empresserais de consulter la chambre. Nous nous occupons donc de la question préalable exclusivement. La parole est à M. Rousselle.
M. Rousselle, rapporteur. - Je viens repousser la question préalable et cela parce que, pour moi, la question préalable est le rejet pur et simple et sans discussion d'amendements régulièrement faits à une proposition de loi qui a été soumise à la chambre.
Je prie la chambre de considérer dans quelle position la section centrale s'est trouvée.
La chambre a décidé qu'elle ajournait la discussion d'un projet de loi présenté par le gouvernement et amendé par la section centrale. Si cet ajournement n'avait pas été suivi d'une proposition de loi on fût retombé, dans la pensée de quelques membres, sous la législation de 1834, selon la pensée de M. le ministre des finances, il n'y aurait plus rien eu. C'est une question que la chambre aurait eu à décider s'il n'était pas intervenu une proposition de loi de prorogation de la loi de 1848.
Cette proposition de loi pouvait-elle être amendée? Là est la question. Eh bien! je dis que la proposition de loi pouvait être amendée. (Interruption.) Un membre à mes côtés répond qu'elle ne pouvait être amendée. Je demande alors pourquoi on a renvoyé la proposition à l'examen d'une section centrale.
Par ces considérations, je pense que la question doit être écartée et que nous devons passer à la discussion du projet de loi.
M. Bruneau. - Messieurs, je crois que peu de mots suffiront pour fixer la chambre sur l'esprit qui a dicté ma proposition.
J'ai fait cette proposition surtout parce que je pensais que la chambre ne pouvait discuter au fond, avec tous les développements qu'elle comporte, la question importante des céréales.
La chambre m'a donné raison. Elle m'a donné une seconde fois raison, lorsque plus tard elle a décidé qu'elle ne pouvait même aborder avant les vacances la discussion du budget de la guerre.
Lorsqu'il s'est agi de passer au vote sur ma proposition, M. le président, a même dit que l'adoption de ma proposition impliquait nécessairement la prorogation de la législation actuelle sur les céréales. Plusieurs membres firent observer alors qu'il fallait une proposition spéciale pour proroger une loi spéciale, et alors je déclarai que je ferais à la chambre une proposition de loi spéciale! Mais il était entendu que le vote sur la proposition que j'avais faite d'ajourner la discussion, entrainerait nécessairement la prorogation de la loi actuelle sur les céréales.
Comment, messieurs, pourrait-il en être autrement? Je vous demande si jamais vous avez vu, dans une législature quelconque, l'exemple d’une loi faite pour six semaines?
Il a d'ailleurs été entendu qu'en volant sur ma proposition, on ne préjugeait rien quant au fond de la question. Or, vous voulez préjuger la question. Nous, nous ne voulons pas la préjuger. Je ne vous dis pas même quelle est mon opinion sur le fond de la question ; je ne vous dirai (page 406) pas si je ne voterai pas pour le droit d'un franc qui est proposé ; mais je dis que nous n'avions pas le temps de discuter la question à fond.
La majorité de la chambre a partagé cette opinion et a décidé qu'elle voulait proroger purement et simplement la législation actuelle et remettre à des temps plus opportuns les développements que la question comporte. Car il ne s'agit pas seulement de savoir si le demi-franc sera porté à un franc; il s'agit d'un système nouveau à introduire dans notre régime douanier. Pour moi la question a toute cette portée. Or la chambre n'a pas voulu donner cette portée au projet transitoire qu'il s'agit de voter; elle a voulu remettre la question à six semaines sans rien préjuger.
On a dit que ma proposition aurait pour résultat de favoriser des spéculations commerciales. C'est au contraire la proposition de la section centrale qui aura ce résultat. Car, si elle est adoptée, immédiatement, tous les grains qui sont en entrepôt seront déclarés en consommation pour jouir de l'avantage qui résultera pour eux de la différence des droits.
M. Loos. - Pour faire rejeter la question préalable, messieurs, j'ai entendu donner pour raison, que si vous n'adoptiez pas la proposition de la section centrale, d'ici à six semaines il entrerait des quantités considérables de grains en Belgique, qu'on ouvrait ainsi la porte à des spéculations.
M. Coomans. - Ce n'est pas la question préalable.
M. Loos. - Je traite la question que vous avez vous-même soulevée.
Messieurs, je mets l'honorable membre au défi de justifier devant la chambre la proposition qu'il vient d'émettre. Il est impossible que les grains commandés en ce moment puissent arriver avant six semaines, cela est de toute impossibilité.
M. Coomans. - Je parle de la France.
M. Loos. - On parle de la France. Mais il ne nous arrivait pas de grains de la France, alors que le droit était de 50 c.
Messieurs, dans ce moment de l'année il ne pourrait nous arriver des grains en abondance que pour autant qu'ils fussent en route, et je ne sais si c'est à ces expéditions que la chambre voudrait appliquer le droit d'un franc. Il y aurait là rétroactivité, et je ne crois pas que l'on veuille poser cet acte.
L'honorable comte de Theux s'est étonné tout à l'heure qu'on invoquât la question préalable; il vous a dit que c'était la première fois depuis dix-neuf ans qu'il siégeait dans cette enceinte, qu'il voyait invoquer la question préalable à propos d'une proposition d'une section centrale.
Mais je lui répondrai que c'est bien certainement aussi la première fois depuis qu'il siège dans cette enceinte qu'il voit une section centrale, chargée par la chambre de faire un rapport sur une question spéciale, venir lui proposer toute autre chose que la proposition qui est faite.
Messieurs, de quoi s'agit-il? La chambre avait décidé qu'elle voulait proroger pour un mois la loi existante.
M. Coomans - Non!
M. Loos. - La chambre avait décidé qu'elle ne discuterait pas avant les vacances le projet dont elle était saisie. Alors un honorable membre est venu proposer la prorogation de la loi actuelle au 1er février.
La chambre a décidé que la section centrale examinerait cette proposition. Comment la section centrale remplit-elle le mandat qu'elle a reçu? Au lieu de venir nous dire qu'elle trouve opportun ou inopportun de proroger la loi, pour le terme proposé, elle vient vous représenter la proposition que déjà elle vous avait faite une première fois, c'est-à-dire de porter le droit sur les céréales à un franc et de voter cette loi pour six semaines.
Je crois, messieurs, qu'on était en droit d'invoquer la question préalable, parce que c'est la première fois qu'une section centrale exécute tout à rebours le mandat dont la chambre l'a chargée.
Messieurs, que la chambre me permette de lui citer un précédent.
Dans une circonstance toute récente, une section centrale était venue faire des propositions à la chambre , à propos de la loi des faillites. La section centrale était d'accord pour demander qu'il n'y eût pas lieu à revendication en cas de faillite. La chambre avait admis une première fois cette proposition; cependant, revenant sur ce vote, elle décida que la discussion serait de nouveau ouverte sur ce chapitre, admit le principe de la revendication et chargea la section centrale de faire un nouveau rapport. Dans quelles conditions la section centrale se trouvait-elle? La section centrale, à l'unanimité, était d'opinion, d'accord en cela avec M. le ministre de la justice, était d'opinion qu'il fallait maintenir l'abrogation du droit de revendication; mais la section centrale, tenant compte d'une première décision de la chambre, est venue proposer une législation toute nouvelle, la législation française.
La section centrale s'est exécutée, et c'est aussi là ce qu'aurait dû faire la section centrale actuelle pour répondre au vœu de la chambre, sauf, si elle trouvait le délai trop long, à proposer un délai plus court, un délai de 45 jours, par exemple; elle pouvait même proposer le rejet de la proposition ; mais elle ne pouvait pas proposer une législation nouvelle, dont la chambre avait décidé qu'elle entendait ajourner la discussion.
M. Coomans. - Dans l'intérêt de la dignité de la chambre, je proteste contre les paroles que nous venons d'entendre. Lorsque la chambre renvoie un projet à la section centrale, c'est qu'elle entend laisser toute liberté à la section centrale; sinon, ce serait se moquer de la section centrale. {Interruption.)
Que signifie un examen sans liberté? Quand on dicte d'avance la décision que lu section centrale doit prendre, i» quoi bon lui renvoyer un projet ? N'humilions pas ainsi les honorables rapporteurs de notre choix.
Si j'étais membre de la section centrale, je n'accepterais jamais le rôle que vous voulez lui faire jouer.
Messieurs, j'invite l'honorable ministre dos finances à se mettre d'accord avec l'honorable M. Rogier. L'honorable M. Rogier nous a dit l'autre jour que la loi de 1834 est encore en vigueur, qu'elle n'est que suspendue; il a même engagé la chambre à proroger la loi du 31 décembre pour ne pas retomber sous celle de 1834.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas dit cela.
M. Coomans. -Je vous renvoie au Moniteur.
M. le président. - M. Coomans, j'ai arrêté sur ce point. M. le ministre des finances et je ne puis pas consentir à ce que vous entamiez cette question avant que la question préalable soit vidée. Veuillez-vous restreindre dans la question préalable.
M. Coomans. - Si les objections rentrent dans le cercle de la question préalable, il faut bien que la réponse y rentre également. Il serait tout à fait en dehors des habitudes de notre honorable président de laisser se formuler dans cette enceinte une objection à laquelle il ne serait pas permis de répondre. Je suis le premier à rendre hommage à l'impartialité de notre honorable président, mais il doit nous être permis de répondre à toutes les objections qu'il tolère.
- Un membre. - Cela n'est que juste. (Interruption.)
M. le président. - La parole est maintenue à M. Coomans dans les limites de la question préalable.
M. Coomans. - Avec la question préalable telle qu'on l'entend ici, on pourra toujours supprimer une discussion. La minorité (et je ne suis pas honteux d'y appartenir, en ce moment surtout), la minorité tient au moins à pouvoir discuter; c'est le dernier des droits qu'on enlèvera à la minorité.
Je ne demande qu'une seule chose, c'est de pouvoir répondre aux accusations qu'on nous lance.
L'honorable M. Loos vient de dire que les importations ne sont pas à craindre et il a fait allusion aux importations d'outre-mer. Eh bien, je dis moi que les importations sont à craindre, parce qu'elles ont lieu abondamment, surtout depuis quelque temps, par la voie de terre, et certes il ne faut pas six semaines pour faire venir beaucoup de blé de France ou d'Allemagne.
Mais, messieurs, j'en reviens à l'échelle mobile dont l'honorable ministre des finances a parlé tout à l'heure. Je ne suis point partisan de la loi de 1834 (et vous m'écouterez au moins, quand je dirai cela) parce que cette loi est exclusivement agricole, et que moi je veux favoriser tous les intérêts nationaux ; je tiens compte et de l'intérêt du trésor, et de l'intérêt du commerce, et de l'intérêt de l'agriculture. Mais vous, qui avez tant horreur de l'échelle mobile, permettez-moi de vous dire qu'il n'y a rien de plus mobile que vos lois d'un an et de six semaines.
En fait de mobilités , voilà ce qui est singulièrement mobile, et il ne vous sied pas de venir, après cela, nous reprocher notre attachement à l'échelle mobile. (Interruption.) Tout votre système économique est mobile; si vous avez si grande horreur de l'échelle mobile, pourquoi discutons-nous sur elle en ce moment-ci? C'est vous qui l'avez maintenue. Si vous proposiez des lois définitives, nous ne discuterions pas si souvent des questions irritantes. C'est donc votre faute si nous discutons aujourd'hui; c'est surtout votre faute si nous discutons incomplètement.
M. le président. - J'invite M. Coomans à rentrer dans la question préalable.
M. Coomans. - Encore une réponse à une objection. Je n'outrepasse pas mon droit très restreint, tel qu'on veut bien me l'accorder.
M. Loos a dit que la section centrale de la loi des faillites s'est montrée bien plus raisonnable, bien mieux élevée que la section centrale du projet de loi sur les céréales. (Interruption.) Ce ne sont pas précisément les expressions dont M. Loos s'est servi, mais c'est à peu près sa pensée.
La section centrale du projet de loi sur les faillites, dit-il, s'est bornée à formuler un système sur la revendication commerciale. Mais, messieurs, la chambre avait décidé qu'elle admettrait le système de la revendication et elle avait chargé la section centrale de le formuler en articles. Il n'en est pas de même dans ce cas-ci. La section centrale des céréales était laissée libre de proposer des amendements. Si elle ne l'avait pas fait, ou si on voulait lui enlever cette prérogative, eh ! messieurs, jamais je n'abdiquerai, mon droit de présenter des amendements à un projet quelconque, et je serais vraiment curieux de voir de quelle façon l'on m'empêcherait d'en user.
Messieurs, je reviens à la loi de 1834. La loi du 31 juillet 1834 est en vigueur et en vigueur de par le ministère, qui n'en a pas proposé l'abrogation. Si cette loi est si mauvaise qu'il le dit, c'était son devoir d'en proposer l'abolition. Il ne l'a pas fait; donc il en est partisan jusqu'à un certain point, et je ne comprends pas les attaques qu'il dirige contre elle.
Je n'admets pas qu'un ministère sincère laisse subsister une loi qu'il considère comme pernicieuse. Il a laissé subsister cette loi, il doit en subir les conséquences, si la chambre vient à rejeter la prorogation sollicitée par le ministère et par M. Bruneau, acte que je l'engage à poser et qui lui vaudra la reconnaissance de tous les amis de l'agriculture.
M. le président. - Ce n'est pas là la question préalable.
M. Coomans. - Je n'ai fait que répondre à des objections que (page 407) vous avez permises. Du reste, je m'arrêterai ici, cédant à l'impatience d'une partie de l'assemblée, qui éprouve évidemment le désir de terminer promptement ce débat.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je tâcherai d'être très court.
La question préalable n'est pas, de notre part, une fuite devant une discussion approfondie. Nous avons déjà déclaré, il y a quelques jours, que nous étions prêts à aborder la discussion, à traiter la question dans toute son étendue; nous sommes encore prêts en ce moment à la traiter.
Lorsque nous nous sommes associés à la proposition d'ajournement de la loi sur les denrées alimentaires, nous avions en vue la discussion du budget de la guerre ; si nous avions pu prévoir que le budget de la guerre lui-même serait ajourné, nous ne nous serions pas opposés à la discussion immédiate de la loi sur les denrées alimentaires. Nous n'avons aucune espèce d'intérêt à vivre dans ce provisoire ; nous sommes les premiers à désirer un régime définitif.
La loi que nous avons proposée, n'a, il est vrai, qu'une durée d'une année. Pourquoi ? Parce que nous pensons que l'expérience qui a été tentée, doit encore être continuée pendant un certain temps, ne fût-ce que pour vaincre les préventions qui existent ou qu'on cherche à exciter contre le régime libéral en matière de denrées alimentaires.
Du reste, nous sommes plus partisan que qui que ce soit de la fixité de nos lois, je parle de la fixité des lois qui sont bonnes; nous sommes convaincus qu'une loi libérale en matière de denrées alimentaires, serait bonne pour tous les intérêts ; nous sommes convaincus qu'une année encore d'expérience aura fait tomber beaucoup de préventions à cet égard.
Maintenant est-ce sérieusement que la section centrale vient proposer de faire une loi pour un mois ou pour six semaines? Je dis que la section centrale n'a pas rempli le mandat spécial dont elle était chargée.
Il a été décidé que la législation actuelle serait prorogée pour un mois ou six semaines; et c'est même sur cette simple prorogation annoncée que l'honorable M. Coomans s'est écrié : Que pendant ce temps-là les campagnes dépériraient. De quoi était chargée la section centrale? de formuler la décision de la chambre. C'est ce que la section centrale chargée de l'examen du budget de la guerre a parfaitement compris. Là aussi une opinion s'était manifestée contre le budget de la guerre. Qu'a décidé la chambre? d'ajourner le budget de la guerre. Qu'a fait M. le ministre de la guerre? Le ministre est venu demander des crédits provisoires; on a renvoyé cette demande à la section centrale; la section centrale est venue proposer purement et simplement d'adopter le crédit provisoire de 5 millions. Qu'eussiez-vous dit si la section centrale, conformément à ses premières conclusions, avait proposé une réduction sur le budget de la guerre, à propos des 5 millions ? Vous auriez dit à la section centrale : « Vous n'aviez pas mandat de proposer des modifications au budget de la guerre, » comme on est en droit de dire à la section centrale de la loi des denrées alimentaires : « Vous n'aviez pas mandat pour vous prononcer contre la prorogation décidée par la chambre. »
S'il en avait été autrement, il allait de soi que la même majorité qui avait décidé qu'il y avait lieu de proroger de six semaines la loi des denrées alimentaires aurait, si elle avait supposé que la section centrale eût reproduit sa première proposition, nommé une autre commission qui eût été l'interprète fidèle de sa décision.
Je tiens à ce qu'on sache bien que ce que nous désirons, c'est une prompte et sérieuse discussion. Nous savons quelle sorte de parti on sait tirer de ces questions; nous savons qu'on sait irriter l'opinion par des discussions passionnées à ce sujet; nous n'avons donc aucun intérêt à les prolonger. Nous sommes prêts à discuter la question au fond; mais quant à la proposition nouvelle de la section centrale, vous ne pouvez pas l'adopter sans être en contradiction flagrante avec vous-mêmes, et vous ne pouvez pas la discuter sans vous livrer à un véritable jeu d'enfant, à une sorte de tactique tout à fait indigne d'une assemblée sérieuse.
M. Dumortier. - Messieurs, je veux seulement invoquer le règlement et la Constitution. Le règlement définit la question préalable : La question préalable, dit l'article 24, est celle qu'il n'y a pas lieu de délibérer; demander la question préalable, c'est demander que l'assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer. Lors donc que M. le ministre des finances vient demander à la chambre d'admettre la question préalable, il vient demander à la chambre de prononcer qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'amendement de la section centrale.
Maintenant que porte la Constitution? Lisez l'article 42 de la Constitution; il porte :
« Les chambres ont le droit d'amender et de diviser les articles et les amendements proposés. »
Or, invoquer la question préalable sur un amendement proposé à un projet de loi, c'est annuler l'article 42 de la Constitution, c'est-à-dire, que la chambre n'a pas le droit d'amender.
Maintenant j'ajouterai deux mots pour rencontrer l'observation de l'honorable M. Bruneau. L'honorable membre disait tout à l'heure : « Ma proposition impliquait la loi ancienne. » L'adoption de la proposition n'a impliqué qu'une seule chose, c'est qu'il y avait une loi transitoire ; et en impliquant ceci, elle a impliqué en même temps qu'on ne passerait par toutes les conditions du règlement et de la Constitution; on ne peut pas escamoter la loi et la Constitution.
M. Rousselle, rapporteur. - Messieurs, j'ai demandé la parole tout a l'heure, lorsque j'ai entendu l'honorable ministre de l'intérieur dire que la section centrale n'avait pas rempli son mandat.
Je suis obligé, comme rapporteur de la section centrale, de repousser cette inculpation. M. le ministre a fait une comparaison avec la section centrale du budget de la guerre qui paraît avoir été beaucoup plus complaisante que celle des denrées alimentaires.
M. Manilius. - Je demande la parole.
M. Rousselle. - La section centrale du budget de la guerre, d'après M. le ministre, a rempli son mandat parce qu'elle a approuvé purement et simplement la proposition du gouvernement; la section centrale des denrées alimentaires n'a pas rempli le sien parce qu'elle a amendé une proposition d'un honorable membre de cette chambre, que le ministre approuve.
La chambre jugera.
Je ne pouvais pas laisser une pareille inculpation adressée à une section centrale qui a rempli consciencieusement son devoir aux termes de la Constitution et du règlement de la chambre. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)
M. Toussaint (contre la clôture). - Je demande à la chambre de me permettre de lui indiquer un autre moyen de sortir d'embarras que la question préalable qui sera mal comprise.
Si M. Bruneau avait déclaré qu'il ne se ralliait pas à la proposition de la section centrale, on aurait ouvert la discussion sur la proposition qu'il avait déposée et tout ce débat n'aurait pas eu lieu.
- Plusieurs voix. - Non ! non ! la clôture!
- La clôture est mise aux voix et prononcée sur la question préalable.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la question préalable sur la proposition de la section centrale et les amendements de M. Sinave.
M. Delehaye. - Je demande la parole sur la position de la question. La section centrale vous a fait deux propositions : l'une relative au terme de la loi, sur celle-là on paraît d'accord, et une autre sur la fixation du droit à un franc au lieu de 50 centimes, c'est sur cette dernière seulement que doit porter la question préalable ainsi que sur les amendements de M. Sinave.
Je demande que la question soit posée en ces termes.
- Un grand nombre de voix. - Oui! oui! L'appel nominal.
- Il est procédé au vote par appel nominal sur la question telle que M. Delehaye a proposé de la poser.
En voici le résultat :
Nombre des votants, 76.
Ont répondu oui, 37.
Ont répondu non, 39.
En conséquence, la question préalable n'est pas admise.
Ont répondu oui : MM. Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rogier, Rolin, Schumacher, Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Van Grootven, Veydt, Anspach, Bruneau, Cans, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Brouckere, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Perceval, De Pouhon, Dequesne, d'Hoffschmidt, d'Hont, Fontainas, Frère-Orban, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Moreau et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. Peers, Rodenbach, Rousselle, Tesch, Toussaint, Tremouroux Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Ernest), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Ansiau, Boulez, Clep, Cools, Coomans, de Bocarmé, de Denterghem, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Pitteurs, de Renesse, de Thceux, de T'Serclaes, Dumortier, Faignart, Jacques, Julliot, le Bailly de Tilleghem, Lelièvre, Manilius, Mascart, Mercier et Moncheur,
M. le président. - La parole est à M. Sinave pour développer son amendement et son sous-amendement.
(page xxxx) M. Sinave. (Nous donnerons son discours.)
(page 407) M. le président. - La discussion s'ouvre sur la proposition de M. Bruneau, sur l'amendement de la section centrale, et sur l'amendement de M. Sinave. La parole est à M. Coomans.
M. Coomans. - Le premier besoin, que j'éprouve, c'est de proteste contre l'accusation que l'honorable ministre de l'intérieur vient de répéter : que nous faisons une question de parti de l'affaire des céréales.( Dénégations de la part de M. le ministre des finances.) Je déclare que je n'ai sur aucun projet, sur aucun point soumis à nos délibérations, une conviction aussi profonde et aussi désintéressée que sur la matière qui est maintenant soumise aux délibérations de la chambre. Je n'ai sur aucune question une opinion de parti, et moins sur la question des céréales que sur toute autre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai rien dit de semblable.
M. Coomans. - Je l'ai compris ainsi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable membre a mal compris.
M. Coomans. - J'ai eu d'autant plus raison de le comprendre ainsi, qu'on essaye constamment de noircir les intentions des adversaires des idées du ministère.
(page 408) A ce propos, puisqu'on insista, permettez-moi, messieurs, de vous rappeler quelques faits qui expliquent ma légitime susceptibilité.
Lorsque, dans cette enceinte, des hommes très honorables et très nombreux demandent des réductions sur le budget de la guerre, on vous dit : Vous avez entendu des discours contre l'armée, des attaques contre l'armée. Eh bien, cela n'est pas, ce reproche est injuste. Aucun de nous ne veut amoindrir l'armée, cette sauvegarde essentielle de ce qui nous est le plus cher, de notre indépendance , de notre nationalité, et de ce qui nous est tout aussi cher, de nos institutions libérales.
Autre fait. (Interruption.) Permettez, messieurs, il n'y a aucun reproche qui me soit plus sensible que celui d'avoir des intentions autres que celles que je proclame hautement. Lorsque dans cette enceinte des hommes très honorables et très nombreux réclament des économies sur le chemin de fer et déplorent le déficit annuel que le railway creuse dans le trésor, on se hâte de vous dire : Vous avez entendu des discours contre le chemin de fer! (L'honorable ministre de l'intérieur ne reniera pas ses paroles, il les a prononcées lui-même.) Eh bien ! ne me sera-t-il pas permis dédire que j'entends ici des discours contre l'agriculture, alors que ces discours tendent à consacrer un régime fatal à l'agriculture, un régime qui la met hors du droit commun, un régime qui détruit, efface l'égalité des Belges devant la loi et devant la douane, un régime qui divise nos compatriotes en deux classes: celle des protégés et celle des sacrifiés?
N'a-t-on pas encore ici dénaturé nos intentions (car au fond de ce débat il y a une question de conscience et de loyauté), lorsque l'on vous a dit qu'en défendant la cause agricole, c'est la cause des grands propriétaires que nous défendons au détriment des classes laborieuses? C'est là une accusation odieuse contre laquelle je proteste de tous mes forces. Ce n'est pas la cause des grands propriétaires que je défends, je soutiens celle de la majorité de mes compatriotes, je soutiens la cause du plus grand nombre, qui malheureusement n'est pas la cause des grands ni même des petits propriétaires.
Laissons donc de côté toutes ces récriminations plus ou moins mauvaises dont le bon droit n'a pas besoin, et qui attestent l’impuissance de leurs auteurs, tout en irritant nos débats.
Lorsque je demande que justice soit rendue aux populations rurales et que l'agriculture soit traitée comme l'industrie et le commerce, je ne me place pas au point de vue de l'agriculture seulement; car je ne suis pas assez exclusif pour ne voir la prospérité du pays que dans celle de l'agriculture. Je me mets au point de vue des véritables principes d'économie et des conditions de la richesse publique qui se résument en un mot : favoriser le travail national. Mais l'économie politique que l'on cherche à faire prévaloir dans cette enceinte est une véritable mystification. Je le démontrerai quand vous le voudrez.
Je le répète, mon intention n'est pas d'aborder aujourd'hui le fond du débat ; je me borne à soutenir en ce moment les conclusions de la section centrale, qui ne soulèvent qu'une des faces de la question.
Quand nous discuterons un projet définitif, vous verrez qu'il ne s'agira pas seulement de savoir si l'on percevra un droit de 50 c. ou un droit d'un franc. Vous verrez que tout notre système douanier est en jeu et qu'en réalité les intérêts du commerce et de l'industrie sont solidaires des intérêts agricoles. Après avoir vu M. le ministre de l'intérieur restreindre la question au point de la réduire à une différence de droit de 50 centimes, j'ai été fort étonné de l'entendre dire qu'il se proposait de prononcer à ce sujet un discours de deux heures et demie.
La question du fond est tout autre. Le droit établi par la loi du 31 décembre 1848, est un droit dérisoire, illusoire si vous voulez. Le droit proposé par la section centrale est tout au moins insuffisant. Le droit que je proposerais serait plus élevé du double. En ne le proposant pas en ce moment, je prouve bien que je tiens compte des désirs de la chambre et que je ne veux pas aborder la question du fond ; mais celle-ci reviendra dans trois semaines, et j'espère qu'alors on daignera écouter les adversaires des doctrines contradictoires que le cabinet professe en matière de politique commerciale. D'ici là nous devons empêcher une importation exagérée qui se résumerait en une diminution du travail national et en une perte pour le trésor, importation qui pourrait prendre un développement tel que les intérêts de l'agriculture, longtemps sacrifiés, en souffriraient pendant plusieurs mois.
On vous a dit qu'il n'y aura pas d'importation. Alors pourquoi craindre de la frapper? Tout est contradiction dans le langage et la conduite de mes honorables adversaires.
Par conséquent je supplie la chambre, je supplie les défenseurs sincères de l'agriculture....
M. Bruneau. - Nous sommes tous les défenseurs sincères de l'agriculture.
M. Coomans. - Chacun la défend à sa manière, comme chacun défend l'armée, le chemin de fer à sa manière. J'ai ma manière de défendre l'agriculture comme vous avez la vôtre, et j'ai lieu de croire que je suis dans le vrai, puisque mes réclamations sont conformes à celles des pétitionnaires et puisque je demande pour eux la protection que vous avez soin d'assurer aux intérêts que vous favorisez.
Je dis donc, que je supplie les amis de l'agriculture d'adopter provisoirement la proposition de la section centrale.
M. Lesoinne. - Nous sommes tous les amis de l'agriculture.
M. Coomans. - Votre amitié est inefficace, permettez-moi de le dire. Je vous demande d'aimer l'agriculture du même amour que vous avez voué au commerce et à l'industrie. C'est aussi au nom de l'équité que je vous supplie de vous opposer à la prorogation de la loi partiale et mauvaise du 31 décembre 1848. (Interruption.) Quand je dis que cette loi est mauvaise, je n'entends pas manquer de respect à la législature. Il est pénible pour un citoyen d'avoir à qualifier de la sorte une loi de son pays. Mais j'ai le droit de déclarer mauvaise la loi du 31 décembre 1848 quand le gouvernement s'arroge celui d'appeler détestable la loi du 31 juillet 1834. Toutes les lois sont également respectables.
Si la chambre proroge la loi du 31 décembre et rejette les propositions» de la section centrale qui sont très modérées et qui sont favorables au trésor, l'un de nos intérêts les plus sérieux, bien plutôt qu'à l'agriculture, je déplorerai une décision qui serait une sorte de déni de justice, et qui enlèverait au fisc un revenu dont il a grand besoin. Remarquez-le bien, en effet, j'insiste sur ce point, le droit d'un franc par 100 kil. n'a rien de protecteur, il est purement fiscal, et ceux d'entre vous qui le rejetteront auront mauvaise grâce plus tard: de se plaindre de la pénurie du trésor et d'appuyer l'établissement de nouveaux impôts.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Du moment que la chambre a décidé de discuter la proposition de la section centrale, je pense qu'elle ferait sagement de reprendre la discussion sur la proposition primitive. Je ne sais si je me fais illusion, mais il me semble indigne d'une chambre sérieuse de discuter une loi avec l'intention de lui donner une durée de six semaines. Qu'un reprenne donc la proposition primitive de la section centrale qui tend à proroger la loi pendant un an, avec un droit d'un franc. On pourra aborder la discussion sans manquer de sérieux ou de dignité.
On veut, par l'établissement d'un droit immédiat d'un franc, prévenir les spéculations. Savez-vous ce qu'on fait par là, messieurs? On sert les spéculations. Voici ce qui va arriver. Les négociants, dans l'impossibilité de savoir quel sera le droit dans six semaines, s'abstiendront de faire venir des grains de l'étranger. Mais ceux qui ont des céréales en entrepôt viendront les déclarer en consommation au droit de 50 centimes, et 8 jours après les vendront sur le pied de grains qui auront payé 1 fr. de droit. Voilà comment vous servirez les spéculateurs en prétendant les contrarier. C'est évident. Vous ne pouvez frapper les grains en entrepôt, et, à l'instant même, on peut les déclarer en consommation.
On nous a répété que le gouvernement et notamment le ministre de l'intérieur considérait la loi de 1834 comme maintenue. Je la considère comme ayant entièrement disparu de notre Code. Pour ma part, je ne consentirais pas à son rétablissement direct ou indirect. Dès 1847, nous avons déclaré dans notre programme que, nous présents au banc ministériel, cette loi ne serait pas rétablie. Nous avons pris cette résolution, non par un sentiment hostile à l'agriculture, mais parce que cette loi( l'expérience l'a démontré) n'est bonne ni pour le fisc, ni pour l'agriculture. Elle n'est bonne pour personne. Donc elle ne sera pas rétablie.
Si la loi présentée par le gouvernement n'est pas adoptée par la chambre, si la chambre ne veut pas laisser à l'expérience commencée une nouvelle durée d'un an , si l'on veut substituer le droit d'un franc au droit de 50 centimes, si l'on veut rétablir tout entier le droit sur le bétail, la loi présentée par la section centrale est incomplète, insuffisante, il y faut de nombreux amendements.
On a parlé de justice, mais avec le droit d'un franc, on frappe les divers produits d'une manière inégale et injuste eu égard à leur valeur. Avec le droit de 50 centimes, qui pouvait être considéré comme un simple droit de balance, on pouvait s'abstenir d'avoir égard à la valeur. Mais on ne peut établir un droit uniforme d'un franc sur le seigle, sur l'orge, sur le froment. Il faut une série de droits graduée d'après la valeur de chaque produit. C'est un travail tout nouveau. Je serais obligé de déposer des amendements en ce sens, si le droit d'un franc était adopté par la chambre.
Je ne me prononce pas, au surplus, sur la suite qui serait donnée à la décision de la chambre; provisoirement le gouvernement maintient sa première proposition.
M. Bruneau. - J'ai demandé la parole pour combattre l'amendement de la section centrale , ainsi que l'amendement de l'honorable M. Sinave.
Je combats l'amendement de la section centrale, parce qu'il préjuge une question dont un vote formel de la chambre avait décidé en renvoyant la discussion à une époque plus reculée. L'assemblée ne peut aborder dès à présent la discussion au fond sur la quotité du droit La section centrale préjuge cette question ; ma proposition, au contraire, laisse les choses intactes et dans le statu quo.
C'est pour ce motif, messieurs, que j'avais mis dans l'article premier le mot « provisoirement » que la section centrale propose de rayer ; j'avais, avec intention, inséré ce mot dans le projet de loi: je voulais qu'il prouvât que la chambre ne prenait qu'une décision provisoire, laissant toutes les questions intactes. La section centrale, au contraire, veut décider dès à présent le fond de la question, et cela sans aucune discussion. Or, j'en appelle aux souvenirs de la chambre : pourquoi, dans une séance précédente,, n-t-elle ajournée la discussion sur le fond ? Parce qu'elle a reconnu que la question était trop importante pour être discutée en deux ou trois jours (page 409) et qu'elle voulait laisser toute liberté à chacun de ses membres do prendre part à sa discussion.
Vous comprenez, messieurs, que si vous voulez aborder dès aujourd'hui la question de la quotité du droit, vous devez entendre tous les orateurs inscrits sur le premier projet de loi ; or, il y en a 29. J'en appelle à la loyauté de la chambre, n'est-ce pas là ce qu'elle a voulu, et cela est-il possible aujourd'hui ?
Je combats donc la proposition de la section centrale sous ce point de vue.
Je combats l'amendement de M. Sinave parce que, dans mon opinion, il est plus grave encore : je préférerais la proposition de la section centrale parce que, au moins, il décide la question, tandis que l'honorable M. Sinave laisse la chose dans un état d'incertitude qui n'est pas compatible avec les opérations commerciales. La proposition de M. Sinave laisserait indécise pendant six semaines la question de savoir si le droit sera de 50 centimes ou d'un franc; elle arrêterait donc d'emblée toutes les opérations commerciales sur les grains. Je préférerais, pour ma part, la proposition de la section centrale à l'amendement de M. Sinave.
M. Mercier. - Messieurs, je ne reproduirai pas les raisons d'équité et de justice distributive que la section centrale, dont je faisais partie, a fait valoir dans son rapport, pour engager la chambre à élever à un franc le droit sur les grains étrangers, et à accorder ainsi à l'agriculture une protection que vous ne refusez à aucune autre industrie. (Interruption.) Je me bornerai à rencontrer les objections qui ont été présentées dans cette séance.
M. le président. - La chambre a décidé qu'elle discuterait la proposition. Il faut donc qu'on entende les orateurs inscrits.
M. Mercier. - J'insisterai sur le danger qu'il y aurait à adopter la proposition de M. Bruneau. L'honorable M. Loos vient de dire qu'on ne pouvait pas, en six semaines, faire venir des céréales de l'étranger.
Messieurs, on a importé cette année 35 millions de kilog. de froment étranger; de ces 35 millions, 32 proviennent de pays fort rapprochés de nous, c'est-à-dire de la France, des Pays-Bas et des Etats du Zollverein ; il ne faut certes pas six semaines pour faire venir une quantité considérable de céréales de ces différents pays, avilir ainsi les prix encore plus qu'ils ne le sont, et par conséquent empirer la situation des cultivateurs.
L'honorable ministre de l'intérieur a fait une autre objection : il a reproché à la section centrale de n'avoir pas gradué le droit ; c'est là, dit-il, un vice dans le projet que nous présentons ; eh bien, messieurs, si la section centrale n'a pas gradué le droit selon le rapport du prix relatif des différentes espèces de céréales, c'est parce que ce droit, en lui-même, est tellement modéré, qu'il ne comporte pas la gradation dont parle le ministre. Si la section centrale avait cru devoir graduer les droits, elle eût élevé davantage celui qui frappe le froment étranger selon son projet. S'il s'agissait d'une législation définitive, elle se serait livrée à un travail plus approfondi; mais dans ce cas il eût fallu d'autres travaux préparatoires de la part du gouvernement; une enquête eût été indispensable. Au surplus, le projet présenté à la chambre ne devait avoir qu'une durée d'un an. Ainsi, d'une part, le droit que nous proposons étant très modéré, et, d'autre part, la loi ne devant produire ses effets que pendant un temps très court, la section centrale n'a pas cru devoir compliquer la loi en graduant les droits ; le gouvernement en a agi de même en proposant ou en acceptant, l'année dernière, le droit uniforme de 50 centimes ; il n'y a pas plus de raison de graduer le droit d'un franc, car il est également très modéré.
On a aussi parlé de la loi de 1834; je sais très bien que le gouvernement n'a pas eu l'intention de la remettre en vigueur; il a fait ouvertement connaître sa pensée à cet égard; mais un programme ministériel n'est pas une loi et n'efface pas une loi. Dans la chambre, avant cette soirée, l'opinion unanime était que la loi de 1834 reprenait force et vigueur du moment que la législation provisoire venait à cesser. Personne jusqu'à présent n'avait soulevé le moindre doute à cet égard, et l'honorable M. Bruneau lui-même, en développant sa proposition, faisait valoir cette considération que, si sa proposition n'était pas adoptée, nous retomberions sous le régime de la loi de 1834. Quant à moi, je n'ai jamais eu le moindre doute à cet égard, je suis convaincu que si la législation provisoire n'était pas prorogée nous retomberions de plein droit sous l'empire de la loi de 1834. Les arguments qu'on a mis en avant pour soutenir la thèse contraire ne m'ont nullement convaincu. Les paragraphes premier et 2 de l'article premier de la loi du 31 décembre 1848 ont la même portée ; pour certaines denrées, c'est la loi qui a abaissé momentanément les droits; pour d'autres, c'est le gouvernement qui a été autorisé à les réduire également pour un ternie limité.
M. Loos. - Messieurs, nous assistons à un singulier spectacle : on nous accusait, il y a peu de jours, de vouloir étrangler la discussion d'une loi importante, à laquelle le pays tout entier attachait le plus grand intérêt; comment avons-nous répondu à cette imputation ? C'est en demandant à la chambre une discussion approfondie, dans laquelle chacun pût librement développer son opinion. C'est après cet acte de loyauté de notre part que, par une espèce de surprise, on nous fait discuter le fond de la question dans une séance du soir, lorsque nous sommes au moment de nous séparer.
On était d'accord pour discuter la question d'une manière approfondie, et pour satisfaire à ce désir, parti surtout des bancs opposés aux nôtres, un honorable membre, qui siège de ce côté, a proposé un délai d'un mois; c'était le moyen de permettre à chacun de se préparer à la discussion, de permettre à tout le monde de s'éclairer.
Aujourd'hui, messieurs, que cette proposition si loyale a été soumise à l'investigation de la section centrale, celle-ci nous répond par un changement total à la loi qui était proposée; elle veut entrer d'une manière provisoire, j'en conviens, dans un système tout autre que celui qui était présente.
L'importance que nous voyons attacher à cette proposition de la section centrale, que nous indique-t-elle? C'est qu'on espère continuer un autre provisoire que celui que nous voulions voir proroger de trois semaines.
Je ne trouve pas que les adversaires du droit de 50 centimes sur les céréales aient répondu d'une manière confirme aux intentions qui avaient dicté la proposition de l'honorable M. Bruneau.
J'ai entendu dire tout à l'heure que le droit d'un franc avait un caractère de modération, qu'on pouvait attribuer ce caractère à une loi provisoire. Je prévois donc, que dans l'intention de ceux qui proposent un franc pour six semaines, il entre certainement de demander une aggravation plus forte, quand le délai sera expiré.
Eh bien, dans une telle situation, ne convenait-il pas mieux d'aborder franchement la question et d'avoir une discussion qui n'est plus possible à l'époque actuelle de l'année ? Il nous reste une soirée pour discuter la loi sur laquelle 38 orateurs se sont fait inscrire.
Comment pouvons-nous discuter aujourd'hui cette loi à fond ? Le reproche qu'on nous faisait, nous sommes en droit de le faire aujourd'hui ; on prétendait à tort que nous voulions étrangler la discussion; eh bien, ce qui se passe en ce moment, c'est la réalisation de l'intention qu'on nous supposait; on veut aujourd’hui introduire une législation nouvelle, en étranglant la discussion.
J'ai entendu dire, pour justifier le caractère d'urgence de la proposition de la section centrale, que s'il n'était pas possible que d'ici à six semaines on introduisît en Belgique beaucoup de grains étrangers par eau (on semblait être d'accord sur ce point), on introduirait beaucoup de ces grains par terre. L'honorable M. Mercier a cité le chiffre des céréales qui ont été introduites par la voie de terre; l'honorable membre n'a pas dit ce qu'étaient devenus ces grains, s'ils avaient servi à la consommation du pays. Du reste, le Moniteur nous a appris ce qu'ils étaient devenus ; une grande partie de ces céréales n’ont fait que transiter par la Belgique pour aller en Angleterre.
On l'a dit tout à l'heure : de fortes parties de céréales existent encore en entrepôt; à quoi vous aura servi le terme de six semaines? En quoi vous aura-t-il préservés de l'introduction des grains ? Vous voterez la loi ce soir, et après-demain vous verrez déclarer en consommation les céréales qui se trouvent aujourd'hui en entrepôt.
D'autre part, si vous pensez que sur les prix actuels il y ait de la marge pour importer des céréales de l'étranger, des chargements peuvent être en route, et l'on n'entend certainement pas leur appliquer le droit d’un franc qu'on voterait ce soir ! Il y aurait rétroactivité. (Interruption et bruit.)
M. le président. - J'invite au silence.
M. Loos. - Je prie M. le président de vouloir bien faire cesser ces interruptions.
M. le président. - Je l'avais fait avant que vous m'en eussiez fait l'observation.
M. Loos. - La chambre remarquera que c'est d'un côté de l’assemblée qu'émanent depuis quelque temps les rappels au règlement, et que c'est le plus souvent de ce côté-là qu'émanent les interruptions.
Je n'ai pas dit qu'il ne serait pas possible en six mois d'introduire beaucoup de grains étrangers dans le pays; j'ai parlé de six semaines.
Le mal que vous prévoyez, s'il était possible, se réaliserait malgré toutes les précautions. A quoi vous servira donc la loi que vous avez l'intention de faire ce soir à la hâte ?
Cette loi sera inefficace pour vous protéger, si vous aviez besoin de protection, et vous aurez posé un acte qui ne répondra pas à la manière d'agir dont nous avions donné l'exemple.
M. Sinave. - Messieurs, l'honorable M. Loos vient de dire que la proposition de la section centrale a un caractère de rétroactivité; cela eest inexact; tous les spéculateurs, savent, en arrivant avec leurs marchandises après le r janvier, que la loi est périmée; donc ils n'ont pas dû compter de ne payer que d'après la loi de 1848. Cela est sans réplique.
M. Mercier. - L'honorable M. Loos a demandé ce que sont devenus les grains ainsi importés. Eh bien, les 32 millions ont été déclarés en consommation ; ce sont 32 millions de céréales en consommation.
- La discussion est close.
M. le président. - Je crois qu'il y a lieu de mettre aux voix en première ligne l'amendement de M. Sinave, comme s'éloignant le plus de la question primitive.
M. Coomans. - Je pense qu'il faut commencer par la proposition de la section centrale.
M. Sinave. - Je suis du même avis.
- La chambre décide qu'elle votera d'abord sur la proposition de la section centrale.
M. le président. - La proposition de la section centrale est complexe : la première partie concerne le terme de la loi ; la seconde concerne le droit, qu'elle propose de porter à un franc. C'est sur cette dernière partie qu'on demande à voter d'abord et par appel nominal.
Il va être procédé à cette opération.
(page 410) En voici le résultat :
79 membres ont répondu à l'appel.
37 membres ont répondu oui.
39 membres ont répondu non.
3 membres se sont abstenus.
En conséquence, le droit d'un franc n'est pas adopté.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.
M. Toussaint. - Je me suis abstenu pour ne pas préjuger l'examen définitif de la question que nous avons renvoyé au mois de février. Je ne suis ni pour le droit de 50 centimes ni pour le droit d'un franc. Puisqu'il s'agit d'un droit fiscal, je le veux proportionnel. Le projet qui nous est soumis ne répondait à ma pensée ni dans un sens ni dans l'autre.
M. Van Cleemputte. - Je me suis abstenu parce qu'au fond je suis partisan de l'augmentation du droit; j'aurais désiré voir porter le droit à un franc comme le propose la section centrale; mais, à mon avis, il y avait de la part de la chambre préjugé par la décision qu'elle avait prise sur la proposition de M. Bruneau.
M. Vermeire. - Je n'ai voté ni pour ni contre la loi, parce que je ne veux pas, par mon vote, préjuger la question.
Ont répondu oui : MM. Peers, Rodenbach, Rousselle, Tesch, Tremouroux, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vilain XIIII, Ansiau, Boulez, Clep, Coomans, de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Denterghem, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Pitteurs, de Renesse, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, Dumortier, Faignart, Jacques, Jouret, Julliot, le Bailly de Tilleghem, Lelièvre, Mascart, Mercier et Moncheur.
Ont répondu non : MM. Orts, Osy, Pirmez, Prévinairc, Rogier, Rolin, Schumacher, Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Veydt, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, H. de Baillet, de Brouckere, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Perceval, De Pouhon, Dequesne, d'Hoffschmidt, d'Hont, Fontainas, Frère-Orban, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Manilius, Moreau et Verhaegen.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la partie de l'amendement de la section centrale qui a pour objet de porter le terme de la loi au 15 février au lieu du 1er.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dois à la loyauté de dire que la section centrale a proposé le délai de six semaines au lieu d'un mois, parce qu'elle augmentait le droit. Ce délai cependant n'est pas trop long, car si la chambre s'ajourne au 12 ou 15 janvier, par suite de l'ordre du jour adopté pour la rentrée, nous ne pourrions pas être prêts à discuter la loi sur les denrées alimentaires le 1er février.
Je me rallie par ce motif à la proposition de la section centrale.
- Le terme du 15 février est mis aux voix et adopté.
L'amendement de M. Sinave est mis aux voix; il n'est pas adopté.
L'article premier de la proposition de M. Bruneau, amendé quant au terme par la section centrale, est mis aux voix et adopté dons les termes suivants :
« Art. 1er. La loi du 31 décembre 1848, concernant les denrées alimentaires, est provisoirement prorogée jusqu'au 15 février 1850. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
M. Dumortier. - Je propose de dire : « le jour de sa publication,» car il est possible que la loi soit votée par le sénat le lundi 31 décembre et publiée seulement le 1er janvier.
- Cet amendement est mis aux voix; il n'est pas adopté.
L'article 2 est mis aux voix et adopté.
M. le président La chambre considère-t-elle comme un amendement la modification relative au terme, adoptée sur la proposition de la section centrale, à laquelle le gouvernement s'est rallié ?
M. Coomans. - Je vois que l'intention de notre honorable président est de proposer le vote immédiat par urgence. Je demande la permission de m'opposer à cette proposition. Beaucoup de nos collègues sont absents. (Interruption.)
Laissons-leur la faculté de prendre part au vote dans une des lois les plus importantes de la session.
M. le président. - Je n'ai fait aucune proposition. J'ai demandé à la chambre si elle considère comme un amendement la modification relative au terme.
M. Coomans. - Evidemment!
Si je sais un peu de français, amendement signifie un changement à une proposition. Il est bien évident que l'amendement de la section centrale est un changement apporté à la proposition de l'honorable M. Bruneau. Je demande l'exécution du règlement, c'est-à-dire le renvoi du vote à demain.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ignore le but de la proposition de l'honorable et persistant M. Coomans.
M. Coomans. - J'ai mes raisons.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si nous voulons un vote nombreux, jamais nous n'avons été dans de meilleures conditions; car il y a eu aujourd'hui 79 votants. Cola donne la mesure do l'opinion de la chambre.
Quant au terme, le gouvernement s'est rallié à l'amendement. Dans ce cas-là, on ne revient pas sur l'amendement.
M. Delfosse. - Je ferai remarquer à l'honorable M. Coomans qu'il n'y a pas eu de désaccord sur la partie de l'amendement de la section centrale à laquelle le gouvernement s'était rallié et qui vient d'être adoptée.
Je concevrais l'insistance de l'honorable M. Coomans, s'il pouvait encore être question, au second vote, de la partie de l'amendement de la section centrale relative à la quotité du droit ; mais cette partie de l'amendement est définitivement écartée ; personne n'a donc intérêt à différer le vote à demain.
On a voté tantôt sur l'ensemble du budget des travaux publics, bien que quelques dispositions de ce budget eussent été modifiées.
Je n'attache du reste aucune importance à ce que le vote ait lieu aujourd'hui plutôt que demain, et je crois que cela n'a d'importance pour personne.
- La chambre, consultée, décide qu'il sera procédé immédiatement au vote sur l'ensemble du projet de loi.
Il est procédé à ce vote. En voici le résultat :
78 membres répondent à l'appel nominal.
52 votent pour le projet.
25 votent contre.
1 (M. Jacques) s'abstient.
En conséquence, le projet est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont voté l'adoption : MM. Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Schumacher, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Brouckere, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, Desoer, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumortier, Fontainas, Frère-Orban, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Manilius, Moreau et Verhaegen.
Ont voté le rejet : MM. Peers, Tesch, Tremouroux, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe, Vilain XIIII, Ansiau, Boulez, Clep, Coomans, de Bocarmé, de Denterghem, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Renesse, de Theux, Jouret, Julliot, Lelièvre, Mascart, Mercier et Moncheur.
Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Jacques. - Je n'ai pas voulu voter pour le projet de loi, parce que je n'approuve pas le droit de 50 centimes; je n'ai voulu pas voter contre le projet, parce qu'en l'absence de toute loi nous retomberions sous l'empire de la législation de 1834.
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu entre la Belgique et la France
M. Le Hon, rapporteur. - Messieurs, il est fort probable que plusieurs membres n'ont pas encore eu le temps de lire attentivement le rapport. Cependant des observations ont été faites par la section centrale, sur lesquelles il est probable que M. le ministre des affaires étrangères nous donnera des explications. Il est probable aussi que d'autres explications seront encore demandées.
Pouvons-nous traiter un acte passé avec une puissance étrangère un peu moins légèrement et avec plus d'égards? Pensez-vous qu'il soit convenable de lui consacrer une queue de séance?
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, il est extrêmement essentiel que le traité soit voté avant la séparation de la chambre. Il n'est pas dix heures; je ne vois donc pas la moindre difficulté à commencer la discussion aujourd'hui, sauf, si elle n'est pas close, à la continuer demain.
M. de Man d'Attenrode. - On n'est pas préparé.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Vous n'êtes pas préparé. Mais pourquoi ne l'êtes-vous pas? Personne n'en peut rien.
M. de Man d'Attenrode. - Je dis que personne n'est préparé.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - L'honorable M. de Man n'est pas préparé; c'est sa faute ; il devait étudier la question.
Le projet de loi est à l'ordre du jour depuis le commencement de la semaine; il était donc du devoir de chacun de se préparer à la discussion.
M. de Man d'Attenrode. - M. le ministre des affaires étrangères vient de me dire d'une manière assez aigre qu'il était de mon devoir de me préparer. Messieurs, je n'en ai pas eu le temps, parce que je m'occupais d'autres questions également importantes. Je crois que la plus grande partie de la chambre est dans le même cas. Je désirerais que ceux qui se (page 411) sont préparés voulussent bien se lever; on verrait quel est leur nombre. On nous présente des projets tardivement, et puis on vient insister pour une discussion immédiate.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - L'honorable M. de Man vient de dire que le projet avait été présenté tardivement.
M. de Man d'Attenrode. - Vos projets en général.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Le projet dont il s'agit est présenté depuis quinze jours ; il a été examiné par les sections et par la section centrale ; des développements très étendus ont été donnés dans l'exposé des motifs. Le rapport de la section centrale est distribué depuis plusieurs jours. On ne peut donc nous reprocher aucun retard.
Messieurs, si j'insiste, c'est dans l'intérêt de la question même. Il est indispensable, les convenances internationales exigent que la chambre se prononce sur le traité avant sa séparation.
M. le président. - Je ferai remarquer que depuis avant-hier des orateurs sont inscrits.
M. Lelièvre. - C'est ce qui prouve que la chambre est préparée.
M. le président. - S'il n'y a pas de proposition contraire, la discussion est ouverte. La parole est à M. Rodenbach.
M. Rodenbach. - Messieurs, le traité conclu le 17 novembre avec la France me paraît beaucoup plus favorable à ce pays qu'à la Belgique. Je crois qu'on aurait bien fait d'en ajourner la conclusion jusqu'au moment où il aurait été possible de faire un bon traité de commerce.
On qualifie le traité que nous discutons actuellement, de traité de navigation et de commerce. Je crois que c'est à tort, car notre commerce a été considérablement négligé dans ce traité.
D'abord, je remarque qu'on permet à la France de faire le cabotage sur nos côtes, tandis que les navires belges ne peuvent pas faire le cabotage en France, et cependant ce n'est pas là une règle uniforme adoptée par le gouvernement français à l'égard de toutes les nations, car l'Espagne, par exemple, peut faire le cabotage en France. Ce point est important; car la France a 15,000 navires de commerce. La Belgique n'en a que 152.
On nous a parlé de réciprocité. Eh bien, il n'y a pas ici réciprocité : les navires français ne payent pas le droit de tonnage en France, les nôtres doivent le payer ; est-ce placer nos navires sur le même pied que les navires français ?
Lorsque les navires français viennent dans l'Escaut, nous remboursons à la Hollande le péage qui est stipulé par le traité avec ce pays, et cela pendant dix années. C'est un immense sacrifice que nous nous imposons, une concession très grande que nous faisons à la France, et nous n'obtenons de ce chef aucune espèce de compensation.
Après avoir si longtemps négligé de faire un traité avec la France, on aurait dû, au moins dans le traité qui vient d'intervenir, stipuler des avantages pour notre pêche. On dira peut-être que ce n'est pas un traité de commerce, que c'est un traité de navigation ; cependant on l'intitule : « Traité de navigation et de commerce. »
Lorsque le poisson de notre pays entre en France il doit payer 44 fr. par 100 kilog., tandis que le poisson français paye seulement 12 fr. en Belgique. Est-ce encore là de la réciprocité? Mais il y a plus, notre poisson ne peut entrer en France que par Quiévrain ; il ne peut pas être transporté directement de Blankenberghe et d'Ostende sur le marché français. Comment est-il possible qu'on ait laissé subsister une pareille disposition? Je suis donc autorisé à dire qu'on n'a rien fait pour la pêche nationale, et c'est cependant une industrie qui méritait bien l'attention du gouvernement.
Je pense, messieurs, qu'il est plus que temps de faire un traité sérieux de commerce avec la France, et je crois que le moment est favorable puisque maintenant la politique ne s'y oppose point. A l'assemblée législative, dans les bureaux, plusieurs représentants ont provoqué eux-mêmes un traité avec la Belgique, notamment le duc de Montebello. Ils ont dit qu'il fallait resserrer les liens commerciaux avec les Belges pour qu'ils ne s'associent point au Zollverein ou à d'autres pays. Il me semble qu'il faut profiter de ces bonnes dispositions pour arriver à conclure avec la République française un traité de commerce large qui soit avantageux aux deux pays.
Il est temps, messieurs, de songer à nos différentes industries. Notre industrie toilière, dont l'importance est d'au moins 75 millions par an, paye jusqu'à 20 p. c. de droits d'entrée en France. L'industrie charbonnière, l'industrie métallurgique, nos fontes, nos mécaniques, nos dentelles, nos fils, nos draps, nos laines, nos houblons, nos graines oléagineuses, une foule de produits belges exigent que nous fassions un traité sérieux avec la France. Le salut des Flandres l'exige impérieusement. Il faut une espèce d'union douanière, et il est plus que temps que le gouvernement s'en occupe avec activité. Je le répète, les circonstances sont favorables.
Comme la chambre paraît pressée d'en finir, je bornerai là mes observations ; mais je le dis de nouveau en terminant, le pays, et notamment les Flandres, demandent à grands cris un traité de commerce avec la France. C'est le pays avec lequel nous devons avoir les rapports commerciaux les plus intimes, un traité qui soit, autant que possible, l'équivalent d'une union douanière. La position géographique est telle que les deux pays y trouveront des avantages immenses. Il est incontestable que cela resserrerait utilement les liens politiques entre les deux Etats et que c'est à cette seule condition que les Flandres peuvent être sauvées.
M. de Perceval. - Lorsque, dans la séance du 30 novembre dernier, M. le ministre des affaires étrangères a déposé le traité de navigation et de commerce conclu entre la France et la Belgique, je croyais que notre système commercial allait être profondément modifié, et qu'il finirait par s'asseoir enfin sur des bases nouvelles et plus larges.
J'avais été, je l'avoue, un peu ébloui par la pompeuse dénomination donnée à un acte diplomatique, lequel, vu de près aujourd'hui et analysé, ne constitue réellement qu'une simple et modeste convention de réciprocité pour la navigation intérieure dans les deux pays.
Ne donnons donc pas une importance exagérée à un acte qui ne la comporte point, car elle aurait cette malheureuse conséquence, qu'elle éloignerait de nos idées ce qu'il nous reste encore à faire sous le point de vue de nos relations commerciales avec la France.
Le traité, dont le gouvernement demande la sanction à la législature, n'est autre chose que la régularisation, l'abaissement de quelques taxes de navigation et de douanes pour les navires des deux pays faisant le commerce direct.
Il fait droit aux justes réclamations de nos chambres de commerce d'Anvers, de Charleroy, de Gand, de Bruges, de Liège, qui se plaignaient avec raison de la situation pénible dans laquelle se trouvait notre commerce maritime vis-à-vis de la France en l'absence d'une convention de navigation avec cette puissance.
Il ne s'agit donc pas ici d'un traité de commerce proprement dit. La chambre n'est saisie que d'une convention de réciprocité pour la navigation.
Quant à moi, messieurs, je regrette vivement qu'un traité plus complet n'ait pas été conclu avec la France, aurait-il même dû l'être au prix de quelques sacrifices de notre part.
M. le ministre des affaires étrangères, j'aime à le croire, est convaincu de l'importance du marché français pour la Belgique. Mais, si ce marché est important, s'il est nécessaire même pour nous, pourquoi le cabinet ne s'efforce-t-il point de conclure un bon traité de commerce avec la France? Pourquoi n'ouvre-t-il pas des négociations pour atteindre ce but, au lieu de rester dans une espèce d'inaction, je dirai presque de tiédeur, fatale à notre industrie, alors que la France peut procurer un écoulement considérable aux produits de nos provinces industrielles et manufacturières? Pourquoi, en un mot, ne prépare-t-il point insensiblement la voie vers une union douanière avec nos voisins du Midi, union qui est si énergiquement et si unanimement demandée par nos Flandres?
Une considération qu'il faut bien émettre, c'est que nous étouffons dans nos produits, dans nos fabricats, et que notre excès de travail manufacturier nous a amené, en partie, le paupérisme qui nous ronge et nous désole !
Sans cesse nous produisons, et cela dans une disproportion très grande; avec noire consommation. Nous ne possédons point de colonies; nous n'avons ni comptoirs organisés sur une large échelle, ni société d'exportation. Au Nord, à l'Est, au Midi nous rencontrons des barrières et des entraves, une triple ligne de douanes nous enserre, et le cabinet ne s'efforce pas d'en faire disparaître une seule, la moins difficile à lever, parce qu'il vous est donné de présenter dans ce pays, en échange et comme compensation, de nombreux et sérieux avantages à l'intérêt vinicole et à l'intérêt manufacturier.
Les dentelles, les toiles et les laines, nos glaces, les graines oléagineuses, les machines et mécaniques, notre pêche nationale, voilà autant d'objets qui devraient attirer la sollicitude du gouvernement, et guider son action diplomatique dans ses représentations auprès du cabinet de Paris, car la loi française les frappe avec beaucoup de rigueur.
Du reste, ces observations, je ne suis pas le seul à les émettre. Dans plusieurs sections elles se sont produites, et des explications ont été demandées au gouvernement sur les négociations à ouvrir ultérieurement avec la France. Il n'entre pas dans mes intentions de faire l'objet d'un débat public et contradictoire, des vues du cabinet et des réponses qui nous ont été fournies, avec une réserve toute diplomatique, par M. le ministre des affaires étrangères. Cette réserve est probablement nécessaire, elle peut être prudente en vue et dans l'intérêt de ces négociations. Seulement j'exprime hautement le désir que le cabinet parvienne à conclure avec, la France une alliance intime. L'union douanière avec cette puissance est réclamée par plusieurs de nos provinces comme un des plus énergiques moyens pour relever leur industrie, et l'honorable député de Roulers, que vous venez d'entendre, s'en est fait l'organe. Il est incontestable que, sous le rapport commercial, cette union doit nous procurer d'immenses avantages, et, en même temps, sous le point de vue politique, elle aura aussi son utilité réelle, car elle nous donnera une garantie de plus pour notre neutralité, pour notre existence même comme Nation.
Dans ma conviction, c'est la France qui est la seule nation avec laquelle la Belgique peut et doit contracter une alliance qui sera féconde. Je fais des vœux pour que le cabinet en soit bien pénétré. Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères, s'il trouve quelque inconvénient à nous communiquer son opinion sur les considérations dont j'entretiens la chambre. Il importe, je pense, que le pays connaisse, jusqu'à un certain point, la politique du gouvernement à cet égard.
Je donne mon assentiment à la convention qui nous est soumise, non point par le motif que j'en approuve indistinctement toutes les dispositions, mais parce que j'envisage cet acte diplomatique comme un nouveau pas de fait dans la voie où je désire que le gouvernement marche, et (page 412) au bout de laquelle nous trouvons et nous atteindrons, j'aime il l'espérer, l'union douanière.
Je passe à une simple observation de détail, la seule que je tiens à faire sur le traité proprement dit.
Je vois à l'article 16 que le gouvernement projette une convention consulaire dont les bases ne sont pas encore arrêtées entre les deux pays.
Tout en regrettant que les clauses de cette convention ne se trouvent pas inscrites dans le traité actuel, je prie M. le ministre des affaires étrangères de ne pas tarder à la conclure, car la mise en vigueur des dispositions du traité de navigation va soulever immédiatement des questions d'immunités, sur lesquelles il importe que les corps consulaires soient fixés le plus promptement possible.
Messieurs, pour me résumer, je dis que notre cabinet, tant en vue d'un intérêt politique que sous le rapport commercial, doit contracter une union intime avec une nation qui peut nous offrir un débouché aussi important, et avec laquelle nous avons toujours entretenu des relations amicales et étroites; que j'approuve l'acte international conclu le 17 novembre, mais pour autant qu'il nous apporte dans l'avenir un traité plus large et plus complet.
M. Osy. - Messieurs, la section centrale nous a fait comprendre que la convention avec la France pouvait être sanctionnée sans inconvénient, et je partagerais cette opinion si, dans le courant de l'année, il ne s'était pas produit un fait qui doit avoir une influence immense sur les relations commerciales de l'Angleterre avec le reste du monde. Je parlerai tout à l'heure de ce fait important.
Il est vrai que les chambres de commerce, et notamment la chambre de commerce d'Anvers, réclament depuis nombre d'années un traité de navigation avec la France, parce qu'il n'y avait en France presque aucune relation par navires français ou par navires belges, que tout se faisait par navires étrangers. Voilà onze ans que nous attendons un traité de navigation avec la France.
Mais, messieurs, on a négocié depuis peu de mois, tandis qu'au mois de juin l'Angleterre a abrogé son acte de navigation. Vous savez tous que l'Angleterre dit à toutes les nations : « Lorsque vous donnerez à mes navires les mêmes avantages que vous accordez aux vôtres, vous serez traitées chez moi sur le même pied. » Mais le gouvernement est autorisé à prendre des représailles, sans l'intervention du parlement, contre tous les pays qui n'adopteront pas ce système de réciprocité.
Je dis, messieurs, qu'il est déplorable qu'après onze années d'attente le gouvernement belge, en négociant avec la France, ait perdu de vue cette nouvelle position de la Grande-Bretagne. Je ne dis pas qu'il faut se soumettre aveuglément à l'Angleterre, mais je dis que le traité avec la France est tel que l'Angleterre y trouvera des armes contre nous.
Jusqu'à présent, tant dans les Pays-Bas qu'ici, le commerce du sel ne pouvait se faire que par navires belges. Dans tous les traités que nous avons faits, nous avons toujours exclu le commerce du sel.
Il ne nous arrive de France que peu de sel ; mais en affaires il ne faut pas voir la statistique; il faut voir les principes qui sont tout, pour les puissances étrangères.
L'Angleterre, d'où nous tirons tout notre sel, pourra nous dire : Vous venez d'accorder un tel avantage à la France et vous me le refusez, (Interruption.)
Je sais bien que la section centrale se fait sous ce rapport; mais le traité est connu, et il n'y a aucun inconvénient d'en parler.
A ce point de vue, je ne pourrai pas donner mon assentiment à la convention.
Je dirai peu de mots des autres avantages qui résulteraient du traité. On parle de réciprocité; eh bien, comme l'a dit l'honorable Rodenbach, il n'y a pas de réciprocité; les navires français, en France, ne payent pas de droit de tonnage, tandis que nous y sommes soumis à un droit de tonnage de 1 fr. 90 c, si je ne me trompe; d'un autre côté, les navires français sont assimilés aux navires belges pour le tonnage en Belgique.
L'Angleterre traitant avec la France en 1826, a dit : « Il faut que les navires des deux nations soient réciproquement placés sur le même pied. » Et alors l'Angleterre a demandé un droit de tonnage pour les deux nations à 1 fr., ainsi les navires français venant d'Angleterre payent ce droit, tandis que, venant d'autres pays, ils en sont affranchis. L'Angleterre insistait sur l'assimilation.
Cet antécédent de l'Angleterre aurait dû engager notre gouvernement à agir de même dans cette circonstance.
Maintenant, l'exposé des motifs du projet de loi nous dit que c'est très heureux qu'on n'ait pas dû accorder à la France un avantage en ce qui concerne la pêche. Je crois, au contraire, que le gouvernement aurait dû insister pour qu'il y eut réciprocité entière entre les deux pays au sujet du poisson. C'eût été un grand soulagement pour les ports de Blanckenberghe et d'Ostende qui souffrent beaucoup depuis le traité fait avec les Pays-Bas. Comme l'a dit l'honorable M. Rodenbach, les Français peuvent importer leur poisson par tous les bureaux, tandis que nous ne pouvons l'importer que par Quiévrain, et encore à de grands droits différentiels dans les deux pays.
Je sais bien qu'il n'y a qu'un article de poisson que les Français importent; mais enfin, je le répète, les principes sont tout, et nous aurions pu approvisionner le département du Nord.
Non seulement le traité, à mes yeux, a peu de portée; mais il est encore une faute, eu égard à ce qui s'est passé en Angleterre.
Nous avons attendu 11 ans, et il ne fallait rien conclure avant d'avoir un principe bien arrêté pour adopter un système commercial depuis l'abrogation de l'acte de navigation qui est du 26 juin 1849.
Pour mu pari, je ne pourrai donner mon consentement à la convention.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, toutes les sections ont admis le traité du 17 novembre ; la section centrale l'a également adopté à l'unanimité; il en est de même des orateurs que vous avez entendus jusqu'à présent; l'honorable M. Osy seul a annoncé qu'il ne lui donnerait pas son approbation; je ne pense donc pas devoir entrer dans de longs développements, d'autant plus que des explications très étendues ont déjà été données dans l'exposé des motifs et dans le sein de la section centrale, le me bornerai à répondre aux objections qui ont été présentées par d'honorables orateurs et à quelques critiques qui se trouvent dans le rapport de la section centrale.
Je dois d'abord exprimer ma surprise de voir l'honorable M. Osy se prononcer contre le traité, quand la convention de 1838, qui posait sur la même base que celui-ci, a obtenu l'assentiment de tout le commerce d'Anvers, et que depuis 1838, la chambre de commerce d'Anvers n'a pas cessé de réclamer un traité de navigation avec la France (Interruption de M. Osy). Vous êtes dans l'erreur, le sel n'était pas non plus excepté du traité de 1838; sous ce rapport il y avait identité.
Je dis donc que, dans le traité de 1838, il n'y avait pas d'exception pour le sel; et quoiqu'à cette époque on fût aussi en négociation avec l'Anglclerre, cela n'a pas empêché la chambre de commerce d'Anvers d'appuyer fortement la convention, et de demander ensuite chaque année avec insistance un traité de navigation avec la France. Voici ce qu'elle m'écrivait, sur ce point, il n'y a pas longtemps.
« Nous sommes toujours sans traité de navigation avec la France et nos relations par la voie maritime avec cette puissance amie continuent à languir et sont aujourd'hui d'une complète insignifiance, tandis qu'en Hollande, cinq bateaux à vapeur, partant régulièrement toutes les semaines de Rotterdam pour le Havre et Dunkerque et vice versa, suffisent à peine au mouvement commercial qui s'est développé d'une manière si remarquable entre ces deux pays; après avoir régie nos rapports avec la France par la voie de terre par des traités onéreux pour notre pays, on s'est croisé les bras, comme si plus rien n'était à faire, et la Hollande a fort habilement profilé de notre indifférence et de notre inertie.
« Nous ne pouvons que rappeler cet objet à toute la sollicitude du gouvernement comme nous l'avons fait en vain par tous nos rapports précédents et former des vœux pour que notre voix soit enfin écoutée. »
Maintenant, examinons la valeur de l'argument de l'honorable M. Osy qui s'appuie principalement sur ce que l'absence de la clause dont il s'agit nuira aux négociations futures avec l'Angleterre.
Messieurs, il est facile de voir qu'il n'y a pas du tout similitude pour les deux pays dans cette question. Veuillez jeter les yeux sur le relevé des importations de sel qui ont lieu en Belgique. Sur 27 millions de kilogrammes importés en 1847, par exemple, pas un seul kilogramme n'a été importé de la France, tandis que nous avons importé 20 millions de kilogrammes de l'Angleterre. On conçoit donc que la question n'est pas du tout la même ; puisque nous n'importons pas un seul kilogramme de sel de France, il n'y a pas un grand intérêt à formuler une exception dans le traité, tandis que la question est tout autre à l'égard de l’Angleterre où nous allons puiser nos importations de sel. Le cabotage qui vit en quelque sorte du monopole de l'importation du sel, serait frappé d'un coup funeste, si une exception n'était pas formulée dans un traité éventuel avec l'Angleterre; tandis qu'à l'égard de la France, cette question n'a pas d'importance.
Comparer les deux situations, c'est donc tomber dans une véritable erreur. Quelle valeur pourrait avoir un argument qui consisterait à dire : Vous n'avez pas introduit l'exception à l'égard d'un pays d'où vous ne tirez pas de sel, vous devez aussi accorder la même faveur au pays d'où vous tirez les trois quarts de vos approvisionnements en cette matière. Un pareil raisonnement ne serait basé ni sur la logique, ni sur la raison.
Du reste nous n'avons pas négligé de réclamer l'exception en ce qui concerne le sel, mais nous avons rencontré sur ce point une résistance absolue; la chambre en trouvera la confirmation dans l'exposé des motifs présenté à l'Assemblée nationale de France par le ministre des affaires étrangères. Voici comment il s'exprime:
« La Belgique aurait voulu voir étendre cette exception aux sels qui jouissent d'une exemption complète de droits, lorsqu'ils sont importés dans les ports belges sous pavillon national. Quels que soient les bénéfices qui résulteront pour nous de l'ensemble du traité et notamment de la suppression des surtaxes qui grèvent notre pavillon, le gouvernement de la République aurait préféré les sacrifier plutôt que de consentir qu'un produit quelconque de notre sol ou de notre industrie fût placé, dans le royaume voisin, sous un régime d'exception, et exclu des avantages que toutes les autres denrées françaises doivent être appelées à recueillir lorsque nos navires les introduisent dans les ports belges. »
Ainsi, si nous avions voulu persister à obtenir cette exception en faveur du sel, il fallait renoncer à la conclusion d'un traité avantageux et qui était vivement réclamé par la plupart des chambres du commerce du pays et notamment par la chambre de commerce d'Anvers.
Messieurs, l'honorable M. de Perceval et l'honorable M. Rodenbach ont exprimé le regret que le traité ne contînt pas de concessions douanières.
Nous avons toujours désiré avoir les rapports commerciaux les plus larges avec la France, ainsi qu'avec tous les pays qui nous avoisinent; nous ne sommes jamais restés en arrière à cet égard dans nos (page 413) propositions. Si le traité ne contient pas des clauses plus larges, la faute n'en est pas au gouvernement. Dans la situation actuelle, le gouvernement français n'est pas disposé à conclure tout traité qui apporterait des changements à son tarif de douane; il s'en est expliqué formellement. Les négociations d'un traité concernant les tarifs de douane ont été réservées de commun accord entre les deux gouvernements. Mais aussi longtemps que l'industrie sera dans l'état de souffrance où elle est maintenant encore en France, il n'y a pas à espérer d'obtenir des réductions dans les tarifs des douanes de nos voisins du midi.
On ne peut donc adresser sous ce rapport le moindre reproche au gouvernement.
Je passe à l'examen des critiques que contient le rapport de la section centrale. Sur l'article 5 du traité, le rapport s'exprime ainsi :
« Cet article nous paraît une dérogation grave à la règle de prudence et au principe de réciprocité qui doivent guider le gouvernement dans les transactions diplomatiques. Transformer une faculté en obligation, etc., etc. »
Eh bien, messieurs, cette dérogation grave à la prudence et au principe de réciprocité a été commisse dans tous nos principaux traités : dans le traité du 1er septembre 1844 avec le Zollverein, dans celui du 10 novembre 1845 avec les Etats-Unis et dans celui du 15 avril 1846 avec les Deux-Siciles.
Le remboursement du péage de l'Escaut est stipulé dans ces traités et vous y chercherez en vain en regard une compensation. Quand ces dispositions ont été soumises à la chambre, elles n'ont pas donné lieu à la moindre observation.
Dans l'examen du traité avec les Etats-Unis, notamment, qui contient les mêmes clauses que celui qui vous est soumis, cette prétendue dérogation n'a soulevé, ni dans la section centrale, ni dans la chambre, la moindre objection. Ainsi, messieurs, les chambres sont triplement complices du gouvernement dans ce manque aux règles de la prudence et aux principes de réciprocité.
Il n'est pas exact non plus de dire que pour les autres Etals c'est une faveur révocable. Dans les traités conclus avec les Etats-Unis, le Zollverein et les Deux-Siciles, cette faveur n'est pas plus révocable qu'elle ne le sera avec la France.
Remarquez, du reste, que nous avions déjà demandé en vain en 1839 une compensation pour le remboursement du péage de l'Escaut; la loi du 5 juin 1839,qui stipule le remboursement, est postérieure à la convention du 22 septembre 1838. A cette époque, le gouvernement voulut obtenir une compensation. Le gouvernement français s'y refusa de la manière la plus formelle; il annonça même « qu'aussi longtemps qu'une seule puissance obtiendrait ce remboursement sans donner de compensation, il n'entendait rien accorder en échange et réclamerait le traitement de la nation la plus favorisée. »
Je vous le demande, messieurs, quand pendant dix ans la France a joui sans contestation de cet avantage ; que nous l'accordons en outre non seulement aux puissances avec lesquelles nous avons des traités, mais même à celles avec lesquelles nous n'avons pas de traités, n'étions-nous pas certainement dans une position bien moins favorable qu'en 1859 pour obtenir celle compensation spéciale et pouvions-nous avoir quelques chances de succès ? Cependant, nous l'avons réclamée, le principe n'a pas été abandonné; mais le gouvernement français s'y est nettement refusé et il a répondu que c'était dans l'ensemble des dispositions du traité que, dans tous les cas, on devait chercher la balance des concessions réciproques ; et qu'à ses yeux il y avait compensation suffisante. C'est en effet dans l'ensemble d'un traité qu'on doit voir l'équilibre des concessions réciproques.
Eh bien, dans celui qui vous est soumis, il y a des dispositions qui sont plus favorables à la Belgique qu'à la France. Ainsi l'article 13, qui étend à la navigation des fleuves et canaux les garanties stipulées au profit de la navigation maritime, est de toute évidence plus favorable à la Belgique qu'à la France. Personne de nous n'ignore l'importance de nos exportations par les voies navigables intérieures. C'est par cette voie que s'exportent, en France de grandes quantités de houille et de matières pondéreuses, tandis que la France ne nous importe que de faibles quantités par la navigation intérieure. Ainsi cette garantie essentielle, si avantageuse pour la sécurité de nos intérêts commerciaux, est à peu près de nul effet pour la France.
C'est une disposition tout à fait nouvelle et que nous avons tenu d'autant plus à introduire dans le traité qu'il y a quelques mois la chambre de commerce de Mons avait exprimé ses alarmes au sujet de l'établissement d'un droit différentiel sur les canaux pour l'exportation de nos houilles en France.
Je passe maintenant à une autre objection de la section centrale, celle qui concerne le cabotage. La section centrale s'exprime ainsi :« Nous ne vous cacherons pas la surprise que nous a causée ce langage du ministre français, dans lequel se manifeste la preuve que le ministère belge, en assurant le cabotage sur nos côtes aux navires français à titre de droit conventionnel, faisait inscrire dans le traité, comme compensation sérieuse, une faculté annulée d'avance et sans perspective aucune d'application. »
Je crois que la section centrale n'a nullement saisi la portée de l'article dont il s'agit. En effet, lorsqu'elle dit que nous assurons le cabotage sur nos côtes aux navires français, elle commet une erreur. Nous ne leur assurons que ce dont ils jouissent, puisque le cabotage est parfaitement libre sur nos côtes et que la Belgique ne l'a pas réservé au pavillon national. Nous n'assurons le cabotage à la Franco que dans le cas où la Belgique, après se l'être réservé, l'accorderait à une autre nation. La France aurait alors le droit de le réclamer, puisque le traitement de la nation la plus favorisée lui est assuré. Mais en présence du traité, nous sommes parfaitement libres de nous réserver le cabotage. Nous pouvons le faire demain par une loi et enlever le cabotage à toutes les puissances. Si nous l'accordons à une puissance par un traité, la France pourra le réclamer comme un droit, voilà tout. Et qui d'ailleurs attache de l'importance au cabotage côtier en Belgique? On sait qu'il y est complètement nul.
L'Espagne, en effet, en vertu du pacte de famille de 1761, jouit du cabotage sur le littoral de la France; mais si nous ne pouvons obtenir le traitement national pour le cabotage en France, rien n'empêcherait la France de nous accorder une faveur plus restreinte; l'Espagne ne pourrait nullement s'y opposer. De même si, par un traité, la France accordait à une autre puissance une faveur plus restreinte que celle résultant du traité de 1761, l'Espagne n'aurait aucun droit de réclamer.
Les observations de la section centrale ne sont donc nullement fondées. Du reste, nous n'avons pas présenté cet article comme un des plus importants. Il ne valait pas, en vérité, la peine que la section centrale s'y arrêtât aussi longtemps; c'est un des moins importants du traité. Mais, dans tous les cas, s'il ne présente pas dans l'avenir des avantages à la Belgique, il ne peut en aucune manière lui nuire.
Quant à l'article 12, je dois déclarer que l'interprétation que lui donne le rapport de la section centrale est, à certains égards, trop étendue; je n'en dirai pas davantage sur ce point, il me suffit d'avoir fait cette réserve.
Parlerai-je du titre qu'on a donné à cet arrangement commercial? L'honorable rapporteur de la section centrale trouve qu'on aurait dû l'appeler une convention de navigation. Nous avons donné à cet acte international la dénomination que les précédents et l'usage constant voulaient qu'on lui donnât. Nous n'avons pas voulu autre chose. On a toujours appelé en Belgique et ailleurs, « convention de navigation » l'acte international qui ne stipule que pour les droits de navigation.
C'est ainsi que nous avons conclu des conventions de navigation avec l'Autriche, avec le Hanovre, avec les Etats romains ; ces conventions de navigation ne sont pas soumises à l'approbation de la législature, mais les actes internationaux qui stipulent, non seulement pour les droits de navigation, mais encore au sujet de la cargaison des navires, ont toujours été appelés « traités de navigation et de commerce », non seulement en Belgique, mais dans tous les pays maritimes. C'est ainsi que nos traités avec le Brésil, avec les Etats-Unis, qui ne stipulent pas autre chose, ont reçu cette qualification; c'est ainsi que la France a donné la dénomination de traité à l'acte international de 1846, entre la France et la Russie ; c'est ainsi que tous les actes de cette nature ont reçu la dénomination de traités.
Je ne veux exagérer la portée de l'acte dont il s'agit; mais en vérité, on en amoindrit trop la valeur. Cet acte est de la même nature que le traité avec les Etats-Unis, et quand ce traité a été soumis à la législature, personne n'a prétendu qu'il n'eût pas une très grande importance.
En définitive, quelle est la situation actuelle? Chose tout à fait étrange, le pavillon de la France est seul dans une situation exceptionnelle en Belgique. Nous accordons l'assimilation pour les droits de navigation à tous les pavillons sans exception, sauf à un seul, celui de la France; nous avons fait avec différentes puissances des traités qui stipulent cette assimilation, et nous l'avons accordée même à des puissances avec lesquelles nous n'avons pas de traités.
Cette situation anormale, nous la trouvons dans les ports français où nous devons payer un droit de tonnage de 4 fr. 12 c. et des surtaxes de navigation fort élevées. Il en résulte que les ports de la France sont en quelque sorte fermés pour nos navires, et que la navigation entre les ports de Belgique et de France est faite soit par des navires français, soit, pour la plus grande partie, par des navires étrangers.
Il y a là un préjudice réel pour un grand nombre d'industries : les chambres de commerce l'ont si bien compris, qu'elles ont réclamé avec instance la conclusion de ce traité.
Du reste, messieurs, qu'accordons-nous tant en définitive par ce traité? L'honorable M. Rodenbach trouve que nous faisons des concessions extrêmement importantes. Nous faisons sans doute des concessions ; il y en a de réciproques ; il doit y en avoir dans tous les traités.
Mais énumérons les concessions que nous faisons. Il y en a trois.
La première, c'est l'assimilation pour les droits de navigation. Eh bien! je viens de vous le dire, cette assimilation, nous l'accordons à tous les pavillons, même à ceux des puissances avec lesquelles nous n'avons pas de traité. Ce n'est donc pas là une concession onéreuse.
Nous accordons, en second lieu, la garantie du remboursement sur l'Escaut. Cela ne change rien à la situation actuelle. Ce remboursement du péage sur l'Escaut, nous l'avons toujours accordé, nous l'accordons à toutes les puissances.
Vient la troisième concession ; c'est l'assimilation pour les droits qui pèsent sur la cargaison des navires. Eh bien ! là il y a une entière réciprocité ; et, comme les surtaxes sont plus élevées, ou du moins plus nombreuses du côté de la France, la réciprocité est certainement à noire avantage.
Le traité donc, messieurs, ne nuit à aucun intérêt. Il ne nuit en aucune manière à nos relations avec la France. Au contraire, il les consolide, il les affermit.
Il ne nuit pas non plus aux négociations futures. Il est entendu, au contraire, que ces négociations sont réservées.
(page 414) Il ne nuit certainement pas à nos exportations, puisque les exportations par terre resteront les mêmes et que nous avons la chance de voir les exportations par mer s'étendre. L'honorable rapporteur de la section centrale l'a lui-même reconnu pour doux produits importants, la houille et le zinc. Il en est d'autres encore. Du moment que le fret sera plus modéré, la navigation plus active, quand nos navires pourront se rendre dans les ports de France, nous trouverons des occasions d'exportation pour tout le littoral, pour le midi de la France.
Lèse-t-il les intérêts de notre marine ? Oh non, il lui ouvre un nouveau champ à exploiter.
Nous devons donc espérer que du traité résulteront des facilites nouvelles qui augmenteront nos exportations en France.
Ainsi, messieurs, nous ne voulons nullement exagérer la portée de ce traité, mais nous croyons que c'est un acte bon et utile, et nous avons la confiance que la chambre y donnera son approbation.
- La suite de la discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à dix heures trois quarts.