Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 13 mai 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1659) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi et demi.

- La séance est ouverte.

M. Troye donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Delsemme, ancien officier, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir la croix de Fer ou toute autre récompense nationale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs commerçants à Marche se prononcent contre le projet de loi relatif au timbre obligatoire sur les effets de commerce. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet.


« Les notaires de l'arrondissement d'Audenarde demandent qu'il soit interdit aux agents d'affaires de procéder à des ventes publiques d'immeubles, rentes et créances. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi sur les incompatibilités parlementaires

Rapport de la section centrale

M. Malou. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif aux incompatibilités parlementaires.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué.

Plusieurs voix. - Les conclusions ?

M. Malou. - Je vais donner lecture du projet de loi :

(L'honorable rapporteur donne lecture du projet.)

M. de Garcia. - Quand la distribution pourra-t-elle avoir lieu ?

M. le président. - Demain soir.

M. de Garcia. - Dans ce cas, je demande la mise à l'ordre du jour de mardi.

M. Malou. - Je demande qu'on ne statue sur l'ordre du jour qu'après la distribution du rapport.

M. de Garcia. - Il nous reste beaucoup de travaux législatifs a terminer. La loi d'emprunt nous impose aussi des devoirs à remplir. Le temps nous presse de toute part, et la plupart de nous seront dans la nécessité d'user du délai de grâce laissé par la loi d'emprunt. Toutes ces circonstances nous conduisent à avancer nos travaux. L'objection de l'honorable M. Malou, consistant à dire qu'il faut attendre la distribution du rapport pour fixer l'ordre du jour, ne me paraît avoir aucune portée ni aucun fondement.

M. le président. - Nous avons plusieurs projets à l'ordre du jour ; on pourrait mettre celui dont il s'agit à la suite, ou attendre l'impression et la distribution du rapport.

M. Lebeau. - Je crois qu'il ne faut rien préjuger quant à la fixation de l'ordre du jour. Je pense qu'il existe des raisons de convenance que la chambre doit apprécier pour que ce soit le dernier objet que nous discuterons. Je crois que les intéressés seuls peuvent bien apprécier la situation que la loi actuelle leur fera aussitôt qu'elle aura été sanctionnée. C'est une considération sur laquelle je ne veux pas insister, vu son caractère personnel ; je la livre à l'attention de la chambre.

M. Delfosse. - On peut attendre la distribution du rapport avant de fixer l'ordre du jour, mais c'est un projet dont il est urgent de s'occuper. Les élections auront bientôt lieu ; il est nécessaire que les électeurs sachent le plus tôt possible si leur choix pourra se porter sur certaines catégories de fonctionnaires ou si, comme je le suppose, tous les fonctionnaires seront exclus des chambres.

M. de Garcia. - Devant les observations qui viennent d'être faites et qui tendent à faire discuter le plus tôt possible la loi de la réforme parlementaire, je retire ma proposition, mais je m'oppose à ce que cette loi soit fixée la dernière à notre ordre du jour. Il importe que cet objet soit discuté le plus tôt possible. Les électeurs comme les fonctionnaires, membres de cette chambre, doivent savoir à quoi s'en tenir ; les fonctionnaires ont un parti à prendre avant les élections, et nul d'eux, j'espère, n'attendra le résultat de l'élection pour faire option entre leurs fonctions et le mandat de député. Toute conduite contraire donnerait gratuitement des embarras et des fatigues aux électeurs, qui pourraient avoir être convoqués successivement plusieurs fois.

Je retire donc ma proposition, mais j'insiste pour que la loi actuelle soit discutée le plus tôt possible.

M. Verhaegen. - J'appuie les observations qui viennent d'être présentées. Mais, il faut le dire, il est temps que nous terminions les travaux de la chambre, et dès à présent pour la dignité même de la représentation nationale.

J'aurai l'honneur de fixer l'attention de la chambre sur ce point. On doit faire en sorte de finir la semaine prochaine et avoir, s'il le faut, des séances du soir. Il est temps, il est plus que temps que nous finissions nos travaux.

M. Orban. - Il est évident qu'en demandant de retarder la discussion du projet de loi relatif à la reforme parlementaire, on a pour but de gagner du temps pour discuter un grand nombre de projets de loi. Je m'oppose à cette idée. La chambre dans la situation où elle se trouve, est pour ainsi dire dissoute ; elle ne doit point se livrer sans nécessité a des discussions importantes. Elle doit les réserver pour la prochaine législature.

Je reprends par conséquent la proposition de l'honorable M. de Garcia, tendant à fixer la discussion à mardi.

M. Rodenbach. - Il vaudrait beaucoup mieux ne discuter cette question que quand le rapport sera imprimé. Je crois aussi que la réforme parlementaire devra être votée en dernier lieu ; car on doit supposer qu'il y a beaucoup de membres qui s'absenteront. Il importe que l'assemblée soit nombreuse pour discuter une loi aussi importante. Il y a d'ailleurs deux lois importantes qui doivent être discutées. Je veux parler de la loi sur la réforme postale et de la loi sur le timbre des journaux, loi politique et urgente. Je demande que ces deux lois soient mises à l'ordre du jour avant la loi sur la réforme parlementaire.

- La chambre, consultée, décide qu'elle statuera sur la mise à l'ordre du jour après l'impression du rapport.

M. le président. - On a parlé de la fin prochaine de nos travaux. Si, comme beaucoup de membres m'en ont témoigné le désir, on veut finir la semaine prochaine, on devra se réunir en sections lundi. Je fais cette observation pour que ceux qui se rendent en province aujourd'hui soient de retour pour l'heure qui sera fixée pour la réunion en sections.

Ordre des travaux de la chambre

M. Le Hon. - Je ne sais jusqu'à quel point l'opinion publique et la chambre ratifieront l'arrêt de destitution morale dont un honorable membre vient de nous frapper tout à l'heure. Je pense que la chambre n'a qu'une manière de prouver au pays qu'elle existe dans tous ses droits et qu'elle comprend ce que réclame sa dignité : c'est de remplir tous ses devoirs jusqu'au bout, c'est-à-dire de pourvoir à tous les besoins urgents de la situation et du service public. C'est dans ce but, avec cette conviction, que je viens recommander à la section centrale de vouloir bien hâter son rapport sur le projet de loi relatif à la prorogation du délai fixé pour l’achèvement du chemin de fer de Jurbise à Tournay. Ce projet de loi a pour objet de mettre à la disposition de la compagnie concessionnaire une somme de 2 millions de francs qui constitue le cautionnement déposé...

M. de Brouckere. - Le rapport est prêt.

M. Le Hon. - Je suis enchanté d'être compris avant d'avoir achevé.

Puisque le rapport est prêt, je vais, pour compléter ma motion, supposer qu'il est déjà sur le bureau. Je dirai alors que la discussion du projet de loi est des plus urgentes, parce que son but est de faire terminer dans quatre mois un chemin de fer important, et de donner immédiatement de l'ouvrage à 2,000 ouvriers dans l'arrondissement de Tournay. Je demande donc que ce rapport soit mis à l'ordre du jour, et que la chambre se prononce avant la fin de la session.

M. Delfosse. - La section centrale chargée de l'examen du projet dont l'honorable membre vient de parler s'est réunie aujourd'hui pour la dernière fois ; elle a terminé son travail. Le rapport sera présenté lundi prochain par l'honorable M. Broquet, et je crois que la chambre n'hésitera pas à le mettre à l'ordre du jour après les objets qui y figurent déjà.

C'est une question urgente qui ne peut être ajournée.

M. Broquet-Goblet. - J'avais demandé la parole pour présenter la même observation que l'honorable président de la section centrale. Je suis nommé rapporteur ; je ferai en sorte de présenter le rapport à l'ouverture de la séance de lundi.

M. Delehaye. - Et sur les pétitions qui sont contraires au projet ?

M. Broquet-Goblet. - Egalement.

Projet de loi accordant un crédits supplémentaire au budget du ministère des finances, pour le service de la dette

Discussion et vote des articles

M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Oui, M. le président.

- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la délibération des articles.

Article premier

« Art. 1er. Il est ouvert au département des finances un crédit supplémentaire de deux millions cinq cent onze mille trois cent trente et un francs trente-deux centimes (fr. 2,511,331 32 c), aux budgets des exercices 1846, 1847 et 1848, pour faire face au service de la dette publique et aux dépenses de ce département. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Ce crédit sera réparti de la manière suivante :

(page 1660) « Budget de la dette publique

« § 1er. Intérêts et frais des bons du trésor. 1847 : fr. 932,369 01 c.

« Budget du ministère des finances

« § 2. Service du caissier général de l'Etat : 1847 : fr. 1,029,002 65 c.

« § 3. Frais de refonte des anciennes monnaies provinciales et du pays : 1847 : 285,254 61 c.

« § 4. Traitements des fonctionnaires et employés du service sédentaire) (administration des contributions directes, cadastre, douanes et] accises) : 1847 : fr. 16,768 66 c.

« § 5. Remises et indemnités des comptables (administration des contributions directes, etc.) : 1847 : fr. 2,458 71 c.

« § 6. Prix de sucres saisis et brûlés à l'entrepôt Saint-Michel à Anvers, lors du bombardement de cette ville (administration des contributions, etc.) : 1847 : fr. 26,213 60 c.

« § 7. Traitements des employés du timbre (administration de l'enregistrement et des domaines) : 1846 : fr. 212 ; 1847 : fr. 483 01 c.

« § 8. Traitements des employés du domaine (administration de l'enregistrement et des domaines) : 1847 : fr. 629 58 c.

« § 9. Remises des greffiers, en vertu de la loi du 21 ventôse an VII (administration de l'enregistrement et des domaines) : 1846 : fr. 10,140 78 c. ; 1847 : fr. 9,681 98 c.

« § 10. Matériel. Frais d'emballage, de transport de ballots, colis, paquets, etc. Restauration de matériel (administration de l'enregistrement et des domaines : 1846 : fr. 668 18 c. ; 1847 : 33,345 96 c.

« § 11. Frais de poursuites et d'instances (administration de l'enregistrement et dis domaines) : 1847 : fr. 33,345 96 c.

« § 12. Dépenses du domaine : 1846 : fr. 1,903 59 ; 1847 : 19,941 28 c.

« § 13. Restitution de prix de vente de domaines, résultant de condamnations judiciaires (administration de l'enregistrement et des domaines) : 1847 : fr. 12,000

« § 14. Remboursement de capitaux et payement d'arrérages de rentes, par suite de condamnations en faveur du sieur Blondel et la ville d'Ath : 1847 : fr. 17,000

« § 15. Part contributive de l'Etat dans les frais de premier établissement d'un affinage : 1847 : fr. 20,000

« § 16. Dépenses nécessaires pour renouveler en partie et pour compléter le matériel de l'hôtel des Monnaies : 1848 : fr. 91,300

« Total : 1846 : fr. 12,924 55 c. ; 1847 : fr. 2,407,106 77 c. ; 1848 : fr. 91,300.

« Total général : fr. 2,511,331 32 c. »

(page 1161) M. David. - Messieurs, au paragraphe 12, « dépenses du domaine », figure une somme de 19,941 francs 28 centimes. Dans cette somme sont compris 10,463 francs, qui ont été dépensés en 1845 pour travaux d'amélioration dans la forêt de Hertogenwald. J'ai demandé la parole à propos de ce paragraphe pour engager M. le ministre des finances à faire employer de préférence des ouvriers des communes de Membach, Goe et Jalhay, lorsqu'il s'agit de faire travailler dans la forêt citée plus haut et qui est située sur le territoire de ces trois communes. Les habitants de ces localités sont très pauvres, mais d'excellents ouvriers, et méritent la préférence que je réclame pour eux. Malheureusement, ils ont souvent été oubliés jusqu'à présent quand il s'est agi de travaux à exécuter dans le Hertogenwald.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je prends note de l'observation de l'honorable membre.

M. Duroy de Blicquy. - Messieurs, la pétition de la ville d'Ath que vous avez renvoyée à la section centrale porte sur deux points : elle demande d'abord que le gouvernement lui restitue les frais de justice auxquels elle a été condamnée dans plusieurs affaires de même nature que celle Blondel, pour laquelle des fonds sont demandés par le présent projet de loi, paragraphe l4.

Comme dans cette affaire le gouvernement a acquitté les frais de justice, la section centrale n'a pas cru pouvoir se prononcer sur cette partie de la pétition, et je dois espérer qu'ils seront restitués dans toutes les autres affaires.

Mais en renvoyant la pétition à M. le ministre des finances, avec demande d'explication, votre section centrale, à la fin de son rapport, a cru devoir se prononcer contre la seconde partie de la pétition, c'est-à-dire la restitution des frais d'avocat. Dès lors j'ai cru devoir faire remarquer que la section centrale n'a envisagé cette question que sous le rapport du strict droit ; qu'il sera donc permis d'appuyer la question d'équité et auprès du gouvernement et auprès de la chambre lorsque de nouveaux fonds vous seront demandés.

- L'article 2 est adopté.

Vote sur l'ensemble du projet

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 64 membres qui ont pris part au vote.

Il sera transmis au sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, T’Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Vandensteen, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Bricourt, Bruneau, Cans, d'Anethan, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Brouckere, de Chimay, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, Dubus (Albéric), Dumont, Duroy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Gilson, Huveners, Jonet, Lange, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Moreau, Orban et Liedts.

Projet de loi autorisant l'aliénation de biens domaniaux

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte. La parole est à M. Verhaegen.

M. Verhaegen. - Messieurs, lors de la discussion du budget des finances, j'ai eu l'honneur de fixer l'attention du gouvernement sur certain usage qui a existé de temps immémorial au profit des communes limitrophes de la forêt de Soignes et consistant dans la faculté, moyennant une indemnité fixée par tête de famille, de couper les herbages dans les parties défensables de la forêt, d'y faire paître les bestiaux et d'y enlever les feuilles sèches.

J'ai fait remarquer que cet usage, qu'ont respecté tous les gouvernements qui se sont succédé, était la seule ressource des petits cultivateurs et journaliers, aujourd'hui réduits à la plus affreuse misère par la plus odieuse par des voies de fait.

J'ai démontré que l'intérêt de la foresterie, loin de s'opposer à l'exercice d'un droit que les lois, les convenances et l’équité appuient appuient tour à tour, est de nature à procurer au trésor une ressource de 40 à 50 mille francs par an, ce qui n'est pas à dédaigner.

Sur mes instances réitérées, M. le ministre des finances avait promis de prendre des renseignements et même d'ouvrir une enquête.

Je viens aujourd'hui le prier de me dire où en est cette affaire et l'engager de nouveau à ne pas perdre de vue une réclamation qui a pour objet de donner du pain à un grand nombre de familles nécessiteuses dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons, tout en procurant une ressource nouvelle au trésor.

M. de Garcia. - Si la mesure proposée par l'honorable M. Verhaegen était générale, elle pourrait produire peut-être le résultat qu'il annonce. Qu'il me soit pourtant permis d'en douter. Je dois supposer, quoiqu'il n'ait parlé que de la forêt de Soignes, que l’honorable M. Verhaegen entend que la mesure qu'il provoque s'étende sur toutes les forêts de l'Etat dans quelques provinces qu'elles soient situées. Sans cela, elle serait d'une injustice manifeste. Maintenant un mot sur le fond de cette mesure.

L'honorable M. Verhaegen a demandé si le gouvernement avait fait l'enquête qu'il a provoquée sur cette matière dans une autre occasion. Sans doute par le mot d'enquête, l'honorable membre entend parler d'une information faite auprès des agents forestiers, vrais juges compétents sur la matière. Eh bien ! s'il en est ainsi, j'ai la conviction qu'aucun employé de l'administration des forêts ne partage l'opinion de l'honorable M. Verhaegen ; j'ai la conviction que pas un n'a déclaré qu'il considérait les feuilles et les herbages comme des ordures nuisibles au repeuplement et à la croissance du bois.

Pour moi, je n'ai pas besoin d'informations sur un point pour une matière aussi connue. Incontestablement ces débris de végétaux sont utiles à la végétation des forêts.

Pourtant si, dans des cas prévus, l'on peut, sans nuire trop à la croissance des bois, accorder quelque octroi, moyennant rétribution .je ne m'oppose pas à un nouvel examen de la proposition de M. Verhaegen. Toutefois je ne veux pas qu'on aille au-delà, et j'engage le gouvernement à n'arrêter aucune résolution à cet égard, sans avoir pris l'avis des agents forestiers qui sont plus que personne à même de connaître ce qui peut être utile ou nuisible à la bonne conservation de nos forêts.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Ce que vient de dire l'honorable M. de Garcia s'est, en effet, réalisé ; les fonctionnaires de l'administration des forêts ont émis l'avis que ce que demande l'honorable M. Verhaegen offre des inconvénients. Je n'avais pas perdu cette affaire de vue ; j'ai, au contraire, fait prendre des renseignements auprès des agents de l'administration ; il n'y a pas eu d'enquête proprement dite.

Je n'ai pas pris de résolution, à cause des objections qui m'ont été faites, et qui méritent un examen approfondi. Mon intention était de traiter l'affaire à l'occasion du prochain budget des finances, dans une note spéciale.

Les nouvelles observations de l’honorable M. Verhaegen contribueront sans doute, à appeler encore plus l'attention de l'administration sur cette question. Si elle ne peut recevoir la solution qu'il croit qu'on devrait lui donner, on en dira les motifs.

(page 1671) M. de Garcia. - Si j'ai bien compris l'honorable M. Orban, ses observations ont plutôt pour objet de faire le procès à une loi votée, que de critiquer le projet de loi actuel qui en est un corollaire nécessaire.

Dans les sessions précédentes, il a été décrété par la législature qu'il serait vendu, pendant une période de dix ans, des forêts nationales, jusqu'à concurrence de dix millions de francs.

Or, il est incontestable que les observations qui tendraient à détruire ce principe sont inopportunes.

Si les observations de l'honorable M. Orban tendent à critiquer le choix fait par le gouvernement des forêts qu'il se propose d'aliéner, elles ne me paraissent pas davantage justifiées ni fondées. En effet, la grande partie des forêts appartenant encore à l'Etat, sont situées dans la province de Luxembourg. Dans la province de Namur, dont la moitié du territoire, à raison de la nature du sol, se trouve dans une position tout à fait analogue, presque toutes les forêts de l'Etat ont été aliénées sous le régime de l'ancien gouvernement. Il en a été de même dans les autres provinces. Le Luxembourg seul a formé une espèce d'exception à la règle générale.

Or, je le demande, lorsqu'il s'agît de l'exécution d'une loi qui décrète de nouvelles aliénations, faut-il perpétuer une exception qui ne repose sur aucun motif plausible ? Faut-il, parce que d'autres provinces ont été beaucoup plus déboisées, faut-il, dis-je, continuer à porter exclusivement la hache sur les forêts de ces localités? Bien ne justifie cette manière de voir.

Je pense donc que le gouvernement, en asseyant son choix sur l'aliénation de certaines forêts situées dans la province de Luxembourg, n'a fait qu'un acte de bonne et de juste administration. Avec l'honorable M. Orban, je conviendrai que ces aliénations entraînent le plus souvent le défrichement et le déboisement ; mais l'objection est commune à toutes les localités. Je dois aussi convenir avec lui que l'intérêt individuel fait en cette matière des calculs autres que le gouvernement. Mais est-ce à dire que ces calculs soient plus mauvais que ceux de l'Etat même, au point de vue de l'intérêt général ? Quant à moi, j'ai toujours pensé et j'ai soutenu le contraire dans cette assemblée.

Je persiste dans cette manière de voir, surtout dans les circonstances où se trouve le pays. Une population sans cesse croissante, et exubérante dans beaucoup de localités, se fait sentir.

Des milliers d'ouvriers réclament du travail et du pain. Ce double but peut être atteint par la vente de nos forêts et l'abandon à l'intérêt particulier de propriétés qui restent presque sans valeur et sans produit dans les mains de l'Etat.

Je pense donc que les observations de l'honorable M. Orban ne doivent être prises en considération, ni au point de vue général de la loi qui décrète les aliénations, ni au point de vue de la proposition qui nous est soumise pour son application.

(page 1672) Sous aucun rapport ses observations ne me paraissent fondées. Il n'en ressort nullement que le gouvernement ait fait un mauvais choix des forêts à aliéner. En effet, ce n'est sans doute pas parce que ces forêts sont situées dans le Luxembourg qu'elles doivent échapper à une aliénation décrétée. Ce ne peut être davantage, parce que presque aucune aliénation de cette nature n'a eu lieu jusqu'à ce jour dans cette province; cette dernière considération conduit à une conclusion tout opposée. Au surplus, qu'il me soit permis de profiter de cette occasion pour faire connaître les causes qui ont amené cet étal de choses.

Comme dans toutes les autres provinces, des ventes de biens domaniaux ont été tentées dans celle de Luxembourg; mais par des motifs qu'il ne me convient pas de sonder, l'administration forestière de cette province a donné aux biens de l'Etat dans cette province des évaluations tellement exagérées que, rarement, il est arrivé qu'elles puissent être atteintes par les offres des amateurs.

(page 1667) M. Orban. - Je ne m'attendais pas à ce que la discussion de ce projet de loi aurait lieu si tôt, n'ayant pas été convoqué en section pour son examen. Pris à l'improviste, je me bornerai à rappeler à la chambre quelques-unes des considérations que je lui ai soumises dans une occasion précédente sur les conséquences de l'aliénation des forêts dans le Luxembourg et à les approprier au projet de loi en discussion, qui a pour objet d'aliéner deux forêts considérables dans cette province.

(page 1668) Le reboisement du sol est la solution qui a été donnée par tout le monde à la posée dans ces derniers temps sur le meilleur parti à tirer des bruyères et des terres vagues du Luxembourg. Soit qu’on l’envisage comme produit direct, soit qu’on le considère comme moyen d’améliorer le sol et de procurer des abris à la culture, le reboisement a été considéré par tous ceux qui se sont occupés de cette matière, comme la mesure la plus pratique, la plus immédiatement et la plus généralement réalisable. Cela ressort et des avis donnés par tous les hommes compétents et des travaux publics par la députation et le conseil provincial du Luxembourg, et de la longue discussion qui a eu lieu dans cette enceinte sur la loi relative au défrichement.

Le gouvernement prit à cette occasion l’engagement de faire les mêmes sacrifices pour le reboisement dans le Luxembourg, qu’il était disposé à faire pour les irrigations dans le Limbourg, ces deux procédés devant amener dans les deux provinces et par des causes différentes des résultats analogues. Telle est même la conviction qui paraît animer gouvernement à cet égard, que des mesures ont été prises par lui récemment pour arriver à ce résultat. J’ai appris en effet par le Moniteur, il y a peu de jours, qu’une commission avait été nommée par M. le ministre de l’intérieur pour aviser aux meilleurs moyens à prendre pour amener le reboisement des terrains vagues possédés par les communes.

Dès lors, j’ai pensé à me rendre compte du projet de loi présenté dans le but d’aliéner dans le Luxembourg deux forêts d’une grande étendue ; car ce projet est en contradiction formelle avec le but qu’il paraît se proposer d’autre part. Il est connu, en effet, que l’aliénation de nos forêts, opérée aujourd’hui, équivaut à leur destruction. Les seuls amateurs qui se présentent, tant pour l’achat des forêts que pour celui des coupes sont les maîtres de forges de la frontière française. Comme ils n’achètent que dans un but de spéculation et pour alimenter leur industrie, ils doivent réaliser dans le plus bref délai possible et raser à blanc et ce pour rentrer immédiatement dans leurs fonds. Tel est, en effet, le sort qu’ont éprouvé la plupart des bois vendus à des maîtres de forges français depuis plusieurs années. J’ai signalé à la chambre des faits de cette nature à jamais regrettables. Je lui ai fait connaître qu’une forêt de plus de deux mille hectares, le bois Saint-Jean qui abritait naguère le plateau le plus élevé des Ardennes, ayant été vendu à des spéculateurs français, avait en moins de trois ans presque complétement disparu, de manière à laisser sans abri la portion du sol luxembourgeois qui en avait le plus besoin et à rendre impossible pour longtemps toute espèce d’amélioration agricole.

Je prie M. le ministre de l’intérieur de vouloir bien me prêter un peu d’attention. Cet objet le concerne aussi bien que son collègue des finances. Il s’agit, en effet, d’empêcher que l’on ne détruise dans le département de son collègue, ce qu’on organise dans le sien et à mettre un peu d’harmonie dans les actes de l’administration.

J’ajouterai, messieurs, une seule considération : c’est que vendre des propriétés boisières dans ce moment, c’est réellement jeter par la fenêtre la fortune de l’Etat. Qui donc peut se rendre acquéreur? Je vous l’ai dit déjà ce sont les maîtres de forges, et les maîtres de forges français seuls. Chacun sait dans quelle situation se trouve l’industrie française en général et l’industrie métallurgique en particulier. Selon que l’industrie métallurgique languit ou prospère, le prix de la corde de bois varie de quatre à douze francs; la valeur des fonds subit des fluctuations à peu près analogues. Comme jamais, depuis un demi-siècle, les circonstances n’ont été moins favorables, si vous trouvez aujourd’hui des amateurs, ce sera à des prix inférieurs des deux tiers et plus de la valeur réelle.

Je n’ai point d’espoir de faire rejeter ce projet dans un moment où il s’agit de réaliser à tout prix ; mais je supplie le gouvernement d’aviser mûrement avant de donner suite à ce projet, et de n’en faire usage ou de n’approuver les aliénations qui pourraient être faites, que si elles n’ont point lieu à des prix trop inférieurs à la valeur, et dans des conditions telles que le déboisement en soit la conséquence nécessaire et obligée.

(page 1661) M. Verhaegen. - Je remercie M. le ministre des finances de la promesse qu'il vient de faire de soumettre ma réclamation à un sérieux examen ; je remercie l'honorable M. de Garcia de s'être joint à moi pour réclamer en faveur des populations malheureuses, sur lesquelles j'ai appelé la sollicitude du gouvernement. Je ne prends la parole que pour répondre à une objection qu'on a faite à ce que j'ai dit relativement aux herbages qui pourrissent. Il est vrai que si les herbages fournissent du fumier favorable à la végétation, il s'y réunit quantité de petits animaux. Ce qui mérite encore de fixer l'attention, c'est que les lièvres s'établissent dans ces herbages et mangent les écorces des jeunes plants, ce qui n'est pas favorable s la foresterie. C'est à ce point de vue que je recommande mes observations au gouvernement.

M. Osy. - Chaque fois qu'il a été question de vendre des domaines dans le Luxembourg, il y a eu opposition. Aujourd'hui cette opposition, dont l'honorable M. Orban se fait l'organe, a lieu de m'étonner, lorsqu'on vous proposé la vente de 500 hectares seulement de forêt sur 17,000 que contient cette province ; ce qui prouve bien qu'on ne veut pas y détruire les forêts.

L'honorable M. Orban a exprimé la crainte que les forêts ne fussent vendues à vil prix. La commission, dans son rapport, s'exprime en ces termes à ce sujet :

« La commission permanente des finances, convaincue que le gouvernement ne consentira aux aliénations projetées qu'à leur juste valeur, et sans trop céder aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, a été unanimement d'avis d'adopter le projet de loi. »

Les craintes de l'honorable M. Orban sont donc dénuées de fondement.

- M. Delfosse remplace M. Liedts au fauteuil.

M. Orban. - Je dois quelques mots de réponse à mes honorables contradicteurs. L'honorable M. de Garcia a fait observer qu'il existe une loi prescrivant la vente de forêts jusqu'à concurrence de dix millions, et que, dès lors, mes observations sont sans objet ou devraient avoir pour résultat le retrait de la loi précitée et qui n'est pas en discussion.

Je pense qu’il reconnaîtra volontiers que c'est lui qui est dans l’erreur. La loi dont il s'agit ordonne la vente de forêts jusqu'à concurrence de dix millions ; mais elle ne détermine pas l'époque de la vente ; elle ne dit pas que chaque année des aliénations devront avoir lieu. Elle se borne à dire que cette vente doit avoir lieu dans les 10 ans.

Le gouvernement reste parfaitement libre de choisir le moment le plus opportun pour l'opérer. Si j'ai démontré que dans les circonstances actuelles la vente serait désastreuse, je crois que sous ce rapport mes observations étaient parfaitement opportunes

D'un autre côté, cette loi ordonne qu'il sera aliène pour dix millions de forêts ; mais elle ne détermine pas dans quelles localités, dans quelles provinces seront choisies les forêts que le gouvernement aliénera, et comme il en existe pour une somme de beaucoup supérieure, il en résulte qu'on peut exécuter la loi sans mettre en vente une seule forêt dans la province de Luxembourg. Mes observations étaient donc encore parfaitement opportunes en tant qu'elles établissaient que la vente des forêts dans le Luxembourg devait avoir des résultats funestes au pays.

(page 1662) L'honorable M. de Garcia a dit que le défrichement des forêts peut être une mesure fort utile et fort avantageuse. Je suis parfaitement de son avis. Je reconnais que de bonnes terres valent encore mieux que les plus belles forêts. C'est précisément pourquoi j'engage le gouvernement à les aliéner de préférence dans les provinces, dans les parties du pays où elles peuvent être utilement défrichées et livrées à la culture. Mais il voudra bien reconnaître que ce n'est point le cas dans la province de Luxembourg. Il est parfaitement inutile de détruire des forêts pour créer de nouvelles terres, là où plus du tiers du sol n'est ni boisé ni cultivé. Le fait est que tandis que partout ailleurs les forêts ne disparaissent que pour faire place à des cultures avantageuses, chez nous les forêts sont purement et simplement détruites sans aucune compensation. Le sol n'est déboisé que pour ajouter de nouvelles terres incultes à celles qui existent déjà en trop grand nombre. Je dirai donc à cet égard et m'emparant de l'opinion de l'honorable M. de Garcia : Vendez là où les forêts peuvent être utilement converties en cultures. Mais conservez là où la vente doit amener le déboisement, et le déboisement la stérilité.

Je dirai maintenant un mot en réponse à l'honorable M. Osy. Selon lui, c'est dans la province de Luxembourg qu'il faut vendre de préférence, car c'est là que l'Etat possède le plus de forêts. L'Etat possède dans cette province 17,000 hectares et l'on propose aujourd'hui d'en aliéner 500. Mais que prouve cet argument, s'il est démontré que ces forêts ne sont point encore suffisantes pour abriter le sol, si le gouvernement le reconnaît lui-même, s'il cherche à en créer de nouvelles ? Il faudrait être bien peu conséquent pour créer à grands frais quelques centaines d'hectares de bois qui ne produiront leurs effets utiles qu'après de longues années, et d\exposer à la destruction une partie des forêts existantes.

Je terminerai en renouvelant ma recommandation à MM. les ministres, à M. le ministre de l'intérieur, qui s'occupe de reboiser le Luxembourg, aussi bien qu'à son collègue des finances, de vouloir bien ne donner suite au projet qui va être voté par la chambre qu'en connaissance de cause et après mûre réflexion.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable préopinant quant à la conclusion des observations qu'il vient de présenter. L'intention du gouvernement est de ne vendre ces biens domaniaux qu'à des prix convenables, en rapport avec l'expertise. C'est pour autant que ces prix pourront être obtenus que la vente aura lieu.

Quant au principe de la vente, le gouvernement ne pouvait se dispenser d'en demander l'autorisation. Une loi a été votée en 1843 ; pour en assurer l'exécution, d'année en année, en 1845, en 1846 et en 1847, on a demandé à aliéner pour environ un million. Le gouvernement était tenu d'en faire autant en 1848, puisqu'au budget des voies et moyens de cet exercice figure une somme de 800,000 fr. à provenir de la vente des domaines. Ces 800,000 francs, il faut se mettre en mesure d'en assurer la rentrée au trésor.

Tant que la loi de 1843 devra recevoir un complément d'exécution, il sera bien difficile de ne pas comprendre dans les ventes une partie plus ou moins forte des forêts situées dans le Luxembourg. L'honorable M. Orban sait fort bien que cette province contient plus de la moitié des forêts de l'Etat, quant à la contenance, et presque la moitié, quant à l'estimation de leur valeur. Comment faire dès lors pour ne pas comprendre ces forêts dans les ventes successives, que la législature a décrétées ?

Je le répète, le gouvernement ne consentira à la vente que pour autant qu'elle ait lieu à des prix reconnus satisfaisants et sous ce rapport, il sera fait droit au désir de l'honorable membre ; mais le principe même de la vente ne peut plus être contesté.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles et vote sur l’ensemble du projet

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à aliéner, par voie d'adjudication publique, les biens domaniaux suivants :

« 1° Le bois de Bologne, situé sous Habay-la-Neuve, province de Luxembourg, contenant 354 hectares, d'une valeur approximative de 322,500 fr.

« 2° Le bois dit Conques, situé à Sainte-Cécile (Luxembourg), contenant 210 hectares, d'une valeur de 224,000 fr.

« 3° et le bois de Neuville, sous la commune du même nom (province de Namur), contenant 291 hectares, d'une valeur vénale approximative de 550,000 fr.

« Total : 1,096,500 fr. »

- Adopté.


« Art. 2. Le produit de la vente de ces biens sera affecté à l'amortissement de la dette publique. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de la loi.

61 membres répondent à l'appel nominal.

59 votent pour la loi.

2 votent contre.

En conséquence, la loi est adoptée ; elle sera transmise au sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Osy, Pirson, Rodenbach, Rogier, Rousselle, Sigart, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Anspach, Bricourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, d'Anethan, Dautrebande, David, de Bonne, de Brouckere, de Chimay, Dedecker, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delfosse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Tornaco, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dubus (Albéric), Duroy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Frère-Orban, Gilson, Jonet. Lange, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Mercier et Moreau.

Ont voté le rejet : MM. Orban et Zoude.

Projet de loi qui transfère à Fexhe-lez-Slins le chef-lieu de la justice de paix du canton de Glons

Vote sur l’article unique

M. le président. - L'article unique du projet est conçu comme suit :

« Le chef-lieu de la justice de paix est transféré de la commune de Glons dans la commune de Fexhe lez-Slins. »

- Il est procédé au vote par appel nominal sur cet article, qui est adopté à l'unanimité des 62 membres présents.

Ce sont : MM. Osy, Pirson, Rodenbach, Rousselle, Sigart, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Vandensteen, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Anspach, Encourt, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, d'Anethan, Dautrebande, David, de Bonne, de Chimay, Dedecker, de Garcia de la Vega, de La Coste, Delfosse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, Dubus (A.), Duroy de Blicquy, Eenens, Eloy de Burdinne, Faignart, Frère-Orban, Gilson, Jonet, Lange, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, .Malou, Mercier, Moreau et Orban.

Projet de loi prorogeant le délai fixé par l'article de la loi du 16 mai 1847, relative au régime de surveillance des fabriques de sucre de betterave

Discussion générale

M. le président. - L'article unique du projet est ainsi conçu :

« Par modification au pénultième paragraphe de l'article premier de la loi du 16 mai 1847 (Moniteur, n°140), le gouvernement soumettra aux chambres législatives, dans leur session ordinaire de 1848-1849, les mesures qu'il aura arrêtées pour assurer l'efficacité des prises en charge au compte des fabricants de sucre de betterave ou de glucoses, ainsi que pour la vérification et la justification des sucres et sirops de canne et de betterave présentés à l'exportation avec décharge de l'accise ».

« Les autres dispositions de l'article précité sont maintenues. »

La section centrale propose l'adoption.

M. Gilson. - J'ai désiré prendre la parole à l'ouverture de ce débat, car je tiens à m'affranchir tout de suite de l'espèce d'embarras que j'éprouve toujours alors que se représente la question des sucres ; je veux que la chambre tout entière sache que j'ai un intérêt particulier dans un établissement de sucrerie indigène. Plusieurs fois je me suis demandé si cette position spéciale devait m'imposer silence.

Je ne l'ai pas pensé, messieurs. Je dois à la chambre la communication de toutes les connaissances spéciales que m'a données une expérience de bientôt un quart de siècle. Mes collègues de leur côté me sauront gré de les renseigner quelquefois sur l'exactitude de faits souvent contradictoires et avancés pourtant avec une égale bonne foi dans les débats confus provoqués par la question ardue qui nous occupe. Dans l'enceinte où j'ai l'honneur de parler, il ne peut sortir de ma bouche que la vérité.

Du reste rassurez-vous, messieurs. Je ne veux pas traiter aujourd'hui cette vaste question des sucres : la chambre serait peu disposée à m'écouter ; elle paraît même avoir décidé indirectement qu'elle ne s'en occuperait pas dans le cours de cette session.

Je pourrais me plaindre à juste titre des lenteurs apportées à l'examen d'une question aussi importante ; je pourrais dire peut-être, sans être taxé d'exagération, que l'industrie si importante de la betterave est victime d'un déni de justice.

Jamais proposition n'avait été aussi bien accueillie que celle de l'honorable M. Mercier ; les sections ont été unanimes pour l'approuver ; pas un seul membre de la section centrale ne fut nommé en opposition à la proposition de notre honorable collègue. Le rapport est déposé depuis plusieurs semaines ; tous nous sommes en mesure pour l'aborder, et par une exception extraordinaire, cette loi des sucres n'a pas pu avoir l'honneur de figurer d'une manière sérieuse à notre ordre du jour.

La betterave n'a pas obtenu justice, j'ai droit de m'en plaindre, je le dis tout haut.

Par la loi du 16 mai 1847, il avait été stipulé qu'on ferait approuver dans la session de 1847-1848 loues les mesures qui se rapportaient à l'exercice dans les sucreries de betterave. Cet exercice s'est donc fait en 1847-1818 en vertu de l'autorisation donnée au gouvernement. Les mesures les plus sévères ont été prescrites ; 5 employés, constamment à domicile, ont exercé nuit et jour dans toutes les usines.

Ces règlements d'une sévérité excessive avaient donc fonctionné pendant l'année 1847. Certes la législature avait entendu que ces dispositions seraient soumises à sa ratification dans la session actuelle ; mais ce n'est pas là ce que nous voyons : la loi qui est proposée aujourd'hui vient demander en termes vagues d'autoriser une seconde fois le gouvernement à prendre telles mesures qu'il jugera convenable. La fabrication de la betterave s'est effrayée à bon droit de cette espèce de réticence qui se trouvait dans le projet de loi. La section centrale a cru devoir demander à M. le ministre des finances si au moins il allait s'arrêter dans les mesures excessivement rigoureuses auxquelles on a eu recours jusqu'ici.

(page 1665) Ce haut fonctionnaire s'empressa de répondre, « que l'intention du gouvernement n'est pas d'aggraver les formalités qui tendent à assurer l'efficacité des prises en charge au compte des fabricants de sucre de betterave. Toutefois, il se propose de proscrire quelques mesures que l'on peut envisager comme très secondaires, et qui auront entre autres pour effet de prévenir les tentatives de fraude que l'on a pratiquées dans certaines fabriques pendant la dernière campagne. Quant à la vérification des sucres et sirops de canne et de betterave présentés à l'exportation avec décharge de l'accise, les moyens d'exécution ne sont pas encore arrêtés. Quels qu'ils soient d'ailleurs, il ne pense pas qu'ils puissent soulever, de la part des intéressés, une objection fondée.»

Eh bien, il n'est pas vrai que des fraudes aient été commises ; cela est si inexact que M. le ministre des finances lui-même, répondant, dans une occasion récente, à l'honorable M. Loos qui prétendait que des fraudes avaient pu se commettre dans la fabrication du sucre de betterave, disait à la chambre :

« Je pense, messieurs, que dans la discussion actuelle nous devrions écarter ce qui concerne la surveillance exercée dans les fabriques de sucre indigène. L'arrêté du 10 juillet 1847, dans l'opinion du département des finances, assure cette surveillance d'une manière efficace, et je dirai plus efficace que l'arrêté du 13 août 1846. L'administration, à ce sujet, a une conviction profonde, et lorsque nous arriverons à présenter à la législature le projet qui doit être la conséquence de l'obligation imposée par la loi du 16 mai 1847, elle prendra à cœur de le prouver à la chambre.

« En attendant, qu'il me soit permis, afin de ne point laisser sans réponse cette partie du discours de mon honorable ami, de donner quelques explications sur cette surveillance.

« D'après l'arrêté du 13 août 1846, la matière imposable était reconnue à trois phases de la fabrication : à la défécation, en raison du volume et de la densité du jus ; à l'empli, d'après le volume des sirops ; au lochage, dans la proportion des quantités produites.

« L'administration a écarté, pour la campagne de 1847-1848, le contrôle à l'empli et celui des quantités, parce qu'elle a acquis la conviction que les charges à la défécation pouvaient offrir toutes les garanties désirables, moyennant les mesures de précaution prescrites par l'arrêté du 10 juillet 1847.

« Cinq employés sont chargés de surveiller chaque fabrique. Deux d'entre eux y sont continuellement en permanence, et un troisième, le chef de service, s'y trouve aussi hors le temps qu'il doit consacrer au repos. Leurs opérations sont contrôlées, tant par un commis-chef et la section ambulante, que par le contrôleur et l'inspecteur en chef.

« L'expérience l'a déjà démontré, il n'est guère possible de soustraire une partie quelconque de jus à la prise en charge. L'impôt sera donc perçu intégralement et présentera des résultats supérieurs à ceux que l'on aurait obtenus par le contrôle des quantités. »

Il me peinerait de reprocher à M. le ministre des finances d'avoir dit et écrit des choses qui paraissent contradictoires ; ce n'est pas moi qui me montrerai jamais sévère à l'égard de l'honorable ministre. Personne plus que moi n'éprouve pour lui une sympathie profonde. Personne plus que moi n'a compris qu'eu égard à la grande besogne dont il est accablé depuis quelques jours, certains détails d’administration doivent lui échapper.

Mais ce dont je me plains, c'est la sévérité que je rencontre dans les bureaux de l'administration à l'occasion de la question des sucres. Je n'y trouve plus des fonctionnaires cherchant à éclairer avec impartialité toutes les questions qui intéressent les diverses industries du pays, on croirait trouver dans l'administration des finances un plan arrêté d'être toujours hostile à l'une d'elles. Je pourrais donner lecture à la chambre de quelques-unes des pièces que je trouve dans les documents qui nous ont été distribués, elle y verrait une véritable plaidoirie en faveur du sucre exotique contre le sucre de betterave ; c'est le langage d'un avocat au barreau ; on y parle de partie adverse comme d’intérêt privé ; je ne veux pas supposer qu'on a voulu faire allusion à un membre de cette chambre. Il n'y a pas ici d'intérêt privé en présence ; il n'y a que des questions d'intérêt public, que le gouvernement consent à faire étudier pour les soumettre à la législature à qui il appartient de les décider. Si j'exprime ici des craintes, c'est que j'ai l'expérience du passé, la preuve de la sévérité avec laquelle en nous a traités jusqu'ici. Et pourtant nous n'avions fait que défendre une branche de fabrication pleine d'intérêt et d'avenir.

Pour moi, ma conviction sur son importance n'est pas nouvelle ; il y a 12 ans que je la défends. Le premier établissement de ce genre dans le pays a été créé par des membres de ma famille ; le second a été sous la raison de Dumon-Gilson et Cie. Je m'étais joint à mon honorable ami M. Dumon-Dumortier et à quelques autres de nos intimes pour le fonder.

Nous avions pressenti les avantages importants à en retirer pour le pays au point de vue agricole et industriel. Je n'ai jamais cessé un instant de m'applaudir de l'élan que j'ai été appelé à imprimer à une aussi belle branche de fabrication. Le jour n'est pas éloigné, où elle sera appréciée à sa juste valeur ; bientôt l'occasion s'en présentera. En regard de ce brillant tableau du commerce d'exportation provoqué par les sucres exotiques, nous présenterons un tableau de ce que vous auriez obtenu de bienfaits, pour 15 militons de sucre indigène fabriqué ; ce serait 20 mille ouvriers occupés, ce serait 300 bateaux de charbon consommés, etc., etc. Nous vous présenterons toutes les branches d'industrie qui se rattachent à celle des sucres ; c'est celle qui emploie et le plus de machines et le plus de bras, à une époque où les autres industries, chôment. C'est une immense question ; j'ignore s'il m'est réservé de la traiter un jour à fond. Mais j'ai voulu profiter de l'occasion qui m'est offerte, pour communiquer au moins quelques-unes de mes impressions à l'assemblée.

Mon seul but à atteindre pour aujourd'hui est celui-ci : j'attends de la franchise habituelle de l'honorable ministre des finances qu'il voudra bien me promettre que, dans la situation actuelle de cette industrie, on n'aggravera pas les formalités, déjà si gênantes auxquelles elle est soumise.

J'ai parlé de sévérité, et à cette occasion je pourrais vous citer, messieurs, un fait qui m'est personnel. L'arrêté réglementaire dont nous nous occupons, exigeait que l'un des récipients du jus fût carré ou circulaire. Notre établissement était achevé en suite des prescriptions nouvelle ; une seule chose manquait au programme, le récipient était un carré long, l'administration avait décidé que le carré serait parfait ; malgré mes réclamations, il a fallu se soumettre, et le récipient a été changé, bien que la capacité fût complètement la même. Jugez d'après ce seul fait de l'espèce de justice distributive avec laquelle la sucrerie indigène a toujours été traitée.

On nous reproche sans fondement des tentatives de fraude. Mais savez-vous, messieurs, ce qui excite à la fraude ? Ce sont les vexations inutiles, c'est encore le sentiment d'une grande injustice commise, et dans ma conviction on en a commis plus d'une, et on en comblerait la mesure si, aux formalités anciennes, on venait encore en ajouter de nouvelles.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Le discours de l'honorable préopinant me met dans l'obligation de répondre. Ce discours contient plusieurs reproches : le premier concerne les lenteurs calculées, c'est l'expression employée, qui auraient été apportées par l'administration afin de différer la discussion de la proposition de l'honorable M. Mercier sur la législation des sucres. Je réponds qu'il n'y a pas eu d'autres lenteurs que celles qui étaient inséparables d'un travail long et difficile, et de l'impression des tableaux.

Chacun de vous, messieurs, qui aura pu jeter les yeux sur les documents que vous avez reçus, se sera rendu compte du temps qu'il a fallu pour les recueillir et les coordonner. L'honorable membre qui, j'en suis sûr. veut avant tout juger en connaissance de cause, ne regrettera pas les renseignements que ce travail contient. Il appartient du reste maintenant à la chambre de décider, si elle entend, oui ou non, fixer le jour pour la discussion approfondir de la question des sucres. S'il était possible que cette discussion ne nous prît que deux jours, comme le disait l'honorable membre, que la chambre en décide et je tâcherai d'être en mesure.

Jusqu'ici peut-on dire qu'il y a eu du temps de perdu ? A quel moment, durant cette dernière quinzaine, la chambre aurait-elle pu aborder la discussion, quand tant d'autres affaires plus urgentes et souvent d'une nécessité impérieuse ont pris ions ses instants ? L'autre reproche porte sur les explications que j'ai données à la section centrale et qui sont reproduites dans le rapport de l'honorable M. Broquet-Goblet. Je n'ai pas parlé de fraude, mais de tentatives possibles de fraude, sans qu'aucune se soit réalisée jusqu'ici. Si les présomptions que des renseignements ont fait naître se traduisaient en actes, il serait utile que l'administration pût y porter remède. Pour ce cas, elle n'a pas voulu cacher à la section centrale, qu'elle devrait peut-être recourir à des mesures tout à fait secondaires, mais complémentaires de celles qui existent à présent. Il ne sera en aucune manière touché à la base du l'imposition. Alors le sucre indigène ne sera pas en droit de se plaindre.

Que serait-il arrivé si la loi présentée au mois de mars 1847 avait été discutée ? Probablement la prise en charge, qui à présent reste à 14 hectogrammes aurait été portée à 14 1/2 hectogrammes ; il y aurait eu désavantage pour le sucre indigène. Or, c'est le statu quo que nous proposons, et il existera d'une manière absolue si ces appréhensions de fraude sont chimériques.

Le seul moyen de nous dispenser de voter cette loi, serait de décider que la prochaine législature devra s'occuper, en premier lieu, de la question des sucres. Or, nous appartient-il de prendre une pareille décision ? D'ici au 1er août nous n'avons pas besoin de la loi ; mais à partir de cette époque, le gouvernement ne peut plus s'en passer. Il se trouverait au dépourvu.

L'honorable M. Gilson s'est attaché à un autre mot, comme s'il voulait que son argumentation reposât plus sur les mots que sur les choses ; ce mot est celui d’ « adversaires » qu'on lit dans la note explicative que j'ai remise, ces jours derniers, sur les sucres. Dans cette note j'ai dit plusieurs fois « nos honorables contradicteurs », et pour varier la rédaction je me suis aussi servi du mot « adversaires ». Evidemment c'est indiquer les adversaires d'une opinion ; les membres de cette chambre qui défendent la question des sucres à un autre point de vue que celui de l'intérêt commercial. Il est inutile, je pense, d'insister pour prouver qu'il n'y a là aucun sujet de grief, ni rien de désobligeant pour qui que ce soit.

M. Gilson. - Messieurs, il y a dans la réponse qui vient de m’être faite par M. le ministre des finances, une nouvelle preuve de cette sévérité dont il faut toujours que nous soyons victimes. On nous menace aujourd'hui d'une nouvelle calamité, on voudrait nous taxer à 14 1/2 au lieu de 14.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Pas du tout. Vous ne m'avez pas compris.

M. Gilson. - Vous nous en menacez. Ainsi vous avez fait une loi (page 1664) qui devait protéger deux industries, qui devait conduire à trois résultats : favoriser l'industrie du sucre indigène, favoriser l'industrie du sucre exotique, apporter des revenus au trésor. Et qu'arrive-t-il, dans le moment actuel ? Il arrive que deux de ces intérêts sont satisfaits, mais que le troisième est complètement sacrifié, que le sucre de betterave se trouve écrasé.

Dans un pareil état de choses ne pouvons-nous pas demander à la législature qu'elle veuille bien nous entendre, qu'elle n'aille pas au-delà de ce qu'elle a voulu ? Or, la législature n'a jamais voulu tuer le sucre de betterave, et dans ce moment il n'a jamais été plus sérieusement menacé.

M. Malou. - Je demande la parole.

M. de La Coste. - Je la demande.

M. Gilson. - Je répète que je n'avais nulle envie de traiter le fond de la question. Je viens même de retirer les notes que j'avais préparées, ne voulant pas provoquer une discussion intempestive ; mais lorsqu'on vient, malgré la situation où nous nous trouvons, nous annoncer de nouvelles charges, force m'est bien de présenter des réclamations. Cette menace ne se trouve pas seulement dans les paroles que vient de prononcer M. le ministre ries finances, elle se trouve dans un des si nombreux documents qui nous ont été distribués.

Ici déjà se présente une de ces occasions où il peut être utile de recourir à des connaissances spéciales. J'ai pris l'engagement de n'avancer que des faits exacts. Eh bien, je déposerai sur le bureau, si on le désire, le compte de fabrication d'un établissement bien monté, dans lequel aucune dépense n'a été épargnée ; cet établissement a marché sans le moindre temps d'arrêt, il a fabriqué en cent jours au-delà de 5 millions de kilogrammes de betteraves, et son rendement final est précisément de 14 hectogrammes. Est-il donc permis de conclure après cela qu'il faille aller à 14 1/2 ? Le décider ainsi, ce serait vouloir ordonner la fermeture de nos usines.

Cependant, messieurs, cette industrie, en quoi donc a-t-elle démérité du pays ? Est-elle venue vous demander des faveurs, vous tendre la main ?

Nullement, nous demandons seulement à être traités comme le sont toutes les autres industries du pays. Nous pourrions tout au plus être forcés un jour de lutter contre une industrie rivale, mais jamais contre des privilèges.

M. Loos. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

M. Gilson. - Oui, lorsque l'industrie des fers, l'extraction des houilles ne seront plus protégées contre les produits similaires de l'Angleterre, vous pourrez peut-être soutenir alors que nous pouvons marcher de nos propres forces ; mais les choses ne sont point arrivées à ce point. Et quand on vient nous faire un si brillant tableau du commerce de navigation provoquée par le commerce des sucres, on oublie d'ajouter que c'est à l'aide de primes considérables.

Supprimez donc les droits d'entrée sur les houilles de Newcastle, accordez-leur une prime de 10 p. c, et bientôt le port d'Anvers sera encombré de nombreux vaisseaux, les bassins seront insuffisants.

Mais ce n’est pas nous qui avons tendu la main pour solliciter quelque faveur, c'est le sucre exotique qui l'a fait, et cette main devait être solide, car elle a dû supporter 50 millions de sacrifices faits pour elle.

Après cela, messieurs, je regrette que M. le ministre des finances dise qu'une discussion pareille ne roule que sur des mots ; il s'agit de bien plus que des mots ; il s'agit d’une triste vérité : c'est que, dans ma conviction ; on a pas été équitable envers une industrie importante.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, j'étais autorisé à dire qu'une partie du discours de l'honorable M. Gilson roulait sur des mots ; en effet il s'était arrêté à' ces mots de tentatives de fraudes et d'adversaires j'^ai expliqué l'interprétation bien naturelle qu'il faut leur donner, et je crois que cette explication est de nature à satisfaire la chambre.

Mais, en m'attachant à mon tour aux mots, j'ai oublié le point essentiel 'celui pour lequel j'avais demandé la parole et auquel j'attache le plus d'importance ; je veux parler de la sévérité, presque de la partialité que l'honorable préopinant reproche à l'administration centrale.

Messieurs, de pareils reproches ont aussi été adressés à l'administration de la part des défenseurs du sucre exotique ; ils n'étaient pas moins graves, et il m'est arrivé d'entendre dire que l'administration n'avait d'amour, n'avait d'entrailles que pour le sucre indigène. Mais ni l'un ni l'autre de ces reproches n'est fondé. L'administration envisage la question au point de vue seul de la loi, dont elle doit assurer l'exécution ; il n'y a nullement parti pris chez elle de se montrer plus ou moins favorable envers l'une ou l'autre des deux industries. Mes rapports de tous les jours me permettent d'en donner l'assurance à la chambre. Quant à la menace d'une aggravation dont a parlé l'honorable M. Gilson, je ne l'ai pas faite, il n'a pas été dans mon intention de la faire.

J'ai seulement rappelé que le projet dont la chambre se trouve encore saisie, porte la prise en charge à 14 1/2 hectogrammes, tandis qu'il n'est question que du statu quo, sans plus.

J'ai sous les yeux un tableau qui prouve que sous la législation actuelle tout est en progrès : les importations et les exportations du sucre de canne, la fabrication et l'exportation du sucre indigène et les recettes du trésor. Il n'y a d'exception que pour le transit. Si nous avions à aborder la discussion du fond, je donnerais connaissance de ces chiffres ; mais à moins que la chambre ne le veuille, je ne suivrai pas l'honorable M. Gilson dans une discussion générale ; je n'ai voulu répondre qu'à quelques-unes de ses critiques et je ne pouvais m'en dispenser.

M. Loos. (pour une motion d'ordre). - Messieurs, je ne m'attendais pas à voir s'élever aujourd'hui une discussion sur le fond de la question des sucres. Il me paraissait qu'il ne pouvait être présenté d'observations que sur le projet même qui vous est soumis.

L'honorable M. Gilson a porté la discussion beaucoup plus loin.

Je demanderai à la chambre si elle entend que celle discussion continue ; dans ce cas, je croirai devoir y prendre part. Mais je crois que ce serait nous faire perdre du temps à tous.

Je désire connaître l'opinion de la chambre à cet égard. J'aurais à répondre à une foule d'arguments avancés par l'honorable M. Gilson ; mais si la chambre n'est pas d'intention de continuer la discussion sur le fond, je renoncerai à la parole. Sinon, je demanderai à être inscrit.

M. de La Coste. - Messieurs, j'avais demandé la parole sur la motion d'ordre ; mais je m'aperçois qu’il n'y en a pas ; l'honorable membre ne propose rien. Si la motion que je croyais à l'honorable préopinant l'intention de faire, avait eu pour but de circonscrire le débat, elle m'eût, je l'avoue, surpris de sa part, puisque l'année dernière, à pareille occasion, il a fait, en faveur de l'industrie pour laquelle il montre un juste intérêt, une proposition qui a été adoptée par le ministère et qui a suspendu les effets de la loi en faveur de cette industrie jusqu'au mois de juillet prochain.

Je pense donc que l'honorable M. Loos sera le premier à reconnaître que toute proposition incidente peut être faite et débattue à l'occasion de cette loi.

Du reste je conviens qu'il est à désirer qu'on abrège cette discussion ; mais il ne faut pas la tronquer. Il peut y avoir des membres qui ont leur parti pris ; mais il en est d'autres aussi qui peuvent désirer être éclairés davantage.

M. Le Hon. - Comme l'honorable préopinant, je m'étonne que l'honorable M. Loos n'ait pas formulé d'une manière plus précise sa motion d'ordre. De quoi se plaint-il ? Il se plaint qu'à l'occasion du projet en discussion on ait été puiser des motifs dans l'exécution donnée à la loi actuelle, dans la généralité des faits administratifs et l'esprit qui anime l'administration à l'égard des deux industries. Mais je ne pense pas qu'il soit donné à aucun de nous de tracer le cercle dans lequel devraient se renfermer les éléments de nos convictions.

Qu'a fait l'honorable M. Gilson ? Il a critiqué vivement la sévérité de l'administration envers la sucrerie indigène. De quoi s'agit-il ? Précisément des mesures administratives qui ont organisé ce système de rigueurs, et, disons-le, de la menace publiée dans un document officiel, d'ajouter encore aux sévérités de règlements qui n'existent jusqu'ici qu'a l'état provisoire ? Remarquons-le bien ; par la loi de 1846 vous avez autorisé l'administration à procéder par voie réglementaire à l'organisation des moyens de surveillance ; mais vous avez stipulé que le règlement devrait être sanctionné par la loi dans la session suivante. Eh bien, quand l'honorable M. Gilson vous a dit que vous avez fait peser sur la sucre indigène des rigueurs injustes, tracassières, et que vous menacez de les aggraver encore, il a voulu prouver ses assertions par un ensemble de faits : je ne sais où l’honorable M. Loos 1 vu qu'il était sorti de l'objet en discussion.

Quant à moi, je pense qu'il fuit laisser un libre cours au débat, sauf à M. le président à rappeler à la question ceux qui s'engageraient trop avant dans le fond de la proposition principale, étrangère au projet de loi.

M. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable M. Loos n'a nullement voulu tracer des limites en dehors desquelles on ne pourrait sortir pour soutenir ou pour attaquer la loi que nous discutons. L'honorable M. Loos n'a eu qu'un but : c'est d'empêcher qu'à l'occasion d'une loi de peu d'importance, ou ne traitât la question générale des sucres.

Voilà tout le but de sa motion, et je ne puis m'empêcher d'applaudir à ce but. Il est certain que si nous allons entrer dans le fond de la question des sucres, nous aurons une discussion de plusieurs jours, sans pouvoir arriver à aucun résultat.

L'honorable M. de La Coste a parfaitement raison : à l'occasion de la loi que nous discutons, il est libre à tout membre de la chambre de formuler une proposition. Mais on n'en formule pas. On se plaint du système actuel de législation relativement au sucre ; mais personne dans la chambre n'a fait une proposition, ayant pour but de changer dès aujourd'hui cette législation. A quoi bon donc discuter aujourd'hui la loi générale des sucres ? C'est du temps que nous perdons. Bornons-nous à examiner si la loi en discussion est bonne ou mauvaise. Faisons valoir les moyens que nous croyons devoir invoquer, soit en faveur de loi, soit contre la loi. Mais encore une fois je ne puis que m'associer à la proposition de l'honorable M. Loos, et demander que la chambre n'entame pas aujourd'hui la discussion générale sur la question des sucres.

M. le président. - Si j'avais cru que M. Gilson sortait de la question, je l'y aurais rappelé.

M. Loos. - Mon intention n'est certes pas d'empêcher la discussion du projet qui nous est soumis. Mais à propos de ce projet, l'honorable M. Gilson, en défendant l'intérêt du sucre de betterave, a cru devoir faire une digression sur le sucre de canne, en reproduisant en quelque sorte tout le rapport de l'honorable M. Mercier que nous aurons à discuter sous peu, et il m'avait paru que c'était ouvrir une discussion qui pouvait nous occuper non pas quelques heures, mais quelques jours, que c'était entamer d'une manière inopportune la discussion du projet formulé par l’honorable M. Mercier. Le but de ma motion était de demander à la (page 1665) chambre si elle entendait s'engager dans une semblable discussion, ou si elle voulait se renfermer dans l'examen du projet qui nous était soumis, sauf à faire valoir les plaintes qu'on avait à élever contre la sévérité dont aurait à se plaindre l'industrie de la betterave, et je ne suis pas plus partisan que l'honorable M. Gilson des sévérités inutiles.

Mais si à propos de l'intérêt du sucre de betterave j'entends attaquer l'intérêt du sucre de canne, si j'entends dénier à cet intérêt l'influence qu'il exerce sur notre navigation et sur notre industrie, je serai obligé de prendre la parole.

M. le président. - Je pense qu'il ne peut entrer dans la pensée de personne d'aborder le fond de la grande question des sucres. Mais on ne peut tracer des limites trop étroites aux orateurs. La discussion est ouverte sur l'article unique du projet. Ce sera au président à rappeler les orateurs à la question, s'ils s'en écartent.

Nous pouvons reprendre la discussion sans, nous arrêter davantage à la motion de l'honorable M. Loos, motion dont tout le monde comprend le but.

La parole est à M. Malou.

M. Malou. - Messieurs, mon intention est de me renfermer rigoureusement dans les-termes du projet.

A la suite de la loi de 1846, on a adopté à l'égard de l'industrie du sucre indigène un régime de surveillance très rigoureux. Ce règlement portait le contrôle permanent de l'administration sur tous les actes de la fabrication jusqu'à la pesée des sucres lochés. Il le fallait pour constater si, en effet, ce que l'on avait appelé, dans la discussion de la loi de 1846, la protection de fait, était aussi étendu que d'honorables membres le supposaient. Il le fallait encore pour arriver à un système plus doux, en ayant quelque certitude de ne point léser les intérêts du trésor.

Ce régime n'a duré qu'une campagne, il a été modifié par l'arrêté du 10 juillet 1847 et, je puis le déclarer, d'accord pour ainsi dire sur tous les points essentiels avec les personnes intéressées à cette industrie. On a placé les fabriques de sucre de betterave sous un régime analogue à celui qui régit les autres industries qui sont soumises à l'accise. Depuis que ces mesures si rigoureuses dans le principe ont été atténuées, je n'ai entendu aucune plainte formulée contre l'administration en ce qui concerne la surveillance. Je suis d'autant plus porté à admettre l'absence de motifs sérieux de plainte, quand je vois présenter et discuter ce projet de loi, sans que personne ait articulé de grief ou demandé la suppression de telle ou telle mesure prise par suite de la délégation de pouvoirs accordée au gouvernement.

Il faut toujours faire la part des deux intérêts auxquels le gouvernement doit une égale sollicitude, l'intérêt de l'industrie et l’intérêt du trésor. Si en vertu de la loi de 1847 on avait pris des mesures inutilement onéreuses, je concevrais qu'on se plaignît ; mais si ces mesures sont nécessaires pour que la fraude soit impossible, pour que le fabricant qui veut remplir les obligations légales ne rencontre pas une concurrence illégitime de la part d'autres fabricants qui tenteraient de frauder, si ce système a été introduit pour assurer force à la loi et avec l'assentiment des intéressés, je suis étonné d'entendre ces plaintes sur la trop grande sévérité qu'on articule, puisque le régime actuel est plus doux que le régime antérieur. Je m'étonne surtout d'entendre des plaintes sur l'hostilité qui existerait contre cette industrie.

Il me suffit, pour démontrer que cette hostilité n'existe pas, de citer un seul fait. Quand la loi de 1846 a été votée, tous les partisans de cette industrie annonçaient qu'elle ne survivrait pas une année à l'exécution de la loi. Qu'est-il arrivé ? L'industrie indigène est-elle morte ? Son développement s'est-il arrêté ? En deux ans elle a doublé sa production. Le fait est tellement évident qu'il inspirait ài M. Gilson une objection contre le projet de loi ; l'honorable membre le disait avec raison, tout à l'heure, le développement de cette industrie est tel que l'aggravation du droit d'accise est devenue probable, sinon certaine ; une première aggravation a déjà eu lieu, par suite du même fait. La loi n'a donc pas détruit cette industrie, qui a pris, au contraire, un grand développement.

Je me borne à ces explications, pour ne pas sortir de l'objet de la discussion, la surveillance établie de commun accord avec les représentants de l'industrie indigène, ne peut pas être l'objet de plaintes légitimes ; cette industrie considérée isolément n'a pas de plainte à formuler contre l'exécution de la loi. Quant aux autres questions, nous pourrons bientôt, je l'espère, les examiner d'une manière approfondie et les résoudre conformément aux grands intérêts engagés dans cette question.

M. de La Coste. - Messieurs, quant à la base de la perception du droit d'accise sur le sucre indigène, j'applaudis à. la décision qui a été prise en 1847 ; elle est conforme aux vrais principes de la matière ; elle a fait rentrer cette industrie dans le droit commun. ; ce qui n'empêche pas cependant que des plaintes isolées ne puissent être fondées ; mais il y a une chose qu’il ne faut pas perdre de vue, non seulement à l'égard de l'industrie qui nous occupe, mais de toutes celles qui sont dans une situation analogue ; c'est que tandis que nous étendons une protection, active et incessante, pour autant que nous en trouvions les moyens, sur la généralité de nos industries, il en est quelques-unes qui, étant sujettes à l'accise, sont dans une position exceptionnelle ; nous semblons ne nous en occuper que pour les charger. Il faudrait que les industries, placées par l'accise dans cette position exceptionnelle, fussent aussi exceptionnellement l’objet de l'attention, de la bienveillance du gouvernement.. Il ne faut pas oublier que la fabrication du sucre indigène est soumise à toutes les formalités, à toutes les entraves, à toutes les charges de l'exercice, tandis que le sucre étranger en est entièrement exempt. J'engage donc M. le ministre à ne pas aggraver la situation de l'industrie du sucre indigène sous ce rapport. Ces sentiments semblaient l'animer lors de la discussion qu'a rappelée M. Gilson, j'espère qu'ils ne cesseront pas de lui servir de guide.

On a dit tout à l'heure que les adversaires de la loi de 1846 avaient prétendu qu'elle entraînerait la mort de la fabrication indigène. J'ai été adversaire et partisan de cette loi ; j'ai applaudi au but du projet de loi qui au moyen de certaines modifications aurait pu devenir une transaction satisfaisante en laissant, pour le moment, de côté la question de savoir si l'état actuel de nos finances n'exigerait pas que cette branche des revenus publics fut rendue plus productive ; mais dans la discussion, l'honorable M. Malou a changé plusieurs fois de position, et c’est ainsi que je suis devenu un adversaire de la loi.

Je n'annonçais pas cependant la destruction immédiate de l'industrie du sucre indigène, mais je me plaignais de ce que le ministre d'alors prît pour point de départ d'une échelle de surtaxe un chiffre de production mal connu et qui s'est trouvé erroné ; il l'évaluait à trois millions huit cent mille kilog. au maximum, tandis qu'elle était, ou pouvait devenir par des circonstances fortuites, beaucoup plus considérable. Le point de départ étant faux et l'élévation successive de l'accise trop rapide, elle cessait d'agir d'une manière régulière et graduelle et atteignait comme développement ce qui n'était que la quantité préexistante ou le résultat de la faveur des saisons. Voilà le grief réel de l'industrie indigène, le grief sous lequel en ce moment elle est peut-être près de succomber.

Messieurs, de ce que cette industrie a pu supporter un droit qui de 15 fr., je pense, a été porté à 30 francs, et puis de 30 à 34, de ce qu'elle pourrait encore supporter peut-être une addition de quelques francs, comme l'a proposé l'honorable M. Mercier, il n'en résulte pas qu'à dater du mois de juillet prochain, elle puisse supporter un droit de 40francs ; elle le pourra peut-être dans un an, dans deux ans ; mais il n'est nullement prouvé qu'elle puisse la supporter dès à présent, et, comme je l'ai fait voir, il n'est pas exclu que cette surtaxe résulte du développement de cette industrie ; elle résulte de ce que les bases de loi ont été mal posées. Je n'en accuse pas l'honorable M. Malou, parce que, comme je le disais alors, l'évaluation de la production était un problème dont les faits seuls pouvaient donner la solution.

Je n'adresserai pas de reproche à M. le ministre des finances. J'ai reconnu, avec plaisir, dans la manière dont il a traité cette question, et en général celles qu'il a traitées, des sentiments de loyauté et de bienveillance, mais je dois dire néanmoins que, depuis que je suis à la chambre, toutes les fois qu'il s'est agi de ces deux industries, j'ai cru remarquer une tendance constante de la part du gouvernement à peser sur un des plateaux de la balance, et cela n'a pas peu contribué à me déterminer, par un esprit d'indépendance et de justice, à porter du côté contraire le faible poids de ma parole, afin de contribuer, s'il se peut, à rétablir l'équilibre.

Lorsqu'en 1847, l'honorable M. Malou demandait les pouvoirs dont M. le ministre des finances actuel réclame la prorogation, alors l'industrie du sucre exotique avait des inquiétudes semblables à celles qui agitent actuellement l'industrie du sucre indigène. Qu'a fait alors M. le ministre des finances ? Il est venu, par une disposition transitoire, par la suspension de l'augmentation du rendement, sauver cette industrie, calmer ses inquiétudes ; et sur la demande de l'honorable M. Loos, cette suspension qui devait être de six mois a été portée à un an entier. Le trésor a payé les frais de cette complaisance ; et maintenant les hommes qui connaissent la matière plus que moi, qui la connaissent pratiquement, vous disent : Nous sommes menacés de notre perte.

Et le gouvernement ne fait rien ; n'aurait-il pas pu vous proposer de suspendre également en faveur de cette industrie, jusqu'à un certain point, les effets de la loi ? N'aurait-il pas dû nous faire une proposition qui aurait maintenu le droit à 30 ou 34 fr. pour un temps limité, afin de sauver cette industrie, sauf à augmenter le droit, lorsqu'on aurait vu que cette crainte était chimérique, que la production ne se restreignait pas ?

Voilà ce que j'aurais demandé au gouvernement, voilà pourquoi, au sein de la section centrale, je me suis prononcé contre le projet de loi actuel, non pas pour ce que j'y trouve, mais pour ce que je n'y trouve pas. Je veux parler d'une disposition qui devait répondre à celle que l'honorable M. Malou a proposée, l'année dernière, en faveur de l'autre industrie, dans une loi semblable.

Quant à moi, je considère cette omission comme d'autant plus regrettable, qu'on s'attend généralement à ce que la progression établie par la loi de 1846 ne sortira aucun effet, relativement au sucre exotique, c'est-à-dire que, par les résultats de quelques circonstances particulières qui font qu'on exporte, peu dans ce moment, qu'on déclare beaucoup en consommation, le rendement ne sera pas élevé, de sorte que cette disposition transitoire, qui a été votée l'année dernière à pareille occasion, n'aura pas eu seulement pour effet d'accorder, un répit au sucre exotique, mais de le libérer entièrement de la progression établie par la loi.

Voilà les observations que j'avais à présenter pour justifier mon vote dans la section centrale.

Au surplus, j'attendrai qu’on fasse quelque proposition à cet égard. Je ne connais pas assez la situation de l'industrie du sucre de betterave pour proposer un chiffre. A mon avis, il devrait être fixé de manière à ce que cette industrie ne fût pas obligée de rétrograder.

M. le ministre des finances parle de statu quo, mais ce statu quo (page 1666) n'existera pas, parce qu'à partir du mois de juillet, le droit sera porté à 40 fr. ; eh bien, si la protection de 5 fr. suffisait pour que le sucre indigène restât dans la position où il se trouve, ce serait alors un statu quo ; je ne demanderais pas davantage ; mais cette industrie soutient le contraire : elle dit qu'elle périra, et le gouvernement ne s'en émeut pas. Est-ce là de l'équilibre, est-ce là de la justice ? J'aime à voir de la justice dans les intentions de M. le ministre des finances, mais je voudrais la voir aussi dans les faits.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, il y a deux ordres d'idées. D'abord ce que le ministre des finances peut faire, tout en se conformant à la loi, et je remercie l'honorable M. de La Coste d'avoir bien voulu reconnaître que, sous ce rapport, j'ai fait comme je continuerai à le faire tout ce qui est possible dans l'intérêt des deux industries, avec impartialité et un véritable esprit de conciliation.

Lors de la discussion qui eut lieu au commencement de l'année, la position que j'ai prise a été très nette : il n'a pas dépendu de moi que le sucre indigène ne jouît d'une réduction sur le droit d'accise, tant que le sucre exotique se trouve affranchi par la loi du 16 mai 1847, de l'élévation du rendement.

La chambre en a jugé différemment ; c'est un fait accompli, et la ligne de conduite que je dois suivre m'est tracée par la loi. Il n'appartient pas au gouvernement de la modifier dans l'exécution de l'une ou de l'autre de ses dispositions. Ainsi, à moins que la chambre ne décide qu'il y aura suspension de cette loi, il arrivera ces deux choses, que le sucre indigène qui, dans la campagne qui vient de finir, a produit, avec un droit de 34 fr., 5,700,000 kil., payera 40 fr. ; que le sucre exotique, qui à la date du 1er mai, avait produit en dix mois 1,912,500 fr., devra, si d'ici au 1er juillet, il ne produit pas le complément de 1,067,500 fr., pour parfaire la somme de 3 millions qu'on a droit d'exiger, devra, dis-je, toujours d'après la loi, subir l'élévation partielle ou totale du rendement, et je le répète, il n'appartient pas au gouvernement de rien changer à ces conséquences de la législation sur les sucres.

Voilà la marche toute tracée, et dans la discussion précédente, le gouvernement a déclaré qu'il ne croyait pas devoir prendre l'initiative de nouvelles modifications.

M. Le Hon. - Messieurs, les observations de l'honorable M. de La Coste rentrent en grande partie dans celles que je me proposais de présenter à la chambre.

Voulant rester dans les termes du projet de loi, je demanderai quelques explications à M. le ministre des finances, et, pour être bien compris, je dois déterminer la position qu'a prise le gouvernement vis-à-vis de la proposition de l'honorable M. Mercier.

Quand cette proposition vous a été soumise, il était reconnu que le produit de l'impôt sur le sucre, tel que l'avait établi la loi de 1846, avait été, en 1847, non de 3 millions de francs, mais seulement de 1,400,000 fr.

La chambre avait vu s'évanouir les espérances si confiantes que lui avait fait partager le ministre, auteur de cette loi.

M. Mercier vous a demandé d'adopter franchement un autre système, qui met un terme aux fictions légales et fait entrer dans le trésor public la totalité de l'impôt levé sur le consommateur. Sa proposition, admise par les sections, a été ensuite accueillie par la section centrale. Sou succès serait du plus haut intérêt pour nos finances. Les documents que le ministère nous a fait distribuer prouvent qu'il a le dessein bien arrêté de la combattre. Ainsi cela est bien entendu ; le gouvernement veut maintenir la législation actuelle sur les sucres, maigre l'évidence tant de fois signalée des vices du système. Il en résulte pour moi cette conviction qu'on va chercher à exercer une forte pression sur le sucre indigène, pour en extraire la quintessence de matière imposable.

Ces considérations doivent frapper ceux qui pensent qu'il y a dans cette industrie une source abondante de prospérité agricole pour le pays, et quand je vois que, jusqu'ici, toute la sollicitude de l'administration s'est portée sur l'organisation d'une surveillance incessante qui entrave ses développements et soupçonne la fraude jusque dans ses progrès ; quand j'entends un ancien ministre nous dire que, la première année, il a prescrit les mesures les plus rigoureuses pour constater, dans les plus minutieux détails, tous tes produits quelconques que pouvait donner cette fabrication...

M. Malou.- Ce n'est pas cela !

M. Le Hon. — Vous avez ensuite apporté des tempéraments ; j'y arrive ; vous avez dit que l'administration, une fois éclairée, s'était relâchée de ces rigueurs ; qu'il était intervenu entre l'administration et les industriels une sorte de composition qui leur avait rendu le régime supportable. Je crois que c'est bien là votre pensée.

M. Malou. - J'ai dit que les mesures prises à la suite de la loi de 1846 avaient pour objet de constater la quantité de sucre indigène produite chaque année, et non de rechercher ce que l'industrie indigène pouvait fournir au trésor.

La production était évaluée à 2 millions 500 mille kilog. et les mesures prises ont prouvé que 50 p. c, à peu près, échappaient à l'impôt. Voilà quel était le but et quel a été l'effet de l'arrêté du 15 août 1846.

M. Le Hon. - C'est ce que je disais, vous avez voulu constater ce que cette industrie pouvait donner à l'impôt.

M. Malou. - J'ai voulu savoir ce qui échappait à l'impôt, j'ai constaté que c'était à peu près 50 p. c.

M. Le Hon. - On avait parlé de rigueur, que l’on a ensuite adoucies ; l'industrie moins entravée a pris quelque essor. Est-ce à dire qu’on en pourrait attribuer le mérite à la loi de 1846 ? Cela ne serait pas sérieux. Le progrès s'est développé, non parce que la loi existait, mais quoiqu'elle existât, c'est-à-dire, en dépit d'elle. C'est grâce à des efforts persévérants et au perfectionnement dispendieux de ses procédés que la fabrication du sucre indigène a pu se maintenir et qu'elle pourra, au grand avantage du pays, grandir et prospérer.

Quoi qu'il en soit, quels doivent être le but et l'effet de la loi actuelle ? C'est de valider, pour un an, les dispositions réglementaires par lesquelles le gouvernement a organisé la surveillance de cette fabrication. J'ai démontré que sa sollicitude avait été fort active à cet égard ; et je pense que ce serait sortir de l'esprit de la loi, et dépasser son but, que d'accorder au gouvernement, sous forme de prorogation, le pouvoir de changer, d'aggraver les mesures existantes, en un mot, de statuer, à son gré, par voie de règlement, comme s'il n'avait pas eu besoin déjà, de la sanction de la législature.

Je veux bien qu'il soit impossible de convertir en loi le règlement de 1846 dont il a obtenu la prorogation en 1847, et qu'il vous demande de maintenir comme provisoire, jusqu'à la session prochaine/mais les explications dans lesquelles est entré M. le ministre ne sont pas rassurantes. Ecoutez-le : « L'intention du gouvernement, a-t-il répondu à la section centrale, est de prescrire quelques mesures très secondaires et qui auront entre autres pour effet de prévenir les tentatives de fraude que l'on a pratiquées dans certaines fabriques, pendant la dernière campagne. »

Evidemment, il y a là-dessous l'influence des rapports d'agents secondaires. Dans une occasion récente, M. le ministre avait déclaré qu'il n'y avait plus de fraude ; qu'on percevait l'impôt sur toutes les quantités produites. Aujourd'hui, à propos de la prorogation demandée, il vous annonce l'intention de combattre des tentatives de fraude par de nouvelles mesures ; tentatives qui restent dans le vague, sans qu'elles reposent sur l'allégation d'un seul fait.

Il y a là, pour moi, je le répète, l'action d'une influence secondaire qui tend à exploiter avec fiscalité la sucrerie indigène, quelles que soient les conséquences et les gènes de l'exercice. Je me refuse à seconder de semblables desseins. Vous avez confié, dans le principe, le droit de réglementer à la prudence du ministre ; il en a fait usage. Je ne puis pas admettre que la prorogation aurait pour effet d'autoriser l'administration fiscale à modifier et changer à son gré les règles établies en 1846 et 1847. Ce serait étendre les effets et les pouvoirs d'une simple prorogation ; ma confiance ne va pas jusque-là, surtout lorsque je vois quel zèle de raffinement le fisc veut apporter dans la police sur la fabrication indigène, tandis que les mesures préventives contre la fraude à l'exportation sont encore à l'état de projet : le ministre nous l'a dit : les moyens de faire exécuter ta loi en ce point ne sont pas encore arrêtés.

Je crois qu'il faut fixer d'une manière très nette et très précise, le sens de l'article unique de la loi. Sa rédaction n'exprime pas la pensée de la loi. telle que je la conçois ; je proposerai un amendement qui modifie cette rédaction de la manière suivante :

« … Les mesures de surveillance en vigueur aujourd'hui pour assurer, etc. »

C'est là, messieurs, l'esprit d'une prorogation. Vous avez voulu, en laissant au gouvernement la faculté d'une initiative réglementaire, que, dans la session suivante, son règlement, pour conserver sa force obligatoire, reçût une sanction légale.

Déjà vous avez accordé une première prorogation l'année dernière. Aujourd'hui on vous demande un nouvel ajournement jusqu'à la session prochaine. Il est impossible que deux ans d'expérience n'aient pas suffi pour éclairer l'administration sur le système de surveillance qui peut garantir les intérêts du trésor. Eh bien, puisqu'il m'est prouvé que le gouvernement, malgré l'intérêt évident du trésor, combattra le nouveau régime de perceptions fiscales auquel on a proposé de soumettre les sucres indigènes et exotiques ; puisque la sévérité des mesures de surveillance, à l'égard de la fabrication, atteint les limites extrêmes, je demande que vous vous borniez à légitimer seulement ce qui existe. Le règlement tomberait de lui-même, si vous ne prolongiez pas son existence provisoire ; eh bien, accordez-lui votre sanction, laissez-le subsister encore pendant un exercice ; mais ne donnez pas au gouvernement le pouvoir d'y apporter des changements qu'il ne pourrait pas faire, si les mesurée existantes avaient été confirmées par la loi soit en 1847, soit pendant la session actuelle.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Les dispositions de surveillance qui ont été prises par l'arrêté royal de 1847, pour exercer les fabriques, suffisent à l'état actuel des choses, et je répéterai ici encore que je n'ai pas parlé de fraudes ; j'ai parlé de tentatives de fraude, parce que les inspections faites dans certains établissements ou les rapports reçus ont mis sur la trace d'une possibilité de porter préjudice aux recettes du trésor. Je ne m'étendrai pas sur ce point, car je ne puis pas entrer ici dans des détails de pratique qui se rattachent à la fabrication du sucre indigène.

En ce qui concerne la première partie de l'article, j'admettrais assez facilement l'amendement de M. Le Hon, mais je ne puis l'admettre en ce qui concerne la vérification et la justification des sucres et sirops présentés à l'exportation arec décharge de l'accise. Ici il ne faudrait pas que le gouvernement fût lié. L'expérience lui a appris que pour ces exportations il n'y a pas de garanties suffisantes, et que la fraude n'est pas prévenue par les mesures qui ont été prises. On en cherche d'autres, et si elles ne pouvaient être trouvées, il faudrait peut-être renoncer à (page 1667) une faculté accordée par la loi, à cause du préjudice qui en résulte pour le trésor.

Je crois que l'honorable M. Le Hon peut être sans inquiétude en ce qui concerne les fabriques de sucre indigène ; elles n'ont rien à craindre, elles ne seront pas exercées avec plus de rigueur, à moins qu'il ne se révèle des faits qui forceraient l'administration à les combattre par d'autres mesures, qu'il faudrait encore trouver. Mais en ce qui concerne la vérification des sucres et sirops à l'exportation, la question n'est pas résolue, et je désire avoir la faculté par la loi de continuer à chercher d'empêcher que le trésor ne soit lésé.

M. Le Hon. - M. le ministre des finances vient de m'accorder une demi-satisfaction ; il veut bien convenir que mon amendement peut s'appliquer avec justice à la première partie de l'article ; mais il voudrait ne le pas subir pour la deuxième projet. Il est un moyen fort simple de lever la difficulté ; je propose, un deuxième amendement, qui sera, je pense, de nature, à satisfaire M. le ministre des finances : il consiste à rédiger ainsi l'article :

« … Les mesures de surveillance en vigueur aujourd'hui pour assurer l'efficacité des prises en charge au compte des fabricants de sucre de betterave ou de glucoses et celles qu'il établira pour la vérification et la justification des sucres et sirops de canne et de betteraves présentés à l'exportation avec décharge de l'accise. »

Il y a d'autant plus de raisons d'ajouter cette modification à la première, que je lis dans une des notes fournies par M. le ministre que, quant à la vérification et à la justification des sucres et sirops de canne et de betteraves, présentés à l'exportation avec décharge de l'accise, « les moyens d'exécution ne sont pas encore arrêtés ». Or, vous ne pouvez pas, messieurs, traiter de la même manière deux industries, dont l'une a déjà exercé si activement toutes les combinaisons du génie fiscal de l'administration, tandis qu'à l'égard de l'autre, elle est encore à réfléchir tranquillement aux moyens de surveillance et d'exécution. Eh bien, le sucre de betterave, « favorisé » jusqu'ici de tant et de si minutieuses investigations, vous prie de maintenir, en ce qui le concerne, les dispositions existantes, sans aggravation possible, et, en vertu du second amendement l'administration pourra réparer le temps qu'elle a perdu, jusqu'à présent, et organiser les moyens d'exécution de la loi, à l'égard des sucres présentés à l'exportation.

M. Loos. - Messieurs, je l'ai déjà dit, je ne suis pas plus partisan que l'honorable M. Gilson des rigueurs et de la sévérité. Cependant je ne voudrais pas non plus que le gouvernement fût dans l'impossibilité de réprimer la fraude, si elle devait se produire. Or, si aucune mesure autre que celles qui existent ne peut être prise par M. le ministre des finances, il me semble que ce qui aujourd'hui n'est qu'à l'état de tentative, peut se produire demain, et qu'alors M. le ministre ou son administration sera impuissante à réprimer la fraude.

Messieurs, je ne vois pas que personne puisse avoir intérêt à tolérer la fraude. Les tentatives de fraude, j'en suis persuadé, ne se sont pas produites dans toutes les fabriques ; mais agira-t-on au profit d'une seule fabrique au détriment de toutes les autres, et au détriment de l'industrie du sucre en général ? Je ne voudrais pas, dans cet état de choses, désarmer l'administration, et la mettre dans l'impossibilité de prendre les mesures qu'elle pourrait juger efficaces pour réprimer la fraude. Car ces considérations, je ne puis pas adopter l'amendement de l'honorable M. Le Hon.

M. Gilson. - J'ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l'honorable M. Malou et à l'honorable ministre des finances.

Il fallait une surveillance, soit ; mais nous nous étions plaints souvent de l'espèce de surveillance qui était pratiquée alors et qui portait sur toutes les parties de la fabrication, il y avait dans la loi de 1846 une lacune telle qu'elle consacrait l'injustice la plus criante. On avait le système français moins les types, c'étaient les sucres les plus communs qui se trouvaient les plus frappes.

Il a fallu changer cette base. La loi de 1847 a imposé alors à l'industrie des conditions sévères. Remarquez que je ne m'en suis pas plaint. J'ai dit que nous nous étions soumis à toutes les exigences et j'ai le premier donné l'exemple. Je ne murmure pas contre ces exigences, je ne demande pas qu'on les modifie. Mais lorsqu'une loi a fonctionné pendant un temps avec avantage et lorsqu'on vient demander de nouvelles rigueurs, j'ai bien le droit de me plaindre. Est-il bien raisonnable, après que M. le ministre des finances a déclaré que la fraude était impossible, de venir dire qu'il faut aggraver les mesures dont on a fait l'épreuve ? Ne devrait-on pas nous assurer que ces mesures ne seront pas modifiées ? Eh bien ! non ; on ne veut pas nous donner cette satisfaction. Je répète qu'on nous menace de sévérités plus grandes. Dans cet état de choses n'étions-nous pas fondés à avoir quelque défiance ?

Quant à l'amendement de l'honorable M. Le Hon, j'avais d'abord déclaré que je m'en rapportais volontiers aux assurances qui nous seraient données par M. le ministre des finances. Mais puisqu'il y a une proposition formulée, j'y donnerai mon entier assentiment.

L'honorable M. Loos se montre le plus sévère de tous. M. le ministre des finances avait bien voulu promettre qu'on n'aurait pas recours à de nouvelles rigueurs. L'honorable M. Loos veut, lui, que le gouvernement reste toujours armé de toutes pièces. C'est à quoi je ne puis consentir. Les dispositions que vous avez prises ont fonctionné ; elles ont fonctionné de manière à ce que pas une fraude n'a été signalée. On parle de tentatives de fraude ; mais nous cite-t-on quelques faits ? On n'a pourtant rien négligé pour les découvrir. Des employés supérieurs ont parcouru toutes les usines du pays. On a eu recours aux investigations les plus minutieuses ; on a interrogé tout le monde, et on a dû reconnaître que toutes les exigences du fisc avaient reçu pleine satisfaction.

Messieurs, il est une dernière observation de l'honorable M. Malou à laquelle je veux répondre.

Vous vous plaignez, dit-on : s'il fallait vous en croire, cette belle industrie serait morte depuis plusieurs années, cependant elle vit toujours et elle a doublé sa production. Mais messieurs, c'est là l'éloge le plus complet que l'on puisse nous adresser. Oui, nous avons vaincu toutes les entraves qu'on nous a suscitées ; nous avons créé cette industrie sur des bases solides ; elle est acquise au sol, elle est acquise au pays ; elle ne périra pas, j'en ai la conviction profonde. Mais parce qu’elle se montre forte, faut-il la traquer de toutes les manières.

Le système préconisé par l'honorable M. Malou a failli dans l'une de ses bases. Toujours on a voulu favoriser à la fois l'industrie indigène, l'industrie exotique et le trésor. L'industrie exotique est favorisée. Le trésor va, dit-on, arriver au produit de 3 millions qu’on a voulu lui assurer. Or, qu'en résultera-t-il ? C'est que, si ce chiffre de 3 millions était atteint, le rendement sur le sucre exotique resterait ce qu'il est. :.

Or, je dis que telle n'a pu être l'intention de la chambre. Jamais le sucre indigène n'a été menacé comme il l'est en ce moment ; et c'est une industrie aussi importante, une industrie qui a fait de pareils progrès que vous frappez par une loi dont vous n'avez pu apprécier la portée ! L'honorable M. de La Coste vous l'a dit, lorsque vous avez voté la loi de 1846, vous avez voulu faire un acte de justice distributive pour tous, et vous manqueriez complètement votre but..

M. Faignart. - L'honorable M. Malou nous a dit que l'on avait fraudé 50 p c. du produit du sucre de betterave. C'est une erreur matérielle qu'il est essentiel de redresser ici.

M. Malou s'appuie principalement sur l'augmentation des années 1845-1846 et 1844-1845. En effet, l’augmentation a été importante, mais l'honorable M. Malou n'a pas fait attention à la récolte, il n'a fait attention ni à la qualité ni à la quantité de la matière première. C'est ce qui a considérablement augmenté les produits, et cette augmentation n'indique pas du tout qu'il y ait eu fraude.

Je vous le ferai encore mieux comprendre, messieurs, en appelant votre attention sur ce qui a eu lieu cette année. On a dit tout à l'heure que la production de 1847-1848 a été de 5,700,000 kil. Eh bien ! je demanderai s'il y a eu fraude cette année quoique la production ait dépassé de plus d'un million celle de l'année précédente ? Non, il n'y a pas eu fraude, M. le ministre des finances l’a déclaré au mois de février dernier.

Ainsi, messieurs, je pense qu'il reste évident pour tout le monde que ce n'est pas à la fraude qu'il faut attribuer l'augmentation de production de sucre de betteraves.

Puisque j'ai la parole, je dirai un mot du projet de loi.

La loi de 1846 aura pour but et aura pour effet de porter l'accise du sucre de betteraves à 40 fr., tandis qu'elle laissera le rendement à fr. 68-18 comme il a été fixé par ladite loi de 1846. Cela est contraire à l'esprit de la loi de 1846, qui avait été faite tout exprès pour établir la pondération entre les deux sucres. Où est maintenant cette pondération, lorsque vous faites payer au sucre indigène 40 fr. et que vous laissez le rendement à 68-18 ?

Messieurs, nous subissons les conséquences de la loi, et si le trésor est à même de recevoir cette année 3 millions, cela ne tient pas à la production du sucre indigène, cela ne tient pas même à la loi de 1846 ; cela tient aux circonstances fâcheuses dans lesquelles nous nous trouvons. Cette recette de 3 millions sera même très probablement dépassée. Ainsi, la fabrication indigène sera frappée d'un droit de 40 fr., tandis que le rendement restera à 68-18, taux fixé par la loi de 1846. Cependant vous vouliez la pondération, vous vouliez laisser vivre les deux industries.

J'ai cru, messieurs, devoir vous soumettre ces quelques observations. Je terminerai en appuyant l'amendement de l'honorable M. Le Hon.

M. Malou. - Messieurs, j'ai dit que les mesures sévères prises par suite de la loi de 1846 avaient permis de constater que l'industrie indigène, sous le régime antérieur à cette loi, avait joui d'une protection de fait très large, c'est-à-dire d'à peu près 50 p. c. Je maintiens ce fait puisque la culture est resté la même et qu'il y a eu la différence que j'indique, dans les produits constatés. (Interruption.) La culture est restée la même et pour soutenir qu'elle n'est pas restée la même, vous devez dire qu'on a fait des déclarations inexactes.

M. Faignart. - On n'a pas demandé de déclarations.

M. Malou. - On a demandé des déclarations et les déclarations ont été faites.

- La séance est levée à 3 heures et demie.