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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 avril 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Verhaegen., vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1380) M. de Villegas. procède à l'appel nominal à midi et un quart. La séance est ouverte.

M. A. Dubus. donne lecture du. procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas. communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.

« Le sieur Bernard-Martin Wille, sous-lieutenant des douanes à Aelbeke, né à Rotterdam, demande la naturalisation ordinaire avec exemption des droits d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur François Smoudt, commis négociant à Ixelles, demande de pouvoir recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger sans l'autorisation du Roi, et prie la chambre de l'exempter du droit d'enregistrement auquel est assujettie la naturalisation. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Perwez demandent que les électeurs de l'arrondissement de Nivelles, appelés à procéder au choix de représentants ou de sénateurs, puissent se réunir à leur chef-lieu de canton, ou qu'au moins le chef-lieu électoral de l'arrondissement soit transféré de Nivelles à Wavre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Quelques habitants de Fayt-lez-Seneffe demandent l'abrogation de (page 1381) la loi sur les pensions des ministres, la réduction de quelques traitements, la révision de la loi sur l’enseignement primaire, du décret du 30 décembre 1809 et de la loi du 18 mars 1838, et un impôt sur le luxe.»

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants d'Alost demandent des économies dans les dépenses de l'Etat, un impôt sur le luxe, des jetons de présence au lieu d'indemnité pour les membres de la chambre, la réforme parlementaire et l'ajournement de la dissolution des chambres. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lejeune présente des observations contre le projet de loi d'emprunt. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


Par message du 19 avril, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi sur les irrigations.

- Pris pour notification.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Garcia (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je crois que chacun de nous désire terminer le projet de loi sur lequel nous discutons. Hier, à la fin de la séance, nous n'étions pas en nombre pour fixer une séance du soir. Je crois cependant important qu'on en fixe une aujourd'hui, et dès l'ouverture de la séance j'en fais la proposition.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

La chambre décide qu'elle se réunira à 7 heures du soir.


M. de Garcia (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je propose de mettre à l'ordre du jour la proposition nouvelle sur l'impôt du sucre. En faisant cette proposition, je n'entends pas qu'on discute immédiatement cette proposition, mais je demande qu'après les vacances elle figure à l'ordre du jour pour être abordée franchement. Car, messieurs, il ne suffit pas de léguer à nos successeurs des dépenses ; ils ne se plaindront pas, soyez-en bien convaincus, ils ne se plaindront pas que vous leur léguiez aussi quelques voies et moyens nouveaux.

M. de Brouckere. - Je crois que la mise à l'ordre du jour de cette proposition ne préjuge rien. Le rapport est fait, la loi peut être discutée quand la chambre le voudra.

Sous ce rapport, je ne m'oppose pas à la mise à l'ordre du jour ; mais je dois déclarer dès aujourd'hui que je crois qu'il sera très difficile à une chambre placée dans la position où nous nous trouvons d'examiner une loi comme celle des sucres.

M. Le Hon. - Je me joins à l'honorable M. de Garcia pour appuyer la mise à l'ordre du jour de la proposition de l'honorable M. Mercier ; mais je crois devoir faire une observation contraire à celle de l'orateur qui vient de parler, afin qu'il ne se forme aucun préjugé quant à la discussion immédiatement après les vacances. Car, si jamais proposition a soulevé une question très importante de revenu public, et mérite la sollicitude la plus bienveillante et la plus sérieuse de la chambre, c'est assurément celle-là.

Dans la séance d'hier, on imputait au ministère d'avoir négligé et écarté même à dessein, quelques voies et moyens dont l'instruction était achevée, notamment le nouveau système d'impôt proposé sur les sucres. Je dis que la chambre se doit à elle-même, et doit à l'attente du pays, d'examiner et de résoudre cette question avant la fin de la session actuelle, si la chose est possible.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, la discussion de la loi des sucres ne rencontrera jamais, en aucun cas, d'obstacle en moi. Je suis prêt à y prendre part quand la chambre le voudra ; mais dans les circonstances actuelles je demanderai, au moins, que le ministre des finances ait le temps d'étudier la question. Il faut donc qu'il soit bien entendu que la discussion viendra seulement après les vacances. S'il n'y avait pas d'interruption dans les travaux de la chambre, je déclare que je serais dans l'impossibilité d'aborder la discussion.

M. de Brouckere. - Nous sommes tous d'accord sur la convenance de mettre la loi des sucres à l'ordre du jour, mais avec la réserve que cette mise à l’ordre du jour ne préjuge rien.

M. Lejeune. - Messieurs, une chose est bien certaine, c'est que la nouvelle loi des sucres ne pourra pas être mise à exécution avant le 1er juillet prochain, car je ne pense pas que la chambre veuille se déjuger à cet égard. La section centrale du budget des voies et moyens avait proposé des modifications à la loi des sucres. La chambre, à la presque unanimité, a rejeté les propositions de la section centrale, et a décidé que la législation actuelle continuerait à subsister jusqu'au 1er juillet.... (Interruption.) Ce n'est pas le fond de la question ; ce que je dis se rapporte à l'ordre du jour. Je dis que si la loi nouvelle, qui serait votée ne peut être mise en vigueur qu'au 1er juillet, il n'y a pas tant de hâte à la discuter. Si la dissolution des chambres devait avoir lieu sous peu de temps, je dirai aussi que la question est assez grave pour en laisser la solution à la législature qui viendra après nous et qui pourrait la discuter avant le 1er juillet.

- La proposition de M. de Garcia est mise aux voix et adoptée.

Rapports sur des pétitions

M. Jonet, au nom de la commission de circonscription cantonale, fait rapport sur les pétitions suivantes. - « Plusieurs habitants de Westwezel, Loenhout, Esschen et Calmpthout demandent que le chef-lieu du canton de Brecht soit transféré à Westwezl. »

« Les membres du conseil communal de Brecht présentent des observations contre la demande tendant à transférer à Westwezel le chef-lieu du canton. »

La commission propose le renvoi à M. le ministre de la justice.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi décrétant un emprunt sur les contributions foncière et personnelle, le produit annuel des rentes et des capitaux donnés en prêt, garantis par une hypothèque conventionnelle, et les pensions et traitements payés par l'Etat

Discussion générale

M. Moreau. - Messieurs, en soutenant hier les amendements que l'honorable M. Lys vous a présentés et que j'avais déjà défendus dans les sections, je vous disais que, selon moi, la Belgique pouvait émettre encore pour 10 millions de papier-monnaie sans craindre de le voir se déprécier.

Cette opinion paraît être partagée par la plupart des membres de la chambre et par le ministère lui-même, car s'il ne consent pas à recourir à ce moyen efficace pour soulager les contribuables, c'est qu'il le réserve pour l'avenir, c'est qu'il se dispose à l'employer en faveur de certaines institutions de crédit, aujourd'hui, à ce qu'il paraît, périclitantes et que l'intérêt public commanderait de soutenir.

Je comprends qu'il est bien pénible pour le ministère comme pour la chambre de voir tout à coup surgir un danger là où certes le gouvernement était en droit de rencontrer un puissant appui ; je reconnais que ce ne sont pas les membres du cabinet qui ont créé les difficultés présentes, que ce ne sont pas eux qui ont placé la Belgique dans la nécessité de s'imposer encore de nouveaux sacrifices pour venir en aide à certains établissements financiers dont ils ont signalé, il n'y a pas bien longtemps, la mauvaise direction.

Mais, messieurs, la chambre peut-elle prendre en considération, les faits qu'on vient de lui faire connaître ? Peut-elle dès aujourd'hui en apprécier toute la portée, toutes les conséquences en connaissance de cause ? Peut-elle en un mot, en préjugeant une question qui n'est soumise à son examen qu'incidemment, ne pas adopter une mesure qu'elle reconnaîtrait être avantageuse aux intérêts du pays ? J'ose donc espérer que le gouvernement, reconnaissant qu'une émission de papier-monnaie peut très bien se faire dans les circonstances actuelles, se ralliera à cette proposition

Messieurs, les billets au porteur, que nous proposons de créer, sont quelque chose, de plus qu'un papier-monnaie, proprement dit. En effet, ils sont d'abord garantis par le gouvernement et ensuite par un domaine de l'Etat libre de toute charge, qui est affecté spécialement par hypothèque pour en assurer, dans un temps limité, le remboursement.

Ils sont de plus productifs d'intérêt, c'est là un caractère spécial qu'on ne rencontre pas ordinairement dans le papier-monnaie. Je dirai tantôt pourquoi on a jugé nécessaire de donner cet avantage à leurs détenteurs.

Je n'ignore pas qu'il y a une grande différence entre l'argent et le papier-monnaie, que le premier est une véritable marchandise possédant une valeur intrinsèque, tandis que le second n'est qu'un signe représentatif du numéraire n'ayant par lui-même aucune valeur.

Je sais que si la quantité de papier-monnaie émise en Belgique était telle qu'elle fût sans rapport avec les besoins du capital circulant, ce papier, quelles que fussent même les garanties qui en assureraient la bonté, perdrait de sa valeur et ferait hausser le prix puisqu'il est constant que même une trop grande abondance d'argent monnayé dans la circulation agit défavorablement sur le cours du change.

Toutefois, je ne pense pas, comme je l'ai déjà dit, que ce danger soit à craindre aujourd'hui, alors que la plus grande partie du numéraire reste cachée, et est retirée de la circulation.

Mais y eût-il même à craindre que ces dix millions fussent de trop dans la circulation, il me paraît qu'ils ne pourraient exercer aucune influence bien fâcheuse ni sur les prix, ni sur le cours du change, car il ne faut pas oublier qu'ils produisent des intérêts, qu'ainsi cette espèce de papier-monnaie peut tantôt jouer le rôle de numéraire en alimentant la circulation, tantôt être considéré par le détenteur comme un placement de fonds, comme un capital fixe puisqu'il donne des intérêts.

Ainsi suivant que les besoins des transactions exigeront plus de valeurs en circulation, ce papier pourra prendre le caractère de capital roulant ou restera, je puis le dire, un capital immobile.

Il est certain que le principal avantage que l'on trouve dans l'argent monnayé est celui de constituer un capital mobile pouvant, par la facilite de sa circulation, servir aux transactions de toute espèce, car l'argent enfoui dans les coffres forts reste évidemment improductif ; il peut sans doute être utile, puisqu'il conserve sa valeur, mais il ne donne de véritables avantages que lorsqu'il circule ; c'est donc la circulation de l'argent qui le rend productif.

Si, par conséquent, on peut rendre jusqu'à certain point et dans certaines limites le capital fixe, mobile, lui donner le caractère de capital roulant, on fait une chose qui intéresse au plus haut degré les progrès des richesses.

Or, messieurs, vous faites, selon moi, cette chose utile en créant le papier-monnaie que je propose, car il porte en lui-même une garantie spéciale et. déterminée par l'hypothèque qui en assure le remboursement, et il peut entrer dans la circulation et même en sortir en conservant, par les intérêts qu'il produit, une certaine valeur qui augmente chaque jour, vous pouvez, donc ce me semble, sans froisser aucun intérêt, voter cette émission nouvelle de papier-monnaie.

D'après le système que nous proposons et après avoir soustrait du montant de l'emprunt à faire cette somme de dix millions, nous demandons, (page 1382) messieurs, que le restant soit supporté par les fonctionnaires et les pensionnés de l'Etat et par les 4,000 contribuables payant les cotes les plus élevées des impositions foncière et personnelle réunies.

Il me sera facile, ce me semble, de justifier ces deux bases de l'emprunt.

Pour les traitements nous demandons, messieurs, qu'on fasse la même retenue que celle qui a été opérée par la loi du 5 avril 1831.

Aujourd'hui comme alors les besoins du trésor étaient pressants ; il y avait stagnation dans les affaires et il s’agissait de maintenir l'ordre, le travail et de s'imposer des sacrifices pour consolider l'indépendance de la Belgique. Cette mesure a reçu son exécution sans susciter le plaintes, et les mêmes causes, les mêmes circonstances la justifient assez sans qu'il soit nécessaire de l'appuyer par d'autres considérations.

Si, messieurs, les bases que le gouvernement propose pour asseoir l'emprunt sont admises, il est constant qu'il sera réparti d'une manière plus ou moins inégale, qu'il ne pèsera pas sur les contribuables en raison de leurs facultés, de leurs revenus. Tel qui par sa fortune pourrait très bien supporter cette charge extraordinaire, qui pourrait faire au gouvernement cette avance de fonds sera épargné, tandis que tel autre, malgré de pressants besoins, payera beaucoup trop.

Il faut, messieurs, selon nous, prendre l'argent où il est, et ne pas le chercher où il ne se trouve point.

Il faut que ceux-là qui ont le plus d'intérêt à conserver ce qu'ils possèdent contribuent largement à ce qui se fait principalement pour garantir ce qu'ils ont. D'après le système que nous proposons, il n'y aura que ceux qui en général peuvent payer qui seront tenus de participer à l'emprunt.

Tandis que, suivant le projet de loi, vous transformez en prêteurs, en bailleurs de fonds, des personnes qui sont loin d'avoir assez pour elles-mêmes ; vous exigez que ceux-là auxquels ce serait peut-être un devoir pour l'Etat de donner de l'argent, lui en prêtent au contraire,

Ce que j'avance, messieurs, n'a rien d'exagéré ; ce que je dis est tellement vrai, tellement senti par tout le monde, qu'il se forme sur différents points du pays des associations dont le but louable est de diminuer les charges que l'emprunt doit faire peser trop lourdement sur certains contribuables.

Ces personnes qui s'associent avec cette intention charitable reconnaissent donc que l'emprunt, assis sur les bases proposées, ne sera pas équitablement réparti, qu'il atteindra nécessairement des citoyens qui ne pourront le payer.

L'établissement de cette nouvelle espèce d'institution charitable, destinée à corriger en quelque sorte une loi non encore votée, à en atténuer les effets désastreux, prouve à l'évidence que la loi qu'on vous propose de décréter est mauvaise, qu'il y a quelque chose de mieux à faire et que, si l'on fait un appel aux classes aisées de la société en votant la proposition dont il s'agit, elles montreront dans cette occasion qu'elles savent faire abnégation de leurs intérêts particuliers, lorsqu'il s'agit du bien général.

Le système, messieurs, que nous avons l'honneur de vous proposer est sans nul doute plus simple, beaucoup moins compliqué et plus juste que celui présenté par le gouvernement.

Quoi de plus facile, en effet, que d'employer, pour connaître le revenu foncier de chacun des contribuables, les moyens dont on veut faire usage pour s'assurer du revenu des rentiers ? Le nombre des propriétaires payant certaine quotité de contribution foncière assez élevée, ne doit pas, ce me semble, dépasser celui des possesseurs de rentes hypothécaires, et ainsi le dépouillement des déclarations que nous demandons qu'on exige des premiers pourra se faire avec autant de facilité, que le triage des renseignements que les seconds doivent fournir.

Sans doute il ne sera pas facile de vérifier sur-le-champ l'exactitude de ces déclarations ; mais le sera-t-il davantage de rechercher si telle ou telle rente n'a pas été omise, si elle n'a pas été remboursée. La peine d'ailleurs que la loi comminera contre les auteurs de fausses déclarations suffira pour prévenir en général la fraude et il faut espérer que les Belges aisés auxquels on demandera ces avances montreront assez de patriotisme pour ne pas tâcher de se soustraire aux obligations que la loi leur imposera.

Si, messieurs, dans notre système nous prenons la contribution foncière et la contribution personnelle pour une des bases de l'emprunt, ce n'est pas pour le faire peser de toute manière sur la propriété, mais nous considérons l'impôt foncier comme la mesure du revenu des contribuables que nous croyons être les mieux à même de venir en aide, dans les circonstances actuelles au trésor de l'Etat.

Nous ne nous dissimulons pas que cette mesure, ce moyen d'apprécier le revenu est encore bien imparfait, bien incomplet, mais à défaut de temps et de renseignements suffisants, nous avons pensé qu'il pouvait nous servir de guide et que s'il laissait échapper à l'emprunt quelques habitants qui devraient y prendre part, il nous donnait du moins un résultat satisfaisant et que tous nous devons désirer celui de ne demander de l'argent qu'à ceux qui peuvent le mieux en prêter.

Après avoir examiné d'une manière générale les bases de l'emprunt, qu'il me soit permis, messieurs, de vous présenter quelques considérations spéciales sur la troisième.

L'emprunt a pour troisième base, les propriétés foncières non bâties tenues en location.

Je ne puis, messieurs, en aucune manière, adopter cette base, parce que je la regarde comme injuste, comme causant le plus grand préjudice a l'agriculture.

Elle est injuste, messieurs, parce qu'elle consacre l'inégalité dans la répartition.

Elle est préjudiciable à l'agriculture parce qu'elle atteint directement et indirectement ceux qui ont besoin de tout leur argent pour faire fructifier la terre.

Et d'abord, messieurs, en exigeant du fermier une partie de l'emprunt, on frappe une seconde fois le revenu foncier, mais seulement celui que recueille le locataire. Si un grand propriétaire exploite par lui-même sa ferme, il concourra bien à l'emprunt en raison de l'impôt foncier, mais il n'y participe pas en raison du produit qu'il retire de cet immeuble, comme étant, si je puis le dire, son propre fermier, comme exploitant.

Ainsi, si vous cultivez une ferme à titre de locataire, vous payerez ; mais si vous en êtes propriétaire et que vous l’exploitiez vous-même, vous ne payerez pas davantage que tout autre propriétaire.

En un mot, si, étant propriétaire d'une ferme, vous en tenez une autre en location de même contenance, vous contribuerez à l'emprunt d'après la première et la troisième base, c'est-à-dire, et comme propriétaire et comme locataire ; mais si vous cultivez la vôtre, on vous demande moins. Je ne sais même ce que l'on fera payer si on exploite une ferme dans laquelle on possède une part médiocre (part qu'il sera bien difficile au fisc de reconnaître) ; car on cultive, en ce cas, une partie de cet immeuble comme propriétaire et une partie comme locataire.

Je ne comprends pas en vérité pourquoi on a fait cette distinction entre le propriétaire cultivateur et celui qui n'est que locataire.

Messieurs, il y a plus ; si, quoique propriétaire la côte de la contribution foncière que vous payez dans la commune est rangée dans le quart des cotes non imposées, vous ne faites aucune avance de fonds à l'Etat ; mais soyez seulement locataire de quelques pouces de terrain, cultivez seulement de quoi nourrir une vache ou recueillir quelques denrées alimentaires pour votre ménage, on vous impose ; car quand il s'agit de locataires on leur fait payer l'emprunt quel que soit le montant d'imposition foncière.

Enfin, messieurs, quantité de terrains très productifs donnent des revenus considérables sans être élevés ; tels sont grand nombre de prés de pâture, les bois et les forêts, et par cela seul que l'on recueille les fruits de ces terrains directement sans l'intermédiaire d'une tierce personne, en dispense leurs revenus de servir de base à l'emprunt.

Vous le voyez, messieurs, si on conserve cette base de l'emprunt, on commettra bien des injustices ; bien des anomalies choquantes auront lieu.

Ainsi donc cette partie de l'impôt sera non seulement injuste, mais comme je l'ai dit et vais le prouver, elle nuira essentiellement à l'agriculture.

Que demande-t-on, en effet, aujourd'hui de toute part ? C'est que l'on accorde à l'agriculture une protection non pas consistant en de vaines paroles ou en promesses éphémères, mais une protection réelle et efficace. Or, messieurs, ce dont les hommes compétents en cette matière se plaignent le plus, c'est que les capitaux manquent à l'agriculture ; tous ils reconnaissent qu'il faut créer des banques agricoles, qu'il faut augmenter et fortifier par tous les moyens possibles le crédit agricole.

En effet, messieurs, l'on comprend aisément qu'il est impossible d'améliorer la terre, d'opérer des défrichements sans fonds, sans argent, et l'on sait que celui-là qui se trouverait dans l'impossibilité de maintenir pendant une seule année son terrain en bon état de fertilité éprouve le plus grand préjudice.

Cependant, messieurs, quel sera le résultat immédiat de l'emprunt ? Evidemment d'enlever à l'agriculture du royaume, d'après le projet primitif, plus de 3 millions de fr., réduits aujourd'hui à 1,500 mille fr., que l’on tire directement de la poche des habitants qui cultivent, qui font fructifier le capital foncier, 1,500 mille fr. qui étaient destinés, par ceux qui en seront privés, à se procurer souvent du bétail, des engrais, à faire exécuter des travaux de toute espèce et productifs.

Si, messieurs, vous adoptiez cette base de l'emprunt, vous commettriez une grave inconséquence, car d'un côté vous voteriez chaque année des fonds pour l'amélioration de l'agriculture que vous lui enlèveriez de l'autre dans une proportion bien plus forte. Vous auriez voté des crédits considérables pour favoriser le défrichement, et à peine ces terres meubles auront-elles donne quelques chétifs produits, quelque revenu, que vous viendrez l'entamer en exigeant de celui-là même qui aura mis ces terrains en valeur une part de ses produits, une part de ce qui pour lui est un véritable capital productif.

Il n'y a pas bien longtemps, messieurs, que sous prétexte que le revenu agricole du fermier ne paye rien à l'Etat, sous prétexte qu'il est exemple du droit de patente, on a cherché à l'imposer, à en faire une nouvelle matière à impôt.

Il n'y a pas bien longtemps que dans un projet de loi sur la contribution personnelle on a voulu imposer les bestiaux de toute nature.

Vous n'avez pas oublié, messieurs, comment ce projet de loi a été reçu par le pays, que la répulsion qu'il a éprouvée de toute part a été telle qu'il n'a pas eu même l'honneur de subir une discussion.

Eh bien, je regrette vivement que le ministère semble vouloir représenter cette malheureuse idée, et la présenter aujourd'hui sous une forme nouvelle. Je regrette que, comme dans ce fameux projet de loi, on veuille actuellement atteindre le revenu du cultivateur locataire, comme on voulait en ce temps frapper son capital productif dans ses bestiaux, et par conséquent dans leurs produits.

Je regrette que l'on mette en avant cette mesure, qu'on l'exhume de nouveau alors que l’industrie agricole, comme toute autre, est en souffrance, car il ne faut pas se faire illusion, dans ces temps calamiteux les cultivateurs de plusieurs provinces, et je citerai particulièrement ceux de l'arrondissement qui m'envoie ici, sont loin de vivre avec aisance, de posséder même plus que le strict nécessaire.

(Erratum, p. 1436) Je repousserai donc de toutes mes forces la troisième base de l'emprunt.

(page 1383) M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, je pensais laisser le soin de défendre le projet de loi à d'honorables collègues plus versés que moi dans les questions financières ; mais le débat se prolongeant beaucoup plus que je ne m'y attendais, et ayant même revêtu hier un certain caractère d'irritation, je crois devoir, à mon tour, prendre part à la discussion.

Avant d'aborder les objections qui ont été faites contre le projet de loi, je dirai quelques mots de la question d'économie qui a été si éloquemment développée par un honorable député de Gand. Ma tâche, du reste, a été singulièrement simplifiée hier par l'honorable M. Lebeau, et il me restera même peu de chose à dire après lui.

Cependant, comme on a principalement cité deux branches d'administration qui appartiennent au département des affaires étrangères, comme devant être la source de larges économies ; que non seulement on en a parlé dans cette enceinte, mais que de nombreuses pétitions sont venues les réclamer, je crois qu'il est bon de revenir sur ce sujet, qu'il est bon de dissiper les illusions qui tendraient à croire que là est une source d'économies extrêmement féconde ; et qui pourraient même avoir une certaine influence sur le chiffre de l'emprunt proposé.

Messieurs, mes honorables collègues vous l'ont déjà dit, le ministère est aussi convaincu que qui que ce soit de l'impérieuse nécessité d'introduire de larges économies dans les budgets de l'Etat. La question est de savoir jusqu'où iront ces économies, car personne n'entend sans doute qu'on en vienne à une espèce de désorganisation administrative qui ne permettrait plus en quelque sorte à la machine gouvernementale de marcher.

Messieurs, qu'on me permette de le rappeler, déjà avant le 24 février, le ministère était entré, en présentant les budgets pour l'exercice de 1849, dans la voie des réductions.

En effet, comparés aux budgets de l'exercice actuel, ils présentent une diminution d'environ 1,500 ;000 fr. ; et dans mon budget particulier qui était presque toujours resté immuable, ou qui, s'il avait subi des modifications, les avait subies dans le sens des augmentations ; eh bien, dans mon budget particulier pour 1849, j'ai déjà proposé une réduction de plus de 100,000 fr.

Maintenant que des événements tout à fait extraordinaires ont jeté la perturbation dans les finances de tous les pays, ont tari en quelque sorte les sources de la richesse publique, en présence des charges que ces événements nous imposent, nous sentons plus que jamais l'impérieuse nécessité d'entrer plus avant encore dans la voie des économies.

Aussi, messieurs, toutes les économies que nous pourrons réaliser d'ici à la convocation de la nouvelle législature, nous nous empresserons de les faire ; et lorsque l'on examinera les budgets de 1849 des réductions nouvelles plus fortes que celles que nous avions proposés primitivement seront soumises aux chambres.

La chambre n'entend pas sans doute que j'entre dans l'examen de ces réductions, car il n'y aurait pas de raison pour qu'à propos de l'emprunt on ne passât en revue tous les budgets de l'Etat.

Je me bornerai à rappeler ce que vous disait hier l'honorable M. Lebeau, c'est qu'en définitive la diplomatie ne coûte pas même, comme on l'a dit hier, 800 mille francs, car il faut déduire de cette somme les consulats rétribués, que personne, je crois, ne veut réduire ni supprimer, puisque au contraire on a toujours encouragé le gouvernement à en augmenter le nombre ; or si on déduit les dépenses destinées aux consulats et aux frais consulaires, la diplomatie coûte annuellement environ 650 mille francs. Notre diplomatie a été établie d'après les usages européens, et les traitements de nos agents, consacrés par de nombreux votes, sont, comme on l'a souvent démontre, inférieurs à ceux des agents de la diplomatie européenne.

Dira-t-on que nos agents peuvent faire de larges économies sur leur traitement ? Je puis assurer la chambre qu'il n'est pas un seul membre du corps diplomatique qui ait fait des économies, et que la plupart doivent avoir recours à leur fortune personnelle.

On a parlé des titres accordés à notre diplomatie. Mais ce n'est pas le titre qui fait la charge pour le contribuable, c'est le traitement. Peu importe le titre si le traitement n'en est pas plus élevé. On a dit que nous ne devions pas avoir d'ambassadeurs ; d'abord nous n'en avons jamais eu qu'un seul, et son traitement n'est pas plus élevé que celui du ministre plénipotentiaire qui l'avait précédé, et d'ailleurs sous peu nous n'aurons plus d'ambassadeur.

Nous avons aussi des ministres résidents ; c'est encore un titre qu'on a accordé à des agents sans leur donner un traitement plus élevé qu'à de simples chargés d'affaires.

Si, messieurs, je présente ces observations, ce n'est pas que je me refuse à réaliser des économies sur ce chapitre ; elles entrent au contraire tout à fait dans mes vues. Je suis persuadé même que les agents qu'elles atteindront comprendront que, dans les circonstances où nous nous trouvons, il faut, dans l'intérêt du pays, céder à de légitimes exigences.

Quant à la marine militaire, il s'agit de savoir si elle doit être entièrement supprimée. Nous examinerons franchement cette question, nous la discuterons de bonne foi devant la nouvelle législature, mais il me semble qu'une institution qui existe en Belgique depuis 1830 mérite bien un examen spécial avant qu'on en vienne à la suppression. Je suis persuadé du reste qu'on s'est exagéré les économies qu'il est possible de faire sur ce chapitre.

Le chapitre de la marine, qu'on a appelé longtemps le budget de la marine, s'élève à 1,305,000 francs. Ne croyez pas, messieurs, qu'on puisse faire disparaître entièrement ce chiffre : il y a plusieurs articles qui dans tous les cas devront nécessairement être maintenus ; ce sont ceux qui sont destinés à des services productifs qui rapportent à l'Etat plus qu'ils ne coûtent.

Ainsi les recettes du pilotage sont portées au budget pour 625,000 fr., les commissariats maritimes pour 35,800 fr., le service d'Ostende à Douvres pour 312,000 fr., le passage de l'Escaut pour 45,448 fr. Total, 1,018,248 fr.

Si nous déduisons cette somme du chiffre de 1,300,000 fr. il restera en définitive comme excédant de dépense 287,000 fr.

Notre marine militaire se compose de : un brick, le Duc de Brabant ; une goélette, la Louise-Marie ; deux canonnières (il y en avait 3 ; j'en ai supprimé une). Le brick et la goélette occasionnent annuellement une dépense de 200,000 fr.

En admettant la suppression de ces deux navires et en laissant les deux canonnières pour surveiller la quarantaine, on n'obtiendrait pas la réduction de la totalité de cette somme, parce qu'il y a un certain nombre d'officiers et de sous-officiers, que vous ne pouvez mettre sur le pavé.

Ce sont des hommes qui, pour suivre cette carrière, se sont livrés à de longues études, ont couru des dangers réels, ont montré un zèle, et une fidélité à toute épreuve pour le service de l'Etat. Ils sont donc dignes de toute votre sollicitude. En leur donnant le traitement de non-activité, cela reviendra à une somme de 63,000 fr., ce qui réduirait donc l'économie à 137,000 fr. Ajoutez cette économie à celle de 200,000 fr. qu'indiquait hier l'honorable M. Lebeau comme possible sur les traitements du corps diplomatique, vous arriverez au chiffre de 337,000 fr.

Vous le voyez donc, messieurs, cette réduction ne peut exercer la moindre influence sur la proposition qui vous est faite, sur le chiffre de l'emprunt.

J'aborde maintenant, messieurs, les objections qui ont été faites contre le projet de loi.

La nécessité de l'emprunt n'a été contestée par personne ; on la reconnaît de toutes parts. Les orateurs qui ont pris la parole annoncent même qu'ils désirent mettre le gouvernement en mesure de satisfaire toutes les exigences de la situation. On ne diffère que sur le mode ; la section centrale propose un autre système.

Nous nous en occuperons tout à l'heure.

Puisqu'on reconnaît que le ministère a bien fait de demander l'emprunt qu'il était impossible de s'en dispenser, qu'il ne pouvait avoir recours qu'au pays, on croirait que du moins on lui tiendra compte des difficultés de la situation, qu'on lui épargnera d'injustes accusations. Eh bien, messieurs, dans la séance d'hier, le cabinet a été, au contraire, l'objet des reproches les plus amers.

Un honorable député qui avait pris rarement la parole dans nos débats, que nous ne connaissions jusqu'à présent que par sa modération, a tout à coup attaqué le ministère avec une vivacité, je dirai même avec une violence qui a surpris tout le monde. Et pourquoi l'honorable député de Dinant a-t-il montré tant d'aigreur contre le ministère ? Je suis encore à me le demander.

Est-ce parce qu'il reconnaît que l'emprunt n'est pas nécessaire ? Pas du tout, messieurs ; il a déclaré même en terminant qu'il voterait en faveur du projet de loi.

Est-ce parce qu'il blâmerait l'application de l'emprunt ? Non, l'honorable M. de Liedekerke a déclaré que l'application qu'on en faisait à l'armée, aux travaux publics, avait été sagement réglée.

Est-ce qu'il reprocherait au ministère de ne pas avoir rempli ses devoirs dans les circonstances graves où nous nous sommes trouvés, de n'avoir pas pris des mesures pour faire respecter le territoire, pour maintenir l'ordre à l'intérieur ? Non, messieurs, tout le monde rend, je crois, cette justice au ministère, y compris M. de Liedekerke, qu'il s'est montré à la hauteur de sa mission.

Est-ce que l'honorable membre prétendrait qu'on n'a pas conservé avec les puissances étrangères, dans ces temps difficiles, les relations les plus amicales ? Non, messieurs, nous sommes, je crois, dans une position diplomatique on ne peut meilleure vis-à-vis de toutes les puissances, sans exception. Jamais la Belgique n'a été aussi respectée, aussi considérée dans tous les pays qu'elle l'est actuellement, tant au midi qu'au nord.

En quoi consistent donc les reproches qu'il nous fait ? Les voici : M. de Liedekerke nous reproche de ne pas avoir présente aux chambres une loi sur les sucres, de ne pas avoir présenté une loi sur le tabac ; enfin de ne pas avoir soumis à la législature le projet de loi sur les assurances. Voilà la cause de son irritation.

Messieurs, l'honorable membre n'ignore pas que, quant à la question des sucres, il y a une loi votée l'année dernière, qui ne doit expirer que le 1er juillet, et qui constitue un engagement pris vis-à-vis du commerce et de l'industrie ; loi qui a été présentée par l'honorable M. Malou qui, je crois, a toutes les sympathies de l'honorable M. de Liedekerke. Eh bien, jusqu'à l’expiration de cette loi, il ne pouvait pas être question d'en mettre une autre en vigueur.

Une loi sur les tabacs ? Mais l'honorable M. de La Coste le disait hier : l'honorable M. Mercier a, dans le temps, présenté une loi, pour l'augmentation des droits sur les tabacs, et cette loi a été repoussée dans cette enceinte ; elle a valu de vifs reproches à l'honorable M. Mercier, et elle a été combattue surtout par qui ? par l'honorable M. Malou.

Enfin, quant au projet sur les assurances, le ministère n'est pas opposé au principe des assurances par l'Etat. Mais l'honorable M. de Liedekerke (page 1384) a-t-il parfaitement étudié cette matière ? Croit-il qu'on peut discuter immédiatement cette loi et en faire l'application ? Messieurs, c'est une des lois les plus difficiles ; c'est une des questions les plus sérieuses qu'on puisse soumettre à cette chambre. Nous l'avons examinée dans le sein du conseil des ministres, et malgré les études dont cette question avait déjà été l'objet, nous avons trouvé que la question n'était pas assez mûrie. Il nous manquait même les renseignements statistiques les plus indispensables pour juger en connaissance de cause et pour que nous pussions soumettre la question à la chambre.

Voilà, messieurs, en définitive, les griefs de M. de Liedekerke. Voilà à quoi ils se réduisent. Aussi, je le répète, l'honorable préopinant, après nous avoir attaqués aussi vivement, a fini par déclarer qu'il voterait en faveur du projet de loi. Seulement il nous en laisse, dit-il, la responsabilité ; c'est-à-dire qu'il accepte les bénéfices de la loi, mais qu'il en rejette les charges : c’est plus commode.

Voyons, messieurs, ce que pouvait, ce que devait faire le ministère dans les circonstances graves où il s'est trouvé. Voyons la situation qui lui était faite et au moment de son avènement et au 24 février.

On vous l'a dit hier, messieurs, l'impérieuse nécessité de l'emprunt était constatée, reconnue depuis longtemps. Elle l'était déjà il y a deux ans ; elle l'était par l'ancien cabinet lui-même ; elle l'était par tout homme qui a l'habitude de s'occuper des affaires du pays. N'avait-on pas en effet déjà, avant l’avènement du ministère, une dette flottante extrêmement élevée ? N'avait-on pas devant soi les besoins du chemin de fer ? les besoins pour l'achèvement des travaux déjà décrétés ; pour ceux entrepris et à entreprendre dans l'intérêt des Flandres ? Il fallait faire face à tous ces besoins ; c'était indispensable, et on ne pouvait le faire que par un emprunt.

Le cabinet, quand il est arrivé aux affaires, n'a pas dissimulé la situation financière ; il a fait connaître la nécessité de l’emprunt. Mais vous le savez, pendant l'hiver, une crise financière des plus graves pesait sur le pays et sur tous les marches du monde. Le moment n'était donc pas favorable pour s'occuper d'un emprunt. Et quand bien même un emprunt eût été contracté pendant l'hiver, savez-vous ce qui serait arrivé ? C'est que l'emprunt n'aurait pas été payé, comme cela est arrivé pour l'emprunt français.

Ainsi, sur ce point il est impossible d'adresser le moindre reproche au ministère.

C'est donc dans cette situation, c'est lorsque l'obligation impérieuse de contracter un emprunt était constatée et pleine d'urgence, que les événements du 24 février ont éclaté.

Il y avait à pourvoir aux besoins du passé que je viens d'énumérer. Il y avait à pourvoir aux besoins du présent. Il fallait prendre des mesures pour le maintien de l'ordre, pour préserver le territoire de toute attaque. Il fallait constituer une neutralité forte qui est la base de notre politique et qui a déjà été proclamée des 1840 dans cette enceinte aux applaudissements du pays.

Il fallait enfin, messieurs, pourvoir aux nécessités de l'avenir ; il fallait empêcher qu'une masse d'ouvriers ne fût jetée sur le pavé et ne portât le trouble dans le pays.

Telle a été la situation grave, difficile, dans laquelle s'est trouvé le ministère au milieu des dangers politiques dont il était entouré.

Eh bien, messieurs, il ne s'est pas découragé. Il a eu confiance dans le pays. Cette confiance n'a pas été trompée ; elle ne le sera pas encore.

Que pouvait-il faire, messieurs, pour parer aux exigences financières ? Faire un emprunt, soit au-dehors soit au-dedans du pays. Eh bien, l’emprunt au-dehors du pays a été tenté ; on a cherché à éviter aux contribuables les sacrifices qu'on leur demande actuellement. Des tentatives ont été faites, poursuivies sur les grandes places financières de l'Europe. Un instant nous avons espéré pouvoir réaliser cet emprunt. Mais, malgré toute notre persévérance, malgré les soins que nous y avons mis, malgré des influences puissantes, nous n'avons pu réussir. Ce n'est point cependant à cause d'une défiance dans le crédit de la Belgique que nos offres n'ont point été acceptées, mais c'est à cause de circonstances extraordinaires qui empêchaient toute espèce de prêt. Tout autre pays, tout autre gouvernement aurait échoué comme nous.

Messieurs, c'est le 15 mars que nous avons reçu la nouvelle qu'il ne restait aucun espoir de réaliser un emprunt à l'étranger, et le 16 mars nous avons présenté le projet actuel. Aucun retard n'était permis.

Eh bien, messieurs, lorsque le projet de loi qui vous est soumis est présenté dans des circonstances pareilles, lorsque nous ne cédons qu'à l'impérieuse nécessité, il semble qu'on doit en tenir compte au ministère. Il faut qu'on soit juste envers lui. Ce n'est pas le ministère, messieurs, qui a créé le déficit. Ce n'est pas lui, à coup sûr, qui est cause de ces graves perturbations qui entraînent de si lourdes charges pour le pays. Ce n'est donc point par légèreté ni pour sa satisfaction personnelle, qu'il présente l'emprunt ; c'est parce qu'il lui est impossible de se soustraire à une implacable nécessité.

Messieurs, un de mes honorables collègues du Luxembourg a aussi adressé au ministère des reproches très vifs. Il en est un qu'il m'est impossible de passer sous silence, c'est celui qui se rapporte à la province de Luxembourg.

Je sais parfaitement et je n'entends pas le dissimuler, que l'emprunt n'est pas populaire dans, les campagnes du Luxembourg. Je sais qu'on y aura de grandes difficultés d'y satisfaire. Cependant si nous en jugeons parce qui s'est passé pour le premier emprunt. par l’empressement avec lequel il a été payé, pourquoi ne pas croire qu'on fera de nouveaux efforts pour le deuxième ?

Je sais, messieurs, qu'il serait beaucoup plus populaire aux yeux des habitants des campagnes du Luxembourg de voter contre l'emprunt que de voter pour l'emprunt. Mais, messieurs, cette position, je n'ai point voulu l'accepter. Puisque je me trouvais à la tête des affaires dans un moment aussi critique, aussi difficile, j'ai voulu accepter toute la responsabilité, toutes les conséquences de cette position. Il est possible que la présentation de ce projet de loi puisse même compromettre ma réélection. Eh bien, cela ne m'a point arrêté. J'aurais considéré comme une véritable lâcheté de chercher à me soustraire aux nécessités de la situation. J'ai voulu m'associer à mes honorables collègues et amis dans ces circonstances difficiles et ne point hésiter à présenter avec eux le projet de loi qui vous est soumis, et j'en accepte toute la responsabilité.

L'emprunt, a dit l'honorable M. Orban, fait peser de lourdes charges principalement sur le Luxembourg, et cette province ne jouit pas de ses avantages. Examinons, messieurs, quelle sera l'application principale de l'emprunt.

Il s'agit d'abord de satisfaire aux engagements de l'Etat ; en second lieu, d'organiser les mesures nécessaires pour la défense du territoire et le maintien de l'ordre.

Eh bien, je le demande à l'honorable M. Orban, le Luxembourg n'est-il point intéressé à ce que l'Etat paye ses dettes ? Ne fait-il point partie de l'être moral qu'on appelle l'Etat ? N'y a-t-il pas là une question d'honneur pour le Luxembourg, comme pour le reste du pays ? Ensuite, le Luxembourg n'est-il pas aussi intéressé que toutes les autres provinces au maintien de l'ordre ? Si des troubles avaient lieu, si des bandes envahissaient notre territoire, est-ce que cette province n'en souffrirait pas ? Ne serait-elle pas exposée aux désordres et, par conséquent, à des charges beaucoup plus lourdes que celle qu'on lui demande, enfin à toutes les calamités qu'entraînent le trouble et l'anarchie ?

Il est vrai que des crédits ont été demandés pour travaux publics et pour d'autres provinces que le Luxembourg. Messieurs, d'abord une partie de ces crédits ont aussi pour objet de satisfaire à des engagements déjà contractés, d'exécuter des travaux utiles pour donner de l'ouvrage à ces grandes agglomérations d'ouvriers qui doivent avant tout attirer l'attention du gouvernement. C'est là, une question d'ordre public autant qu'une question d'humanité.

Le Luxembourg, malheureusement, n'a plus beaucoup d'espoir, pour le moment du moins, de voir exécuter cette grande voie de communication qui lui avait donné tant d'espérances ; mais il lui reste encore des routes à faire, et mon honorable collègue, M. le ministre des travaux publics, vous a dit qu'une somme assez considérable est consacrée en ce moment à l'exécution de routes dans le Luxembourg.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Plus de deux cent mille francs.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d’Hoffschmidt). - Cela prouve que le gouvernement est loin de ne pas songer à une province à laquelle je suis, quant à moi, si profondément dévoué.

Messieurs, l'honorable M. Orban a aussi parlé d'une mesure qu'il a, dit-il, conseillée au ministère, et qui consistait à dispenser de l'emprunt ceux dont l'impôt n'atteint pas une certaine somme.

Messieurs, cette idée, l'honorable M. Orban n'en est pas le premier inventeur ; on l'a signalée souvent au ministère ; moi-même, je dois le dire, j'en ai parlé plusieurs fois à mon honorable collègue, M. le ministre des finances ; mais pourquoi n'a-t-elle pas été adoptée ?

Je le regrette beaucoup, mais c'est tout uniment parce qu'il n'a pas été possible de réunir les éléments d'appréciation nécessaires. Le gouvernement et M. le ministre des finances, en particulier, n'aurait pas mieux aimé que d'appliquer un semblable système, parce qu'il est toujours entré dans les vues du gouvernement d'épargner la charge du l'emprunt aux classes inférieures ; mais il a été reconnu, je le répète, qu'il y avait impossibilité matérielle de réunir les éléments nécessaires pour l'application de ce système.

J'arrive, messieurs, aux objections plus sérieuses qui ont été présentées contre l'emprunt.

Qu'il me soit permis de le constater : en définitive toutes les divergences d'opinion se résument en ceci : Faut-il émettre en déduction de l'emprunt une certaine quantité de billets de banque ayant cours forcé ou de papier-monnaie ?

Messieurs, je suis loin de repousser l'éventualité d'une augmentation de papier-monnaie ; je suis loin d'être convaincu que le pays ne peut pas supporter en papier-monnaie un chiffre supérieur à 34 millions. Je suis persuadé au contraire qu’il peut en supporter bien davantage. Mais, messieurs, devons-nous nous empresser d'abuser de ce moyen ? Devons-nous aller d'un bond, en quelque sorte, jusqu'à la dernière limite des émissions ? Voilà ce que nous ne voulons pas, nous ne pouvons pas accepter.

On diffère sur la question de savoir quelle est la quantité de papier-monnaie qui peut être supportée par la Belgique. En effet, il est impossible d'avoir des données certaines à cet égard ; on ne peut déterminer ce chiffre d'une manière mathématique en quelque sorte ; mais un point sur lequel on doit être d'accord, c'est sur les principes qui règlent cette matière.

Ainsi, il faut trois conditions, pour qu'un papier-monnaie conserve sa valeur ; il faut 1° que la quantité n'en dépasse pas les besoins de la circulation ; 2° il faut que le public ait confiance dans les garanties qui sont données soit par un établissement, soit par le gouvernement ; il faut en troisième lieu que les émissions ne se succèdent pas trop rapidement. Si vous (page 1385) lancez immédiatement dans la circulation tout le papier-monnaie qu'un pays peut supporter, il est évident qu'une dépréciation considérable en résulterait inévitablement.

L'expérience faite dans d'autres pays vient à l'appui de ce que j'avance. Que nous apprend cette expérience ? C'est que la dépréciation vient de deux causes, d'abord de l'excès du papier-monnaie, mais aussi de la promptitude avec laquelle on a fait coup sur coup les émissions.

L'on a cité la France et l'Angleterre où l'on a usé du papier-monnaie. Eh bien, en France, le papier-monnaie qu'on appelait les assignats, n'a pas été seulement déprécié lorsqu'il y en a eu 40 milliards en circulation, mais il l'a été dès les premières années, il l'a été parce qu'on a fait des émissions successives trop rapprochées. Je vais vous en donner la preuve.

La première émission des assignats date de 1789. Elle fut de 400 millions. Bientôt après les émissions se succédèrent. Vers la fin de 1790, il y avait 1,200 millions en circulation. En 1792, 2 milliards 200 millions. En 1794, 6 milliards en circulation. A la fin de 1795, on en avait fabriqué plus de 40 milliards.

La dépréciation commença avec les premières émissions. Elle fut de 10 p. c. vers le commencement de 1791. 37 p. c. vers la fin de 92. 55 p. c. à la fin de 93. 78 p. c. à la fin de 94.

Aux assignats ont succédé les mandats territoriaux.

Une loi de 1796 en a créé pour 2 milliards 400 millions, hypothéqués par 3 milliards de propriétés.

Quelques mois après, on n'en voulait plus.

Et alors est arrivée cette époque où l'on devait donner 10,000 fr. pour une paire de bottes.

En Angleterre, l'on n'a pas autant abusé du papier-monnaie. Cependant les causes que j'ai signalées ont amené aussi une certaine dépréciation que vous a fait connaître hier l'honorable M. Cogels dans le savant discours qu'il a prononcé sur les fluctuations des billets de la banque d'Angleterre.

Aussi longtemps que l'émission a été maintenue dans certaines bornes, jusqu'en 1811, la dépréciation n'a pas existé ; mais en 1811 jusqu'en 1814, l’émission a considérablement augmenté, et a été portée jusqu'à 27 millions sterling ; alors la dépréciation est devenue très forte pour un pays comme l'Angleterre, elle a été de 25 ou même de 27 p. c. ; et remarquez ce que ne vous a pas fait connaître hier l'honorable M. Cogels, c'est que c'est en 1811 que le cours des billets de la banque d'Angleterre a été rendu obligatoire. Jusque-là il n'y avait eu que suspension de payements.

Messieurs, il est un pays, qu'on n'a pas cité dans la discussion et qui mérite de l'être en matière de papier-monnaie, c'est la Prusse. En Prusse, le papier-monnaie existe encore, et il a toujours parfaitement réussi. Il existe depuis 1806, mais les émissions ont toujours été faites avec lenteur, et l'on n'a jamais dépassé certaines limites. En 1813, la circulation n'était que de 8 millions de thalers ; elle est actuellement de 25 millions de thalers, et l'on a décidé qu'en 1849, il y aurait une réduction de 6 millions de thalers.

Mais la banque royale a le droit d'émettre 21 millions de billets de banque, qui entreront peu à peu dans la circulation, et d'après cela, le papier-monnaie peut atteindre 40 millions de thalers, ce qui fait à peu près à 10 fr. par habitant. Dans la même proportion, cela reviendrait pour nous à une quantité équivalant à 44 millions de francs.

En Prusse, le papier-monnaie s'est toujours conservé au pair ; une des causes principales de ce fait, c'est la lenteur et la prudence avec laquelle on a fait les émissions.

Messieurs, ces renseignements doivent nous servir dans les circonstances actuelles ; ils nous démontrent que pour le papier-monnaie il ne faut pas aller immédiatement jusqu'à la dernière limite de ce qui peut être supporté par le pays.

Il ne faut pas nous le dissimuler, il se présentera bientôt une nécessité aussi impérieuse que celle devant laquelle nous nous trouvons en ce moment, et qui probablement exigera une nouvelle émission de 20 millions. C'est là un motif décisif pour qu'on n'adopte pas le système de la section centrale.

Ce système devient impossible en présence d'une semblable éventualité que vous présente un très prochain avenir, et qui portera déjà le chiffre des billets à 64 millions. Nous n'avons du reste rien d'absolu sur le maximum du chiffre à émettre. C'est une ressource qui nous sera encore nécessaire, mais dont il ne faut pas se hâter d'abuser.

Mais dans le moment actuel, en présence d'une éventualité à laquelle nous ne pourrions pas nous dispenser de pourvoir, sans exposer le pays à un véritable cataclysme financier, la plus vulgaire prudence nous engage à ne pas admettre le système de la section centrale.

Mais, a dit l'honorable M. Malou, et c'est son plus grand argument, il ne faut pas que les établissements prives profitent seuls de ce moyen ; il faut que le pays en profite en même temps. Cet argument n'est pas solide. Sans doute le pays doit profiler du papier-monnaie ; mais si nous avons accordé cette faveur à des établissements particuliers, ce n'est pas uniquement dans l'intérêt de ces établissements ; si nous l'avions fait uniquement dans ce but, nous serions fort coupables ; c'est dans l'intérêt du pays que la grande mesure du 20 mars a été prise. Le crédit de ces établissements se lie étroitement au crédit public.

Vous ne pouvez pas séparer ces deux intérêts. Vous ne pouvez pas séparer le maintien des caisses d'épargne, des grands établissements industriels, des caisses d'escompte des intérêts les plus vitaux du pays.

Ainsi quand on autorise de semblables émissions en faveur d'un établissement particulier, c'est parce que l'intérêt public le réclame impérieusement, c'est parce qu'il se rattache étroitement à cet intérêt privé, sans cela on ne devrait pas le faire.

On a reproché au gouvernement de ne pas se montrer conciliant vis-à-vis de la section centrale. A-t-on donc oublié que le gouvernement s'est rallié à la proposition de réduire le chiffre de l'emprunt à 27 millions ? N'a-t-il pas fait ainsi un grand pas dans la voie de la conciliation ? Maintenant on veut, au nom de la conciliation, qu'il aille jusqu'à adopter le système tout entier de la section centrale ; jusqu'à abdiquer en quelque sorte ses convictions ! Ce ne serait plus dès lors le ministère qui gouvernerait, ce serait la section centrale. Si elle veut l'application de ses idées, c'est à elle et non à nous d'en accepter la responsabilité ; mon honorable collègue, le ministre de l'intérieur, l'a déclaré hier, je le déclare à mon tour : si on veut l'application d'un système qui n'est pas le nôtre, que d'autres s'en chargent ; nous nous engageons même à appuyer dans son exécution le nouveau cabinet. Car, quand il s'agit des plus grands intérêts du pays, quand il s'agit de mesures de salut public, il faut réunir toutes les forces de la nation, il faut l'union, la concorde. Nous n'accepterons donc pas le système de la section centrale. Si la chambre veut l'adopter, la section centrale ou d'autres membres qui partageront ses vues devront le mettre à exécution.

M. de Tornaco. - Messieurs, en entrant dans cette discussion, j'éprouve le besoin de me défendre tout d'abord de toute influence qu'aurait pu exercer sur moi le discours qu'a prononcé M. Lebeau dans la séance d'hier, discours, messieurs, qui m'a paru une sorte de réquisitoire contre la propriété, discours plein de menace contre la propriété. Des discours semblables, messieurs, n'ont point accès auprès des hommes indépendants, auprès des hommes libres et dignes de l'être. Aussi je répudie toute influence qui pourrait être attribuée à de pareils discours.

Messieurs, si certaine propriété devait courir des dangers, toutes les propriétés y seraient exposées en même temps ; il n'y aurait pas de distinction entre la propriété foncière et les autres, toutes seraient menacées ou frappées à la fois. Si la propriété foncière était attaquée particulièrement, car c'est de celle-là qu'on a parlé plus spécialement, elle trouverait, qu'on veuille bien le croire, des défenseurs nombreux qui ne se borneraient point à de vaines déclamations.

Il est vrai de dire que ceux qui possèdent la plus grande partie du sol, les cultivateurs ne connaissent pas parfaitement leurs droits, ne connaissent pas parfaitement leurs intérêts ; on leur a refusé jusqu'à présent cet enseignement agricole que je n'ai cessé de réclamer pour eux depuis que je suis entré dans cette enceinte ; malgré la manière dont ils ont été traités sous ce rapport, ils connaissent assez leurs intérêts pour se grouper, pour s'entendre, s'associer et montrer au besoin qu'il y a du courage sous le sarrau comme sous l'habit. Les discours comme celui auquel je fais allusion produisent un effet contraire à celui auquel on aspire ; aussi c'est malgré ce discours que je voterai pour l'emprunt.

Je voterai, messieurs, l'emprunt dans les limites qui ont été indiquées par le gouvernement le 3 de ce mois. Le gouvernement a fait des concessions aux demandes des sections et de la section centrale ; en agissant ainsi, il n'a pas montré de faiblesse ; il a fait preuve de tact ; il a fait preuve du sentiment des convenances.

Il existe assez de pouvoirs qui, sous le nom de libéralisme, usurpent les attributions, empiètent sur les droits de leurs successeurs. Il est bon que, de temps à autre, un pouvoir vraiment libéral se montre animé du sentiment de haute convenance et de profond respect à l'égard des droits de celui qui est appelé à le remplacer.

Il me serait difficile, messieurs, de ne pas adopter le projet d'emprunt : j'ai voté les neuf millions demandés pour l'armée ; j'ai accordé les fonds réclamés pour donner du travail aux ouvriers, et je suis loin, certes, de vouloir refuser les moyens de payer nos dettes, de satisfaire aux exigences de la probité publique.

Sans aucun doute, j'aurais préféré que l'emprunt eût été allégé par l'émission d'une certaine quantité de papier-monnaie. Mais, puisque le gouvernement croit ne pas devoir recourir à cette mesure, en ce moment, j'adopterai purement et simplement les bases d'emprunt qu'il nous a proposées. En agissant ainsi, j’entends donner au gouvernement une marque de confiance, à laquelle il a droit ; je désire le soutenir, l'encourager dans l'accomplissement de sa tâche difficile.

Il y a cependant une des bases de l'emprunt à laquelle je suis opposé. C'est la troisième, concernant les fermiers. Je ferai connaître, au besoin, mes motifs d'opposition, lorsque nous serons arrivés à la discussion sur les articles. Toutefois pour qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions, je déclare dès maintenant que s'il était nécessaire que cette partie de l'emprunt, qui, d'après le projet, doit peser sur le fermier fût maintenue, je consentirais à ce qu'elle fût reportée du fermier sur le propriétaire lui-même.

Après ces déclarations, qu'il me soit permis de présenter quelques observations critiques sur les bases de l'emprunt que je consens à voter.

La chambre m'accordera, j'espère, un peu d'indulgence ; car, suivant toutes les probabilités, c'est la dernière occasion qui me sera présentée de défendre, dans cette enceinte, les intérêts agricoles, à la défense desquels j'ai été engagé à m'attacher plus spécialement, dès l'origine de mon mandat.

Messieurs, le mot de partialité a été prononcé. Jamais, en effet, jamais projet de loi n'a porté le cachet d'une partialité plus frappante.

Deux emprunts nous ont été demandés successivement : l'un est de (page 1386) 12 millions, nous l'avons voté ; l'autre est de 25 à 27 millions. Ces deux emprunts font un total de 37 à 39 millions.

Eh bien, c'est à peine croyable, de ces 37 à 39 millions, 32 frappent le capital agricole. Peut-être, dans aucun pays, on n'a vu l’exemple d'un fait semblable.

Je me sers à dessein des expressions de capital foncier, de capital agricole.

Sur des plaintes déjà exprimées en ce sens, on a prétendu qu'une partie notable de l'impôt foncier pèse sur les villes ; mais telle est la force de la vérité qu'il est arrivé qu'un honorable ministre, tout en voulant prouver cette assertion, a réellement prouvé le contraire.

Que vous a dit M. le ministre des travaux publics ? Il vous a dit : « L'impôt foncier pèse sur les villes, ainsi que sur les campagnes ; dans les villes on paye par tête, 3 fr. 64 c. d'impôt foncier. Dans les campagnes, on paye, par tête, 4 fr. 44 c. » Mais cet honorable ministre avait sans doute oublié qu'un instant auparavant il avait dit que la population des villes est de 1,100,000 âmes, et la population des campagnes de 3 millions 300,000 âmes.

Si les habitants des campagnes sont trois fois aussi nombreux que ceux des villes, si les mêmes habitants des campagnes payent par tête un quart de plus environ que ne payent par tête les habitants des villes, il est bien certain que ces derniers ne payent qu'une très minime part à l'impôt foncier, elle est tellement faible qu'on peut dire que l'impôt foncier presque tout entier frappe l'habitant des campagnes, ou, si l'on veut, le capital agricole.

Messieurs, un fait aussi remarquable, aussi saillant, aussi déplorable que la partialité qui vous a été signalée, ne peut s'expliquer que par des illusions, des préventions ; je suis persuadé que l'honorable M. Lebeau dont le discours a fait l'objet de mes critiques, je suis persuadé que cet honorable membre qui a fait entendre des paroles un peu vives à l'adresse de la propriété foncière, est lui-même sous l'influence de ces illusions. Qu'il me soit permis, puisqu'il vient de rentrer dans la chambre, de dire, en passant, que je n'ai pas le moindre doute sur la droiture de ses intentions. Mais je suis convaincu qu'il se fait illusion comme beaucoup d'autres.

A entendre certaines personnes, à lire certains écrivains, on croirait qu'il n'est pas de propriétaire qui ne possède 40 à 50 mille livres de rente.

Ce sont des préventions ; ce sont des préjugés que l'on doit attribuer sans doute à la vue de quelques propriétaires opulents, à la vue d'un certain nombre d'autres qui sont riches ou le paraissent.

Lorsque les résultats du recensement agricole seront connus, j'ose croire que les préjugés dont je parle disparaîtront. On reconnaîtra alors que le nombre des grands propriétaires est restreint et que ceux qui supportent peut-être au-delà des deux tiers de l'impôt foncier ne sont pas des grands propriétaires.

Messieurs, la partialité dont le projet de loi est entaché est d'autant plus choquante qu'on peut comparer plus facilement les sources où l'on va puiser avec l'objet de la dépense à laquelle l'emprunt va s'appliquer.

Un des premiers objets est l'armée.

Pourquoi l'armée a-t-elle été augmentée ? On vous l'a dit bien des fois, c'est en grande partie pour maintenir l'ordre dans le pays. Qui donc trouble l'ordre ? Où l'ordre est-il troublé ? A coup sûr, ce n'est pas chez nos paisibles campagnards. Ceux-là travaillent et rentrent dans leur famille, après le travail ; ceux-là ne s'agitent point et ne se laissent point agiter, et pourtant c'est à ces habitants paisibles que vous demandez presque tout l'emprunt dont il s'agit.

Il y a plus, les trois quarts des citoyens que vous arrachez à leurs familles, pour le service militaire, viennent des campagnes.

Ainsi ceux qui payent doivent aussi croupir dans les corps de gardes.

Messieurs, aujourd'hui que la garde civique est définitivement organisée et d'une manière permanente, il est à espérer que vos soldats ne serviront plus de gardes du corps ou de gardes de ville, et que les villes sauront se garder elles-mêmes comme les campagnes se gardent.

Une autre destination de l'emprunt est de venir au secours de l'industrie, de soutenir le travail industriel.

Ainsi, pour soutenir le travail industriel, il faut arrêter le travail agricole ; pour venir au secours du capital industriel, il faut toujours attaquer le capital agricole. Je demande si la chose est très juste. Sans doute, messieurs, on n'eût pas pu s'adresser aux industriels qui sont chargés d'ouvriers, qui ont besoin de tous leurs capitaux ; la chose n'eût pas été raisonnable.

Mais il en est d'autres qui auraient pu concourir d'une manière un peu plus efficace à l'emprunt. Nos financiers, nos capitalistes, nos gros rentiers, quelle part vont-ils souscrire à cet emprunt ? Quelle sera, par exemple, la part de telle ville où l'on remarque une grande opulence, où l'on voit, en quelque sorte, ruisseler l'or ? Quelle sera sa part ? Elle sera, je crois, extrêmement minime. Aussi, lorsqu'il s'est agi de cette loi d'emprunt, le bruit a couru que ce projet avait été élaboré par le conseil d'Etat, composé de financiers appartenant à une certaine ville.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je demande la parole.

M. Loos. - Je la demande aussi.

M. de Tornaco. - Voilà, messieurs, le bruit qui a couru. Ce bruit est arrivé à mes oreilles ; je le rends tel qu'il est arrivé.

Messieurs, l'honorable M. Lebeau, dans la séance d'hier, citait l'exemple des Hollandais à propos d'emprunt, et cet exemple, à coup sûr, mérite d'être cité. Mais ce que l'honorable M. Lebeau ne disait pas, c'est que l'exemple était surtout donné par les financiers de la Hollande, par le haut commerce hollandais. On voyait alors briller d'un vif éclat le patriotisme des financiers et des commerçants hollandais. Ceux qui étaient loin de leur pays, répandus sur la surface du globe, accouraient de toutes parts pour venir déposer leur offrande sur l'autel de la patrie. Ce bel exemple, nous sommes à l'attendre dans notre pays ; en attendant qu'il soit donné, que l'on cesse de diriger des attaques contre la propriété foncière.

Messieurs, un troisième objet de l'emprunt est le payement des dettes. Il est bien loin, à coup sûr, de mes intentions, de refuser un emprunt qui doit remplir cette destination, un emprunt qui doit contribuer au maintien de notre crédit public. Mais il n'en est pas moins vrai que ces dettes n'ont pas été contractées au profit de l'agriculture à qui vous vous adressez pour les payer. On fait grand bruit de quelques chemins vicinaux pour lesquels vous votez chaque année 300,000 fr. Voilà, en vérité, une grande cause de dettes ! Et encore ces 300,000 fr., comme me le fait observer un honorable interrupteur, ne sont votés que depuis quelques années !

On a fait aussi des routes pour l'agriculture. Mais je pose en fait que si on réunit depuis 1830 tout ce qui a été dépensé pour les chemins vicinaux, pour les routes, enfin pour tous les travaux publics intéressant directement l'agriculture, la somme paraîtrait bien minime, comparée à la part contributive de l'agriculture.

Messieurs, l'emploi de l'emprunt qui est demandé, mis en regard de la source où on veut le puiser, fait ressortir d'une manière éclatante la partialité de la loi. Malheureusement cette comparaison qu'on peut faire à l'occasion de l'emprunt, on pourrait la faire par le passé.

C'est une habitude de faire payer la dépense à ceux qui n'en profitent pas. Il y a longtemps que toutes les fonctions du gouvernement semblent se borner à cette opération. Les dupes sont les cultivateurs, les propriétaires, qui dit l'un dit l'autre, en un mot, ceux qui vivent du capital agricole. Voilà sans doute le privilège dont a voulu parler M. Lebeau ; car j'ai en vain creusé ma mémoire pour découvrir un autre privilège dont la propriété foncière aurait joui.

Si l'on avait quelques doutes, quelques incertitudes sur la mauvaise politique financière que l'on suit depuis quelques années, l'étude de quelques grands faits qui se produisent servirait efficacement à les dissiper.

Que voyons-nous quand nous comparons les populations de notre pays ? Nous voyons l'opulence, l'accumulation des richesses dans certaines villes, dans la capitale surtout. Nous y voyons régner le luxe, un luxe exagéré ; et quoi que l'on ait pu me répondre dans une autre occasion, quoique l'on ait pu même employer à mon égard des expressions peu obligeantes, je maintiens mon opinion. Je dis que ce luxe effréné, ce luxe exagéré qui porte les familles à sortir de leurs ressources, est fâcheux, est nuisible. Luxe, corruption, désordre, sont trois faits qui se suivent dans la vie des peuples comme dans la vie des hommes.

Pendant que nous voyons l'opulence, la richesse s'accumuler d'une part, nous voyons la misère allant toujours croissant dans les campagnes ; dans toutes les campagnes, nous voyons l'émigration, les maladies, la mort.

Je crois, messieurs, que des faits aussi éclatants d'opposition ne sont pas sans cause, et les véritables causes sont : l'inégalité des charges, l'inégalité de la distribution des avantages.

Messieurs, quand je fais ces observations, veuillez bien le croire, c'est en acquit d'un devoir, c'est en conséquence de convictions inébranlables chez moi.

Loin de moi l'intention de vouloir établir un antagonisme entre les diverses parties du pays, entre les divers habitants du pays. Personne plus que moi n'est porté à l'union, à la conciliation, à une entente cordiale des divers habitants du pays. Mais pour que cette union, pour que cette entente cordiale existe d'une manière loyale, il faut que l'association ne soit pas une société léonine.

Le gouvernement, mes amis politiques, feront bien, je pense, d'arrêter leur esprit sur les réflexions que je viens de faire.

Aujourd'hui les divisions d'opinions politiques vont en s'affaiblissant dans notre pays ; ces divisions entre les opinions considérables du pays deviennent de jour en jour moins profondes ; peu d'intérêts politiques réels et sérieux demeurent en effet en discussion. L'attention publique se portera naturellement sur les intérêts matériels, d'autant plus qu'elle y sera conviée par notre situation financière. Il est à remarquer d'ailleurs que les grandes questions qui sont agitées aujourd'hui se résument ou se résolvent (erratum, p. 1436) en intérêts positifs ou matériels.

Nul doute que dans le temps d'examen et de discussion où nous vivons à la suprématie d'opinion, la direction des affaires ne doivent appartenir à celui qui voudra et saura répartir le plus justement les charges publiques et les avantages en vue desquels les charges sont payées, sont supportées.

Aujourd'hui l'injustice est frappante dans le projet de loi d'emprunt.

En toute autre circonstance, j'aurais repoussé un pareil projet de loi ; en ce moment je me crois en devoir de le voter. Je considère mon vote comme un acte de dévouement à mon pays. Les contribuables, j'en suis persuadé, considéreront aussi le payement d'un emprunt aussi lourd et aussi mal réparti, comme une preuve de leur attachement à l'ordre, à la paix et à la liberté de la patrie.

(page 1387) M. Lebeau. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président. - Il n'y a rien qui vous soit personnel dans le discours de M. de Tornaco.

M. de Tornaco. - J'ai déclaré qu'il n'y avait rien de personnel dans mes paroles.

M. Lebeau. - Les protestations de l'honorable préopinant, que, du reste, il avait devancées en rendant hommage à mes intentions, et l'impatience de la chambre, son désir de ne pas voir interrompre par des débats personnels une discussion de cette importance, m'engageront à renoncer à la parole. Je me borne à faire appel aux souvenirs de la chambre et à la prier de vouloir bien me juger, non pas d'après le commentaire de l'honorable préopinant, mais d'après le texte même de mes paroles.

(page 1434) M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, le discours de l'honorable collègue que nous venons d'entendre et qui atteste son patriotisme et son attachement au pays, augmentera encore le regret que nous inspire la résolution qu'il annonce à la chambre et dans laquelle, je l'espère, il ne persistera point. Si cette résolution pouvait être irrévocable, la chambre perdrait encore, à quelques jours d'intervalle, un orateur dont elle apprécie également les sentiments francs et loyaux, l'indépendance et la fermeté de caractère.

J'ai demandé la parole au moment où l'honorable M. de Tornaco s'est fait l'écho d'un bruit que je ne considérais pas comme de nature à être reproduit dans cette enceinte. Ce bruit, messieurs, n'a rien de fondé ; le coupable du projet d'emprunt, le premier et seul coupable, si coupable il y a c'est moi.

Il a été conçu au ministère des finances, sans que j'eusse consulté mes collègues sur aucun autre point que sur la nécessité de faire face aux besoins du pays et sur l'étendue des sacrifices à imposer.

J'ai élaboré le projet avec les fonctionnaires de l'administration, je me suis éclairé de leur expérience et, lorsqu'il était formulé, je l'ai apporté à mes collègues comme base de nos délibérations, sans que l'honorable M. Osy en ait connu le premier mot. (Interruption.)

Je cite le nom de cet honorable membre, parce que c'est à lui que le bruit se rapporte. Je puis l'en avoir entretenu dans une conversation, un jour ou deux avant la présentation, lorsque tout était arrêté et comme je l'ai probablement fait avec d'autres membres de cette chambre ; mais mon honorable ami est resté complètement étranger à la conception et à la rédaction du projet. Voilà, messieurs, la vérité sur un bruit que l'on s'est plu à reproduire et auquel l'honorable député de Liège vient de faire allusion.

L'honorable M. Osy m'a fait souvent une observation qui était parfaitement fondée. Il me disait : vous perdez du temps ; vous savez, comme moi, que l'avance des huit douzièmes est tout à fait insuffisante ; que vous devez de nécessité en venir à un deuxième emprunt ; hâtez-vous, prenez vos mesures afin de pourvoir sans retard aux besoins de la situation. C'était exact ; depuis la présentation du projet de loi, plus d'un mois s'est encore écoulé ; aujourd'hui nous n'avons plus de temps à perdre ; il faut, le plus tôt possible, assurer des rentrées au trésor.

Si, indépendamment des bases du projet, on avait pu s'adresser efficacement à d'autres sources de fortune, si les porteurs de nos fonds publics, dont on a parlé, avaient pu être appelés à participer à l'emprunt forcé, je ne crains pas de le dire, malgré les rudes atteintes portées à ces valeurs, jamais (page 1435) aucune réclamation ne se serait élevée de la part d'une ville qui est réputée, à tort ou à raison, en posséder beaucoup.

Plusieurs moyens de procurer des ressources à l'Etat ont été indiqués, combinés ; mais il est arrivé, comme toujours dans de semblables circonstances ; l'administration, prise au dépourvu pour de si grands besoins, a dû s'adresser presque exclusivement à la propriété foncière. C'est sans doute là une fâcheuse nécessité ; on comprend tout ce qu'il y a de juste et de vrai dans l'opinion de ceux qui ont soutenu souvent dans cette enceinte que la propriété, au lieu d'être frappée de ces différents centimes additionnels, devrait être ménagée dans des temps ordinaires pour avoir les moyens de venir en aide à l'Etat, dans des circonstances extraordinaires comme celles où nous nous trouvons maintenant.

On a parlé, comme d'une ressource, d'imposer des centimes additionnels sur les contributions indirectes ; mais ce moyen n'offrirait pas une somme suffisante pour permettre de dégrever une des bases de l'emprunt dans une proportion quelque peu sérieuse ; ensuite ce ne sont pas là des ressources immédiates, ni certaines quant à la quotité du chiffre. D'ailleurs, la rentrée des impôts indirects sera affectée par les circonstances. Le gouvernement ne trouverait pas en eux l'auxiliaire infaillible dont il a besoin dans l'intérêt du pays.

On a parlé de tirer parti d'une nouvelle législation sur les sucres, de l'introduction du monopole sur les tabacs, d'une législation sur les assurances. Tous ces moyens sont entre vos mains, messieurs ; il vous appartient de les examiner et de les réaliser, si vous les croyez justes et bons ; mais en supposant qu'on y mette toute la diligence possible, les produits qui pourraient en résulter ne peuvent être que pour l'avenir ; ce qui nous préoccupe, ce qui nous presse, c'est le présent, ce sont des ressources immédiates dont nous avons besoin.

Je vous avoue, messieurs, que quand la discussion a commencé il me semblait en quelque sorte superflu que le gouvernement prît la parole sur la nécessité de l'emprunt. Vous avez voté les dépenses, vous avez fixé vous-mêmes, par là, le chiffre total, et dès lors, il ne s'agissait plus que de savoir quel moyen nous devions employer pour l'atteindre. Nous avons proposé un moyen, le seul immédiatement réalisable et efficace suivant nous ; mais si l'on peut nous en indiquer un meilleur, nous sommes prêts à l'accepter, nous l'accepterons avec reconnaissance, pourvu qu'il remplisse les mêmes conditions. Notre plus belle mission serait de concilier les intérêts du pays avec les intérêts des contribuables, en les ménageant autant que faire se peut.

Ce n'est pas encore le moment d'entrer dans les détails du projet : à l'occasion de chacune des bases proposées, nous comptons faire valoir les raisons pour les justifier.

Ce que le gouvernement propose est non pas irréprochable ni à l'abri d'inconvénients sérieux ; mais peut-on faire autre chose sans manquer le but qui est de créer une ressource immédiate de 25 millions de francs ; là est la question qui doit être résolue.

L'honorable M. de Tornaco a dit : « La propriété foncière sera considérablement chargée ; elle le sera pour des intérêts qui ne sont pas les siens, pour des dépenses qui sont faites dans un autre but que le sien ».

Eh bien, messieurs, en jetant les yeux sur le relevé des dépenses qui ont été couvertes par des bons du trésor, je vois que l'agriculture y a une large part. Permettez-moi d'examiner quelques-unes de ces dépenses.

Le canal de la Campine, le canal de jonction de la ville de Turnhout au canal de la Campine, les travaux à la vallée de l'Escaut pour activer l'écoulement des eaux, le recreusement du Moervaert, le réendiguement du polder de Lillo, l'amélioration du régime des eaux au sud de Bruges, les sections des canaux de Zelzaete et de Schipdonck, le crédit pour les mesures relatives aux défrichements et aux irrigations, le crédit extraordinaire pour la construction et l'amélioration de routes, voilà certes des travaux auxquels le bien-être de l'agriculture n'est pas indiffèrent, dont plusieurs ont ses intérêts pour but principal et il y en a pour des millions.

Ce sont des sommes qui ont été dépensées, non pas seulement dans l’intérêt des villes, mais aussi dans l'intérêt des campagnes, surtout dans leur intérêt.

Il est extrêmement fâcheux, sans doute, que, dans une circonstance comme celle-ci, l'Etat soit obligé de se songer du remboursement des bons du trésor et de faire face à des dépenses, faites dans des moments plus heureux, au moyen d'emprunts anticipés.

Si nous n'avions pas cette somme de vingt-sept millions de noyre dette flottante, que la législature s'est laissée aller à voter avec la prévision qu'elle serait couverte par l'emprunt consolidé dans des circonstances favorables, oh ! alors l'embarras ne serait presque rien pour nous. Mais en ce moment, nous supportons rudement le poids des bénéfices que nous avons recueillis, en temps de paix, de toutes ces dépenses d'intérêt public. Il faut que nous ayons le courage de faire face à cette situation.

J'ai remis à toutes les sections une note relative aux bons du trésor. Dans l'appréciation qu'il avait faite du chiffre total de l'emprunt, le gouvernement avait porté seize millions de bons du trésor à échoir jusqu'au premier septembre. La section centrale en a déduit une somme de deux millions ; nous l'adoptons ; je l'ai moi-même indiquée.

Mais, demandons-nous, quand ce chiffre sera voté,quelle sera la situation ? Nous serons en mesure de faire face aux bons du trésor qui seront présentés au remboursement jusqu'au 1er septembre. Cela ne suffit pas, car il y a les bous à des échéances postérieures et jusqu'en février 1849, qui peuvent être donnés eu payement des impôts ; il faudrait être en état de compenser la lacune qui en résultera pour les rentrées eftectives d'ici au 1er septembre. Ce n'est pas une hypothèse, cela est déjà arrivé. Ainsi, dans le courant du mois de mars, il a été donné en payement, des bons au lieu d'écus, pour une somme de 945,000 fr. et dans cette somme il y avait 478,000 fr. à des échéances postérieures à la date du 1er septembre.Voilà un vide dans les rentrées, auquel il n'est pas pourvu par les ressources qui seront fournies par l'emprunt. Et tant que les circonstances actuelles dureront et qu'il y aura des bons en circulation, le trésor est exposé à recevoir du papier dont il n'aura plus que faire pour parer aux dépenses. Cette considération ne peut être perdue de vue ; elle doit appeler l'attention sérieuse de la chambre comme du gouvernement.

La question de l'émission des billets de banque a été traitée par plusieurs orateurs. Si elle est résolue dans ce sens qu'une émission plus forte que celle qu'autorise la loi du 20 mars dernier, est possible, si cette opinion finit par prévaloir, il y aurait là un moyen de mettre le trésor à couvert pour tous les cas de ces rentrées anticipées de nos bons.

Avant de terminer, je dirai quelques mots relativement à la province de Luxembourg.

L'honorable M. Orban, dans la séance d'avant-hier, a dit : « L'avance des huit douzièmes se paye très difficilement dans le Luxembourg, elle ne rentrera pas ; vous aurez un grand déficit. »

Non, messieurs, la rentrée des huit douzièmes se fait ou plutôt s'est faite admirablement, patriotiquement, dans tout le pays. A la date du 10 avril, et c'est une chose qui mérite d'être signalée, sur 12,239,833 fr., il a été payé 11,791,018 fr., de sorte qu'il ne restait à recouvrer que 448,815 fr.

La province de Namur est au premier rang ; elle n'est en retard que pour 1 43.100 p. c.

Après elle, vient la province d'Anvers, et je suis heureux d'avoir à la citer ici ; elle a payé 1,043,638 sur 1,062,972. Sa part encore due, à la date du 10 avril, n'égale que 1 82/100 p. c.

Il y a une différence pour le Luxembourg, il est vrai, mais cette différence n'est pas si grande qu'on se l'imagine. Les avertissements de payer y ont d'ailleurs été distribués un peu plus tard : Sur 439,174 fr. il restait dû 75,751 fr., soit 17 25/100 p. c. Pour tout le royaume la moyenne de l'arriéré est 3 67/100 p. c.

Je termine, messieurs, en citant un dernier exemple de cet élan de la nation ; c'est une chose bien digne de remarque. Un propriétaire du Hainaut a offert aux habitants peu aisés de sa commune de leur rembourser les petites cotes du premier emprunt ; il en a réuni pour 128 fr., et en mettant les récépissés à la disposition du gouvernement il m'a écrit qu'il n'a pu employer une somme plus forte, parce que plusieurs contribuables peu aisés ont tenu à payer eux-mêmes leur quote-part à l'Etat.

Voilà du patriotisme, tel que je le conçois, tel que la nation le comprend. (Très bien.)

(page 1387) M. d'Elhoungne. - Je n'ajouterai rien à la réponse si concluante que M. le ministre des finances vient de faire au discours de mon honorable ami M. de Tornaco.

La chambre comprendra de reste que je diffère en tout point d'opinion avec mon honorable ami. Le temps qui nous presse m'a fait renoncer au plaisir de le réfuter ; et je dis plaisir, messieurs, parce qu'habituellement répondre à l'honorable membre ce n'est pas une tâche si facile.

Messieurs, la discussion actuelle, quoi qu'on fasse, soulève l'examen tout entier de l'état de nos finances. Ce débat replace ainsi sous nos yeux, avec une triste évidence, les erreurs, les illusions, les fautes du passé.

Il nous fait toucher le côté le plus douloureux de la situation actuelle, il nous montre les difficultés les plus menaçantes du présent ; et ce débat doit cependant être dominé par cette pensée que c'est dans notre système financier qu'il faut opérer les réformes, trouver les ressources pour toutes les améliorations vraiment populaires, vraiment démocratiques, vraiment sociales, et par cela même les plus impérieuses de l'avenir.

Tous les orateurs qui m'ont précédé ont compris que telle était la portée de cette discussion ; et c'est sans doute ce qui a engagé l'honorable M. Malou à prononcer la cinquième ou sixième oraison funèbre du ministère qu'il a eu, le 8 juin, tué sous lui. Je dois nécessairement une réponse à l'honorable M. Malou. Cet honorable membre ne conteste pas que le passé nous a légué en dépenses arriérées, en crédits complémentaires, en anticipations sur les crédits à venir, 9 millions ; et en dette flottante 28 millions ; ensemble un déficit de 37 millions.

Voici, formulé nettement, le système que l'honorable M. Malou a pratiqué comme ministre des finances, et qui a produit ce brillant résultat : ajourner le payement des dettes administratives échues ; dépasser les crédits portés aux budgets votés ; anticiper sur les crédits des budgets futurs ; maintenir, grossir une dette flottante, plutôt que de recourir à l'emprunt !

Je ne parlerai ni des crédits supplémentaires et complémentaires, ni des anticipations de crédits ; je crois que c'est un point acquis au débat. M. le ministre des travaux publics, dans la discussion du mois de décembre dernier et dans le discours qu'il a prononcé au commencement de la discussion actuelle, a poussé la démonstration à la dernière évidence.

Quant à maintenir, à perpétuer une dette flottante considérable, c'est tellement un système chez l'honorable M. Malou, qu'il est superflu de le démontrer. Relisez ses discours ; rappelez-vous ses actes. Lors de la discussion du mois de décembre on l'a vu professer cette doctrine avec ferveur. C'est elle encore qui a inspiré cet arrêté du 20 juin 1847, qui, pour donner une plus grande activité à la circulation des bons du trésor, décida qu'ils seraient admis comme écus en payement de l'impôt. Vainement dans la séance du 2 décembre, l'honorable M. Mercier signalait tous les dangers d'une pareille mesure ; vainement il montrait qu'au moment où les recettes seraient le plus indispensables, en cas de crise, il arriverait que le trésor public ne recevrait que des bons, c'est-à-dire, pour employer l'expression de M. le ministre des travaux publics, des chiffons de papier. M. Malou ne s'alarmait pas.

Et l'honorable M. Mercier allait même plus loin ; il a prédit que si une pareille crise se compliquait du remboursement des caisses d'épargne, cela devait créer la situation la plus désastreuse. Or, cette situation existe aujourd'hui : l'œuvre de M. Malou a déjà porté ses fruits.

M. Malou étant à la tête des finances a repoussé systématiquement l'emprunt.

M. Malou. - Je m'en félicite.

M. d'Elhoungne. - Vous vous en félicitez ; nous allons voir ce qu'il y a au fond de ces félicitations. L'honorable M. Malou préférait les bons du trésor à l'emprunt : mais qu'est-ce que cela signifie ? Messieurs, cela veut dire que l'honorable M. Malou aimait mieux emprunter à court terme, avec l'obligation de rembourser et avec la perspective de ne pouvoir ni rembourser, ni renouveler, si la moindre crise survenait ! M. Malou, je le sais, niait l'opportunité d'un emprunt. Il niait cette opportunité, quand le besoin en était avoué, quand il était constant, quand il était urgent ; il niait l'opportunité, quand cette opportunité était une question d'existence, une question de vie ou de mort pour des milliers de nos concitoyens ; il la niait quand l'Angleterre d'abord et plus tard la France lui donnait un exemple décisif ; quand tout conseillait de ne pas laisser le pays dans une situation financière obérée, menaçante, quelle que fût d'ailleurs la crise commerciale ou financière, parce que, quand un pays est dans une situation fausse, il faut en sortir, n'importe à quel prix, et le plus tôt le mieux. M. Malou contestait l'opportunité de l'emprunt, et il était obligé de déclarer l'emprunt inévitable. Le gouvernement, disait-il, attendait seulement, et dans cette attente il risquait la fortune du pays, que les conditions de l'emprunt fussent un peu moins onéreuses ?

Dans la discussion financière du mois de décembre, M. le ministre de l'intérieur, lui aussi, faisait vainement entendre à M. Malou des paroles prophétiques, il lui demandait :

« Avez-vous pourvu aux éventualités de l'avenir ? Je m'étonne que des hommes, qui ont la prétention de lire aussi bien dans l'histoire de l'avenir que dans l'histoire du passé, je m'étonne, dis-je, que ces hommes considèrent la situation comme tellement à l'abri de tout danger, comme tellement entourée de sécurité, que nous puissions nous permettre de vivre au jour le jour, sans songer à ce que le lendemain peut nous apporter de graves périls et de graves obligations ! A-t-on songé à la position que la moindre crise européenne ferait à la Belgique, dégarnie de ressources financières ? Ne faudrait-il pas être dépourvu de la prévoyance la plus vulgaire pour ne pas songer sincèrement à améliorer la situation financière du pays, de manière à parer aux événements que l'avenir peut faire peser sur lui ? »

Et savez-vous ce que répondait l'honorable M. Malou ? Voici ses paroles :

« La situation, nous dit-on, sera-t-elle meilleure plus tard ? Pourrez-vous, mieux qu'aujourd'hui, contracter un emprunt ? Je m'étonne, en présence des faits qui se passent dans le pays sous le rapport financier, qu'on me demande si la situation sera meilleure plus tard. Ce que je sais, c'est qu'elle n'est pas opportune aujourd'hui. Pour le surplus je pourrais répondre par un mot que j'ai entendu prononcer autour de moi et qui me paraît parfaitement juste : je sais qu'il pleut aujourd'hui, mais je ne puis vous dire quel jour il fera beau. »

Vous voyez quelle était la réponse de l'honorable M. Malou, réponse spirituelle comme toujours : « Il voyait la pluie, il attendait le beau temps. » Mais il n'avait pas assez de coup d'œil politique et financier pour pressentir la tempête ! il ne prévoyait pas que dans une grande monarchie, au moment de passer de la tête d'un vieillard sur la tête d'un enfant, la couronne pouvait se briser sur les pavés d'une barricade ; il ne voyait pas que l'Italie, s'agitant sous l'inspiration du grand pontife qui conduit les destinées de la chrétienté, éprouvait déjà cet ébranlement sourd, ces profonds tressaillements qui font jaillir la liberté du sein des peuples comme la lave d'un volcan. M. Malou ne savait pas que la question de la succession au trône d'Espagne n'était pas alors une question à toujours résolue, comme heureusement elle l'est aujourd'hui !

Après cela. l'honorable M. Malou vient se vanter avec complaisance d'avoir résisté aux demandes de dépenses qui partaient des bancs de la gauche ! Oui, quand en 1846 nous demandions les travaux nécessaires pour délivrer nos provinces du fléau de l'inondation, nous sollicitions le gouvernement, nous le pressions de faire un emprunt nécessité par les besoins du pays, l'honorable M. Malou résistait ! Oui, quand en février 1847, à propos du projet de loi sur les défrichements, nous pressions le gouvernement de prendre en main avec courage, avec énergie, avec dévouement la grande question des Flandres ; nous demandions l'exécution de nombreux travaux publics ; nous disions qu'il ne fallait pas reculer devant une question d'argent, quand il s'agissait d'une question d'humanité, l'honorable M. Malou résistait et nos malheureux compatriotes mouraient de faim !

L'honorable M. Malou a résisté aux dépenses ! Mais quelles étaient donc ces dépenses ? Je suppose que l'honorable membre fait allusion à la dérivation de la Meuse et au chemin de fer d'Alost. Eh bien ! vous avez dit vrai : c'était en effet pour vous forcer la main, pour vaincre votre inertie systématique, que nous avons fait ces propositions. Mais, dites, que serait-il arrivé si, par des moyens que je ne veux pas rechercher, vous n'aviez pas obtenu le rejet au deuxième vote ? Car vous aviez échoué dans la discussion, dans la lutte au grand jour ; et c'est dans les coulisses, dans le mystère que vous avez ramené à vous les hommes qui ont changé d'avis ou qui se sont éloignés au second vote ! Mais je le répète, que serait-il arrive si nous avions conservé l'avantage, si nous avions forcé la main à l'honorable M. Malou ? Ce qui serait arrivé, messieurs, c'est que le gouvernement aurait dû faire l'emprunt ; c'est que l'on aurait fermé le gouffre du déficit ; c'est que nous aurions aujourd'hui en caisse, disponibles pour les besoins extraordinaires, les millions de l'emprunt réalisé 1 Ah ! si M. Malou avait pris cette grande et salutaire mesure, bien que son adversaire politique, je ne serais pas le dernier à rendre hommage à son administration et à lui payer le tribut de ma reconnaissance.

Il ne faut pas s'y tromper, messieurs, l'administration qui nous a légué tant d'embarras et de périls a commis une faute immense, une de ces fautes qui condamnent un système, et dont on ne peut ni se laver, ni se relever. Cette administration, elle n'a su se montrer ni prudente, ni résolue. Elle a été timide pour faire le bien, elle a été hardie et téméraire pour faire le mal. Chose étrange et que l'honorable M. Malou semble ne pas comprendre encore, cette administration a fait trop ou trop peu. Elle a fait trop, parce que tout son système financier était un système, et le plus dangereux système, d'expédients. Elle a fait trop peu, parce que, reculant devant la seule mesure décisive dans l'état de nos finances, un emprunt, elle a refusé à des populations malheureuses des secours suffisamment larges, et au pays des travaux nécessaires, des entreprises fécondes.

(page 1388) En deux mots, messieurs, ne pas payer ses dettes, anticiper sans cesse sur les crédits et les emprunts futurs, voilà toute la doctrine financière de l'honorable M. Malou.

Savez-vous comment cela s'appelle, messieurs ? Cela s'appelle la théorie de la banqueroute.

C'est une justice à rendre au cabinet actuel qu'il avait pressenti le danger de cette situation. Au début de cette session, il avait présenté une loi d'impôt pour créer les voies et moyens pour couvrir les intérêts de l'emprunt, qui seul pouvait mettre fin à une situation si tendue.

Pour ma part, je regrette vivement l'opposition que le projet du ministère a rencontrée, et M. Malou était à la tête de cette opposition. Je regrette qu'on n'ait pas examiné avec plus d'empressement et de sollicitude ce projet. Je regrette que le gouvernement se soit laissé décourager, ou du moins arrêter, retarder dans ses intentions, au sujet de l'emprunt, et qu'il ait écouté des conseils, plutôt que de suivre sa première inspiration.

Peut-être n’a-t-il pas assez tenu compte de ce fait que, pendant la crise qui sévissait en Angleterre et en France, beaucoup de nos capitalistes ont racheté aux bourses de Londres et de Paris des fonds belges qu'on y vendait avec plus d'empressement que les fonds anglais et français. Or, ces capitalistes et tous les spéculateurs avec eux devaient naturellement se montrer défavorables à tout nouvel emprunt.

Déjà surpris par la durée, par l'étendue et la gravité de la crise, ils devaient pousser à l'ajournement de l'emprunt, jusqu'au moment où ils auraient pu se défaire plus favorablement de leurs fonds belges des emprunts antérieurs. Mais c'était là un intérêt particulier ; l'intérêt général exigeait l'emprunt sous peine d'aboutir à la situation si difficile qui se développe aujourd'hui.

Telle est, messieurs, la part du passé. Il était bon de la faire pour répondre catégoriquement à ces éternelles apologies dont l'honorable M. Malou est à la fois l'auteur et le héros, et qui ressemblent singulièrement à des récriminations contre nous, et contre le cabinet.

Enfin, il ne suffit pas à l'honorable M. Malou de déifier son système, de vouer à une apothéose sans fin ce ministère tombé sous la réprobation du pays, réprobation légitime autant qu'énergique. Mais il se croit le droit de faire de la situation qu'il a créée par ses fautes, un grief contre ceux qui l’ont remplacé au pouvoir. Il semble que l'honorable M. Malou veuille en appeler à la chambre de la justice du pays.

J'espère que désormais l'honorable membre voudra bien laisser au passé ce qui appartient au passé, et subir sans se révolter, sans murmurer l'arrêt, le juste arrêt que le pays a prononcé. (Applaudissements aussitôt réprimés par M. le président.)

Après avoir fait la part du passé, il faut faire la part des besoins du présent, dans lesquels naturellement le passé joue un grand rôle.

Les dépenses arriérées et complémentaires, les bons du trésor, les crédits pour les départements de l'intérieur et des travaux publics, et les dépenses extraordinaires du département de la guerre s'élèvent à 37 ou 38 millions, jusqu'au 1er septembre. En déduisant les 12 millions produits déjà par les huit douzièmes de la contribution foncière, il reste 25 à 26 millions auxquels il faut immédiatement faire face.

Mais, vous le savez, les besoins immédiats ne se bornent pas là. Il en est d'autres auxquels il ne nous est pas moins impérieusement imposé de pourvoir. J'entends parler d'un fait que vous connaissez tous, les exigences prochaines de la position d'un grand établissement de crédit. Il y a là de si grands intérêts engagés, que l'impassibilité est impossible, et en cela je partage l'avis du gouvernement, pour autant du moins que je puisse pressentir par ce débat l'opinion du gouvernement.

Je pense, dans tous les cas, avec l'honorable M. Malou, que le gouvernement et les chambres doivent examiner avec soit cette position, et en tenir sérieusement compte. Il serait imprudent de ne pas faire entrer dans nos calculs, de deux choses l'une, ou les besoins immédiats de cet établissement financier, tels qu'il les signale, ou les ressources qu'il faudra réaliser dans l'hypothèse (très improbable, je l'espère), où l'on déterminerait cet établissement à liquider.

Si de ces deux voies vous choisissez la première, c'est 20 millions auxquels il faut faire face : ils sont destinés aux caisses d'épargne.

Si, après mûr examen, on condamnait cet établissement à une liquidation immédiate, alors les besoins sont plus grands encore. En effet, il en résultera que vous devriez retirer de la circulation 20 millions de billets de banque déjà émis sous la garantie de l'Etat. Il vous faudra ensuite affecter 10 millions aux remboursements des dépôts de la caisse d'épargne (car les dépôts de 1 à 1,000 fr. s'élèvent à cette somme) et il est impossible que l'Etat n'intervienne pas. Il faudra, en troisième lieu, affecter au moins 10 millions à l'escompte, car vous ne pourrez pas aggraver la crise que la liquidation suscitera nécessairement, en privant le commerce et l'industrie de la ressource que lui offre sous le rapport de l'escompte l'établissement auquel je fais allusion.

Ainsi dans l'une hypothèse 20 millions à ajouter aux prévisions ; dans l'autre hypothèse 40 millions ; et ce sont là des besoins immédiats.

Ce n'est pas tout cependant ; après les besoins du passé, après les besoins impérieux du présent, vous ne pouvez perdre de vue les besoins de l'avenir. Il est impossible d'isoler une situation financière. Elle ne peut se détacher ni du présent ni de l'avenir.

De même que le passé pèse lourdement sur le présent, de même le présent pèsera sur l'avenir. On peut, sans doute, échelonner les payements, les dépenses. On peut ne pourvoir actuellement qu'aux besoins prévus jusqu'au 1er septembre. Mais n'arrêtez pas vos regards au 1er septembre, car vos actes porteront plus loin. C'est l'ensemble de la situation qui doit être présent à nos esprits. Il faut donc peser les besoins, |es nécessités de l'avenirs comme du présent.

L'avenir, messieurs, il commence au 1er septembre. C'est bien près de nous, vous le voyez ; et il peut se prolonger dans cet état de crise (tout le monde est d'accord là-dessus) d'une manière indéfinie. Heureux s'il ne survient pas des complications nouvelles et plus graves ! Voici les dépenses qui sont dès maintenant certaines. Quatre millions pour le département de la guerre ; M. le ministre ayant réduit à un million par mois la dépense extraordinaire à dater du 1er septembre. Il faudra faire face ensuite à 12 millions de bons du trésor qui échoient également après le 1er septembre. Il faudra compléter, en troisième lieu, les crédits déjà votés en partie pour les départements de l'intérieur, des travaux publics. Si vous vous portez au secours de l'établissement financier, auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, vous aurez probablement à allouer une somme assez ronde pour les remboursements de la caisse d'épargne postérieurement au 1er septembre, ainsi que pour autre chose encore qui échoit quelques mois plus tard. Si, au contraire, vous n'intervenez pas pour consolider et remanier cet établissement financier, alors il tous faudra des ressources non moins considérables pour fonder un établissement nouveau, un établissement national qui est indispensable au pays.

Vous aurez, si l'on décrète l'emprunt forcé, une nouvelle dépense permanente au budget, le service des intérêts. En revanche, vous aurez une diminution en partie permanente, en partie accidentelle, dans les recettes.

En effet, vous aurez une diminution dans les recettes, non seulement parce que les recettes ordinaires vont se ralentir, mais parce que les non-valeurs seront considérables par suite de la crise. Ce n'est pas sans raison que M. le ministre des travaux publics a parlé d'un déficit de 5 à 6 millions dans les recettes ordinaires.

Outre ce déficit accidentel, je compte sur une diminution permanente, car il y a des impôts auxquels vous devrez renoncer dans un avenir très rapproché. Je citerai l'impôt du timbre des journaux ; sa suppression est devenue une nécessité politique. Pourrez-vous ensuite ne pas toucher à l'impôt du sel ? Cela me paraît impossible dans un avenir peu éloigné.

Vous aurez cependant des dépenses nouvelles à faire, et des dépenses permanentes à ajouter à votre budget. Il ne s'agit pas seulement des intérêts de l'emprunt forcé. Mais vous aurez, avant toute chose, à augmenter la dotation de l'enseignement populaire, de l'enseignement agricole, dont l'honorable M. de Tornaco a parlé, aussi bien que de l'enseignement primaire et de l'enseignement professionnel. C'est là une mesure inévitable ; la mesure la plus pressante. Car je le déclare, à mes yeux, augmenter la dotation de l'enseignement populaire, faire pénétrer l'instruction dans les masses, me paraît aussi urgent qu'aucune réforme politique. Il faudra largement pourvoir à ce besoin. C'est le véritable besoin du siècle, c'est celui qui nous presse, et auquel il faut pourvoir sans retard, si l'on ne veut voir l'avenir aussi menaçant pour nous que le présent est terrible pour les pays où ce grand intérêt du peuple a été méconnu.

Voilà la situation telle qu'elle m'apparaît avec ses exigences, avec ses nécessités. Ainsi que je l'ai dit, ce n'est pas là une situation que vous pouvez envisager en l'isolant, vous ne pouvez prendre dans cette situation deux, trois, quatre mois pour y faire face. Vous devez la considérer dans son ensemble, sur cet ensemble calculer vos ressources, et vous demander jusqu'où vous pouvez aller. Certes, les dépenses qu'il y aura à faire, vous pourrez les disposer en plusieurs relais. Mais avant de mettre le pied sur la route, il faut la choisir. Avant de décréter les sacrifices, d'en commencer la longue série, il s'agit d'adopter, d'arrêter un système. Il serait téméraire de s'engager dès le début dans une voie qui pourrait rendre l'avenir plus difficile, les questions de l'avenir plus insolubles.

C'est, messieurs, en me plaçant à ce point de vue que je viens soumettre à la chambre et au gouvernement, non pas un système, Dieu m'en garde ! je n'ai ni cette prétention, ni l'expérience, ni les connaissances spéciales nécessaires ; mais je viens soumettre et à la chambre et au ministère les réflexions que cette discussion m'a suggérées.

Le gouvernement a un système. Il a un système qui remplit à certains égards les conditions que j'indiquais tout à l'heure, puisque c'est un système qui embrasse l'ensemble des besoins, l'ensemble de la situation en se prolongeant dans l'avenir.

Ce système, messieurs, voici comment il se formule : « Pouvoir aux besoins du trésor public par des emprunts forcés ; soutenir les établissements de crédit, dans l'intérêt de l'industrie et du commerce, par des émissions de papier-monnaie, de papier inconvertible. » Ce système a déjà fonctionné dans une certaine limité, puisque vous avez voté un premier emprunt forcé de 12 millions ayant pour base l'impôt foncier, et que vous avez autorisé une émission de 30 à 34 millions de papier-monnaie, de billets de banque ayant cours légal.

Aujourd'hui on nous demandé 26 à 27 millions d'emprunt forcé ;et l’on annonce que ce n'est pas le dernier ; et en même temps on nous fait pressentir une nouvelle émission de billets, émission qui pourra être portée, dans l'éventualité que j'ai indiquée tout à l’heure à 20 millions de francs.

M. le ministre de l'intérieur vous a assez fait pressentir que dans l'avenir c'était là le système auquel il faudrait s'arrêter : recourir à l'emprunt (page 1389) forcé pour les besoins de l'Etat, recourir à des émissions de billets de banque, seulement dans l'intérêt d'établissements financiers.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je n'ai pas dit que dans l'avenir on aurait encore recours à l'emprunt forcé.

M. d'Elhoungne. - M. le ministre me fait observer qu'il n'a pas dit que dans l'avenir on aurait recours à l'emprunt forcé. Mais il y aura la deuxième partie de l'emprunt actuel. Du reste, peu importe. Car je démontrerai qu'en entrant dans la voie des emprunts forcés, on est fatalement conduit à y persévérer, qu'on n'a plus le choix d'une autre voie.

Il ne faut pas, messieurs, se faire illusion sur ce que c'est que l'emprunt forcé. Hier, j'entendais M. le ministre de l'intérieur dire : L'emprunt forcé, c'est un impôt remboursable avec intérêts. C'est en effet cela : ce n'est pas autre chose ; et je tiens à le constater. Car ce mot d'emprunt jette beaucoup de confusion dans les idées. Il fait peut-être illusion à ceux qui demandent l'emprunt, sur les souffrances que celui-ci impose aux contribuables ; et je crois pouvoir assurer que le titre d'emprunt qu'on donne à cet impôt, n'en allège en rien les souffrances.

Un emprunt forcé a les inconvénients de l'impôt ; il froisse comme l'impôt ; et n'a pas les avantages de l'emprunt. Non seulement il grève le présent, mais il pèse sur l'avenir ; il grève le présent comme l'impôt ; il pèse sur l'avenir comme l'emprunt.

Messieurs, je puis me tromper ; je suis neuf, je l'avoue, dans ces matières : mais je pense que le mode le plus onéreux de faire de l'argent, c'est l'emprunt forcé. Voici les calculs qui m'ont conduit à cette conclusion.

Je suppose un emprunt forcé de 80 millions ; c'est à peu près la somme que le gouvernement indique.

Vous avez d'abord à tenir compte des sacrifices multipliés que tous les contribuables doivent faire pour payer l'emprunt. On demande à emprunter à des personnes qui ne sont ni disposées à prêter, ni en position de le faire ; il faut par conséquent qu'elles se procurent de l'argent à tout prix ; Dieu seul sait la somme de. sacrifices et de souffrance que cela engendre sur toute la surface du pays ! C'est un premier point à considérer.

En second lieu, je ne crois pas exagérer en disant qu'il y aura sur un emprunt de 50 millions, 25 millions de récépissés qui seront vendus avec une perte moyenne de 50 p. c. Cela fait donc 12,500,000 fr. de perte directe pour les contribuables qui devront vendre, c'est-à-dire pour les contribuables les plus pauvres, pour les contribuables les plus gênés, pour ceux sur lesquels l'emprunt pèse le plus lourdement.

En troisième lieu un emprunt forcé, vous devez le rembourser. Vous ne pouvez le rembourser avec les recettes ordinaires du budget : il faut le rembourser avec un nouvel emprunt. Vous ferez ce nouvel emprunt dans de mauvaises conditions de crédit. Vous le ferez à la première lueur qui luira sur la crise et qui présagera une situation moins tendre.(Interruption.) Comme vous ne pourrez pas faire d'autres emprunts avant d'avoir remboursé les emprunts forcés, votre premier emprunt volontaire devra évidemment servir à ce remboursement. Que s'est-il passé en 1831 ? Les deux emprunts forcés de 10 et de 12 millions de florins ont produit 46 millions de francs. On a remboursé 47,260,000 fr., différence en chiffres ronds, 1,200,000 fr. Mais on les a remboursés avec l'emprunt de 100 millions qui a été négocié à 74,59, ce qui a donné sur les 47,260,000 fr. remboursés une perte directe pour l'Etat de 12,055,612 fr. Ensemble 13,325,000 fr. de perte pour l'Etat sur le remboursement.

Additionnant 12,500,000 fr. de perte directe pour les contribuables et 13,500,000 fr. de perte directe pour l'Etat, j'arrive à une perte de 25 millions sur un emprunt forcé de 50 millions.

Mais il y a en outre des pertes indirectes. En effet par un emprunt forcé, vous jetez sur la place les coupons de l'emprunt forcé lui-même et plus tard l'emprunt volontaire qui remplacera le premier.

Je suppose que, jetant 25 millions sur la place, vous n'occasionniez qu'une baisse de 3 francs sur la dette consolidée ; cela fera, messieurs, sur les 562 millions de notre dette, plus de 30 millions de perte indirecte.

Voilà comment opère un emprunt forcé. Il y a perte directe pour le contribuable le plus pauvre, pour le contribuable le plus intéressant, le plus digne de pitié ; il y a perte directe pour l'Etat au moment du remboursement ; il y a perte indirecte par la réaction si fâcheuse et si énergique qui se produit sur les titres de la dette consolidée.

En présence de ces chiffres, messieurs, il est impossible de prétendre qu'un emprunt forcé n'est pas un moyen déplorablement onéreux, que ce n'est pas le plus dur et le dernier auquel un puisse avoir recours.

Faut-il, après cela, s'étonner que lorsqu'un emprunt forcé sabre ainsi le crédit public, celui-ci s'alarme, que les fonds baissent, et que le pays s'alarme à son tour d'aussi énormes sacrifices qui produisent d'aussi minces résultats ?

Je dis, messieurs, qu'un emprunt forcé est nécessairement funeste au crédit public. En effet, il tient la bourse sous le coup des ventes empressées des coupons de cet emprunt forcé et sous le coup de l'emprunt qu'à la première lueur d'un rétablissement du crédit, vous devrez nécessairement contracter pour rembourser l'emprunt forcé. Je le demande, en présence d'une pareille anxiété, vos fonds peuvent-ils éprouver le moindre mouvement de hausse ? Je demande si vous ne comprimez pas vos fonds, si vous ne sacrifiez pas votre crédit public ? Cependant M. le ministre de l'intérieur, dans le discours qu'il a prononcé hier, a manifesté l'espoir que le rétablissement du crédit public viendrait nous aider à faire face à nos besoins futurs. Or, peut-on raisonnablement espérer que votre crédit se rétablira, lorsqu'il sera sous une menace incessante d'emprunts forcés faits ou à faire ?

On se récrie, et avec raison, contre la prorogation forcée, à l'échéance, des bons du trésor ; on dit et avec justice que ce serait là une mesure fâcheuse, une mesure funeste, une mesure déplorable. Mais, messieurs, il faut aller au fond des choses : que serait une prorogation de l'échéance des bons du trésor ? Ce serait un emprunt forcé à charge des capitalistes qui peuvent prêter au gouvernement, qui ont l'habitude de prêter au gouvernement, tandis que l'emprunt forcé, tel qu'on le demande, est imposé à des personnes qui n'ont ni les moyens ni l'habitude de prêter au gouvernement.

L'honorable M. Anspach doit donc commencer à comprendre pourquoi le pays n'est pas aussi enthousiaste que lui de l'emprunt forcé. Pensez-vous que le pays puisse être bien enchanté d'apprendre qu'on va rembourser à la Banque de Belgique 8 millions de bons du trésor qu'elle a en portefeuille avec de l'argent qui coûte aux contribuables et à l'Etat 80 p. c. ? Je pense que notre honorable collègue comprendra qu’il y a quelque chose de très sensé et de très respectable dans la répugnance que l'emprunt forcé inspire au pays. Certainement, messieurs, nous sommes tous d'excellents patriotes, nous sommes tous dévoués au pays ; tous, nous donnerions pour le pays la dernière goutte de notre sang (comme on l'a dit) et notre dernier écu ; mais encore faut-il voir si les sacrifices qu'on nous demande sont rationnels, si leurs résultats sont en rapport avec leur importance, et l'honorable M. Anspach n'a pas tenu assez compte de cette question.

J'ai dit, messieurs, que l'emprunt forcé, c'est du moins ainsi que je le comprends, et je serais fort heureux qu'on me démontrât le contraire, j'ai dit que l'emprunt forcé doit être funeste au crédit public et qu'il ferme la voie à tout autre emprunt. On tombe donc dans une étrange contradiction : on veut payer les bous du trésor pour relever le crédit public, et d'un autre côté on déprime le crédit public en faisant peser un emprunt forcé sur la dette consolidée.

Et n'oubliez pas, messieurs, que lorsque le crédit public est atteint, le crédit privé en ressent le contrecoup. Où trouverez-vous, en effet, des banquiers qui consentent à faire des avances sur lettres de change lorsqu'ils peuvent acheter des fonds publics à vil prix ?

J'ai entendu invoquer, à l'appui du projet, la facilité avec laquelle s'est opérée la rentrée de l'emprunt que nous avons voté précédemment. Tout à l'heure encore l'honorable ministre des finances nous faisait remarquer avec quel louable empressement, avec quel patriotisme, digne des plus grands éloges, toutes les provinces avaient payé leur part dans le premier emprunt forcé. Messieurs, je fais, comme l'honorable M. Veydt, une très large part au patriotisme de nos populations ; comme lui, je rends hommage à leur empressement, mais cependant je tiens compte de certains faits. Nous avons demandé aux propriétaires, et aux propriétaires seulement, le premier emprunt forcé ; nous avons fait cet appel à une époque de l'année où ils n'avaient pas encore payé le moindre à-compte sur la contribution foncière de l'exercice courant, à une époque où tout le monde avait autant de facilité pour payer que de bonne volonté ; mais je demanderai si depuis le premier emprunt forcé les impôts ordinaires sont rentrés avec la même facilité ? Si M. le ministre des finances est forcé de convenir que les recettes ordinaires se ralentissent, diminuent, il devra commencer à croire aussi avec moi, que le deuxième emprunt ne pourra pas rentrer aussi vile que le premier, non parce qu'il y a moins de patriotisme, moins d'attachement au pays et à la nationalité, mais parce que les moyens des contribuables sont plus épuisés.

L'honorable ministre de l'intérieur et l'honorable M. Lebeau ont invoqué l'exemple de 1831. Certes, messieurs, j'admire comme tout le monde la conduite que le congrès national a adoptée dans des circonstances difficiles : mais il faut tenir compte aussi d'autres circonstances, de circonstances singulièrement favorables. En 1831 on sortait de plusieurs années de prospérité ; on ne sortait pas, comme aujourd'hui, de deux années de crise affreuse. N'avons-nous pas eu, coup sur coup, une double crise des subsistances ,une crise commerciale, une crise financière, auxquelles se joint maintenant une crise politique ? En 1831 nous n'avions pas non plus de dette constituée ; nous n'avions pas à nous préoccuper du crédit public comme aujourd'hui ; nous n'avions pas à nous préoccuper de la dépréciation que l'emprunt forcé pouvait faire éprouver aux fonds belges. Nous n'avions pas à nous ménager, pour plus tard, la chance des emprunts volontaires ; car le premier emprunt à contracter devait servir à rembourser l'emprunt forcé.

On a invoqué sans plus de succès l'exemple de la Hollande, mais l'honorable M. Lebeau a omis de dire que la Hollande n'a décrété l'emprunt forcé que comme un moyen coercitif pour amener les capitalistes à souscrire à l'emprunt volontaire, et que jamais cette menace n'a été mise à exécution.

Maintenant, messieurs, si au système des emprunts forcés vous joignez le système de l'émission d'un papier inconvertible, est-ce que vous ne cumulez pas les inconvénients de ces deux systèmes ? Est-ce que l'union même des deux systèmes n'en multiplie pas les inconvénients ? Pour moi, messieurs, poser cette question c'est la résoudre, et je suis sûr que. le pays partagera cette opinion des que le système combiné des emprunts forcés et du papier-monnaie aura fonctionné avec quelque étendue.

Examinons en effet ce qui peut résulter de ce double système.

Que toute émission d'un papier inconvertible soit un mal, un très (page 1390) grand mal, une combinaison féconde en inconvénients de toute nature, personne ne le contestera, et pour ma part, je le conteste moins que personne.

Toutefois, je crois qu'on a un peu exagéré les inconvénients de ce système ; je regrette surtout que ces inconvénients aient été si énergiquement présentés par les honorables membres du cabinet. La matière du crédit est très délicate ; il faut la manier avec beaucoup de précaution.

Une pensée néanmoins me rassure : c'est que le pays, en voyant l’opposition que le papier-monnaie rencontre dans le gouvernement, en voyant l'énergie avec laquelle le gouvernement repousse la mesure, se convaincra aussi que le gouvernement n'en abusera jamais, et qu'il ne s'y résignera que là où il lui sera démontré qu'elle n'est ni imprudente, ni chanceuse.

Sans doute, on peut déjà prévenir une partie des difficultés qui naissent du papier-monnaie, en modérant sagement son émission ; on peut mettre une espèce de digue aux inconvénients que le système engendre ; mais veuillez bien le remarquer, et l'histoire est là pour confirmer ce que je dis, ce qui fait le plus en faveur d'un papier-monnaie, quel qu'il soit, c'est l'état du crédit public, c'est l'attachement du pays pour son gouvernement, pour ses institutions ; c'est la confiance qu'il accorde à son gouvernement, c'est la parfaite conformité de vues et de sentiments qui existe entre le gouvernement et le pays.

Reprenez la longue et souvent bien triste histoire du papier-monnaie, et vous verrez que lorsqu'un gouvernement n'a pas la confiance du pays, le papier-monnaie, tout excellent qu'il puisse être, perd rapidement toute espèce de valeur. C'est ainsi qu'en France, où les assignats, qui avaient cependant, dans le principe, un gage solide, sont tombés le jour où le gouvernement français a manqué de force et de stabilité, le jour où la nation n'a plus été avec le gouvernement en parfaite conformité de sentiments et de vues.

Mais le papier-monnaie, qui est praticable avec un gouvernement fort et considéré, est-il compatible avec le système des emprunts forcés ? Messieurs, les emprunts forcés écrasent le crédit public ; ils froissent le contribuable autant que l'impôt, car c'est une illusion de croire que l'emprunt n'est pas aussi douloureux que l'impôt. Or, veuillez remarquer qu'en matière de crédit, tout se lie, tout se tient, tout est solidaire : le crédit public, le crédit privé, l'état des esprits ; il est impossible que tous ces faits ne soient pas dans une connexion si intime que ce que l'un éprouve, l'autre ne le ressente aussitôt.

Maintenant si vous détruisez la confiance, en touchant un crédit public, si vous touchez à la confiance par un système d'emprunts forcés qui doivent froisser et alarmer les contribuables, comment voulez-vous émettre un papier-monnaie, qui ne se soutient que par la confiance, qui ne se soutient que par la double action du crédit public et privé ?

A l'appui de ces observations que je soumets à la chambre et au gouvernement, je citerai à mon tour l'exemple de l'Angleterre, qui se rapporte le plus à notre situation actuelle. Lorsque le gouvernement anglais a ordonné que la Banque d’Angleterre cessât ses payements, non seulement il est emparé du numéraire de la banque, il lui a escompté ses bills de l’échiquier, mais il a encore émis des emprunts bien plus considérables que jamais aucun gouvernement ne pourra en émettre.

Comment a-t-il pu faire cela ? C'est par la magie du crédit, c'est parce que le crédit, ce gouvernement l'a considéré comme la poule aux œufs d'or, et que pour la faire pondre il n'a pas commencé par la tuer. (Interruption.) .

M. le comte de Mérode me dit : « On s'en souvient en Angleterre. » Certes, on s'en souvient, mais c'est à ces grands efforts que l'Angleterre doit d'être la première nation du monde et d'avoir triomphé dans une lutte gigantesque.

Mon Dieu ! je ne dis pas qu'en principe le papier-monnaie ne recèle pas de grands périls ; personne plus que moi n'est d'accord sur ce point avec MM. les ministres et sans doute aussi avec la grande majorité de cette chambre. Mais, au milieu de ces dangers, le papier-monnaie a cependant quelques avantages, et puisque nous avons accepté le principe, tirons-en au moins ce qu'il a de bon. Dans une crise, le papier-monnaie a d'abord l'avantage de ne pas froisser les contribuables, de ne pas altérer le sentiment du pays, de ne pas multiplier les souffrances parmi la population qui paye les impôts.

Un deuxième avantage du papier-monnaie, c'est de provoquer sur le prix de toute chose une hausse factice, si l'on veut, qui engendrera des inconvénients, si l'on veut encore, mais qui aura cependant ce résultat, d'abord d'exciter dans les affaires une activité quelque peu artificielle, mais qui dans ce moment serait très bienfaisante ; ensuite de faire hausser les fonds publics avec le prix de tous les autres produits, et par conséquent de donner un nouvel élan au crédit public, ce qui vous permettrait d'user de ce grand ressort d'un gouvernement libre. Oui, le papier-monnaie rouvre la porte du crédit public : les emprunts forcés la ferment.

D'après ces considérations l'emprunt forcé, à un point de vue général, est nuisible au crédit public ; et il doit, par cela même, être nuisible aux billets, au papier-monnaie, à tout cet échafaudage qui ne repose que sur la confiance, la confiance qui n'est qu'un synonyme du mot crédit.

Maintenant je demanderai au gouvernement s'il compte user du crédit public pour l'avenir ? Le gouvernement répondra oui. Les besoins de l'avenir, je l'ai prouvé sont tels, que sans le crédit on ne saurait comment y faire face. Le gouvernement, d'ailleurs, ne s'est-il pas flatté déjà de pouvoir user du crédit pour renouveler une partie des bons du trésor ?

Eh bien, je le répète, c'est là une évidente inconséquence. Les emprunts forcés ne sont pas compatibles avec le crédit public. Je serais heureux qu'on me prouvât le contraire. Mais jusqu'à cette preuve, j'ai le droit de dire que si vous entrez dans la voie des emprunts forcés, c'est une voie sans issue. Vous y resterez, comme dans une impasse, aussi longtemps que durera la crise. Ce n'est pas un emprunt forcé, c'est une longue série d’emprunts forcés que vous allez voter. Après les emprunts forcés de cette année, vous aurez encore à recommencer l’année prochaine et les années suivantes, si les destinées de l’Europe et les convulsions qui l’agitent ne changent pas. Heureux encore si l'aspect des affaires de l'Europe ne devient pas plus sombre et plus effrayant qu'à cette heure ! (Interruption.)

L'honorable M. Lebeau me dit : « Annoncez la fin du monde. » Je lui répondrai que, sans prophétiser la fin du monde, on peut s'attendre à de grands événements quand on est en présence de ces journées de février, qui nous ont fait parcourir si rapidement le trajet d'un demi-siècle.

Pour prétendre que des complications plus graves sont improbables, il faudrait, en vérité, fermer les yeux sur ce qui s'est passé depuis deux mois, ou n'y avoir rien compris. Je répéterai donc au gouvernement que s'il entend recourir plus tard à l'emprunt volontaire, il doit peser mûrement les conséquences de l'emprunt forcé. De même, si le gouvernement entend faire une nouvelle émission de papier monnaie, il doit peser mûrement la réaction de l'emprunt forcé sur le papier-monnaie.

On dit, il est vrai, que là n'est pas la question ; si on fait de nouvelles émissions, peu importe, dit-on, comment, quand et avec quelles garanties elle se fera ; la seule question est de savoir si on ose conseiller d'ajouter 16 millions pour acquitter les bons du trésor, aux 34 millions déjà autorisés, et aux 20 millions dont l'émission est déjà arrêtée en principe par le gouvernement. Je dois faire remarquer d'abord que poser la question ainsi est une chose étrange, car on élimine de la question tous les éléments de la solution. Avant de décider si on peut ajouter 16 millions à l'émission des billets, ne faut-il pas savoir si cette émission marchera de front avec un emprunt forcé ? Ne faut-il pas savoir comment vous ferez l'émission, quelles coupures vous adopterez ? Car le choix des coupures entre pour beaucoup dans la somme que vous pouvez sans inconvénient faire entrer dans la circulation.

Ne faut-il pas savoir ensuite quelles garanties vous donnerez aux émissions nouvelles ? Car ces garanties doivent exercer une grande influence sur le sort de l'émission totale ; et par conséquent sur les 16 millions à ajouter, comme sur les 34 millions émis et les 20 millions qu'on nous fait assez clairement entrevoir.

Toutefois, je répondrai à la question telle qu'elle est posée. Si vous abandonnez l'emprunt forcé ; si vous faites un choix prudent et bien calculé de coupures pour la nouvelle émission de billets ; si vous vous montrez scrupuleux pour les garanties à affecter aux billets, je ne crains pas que les 16 millions, ajoutés à l'émission dans l'intérêt de l'Etat, déterminent la dépréciation.

En effet, messieurs, dès qu'il n'y a plus d'emprunt forcé, il y a une cause de dépréciation qui disparaît, une gêne pour le crédit public qui disparaît ; vous créez du papier-monnaie, mais vous annoncez en même temps qu'il y a 16 millions de moins à demander aux contribuables, dans le présent, et moins de sacrifices à leur demander dans le lointain, puisque le crédit public reste intact.

Or, croyez-vous que 36 millions d'émission de billets dans des circonstances si favorables, avec une réduction de seize millions dans les sacrifices présents et une réduction des sacrifices futurs, croyez-vous qu'une pareille émission ne sera pas mieux accueillie qu'une émission de 20 millions, dans l'intérêt exclusif d'un grand intérêt privé, accompagnée de 25 millions d'emprunt forcé ? Je dis qu'une émission faite sous des auspices aussi favorables que le retrait de l'emprunt pour une notable partie, serait moins odieuse aux contribuables ; elle serait mieux accueillie, et à raison de cette réduction immédiate des charges, et parce qu'elle offrirait de plus un soulagement évident pour l'avenir. Je ne crains pas de le déclarer : ce système serait le plus populaire ; et tout ce qui se dit, et tout ce qui s'écrit là-dessus le prouve.

Ceci m'amène à parler de la coupure des billets. Si on portait l'émission à 70 millions et qu'on abaissât les coupures de manière à mettre les billets à la portée d'un plus grand nombre de citoyens, d'un plus grand nombre de bourses, d'un plus grand nombre de transactions ; de manière qu'ils pussent remplacer le numéraire dans les opérations les plus modestes, qui sont aussi les plus nombreuses, et dans leur ensemble les plus considérables, la circulation serait plus forte, plus étendue, et pourtant plus coulante.

Par les petites coupures, l'émission deviendrait moins lourde sur le marché ; elle serait donc plus importante en somme, et moins répulsive.

Mais, dira-t-on, au moyen de ces petites coupures, vous allez chasser de la circulation ce qui y reste encore de numéraire ; vous allez supprimer, vous allez tarir la circulation métallique. Dans toutes les transactions, vous y substituerez le papier. Messieurs, je ne conteste pas ce qu'il y a de vrai dans cette objection ; mais elle existe dans le système du gouvernement lui-même : si le gouvernement émet encore 20 millions de billets, et il s'est suffisamment expliqué pour qu'on regarde ce fait comme certain, cela fera 54 millions avec l'émission de 34 millions déjà décrétée. Eh bien, il faudra nécessairement faire de petites coupures ; car on (page 1391) ne pourrait faire pénétrer 54 millions dans la circulation sans petites coupures ; tout le monde le reconnaît.

Vous aurez donc l'inconvénient de chasser le numéraire, tout comme en émettant 70 millions. Vous aurez par là créé le motif d'augmenter, dans une proportion plus forte, l'émission, et vous ne l'augmenterez pas ; et vous courrez le risque que le numéraire étant chassé brusquement, la trop petite quantité du papier émis n'amène la contraction du marché monétaire, une gêne dans les affaires, une crise de la circulation à joindre à la crise financière et politique qui vous travaille ! Messieurs, cette considération peut s'appuyer d'une expérience concluante. Lors des émissions en Angleterre de banknotes inconvertibles, les notes de 1 à 4 livres se sont accrues plus rapidement que les coupures supérieures.

Voici le mouvement officiel de ces émissions :

Billets de plus de 5 livres.

En 1797, 11,114,120 liv. ; en 1800, 16,844,470 liv. ; en 1805, 17,871,170 liv. ; en 1810, 21,019,600 liv. ; en 1815, 27,261,650 liv.

Billets au-dessous de 5 livres.

En 1797, 867,585 liv., en 1800, 1,471,54 liv. ; en 1805, 4,860,160 liv. ; en 1810, 5,860,420 liv. ; en 1815, 9,035,250 liv.

Ces petites banknotes, une fois répandues dans la circulation, sont devenues un tel besoin, que quand, en 1823, le bill relatif au payement en numéraire a été mis en exécution, on a dû maintenir pendant onze ans les petites coupures de 1 et de deux livres sterling. En 1835 ou 1836, si je ne me trompe, une grande crise éclata ; la banque d'Angleterre se trouva sur le point de suspendre ses payements ; le hasard fit retrouver dans un coin une caisse de petites banknotes qu'on avait oublié de détruire ; on les mit en circulation comme monnaie, et la banque fut sauvée, et la panique s'apaisa.

Messieurs, j'ai dit, en troisième lieu, qu'on devait se montrer scrupuleux sur les garanties. C'est une condition essentielle encore de l'opinion que j'ai exprimée. Que si on me demande en quoi les garanties devront consister, je répondrai :

Pour les 20 millions que vous vous proposez d'émettre, je vous laisse juge, vous gouvernement, des garanties à stipuler, et que seul vous connaissez et pouvez apprécier.

Quant aux seize millions, destinés à faire face aux bons du trésor, la section centrale avait indiqué une garantie suffisante dans l'affectation de la forêt de Soignes. Si la garantie que le gouvernement se propose de stipuler pour les vingt millions à émettre, est aussi solide que celle que la section centrale avait indiquée au gouvernement, pour les seize millions qu'elle conseillait d'émettre, sous ce rapport, il n'y aura rien à désirer.

Sans me dissimuler, je le répète, que l'émission du papier-monnaie puisse avoir de graves inconvénients, quand l'émission est excessive, je dois dire quelques mots sur le point très délicat et très essentiel de savoir quelle somme le pays peut supporter. Je n'entends pas trancher la question. Je soumets très humblement à la chambre, aux hommes spéciaux qu'elle renferme, les observations que le débat me suggère.

Si l'on considère notre circulation en numéraire, on doit reconnaître qu'une émission de 70 millions de papier-monnaie n'a rien d'exagéré. J'ai entendu évaluer à 200 millions le numéraire en circulation dans le pays. L'honorable M. de Liedekerke l'a évalué hier à 300 millions. J'ai consulté une personne très expérimentée en cette matière, qui en fait une étude toute spéciale, et elle m'a affirmé sans hésitation que l'on peut aller plus loin, et porter le numéraire de notre circulation normale de 4 à 500 millions. Ce qui confirme cette estimation, c'est qu'on arrive aux mêmes données par différentes combinaisons. Ainsi citons à ce sujet deux calculs de probabilités, et en cette matière, on ne peut avoir que des probabilités, que des approximations.

On a reconnu en France, depuis Turgot jusqu'à nos jours, que le budget des recettes équivaut à peu près au quart de la circulation monétaire ; ce rapport n'a pas changé. On peut donc dire qu'en France le budget des recettes est à cette circulation comme 1 est à 4.

Or, la circulation d'un pays est en rapport avec sa richesse, son activité, son revenu. Le budget est assis plus ou moins exactement, plus ou moins équitablement sur les mêmes bases. On peut donc admettre qu'en Belgique le même rapport existe, d'autant plus qu'en Belgique il y a plus d'activité commerciale et que, relativement, la Belgique est plus riche que la France.

Or, en prenant quatre fois le budget des voies et moyens, nous avons 400 millions pour notre circulation monétaire.

Si maintenant on considère que la Belgique équivaut au huitième de la France, une circulation de 4 milliards en France donne encore une fois pour la Belgique une circulation de 500 millions.

On peut donc, sans craindre de se tromper beaucoup, évaluer notre circulation monétaire à 4 ou 500 millions. Elle est plutôt au-delà qu'en deçà. 70 millions de papier-monnaie n'ont donc rien d'effrayant. Cette émission ne pourrait jeter le désordre dans le crédit, ni altérer notablement les relations du commerce et de l'industrie.

Messieurs, en voyant ce que des établissements anglais et français fondés sur le crédit ont pu émettre de papier-monnaie, on acquiert plus encore la conviction que la Belgique pouvait aisément supporter une émission de 70 millions.

Ainsi, malgré la crise qui commençait, la caisse Gouin avait en circulation au 31 décembre en billet sà terme, sans compter les bons de caisse, 29,772,000 fr. Elle avait eu précédemment de 35 à 40 millions. La caisse Ganneron avait également 10 millions 200 mille francs. Quand on voit ce que le crédit peut faire pour de simples établissements privés, on se demande ce qu'à plus forte raison le crédit peut faire pour la Belgique, qui n'est pas seulement un pays de probité, mais un pays de gouvernement représentatif, de grande publicité, où tout se passe à la clarté du soleil ; où les discussions des pouvoirs publics doivent nécessairement éclairer la nation sur les vrais et grands intérêts de l'Etat, et où toute mesure qui devrait déshonorer le pays par la banqueroute serait repoussée avec indignation sans avoir même les honneurs d'un débat sérieux.

Je conclus donc, messieurs, comme l'honorable M. Malou l'a fait hier, en exprimant l'opinion que la Belgique peut sans inconvénient supporter une émission de papier-monnaie de 70 millions.

Il me reste à donner quelques explications sur un dernier point, que je n'ai pas encore abordé.

En émettant du papier-monnaie pour faire face aux bons du trésor, on n'aura pas tout fait encore. Il ne suffira pas de substituer cette émission à l'emprunt forcé. Il restera, d'après les calculs du gouvernement, neuf millions de dépenses auxquelles il faudra pourvoir jusqu'au 1er septembre prochain. Eh bien ! je suis tellement convaincu que l'emprunt forcé est une mesure désastreuse, qu'il faut éviter à tout prix, que je suis prêt à voter ces 9 millions plutôt à titre d'impôt qu'à titre d'emprunt. Je vais plus loin : je déclare que si l'on démontre ne pas pouvoir faire une nouvelle émission de 16 millions papier-monnaie, je voterai plutôt pour 25,000,000 d'impôt que pour 16,000,000 d'emprunt forcé. Cette déclaration, je l'espère, prouvera au gouvernement que je suis prêt à concourir aux mesures que réclame la situation. L'impôt est impopulaire, il ne prête pas aux illusions. Mais en me prononçant pour l'impôt, je suis moins touché des convenances immédiates, actuelles, des contribuables que de l'intérêt du crédit public, qui est supérieur à mes yeux, parce qu'en lui est l'avenir tout entier, parce qu'en lui seul on peut trouver les ressources pour que les besoins d'un avenir très prochain ne viennent pas écraser les contribuables déjà exténués par des emprunts forcés plusieurs fois renouvelés. C'est, messieurs, cette considération qui me guide et me détermine.

Messieurs, en supposant l'émission de 16 millions de billets de banque pour couvrir la dette flottante exigible jusqu'au 1er septembre, voici comment on pourrait créer des ressources pour les autres dépenses.

On demanderait à titre d'impôt :

1° Six douzièmes du foncier, soit 9,000,000 fr.

2° Taxe sur les rentes et retenues sur les traitements, soit 2,000,000 fr.

3° Remboursement de la Banque de Belgique, soit 2,000,000 fr.

Total : 13,000,000 fr.

Et comme l'estimation n'est que de 9,000,000 fr., il resterait un excédant de 4,000,000 fr.

Cet excédant, que le gouvernement n'a pas pris la précaution de se ménager dans son estimation de 25 millions, aurait pour but de compenser le vide qu'éprouvera le trésor public par suite du ralentissement dans la rentrée de l'impôt, et par suite de la diminution probable des recettes.

Mais, veuillez-le remarquer, lorsque vous aurez pourvu, par l'adoption du projet du gouvernement, à 16 millions pour le remboursement de bons du trésor à échoir jusqu'au 1er septembre, ou à 14 millions, déduction faite des 2 millions que doit restituer la Banque de Belgique, on conserve 9 à 10 millions pour faire face aux autres dépenses. Mais, dans ce système, il n'y a pas de marge pour faire face au ralentissement des rentrées de l'impôt, ni à la diminution probable des recettes. Pour moi, je crois nécessaire d'avoir une somme réservée pour cet objet. C'est une observation qui m'a été faite hier par M. le ministre des travaux publics ; je dois l'en remercier, car j'en reconnais toute la justesse, alors surtout qu'une négociation de bons du trésor, comme anticipation sur les recettes ordinaires, n'est plus praticable.

Il y a un autre point, plus important encore, qui doit fixer notre attention. M. le ministre des finances a signalé ce fait que le trésor public pourrait, d'ici au 1er septembre, recevoir une grande quantité de bons du trésor non échus en payement de l'impôt. On pourra acquitter les droits de douanes, des droits d'enregistrement, des droits d'accise, et la contribution foncière en bons du trésor, échéant postérieurement au 1er septembre ; ces bons, une fois rentrés au trésor, ne sont plus que des chiffons de papier au moyen desquels la trésorerie ne peut payer aucun service public, aucune dépense publique.

Pour faire face à cette éventualité, je pense qu'il suffirait de donner au gouvernement le droit de disposer de l'ancien encaisse, qui s'élève à 13 millions de notre 4 p. c. Avec la hausse qu'éprouvent chaque jour nos fonds, je suis sûr que M. le ministre des finances pourra (page 1392) prochainement placer de ce 4 p. c. à des conditions moins onéreuses, avec moins de sacrifices que n'en implique l'emprunt forcé.

Messieurs, je bornerai là ces observations que la chambre a écoutées avec une bienveillance dont je crains d'avoir abusé. En terminant comme en commençant, je fais la même déclaration : il me semble qu'il y avait des combinaisons qui permettaient d'éviter au pays la dure nécessité d'être condamné aux emprunts forcés, soit à temps, soit à perpétuité. Je n'ai pas la prétention de formuler un système ; ce sont de simples observations que je soumets au gouvernement, à la chambre, afin que les hommes spéciaux que cette assemblée compte en si grand nombre puissent les examiner, dans l'intérêt du présent et plus encore.de l'avenir. Je n'ai pas besoin d'ajouter qu’au point de vue des économies, je me rallie complètement aux observations de mon honorable et éloquent ami M. Van Huffel ; il n'a rien laissé à ajouter.

Pour me résumer, je déclare que si le gouvernement consent à une émission de seize millions de billets, et à substituer pour le reste des besoins l'impôt à l’emprunt, mon vote sera affirmatif ; que même, si le gouvernement me démontre qu'on ne peut créer pour seize millions de billets, pour compenser une pareille somme de bons du trésor, et que s'il demande 25 millions d'impôt, je les voterai plutôt l'impôt que l'emprunt ; enfin, que si le gouvernement persiste dans son système, comme mon opposition s'adresse à un principe économique que je crois mauvais et non aux hommes, je m'abstiendrai. (Agitation.)

M. Anspach. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président. - Je ne pense pas que le discours de l'orateur, renferme rien qui vous soit personnel.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable députe de Gand a parfaitement constaté dans la première partie de son discours les besoins de l'Etat, les besoins résultant de la liquidation du passé, ceux du présent, ceux de l'avenir. Dans l'appréciation de ces besoins, il a même été au-delà de mon discours d'hier ; et cependant, dans ce discours, je ne m'étais pas montré bien rassuré sur l'avenir.

J'accepte donc ses appréciations, j'accepte toutes ses évaluations. Mais c’est parce que je suis entièrement de l'opinion de l’honorable M. d'Elhoungne sur l'importance des besoins du pays, que je dois repousser d'une manière absolue les conclusions renfermées dans la seconde partie de son discours.

En présence de ces besoins si nombreux, si étendus, que vient en définitive nous proposer l’honorable député de Gand pour faire face aux nécessites qu’il signale ? Seize millions de papier-monnaie et neuf millions d’impôt, en tout 25 millions.

Messieurs, nous considérons comme indispensables : d'abord 25 millions a percevoir des contribuables à titre d'emprunt ou à titre d'impôt, comme on voudra ; plus, pour faire face à des éventualités non pas d'un avenir très éloigné, mais pour faire face à des éventualités de demain, d’après-demain, nous demandons au-delà de 25 millions ; nous aurons probablement à le demander au papier-monnaie.

Pour combattre l'emprunt forcé, l'honorable député de Gand représente le gouvernement comme ayant érigé en système deux principes qui se combattent, l'un l'autre, qui sont inconciliables : le principe de l'emprunt forcé combiné avec l'émission du papier-monnaie.

Messieurs, le gouvernement n'est pas guidé, dans les propositions qu'il vous fait, par un système absolu. Ce n'est pas en exécution d'un système préconçu que le gouvernement est venu, dès le surlendemain des événements qui ont surgi à nos portes, demander au pays des ressources au moyen de l'emprunt forcé pour faire face à la situation. Ceci n'est pas du tout un système, ce n’est pas un système pour le passé, c'est encore moins un système pour l'avenir.

Jamais, et sous ce rapport la base d'une partie principale du discours de l'honorable député de Gand croule complètement, jamais le gouvernement n'a érigé ici en système pour l'avenir l'emprunt forcé, combiné avec le papier-monnaie.

L'emprunt forcé est le premier moyen qui s'est présenté à nous pour faire face aux besoins de la situation. Je sais que nous pouvions recourir simplement, brutalement à l'impôt pur et simple, au lieu de demander au contribuable un impôt remboursable portant intérêt. Mais si nous avions procédé par cette voie, je demande, en présence des réclamations qui ont surgi dans cette enceinte contre l'emprunt, contre l'impôt remboursable et portant intérêt, je demande ce qu'auraient été ces réclamations si elles n'eussent pas éclaté bien plus vives, bien plus unanimes !

Sans doute, l'honorable M. d'Elhoungne s'est livré, je le reconnais, à une dissertation très ingénieuse sur les avantages de l'impôt, comparé à l'emprunt forcé. Mais, qu'il me permette de le lui dire, le contribuable ne comprend pas ces hautes finesses financières ; le contribuable, quoi qu'on en dise, aimera toujours beaucoup mieux payer à l'Etat un emprunt dont il sera remboursé avec les intérêts, que de livrer aux caisses de l'Etat un impôt qu'il ne verra pas lui revenir directement.

On soutient que l'emprunt forcé va produire ces trois résultats : frapper d'abord le contribuable, exercer une influence fâcheuse sur les fonds publics et forcer plus tard le gouvernement à de nouveaux sacrifices, alors qu'il sera obligé d'emprunter pour le remboursement de l’emprunt forcé.

Sans être, messieurs, partisan très exalté de l'emprunt forcé, je ne puis cependant lui reconnaître ces effets fâcheux qu'on vient de signaler.

D'abord, dit-on, l'emprunt forcé va frapper le contribuable ; sans doute, messieurs, mais il le frappera moins que l'impôt, pour lequel l'honorable M. d'Elhoungne a fait connaître sa préférence. L'emprunt forcé, en supposant que le contribuable soit obligé de vendre ses récépissés à 50 p. c. de perte, supposition que je n'admets pas, surtout si l'on a soin d'éclairer le public au lieu de l'alarmer, mais enfin en supposant que le contribuable perde 50 p. c, ce seront 50 centimes additionnels qu'il aura payés au lieu de la totalité de l'impôt.

Je le répète, la dépréciation n'ira pas jusque-là, surtout si les contribuables, qui ont besoin d'être éclairés, reçoivent des lumières de la part de ceux qui peuvent les leur donner, et si les plus malheureux, au lieu de recevoir de simples conseils, reçoivent des secours efficaces. Si les petites cotes sont rachetées par ceux qui doivent avoir confiance dans le crédit public, on ne verra pas arriver une semblable dépréciation. Eh bien, messieurs, il va de soi que nul contribuable ne viendra demander de payer un impôt au lieu d'un emprunt, c'est-à-dire de payer 100 au lieu de payer, dans la supposition la plus défavorable, 50.

On dit que l'emprunt forcé exercera une influence fâcheuse sur le crédit public. Sortons des hypothèses, voyons les faits : lorsque le premier emprunt forcé a été émis, avons-nous vu une telle dépréciation ? Loin de là, et je suis convaincu que les ressources que nous allons demander aux contribuables sont de nature à relever les fonds publics, au lieu de les déprécier.

On dit : Lorsque vous voudrez rembourser l'emprunt forcé, il faudra faire un emprunt et un emprunt onéreux, qui entraînera le pays dans une perte considérable ; il arrivera, dit-on, ce qui est arrivé en 1831, où l'on a dû rembourser l'emprunt forcé au moyen d'un emprunt très onéreux.

Eh bien, messieurs, il y a une différence entre l'emprunt forcé de 1831 et l'emprunt forcé de 1848 : l'emprunt forcé de 1831 était à échéance fixe. L'Etat avait pris l'engagement de le rembourser en 1832 ; l'emprunt de 1848 n'aura pas cet inconvénient ; l'Etat n'est point forcé de le rembourser à échéance fixe, c'est-à-dire qu'il prendra son temps, qu'il choisira le moment le plus favorable pour procéder au remboursement de l'emprunt. La différence est donc grande. Il y en a une de plus, l'emprunt de 1848 porte intérêt à 5 p. c. tandis que l'emprunt de 1831 ne portait pas intérêt.

J'ai dit, messieurs, qu'en supposant qu'on nous accordât seize millions de papier-monnaie il n'en faudrait pas moins, pour fournir au trésor public les 25 millions que nous demandons aujourd'hui, un emprunt forcé. Si l'honorable M. d'Elhoungne a une préférence marquée pour l'impôt substitué à l'emprunt, s'il croit que l'intérêt du pays sera plus utilement servi par l'impôt pur et simple que par l'emprunt remboursable et portant intérêt, eh bien, nous l'avons déjà dit, la voie est ouverte aux propositions. Qu'il en fasse une ! Mais comme lui-même a déclaré qu'il fallait donner au gouvernement tous les moyens que la situation réclame, ce ne sera pas 9 millions qu'il faudra demander à l'impôt, ce sera, je le répète, 25 millions.

J'ai dit, messieurs, qu'avec 25 millions demandés à l'emprunt et non pas au papier-monnaie, nous ferons face à nos obligations du moment, à nos besoins actuels et que, pour le papier-monnaie, nous en ferons usage pour nos besoins de l'avenir, besoins déjà constatés aujourd'hui.

Messieurs, je dois revenir ici sur une observation qui a été présentée par mon honorable ami, M. le ministre des finances, et qui a une grande importance. Lorsque nous demandons seize millions à l'emprunt forcé pour rembourser nos bons du trésor, nous ne sommes pas encore arrivés au bout de la dette flottante ; il reste encore douze millions de bons du trésor, échéant après le 1er septembre 1848. Ces bons du trésor, s'ils restent entre les mains des détenteurs, ne nous tourmentent pas, ne nous inquiètent pas d'ici au 1er septembre ; mais ces bons du trésor, remarquez-le bien, ne resteront pas entre les mains des détenteurs ; ces douze millions de bons du trésor vont venir dans nos caisses à titre de contributions, ils vont se rembourser d'eux-mêmes, car l'honorable M. Malou, dans d'excellentes intentions, je veux le reconnaître, a décidé qu'ils seraient admis en payement des impôts. Ainsi, messieurs, d'ici à peu de temps, au lieu de recevoir douze millions de contributions en écus, nous recevrons douze millions de bons du trésor que nous ne pourrons plus émettre, et qui, par conséquent, constitueront le trésor public en déficit de douze millions. Je demande si c'est aussi par une nouvelle émission de papier-monnaie que l'honorable M. d'Elhoungne entend couvrir ce déficit. (Interruption.) Je viens de vous dire pourquoi je reconnais la nécessité du papier-monnaie, mais au-delà de 25 millions.

Je constate des besoins au-delà des 25 millions. Ces besoins, ce sont les 12 millions de bons du trésor qui, à la vérité, n'échoient pas en ce moment, mais qui aujourd'hui se remboursent d'eux-mêmes en payement d'impôt.

Nous ne demandons pas à l'emprunt les moyens de couvrir ces bons du trésor ; mais il nous faudra les moyens de les remplacer dans nos caisses ; sinon nous aurons 12 millions de recette en moins.

M. d'Elhoungne. - Voulez-vous me permettre un mot d'explication ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Volontiers !

M. d'Elhoungne. - Vous demandez 25 millions pour payer 14 millions de bons du trésor et puis les dépenses déjà votées par la (page 1393) chambre, soit 11 millions. Voilà tout votre projet. Maintenant vous demandez le moyen de remplacer dans les caisses de l'Etat les 12 millions de bons du trésor qui, échéant après le 1er septembre, pourront être versés en payement des contributions, ce qui laissera un déficit dans les recettes. Eh bien ! j'ai tenu compte de ce besoin.

En effet, n'ai-je pas fait observer tout à l'heure que le fait signalé par l'honorable ministre des finances était parfaitement exact, et qu'il fallait le faire entrer dans nos calculs ? C'est pour cela que j'ai conseillé, dès que l'état de la bourse le permettrait, de négocier du 4 p. c. de l'ancien encaisse. J'aurais accordé cela très volontiers. Maintenant en sus des 25 millions d'emprunt forcé, vous demandez 12 millions pour lesquels vous voulez émettre du papier-monnaie, afin de parer aux bons du trésor, échéant après le 1er septembre. Eh bien ! je vous prie de calculer, à votre tour, à quelle émission vous arrivez déjà, si d'une part vous émettez encore du papier-monnaie jusqu'à concurrence de 20 millions pour un établissement particulier, et que vous y ajoutiez 12 millions pour faire face aux bons du trésor, échéant après le 1er septembre. Ce ne sont pas nos calculs qui sont incomplets ; ce sont vos premières prévisions que les faits modifient.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous ne refusons pas le papier-monnaie de l'honorable M. d'Elhoungne, nous ne refusons pas le papier-monnaie de la section centrale ; mais nous disons que ce papier est destiné à couvrir des besoins au-delà de ceux qui sont constatés. Mon honorable ami. M. le ministre des finances, a indiqué le nouveau besoin de 12 millions ; je n'ai fait que développer l'observation de mon honorable ami ; on était donc averti de ce besoin de douze millions. Vous devez donc nous donner le moyen de parer à cette éventualité. D'un autre côté, on a dit avec vérité qu'en ce moment les rentrées du trésor se faisaient d'une manière plus lente, qu'il existe des déficits dans certaines recettes. En effet, bien que notre situation politique soit relativement très bonne, nous aurons un déficit probable dans les produits de la douane, des accises et du chemin de fer.

Eh bien, l'honorable M. d'Elhoungne, qui a si bien fait comprendre la nécessité pour l'Etat de voir au-delà du lendemain, de faire face aux besoins de l'avenir, l'honorable M. d'Elhoungne doit tenir compte aussi de cette éventualité, et ce n'est pas avec les seize millions de papier-monnaie qu'il pourra y pourvoir. Il nous faut donc au-delà de seize millions.

En résumé, lorsque,, par un esprit de conciliation, de modération extrême dont j'espère que nul de nous n'aura à se repentir, nous avons réduit notre demande à 25 millions, nous avons dit notre dernier mot et nous le répétons.

Le papier-monnaie, nous l'admettons ; mais je viens de faire voir à quelle éventualité prochaine une émission de papier-monnaie devra nécessairement pourvoir.

Je n'ai pas fait allusion aux nécessités que présente la situation d'un établissement financier ; si l'on vient à son aide, cela exigera encore une émission de papier-monnaie. Il faut tenir compte de cette émission éventuelle dans le relevé général des billets que nous aurons à émettre.

Les 25 millions que nous demandons, si le système de l'honorable M. d'Elhoungne prévaut, devraient être réclamés aura de l'emprunt, mais de l'impôt.

L'honorable membre prendra-t-il sur lui de proposer la substitution de l'impôt à l'emprunt ? Alors je demande où sera la possibilité pour ses collègues de s'associer à sa proposition ?

M. d'Elhoungne. - C'est une opinion isolée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Sans doute cette opinion est ingénieuse ; elle est défendue dans beaucoup de livres, par des financiers distingués ; elle est également défendue d'une manière très distinguée par l'honorable M. d Elhoungne. Mais nous sommes malheureusement ici aux prises avec la réalité, avec les nécessités présentes, et nous n'avons pas le temps de discuter des théories ; nous avons des besoins certaines, et nous n'avons pas de ressources actuelles, réelles ! Des espérances, des hypothèses, des utopies, ne rempliront pas les caisses du trésor ; or, le trésor a besoin d'être rempli. Dans le moment actuel, chacun de vous peut comprendre que, vu les charges extraordinaires qui pèsent sur nous, vu le ralentissement inévitable dans la rentrée des impôts, vu la réduction dans l'impôt même, le trésor n'est pas dans une situation florissante.

Messieurs, les événements que nous subissons, si nous avions pu les prévoir à jour fixe comme nous les avions pressentis, si nous avions pu prévoir qu'à tel jour, tel événement forcerait le pays à faire sur lui-même un grand effort financier, et que le gouvernement fût venu vous présenter sans aucun autre effort d'imagination, l'emprunt forcé que vous discutez, vous auriez été en droit de vous plaindre de sa stérilité, de son imprévoyance. Mais les moyens, les mesures que nous avons présentées ont dû se ressentir des événements ; nous avons été surpris par le mal, nous avons dû improviser le remède.

Depuis qu'il est présenté, en a-t-on proposé d'autres plus sûrs, plus efficaces ? Je ne le pense pas. Avons-nous exige des sacrifices au-delà des besoins de la situation ? Nul n'ose le dire, puisque déjà les besoins ont été reconnus les dépenses votées. Si un reproche pouvait nous être adressé, l'honorable député de Gand aurait pu nous faire celui de trop céder, dans la demande des allocations, au désir de conciliation, de modération. A l'heure qu'il est, moi, je le dis, les deux millions qui ont été votés au département de l'intérieur sont à la veille d'être épuisés, pour satisfaire aux besoins urgents d'un grand nombre de localités.

Car enfin de quoi se compose l'Etat ? L'Etat, c'est la représentation de toutes les communes du royaume. Quelle est la situation de nos communes ? Les communes se trouvent, chacune chez elle, aux prises avec les mêmes difficultés qui assiègent l'Etat ; de toutes parts, chacune des administrations communales du pays vient demander aide, assistance au gouvernement ; il faut entretenir le travail partout, partout maintenir l'ordre par le travail. Que répond l'Etat à ces communes, qui forment sa famille, qui sont la chair de sa chair, les os de ses os ?

Nous répondons : Que la représentation nous donne les moyens de vous venir en aide, et nous répartirons ces secours votés par la représentation nationale. Si ces allocations viennent à nous faire défaut, nous sommes dans l'impuissance de vous venir en aide. Voilà la situation au vrai. Voilà les besoins auxquels il faut pourvoir. Je suis persuadé que si la chambre comptait un plus grand nombre de représentants des communes, de bourgmestres et d'échevins, nous trouverions le concours le plus actif, le plus énergique pour les demandes que nous faisons en ce moment.

Et, messieurs, descendez un moment vous-mêmes dans vos consciences. Je ne ferai pas d'appel personnel, mais la plupart d'entre vous, n'avez-vous pas été sollicités, excités par vos commettants, à demander au gouvernement cette assistance que le gouvernement vient vous demander aujourd'hui ? On craint, je le sais, en présence de certaine éventualité, l'impopularité qui peut s'attacher à un vote dont le résultat sera de forcer la main aux contribuables. Mais, messieurs, retenez-le bien, les représentants populaires ne seront peut-être pas ceux qui, sans mauvaises intentions d'ailleurs, auraient refusé au gouvernement les moyens de venir en aide aux besoins généraux du pays, de venir en aide aux communes ; les représentants impopulaires pourraient bien être ceux qui auraient refusé ces moyens.

Je livre ces réflexions à votre attention ; je ne fais pas appel à des sentiments d'égoïsme ou à des calculs électoraux ; j'aime mieux maintenir la chambre dans les sentiments qu'elle a exprimés dès les premiers jours, dans ces sentiments de l'intérêt public, de l'intérêt général, dans ces sentiments de confiance qu'elle avait montrés aux premiers actes du ministère.

Depuis lors, le ministère a-t-il cessé de mériter cette sympathique confiance qui a éclaté de toutes parts dès le premier jour du danger commun ? Avons-nous démérité de votre confiance, de la confiance du pays ? Ne sommes-nous pas parvenus, par nos efforts, à maintenir cet ordre si précieux, si envié des autres pays de l'Europe ? N’est-ce rien que cela ? Loin de nous le fol orgueil de vouloir rattacher à notre administration de pareils résultats ; le principal, le premier honneur en revient au pays lui-même, aux chambres qui, en ces circonstances,, ont si dignement représenté le pays.

Pour que nous puissions continuer à marcher du même pas, pour que cet accord si intime, si puissant, qui a présidé à nos efforts communs aux premiers jours de danger, puisse exercer une salutaire influence sur le pays entier, il faut qu'il se manifeste encore, non par de simples discours, mais par des votes.

Vous êtes les représentants des intérêts du pays, vous êtes les appréciateurs des intérêts généraux, vous n'êtes pas les représentants des intérêts particuliers. Soyez convaincus que la popularité viendra plus tard à ceux qui, dans ce moment, loin d'avoir désespéré du salut du pays, ont pensé qu'il n'était pas incapable de supporter les charges qu'on est forcé de lui demander.

La popularité sera pour ceux qui ont confiance dans le pouvoir, pour ceux qui, rentrés dans leurs foyers, feront un nouvel appel au dévouement, au désintéressement de leurs concitoyens.

Je crois en avoir dit assez pour faire connaître à la chambre la position du cabinet devant le vote que nous attendons. Il nous serait impossible moralement et matériellement de continuer la direction des affaires, si nous n'obtenions pas de la chambre, dans les limites auxquelles nous avons consenti à le réduire, l'emprunt que nous demandons.

M. Malou (pour un fait personnel.) - Il y a, dans ces circonstances actuelles entre l'honorable député de Gand et moi, tant de points sur lesquels nous sommes d'accord, j'éprouve une sympathie si vraie pour son talent, que je ne veux pas insister beaucoup sur les accusations violentes qu'il m'a prodiguées.

Qu'il me soit permis de faire remarquer d'abord la position que l'honorable membre lui-même vient de prendre, en quelque sorte, sur un piédestal entre le ministère dont je faisais partie et le ministère actuel, et les blâmant également l'un et l’autre.

M. d'Elhoungne. - Je vous ai même un peu renversé.

M. Malou. - On nous dit en effet qu'au 8 juin le pays avait prononcé un arrêt que nous devions accepter sans murmures. D'après tous les débats qui ont eu lieu, je devais croire qu'au 8 juin le pays avait décidé une question politique entre les partis qui se disputaient la prépondérance. Si j'avais pu croire qu'il s'agit de juger une question financière, je n'aurais pas manqué d'en mettre le bilan sous les yeux de tous les électeurs et j'aurais attendu avec confiance leur décision. Cette question n'a pas besoin d'oraison funèbre, elle porte en elle même sa justification. Elle peut attendre la décision et l'épreuve de l'avenir.

A quoi se réduisent tous ces griefs ? Vous n'avez pas pourvu aux éventualités de l'avenir. (Interruption.)

Plusieurs membres. - Ce n'est pas là un fait personnel.

(page 1394) M. Malou. - Messieurs, soyez indulgents, tolérants. La propriété la plus chère à l'homme politique, n'est-ce pas son passé, ne sont-ce pas ses antécédents ? Lorsque je viens me défendre, j'exerce un droit ; à ce titre j'ai droit à votre indulgence.

On nous accuse en premier lieu de n'avoir pas pourvu aux éventualités de l'avenir, et le même orateur nous dit que le pays, pendant ces deux ans, s'est trouvé dans un état de crise affreuse.

Ainsi l'on nous fait un grief de ne pas avoir pourvu aux éventualités de l'avenir, lorsque le pays avait tant de peine à pourvoir aux pénibles nécessités du présent.

M. d'Elhoungne. - Vous n'avez pas pourvu davantage à ces nécessités.

M. Malou. - J'y viendrai. Mais je ne puis pas tout dire à la fois. On m'a donc fait un premier grief de ne pas avoir pourvu aux éventualités de l'avenir, lorsque le pays se trouvait dans un état de crise affreuse. L'accusation se réfute d'elle-même.

Vous n'avez pas prévu, nous dit-on encore, les événements qui étaient à l'horizon. Suis-je donc le seul qui devais prévoir ce que vous-mêmes n'avez pas prévu ? Vous n'avez pas prévu les révolutions qui viennent soudainement d'ébranler toute l'Europe. Et répondant à une interruption de l'honorable M. Lebeau, vous reconnaissez vous-même qu'au 15 février 1848, il ne pouvait prévoir ce qui est arrivé quelques jours plus tard.

M. le ministre de l'intérieur vient de reconnaître à son tour qu'il n'avait point prévu ces grands et terribles événements. Moi seul, à ce qu'il semble, je devais les prévoir deux ans d'avance.

M. Manilius. - Je demande la parole pour un rappel au règlement. D'après le règlement, lorsqu'on demande la parole pour un fait personnel, on ne l'a qu'à la condition de se renfermer dans le fait personnel. Nous sommes vingt inscrits pour parler. Un membre ayant obtenu la parole pour un fait personnel ne peut enlever à ses collègues leur tour de parole. On ne l'a jamais toléré. Je ne m'oppose pas à ce que l'honorable membre ait la parole pour un fait personnel. Mais il ne doit pas s'en écarter.

M. d'Elhoungne. - J'ai hâte de faire remarquer que d'après les précédents de la chambre, comme d'après les règles de la justice, lorsqu'un ancien ministre a été spécialement critiqué, on lui accorde, quoi qu'il ne soit plus ministre, son tour de parole privilège. S'il n'en avait pas été ainsi, l'honorable M. Malou n'aurait pu, dans la discussion du mois de décembre dernier, prendre cinq fois la parole. La chambre a laissé librement parler M. Malou, à cette époque. Pourquoi ne le laisserait-elle pas parler aujourd'hui ? Je demande que la parole soit maintenue à l'honorable orateur.

Plusieurs membres. - Très bien !

- La chambre, consultée par M. le président, décide que la parole sera maintenue à M. Malou.

M. le président. - La chambre a prononcé ; je vous prie, messieurs, de ne plus interrompre l'orateur.

M. Malou. - Je remercie la chambre de son vote presque unanime, je remercie surtout mon honorable adversaire. Il comprend ce qu'exige un gouvernement de libre discussion.

Le dernier grief, c'est de ne pas avoir assez dépensé, de ne pas avoir fait l'emprunt. Vous auriez dû faire l'emprunt, nous dit-on, mais le pouvions-nous ? Comment pourriez-vous me prouver que l'emprunt était possible ? Je dis honorablement possible. Sans doute, lorsqu'on veut emprunter à tout prix, on peut toujours emprunter. Mais un pays comme la Belgique, s'il veut sauvegarder l'avenir de son crédit, doit emprunter à de bonnes conditions ; il doit donc avoir égard aux circonstances, consulter notamment l'état des places financières. Dites-moi, car vous connaissez très bien ces questions, si pendant mon passage aux affaires, des circonstances se sont jamais présentées où un emprunt favorable, le seul que la Belgique puisse vouloir, fût possible.

On oublie trop tôt les faits. Je n'ai besoin que de les rappeler pour justifier ma gestion financière. Ils en sont la justification devant la chambre comme devant tous ceux qui voudront apprécier impartialement l'histoire de nos finances..

Vous n'avez pas fait d'emprunt ! nous dit-on enfin ; mais il fallait d'abord créer des ressources pour le faire.

On aurait dû commencer par créer des voies et moyens, ou par introduire dans le service des économies. A mon point de vue, et je crois avoir raison en économie financière, je ne pouvais pas proposer l'emprunt sans avoir obtenu les ressources destinées à le couvrir.

Mais il y a plus : l'emprunt était inutile à cette époque, en ce sens qu'en réalisant des ressources, et notamment celles que vient d'indiquer l'honorable M. d'Elhoungne, les dépenses n'étant pas encore décrétées, nous n'aurions pu faire qu'un emprunt de quelques millions qui ne vous aurait pas soulagés.

Mais j'aurais fait l'emprunt, je le suppose un instant. Croyez-vous qu'il nous serait resté beaucoup pour pourvoir aux besoins de la crise actuelle ?

Vous auriez fait l'emprunt, et vous auriez augmenté tout aussitôt la dépense. J'en trouve la preuve dans le discours de l'honorable membre, qui voulait nous forcer la main pour faire l'emprunt en obligeant à porter cet emprunt à 20 millions de plus.

Ainsi aujourd'hui vous ne trouveriez pas des ressources dans un emprunt fait à une autre époque.

Mais je dois déclarer franchement, messieurs, que ces deux grandes dépenses eussent-elles été votées, on ne nous aurait pas forcé la main. Nous étions résolus à ne pas faire cette dépense avant que la nouvelle chambre eût jugé si elle devait avoir lieu et eût créé les voies et moyens nécessaires.

Je ne répondrai pas à une autre partie du discours de l'honorable membre, en ce qu'il m'accuse d'avoir dépassé les crédits, d'avoir anticipé sur les dépenses, d'avoir ajourné le payement des dettes. Je me réfère à l'exposé de la situation du trésor que mon honorable successeur a fait distribuer aux chambres.

- La séance est suspendue à 4 heures et demie pour être reprise à 7 heures.


(page 1412) M. Huveners procède à l'appel nominal à 7 heures et demie.

M. le président. - La discussion continue sur le projet d'emprunt.

M. Destriveaux. - Messieurs, après les discussions profondes et lumineuses que nous avons entendues aujourd'hui, je croyais pouvoir me dispenser de porter la parole et rendre service à l'assemblée en la laissant reposer son attention sur tout ce qui a été dit.

Cependant j'éprouve en ce moment le besoin de motiver en quelques mots le vote que je me propose d'émettre en faveur de la mesure qui nous est présentée par le gouvernement.

Il est des choses, messieurs, sur lesquelles je ne reviendrai pas. Le passé est jugé, les récriminations ne changeraient pas la nature de la situation, je crois devoir me les interdire.

Le présent nous presse, l'avenir semble nous menacer encore. Dans cette situation, quels devoirs nous sont imposés ? ceux de peser nos ressources, d'en combiner l'emploi et de tâcher de faire que la Belgique, sauvée de la crise qui la menace, conserve entre les nations son rang de nation libre, son rang de nation morale et respectable par sa moralité.

On a parlé à juste titre d'économies, on a indiqué les objets que les économies pouvaient et devaient atteindre. Malheureusement les économies sont lentes et les besoins sont urgents.

Répéterai-je ce que les orateurs ont dit avant moi, qu'il faut, dans l'organisation générale de l'administration, supprimer les rouages inutiles ? Répéterai-je qu'il faut porter partout un esprit d'économie sévère, atteindre les fonctionnaires de l'Etat par différents moyens et surtout par la réduction des traitements ?

Je suis éloigné comme tout bon citoyen, de l'augmentation mal calculée des emplois et des traitements, qui n'est en dernier résultat qu'un prélèvement illégitime sur les revenus de l'Etat. Mais je suis également éloigné de cette espèce d'économie qui tomberait en lésine, celle qui sans acception de l'élévation des fonctions, de leur utilité pour le pays, des talents et des travaux qu'on a le droit d'exiger des hommes appelés à les remplir, ne voudrait leur donner qu'une rémunération dérisoire de la vie qu'ils dévouent à l'utilité publique.

Ayez des fonctionnaires instruits, laborieux ; supprimez les incapacités, supprimez les emplois parasites ; mais maintenez et traitez dignement ce qui est utile.

On veut que les fonctions donnent la dignité, ce n'est pas le nom qui entraîne la dignité, c'est la manière dont on les remplit.

Il faut que le fonctionnaire soit tranquille sur son existence ; il ne faut pas le placer dans la pénurie, dans l'étreinte des besoins. Car alors, s'il est faible, il songera peut-être, en s'égarant dans sa conscience, à des mesures supplémentaires que la délicatesse désavouerait.

Messieurs, il est un point sur lequel on s'est souvent appesanti ; vous avez pressenti d'avance que je veux parler de l'armée.

Ce n'est pas le moment, je le sais, de proposer des réformes, de parler d'économies, lorsqu'aujourd'hui l'armée est appelée à la défense de notre territoire, non pas contre une invasion que je ne redoute pas de la loyauté de ceux qui nous environnent, mais contre des tentatives désordonnées, telles que celle que nous avons déjà eu à repousser.

La force armé est préventive, a dit un habile orateur. Il a raison ; mais il est deux espèces de direction préventive ; à l'extérieur, à l'intérieur. Sous le premier rapport, on a pris des mesures que je regarde comme légitime ; mais doivent-elles être durables ? J'espère que non ; j'espère que dans peu de temps on verra ceux qui pourraient nous donner des inquiétudes forcés par les lois mêmes du pays dans lequel ils vivent, respecter les barrières qui les séparent des autres Etats.

Alors la question d'économie se reproduira tout entière ; et cette autre direction préventive de la force armée, cette autre direction purement interne n'aura pas besoin d'être protégée par une force armée régulière, par ce que nous appelons l'armée.

Il y a peu de jours, nous avons décrété une loi qui, appelant chaque citoyen à servir son pays, mais à le servir pour la paix, l'ordre intérieur, assure l'un et l'autre. Devant cette force essentiellement préventive de désordre à l'intérieur, disparaît la nécessité permanente de l'emploi de celle autre force destinée à être préventive contre l'extérieur, la nécessité permanente de réunir sous les drapeaux un nombre aussi considérable de soldais. Alors des économies pourront être réalisées, elles feront légitimes, et parce qu'elles seront légitimes, elles seront indispensables.

Je passe rapidement aujourd'hui sur cet important sujet, mais je fais un appel au ministère qui siège sur ces bancs, aux hommes dans les mains de qui les rênes du gouvernement sont placées, et j'espère que cet appel sera entendu, parce qu'avant de céder à toute espèce de préjugés, à ceux qui séduisent si facilement les hommes, ils obéiront à une autre voix qui est celle de la patrie : ils seront citoyens, avant de désirer l'appareil brillant des armes, avant de désirer le simulacre des combats.

Dans cet état de choses, des moyens qu'on a présentés comme héroïques sont offerts à nos méditations. Je ne discuterai pas dans ce moment les détails de tous ces moyens ; je réserve mes observations, si je crois utile de les faire, pour les développer lors de la discussion des articles ; mais qu'il me soit permis aujourd'hui de relever une erreur bien grave à mes yeux, de relever une critique plus ou moins amèrement exprimée et qui dans mon intime conviction est souverainement injuste.

Il aurait fallu, a-t-on dit, voler les ressources extraordinaires pour l'année entière ; par patriotisme, nous n'aurions pas dû reculer devant une semblable détermination.

Eh bien, messieurs, je suis un de ceux qui en sections ont été partisans déclarés du délai qui est fixé aujourd'hui, et je ne pense pas avoir obéi à un autre sentiment qu'à celui du patriotisme. Le patriotisme ne réside pas exclusivement dans un abandon passionné ; la prudence est du patriotisme aussi, et quand il s'agit d'imposer à la nation tout entière de grands sacrifices, je crois qu'on ne peut pas faire un reproche de la prudence.

En ne votant des ressources extraordinaires que jusqu'au 1er septembre prochain, moi et mes honorables collègues, qui ont partagé mon opinion, aurions-nous obéi à cette pensée que j'appellerai presque odieuse, qui serait méprisable ? Aurions-nous pressenti l'avènement prochain d'une autre législature ? Me serais-je dit : Arrivant ici pour quelques jours, je vais repousser le fardeau d'une responsabilité qui m'épouvante, et j'attendrai que d'autres, venant peut être à ma place, soient obligés de la supporter à leur tour, de voter quand moi, dans une crainte honteuse, je me serai abstenu ? Non, messieurs, j'aurais voté pour l'année entière, s'il n'y eût eu que ce moyen de donner au pays les ressources convenables ; je n'aurais pas hésité un seul instant. Mais je me suis dit : Ai-je donc bien le droit, dans mon mandat, d'étendre la durée des sacrifices jusqu'aux dernière limites du terme ? Est-ce que je puis connaître la pensée et les sentiments du pays tout entier, et savoir jusqu'à quel point il partage mon opinion sur la convenance des moyens que nous votons aujourd'hui ?

Mais j'ai été arrêté dans cette pensée que la législature, selon qu'elle sera composée après celle qui existe aujourd'hui, les conditions nouvelles du choix auquel elle devra son mandat pourront amener dans sa composition des éléments également nouveaux. Je me suis dit, en parlant ainsi : Mon vote n'est qu'un appel implicite au pays ; s'il l'approuve, si par son choix nous étions renvoyés dans cette enceinte, en présence de graves complications, de dangers imminents, peut-être, forts de l'approbation qu'il nous aurait donnée, revêtus d'un nouveau et saint mandat, nous voterions dans l'étendue de la loi qu'il nous imposerait, mais certains de nos pouvoirs, dans leur nature et leur durée, toutes les mesures nécessaires pour assurer la tranquillité, la liberté, la nationalité de la Belgique.

Voilà dans quel sens je voterai les dépenses d'une manière limitée pour le temps, et quels principes me guideront dans une situation différente. J'ai dit.

M. de Chimay. - Je regrette vivement d'être amené, par la durée même de nos débats, à demander la parole pour justifier mon vote. Depuis deux mois l'union patriotique de tous les rangs de la chambre réalisait les vœux que j'exprimais naguère en dehors de cette enceinte, avec toute la chaleur d'une ardente conviction, et qu'un de nos spirituels collègues assimilait méchamment alors aux bucoliques fictions de Bernardin de Saint-Pierre. J'étais loin sans doute de prévoir quelle catastrophe sociale serait le prix de cette union. Mais enfin elle existe, messieurs, elle a prouvé à l'Europe entière tout ce que la Belgique possède de force nationale et d'indépendance. Telle est à mes yeux l'importance, la grandeur de ce noble résultat, que si l'égoïsme n'était une tache pour les peuples comme pour les individus, je ne sais jusqu'à quel point nous serions admis à qualifier de désastreux l'événement immense qui pèse sur l’Europe entière.

Ne détruisons pas, messieurs, de si précieux antécédents. Je comprends toute la gravité des intérêts matériels qui sont en jeu : peu initié aux rouages financiers d'ingénieuses combinaisons qui peuvent varier à l'infini, je n'entends ni approuver ni critiquer, d'une manière absolue, tel ou tel système, telle ou telle conviction. Mais j'aurais désiré, je l'avoue, que tous les concours si loyalement offerts et acceptés, toutes les lumières produites pendant le long et laborieux enfantement de la (page 1413) section centrale, eussent compris qu'il fallait, avant tout, laisser au débat public la spontanéité, le caractère d'union, qui eussent ajouté un nouveau et patriotique fleuron à la couronne de la chambre expirante.

Si tel est le tort de quelques-uns, celui du ministère est peut-être, selon moi, de ne pas aborder à la fois la difficulté tout entière et sans restriction. L'incertitude, ne l'oublions pas, messieurs, c'est la mort du crédit, et je regrette qu'il croie devoir la prolonger.

Il me semble aussi, messieurs, que le côté politique a été trop sacrifié au côté économique de la question. Le concours que l’on demande aux uns, les sacrifices que l'on impose aux autres sont grands, sans doute. Mais reconnaissons, messieurs, que si l'année dernière, en pleine paix, en pleine sécurité, on était venu dire : Voulez-vous rester Belges au prix de deux années de contributions ? Beaucoup, si ce n'est tous, eussent offert leur vie, à défaut de fortune. Serions-nous donc plus avares aujourd'hui, qu'il s'agit non plus seulement de conserver une patrie, mais la vraie liberté, notre état social tout entier ? Evidemment, non, messieurs. J'ai la ferme conviction que le vote définitif de la loi, tout imparfaite, tout incomplète qu'elle puisse être, fera disparaître jusqu'à la dernière trace d'une division possible sur le système de l'impôt, mais que tous sans exception répudieraient, M. Rogier, le premier, j'en suis certain, si aux yeux du pays elle pouvait un instant revêtir une apparence politique.

Pour moi, messieurs, je me félicite, en donnant à la loi mon vote approbatif, de pouvoir mettre d'accord quelques affections personnelles avec la voix de ma conscience. Cette voix me dit que dans la suprême et décisive épreuve que la Providence réserve à la Belgique, le ministère du 12 août a bien mérité du pays et de la Constitution. Je n'ai pas à défendre ses fautes, s'il en commet, ni toutes ses doctrines financières ; mais je n'oublierai pas que c'est à son habile énergie, à son dévouement, que nous devons peut-être de délibérer en paix et librement aujourd'hui sur le maintien et le développement rationnel et progressif de nos institutions.

Je suis heureux, messieurs, de lui rendre publiquement cet hommage, et de lui assurer que le sincère et loyal concours que je lui ai prêté depuis le début de cette grande crise, ne lui fera défaut, ni au dedans, ni au dehors de cette enceinte.

M. Bruneau. - Messieurs, lors de sa présentation, le projet de loi qui vous est soumis fut reçu, on ne peut pas se le dissimuler, avec une certaine répulsion dans les sections et dans le pays tout entier. Depuis lors ce projet a subi des modifications assez importantes et on peut dire aussi que l'opinion publique a subi des modifications plus grandes encore. En effet, aux pétitions nombreuses qui ont assailli la chambre lors de la présentation du projet de loi d'emprunt, pour en demander le rejet, ont succédé des pétitions dans un sens opposé. Depuis, les événements ont montré la sagesse des mesures proposées par le gouvernement et la nécessité de faire face aux premiers besoins, à ce qu'exigeait la situation du pays.

Depuis lors, il n'y a plus eu un Belge qui eût balancé, placé qu'il était entre les quelques poignées d'or qu'on lui demandait, et la défense de ses institutions, la sûreté de sa famille et de ses propriétés.

En particulier, l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, n'a pas reçu la part qu'il doit avoir dans les faveurs du budget, cependant il n'hérite pas à apporter sa part dans les sacrifices demandés au pays.

A côté de ce sentiment de dévouement, il en est un autre qui exercera dans l'avenir une immense influence sur les destinées futures de la Belgique, c'est le sentiment d'économie. L'honorable M. Van Huffel, l'a dit, l'économie sera inscrite sur le drapeau des élections futures, comme un autre mol a été inscrit sur le drapeau des élections passées. Ce ne sera plus le drapeau de l'opposition, mais celui du gouvernement. Nous avons pour garantie la parole donnée par MM. les ministres dans les séances précédentes et les actes qu'ils ont posés déjà. Le projet présenté a rencontré trois espèces d'opposants : les uns ne veulent pas de l'emprunt, les autres l'acceptent comme une nécessité, mais proposent d'autres moyens d'y pourvoir ; d'autres enfin, ce sont les neutres, en reconnaissant la nécessité de l'emprunt, refusent les moyens d'y faire face en s'abstenant. Je le dis à regret, je ne m'attendais pas à voir figurer dans cette dernière catégorie l'honorable M. d'Elhoungne ; son caractère, la virilité de son talent, devaient, selon moi, lui faire prendre une autre position.

Parmi ceux qui se sont opposés à l'emprunt se trouve l'honorable M. Orban, qui a pris la parole dans une précédente séance. Cet honorable membre vous a dit qu'on avait montré plus de sollicitude pour les créanciers de l'Etat que pour les contribuables. Mais en présence des créanciers de l'Etat, les contribuables sont des débiteurs. Sans doute, on doit moins ménager les droits des débiteurs que ceux des créanciers.

Je regrette que d'honorables membres aient cherché à soulever un antagonisme entre les villes et les campagnes.

L'honorable M. de La Coste nous a dit, dans une séance précédente, que ce n'était pas seulement la propriété qui était menacée, que le capital l'était aussi. On peut dire que le capital apporte dans le sacrifice qu'impose la situation un contingent plus fort que la propriété. Ce n'est pas le gouvernement qui demande ce sacrifice, ce sont les événements.

Quels sont les sacrifices qu'on demande à la propriété ? Ce n'est pas le capital, c'est une partie de son revenu et même une partie assez peu considérable. Vous savez que l'impôt foncier ne représente pas le dixième du revenu. Le commerce contribue pour une part bien plus considérable ; là ce n'est pas seulement le revenu qui est mis en jeu, c'est le capital ; il n'est pas une seule position financière industrielle qui soit à l'abri d'une catastrophe ; on se trouverait heureux si on pouvait en sortir non pas en perdant une partie du revenu, mais tout le revenu si le capital restait entier. Les financiers ne font-ils pas un sacrifice immense quand ils voient réduire de moitié la valeur des capitaux qu'ils détiennent ?

Différents orateurs ont cru nécessaire de mettre en avant différents systèmes pour faire face aux dépenses. Je crois inutile de passer en revue ces différents systèmes.

M. Delfosse. - Messieurs, les discours prononcés dans la première partie de la séance, par l'honorable M. d'Elhoungne et par M. le ministre de l'intérieur, m'avaient en quelque sorte décidé à renoncer à la parole. Mais j'ai changé d'avis, après avoir entendu l'honorable M. Malou, parlant en qualité d'ancien ministre ; je tiens à lui répondre.

L'honorable membre a essayé, pour la centième fois, mais toujours en vain, de se replacer sur le piédestal dont, comme l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne, il a été renversé le 8 juin. Si l'on en croyait l'honorable M. Malou… (Interruption.)

Un membre. - Ce sont encore des récriminations.

M. Delfosse. - Messieurs, on a entendu l'honorable M. Malou ; on s'est même écarté du règlement pour lui donner la parole. Si l'on ne veut pas que je lui réponde, la chambre n'a qu'à le déclarer.

Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

M. Delfosse. - 'Si l'on en croyait l'honorable membre, l'histoire devrait parler un jour de lui avec admiration. Il serait un ministre des finances incomparable, l'homme des économies, celui qui pouvait seul nous conduire dans la terre promise, dans cette terre que l'honorable M. Van Huffel nous a montrée avec raison comme le seul refuge contre les tempêtes qui nous menacent.

L'honorable M. Malou, l'homme des économies, qu'il veuille donc nous dire quelles économies il a réalisées pendant son passage de deux ans au ministère des finances. J'ai beau chercher, je n'en vois pas une seule. A son entrée comme à sa sortie, je ne vois que des charges nouvelles.

L'honorable M. Malou a, il est vrai, résisté à des demandes de travaux publics. Il n'a voulu ni du chemin de fer d'Alost, ni de la dérivation de la Meuse.

Quand je dis, messieurs, qu'il n'en a pas voulu, je me trompe ; nous étions alors à la veille des élections, il ne fallait pas donner, mais il fallait promettre.

Il fallait que les agents ministériels pussent dire aux électeurs liégeois : Si vous votez bien, vous aurez la dérivation de la Meuse ; aux électeurs d'Alost et de Gand : Si vous votez bien, on fera le chemin de fer d'Alost ; pendant qu'on disait à ceux de Termonde : Si vous votez bien, on ne le fera pas.

Voilà, messieurs, le secret des fins de non-recevoir que le ministère de cette époque nous a opposées pour ajourner l'exécution de ses promesses. Car, on n'oserait le nier, des promesses nous avaient été faites. J'en appellerais au besoin à l'honorable M. de La Coste, ancien gouverneur de la province.

M. de La Coste. - C'est complètement inexact.

M. Delfosse. - Vous l'avez dit vous-même. J'en appelle au Moniteur.

Nous sommes encore, messieurs, à la veille des élections. (Interruption.)

Plusieurs membres. - Venons à l'emprunt.

M. Malou. - Laissez donc parler.

M. Delfosse. - Les murmures de la droite m'engagent à m'asseoir. On a entendu l'apothéose de l'honorable M. Malou faite par M. Malou lui-même. On ne veut pas que je lui réponde !

Plusieurs membres. - Non ! non ! Parlez ! parlez !

M. Malou. - Je demande que la chambre veuille bien entendre les nouvelles attaques de l'honorable M. Delfosse, comme elle a eu l'indulgence d'entendre ma réplique à l'honorable M. d'Elhoungne. Je prie mes honorables amis de ne pas interrompre, si étranger que cet objet puisse paraître à la discussion.

Plusieurs membres. - Appuyé ! appuyé !

M. Delfosse. - Nous sommes encore à la veille des élections. Faudrait-il chercher dans ce fait l'explication de certaines paroles que l'on fait entendre, de certaines colères qui se révèlent, de certaines conversions qui s'opèrent ? Je ne sais, mais s'il en était ainsi.je connais assez mon pays pour être sûr que cette fois encore on se bercerait d'étranges illusions.

Je conviens du reste volontiers que l'honorable M. Malou n'a jamais montré de vives sympathies pour les travaux publics, qui peuvent cependant devenir une source de richesse, lorsqu'ils sont sagement conçus et loyalement exécutés. Les sympathies de l'honorable membre étaient ailleurs ; il y a entre l'honorable membre et le ministère du douze août une ligne de démarcation bien tracée : mais, comme l'honorable M. d'Elhoungne, je conteste les éloges que M. Malou s'est donnés pour avoir résisté à l'entraînement irréfléchi, selon lui, qui nous poussait à demander de grands travaux d'utilité publique.

Veuillez-vous rappelez, messieurs, le langage que je tenais à l’honorable M. Malou, lorsqu’il avait la direction de nos finances. Je n’ai pas cessé un instant de lui signaler l’imprudence, les dangers d’une émission trop considérable de bons du trésor. Je l'ai pressé, conjuré même de les consolider (page 1414) au moyen d'un emprunt dont la quotité eût permis en même temps de doter le pays d'un système complet de routes et de canaux.

Si l'on avait alors suivi nos conseils, notre position serait admirable. Nous aurions les moyens de donner partout du travail à la classe ouvrière et nous n'aurions pas une dette flottante ou arriérée de 37 millions suspendue sur nos têtes comme l'épée de Damoclès.

Tout le danger de la situation est là, messieurs ; il est dans l'existence d'une dette de 37 millions dont l'échéance est actuelle ou prochaine. C'est cette dette qui nous force, pour faire face à nos engagements, à imposer de lourds sacrifices au contribuable. Sans elle, le premier emprunt forcé de douze millions eût suffi.

Quelles raisons l'honorable M. Malou a-t-il fait valoir pour repousser nos conseils ? Le moment, disait-il, n'était pas favorable pour contracter un emprunt, le taux de nos fonds publics était trop bas. On n'aurait pu le contracter qu'à des conditions onéreuses.

Savez-vous, messieurs, quel était alors le taux de nos fonds publics ? Le 5 p. c. était à 98 ; le 4 et demi p. c. à 95, et il était tellement possible de contracter un emprunt, que l'Angleterre, mieux avisée que nous, en a contracté un à l'époque dont je parle, et que la France en a aussi contracté un peu de temps après. C'est, en dernier résultat, pour éviter une perte légère que l'honorable M. Malou a exposé le pays à de sérieux embarras.

Mais, nous disait tantôt l'honorable membre, avant de contracter un emprunt, il aurait fallu faire les fonds pour couvrir l'intérêt et l'amortissement ; et il n'y avait que deux moyens : des charges nouvelles ou des économies.

Eh bien ! oui, vous deviez faire des économies. Mais vous n'en vouliez pas faire, et c'est là votre condamnation.

El comme si ce n'était pas assez de cette imprévoyance, comme si le danger tant de fois signalé de la dette flottante n'était pas assez grave, l'honorable M. Malou, ce ministre des finances incomparable, a pris une mesure qui faisait des obligations de la dette flottante, des espèces de bons payables à vue, une mesure par suite de laquelle le trésor reçoit en payement des impôts un papier sans valeur, alors qu'il lui faudrait de l'argent.

Quand on a été aussi imprévoyant, quand on a commis d'aussi grandes fautes, on ne doit pas espérer de briller avec éclat dans les pages de l'histoire, on doit avoir des prétentions plus modestes, on doit surtout montrer plus d'indulgence pour ses successeurs.

Quoi que l'honorable M. Malou ail pu dire, le grand projet de travaux publics soumis aux chambres par le ministère du 12 août n'était pas un acte de prodigalité ; c'était, une appréciation intelligente des besoins du commerce et de l'industrie, et des dangers d'une dette flottante exagérée. Ce projet n'avait qu'un défaut, c'était d'en laisser encore subsister une trop forte partie. Je n'hésite pas à le déclarer, si les circonstances n'avaient rendu momentanément impossible la discussion et le vote de ce projet par les chambres, son exécution eût fait honneur au ministère du 12 août, et lui eût assuré dans l'histoire une page plus brillante que celle qui est réservée à l'honorable M. Malou.

Messieurs, deux mots encore sur l'emprunt. Le temps nous presse, il faut être court.

Nous sommes tous d'accord pour faire face à nos engagements. C'est un devoir sacré. La Belgique, qui n'est forte que de son droit et de la justice de sa cause, serait perdue le jour où elle méconnaîtrait le droit, le jour où elle cesserait d'être juste.

Nous sommes aussi tous d'accord pour donner au gouvernement les moyens de couvrir les dépenses qui ont été votées. Quels seront ces moyens ? C'est ici que le dissentiment commence.

D'honorables collègues, au patriotisme desquels je me plais à rendre hommage, voudraient remplacer par une nouvelle émission de billets de banque ayant cours forcé, une partie de l'emprunt que le gouvernement propose.

Le gouvernement persiste dans sa proposition, mais le dissentiment n'est pas aussi sérieux qu'on se l'imagine ; le gouvernement ne repousse pas d'une manière absolue une nouvelle émission de billets de banque dans la proportion indiquée par d'honorables collègues, seulement il croit sage de la réserver pour les besoins ultérieurs qui sont inévitables, auxquels nous ne pourrons pas échapper ; et je n'entends pas parler ici des besoins d'un grand établissement financier, je parle des besoins de l'Etat, des besoins connus, constatés.

Je partage sur ce point l'opinion du gouvernement et j'adopterai son projet, en me réservant toutefois d'appuyer les amendements qui, sans en dénaturer le but et la portée, pourraient en améliorer les dispositions.

Je ne terminerai pas sans exprimer, comme d'honorables collègues, la satisfaction que j'ai ressentie en entendant M. le ministre des travaux publics déclarer, en répondant à l'honorable M. Van Huffel, que son intention et celle de ses collègues était d'opérer des réformes radicales dans les dépenses de l'Etat. Là, messieurs, est notre voie de salut.

J'aime à croire que le gouvernement prenant pour lui le conseil que M. le ministre de l'intérieur donnait hier à un honorable membre de la droite, joindra les actes aux paroles, et qu'il se ralliera aux amendements qui pourront être proposés pour faire participer dans une proportion plus large la classe des fonctionnaires aux sacrifices qui pèsent si cruellement sur toutes les classes de la société.

M. de La Coste (pour un fait personnel). - Puisque l'honorable M. Delfosse a invoqué mon témoignage, je dirai en peu de mots ce que je sais des faits dont il a parlé.

Il est très vrai qu'à la fin de l'année 1846, j'ai eu des raisons de croire que les travaux de dérivation de la Meuse avaient l'approbation du gouvernement ; il est encore très vrai qu'après cela, le cabinet n'est pas tombé d'accord sur leur exécution immédiate, qu'il s'est élevé à cet égard un dissentiment entre moi, agent du gouvernement, et le ministère, et qu'après avoir, comme j'ai cru de mon devoir, envoyé au gouvernement ma démission, j'ai voté contre lui pour satisfaire à ma parole.

Mais, messieurs, ces faits se passaient à une époque éloignée des élections et il n'est pas à ma connaissance que l'on ait fait aucun usage de promesses relativement à ces travaux pour exercer de l'influence sur les élections.

M. Malou. - On n'en a fait aucun.

M. de Corswarem. - Messieurs, nous nous trouvons en présence de 26 millions de dépenses votées ou de dettes exigibles. Dès à présent, messieurs, nous sommes obligés de payer ces 26 millions, et il ne s'agit plus de discuter si nous devons, oui ou non, faire des fonds pour les acquitter.

Une grande partie de ces 26 millions a été votée par la chambre contre mon opinion. J'ai cru que l'on faisait des dépenses qui auraient pu, sans inconvénient, être ajournées à une autre époque. Mais la majorité de la chambre en a décidé autrement, et je dois accepter la décision de la majorité.

Il ne s'agit donc plus aujourd'hui de savoir ce que nous pourrons ou ce que nous ne pourrons pas. Nous devons payer 26 millions. On est d'accord sur ce point.

Seulement, il y a divergence sur le mode de payement.

Le gouvernement veut que les fonds nécessaires à l'apurement de ces 26 millions soient fournis par l'emprunt forcé. La section centrale et un grand nombre de membres voudraient qu'une émission de papier-monnaie contribuât, en grande partie, à solder cette dette ; d'autres membres veulent qu'au lieu d'un emprunt forcé, on ait recours à l'impôt.

Ainsi, toutes les divergences d'opinion consistent dans le mode de ressources auquel nous devons recourir pour nous tirer de l'embarras où nous nous trouvons en ce moment. Dans la première partie de cette séance, les organes du gouvernement ont déclaré qu'il leur fallait aujourd'hui l'emprunt forcé, et demain ou après-demain une émission de papier-monnaie, en un mot qu'il leur faut l'un et l'autre.

Je regrette que cette déclaration n'ait pas été faite pins tôt, je suis certain que si elle eût été faite à la section centrale, le dissentiment qu'on a vu s'élever n'aurait pas surgi du tout.

Aujourd'hui le gouvernement dit qu'il faut de l'argent pour lui, et que bientôt il faudra une émission de papier pour venir au secours d'un établissement public.

Je comprends cette façon d'agir. Il est certain que si nous avons dès aujourd'hui recours à une émission de papier-monnaie pour satisfaire aux obligations du gouvernement, il nous serait tout à fait impossible de demander de l'argent aux contribuables pour venir au secours d'un établissement particulier.

Si nous devons donner de l'argent à quelqu'un, c'est au gouvernement ; si nous devons autoriser une émission de papier, nous devons l'autoriser en faveur de l'établissement.

Nous avons entendu, dans la première partie de la séance d'aujourd'hui, deux amis bien dévoués du ministère exprimer des opinions divergentes sur ce point ; cependant le ministère n'a pas trouvé que ces anciens amis voulussent constituer une nouvelle opposition, et je dois convenir que j'ai entendu avec un regret profond certains membres du cabinet déclarer que l'ancienne majorité voulait lui faire de l'opposition, voulait ressusciter l'ancienne opposition, parce que quelques-uns de ses membres n'étaient pas d'accord avec lui sur la manière dont on se tirerait de l'embarras dans lequel nous nous trouvons en ce moment.

Les anciens amis du ministère qui aujourd'hui ne sont pas de son opinion, ne veulent pas plus faire une nouvelle opposition que les membres de l'ancienne majorité ne veulent ressusciter l'ancienne opposition ; tous ont émis consciencieusement leur avis, et je ne crois pas que nous devions inférer de la franchise avec laquelle ils se sont exprimés que les uns ou les autres aient voulu créer de nouveaux embarras au ministère.

On nous a déclaré aussi que, si la chambre ne votait pas l'emprunt dans les mesures qui nous sont proposées, le cabinet se retirerait.

Je conviens qu'après toutes les crises que nous avons traversées, crise alimentaire, crise financière, crise industrielle, crise politique, il ne nous manquerait plus que d'avoir une crise ministérielle, pour couronner l'œuvre de nos malheurs, et j'en conviens, j'ai souvent voté des dépenses que je n'approuvais pas tout à fait, pour n'avoir pas une crise ministérielle, lorsque mes amis personnels étaient assis au banc ministériel.

Aujourd'hui qu'ils n'y sont pas, je voterai encore certaines mesures que je n'approuverais pas, pour éviter une crise ministérielle, si elle devait résulter de mon défaut de concours. Ce n'est pas pour soutenir des hommes, c'est pour conserver la tranquillité et l'ordre dans le pays que j'ai voté certaines mesures précédemment, que je les vote aujourd'hui, et que je les voterai tant que j'aurai l'honneur de faire encore partie de la législature.

Messieurs, le vote de la loi qui nous est présentée me semble une nécessité que nous devons subir. A mon avis, il ne reste qu'à examiner deux points.

Le premier, c'est de savoir si nous devons pourvoir aux dépenses nécessaires jusqu'au 1er septembre ou jusqu'au 1er janvier ; le deuxième, c'est de savoir si les bases proposées sont les meilleures.

Les membres du cabinet et plusieurs membres de cette chambre ont regretté que la section n'ait pas proposé des voies et moyens jusqu’au (page 1415) 1er janvier prochain. Je ne suis pas de cet avis. Je crois que la chambre a raison de ne voter des voies et moyens que jusqu'au 1er septembre.

Telle qu'elle est composée aujourd'hui, et en présence de ses antécédents, il lui est impossible de décréter les économies à peu près radicales que l'on demande. La prochaine législature, telle qu'on nous l'a déjà annoncée, sera une législature d'économie, de sévérité dans l'administration.

Je crois donc qu'il faut laisser à nos successeurs la faculté de voter non seulement les fonds qui seront nécessaires, mais aussi les dépenses auxquelles il faudra faire face avec ces fonds.

Il n'est d'ailleurs pas dit que les besoins au 1er septembre seront exactement les mêmes qu'ils sont aujourd'hui. On nous a promis des économies ; j'ai foi dans ces promesses, et j'espère que si la situation est telle qu'elle est aujourd'hui, on pourra satisfaire aux besoins avec une somme moindre que celle qui est réclamée en ce moment. Il est, au surplus, fort incertain si, au 1er septembre, les besoins ne seront pas beaucoup plus grands ou infiniment moindres qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Si l'armée peut rester sur le pied où elle se trouve actuellement, 18 millions de dépenses extraordinaires lui suffiront pour atteindre le 1er janvier ; mais si elle doit être mise sur le pied de guerre, il lui faudra un surcroit de dépenses de 47 millions pour atteindre le 1er janvier. Et si les événements qui vont se passer dans un pays voisin nous permettaient de diminuer considérablement notre armée, alors les 18 millions ne lui seraient pas du tout nécessaires.

Ainsi, je pense que, dans aucun cas, nous ne pouvons prévoir dès à présent, quels seront les besoins auxquels il faudra pourvoir au 1er septembre, et je pense, par ces raisons, que nous faisons sagement de laisser à la législature future le soin de pourvoir ultérieurement aux dépenses.

Quant à ce qui est, messieurs, des bases sur lesquelles l'emprunt est assis, on nous en a signalé une qui n'est pas atteinte ; ce sont les fonds publics. On nous a dit qu'il aurait fallu demander l'emprunt sur les fonds publics, aussi bien qu'on le demande sur la propriété foncière. Il y a d'abord une question de principes à examiner avant d'entrer dans la question d'application.

Il est évident que dans quelque temps nous devrons contracter un nouvel emprunt. Si alors nous décidons qu'un impôt quelconque sera imposé aux détenteurs des obligations de cet emprunt, il va sans dire que les prêteurs calculeront en conséquence et qu'ils feront payer au gouvernement sur le capital la retenue qu'il voudra leur faire sur les intérêts. Je suppose que vous vouliez imposer les fonds publics d'un dixième de leur revenu annuel et contracter un emprunt à 5 p. c. Le bailleur de fonds vous dira : Vous me proposez un emprunt à 5 p. c, mais vous voulez imposer un dixième comme impôt ; alors je ne conserve que 4 1/2, et si je puis contracter au pair à 5 p. c, je ne contracterai plus qu'à 90 du moment que vous me laissez seulement 4 1/2. Voilà, messieurs, pour les emprunts à contracter.

Une deuxième question, c'est celle de savoir jusqu'à quel point l'on pourrait imposer les emprunts déjà contractés. Il est évident que lorsqu'on a contracté ces emprunts, les bailleurs de fonds n'ont nullement pu supposer qu'un jour on leur imposerait une retenue ou une charge quelconque ; sans quoi ils auraient déduit le capital de cette retenue de la somme qu'ils nous ont fournie. Je crois donc que dans les circonstances ordinaires il n'y aurait pas justice, il n'y aurait pas loyauté à imposer les emprunts déjà contactés ; mais, dans les circonstances extraordinaires où nous nous trouvons en ce moment, où nous demandons des ressources extraordinaires à ceux qui peuvent en fournir et même presque à ceux qui ne peuvent pas en fournir, et que ce n'est pas un impôt que nous demandons, que ce n'est qu'un emprunt, je crois qu'il y aurait équité à demander aussi l'emprunt aux détenteurs de fonds publics si la chose était possible ; mais lorsque vous aurez décrété que les fonds publics seront également une base de l'emprunt, alors se présenteront les difficultés de les atteindre, qui vous ont déjà été signalées par l'honorable M. Cogels. Nous ne pourrions frapper que ceux dont les détenteurs sont dans le pays : mais ces derniers n'auraient qu'à envoyer les coupons sur les places étrangères pour échapper à l'emprunt. Je crois donc, messieurs, que cette base ne peut nous être d'aucune utilité en ce moment.

Il est alors une autre base, que la section centrale a rejetée et contre laquelle plusieurs orateurs se sont déjà prononcés, contre laquelle je me prononce également ; c'est la troisième base, celle des fermages. Dans ce moment, messieurs, il est impossible de demander la moindre chose aux fermiers, locataires de propriétés immobilières.

En présence de la dépréciation extraordinaire des fruits de la terre, le fermier n'a pas le moyen de contribuer dans l'emprunt. D'après la mercuriale que nous avons encore vue dans le Moniteur d'aujourd'hui, le prix moyen du froment est de 4 fr. 1 /2 au-dessous du prix rémunérateur généralement admis. Lorsque nous aborderons la discussion des articles, je proposerai donc que les fermiers-locataires soient exemptés de l'emprunt ; mais comme cette exemption nous priverait d'une partie des ressources dont nous avons besoin, je proposerai également que les retenues sur les pensions et traitements soient plus considérables que celles qui ont été proposées par le gouvernement et par la section centrale. Déjà depuis hier, j'ai déposé à cet égard un amendement sur le bureau ; mais j'attendrai que nous en soyons à la discussion des articles, pour le développer. Seulement quand nous arriverons à la troisième base, je demanderai que la chambre veuille premièrement discuter la cinquième, qui est la retenue sur les pensions et traitements, et voir si on peut augmenter ces retenues et dispenser ainsi les fermiers-locataires de prendre part à l'emprunt.

De toutes parts. - La clôture !

- La clôture est prononcée.

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - Il conviendra peut-être de tenir l'article premier en suspens jusqu'à ce qu'il ait été statué sur les autres, dont l’articles premier n'est que la récapitulation.

M. Mercier. - Il me semble qu'il vaut mieux discuter d'abord l'article premier, car si l'une des bases n'était pas adoptée, il faudrait éventuellement trouver sur les autres la somme nécessaire pour couvrir le déficit.

- La chambre décide que l'article premier est tenu en suspens.

Article 2 (dernière proposition du gouvernement)

« Art. 2 (dernière proposition du gouvernement). La première partie de l'emprunt sera égale au montant de la contribution foncière, déduction faite des centimes additionnels au profit des provinces et des communes. Le premier tiers est exigible le 20 mai 1848 ; le deuxième tiers le 15 juin et le dernier tiers le 15 juillet suivants.

« Elle sera payée, dans la proportion de leurs cotes respectives, par les trois quarts des propriétaires, usufruitiers ou autres redevables, les plus imposés dans chaque commune, nonobstant toute convention contraire. »

- La section centrale propose la rédaction suivante, pour le dernier paragraphe :

« Elle sera payée, dans la proportion de leurs cotes respectives, par les propriétaires, usufruitiers ou autres redevables les plus imposés, payant ensemble les 7/8 de la contribution foncière dans chaque commune, nonobstant toute convention contraire. »

M. le ministre des finances (M. Veydt) déclare qu'il ne se rallie pas à cet amendement.

M. Mercier. - Déjà ici, messieurs, nous rencontrons l'inconvénient de ne pas avoir discuté d'abord l'article premier, car si l'une des bases n'avait pas été adoptée par la chambre, il faudrait peut-être augmenter celle de l'article 2 ou une autre ; nous agissons donc d'une manière irrégulière en commençant par l'article 2.

Après cette observation, messieurs, je vais motiver la proposition de la section centrale.

J'aurais désiré que M. le ministre des finances eût indiqué les motifs pour lesquels il ne se rallie pas à la proposition. Quant à moi, je la trouve, à tous égards, préférable à celle du gouvernement, en ce qu'elle exemple un plus grand nombre de petits contribuables de la participation à l'emprunt.

En effet, ainsi que la section centrale l'a déjà expliqué, si on déduit des rôles de la contribution foncière dans un certain nombre de communes, prises au hasard, tous les contribuables ne payant que dix francs, il se trouvera que plus des deux tiers des contribuables seront exempts.

Il en sera ainsi notamment dans les communes du Brabant et du Hainaut. On a objecté, ainsi que l'indique également le rapport, que dans une partie des communes d'autres provinces, les cotes ne sont pas aussi élevées, en général, que dans le Brabant et le Hainaut, et que, par conséquent, en déduisant les cotes de 10 fr., on n'atteindrait qu'un trop petit nombre de contribuables. C'est pour éviter cet inconvénient que la section centrale a proposé son amendement, qui atteint le même but, et qui s'applique à toutes les communes du royaume. De cette manière, plus des deux tiers des contribuables seront dispensés de prendre part à l'emprunt ; tandis que, d'après la proposition du gouvernement, il n'y en aurait que le quart ; de sorte que des cotes extrêmement petites seraient encore entrées dans l'emprunt, et c'est là ce que nous devons éviter.

Je me bornerai pour le moment à ces observations, et j'attendrai, pour y répondre, les objections que l'on pourrait faire au système de la section centrale.

(page 1435) M. le ministre des finances (M. Veydt). - La proposition de la section centrale n'est pas d'une exécution plus difficile que celle du gouvernement, qui a préféré prendre un nombre fixe de contribuables pour leur faire payer la totalité de la part de toute une commune dans l'emprunt ; il l'a préféré, parce qu'il résulte de l'appréciation faite par l'administration que ce mode permet de savoir mieux ce que l'on fait et où l'on va. En décrétant, comme la section centrale, que ce sera à un tantième en somme que l'on s'arrêtera, il pourra se faire que quelques contribuables payeront entre eux la totalité de l'emprunt pour leur commune et qu'il y aura beaucoup de contribuables exempts et qui cependant seraient en état de payer. Cela n'est pas juste ; il y aura de grandes inégalités. Je sais que l'honorable M. Mercier a fait le relevé des cotes dans un certain nombre de communes et qu'il en résulte un argument favorable au système qu'il défend ; mais ces communes ne sont qu'au nombre de neuf ; elles sont dans de bonnes conditions qu'on ne rencontre pas généralement. Je pourrais citer la commune de Gheel, où il y a, pour payer 29,571 francs, 2,669 contribuables ; ce qui fait en moyenne à peu près onze francs.

(page 1415) M. Verhaegen. - Messieurs, je m'étais fait inscrire pour parler sur l'ensemble de la loi et je me proposais de présenter quelques observations pour motiver mon vote. La clôture de la discussion générale ne me permet pas de suivre le plan que je m'étais tracé, mais, en retranchant tous les détails, je trouverai le moyen de faire connaître en quelques mots mon opinion.

Messieurs, je voterai pour l'emprunt tel qu'il est proposé par le gouvernement, parce qu'il m'est impossible de faire autrement.

D'abord, je le confesse en toute humilité, ma compétence en matière financière n'est pas bien grande, et je dois me borner, lorsqu'une question financière s'agite, à juger en âme et conscience et d'après mon gros bon sens les divers systèmes, si divers systèmes sont formulés en propositions. Je me garderai bien de formuler moi-même un système.

Personne ne conteste, aujourd'hui la nécessité de créer des ressources au trésor, tant pour payer les dettes du passé que pour satisfaire aux besoins urgent du présent et aux éventualités de l'avenir. La controverse n'existe plus que sur les bases de l'emprunt, toutefois celle controverse ne se traduit pas en système.

Messieurs, le système du gouvernement est le seul qui nous soit soumis. J'ai entendu, il est vrai, de très bons discours ; j'ai entendu ce matin surtout des dissertations très habiles : (je fais allusion ici au discours de mon honorable ami, M. d'Elhoungne). Mais toutes ces dissertations ne se terminent point par des conclusions. Si l'honorable député de Gand était venu présenter un système, s'il avait appuyé ce système de l'autorité de son nom, s'il l'avait pris sous sa responsabilité, en un mot s'il s'était chargé de venir le soutenir au banc des ministres, dans le cas où le système ministériel venait à échouer, alors je me serais fait un devoir d'examiner à fond les vues de l'honorable membre et peut-être me serais-je déterminé à (page 1416) en adopter quelques-unes. Mais mon honorable M. d'Elhoungne a fait des observations tort judicieuses, sans doute ; il nous a présenté une dissertation très habile ; mais cette dissertation est restée purement théorique ; elle ne s'est terminée par aucune conclusion, et son auteur a fini par nous dire qu'il s'abstiendra.

Eh bien, messieurs, quant à moi, je ne pense pas pouvoir déserter le combat.

Je crois en mon âme et conscience devoir voter, dire oui ou non.

Un seul système est présenté, c'est celui du gouvernement ; aucun autre n'est développé, aucun autre n'a été patronné ; il m'est donc impossible de voter autrement que je ne l'ai annonce en commençant, et cela avec d'autant plus de raison que le gouvernement fait de l'adoption de son système une question de cabinet. Je ne fais pas un reproche au gouvernement de cette résolution. Le gouvernement dans la position difficile où il se trouve placé, ayant un système sur l'ensemble de la crise financière, ayant des convictions profondes sur ce point, a le droit d'aller jusqu'au bout ; si d'autres pensent avoir un système meilleur, je crois qu'il est de leur devoir de le présenter, de le défendre et de s'engager au besoin à venir le défendre au banc ministériel. Si telle était la position, notre choix eût été libre ; mais dans la position que je viens de dessiner, nous n'avons pas à choisir ; force est donc de voter pour le système du gouvernement.

Messieurs, j’eusse désiré, il est vrai, une meilleure répartition de l’emprunt, comme en tout temps, j’ai manifesté l’intention de faire une meilleure répartition des impôts ; mais des répartitions ne s’improvisent pas. J’espère que le gouvernement, dans l'intervalle d'une session à l'autre, se procurera les statistiques nécessaires pour parvenir au résultat que nous voulons tous atteindre, à savoir : frapper les classes aisées et dégrever les classes nécessiteuses. Ce serait le cas d'établir le chiffre total des contributions de chacun, de prendre un certain nombre de contribuables et de repartir les emprunts, s'il y a lieu d'en décréter de nouveaux, sur les plus imposés en établissant même une progression ; c'est encore une opinion que j'ai déjà exprimée. Mais mon désir, quelque vif qu'il soit à cet égard, ne peut pas me conduire à critiquer le système du gouvernement puisque pour arriver là il faut du temps. Ces considérations sont suffisantes pour motiver mon vole qui sera approbatif.

M. Cogels. - J'avais peine à m'expliquer pourquoi le gouvernement ne se ralliait pas à l'amendement de la section centrale ; par les explications que vient de donner M. le ministre des finances, j'ai acquis la preuve qu'il ne l'a pas bien compris, car cet amendement a pour objet d'atteindre le but que le gouvernement se proposait et que sa proposition n'atteignait pas. Il est certain qu'en faisant frapper les contributions sur les trois quarts des plus imposés en nombre, vous atteindrez dans la plupart des communes les petites cotes, tandis qu'en la faisant porter sur les 7/8 plus imposés, en somme vous exemptez une foule de petits contribuables qui seraient atteints par le projet du gouvernement.

Je pose un exemple.

Je suppose une commune de 1,050 contribuables.

10 à 600 : 6000

15 à 400 : 6,000

20 à 300 : 6,000

25 à 250 : 5,000

30 à 100 : 3,000

50 à 50 : 2,500

100 à 10 : 1,000

800 à 5 : 4,000

Cela fait 33,500 francs de contribution. D'après le système du gouvernement, quelle est la conséquence ? Vous atteignez d'abord les 350 plus forts imposés qui ne font que le tiers en nombre ; vous devez encore prendre sur les moins imposés ceux qui payent, 5 francs et en frapper à peu près la moitié.

D'après le système de la section centrale, vous prenez les 7/8 en somme, et vous exemptez complètement les 800 petits contribuables.

Cette proportion ne se retrouvera pas exactement, mais on retrouvera quelque chose d'analogue dans plusieurs communes. Je pose en fait qu'en imposant les 7/8 en somme, plus vous favoriserez les petits propriétaires, pins vous aurez d'exemptions, plus vous éviterez d'embarras aux percepteurs. La section centrale n'a pas voulu contrarier les vues du gouvernement ; au contraire, elle a voulu aller plus loin, et n'imposer que celui qui est véritablement en état de payer.

(page 1435) M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, le gouvernement serait prêt à se rallier à la proposition de la section centrale s'il la croyait préférable ; ce n'est pas pour faire prévaloir un système contre elle qu'il le combat.

Mais après examen attentif fait de la proposition, il m'a paru qu'elle pouvait conduire à faire peser le payement de l'emprunt sur un trop petit nombre de propriétaires et à en exempter par conséquent un grand nombre qui seraient en état de payer.

Je le répète, on ne sait pas où l'on va avec le système de la section centrale ; en l'appliquant à un plus grand nombre de communes, on a trouvé qu'il n'avait pas les avantages qu'il présentait, appliqué aux neuf communes de choix citées par l'honorable M. Mercier.

Telles sont les considérations que j'ai à faire valoir ; c'est une affaire d'appréciation. Suivant moi, il vaut mieux s'arrêtera un nombre fixe payant pour la totalité.

(page 1416) M. Faignart. - Messieurs, je partage l'avis du ministère sur la nécessité d'avoir recours à des moyens extraordinaires, pour faire face aux dépenses imprévues, qui résultent des circonstances où nous nous trouvons.

Mais si je reconnais la nécessité d'un emprunt, je désire qu'il soit proportionné au strict besoin, et qu'il y soit pourvu par les personnes qui puissent le fournir, et non par des citoyens peu aisés, ou voisins de l'indigence.

En cela je ne suis nullement d'accord avec le gouvernement ; bien que les amendements qu'il nous a présentés rentrent dans le système que je me réservais de vous soumettre, cependant, je ne trouve pas ces amendements assez complets pour que j'y donne mon assentiment ; en effet, l'on vous propose de ne faire payer que les trois quarts des propriétaires, usufruitiers ou autres redevables les plus imposés dans chaque commune ; eh bien, je demanderai à M. le ministre, s'il s'est assuré à quelles cotes il faudrait s'arrêter, pour n'avoir de participants à l'emprunt que les trois quarts des contribuables. Quant à moi, messieurs, je crois qu'il n'y aurait d'exemption que pour ceux dont la cote est très minime, et qui sont ordinairement portés en carence ; ne trouvant pas cette exemption assez large, je ne saurais m'y rallier.

Lorsque le projet d'emprunt nous a été soumis, je me suis attaché à rechercher les moyens d'en dispenser les petits contribuables ; à cette fin, je me suis adresse à quelques receveurs de contributions, qui ont bien voulu me faire connaître de combien d'articles étaient composés leurs rôles fonciers, avec indication du nombre de contribuables payant moins de dix francs : j'y ai remarqué que plus des 2/3 payent moins de dix francs et environ le huitième de la contribution.

Je ne puis croire, messieurs, que l'on pense sérieusement à faire supporter l'emprunt par un grand nombre de contribuables, qui après avoir péniblement traversé deux années calamiteuses, se trouvent dans l'impossibilité de répondre à votre appel, malgré leur dévouement à l'ordre de choses actuel.

Il en outre à remarquer que si les personnes imposées à moins de dix francs sont portées aux rôles fonciers comme propriétaires, il arrive souvent qu'elles ne le sont réellement que d'une manière fictive.

Il est un autre motif, messieurs, non moins puissant ; c'est qu'en demandant aux deux tiers des contribuables de toute la Belgique un emprunt qu'ils ne pourraient payer, vous ne courriez le risque d'une profonde désaffection.

J'appelle l'attention du ministère sur cette considération, et je crois pouvoir lui assurer que la somme minime qu'il obtiendrait de ce grand nombre de contribuables ne ferait nullement compensation avec l’écueil que je viens de signaler.

J'aurais proposé d'exempter de l’emprunt le contribuable payant moins de dix francs, si l'honorable M. Mercier, organe de la section centrale, n'était venu nous soumettre un projet qui tend à ce but, et auquel, comme je viens de le dire, je donne mon approbation.

En adoptant cette proposition, vous demandez l'emprunt à des personnes qui peuvent y satisfaire sans trop se gêner ; en un mot, vous demandez de l'argent à celui qui en possède ; cela seul est juste, et je repousserai toute proposition qui s'en écarterait.

M. de Denterghem. - Je serai aussi bref que possible ; car je crois que la chambre a le désir d'en finir.

Je félicite le gouvernement d'avoir senti qu'il faut exempter le petits contribuables. Je serais plus disposé cependant à voter en faveur du système de la section centrale qu'en faveur du système de M. le ministre des finances.

Tout à l'heure, je croyais avoir mal compris M. le ministre des finances, car il me semblait que ce qu’il avait dit prouvait que la proposition de la section centrale était préférable à la sienne. Mon honorable ami, M. Cogels, vous a tout à l'heure développé cette pensée d'une manière assez concluante ; car les observations de M. le ministre des finances en-réponse aux allégations de l'honorable M. Cogels, ne m'ont pas du tout satisfait. Les chiffres sont restés tels que l'honorable M. Cogels les avait posés. Je n'entrerai pas plus longtemps dans la question de chiffres que je laisse débattre par les hommes spéciaux.

Je me permettrai d'énoncer un fait, qui n'a pas été énoncé dans cette enceinte et qui mérite tout votre intérêt.

D'après ce que j'ai entendu dire à plusieurs de mes collègues, il semblerait que le rentier, le propriétaire fait toujours rentrer son revenu avec la même facilité. Il n'en est pas du tout ainsi : le rentier est comme tout autre soumis aux fluctuations, aux événements politiques. Lorsqu'il y a de la gêne dans le pays, lorsqu'une crise financière pèse sur le pays, le propriétaire en souffre comme tout autre ; ses rentrées sont suspendues ; il est obligé de faire crédit à ses fermiers, à ceux à qui ils vendent du bois, etc.

Depuis plusieurs années, les propriétaires sont dans une position difficile. Pendant deux ans, les fermiers ont supporté une crise alimentaire. Il a fallu avoir des égards, beaucoup d'égards pour eux ; car jusqu'à l'année dernière, la plupart d'entre eux n'ont pas payé leurs fermages. Cependant il a fallu payer les contributions, supporter les charges, et les dépenses de toute espèce comme de coutume.

Remarquez que le propriétaire a une foule d’obligations„ Il procure du travail à un grand nombre de personnes. S’il, habite la ville, il y fait des dépenses, peut-on les diminuer aujourd'hui ? A la campagne, c'est encore lui qui est appelé à fournir du travail aux nécessiteux. Dans les Flandres, en raison des circonstances, on a senti la nécessité de faire exécuter des travaux, que sans cela on n 'eût pas faits.

En présence de ce surcroît de dépenses, il a surgi une diminution de recettes ; et maintenant, c'est à la même classe, déjà gênée, qu'incombe de fournir encore au gouvernement les fonds dont il a besoin ; il ne faut pas s'en plaindre ; mais il faut y avoir égard.

Dans la discussion générale, c'est' une des choses qui m'ont frappé ; Je me suis demandé s'il était bien vrai qu'il convînt de recourir en toutes circonstances à la classe qui produit le plus ; parce qu'elle est la plus facile à atteindre. Certainement, l'intérêt du propriétaire est, comme l'intérêt de tous, le maintien du calme et de la tranquillité dans le pas. Mais peut-elle toujours suffire à cela ? A-t-on bienfait de commencer par l'atteindre ?

(page 1417) Pour ma part, je suis tout disposé à voter l'emprunt que le gouvernement a demandé. Je suis convaincu que tout le monde sent la nécessité de fournir au gouvernement les sommes dont il a besoin pour faire face aux circonstances difficiles que nous traversons, et je ne voudrais pas faire surgir une nouvelle difficulté devant ses pas.

M. Delehaye. - J'ai accepté, comme j'ai eu l'honneur de le dire, les diverses propositions qui nous ont été faites pour maintenir l'ordre dans le pays.

Me confiant à la loyauté de la France, et bien convaincu que notre armée était assez forte pour repousser les folles tentatives de ces légions indisciplinées qui ont voulu envahir noire pays, j'ai cru ne pas pouvoir aggraver les charges en augmentant outre mesure nos forces militaires. Quoi qu’il en soit, messieurs, par respect pour les décisions de la chambre, je veux donner au ministère les moyens de mettre à exécution ce que vous avez voté. Mais après avoir médité sérieusement la proposition de la section centrale, après avoir examiné les résolutions de toutes vos sections, je suis réellement étonné qu'alors que tous vous avez été d’accord sur la possibilité de remonter un peu votre crédit par le service des billets ayant cours forcé, la section centrale n'ait pas fait de proposition.

On veut exempter le quart des moins imposés. Mais ce quart des moins imposés méritent-ils seuls votre sollicitude ? J'appartiens à une ville éminemment industrielle. Vous savez que, depuis plusieurs années, l'industrie est dans un état de souffrance qui ne peut être contesté, que plusieurs établissements industriels payent de 1,000 à 1,500 francs de contribution foncière. Tandis que vous exemptez des contribuables qui pourraient payer la faible cote à laquelle ils sont imposés, vous allez frapper de 3,000 à 4,000 francs de contributions des établissements qui ne sont en activité que par suite du patriotisme de leurs propriétaires, ou, si vous le voulez, parce qu'ils désirent maintenir la tranquillité publique.

On vous a rappelé ce qui s'est fait en 1831. Moi aussi, je faisais partie alors de la majorité. J'ai voté deux emprunts en une année. Mais savez-vous à combien ils s'élevaient ? Les deux emprunts, joints à toutes les contributions d'alors, ne montaient qu'à 105 millions. Aujourd'hui le budget des voies et moyens seul dépasse cette somme.

Plusieurs membres. - Y compris le produit des péages du chemin de fer.

M. Delehaye. - Je la sais : mais peu importe ; toujours est-il que le budget des voies et moyens s'élève aujourd'hui à plus de 105 millions, tandis qu'en 1831, il ne s’élevait qu'à 61 millions.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Depuis 1830, on a réduit tous les impôts.

M. Delehaye. - Je cite des chiffres auxquels il n'y a pas à répondre.

Je dis qu'en 1831 les communes rurales ne fléchissaient pas sous le poids des impôts, tandis qu'aujourd'hui il n'y pas de commune rurale où la taxe communale ne soit double de la contribution personnelle.

Or, messieurs, pouvez-vous, dans une position pareille, frapper de trois années de contribution foncière, d'une double année de contribution personnelle, des personnes à qui il est complétement impossible de répondre à votre appel ?

J'ai voulu remplir avec conscience le mandat qui m'était donné. J'avais à cœur de venir au secours du gouvernement ; moi aussi je désirais ardemment son maintien. Eh bien ! j'ai consulté des personnes puis capables que nous d'apprécier la position du pays. J'ai consulté des notaires à Gand et à Bruxelles, et ils m'ont donné l'assurance qu'il était impossible que, dans le courant d'une seule année, le pays payât trois années de contribution foncière. Comment voulez-vous, en effet, que dans un moment où il a fallu épuiser toutes ses ressources, où il a fallu dépenser toutes ses économies, on vienne encore, surtout dans certaines provinces, payer la moitié de son revenu ?

Je sais bien qu'on me répondra que les riches propriétaires peuvent emprunter. Mais on sait à quelles conditions onéreuses on emprunte aujourd'hui, et lorsque vous venez à chaque instant annoncer qu'il faudra faire de nouveaux sacrifices, ne voyez-vous pas que vous rendez la position de ceux qui doivent emprunter plus difficile encore ?

Un notaire de Bruxelles, qui fait de nombreuses affaires, m'a affirmé que, malgré une triple et quadruple hypothèque, il lui avait été impossible de trouver dix mille francs à emprunter.

Messieurs, en présence de ces faits, pouvons-nous admettre le projet qui nous est soumis ? Je regrette de devoir le dire, mais mon mandat de député m'impose le devoir de dire toute la vérité : j'ai la conviction intime que lorsque votre emprunt sera décrété, il ne pourra être payé. (Interruption.)

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.

M. Delehaye. - Je suis ici pour dire la vérité, et ce n'est pas vous, ce sont les électeurs qui me jugeront. Ce n'est d'ailleurs pas pour moi une question personnelle, une question électorale. Je crois au surplus avoir prouvé que ces sortes de questions avaient peu d'influence sur moi, et le jour où il ne me sera plus permis d'exprimer mon opinion, je cesserai de faire partie de la chambre.

Messieurs, si l'on nous avait proposé le remboursement des bons du trésor au moyen de l'émission de billets de banque ayant cours forcé, j'aurais donné mon assentiment à cette proposition ; mais si le gouvernement persiste dans son projet, je me verrai dans la triste nécessité, non pas de m'abstenir, mais de voter contre.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'avais compris que l'honorable député de Gand se proposait de fournir au gouvernement les moyens de couvrir les dépenses qui avaient été votées contre son assentiment. Je comprenais cette position que se faisait l'honorable membre. Il avait refusé la dépense ; il votait, contraint par une espèce de force majeure, les recettes. La position était bonne. Ceux qui toutefois ont voté les dépenses et qui voteront les recettes, auront tenu, suivant moi, une conduite plus conséquente et plus courageuse.

M. Delehaye. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Mais tout à l'heure, en annonçant qu'il voterait les recettes, l'honorable député de Gand n'a pas craint d'annoncer, appuyé, dit-il, sur les renseignements d'hommes plus compétents que les représentants de la nation, sur les renseignements fournis par un notaire de Bruxelles, par un notaire de Gand, il n'a pas craint d'affirmer que si l'impôt était voté par la représentation nationale, cet impôt ne serait pas payé.

Nous ne pouvons pas admettre, messieurs, un. pareil langage dans cette enceinte. Le législateur doit proclamer que les lois, qu'il croit devoir décréter dans l'intérêt public, dans les cas de nécessité publique, que ces lois seront exécutées, et les représentants de la nation doivent être les premiers, devraient être les premiers à faire un appel à l'obéissance à la loi.

Messieurs, la contribution que nous demandons au patriotisme du pays, l'impôt remboursable, l'impôt portant intérêt, que nous demandons à certaines classes de la nation, cet impôt sera payé. Qu'on prenne note de ma déclaration ; elle aura, j'en suis persuadé, des effets plus réels que la déclaration de l'honorable député de Gand, et je ne doute pas que ses commettants eux-mêmes ne soient les premiers à lui donner un démenti.

Messieurs, le pays ne doit pas être trompé. Il n'est pas vrai qu'il gémisse sous le poids d'impôts accablants. Il n'est pas vrai que depuis 1830 les impôts aient été sans cesse croissants. Ce qui est vrai, c’est que, dans aucun autre pays peut-être en Europe, on ne jouit d'un système de contribution à la fois plus doux et plus modéré dans le fond et dans la forme.

Ce qui est vrai, c'est que depuis 1830, nous avons successivement réduit la plupart de nos impôts d'une manière que j'oserai dire imprudente. Nous les avons réduits jusqu'à concurrence de 18 millions de francs. On vous a déjà donné le tableau de ces réductions ; c'est peut-être une occasion de le remettre en lumière ; car il importe que le pays ne soit pas trompé.

Voici las impôts que nous avons supprimés ou réduits depuis la révolution ; on citera ensuite, si l’on peut, les impôts nouveaux que nous avons votés.

Abattage : 3,300,000 fr.

Loteries : 1,000,000 fr.

Timbre : 70,000 fr.

Legs : 150,000 fr.

Accises sur les vins indigènes : 70,000 fr.

Accises sur les bières : 300,000 fr.

Contribution foncière sur les passages d'eau : 125,000 fr.

Impôt mouture. - Je sais que cet impôt odieux, que l'opposition d'avant 1830 avait renversé, devait être supprimé. Mais en même temps que la suppression avait été arrêtée par le gouvernement précédent, on le remplaçait par des contributions nouvelles égales au montant de l'impôt mouture. Ces contributions s'élevaient à la somme de 3,200,000 fr. Nous les avons supprimées.

Distilleries. - Vous vous rappelez, messieurs, la large brèche qu'une proposition émanée d'un membre de cette chambre fit à l'impôt des distilleries. Ce n'est pas aller trop loin que d'évaluer cette brèche à 3 millions. Depuis lors, on a frappé les débitants d'une patente qui donne environ 900,000 fr. ; la perte est donc encore de plus de 2,000,000 fr.

Les successions. Le serment a été supprimé, et de ce seul chef, de l'aveu de tout le monde, il y a eu de recettes en moins. 1,000,000 fr.

L’impôt foncier, par suite de la péréquation cadastrale, a été dégrevé dans les deux Flandres et dans la province d'Anvers, ce qui a amené une réduction de 407,000 fr.

L’impôt personnel a continué d'exister tel qu'il était établi avant 1830, et la perception s'en est opérée d'après les déclarations faites avant 1830, malgré l'accroissement successif des fortunes particulières pendant 18 années, et parmi ces 18 années nous pouvons dire, avec vérité, qu'il y en a eu beaucoup de prospères. De ce chef, messieurs, on a évalué la diminution de l'impôt à la somme bien faible, selon moi, de 440,000 fr.

Faut-il, messieurs, rappeler la réduction dans le taux des patentes, évaluée à 700,000 francs ; la réduction sur la patente des bateliers, évaluée à 80,000 francs ; la réduction des droits sur les canaux, sur le canal de Pommeroeul à Antoing, sur le canal de Charleroy, sur le canal de la Sambre ? De ce chef, encore, messieurs, et ces évaluations, je les trouve exagérées en moins, de ce chef encore, nous avons enlevé au trésor, plus d'un million...

M. Malou. - 1,400,000 francs.

(page 1418) M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Nous avions, messieurs, avant 1830 des centimes additionnels sur les bases suivantes :

Vins étrangers, 35 centimes

Eaux-de-vie indigènes, 35 centimes

Liquides alcooliques, 35 centimes

Sucres, 35 centimes

Enregistrement, 35 centimes

Greffe, 35 centimes

Hypothèques, 35 centimes

Successions, 35 centimes

Timbre, 35 centimes

Voilà, messieurs, quels étaient les centimes additionnels en 1830. Voici ce qu'ils sont maintenant :

Vins étrangers, 26 centimes, indépendamment du dégrèvement de près d'un million de francs, par suite du traité avec la France.

Eaux-de-vie indigènes, plus de centimes additionnels.

Bières et vinaigres, 26 centimes au lieu de 35.

Enregistrement, 30 centimes au lieu de 35.

Greffe, 30 centimes au lieu de 35.

Nous savons à quelle occasion ces 30 centimes ont été maintenus.

Ils avaient pour objet d'assurer à la magistrature inamovible qui, j'espère, restera toujours inamovible dans notre libre pays, de lui assurer une rémunération convenable, de rendre de plus en plus la magistrature, cette garantie de l'ordre public et de la liberté, de la rendre de plus en plus indépendante et ferme.

Messieurs, je pourrais encore vous signaler un grand nombre de réductions dans nos recettes et il serait difficile de citer une seule loi qui ait eu pour but d'augmenter une base quelconque de nos impôts directs. Des droits de douane ont été augmentés, mais ils l'ont été dans l'intérêt bien ou mal entendu, mais dans l'intérêt de l'industrie indigène.

Si, messieurs, nous avons réduit considérablement tous nos impôts, nous avons aussi diminué beaucoup de nos dépenses. Tout à l'heure on a fait allusion aux traitements des fonctionnaires publics ; eh bien, comparez les traitements des fonctionnaires publics d'aujourd'hui, et je ne dis pas qu'il ne faut pas les réduire encore ; vous en ferez ce que vous voudrez ; mais enfin comparez les traitements des fonctionnaires publics d'aujourd'hui avec les traitements des fonctionnaires publics d'autrefois, et voyez si, sous ce rapport encore, la révolution de 1830 a grevé le pays.

Ainsi, messieurs, lorsqu'on vient repousser de nouvelles charges, il ne faut point mettre en avant cette raison fausse, qui consisterait à dire que, depuis 1830, le pays a constamment marché dans une voie d'augmentation d'impôts. Cela est complètement inexact, complètement démenti par les faits.

Ce qu'on dit de l'impossibilité de supporter ces charges est encore inexact. La gêne dont on vient de parler existait il y a un mois comme aujourd'hui. Eh bien, comment s'est opérée la rentrée des premiers huit-douzièmes de la contribution foncière, ainsi que les contributions ordinaires. Jamais, à aucune époque, les rentrées ne se sont faites avec une telle exactitude, avec une telle promptitude. Vous avez consulté un notaire de Bruxelles et un notaire de Gand ; allez consulter tous les percepteurs de contributions : ils vous diront que jamais, à aucune époque, les populations ne se sont montrées plus empressées de venir déposer leur offrande sur l'autel de la patrie. Allez les consulter, voilà la réponse qu'ils vous donneront, voilà le démenti qu'ils donneront à vos déclarations !

M. Mercier. - L'honorable député de Gand avait, en quelque sorte, interpellé les membres de la section centrale ; il avait demandé pourquoi l'un de ces membres n'avait pas proposé, en son nom, la mesure relative aux billets de banque. Mais la section centrale s'est expliquée dans son rapport ; elle a indiqué par quels motifs de conciliation et de prudence elle s'est abstenue de faire une proposition formelle. Si un membre de la chambre pense que la section centrale a eu tort d'eu agir ainsi, pourquoi ne prend-il pas lui-même l'initiative ?

Du reste, quant à l'emprunt, il n'est pas en notre pouvoir, sans manquer à la foi publique, sans compromettre le salut, de l'Etat, de ne pas voter les ressources alors que la plupart des dépenses sont déjà faites. (Interruption.)

Si toutes les dépenses ne sont pas faites elles sont votées, et elles sont inévitables ; celles qui ne sont pas encore consommées sont précisément celles qui doivent maintenir l'armée sur un pied respectable et soutenir le travail dans le pays. Ces dépenses sont indispensables.

Je n'ai pas pris la parole, tout à l'heure, dans la discussion générale, parce qu'elle a été close avant que mon tour fût arrivé. Mais je déclare que je voterai pour l'emprunt, quelque regret que j'éprouve de ne pas voir adopter la mesure proposée par la section centrale pour l'alléger.

Je viens maintenant à l'article en discussion et à l'amendement qui a été proposé par la section centrale.

L'honorable ministre des finances a semblé craindre que les propriétaires les plus imposés ne fussent surchargée par cette proposition.

Mais je ferai observer que, dans tous les cas, ces propriétaires réunis ne peuvent être surchargés que du huitième de la contribution foncière, et je maintiens que la proposition de la section centrale atteint plus complètement le but que le gouvernement a en vue.

Il peut y avoir des exceptions dans quelques localités, mais dans la généralité des communes, les 2/3 des contribuables ne participeront pas à l'emprunt d'après notre système, tandis que d'après la proposition du gouvernement, un quart seulement des contribuables seraient exemptés.

J'engage beaucoup la chambre à voler la proposition de la section centrale qui a pour but de soustraire une foule de petits contribuables à des charges qu'ils ne peuvent supporter.

- On demande la clôture.

M. Delehaye. - J'ai demandé la parole pour un fait personnel.

M. le président. - Vous avez la parole pour un fait personnel.

M. Delehaye. - M. le ministre de l'intérieur vient de déclarer qu'il n'y a pas grand courage à soutenir le thème que je défends. Eh ! messieurs, la manière dont les paroles de M. le ministre de l'intérieur viennent d'être accueillies dans les tribunes prouve, au contraire, qu'il faut un grand courage pour soutenir l'opinion que je soutiens et surtout pour la soutenir à Bruxelles où l'emprunt est l'objet d'un si grand enthousiasme.

On me dit que les huit douzièmes de la contribution foncière ont été payés. Mais qui a jamais contesté que le contribuable paye ce qu'il peut payer ? Je n'ai pas dit que le contribuable se refuserait à payer, mais j'ai dit qu'il ne pourrait pas payer ; or, en payant les 8/12, ils se sont par là même mis dans l'impossibilité de payer les impôts ordinaires.

Ou a prétendu qu'en avançant les faits que j'ai cités, je voulais faire ma cour aux électeurs. Eh bien, messieurs, j'avais à peine cessé de parler qu'un honorable collègue, un magistrat à qui la loi sur les incompatibilités ne permettra pas de se représenter devant les électeurs, un honorable député d'Audenarde, est venu me déclarer que ce que j'avais dit était vrai, et que mes paroles seraient confirmées par l'événement.

Je n'ai pas dit non plus que les traitements de tous les fonctionnaires publics sont trop élevés. Mais j'ai dit qu'il y avait trop de fonctionnaires publics ; et pour qu'on ne m'accuse plus de vouloir faire ma cour aux électeurs, je dirai que puisqu'on nous a promis des réformes radicales, j'espère qu'on aura soin de présenter à la législature prochaine un projet de loi destiné à permettre au gouvernement de ne pas pourvoir aux places qui deviendraient vacantes.

J'espère que M. le ministre de l'intérieur fera cesser ce scandale que l'on voit à l'université de Gand, où une partie des professeurs ne donnent pas de leçons ; M. le ministre des finances, lui aussi, a des économies radicales à faire. Comment peut-on concevoir qu'à Bruxelles il doive y avoir huit receveurs de contributions, tandis qu'il n'y en a que deux à Anvers, à Liège et à Gand ? Comment concevoir qu'à Malines il doive y avoir un personnel aussi considérable pour le chemin de fer, où l'on compte tant d'abus, comme l'a constaté M. de Man d'Attenrode ?

Voilà des modifications radicales devant lesquelles, je l'espère, le ministère ne reculera pas, non plus que dans d'autres administrations que j'ai signalées et déjà, sur lesquelles viennent d'attirer l'attention de la chambre, deux amis de Gand.

On me dit que depuis la révolution les contributions ont toutes subi des réductions.

Mais M. le ministre de l'intérieur ne nous dit pas quelles immenses contributions pèsent sur les communes. (Interruption.)

M. le président. - Ce n'est pas un fait personnel.

M. Delehaye. - Je n'en dirai pas davantage.

Je finis par la déclaration que dans mes paroles il n'y a rien d'hostile au ministère. Je regrette qu'il n'ait point connu la situation du pays.

Je veux lui donner tous les moyens qu'il demande pour exécuter les lois que nous avons votées ; mais ne voulant pas mettre une grande partie des contribuables dans la triste nécessité de ne pouvoir payer ce qu'on exigerait d'eux, je voterai contre la loi, si le système de la section centrale est repoussé.

M. le président. - La clôture a été demandée.

M. Lys (sur la clôture). - J'ai proposé an amendement par lequel j'ai voulu faire peser l'emprunt sur les 4,000 plus imposés dans la contribution foncière et personnelle ; je crois qu'il faudra statuer sur l'amendement avant de faire statuer sur l'article.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et n'est pas prononcée.

M. de Theux. - Messieurs, je ne veux pas rentrer dans la discussion générale ; j'étais cependant inscrit, et je complais présenter quelques observations. La tournure que le débat vient de prendre me fait un devoir de dire quelques mots.

Messieurs, je suis persuadé que l'emprunt, tel que nous le voterons, sera payé ; il le sera, parce que le pays a confiance en lui-même, parce que le pays a un grand but à atteindre : la conservation de sa sûreté extérieure et intérieure.

Je ne veux pas m'associer à toutes les alarmes qu'on a exprimées dans la discussion générale sur notre situation financière ; pour moi, j'ai la plus grande confiance que le pays n'a plus à courir aujourd'hui les dangers qu'ils a courus à la suite de la révolution de 1830 ; sa situation actuelle est bien autrement favorable qu'elle ne l'était à l'époque de 1831 où il eut des charges tout aussi considérables à supporter ; la révolution avait alors interrompu toutes nos relations commerciales ; toutes nos industries étaient en stagnation ; tous les travaux avaient cessé ; le peuple encombrait partout les places publiques.

Aujourd'hui les travaux continuent paisiblement, nos principales relations commerciales sont conservées, et notre industrie est loin d'avoir cessé ses travaux.

(page 1419) Une seule chose est regrettable : c'est que l'emprunt ne puisse pas être réparti plus équitablement ; mais je le reconnais, il y a dans ce moment impossibilité de le diviser ; comme j'aurais voulu le voir diviser, on s'exposerait à trop de mécomptes, si on l’étendait à d'autres bases.

Mais j'espère que, dans l'intervalle de cette session à l'autre, le gouvernement aura eu le temps de méditer, si de nouvelles charges sont nécessaires, sur d'autres ressources pour y pourvoir ; notamment, je signale ici certains cautionnements dont on a parlé, qui pourraient être très utiles dans des circonstances comme celle-ci.

On a parlé de la hauteur de notre budget des recettes, mais on a omis de dire qu'il est composé en grande partie de péages qui ne figuraient pas au budget de 1830. D'autre part, on a oublié de dire que le pays a obtenu des améliorations immenses par suite de tous les travaux publics faits depuis 1830 qui tous ont concouru à augmenter sa prospérité.

On a aussi parlé des charges des communes ; sans doute, elles sont augmentées, mais on a oublié que partout des améliorations importantes avaient été introduites ; pour ne parler que de l'instruction primaire, elle coûte près d'un million aujourd'hui, tandis qu'en 1830 la somme qu'on y consacrait était extrêmement faible. Je m'arrête, car je me laisserais entraîner trop loin si je continuais la comparaison des deux situations.

Je proteste de nouveau de la confiance la plus absolue dans l'Etat belge, tant au point de vue politique qu'au point de vue financier.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Lys est mis aux voix. Il n'est pas adopté.

M. le ministre des finances (M. Veydt) déclare se rallier à l'amendement de la section centrale.

Cet amendement est mis aux voix et adopté, ainsi que l'ensemble de l'article 2 amendé.

Article 3

« Art. 3 (modifié par la section centrale) Par exception à la règle établie par l'article précédent, seront ajoutés aux contribuables mentionnés à l'article précédent.

« a. Les propriétaires ou redevables non domiciliés dans la commune où les biens sont situés, et qui se trouveront rangés dans la catégorie exemptée d'après le montant de leurs cotes ;

« b. Les propriétaires des maisons occupées et pour lesquelles le terme d'exemption de la contribution foncière, accordée par la loi du 28 mars 1828 (Journal officiel n° 8), n'est pas expiré.

« Toutefois, les propriétaires de ces maisons, domiciliés dans la commune où elles sont situées, ne participeront pas à l'emprunt lorsque leurs cotisations de ce chef, réunies à la contribution foncière assise sur les autres propriétés qu'ils possèdent dans la même commune, les rangeront dans la catégorie exemptée. »

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Ces amendements sont la conséquence du principe qui vient d'être adopté.

- L'article 3 est mis aux voix et adopté.

Article 4

« Art. 4. Pour déterminer la cotisation des maisons dont il est parlé au littera b de l'article 3, le marc-le-franc de la contribution foncière de l'exercice courant sera appliqué à la valeur locative de ces maisons réglée aux rôles de la contribution personnelle du même exercice, après déduction d'un quart. »

- Adopté.

Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

- La séance est levée à 10 1/2 heures.