(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président.)
(page 1469) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à l heure.
M. Van Cutsem lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. A. Dubus fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les propriétaires des ardoisières belges prient la chambre d'augmenter les droits d'entrée sur les ardoises françaises. »
- Renvoi à la commission permanente d'industrie.
« Les sieurs Wautelet et Gendebien, président et secrétaire du conseil charbonnier du bassin de Charleroy, présentent des observations contre les réclamations des exploitants du bassin de Liège, relatives à la réduction des péages sur la Sambre canalisée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui réduit certains péages sur la Sambre canalisée.
M. Brabant. - Messieurs, je saisis l'occasion de cette pétition, pour demander à la chambre de vouloir bien porter à l'ordre du jour, à la suite des objets qui y sont déjà, le projet de loi que le gouvernement a présenté pour la réduction des péages sur la Sambre. Le rapport est imprimé depuis bientôt trois semaines.
- La proposition de M. Brabant est adoptée.
M. Zoude, rapporteur. _ « Messieurs, le président du bureau de bienfaisance d'Oleye prie la chambre de statuer sur la pétition du bureau de bienfaisance tendant à obtenir remise des droits d'enregistrement et d'hypothèque sur la vente de quelques parcelles de terre ».
Le bureau de bienfaisance et le conseil communal d'Oleye, province de Liége, exposent à la chambre, par deux pétitions successives, que la députation permanente leur a accordé l'autorisation de vendre quelques parcelles de terrains appartenant aux pauvres, que les deux tiers du produit de cette vente placés à l'intérêt de 4 p.c. dépasseront le prix total du fermage de ces terres, que l'excédant doit être employé en secours dont la classe pauvre éprouve le plus grand besoin et que les secours seraient plus nombreux si cette vente pouvait être opérée en exemption des droits d'enregistrement et d'hypothèque.
Les pétitionnaires sollicitent de la chambre l'exemption de ces droits ou au moins son appui près du ministre de l'intérieur pour qu'il en fasse supporter les frais sur les fonds que vous lui avez alloués pour venir en aide aux pauvres.
Votre commission s'abstient de toute observation sur cette demande, qui lui a paru bien insolite et se borne à vous en proposer le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
M. Eloy de Burdinne. - Je demanderai aussi le renvoi à M. le ministre des finances. Il s'agit d'une question financière dont la solution, est très urgente ; il s'agit de donner du travail à la classe ouvrière.
- Le double renvoi est ordonné.
(page 1470) M. Zoude, rapporteur. – « Le conseil communal de Wavre et celui d'Andenne demandent que la distillation de grains de toute nature soit interdite.
Messieurs, lorsque cette question a été présentée naguère au sénat, il fut répondu par un de ses honorables membres que cette interdiction porterait atteinte à une industrie assez considérable, qu'elle nuirait au trésor, et que les distillateurs qui ont élevé leurs établissements sur une grande échelle, qui y ont employé des capitaux considérables, auraient droit à réclamer une indemnité, surtout qu'ils devraient se défaire instantanément du bétail nombreux qu'ils ont dans leurs écuries.
A ces observations, M. le ministre des finances a ajouté qu'en 1846 et1847, alors que les circonstances étaient plus impérieuses encore, on s'était borné à interdire la distillation des pommes de terre, et qu'outre l'intérêt du trésor, des intérêts agricoles très graves se rattachaient au maintien des distilleries.
Si on interdit la distillation des pommes de terre, plutôt que celle des grains, c'est que par la première on détruit une quantité plus considérable d'aliments nutritifs.
Par ces considérations, votre commission à l'honneur de vous proposer le dépôt de ces pétitions au bureau des renseignements.
M. Mast de Vries. - Je demande aussi le renvoi à M. le ministre des finances.
- Les conclusions de la commission des pétitions sont mises aux voix et adoptées.
M. Zoude, rapporteur. – « L'administration communale de Flostoy demande le redressement de la route d'Andenne à Havelange, avec embranchement vers Ciney à la côte dite d'Andenne. »
Vous avez renvoyé à votre commission des pétitions, avec demande de prompt rapport, la pétition de l'administration communale de Flostoy qui sollicite le redressement de la route d'Andenne à Havelange.
Les principaux motifs indiqués sont que cette route présente une pente e 10 à 12 p. c. sur une longueur de près de deux mille mètres, que est cependant par une route aussi difficile que doivent s'effectuer les nombreux transports de charbon de terre pour la fabrication de la chaux, l'approvisionnement des brasseries et des distilleries du Condroz ; que cette route, qui n'offre que des dangers à la descente, est la seule dont cette partie de la contrée puisse se servir pour faire arriver à la Meuse ses bois en grume ou manufacturés, ses charbons de bois, ses céréales et autres produits qui y sont assez abondants. Votre commission, par la considération de ces divers motifs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Van Cutsem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission de circonscription cantonale sur le projet de loi tendant à régulariser cette même circonscription.
- Il est donné acte à M. le rapporteur du dépôt de ce rapport, qui ra imprimé et distribué.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'objet ne donnera lieu sans doute à aucune objection dans cette chambre ; et comme d'un autre côté, le projet est très urgent, puisque je dois procéder aux nominations avant le 15 mai, je demanderai que le projet soit mis à l'ordre du jour de demain, au commencement de la séance.
- Cette proposition est adoptée.
M. Fleussu, rapporteur. – « Par pétition en date du 19 février 1847, les bourgmestres du canton de Glons, moins celui de cette commune, demandent que le chef-lieu du canton de ce nom soit transféré à Fexhe-lez-Slins ».
La chambre a renvoyé cette pétition à la commission de circonscriptions cantonales, avec demande d'un prompt rapport.
Pour satisfaire au vœu de la chambre, déterminée encore par la considération que le changement réclamé, s'il doit être admis, doit s'opérer le plus promptement possible, pour que les dispositions de la loi du 26 février dernier puissent y recevoir leur application, en ce qui concerne la résidence du juge de paix et du greffier, la commission s'est livrée, dès sa première réunion, à l'examen du mérite de ce changement ; elle m'a chargé de vous présenter son rapport.
La proposition du transfert, qui fait l'objet de la pétition, n'est point nouvelle ; elle a été faite par le gouvernement dans un projet de loi de 1834 ; elle a été admise par la commission chargée de l'examen de ce projet, et en dernier lieu elle a été accueillie par le conseil provincial de Liège.
L'instruction de cette affaire étant ainsi achevée et d'une manière toute favorable à la réclamation des pétitionnaires, votre commission estime qu'il y a lieu de convertir en projet de loi spéciale la proposition faite en 1834 par le gouvernement et de renvoyer à cette fin la requête à M. le ministre de la justice.
La commission conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Maertens. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer 24 projets de loi de naturalisation ordinaire. Comme, parmi les pétitionnaires, il est plusieurs capitaines de navires, et qu'il y a un délai fatal dans lequel leur demande doit être prise en considération et la loi votée, je demanderai que la chambre veuille mettre ces projets de loi à l'ordre du jour immédiatement après ceux qui y sont en ce moment.
M. le président. - Ce sera peut-être le renvoi à la session prochaine.
M. Maertens. - Par suite de l'observation que me fait M. le président, je propose de mettre ces naturalisations à l'ordre du jour de lundi.
M. Rodenbach. - Nous avons à nous occuper de projets beaucoup plus importants, les intérêts généraux doivent passer avant les intérêts particuliers. Nous déciderons ultérieurement sur la mise à l'ordre du jour de ces naturalisations.
M. Maertens, rapporteur. - Messieurs, dans la loi des droits différentiels, vous avez décidé que les capitaines de navires qui obtiendraient la naturalisation dans les trois années de la promulgation de cette loi seraient exempts de tout droit. Parmi les projets que je viens de déposer, il en est beaucoup, je le répète, qui concernent des capitaines de navires.
Puisque la chambre a déclaré qu'elle les exempterait du droit d'enregistrement, si leur demande était admise dans le délai déterminé, elle ne peut sans injustice se dispenser de statuer avant sa séparation, le délai de trois années étant à la veille d'expirer. J'avais espéré qu'il suffisait de mettre ces naturalisations à l'ordre du jour après les objets qui y sont déjà ; mais sur l'observation de M. le président que notre ordre du jour pourrait bien ne pas être épuisé, dans la présente session, j'ai modifié ma proposition et demandé la mise à l'ordre du jour de lundi. Je persiste dans cette demande, et je ne vois aucun motif qui doive s'opposer à son adoption.
- Cette proposition est adoptée.
« Art. 3. Canal de Gand au Sas de Gand. Entretien et travaux, dépenses ordinaires, 31,200 fr. ; dépenses extraordinaires, 13,928 fr. 54 c. »
- Adopté.
« Canal de Maestricht à Bois-le-Duc. Entretien et travaux, dépenses ordinaires : fr. 27,000 fr. ; dépenses extraordinaires : 51,450 fr. »
M. Huveners. - Je désirerais savoir de M. le ministre des travaux publics, si le gouvernement a pris les dispositions nécessaires pour la construction d'un pont sur le canal de Bois-le-Duc dans la commune de Neeroeteren. Ce pont devant relier les deux parties de la route de Hechtel à Maeseyck. il serait superflu de m'étendre sur l'utilité, sur la nécessité de cette construction. Je me bornerai à rappeler à M. le ministre que la commune de Neeroeteren, comparativement à ses ressources, a voté un subside très considérable principalement en vue de la construction de ce pont, qui doit exercer une grande influence sur la prospérité de son agriculture.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Le projet de ce pont est dressé, la construction pourra être mise en adjudication prochainement. La dépense sera prélevée sur le fonds des routes, car le pont dont il s'agit fait partie d'une route en construction.
- L'article 4 est mis aux voix et adopté.
« Art. 5. Canal de Pommerœul à Antoing, entretien et travaux : fr . 96,489. »
- Adopté.
« Art. 6. Sambre canalisée ; entretien et travaux : fr. 110,812. »
- Adopté.
« Art. 7. Personnel des services désignés aux articles 3, 4, 5 et 6 : fr. 72,767 50 c.
- Adopté.
« Art. 8. Canal de Bruxelles à Charleroy, entretien et travaux : 90,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Canal de Bruxelles à Charleroy, personnel : fr.42,839. »
- Adopté.
« Art. 10. Travaux à l'Escaut : fr. 19,014. »
M. Le Hon. - Les débordements périodiques du haut Escaut, sur notre territoire, vers la frontière de France, ont fait l'objet de longues et vives discussions à la fin de la session de 1846. Je n'ai pas le dessein, il serait superflu de la résumer ici. Il me suffira de vous rappeler que, dans sa séance du 30 mai, la chambre adoptant un amendement proposé par le ministre des finances lui-même, a décidé (paragraphe 3 de l'article premier) que le gouvernement ferait exécuter, dans la vallée de l'Escaut, simultanément avec la construction du canal de Schipdonck, les travaux les plus propres à activer l'écoulement des eaux du haut Escaut, qu'elle a, en même temps (article 2) affecté à ces travaux un crédit de 300,000 fr.
Je n'ai pu découvrir jusqu'à présent aucun acte par lequel le ministère aurait donné quelque suite à vos résolutions.
Je sais que, dès l'année 1832, la France, qui avait changé sur son territoire le régime des eaux du fleuve et de ses affluents, adressait des réclamations pressantes à la Belgique, pour qu'on leur ouvrît un plus large débouché au barrage d'Antoing. Des conférences ont eu lieu en 1833 entre des commissaires français et des commissaires belges. Il a été tenu des procès-verbaux, une convention a été conclue, et, plus tard, un ouvrage très intéressant de M. l'inspecteur Vifquain, sur nos voies (page 1471) navigables, a indiqué les travaux jugés les plus efficaces pour régulariser l’écoulement des eaux.
Je sais aussi que les propriétaires et les administrations les plus intéressés soit dans le haut, soit dans le bas Escaut, sont loin d'être parfaitement d'accord sur les moyens qu'a proposés la science des ingénieurs. Toujours est-il que le gouvernement a un grand devoir à remplir envers tous les intérêts engagés dans cette question. C'est lui qui, placé au milieu des faits, doit les recueillir, les étudier et en faire jaillir la lumière.
Je demande donc à M. le ministre des travaux publics si l'on s'est occupé sérieusement de l'emploi du crédit de 300,000 fr. à l'amélioration du cours de l'Escaut, et quelles mesures il a prises pour atteindre ce but ?
Je ne veux rien préjuger pour le moment, ni entrer dans la spécification des ouvrages qui peuvent être nécessaires. Ce que je demande, c'est que l'administration marche et agisse. Car remarquez-le bien, la question que je ne fais qu'effleurer par voie d'interpellation au ministre chargé de ce département, intéresse trois de nos provinces les plus populeuses.
Depuis dix ans, il nous arrive de France, par l'Escaut, des eaux plus abondantes et plus rapides, par suite des travaux de canalisation et de curement exécutés sur le territoire français. Nous avons élargi de onze mètres leur débouché au barrage d'Antoing ; mais les autres moyens d'écoulement sont restés les mêmes dans tout le cours du fleuve ; de telle sorte que les débordements les plus désastreux sont reconnus inévitables aussi longtemps que cet état de choses ne sera pas changé.
Il y a donc non seulement nécessité d'agir, mais urgence, urgence extrême. Je l'invoque avec force au nom des populations incessamment menacées, au nom de la salubrité publique dans la vallée de l'Escaut, au nom de propriétés immenses et d'une grande valeur.
J'attends donc de M. le ministre des explications sur l'état d'avancement des travaux préliminaires qu'il a pu ordonner.
Je dois l'interpeller encore sur un autre point.
Depuis peu de jours, j'ai été visiter, près de nos frontières vers la frontière de France, le théâtre des inondations dont j'ai eu l'honneur de vous signaler les désastres dans une des précédentes séances.
Je me suis assuré par mes yeux qu'il est dans notre pays, au milieu des plus riches campagnes, des communes qui, sept années sur huit, sont envahies par les eaux pendant quatre mois annuellement, et dont les parties les plus heureuses sont, durant le même temps, dans une situation tout à fait insulaire.
Je n'ai rien à retrancher à la description que je vous ai faite de la position déplorable de ces communes, et, en particulier, de celle de La-Plaigne. De l'avis des ingénieurs, celle-ci, qui a le plus souffert depuis huit ans, ne peut être mise à l'abri des inondations annuelles qu'au moyen d'une digue large en moyenne de deux mètres et demi à sa base, haute de 1 mètre 27 cent, et d'un développement de 6,000 mètres.
Les plans et les devis de cet ouvrage ont été dressés ; la commune de Laplaigne, malgré ses nombreux désastres, a fait une offre raisonnable de concours ; tout est préparé pour l'exécution ; c'est au gouvernement à se décider sans nouveau retard ; il n'a plus de temps à perdre. Mais en examinant avec attention l'article 10 du budget, je n'y vois rien de prévu pour obvier aux inondations de la vallée de l'Escaut, tandis qu'il est proposé, aux articles 23 et 24, des crédits montant à 150,000 fr., pour préserver de ce fléau les vallées du Demer et de la Senne.
Je demande à M. le ministre ce que je dois augurer du silence de l'article 10. Je ne puis supposer l'intention d'ajourner une dépense aussi impérieusement commandée par la justice et l'intérêt public. Le gouvernement a-t-il, pour la couvrir, un crédit spécial en dehors du budget de 1847, ou bien, se propose-t-il de la prélever sur les 300,000 fr. destinés aux travaux d'amélioration du cours de l'Escaut ? J'aurais peine à comprendre la régularité de cette application.
Quoi qu'il en soit, et, dans ma conviction profonde que la construction de la digue ne peut plus être différée sans engager d'une manière grave la responsabilité du ministère, je prie M. le ministre des travaux publics de faire connaître à la chambre : 1° s'il a pris une résolution sur le rapport et le projet de son ingénieur relativement à cet ouvrage ; 2° s'il existe un crédit dont il puisse disposer pour son exécution immédiate ? Si sa réponse était négative sur ce dernier point, je me réserve de proposer qu'une allocation spéciale soit ajoutée, à cet effet, à l'article 10.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, l'honorable préopinant a fait deux interpellations. Il demande d'abord quelle suite le gouvernement a donnée au vote émis l'année dernière par les chambres et qui allouait un crédit de 300,000 fr. pour les travaux de l'Escaut. L'honorable membre a rappelé certains faits : les eaux venant de France en plus grande abondance que précédemment, l'élargissement du barrage d'Antoing, sans que les débouchés au-dessous d'Antoing eussent été proportionnellement agrandis. Je puis faire savoir à la chambre et à l'honorable préopinant, que la confection des projets des travaux de l'Escaut a été ordonnée immédiatement après le vote de l'année dernière.
Cette étude a été confiée à l'ingénieur en chef de la Flandre orientale, et ce fonctionnaire m'a fait savoir, tout récemment, que son travail est très avancé et qu'il espère pouvoir me l'adresser dans un délai de six semaines ou de deux mois au plus. Il m'a donné l'assurance que ce projet avait fait l'objet de ses soins constants, qu'il a spécialement affecté à ces études une partie de son personnel, mais qu'il devait avouer que, de tous les projets dont il s'était occupé jusqu'à présent, celui-ci était celui qui soulevait le plus de difficultés et qui exigeait le plus de soins. Il m'a dit que c'était, pour un ingénieur des ponts et chaussées, une question des plus délicates à traiter ; cependant il espérait obtenir une solution satisfaisante et pouvoir me fournir son travail dans un délai de six semaines ou de deux mois, à partir du moment présent.
La deuxième interpellation de l'honorable M. Le Hon est relative à la situation de la commune de Laplaigne. Cette commune, messieurs, se trouve située sur l'Escaut, en amont du barrage d'Antoing ; sa position est très fâcheuse, en ce que les débordements successifs de l’Escaut ont rehaussé les rives du fleuve, de telle sorte que la partie agglomérée de la commune de Laplaigne se trouve sur un sol moins élevé que les rives de l'Escaut, et qu'en temps de crues, les eaux envahissent la commune et ont besoin d'un temps fort long pour s'écouler, et souvent même ne s'écoulent que très imparfaitement. Il en résulte une position fâcheuse pour les propriétés et fâcheuse pour les habitants.
On a fait étudier quel serait le moyen à employer pour mettre cette commune à l'abri des inondations, et on a trouvé que le moyen le plus efficace, le seul moyen efficace même, c'était d'environner la commune d'une digue qui empêcherait l'envahissement des eaux. Le projet de cette digue a été dressé ; on a discuté avec l'autorité provinciale et avec la commune les moyens de mettre ce projet à exécution. Cette discussion, messieurs, a pris un temps assez long Pendant assez longtemps la commune paraissait disposée à entreprendre ce travail moyennant un subside du gouvernement ; mais quelque temps après, on a trouvé que ce travail excéderait peut-être les ressources de la commune et qu'il y avait là une impossibilité.
Il s'est présenté une autre question, celle de savoir de quelle manière on obtiendrait le terrain nécessaire à l'assiette de la digue à établir. Toutes ces questions ont exigé un certain temps. Toutefois, le gouvernement a, dès l'année dernière, considéré le travail comme devant être fait de toute façon ; et dans les derniers jours du mois de décembre j'ai soumis à l'approbation du Roi un arrêté qui a affecté à ces travaux une portion assez considérable de l'allocation faite au budget de 1846, pour le service de l'Escaut. J'espère donc parvenir à la réalisation du travail indiqué par l'honorable M. Le Hon, sans devoir faire un prélèvement sur le crédit de 300,000 francs, qui, de la sorte, restera exclusivement affecté aux travaux à faire dans l'intérêt général de la vallée de l'Escaut.
Je dois faire observer encore que la convention faite, il y a quelques années, avec la France, et l'élargissement du barrage d'Antoing qui en a été la conséquence, n'ont nullement été défavorables à la commune de Laplaigne et la situation du territoire belge à l'amont du barrage d'Antoing a contribué à déterminer le gouvernement à consentira l'élargissement du barrage d'Antoing.
M. Desmet. - Messieurs, comme vient de le dire l'honorable ministre des travaux publics, la cause des communes belges, situées en amont du barrage d'Antoing, est la même que celle du territoire français, pour ce qui concerne les inondations et le peu d'écoulement des eaux qui se fait par l'Escaut. Etant placées au-dessus de ce barrage, ces communes se plaignent aussi que le radier en est trop élevé et que, par suite de cette surélévation, les eaux supérieures n'ont pas d'écoulement assez prompt et suffisant pour éviter des inondations supérieures.
Quoique les communes ne me regardent pas directement, comme elles ne se trouvent pas dans mon district, je ne puis cependant laisser passer cette discussion sans appuyer les observations et les réclamations que l’honorable M. Le Hon vient de faire pour soulager ces malheureuses communes. J'ai visité plus d'une fois ces endroits, et, je dois vous dire, messieurs, que la position de leurs habitants n'est plus longtemps soutenable, ils seront obligés d'abandonner leur village et leurs propriétés, car ils n'y trouvent que la misère et la maladie. Et ceci n’est pas pour exagérer l'étal déplorable de ces malheureux ; vous pourrez en juger quand vous saurez qu'en plein été et au milieu de la croissance de leur récolte, ils voient tout détruire par des inondations subites et dont les eaux séjournent très longtemps, n'ayant pas de voies pour s'écouler.
L'honorable M. Le Hon vous a indiqué un remède aux maux de ces communes, c'est celui d'établir en polders les terres de ces communes, en les séparant de l'Escaut par une forte digue. Je pense que ce moyen unique ne suffira pas, et cela, par la raison qu'il y a d'autres eaux qui viennent se jeter sur le territoire de Laplaigne que celles qui viennent de la rivière, et que ces eaux n'ont presque point d'écoulement. La cause de ce peu d'écoulement est la construction du canal de Pommeroeul, qui a élevé une forte digue au milieu des basses terres des communes de Laplaigne et de Péronne et ainsi bouché la voie que ces communes avaient avant la construction de ce canal pour faire écouler leurs eaux. Il est vrai qu'en dessous du canal existe un siphon, et je crois même deux. Mais quand j'ai été sur les lieux, j'ai pu me convaincre que ces siphons s'offraient très imparfaitement pour donner un écoulement suffisant, et à un tel point qu'elles restaient comme stagnantes à l'orifice de ces aqueducs. Je pense donc qu'il faudrait faire des améliorations à la voie d'écoulement qui se trouve sous le canal et qu'en sus on devra dévaser et élargir la rigole maîtresse qui portera les eaux de Laplaigne et de Péronne en aval de l'écluse d'Antoing.
Je désire dire un mot sur la somme de 300,000 francs qui a été allouée l'an dernier pour faire des ouvrages à l'Escaut, entre Gand et le barrage d'Antoing, qui serviraient à accélérer l'écoulement des eaux ; cette somme ne peut pas être employée pour les travaux à faire en amont du barrage d'Antoing ; elle a été votée uniquement pour les travaux que je viens d'énoncer, et j'aimerais bien qu'on en fît de suite usage. On pourra l'employer avec grande utilité aux environs de la ville (page 1472) d'Audenarde ; l'emploi en aurait un double avantage : on y trouverait un excellent moyen pour donner de quoi vivre au grand nombre de pauvres qui se trouvent aux environs de cette ville. Et si l'on comprenait bien la question du paupérisme et le moyen d'arrêter les progrès de ce terrible fléau, qui commence à envahir une grande partie de la Belgique, l'on ne tarderait pas à donner toute l'extension possible au travail de l'exécution des travaux publics ; mais si l'on ne veut pas s'en occuper et que l'on veuille laisser le tout à l'abandon, je crains fort que les résultats en seront effrayants.
Avant de terminer, je voudrais adresser à M. le ministre des travaux publics une interpellation pour connaître à quel point se trouve l'organisation des wateringues qui seront établies pour soigner l'écoulement des eaux des rigoles, petits canaux et fossés qui se trouvent dans les vallées des rivières ; car, comme vous le savez, messieurs, il y a deux moyens, ou, pour mieux dire, deux administrations qui doivent agir pour que les eaux s'écoulent en temps opportun et n'occasionnent pas des inondations qui pourraient faire du tort aux prairies et terres cultivées, c'est celle qui concerne la rivière par où se fait le grand écoulement, et la seconde qui concerne, comme je viens de le dire, les rigoles qui de l'intérieur des terres conduisent les eaux à la rivière. Et on doit bien sentir que si ces rigoles ne sont pas tenues dans un bon état de curement et de dévasement, les eaux de l'intérieur ne peuvent pas se décharger dans la rivière et sont par conséquent la première cause des inondations et de la formation des marais. Je n'en dirai pas plus ; mais j'insiste fortement pour que les wateringues soient organisées au plus tôt.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, la loi votée l'année dernière au sujet du canal de Schipdonck et des travaux de l'Escaut, a, par un article spécial, autorisé le gouvernement à publier un règlement sur les wateringues ; peu de temps après le vote de la loi, je me suis occupé du projet de ce règlement. J'ai institué une commission qui a formulé un projet qu'on a trouvé généralement satisfaisant. La commission était composée du gouverneur de la Flandre orientale, de l'honorable M. Lejeune, membre de cette chambre et de l'ingénieur en chef de la Flandre orientale. Ce travail a été communiqué aux députations permanentes des différentes provinces que le projet intéressait ; dans la plupart des provinces, le travail a été appuyé ; on n'a demandé que quelques modifications de détail ; aujourd'hui, la question est soumise à l'avis du conseil des ponts et chaussées ; cet avis, je le recevrai probablement dans une quinzaine de jours ; immédiatement après, je serai en mesure de soumettre au Roi un règlement général sur les wateringues.
M. Dumortier. - Messieurs, il est très bien de faire un règlement sur les wateringues de l'Escaut ; mais je dois exprimer le regret que dans la commission qui a été nommée par M. le ministre des travaux publics, pour cet objet, aucune personne du Hainaut n'ait été appelée à siéger. M. le ministre vient de désigner les personnes qui ont fait partie de la commission. Il me semble que pour ce qui concerne l'Escaut supérieur, qui se trouve en grande partie dans le Hainaut, il eût été fortement à désirer que des personnes de cette province eussent pu faire partie de la commission. Si un arrêté royal intervient, il pourra donner lieu à des réclamations ; cela sera toujours regrettable ; il est préférable que les observations et les objections qu'on peut faire à l'égard de la mesure soient faites avant l'arrêté royal qu'après.
Au reste, je verrais avec plaisir cette affaire se terminer, et surtout à ce point de vue que lorsque les wateringues seront organisées, il y aura dans le Hainaut ce qui existe dans d'autres localités : un centre d'action pour prendre la défense des graves intérêts qui sont répandus tout le long du cours de l'Escaut ; aujourd'hui ce centre d'action manque, et c'est à cela qu'est dû principalement l'état de souffrance où se trouve cette partie de la Belgique depuis si longtemps.
Messieurs, vous devez vous rappeler qu'il y a deux ans, par suite des grandes inondations, les prairies des bords de l'Escaut étaient couvertes d'eau jusqu'aux premiers jours de juin. A l'époque où nous sommes arrivés, ces prairies sont asséchées, il y a fort peu d'eau répandue sur leur surface. Mais nous ne savons ce que l'été nous prépare : il se peut qu'à la suite d'un été aussi sec que celui de l'année dernière, et d'un hiver aussi pluvieux, il se peut, il est même très probable, que nous aurons un printemps pluvieux. C'est l'ordre naturel des choses : à la suite de saisons sèches, il arrive presque toujours des saisons pluvieuses. Si donc la saison est pluvieuse, nous arriverons à ce résultat, que les prairies de l'Escaut seront couvertes d'eau, sans qu'aucun travail ait été fait pour les garantir contre l'inondation.
Je regrette que l'on n'ait pas songé donner à l'Escaut des moyens d'écoulement que nous sommes en droit d'exiger, puisque l'arrivée de l'eau dans l'Escaut, depuis Antoing jusqu'à Gand, est due principalement à l'élargissement de l'écluse d'Antoing, élargissement qui est exclusivement le fait du gouvernement lui-même.
Quand le gouvernement a posé un acte qui constitue une grande partie du territoire dans un état périlleux, il est évident que le gouvernement doit porter remède au mal que lui-même a fait.
Ce remède est unique, c'est d'établir une coupure qui déverse les eaux du haut Escaut dans le bas Escaut, en prenant toutes les précautions nécessaires pour que le bas Escaut n'ait pas à souffrir de cette coupure. Comme j'ai déjà eu l'honneur de le faire remarquer, cela est très facile ; nous ne souffrons pas des inondations jusqu'au commencement d'avril ; loin de les craindre, les propriétaires riverains de l'Escaut les désirent ; ce sont les inondations du fleuve qui fertilisent les graines avoisinantes, et lorsqu'il n'y a pas d'inondation, la position des prairies est moins bonne que lorsqu'il y a des inondations. Et c'est précisément, veuillez le remarquer, l'époque où le bas Escaut reçoit des inondations par suite des grandes marées d'équinoxe ; mais quand ces grandes marées ont cessé d'avoir lieu, alors seulement le bas Escaut n'a plus à craindre les inondations provenant des marées, il peut recevoir les eaux du haut Escaut qui ne trouvent pas un écoulement suffisant dans les issues que leur offre le bas Escaut, depuis l'élargissement des issues du haut Escaut.
Le seul et unique remède à cet état de choses est une nouvelle dérivation en aval ou en amont de Gand, pour faciliter l'écoulement des eaux du Haut-Escaut. C'est là le seul moyen de nous soulager.
Nous entendons si peu porter préjudice au bas Escaut, que nous consentons à laisser le jeu des écluses sous la direction de l'administration de la Flandre orientale, qui ne les ferait jouer que quand elle le pourrait sans compromettre les intérêts de ses administrés.
Ceci posé, le bas Escaut est désintéressé ; ce serait faire acte de mauvais voisinage, quand on peut, sans compromettre ses intérêts, soulager ses frères, ses voisins, que de se refuser aie faire.
On a parlé de la commune de Laplaigne ; je sais que M. le ministre s'occupe particulièrement de cette affaire ; j'ai lieu d'espérer qu'elle sera terminée avant peu de temps, comme il vous l'a dit ; mais je ne pense pas qu'il faille prélever les fonds pour ces travaux sur les 300 mille fr. qui ont été votés pour le haut Escaut. Nous avons voté pendant deux exercices des sommes pour cet objet ; il importe de conserver intact notre crédit de 300 mille fr., car quand on donne des millions à la Lys, ce n'est pas trop que de donner 300 mille fr. à l'Escaut, surtout quand on songe que c'est à l'occasion de l'Escaut que des millions ont été dépensés pour la Lys.
Je prie M. le ministre d'accélérer l'amélioration du haut Escaut. J'ai la crainte de voir les inondations s'y prolonger. Si de grandes pluies arrivaient en avril et en mai, ce qui est possible et même probable, et que des inondations eussent lieu, nous serions dans la même position que l'année dernière ; la ville de Gand ne laisse pas écouler autant d'eau qu'il lui en arrive, il y a trop plein, et par suite des inondations le long des rives. Ces inondations, qui sont favorables quand les herbes ne sont pas poussées, deviennent désastreuses après la pousse ; c'est pour cela qu'il vous faut alors un moyen prompt d'écoulement des eaux du haut Escaut. On y arrivera quand on aura organisé des wateringues, parce que toutes se prononceront pour le système que j'ai indiqué. C'est pour cela que j'en appuie la création ; on ne verra plus alors se produire des systèmes que tous les habitants des bords de l'Escaut trouvent erronés.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - L'honorable préopinant, à la suite des observations qu'il a présentée sur le projet du règlement sur les wateringues, a exprimé le regret que dans la commission chargée de préparer ce règlement, il ne se soit trouvé aucun membre appartenant au Hainaut.
Voici ce que j'ai cru devoir faire ; j'ai pensé que pour avoir un résultat favorable sans perte de temps, il était utile d'avoir une commission peu nombreuse et composée de personnes ayant déjà étudié la question, sauf à soumettre ensuite le projet de cette commission aux autorités des localités intéressées. C'est ainsi que déjà le projet a été soumis à la députation permanente du Hainaut qui a fait ses observations.
Ou ne peut donc pas dire que le Hainaut n'a pas été entendu, qu'il n'a pas été mis à même de formuler ses observations.
L'honorable M. Dumortier a dit avec raison que les 300 mille francs volés pour le haut Escaut devaient être réservés pour des travaux autres que ceux de Laplaigne.
M. Dumortier. - Je demanderai à M. le ministre s'il ne voudrait pas communiquer le projet d'arrêté de règlement des wateringues aux régences de Tournay et d'Audenarde ; ce serait très important.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je ferai volontiers cette communication.
M. de T’Serclaes. - Messieurs, je ne discuterai pas les idées émises par l'honorable M. Dumortier sur les moyens artificiels à employer pour accélérer l'écoulement des eaux du bassin de l'Escaut supérieur dans la direction du bas Escaut. Cet objet n'est pas en discussion. Toutefois je ne puis laisser passer, sans observations, les propositions que vous venez d'entendre. Elles soulèvent des questions extrêmement graves, elles touchent aux intérêts les plus importants des districts de Gand et de Saint-Nicolas. Il est essentiel que l'on ne prenne aucun parti à cet égard, avant d'avoir étudié la question à fond et pris l'avis du conseil provincial de la Flandre orientale, des villes et des principales communes intéressées.
Quelques-uns des honorables préopinants vous ont entretenus des polders, et de l'institution des wateringues. Cela me donne l'occasion de vous présenter maintenant, messieurs, les observations qui me semblaient devoir trouver place, lorsque nous en serions venus à l'article 36 de ce chapitre. Une grande partie des terrains livrés à l'agriculture dans le district de Saint-Nicolas consistent en polders, et terrains gagnés sur les fleuves et rivières. Plusieurs de ces polders sont sujets à des inondations fréquentes et extrêmement nuisibles ; je citerai entre autres ceux de Vracene, Schorre, Verrebroeck, Extensie, etc. Le ministère ne peut-il rien faire pour remédier à ces dégâts ?
Dans d'autres localités, sur les bords de la Durme, les inondations causent aussi chaque année des ravages considérables. Dacknam, Exaerde, et les autres communes riveraines souffrent beaucoup de cet état de choses ; je crois devoir le signaler à l'attention particulière du gouvernement.
(page 1473) Je demanderai s'il ne serait pas possible, c'est un point sur lequel les propriétaires intéressés devraient naturellement être interpellés, en leur laissant toute liberté d'action, je demanderai, dis-je, s'il ne serait pas possible de soumettre ces polders et ces terrains au régime qui va être introduit par le nouveau règlement sur les wateringues. L'article 4 de le loi du 18 juin 1846 me paraît pouvoir être appliqué, mais toutefois avec sagesse et mesure, aux rives et vallées des affluents de l'Escaut.
Pour les polders du bas Escaut, ce ne serait qu'une modification au règlement existant. Ces polders ne pourraient-ils pas être réunis en associations de wateringues chargées de surveiller l'écoulement commun, les travaux de défense restant particuliers à chaque polder ? Cela s'est fait avec grand succès pour les polders de la rive gauche du canal de Terneuzen.
L'idée que j'émets ici est approuvée par des personnes très compétentes en cette matière. Je prie M. le ministre des travaux publics de la faire examiner.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - J'aurai soin de faire étudier la question de savoir si le règlement des wateringues autorisé par la loi de l'année dernière peut s'appliquer aux wateringues que l'honorable préopinant a indiquées.
L'honorable M. Dumortier a demandé que le projet de règlement sur les wateringues fût communiqué aux administrations communales de Tournay et d'Audenarde, je me suis empressé d'adhérer à ce désir ; je pense que, dans les questions de cette nature, il faut étendre la discussion plutôt que la resserrer. Je crois même qu'avant d'arrêter un règlement sur les wateringues, il pourrait être utile d'en publier le projet pour mettre non seulement les administrations communales, mais aussi les particuliers à même de formuler leurs observations.
- La discussion est close. L'article 10 est mis aux voix et adopté.
« Art. 11. Service de l’Escaut, personnel : fr. 15,472 50 c. »
- Adopté.
« Art. 12. Travaux de la Lys, dépenses ordinaires 33,128 ; dépenses extraordinaires : fr. 12,800. »
- Adopté.
« Art. 13. Service de la Lys, personnel : fr. 6,974. »
- Adopté.
« Art. 14. Service de la Meuse dans les provinces de Liège et de Namur. »
M. Delfosse. - Messieurs, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, je n'ai pas cessé d'appeler l'attention du gouvernement sur l'état défectueux dans lequel la Meuse est laissée, sur la nécessité d'améliorer ce fleuve par des travaux qui rendent la navigation plus facile et plus continue, et qui neutralisent le danger des inondations.
S'il m'est arrivé quelquefois, et surtout dans les derniers temps, de mettre de la vivacité, de l'amertume même dans mes paroles, c'est que l'indifférence avec laquelle le gouvernement accueillait nos plaintes si justes et si fondées, c'est que l'idée des maux qui pourraient être la conséquence de son inertie, m'inspiraient des sentiments d'indignation qu'il ne m'était pas possible de maîtriser.
Cette indignation était d'autant plus vive, d'autant plus naturelle, que le gouvernement nous avait fait à plusieurs reprises des promesses qu'il semblait se faire un jeu de violer.
Je puis, messieurs, démontrer par des extraits de pièces officielles que tous les ministres des travaux publics qui se sont succédé, à partir de M. Nothomb jusqu'à M. de Bavay, nous ont promis formellement l'amélioration de la Meuse, non pas une amélioration partielle, mais une amélioration complète, de nature à satisfaire au vœu des populations, et aux besoins.de l'industrie et du commerce.
Aucun d'eux n'a contesté la nécessité et l'urgence des travaux, et s'ils ne proposaient pas de mettre immédiatement la main à l'œuvre, c'est qu'il n'y avait pas encore de plan arrêté, c'est qu'il fallait, disaient-ils, attendre le résultat des études dont on avait chargé le conseil des ponts et chaussées.
Lorsque M. Nothomb vint, à la fin de 1838, proposer aux chambres de remettre à l'Etat l'administration de l'Escaut, de la Meuse et d'autres voies navigables, il était sous l'influence d'un fait qui venait de se produire dans un pays voisin.
Une loi de 1837, rendue en France, avait affecté une somme de 7,500,000 fr. à l'amélioration de la Meuse. M. Nothomb sentit que c'était là un exemple que nous ne pouvions nous dispenser de suivre ; le gouvernement belge aurait été fortement blâmé et fortement blâmable, s'il n'avait pas montré autant de sollicitude que le gouvernement français, pour l'amélioration d'un fleuve qui a certes moins d'importance en France que chez nous.
« La nation belge, disait alors M. Nothomb, doit aux nations étrangères (il aurait pu ajouter : Elle se doit à elle-même), la garantie d'une bonne administration de l'Escaut et de la Meuse. »
M. l'ingénieur Guillery, chargé d'une étude générale de la Meuse, publia successivement divers rapports qui font bien connaître la pensée et le but de la mission que M. Nothomb lui avait confiée. Permettez-moi, messieurs, de vous en lire quelques courts passages :
« C'est répondre à un besoin généralement senti, à une conviction unanime, que de procéder à l'amélioration du cours de la Meuse, fleuve également essentiel à nos relations avec le dehors et à nos communications intérieures. »
« (…) Les améliorations que la Meuse a, depuis des siècles, si vainement attendues, c'est de votre administration qu'elle les recevra. »
« (…) Depuis que l'Etat, en reprenant l'administration du fleuve, a pris également l'engagement de l'améliorer, l'attente est générale, elle est vivement excitée, et si l'on voit avec peine que tout soit encore à faire, on espère du moins que tout ce qui sera possible sera fait.»
« (…) Peu importe la dépense, lorsqu'elle doit être productive, et elle peut l'être sans rien rapporter directement. »
« (…) La Meuse transporte 14,300,000 tonneaux à 5,000 mètres de distance ; perfectionnée, elle en transporterait plus du double. »
« (…) Que les chambres, qui se sont montrées si généreuses, si intelligentes des besoins et des intérêts publics dans leurs allocations, pour des ouvrages dont le pays s'honore, accordent la même bienveillance aux travaux de la Meuse, qu'elles allouent les fonds nécessaires à leur achèvement, et une source de prospérité nouvelle s'ouvrira pour nos principales industries, pour trois provinces, pour le pays, et, ce qui ne serait ni sans noblesse, ni sans gloire, pour une partie des pays voisins. »
Un peu plus tard, M. l'inspecteur général Vifquain tenait à peu près le même langage dans l'excellent travail qu'il a publié sur nos voies navigables.
« Ni l'administration ni l'ingénieur, disait-il, ne peuvent plus reculer devant la dépense et se borner à des travaux qui ne conduiraient pas à des résultats décisifs ; ils le peuvent d'autant moins que la navigation de la Ruhr a été considérablement améliorée depuis la révolution, et qu'aujourd'hui les houilles du bassin de Liège ont à vaincre, sur les marchés de la HolIande, non seulement la concurrence des houillères prussiennes, mais encore celle des charbons anglais qui pénètrent de plus en plus dans l'intérieur du pays, en remontant les rivières. »
Ainsi parlait M. l'inspecteur général Vifquain.
L'honorable M. Rogier, devenu ministre des travaux publics, ne se montra pas moins préoccupé que son prédécesseur, de la nécessité d'améliorer la Meuse ; ce fut sur sa proposition qu'une allocation de 200,000 fr. fut portée au budget de 1841, pour faire un essai du système des passes artificielles proposé par M. l'ingénieur Guillery.
« Le gouvernement, disait l'honorable M. Roger, attache beaucoup d'importance à cette première application, en ce que ce sera un commencement d'exécution, et que les nouvelles demandes de fonds qu'il sera dans le cas de formuler pour la Meuse, pourront s'appuyer sur des résultats matériels déjà obtenus. »
Des marques non équivoques d'adhésion, parties de tous les bancs de la chambre, accueillirent ces paroles. L'honorable M. de Puydt, l'un des hommes les plus compétents en matière de travaux publics, déclara que les travaux d'amélioration projetés à la Meuse étaient urgents, et l'honorable M. de Theux, membre de la section centrale, s'exprimait de la manière suivante :
« Ce n'est qu'à titre d'essai, pour un premier travail, que nous avons adopté l'allocation. Mais, dans notre opinion, il faudra que, dans un délai rapproché, aussitôt que les circonstances le permettront, le gouvernement présente à la chambre le système qu'il aura cru devoir adopter, et qu'il indique en même temps la hauteur de la dépense, les moyens d'exécution, etc. Si l'on adopte le système le moins coûteux, celui de M. Guillery, il s'agira de 4 à 5 millions. Le même ingénieur pense que si l'on suivait la voie la plus usitée en pareille matière, la dépense s'élèverait à 10 millions. »
Vous savez, messieurs, que l'honorable M. Rogier n'eut pas le temps de mettre ses projets à exécution. Mais son successeur, M. Desmaisières, parut également disposé à faire tout ce qui dépendrait de lui, pour l'amélioration de la Meuse.
Les esprits étaient alors, comme ils le sont encore aujourd'hui, vivement préoccupés des difficultés et des périls de la navigation dans la traverse de Liège ; vous n'ignorez pas, messieurs, qu'il y a de fréquents sinistres ; qu'à chaque instant des bateaux, chargés de marchandises, sont engloutis et des hommes noyés. On redoutait surtout les inondations qui exercent chaque année de si grands ravages et qui deviennent de plus en plus menaçantes.
Divers projets étaient présentés pour mettre fin à un état de choses aussi déplorable Le projet qui paraissait obtenir la préférence était celui de M. Franck, modifié plus tard par M. de Sermoise, ingénieur en chef des ponts et chaussées.
M. Franck proposait, pour la traverse de Liège, un projet de dérivation de la Meuse, combiné avec la station intérieure du chemin de fer, promise à la ville depuis 1836, station qui, pour le dire en passant, n'est pas encore exécutée à l'heure qu'il est.
Lors de la discussion du budget des travaux publics pour l'exercice 1842, plusieurs représentants de Liège, et j'étais du nombre, firent de vives instances pour que le gouvernement prît enfin une résolution. D'honorables collègues, en tête desquels je me plais à citer l'honorable M. d'Hoffschmidt et l'honorable comte de Mérode, que je regrette de ne pas voir ici, nous vinrent en aide en nous prêtant l'appui de leur parole.
« Je pense, disait l'honorable comte de Mérode, qu'il importe de travailler à la dérivation de la Meuse, parce que c'est un objet qui intéresse la sécurité de beaucoup d'habitants du la localité. »
L'honorable comte se posait, comme on me la posera peut-être, (page 1474) l'objection tirée de nos embarras financiers, mais elle ne l'arrêtait pas, lui si partisan des économies, lui, en général, si opposé à des dépenses de ce genre ; elle ne l'arrêtait pas, parce qu'il trouvait les travaux de la dérivation de la Meuse urgents à cause des dangers qui résultent de la situation actuelle des choses. Telles étaient ses expressions.
M. le ministre des travaux publics répondit à nos interpellations, qu'il avait confié l'instruction de cette affaire à M. l'inspecteur général Vifquain, que le travail était en voie d'exécution, et qu'une décision serait prise aussitôt que le conseil des ponts et chaussées aurait présenté son rapport.
L'honorable M. Raikem, qu'une indisposition avait empêché d'assister à la discussion du budget des travaux publics, prit la parole dans la séance du 15 juin 1842, pour appuyer une pétition relative à la dérivation de la Meuse ; je fis part à cet hpnorable collègue de la promesse qui nous avait été faite en son absence, et M. le ministre des travaux publics, l’honorable M. Desmaisières, prit de nouveau l'engagement de la tenir.
Quelques mois plus tard, nous eûmes lieu de croire qu'il allait enfin être fait droit à nos justes réclamations. Car M. le ministre des travaux publics vint demander à la chambre un million pour l'exécution d'un projet de dérivation de la Meuse combinée avec la station intérieure du chemin de fer. La dépense totale de ce projet devait être de 3 millions, et l’on se proposait de le couvrir à l'aide du million demandé aux chambres, de 400,000 fr. que l'on voulait prendre sur le fonds des stations, et de 600,000 fr. à provenir de la vente de terrains ; la ville de Liège s'engageait de son côté à donner un million, et la province 200,000 fr.
Le million demandé aux chambres, et qui devait être pris sur l'emprunt que l'on allait contracter, fut voté après une courte discussion, dans une séance à laquelle il ne m'avait pas été possible d'assister. On ne se doutait guère alors que M. de Bavay viendrait nous dire, cinq ans après, que ce million n'avait existé que dans l'imagination de M. Desmaisières.
Les travaux à effectuer dans la traverse de Liège étaient sans doute les plus nécessaires et les plus urgents ; mais il ne fallait pas, pour cela, négliger le reste de la Meuse, il ne fallait pas perdre de vue d'autres travaux utiles, urgents aussi, quoique à un moindre degré.
Ce fut donc avec une grande satisfaction que nous entendîmes M. Desmaisières déclarer, dans la discussion du budget de 1843, qu'il faudrait nécessairement de grands travaux pour rendre la Meuse navigable, qu'il était temps d'en finir avec les essais, et qu'il avait invité le conseil des ponts et chaussées à présenter, avant la clôture de la session, le projet définitif des améliorations à introduire dans le régime de la Meuse, et que c'était pour la dernière fois que le gouvernement venait demander 200,000 fr. pour des essais.
Mais l'honorable M. Desmaisières eut le même sort que ses prédécesseurs ; il fut emporté avant d'avoir pu accomplir ses promesses, et l'honorable M. Dechamps, qui réclamait tantôt une part de mon attention, vint prendre sa place.
Nous étions arrivés en 1844 et l'on n'avait encore rien fait ; interpellé par moi sur les causes de ce retard inconcevable, l'honorable M. Dechamps répondit que de graves objections ayant été présentées contre le projet de dérivation de la Meuse, auquel on s'était arrêté, il avait cru devoir ordonner des études nouvelles et qu'il avait recommandé à la commission chargée de ce travail de faire son rapport dans le plus bref délai.
Malheureusement ce délai, qui devait être très bref, fut plus long que le passage de M. Dechamps au ministère des travaux publics, et il ne fut pas même donné à M. d'Hoffschmidt, qui lui succéda, d'en voir la fin.
L'honorable M. d'Hoffschmidt avait cependant pris cette affaire fort à cœur. Voici en quels termes il répondait, dans la séance du 27 janvier 1846, à une interpellation assez vive que je lui avais adressée :
« Je n'ai pas besoin de la sommation de l'honorable préopinant pour comprendre combien il est important de cherchera remédier aux inondations qui affligent un quartier de la ville de Liège ; cette question attire depuis plusieurs années toute l'attention du département des travaux publics.
« Plusieurs systèmes ont été successivement proposés pour remédier à ce malheureux état de choses ; dans ce moment un système très important et qui aurait non seulement pour but d'obvier aux inondations, mais de donner à la Meuse un tirant d'eau de plus de deux mètres, est très attentivement étudié par un ingénieur habile ; je crois que ce système sera complétement étudié pendant le cours de cette année, et dès lors je serai à même de pouvoir soumettre aux chambres les moyens de venir non seulement au secours des inondés de la Boverie, mais en même temps de procurer à la ville de Liège une navigation beaucoup plus facile. »
Vous voyez, messieurs, que la bonne volonté ne manquait pas plus à l’honorable M. d'Hoffschmidt qu'a ses prédécesseurs, mais le temps lui a aussi manqué.
C'est à M. de Bavay qu'était réservé l'honneur de voir achever sous son ministère un travail aussi important et aussi impatiemment attendu. Il y aura bientôt une année que M. l'ingénieur Kummer a présenté un projet qui paraît réunir l'assentiment général. Déjà le conseil des ponts et chaussées a reconnu que l'exécution de ce projet serait d'une incontestable utilité au point de vue des inondations, et si quelques doutes existent encore sur le système des barrages mobiles appliqué à la Meuse, système qui n'exclut en aucune manière celui des passes artificielles, pour d’autres parties du fleuve, tout porte à croire qu'ils seront bientôt levés.
Le projet de M. Kummer se compose de deux parties bien distinctes et indépendantes l'une de l'autre. La première, que le conseil des ponts et chaussées trouve susceptible d'une exécution immédiate et qui coûterait 3 millions, comprend les travaux destinés à mettre la ville de Liège à l'abri du fléau des inondations. La deuxième partie, qui coûterait 6 millions, et sur laquelle le conseil des ponts et chaussées a encore quelques doutes, qu'il propose de résoudre par un essai, a pour but d'améliorer la navigation de la Meuse, à partir de Chokier, afin qu'elle soit en rapport avec celle des, canaux de Meuse et Moselle, de Liège à Maestricht, de Maestricht à Bois-de-Duc et de la Campine.
Si M. le ministre des travaux publics avait été à la hauteur de sa mission, il aurait compris tout ce qu'il y avait d'heureux pour lui dans cette circonstance. Il n'aurait pas laissé échapper une aussi belle occasion d'acquérir des titres précieux à l'estime et à la reconnaissance de ses concitoyens.
Mais, au lieu devenir nous proposer avec un louable empressement l'exécution de la partie du projet de M. Kummer qui a reçu l'approbation du conseil des ponts et chaussées, il a, poussé par je ne sais quel mauvais génie, reculé tout d'abord devant les embarras financiers, comme si le gouvernement belge pouvait jamais prétexter le manque d'argent, pour ne pas tenir ses promesses, pour ne pas remplir ses devoirs !
Quoi ! messieurs, nous savons bien trouver chaque année 29 à 30 millions pour une année, respectable sans doute, mais dont l'utilité éventuelle est au moins problématique, et nous n'en trouverions pas quelques-uns pour faire cesser, par des travaux utiles, un état de choses qui compromet la fortune et la vie de nos concitoyens !
Le ministère n'a pas tardé à sentir la faiblesse, l'inconvenance même de ce prétexte.
Ce n'était pas au moment où il allait demander plusieurs millions pour apporter de vains palliatifs à la misère des Flandres, qu'il pouvait décemment se retrancher derrière des embarras financiers, pour retarder l'exécution de travaux qui nous ont été solennellement promis, qui sont nécessaires, urgents, des travaux sans lesquels nos provinces deviendront bientôt aussi misérables que les Flandres.
Il y a eu un instant où le ministère a paru animé des meilleures intentions. Plusieurs députations, venues de Liège, s'étaient retirées satisfaites et pleines d'espérances. L'honorable M. de La Coste, gouverneur de la province, avait même été jusqu'à déclarer, dans une lettre écrite au moment de l'ouverture de la session, qu'un projet de loi relatif à la dérivation de la Meuse serait prochainement soumis aux chambres.
Mais le mauvais génie qui paraît présider aux résolutions du ministère était encore là pour lui souffler un expédient à l'aide duquel il pût méconnaître et ses devoirs et ses promesses.
Savez-vous, messieurs, quel est cet expédient ? Je vais vous l'apprendre. L'amélioration de la Meuse occasionnera une dépense considérable. Il faut, dit le ministre, que cette dépense soit couverte, en partie, au moyen d'un large concours de la ville et de la province, en partie, au moyen d'une élévation des péages Mais il nous est impossible d'élever le péage sans le consentement de la Hollande, parce que nous sommes liés par le traité de 1842 ; négocions donc avec la ville, avec la province, avec la Hollande ; et, en attendant, croisons-nous les bras ; laissons dépérir le commerce et l'industrie ; laissons nos concitoyens exposés aux ravages désastreux des inondations.
Voyez, messieurs, comme tout cela est admirable ! Voilà huit ans qu'on nous berce de promesses et d'espérances, et lorsque le moment de les réaliser est enfin venu, on se joue de nous, en imaginant la cause la plus futile d'ajournement ; et quel ajournement encore ? un ajournement indéfini, car vous savez que les négociations sont longues, surtout avec la Hollande.
MM. les ministres nous disent qu'il faut négocier avec la ville et avec la province. Mais à quoi bon ? N'a-t-on pas négocié en 1842 avec la ville et avec la province ? la ville n'a-t-elle pas promis un million, la province 200,000 fr. ? et ne sait-on pas qu'elles ne peuvent aller au-delà ? Le sacrifice qu'elles ont consenti à s'imposer est énorme, si l'on réfléchit à la modicité des ressources qu'elles ont à leur disposition. MM. les ministres voulaient aussi négocier avec la Hollande, pour défaire le traité de 1842. Mais lorsqu'on a conclu le traité de 1842, il était déjà question de l'amélioration de la Meuse : elle nous était formellement promise.
Comment se fait-il, que le traité de 1842, qui n'était pas un obstacle à l'amélioration de la Meuse lorsque vous l'avez signé, le soit devenu tout à coup ?
Croyez-moi, messieurs, ne comptons pas, pour améliorer nos fleuves sur la volonté incertaine d'un gouvernement étranger ; ne comptons que sur nous-mêmes, ne voyons que le pays, et soyez sûrs qu'il sera largement indemnisé de la dépense par les avantages de tout genre que les travaux publics d'une utilité incontestable procurent toujours, indépendamment du produit direct de péages.
J'ai trop de confiance dans les sentiments d'équité qui animent la chambre pour croire, qu'elle puisse s'associer au système de déception imaginé par MM. les ministres.
S'il s'agissait de questions politiques, je n'attendrais rien de la majorité, je sais que sur ces questions chacun reste dans son camp et sous (page 1475) son drapeau ; mais la dérivation de la Meuse est une question d'intérêt matériel ; c'est une question de justice et d'humanité ; c'est une de ces questions pour la solution desquelles tous les Belges, catholiques ou libéraux, doivent se donner la main.
Il y a donc tout lieu d'espérer que la chambre adoptera un amendement que je me suis décidé à présenter conjointement avec mes honorables collègues de Liège. Cet amendement est ainsi conçu :
« Nous ayons l'honneur de proposer à la chambre de voter un crédit extraordinaire de 400,000 fr. pour les premiers travaux de la dérivation de la Meuse. »
Nous avions d'abord eu l'intention de nous borner à une protestation énergique contre la conduite du ministère. Mais les explications données par M. le ministre des travaux publics, et qui se trouvent à la suite du rapport de l'honorable M. Brabant, nous ayant fait connaître que le conseil des ponts et chaussées avait approuvé la première partie du projet de M. Kummer, celle qui est relative aux inondations, et qu'on ne pourrait plus par conséquent nous opposer la fin de non-recevoir, tirée de l'absence de plans, nous avons compris qu'il était de notre devoir de tenter un effort pour obtenir un vote favorable de la chambre.
Les 400,000 fr. que nous demandons seraient destinés au redressement de la Meuse en aval de la fonderie de canons, travail qui doit, de l'avis du conseil des ponts et chaussées, être entrepris le premier.
Si nous limitons notre demande à cette somme, c'est que nous faisons la part de la situation financière, c'est que nous reconnaissons les dangers d'une émission trop considérable de bons du trésor. Nous tenons surtout à obtenir enfin un commencement d'exécution.
Le reste des travaux pourra se faire plus tard, au moyen de l'emprunt qui sera inévitablement contracté pour l'amélioration de nos voies navigables, et qui aurait déjà dû l'être. Si cet emprunt avait été contracté au commencement de la session, lorsque j'en ai donné le conseil, il aurait produit un bien immense.
- L'amendement de M. Delfosse est appuyé.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, je pense que le discours de l'honorable M. Delfosse repose sur une idée inexacte, celle de l'indifférence du gouvernement pour les améliorations de la Meuse, et pour le système des eaux de la Meuse.
Je pense, messieurs, que les faits sainement appréciés conduisent à une conclusion différente. Le projet dont on demande aujourd'hui l'adoption a été étudié par l'ingénieur en chef Kummer, d'après les instructions du gouvernement.
Ce projet, messieurs, n'est pas aussi ancien qu'on pourrait le croire d'après le discours de l'honorable membre ; ce projet n'était pas fait il y a un an ; il était à l'étude, il n'a été achevé qu'à la fin du mois d'août, on au commencement du mois de septembre.
Ce projet a été soumis ensuite à l'examen du conseil des ponts et chaussées ; il n'y a pas dix jours que j'ai reçu le rapport définitif du conseil sur ce projet. Le projet a une très grande importance ; il soulève des questions d'art nombreuses ; l'un des membres les plus distingués du conseil des ponts et chaussées, qui, du reste, appuie le projet, m'a dit que c'était un ensemble immense, auquel il pourrait être utile de réfléchir peut-être une année entière.
Voilà ce qui m'a été dit par un des hommes les plus capables que nous ayons dans le pays, par un ingénieur, je le répète, partisan du projet.
Les études de ce projet ont été demandées par le conseil provincial de Liège dans sa session de 184S. Mais dans quels termes était formulée la demande ? Le conseil demandait que le gouvernement fît exécuter les travaux nécessaires pour assurer à la Meuse, dans la traverse de Liège et jusqu'aux limites du bassin houiller à Chokier, le tirant d'eau du canal de Maestricht à Bois-le-Duc et du canal latéral à la Meuse.
Le canal latéral à la Meuse avait été décrété le 10 mai 1845 ; c'était donc un fait entièrement récent à l'époque de la session des conseils provinciaux.
Eu 1845, le vœu du conseil provincial de Liège reposait donc sur cette loi du 16 mai 1845 due à l'initiative du gouvernement.
Les études demandées par le conseil provincial furent autorisées par dépêche ministérielle du 4 septembre 1845.
Ici encore, nous voyons le gouvernement ne pas se montrer indifférent à l'amélioration du régime de la Meuse Ces études ont conduit à la formation du projet dont on réclame aujourd'hui l'adoption.
Ces études ont eu pour point de départ un projet déjà proposé par M. Kummer en 1842, pour la traverse de Liège.
Ici je crois devoir constater deux faits : le premier, que le canal latéral, œuvre exclusive du gouvernement, est la base du projet dont on demande l'exécution ; le deuxième, que le gouvernement a prescrit l'étude du projet aujourd'hui sollicité.
Maintenant, je reviens aux critiques faites par l'honorable M. Delfosse de la conduite du gouvernement, et je pose les questions suivantes : Peut-on dire que le gouvernement soit hostile aux intérêts de la province de Liège ? Peut-on accuser le gouvernement d'être indifférent aux intérêts de la province de Liège ? Peut-on l'accuser de ne pas comprendre les intérêts de la province de Liège ? Je crois pouvoir répondre négativement à ces trois questions.
Il y a eu pour la traverse de Liège un projet antérieur à celui de M. Kummer ; ce projet, l'honorable M. Delfosse en a fait mention, c'était le projet conçu primitivement par l'architecte Franck de Liège et complété par M. de Sermoise ; M. de Sermoise a revu et complété le projet de M. Franck et a présenté son travail le 25 juin 1842.
Ce travail, messieurs, se résumait dans le redressement de la Meuse en amont du pont de la Boverie, de manière à rendre le courant moins oblique aux piles du pont, et dans l'établissement d'une station intérieure au moyen du terrain conquis par le redressement.
J'aurai, messieurs, quelques observations à faire sur ce projet, devenu aujourd'hui en quelque sorte historique.
Ce projet, messieurs, a été improprement qualifié de projet de dérivation. Il ne créait aucun débouche nouveau aux grandes eaux. Le passage des eaux était simplement facilité par un redressement du lit du fleuve, de nature à rendre le courant moins oblique aux piles du pont. Mais le débouché de la Meuse restait ce qu'il était. Le projet facilitait un peu le passage des eaux au pont de la Boverie ; la difficulté restait, au pont des Arches, absolument ce qu'elle est aujourd'hui.
Ce projet, messieurs, ne faisait rien pour la navigation, ni à l'amont ni à l'aval de Liège. Il rendait le passage des bateaux moins difficile au pont de la Boverie. Voilà le seul résultat du projet de 1842 pour la navigation.
Ce projet, messieurs, quoique élaboré par un ingénieur de mérite, dont, autant que personne, j'apprécie toute la valeur, eût été insignifiant dans ses résultats. Je pense que c'est un point sur lequel il n'y a plus guère de contestation possible aujourd'hui. Il eût créé un obstacle presque insurmontable à l'exécution d'un projet plus complet et plus rationnel, et notamment à l'exécution du projet de M. Kummer que tout le monde demande aujourd'hui.
Je ne crains pas de dire, messieurs, que si ce projet de 1842 avait été exécuté, les honorables membres qui font partie de la députation liégeoise ne demanderaient pas aujourd'hui des fonds pour l'exécution du projet de M. Kummer ; après avoir dépensé plusieurs millions pour un projet insignifiant, on se fût trouvé dans la presque impossibilité de venir demander des millions pour un projet véritablement utile.
Ce projet, messieurs, je dois bien le dire, tout insignifiant qu'il fût, a eu à Liège une immense popularité. Je doute que le projet de Mr. Kummer soit apprécié et approuvé à Liège, autant que l'a été le projet de 1842. Ce projet a eu l'assentiment complet de la ville, de la province, de la chambre de commerce. La ville, ainsi que l'a dit l'honorable M. Delfosse, a offert un million pour son exécution.
L'exécution de ce projet, messieurs, eût été un fait regrettable, et c'est ce que reconnaîtront tous les partisans du projet actuel.
A qui, messieurs, doit-on que ce projet n'ait pas été exécuté ? Je dira que c'est au gouvernement et au gouvernement seul.
Ceci, messieurs, me conduit à entretenir la chambre d'un autre objet, la navigation entre Liège et Maestricht.
Cette navigation, messieurs, le gouvernement s'en est préoccupé depuis longtemps. Dès le 19 avril 1842, le ministre des travaux publics d'alors (c'était l'honorable M. Desmaisières) avait chargé M. Kummer d'étudier l'amélioration de la Meuse entre Liège et Maestricht, de manière à mettre cette navigation en rapport avec celle du canal de Maestricht à Bois-le-Duc, et d'obtenir un minimum et constant de l m 80 à 2 mètres. Ce projet, messieurs, c'était la canalisation par barrages ; tout autre moyen ne pouvait donner le grand tirant d'eau de 1 mètre 80 à 2 mètres.
Par une dépêche subséquente du 28 juin 1842, M. le ministre engagea M. Kummer à compléter ses études en les étendant à la traverse de Liège.
C'est là, messieurs, le point de départ du projet actuel. Je me souviens, qu'à cette époque, on trouvait incroyable qu'un ingénieur du Limbourg eût la prétention de se mêler de la traverse de Liège, pour laquelle on croyait avoir la meilleure de toutes les combinaisons, combinaison devant laquelle on n'admettait pour ainsi dire plus la discussion d'un projet nouveau.
L'avant-projet de M. Kummer, pour l'amélioration de la navigation de la Meuse, de Liège à Maestricht, fut adressé au ministre, le 18 février 1845. Ce projet tendait à relever la flottaison de la Meuse, au moyen de barrages transversaux.
Le ministre s'empressa de communiquer les données de ce projet à l'administration communale de Liège, à la députation permanente et à la chambre de commerce, en appelant leur attention sur l'inappréciable avantage d'une navigation à grand tirant d'eau, praticable en toute saison, sauf les seules interruptions de la gelée et des débâcles, et en les consultant sur le point de savoir s'il ne conviendrait pas d'appliquer à l'amélioration de la navigation, entre Liège et Maestricht, les ressources présumées disponibles pour la dérivation.
Cette démarche de la part du ministre était essentiellement utile. Elle tendait, s'il est permis de le dire, à mettre la ville, la province et la commerce de Liège sur la véritable voie de leurs intérêts. Ce nonobstant, messieurs, cette offre fut combattue, aussi bien par la chambre de commerce que par l'administration communale et l'administration provinciale.
L'honorable M. Delfosse a fait diverses citations. J'aurai aussi à en faire une, c'est celle du rapport adressé à cette occasion au ministre des travaux publics par la chambre de commerce de Liège. Voici, messieurs, ce rapport :
« Monsieur le Ministre,
« La chambre de commerce a pris communication du rapport qui accompagnait votre dépêche du 1er de ce mois, concernant l'amélioration de la Meuse, de Liège à Maestricht.
« Le projet que contient ce rapport n'est point celui conçu sous l'ancien gouvernement des Pays-Bas, qui consistait dans un canal latéral à la (page 1476)
Meuse, de Liège jusqu'à la montagne de Casier et de là à Maestricht par un barrage longitudinal, qui, en rejetant la Meuse à droite, aurait prolongé ce canal au pied de ladite montagne.
« Sans vouloir examiner le travail proposé sous le rapport de l'art pour le danger des barrages à travers une rivière dont les crues sont souvent aussi rapides qu'extraordinaires et forment un torrent auquel on doit craindre que les travaux de barrage résistent difficilement, la chambre remarque que l'auteur du projet n'a pas tenu compte de la situation nouvelle où se trouve la Belgique depuis la séparation de la Hollande ; ainsi, Maestricht appartenant à celle-ci, le barrage qui devrait être construit pour le compte du gouvernement belge, en dessous de l'entrée du bassin du canal de Bois-le-Duc, se trouverait sur le territoire étranger.
« Ce barrage, en faisant remonter les eaux, anéantirait les grands moulins situés en dessous du pont de Wyck, moulins destinés, en cas de siège, à alimenter la garnison et les habitants de Maestricht.
« Outre l'indemnité considérable qu'il y aurait à payer de ce chef, il est à peu près certain que le gouvernement hollandais ne consentirait pas à l'exécution de travaux dont l'effet serait de transporter à Liège les avantages que procure au commerce de Maestricht le bassin de cette ville ; nul doute que des réclamations serait adressées à cet égard au gouvernement des Pays-Bas et qu'il devrait les accueillir favorablement.
« Le barrage projeté en dessous de la fonderie royale, à Liège, aurait des inconvénients semblables à ceux du barrage en dessous du pont de Wyck, à Maestricht, en ce qu'il anéantirait les chutes qui donnent le mouvement à une quantité de roues hydrauliques situées dans le quartier si industriel d'Outre-Meuse, où elles servent de moteurs à un grand nombre d'usines et de fabriques.
« Ces considérations. M. le ministre, font penser à la chambre de Liège qu'il ne serait ni convenable ni utile de transférer pour une autre destination les fonds qui doivent être employés aux travaux de la dérivation de la Meuse et de la station intérieure, promis aux habitants de Liège et dont ils attendent l'exécution avec une vive impatience.
« La chambre sait apprécier sans doute les avantages du traité du 5 novembre, parce qu'il fait cesser l'application du tarif de Mayence à la Meuse et qu'il réduit les péages sur le canal de Bois-le-Duc ; mais elle ne se dissimule pas qu'il serait prudent d'attendre l'effet que produira ce traité, pour le renouvellement de nos relations avec la Hollande, avant de dépenser de fortes sommes pour la construction de six barrages avec cinq écluses pour une navigation de cinq à six lieues, ni de statuer sur la préférence que, selon la chambre de Liège, il y aurait lieu de donner à un canal latéral.
« Elle vous prie donc, M. le ministre, de donner des ordres à l'ingénieur de la Meuse relatifs à l'achèvement des ouvrages déjà entrepris de Liège à Maestricht et pour l'exécution de ceux proposés à Argenteau, devant le pont à Visé et au gué des Vaches.
« La chambre est persuadée qu'au moyen de ces travaux la navigation de Liège à Maestricht serait fortement améliorée. »
Messieurs, ce que ce rapport fait voir, c'est que l'on a été beaucoup plus touché des objections que le projet pouvait soulever, que de l'utilité qu'il pouvait avoir pour le commerce. On faisait des objections tirées du non-consentement présumé de la Hollande, et, pour le dire en passant, on se préoccupait beaucoup plus des raisons qui devaient rendre la Hollande contraire au projet, que des raisons, beaucoup plus péremptoires, selon moi, qui devaient faire désirer à la Hollande l'adoption de ce projet. On appuyait de simples travaux en lit de rivière. Le gouvernement proposait la navigation à grand tirant d'eau ; la chambre de commerce la repoussait, ou tout au moins en demandait l'ajournement.
Ce qui vient d'être dit, messieurs, prouve que le ministre de 1843 (c'était encore l'honorable M. Desmaisières) avait compris qu'il y avait quelque chose de mieux et de plus urgent à faire que le projet de M. de Sermoise, et que ses observations, toutes justes qu'elles fussent, ne produisirent à Liège aucun effet.
Le projet de 1843, le projet de canalisation par barrages entre Liège et Maestricht, n'était au fond qu'une variante du canal latéral. La chambre de commerce de Liège avait fort bien compris que c'était une seule et même chose, et elle avait fait cette observation fort juste, qu'il pouvait y avoir utilité à faire un canal latéral plutôt qu'une canalisation par barrages. Mais elle ne demandait pas ce canal latéral. Elle disait : Il est fort possible que nos relations nouvelles avec la Hollande n'exigeront pas un tel travail ; bornez-vous à faire quelques travaux en lit de rivière ; pour le moment nous ne vous demandons que la traverse de Liège, et nous vous dispensons de vous occuper de la navigation à grand tirant d'eau vers Maestricht.
Ce rapport de 1843, messieurs, n'était donc guère de nature à encourager le gouvernement à faire la présentation du projet du canal latéral à la Meuse, de Liège à Maestricht.
L'honorable M. Dechamps, qui succéda à l'honorable M. Desmaisières, comprit parfaitement la valeur des objections qui pouvaient être faites au projet de M. de Sermoise pour la traverse de Liège. L'honorable ministre convoqua à Liège des délégués de l'administration centrale, de l'administration provinciale et de la chambre de commerce. Il se fit accompagner par un assez grand nombre de fonctionnaires de son département. La discussion, messieurs, fut assez vive, comme on pouvait s'y attendre.
Cependant, je dois le dire, le plus grand nombre des fonctionnaires qui accompagnèrent le ministre, gardèrent le silence. Quelques-uns, j'en suis fâché pour eux, étaient partisans du projet ; d'autres regardaient le torrent comme tellement irrésistible qu'il y eût eu folie à chercher à y opposer une digue. Deux seulement crurent qu'il était de leur devoir d'exprimer les objections qui, à leur sens, existaient. J'étais, messieurs, l'un de ces deux opposants. Je me souviens que nos objections soulevèrent une immense explosion d'indignation.
L'honorable M. Dechamps fit ce qu'il put pour retarder l'exécution du projet Sermoise.
Aujourd'hui, messieurs, on ne peut trop le redire, tout le monde reconnaît que ces retards qui ont conduit à l'abandon du projet ont été infiniment utiles. L'honorable M. Dechamps a donc eu d'abord le mérite d'empêcher l'exécution d'un projet incomplet et qui eût fait obstacle à l'exécution du projet Kummer, unanimement réclamé aujourd'hui. En cela il a rendu un immense service à la ville et à la province de Liège.
Mais, messieurs, mon honorable collègue a fait davantage. Il a présenté, le 10 décembre 1844, le projet de canal latéral, projet si mal accueilli, en 1845, par la chambre de commerce de Liège, et qui a obtenu des chambres un vote favorable à ce projet.
Cette proposition, messieurs, renfermait pour l'administration le germe de difficultés très grandes et nombreuses, et je maintiens qu'il fallait avoir un certain courage et un amour bien réel des choses grandes et belles pour aborder sans hésitation de pareilles difficultés. Ces difficultés, messieurs, apparurent même dans cette chambre. Dans cette chambre, beaucoup de membres regardèrent ce projet comme un projet chimérique. On disait : « Vous n'obtiendrez jamais ce passage par Maestricht, ou vous ne l'obtiendrez que moyennant des concessions commerciales .» Il est résulté de ces appréhensions, que la discussion du projet de canal latéral, dans cette chambre, a été fort difficile, et que même la proposition du gouvernement a été en très grand danger d'être rejetée. Ceux qui se souviennent des faits savent que le premier jour de la discussion on regardait le projet comme perdu.
L'honorable M. Dechamps ne se laissa pas abattre par toutes ces difficultés ; il soutint la discussion, il la soutint avec un talent véritable, et je crois pouvoir dire que, pour l'adoption du projet, il fallait plus que la présentation du projet par le gouvernement, et plus que l'appui donné au projet par les honorables députés de Liège ; je crois pouvoir dire que, sans le concours extrêmement actif, et sans des efforts très réels et très intelligents, faits par l'honorable M. Dechamps, le canal latéral à la Meuse eût échoué dans cette chambre.
Plusieurs membres. - Tout le monde reconnaît cela.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Eh bien, messieurs, ceci est un point sur lequel j'appelle votre attention ; il faut bien le reconnaître, c'est du canal latéral que le projet de M. Kummer tire sa valeur et sa signification.
Une navigation à grand tirant d'eau de l'aval de Liège à Chokier ne serait pas motivée, n'aurait même presque aucune utilité, si elle ne se trouvait pas en rapport et en liaison immédiate avec un grand système de navigation.
Le canal latéral était le chaînon indispensable pour atteindre ce grand système composé des canaux de Bois-le-Duc et de la Campine.
Le canal latéral est le véritable et l'unique point d'appui du projet Kummer pour la traverse de Liège et l'amélioration de la Meuse jusqu'à Chokier.
Ce qui a rendu possible le projet Kummer, c'est l'ajournement du projet Sermoise et la loi qui décrète le canal latéral.
Ces résultats, messieurs, ont été obtenus, le premier, malgré Liège, et le second, je le dirai, sans Liège. (Interruption.) Ce projet de canal latéral a été repoussé ou ajourné par la chambre de commerce de Liège en 1843 et présenté par le gouvernement en 1844. Je puis donc dire qu'il a. été présenté sans Liège. Je sais très bien que les députés de Liège ont voté pour le projet.
Des membres. - Et parlé.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Oui, ils ont parlé et voté pour le projet ; mais les honorables députés de Liège seuls, se trouvant même en présence d'une proposition du gouvernement, n'auraient pas fait passer le projet.
Messieurs, pour me résumer, le gouvernement a fait pour Liège deux grandes choses : il a empêché l'exécution d'un projet incomplet, malgré l'immense popularité dont ce projet jouissait, et il a fait adopter le premier projet complet présenté dans l'intérêt de Liège, celui du canal latéral. Pour Liège, messieurs, il n'y avait qu'une chose à faire, c'était de mettre la navigation de la traverse de la ville en rapport avec la grande navigation à l'aval.
Le projet de 1842 tentait certaines améliorations dans la traverse, sans liaison avec l'aval, sans liaison avec l'amont. Ce projet était un écueil, il rendait impossible le projet dont il s'agit aujourd'hui. Eh bien, messieurs, l'ajournement de ce projet et le canal latéral sont l'œuvre du gouvernement, et surtout l'œuvre de l'honorable M. Dechamps.
On m'a parlé tout à l'heure de la popularité que je pourrais acquérir, de la gloire, en quelque sorte, que je pourrais attachera mon administration en faisant adopter le projet de M. Kummer. Eh bien, messieurs, ce serait là à mes yeux un titre bien faible en comparaison des titres de M. Dechamps, car si le projet de M. Kummer est adopté il sera adopté comme conséquence, comme continuation du canal latéral.
Messieurs, mon honorable collègue, je le dis et je le maintiens, est un des hommes qui ont le mieux compris les intérêts liégeois. Tout ce qu'on tient, est toujours regardé comme non avenu. Le canal latéral est en cours d'exécution et déjà, en tant que titre du gouvernement à la reconnaissance de la province de Liège, il est presque oublié. Ce canal est (page 1477) un grand fait ; il est pour Liège ce que le canal de Mons à Condé est pour Mons.
Tous ceux qui viendront au département des travaux publics, après mon honorable collègue, seront dans l'impossibilité de rendre à Liège des services aussi grands que ceux qu'il lui a rendus. Eh bien, cet honorable collègue est, je pense, un personnage assez peu populaire à Liège, malgré tout ce qu'il' a fait en faveur de cette ville. (Interruption.) Je crois que la médaille n'a pas eu un assentiment unanime et je crois que tout le monde n'a pas assisté aux fêtes qu'on a données à l'honorable M. Dechamps.
Messieurs, cette considération de la gloire que je puis attacher à mon administration, cette considération n’est à mes yeux que secondaire. Lorsqu'on est aux affaires on y est pour les affaires et non dans des vues personnelles.
Ce qu'il y a de vrai, messieurs, c'est que pour Liège un grand fait est posé ; il a été posé par le gouvernement et c'est le gouvernement qui a déblayé le terrain d'un projet incomplet, d'un projet qui eût été un obstacle à tout projet ultérieur plus complet.
M. Pirson. - Messieurs, ainsi que vient de vous le dire l'honorable M. Delfosse, l'utilité, la nécessité même des travaux à exécuter à la Meuse n'est pas, n'est plus contestable. Cette utilité, cette nécessité vous ont été démontrées à plusieurs reprises d'une manière péremptoire par des honorables membres de cette assemblée, auxquels nous avons aussi toujours prêté notre concours, depuis que nous avons l'honneur de siéger parmi vous.
La Meuse qui, d'un côté, nous met en communication avec plusieurs départements français, d'un autre, avec plusieurs provinces de la Hollande, traverse la Belgique dans sa plus grande longueur du midi au nord, et sert au transport des produits d'une quantité de forêts, de mines, d'usines de toute espèce, de carrières et d'ardoises. Elle traverse trois de nos neuf provinces, se trouve en rapport direct avec presque toutes, par des rivières ou des canaux, tels que l'Ourthe, la Lesse, la Sambre, les deux canaux de la Campine et du Zuid-Willemsvaart, et sa navigation qui se rattache encore à celle du Rhin et de plusieurs des canaux et rivières de la France, de l'Allemagne et de la Hollande, est bien certainement l'une des plus importantes du pays.
On peut se faire une idée de cette importance, de ce mouvement de navigation, si on jette les yeux sur la page 32 du rapport si remarquable qui a été fait sur la Meuse par M. Guillery, l'un de nos ingénieurs les plus distingués et les plus savants.
Voici ce que l'on trouve dans le rapport de cet habile ingénieur, page 32 :
« Les transports actuels entre Verdun et Sedan s'élèvent à 10,000 tonneaux ; entre Sedan et Charleville à 40,000 ; et de Charleville à Givet, ils dépassent 90,000. Ces transports se composent principalement de houille tirée de Liège et de Charleroy, d'ardoises des carrières de Fumay et de Monthermé, de minerai pour les hauts fourneaux situés entre Givet et Charleville, de bois de charpente et de chauffage, des produits des usines de fer, des verreries, etc., etc. La quantité de houille introduite en France par Givet, s'est élevée en 1833 à 40,000 tonneaux ; en 1834, à 50,000, en 1837, à 66,000, en 1838, à 55,000 ; et pendant les neuf premiers mois de 1839, à 40,500 ; elle représente donc à peu à près les deux tiers du tonnage total dans cette direction.
« Les transports de Namur à Givet s'effectuent sur près de 150 bateaux comprenant en totalité 9,000 tonneaux et parcourant continuellement la Meuse, tant que les eaux ne sont ni trop basses ni trop hautes. Leurs chargements vont, en remonte, à plus de 170,000 tonneaux, savoir : houille, de 110 à 120 mille ; charbon de bois, 12 mille ; minerai de fer, 25 mille ; écorces, 5 mille, etc., etc. Sur les 120,000 tonneaux de houille, 60 ou 65 mille proviennent de Charleroy, et 50 ou 55 mille des houillères de Liége ; 5 mille sont employés à la consommation de la ville de Dinant ; 18 mille environ par les villages qui bordent la Meuse, et le reste est consommé dans diverses usines ou destiné pour la France. Le minerai est pour les hauts fourneaux entre Namur et la frontière.
« En descente, ces même bateaux importent de 8 à 10,000 tonneaux, sur lesquels les ardoises comptent pour plus de 4,000. Le vin, les eaux-de-vie, le cuivre, la craie, la soude, la laine, etc., forment le reste. De Givet à Dinant le transport total peut être de 30 à 35,000 tonneaux.
« De Liège à Namur et à Maestricht, on comptait à la fin de 1833 313 bateaux : 119 au-dessus de 20 tonneaux, contenant ensemble près de 4,000 tonneaux ; et 194 d'un port inférieur, ne naviguant qu'à de petites distances. En 1826, le nombre des bateaux était aussi de 313 ; mais il y en avait 147 au-dessus de 20 tonneaux, et leur ensemble formait près de 11,000 tonneaux.
« Les produits qui s'écoulent sur Namur sont principalement la houille et le fer, et les transports vers cette ville forment en remonte plus de 100,000 tonneaux. La ville de Huy, la ville d'Andenne et les villages sur la Meuse, exigent plus de 30,000 tonneaux de houille pour leur consommation.
« En descente de Namur à Liège, le minerai, les pierres à bâtir, la chaux, etc., etc., s'élèvent en totalité à environ 150,000 tonneaux, nombre dans lequel le minerai entre pour 60,000, tirés de la province de Namur, et en grande partie de Bouillon ; la pierre calcaire ou castine, pour 20,000, et la chaux pour 6,000 tonneaux.
« De Liège sur Maestricht, pour la partie belge en aval et pour la Hollande, le mouvement était, avant la révolution, pendant les années 1828, 1829 et 1830, d'environ 300,000 tonneaux, dont 250 à 235,000 de houille, et le surplus en fer, chaux, bois, ardoises, pierres de taille, terre de pipe, alun, clous, etc., etc. Le retour, en vieux fer, en fer travaillé ou en gueuse, en poisson, beurre, genièvre, huile, fromages, graines, etc., n'était pas au-dessous de 200,000 tonneaux. Le transport de la houille occupait alors à lui seul près de 6,000 bateaux, belges et hollandais.
« Dans ces évaluations n'entrent pas les transports à petite distance et de toute saison qui se font sur des bateaux légers et d'un faible tonnage, pour les échanges réciproques et les approvisionnements des localités voisines, mais, tels qu'ils sont, les transports constatés n'approchent point de ce qu'ils seraient si la navigation n'était pas fréquemment interrompue. Un seul industriel de Liège tirerait annuellement de l'Entre-Sambre-Meuse 50,000 tonneaux de minerai de fer pour ses usines, si les communications étaient plus faciles ; bien d'autres feraient comme lui, et ce surcroît d'activité serait plus productif pour le trésor, que ne saurait l'être le plus fort péage. »
Vous voyez, messieurs, combien est importante la navigation de la Meuse sur le territoire belge, et combien est légitime l'impatience du commerce, du batelage, des riverains lorsqu'ils réclament la prompte amélioration du régime de ce fleuve. Il y a urgence, il est de l'intérêt général qu'on donne à la Meuse d'une manière permanente le mouillage qu'on peut lui donner, c'est-à-dire un mouillage qui ne descende pas en dessous de 1,50 mètre, afin qu'on puisse y naviguer en tous temps, à pleine charge. Tous les intérêts qui se trouvent compromis par l'espèce d'abandon dans lequel on laisse ce fleuve, les avantages que procurerait au pays une navigation qui ne serait interrompue que pendant quelques semaines de fortes gelées ou de fortes eaux, doivent faire regarder comme relativement peu considérable la dépense nécessaire pour améliorer son lit et construire de bons chemins de halage.
Il faut absolument que l'on donne sans retard à la Meuse une hauteur d'eau suffisante pour obtenir une bonne navigation permanente. Il faut aussi que l'on améliore les chemins de halage qui sur une infinité de points font courir aux chevaux haleurs et à ceux qui les montent de grands dangers, et qui occasionnent aux bateliers des dépenses énormes par le travail forcé et l'usure précoce de leurs agrès et de leurs chevaux. Mais pour atteindre ce but, ainsi que vous l’ont démontré à diverses reprises plusieurs honorables collègues, il faut des allocations plus fortes que celles qui ont été accordées jusqu'à ce jour.
Si j'éprouve le regret de ne pas me trouver toujours d'accord avec l'honorable M. Delfosse sur les questions militaires, parce que nous n'envisageons pas les questions de nationalité et d'indépendance du pays au même point de vue, je suis heureux de pouvoir me rencontrer avec lui sur la question de la Meuse. M. le ministre des travaux publics s'est plaint du peu de fondement, de l'inexactitude des reproches qui lui ont été adressés par cet honorable membre. Je reconnais que M. le ministre, en présence surtout du fait mentionné par lui, qu'un ingénieur distingué du conseil des ponts et chaussées prétend qu'il faut encore au moins un an d'études avant qu'on puisse être fixé sur la question de la dérivation de la Meuse dans la traverse de Liège, ne peut s'engager légèrement dans une dépense aussi considérable que celle qu'entraînera ce travail. Mais d'un autre côté, cette question ayant été examinée et étudiée à fond par un autre habile ingénieur, par M. Kummer, j'espère que M. le ministre prendra des dispositions propres à hâter autant que possible la solution de cette importante question.
Je m'explique et je ne puis ne pas trouver bien légitime, bien naturelle, la vivacité des réclamations de l'honorable M. Delfosse, quand je réfléchis que jusqu'ici rien n'a été fait pour garantir la ville de Liège, et les nombreuses populations qui l'entourent, du fléau qui les désole tous les ans. Le moment est arrivé, messieurs, en servant les intérêts généraux, de protéger la ville de Liège. Si, par l'intermédiaire de ses députés, ses plaintes sont vives, sont amères, c'est que jusqu'ici sa détresse n'a touché aucun gouvernement ; mais, pour elle, j'espère en vous, messieurs ; j'espère que vous ne vous montrerez pas insensibles à ses malheurs et que vous saisirez l'occasion qui se présente de vous montrer justes à son égard. Tous les ans, Liège souffre profondément par l'effet des inondations, et en accordant les fonds nécessaires pour la dérivation de la Meuse dans sa traverse, tout en favorisant une mesure d'une utilité évidemment générale, vous viendrez en outre en aide à cette ville si importante, si intéressante, si populeuse, si industrieuse, et vous ferez une bonne chose, vous ferez une chose grande et utile.
L'honorable M. Delfosse vous a entretenus principalement des travaux à faire à la Meuse, dans la province qu'il a l'honneur de représenter ; qu'il me soit permis de mon côté d'indiquer ceux que réclame la province de Namur, et d'insister pour qu'ils soient mis à exécution le plus tôt possible.
Les travaux d'amélioration qui doivent être exécutés dans la province de Namur sont les suivants :
1° On doit faire des travaux de barrages ou de redressement aux îles du Bac-du-Prince, d'Hermeton, d'Abron, d'Hastières, de Moniat, du Pont-Saint-Jean, d'Anhée, d'Yvoir, de Champenet, (page 1478) de Très Douce, de Dave, de Wepion, de Wastifrotte, de la Plante, de Beez, de Sclayen, de Seilles, d'Andenne, de Rieudot ;
2° Améliorer les courants : de Ranle, près de Waulsort, de Leffe, près de Dinant, de Coneau, de Houx, de Godine, de Frappecul, de Samson ;
3° Enlever les roches et gravier gênant la navigation : à Fidevoye, à l'aval du confluent du Bocq, à Godine, à Tailfer, au pont de Meuse à Namur, àu Gué des Grands Malades, A Andenelle ;
4° Améliorer les ports de déchargement aux rivages du Jeu des Balles et des Tanneries, à Dinant, et construire un port au rivage de Grognon, à Namur. Les deux premiers de ces ports ont été si mal construits qu'on ne peut y aborder, et que le plus souvent les bateliers sont obligés d'aller chercher d'autres endroits pour opérer leurs déchargements.
L'utilité et nécessité de la construction du port de Grognon à Namur ont été démontrées à l'évidence dans les discussions qui ont eu lieu l'année dernière an conseil provincial de la province. Namur, qui est la ville la plus importante de cette province, n'a plus un seul port dont elle puisse se servir. Celui de Gravières est inabordable à basses et hautes eaux. Celui de la Plante est impraticable et abandonné par suite de sa construction et de son éloignement de toute la ville.
5° Faire de bons chemins de halage.
Ces divers travaux coûteront environ 4,000,000 de fr., d'après ce que nous a dit avant-hier l'honorable M. d'Hoffschmidt, qui doit le bien savoir, puisqu'il y a un an à peine il dirigeait le département des travaux publics. Je demande que l'on ajoute cette somme à celle nécessaire pour les travaux réclamés par les honorables députés de Liège, et qu'elle soit comprise dans l'emprunt qu'on devra faire pour l'exécution des divers travaux publics reconnus les plus urgents.
Je n'ignore pas, messieurs, qu'en thèse générale, lorsqu'on doit exécuter des travaux d'une certaine importance, pour ne pas trop obérer les finances de l'Etat, on doit combiner le temps avec l'argent. Mais quand il y a avantage, quand il y a intérêt général à abréger le temps, par des allocations plus fortes, on doit le faire, et en ce qui concerne la Meuse, c'est le cas. Telle est aussi l'opinion de M. Guillery, le savant ingénieur que j'ai déjà cité. Voici ce qu'il dit à ce sujet, dans son excellent rapport, page 416.
« Le temps, on pourrait l'abréger par des allocations plus fortes, plus en rapport avec les besoins, et pour une rivière comme la Meuse, qui n'est pas seulement utile, mais nécessaire, mais indispensable, l'argent engagé dans les travaux n'est pas une dépense, c'est un placement des deniers de l'Etat.
« Rien, en effet, ne pourrait remplacer la Meuse dans les services qu'elle rend à nos diverses industries, rien ne pourrait suppléer au défaut des améliorations qu'elle réclame. L'élévation des eaux, dans leurs limites navigables, est la mesure de la prospérité des exploitations houillères et métallurgiques, des usines de toute espèce, et si, pour le pays en général, la Meuse n'est qu'un affluent du chemin de fer, pour Liège, Namur et les autres villes situées sur le fleuve, le chemin de fer, quelle que soit son importance, n'est et ne sera jamais qu'un affluent de la Meuse. »
Les travaux d'amélioration réclamés pour la Meuse sont de la nature de ceux qui, lorsqu'ils ne sont pas terminés promptement, privent d'autant plus longtemps le pays, non seulement des avantages qu'ils doivent procurer, mais encore accroissent les dépenses, parce qu'ils sont sujets à se détériorer s'ils ne sont pas complétement achevés, et qu'alors il arrive qu'on est obligé de les recommencer deux ou trois fois, avant d'avoir fini.
Messieurs, les rivières méritent autant d'intérêt que les routes. De même qu'on ne laisserait pas subsister d'entraves sur une chaussée, ou sur un chemin de fer, de même il faut faire disparaître les écueils qui contrarient la circulation des bateaux, et il faut accorder les fonds nécessaires pour relever les plans d'eau de nos rivières et réparer les chemins de halage. L'amélioration des voies fluviales doit marcher en première ligne des travaux qui intéressent le plus la prospérité d'un pays. Peu de navigation présentent une plus grande importance que celle de la Meuse ; j'espère que vous ne vous refuserez pas à accorder des allocations plus fortes pour améliorer son régime, lorsque le moment sera venu de réaliser l'emprunt dont il a été question.
M. de La Coste. - Messieurs, quand nous entrons dans cette enceinte, nous laissons en dehors toute autre qualité que celle de représentant de la nation ; il n'y a d'exception que pour les membres du cabinet. Mais ce que nous ne pouvons, ce que nous ne devons pas laisser à la porte, ce sont les impressions, les sentiments, les connaissances que nous avons reçues, éprouvés, acquises en d'autres qualités. Vous ne vous étonnerez donc pas que je vienne témoigner toute ma sympathie pour le projet qui fait l'objet de votre discussion, alors même que les témoignages que j'en aurais donnés auraient été pour moi l'occasion de quelques attaques, partage de l'homme public que je ne décline pas. Cette observation, au surplus, ne s'adresse pas à l'honorable M. Delfosse : il s'est borné à citer un fait sur lequel je m'expliquerai tout à l'heure.
La chaleur que j'ai mise dans la sympathie que je viens d'exprimer a eu pour résultat une espérance qui m'a été donnée. La réalisation de cette espérance ne m'appartient pas, elle vous appartient, elle appartient au gouvernement. Ce qui m'appartenait, c'était d'examiner si elle avait un fondement qui me parût solide.
Je ne veux pas rechercher si cette lettre dont a parlé l'honorable M. Delfosse, était autre chose qu'un simple billet ; je n'entretiendrai pas la chambre des circonstances particulières qui ont donné lieu à ce billet ou à cette lettre ; je n'insisterai pas sur la forme plus ou moins officieuse de la communication. Ce que j'ai dit ou écrit, je ne le rétracte pas ; j'ai agi avec une conviction entière, et je suis convaincu encore en ce moment que les intentions bienveillantes dont j'ai été l'organe existaient à cette époque.
Je n'ai donc rien à rétracter, et les rétractations s'accordent mal avec mon caractère. Je suis d'autant moins disposé à en faire que, quoique ce que j'ai dit ou écrit ne se soit pas réalisé jusqu'ici, ce dont certes j'éprouve du regret, il n'en est pas moins vrai qu'il y a là un nouvel engagement, un titre nouveau à ajouter à ceux que l'on peut invoquer en faveur des travaux dont il s'agit.
En effet, ce que j'ai soutenu à l'égard du Demer, est vrai aussi quant à la Meuse ; je ne puis avoir deux poids et deux mesures. J'ai dit qu'il était d'un grand poids relativement à la priorité des travaux de pouvoir invoquer des engagements du gouvernement. L'honorable M. Delfosse en a énuméré plusieurs ; je pense qu'ils finiront par emporter la balance.
J'ai dit encore que c'était déjà un engagement pris par le gouvernement que de s'être chargé de l'administration de nos fleuves, sans doute pour lui donner une salutaire impulsion. C'est là une belle mission qu'il a revendiquée à juste titre. Nos fleuves ne nous ont pas été donnés pour ravager notre territoire, mais pour exercer notre activité, pour que nous les domptions, pour que nous en fassions les agents de notre industrie et de notre prospérité.
Du moment que les circonstances que nous traversons se sont produites et qu'on a pu apprécier les besoins qui en naissent, du moment que la crise financière actuelle s'est manifestée, j'ai prévu que le gouvernement ne demanderait pas et que même il demanderait vainement un crédit de 8 millions pour ces travaux ; mais il n'en résultait pas, et rien n'est encore décidé à cet égard, qu'on ne dût pas au moins faire quelque chose.
Il faudra toujours de grands travaux pour entretenir l'activité de la nation ; il faut un but à son énergie, un objet sur lequel elle s'exerce.
On aurait tort, selon moi, de vouloir comprendre tout ce qu'il y a à faire dans un seul emprunt. Le lendemain du jour où un grand emprunt serait fait, d'autres besoins surgiraient. Je serais plus porté à admettre qu'à repousser un emprunt nécessaire pour régulariser nos bons du trésor et pourvoir à d'autres dépenses ; mais je crois que nous ne devons pas tout embrasser à la fois dans un tel emprunt, et que des allocations partielles peuvent avoir leur avantage. Quoi qu'il en soit, au point où nous en sommes on peut dire que la question de la Meuse est mûre ou au moins bien près de sa maturité et qu'on n'en peut ajourner indéfiniment la solution.
M. Lesoinne. - L'urgence des travaux à exécuter à la Meuse dans la traverse de Liège, jusqu'à la fonderie de canons, n'est contestée par personne.
Je ne m'étendrai pas longuement sur les dangers que présentent les inondations qui se renouvellent chaque année à Liège ; les effets désastreux qui en sont résultés ont été développés dans les nombreuses pétitions qui vous ont été adressées. J'en appelle au souvenir de M. le ministre des affaires étrangères, qui a pu s'en convaincre lui-même lorsqu'il est venu à Liège à la fin de l'année 1845.
Cependant les inondations n'ont guère atteint le niveau auquel sont parvenues les eaux de la Meuse dans les années 1643 et 1740 ; il s'en est fallu de près d'un mètre. Je vous laisse à penser quels ravages on aurait eu à déplorer, si les inondations s'étaient renouvelées dans les mêmes proportions.
Sous le rapport commercial et industriel, il faut se rendre compte de la situation de la province de Liège. La concurrence qu'elle a à soutenir eu Hollande contre les charbons de l'Angleterre et de la Prusse devient de jour en jour plus difficile à cause de l'irrégularité des transports et des grandes variations dans le prix du fret. Cependant les marchés pour son charbon se resserrent de jour en jour. Le gouvernement vient encore de proposer, sur la Sambre, une réduction de péages qui ne peut avoir pour résultat que de resserrer encore davantage le marché du bassin houiller de Liège.
Le gouvernement, qui, dans la session de 1844-1845, avait compris la nécessité de rouvrir à la province de Liège une partie des marchés qu'elle avait perdus, avait consenti à proposer aux chambres l'exécution (page 1479) du canal latéral à la Meuse. Mais je crois utile de rappeler les faits qui s'étaient passés auparavant ; et puisque M. le ministre des travaux publics a fait l'historique du projet de dérivation de la Meuse, qui avait été élaboré par M. l'ingénieur de Sermoise, je devrai aussi à la chambre quelques explications à cet égard.
Depuis longtemps déjà, les difficultés et les dangers de la navigation de la Meuse, dans la traverse de Liège, avaient fait sentir la nécessité de rectifier le cours de cette rivière, et plusieurs projets avaient été successivement proposés ; il y en avait même un qui avait reçu un commencement d'exécution, mais qui avait été ensuite abandonné, lorsqu'en 1842, ensuite de démarches, faites par l'administration communale de Liège, le gouvernement fit faire les études d'un projet de dérivation de la Meuse, par M. l'ingénieur en chef Gerardot de Sermoise. Ce projet qui, tout en rectifiant le cours de la Meuse, accordait au commerce et à la ville de Liège de grands avantages, fut naturellement accueilli avec faveur, et l'on fit de toutes parts de grands efforts pour en presser la mise à exécution.
M. le ministre des travaux publics s'est étendu longuement sur les sympathies que ce projet excitait alors dans la chambre de commerce, les autorités et la grande majorité de la population de Liège. Mais il n'y a pas lieu de s'en étonner, c'était encore ce que l'on nous avait proposé de plus avantageux jusqu'alors.
Il ne s'agissait que d'un intérêt purement liégeois. La proposition faite par M. Desmaisières, alors ministre des travaux publics, de substituer à ce travail à exécuter dans la ville de Liège, un projet nouveau, savoir : les barrages à construire dans la Meuse jusqu'à Maestricht, nous semblait un obstacle posé à dessein, afin d'entraver des négociations qui étaient près de toucher à leur fin.
Voilà pourquoi ce projet de barrages, qui aurait d'ailleurs nécessité des négociations avec la Hollande, n'a pas rencontré alors à Liège toute la sympathie que le canal latéral a excitée depuis. Mais depuis lors des faits nouveaux se sont produits ; la concession du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse actuellement en construction aura pour résultat d'enlever au bassin houiller de Liège le marché de la France vers la haute Meuse. D'un autre côté, la construction des canaux de la Campine va mettre Liège en communication avec les provinces de Limbourg et d'Anvers ; mais pour que ces deux provinces puissent retirer de ces nouvelles voies de communication tout le fruit que l'on est en droit d'en attendre, il faut que le système soit complété et que l'on puisse sans rompre charge arriver jusqu'aux confins du bassin houiller de Liège.
J'avais tantôt oublié une chose ; le projet de M. de Sermoise laissait de côté la question des inondations. C'était un travail d'amélioration dans la traverse de Liège, donnant un cours plus direct aux eaux de la Meuse, procurant au commerce des facilités qu'il n’avait pas possédées jusqu'alors ; mais il ne mettait nullement la ville de Liège à l'abri des inondations.
M. le ministre des travaux publics s'est loué de s'être opposé aux dépenses qu'aurait occasionnées ce projet qui eût été, selon lui, un fait regrettable.
Mais je lui dirai que jusqu'alors on ne nous avait proposé rien de mieux et qu'un inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées en avait été l'instigateur et l'avait même soutenu en sa présence.
Il ne s'agit donc plus à présent de la dérivation de la Meuse proprement dite. Il s'agit de mettre le commerce et l'industrie de la province de Liège en communication régulière avec la Hollande d'une part, et avec le Limbourg et la province d'Anvers de l'autre.
Quand il s'agit d'une voie de communication aussi importante, messieurs, le travail d'exécution doit être continu ; il doit l'être, parce que la partie du royaume que cette voie de communication traverse ne doit en profiter que lorsqu'elle est tout à fait achevée. Le gouvernement lui-même ne peut en retirer de fruits que lorsqu'elle est complétée. Une pareille voie de communication ne peut pas non plus passer pour un travail réclamé par pur intérêt local ; c'est un travail d'intérêt général. Car, pour la fertilisation de la Campine, comme pour le bien-être de ses habitants, il est de la plus haute urgence qu'ils puissent venir au meilleur marché possible, dans la province de Liège, pour s'approvisionner du combustible dont ils peuvent avoir besoin, ainsi que des chaux et autres engrais nécessaires à l'amendement et à la fertilisation de leurs terres.
L'influence que cette voie de communication exerce aussi sur la construction des voies de communication ordinaires, routes, etc., peut être évaluée à plusieurs milliers de francs par lieue de cinq kilomètres.
Tous ces avantages, messieurs, ont été compris, j'en suis certain, par M. le ministre des travaux publics. Les conversations que j'ai eues avec lui, à cet égard, ne me laissent aucun doute.
Je suis généralement sobre d'interpellations en séance publique. Lorsque je vois le gouvernement marcher dans une voie bonne et régulière, quand il s'agit de proposer des choses utiles au pays, je veux lui en laisser tout l'honneur.
M. le ministre des travaux publics a cependant dit que la question du canal latéral à la Meuse était le fait du gouvernement seul. Je compte assez sur la justice et l'impartialité de l'honorable M. Dechamps, pour qu'il convienne que les députés de Liège lui ont signalé les inconvénients qui résulteraient pour la province de Liège de la construction du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse, et que moi-même j'ai eu l'honneur de lui dire : Puisqu'on nous enlève le marché de la France, qu'où nous rende au moins le marché delà Hollande.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - C'est vrai.
M. Lesoinne. - Je dois rendre justice à l'honorable M. Dechamps ; il a parfaitement compris cette question et il l'a menée à bonne fin avec toute la franchise et toute la loyauté qu'un homme est capable d'apporter dans une pareille négociation.
J'ai été, messieurs, moins heureux vis-à-vis de l'honorable ministre des travaux publics actuel. Je comptais cependant sur sa promesse, et je suis encore à me demander aujourd'hui ce qui a pu empêcher de la mettre à exécution.
La résolution n'a été prise que très tard : témoin la lettre que l'honorable M. de La Coste avait bien voulu communiquer à la députation permanente de Liège, avec autorisation de la publier. Je ne sais réellement à quoi attribuer ce retard dans l'exécution d'une promesse formellement faite.
Dans la réponse donnée par le gouvernement à la section centrale et qui se trouve annexée au rapport, ce travail est divisé. Il y a même, je dirai, un travail d'une matière mixte, qui doit servir en même temps à la dérivation de la Meuse et au canal latéral à la Meuse. Cette partie du travail pouvait sans inconvénient être mise à exécution cette année. Rien, messieurs, ne s'y opposait, et je pense que rien ne s'y oppose encore aujourd'hui.
L'honorable M. Delfosse, mon honorable collègue de Liège et moi, nous avons signé une proposition pour que l'on mette immédiatement cette partie du travail à exécution. J'espère que M. le ministre des travaux publics ne s'opposera pas à l'adoption de cette proposition. Il doit sentir que Liège a besoin d'être tranquillisée sur son avenir commercial et industriel, aussi bien que sur la pensée que le gouvernement a à cœur de la mettre à l'abri des inondations qui se succèdent tous les hivers.
- La séance est levée à quatre heures et demie.