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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 24 mars 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1287) M. Huveners procède à l'appel nominal à midi et demi.

- La séance est ouverte.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners fait connaître l'analyse des pièces suivantes.

« Les secrétaires communaux de l'arrondissement d'Ypres demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi au ministre de l'intérieur.


« Le sieur VaIke demande une loi qui autorise le gouvernement à lui vendre une parcelle de terrain située aux abords de la station du chemin de fer à Plasschendaele et sur laquelle M. le ministre des travaux publics l'a autorisé à construire un bâtiment. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs propriétaires du canton de Lokeren demandent la prompte discussion du projet de loi sur le notariat. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

Projet de loi portant réduction des péages sur la Sambre canalisée

Rapport de la section centrale

M. Brabant dépose le rapport sur le projet de loi relatif à la réduction des péages de la Sambre.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Breyne. - J'ai été chargé par la section centrale du rapport sur le projet de loi relatif à la prorogation de la loi sur les concessions des péages. La loi expire le 1er avril.

Je demande que ce projet de loi soit mis à l'ordre du jour avant la discussion du budget des travaux publics.

M. Delehaye. - Si la chambre décide qu'il y aura séance lundi, je promets d'y être. Mais tous les ans la chambre se sépare le samedi avant la semaine sainte. Il n'entre pas dans ma manière de rechercher si c'est à tort ou à raison que la chambre a pris cette habitude. Mais je dis que, cette année, elle ferait très mal de ne pas agir de même. Il est certain que, quelle que soit votre décision, mercredi la chambre ne sera plus en nombre. Quelle en sera la conséquence ? M. le ministre a demandé hier la mise à l'ordre du jour du budget des travaux publics ; il précipitera tellement la discussion que vous n'aurez pas le temps d'examiner ce budget, on étranglera la discussion. C'est ce que je veux prévenir.

Et comme il est des hommes très enchantés de voir un projet volé à la légère, je ne serais pas étonné que l'opposition ne fut dans l'impossibilité de développer ses moyens précisément parce qu'on aura voulu commencer une discussion la veille d'une séparation.

C'est un motif pour moi de demander que la chambre décide si elle se séparera samedi prochain.

Je suis porté à appuyer cette proposition, parce que je ne pense pas qu'il convienne d'enlever la discussion d'un budget important et d'autant plus important qu'il s'y rattache des questions vivement controversées depuis longtemps.

M. le ministre des finances (M. Malou). - La chambre pourra décider ultérieurement ou aujourd'hui à quelle époque elle compte se séparer ; mais j'éprouve le besoin de protester contre la portée que l'honorable préopinant attribue à la motion que j'ai faite et que la chambre a adoptée hier.

Si j'ai fait cette motion, ce n'est pas avec l'intention d'éluder la discussion, mais de faire utiliser à la chambre le temps dont elle peut encore disposer. La session est avancée, et nous avons à discuter des mesures d'une haute importance pour le pays et notamment pour les Flandres.

Lorsque j'ai fait cette proposition, messieurs, on ne pouvait croire que la discussion du projet relatif aux modifications du décret de 1831 occuperait plus de deux séances. D'un autre côté, je n'avais pas de droit de préjuger si la chambre, dans les circonstances où nous sommes aujourd'hui, s'ajournerait dès samedi, ou si, posant un acte qu'elle a déjà posé plusieurs fois, m'assure-t-on, elle resterait réunie jusque vers le milieu de la semaine prochaine. Si cette décision que je désire voir prendre, était adoptée par la chambre, il serait possible, sans étrangler la discussion, sans paralyser le moins du monde les moyens de l'opposition dont vient de parler l'honorable M. Delehaye, de terminer, sinon tout le budget des travaux publics, du moins la discussion générale et la discussion de quelques chapitres. Vous savez, messieurs, que d'après les précédents de la chambre, il y a ordinairement, pour le budget des travaux publics, plusieurs discussions générales, parce qu'il comprend des branches d'administration tout à fait spéciales. L'année dernière, par exemple, la discussion générale a été séparée de la discussion des articles et de la discussion spéciale sur chaque chapitre par un intervalle de plus de trois semaines ; et cependant il n'en est résulté aucun inconvénient.

M. Delehaye. - Messieurs, je ne suis pas étonné que l'on vienne encore invoquer la question des Flandres. C'est ordinairement le prétexte dont se sert M. le ministre des finances, lorsqu'il s'agit d'une question quelconque qu'il désire écarter.

Vous parliez de la question des Flandres ! Mais qui donc nous empêche de nous en occuper ? Qui donc a soulevé la discussion qui nous occupe ? Est-ce l'opposition ? Non, c'est le gouvernement qui a soulevé cette discussion qui n'avait aucune espèce d'urgence, aucune opportunité, et c'est le gouvernement qui est venu encore l'envenimer par les propositions nouvelles qu'il est venu nous faire ? Ne venez donc pas invoquer des motifs hypocrites, ne venez pas invoquer la misère des Flandres !

Qu'est-ce donc que le ministère a fait pour les Flandres ? Mais il n'a rien fait, il n'a absolument rien fait. Il était incapable de rien faire ; il a laissé échapper toutes les occasions de faire quelque chose d'utile. Les mesures qu'il veut prendre aujourd'hui sont inefficaces.

Messieurs, on nous dit que l'examen du budget des travaux publics donne heu ordinairement à plusieurs discussions générales. Cela est très vrai ; mais ne voyez-vous pas que si l'on scinde la discussion, elle sera encore beaucoup plus longue ?

Un membre. - Non ! non !

M. Delehaye. - Non ! me dit-on ; mais l'expérience est là. Tout ce qui aura été dit avant la séparation, sera ensuite répété et deux fois, répété,

M. le ministre des finances dit qu'il n'a pas eu l'intention d'étrangler la discussion. Je n'ai pas dit que telle était l'intention de M. le ministre, je n'ai pas l'habitude de suspecter les intentions Mais je dis que c'est là la conséquence inévitable de la marche que l'on veut suivre.

On s'empressera de voter le budget. Pourquoi ? Parce que plusieurs d'entre nous désirent retourner chez eux avant la fin de la semaine prochaine.

Je n'ai pas à examiner si ce désir est légitime. Je me contente de le signaler. La session est avancée, dit-on. Cela est vrai, mais je dois faire remarquer qu'il ne peut plus guère y avoir que deux questions importantes qui puissent nous occuper dans cette session ; c'est le budget «les travaux publics et le projet relatif à la formation d'une société d'exportation.

Eh bien ! nous examinerons pendant les vacances ces projets et ils pourront être discutés et votés avant la fin du mois d'avril. De cette manière, nous n'entamerons la discussion qu'après avoir mûrement examiné ces projets ; c'est le meilleur moyen de simplifier la discussion.

M. le président. - On propose de fixer le jour où la chambre s'ajournera, mais on m'indique aucun jour, ainsi je ne puis rien mettre aux voix.

(page 1288) M. Rodenbach. - Je pense, messieurs, que ce serait agir arec une singulière précipitation que de décider dès maintenant que nous nous séparerons samedi. Il vaut infiniment mieux de ne décider cette question qu'ultérieurement. Nous avons encore plusieurs projets importants à voter. Celui dont vient de parler l'honorable député de Dixmude doit nécessairement être voté. Celui qui nous occupe nous prendra encore quelque temps.

Je demande donc, messieurs, qu'on ne décide rien aujourd’hui quant à notre séparation. Mais si l'on proposait de la fixer à samedi, je proposerais de mon côté de la fixer à mercredi.

D'ailleurs, messieurs, il y a des antécédents ; la chambre a déjà siégé dans la semaine sainte, et cette année il y a plus de motifs que jamais pour agir ainsi. En effet nous avons plusieurs lois importantes à discuter et la session sera très courte parce qu'il y a des élections au mois de juin prochain.

Ainsi, messieurs, si quelqu'un propose à la chambre de se séparer samedi prochain, je proposerai, moi, mercredi.

M. Delfosse. - La chambre fixera quand elle voudra l'époque des vacances de Pâques, cela m'est égal, mais je demande que la discussion du budget des travaux publics ne soit pas scindée.

Vous savez ce qui est arrivé l'année dernière : la discussion du budget des travaux publics a été commencée sous un ministre et terminée sous un autre. Cela pourrait encore arriver.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - On peut très bien, messieurs, ne pas scinder la discussion du budget des travaux publics ; mais ce qui est certain, c'est qu'il serait intempestif de décider aujourd'hui quel jour on se séparera. Dans tous les cas, il ne s'agit pas de se séparer cette semaine ; continuons nos travaux et nous verrons, dans la séance de samedi, ce que nous aurons à faire. Indépendamment du budget des travaux publics, il y a une foule de petits projets sur lesquels il a été fait rapport.

M. Manilius. - La question que nous avons à décider est celle de savoir pour quand nous mettrons à l'ordre du jour le projet de loi relatif aux péages. Je ne dis pas qu'on doit décider aujourd'hui quand on se séparera, mais à toute éventualité, n'est-il pas convenable de fixer avant lundi la discussion du projet dont il s'agit ? Je proposerai de fixer cette discussion à vendredi. Le projet doit être voté avant notre séparation, puisque la loi qu'il s'agit de proroger expire le 1er avril. Si ma proposition n'était pas admise, il arriverait que samedi, lorsqu'on prendrait la résolution de se séparer, on ferait encore voter ce projet en toute hâte, et c'est ce que je désire éviter.

M. Brabant. - Messieurs, le projet de loi relatif aux péages n'a rien d'urgent. Il s'agit de proroger une loi qui autorise le gouvernement à accorder des concessions avec péages. Or, si une concession était instruite, il n'y aurait encore aucun inconvénient à la retarder de 15 jours ou un mois.

Plusieurs membres. - A la suite de l'ordre du jour.

- La chambre décide qu'elle discutera le projet à la suite des objets qui se trouvent déjà à l'ordre du jour.

Projet de loi réprimant les offenses à la personne du roi

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion continue sur l'article premier.

M. Delfosse. - Messieurs, le projet de loi que nous discutons touche à trois choses que je respecte infiniment et que M. le ministre de la justice paraît respecter fort peu ; il touche au jury, à la presse, à la royauté.

Le verdict d'acquittement prononcé par le jury a donné le jour au projet de loi. Ce verdict a fait naître dans l'âme de M. le ministre de la justice je ne sais quels sentiments de colère et de dépit, qui paraissent lui avoir troublé momentanément la raison.

Si M. le ministre de la justice n'avait pas eu l'intelligence quelque peu obscurcie par la passion, serait-il venu nous présenter un projet de loi qui punissait sévèrement l'offense à la personne royale, même involontaire, même dégagée de toute intention méchante, de toute censée coupable ?

L'exposé des motifs fait foi que telle était dans le principe la portée de l'article premier.

La section centrale, sentant ce qu'il y avait de monstrueux dans cette disposition, a déclaré hautement qu'elle n'entendait punir l'offense à la personne royale qu'autant qu'il y aurait intention coupable. M. le ministre de la justice s'étant rallié à cette déclaration, et il ne pouvait faire autrement, nous resterons à cet égard dans le droit commun. Mais c'est à la section centrale qu'il faut en savoir gré ; la section centrale s'est montrée plus calme, plus sage, plus réfléchie que M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice aura peut-être cherché à se faire en haut lieu un mérite de sa grande colère et de sa raison.....perdue.

M. le président. - M. Delfosse, modérez, je vous prie, vos expressions.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - M. le président, laissez aller l'orateur.

M. Delfosse. - J'ai l'habitude d'exprimer franchement mon opinion ; je soutiens, et je suis dans mon droit, qu'il faut avoir l'intelligence obscurcie pour venir présenter à la chambre des dispositions aussi contraires au droit commun que celles qui puniraient une offense même involontaire, une offense commise par un fou, ainsi que l’honorable M. Castiau le disait hier. Je maintiens les paroles que j'ai prononcées. Remarquez bien, M. le président, que je parle d'une intelligence momentanément obscurcit, je ne prétends pas que ce soit un état permanent.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Vous êtes bien bon ; je vous remercie !

M. Delfosse. - Aimeriez-vous mieux qu'on inculpât vos intentions ?

« Cette grande colère, aura dit M. le ministre de la justice, prouve mon vif attachement à la royauté ; j'ai été indigné d'un acquittement scandaleux ; j'ai été navré de l'échec subi par la loyauté ; je n'ai pas su maîtriser le premier mouvement d'indignation ; si je l'avais pu, si la Constitution l'avait permis, j'aurais, dans le premier moment, brisé le jury comme verre. »

Si ce langage a été tenu, et pour qui connaît M. le ministre de la justice, il n'est pas impossible qu'il l'ait été, j'ai la conviction que S. M. n'aura pas pris le change ; j'ai la conviction que S. M. aura su démêler, sous cette grande et feinte colère, le petit dépit, le mouvement de vanité qui a fait agir M. le ministre de la justice ; S. M. aura pensé, comme l’honorable M. Castiau (que S. M. et mon honorable ami me pardonnent la comparaison : si l'un est roi par le choix de la nation, l'autre l'est par la magnificence du langage), Sa Majesté aura pensé que M. le baron d'Anethan veut couvrir les guenilles ministérielles du manteau royal.

Le verdict du jury n'est pas un échec pour la royauté, mais il en est un pour M. le ministre de la justice qui, après être resté froid pendant des semaines, pendant des mois entiers, s'est avisé tout à coup d’être ému et indigné et d'ordonner des poursuites. Il y a de ces petits chocs auxquels la royauté résiste facilement, (erratum, p. 1315) mais qui ébranlent les ministères.

Nous n'avons pas à nous prononcer sur le verdict du jury ; les débats ayant eu lieu à huis clos, nous ne connaissons pas les moyens que la défense a fait valoir, les éléments de conviction nous manquent.

Je ne puis donc m'associer à ceux qui se déchainent contre ce verdict, qui le déplorent comme un scandale. Je le puis d'autant moins qu'il y a, gravée dans mon cœur, cette sage maxime : que la condamnation d'un innocent fait plus de mal à la société que l'acquittement de cent coupables.

Le verdict du jury ne pourrait me paraître regrettable, déplorable qu'à un seul point de vue, c'est qu'il aurait fait perdre à Sa Majesté une belle occasion d'exercer la plus précieuse de ses prérogatives.

Louis XII disait : « Le roi de France ne se souvient pas des injures adressées au duc d'Orléans. »

J'aime à croire que Sa Majesté, si une condamnation eut été prononcée, aurait dit : « Le Roi des belges ne se souvient pas des injures adressées au voyageur en Suisse. »

Un tel acte de clémence, une telle preuve de grandeur d'âme aurait placé la royauté plus haut, l'aurait mieux abritée contre de misérables attaques que tous les réquisitoires, que tous les projets de loi de M. le baron d'Anethan.

Ce qui me déplait surtout dans le projet de loi, ce qui m'indigne, c'est que l’on veut exploiter un bon sentiment pour arriver à un résultat odieux, c'est que l'on veut se servir, contre la liberté de la presse, de l’attachement que la chambre porte à la royauté. C'est là ce que je ne puis pardonner à M. le ministre de la justice.

En vain M. le ministre de la justice dira-t-il que la liberté de la presse restera intacte ; que l'on aura toujours la garantie du contrôle des chambres et de l'intervention du jury ; qu'il ne s'agit en définitive que de faire la guerre aux petits journaux, à la mauvaise presse, à celle qui vit d'injures et de calomnie et qui doit être pour tous un objet de mépris et lie dégoût.

Messieurs, c'est là le langage que tous les gouvernements tiennent lorsqu'ils viennent proposer de mauvaises lois, des lois d'exception. Ils ont toujours soin de dire, pour obtenir ces lois, qu'ils ne veulent frapper que les mauvais citoyens, ceux qui jettent le désordre et le trouble dans la société. Mais l'histoire est là pour nous apprendre que quand les lois sont votées, on ne s'en sert que trop souvent pour atteindre les citoyens les plus honorables, les plus dévoués à leur pays. L'honorable M. Castiau ne vous a-t-il pas rappelé hier que Béranger, l'une des gloires de la France, a été traîné devant une cour d'assises ?

Sans doute, le jury acquitte, mais n'est-ce donc rien que d'avoir été poursuivi ? N'est-ce rien que d'avoir dû se défendre ? N'est-ce rien que d'avoir dû s'asseoir sur le banc des accusés ? Et faut-il mettre plus qu'ils ne le sont les écrivains à la merci des caprices d'un ministre ou d'un procureur du roi ?

Je ne crois pas M. le ministre de la justice, lorsqu'il nous assure qu'il n'en veut qu'à la mauvaise presse, qu'aux petits journaux qui vivent de calomnie.

Je crois au contraire que M. le ministre de la justice en veut beaucoup plus à la grande presse de l'opposition, à la presse raisonnable, parce qu'il sait que c'est celle qui lui fait le plus de mal, que c'est elle seule qui lui fait du mal.

Si M. le ministre de la justice avait le choix de supprimer les grands ou les petits journaux, les petits journaux, j'en suis sûr, seraient ceux qui continuerait ut à paraître.

Je vous en conjure, MM. de la majorité, n'adoptez pas celle loi. Sachez, en vue du grand bien que la presse produit, vous résigner à quelques-uns de ses excès.

(page 1289) N'oubliez pas qu'un jour (et il n'est pas éloigné peut-être) vous deviendrez minorité, et qu'alors on pourrait tourner contre vous les armes que vous aurez imprudemment livrées.

M. de Garcia. - Nous n'avons pas peur.

M. Delfosse. - Je sais que l'honorable M. de Garcia n'a jamais peur ; c'est un ancien soldat de l'empire, dont l'ardeur n'est pas encore éteinte. Je l'en félicite.

M. de Garcia. - Je n'ai pas peur des poursuites, malgré la loi.

M. Delfosse. - Je comprends, messieurs, votre respect pour la royauté ; je le partage. Mais ne croyez-vous pas que la royauté est placée dans une sphère trop élevée pour que de misérables attaques parties de bas puissent l'atteindre ? Croyez-vous que la législation qui a suffi dans les temps les plus difficiles, à une époque où toutes les mauvaises passions étaient déchaînées, où les ressentiments étaient encore si vifs, la violence de langage si grande, croyez-vous que cette législation soit devenue tout à coup impuissante ? Croyez-vous que, si l'on n'adoptait pas le projet de loi, la royauté serait en péril.

Il faudrait donc supposer que la royauté a jeté des racines bien peu profondes dans le pays ; il faudrait supposer qu'elle n'a, pour se défendre, ni le respect ni l'affection des Belges. Ce serait là une supposition injurieuse dont je laisse toute la responsabilité à celui qui a présenté le projet de loi, et à ceux qui l'accepteront.

(page 1315) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - D'après l'honorable M. Delfosse, j’aurais touché à la liberté de la presse, au jury, à la royauté.

J'examinerai en peu de mots ces trois points.

L'honorable M. Delfosse a dit aussi que ma raison avait dû être momentanément obscurcie, pour que j'aie présenté la loi soumise maintenant à la chambre.

Je n'ai trouvé dans le discours de l'honorable M. Delfosse aucune trace de cette haute raison qui eût pu lui permettre de signaler l'obscurcissement de la mienne ; je n'ai pas non plus trouvé dans son langage ces formes et cette convenance, qu'il est désirable de voir régner dans les discussions parlementaires !

Je ne répondrai pas à cette partie de son discours ; car je pense avec mon honorable collègue des travaux publics que des expressions et une forme de langage semblable font plus de tort à celui qui les emploie qu'à celui auquel elles s'adressent.

M. Delfosse. - Ce qui fait tort, ce sont les mauvais actes !

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Assurément ! Mais pour prouver qu'un acte est mauvais, il faut autre chose que des allégations et des suppositions ; il faut surtout des raisons un peu plus solides que celles mises en avant par l'honorable membre.

L'honorable M. Delfosse m'a donc reproché d'avoir touché au jury, à la presse et à la royauté.

J'ignore en quoi j'aurais touché à la royauté d'une manière peu convenable ; les dispositions que je propose ne sont-elles pas destinées à donner à la royauté des garanties plus grandes que celles qu'elle possède aujourd'hui ? Comment critiquer la proposition d'accorder de semblables garanties alors qu'on professe, comme le fait l'honorable membre, des sentiments de respect pour la royauté ? Si l'honorable membre appelle toucher à la royauté, la protéger et à défendre contre d'indignes attaques, j'accepte volontiers le reproche.

L'honorable membre ajoute que j'ai présenté le projet de loi pour flatter la royauté. Cette allégation, qui ne repose sur rien, n'est que la reproduction du reproche qui m'a été fait dans une précédente séance et auquel j'ai déjà suffisamment répondu.

Mais si l'honorable membre n'est pas en droit de me dire que je flatte la royauté, parce que rien ne justifie cette supposition, son langage m'autorise à lui dire qu'il flatte, lui, la presse, j'allais dire qu'il flatte la mauvaise presse, la presse qui vit de scandale et de calomnie ; car n'a-t-il pas donné à entendre que si les journalistes dont il s'agit avaient été condamnés, il eût été raisonnable de leur accorder grâce.

Ainsi, non seulement il veut soustraire ces individus aux dispositions nouvelles que je propose, mais encore il annonce que, s'il avait été au pouvoir, il aurait conseillé de leur faire remise des peines qui auraient pu être prononcées contre eux. Maintenant, je le demande, n'y a-t-il pas dans ce langage plus d'apparence de flatterie à l'adresse de la presse, qu'il ne peut en exister pour la royauté dans le projet de loi qui vous est soumis ?

Je viens au deuxième reproche : je me suis attaqué au jury. Et de quelle manière ? On s'est borné à articuler ce grief ; mais on s'est bien gardé d'essayer même de le prouver. Lorsque nous arriverons à la discussion des articles, j'établirai que, loin d'avoir altéré en quoi que ce soit l'institution du jury, j'ai mis au contraire le jury à même de remplir sa mission, ce que l'état actuel de la législation pourrait souvent empêcher.

Je passe maintenant à la presse. En quoi ai-je porté atteinte à la liberté dont elle jouit ? En quoi ai-je seulement cherché à la restreindre ?

Qu'ai-je demandé ? Qu'on réprime les offenses contre la personne du Roi. La loi que j'ai présentée n'a pas d’autre but, ne contient pas d'autres dispositions et pourtant l'honorable M. Delfosse trouve la loi mauvaise ; il condamne une loi qui se borne à punir les offenses ; veut-il donc que les offenses soient permises ? D'après lui n'y a-t-il de véritable liberté de la presse que si elle jouit en même temps de la liberté d'injurier et de diffamer ?

En examinant la loi que j'ai présentée, qui ne contient que deux articles relatifs aux délits de la presse, délits consistant dans des offenses contre le Roi et la famille royale, je me demande si aucun journal sérieux, aucun journal s'occupant de discussion politique, sans descendre jusqu'aux personnalités injurieuses, doit craindre que cette loi entrave en aucune façon sa liberté d'examen et de discussion.

Je pense, messieurs, pouvoir me borner à ces courtes observations, le discours de l'honorable M. Delfosse n'étant, en grande partie, que la reproduction de ceux que vous avez entendus hier.

(page 1289) M. Lebeau. - Messieurs, l'insistance de M. le ministre de la justice à me mettre personnellement en scène dans cette discussion, en affectant, pour ainsi dire à chaque séance, d'invoquer le projet de loi déposé par moi dans cette chambre il y a plus de douze années, ne m'a pas même laissé la dignité du silence.

Mon intention, je l'avoue, était de ne prendre part à cette discussion que par mon vote. Si je viens en étendre le cadre, si je viens contribuer à prolonger un débat pénible, je crois, pour tout le monde, la faute en est, il faut le dire, principalement à cette insistance singulière avec laquelle M. le ministre de la justice vient sans cesse invoquer le projet de loi de 1834.

; Je dirai d'abord que cet argument ad hominem pourrait être bon contre moi, qu'il ne signifierait absolument rien contre mes collègues. C'est une singulière coutume, messieurs, et qui est pour ainsi dire consacrée depuis plusieurs années au banc ministériel, d'argumenter toujours des faits et gestes de ceux de ses prédécesseurs avec lesquels on est en opposition. Si ce que vous avez fait est bon, justifiez-le ; s'il est mauvais, ne venez pas dire que vous avez eu le droit de le produire, parce que vos prédécesseurs ont fait du mauvais comme vous.

Ce n'est pas, messieurs, croyez-le bien, que je vienne demander une amnistie pour cette partie de ma conduite politique. Je ne suis pas le moins du monde gêné, je ne suis pas le moins du monde embarrassé de suivre M. le ministre sur le terrain où il m'a provoqué ; je regrette seulement que dans une discussion de cette nature, je sois forcé de débuter par une digression, que je rendrai du reste la plus courte possible, sur ce qu'on peut appeler la petite question, la question personnelle.

Si d'abord on veut bien examiner les circonstances dans lesquelles le projet de 1834 s'est produit, ou verra, messieurs, que rien de ce qui caractérise le projet actuel n'existe dans celui-là.

D'abord l'idée d'une complaisance quelconque, pour ne rien dire de plus, envers la Couronne, ne pouvait pas être éveillée dans les esprits par la présentation du projet de 1834. Si c'eût été une flatterie, c'eût été une flatterie posthume. Car lorsque le projet de révision du Code pénal a été déposé en 1834 sur le bureau de cette chambre, le ministre qui le présentait, avait donné sa démission. Il avait donné sa démission et il avait quitté les affaires sans aucun souci, sans aucune préoccupation de ses intérêts personnels. MM. de Theux et d'Huart peuvent en rendre témoignage.

Voilà, messieurs, une première différence à constater dans les circonstances qui ont accompagné la présentation des deux projets de loi.

Ensuite, qu'était-ce que le projet de loi de 1834 ? était-ce un projet de circonstance, un projet de réaction, un projet spécial ? C'était un projet de révision du code pénal tout entier, un projet qui consacrait en principe non pas l'aggravation des peines, mais l'atténuation sur toute l'échelle des peines criminelles et correctionnelles, en matière politique spécialement.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Cinq ans d'emprisonnement pour les offenses au Roi ; deux ans de plus que nous ne proposons.

M. Lebeau. - Ensuite ce projet de loi était en grande partie calqué (car la commission qui l'avait élaboré sous la présidence du ministre de la justice, n'avait pas cru faire acte d'humilité en consultant les précédents) sur les lois françaises votées ou formellement maintenues après la révolution de juillet. Je dirai qu'on en différait seulement en ce point que dans presque toute l'échelle des peines en matière politique, on allait souvent plus loin en fait d'atténuation que le système qui venait de prévaloir en France.

Si ce projet discuté pour lui-même, dans l'absence de toute considération de circonstance, venait s'offrir aux délibérations de la chambre, je soutiendrais probablement, quoique les circonstances soient bien changées, après douze ans de consolidation et de relations amicales avec tout ce qui nous entoure, la plupart des dispositions qui y ont été insérées, et qui concernent la protection due à l'inviolabilité de la Couronne.

Mais, messieurs, y a-t-il la moindre analogie dans les situations, et ai-je besoin d'insister plus longtemps auprès de la chambre pour lui faire comprendre, quant à la question de convenance, d'opportunité, de nécessité, l'immense différence qu'il y a entre les deux projets de loi ?

Messieurs, à l'apparition du projet de loi dont la chambre est saisie, savez-vous quels ont été les mots qui sont sortis de presque toutes les bouches ? Et je les ai entendus de la bouche même de plusieurs amis du ministère actuel. C'étaient les mois de maladresse, d'inconvenance.

Voilà, messieurs, ce que j'ai entendu dire par des amis du ministère, par des députés qui voteront sans doute pour le projet de loi, mais qui le voteront à regret, mais qui le voteront, et partout ailleurs que dans cette salle ils le déclarent, qui le voteront sous l'empire d'une contrainte morale, et pour qu'on ne voie pas dans leur vote négatif une signification qui soit de nature à compromettre davantage encore ce que le ministère a compromis si légèrement.

Et les 35 volants d'hier, auxquels j'ai bien du regret de ne m'être pas joint pour renvoyer vos improvisations à l'examen de la section centrale, les 35 votants d'hier, ne savez-vous pas quelle signification vous devez attacher à leur manifestation ? Ne voyez-vous pas dans ces 35 votants plusieurs de vos amis politiques ? Si M. le ministre, à la vue de pareils sentiments, persiste dans l'optimisme où il paraît être à l'égard de son projet de loi, je ne sais vraiment ce qu'il faut penser de l'aveuglement de certains hommes politiques.

Tout le monde, messieurs, les uns le disant tout haut, les autres le disant tout bas, tout le monde dit que le projet de loi pèche surtout par son origine.

Par la précipitation si peu convenable avec laquelle il a été présenté, et par le caractère de réaction puérile que lui imprime la coïncidence de sa présentation avec le fait qui y a donné lieu, savez-vous ce que vous avez fait ? Vous avez parodié la conduite imprudente d'un ministère français, qui, après un acquittement bien autrement important, dans l'affaire de Strasbourg, était venu saisir la chambre des députés du projet de loi de disjonction, projet de loi que la majorité a repoussé et par lequel elle a renversé le cabinet. Il s'agissait cependant là, je le répète, d'un fait bien autrement grave que ceux dont vous vous prévalez pour justifier la présentation du projet de loi.

La discussion actuelle, messieurs, est essentiellement inopportune, essentiellement imprudente, essentiellement impolitique. C'est au moment même où vous avez combattu la proposition de modifier dans une mesure bien timide la loi électorale, où vous l'avez combattue au nom de la stabilité des lois organiques, au nom des intérêts matériels, qui réclament, selon vous, tous les instants de la chambre, c'est dans ce moment que vous venez toucher à ce qu'on a appelé, avec autant d'esprit que de raison, la fibre la plus frémissante de notre organisme politique ; et vous l'avez fait avec cette singulière imprévoyance d'imaginer que, parce que vous avez tracé un tout petit cercle dans lequel vous aviez la prétention d'enfermer la discussion, une discussion sur la liberté de la presse, sur la première, la première, l'entendez-vous ! de nos garanties constitutionnelles, vous vous êtes imaginé que la chambre consentirait à s'y renfermer avec vous ; vous avez fait comme ces enfants qui joueraient avec des allumettes phosphoriques dans un magasin à poudre et qui seraient tout surpris de voir l'incendie éclater autour d'eux.

Voilà ce que c'est que la presse, le sujet le plus inflammable de tout débat parlementaire. Quand vous essayerez d'y toucher, vous ne pourrez être absous de cette tentative que lorsque l'opinion publique vous aura devancés, que lorsque des abus graves, nombreux, auront démontré la nécessité de combler une lacune évidente dans la législation.

El, non contents d'avoir provoqué à plaisir, presque à la fin d'une session et d'une session si chargée, d'avoir provoqué une discussion irritante dont le terme ne peut jamais être déterminé, non contents de cela, vous venez improviser, pour ainsi dire, un code tout entier ; vous venez improviser aujourd'hui une révision presque générale de la législation de la presse, et vous voulez que cette révision soit en quelque sorte votée au galop ! Est-ce assez d'imprévoyance ?

Arrivant au fond de la question, je dirai que nous sommes partisans de l'inviolabilité royale, tout au moins autant que M. le ministre de la justice. Je suis, quant à moi, et je l'ai toujours déclaré, je suis partisan sincère de la monarchie. Si je ne l'étais pas, je ne le dirais point. Si j'étais partisan du système républicain, je ne le cacherais pas. Je respecterais sans doute les institutions de mon pays, mais je ne cacherais pas mes doctrines ; la république n'est pas un système de gouvernement barbare, extravagant, qu'un homme honorable ne puisse pas avouer.

Je n'ai pas besoin, messieurs, de fouiller dans l'histoire, de faire remarquer que les institutions républicaines ont porté la prospérité de certains Etats à un très haut degré de splendeur ; je n'ai pas besoin de faire de l'érudition facile, de parler de Venise, de Gènes, de Florence, de la Suisse, de la Hollande, des Etats-Unis, de dire que l'anarchie n'a pas marché dans ces Etats à la suite des institutions républicaines, qu'il en est même aujourd'hui dont la prospérité matérielle dépasse peut-être celle de toutes les monarchies. Ainsi, messieurs, qu'on ne me suppose pas d’arrière-pensées ; je suis partisan de la monarchie ; je le répète, si je ne l'étais pas, je ne le dirais pas. Mais je veux la monarchie en 1847, comme je la voulais en 1830, je la veux avec la raison et la réflexion, et non pas avec une sorte d'adoration et de superstition qu'il serait fort étrange de voir régner 17 ans après les révolutions de juillet et de septembre.

(page 1290) Je yeux l'inviolabilité royale, et je la veux en fait comme en droit. Je dirai même qu'à mon avis il y a une circonstance qui rend les attaques contre la royauté plus odieuses, plus méprisables que les attaques contre les autres institutions et contre les citoyens ; c'est qu'il y a dans ces attaques une grande lâcheté. Je concevrais de semblables attaques dans un gouvernement puissant, dans un gouvernement presque absolu ; mais dans un gouvernement où le pouvoir est soigneusement limité comme il l'est chez nous, les attaques contre la royauté, les attaques contre la famille royale sont surtout odieuses à mes yeux, parce qu'elles sont lâches, parce que le Roi et la famille royale sont en quelque sorte en dehors du droit commun, qu'ils ne peuvent pas venir se défendre, qu'ils ne peuvent pas entrer dans la polémique, comme chaque citoyen peut le faire, pour se défendre.,

El puis, messieurs, ce qui m'indigne encore dans les attaque dirigées contre la royauté, c'est qu'elles ne sont pas nécessaires, c'est que dans nos institutions elles sont complètement inutiles. Tout acte politique du Roi est attaquable par cela seul qu'il est contresigne par un ministre, et dès lors pour nous le ministre seul est en présence, la royauté doit disparaître complètement.

Ce n'est pas, du reste, la faute du ministère si ces théories si justes, si conservatrices, et qui sont la base de la monarchie représentatives, n'ont pas été méconnues ; ce n'est pas la faute surtout de M. le ministre de la justice. Nous l'avons vu, dernièrement, avec un royalisme que chacun de nous a pu apprécier, nous l'avons vu soutenir, dans le journal officiel, que la Constitution avait donné à la couronne des attributions purement personnelles, et des attributions constitutionnelles ; de sorte que si le Roi, dans l'exercice du droit de grâce, abusait un jour de son pouvoir de manière à révolter le sentiment général, à blesser l’opinion même la plus modérée, la plus philanthropique, ce ne serait pas au ministère qu'il faudrait s'en prendre : cette prérogative est inhérente à la personne du Roi ; quant au ministère, il s'en laverait les mains ; il ne quitterait pas son banc..... Voilà, je crois, ce que surtout ou voulait établir. (Interruption.)

Je sais bien qu'au sénat, dans cette assemblée si antiroyaliste, si ultra-démocratique, l'orthodoxie constitutionnelle de M. le ministre de la justice, a tellement révolté les esprits, ses prétentions à l'inviolabilité ministérielle en matière de droit de grâce, ont paru si singulières, son hérésie si monstrueuse, hérésie consignée en toutes lettres et en gros caractères dans le journal officiel, que force a été à M. le ministre de battre en retraite et de déchirer le Moniteur et l'article dans lequel on avait étalé cette étrange doctrine.

Si donc quelque pamphlétaire ignorant avait pris M. le ministre de la justice au sérieux, il se serait dit : « Puisque je ne puis attaquer le ministre, la Constitution disant que le droit de libre discussion est garanti, il faut bien que j'attaque le Roi. » Cela est évident ; si donc ou avait commis, à l'occasion de l'exercice du droit de grâce, une offense, une aberration de nature à mériter d'être réprimée par les tribunaux, M. le ministre de la justice serait complice d'un pareil fait.

Je dirai maintenant un mol de l’article premier qui était d'abord tout le projet de loi et qui a servi de prétexte à tout ce qu'on est venu demander depuis.

J'avouerai volontiers que le mot méchamment est une espèce de pléonasme législatif, surtout quand il s'agit de l'injure et de la calomnie. S'il s'agissait, je le répète, d'un projet à priori, du projet général de réforme du Code pénal, je ne serais pas éloigné de consentir à l'abandon de cette épithète.

Mais c'est une erreur bien grave d'imaginer qu'en retranchant une épithète du texte d'une loi pénale, et surtout d'une loi répressive des délits de la presse, on influera le moins du monde sur les décisions des jurés ; supprimez vingt fois le mot méchamment, et j'en appelle ici au bon sens de la chambre entière, bien évidemment vous n'aurez pas une condamnation de plus, vous n'aurez pas un acquittement de moins.

La cause de ce qui se passe dans certains procès politiques, est ailleurs. Voulez-vous que je vous dise toute ma pensée sur le caractère de certains verdicts prononcés en matière politique ?

Mon opinion est que ce sont souvent des actes d'opposition politique, irréguliers, regrettables, condamnables même, si vous le voulez, mais inévitables ; et quand vous auriez effacé le mot méchamment, si le jury continue à acquitter, vous n'aurez plus rien pour sauver le scandale d'un pareil acquittement ; vous aurez effacé vous-même le prétexte à l'aide duquel vous parvenez aujourd'hui à faire prévaloir plus ou moins cette idée, qu'il n'y a pas eu acte d'opposition politique, mais acte d’impuissance judiciaire dans le verdict du jury.

Le jury ne s'arrête pas devant de pareilles futilités, le jury ne s'arrête pas devant des subtilités de forme et de procédure.

En France, tout récemment, devant la cour d'assises de la Seine, un procès politique a été intenté à un des journaux de l'opposition la plus avancée ; il s'agissait d'une attaque contre l'intervention personnelle de la Couronne dans la politique. Et savez-vous comment le défenseur s'est expliqué devant cette cour ? Il a eu quelque sorte renchéri sur le langage de la feuille incriminée, loin de chercher à l'atténuer ; et savez-vous quelle a été la suite de cette poursuite et d'une plaidoirie en quelque sorte aggravante du délit ? Un verdict d'acquittement.

Messieurs, je me borne à raconter, je ne justifie pas ; l'institution du jury a assez d'avantages par elle-même, pour qu'on n'ait pas besoin de la flatter et de dissimuler quelques-uns de ses inconvénients. Mais le jury est avant tout l'expression de l'opinion du pays, avec sa vivacité, et parfois avec ses écarts.

C'est ainsi que vous verrez presque systématiquement les journaux légitimistes poursuivis en France, frappés de condamnation, les journaux de l'opinion contraire presque systématiquement renvoyés absous.

Messieurs, quoi que vous fassiez, et encore une fois je ne fais ici que l'office de narrateur, quoi que vous fassiez, vous n'échapperez pas à l'omnipotence du jury ; on peut dire contre cette omnipotence beaucoup de belles choses. C'est un fait inévitable ; il faut en prendre son parti ou détruire l'institution.

Cette omnipotence est si réelle, que si vous sortez même du domaine de la politique, que si vous renfermez le jury dans un cercle d'idées et de sentiments bien plus calmes que les agitations politiques, vous le verrez réformer en quelque sorte la législation, là où la loi paraît plus sévère que l'esprit public, l'opinion publique ne le comporte. N'a-t-on pas vu le jury en France, dans certains cas, aller jusqu'à déclarer, dans une accusation de parricide, des circonstances atténuantes ! Savez-vous ce que cela voulait dire ? Cela voulait dire que ces jurys étaient contraires à la peine de mort.

Quand vous aurez effacé le mot méchamment de votre loi, si le jury fait de l'opposition, comme on en fait surtout dans un pays où l'éducation constitutionnelle n'est pour ainsi dire qu'ébauchée, vous aurez encore des verdicts d'acquittement, non parce que le jury aura approuvé plus on moins le fait spécial sur lequel il aura été appelé à statuer, mais parce que le jury fera par là de l'opposition à sa manière, ce qu'assurément je n'approuve pas, mais ce à quoi je me résigne, par respect pour cette grande garantie des libertés publiques.

Messieurs, j'ai parlé tout à l'heure, et je dois y revenir, de l'imprudence avec laquelle M. le ministre de la justice a découvert la royauté dans une circonstance toute récente. Cela a été au point, je le répète, d'avoir éveillé la susceptibilité de l'assemblée qu'on est convenu de regarder comme la plus conservatrice de notre système parlementaire.

Si la couronne a été exposée, à cette occasion, à quelques attaques, par les imprudences mêmes du ministère, dans le passé nous trouverions aussi beaucoup à dire sur ce point.

Je ne veux pas me livrer, sous ce rapport, à une revue longuement rétrospective, quoique le ministre de la justice, par le projet de loi qu'il présente et l’insistance avec laquelle il a mis ses prédécesseurs en scène, ait justifié d'avance une telle digression ; je ne veux pas aller bien loin ; je ne veux pas m'étendre sur ce qui s'est passé en 1839 dans les chambres et dans le pays ; on a fait jouer alors à la couronne un singulier, un bien triste rôle aux yeux d'un pays peu familiarisé avec les fictions, avec les distinctions constitutionnelles. Je préfère rendre tout ce que j'ai à dire sur cet épisode politique, par quelques mots prononcés par un de vos plus fermes soutiens. Voici ce qu'on disait dans la séance du 5 mars 1839 :

« Le gouvernement du Roi, par son incurie, sa duplicité, ses abus de confiance, pour ne rien de plus, a tout compromis : l'armée, les finances, le pays, son honneur, celui de la chambre, sa dignité, etc. »

C'est l'honorable M. Doignon qui s'exprimait ainsi en 1839.

« Le gouvernement du Roi, par son incurie, etc. »

L'orateur parlait ensuite de camarilla et d'influences extra-parlementaires qui avaient pesé sur les négociations dont le traité en discussion était le résultat.

Je regrette d'avoir à vous entretenir de quelques autres faits qui me sont plus ou moins personnels, car rien au monde ne me répugne autant que d'entretenir la chambre de ce qui me concerne même partiellement.

Ce n'est pas la seule faute qu'on ait commise ; ce n'est pas la seule fois qu'on ait découvert la couronne, aux yeux du pays tout entier. Ai-je besoin de vous rappeler ce qui s'est passe au printemps de 1841 ? Ai-je besoin de vous rappeler ce qui se disait, non officiellement, mais dans le salon voisin et presque dans les couloirs de cette chambre, que, quoi que l'on pût faire contre certain cabinet, il n'y aurait pas de dissolution ; que quoi que pussent faire contre ce cabinet certains fonctionnaires députés, il n'y aurait pas de déplacement.

Voilà encore une conduite bien imprudente, bien faite pour compromettra la couronne, bien faite pour mettre en question devant le pays tout entier, et aux yeux d'une opinion profondément blessée, une impartialité qui ne devrait jamais être mise en doute.

Quand sur les ruines de ce cabinet d'autres cabinets se furent successivement élevés, il devint de bon ton d'écrire, de lancer des épigrammes, des sarcasmes contre le régime parlementaire, ce régime parlementaire pour lequel deux grandes nations, l'Angleterre et la France, ont fait chacune deux révolutions.

Le gouvernement parlementaire était présenté pour ainsi dire comme une doctrine impie, comme une doctrine anarchique, comme portant atteinte aux premiers droits de la couronne, et la négation du gouvernement parlementaire, savez-vous ce que c'est ? C'est la glorification du gouvernement personnel ; c'est la théorie la plus imprudente qu'on puisse produire dans un pays de libre discussion. Et savez-vous ce que c'est que la réaction, l'inévitable réaction contre la glorification du gouvernement personnel ? C'est l'acquittement du National, à Paris, dans l'année 1847.

Dans les élections, s'est-on fait faute de découvrir, de compromettre la couronne ? A-t-on hésité à associer en quelque sorte son action aux intrigues les plus basses ? Cette intervention, je sais qu'on la niera. L'opposition n'apportera pas à l'appui de son dire des actes authentiques ; mais cette intervention est notoire ; elle a été provoquée, engagée de la manière la plus imprudente, et la couronne a été dans un mesquin (page 1291) intérêt de portefeuille, associée à des échecs électoraux. Voilà ce qui est notoire ; on niera, j'affirme, le pays jugera.

M. Rogier. - Il y a des preuves ; on n'oserait nier.

M. Lebeau. -Et l'on s'étonnera, en présence de tels faits, que chacun dans sa conscience doit déclarer vrais, on s'étonnera que des journalistes méconnaissent le dogme de l'irresponsabilité royale ; eh, messieurs, s'il faut s'étonner d'une chose, c'est que la presse sérieuse, la seule qui devrait occuper des hommes sérieux, c'est que la presse sérieuse ne se soit pas départie un instant, malgré les coupables imprudences des ministres, de son respect pour la prérogative royale, pour l'inviolabilité royale.

Messieurs, vous vous faites étrangement illusion sur l'effet de quelques innocentes et puériles modifications dans le texte des lois. Au risque de tous fatiguer par des redites, dont je laisse une grande partie de la responsabilité à M. d'Anethan, je vous dirai que bien des anomalies peuvent s'expliquer dans notre pays par l'état anormal du pouvoir, et peut-être ne faut-il pas chercher ailleurs le fait qui a servi de motif au projet de loi actuel. Je l'ai dit dans d'autres circonstances, il y a certains noms, honorables sans doute à beaucoup d'égards, et qui se croient bien innocents du fait ; mais il y a certains noms dont l'apparition dans les régions du pouvoir donne le vertige à un pays.

Naguère un journal, qui passe pour être en très bonnes relations avec M. le ministre des affaires étrangères, disait à peu près ces paroles « M. de Theux se croit peut-être appelé à sauver la Belgique ; nous l'avertissons que, malgré ses excellentes intentions, il est plutôt exposé à la perdre. »

Un ami du cabinet actuel (puisqu'on oublie ses patriotiques avertissements, nous sommes obligés de les rappeler) ne disait-il pas que l'avènement du cabinet actuel était un anachronisme, sinon un défi ? N'avez-vous pas vu, à l'avènement de ce cabinet, de cet anachronisme, de ce défi, des hommes d'un caractère prudent jusqu'à la timidité, des hommes essentiellement conservateurs, essentiellement monarchiques, même aux yeux de la majorité, n'avons-nous pas vu M. Liedts, M. Pirmez, M. Dolez, passer dans l'opposition, et voter avec nous pour la retraite de ce cabinet, donnant ainsi un patriotique et salutaire avis à la couronne ?

M. Dolez, que vous accabliez l'autre jour de vos éloges, mais ce même M. Dolez, il y a moins d'un an, vous disait que devant un ministère qui donnait le vertige au pays, les libéraux eux-mêmes, les libéraux conservateurs seraient débordés. Alors, M. Dolez, que vous saluez aujourd'hui comme une sorte de providence, était un rêveur, un songe-creux, un faiseur d'idylles politiques. Je me suis donné la peine de relire ce matin quelques-uns des journaux qui vous appuient, les mêmes journaux qui portent aujourd'hui avec vous M. Dolez aux nues, et j'ai vu qu'ils n'avaient pas assez de sarcasmes, pas assez d'épigrammes, je dirai même pas assez d'injures contre cet honorable membre, parce qu'il s'était prononcé avec énergie contre le ministère de M. de Theux.

Il y a moins d'un an, M. Dolez vous disait que si vous continuiez à siéger à ce banc où vous n'avez pas le droit de siéger, parce que vous êtes dans le pays une minorité, une minorité constatée par cinq ou six ans de défaites électorales, les hommes les plus attachés à nos institutions, les hommes les plus éloignés de toute extrémité, de tout trouble, de tout bouleversement, de tout esprit de réforme imprudente, seraient débordés. Cette prédiction, messieurs, on l'avoue, est jusqu'à un certain point accomplie. Vous devriez en gémir, vous surtout, messieurs, si vous mettiez les vrais, les permanents intérêts de votre opinion avant vos fugitifs, vos mesquins intérêts de siège parlementaire et de portefeuille. Mais non, vous vous en réjouissez, et vous vous liguez avec ceux que naguère vous appeliez, très injustement sans doute, des anarchistes ; vous vous liguez avec eux contre nous !

Et vous vous demandez, après toutes les imprudences que j'ai rappelées et par lesquelles vous avez compromis la couronne, pourquoi vous êtes condamnés à gémir sur certains acquittements ! pourquoi vous avez à venir, remplissant un pénible devoir, nous présenter de nouvelles protections pour la royauté ! Ecoulez encore une réponse qui n'est pas suspecte ; elle sort aussi de la bouche d'un de vos amis :

« Où en est le sentiment dynastique ? disait naguère l'honorable M. Dedecker. Nous en sommes arrivés d'un côté aux infâmes caricatures dont on a parlé hier, et de l'autre à la flatterie pyramidale de la statue monstre. »

Parlerai-je, messieurs, car on est amené à parler de tout à l'occasion de la presse, parlerai-je du système pratiqué par le gouvernement depuis quelques années ? Parlerai-je du favoritisme, du népotisme ministériel, et (M. d'Anethan surtout me comprendra ) parlerai-je d'un système qui tue tous les bons sentiments, qui éveille tous les mauvais instincts dans la hiérarchie administrative tout entière, qui y sème à la fois le découragement et la démoralisation ? Citerai-je de nouveau un nom tristement fameux, qui, à lui seul, résume et caractérise toute une situation ? Non, je ne le ferai pas, je ne veux pas renouveler le scandale dont il a été l'objet dans cette enceinte et dans le pays ?

Parlerai-je de cette profusion de titres, de cordons dans un intérêt presque toujours purement ministériel ? Parlerai-je de ces décorations données à l'étranger à des hommes qui n'avaient d'autres titres à la reconnaissance du pays, que d'avoir diffamé dans leurs journaux l'opinion libérale, aussi gouvernementale, aussi conservatrice que vous ; décorations que ces hommes ont portées jusque sur les bancs de la police correctionnelle, pour prouver jusqu'à quel point les passions politiques pouvaient étouffer dans le gouvernement belge le sentiment de la moralité, de la pudeur politique ? (Interruption.)

Les sentiments moraux, messieurs, dont parlait l'honorable M. Dedecker, qui a droit d'en parler, lui, car, quelle que soit sa manière d'envisager nos questions politiques, je le tiens avant tout pour homme de cœur, pour vrai patriote ; ces sentiments moraux, savez-vous ce qu'on en fait depuis quelques années ?

Savez-vous ce qu'on en a fait dans les colonnes des journaux ministériels et dans certains salons de bonne compagnie ? On les bafoue, on les vilipende ; on dit que dans le gouvernement belge, que dans la nation belge, il y a des intérêts, mais que quant à des principes et à des opinions, ils ne sont pas dans le dictionnaire des hommes de bon sens, des hommes sérieux.

Voilà ce qu'on dit. Il y a la glorification exclusive des intérêts personnels, des intérêts matériels. et quand le pouvoir, depuis plusieurs années, propage à plaisir autour de lui l'indifférence pour le droit, pour le devoir, pour la moralité, l'indifférence pour les sentiments moraux ; quand il préconise uniquement l'intérêt personnel, il s'étonne que, faisant appel, cette fois dans son intérêt, à la moralité du jury, cette moralité soit exposée (je ne dis pas que cela soit arrivé), cette moralité soit exposée à lui faire défaut. Quand vous avez semé le positivisme dans toutes les consciences, vous n'avez pas le droit de faire appel au sentiment du devoir, au patriotisme, et vous n'auriez pas le droit de vous étonner si, à votre exemple, le jury consultait avant tout ses intérêts les plus égoïstes, ses passions, ses convenances et peut-être ses frayeurs.

L'esprit national où est-il ? C'est encore l'honorable M. Dedecker qui va répondre. « Chercherez-vous, disait-il, l'esprit national dans l'industrie qui tourne ses regards vers l'étranger, tantôt vers la Hollande, tantôt vers l'Allemagne, tantôt vers la France, au point de vous montrer un ministre d'Etat colportant une demande d'association qui serait une absorption politique de notre nationalité ! »

Enfin, messieurs, que voyons-nous se passer sous nos yeux à propos des intérêts industriels ? Car ce sont surtout les intérêts industriels qui me conduisent à cette digression. Quel spectacle se prépare, si mes renseignements sont exacts, pour achever d'édifier les Belges, pour achever l'éducation politique du pays ? Il y a un ministre (ou me répondra si je suis dans l'erreur), qui, désespérant de revenir s'asseoir sur les bancs de cette chambre par le district qui l'y a envoyé, en est, dit-on, réduit à se tourner vers un district qui n'y a jamais envoyé que des députés libéraux.. Et, messieurs, des journaux qui ne sont pas bienveillants pour l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, et qui paraissent bien informés, affirment qu'on négocierait l'honnête marché que voici...

M. le président. - Nous sommes bien loin de l'article premier.

M. Lebeau. - Il s'agit de la presse. Du reste je suis prêt à finir.

Plusieurs membres. - Non, non, parlez.

M. le président. - Si chacun fait des digressions de cette nature,, nous aurons une discussion politique tout entière sur l'article premier.

M. Lebeau. - M. le président, je ne connais rien au monde de plus politique que la presse. Du reste, je vais finir.

On accuse le ministère de résister à de nombreuses réclamations pour le dégrèvement d'un article considérable de notre tarif, pour le dégrèvement à l'importation d'une matière qui alimente une foule d'industries respectables et considérables, de résister dans un intérêt électoral.

Ce serait là, messieurs, et je désire bien me tromper, ce serait là de la corruption non vulgaire cette fois et pour ainsi dire individuelle ; mais de la corruption en grand. Ce serait en quelque sorte constater à la fois l'apostasie politique d'un homme et celle d'un district électoral tout entier.

Messieurs, je ne parle pas à la légère, et l'avenir prouvera de quel côté on s'est trompé, si l'on oppose à ce que je dis des dénégations. Il y a bien des choses qui ont été niées dans le parlement, et ces dénégations n'ont pas tardé à recevoir par le fait même des démentis solennels.

Enfin, messieurs, comment voulez-vous que l'opinion ne s'égare pas, et que l'opposition ne se propage pas de rang en rang, quand on a vu une opinion qui se dit soutien par excellence de l'autel et du trône, employer naguère, pour venir au secours de ses candidats menacés et évincés, la même plume qui, quelques années auparavant, insultait quotidiennement dans un immonde pamphlet périodique, le Roi, la famille royale, tous les plus honorables citoyens ; et pour combattre qui, messieurs ? Pour combattre un homme qui avait fait preuve, sous le gouvernement précédent, du patriotisme le plus hautement loué par ceux mêmes qui le poursuivent et l'outragent aujourd'hui, un homme qui a donné de nombreux gages d'affection et de dévouement à nos institutions et à la dynastie actuelle.

Messieurs, je me résume.

Ce qu'il faut donc, si vous voulez changer la jurisprudence de nos cours d'assises, les verdicts de nos jurys, ce n'est pas changer un mol, ce n'est pas modifier quelques textes dans une loi pénale ; c'est, messieurs, changer tout le système. Sans cela, croyez-le bien, les modifications que vous sollicitez aujourd'hui, si elles sont converties en loi, ne fourniront, je le crains, qu'un scandale de plus à ajouter à ce que dès aujourd'hui ; vous appelez des scandales.

Mais oubliez-vous donc que jamais des poursuites criminelles contre les écrivains n'ont produit un effet durable, quand le système lui-même était vicieux ? N'avez-vous pas vu en France, en 1829, en 1830, des acquittements systématiques, alors même que le jury n'intervenait pas dans la question de fait ? Navez-vous pas vu l'opposition se réfugier jusque dans la timide et inoffensive Académie française ? C'est, messieurs, (page 1292) qu'alors la situation du pouvoir était anormale en France, comme elle l’érait dans les Pays-Bas avant les journées de septembre 1830, comme elle l'est, avec moins de gravité sans doute, dans la Belgique de 1847.

En 1830, en France, dans les Pays-Bas aussi, toutes les rigueurs du pouvoir ont été déployées contre les écrivains politiques. Vous vous rappelez les condamnations de MM.de Potier, Tielemans, Ducpetiaux, Vanderstraeten, Barthels ; eh bien, je le demande, à quoi ont-elles servi, si ce n'est à précipiter la chute du mauvais système qui pesait sur le pays ?

Je repousse donc comme une arme imprudente le projet de loi proposé, en cela je crois être plus patriote, plus monarchique, plus dynastique que le ministère qui l'a présenté.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le discours que vous venez d'entendre se résume, en effet, en un mot. Ce mot n'est pas nouveau ; je l'ai entendu depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette chambre ; nous l'avons entendu dans les discussions politiques, dans les discussions d'intérêt matériel ; nous l'avons entendu en présence des grandes calamités de la nature. La cause de tout mal dans l'ordre matériel, dans l'ordre politique, dans l'ordre des saisons, lorsque les récoltes manquent, la cause de tout le mal, c'est toujours, toujours le ministère. L'honorable membre se berce d'une étrange illusion. Pour me renfermer en ce moment dans la discussion relative à la presse, je dis à l'honorable préopinant que si demain le système était changé, on n'aurait pas, du jour au lendemain, supprimé toutes les mauvaises passions qui fermentent aujourd'hui dans la société, qu'on les rencontrerait comme nous les rencontrons aujourd'hui, sapant le respect dû à la royauté, méprisant le respect dû à la probité privée, n'ayant égard ni aux droits de la famille ni à rien de ce que les sociétés civilisées ont toujours cru devoir respecter. Si demain l'opposition arrivait au pouvoir, et les honorables membres nous l'annoncent depuis tant d'années, que cette prédiction pourrait peut-être un jour se réaliser, si demain vous veniez vous asseoir sur ces bancs, vous vous féliciteriez au nom du pouvoir, au nom du pays, de ce que cette loi aurait été faite par vous. Oui, je n'hésite pas à risquer aussi cette prophétie, et les chances que je cours ne sont pas bien grandes, car la réalisation en est inévitable. Ce fait est dans l'ordre des passions humaines, elle est dans les vices du cœur humain que vous devriez détruire pour ne pas rencontrer les désordres auxquels nous voulons aujourd'hui opposer une digue.

Poursuivant cette idée que la cause de tout mal est le ministère, on nous dit : Il y a certains noms qui donnent le vertige au pays. J'ai compris cette accusation jusqu'à un certain point de la part de l'opposition, quand le ministère a vu le jour ; aujourd'hui, je puis m'emparer ici d'un mot d'un de nos honorables amis, aujourd'hui cette accusation est un anachronisme. Le ministère a vécu, le pays l'a vu à l'œuvre ; le pays a compris que le ministère s'appliquait, dans la mesure de ses forces et malgré les obstacles que les institutions accumulent à toutes les époques sur les pas du pouvoir, que le ministère s'appliquait à satisfaire aux besoins du pays dans l'ordre moral et dans l'ordre matériel. Le pays, gardons-nous de le croire, ne s'occupe pas exclusivement de politique. Sans doute, les intérêts moraux, les intérêts politiques occupent une grande et légitime place en Belgique, comme chez toutes les nations qui jouissent d'institutions libres, mais aujourd'hui surtout, aujourd’hui plus que jamais peut-être, le pays a bien d'autres et de bien plus sérieuses préoccupations.

Non, messieurs, le pays n'a pas le vertige ; tout entier, il sait quels sont ses intérêts, il sait distinguer quels sont les hommes qui cherchent à satisfaire ces intérêts, qui assignent à chacun de ces intérêts sa place légitime, qui ne se préoccupent pas exclusivement de qualifications de partis. Non, croyez-moi, le pays commence bien un peu à se lasser...

M. Delfosse. – De vous.

M. le ministre des finances (M. Malou). - … de ces qualifications arbitraires et vagues de parti qui ne résisteraient pas à une discussion approfondie.

Je m'étonne, messieurs, j'ai le droit de m'étonner d'entendre l'honorable préopinant qui connaît les usages et les prérogatives parlementaires invoquer ici à plusieurs reprises, tantôt une opinion individuelle, tantôt l'opinion de quelques journaux.

Les opinions individuelles, mais pourquoi les divisez-vous ? Vous me citez deux autorités rappelant le traité de 1839 et un autre incident parlementaire, vous me citez l'opinion de l'honorable M. Doignon et de l'honorable M. Dedecker. Eh bien, ne divisez pas ces opinions ; apportez-les entières à la tribune, avec ce que vous invoquez et avec ce que la prudence vous engage à faire. Acceptez-vous ces opinions dans leur ensemble ? Et si vous ne les acceptez pas dans leur ensemble, de quel droit venez-vous les diviser contre nous ?

Mais vous n'invoquez pas seulement l'opinion des journaux, quelques opinions individuelles, sur certains incidents malheureux, je dois le dire, de notre politique des premières années ; on ajoute encore l'opinion des salons. On a dit dans les salons que le ministère préconise l'intérêt personnel, qu'il veut éteindre tous les sentiments moraux de la nation.

Eh ! vraiment, messieurs, reproduire de pareils arguments devant vous, n'est-ce pas me dispenser complètement de les réfuter ? Et quand il se serait trouvé quelqu'un qui eût préconisé l'intérêt personnel, de quel droit rendriez-vous toute une opinion malgré sa sollicitude pour les intérêts moraux, une opinion dont la force et le prestige, vous l'avez dit vous-mêmes, sont tout entiers dans la défense des intérêts moraux de la nation, de quel droit rendriez-vous cette opinion solidaire de pareilles aberrations ?

Je ferai, messieurs, ce que l'honorable membre n'a pas fait, je parlerai beaucoup plus du projet de loi que des considérations politiques qui lui sont étrangères ; je me bornerai aux quelques réflexions que je viens de soumettre à la chambre pour tout ce qui est étranger au projet.

La question qui nous est soumise consiste à savoir si la loi est opportune, constitutionnelle, nécessaire, ou du moins utile.

Et d'abord, messieurs, c'est étrangement se méprendre sur le caractère de la loi, que d'y voir une atteinte au jury, une attaque contre la presse.

Un honorable membre me disait tout à l'heure, en m'interrompant, que sous son administration, aucun procès de presse n'avait été intenté ; cela est vrai, mais cela est commun à tous les ministères qui se sont succédé depuis 1830. C'est un fait exceptionnel dans l'histoire et qui honore le plus peut-être notre révolution, que d'avoir pu vivre pendant neuf années, à côté d'une armée ennemie et sous le feu des journaux qui contestaient chaque jour la légitimité de cette révolution, d'avoir pu vivre, d'avoir pu se consolider sans qu'il ait été intenté un seul procès de presse. (Interruption ; Alors à quoi bon le projet de loi ?) Je vais vous le dire, je ne puis pas tout exprimer à la fois. Prenez un peu de patience ; vous ne perdrez rien pour attendre.

Il ne faudrait, dit-on, faire attention qu'à une seule presse, la presse sérieuse, c'est la seule dont le gouvernement doive se préoccuper. Je reconnais en effet qu'il y a deux presses en Belgique : celle qui se respecte, c'est la véritable presse, la presse de discussion ; une deuxième s'est créée et développée lentement ; je l'appellerais presque la presse de chantage, d'escroquerie, qui fait de la calomnie et des discussions sur la vie privée métier et marchandise. Dans tout pays civilisé, les excès de cette dernière presse doivent être efficacement réprimés.

Qu'est-ce, en effet, qu'un pays civilisé ? N'est-ce pas celui où la force de la loi, l'autorité publique s'est substituée au droit sauvage des vengeances individuelles ? Et si moi, citoyen, vous ne me protégez pas contre les calomnies de ions les jours qui viennent troubler le repos des familles, comme elles troublent l'Etat, de quel droit viendrez-vous dire que votre législation est celle d'un peuple civilisé, de quel droit m'empêcherez-vous de me faire justice à moi-même ? Et si vous dites que je puis me faire justice à moi-même, n'avez-vous pas proclamé vous-même l'insuffisance de votre législation ? Vous n'avez donc que cette alternative : ou vous devez empêcher que la liberté d'autrui ne porte atteinte à la mienne, ou vous devez me donner le droit primitif, le droit de nature, de me faire justice à moi-même. La répression des excès de cette presse, que je ne sais comment qualifier, dans ses rapports avec les autorités constituées, avec les droits de tous les citoyens, est d'une nécessité évidente, incontestable. (Interruption.)

Je tâcherai de ne négliger aucune objection. Quand j'aurai fini, donnez-m'en d'autres, mais veuillez, je vous prie, ne pas m'interrompre sans cesse.

Je disais donc, messieurs, que dans les faits nouveaux, incontestables, que je pourrais apporter à cette tribune (et j'ai songé un instant à le faire, pour que le pays pût mieux les apprécier), vous trouveriez la justification la plus complète du projet de loi qui vous est soumis.

Et quand il serait vrai que le projet avait simplement pour but, dans le principe, de protéger une institution que nos lois placent au sommet de l'édifice social, s'ensuivrait-il que dans cette utilité restreinte le projet ne fût pas encore nécessaire ? On pourrait dire qu'il est incomplet, et j'entendrais avec plaisir l'éloquent orateur qui m'a interrompu tout à l'heure, signaler les lacunes du projet. Le projet est incomplet. Oui, il est encore des droits en Belgique qui peuvent être violés ; mais que faudrait-il conclure de là ? Que vous devriez généraliser la pensée du projet, parce que c'est une pensée sociale. Si le projet, tel qu'il est, est jugé nécessaire, je dis que cette seule considération suffirait pour le légitimer. On pourrait l'attaquer comme incomplet, on ne pourrait pas l'attaquer comme inutile, et si ou l'attaquait comme incomplet, on devrait proposer de le généraliser. Voilà la seule conséquence de l'objection qu'on me faisait.

Messieurs, dans toute législation sur la presse, il y a deux choses à distinguer ; la définition des délits, la procédure. Que faisons-nous quant à la définition des délits et quant à la procédure ? Et d'abord, messieurs, quel est l'intérêt de chacune de ces deux espèces de presses, quant aux deux points que je viens d'indiquer ?

Toute la presse a un très grand intérêt dans la partie de la législation qui définit les délits. Ainsi pour citer un exemple, les lois de septembre en France créent un certain nombre de délits nouveaux ; à ce titre elles intéressaient vivement tous les journaux, même ceux qui se livrent à la discussion dans les limites posées par les lois pénales, parce que tout en s'approchant trop de ces limites, ils peuvent s'exposer à tomber sous le coup des poursuites judiciaires.

Toute la presse, la presse de discussion aussi bien que celle que vous me permettrez d'appeler par abréviation la presse de calomnie, a un intérêt égal à la partie de nos lois qui concerne la définition des délits ou la création des délits nouveaux.

En ce qui regarde, au contraire, la procédure, la question n'intéresse guère que la mauvaise presse, la presse de calomnie. S'il m'était permis de faire une comparaison, je dirais que le code pénal intéresse tous les honnêtes gens, que le code d'instruction criminelle intéresse surtout (page 1293) ceux qui par leur conduite sont exposés à être traduits devant les tribunaux correctionnels ou devant les cours d'assises. (Interruption.)

On me dit que le code d'instruction criminelle est fait pour protéger les innocents. Assurément ; aussi, n'ai-je pas dit que toute la presse n'a pas intérêt dans le code d'instruction criminelle, mais ici mon honorable interrupteur me fournit un argument nouveau. Si le code d'instruction criminelle intéresse aussi les honnêtes gens, il les intéresse à deux titres, d'abord pour prévenir toute espèce de méprises, d'arrestations ou de poursuites arbitraires à leur égard, mais aussi pour leur permettre de se faire raison légalement de ceux qui ne sont pas honnêtes gens.

Et je vous prouverai tout à l'heure que là se trouve précisément, quant à la procédure, le but, la cause, la légitimité du projet de loi. Dans la procédure actuelle, et cela peut être démontré d'une manière péremptoire, le Code d'instruction criminelle pour la presse ne donne pas de garanties aux honnêtes gens contre ceux qui ne le sont pas.

Que fait le projet de loi, quant à la définition des délits, quant à ce que j'appellerai le Code pénal de la presse ? Une seule chose, messieurs ; il rectifie une erreur évidente, qui s'est glissée dans le décret de 1857, en ce qui concerne l'inviolabilité de la personne royale. (Interruption.) Il n'y a, je le répète, dans tout le projet qu'une seule définition ; ce n'est pas la création même d'un délit nouveau à l'égard de la presse ; mais c'est le redressement d'une erreur, qui s'est glissée dans la définition des délits que la presse peut commettre à l'égard de la personne royale.

Je dis une erreur ; et en effet, est-il possible, je le demande à tous les jurisconsultes, qu'on calomnie la personne royale ? Et les dispositions du Code pénal sur la calomnie peuvent-elles être appliquées à cette matière, alors qu'il n'y a aucune preuve ni légale, ni autre, à l'égard du Roi, à raison de son inviolabilité constitutionnelle ?

Ici il faut un peu se rendre compte de la législation de tous les peuples qui sont dotés d'institutions libres, analogues aux nôtres : partout vous trouverez inscrits dans la législation les mois offenses envers la personne royale.

En France, par exemple, et je ne parle pas ici des lois de septembre, je parle de deux actes législatifs des plus remarquables, des lois de 1819 cl de 1822 qui ont survécu aux événements de 1830, parce qu'elles étaient des lois de principe, et non des lois de parti ou de circonstance. Là, vous ne trouvez non plus l'injure et la calomnie réprimées à l'égard de la personne du Roi et des membres de la famille, mais vous trouvez une définition de l'offense, analogue à celle qu'on vous propose aujourd'hui. Le sentiment de cette erreur a existé en Belgique à diverses époques.

Ici, j'invoque en premier lieu l'autorité de l'honorable M. Lebeau, auteur du projet de Code pénal présenté en 1834. On avait senti dans la commission instituée par cet honorable membre, alors ministre de la justice, qu'il y avait lieu de rectifier cette définition du délit, et l'on avait proposé de substituer le mot offense à ceux d'injures et de calomnies ; je le répète, j'invoque donc l'autorité de l'honorable M. Lebeau, mais je ne l'invoque pas sous ce rapport seulement. Il ne m'a pas été donné de saisir quelle différence pouvait avoir ce mot dans un projet de loi spécial ou dans un Code pénal ; il s'agit de la définition d'un délit, et dans la commission de 1834, on avait, comme je l'ai dit, proposé de substituer le mot offense aux mots calomnie et injures.

Il doit m'être permis à l'époque où sommes arrivés, de rappeler qu'en 1841 j'ai été associé comme fonctionnaire du gouvernement a la préparation d'un projet sur la calomnie et les injures, projet qu'on réclamait alors de toutes parts, qui paraissait être le complément nécessaire de la loi que les chambres avaient adoptée sur le duel. Dans ce projet, préparé par des jurisconsultes éminents, on avait aussi proposé de substituer à la définition du décret de 1831, à peu près en termes identiques, celle qui est proposée aujourd'hui.

Je m'empare de nouveau, et sous un autre rapport, de l'opinion de l'honorable M. Lebeau. Oui, il faut ici une définition spéciale du délit, parce que, comme l'a dit l'honorable membre, il n'est pas de délit plus lâche, d'action plus lâche que celle-là.

On s'attaque non seulement à l'institution royale, qui doit être sacrée pour tous les bons citoyens, mais on s'attaque encore à la personne royale dont la position est tellement exceptionnelle, que c'est la seule personne en Belgique qui ne puisse se faire, à défaut de la loi, raison d'une offense. Oui, il y a lâcheté dans ce fait, et à raison de cette lâcheté, il est besoin d'une définition exceptionnelle.

Ces attaques ne sont pas seulement inutiles, parce que la responsabilité ministérielle existe ; mais elles sont encore inconstitutionnelles. Si vous voulez que l'institution royale conserve dans l'esprit des populations le respect sans lequel elle ne peut exister, vous devez écrire dans la loi une définition qui assure non seulement comme un droit, mais comme un fait, l'inviolabilité de la personne du Roi.

Messieurs, il y a loin sans doute des considérations que je présente à des idées de courtisanerie et de flatterie ; c'est parce que la royauté est la clef de voûte de l'édifice social, c'est parce que toutes nos institutions se tiennent comme toutes nos libertés sont sœurs, que je viens défendre devant vous le projet de loi qui est soumis à vos délibérations.

Que l'on réponde à la conséquence qui résulte du Code d'instruction criminelle, combiné avec la procédure établie par le décret de 1831. On ne pourra pas détruire ce fait qu'au moyen de conseils dirigés autrement ; tout prévenu non seulement pendant des mois, mais pendant des années, pourrait échapper non seulement à l'action publique, mais à l'action privée, et si les droits privés n'ont pas de sanction, vous ne pouvez pas dire que vous viviez dans un pays libre.

La presse qui se respecte, messieurs, la presse de discussion, qui peut être quelquefois injuste envers le pouvoir comme envers l'opposition, la presse dont la liberté entière est la plus grande garantie de nos institutions, n'a rien à craindre du projet de loi ; on ne définit pas de délit nouveau à son égard, car elle ne s'est pas exposée une seule fois à une action judiciaire soit publique, soit particulière. C'est un honneur pour elle de ne pas s'être exposée à des procès politiques ou particuliers. Je crois qu'il y a eu tout au plus une ou deux exceptons depuis 1830.

Le projet actuel ne se rapporte donc pas à la presse véritable dont nous devons désirer le maintien, parce qu'elle est l'organe des diverses opinions, j'allais presque dire des sensations nationales, lorsque des griefs sont au fond du cœur de la nation. Cette presse a ses garanties, elle a le jury, elle a même plus, elle a plus qu'ailleurs, dans notre pays, le droit de prouver tous les faits relatifs à la vie publique des agents dépositaires de l'autorité.

Ai-je besoin de m'arrêter à l'étrange doctrine de l'honorable M. Lebeau sur le jury ? Pendant son discours, j'ai recherché dans le Code d'instruction criminelle quel serment le juré prête avant d'entrer en fonctions, sur son honneur et sa conscience, devant Dieu et devant les hommes Je me suis refusé à croire qu'il y eût en Belgique des citoyens qu'on pût craindre de voir dans des procès politiques faire acte d'opposition. Si j'avais proféré ces paroles, on aurait pu nous accuser d'attaquer l'institution du jury.

Le projet de loi laisse l'institution intacte, il a pour objet de pourvoir à ce que tout citoyen, tout fonctionnaire public et au nom de la loi, au nom de la société, le chef de l'Etat puisse obtenir du jury un verdict, ce qui est impossible avec la procédure telle qu'elle existe aujourd'hui.

Il y a eu des condamnations, me dit-on. Je suppose que l'honorable membre qui m'interrompt n'a pas suivi mon argumentation. C'est une raison pour moi d'insister. J'ai dit que si on avait conseillé aux prévenus de se laisser condamner par contumace et de se constituer, aux termes du décret de 1831, ils devaient être mis immédiatement en liberté, ils pouvaient répéter ce manège et échapper à tout jamais à l'action de la justice ; il eût été impossible de les amener à comparaître devant le jury. La conséquence nécessaire est que ni Roi, ni fonctionnaire, ni personne n'aurait pu obtenir justice.

Tant qu'on n'aura point répondu à ce point (je laisse de côté, pour le moment, tout le reste), la nécessité de modifier la législation demeurera démontrée jusqu'à la dernière évidence.

Maintenant, messieurs, faut-il établir que la loi est opportune ? Mais y a-t-il quelque chose de plus opportun que ce qui est nécessaire, que ce qui doit donner des garanties à tous les citoyens ? Y a-t-il quelque chose de plus nécessaire que d'empêcher, dans un état social bien ordonné, qu'aucun délit ne puisse rester impuni, par la seule volonté de celui qui l'a commis ? Il n'y a pas, à mon sens, de plus grande opportunité que celle-là.

Tous les intérêts publics réclament cette loi, l'intérêt de la presse, l'intérêt de la mission véritable de la presse la réclame aussi. Demandez-vous à quelle époque, pourquoi, dans quelle circonstance, la presse a une grande, une légitime action sur l'opinion publique. Est-ce à raison de son développement, à raison de telle ou telle politique, est-ce parce que tels hommes sont au pouvoir, que la presse a cette puissance à certaines époques ?

Non, c'est parce que la presse est la grande voix de l'opinion publique, que les forces nationales s'y portent, comme le sang dans les veines du corps humain, quand la nation a un grief contre les dépositaires du pouvoir, quand un grand intérêt national est méconnu.

Ainsi, à une époque voisine de la révolution, en Belgique comme en France, des hommes éminents de toutes les opinions se portèrent vers la presse pour prendre en main la défense des intérêts méconnus ; vous les voyez réussir ; la presse a alors toute sa puissance, parce qu'elle répond à un besoin, qu'elle est la voix publique exprimant devant le pouvoir, qui les méconnaît, les vœux légitimes du pays.

Mais ce qui peut nuire à cette noble mission de la presse, plaise à Dieu qu'elle ne soit pas de longtemps appelée à la remplir en Belgique ! ce serait d'être déconsidérée dans l'opinion, ce serait d'avoir vécu parallèlement, si je puis parler ainsi, avec cette presse que j'ai qualifiée tout à l'heure. La presse véritable, utile, nationale, sera mieux comprise, aura une force plus grande, si vous entourez de plus de garanties les droits privés que certains organes, désavoués par tous les partis, méconnaissent aujourd'hui. Je pourrais donc aussi vous demander cette loi, non seulement au nom de l'intérêt du pays, mais au nom de la dignité et de la liberté de la presse elle-même.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - J'ai demandé la parole, non pour suivre l'honorable membre dans la discussion politique à laquelle il vient tardivement de se livrer, après que la discussion générale avait été fermée, mais uniquement pour un fait personnel.

Je regrette de devoir entretenir la chambre de moi, mais l'honorable membre m'a fait si étrangement intervenir dans ce débat, que force m'est bien de lui répondre quelques mots.

L'honorable M. Lebeau a semblé m'interroger pour connaître les motifs pour lesquels je renonçais au mandat que je devais à la longue confiance des électeurs du district d'Ath, confiance que j'ai conservée tout entière, quoi qu'en ait pensé l'honorable membre, et les motifs qui me décidaient à me présenter devant le collège électoral de Charleroy qui est celui que j'habite.

(page 1294) Ces motifs m'appartiennent ; il me serait facile de les énoncer, mais je ne me crois pas tenu à en faire la confidence ni à l'honorable membre, ni à la chambre. (Interruption.)

J'ai peu compris l'opportunité et la convenance de celle attaque personnelle de la part de l'honorable M. Lebeau, à moins qu'il n'ait voulu saisir cette occasion de combattre d'avance ma candidature, et je me permettrai de lui dire qu'il se montre bien pressé.

Messieurs, je n'ai pas mendié la candidature à laquelle l'honorable membre a fait allusion. Je l'ai acceptée comme elle m'a été offerte, librement, loyalement, sans conditions d'aucun genre.

Elle m'a été offerte par des hommes honorables appartenant à diverses nuances d'opinion politique qui, pas plus que moi, ne sont disposés à accepter des leçons de moralité politique ni de l'honorable membre, ni de qui que ce soit ; par des hommes qui, autant que moi, sont à l'abri de tout soupçon, de toute accusation de vouloir faire d'une élection ce que l'honorable membre a appelé, avec si peu de convenance et de dignité, un honnête marché de corruption électorale,

Messieurs, cette candidature m'a été spontanément présentée, comme je viens de le dire, par des hommes appartenant à diverses nuances d'opinion, et c'est ce qui probablement a fâché l'honorable membre ; car cela prouve que, dans le pays, on n'entend pas partout le libéralisme comme quelques-uns voudraient le définir ici ; cela prouve qu'il ne suffit pas, aux yeux de tout le monde, pour être frappé d'ostracisme, qu'on vous ait décoré d'une de ces qualifications arbitraires de parti, qui, comme le disait l'honorable M. Leclercq, en 1841, ne sont que des non-sens en présence des grands principes de la Constitution, quand on professe ces principes qu'il suffit de se présenter devant les électeurs indépendants et éclairés, avec les services qu'on a pu rendre au pays, avec la modération de ses principes et de son caractère.

M. de Mérode. - C'est une singulière manière de discuter que celle qu'on adopte trop souvent dès qu'on se place sur les bancs qui sont à gauche du président de cette chambre, en traitant ceux qui siègent à droite ou même président ou aux bancs des ministres comme des hommes absurdes, liberticides, rétrogrades, en ne leur épargnant aucune dureté de langage. Et cependant quand on examine de quel côté sont les véritables travailleurs, ceux qui font les rapports sur les budgets, sur les projets de lois divers qu'on discute ici, on trouve que la plupart de ces représentants laborieux siègent du côté qui est placé à la droite du président. De l'autre côté on possède, il est vrai, la supériorité en abondance de qualifications blessantes qu'on distribue avec une morgue qui, certainement, n'est pas libérale.

Ainsi, hier, on appliquait à M. d'Anethan l'épithète d'étourdi, et je ne sais quelles autres de même gracieuseté. Néanmoins, tout en reconnaissant la facilité de parole que possède l'honorable membre qui se servait de ces termes, je ne puis lui attribuer une grande expérience des affaires publiques qu'il n'a pas encore été appelé à diriger pratiquement et qui seraient conduites, je pense (car, enfin, s'il y a égalité de droit dans cette enceinte, je puis m'exprimer aussi librement que lui), qui seraient conduites, dis-je, fort inconsidérément avec ses théories.

En effet, d’après l'opinion qui consiste à ne pas réprimer la licence pour encourager la liberté, il faudrait continuer à supporter la tyrannie des rédacteurs de feuilles qui diffament et insultent selon leur bon plaisir et volonté, sans être soumis à aucune peine et rançonnent même les gens timides en les menaçant, s'ils ne payent pas, de les déchirer à outrance ; et c'est ainsi que vivent en Belgique certaines productions révoltantes dont l'existence est une honte dans un pays civilisé.

C'est contre de pareilles publications qu'existent en France les lois dites de septembre qui proscrivent aussi les ignobles caricatures ; et ces lois assurément n'ont, jamais empêché des journaux sérieux de traiter des questions politiques et d'attaquer des abus plus ou moins réels avec toute la liberté désirable. Ainsi le National, journal républicain, soutient d'une part son système avec toute latitude suffisante, comme l'Univers, journal catholique, sans risquer de poursuite, fait ressortir les inconvénients du régime universitaire qui s'impose aux pères de famille malgré leurs droits naturels et ceux qu'ils puisent dans l'article 60 de la charte ; blâmant encore eu bien d'autres points le gouvernement français.

Mais, heureusement, en France, on ne peut éditer ni des Flambeaux, ni autres effronteries périodiques pareilles qui ne tendent qu'à rendre la liberté de la presse odieuse, parce qu'elle opprime les réputations et la morale, comme la libre circulation opprimerait et détruirait l'agriculture, si elle consistait dans le droit de chacun, non seulement de parcourir les chemins et les sentiers, mais de marcher à travers champs, à travers les semailles et les moissons.

Voici donc trop longtemps, messieurs, qu'on confond en fait de presse, en Belgique, l'indigne despotisme impuni de l'injure et la juste ou du moins la tolérable liberté, et c'est par cette confusion habilement produite devant le jury que les avocats obtiennent enfin presque toujours l'acquittement d'accusés qui mériteraient une punition plus rigoureuse que tant de malheureux prévenus condamnés pour des délits bien moins antisociaux.

Je disais, il y a un moment, que les mercuriales, en style plus que rude, pleuvaient trop souvent des bancs de la gauche sur ceux de la droite ; et c'est là malheureusement une ancienne coutume qui paraît incurable ; car un jour, pour résister par le ridicule à cette malencontreuse habitude, je crus devoir, ainsi qu'on l'a rappelé récemment, et c'est pourquoi j'en parle, devoir user d'un apologue où je faisais intervenir des bipèdes emplumés dont les uns recevaient force gros et lourds coups de bec que les autres se plaisaient à distribuer arec un bizarre acharnement sans que les seconds possédassent ni un plumage plus beau, ni des ailes plus rigoureuses, ni des yeux plus capables de fixer le soleil.

Je défendais l'honorable général Goblet, alors ministre, auquel on avait crié à tue-tête : Et M. Goblet n'a pas honte ! Et M. Goblet a l'audace ! et M. Goblet ne rougit pas ! Je défendais également MM. Lebeau et Rogier, accusés sais relâche de pusillanimité, de lâcheté...

M. Rogier. - Je n'ai jamais souffert qu'on m'accusât de lâcheté !

M. de Mérode. - ... d'incurie, d'ineptie ; car c'étaient les termes préférés de certains membres de la gauche de cette époque, comme aujourd'hui ceux de mensonge, d'hypocrisie, de cadavre, auxquels il faudrait répondre en toute humilité, si l'on avait cette patience bonnasse que je ne crois pas à propos, à moins de consentir au rôle de plastron qui, je pense, n'est pas celui de représentants de la nation, fût-ce de la majorité !

Messieurs, la discussion actuelle a pour but de chercher un remède non à la liberté, qui est bonne et n'a pas besoin de remède, mais à une licence très mauvaise qui est un grand mal.

« Toute république, disait Solon, comme nous autres hommes se tient et marche sur deux pieds. Ces deux pieds de toute république sont un symbole : le premier signifie qu'il ne faut laisser impunie aucune faille ; le second signifie qu'il faut récompenser toute belle action. Un gouvernement qui ne pratique qu'une de ces maximes boite d'un pied, le gouvernement qui n'en pratique aucune ne peut se tenir ferme sur aucun de ses pieds et tombe. »

Or, messieurs, pendant qu'on proclame et répète à satiété, ce qui est d'ailleurs évident, que l'imprimerie est une des forces les plus puissantes, les plus actives de notre époque, on permet en fait tous les délits par l'impression, et c'est la chose la plus difficile pour un particulier, que d'obtenir contre ces actes, souvent nuisibles au plus haut degré, la protection de la loi.

En effet, le juré, qui ne recule pas devant la condamnation d'un assassin, ou d'un grand ou d'un petit voleur, tremble devant un verdict de culpabilité rendu contre un être malfaisant, qui le lendemain peut le juguler lui- même dans sa propre réputation, ou dans celle de tel ou tel membre de sa famille.

Cette impression scandaleuse et si funeste, qu'en eut dit Solon ? et qu’en pensent en Belgique tous les hommes sensés exempts d'étourderie ? Evidemment, et j'ai souvent entendu leurs plaintes amères, ils la déplorent profondément ; ils ne croient pas que l'honnête liberté de la presse demande l'absence de tout frein pour la licence, pas plus que la liberté de la promenade n'exige la faculté de fouler aux pieds les récoltes. Certes les dispositions légales qu'on nous propose n'ont rien d'effrayant, car elles sont loin d'équivaloir aux lois françaises de septembre, et cependant nous possédons ici même assez de journaux français pour nous convaincre que la liberté utile ne leur manque aucunement.

En conséquence, messieurs, pour concilier, bien imparfaitement encore, l'inviolabilité royale et la sécurité du citoyen non journaliste avec le libre et convenable usage de la presse, je voterai pour l'article et je croirai avoir émis le vote d'un véritable libéral, parce que les mesures répressives de l'oppression et de l'iniquité, de quelque part qu'elles viennent, sont conformes aux principes de justice pour tous, principes sans lesquels il ne peut y avoir de liberté ni de société dignes de ce nom.

M. Rogier. - Messieurs, j'ai interrompu un peu brusquement l'honorable orateur qui vient de s'asseoir, lorsque récapitulant les injures adressées, à différentes époques, aux divers minières qui se sont succédé, il a rappelé que dans certaines circonstances j'aurais été nominativement accusé de lâcheté.

Plusieurs membres. – Il n'a pas dit cela.

M. de Mérode. - J'ai dit « le banc des ministres où vous étiez. »

M. Rogier. - Vous m'avez nommé. Je fais profession d'une grande tolérance en matière de presse et de discussion parlementaire ; mais j'ai toujours eu trop à cœur le sentiment de ma dignité personnelle, et lorsque j'ai occupé le pouvoir, j'ai toujours eu trop à cœur le sentiment de la dignité du pouvoir, pour que j'aie jamais pu souffrir qu’une pareille épithète fût accolée à mon nom. Je ne l'aurais pas souffert, et j'aurais trouvé au besoin dans mon énergie personnelle le moyen de faire taire de pareilles accusations.

Ces exemples de dignité personnelle, de dignité dans le pouvoir, nous croyons les avoir donnés quelquefois, et nous repoussons comme une espèce d'injure l'allusion étrange «pie l'honorable préopinant vient de se permettre.

M. de Mérode. - Oh ! mais le Moniteur est là.

M. Rogier. - Citez-le donc ! Messieurs, les accusations de la presse ne m’ont pas été épargnées, ne me sont pas épargnées, et ne me seront pas épargnées. 31 Mais si j’étais ministre, je croirais manquer à la première des convenances, en venant, sous prétexte de protéger l'inviolabilité royale, demander au parlement une loi derrière laquelle j'espérerais pouvoir abriter mon inviolabilité ministérielle.

D'après te tour qu'a pris la discussion, d'après les propositions qui nous ont été faites, en addition au projet primitif, d'après surtout le réquisitoire en forme que M. le ministre des finances vient de produire contre la presse, il est évident «qu’aujourd'hui vous n'avez plus à vous occuper d'une loi spéciale, d'une loi de circonstance, ayant pour but de mettre fin à certains scandales de la presse, en ce qui concerne la personne du Roi, mais que la législation tout entière de la presse est remise en question.

(page 1295) Messieurs, je ne m'en étonne pas. Il y a dans certaine opinion une répugnance secrète, une aversion, pour ainsi dire, innée contre la libre expansion des opinions ; il y a, dans notre Constitution, certaines libertés, on l'a dit, qu'on n'accepte que comme pis-aller, que l'on regrette d'y avoir introduites, auxquelles on voudrait bien imposer des restrictions, mais auxquelles on n'a pas encore osé toucher directement. Une de ces garanties, une de ces libertés contre lesquelles existe ce sentiment sourdement hostile, c'est la liberté de la presse.

Aujourd'hui, excité, entraîné par la discussion, on a été amené à s'en expliquer avec plus de franchise, avec plus d'abandon, et ce qui jusque-là était resté officiellement caché, se montre au grand jour.

Ainsi, messieurs, la discussion va prendre nécessairement de nouvelles proportions ; et force nous sera bien, nous qui avons foi dans la liberté de la presse, nous qui avons beaucoup de mépris pour la mauvaise presse, mais qui n'en avons pas un peur puérile, force nous sera bien de nous porter ici les défenseurs de la presse, en général, de la première de nos garanties, de la liberté de nos libertés.

L'honorable ministre des finances nous a dit tout à l'heure, que le discours de mou honorable ami M. Lebeau ne renfermait rien de nouveau. Messieurs, je conçois qu'il est des vérités un peu sévères que l'on n'aime pas à entendre et dont la répétition, nécessitée par les circonstances toujours les mêmes, est plus ou moins désagréable.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole.

M. Rogier. - Quand les faits se reproduisent toujours dans le même cercle, toujours dans le même esprit, il n'est pas étonnant que les mêmes attaques se renouvellent.

Il n'y a rien de nouveau dans le discours de l'honorable M. Lebeau ; je le veux bien, mais certes, il y avait beaucoup de vérités. Et quant au discours de M. le ministre des finances lui-même, si j'ai bonne mémoire, je l'ai lu bien souvent depuis vingt ans.

Sous la restauration française, nous avons lu maint réquisitoire où l'on se livrait aussi, avec beaucoup d'emportement, avec une exaltation toute chevaleresque à des attaques contre la violence des journaux. Les parquets d'alors en voulaient-ils à la grande presse, à la presse sérieuse ? Mon Dieu non, messieurs ; les attaques d’alors qui se répétaient chaque jour, et dans les parquets et dans les feuilles ministérielles, n'avaient non plus pour but que ce qu'on appelait la mauvaise presse. Plein de respect pour la tresse sérieuse, ce n'était qu'à la presse mal pensante que l'on en voulait.

Sous le gouvernement des Pays-Bas aussi, nous avons entendu le discours de l'honorable M. Malou ; sous ce gouvernement encore, c'était la mauvaise presse qu'on incriminait. On professait du respect pour la presse sérieuse, et la preuve de ce grand respect se trouve dans les poursuites qui furent intentées contre les plus honorables de nos écrivains. C'est par suite de ce respect pour la presse sérieuse que beaucoup de nos honorables collègues d'alors ont été poursuivis. C'est aussi par suite de ce respect pour la presse sérieuse que nous-même qui vous parlons, nous étions sous le poids d'une accusation alors que la révolution de 1830 a éclaté.

On fait des lois contre la mauvaise presse ; on proteste de son respect pour la presse raisonnable ; mais la pente est glissante : avec les mauvais gouvernements, avec les mauvais ministères, viennent les mauvaises actions ; et un jour arrive, où ces armes qu'on ne réclamait que contre ce qu'on appelle la mauvaise presse, on ne se fait pas scrupule de les tourner contre toute la presse opposante.

Entendons-nous bien, la mauvaise presse, pour le gouvernement, n'est pas toujours cette presse pour laquelle on témoigne beaucoup de mépris, alors cependant qu'on ne dédaigne pas d'en faire usage à son profil et pour sa propre défense ; voyez la justice ! on voudrait rendre l'opposition responsable des écarts de la mauvaise presse, comme s'il n'y avait pas aussi dans l'opinion contraire, dans cette opinion qui se montre si modérée, si morale en apparence, comme s'il n'y avait pas aussi de ces journaux qui devraient faire rougir l'opinion tout entière ; mais pour ces journaux, ils peuvent vivre tranquilles ; on leur voue des sympathies particulières, et ce n'est pas contre eux qu'un renforcement de pénalité est réclamé.

Messieurs, la conduite que l'on tient dans cette circonstance est bien faite pour nous étonner. M. le ministre des finances annonce qu'il démontre à toute évidence l'opportunité, la nécessité d'une nouvelle loi sur la presse. J'ai cherché en vain dans ce qu'il a dit l'ombre d'une pareille démonstration ; je demande qui songeait, il y a un mois, à moins peut-être que l'on fût dans quelque secret caché à l'opposition, je demande qui songeait à l'opportunité d'une nouvelle législation sur la presse ? Comment, messieurs, depuis 16 ans nous avons traversé les circonstances les plus difficiles, pendant neuf ans on s'est trouvé en présence d'un ennemi occupé sans cesse des moyens de ressaisir le pays qui lui avait échappé ; nous avons été témoins des débordements d'une presse antiroyaliste sur tous les points du royaume ; nous avons vu le feu de plusieurs grands journaux dirigé sans relâche sur la personne du Roi ; toute cette époque critique, on l'a traversée presque sans procès, l'esprit public, le bon sens du pays ont suffi pour triompher de ces excès qui pouvaient avoir leurs dangers alors.

Aujourd'hui, quelques mauvais petits journaux continuent seuls les hostilités. Une seule fois, un verdict du jury les acquitte, et, pour ce seul fait, messieurs, avant qu'on ait constaté, soit par une série d'acquittements, soit par les progrès de la mauvaise presse, qu'il fallait apporter un remède plus efficace aux abus, on se hâte de nous présenter une loi nouvelle ; on vient jeter ce projet tout politique au milieu de la chambre, à la tête de l'opposition ; et dans le même temps on ne craint pas de reprocher à l'opposition de soulever à tous propos des discussions politiques, de ne voir, dans les actes du ministère, que matière à opposition politique. Mais, si vous ne voulez pas de politique dans les chambres, si vous pensez, comme vous le disiez tout à l'heure, ce que je ne crois pas, que le pays est las de politique, ne venez donc pas vous-mêmes donner matière à de pareilles discussions ! Lorsque déjà il existe dans la nation tant de germes de mécontentement et d'irritation, ne venez pas y ajouter encore par des lois imprudentes ; ne venez pas inutilement provoquer des discussions politiques qui ne peuvent que tourner contre vous. Et je le demande, dans l'intérêt de la royauté elle-même, était-il opportun et sage de venir l'exposer pendant plusieurs jours à une discussion publique dans cette enceinte ? Etait-il prudent de prolongerai d'enflammer encore ces débats, en donnant au projet une extension nouvelle, en y comprenant la législation tout entière de la presse ?

Le grand argument, messieurs, en faveur du projet de loi, est celui-ci : la loi actuelle est impuissante. La procédure consacrée par la législation de 1831, fournit à l'accusé le moyen d'échapper à la cour d'assises : n'étant point soumis à l'arrestation préventive, il peut faire défaut ; condamné par contumace, il peut se présenter, et puis faire défaut de nouveau. Eh bien, messieurs, voyons les faits. Voyons ce qui s'est passé depuis 1831. Avez-vous un seul exemple à citer d'un individu qui, par un pareil manège, ait trouvé le moyen de se soustraire en définitive à la justice ? Y a-t-il un seul exemple... ? (Interruption). Je vous en accorderais deux, je vous en accorderais trois. Serait-ce là un motif de bouleverser la législation de la presse ? N'avez-vous pas pu d'ailleurs des condamnations ? Hier vous en invoquiez encore une dont vous vous faisiez honneur.

Si, messieurs, il y avait quelque chose à faire pour la presse, je ne crains pas de le dire, ce serait beaucoup plutôt par voie extensive que par voie restrictive qu'il faudrait procéder. On parle toujours d'abus commis par la presse. Certainement la presse a ses abus, comme toutes les institutions ont leurs abus. Le droit d'association a ses abus ; la liberté d'enseignement a les siens. Mais à côté de ces inconvénients, messieurs, il y a de grands avantages, des avantages bien supérieurs qui doivent faire passer avec quelque tolérance sur les inconvénients.

La presse abuse parfois de la liberté. Mais n'a-t-elle pas aussi à se plaindre de certains abus commis à son égard ? Et si les dispositions que l'on propose contre la presse sont accordées, ne sera-ce pas un devoir pour l'opposition d'en proposer d'autres qui lui donnent des garanties nouvelles ?

Nous prenons, nous, messieurs, le rôle de la presse au sérieux ; nous la regardons comme la première des garanties politiques. Privés de toutes autres institutions, nous serions libres encore, si nous conservions la liberté de la presse. Quand on touche à une pareille institution, messieurs, il faut y prendre garde ; le premier ébranlement donné à l'édifice peut entraîner des ruines.

Eh bien ! la presse, il faut le dire, messieurs, la presse a à se plaindre de divers abus.

Le timbre qui frappe la presse est à lui seul un grand obstacle à son développement. Il constitue pour elle un impôt exorbitant. Il empêche certaines publications utiles de naître ; il nuit aux publications existantes. Les grands frais qu'entraîne le timbre des journaux réagissent défavorablement sur la rédaction elle-même. Si les grands journaux pouvaient consacrer à améliorer leur rédaction les sommes considérables qu'ils sont obligés de payer annuellement au fisc, ils ne pourraient que gagner en importance et en utilité. Ils appelleraient à eux des latents qui cherchent aujourd'hui une autre carrière moins ingrate. Voulez-vous avoir raison de la mauvaise presse, faites que la bonne presse prospère.

Voilà, messieurs, la première question que l'opposition pourrait soulever. La presse doit-elle être soumise à un timbre, qui est un obstacle à son perfectionnement, à ses développements utiles, à l'accomplissement de la mission de censure qu'elle doit en quelque sorte exercer sur elle-même ? En second lieu, les écrivains jouissent-ils de toutes les garanties que la Constitution leur assure ? D'après la jurisprudence de certains tribunaux, un fonctionnaire public, attaqué dans un journal pour un fait de sa vie publique, peut traîner l'auteur de l'écrit devant le juge civil et le faire condamner à des dommages-intérêts, et par suite à un emprisonnement indéfini à défaut de payement.

Je dis que c'est là un très grave abus, sur lequel l'opposition, si elle n'était pas modérée, extrêmement modérée, aurait peut-être depuis longtemps dû appeler une réforme.

La liberté de la presse, messieurs, ce n'est pas la liberté d'un parti ; c'est la liberté de tous les partis ; c'est la liberté de tout le monde. Nous défendons aujourd'hui la presse ; vous l'attaquez.

Mais je vous donne seulement six mois d'opposition, et je crois que ce rôle vous ferait un grand bien, car beaucoup d'entre vous se sont singulièrement amoindris dans leur ministérialisme, je donne seulement six mois d'opposition à la majorité d'aujourd'hui et, ou je me trompe fort, ou elle sera la première à réclamer bien vivement le maintien de toutes les libertés ; de la liberté de la presse contre laquelle on s'élève aujourd'hui ; de la liberté d'association dont on semble avoir tant peur, quand les associés sont des libéraux.

Que la majorité ne s'associe-t-elle à nous pour défendre en commun les garanties communes ? Est-ce qu'une longue communauté avec (page 1296) les ministères de toutes les couleurs qui se sont succédé au banc ministériel, aurait éteint chez quelques-uns, avec toute liberté personnelle, ce vif amour de nos institutions qu'il est de notre intérêt, de notre honneur à tous de conserver intact ? Lors donc que nous défendons ici la liberté de la presse, nous devrions avoir sur tous les bancs des voix qui nous appuient, car, je le répète, la liberté de la presse, c'est la liberté pour tout le monde.

J'avoue que le discours de l'honorable M. Malou m'a causé une émotion pénible ; il est jeune, plein de talent, son éducation politique s'est en quelque sorte développée aux rayons de notre Constitution libérale ; on aimait à voir en lui un adversaire qui faisait honneur à son parti, et que n'effrayaient pas trop les idées nouvelles. Eh bien, il y a eu, dans plusieurs passages de son discours, je ne sais quel parfum de traditions anciennes, je ne sais quelle sorte de défiance et de haine contre la liberté de la presse ; je crois qu'il aurait dû laisser de pareils sentiments à ces hommes vieillis dans les préjugés, à ces hommes endurcis dans les faux principes, à cas hommes qui, s'il y a dans nos rangs un collègue aimé, parce qu'il a du talent, parce qu'il a du cœur, va de préférence choisir celui-là pour lui jeter la pierre, et l'écraser sous la supériorité de M. le ministre de la justice.

La conduite de M. le ministre des finances, je la regrette beaucoup. L'espoir que je nourrissais de voir dans l'opinion que nous combattons, des hommes surgir, capables de diriger honorablement et heureusement cette opinion, de la sauver d'elle-même ; cet espoir, je commence à le perdre. Je veux bien n'attribuer qu'à un mouvement d'impétuosité naturelle cette déclaration de guerre faite par l'honorable M. Malou à la liberté de la presse ; je crois que quand il aura ses sens mieux rassis, il regrettera alors quelques paroles qui lui sont échappés dans la chaleur de l'improvisation.

J'aime à croire que le collègue de M. le ministre des finances, l'honorable M. Dechamps, aura partagé mes impressions.

Il est impossible que l'honorable M. Dechamps qui s'est produit dans le monde précisément par la presse, comme plusieurs d'entre nous ; et nous n'en lirons pas trop d'orgueil, comme nous ne nous en sentons pas trop humiliés ; il est impossible, dis-je, que l'honorable M. Dechamps nourrisse contre la presse ces sourdes aversions qui viennent d'éclater d'une manière si inopportune.

On a beau dire qu'on ne s'adresse qu'à la mauvaise presse. C'a été l'argument de tous les hommes d'Etat qui ont proposé des lois répressives de la presse ; personne n'est venu jamais soutenir qu'il fallût réprimer la bonne presse ; « c'est la mauvaise presse que nous voulons atteindre, a-t-on toujours dit, » sauf à décider ensuite ce qu’il faut entendre par la mauvaise presse.

Et en Belgique, si vous suiviez l'impulsion de ceux qui vous poussent, quelle serait la mauvaise presse que vous auriez à poursuivre ? Ne serait-ce pas la presse libérale tout entière ? Cette presse n'a-t-elle pas été l'objet d'anathèmes contre lesquels vous n'oseriez protester ? Celle-là seule est la mauvaise presse aux yeux des principales influences de votre parti.

La presse libérale, c'est la presse qu'il faut maudire, c'est la presse qu'on attaque dans la chaire, dans le confessionnal ; c'est la presse contre laquelle on réclamera l'application de la loi.

J'engage mes honorables amis à rester fermement sur la brèche, à défendre pied à pied tout le terrain. Lorsqu'on jette le gant à l'opposition, il serait mal séant pour elle de ne pas remplir jusqu'au bout la mission que le pays entier doit attendre de sa fermeté et de sa vigilance.

La presse attaquée, nous devons la défendre, non seulement par des discours, mais par des garanties nouvelles. Et si la discussion se prolonge, ce n'est pas notre faute, c'est la faute de ceux qui d'abord, sans aucun motif grave, sont venus nous surprendre par un malencontreux projet de loi, qui, non contents de ce premier projet, l'ont aggravé encore d'un second projet, non moins malencontreux ; c'est surtout la faute de ceux qui, hier et aujourd'hui, ont dans leurs discours manifesté à l'égard de la presse des sentiments et des intentions contre lesquels nous devons protester et nous précautionner.

Je l'ai déjà dit, je ne suis pas le courtisan de la presse. Si j'obéissais à des impressions personnelles, je pourrais me souvenir que peu d'hommes publics ont eu à subir de plus cruelles attaques que celui qui vous parle. Mais, messieurs, de ce que je ne flatte pas les journaux, il ne s'ensuit pas que je nourrisse contre la presse de petits ressentiments et d'indignes colères ; et plus la position que j'aurais occupée serait élevée, plus je tiendrais au-dessous de moi les injures. Et, certes, si j'avais eu l'honneur de siéger dans les conseils de la Couronne, avant de proposer à S. M. une nouvelle loi contre la presse, j'aurais jeté les yeux sur les conséquences qu'une pareille loi devait entraîner à sa suite.

Je me serais dit que le moment est mal choisi pour venir livrer en quelque sorte en proie à la discussion publique le Roi et la royauté ; je me serais dit que le sentiment dynastique ne se fortifie pas à de telles épreuves ; je me serais dit que la royauté n'avait déjà été que trop compromise par des ministres imprudents ou égoïstes. La royauté, messieurs. on en a fait un peu le même usage, le même abus que de la religion. N'ayant plus de force propre en soi-même, votre parti ne craint pas de faire appel à ce qui devrait rester constamment en dehors des luttes et des débats politiques. Un jour, c'est la religion avec toutes ses pompes, avec tous ses mystères, que vous appelez à votre aide ; un autre jour, c'est la royauté, je dirai presque aussi avec ses pompes, avec ses mystères, que vous transformez en agence électorale. Vous la faites descendre dans nos luttes intérieures, sur la place publique, dans les rues, la mettant aux prises avec toutes les passions ! Comment voulez-vous qu'il ne sorte pas de la victoire ou de la défaite quelques-uns de ces ressentiments proportionnés à la violence des luttes électorales ? N'est-ce pas faire un abus scandaleux de la royauté que de présenter aux électeurs des candidats comme particulièrement soutenus par le Roi, porteurs de je ne sais quel ordre ou quelle recommandation émanés du Trône ? Qu'arrive-t-il ? Quand de pareils candidats sont vaincus, dans la capitale même, sous les yeux du Roi, ce n'est pas seulement un parti, c'est la royauté pour ainsi dire elle-même qui subit la défaite !

Voilà de bien plus graves abus que de misérables caricatures qui ne valaient pas l'éclat d'un procès et d'un projet de loi.

Voilà les abus sur lesquels nous aurions pu appeler depuis longtemps l'attention de la chambre et du pays, si nous n'avions pas craint d'engager des débats irritants et compromettants.

Si la loi spéciale ayant pour but de réprimer certaines offenses au Roi, avait été sagement circonscrite ; si on n'avait pas agrandi le cercle ; si, surtout, on ne l'avait pas accompagné de commentaires qui m'ont donné beaucoup à réfléchir, je dois le dire, malgré ma répugnance, pour cette loi, malgré ma première résolution de la repousser comme inutile et inopportune, peut-être aurais-je été amené à la voter, réduite à son objet simple et spécial ; j'aurais voulu épargner à l'opposition de nouvelles calomnies, je n'aurais pas voulu qu'on lui attribuât aux yeux de l'étranger, aux yeux du pays, le tort d'avoir fait subir à la royauté, déjà si compromise, une sorte de défaite au sein du parlement belge.

Voilà, messieurs, le motif impérieux qui aurait pu me déterminer à donner, bien malgré moi cependant, un vote approbatif à la loi. Mais aujourd'hui, cette loi n'a plus le même caractère ; la discussion m'a averti : la conduite du ministère m'a tracé la mienne ; que le ministère s'en prenne donc à lui-même, s'il a donné à plusieurs membres de l'opposition un motif sérieux et déterminant de refuser leur adhésion à son projet de loi.

Ne nous le dissimulons pas cependant, sur ces bancs, la conduite de l'opposition est surveillée ; quelles que soient ses résolutions et ses raisons, elles seront méchamment interprétées ; le vote qu'elle émettra aura ses commentaires pleins de venin et de mensonge, non seulement dans cette mauvaise presse, dont l'opinion contraire à la nôtre peut revendiquer sa bonne part ; mais dans ce qu'on appelle la presse sérieuse, la presse ministérielle, la presse politique.

Il y a, messieurs, un manège que nous connaissons ; il consiste à présenter l'opposition parlementaire comme peu amie de la royauté, comme disposée à faire en tout et pour tout opposition à la royauté ; et très probablement le vote qui sera émis sur cette loi sera présenté ailleurs comme l'effet de ces dispositions hostiles. Cette considération ne doit empêcher personne d'entre nous de remplir les devoirs que lui impose sa conscience. C'est par des intentions droites et loyales qu'on répondra aux calomnies passées comme aux calomnies futures ; et peut-être un jour la royauté, vis-à-vis de laquelle on continuera de dénaturer sans doute la portée de certains votes, reconnaîtra-t-elle que ses meilleurs défenseurs ne sont pas toujours parmi ses serviteurs les plus complaisants.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l'honorable membre s'est associé au discours de son ami M. Lebeau ; nous les comprendrons donc l'un et l'autre dans notre réponse.

A entendre, messieurs, les paroles amères, acerbes du député de Bruxelles, nous avons cru que l'honorable orateur avait encore conservé le souvenir des luttes qu'il a aussi soutenues à ce banc, luttes dont la violence était telle qu'elle arrachait de sa bouche cette exclamation de détresse : Nous sommes au banc de douleur !

Messieurs, l'honorable M. Doignon a été invoqué dans cette discussion ; on vous a cité un passage du discours qu'il a prononcé sur le traité de paix. Nous demanderons à notre honorable contradicteur s'il accepte l'autorité du discours de M. Doignon ; et s'il accepte cette autorité, nous nous faisons fort de faire réimprimer à nos frais le discours de cet honorable député de Tournay. (Interruption.)

Eh quoi, vous repoussez cette autorité, est-il de votre dignité de venir l'invoquer contre nous ?

L'honorable député de Termonde a prononcé deux paroles devenues célèbres, anachronisme ou défi, mais qui au fait n'atteignent en aucune manière notre considération politique. Acceptez-vous l'autorité de sa parole ? acceptez-vous le discours qu'il vous a adressé dans une séance de la présente session.

Et l'honorable M. Dolez qui, messieurs, s'est montré adversaire du cabinet, dont nous avons toujours écouté avec attention les discours parce que, sans en accepter le fondement, cependant nous ayons trouvé plusieurs fois qu'il devait en sortir des leçons de prudence, si jamais nous étions tenté d'en oublier la voie et les conseils ; nous demandons à l'honorable M. Lebeau s'il accepte pleinement et sans réserve les avis de son honorable ami politique. S'il en est ainsi, messieurs, qu'il se hâte de se tirer d'une position fausse.

Messieurs, tout le discours de l'honorable membre n'avait qu'un but, c'était de détourner l'attention du pays de sa conduite politique actuelle, et de l'appeler exclusivement sur la nôtre. Eh bien, messieurs, nous ne redoutons pas ce jugement.

On a parlé des élections, de l'intervention de la royauté dans les sections. Messieurs, je dénie de la manière la plus formelle d'avoir jamais compromis en quoi que ce soit la majesté royale dans les élections. Et (page 1297) puisque nous sommes sur ce chapitre, nous disons que si des précédents fâcheux avaient été posés, d'honorables contradicteurs les auraient eux-mêmes posés. Nous avons déjà dit dans d'autres circonstances où l'on prétendait que le ministère allait mendier l'appui du clergé, ce n'était pas à nous qu'il fallait adresser ce reproche, qu'il se rapportait à une époque de notre révolution déjà à peu près oubliée.

Cette protection, vous l'avez souvent réclamée.

M. Lebeau. - Jamais !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je l'affirme.

M. Lebeau. - Je le nie.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je l'affirme, et pour cause.

M. Lebeau. - Je l'ai acceptée, mais non réclamée.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Acceptée et réclamée. Je ne rétracte pas mes paroles.

M. Rogier. - Je le nie.

M. Lebeau. - Et moi aussi.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je maintiens mon assertion.

Comment ! messieurs, le projet que nous discutons est une flatterie monstre ! En quoi donc avons-nous flatté la royauté ? En demandant pour elle la même sauvegarde que pour le dernier des citoyens ?

Mais, messieurs, nous devons le dire, l’auteur du programme «le 1846, lui, n'a pas flatté la royauté. C'était l'absorption des plus belles prérogatives de la royauté au profit du ministère, qu'il voulait.

Nous ne disons pas, messieurs, à la royauté : Nous vous sommes dévoués, nous défendrons en tout et partout vos prérogatives. Nous remplissons simplement et modestement nos devoirs constitutionnels ; et un des premiers de ces devoirs, messieurs, c'est de mettre la Couronne, la famille royale à l'abri de toute atteinte.

Et cette flatterie monstre, qu'on a attaquée encore, le monument à élever au camp, était-ce de la bouche de l'honorable M. Lebeau que nous devions en entendre la critique ?

Par qui cette pensée a-t-elle été conçue ? Par un honorable général dont le caractère est incompatible avec une basse flatterie, dont le caractère avait été jugé honorable par M. Rogier, au point de le proposer pour faire partie de son cabinet.

Et nous, messieurs, nous aurons le courage de défendre l'acte de ce général, car nous avons compris sa pensée. Nous n'avons pas hésité à l'approuver, parce qu'il était naturel que le camp fût le siège d'un monument érigé par l'armée, alors que le camp avait été le champ principal de l'instruction de l'armée.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Comment, messieurs, on nous critique d'avoir présenté un projet de loi sur la presse, pour amener une répression légale, constitutionnelle ? Et de quelle manière nos honorables contradicteurs ont-ils agi, lorsque des étrangers venaient, en quelque sorte, compromettre l'ordre et la tranquillité dans le pays ? Lorsque l'existence des anciennes lois était contestée, comment procédait-on ? Par voie de fait. Le droit d'extradition était contesté. On posait le fait. Le droit d'expulsion était contesté. On posait le fait, et ces faits ont donné lieu à la loi sur les extraditions, à la loi sur les expulsions.

Ce n'est pas de cette manière, messieurs, que nous procédons. Une lacune dans nos lois nous est signalée. Nous venons vous demander de la combler.

En définitive, de quoi s'agit-il ? Il s'agit de savoir, messieurs, si vous voulez, par le rejet de la loi, donner une nouvelle activité à la presse diffamatoire ; voilà la question telle qu'elle est, elle n'est pas autre ; à cette presse qui emploie l'escroquerie et qui force à fournir de l'argent pour empêcher une diffamation, pour empêcher une injure ; ce sont des faits qui se sont fréquemment passés ; à la presse diffamatoire qui sert toutes les plus mauvaises passions, la haine, l'envie, la jalousie ; et c'est cette presse, messieurs, que l'on veut maintenir à l'abri des attaques de la justice !

M. Rogier. - Qui est-ce qui veut maintenir cette presse-là ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Nous disons que les lois existantes sont insuffisantes ; on nous répond qu'il ne faut pas de loi, que d'ailleurs les lois seront inutiles.

C'est au nom de la liberté de la presse que l'on prétend sauvegarder son plus dangereux, son plus grand ennemi.

Car, qu'on ne l'oublie pas, beaucoup de personnes, victimes d'odieuses attaques, ont maudit la liberté de la presse qu'elles ont inconsidérément confondue avec sa licence.

Messieurs, l’idée d'une loi répressive de la diffamation est-elle donc nouvelle ? cette loi n'a-t-elle pas été réclamée sur les bancs de la gauche même, lorsqu'on discutait la loi du duel ? Et permettez-moi de le dire en passant, cette loi a été aussi l'objet de violentes attaques. Toutes ces attaques ne l'ont pas empêchée d'être bonne. Cette loi est aujourd'hui acceptée par le pays, elle est passée dans nos mœurs. Mais alors on disait : La loi du duel devrait être précédée d'une loi sur les injures, sur la diffamation.

A cette époque, messieurs, nous avions pris l'engagement, mon honorable ami M. Raikem et moi, si nous étions restés au pouvoir, de combler cette lacune. L'honorable M. Leclercq lui aussi savait qu'il devait accomplir la promesse de ses prédécesseurs et il s'était occupé d'un projet de loi sur cette matière. Cette loi, messieurs, aurait pu encore être momentanément ajournée, si une recrudescence de la presse calomnieuse, de la presse diffamatoire, de la presse injurieuse, ne s'était pas manifestée depuis quelque temps. D'autre part, messieurs, nous n'hésitons pas à l'avouer, l'issue de certain procès nous a fait mieux concevoir et comprendre que le décret du congrès, dont lui-même avait prescrit la révision, était insuffisant. Par ce décret, la personne royale était placée, pour obtenir la répression des offenses, dans une position moins avantageuse que celle des simples citoyens. Il y avait, messieurs, une lacune, en ce qui concerne la famille royale ; ce délit était mentionné, la peine n'était pas établie. Un droit, messieurs, qui a été dans beaucoup de circonstances la sauvegarde des simples citoyens, la répression par les tribunaux civils, cette répression n'est pas à l'usage de la famille royale.

A tous égards, donc, il est de notre devoir de combler la lacune que nous venons vous signaler. Par cela même que la famille royale ne peut pas, comme les autres citoyens, recourir à la justice civile pour obtenir des dommages-intérêts, il y a pour nous un motif de plus de fortifier l'action publique.

Mais, dit-on, vous avez étendu la procédure que vous avez proposée pour la répression des délits commis contre la famille royale ; vous l'avez étendue aux autres délits.

Ici, messieurs, nous dirons aux membres de l'opposition : Prenez-vous-en à vos collègues qui ont siégé dans la section centrale. Ce sont eux qui ont demandé qu’il y eût une seule et même procédure pour tous les délits, quelle qu'en fût la nature. Voici ce que nous trouvons dans le rapport de la section centrale :

« La section centrale appréciant le but que le projet a voulu atteindre par les dispositions de son article 4, l'adopte par cinq voix contre deux qui s'opposent à une procédure spéciale pour la poursuite des délits d'offense contre le Roi et la famille royale. »

Eh bien, messieurs, ce ne sera pas une procédure spéciale ; ce sera une procédure commune non seulement pour les délits commis envers le Roi, mais aussi pour les délits commis envers les simples citoyens.

M. d’Elhoungne. - Est-ce que la section centrale la examinée sous ce point de vue ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Nous disons que l'observation a été faite qu'il y aurait inégalité de procédure. Cette inégalité, M. le ministre la justice vous propose de la faire cesser. Et après tout, messieurs, si la procédure adoptée par la section centrale est bonne, pourquoi ne l'appliqueriez-vous pas aux délits commis envers les citoyens ?

Nous terminerons, messieurs, par une maxime qui nous a souvent frappé, mais qui est particulièrement applicable aux débats parlementaires : nous avons beau protester dans nos discours que nous voulons sauvegarder tel ou tel intérêt, si nos votes ne viennent confirmer nos discours.

M. de Garcia. - Mon intention n'est pas, messieurs, de me placer sur le terrain politique que la discussion de ce jour a envahi. Ce terrain ne peut me convenir. Il peut convenir aux hommes éminents qui ont occupé des postes élevés, de donner des explications sur leur passé ; la discussion politique peut convenir encore à ceux qui désirent occuper ces hautes positions. Sous ce double rapport, je ne puis en aucune manière m'engager dans ce débat. Mon intention est de me renfermer exclusivement dans l'examen de la loi qui nous est soumise.

J'ai demandé la parole à l'occasion de quelques observations qui ont été présentées par l'honorable M. Delfosse. Cet honorable membre s'est exprimé de la manière suivante :

« Ce qui me déplaît, ce qui m'indigne dans le projet de loi actuel, c'est qu'il porte atteinte à la liberté de la presse. »

A mes yeux, cette observation ne constitue qu'une affirmation sans fondement.

Si je considérais le projet de loi comme pouvant porter la moindre atteinte à la liberté de la presse, je me joindrais à tous le» membres de l'opposition pour le combattre.

Depuis longtemps j'ai fait ma profession de foi à cet égard. Depuis longtemps j'ai déclaré que je défendrais avec toute l'énergie dont je suis capable, toutes les libertés précieuses que s'est données la Belgique. Toutes nos libertés constitutionnelles, liberté de la presse, liberté de l'enseignement, liberté religieuse, toutes ces libertés, en dépit des suppositions et des insinuations qui ont été produites, je les défendrai toujours. Devant cette déclaration, devant les attaques faites contre le projet de loi actuel, reste une seule question à examiner.

Ce projet a-t-il pour objet de porter une atteinte quelconque à la liberté de la presse ? Voilà le véritable et le seul point à examiner.

Messieurs, prétendre que la loi actuelle a cette portée, c'est prétendre que la calomnie, l'injure, la diffamation constitue un droit et une prérogative de la liberté de la presse. Je le demande avec franchise, est-il quelqu'un qui puisse soutenir directement semblable prétention ? Poser cette question, c'est la résoudre. Partant, voyons le but de la loi actuelle. ; Ce but est unique, c'est d'atteindre la répression efficace des injures et des calomnies qui peuvent être commises envers tous les citoyens par la voie de la presse. Encore une fois, je le demande à tout homme sincère, une loi semblable peut-elle être considérée comme portant atteinte à la liberté de la presse ? Loin de là, j'ai la conviction intime que tous les vrais amis de cette liberté applaudiront à la répression de ces abus, à la régression de la licence. Il n'existe pas un homme d'ordre dans le pays, je crois, qui ne désire que la calomnie, l'injure et la diffamation, fussent-elles (page 1298) posées par les organes de la presse libre, ne soient punis d'une manière efficace, sérieuse.

Je passe à un ordre d'idées plus spécial à la loi. Le projet qui nous est soumis avait primitivement un caractère plus restreint que celui qui lui a été donné ultérieurement : il tendait à créer un bouclier solide sous lequel le Roi et la famille royale fussent protégés et mis à couvert des injures et des insultes de toutes les mauvaises passions. Pour moi cette question est indépendante de toute décision judiciaire. Il ne peut me convenir d'examiner le bien ou mal jugé du verdict prononcé par le jury de Bruxelles, auquel il a été fréquemment fait allusion ; il ne peut m'appartenir de critiquer une décision qui a la force de chose jugée, et, que je dois croire avoir été prise en conscience et dans le cercle tracé par nos lois. Loin de croire que je puisse agir ainsi, c'est qu'en présence du texte de loi qu'il a appliqué, et qu'on veut modifier aujourd'hui, je dois reconnaître qu'il a pu, au contraire, prononcer un acquittement.

Tous les membres d'un jury ne sont pas jurisconsultes ; ils ont pu attacher au mot méchamment une autre pensée que celle qu'on lui donne dans cette discussion, que celle d'une simple intention malveillante. Une erreur semblable me paraît d'autant plus possible que nos lois pénales n'emploient nulle part ce mot, et que profitant d'une différence de rédaction, une défense adroite a pu profiter de cette circonstance pour démontrer au jury que le mot méchamment exigeait une intention criminelle plus forte et plus intense que celle qui constitue les délits ordinaires. Cette considération est, selon moi, un motif puissant pour modifier la loi existante dans le sens qui nous est proposé. Une modification semblable serait peut-être inutile si les tribunaux avaient eu à juger ces matières. (Interruption.)

Je ne sais ce que signifie cette interruption, mais je déclare de la manière la plus positive que si je parle des tribunaux, je rejette loin de moi toute supposition qui tendrait à me prêter la pensée de vouloir rendre aux tribunaux ordinaires la connaissance des délits de presse. Loin de là, c'est que si une proposition semblable se faisait jour, je la combattrais de toutes mes forces.

Le but de cette observation est tout simple, elle tend uniquement à démontrer que des magistrats, plus habitués que des jurés à interpréter la loi, auraient rendu une sentence toute contraire à celle du jury de Bruxelles, et interprété la disposition dont s'agit dans le sens indiqué par plusieurs membres de l’assemblée, qui n'ont considéré le mot méchamment, employé dans la loi, que comme un pléonasme.

L'on doit pourtant le reconnaître, il est encore douteux que des juges ordinaires aient admis cette interprétation, devant la rédaction des articles 2 et 3 du décret du 20 juillet 1831.

Ces articles, qui traitent de matières diverses, emploient également le mot méchamment.

Logiquement, ce mot doit donc être considéré comme ayant la même signification dans tous les cas prévus.

En principe de loi, c'est pourtant ce qui ne peut pas être admis, puisque, comme je l'énonçais dans la séance d'hier, il doit être permis à tout citoyen de faire de la théorie gouvernementale, de critiquer et d'attaquer des lois existantes, de critiquer même et d'attaquer des institutions politiques et de faire tous ses efforts pour les changer et en amener la réforme. Une conduite semblable ne peut évidemment avoir un caractère criminel que pour autant qu'elle soit inspirée par des intentions méchantes, et dans le but d'attirer ces réformes par des violences dans les rues, par des bouleversements, par des révolutions. A ce point de vue, le mot méchamment est indispensable dans la loi.

Mais en est-il de même lorsqu'il s'agit d'offenses envers le Roi, d'injures et de calomnies envers les citoyens ? C'est ce que je ne puis admettre, et les considérations que j'ai présentées dans la séance d'hier, ainsi que celles présentées par d'autres orateurs, me semblent le démontrer à l’évidence.

Suivant l'esprit général de nos lois, pour que des injures et des calomnies aient le caractère de délit, il suffit que ces faits soient posés avec intention.

A ce point de vue la presse ne peut avoir un privilège, et rationnellement elle doit subir le droit commun.

Reste une dernière observation à examiner, c'est celle qui tend à démontrer que la procédure nouvelle introduite dans la loi sera de nature à porter atteinte à la liberté de la presse. Cette critique a tombé surtout sur la disposition de la loi qui étend la procédure spéciale des offenses envers la famille royale aux injures et aux calomnies commises envers tous les autres citoyens.

En présence des susceptibilités qui se sont manifestées dans le cours de cette discussion, en présence d'un droit aussi sacré que celui de la liberté de la presse, en présence de la déclaration formelle faite par le gouvernement de présenter dans un délai prochain un projet de loi complet sur la répression des calomnies, des injures et de la diffamation, je déclare franchement que je ne tiens pas à maintenir dans la loi actuelle la disposition qui généralise la procédure introduite spécialement pour poursuivre les offenses envers la personne du Roi et des membres de la famille royale. Je voudrais même que le gouvernement retirât la proposition qu'il a faite à cet égard.

Il faut le reconnaître, messieurs, si les formes d'une procédure ne créent et ne peuvent créer des délits, il n'en est pas moins constant que ces formes donnent des garanties contre des poursuites légères ou injustes. Il n'en est pas moins constant que dans les formes de la procédure un prévenu peut trouver des garanties qui le dispenseront de figurer sur les bancs d'une cour d'assises, où il est toujours très pénible de comparaître, fût-on déclaré innocent. Quoiqu'à mes yeux la procédure spéciale, tracée dans le projet de loi, ne présente pas ces inconvénients, néanmoins, je respecte les scrupules manifestés par plusieurs de mes honorables collègues, je convie le gouvernement à retirer cette disposition (article 11), je l'y convie autant dans l'intérêt de nos travaux que dans l'intérêt de la loi même et dans celui de nos libertés auxquelles je désire que nul ne puisse supposer qu'on veuille porter atteinte.

Des travaux importants et nombreux nous restent encore à terminer, et il importe dès lors que cette discussion ne se prolonge pas outre mesure. Déterminé par ses diverses considérations, je n'hésite pas à déclarer que je me réunis à l'opinion émise par plusieurs honorables membres de la gauche, et partant je propose de distraire de la loi actuelle l'article 11.

Au surplus, en faisant cette proposition qu'on/ ne se méprenne pas sur ma pensée.

Je considère comme nécessaire, comme indispensable que, dans un délai prochain, l'on nous présente une loi pour réprimer efficacement les injures, les calomnies, les diffamations, de quelque manière qu'elles se produisent ; mais incidemment on ne peut guère traiter une matière aussi vaste, aussi importante. Pour atteindre ce but que tout bon citoyen doit désirer, pour faire une bonne loi sur cet objet, il faut que tous les éléments nous en soient fournis, il faut du calme et du temps pour les apprécier ; toutes choses dont nous sommes privés dans ce moment.

M. Rogier. - M. le ministre de l'intérieur a cité tout à l'heure un honorable général qui ne peut lui répondre. Comme j'ai avec cet honorable général des relations assez intimes, je dirai en peu de mots ce que j'ai appris du fait auquel M. le ministre a fait allusion.

Je sais qu’au dernier camp de Beverloo, l'idée a été émise d'élever un monument, non pas un monument de courtisanerie à S. M., mais un monument militaire témoignant des passages successifs de l'armée au camp de Beverloo, et qui fût en même temps couronné par la statue du premier chef de l'armée nationale.

Cette idée a été qualifiée très durement par un honorable orateur de la droite.

Mon honorable ami, M. Lebeau, en reproduisant cette partie d'un discours de M. Dedecker, ne s'est pas associé, je penser, à cette critique ; et sous ce rapport, M. le ministre de Theux n'a, pas encore montré dans cette discussion toute la franchise que nous serions en droit d'exiger de lui ; nous l'attaquons directement, franchement ; nous voudrions qu'il se défendît par les mêmes moyens....

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je n'ai jamais reculé devant ces moyens.

M. Rogier. - J'ai déjà qualifié ces moyens employés par tous, et je crois que d'autres les ont trouvés parfaitement qualifiés.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Cela est possible, parce qu'ils vous déplaisent.

M. Rogier. - J'ai rappelé le fait du monument tel qu'il s'est produit à l'origine ; je dis qu'il n'y avait pas lieu d'en faire un si grand bruit dans la chambre. (Interruption.)

On me fait encore observer que la critique de l'honorable M. Dedecker s'adressait à un monument colossal qui devait être élevé au sein de la capitale. Or, loin que l'honorable général auquel on a fait allusion, soit pour quelque chose dans l'idée d'un tel monument, il s'est refusé à concourir aux travaux de la commission chargée d'en poursuivre l'exécution.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, si l'honorable M. Lebeau accepte l'explication donnée de ses paroles par M. Rogier, je n'hésite pas à dire que, dans ce cas, je m’y rallie. Je dois ajouter cependant que de la manière dont on avait rappelé une parole de l'honorable M. Dedecker, j'avais compris et je devais comprendre qu'on assimilait la flatterie du projet de loi à la flatterie d'un monument à ériger au camp. Je dois encore ajouter une observation sur les paroles de l’honorable M. Rogier.

Je ne pense pas que le monument à ériger au Roi fût l'accessoire ; dans la pensée des ailleurs du projet, c'était là l'idée principale, idée qui a été pleinement approuvée par moi, quand je l'ai connue, et que je n'hésite pas à approuver de nouveau, car j'ai été au camp quelques jours après que cette pensée a été conçue.

M. Orts. - Je désire faire une interpellation à M. le ministre de la justice. Je demande si les dispositions de l'article 11 final ne seront applicables qu'au Roi, aux chambres et aux autorités publiques, et non à la calomnie, à l'injure ou à la diffamation dont des fonctionnaires publics, mais en qualité de particuliers, auraient à se plaindre. Je fais cette demande, parce que si tous les délits de la presse, même envers les particuliers, sont de la compétence de la cour d'assises, c'est en vertu, non pas du décret de 1831, mais de l’article 98 de la Constitution qui porte que : « le jury est établi en toutes matières criminelles et pour délits politiques et de la presse. »

Maintenant il n'est pas sans importance que nous sachions si le nouvel article 11 final frappe sur tous les délits de la presse quelconques, ou seulement sur les délits de la presse dont il traite.

On peut inférer d'un discours de M. le ministre de l'intérieur que, dans le système du ministre, l'article 11 final serait une garantie nouvelle qui résulterait d'une procédure plus sommaire, procédure qui pourrait être invoquée par de simples particuliers et qui serait applicable à des prévenus de calomnie ou d'injures.

(page 1315) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'explication que demande l'honorable M. Orts, résulte des termes mêmes de l'article 11.

Le décret du 20 juillet 1831 ne s'occupe pas seulement des injures et des calomnies envers le Roi et les chambres, des attaques contre la force obligatoire des lois ; il parle aussi de la poursuite des délits relatifs aux injures envers les fonctionnaires publics, ainsi qu'envers les simples particuliers. En présentant l'article 11, mon intention a donc été d'appliquer la procédure tracée par les articles 4, 5, 6 et 7 à tous les délits quelconques de la presse.

Si j'ai ajouté dans l'article 11 les mots « qui doivent être soumis aux cours d'assises, » c'est que dans le décret de 1831, il se trouve deux dispositions relatives à des délits qui ne sont pas de la compétence des cours d'assises.

Au reste, pour lever tout doute à cet égard, on pourrait rédiger l'article comme suit : « Les dispositions des articles 4, 5, 6 et 7, sont applicables à tous les délits politiques, et de presse, qui doivent être soumis à la cour d'assises. »

M. d’Elhoungne. - Politiques aussi ?

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Sans doute, car les délits politiques doivent être jugés de la même manière que les délits de presse ; et la plupart des délits politiques se commettent par la voie de la presse, et sont prévus par les articles 2 et 3 du décret du 20 juillet 1831.

Au reste, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, la pensée du gouvernement, en proposant l'article 11, a été de satisfaire à un vœu qu'il croyait celui de la chambre, et qui du moins avait été manifesté dans le sein de la section centrale. Le gouvernement a pensé que la procédure proposée par lui, ayant été en grande partie adoptée par la section centrale ; et un désir ayant été exprimé de n'avoir pas une procédure spéciale, relativement aux délits contre la personne du Roi.....

M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour un fait personnel ; il est impossible de travestir ainsi l'opinion de la minorité de la section centrale.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je prie mon honorable interrupteur de croire que je ne travestis la pensée de personne ; l'honorable membre a assisté à la lecture du rapport de la section centrale ; je m'empare d'une phrase insérée dans ce rapport ; cette phrase, qui a été lue par M. le ministre de l'intérieur, dit que deux membres ont pensé qu'il ne fallait pas de procédure spéciale ; cela est acté dans le rapport de l'honorable M. Van Cutsem. I me semble que le sens de cette phrase n'est pas (page 1316) douteux ; mais, dans tous les cas, si même je me suis trompé sur le sens de ces paroles du rapport, je n'en déclare pas moins à la chambre que l'idée de l'artice11 m'a été inspirée par le rapport lui-même ; cette idée me paraissant bonne, je l'ai adoptée ; je n'avais pas pensé qu'elle eût rencontré d'opposition dans la chambre.

Maintenant, messieurs, l'honorable M. de Garcia fait relativement à cet article une proposition, il demande que le gouvernement le retire. Je ne pense pas pouvoir me rallier complètement à la demande de M. de Garcia telle qu'elle est formulée, mais je consentirai à ce que l'article 11 soit distrait du projet actuel et renvoyé en sections pour former un projet spécial. (Interruption.)

Je demande la permission de compléter ma pensée. J'ai été opposé hier au renvoi aux sections de tous les amendements que j'avais proposés, et remarquez qu'on demandait non seulement le renvoi aux sections de l'article 11, mais de tous les autres articles amendés, y compris l'article premier sur lequel on avait déjà discuté deux jours ; il était donc évident que le renvoi demandé hier était l'ajournement indéfini de la discussion de la loi. En présence de la séparation prochaine des chambres et des travaux que nous avons encore à terminer, il est évident que la loi n'aurait pas pu être discutée avant la fin de la session.

J'ai donc dû considérer cette demande de renvoi comme une fin de non-recevoir, comme un refus de discuter la loi, et dès lors j'ai dû m'opposer au renvoi demandé.

Si l'article 11 devait même être renvoyé aux sections, et s'il fallait attendre l'examen qui en serait fait pour terminer la discussion actuelle, je continuerais à m'opposera ce renvoi ; mais s'il y a disjonction, les inconvénients cessent, et cette proposition me semble remplir le but que se proposait hier M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il exprimait, ainsi que moi, l'opinion d'attendre, pour statuer sur la demande de renvoi de l'article 11 aux sections, que les autres articles réglant la procédure aient été discutés et votés. M. le ministre de l'intérieur supposait donc la possibilité de la disjonction. Si cette proposition de renvoi avec disjonction est faite maintenant et peut abréger la discussion, je ne m'y opposerai pas ; j'ai eu pour but principal de créer une procédure accélérée pour punir les offenses adressées à la personne du Roi. Je crois qu'il est utile et même nécessaire de modifier aussi la procédure pour tous les délits politiques et de la presse. Toutefois, puisque ces modifications apportées à la poursuite de délits généraux de la presse semblent pouvoir entraver ou du moins retarder l'adoption de dispositions qui étaient le but principal de la loi, sans abandonner ces modifications, je préfère admettre la disjonction de l'article 11 et son renvoi en sections, me réservant d'en presser la discussion autant que je pourrai ; le désir de faire cesser toute opposition à la discussion de la loi actuelle peut seul me déterminer à modifier ma proposition première.

(page 1299) M. Verhaegen. - Messieurs, j'ai combattu la loi que nous présentait le ministère comme loi spéciale, et j'en ai démontré l'inopportunité, l'inutilité, voire même les dangers. Les articles nouveaux que M. d'Anethan a ajoutés à son projet et qui lui avaient imprimé un caractère de généralité faisaient taire, j'en conviens, une partie de mes objections ; mais une loi de cette importance modifiant en quelque sorte toute la loi sur la presse et pouvant porter atteinte à la plus précieuse de nos libertés, méritait un examen approfondi. C'est par un motif de prudence, et non pour échapper à une discussion et à un vote, que mon honorable ami M. d'Elhoungne a demandé le renvoi aux sections d'un projet qui était devenu un projet de loi générale sur la presse et j'ai vivement appuyé cette demandé de renvoi.

L'insinuation que s'est permise hier M. le ministre de l'intérieur, ne pouvait pas m'atteindre, car avant d'appuyer la demande de l'honorable M. d'Elhoungne j'avais combattu le projet primitif à raison de son caractère de spécialité, et j'avais annoncé d'une manière très explicite, l'intention de voter contre. Plusieurs de mes honorables amis avaient manifesté la même intention, tout en votant le renvoi en sections qui n'était que la conséquence d'un revirement de M. d'Anethan, renvoi reconnu si juste qu'on n'a pas même trouvé, dans cette enceinte, une majorité pour le repousser, car le ministère ne doit son salut qu'à un partage de voix.

La discussion sur le fond a effrayé le ministère, car rien ne l'effraye davantage que ce qui peut émouvoir le pays, et le pays s'émeut nécessairement de tout ce qui touche à la liberté de la presse, la première de toutes nos libertés et sans laquelle les autres libertés ne sont que des chimères. Aussi depuis la séance d'hier, M. d'Anethan songeait-il à une retraité, et cette retraite vient de lui être ménagée par l'honorable M. de Garcia : c'est la seconde représentation de la comédie à laquelle nous assistions l'année dernière.

Aujourd'hui, d'après la proposition de l'honorable M. de Garcia, à laquelle M. le ministre de la justice vient de se rallier, au moins indirectement, en consentant au renvoi en sections de l'article 11, la loi que nous discutons va perdre son caractère de généralité pour revêtir son caractère primitif, celui de spécialité ; et dès lors les objections que nous avons fait valoir contre le projet dès le début de la discussion, conservent toute leur force, je pourrais même dire qu'elles sont devenues plus fortes. Je n'examinerai pas ce qui a pu amener ces revirements successifs du ministère. La royauté pourra se convaincre que ceux qui ont la mission de la couvrir de leur responsabilité, n'ont fait que la compromettre ; elle connaîtra aujourd'hui la valeur de ces hommes que le pays a jugés depuis longtemps.

Maintenant je dirai encore quelques mots sur la loi en elle-même, devenue de nouveau loi spéciale.

J'ai soutenu d'abord, et je soutiens encore que la loi est inopportune.

M. le ministre des finances nous avait annoncé dans son discours qu'il allait démontrer d'une manière évidente que la loi proposée est opportune, constitutionnelle, nécessaire, utile. Ce sont les expressions dont il s'est servi. Il nous avait dit qu'il ne s'occuperait pas beaucoup de la question politique, mais qu'il s'occuperait beaucoup de la loi en elle-même. Eh bien, j'ai écouté l'honorable M. Malou avec la plus grande attention, et je n'ai rien trouvé dans son discours de tout ce qu'il avait annoncé.

Je me trompé, il a dit quelques mots de la prétendue nécessité, il a soutenu que la loi nouvelle était nécessaire, et quant au fond, et quant à la forme. D'après lui, il faut un Code pénal spécial sur la presse, et en outre un Code d'instruction criminelle.

M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai dit précisément le contraire.

M. Verhaegen. -Vous avez dit que, quant au fond, il fallait une définition du délit.

M. le ministre des finances (M. Malou). - D'un seul.

M. Verhaegen. - La définition d'un seul délit, soit ; car il ne s'agit que du délit d'offense par voie de la presse.

La loi est donc nécessaire d'après M. Malou, au point de vue du fond, pour que l'offense soit une fois pour toutes bien définie, et chose singulière, je cherche partout cette définition dans le projet de loi, et je ne la trouve nulle part.

Réduit à consulter le dictionnaire de l'Académie, je vois que l'offense est une injure, et qu'une injure est une offense. Le projet de loi destiné, s'il faut en croire M. le ministre des finances, à donner une définition que le dictionnaire ne donne point, est également muet sur ce point, car je défie M. le ministre d’y trouver une définition de l'offense, et cependant c'est cette définition qui seule pourrait nécessiter une loi nouvelle quant au fond.

Quant à la forme, il faut, a dit M. Malou, donner des garanties aux honnêtes gens contre la mauvaise presse, et ces garanties n'existent pas dans la loi actuelle ; d'après lui, un homme traduit devant la cour d'assises pour un délit de presse pourra se laisser condamner par contumace, se présenter ensuite et faire tomber l'arrêt de contumace ; il pourra répéter ce manège plusieurs fois, pendant plusieurs années, et se soustraire ainsi aux poursuites !! Messieurs, je crois que c'est là une erreur : l'article 9 de la loi sur la presse de 1831 dit que « le prévenu d'un délit commis par la voie de la presse, et n'entraînant que la peine de l'emprisonnement ne pourra, s'il est domicilié en Belgique, être emprisonné avant sa condamnation, contradictoire ou par contumace. » Il ajoute que : « le juge ne décernera contre lui qu'un mandat de comparution qui pourra être converti en mandat d'amener s'il fait défaut de comparoir. »

Ainsi le prévenu peut être emprisonné après la condamnation par contumace, et s'il fait défaut, le juge peut décerner un mandat de comparution ; voilà bien une garantie. D'ailleurs un second défaut, d'après les principes généraux, donne à l'arrêt le caractère d'un arrêt contradictoire ; la loi n'admet pas qu'on puisse impunément se jouer de la justice. D'ailleurs, quoiqu'il en soit de la force d'un arrêt par contumace, les conséquences sont telles que l'abus signalé par le ministre n'est pas à craindre ; et ce qui le prouve, c'est que je n'en connais pas d'exemple.

M. Vanden Eynde. - L'arrêt tombe.

M. Verhaegen. - Oui, l'arrêt tombe, lorsque la condamnation par contumace a été purgée. Mais, pour purger sa contumace, il faut se constituer d'abord, et, en outre, on est soumis à plusieurs conséquences très fâcheuses. (Interruption.)

Il est impossible de parler quand on est constamment interrompu, et cela par des membres qui ne se donnent pas la peine de prendre la parole. Vous avez voulu que la discussion continuât. Vous voudrez bien m'entendre jusqu'au bout, et ce n'est pas de ma faute si cinq heures sonneront avant que vous sortiez de cette enceinte.

Je dis, messieurs, que ce n'est qu'un prétexte, car tout n'a été que prétexte dans l'occurrence.

Les dispositions qu'on nous présente comme mesures de procédure sont, à en croire M. Malou, très inoffensives, et, dans la réalité, elles sont de la plus haute gravité, car entre autres elles portent atteinte au droit sacré de la défense. (Interruption.)

Oui, elles portent atteinte au droit sacré de la défense, car elles abrogent l'article 204 du Code d'instruction criminelle.

Que dit cet article ? Il veut, comme première garantie, que tout individu, appelé devant une cour d'assises, puisse se défendre d'une manière convenable ; et, s'il n'a pas le moyen de se faire défendre par un avocat de son choix, sous peine de nullité de toute la procédure, on doit lui donner un avocat d'office. Je demande pourquoi cette disposition ne reste pas applicable en matière de presse comme en toute autre matière. : Est-ce en haine de la presse qu'on enlève cette garantie aux prévenus ? J'ai lieu de le croire, car je défie le ministre de me donner un motif quelconque pour justifier l'abrogation de l'article 294.

M. le président. - Je dois vous faire observer que ce n'est que l'article premier qui est en discussion.

M. Verhaegen. - C'est de l'article premier que je m'occupe. M. le ministre des finances, je le répète encore une fois, nous avait annoncé qu'il allait s'occuper beaucoup de la question relative à l’opportunité, à la constitutionnalité, à la nécessité, à l'utilité ; et en définitive, il n'en a rien fait.

J'ai démontré, de mon côté, l'inopportunité de la loi qui redeviendra une loi spéciale, si la proposition de l'honorable M. de Garcia est admise ; j'en ai en outre signalé les inconvénients et les dangers, et je maintiens, à cet égard, tout ce que j'ai dit.

Qu'a-t-on répondu à toutes mes observations ? Le seul argument que j'aie trouvé dans le discours de l'honorable M. Malou, c'est que le décret de 1831 sur la presse devait être révisé par la législature, que le congrès avait imposé cette révision et que ce décret n'était ainsi qu'un décret provisoire.

Mais, messieurs, comme on l'a fait remarquer déjà, de 1831 à 1847, il s'était écoulé plusieurs années, et on aurait réfléchi bien longtemps avant d'avoir obéi au vœu du congrès ! L'idée n'en est venue au ministère que le lendemain du verdict du jury dans l'affaire des caricatures !!

D'ailleurs, messieurs, on se trompe et grossièrement lorsqu'on vous parle du vœu exprimé par le corps constituant quant à la nécessité de réviser le décret de 1831 sur la presse ; on confond une disposition constitutionnelle avec une disposition du décret. La Constitution, il est vrai, a ordonné la révision de plusieurs lois et entre autres des lois sur la presse ; mais la Constitution est du mois de février 1831 et il a été satisfait à ce qu'elle avait prescrit quant à la révision en ce qui concerne la presse, par le décret qui est du 20 juillet 1831.

Il est vrai encore que ce décret, dans son article 17, ordonnait la révision de ses dispositions par la législature avant la fin de la session alors prochaine, mais la loi du 19 juillet 1832 les a de nouveau prorogées jusqu'au 1er mai 1833, et une dernière loi, celle du 6 juillet 1833, a purement et simplement remis en vigueur le décret du 20 juillet 1831 qui dès lors est devenu la loi définitive sur la presse.

Ainsi, le seul prétexte du ministère basé sur le caractère provisoire du décret du 20 juillet 1854 disparaît et il n'a plus que le verdict du jury dans l'affaire des caricatures pour justifier à sa manière son malencontreux projet.

Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture ! (Interruption.)

- La clôture sur l'article premier est mise aux voix par appel nominal et prononcée par 42 voix contre 30.

Ont voté pour la clôture : MM. de Naeyer, de Roo, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, d'Huart, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Huveners, Lejeune, Malou, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orban, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Brabant, Clep, d'Anethan, Dechamps, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode.

Ont voté contre la clôture : MM. Fleussu, Goblet, Jonet, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liedts, Loos, (page 1300) Maertens, Manilius, Orts, Osy, Pirson, Rogier, Sigart, Troye, Verhaegen, Veydt, Biebuyck, Cans, Castiau, David, de Bonne, de Breyne, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Dolez.

- La séance est levée à 5 heures.