(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Dumont.)
(page 547) M. Huveners fait l'appel nominal à 1 heure et quart.
La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Dechamps, préposé des douanes à Gemmenich, qui a été fait prisonnier à Louvain au mois d'août 1831, demande la décoration de l'Ordre de Léopold. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Vanlandeghem, notaire à Lokeren, présente des observations sur la nécessité de décréter un tarif légal des actes notariés. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur le notariat.
« Les membres de l'administration communale de Marbais prient la chambre d'accorder les fonds nécessaires à la reconstruction de l'ancienne chaussée Romaine qui conduit à la station du chemin de fer à Lutre. »
« Même demande des membres des administrations communales de Tilly et de Wagnelle. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« Les sieurs Kennis et Van Mechelen, fabricants de prussiate de potasse, à Louvain, déclarent restreindre leur demande aux sabots du bétail et à leurs déchets et prient la chambre d'en prohiber la sortie ou de les soumettre à un droit protecteur. »
M. le président (M. Dumont). - Je propose à la chambre de renvoyer cette pétition à la commission permanente de l'industrie.
M. de La Coste. - Cette pétition se rapporte à un projet de loi qui a été présenté par la commission d'industrie et mis en discussion à la fin de la session dernière. Cette discussion a été interrompue, la chambre ne se trouvant plus en nombre. Dans cette discussion, s'étaient élevées quelques objections. La pétition tend à provoquer une modification qui aurait pour résultat de lever ces objections, en ce qui concerne les intérêts du commerce.
Je pense qu'il convient d'ordonner le dépôt de la pétition sur le bureau, lorsqu'on reprendra la discussion, et son impression au Moniteur.
Je demande en outre qu'on veuille bien replacer à l'ordre du jour le projet de loi sur l'exportation des sabots de bétail, à la suite des objets qui s'y trouvent déjà.
M. de Garcia. - J'ai déjà fait observer hier qu'il y avait inconvénient à changer l'ordre du jour, puisqu'il y a nécessité à s'occuper le plus tôt possible du budget de la guerre.
M. de la Coste. - Il n'y aurait sans doute pas d'inconvénient à mettre ce projet de loi à l'ordre du jour après le budget de la guerre. Mais pour mettre ce budget à l'ordre du jour, il faudrait être d'accord avec M. le ministre de la guerre. Il me semble donc qu'il serait préférable de mettre ce projet de loi à l'ordre du jour à la suite des objets qui y sont déjà, sauf à donner la priorité au budget de la guerre, quand le gouvernement le demandera.
- La proposition de M. de la Coste est adoptée.
« Plusieurs habitants de Wevelghem demandent que la société d'exportation ne puisse opérer sur les marchés d'Europe ni se livrer à la fabrication. »
« Même demande de plusieurs habitants de Heule. »
M. de Haerne. - Les pétitionnaires sont les notabilités de deux centres de fabrication de la Flandre occidentale ; ils s'occupent du projet de loi relatif à la création d'une société d'exportation, qui sera bientôt à l'ordre du jour. Tout en reconnaissant en principe l'utilité de cette institution, ils s'opposent au monopole qu'elle pourrait exercer. Ils demandent qu'elle ne soit pas autorisée à exploiter avec privilège les marchés maintenant exploités par le commerce privé. En même temps, ils s'opposent à ce que la société établisse, en matière de fabrication, un monopole qui serait nuisible à la fabrication privée et à la fabrication à domicile en particulier.
Je demande le dépôt de la pétition sur le bureau, pendant la discussion à laquelle la chambre devra bientôt se livrer.
M. Rodenbach. - Il vaut mieux renvoyer la pétition à la section centrale qui serait chargée d'examiner le projet de loi relatif à la société d'exportation.
L'opinion qu'expriment les pétitionnaires au sujet du monopole leur est personnelle. D'autres pétitionnaires exprimeront l'opinion contraire.
Je pense, messieurs, que comme ce projet est de la plus haute importance, un rapport doit être fait à la chambre par la section centrale, aussi bien sur toutes les pétitions qui nous arriveront et quel que soit le sens dans lequel elles se prononcent, que sur le projet lui-même.
M. Desmet. - Messieurs, comme les pétitions dont on vous a fait l'analyse proposent des modifications essentielles au projet de statuts pour la société d'exportation des produits liniers, je demanderai, tout en appuyant la proposition de l'honorable M. de Haerne, que ces pétitions qui sont en flamand soient traduites en français et insérées au Moniteur, pour que tout le monde puisse en prendre connaissance. Je désire, du reste, aussi qu'elles fassent l'objet d'un rapport de la part de la section centrale.
M. de Haerne. - Messieurs, je ne m'oppose nullement à ce que ces pétitions soient renvoyées à la section centrale, je me joins même à l'honorable M. Rodenbach pour demander que ce renvoi ait lieu. Mais je désire en même temps que les pétitions soient déposées sur le bureau pendant la discussion du projet de loi, parce qu'il arrive assez souvent qu'une section centrale, après avoir pris connaissance de pétitions, se borne à les mentionner, sans entrer dans aucun détail sur le contenu. C'est ce qui me fait demander, tout en appuyant la proposition de l'honorable M. Rodenbach, le dépôt des pétitions sur le bureau.
M. Rodenbach. - Messieurs, je suis d'accord avec l'honorable M. de Haerne. Outre le renvoi des pétitions à la section centrale, je consens à ce qu'elles soient déposées sur le bureau pendant la discussion du projet de loi. Mais j'insiste pour que la section centrale nous fasse un rapport sur toutes les pétitions qui nous seront adressées ; et vu l'importance de la question, je suis persuadé qu'elle entrera dans tous les détails désirables.
- La chambre décide que les pétitions seront renvoyées à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi, et resteront déposées sur le bureau pendant la discussion de ce projet.
Par dépêche, en date du 20 janvier, M. le ministre des affaires étrangères transmet à la chambre une copie authentique des communications officielles faites à M.de Launoy, consul général aux îles Philippines, relativement à la conclusion d'un arrangement entre la Belgique et la Chine.
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. de Baillet demande un congé de trois jours.
- Ce congé est accordé.
L'ordre du jour appelle la nomination d'un membre de la cour des comptes.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants, 74.
Majorité absolue, 38.
M. Heyvaert (Charles), chef de division à la cour des comptes, obtient 38 voix ;
M. Misson (Victor), commissaire d'arrondissement à Mons, 35 ;
M Gillet (J.-J.), chef de bureau au ministère des finances, 1.
En conséquence, M. Heyvaert est nommé greffier de la cour des comptes.
M. le président. - La chambre en est arrivée à l'article 4 du chapitre IX, ainsi conçu : « Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 175,000. »
- Cet article est adopté sans discussion.
(page 548) « Art. 5. Subsides : 1° Pour le patronage des condamnés libérés ; 2° pour faire établir et soutenir à cette fin des maisons de refuge, où sont également reçues les personnes qui veulent abandonner la voie du vice et de l'immoralité ; 3° pour venir en aide aux institutions qui forment des sujets propres au service des prisons, des dépôts de mendicité et d'autres établissements de bienfaisance : fr. 50,000. »
M. Loos. - Messieurs, dans la discussion générale, j'ai signalé l'importance des subsides accordés à certains établissements pour la formation de religieux propres au service des prisons. J'ai dit quels services ces religieux rendent dans les prisons, mais j'ai fait remarquer à la chambre qu'on voulait convertir ces religieux en gardiens, et j'ai dit que si l'on donnait suite à ce projet, on arriverait à un résultat contraire à celui qu'on veut obtenir, c'esi-à-dire que cette mesure aurait pour effet d'introduire le désordre dans les prisons.
J'ai dit en outre que ce serait là une mesure qui dénaturerait tout à fait le caractère des frères religieux. En effet, messieurs, vous pouvez facilement vous faire une idée des situations diverses où peuvent se trouver des religieux dans cette position : comme gardiens, ils doivent répondre des détenus confiés à leur garde ; un détenu peut se révolter, et de quel secours sera un frère religieux dans cette circonstance ? Vous ne prétendez pas certainement l'armer pour la sécurité de la maison et pour sa propre sécurité. Dès lors il faillirait toujours des gardiens civils, tels que ceux qui existent aujourd'hui dans les prisons ; ce serait là un double emploi et une double dépense. Quant à moi, si M. le ministre persiste à affecter les frères religieux au service des prisons, comme gardiens, je ne pourrai pas voter le crédit demandé à l'article en discussion.
M. Desmet. - Messieurs, la question que vient de traiter l'honorable M. Loos est une question très importante pour les prisons. Je pense, moi, qu'il est de la plus haute utilité qu'il y ait dans les prisons, non pas des religieux, mais des frères de la chrétienté pour venir en aide aux gardiens, afin de maintenir la police et le bon ordre. Nous ne pouvons encore en juger d'une manière complète en Belgique ; l'essai qu'on a fait n'est pas encore au bout ; cependant on peut déjà dire que la tentative a produit de bons résultats. La maison de détention pour les jeunes délinquants à St-Hubert est comme une espèce de pension ; les jeunes détenus y sont très tranquilles et montrent d'excellentes dispositions ; à tel point que l'aumônier de la maison n'a presque rien à faire.
Nous avons la même chose en partie dans la prison d'Alost...
M. le président. - Je ferai observer à l'orateur que ses observations s'appliquent au chapitre X qui n'est pas encore en discussion.
M. Desmet. - Je me borne à répondre au discours que vient de prononcer M. Loos ; j'ai, je pense, le droit de continuer.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je complais ne répondre aux objections de l'honorable M. Loos que quand nous serons arrivés au chapitre X ; je reconnais cependant, avec l'honorable M. Desmet, qu'à l'article 5 du chapitre IX il est question des frères religieux pour le service des prisons, et que par conséquent la discussion à cet égard pouvait aussi bien s'établir sur l'article 5 du chapitre IX que sur le chapitre X.
M. Loos. - Messieurs, dans la somme de 50,000 fr. portée à l'article 5 du chapitre IX, figure une allocation qui doit recevoir la destination que je critique. Je serais disposé à voter un crédit pour les maisons qui forment des frères seulement pour le service de l'infirmerie ; mais comme je l'ai dit dans la discussion générale, si on ne forme dans ces maisons que des infirmiers pour les prisons et les dépôts de mendicité, je crois qu'alors le nombre actuel des frères est peut-être suffisant. Si au contraire on veut en faire des gardiens, dans ce cas, le nombre doit encore s'en accroître considérablement ; et si telle est réellement l'intention de M. le ministre, je ne pourrai voter le crédit dont il s'agit en ce moment.
M. Desmet. - Messieurs, je disais, quand j'ai été interrompu, qu'on n'avait fait qu'un essai pour l'emploi des frères dans nos prisons ; mais l'essai fait en France est complet. En France, dans la prison de Nîmes, il n'y a plus d'autres gardiens que des frères de la chrétienté ; ils y sont, je crois, au nombre de trente. Les résultats qu'on a obtenus en peu de temps sont surprenants ; j'ai ici en mains un extrait d'un rapport officiel.
C'est un rapport officiel qui a été fait en 1843, et qui démontre combien le résultat a été avantageux de l’établissement de frères de la doctrine chrétienne dans la maison centrale de Nîmes. Voici ce que j'ai vu dans ce rapport, où on a comparé le mois de mai 1841, avant l'introduction des frères, avec le mois de mai 1842, lorsque les frères y étaient établis et en pleine activité.
En mai 1841, la population moyenne était de 1,184 détenus. En mai 1842, la population moyenne était de 1,289 détenus ; ainsi le nombre des prisonniers était en 1842 de 85 de plus qu'en 1841. Les frères avaient donc plus de peine et une plus forte répression à maintenir dans la maison en 1842 qu'on n'en avait en 1841.
Cependant voici l'étonnante différence qu'on a constatée dans les punitions qu'on y avait fait subir aux détenus.
En mai 1841, il y avait eu 2,587 punitions pour les trente et un jours que contenait le mois, et en 1842, il y avait eu pour les trente et un jours 228 punitions.
Cette différence remarquable doit vous sauter aux yeux et vous paraître étonnante, tout en vous démontrant l'excellence de la surveillance des frères de la charité, et ajoutons, dit le rapport, que jamais la prison n'a été plus tranquille, jamais l'ordre n'a été mieux maintenu, jamais la prison n'a été mieux tenue et n'a offert sous tous les rapports un aspect plus satisfaisante. Et il est rare d'avoir de bons choix dans les employés civils.
Sous le rapport du travail qui est une chose importante, on croira peut-être que la diminution des punitions provient de ce qu'on est moins exigeant à l'égard des détenus. Eh bien, en 1841 le produit du travail n'était que de 10,640 fr., et le salaire moyen était de quarante-cinq centimes par jour. En 1842, c'est-à-dire après l'introduction des frères, le produit s'est élevé à 15,614 francs et le salaire moyen avait été porté à cinquante-cinq centimes, c'est-à-dire qu'il avait été augmenté de dix centimes par journée ou d'une augmentation de salaire, par jour, de plus d'un sixième. Ce qui est un objet d'une grande importance pour les détenus. Ainsi la présence des frères dans les prisons a été jugée en France dans la prison de Nîmes où il n'y a plus de gardiens civils ou militaires.
En présence de pareils résultats on peut bien faire le même essai en Belgique. On doit chercher à diminuer le nombre des punitions, jusqu'à présent les moyens qu'on a essayés n'ont pas réussi. Je crois qu'on ferait bien de faire l'essai des frères de charité.
Je ne puis assez engager le gouvernement à continuer dans la bonne voie où il est entré pour améliorer la discipline intérieure des prisons.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Loos a de nouveau développé devant vous la thèse qu'il a soutenue l'an dernier. Il a reconnu que les frères religieux rendaient de grands services, mais il a pensé que ces services ne pouvaient pas s'étendre au-delà des infirmeries.
En reconnaissant les bons effets de la présence des frères dans les prisons, en qualité d'infirmiers, il dénie les bons effets que pourrait produire la présence de ces mêmes frères en qualité de gardiens. Jusqu'à présent, dans les prisons centrales pour hommes, il n'y a pas encore de frères employés comme gardiens. Mais je n'hésite pas à dire que mon désir serait de pouvoir les introduire même en cette dernière qualité, pour remplacer du moins en partie les gardiens actuels. Je suis conduit à cette conclusion par les résultats obtenus dans la maison des jeunes détenus et dans une autre maison centrale où des sœurs sont gardiennes. Je veux parler de la maison de Saint-Hubert, où la présence des frères a produit les meilleurs effets sur le moral des jeunes gens, tout en maintenant l'ordre et la discipline ; je veux aussi parler de Namur, où on a obtenu les meilleurs résultats de la présence des sœurs. Elles y rendent les plus grands services.
Il est impossible, je me plais à le dire, de voir une prison mieux tenue, où il y ait plus d'ordre et une discipline plus sévère que dans la prison de Namur.
Nous devons en grande partie ce résultat aux sœurs qui consacrent à l'œuvre de moralisation de détenus, un zèle et un dévouement sans bornes.
Voilà pour la Belgique.
Peut-être contestera-t-on les arguments à tirer de ces exemples, en faisant remarquer qu'il s'agit à Namur d'une prison de femmes, et à Saint-Hubert d'une maison pénitentiaire pour les jeunes détenus. Mais nous pouvons invoquer aussi l'exemple de ce qui se passe en France.
Il y a, en France, quatre prisons centrales exclusivement desservies par des frères d'ordres religieux : à Melun, à Nîmes, à Fontevrault et à Aniane près de Montpellier.
Les résultats obtenus dans ces prisons publiés par M. Moreau. Christophe, inspecteur général des prisons, dans la Revue Pénitentiaire, tendent à justifier pleinement l'opinion que mon honorable ami M. Desmet vient d'émettre.
En France, cette question n'en est plus une pour toutes les personnes qui se sont occupées du système pénitentiaire, et surtout pour les personnes qui veulent (comme l'honorable M. Loos a dit qu'il le veut) le système cellulaire, et les effets salutaires qu'on en attend.
Car quand on aura adopté le système cellulaire, il sera impossible de ne pas avoir non seulement des frères infirmiers, niais encore des frères qui iront constamment dans les cellules pour entretenir et ramener au bien les détenus. Or, ce soin ne peut être confié aux gardiens, hommes fort respectables sans doute, qui peuvent avoir parcouru une carrière militaire honorable, mais qui n'ont pas l'instruction et les qualités nécessaires pour convaincre des détenus.
Je demanderai à la chambre la permission de lui citer deux passages d'ouvrages publiés en France et qui traitent cette question. Ces citations me suffiront, je pense, pour répondre à ce qui a été dit par l'honorable député d'Anvers.
Je lis dans un ouvrage intitulé : « L'intérieur des prisons, réforme pénitentiaire, système cellulaire, emprisonnement en commun », le passage suivant :
« Car s'il est une chose qui doive surprendre d'abord dans le régime actuel des maisons centrales, c'est surtout la rudesse d'expressions, la férocité brutale, le défaut de zèle, l'ignorance des pratiques les plus ordinaires non seulement de la vertu, mais encore des actes de l'humanité, qui distinguent les gardiens de ces maisons, c'est-à-dire ces hommes qui se trouvent en contact journalier avec les prisonniers. Aussi, aux yeux des détenus, ne sont-ils que des hommes à gages, pour lesquels ils n'ont pas (page 549) la moindre estime, lorsqu'ils ne leur inspirent point du mépris, et qui n'exercent sur eux d'autre influence que celle de la force matérielle ou disciplinaire.
« En admettant les communautés religieuses dans la direction intérieure de ces prisons, le détenu a devant ses yeux dans chacun des membres qui composent l'administration inférieure, un exemple vivant de vertu et de morale. »
Je lis dans les Annales de la Charité (2ème année, 1816, p. 282) l'opinion suivante, exprimée par le préfet du Loiret :
« C'est à la religion, dit le préfet du Loiret, qu'il faut demander des gardiens pour nos prisonniers ; elle seule inspire cet amour du bien qu'aucun obstacle ne peut rebuter ; elle seule peut adoucir les mœurs et corriger les habitudes vicieuses des malheureux qui encombrent nos prisons. Je désirerais donc que les femmes détenues ne fussent surveillées que par des religieuses d'une congrégation autorisée, et que les hommes fussent gardés par des frères de la doctrine chrétienne ou de l'ordre de Saint-Joseph.
« L'ordre, la moralité, la tenue des prisons d'Orléans ont fait des progrès remarquables depuis que des frères de la doctrine chrétienne et des sœurs de l'ordre de la Providence sont chargés de surveiller et d'instruire les détenus. Ce qui n'a été jusqu'à ce jour que l'exception devrait être la règle.
« Les cours de Riom et de Montpellier font les mêmes vœux.»
Voilà ce que pensent, en France, les personnes les plus compétentes en cette matière, et elles ont pour elles la leçon de l'expérience.
L'honorable M. Desmet vous a cité, comme un exemple très frappant, ce qui se passe dans les prisons de Nîmes. J'ai eu l'occasion de voir, il y a un an, un inspecteur des prisons de France, et j'ai appris que jamais plus d'ordre n'a régné dans une prison qu'il n'en règne dans la prison de Nismes, depuis l'introduction des frères religieux. 11 m'a été dit que, pour une population fort nombreuse de détenus, il n'y avait qu'un petit nombre de frères religieux ; et néanmoins, d'après ce qui m'a été rapporté, l'ordre le plus parfait règne dans cette prison. Il y a, contre la maison, une garde ; mais les militaires qui la composent n'entrent pas dans la prison ; ils sont uniquement là pour prêter main-forte, si le besoin s'en faisait sentir. Mais les détenus ne sont en contact qu'avec les religieux.
Ces autorités sont, je pense, imposantes à cause du nom des personnes que j'ai citées et à cause de l'expérience qu'elles ont acquise dans l'exercice de leurs fonctions.
L'honorable membre reconnaît que les frères infirmiers rendent des services dans les prisons. Mais comme correctif, il a ajouté que ces frères coûtent beaucoup plus que n'avait jamais coûté le service d'infirmerie avant leur introduction dans les prisons. L'honorable membre a raison ; mais il aurait dû ajouter comment se faisait ce service ; il était confié non à des infirmiers libres, mais à des infirmiers détenus.
Or, il a été reconnu par tout le monde qu'il y a les plus graves inconvénients à choisir des détenus pour occuper des emplois dans les prisons soit comme infirmiers, soit même comme écrivains dans les greffes. Tout cela a été supprimé. Les infirmiers détenus ont été remplacés par des frères religieux qui coûtent naturellement plus, mais dont les services ne peuvent pas être méconnus.
J'arrive à ce qu'a dit l'honorable membre relativement à ce que coûte l'institution où l'on forme des frères religieux. D'après l'honorable membre, l'institution de Malines recevrait 7,000 fr. par an. Il y a erreur de 2,000 fr. Cette institution ne reçoit annuellement que 5,000 fr. Si elle a reçu une année 7,000 fr. c'est par le motif qu'elle n'en avait reçu que 3,000 l'année précédente.
Ensuite l'institution de Malines, au lieu d'avoir trois ou quatre frères, comme l'a dit l'honorable M. Loos, en a quatorze. Outre cela, il y a quelques novices qui font, gratuitement leur apprentissage, de manière à fournir des sujets, lorsque leur présence serait nécessaire dans les prisons.
Je répète que les frères religieux coûteraient moins que les gardiens ordinaires, s'ils venaient à remplacer ceux-ci. En effet, ils ont annuellement un traitement de 600 fr. et 50 fr. pour l'entretien de leur mobilier, tandis que les gardiens reçoivent un traitement de 800 fr. en moyenne et de plus 75 francs pour leur habillement. La dépense est donc bien moindre, même en tenant compte de ce que reçoivent les institutions où l'on forme des religieux. Mais la dépense fût-elle plus considérable, au lieu d'être moindre, en présence des heureux résultats obtenus eu France, il n'y aurait pas à hésiter à leur donner la préférence.
Au reste, pour le moment, il ne peut être question d'introduire les frères dans les prisons, attendu qu'il n’y en a pas un nombre suffisant, ensuite parce qu'il y a des gardiens qui doivent être maintenus dans leurs emplois et que je ne songe pas à congédier.
Si on introduit plus tard les frères religieux dans les prisons, ce ne sera que quand il y aura des places vacantes.
M. Loos. - Messieurs, l'honorable ministre de la justice vient de terminer en vous disant qu'il n'est pas question pour le moment d'introduire les frères religieux comme gardiens dans les prisons, attendu, dit-il, que leur nombre n'est pas suffisant. Si c'est là le seul motif qui retient M. le ministre, il faut croire, d'après la sympathie qu'il vient de témoigner à l'égard des frères religieux, et ce qu'il vous a dit des bons effets qu'on a obtenus de leur introduction dans les prisons en France, qu'aussitôt que leur nombre sera suffisant, il s'empressera de les substituer aux gardiens des prisons.
Je répète, messieurs, que je n'attends aucun bon effet de cette introduction des frères comme gardiens. J'ai eu l’honneur de dire à la chambre l'année dernière que lorsque le système cellulaire serait complétement introduit dans nos prisons, il serait plus facile de moraliser les détenus. J'ai dit aussi qu'alors des prêtres ou des religieux qui voudraient s'appliquer à la moralisation des détenus et qui auraient reçu à cet effet une instruction suffisante, pourraient être d'un très grand secours, d'une très grande utilité. Mais j'ai ajouté en même temps que les frères religieux actuels, que je reconnaissais comme d'excellents infirmiers, n'étaient pas propres à moraliser les détenus, qu'il leur manquait une instruction convenable pour être mis en rapport avec les détenus ; qu'aujourd'hui sous ce rapport ils rendaient des services négatifs ; que du moment où ils voulaient moraliser les détenus, ils arrivaient à un résultat contraire.
On a signalé la diminution des punitions en France depuis l'introduction des frères religieux dans les prisons. Je n'ai pas à cet égard les renseignements que possède l'honorable M. Desmet ; mais je crois que ce n'est pas seulement depuis l'introduction des frères dans les prisons que les punitions ont diminué, mais que c'est surtout depuis la substitution d'un régime à l'autre. Aujourd'hui que les détenus se trouvent enfermés dans des cellules, vous comprenez sans peine que le nombre des punitions doit diminuer considérablement ; en effet, ils ne sont plus exposés à commettre les mêmes fautes, les mêmes délits.
M. le ministre de la justice vous a dit que de l'introduction des frères comme infirmiers dans les prisons, il était plutôt résulté une économie qu'une augmentation de dépense. Messieurs, cela n'est pas exact. Mais je vous ai dit moi-même que quand il s'agissait de secourir l'humanité souffrante, il ne fallait pas marchander sur quelques dépenses, et que, quant à moi, je donnais mon plein assentiment à l'introduction des frères comme infirmiers.
Cependant, pour vous mettre à même de juger de l'état actuel des choses, comparé à celui qui l'a précédé, je vous dirai que dans une maison centrale, il y avait un infirmier qui recevait un traitement de 800 fr., et qui était aidé par des détenus dans son service ; les 800 francs formaient toute la dépense. Aujourd'hui à cet infirmier sont substitués cinq frères recevant chacun 600 francs, ce qui fait une dépense de 5,000 francs, plus 600 francs pour l'entretien du mobilier. Ainsi à une dépense de 800 fr. est venue se substituer une dépense de 5,600 fr.
Je conviens, messieurs, que le service est mieux fait aujourd'hui. Mais il est aussi vrai de dire qu'avec l'infirmier qui existait autrefois dans cette maison centrale, et aux soins duquel venait se joindre la surveillance du directeur et des autres agents de la prison, le service n'était pas mal fait, et je crois que M. le ministre de la justice a reçu à cet égard beaucoup de plaintes.
Je crois que M. le ministre a versé dans une erreur lorsqu'il vous a dit que jusqu'ici il n'existait pas de frères comme gardiens dans les prisons. J'ai visité la prison centrale d'Alost, et j'ai reconnu qu'un frère avait les clefs et ouvrait les cellules. Ainsi le quartier cellulaire d'Alost est desservi par des frères religieux. C'est précisément parce que j'ai vu que M. le ministre de la justice avait mis à exécution dans cette prison l'intention qu'il avait manifestée l'année dernière, que je crains que la même mesure ne soit prise pour toutes les maisons centrales et que le budget ne soit, par la suite, grevé, de ce chef, de sommes beaucoup plus considérables.
L'introduction des frères dans les prisons est certainement un principe de dépenses nouvelles. Aujourd'hui le nombre des gardiens est limité ; il n'est pas considérable ; la police cependant est parfaitement faite. Avec le système que veut adopter M. le ministre, je vois une chose : c'est que vous aurez des frères en plus et que le nombre de gardiens restera ce qu'il est ; et si je calcule la dépense qui résultera des frères comme gardiens, d'après celle qu'a amenée leur introduction comme infirmiers, je puis dire que la dépense sera plus que quintuplée.
Quant à moi, messieurs, je ne puis voter pour l'article 5, si M. le ministre persiste dans son intention d'admettre les frères comme gardiens dans les prisons.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Loos reconnaît lui-même que les infirmeries sont mieux soignées depuis l'introduction des frères religieux, mais l'honorable membre soutient qu'avant cette introduction le service était fait et qu'il n'y avait pas de plaintes graves. Je pense, messieurs, que l'honorable membre est dans l'erreur. Avant l'introduction des frères comme infirmiers, il y avait des abus nombreux. Les infirmeries pouvaient être convenablement desservies au point de vue de la santé des détenus, mais au point de vue de la morale il se passait des choses dont il était important d'empêcher la continuation.
Les détenus dans les infirmeries étaient sans surveillance ; il y avait, il est vrai, un infirmier supérieur, il y avait des gardiens et un directeur ; mais le service se faisait en grande partie par les détenus. Je veux bien croire que les détenus avaient matériellement beaucoup de soin les uns des autres ; mais au point de vue moral, je le répète, cette garde confiée à des détenus sur d'autres détenus laissait beaucoup à désirer. Je crois donc, messieurs, qu'on a très bien fait de substituer les frères religieux aux infirmiers détenus,
L'honorable membre dit que l'emploi des frères dans les infirmeries exige une dépense plus considérable. Je ne l'ai pas nié ; il a pris le change sur mes paroles : je n'ai pas dit que la substitution des frères infirmiers aux détenus s'était faite sans une augmentation de dépenses ; mais j’ai dit que cette augmentation de dépenses était plus que compensée par le bien qui en est résulté.
(page 550) Ce que j'ai fait observer, messieurs, c'est que si l'on substituait les frères aux gardiens, il n'en résulterait pas d'augmentation de dépense. Sans doute la substitution d'un frère qui coûte 600 fr. à un détenu qui ne coûte rien a dû augmenter la dépense ; mais il n'en sera pas de même de l'emploi des frères comme gardiens. Je n'en veux pour preuve que ce qui se passe à St-Hubert. Si nous devions remplacer les frères par des gardiens, la dépense augmenterait. Ainsi par contre, la substitution des frères aux gardiens doit amener une économie.
M. Desmet. - L'honorable M. Loos, en parlant de la prison de Nîmes, vous a dit que ce n'était pas à l'introduction des frères qu'était due la diminution des punitions en 1842, mais que c'était au changement de système. Messieurs, c'est une erreur. Le système cellulaire n'existe pas à Nîmes ; cette maison centrale est restée ce qu'elle était, prison à dortoir et travail communs ; seulement on a remplacé les cachots par quelques cellules dont bientôt on n'aura plus besoin, quand on voit combien le nombre des punitions est diminué depuis que les frères sont entrés dans cette maison.
C'est d'ailleurs ce qu'on a fait à Alost. Le système cellulaire n'y est pas encore introduit. Mais on a remplacé les cachots par des cellules, et les frères surveillent les cachots.
Puisqu'il s'agit d'Alost, je dirai qu'à Alost nous avons été fort content de l'introduction des petits frères, surtout en ce qui concerne l'infirmerie. Il est certain que depuis que les petits frères y sont, les malades sont beaucoup mieux soignés. Les cellules sont également beaucoup mieux surveillées depuis que la surveillance en est confiée aux frères. Qu'on veuille bien y faire attention, il y a aujourd'hui dans les prisons un tel dévergondage, une telle indiscipline, un tel désordre que tout le monde sent le besoin de remédier à cet état de choses. Les commissions administratives des prisons se sont déjà occupées plusieurs fois de ce point, et on est allé jusqu'à proposer un travail d'esclaves pour les détenus, jusqu'à proposer de leur faire moudre le grain.
Quand on se trouve forcé d'avoir recours à ces moyens extrêmes pour améliorer la discipline dans les prisons, il me paraît que l'on fait très bien de faire auparavant l'essai des frères religieux, et surtout quand on voit qu'en France l'on a si bien réussi avec eux.
M. Loos. - J'avais compris que M. le ministre de la justice avait dit que l'introduction des frères dans les infirmeries n'avait pas occasionné une augmentation de dépense ; M. le ministre dit que j'ai mal saisi sa pensée, et qu'il s'agit de l'introduction des frères comme gardiens.
Messieurs, j'ai dit à ce sujet, que si j'en jugeais par ce qui a eu lieu dans les infirmeries, une augmentation de dépense était inévitable, et, pour ma part, j'en ai la conviction intime.
J'ai reconnu, messieurs, que les frères rendaient des services dans les infirmeries. Si, dans la maison dont je puis plus particulièrement juger, les frères ont rendu de grands services, il faut, j'en conviens, l'attribuer sans doute à leur dévouement ; mais il est permis de l'attribuer aussi, jusqu'à un certain point, à l'introduction de bous règlements. Ainsi, précédemment, comme vient de le dire M. le ministre de la justice, les détenus, dans les infirmeries, étaient abandonnés à eux-mêmes, une partie du temps et principalement pendant la nuit ; aujourd'hui, d'après les règlements qui ont été introduits, un des frères infirmiers veille pendant la nuit. Cependant, messieurs, il paraît qu'il existe depuis quelque temps d'autres intentions et que l'on voudrait supprimer les veilles de nuit par les frères ; s'il en était ainsi, on verrait disparaître tous les bons effets qui se sont manifestés depuis l'introduction des frères.
Ce que je viens de dire résulte d'un projet de règlement que j'ai eu entre les mains, et qui est sorti des bureaux de M. le ministre de la justice ; dans ce règlement, les veilles de nuit par les frères sont remplacées par quelques rondes. Si, pour alléger le service des frères, M. le ministre veut introduire cette mesure, je déclare, tous les bons effets que l'on a remarqués jusqu'à présent viendront à cesser, les détenus seront de nouveau abandonnés à eux-mêmes pendant la nuit, et l'on verra se reproduire des désordres auxquels on a voulu mettre un terme.
J'ai dit, messieurs, que l'introduction des frères comme gardiens, dans les prisons, donnerait lieu à une augmentation considérable de dépense. En effet, messieurs, je suis persuadé qu'avec le nombre des gardiens et le nombre des frères, le personnel sera au moins doublé. Je sais que M. le ministre n'est pas de mon avis ; mais, à cet égard, js crois que l'expérience démontrera que le chiffre porté aujourd'hui au budget devra être notablement augmenté.
- Le chiffre de 50,000 fr. est mis aux voix et adopté.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, à la fin de la séance d'hier il a été convenu qu'à l'occasion du chapitre des établissements de bienfaisance, on discuterait la question des fondations de bourses d'étude. L'honorable M. Verhaegen a annoncé qu'il voulait passer en revue cette administration, il a dit qu'il signalerait les abus qui s'y étaient introduits. J'attendrai les assertions de l'honorable membre pour y répondre.
(page 552) M. Verhaegen. - Messieurs, la question qui, de commun accord, a été renvoyée à la discussion du présent chapitre, est une des plus importantes qui puissent se présenter devant la chambre : elle est relative aux fondations en général et aux fondations de bourses d'études en particulier dont, je le dis tout de suite, le gouvernement abuse pour couvrir le pays de personnes civiles, ou, ce qui est synonyme, d'établissements de mainmorte, et cela non seulement par des actes royaux, mais même par de simples dispositions ministérielles.
Cette proposition vous paraîtra sans doute très hardie, mais elle est vraie et conforme aux faits ; le gouvernement, pour s'arroger un droit si exorbitant, invoque des arrêtés du roi Guillaume, de 1818, 1823 et 1829, que cette fois il soutient être très légaux et très constitutionnels, alors que dans d'autres circonstances il a, aux applaudissements de toute la droite, repoussé des arrêtés de la même époque, relatifs à un impôt annuel de 4 p. c. sur les biens de mainmorte, comme entachés d'illégalité et d'inconstitutionnalité flagrantes.
Messieurs, je vais vous présenter le résumé d'un système sur les fondations, système qui a été développé par un savant professeur de droit administratif, M. Tielemans, dans un ouvrage que M. le ministre de la justice a lui-même souvent invoqué comme une autorité très respectable. Tout ce que je vais vous dire sur la question de droit est littéralement extrait de cet ouvrage, intitulé : « Répertoire de l'administration et du droit administratif de la Belgique ».
J'ai fait ce résumé pour mettre à la portée de tout le monde une question palpitante d'intérêt ; j'ai craint qu'un traité ex-professo sur la matière renfermé dans un vaste ouvrage de Droit n'échappât à l'attention de plusieurs membres de cette chambre, et surtout ne restât inconnu du plus grand nombre de nos concitoyens : le but que je veux atteindre, j'en conviens volontiers, c'est de rendre la discussion possible dans le pays tout entier et de faire de îa question à l'ordre du jour une question populaire.
Ecoutez :
Par fondation on entend l'établissement d'une église, d'un monastère, d'un service. Les fondations ont toujours comme aujourd'hui eu pour objet :
1° La religion ou le culte ;
2° La charité ou le soulagement des pauvres ;
3° L'enseignement ou l'instruction.
Sous la législation romaine ces objets ne faisaient pas partie de l'administration publique ; eu d'autres termes ce n'était pas l'Etat qui pourvoyait à l'administration des cultes, de l'indigence et de l'enseignement ; il y était pourvu par des fondations particulières, et l'on comprend dès lors que la législation civile devait être très favorable aux fondations.
Sous la législation féodale on fît plusieurs tentatives pour restreindre la liberté des fondations ; mais le principe fondamental de la législation romaine fut conservé.
En France on prit successivement plusieurs mesures pour éviter ou diminuer les abus qui étaient incessants. Dans les anciens Pays-Bas le droit de fondation s'exerçait par acte de dernière volonté, mais le consentement du prince était nécessaire pour toute disposition testamentaire ou autre.
La défense de donner ou léguer des immeubles était absolue, même pour l'exécution des œuvres pies, et les dons et legs mobiliers étaient soumis aux formalités d'enregistrement et d'octroi, excepté dans le cas où ils étaient destinés au soulagement des pauvres et à l'instruction.
(page 553) Quant à la principauté de Liège, les gens de mainmorte y pouvaient acquérir et recevoir toute espèce de biens ; mais, pour mettre un frein à leur cupidité et en corriger les abus, Charles V avait, par édit du 27 juin 1521, institué le « retrait populaire », qui permettait à chacun de reprendre les immeubles acquis par les monastères, couvents et autres établissements pieux, moyennant restitution du prix.
En 1789, le régime féodal fut supprimé en France et remplacé par un ordre de choses entièrement nouveau.
La révolution proclama trois grands principes :
1° La souveraineté et l'unité de la nation ;
2° La liberté civile et religieuse ;
3° L'égalité de tous devant la loi.
Ainsi, l'autorité des évêques ou, pour parler plus généralement, l'autorité de l'Eglise fut réduite aux choses spirituelles.
La nation ne pouvait plus d'après ces principes, reconnaître ni souffrir, dans son sein, aucun ordre, communauté, collège ou congrégation qui eût altéré son essence et entravé sa marche : tous les corps et établissements de mainmorte, fondés sous l'ancien régime, furent donc supprimés.
On eut même l'idée de mettre dans le commerce tous les biens nationaux et communaux, excepté les édifices et les seuls terrains nécessaires à des usages publics, de supprimer ainsi jusqu'à la mainmorte politique et de pourvoir désormais, par ia seule voie des impôts, à tous les besoins de la société ; mais cette idée ne se réalisa qu'en partie.
Ou procéda ensuite à l'organisation de chaque service, et à cet effet on établit, pour le culte, des églises métropolitaines, cathédrales, paroissiales et succursales ; pour le soulagement des pauvres, des hospices civils et bureaux de bienfaisance ; pour l'instruction publique, des écoles primaires, secondaires, centrales et autres.
On pourvut, également par des lois aux besoins et à l'entretien de ces nouvelles institutions :
1° Par des traitements et subsides à charge de l'Etat, des départements et des communes ;
2° Par l'affectation qui fut faite, à leur usage, des édifiées nécessaires et des biens meubles ou immeubles encore disponibles qui avaient appartenu aux établissements d'anciennes fondations ;
3° Par la faculté qui leur fut accordée de recevoir, avec l'autorisation du gouvernement, les aumônes, donations et legs que des particuliers voudraient faire à leur profit.
Mais à chacune de ces institutions, la loi attache une administration particulière et séculière, chargée du service qu'elles avaient respectivement pour but, et des intérêts civils qui s'y rapportent.
Voilà pour le droit public.
Le droit civil fut mis en rapport avec le droit public.
Après avoir organisé le temporel du culte, la bienfaisance et l'instruction comme autant de services publics, la loi ne pouvait pas laisser la faculté aux particuliers de rien fonder à l'encontre de cette organisation ; et en effet, le Code civil qui vint ensuite ne parla plus de fondations.
Le Code civil posa des principes quant à la libre disposition des biens (article 557 ) ; quant à la capacité de donner ou de recevoir ( articles 893 et 902) ; quant aux conditions impossibles et contraires aux lois qui sont réputées non écrites (article 900) ; quant aux donations au profit des hospices, des pauvres d'une commune ou d'établissements d'utilité publique pour lesquelles l'autorisation du gouvernement est nécessaire (article 910) ; quant aux acceptations de donations qui ne peuvent être faites que par les administrateurs de ces communes ou établissements après y avoir été autorisés (article 937).
D'après tout cela, il n'est plus permis à des particuliers que de faire des donations et legs. S'ils en font qui aient pour objet le service du culte, des pauvres ou de l’instruction, ce ne peut être qu'au profit d'établissements capables de recevoir, et il n'y a de capables que les établissements publics tels qu'ils ont été institués, organisés et qualifiés par la loi, pour l'exécution de ces divers services ; ils peuvent mettre des conditions à leur libéralité, mais la loi réputant non écrites les conditions impossibles ou contraires aux lois, prohibe toutes celles qui tendraient à modifier l'organisation, le régime ou ia capacité légale de ces établissements ; elle prohibe enfin toute fondation, elle gouvernement tombe dans cette prohibition comme les particuliers.
La loi des 12 juillet-24 août 1790 a organisé le culte catholique.
Elle a divisé le territoire en métropoles, diocèses et paroisses, ce qui implique trois sortes d'églises, métropolitaines, cathédrales et paroissiales.
Elle détermine ensuite les offices ecclésiastiques qui seront désormais reconnus et salariés par l'Etat, les offices d'archevêques, d'évêques, de vicaires diocésains, de curés et de vicaires paroissiaux.
Elle supprime tous titres et offices autres que ces derniers, toutes dignités canonicales, prébendes, chapelles, capellenies, tous chapitres réguliers ou séculiers, abbayes, prieurés, etc., généralement tous les bénéfices, de quelque nature et sous quelque dénomination que ce soit, même les bénéfices ou patronage laïque, et les titres ou fondations de pleine collation laïcale.
Elle défend d'en jamais établir d'autres. (Articles 20, 21 et 22).
Il y a eu quelques exceptions dont nous n'avons pas à nous occuper ici, puisqu'il ne s'en agit pas, mais qui confirment la règle.
Sont venus ensuite le concordat, la loi organique et d'autres lois encore, dont nous nous sommes occupés quelque fois, mais dont il ne s'agit pas en ce moment,
Voyons maintenant ce qui a été fait quant aux fondations en faveur de l'instruction publique. Avant la révolution de 1789, l'enseignement était entré les mains du clergé tant séculier que régulier.
En supprimant tous les ordres et congrégations régulières le décret du 15-19 février 1790 disposa que « rien ne serait changé provisoirement à l'égard des maisons chargées de l'éducation publique et des établissements de charité, et ce jusqu'à ce qu'il ait été pris un parti à cet égard. »
Plusieurs lois prorogèrent successivement ce provisoire.
Mais parut le décret du 18 août 1792 qui « supprima définitivement toutes les congrégations séculières consacrées à l'éducation ou à l'enseignement et statua que les biens des séminaires et collèges, des bourses et des fondations desservies par elles, à la seule exception des bâtiments, seraient administrés et vendus comme biens nationaux.» (Titre Ier, article 4, et titre II, articles 1er et 2.)
Il fut fait à ces articles quelques exceptions dont, encore une fois, il ne s'agit pas ici.
Les administrations pour le soulagement des pauvres sous le nom d'hospices et de bureaux de bienfaisance furent reconstituées, et on affecta à ces établissements tous les biens non aliénés qui avaient eu anciennement une destination de charité. (Lois des 2 brumaire an IV, 16 vendémiaire an VII, 7 frimaire et 20 ventôse an V.)
La loi du 25 messidor an V leur attribua aussi les biens qui avaient précédemment formé la dotation de bourses, en ces termes : « Les dispositions de la loi du 10 vendémiaire an V qui conserve les hospices civils dans la jouissance de leurs biens, sont déclarées communes aux biens affectés aux fondations de bourses dans tous les ci-devant collèges de la république.
« En conséquence les hospices et les bureaux de bienfaisance entreront en possession de tous les biens affectés à l'instruction sous le titre de bourses ; ils en percevront les revenus, etc. »
Le motif qui a fait réunir ces biens à ceux des hospices est remarquable. C'est « que les fondations de bourses, tant d'après leur titre que d'après l'emploi constant des fonds, doivent être considérées comme œuvres de bienfaisance » ; c'est ce que porte le préambule de la loi.
Vint l'érection de l'ancienne université de France et du Prytanée français, et on accorda à ces établissements certaines ressources, on leur affecta certains biens.
Par la loi du 19 germinal an VIII les biens de l'ancienne université de Louvain furent réunis sous l'administration centrale du Prytanée.
Par la loi du 9 ventôse an IX il fut affecté à l'instruction publique un capital de 180 millions en biens nationaux (valeur de 1790) ; ces biens devaient être distraits de la masse.
Vinrent ensuite d'autres lois qui prescrivirent d'autres mesures : on créa les lycées, les écoles de droit, etc.
Vint enfin l'université impériale, ce vaste corps qui fut chargé de l'instruction dans toute la France : grand nombre de bourses créées par le gouvernement sur les fonds de l'Etat assurèrent l'existence de l'université.
C'étaient là les seuls établissements qui avaient alors les avantages de la personnification civile en matière d'enseignement.
Ainsi, tous les établissements d'instruction fondés sous l'ancien régime, soit par les souverains du temps, soit par les corps ecclésiastiques ou laïques, soit par des particuliers, ont été supprimés pour faire place à une instruction publique créée et organisée par la loi.
Toutes les bourses de l'ancien régime ont d'abord été nationalisées. La loi, sans égard aux actes de fondation, les affecta aux enfants mâles des citoyens qui ont pris les armes pour la défense de la patrie et en attribua la collation aux administrations du département ; mais bientôt, il se fit une distinction entre les bourses de collège et les bourses particulières.
Celles-ci, qui avaient une dotation distincte et une administration privée, furent considérées comme œuvres de bienfaisance et réunies aux hospices civils. (Loi de l'an V.)
Celles-là, dont les biens se confondaient dans la dotation des anciens collèges auxquels elles étaient annexées, furent supprimées avec lesdits collèges et remplacées par des bourses publiques à la collation du gouvernement.
Plusieurs innovations se produisirent lors de la création de l'université.
Ainsi, les biens qui formaient la dotation des bourses particulières et qui étaient administrés par des régisseurs spéciaux, restèrent réunis aux biens des hospices ; les autres biens provenant, soit des anciennes universités, académies ou collèges, soit des bourses y annexées à titre de dotation, soit de bourses particulières qui n'auraient été découvertes ou révélées qu'après le 25 novembre 1811, devinrent la propriété de l'université impériale.
C'était bien là l'application des principes du Code civil et des lois que nous avons citées.
En 1814, la Belgique se sépara de la France et, dès lors, l'université impériale n'exista plus pour nous.
Les biens que l'université impériale possédait dans notre pays furent dévolus à l'Etat belge, et l'administration des domaines en a pris possession, arrêté du 7 novembre 1814.
Quant aux biens qui formaient la dotation de certaines écoles, ils continuèrent de leur appartenir, et ceux des bourses particulières, fondées sous l'ancien régime, restèrent, comme auparavant, la propriété des hospices (page 554) et bureaux de, bienfaisance qui les appliquèrent à leur destination,
Les choses demeurèrent dans cet état jusqu'à la constitution du royaume des Pays-Bas.
L'article 226 de loi fondamentale de 1815 porte :
« L'instruction publique est un objet constant des soins du gouvernement. Le roi rend compte tous les ans aux états généraux de l'état des écoles supérieures, moyennes et inférieures. »
Comme on le voit, le fond des choses n'a pas été changé en 1815, l'instruction publique est restée une branche du service public administrée par le roi.
Après quelques dispositions sur les bourses dont il est inutile de nous occuper, vint l'arrêté du 20 décembre 1818, dont l'exorbitance saute, tout d'abord, aux yeux.
Cet arrêté porte, article premier :
« L'administration des domaines, les bureaux de bienfaisance, les commissions des hospices cesseront, à compter du 1er janvier 1819, d'avoir droit à la jouissance des biens, bois, rentes appartenants aux fondations de bourses. »
L'article 5 est ainsi conçu :
« L'administration de tous les biens et rentes mentionnés dans les articles précédents, et généralement de tous ceux qui proviennent de fondations de bourses que l'on pourra découvrir dans la suite, sera rendue, autant que possible, à ceux qui ont été nommés à cet effet dans les actes de fondation. Les dispositions de ces actes seront, autant que faire se pourra, scrupuleusement observées dans tous les points. »
« Art. 6. Dans tous les cas où la volonté des fondateurs ne pourrait plus être suivie en tout ou en partie, notre ministre susdit nous proposera les moyens d'y suppléer, qui toujours devront être analogues au but que les fondateurs se sont proposé.»
Cet arrêté est évidemment inconstitutionnel, car, en 1818 pas plus qu'aujourd'hui, une loi ne pouvait être abrogée par un acte du pouvoir exécutif.
Mais le roi Guillaume alla plus loin encore.
Sous le prétexte de rendre uniforme l'administration des bourses comme celle des hospices, et qu'il était difficile d'en surveiller un nombre illimité, il rendit, le 2 décembre 1823, un second arrêté qui les soumit toutes à un régime commun, à des règles communes, et il donna à son ministre le pouvoir exorbitant de créer autant de personnes civiles qu'il y a de fondations.
L'article premier de cet arrêté porte :
« Toute fondation aura un ou plusieurs administrateurs ; lorsqu'ils ne seront pas désignés par l'acte de fondation, leur nomination appartiendra à notre ministre de l'instruction publique.
« Art. 2. Toute fondation aura un receveur, il sera nommé par les administrateurs dans ou hors de leur sein, dans tous les cas où l'acte de fondation ne l'aura pas désigné.
« Art. 3. Toute fondation aura des proviseurs ; lorsqu'ils ne seront pas indiqués par l'acte de la fondation ou l'arrêté du rétablissement de la fondation, notre ministre susdit, sur l'avis de la députation des états, désignera près ou à la proximité du siège de la fondation une autorité publique qui paraîtra la plus propre à en exercer les fonctions.
« Les proviseurs exercent une surveillance immédiate sur l'administration de la fondation. »
Suivent des articles quant à l'administration et à l'aliénation des biens de la fondation. Dans l'administration sont compris probablement les placements, les acquisitions, etc.
Il est ensuite parlé des collateurs.
L'article 30 institue un comité consultatif pour les fondations de bourses, il est ainsi conçu :
« Il y aura près du département de l'instruction publique un comité consultatif pour les affaires de fondations d'instruction publique, et le chef de ce département décidera sur son rapport tous les points qui lui sont réservés par le présent règlement. »
Il est évident que, de même que le premier arrêté de 1818, cet arrêté du 2 décembre 1823 est à tous égards illégal et inconstitutionnel.
Mais ces arrêtés étaient exclusivement relatifs aux bourses anciennes. Ils ne créent pas, ils supposent le droit de fondation, conformément à la législation romaine modifiée par la législation féodale, et ce contrairement au Code civil et aux lois de l'empire, les seules lois en vigueur alors comme aujourd'hui.
L'esprit de féodalité qui dominait en Hollande, et l'espoir que le gouvernement nourrissait d'assimiler la Belgique aux mœurs hollandaises, donnèrent naissance à un dernier arrêté du 12 février 1829, qui rend applicables les deux arrêtés précédents aux fondations de bourses à créer par la suite.
L'article premier porte : « Nos arrêtés des 20 décembre 1818 et 2 décembre 1823 sont rendus applicables à toutes fondations de bourses ou autres secours en argent en faveur des études créées depuis le dernier de ces arrêtés ou qui le seront par la suite.
« Art. 2. Les arrêtés susdits sont également déclarés applicables aux anciennes fondations qui existent dans la province de la Frise en faveur des études sous la dénomination de Leenen.
« Art. 3. Notre ministre de l'intérieur pourra nous faire des propositions pour rendre les susdits arrêtés aussi applicables à d'autres fondations anciennes qui en sont susceptibles. »
Et on marche d'exagération en exagération, on pourrait bien soutenir un jour que ces autres fondations, ces fondations autres que celles en faveur des études, sont les prébendes canonicales et bénéfices dont il est parlé dans le préambule de l'arrêté en ces termes : « Revu notre arrêté du 8 mai, par lequel le département de l'intérieur a été autorisé à disposer sur ce qui est relatif à la confirmation des distributions faites des prébendes canonicales et autres bénéfices semblables, etc. »
Enfin, un arrêté royal du 6 septembre 1829 a accordé aux administrations des bourses le privilège de procéder en justice sans frais comme les bureaux de bienfaisance. Il en donne pour motif, que la grande majorité des fondations pour l'instruction a été créée en faveur d'étudiants nécessiteux. C’était précisément le motif de la loi de messidor an V qui avait attribué les biens de fondations aux hospices, les seules personnes civiles reconnues alors, les seules encore reconnues aujourd'hui quand il s'agit des intérêts des pauvres.
Voici maintenant ce qui s'est fait depuis la révolution belge.
Ce qui résultait des arrêtés du roi Guillaume, quelque inconstitutionnels qu'ils fussent, était trop favorable aux prétentions du clergé pour qu'on ne s'empressât pas à le maintenir.
Mais on n'a pas voulu de ces autres arrêtés imposant comme condition un impôt annuel de 4 p. c. sur les biens de mainmorte. C'étaient cependant des arrêtés de la même catégorie ; on pourrait dire peut-être que c'étaient des corollaires.
Le 7 janvier 1831, le gouvernement provisoire porta un arrêté par lequel il déclara applicable l'article premier de l'arrêté du 2 décembre 1823, comme tous les autres articles de cet arrêté, aux fondations de bourses annexées aux anciens collèges dé l'université de Louvain, comme à toute autre fondation de bourses pour les études.
De plus, il autorisa le chef du département de l'intérieur à ne nommer que le nombre des administrateurs-receveurs nécessaire aux besoins de la bonne administration de ces fondations ; en sorte qu'une même personne a pu dès lors réunir les fondations de plusieurs collèges sous son administration.
Jusque-là l'université de Louvain était encore une université de l'Etat.
Vint ensuite, mais d'une manière bien lente, l'organisation de l'instruction publique dans deux de ses degrés, en rapport avec les principes de liberté proclamés par l'article 17 de la Constitution.
Mais il se forma dans l'intervalle plusieurs établissements libres et entre autres deux universités, l’une à Malines transférée ensuite à Louvain, l'autre à Bruxelles.
La loi du 27 septembre 1835 organisa l'enseignement supérieur.
Elle créa deux universités, l'une à Gand, l'autre à Liège. Mieux aurait valu une seule université à Louvain.
Comme moyens d'encouragement, elle accorde huit médailles par an de 100 fr. à donner par concours et 60 bourses annuelles de 400 francs chacune, à conférer par le Roi sur l'avis du jury d'examen, aux jeunes gens peu favorisés de la fortune qui se destinent aux études universitaires (sans égard à l'université qu'ils suivent, libre ou autre) ; et six bourses de mille francs chacune à conférer de la même manière aux docteurs qui ont achevé leurs études avec la plus grande distinction, et cela pour se perfectionner à l'étranger.
Pas un mot des bourses de fondation.
La loi ne dit pas si les universités de l'Etat auront comme les anciennes la faculté de recevoir par disposition entre-vifs et testamentaires, elle ne leur donne même pas d'administration spéciale pour leurs intérêts civils.
L'instruction primaire fut organisée par la loi du 23 septembre 1842, à laquelle je me félicite de ne pas avoir donné mon assentiment.
Vous connaissez tous les dispositions de cette loi, vous savez quels sont les moyens de faire face aux dépenses, et combien ils sont ruineux pour les communes.
L'article 23 porte entre autres : A défaut de fondations, donations ou legs qui assurent un local et un traitement à l'instituteur, le conseil communal y pourvoira au moyen d'une allocation sur le budget,
Il s'agit là de donations, legs aux communes ou aux bureaux de bienfaisance. Car, pas un mot sur la personnification civile des écoles communales primaires, supérieures, normales, etc.
Quant à l’enseignement moyen, il attend son organisation.
Notre système d'instruction diffère essentiellement de celui qui l'a précédé, sous le rapport de la liberté d'enseigner ; mais rien n'est changé quant aux principes, en matière de fondation de bourses.
Voyons maintenant comment les arrêtés de 1818, 1823 et 1829 reçoivent leur application aujourd'hui.
D'abord en ce qui touche les fondations anciennes, le gouvernement belge continue, en se fondant sur l’arrêté de 1818, de rétablir toutes celles qui ont pour objet les humanités, la philosophie, les lettres, la théologie, le droit, la médecine, les sciences physiques et mathématiques ; ce rétablissement se fait par arrêté ministériel.
Il rétablit sur le même pied, en s'appuyant sur l'article 3 de l'arrêté de 1829, les anciennes fondations d'instruction primaire, spéciale ou professionnelle, qui lui en paraissent susceptibles ; en d'autres termes : Il les enlève à l'administration des hospices et des bureaux de bienfaisance pour les constituer en personnes civiles distinctes et indépendantes conformément à l'arrêté de 1823. Cela s'opère par arrêté royal.
Quant aux fondations nouvelles :
Lorsqu'un legs ou une donation est faite nominativement à une commune, à un hospice, à un bureau de bienfaisance ou à quelque établissement (page 555) capable de recevoir, il veut que la libéralité soit acceptée par l'établissement donataire ou légataire conformément aux principes du Code civil (articles 910 et 937) ; mais en même temps qu'il autorise l'acceptation le roi ordonne l'application des arrêtés de 1818 et 1823, c'est-à-dire qu'il établit une administration spéciale pour représenter la fondation ; de sorte que le même acte reconnaît le droit de l'établissement aux biens donnés et le dépouille de leur administration.
Lorsque la libéralité est faite nominativement à un établissement d'instruction publique, on distingue. Si l'établissement est capable de recevoir lui-même, aux termes de la loi, c'est l’établissement qui accepte par l'organe de ses administrateurs, mais avec l'autorisation du roi ; ce cas est celui des séminaires, et dans ce cas il n'y a pas d'administration spéciale (article 113 du décret de 1809, article 67 du décret de 1813).
Si, au contraire, l'établissement n'a pas qualité de recevoir, acceptation est faite par la commune, la province ou l'Etat, soit que l'établissement soit communal, provincial ou national. C'est le cas des écoles primaires et des universités. Mais dans l'un comme dans l'autre cas, on établit encore une administration spéciale pour représenter et, gérer la fondation.
Il en est de même si la libéralité est faite à un évêque en sa qualité épiscopale, pour représenter et gérer la fondation.
Enfin lorsque la libéralité est faite sans désignation de donataire ou de légataire, de telle sorte que personne ne puisse accepter, le gouvernement commence par établir une administration spéciale sur le pied tracé par l'arrêté de 1823 ; après quoi l'administration, autorisée à cette fin, accepte la donation ou poursuit la délivrance du legs.
Dans chacun des cas que nous venons d'indiquer, c'est toujours par arrêté royal que se désignent les administrateurs, receveurs, proviseurs et collateurs de la fondation, à moins toutefois que le fondateur ne les ait désignés lui-même.
Et voyez les conséquences de ce droit exorbitant que s'arroge le gouvernement : de son autorité il couvre la Belgique d'établissements de mainmorte. D'après une statistique rapportée par l'auteur du Répertoire administratif, il y avait déjà en 1840 sept cent onze fondations et, sans exagération, on peut dire qu'il y en a plus du double aujourd'hui. A l'illégalité des arrêtés de Guillaume, on a ajouté l'exagération d'abus !
En ce qui touche la collation des bourses soit anciennes, soit nouvelles, il existe aussi plusieurs abus que nous signalerons dans d'autres circonstances. Aujourd'hui la question sur laquelle nous appelons l'attention de la chambre, et surtout l'attention du pays, c'est celle qui se rattache à la base des fondations, c'est-à-dire aux arrêtés du roi Guillaume de 1818, 1823 et 1828.
Ces arrêtés sont illégaux et inconstitutionnels, comme plusieurs autres arrêtés du roi Guillaume, et ces illégalités et inconstitutionnalités sont parfaitement développées dans l'ouvrage de M. Tielemans, dont j'ai extrait mon résumé ; tome VII, page 408, 2ème colonne, 4ème alinéa.
Voici ces développements :
« La loi avait fait de l'instruction publique un service d'utilité publique.
« Pour assurer ce service d'une manière stable et uniforme, elle avait fondé des établissements capables de recevoir et d'administrer les biens qu'il plairait soit à l'Etat, soit aux particuliers d'affecter à leur usage ; et ces établissements se trouvaient ainsi au rang des personnes civiles.
« La loi avait donné à tous ces établissements réunis, sous le nom d'Université Impériale, les biens encore disponibles qui provenaient des anciennes universités, académies, collèges, etc. (il décembre 1808 et 15 novembre 1811.)
« Et après la chute de l'empire elle avait dit : Il est naturel que les biens situés en Belgique, qui étaient affectés à l'université de France, retournent au profit les établissements de l'espèce qui pourraient être créés en Belgique... (7 novembre 1814.)
« L'arrêté de 1818 ne pouvait donc ravir la propriété desdits biens aux athénées, collèges et universités belges qui, dès 1816, avaient succédé à l'université impériale. - Première violation dota loi, premier excès de pouvoir.
« On objectera peut-être que ces biens étaient devenus vacants par la suppression du corps qui les possédait : cela ne serait soutenable qu'autant que l'instruction publique elle-même aurait été supprimée en Belgique ; mais en tout cas ils seraient entrés dans le domaine de la nation et n'auraient pu en sortir ni recevoir une autre destination sans le concours des états généraux.
« La loi avait donné, tant à l'université qu'aux hospices, des biens qui formaient la dotation des anciennes bourses. (25 messidor an V et 13 novembre 1811.)
« La loi avait affecté aux bureaux de bienfaisance les biens provenant des anciennes écoles de charité, et leur avait donné la capacité à l'avenir pour l'éducation des pauvres. (7 frimaire et 20 ventôse an V.)
« Les arrêtés de 1818, 1823 et 1829 ne pouvaient pas davantage leur enlever la propriété et l'administration de ces biens. - Deuxième excès de pouvoir.
« Après avoir érigé en personnes civiles tous les établissements d'instruction publique, la loi avait prohibé les substitutions, et à plus forte raison les mainmortes, qui sont une espèce de substitution sans fin.
« Les arrêtés de 1818, 1823 et 1829 les ont rétablies on faisant de chaque bourse ou fondation de bourse un être de droit, une personne distincte qui se perpétue par une succession indéfinie d'administrateurs de receveurs, de proviseurs, de collateurs et de boursiers. - Troisième excès de pouvoir.
« La loi avait dit : Les biens qui n'appartiennent pas à des particuliers sont administrés dans la forme et suivant les règles qui leur sont particulières. (Code civil, article 537.)
« Les biens formant la dotation des bourses étant de cette catégorie, la loi avait supprimé tous les anciens modes d'administration que les fondateurs avaient prescrits, et les avait remplacés par un mode uniforme et général.
« Les arrêtés de 1818, 1823 et 1829 ont aboli ce mode légal et ressuscité les anciens. - Quatrième excès de pouvoir.
« La loi avait dit : A l'avenir les établissements d'instruction publique recevront les donations et legs qui auront pour objet une fondation de bourses (Code civil, article 902, 910 et 937 ; décret du 15 novembre 1811, article 174).
« Les arrêtés de 1818, 1823 et 1829 ont conféré ce droit à des personnes sans titre ni capacité pour l'exercer. Cinquième excès de pouvoir.
« La loi avait dit aux fondateurs de bourses : Vous pourrez à l'avenir désigner les administrateurs du bien que vous affecterez à votre fondation, mais ces administrateurs seront sous la surveillance de l'établissement qui aura la propriété de ce bien et ils lui rendront compte annuellement ! (15 novembre 1811, article 189.)
« Les arrêtés de 1818, 1823 et 1829 ont enlevé aux établissements publics ce contact immédiat et nécessaire. Sixième excès de pouvoir.
« Le législateur avait dit : Le droit de collation n'est pas un droit privé ; cependant pour encourager les fondations, je le considérerai à l'avenir comme un droit de famille. Vous pourrez donc vous le réserver à vous et à vos héritiers ; mais je défends qu'on l'attache à certaines fonctions, titres, offices ou dignités, parce que les droits de famille sont inaliénables ; parce que les particuliers ne peuvent rien ajouter aux fonctions, titres, offices et dignités établis par la loi ; parce qu'en tout cas les personnes a qui le droit de collation serait dévolu de ce chef, viendraient l'exercer par substitution.
Les arrêtés de 1818 et 1825 ont méconnu ces principes. - Septième violation de la loi.
« Enfin, les mêmes arrêtés, considérant les actes de fondation comme de véritables contrats, ont accordé action en justice à quiconque y trouve une stipulation en sa faveur : receveurs, administrateurs, boursiers et établissements d'instruction publique, chacun peut plaider pour l'avantage ou la prérogative que l'acte stipule à son profit, comme s'il s'agissait d'un droit exclusivement privé ; et sous ce point de vue encore il y a violation des principes les plus essentiels d'ordre et d'utilité publique.
« Nous pourrions prolonger cet examen, mais nous en avons dit assez pour conclure que les arrêtés de 1818, 1823 et 1829 ont été rendus inconstitutionnellement ; dès lors ils étaient dépourvus de toute valeur, même sous le gouvernement des Pays-Bas ; et à plus forte raison ne peuvent-ils en avoir aujourd'hui, que la Constitution de 1831 consacre les principes suivants :
« Art. 78. Le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribue formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même.
« Art. 107. Les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'ils seront conformes aux lois.
« En présence de ces dispositions, il serait impossible de justifier devant les tribunaux les arrêtés que le Roi actuel a pris ou prendrait par la suite, soit pour rétablir des fondations anciennes, soit pour en autoriser de nouvelles. Son pouvoir, à cet égard, n'a d'autre fondement que les arrêtes de 1818, 1823 et 1829, et ces arrêtés sont contraires, non seulement aux lois administratives que nous avons citées dans le cours de notre travail, mais encore aux règles les plus essentielles du Code civil.
« Il y a plus : Ces arrêtés ont reçu depuis 1830 une extension qui dépasse toute croyance. On sait que le droit de fonder des bourses n'existe qu'en vue de l'utilité publique ; c'est grâce à cette utilité que les établissements créés par l'Etat ou par les communes ont reçu de la loi une existence civile, une personnalité qui leur permet de revendiquer en justice les droits ou les avantages qui résultent pour eux des fondations.
« Eh bien ! le gouvernement actuel autorise des fondations, même au profit d'établissements sur lesquels il n'a ni inspection ni surveillance, et qui, dépourvues de tout caractère public, ne peuvent même ester en justice pour réclamer les avantages que les fondateurs ont voulu leur procurer.»
Et l'auteur du Répertoire administratif dont nous avons extrait ces passages, cite plusieurs faits à l'appui de sou assertion : entre autres, il parle d'une fondation de 25,000 francs, créée en 1844 au profit du collège de Bay, à Louvain ; de fondations faites à des corporations religieuses non reconnues par la loi ; de fondations au profit des évêques en leur qualité d'évêques, et pour des études qui n'ont rien de commun avec l'état ecclésiastique.
Il parle ensuite des fondations, sous le titre d'œuvres de bienfaisance, dont nous avons entretenu la chambre dans une autre circonstance, en fixant son attention sur deux arrêts récents de la Cour d'appel de Bruxelles, qui ont déclaré inconstitutionnels et illégaux des actes revêtus de la signature royale, au moyen desquels le ministère avait attribué à des congrégations religieuses les avantages de la personnification civile en violation du décret de 1809, exclusivement applicable aux sœurs (page 556) hospitalières. Quant à nous, messieurs, nous ne reviendrions plus sur cette discussion qui a révélé des abus graves de même nature que ceux que nous avons à signaler quant aux fondations de bourses.
Les abus, quant aux fondations de bourses, résultent d'abord de l'application que fait le gouvernement des arrêtés de 1818, 1823 et 1829, évidemment illégaux et inconstitutionnels.
Ils résultent ensuite de l'exécution partiale et outrée donnée à ces arrêts ; et ici, après la question de droit, se présente la question de fait.
Le gouvernement, au lieu de suivre l'intention des fondateurs, au lieu de prendre les administrateurs, receveurs, etc., parmi les membres de la famille, les choisit habituellement parmi les membres les plus influents du clergé, et ainsi c'est au clergé qu'il confie le sort des fondations ; le plus souvent même ces fondations sont créées en faveur de communes, de bureaux de bienfaisance pour subvenir à l'instruction des enfants pauvres, et le gouvernement dépouille les communes, les hospices de leurs droits, pour doter de leurs biens des évêques ou certains établissements religieux !
De là tous ces conflits que nous avons à déplorer et qui deviennent tous les jours plus nombreux ; de là dans plusieurs communes suffisamment dotées, absence de toute instruction lorsque les administrateurs refusent de se rendre aux exigences du clergé.
Mon honorable ami M. de Bonne vous a parlé, messieurs, de plusieurs fondations de bourses, sur lesquelles le gouvernement a mis la main pour obéir aux exigences du clergé, et dont on connaît maintenant le sort ; il vous a parlé entre autres de quelques fondations à Tournay, et pour ne pas répéter ce qu'il a dit, je vous renvoie à son discours.
Lors de la discussion du budget de l'intérieur, je vous ai signalé aussi des abus de même nature, mais M. le ministre de l'intérieur, en réponse à mes attaques, s'est borné à me renvoyer à la discussion du budget de la justice.
Il est une de ces fondations dont je vous ai parlé déjà, sur laquelle je dois spécialement fixer votre attention, parce qu’elle a été l'objet d'une convoitise toute particulière et qu'elle a eu le sort que j'ai signalé.
Dans la commune de Saint-Pierre-Capelle, voisine de la ville d'Enghien, il y avait une ancienne fondation dotée de biens considérables et estimée à l'instruction des enfants pauvres. Ces biens se trouvent aujourd'hui en possession de la fabrique de l'église et le gouvernement prête les mains à cette usurpation. Voici les faits :
Le 9 janvier 1540, Pierre Vander Eyken fonda, à perpétuité, à Saint-Pierre-Capelle (Hainaut), lieu de sa naissance, une institution pour l'instruction des enfants pauvres.
Cette fondation subsista jusqu'en 1803, époque où des parents du fondateur exerçaient les fonctions d'administrateurs-collateurs.
Lorsque parut l'arrêté du 7 thermidor an XI (20 juillet 1803), ordonnant la restitution à leur destination des biens des fabriques non aliénés, l’église de Saint-Pierre Capelle, abusant de cet arrêté, s'empara des biens de la fondation. Dans un état général, en date du 10 août 1808, on voit figurer ces noms « parmi ceux dont la fabrique jouit actuellement » (sic).
C'est par suite de cette usurpation de l'église et en l'absence de toute autorité tutélaire (le bureau de bienfaisance ne connaissait probablement pas les droits que lui attribuait la loi de messidor an V), que la fondation fut supprimée de fait.
Mais la fabrique cherchait, après son usurpation, à se créer un titre ; le 22 novembre 1817, elle présenta à M. le gouverneur du Hainaut un état de ses biens-fonds et rentes, parmi lesquels figurent ceux de la fondation Vander Eyken. Dans la colonne de cet état où doit figurer la date de la prise de possession, on lit, au lieu de la date de l'arrêté du 7 thermidor an XI : « Depuis un temps immémorial », et comme origine, on voit l'indication ambiguë : « Ancienne fondation ».
Le 28 janvier 1818, M. le gouverneur du Hainaut donna sur ce document un avis ainsi motivé : « qu'il paraît qu'antérieurement elle (la fabrique) en avait la jouissance de temps immémorial », et conclut : « qu'il y a lieu de confirmer définitivement, etc., sans préjudice aux droits des tiers. »
Sur cet avis intervint un arrêté royal du 15 juillet 1819, qui envoie la fabrique en possession.
Pendant tout ce temps, la fondation n'avait plus d'existence, elle n'avait civilement aucun représentant ; aucun curateur ne pouvait défendre ses droits.
Cependant des parents du fondateur, voués par devoir de famille à l'accomplissement de ses volontés, mirent tout en œuvre pour faire rétablir la fondation.
Au lieu d'agir en exécution de la loi de messidor an V et de s'en rapporter aux soins de l'administration des hospices ou du bureau de bienfaisance, ils eurent le tort de recourir au gouvernement, qui, par arrêté ministériel du 25 novembre 1844, s’appuyant sur les arrêtés du roi Guillaume de 1818, 1823 et 1829, déclara l'ancienne fondation Van der Eyken rétablie, et nomma à cette fondation des administrateurs et collateurs.
Mais voici maintenant ce qui arriva, et on devait s'y attendre.
La fabrique de l'église de Saint-Pierre-Capelle, ayant eu connaissance de l'arrêté ministériel du 25 novembre 1844, en demanda le retrait, et M. le ministre de la justice, qui ne peut rien refuser au clergé, lui accorda d'abord un sursis d'exécution, et puis il s'abstint de prendre une décision sur le nouvel obstacle apporté par la fabrique au rétablissement de la fondation.
Toutes les réclamations faites par la commune pour engager M. le ministre de la justice à maintenir son arrêté du 25 novembre 1844, restèrent vaines. Aujourd'hui la commune, par suite d'un véritable déni de justice, se trouve privée de toute instruction, alors qu'elle possède des ressources plus que suffisantes pour pourvoir aux frais que cette instruction doit occasionner sans être obligée de rien porter de ce chef à son budget.
Cela est si vrai que la députation permanente du Hainaut, dans son rapport de 1845 au conseil provincial, déclare que la commune de Saint-Pierre-Capelle possédant une fondation à laquelle appartient une maison d'instituteur avec des biens et rentes d'une valeur de cent mille francs, il y était pourvu à tous les besoins de l'enseignement de la classe indigente.
Et cependant par le fait du ministre, l'église continue son usurpation, et la commune est privée de toute instruction !!
Sous peu de jours vous aurez à connaître, messieurs, d'une pétition que vous adresse le bureau de bienfaisance de Saint-Pierre-Capelle.
Dans d'autres localités, des abus semblables ont été constatés. Nous rappellerons d'abord ceux que nous avons signalés, ceux qui ont été signalés par notre honorable ami M. de Bonne, dans des discussions précédentes. Nous ajouterons que les mêmes abus existent à Audenarde, au sujet de deux fondations appelées les fondations Statins, et pour ne pas multiplier nos citations nous nous bornerons à vous citer un dernier fait qui sera de nature, j'espère, à convaincre les plus incrédules ; il s'agit d'une fondation de bourses à Rochefort.
En 1763, M. Pierre-Louis de Jacquet laissa, en faveur des jeunes gens de Rochefort, un capital considérable placé à Rome, dont l'intérêt devait servir à créer des bourses, afin de les mettre à même d'étudier les belles-lettres et d'apprendre des arts et métiers dans les villes florissantes du pays et à l'étranger ; et pour les former dès leur enfance à l'étude, il fit bâtir une maison d'école à Rochefort, sa ville natale, qu'il désigna comme école de la communauté, et à laquelle il donna un instituteur avec des appointements.
Le testament portait que lesdites bourses ne profiteraient aux jeunes gens de Rochefort qu'après la mort de certaines personnes qu'il indiquait ; mais la même réserve n'était pas faite pour l'école communale qui avait été ouverte dès son vivant.
Peu de temps après sa mort, arriva la révolution française ; l'école fut fermée et, après l'orage passé, elle fut ouverte par l'administration communale d'alors, qui nomma un instituteur, le salaria sur sa caisse, fit aux bâtiments les réparations nécessaires, tant pour l'appropriation que pour l'ameublement ; postérieurement la commune paya l'impôt foncier et l'assurance des bâtiments ; plus tard elle ajouta à cet établissement de nouvelles constructions, et elle continua de posséder jusqu'en octobre 1845 (pendant environ 50 ans).
En 1838, l'événement prévu par le testament arriva, et la commune de Rochefort fit des démarches près du gouvernement, pour être envoyée en possession des revenus lui légués par M. de Jacquet.
Un arrêté royal vint rétablir la fondation ; mais au lieu de nommer parmi les administrateurs des membres de l'administration communale, ou du bureau de bienfaisance, ou même des notables habitants de la commune, on nomma un curé de Rochefort et son vicaire, un curé de la commune d'Eprave, dépendant de celui de Rochefort qui est son doyen, et un quatrième curé de la commune d'Ave et Gustave de Warzée qui habite Liège, et qui est membre de la famille du fondateur. Et remarquons que le curé de Rochefort, par sa position, est omnipotent, vu la hiérarchie ecclésiastique ; aussi allez-vous en juger par ce qui suit :
De 1838 à 1845, la fondation ne s'est mêlée ni de l'instituteur communal, ni des bâtiments et propriétés dépendant de l'école des garçons.
En 1845, de guerre lasse et espérant aussi obtenir quelques concessions des administrateurs de la fondation, la commune se décida à appeler des frères de l’école chrétienne et de les payer de concert avec la fondation, en y employant une partie des revenus de celle-ci ; il n'était question alors que de certaines conditions connues du conseil communal, sous lesquelles leur admission avait été consentie.
C'était en octobre 1845 qu'ils devaient arriver ; mais l'époque ne leur convenait point, et ils écrivirent au bourgmestre pour l'en prévenir ; et, avant tout, on devait signer de nouvelles bases d'arrangement. L'époque des vacances étant expirée, le bourgmestre convoqua son conseil pour délibérer sur l'objet de cette lettre. C'est alors que l'on prit la délibération du 7 octobre 1845, qui écarta à tout jamais les frères des écoles chrétiennes.
Quelques jours se passèrent en attendant la réponse à la notification qui leur était faite, mais au lieu d'une réponse, il arriva à Rochefort beaucoup plus de petits frères qu'on n'en avait demandé, et ils vinrent prendre inopinément possession du bâtiment de l'école, et s'y maintinrent malgré l'opposition formellement notifiée de l'administration communale. Non seulement ils se sont emparés des bâtiments, mais encore de tout le mobilier appartenant à la commune.
L'administration communale aurait peut-être dû opposer la force à cet acte inconvenant de la part des administrateurs de la fondation : mais forte de son bon droit et de sa conscience, elle crut qu'il était plus digne d'obtenir justice que de se la rendre soi-même.
Elle s'adressa à la députation du conseil provincial pour obtenir l'autorisation (page 557) d'ester en justice, et lui adressa copie de la signification faite aux frères de déguerpir des bâtiments ; près d'un an se passa avant que cette autorisation fût accordée ; et pendant ce temps les frères et la fondation jouissent des bâtiments et trouvent moyen de dépenser plus de 3,000 fr. de rente que M. de Jacquet avait laissés pour être distribués en bourses d'études aux jeunes gens de Rochefort ; car, malgré les demandes réitérées faites par les intéressés pour obtenir des bourses, il est constaté que l'administration de la fondation n'en a jamais donné à personne, qu'elle s'est toujours refusée à l'exécution du testament du fondateur, sous le prétexte que les petits frères pouvaient remplacer une instruction plus large.
Voilà bien le résultat des administrations créées aux termes des arrêtés de 1818 et 1823 !!!
Ce n'est pas là que finit l'affaire : La commune nomma un instituteur communal laïque, croyant pouvoir rentrer de suite dans la possession de ses bâtiments. Mais l'autorisation de plaider se faisant trop attendre, force lui fut de louer un quartier dans une maison particulière, et depuis les parents des élèves ont dû prêter des chaises, des tables et un peu de mobilier pour improviser une salle d'école. L'avenir de l'instituteur nommé exigeant une position plus stable, la commune fit des démarches pour son agréation, on l'admit à l'examen ; mais à l'époque où l'on devait espérer de recevoir son agréation par le gouvernement, acte qui aurait indubitablement emporté déclaration que les bâtiments destinés à l'instruction devaient être occupés par lui, on répondit que son agréation resterait en suspens jusqu'à la fin du procès pendant entre la commune et l'administration de la fondation.
Et comme ce procès peut durer plusieurs années, la commune se trouvera pendant ce temps privée et des bâtiments qui ont toujours été occupés par son instituteur communal et du mobilier qu'elle a fait confectionner.
Aussi voit-on à Rochefort les petits frères habiter un établissement très vaste avec de belles et riches dépendances, et un instituteur communal réduit à occuper un quartier dans une chaumière où il ne trouve pour tous meubles que des tables et chaises fournis par les parents des élèves !
Ce fait en dit beaucoup plus que tous les autres, et je le signale à l'attention toute spéciale de la chambre et du pays. A lui seul il dévoile et la tendance du clergé et la tendance du gouvernement !!!
(page 550) M. Thienpont. - J'ai uniquement demandé la parole pour répondre à l'honorable M. Verhaegen, qu'il a été induit en erreur en ce qui concerne les fondations Stalius, à Audenarde. Les administrateurs désignés par les actes de ces fondations ont, à la vérité, réclamé afin d'être réintégrés dans cette administration ; cette demande a été instruite. L’instruction a duré pendant à peu près trois ans, et finalement M. le ministre a refusé d'accueillir cette demande en renvoyant les réclamants à se pourvoir devant les tribunaux.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je m'attendais, d'après ce qu'a dit l'honorable M. Verhaegen dans les séances précédentes, qu'il allait dérouler un tableau de nombreux abus commis par l'administration des fondations de bourses d'études. Je pensais qu'il allait se plaindre de la manière dont ces fondations avaient été rétablies et administrées, qu'il allait se plaindre qu'on ne respectât pus la volonté des fondateurs, en un mot, qu'on n'observât pas les arrêtés qu'il a cités. J'ai donc été fort étonné d'entendre l'honorable membre suivre une marche tout opposée. Il ne nous reproche pas de ne pas respecter la volonté des fondateurs, de ne pas exécuter les arrêtés ; il nous reproche, au contraire, de nous conformer à la volonté des fondateurs, et il attaque ces arrêtés eux-mêmes, en prétendant qu'ils sont frappés d'une illégalité flagrante.
Il a cité une longue dissertation du Répertoire administratif de MM. Tielemans et de Brouckere, et il a dit que je devais adopter leur avis, puisque j'avais cité leur ouvrage dans une autre circonstance. C'était, a-t-il dit, une preuve que j'ai confiance en leurs lumières.
L'honorable membre a trop l'habitude de la tribune et du barreau, pour ne pas savoir qu'on peut citer un auteur à l'appui des arguments qu'on présente, sans adopter pour cela toutes les opinions que cet auteur peut avancer sur d'autres sujets. C'est un principe dont il a fait lui-même, j'en suis sûr, souvent l'application. N'a-t-il pas souvent fait usage d'un ouvrage que dans d'autres circonstances on lui a opposé et qu'il a lui-même combattu ?
Au reste, je me plais à reconnaître que cet ouvrage est très remarquable et que les auteurs qui s'en occupent sont des hommes d'un très grand mérite.
Je ne pense pas qu'il puisse entrer dans les intentions de la chambre que je suive l'honorable membre dans tous les développements dans lesquels il est entré pour établir l'illégalité et l'inconstitutionnalité des arrêtés de 1818 et de 1823. Je ferai seulement quelques observations. Dans une séance précédente, quand l'honorable membre a parlé des béguinages en faveur desquels on réclamait des biens administrés maintenant par les hospices, qu'a-t-il dit ? Que c'était là une question du ressort des tribunaux ; et il a blâmé le gouvernement d'oser s'occuper d'une matière qui ne pouvait être réglée que par des décisions judiciaires. Aujourd'hui changeant de thème, que vous dit l'honorable membre ? Il critique le gouvernement de ne pas se prêter à retirer à ces établissements l'administration de biens qui leur ont été rendus, ou de ne pas les empêcher par son inaction de faire valoir leurs droits ?
Si les hospices ou les bureaux de bienfaisance pouvaient avoir des droits sur les fondations, la voie des tribunaux leur est ouverte. Mais le gouvernement manquerait à son devoir s'il n'appliquait pas des arrêtés dont la légalité n'a jamais été contestée.
Il est sans doute malheureux que l'idée d'attaquer ces arrêtés soit venue si tard, car le silence gardé si longtemps par l'honorable membre, sur ce point, a laissé consommer un grand nombre d'illégalités. Les arrêtés de 1818 et de 1823 ont été exécutés sans interruption depuis leur émanation jusqu'à présent. Ils l'ont été sous tous les ministères par des hommes qui se connaissaient un peu, je pense, en légalité ; ils l'ont été par des jurisconsultes d'un mérite reconnu, MM. Raikem, Ernst, Leclercq et Van Volxem.
M. Vanden Eynde. - Et sous le gouvernement provisoire.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Cela est vrai et par le gouvernement provisoire, arrêté de 1831. Les hommes éminents dont je viens de citer les noms n'ont jamais élevé de doute sur la légalité de ces arrêtés et sur l'exécution qu'ils pouvaient recevoir sous l'empire de la Constitution belge.
Quand le ministère de 1840 a été formé, l'administration des cultes a été transportée du ministère de l'intérieur au ministère de la justice et l'instruction publique au ministère des travaux publics. Une correspondance s'est engagée entre les deux ministres qui occupaient ces départements, concernant les fondations de bourses ; il a été reconnu et après un examen très long et très approfondi entre MM. Rogier et Leclercq, que l'administration des bourses d'études doit appartenir au ministère de la justice, et que la collation des bourses, en petit nombre, appartenant au gouvernement serait faite par les deux départements dans des proportions déterminées, c'est-à-dire que la collation des bourses pour les études théologiques devait entrer dans les attributions du département de la justice, et la collation des bourses pour le droit, la médecine, les humanités, dans les attributions du département des travaux publics.
Voilà comment s'explique ce fait qui a paru extraordinaire à l'honorable M. Verhaegen, que l'administration des bourses appartienne au département de la justice, bien qu'il s'agisse de bourses d'études, ce qui aurait fait penser à l'honorable membre que cette administration eut dû appartenir au département de l'intérieur.
L'explication du maintien de cette attribution au département qui a l'administration des cultes se trouve en outre dans le caractère qu'avaient, la plupart des fondations de bourses. Le plus grand nombre était des ecclésiastiques, et le plus grand nombre de bourses est fondé pour les études théologiques ; il n'y eu a que très peu pour les autres études.
On a pensé dès lors qu'il convenait de maintenir à un seul département l'administration de toutes les bourses, pour éviter qu'on n'envoyât aux administrateurs des instructions contradictoires, et le ministère de la justice a naturellement obtenu ce maintien.
(page 551) Ainsi, en 1840, cette question a été examinée d'une manière particulière par les deux départements qui tous deux réclamaient la collation des bourses.
Certes, on ne doit pas supposer qu'une question de cette nature ait été examinée à la légère par les deux honorables ministres dont je viens de citer les noms.
Il y a plus : la cour de cassation elle-même a été appelée à se prononcer au moins indirectement sur la question de la légalité des arrêtés de 1818 et 1823, et elle l'a virtuellement reconnue : la question, si je me le rappelle bien, était celle de savoir si le gouvernement avait le droit de désigner les administrateurs des fondations de bourses, ou de régler le taux des bourses et les conditions de collation. On prétendait que ce droit n'appartenait pas au gouvernement ; la cour de cassation a reconnu l'existence de ce droit ; eile a donc reconnu ainsi la légalité des arrêtés de 1818 et 1823 ; car elle n'aurait pas pu reconnaître au gouvernement un droit, en vertu d'un arrêté qu'elle aurait considéré comme illégal.
Outre les autorités imposantes dont je viens de parler, je puis encore citer le comité consultatif, existant au département de la justice. Il est composé de plusieurs conseillers à la cour de cassation, et de plusieurs conseillers à la cour d'appel. Je pense que les noms de ces honorables magistrats qui veulent bien consentir à me prêter leur concoure pour examiner les difficultés qui se présentent, donneront à la chambre la conviction que ces questions sont traitées avec le plus grand soin, et reçoivent une solution conforme aux véritables principes du droit.
Ces conseillers sont :
MM. Peteau, conseiller à la cour de cassation.
Defaveaux, id.
Paquet, id.
Marcq, id.
Lefebvre, id.
Van Hooghten, conseiller à la cour d'appel.
Bosquet, id.
Citer ces noms suffit pour faire apprécier la confiance qu'ils méritent, et pour donner à la chambre la conviction que des magistrats d'un aussi haut mérite n'auraient pas consenti à concourir aux illégalités nombreuses qu'a signalées l'honorable M. Verhaegen.
Les fondations de bourses d'études ont toujours été considérées avec raison, je pense, comme de véritables propriétés de famille ayant une administration spéciale dans l'intérêt de leur conservation. Je considère donc les arrêtés de 1818 et de 1823 comme des actes de restitution, comme des actes qui ont rendu à leurs véritables propriétaires ce qui indûment se trouvait administré par d'autres.
Au moment où ces arrêtés ont paru, si les personnes qui administraient alors les biens des fondateurs avaient eu des droits à réclamer, certes elles les auraient fait valoir. Le recours en justice réglée est réservé par ces arrêtés eux-mêmes.
Je persiste à croire que ces arrêtés n'ont violé aucune loi, et ne sont pas contraires à nos principes constitutionnels ; ils n'ont fait qu'appliquer la loi du 11 floréal an X, qui a reconnu, je pense, la possibilité de faire des fondations pour les études.
Au reste, je le répète, je ne veux pas traiter d'une manière approfondie la question dont a parlé l'honorable M. Verhaegen. Les arrêtés dont il a parlé existent depuis longtemps ; ils ont toujours reçu leur exécution ; ils ont été sanctionnés par l'opinion des personnes les plus compétentes, et je ne crains pas de le dire, il n'y a pas un ministre qui abandonnerait l'exécution de ces arrêtés.
Si plus tard (ce que je ne puis croire) il venait à être établi que ces arrêtés soient inconstitutionnels, il faudrait s'empresser de prendre d'autres mesures. Car je considérerais comme un véritable malheur l'abrogation de ces arrêtés. Cette abrogation mettrait la perturbation dans ces fondations de bourses, anéantirait la volonté des anciens fondateurs, qui ont dû pourtant penser que leur volonté serait sacrée et respectée par tous les gouvernements. Les fondations de bourses (on l'a toujours reconnu) sont placées sous la sauvegarde de la probité et de l'honneur des gouvernements et des particuliers. On ne peut légèrement toucher à une telle matière ; car on compromettrait (je ne crains pas de le dire) les plus graves intérêts.
Qu'on ne dise pas que les fondations sont une chose si anormale, si exorbitante, que des administrations spéciales sont une chose si extraordinaire. En effet, la loi communale, dans son article 84, relatif à diverses nominations attribuées au conseil communal, porte expressément :
« Il n'est pas dérogé, par les dispositions qui précèdent, aux actes de fondations qui établissent des administrateurs spéciaux. »
Et, pour le dire en passant, les fondations de bourses d'études ont, grâce à une administration sage, rendu les plus grands services aux communes ; car, dans plusieurs communes, les fondations de bourses pour l'instruction primaire tiennent lieu d'écoles communales, et dispensent les communes de faire des dépenses considérables. La loi sur l'instruction primaire a prévu ce cas, et ces résultats ont pu être obtenus grâce aux dispositions tutélaires des arrêtés de 1818 et de 1823. Si ces arrêtés n'avaient pas été exécutés, il est très probable que la plupart des fondations de bourses d'études auraient disparu, ou du moins auraient reçu une destination autre que celle qu'avait indiquée la volonté des fondateurs.
Le bien qui est résulté de l'état de choses actuel est de nature à y faire regarder à deux fois, avant de porter la hache dans ces institutions qui ont rendu de véritables services.
Je passe à quelques-unes des observations qui ont été faîtes par l'honorable M. Verhaegen et par l'honorable M. de Bonne, dans des séances précédentes.
L'honorable M. Verhaegen vous a dit en termes généraux que lorsqu'il s'agissait d'acceptation de legs ou de donations faits à des hospices ou à des bureaux de bienfaisance, on autorisait ces donations, mais qu'en même temps on instituait une administration spéciale qui enlevait tout pouvoir aux administrateurs légaux ; qu'au contraire, lorsqu'il s'agissait de biens donnés à des séminaires ou à des évêques, on n'agissait pas de la même manière, qu'alors on ne regardait pas comme étant obligatoires les dispositions des arrêtés de 1818 et de 1823 ; qu'on laissait aux séminaires pleine et entière latitude.
J'aurais désiré, messieurs, pour ne pas rester dans le vague, que l'honorable M. Verhaegen voulût bien nous faire connaître quelles sont les dispositions auxquelles il fait allusion. Alors j'aurais pu rencontrer ses motifs et expliquer pourquoi avaient été prises les mesures qu'il critique. Mais je pense que je ne puis aborder une discussion à l'occasion d'un reproche vague.
M. Verhaegen. - J'ai dit que c'était la marche généralement suivie.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si l'honorable membre prétend que c'est la marche généralement suivie, je puis l'assurer qu'il est dans l'erreur. Je ne puis pas dire que cela ne s'est jamais fait ; car l'honorable membre n'exigera certainement pas que j'aie présentes à la mémoire toutes les dispositions qui ont été prises au département de la justice depuis quatre ans que je le dirige, alors surtout que lui-même me reproche une disposition qui a été prise en 1838 sous le ministère de M. Ernst.
Je vais rencontrer, messieurs, diverses observations qu'a faites l'honorable membre relativement à quelques-unes de ces fondations.
D'abord l'honorable membre vous a parlé de la fondation Stalins d'Audenarde. Je m'en rapporte à ce que vient de vous dire l'honorable M. Thienpont ; il vient de vous faire connaître que, loin d'avoir rétabli cette fondation, j'avais refusé de la rétablir. Je m'attendais donc à des éloges plutôt qu'à un blâme de la part de mon honorable contradicteur.
L'honorable M. Verhaegen a passé à l'affaire de Rochefort. Il vous a dit que toujours par cette application, qu'il critique si vivement, des arrêtés de 1828 et de 1823, on avait rétabli cette fondation.
Messieurs, cette fondation a été rétablie par un homme dont le souvenir est encore cher parmi vous, par l'honorable M. Ernst. L'arrêté de rétablissement est du 22 octobre 1838. Il faut avouer que j'aurais eu quelque peine à l'empêcher.
Messieurs, cet arrêté a été suivi de quelques complications. Il y a eu des difficultés entre le conseil communal de Rochefort et l'administration de la fondation.
Ces difficultés, messieurs, se sont produites devant le conseil provincial de Namur, et je regrette vivement l'absence de mon honorable ami M. d'Huart, qui aurait pu expliquer à la chambre la manière dont les choses se sont passées devant le conseil provincial ; je ferai remarquer toutefois que ce conseil a donné gain de cause et gain de cause complet à l'administration de la fondation. Mais la chambre ne peut exiger que j'aie présents à la mémoire les détails d'une affaire de cette nature.
La difficulté existait, comme l'a dit l'honorable M. Verhaegen, relativement à l'admission, dans la commune, des frères de la doctrine chrétienne, et l'honorable membre a dit que la commune de Rochefort a été victime d'un piège en acceptant ces instituteurs.
Il faut avouer, messieurs, qu'une commune tombe dans un piège infernal et bien fatal à ses intérêts, quand elle adopte les frères de la doctrine chrétienne ! Il faut avouer qu'une commune est bien malheureuse quand elle donne dans un piège semblable, dans un piège où a eu le malheur de tomber aussi la ville de Paris, et plusieurs autres villes de France qui ont fait des sacrifices pour favoriser l'instruction donnée par ces frères, qui la donnent à plus de 200,000 enfants, et qui, dans les concours qui ont eu lieu entre les institutions primaires, sur vingt prix en ont obtenu dix-sept !
Messieurs, la ville de Rochefort a-t-elle donc été bien malheureuse et bien mal inspirée en confiant l'instruction de la jeunesse aux frères de la doctrine chrétienne ?
La fondation de Pierre Vanderrycken à St-Pierre-Capelle, rétablie par un arrêté de 1844, n'a pas échappé non plus à la critique de l'honorable M. Verhaegen ; et j'avais pensé obtenir, non pas les critiques, mais les éloges de l'honorable membre. Car la fondation Vanderrycken était administrée par un conseil de fabrique, et l'arrêté que j'ai pris lui a enlevé cette administration pour la restituer aux personnes qui, aux termes de la fondation, devaient avoir cette administration.
M. Verhaegen. - Cela est bien, mais c'est la suite.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Cela est bien, d'après vous, uniquement parce que j'enlevais une administration à une fabrique !
Qu'est-il arrivé ensuite ? La fabrique était en possession. L'honorable M. Verhaegen a qualifié cette possession d'illégale, d'arbitraire ; mais enfin cette possession était alléguée. Les administrateurs nommés ont demandé à la fabrique la restitution de l'administration ; la fabrique s'y est opposée. On m'en a référé, et j'ai consulté le comité consultatif. Le comité consultatif, examinant les motifs sur lesquels se fondait le conseil de (page 552) fabrique, et voyant que celui-ci invoquait la prescription, m’a conseillé, avant de donner aux administrateurs l'autorisation de plaider, d'engager ces administrateurs pour ne pas compromettre les intérêts de la fondation elle-même, à consulter des jurisconsultes pour s'assurer que leur action serait fondée.
Voilà, messieurs, où en est l'affaire. Je n'ai pas voulu engager imprudemment les administrateurs à entamer un procès qu'ils auraient peut-être perdu ; mais je leur ai dit : Entourez-vous de lumières, prenez des consultations, et lorsque vous vous serez assurés qu'en fait et en droit les prétentions de la fabrique ne sont pas fondées, vous obtiendrez l'autorisation de plaider.
Ainsi, l'honorable M. Verhaegen est dans l'erreur, lorsqu'il croit que je n'aurais pas exécuté l'arrêté de 1844, ou que cet arrêté serait retiré. L'arrêté n'est pas retiré, et il sera exécuté, s'il est reconnu que les prétentions du conseil de fabrique ne sont pas fondées.
M. Verhaegen. - En attendant, il n'y a pas d'instruction.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable membre me dit : En attendant, il n'y a pas d'instruction. Mais puis-je faire avancer les procès plus vite que ne le permettent les formes judiciaires ?
L'honorable M. Verhaegen, dans une séance précédente, avait également mentionné d'autres fondations. La chambre me permettra de répondre quelques mots à ses critiques, ainsi qu'à celles de l'honorable M. de Bonne.
Messieurs, une fondation a été faite à Tournay, par un sieur Roguet. D'après l'acte de fondation, il s'agissait de donner l'enseignement gratuit à la jeunesse en matière de religion, lecture, couture et autre travail de mains. Cette fondation a été rétablie sur l'avis conforme du comité législatif et de la députation permanente du Hainaut.
Je pense, messieurs, que le rétablissement de cette fondation, qui rentrait évidemment dans les termes des arrêtés de 1818 et de 1823, aurait eu lieu comme pour toutes les autres ; mais les hospices, qui étaient en possession de cette administration ont réclamé, comme la fabrique de St-Pierre-Capelle, et une instruction nouvelle a été entamée.
Cette instruction fera voir s'il est possible de maintenir les hospices dans l'administration de cette fondation s'il est possible au gouvernement d'obtenir des garanties que la volonté des donateurs serait strictement observée. J'ai écrit dans ce sens à M. le gouverneur du Hainaut. Je n'ai pas encore sa réponse. L'instruction de cette affaire n'est donc pas complète. Mais je tenais à déclarer que la fondation a été rétablie, sur l'avis conforme de la députation du Hainaut.
La troisième fondation dont a parlé l'honorable M. Verhaegen est celle de Michaut et Couronez à Ath. La fondation a pour but de donner l'instruction aux pauvres et d'apprendre aux jeunes filles des ouvrages de main. Elle a été rétablie, en 1845, de l'avis de la députation permanente du Hainaut. Mais celle-ci avait pensé qu'il y avait lieu à nommer d'autres administrateurs que ceux que j'ai désignés.
Je demande à la chambre à dire en deux mois quelle est la difficulté qui s'est élevée relativement à la nomination des administrateurs, conformément à la demande de la députation du Hainaut.
En 1823, le roi Guillaume avait rétabli la surveillance de cette fondation et avait, conformément à la volonté des fondateurs, nommé comme administrateurs les deux curés d'Ath.
Les institutrices qui avaient été chargées par les fondateurs de donner l'instruction ne pouvait plus, en 1828, à cause de leur âge, s'en occuper, furent autorisées à continuer de jouir des biens de la fondation ; on nomma pour séquestre le bourgmestre d'Ath. Ces anciennes institutrices moururent, en 1837 ; le bourgmestre n'informa pas le gouvernement de leur décès ; l'administration communale continua à jouir des biens de la fondation ; elle en a fait un emploi utile, j'aime à le croire, mais il n'était pas justifié qu'il fût conforme à la volonté des fondateurs.
En 1845, cette fondation fut rétablie. Mais en vertu des dispositions prises en 1823, par le roi Guillaume, j'ai pensé devoir nommer pour administrateurs les deux curés d'Ath, attendu que, d'après l'acte de fondation, ce devaient être des ecclésiastiques.
Quant au proviseur, le commissaire d'arrondissement fut nommé ; le bourgmestre qui avait été séquestre ne pouvait pas l'être vu qu'il devait rendre compte.
Voilà les explications que j'avais à donner sur cette fondation. Je pense qu'elles suffiront pour justifier la conduite du gouvernement.
L'avant-dernière fondation dont on s'est occupé est celle de la veuve Hardy. (L'honorable M. de Bonne en a également parlé.) Elle a pour but l'instruction gratuite des enfants pauvres. Elle a été rétablie, sur l'avis conforme de la députation du Hainaut et de M. le ministre de l'intérieur, non pas de mon honorable collègue M. de Theux, mais de mon honorable ancien collègue M. Van de Weyer.
La dernière fondation dont a parlé l'honorable M. de Bonne est la fondation des anciens prêtres. Quant à cette fondation, il ne m'est pas plus possible qu'à l'honorable M. de Bonne de donner des explications, attendu que la réclamation est seulement du mois de novembre 1846, époque à laquelle a commencé l'instruction de cette affaire.
Je crois avoir, par ces explications, répondu à tous les griefs allégués contre mon administration.
M. Verhaegen et M. de Bonne demandent la parole.
Plusieurs membres. - La clôture !
D’autres membres. - A demain !
M. Verhaegen. - Je demande la parole contre la clôture.
Il est vraiment extraordinaire que lorsqu'on traite une question d'une aussi grande importance et qu'elle n'est pas parvenue à maturité, l'on demande la clôture.
C'est toujours du même côté qu'on demande la clôture. J'en comprends fort bien le motif : c'est parce qu'on ne veut pas entendre des vérités. Eh bien, je vous dirai que si vous ne voulez pas me laisser répliquer, si vous voulez laisser parler M. le ministre de la justice le dernier, vous manquez à tous les antécédents et à toutes les convenances parlementaires.
Je n'avais que quelques mots à dire. On demande pourquoi l'on n'a pas abusé, sous l'ancien gouvernement, des arrêtés de 1818 et de 1823. C'est parce qu'on n'en abusait pas. Aujourd'hui, l'on abuse de tout. Si on laisse faire le gouvernement, il créera autant de mainmortes qu'il voudra, et il finira par rétablir les couvents.
- La chambre consultée prononce la clôture.
M. Huveners, secrétaire, donne lecture d'une dépêche de M. le ministre de l'intérieur accompagnant l'envoi des pièces relatives à l'élection de M. E. de T'Serclaes, représentant nommé par le collège électoral du district de Saint-Nicolas, en remplacement de M. Verwilghen, décédé.
Il procédé, par la voie du sort, à la formation d'une commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. de T'SercIaes. Cette commission se compose de MM. d'Hoffschmidt, Fleussu, Orban, Rogier, Rodenbach, de Roo et Fallon.
M. le ministre des finances (M. Malou). - A la demande de M. le ministre de la guerre, je proposerai à la chambre de donner au budget de son département la priorité sur le projet de loi relatif au service de santé de l'armée.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.