(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 257) M. Van Cutsem fait l’appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. A. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Van Cutsem présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs ouvriers tailleurs, à Bruxelles, demandent des mesures de protection contre la concurrence qui leur est faite par les détenus dans les prisons et dans le dépôt de mendicité de la Cambre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
« Plusieurs habitants de Chênée et des environs réclament l’intervention de la chambre, pont obtenir la dérivation de la Meuse. »
M. de Tornaco. - J’ai l’honneur de proposer le renvoi de cette pétition à la section centrale, chargée de l’examen du budget des travaux publics.
Je me permets en même temps de recommander cette pétition à l’attention la plus soutenue de la section centrale, eu égard à l’objet important qui y est traité.
- La pétition est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics.
« Plusieurs habitants des communes de Braine-le-Château et d’Ittre présentent des observations contre la demande tendant à réunir en un seul les deux cantons de la justice de paix de Nivelles. »
- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.
« Les membres du bureau de bienfaisance et du conseil communal de Landen demandent la mise en adjudication de la construction de la route pavée d’Hannut à Landen. »
- Sur la proposition de M. Eloy de Burdinne, renvoi à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport.
« Les sieurs Jadot et Ramonfosse, président et secrétaire de la société agricole et forestière, réclament l’intervention de la chambre pour qu’il soit accordé aux, habitants de Jalhay une remise d’une année de fermage des foins aigres provenant des bois et fanges qui leur ont été loués par le gouvernement. »
M. Lys. - La commune populeuse de Jalhay est dans le malheur depuis 1845, La plus grande partie de la culture de cette commune est en pommes de terre ; or les pommes de terre ont manqué en 1845. Cependant cette année-là n’a pas été complétement calamiteuse, parce qu’il y a eu une récolte de seigle et d’avoine. Mais en 1846, le désastre a été complet ; les pommes de terre ont pourri ; elles ont été absolument gâtées et il n’y a eu qu’un quart de récolte en seigle et une demi-récolte en avoine. Je demande le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion de la loi à l’ordre du jour. J’espère que le gouvernement aura égard à la situation de cette commune.
- La chambre ordonne le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi à l’ordre du jour.
« Le conseil communal de Verviers demande une loi qui rende permanente la libre entrée des céréales. »
M. Lys. – Depuis longtemps, la loi de 1834 est reconnue défectueuse ; je crois que la liberté générale des céréales sera un acheminement indispensable à la liberté générale du commerce. J’appuie fortement cette pétition, dont je demande le renvoi à la commission permanente d’industrie.
- Ce renvoi est prononcé.
« Le sieur de Bosman, juge de paix du canton de Looz, présente des observations concernant le projet de distraire les communes d’Aeken et de Rommershoven du canton de Looz. »
- Renvoi au ministre de la justice.
M. Veydt demande un congé de quelques jours pour motifs de santé.
- Ce congé est accordé.
M. le président. - M. Orban a déposé la proposition suivante :
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de distraire du crédit de deux millions demandé pour mesures relatives aux subsistances, la somme de 500,000 fr. destinée à faciliter les défrichements, les irrigations et la colonisation, et de rattacher l’examen de ce dernier crédit à la loi sur le défrichement des terrains incultes, dont la chambre est également saisie. »
M. Orban. - Messieurs, la chambre est en ce moment saisie de deux projets de loi qui présentent une certaine connexité : c’est le projet de loi destiné à fournir au département de l’intérieur des crédits relatifs aux mesures à prendre pour les subsistances, et le projet de loi sur le défrichement des terrains incultes et des bruyères.
Le crédit demandé pour subsistances renferme en même temps une somme de 500,000 fr. destinée à servir de voies et moyens au projet de loi relatif à l’irrigation et à la colonisation de la Campine.
Dans une séance précédente, on a demandé que la commission chargée d’examiner le projet de loi sur les subsistances voulût bien faire un prompt rapport, à cause de la nature urgente des besoins auxquels il s’agit de satisfaire. Ce rapport vous a été distribué hier soir, et la discussion a lieu aujourd’hui.
Il est évident, messieurs, que la question des défrichements se rattache tout entière à la disposition de la loi sur les subsistances, qui consacre une somme de 500,000 fr. aux travaux à exécuter dans la Campine. Or, messieurs, si vous votez maintenant ce crédit avant l’examen de la loi sur les défrichements, vous admettez la conséquence avant d’avoir admis le principe. Vous décréteriez l’exécution avant de vous être prononcés sur la mesure elle-même. Une pareille marche est irrationnelle et ne peut être suivie.
D’un autre côté, l’on doit reconnaître que les motifs d’urgence qui s’appliquent à la loi des subsistances ne sont en aucune manière applicables à la loi sur les défrichements. La loi sur les subsistances est une loi du moment, nécessitée par des besoins actuels et impérieux. La loi sur les défrichements, au contraire, est une loi d’avenir dont les conséquences doivent se développer successivement, dont le but n’est pas d’apporter un allégement immédiat aux souffrances résultant du haut prix des subsistances.
Aucune loi ne comporte moins la précipitation que l’on voudrait y apporter que celle qui vous est soumise sur les défrichements.
Cette question est une des plus graves et les plus importantes qui aient été soumises à la chambre et au pays depuis longtemps. Tous les conseils provinciaux, toutes les administrations ont été consultés, ils ont été appelés à en faire l’objet de leurs méditations. Les corps savants ont mis cette question au concours ; elle a fait l’objet des investigations les plus étendues. Et l’on vous proposerait de voter une loi qui exige l’examen de tant de renseignements, sans suivre même la marche habituelle et sans la garantie d’un rapport spécial et suffisamment élaboré ; car l’honorable rapporteur de la loi sur les subsistances n’a pas lui-même la prétention d’avoir fait un rapport sur les défrichements dans les dix lignes qu’il a consacrées à cet objet dans son travail.
Un des hommes les plus distingués du pays, avec lequel je m’entretenais hier, me disait que s’il avait l’honneur d’être chargé du rapport sur la loi des défrichements, il croirait devoir consacrer au moins un moïs à remplir cette tâche importante.
Non seulement nous n’avons pas de rapport, mais le projet présenté par M. le ministre de l’intérieur manque lui-même des développements les plus essentiels et les plus indispensables.
La somme de cinq cent mille francs seulement est consacrée, jusqu’à concurrence de 150 mille francs, selon la demande de M. Kummer, aux irrigations ; le surplus est destiné à un système de colonisation, à l’érection d’un village avec église, presbytère, etc. ;la plus grande partie est donc destinée à un objet dont il est à peine dit un mot dans l’exposé des motifs du projet de loi.
Ainsi, la partie la plus importante du projet manque absolument de développements ; elle n’est pas en état d’être discutée par la chambre, à moins qu’on ne soit d’avis de supprimer la discussion, une discussion consciencieuse et éclairée.
Evidemment, messieurs, la chambre doit prononcer l’ajournement que je lui propose.
M. Huveners. - Messieurs, différents crédits nous sont demandés par le projet en discussion ; ils ont tous pour but principal de donner du travail à la classe nécessiteuse. Quoi qu’en dise l’honorable M. Orban, la loi qui est actuellement en discussion, n’a aucun rapport avec la loi sur les défrichements.
Dans l’article 3, le gouvernement ne pouvant négliger aucune partie du pays, destine à la Campine une somme de 500,000 fr. pour venir au secours de la classe indigente, en donnant du travail dans les circonstances malheureuses où nous nous trouvons.
Messieurs, la misère, je dois le dire, est, cette année, plus grande dans la Campine qu’elle ne l’était l’année précédente ; l’unique récolte d’une partie du pays, la récolte du seigle a généralement manqué. Eh bien, messieurs, si par impossible le crédit demandé pour les irrigations (page 258) n’est pas accordé, qu’arrivera-t-il ? Au lieu d’avoir du travail dans la Campine, au moyen des 500,000 fr., lesquels sans exagération en donneraient pour une somme double et triple, la Campine devra se rejeter sur les autres crédits votés par la législature, en privant ainsi les malheureux des autres provinces d’une partie des secours que le gouvernement leur destine. Il faudra prendre une partie des fonds qui sont spécialement affectés aux mesures relatives aux subsistances, pour venir au secours des pauvres de la Campine ; car enfin les pauvres de la Campine doivent être secourus, ils ont autant de droits que ceux des autres parties du pays à la commisération publique.
L’honorable M. Orban dit que la question des irrigations et des défrichements n’est pas étudiée et qu’il faudrait un mois pour faire un rapport sur cette question. Mais je suis d’autant plus étonné de voir l’honorable M. Orban demander le renvoi du crédit de 500,000 francs à la loi sur le défrichement, que dans la section dont je faisais partie, l’honorable membre a combattu de toutes ses forces ce projet de loi. Sa proposition tend donc à priver la Campine de toute ressource.
Quoi qu’en dise l’honorable membre, la question des irrigations est résolue. Elle ne peut plus être combattue. Les résultats sont par trop évidents. Nous avons le rapport d’un des hommes les plus compétents...
M. le président. – Veuillez-vous renfermer dans la discussion de la question d’ajournement ; sans cela la chambre pourrait être entrainée dans une longue discussion sur la question des défrichements.
M. Huveners. - M. le président, je voulais entrer dans quelques considérations pour prouver que, quant aux irrigations, nous n’avons pas besoin d’un rapport spécial ni d’une étude particulière. J’ai dit que la question des irrigations est résolue ; nous avons les rapports des hommes les plus compétents, nous connaissons les brillants résultats des ventes de bruyères préparées à l’irrigation ; en outre il existe un grand nombre de demandes tant des communes que de différents particuliers : ceux-ci demandent l’autorisation d’irriguer un millier d’hectares par l’industrie privée, les autres mettent à la disposition du gouvernement un plus grand nombre encore de bruyères, pour y faire des travaux préparatoires, en s’engageant à rembourser au gouvernement le montant des dépenses qu’il aura faites.
Messieurs, je pense que ces faits parlent beaucoup plus haut que toutes les les théories qu’on a débitées depuis des siècles sur cette grande question de défrichement.
Je pourrais entrer dans d’autres considérations, qui auraient surtout pour objet de faire ressortir l’intérêt qui s’attache à cette question, au point de vue de la généralité, mais je crois devoir m’en dispenser pour le moment ; d’ailleurs vous êtes en possession des différents rapports sur la matière, où la question est lumineusement traitée.
Je me résume ; je dis que dans la Campine la misère sera plus grande que l’année passée ; que le gouvernement doit venir à son secours ; que le crédit proposé ne doit pas seulement être utile aux habitants de la Campine, mais doit encore profiter aux habitants des autres parties du royaume ; car, l’année dernière, une grande partie des ouvriers employés aux travaux de la Campine, appartenaient aux Flandres ; ils ont même retiré les plus grands bénéfices à cause de leur aptitude spéciale pour ces sortes de travaux ; je dis en outre que la généralité profitera également du travail qu’il s’agit d’exécuter, car en livrant à la culture les terrains incultes qui se trouvent dans la Campine, on augmente la richesse du pays, et il y aura là une source de revenus de plus pour le trésor public ; je fais observer, en dernier lieu, qu’il ne s’agit ici que de faire une avance de fonds qui rentreront dans les caisses de l’Etat, après qu’on aura fait exécuter des travaux pour des sommes beaucoup plus considérables.
Je m’oppose donc de toutes mes forces à la motion de l’honorable M. Orban.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je ferai remarquer à la chambre que la motion de disjonction, faite par l’honorable M. Orban est prématurée, qu’elle ne peut pas recevoir une solution immédiate. Messieurs, le projet de loi doit être discuté, et ce n’est qu’après la discussion que la chambre, si elle n’est pas suffisamment éclairée sur l’une ou l’autre partie du projet, peut en prononcer la disjonction ou l’ajournement. Je demande donc que, conformément au règlement, la discussion s’établisse sur le projet ; quand on sera arrivé au n°3 de l’article premier, la chambre sera seulement à même, après la discussion, de statuer sur la motion de disjonction.
Maintenant je dois cependant en peu de mots dissiper le préjugé qu’a voulu faire naître l’honorable M. Orban. Comme député du Luxembourg, il a épousé les appréhensions que le conseil provincial a montrées, au sujet de la vente forcée des terrains communaux de cette province. Il a cru que le vote du crédit de 500,000 fr. renfermait implicitement l’adoption du projet de loi sur les défrichements ; mais il n’en est rien : ces deux objets sont parfaitement distincts, c’est-à-dire que quand même la chambre rejetterait la proposition du gouvernement, tendant à contraindre les communes à l’aliénation des terrains incultes, l’application du crédit de 500,000 fr. pourrait être encore faite de la manière la plus utile.
En effet, ce crédit est principalement destiné aux irrigations dans la Campine. J’ai fait remarquer qu’un très grand nombre de terrains sont déjà mis à la disposition du gouvernement pour les préparer à l’irrigation ; que, d’autre part, il y a quelques communes qui hésitent encore ; qu’il est nécessaire dès lors que le gouvernement soit armé du moyen d’expropriation, pour que les travaux d’irrigation soient faits avec ensemble. Voilà donc une destination naturelle.
Déjà la chambre est saisie d’une pétition venue de la Flandre occidentale qui demande également une part dans cette allocation. La province de Luxembourg elle-même, par l’organe de sa députation, s’est adressée au gouvernement pour qu’on mette à exécution, dans cette province, un système d’irrigation, aussi bien que dans la Campine. Ainsi le discours de l’honorable membre va à l’encontre des vœux émis par l’administration de sa province et cela dans la crainte que le vote du crédit de 500 mille fr. n’emporte d’avance l’approbation de la vente forcée des biens communaux.
Ces objets n’ont aucun rapport entre eux ; c’est à tel point que les 500 mille fr. ne pourraient recevoir d’application à l’exécution de la loi sur les ventes forcées des biens des communes. C’est un autre ordre d’idées.
Il est une chose évidente pour tout le monde, c’est qu’il faut maintenant procurer du travail à la classe ouvrière, et surtout un travail utile. Or, nous disons que de tous les travaux qui peuvent être exécutés pendant la saison d’hiver, ceux de la Campine occupent le premier rang, parce que dans ces localités il n’y a presque jamais d’obstacle aux travaux pendant l’hiver.
Nous disons qu’ils ont plus d’importance que d’autres, parce que la disposition d’un terrain à l’irrigation, au moyen de petites sommes, donne lieu à une dépense plus considérable à exécuter par le propriétaire.
Maintenant les Flandres, qui ont besoin d’occuper leurs populations, doivent-elles être indifférentes aux travaux à exécuter dans la Campine ? Non, l’expérience a fait voir qu’un très grand nombre d’ouvriers des Flandres ont été occupés à ces travaux.
Il s’agit d’un ensemble de mesures : les unes tendent à accorder des secours, d’autres à améliorer le travail linier, et la troisième a pour objet d’amener la culture de terrains aujourd’hui incultes. Ce sont donc trois modes différents de venir au secours de la classe ouvrière, mais qui tous tendent au même but et ont entre eux une connexité intime. Autant vaudrait demander la distraction du crédit de 300 mille francs pour l’industrie linière, Il n’y a pas plus de motif pour distraire les 500 mille francs que les 300 mille, et de se borner à voter le crédit de secours. Je demande donc, comme je l’ai fait en commençant, que la chambre aborde la discussion du projet présenté et ne se prononce sur la disjonction que quand le n°3 de l’article premier sera mis aux voix.
M. Lys. - La motion que je voulais présenter était précisément la même que celle faite par l’honorable M. Orban. Je pense qu’il est impossible de discuter la question qui se présente relativement à la colonisation et aux irrigations sans avoir un rapport, sans savoir si la question a été examinée convenablement dans la section centrale. Je crois que nous pouvons dire, d’après le rapport, que nous avons la preuve du contraire.
La section centrale n voulu venir sur-le-champ au secours des malheureux des Flandres et des autres localités du royaume.
Elle fait faire un rapport parce qu’on ne peut pas ajourner la faim. Ce rapport ne contient rien sur aucune des questions que soulève l’objet que nous voulons, non pas ajourner indéfiniment, mais que nous voulons voir renvoyer à la section centrale pour avoir un rapport détaillé sur cet objet.
Diverses questions avaient été posées, et nous n’en voyons pas la solution dans le rapport de la section centrale. Il y avait même une question constitutionnelle : Peut-on aliéner les biens des communes, sans indemnité préalable ? Voilà une question qui avait été posée et sur laquelle la section centrale ne s’est pas prononcée. Sur cette question, le rapport ne dit absolument rien ; c’est réellement un simulacre de rapport, en ce qui concerne l’objet en discussion. Et puisque M. le ministre de l’intérieur invoque le règlement, je l’invoque également, et je fais remarquer qu’aux termes du règlement on ne peut discuter une question sans avoir un rapport ; or, sur cette question, nous n’en avons pas ; l’honorable rapporteur le reconnaît lui-même ; car il dit bien qu’une discussion approfondie a eu lieu à la section centrale ; mais il ajoute qu’il n’a pas le temps d’en rendre compte à la chambre. Il ne suffit pas sans doute que la section centrale s’occupe d’un objet, sans présenter un rapport, pour que la chambre puisse aborder la discussion. C’est cependant là ce que demande M. le ministre de l’intérieur.
Il y a plus, c’est que nous n’avons reçu sur cette question aucun document de quelque portée. Ainsi nous ne recevons qu’aujourd’hui dans les Annales parlementaires, l’avis du conseil supérieur d’agriculture sur une quantité de questions, mais c’est un avis qui n’est pas motivé. C’est la discussion dans le conseil supérieur d’agriculture que nous devrions avoir. Il me semble que le ministère travaille au rebours. Le conseil supérieur d’agriculture a eu à se plaindre de ce que le projet de loi a été soumis à son examen, après qu’il avait été présenté à la chambre. A notre tour, nons disons qu’il est inutile de nous communiquer la décision du conseil supérieur d’agriculture, si les débats qui ont précédé cette décision ne nous sont pas communiqués avant la discussion.
Je le répète, si M. le ministre de l’intérieur invoque le règlement, je crois pouvoir l’invoquer en demandant qu’il y ait un rapport avant la discussion.
M. le président. - La proposition de M. le ministre de l’intérieur tend à ce que la chambre ne se prononce sur la demande d’ajournement qu’après la discussion sur l’ensemble du projet.
M. A. Dubus. - Je m’oppose de toutes mes forces à la proposition de l’honorable M. Orban.
(page 259) C’est une erreur de croire que les travaux de la Campine ne procureraient aucun soulagement à la population des Flandres. La construction du canal de la Pierre-Bleue à Turnhout a donné, pendant l’hiver dernier, du travail à 3,500 ouvriers, dont plus de 1,800 sont venus des Flandres. M. le comte Vilain XIIII, sénateur, qui habite une ces provinces, en a envoyé un très grand nombre.
La majeure partie des ouvriers qui ont travaillé aux canaux de la Campine sont des ouvriers étrangers, des ouvriers des Flandres ; ils sont bons terrassiers, parce qu’ils travaillent bien.
En ce moment, on peut mettre à l’œuvre, dans la Campine, dix mille ouvriers, si l’on juge la chose nécessaire. Ce grand nombre de travailleurs peut y être réuni parce qu’il est aisé de les abriter ; on y trouve à vil prix les gazons des bruyères et les perches de sapin, seuls matériaux employés à la construction des baraques qui leur sont nécessaires.
En Campine, messieurs, l’exécution des terrassements est en quelque sorte toujours possible, même pendant toute la durée de l’hiver. Le sol y est sablonneux et présente des parties suffisamment élevées pour se trouver inaccessibles aux eaux.
En outre, l’expérience a prouvé que l’exécution des terrassements est à la portée de toutes les classes d’ouvriers indistinctement, tisserands, fileurs ou autres. C’est donc dans la Campine que l’exécution de travaux dans l’intérêt de la classe ouvrière peut produire les résultats les plus avantageux ; car, à part le caractère d’utilité générale, ils tendent encore à activer l’œuvre du défrichement.
Je suis étonné qu’un député du Luxembourg s’oppose à un projet de loi qui a pour objet le défrichement de la Campine. Nous avons voté, depuis plusieurs années, tous les travaux nécessaires dans les autres provinces. Tous les députés de la Campine ont voté pour les routes et les chemins de fer à construire dans le Luxembourg.
Et maintenant lorsqu’il s’agit de voter cinq cent mille francs pour des travaux de colonisation et de défrichement, je suis peiné que des membres de cette chambre, des députés du Luxembourg y fassent opposition ; car je regarde la proposition de l’honorable M. Orban comme une opposition au projet de fertiliser la Campine.
M. Orban. - C’est une erreur.
M. A. Dubus. - Messieurs, l’époque à laquelle l’œuvre nationale de la fertilisation du sol de la Campine pourra être accomplie, dépendra de cette qui sera déterminée pour l’achèvement des canaux en train d’exécution et la construction des routes reconnues indispensables.
M. Vandensteen. - Il est évident (et je ne pense pas qu’on puisse le contester) que, dans les documents qui nous ont été communiqués, la question principale n’a été qu’effleurée ; dans les développements qui ont été déposés, le principal document, c’est l’ouvrage de M. l’ingénieur Kummer.
Pour moi, les intentions du gouvernement y sont plus ou moins indiquées.
En effet, dans le principe, M. Kummer ne demandait que 150,000 fr., comme fonds de roulement. C’est sur une information qui lui a été adressée par le département de l’intérieur, qu’on lui a demandé s’il n’accepterait pas 500,000 fr. En lui offrant cette somme, on lui a dit : Nous voulons embrasser tous les systèmes proposés. Quels sont donc ces systèmes ? Dans les nombreux développements donnés, tant par les autorités constituées que par les personnes compétentes, on voit qu’il faudrait, d’après les uns, coloniser ; d’après d’autres, l’acquisition des terrains par le gouvernement ; et enfin, simplement des travaux d’utilité publique Le gouvernement, pour être certain d’adopter le bon, n’en excepte aucun ; aussi les adopte-t-il tous en vous proposant de voter les 500,000 fr.
En présence du projet de loi dont la chambre est saisie, sur le défrichement des terrains incultes qui se trouvent dans les autres parties du pays, il me semble, messieurs, que nous ne pouvons nous prononcer en ce moment.
A mes yeux, la question serait tranchée selon le vœu du gouvernement, qui aurait la faculté de pouvoir faire vendre les terrains communaux. On lui donnerait le droit d’en agir de la sorte. Si l’on votait la somme de 500,000 fr. qui est demandée en vue de pouvoir acquérir les terrains jugés convenables pour poursuivre les travaux, lorsque viendra l’examen du projet de loi sur le défrichement, la question serait déjà résolue en fait.
Qu’on ne croie pas que ceux qui proposent l’ajournement soient systématiquement opposés à adopter toute proposition analogue dans la suite.
Il n’en est rien, messieurs, quant à moi ; mais ce que je veux, avant de de me prononcer, c’est que la question soit entièrement examinée. Je veux que le gouvernement nous établisse son système bien défini, et rien d’incertain. C’est ce que le projet actuel ne fait pas. On a invoqué la question du moment. Messieurs, cette position m’afflige ; je sais très bien qu’il existe des souffrances ; nous devons les déplorer, nous devons tous concourir à les alléger ; mais quelque grave que puisse être la situation, nous ne devons cependant point, pour une question de circonstance, décider l’application d’un principe avant d’avoir admis le principe, c’est-à-dire la vente des terrains communaux.
Si c’est sous le seul point de vue d’alléger les misères des habitants pauvres de la Campine, comme un honorable collègue l’a dit, qu’on nous présente ce projet. Pourquoi alors ne pas agir de même de tout côté ? Donnez de l’argent pour des travaux, car, partout, il y a des ouvriers sans ouvrage.
Un membre. - C’est une question de clocher.
M. Vandensteen. - Ce n’est pas une discussion de clocher que je défends ici, mais je dis que partout, notamment dans l’arrondissement de Stavelot, dans tout le Luxembourg, dans une partie de la province de Namur, il y a des souffrances à soulager, et que vous pouvez les soulager en y faisant exécuter des travaux publics.
Je termine par une considération que je livre à l’attention de la chambre ; c’est que la somme qui est demandée ne pourrait être employée si elle n’est point demandée en vue de faire des acquisitions ; que si, au contraire, ou se croit autorisé à acquérir, vous aurez décidé le principe de la vente, question qui doit être réservée pour le moment.
Messieurs, je suis bien persuadé que mes honorables collègues qui partagent mou opinion, ne sont pas du tout hostiles à la Campine. Nous l’avons prouvé, nous avons voté le canal de la Campine je l’ai voté comme d’autres et je m’en applaudis. Je suis encore prêt, lorsqu’un travail d’ensemble nous sera présenté, de faire tout ce qui me sera démontré utile pour la Campine et le pays en général.
Ainsi, messieurs, l’adoption de l’ajournement est ce qui me semble le plus naturel dans ce moment, c’est la seule marche raisonnable qui puisse être suivie dans cette discussion.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je viens également appuyer la proposition qui vous est faite par l’honorable M. Orban ; et j’y trouve d’abord un premier avantage, c’est de faciliter beaucoup l’examen de la partie la plus importante du projet qui nous est soumis c’est d’empêcher qu’il y ait confusion dans la discussion ; c’est d’empêcher le vote sur une loi qui a un caractère d’urgence que tout le monde reconnaît.
Déjà, messieurs, un honorable député des Flandres nous avait fait la même proposition, il y a quelques jours, dans le but de hâter le vote du projet de loi.
Messieurs, que nous demande-t-on par la proposition de voter 500,000 fr. ? On nous demande en définitive de décider le principe de trois grandes, de trois immenses questions. Car ces 500,000 fr. sont destinés à faciliter les défrichements, les irrigations et la colonisation.
Ainsi en votant cette somme, vous vous prononcez implicitement en faveur du principe du défrichement tel qu’il est proposé par la loi qui vous est soumise ; vous décidez que les irrigations que l’on propose sont un mode avantageux de défrichement, et vous vous prononcez, messieurs, pour cette grande question de colonisation. Or, je crois que ce n’est pas à la suite du rapport qui vous a été soumis, rapport qui ne contient que quelques lignes sur cette question, qu’il est possible que la chambre vote sur une proposition semblable.
Remarquez, messieurs, que la proposition de l’honorable M. Orban, n’est pas un ajournement indéfini. Un pareil ajournement n’est nullement dans la pensée de cet honorable membre, ni dans celle des autres orateurs qui ont défendu sa proposition ; c’est un ajournement de quinze jours ou trois semaines au plus.
L’honorable M. Orban, messieurs, ne veut pas même se prononcer d’une manière formelle contre la proposition du gouvernement. Telle n’est pas non plus mon intention. Mais nous croyons qu’il faut que la loi de principe sur le défrichement soit votée avant les moyens d’application. Ce qu’on nous demande aujourd’hui n’est, comme on vous l’a fort bien dit, qu’un corollaire de la loi de principe. Appliquer les conséquences avant d’avoir pris une décision sur la question de principe, c’est, me paraît-il, une inconséquence.
M. le ministre de l’intérieur voudrait que l’on ne se prononçât sur la proposition de l’honorable M. Orban qu’après la discussion. Mais il me semble, messieurs, que nous ne pouvons pas en agir ainsi. Ce serait perdre un temps précieux. Comment ! nous aurions discuté ces questions si importantes, ces questions qui peuvent soulever une discussion très longue ; car la proposition qui nous est faite peut amener de très longs débats ; on peut parler pendant huit jours de défrichements ; chacun de nous peut faire de très longs discours sur des projets de colonisation ; chacun peut indiquer à M. le ministre de l’intérieur un mode de défrichement qui lui semble préférable, qui lui semble préférable même aux irrigations que vous voulez adopter. Et ce serait, messieurs, après une semblable discussion que nous aurions seulement à nous prononcer sur la question de disjonction. ? Ce serait réellement, messieurs, commencer par la fin.
Remarquez, messieurs, que la proposition qui vous est faite est aussi très importante au point de vue du crédit demandé. M. l’ingénieur Kummer ne demande dans son rapport que 150,000 fr. pour les défrichements, et l’on vient vous proposer d’allouer un crédit de 500,000 fr.
Messieurs, je ne me prononce pas, dans ce moment, sur le fond de la question ; je ne l’ai pas assez étudiée encore ; mais le chiffre élevé qui nous est demandé mérite que la question soit très sérieusement examinée, d’autant plus qu’on annonce qu’on nous demandera d’autres sommes encore après celles-ci.
Vous décideriez donc implicitement que 500,000 fr. seront consacrés aux irrigations de la Campine ; car c’est là que ces 500,000 fr. seront appliqués, et vous seriez obligés plus tard, sans examen approfondi, d’ajouter à ce crédit d’autres sommes qui vous seront demandées.
Je pense, messieurs, que nous devons adopter la proposition de l’honorable M. Orban. Elle n’a rien d’hostile à celle qui nous a été faite par le ministre de l’intérieur, et elle aura pour avantage de faciliter et de hâter l’examen du projet relatif aux subsistances.
M. Orban. – On a représenté ma proposition comme étant hostile au projet de défrichement et d’irrigation de la Campine. Messieurs, il (page 260) n’en est rien ; je ne suis en aucune façon contraire ce projet, et bien moins encore au défrichement en général ; mais je crois que cette grave matière mérite les honneurs d’une discussion régulière et spéciale ; je crois surtout qu’à ce projet doivent se rattacher d’autres idées qu’on doit nous laisser le temps de produire à la chambre. C’est pour cela que j’ai demandé qu’on suivît la marche habituelle des travaux de la chambre, qu’on nous donnât au moins un rapport et vingt-quatre heures pour réfléchir.
Je l’avoue, messieurs, j’ai été extrêmement surpris de la détermination adoptée dans cette circonstance par M. le ministre de l’intérieur. M. le ministre ne veut pas que nous ayons vingt-quatre heures pour nous préparer à une discussion de cette importance ; et hier vous aviez à l’ordre du jour un projet pour une délimitation de commune, cette affaire était depuis trente ans en instruction, et on a demandé un ajournement de deux mois pour l’examiner.
J’approuve encore moins les raisons qui ont été données par M. le ministre pour combattre ma motion. A entendre M. le ministre, le vote des 500,000 fr. ne serait nullement la conséquence de la loi sur les défrichements et du principe d’expropriation qui s’y trouve formulé.
Eh bien, messieurs, c’est avec les paroles de M. le ministre que je vais vous prouver qu’il est à cet égard tout à fait dans l’erreur.
M. le ministre nous fait connaître, dans cet exposé des motifs, qu’une somme de 150,000 francs seulement avait été jugée suffisante par M. l’ingénieur Kummer, mais que par suite de la faculté d’exproprier les communes qu’il se proposait de faire consacrer par une loi spéciale, il serai nécessaire que le gouvernement pût disposer d’une somme de 500,000 fr.
Ecoutez plutôt, messieurs, la lecture même de ce passage de l’exposé des motifs.
« M. Kummer demande, de ce chef, un fonds roulant de 100,000 fr. Son évaluation est basée sur les arrangements déjà projetés avec certaines communes ; mais ayant fait connaître à cet ingénieur le projet de loi par lequel nous demandons la faculté d’exproprier les terrains que les communes ne mettraient pas volontairement à la disposition du gouvernement, et lui ayant fait connaître également l’intention de demander un crédit de 500,000 fr., tant pour ces expropriations que pour les travaux d’irrigations et autres mesures relatives à la colonisation, cet habile ingénieur a fortement approuvé ces vues et nous en promis les résultats les plus satisfaisants pour la Campine. En effet, il est certain que d’immenses étendues de bruyères peuvent jouir des bienfaits de l’irrigation, non seulement pour la création de prés, mais encore pour la création de terres arables ; mais il faut que ces travaux soient effectués avant le morcellement des bruyères, et conséquemment avant qu’elles ne tomben dans le domaine privé. »
Ainsi, messieurs, vous le voyez, la demande d’une somme de 500,000 francs ne vous est présentée que par suite de la détermination, prise par M. le ministre de l’intérieur, de soumettre aux chambres un projet de loi tendant à permettre au gouvernement d’exproprier les propriétés communales. C’est le projet que nous discuterons dans quelques jours, et on voudrait, avant son adoption, nous faire sanctionner d’avance les conséquences de cette adoption même.
La chambre ne sanctionnera pas, j’en suis sûr, une manière de procéder aussi peu rationnelle et qui aurait pour résultat de supprimer en réalité une discussion de la plus haute importance pour la province à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir.
M. Dubus (aîné). - Je viens aussi, messieurs, m’opposer à la motion de l’honorable M. Orban, et je dirai tout d’abord que je ne suis pas étonné que d’honorables membres appartenant aux provinces de Liége et de Luxembourg soient satisfaits de la première disposition du projet de loi, et se soucient peu des inconvénients qui résulteraient de l’ajournement de la dernière disposition. Ils veulent aussi du travail dans leur localités, mais il paraît que lorsqu’on vote des fonds pour mesures relatives aux subsistances, ce sont eux qui en obtiennent la plus grand part. Ainsi, messieurs, sur le crédit de deux millions, une somme de 425,657 fr. a été consacrée à l’amélioration de la voirie vicinale ; et savez-vous combien les provinces de Luxembourg et de Liége ont reçu dans ce subside ? Le Luxembourg a reçu 59,462 fr., et la province de Liége près de 450,000 fr., tandis qu’une province comme Anvers n’a obtenu que 28,000 fr., qu’une province comme le Hainaut n’a également obtenu que 28,000 fr.
M. Rodenbach. - La Flandre occidentale n’a reçu que 15,000 fr.
M. Dubus (aîné). - J’allais en faire l’observation.
Et voilà que les honorables membres trouvent que l’on doit, pour occuper les ouvriers, faire exécuter de nouveaux travaux dans la province de Liége et dans la province de Luxembourg, qui ont déjà reçu la part du lion ; et lorsque nous demandons la discussion d’une disposition qui donnera au gouvernement le moyen de faire exécuter aussi des travaux et d’occuper les classes ouvrières dans une contrée où règne la misère la plus affreuse, où la population attend du travail et du pain, du pain au moyen du travail, ils veulent renvoyer cette discussion aux calendes grecques ; car, messieurs, cet ajournement aura pour résultat qu’il s’écoulera plusieurs mois avant que cette partie du projet de loi ne soit discutée.
On avait, messieurs, interrompu un honorable membre en disant que c’était une question de cloche, et, en effet, il avait parlé tout à fait pour son clocher.
On a voulu écarter une des dispositions du projet de loi sous prétexte qu’elle ne présentait pas d’urgence tandis que l’autre avait ce caractère.
Mais la même urgence existe pour toutes deux ; il s’agit de donner du pain à ceux qui en manquent et cet objet est tout aussi urgent dans la Campine anversoise ou limbourgeoise que dans les Flandres. Il règne dans la Campine aussi une misère extrême qu’il faut soulager. Là aussi une foule de malheureux sont sans travail et sans pain. Il ne suffit donc pas de prendre une mesure immédiate pour les Flandres, il faut également venir au secours de la Campine.
Mais, dit-on, vous allez décider le principe de l’expropriation. Pas du tout, messieurs, il suffit de savoir lire pour s’assurer qu’en votant le premier projet de loi dans les termes dans lesquels il est conçu, on ne vote nullement le principe du second projet.
Qu’arrivera-t-il si vous votez la première loi sans voter la seconde ? Il arrivera qu’on ne pourra pas faire d’expropriations. Mais ne pourra-t-on pas donner du travail aux classes ouvrières de la Campine ? Certainement, et si l’honorable membre avait lu avec attention les rapports dont il a argumenté, il aurait vu qu’on peut immédiatement donner ce travail. Il aurait vu, par le rapport de M. l’ingénieur Kummer, que les communes de la Campine demandent des subsides au gouvernement pour l’irrigation de 865 hectares de terre. Voilà un travail considérable, qui doit nécessiter une notable avance de fonds ; mais c’est un travail qu’on demande de faire immédiatement, et qui, par conséquent, donnera immédiatement du pain aux populations.
Ainsi, messieurs ; vous voyez qu’il ne résultera aucun embarras de ce que l’on aurait voté le premier projet, tandis que l’examen du second projet se ferait attendre encore quelque temps. Toute la conséquence qui résultera de là, c’est qu’on ne pourra de sitôt s’occuper d’expropriations, mais on pourra immédiatement exécuter de très grands travaux qui donneront du pain à de nombreux ouvriers.
Mais, dit-on, nous n’avons pas de rapport ; le prétendu rapport de la section centrale n’est pas un rapport. Mais le rapport de la section centrale a été précédé de l’examen dans les sections, et une circonstance sur laquelle j’appelle toute l’attention de la chambre, c’est que, dans toutes les sections, pas une voix ne s’est élevée pour demander l’ajournement que l’on propose aujourd’hui.
Les sections ont examiné le projet de loi, la section centrale l’a examiné aussi et en propose l’adoption ; et c’est dans ces circonstances que l’on vient se plaindre qu’il n’y a pas eu d’examen, qu’il n’y a pas eu de rapport ! Ce rapport est bref, j’en conviens ; mais il vous avait été distribué d’autres rapports qui sont développés et auxquels la section centrale a pu se référer.
En effet, on vous a distribué deux rapports de l’ingénieur Kummer. Vous avez aussi le rapport de la commission supérieure d’agriculture et, sur ce point, je fais remarquer que c’est par erreur que l’honorable M. Lys a dit que ce rapport nous a seulement été communiqué hier ou avant-hier par son insertion dans les Annales parlementaires. L’honorable membre n’a pas pris garde qu’il y a plus de trois semaines que le rapport nous a été distribué comme annexe au n°13 des pièces imprimées par ordre de la chambre.
Je tiens ici cet imprimé qui ne renferme pas seulement des solutions sèches et sans motifs, mais qui renferme des solutions précédées d’un développement qui comprend onze pages in-folio. Je pense que l’honorable M. Lys n’a pas lu ce document, qu’il lui aura échappé ; mais les autres membres de la chambre, j’aime à le croire, l’ont lu, et dès lors ils doivent demeurer persuadés que la section centrale pouvait abréger son rapport, puisqu’il y avait d’autres rapports qui pouvaient éclairer suffisamment la chambre.
D’ailleurs, messieurs, ceux qui auraient besoin de voir verser plus de lumière sur les questions que soulève cette discussion, peuvent s’éclairer par la discussion, mais c’est précisément le contraire que l’on veut : on veut empêcher la discussion pour écarter la lumière qui en jaillirait. (Dénégation.) Mais il me semble que c’est bien cela, car enfin on demande que la chambre, avant toute discussion, déclare qu’elle n’est pas suffisamment éclairée et qu’elle renvoie la discussion du projet à un autre moment.
Mais laissez donc ouvrir la discussion ; et si elle ne jette pas des lumières suffisantes sur la question, ce sera alors seulement le cas de déclarer que la chambre n’est pas suffisamment éclairée. Mais déclarer cela, avant toute discussion quelconque, il me paraît que c’est une inconséquence, il me paraît encore que cela ne serait guère conforme au règlement.
On dit que ce serait perdre un temps précieux que de discuter ; que savez-vous ? Laissez donc la discussion se produire, et vous pourrez juger alors si cette discussion rend la question suffisamment claire, oui ou non. En laissant la discussion s’ouvrir, on obtiendra au moins cet avantage, que si la discussion éclaire un ou deux points de la partie du projet qu’on veut écarter, et ne laisse incertain qu’un autre point, vous pourrez au moins statuer sur les points sur lesquels vous aurez obtenu les renseignements désirables. Si vous ne voulez pas voter 500,000 francs pour tous les travaux, peut-être reconnaîtrez-vous au moins la nécessité de voter immédiatement les 150,000 francs pour les travaux indiqués par M. Kummer, dans les localités où la besogne est préparée en quelque sorte, où les communes offrent leurs terres, où les ouvriers attendent du travail et du pain ; et alors vous voterez ces 150,000 francs. Laissez donc, je le répète, arriver la discussion ; et d’après le résultat de la discussion, vous voterez les sommes que vous jugerez nécessaires.
Je m’oppose de toutes mes forces à la motion de l’honorable M. Orban.
M. Simons. - Messieurs, je m’oppose également à la disjonction de l’allocation de 500,000 fr., demandée par le gouvernement dans le projet de loi qui nous est soumis.
Quel est le motif principal que l’on met en avant pour justifier cette demande de disjonction ? C’est qu’en allouant le crédit de 500,000 fr., nous préjugerions la question immense qui se rattache à un projet de loi, livré en ce moment à la section centrale.
(page 261) Je le déclare, messieurs, si notre vote devait avoir cette conséquence, je serais le premier à appuyer la motion de l’honorable M. Orban, et je voterais pour la disjonction ; pourquoi ? Parce que j’ai des doutes très sérieux sur la constitutionnalité du projet de loi dont il s’agit, eu égard aux termes dans lesquels ce projet de loi nous est présenté.
Mais, messieurs, en allouant le crédit de 500,000 fr, préjugeons-nous bien réellement la grande question à laquelle je viens de faire allusion ? Je serais presque tenté croire que les honorables membres n’ont pas lu le projet de loi qui est à l’ordre du jour, lorsqu’ils s’imaginent qu’en le votant nous préjugerions réellement cette question.
En effet, de quoi s’agit-il dans le projet sur les défrichements ? De contraindre par expropriation forcée les communes à vendre leurs propriétés. De quoi s’agit-il en ce moment ? De faciliter les irrigations qui ont déjà produit un résultat si utile, qui a surpassé notre attente. Nous voulons tous, dans l’intérêt général, la fertilisation de la Campine ; le gouvernement dans ce but a fait des essais qui ont parfaitement réussi. On est maintenant en instance à l’effet d’obtenir ce bienfait des irrigations pour une étendue de terrain de 1,868 hectares.
Le gouvernement demande à pouvoir continuer sur une échelle plus grande les essais qui ont déjà produit un résultat si remarquable ; voilà l’objet unique pour lequel il réclame le crédit de 500,000 francs. Pour vous en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil sur le projet de loi ; on y lit : « Pour faciliter les défrichements, les irrigations et la colonisation. » N’y a-t-il là un mot qui puisse faire croire qu’il s’agit ici de poser le principe qiu sert de base à la loi qu’examine la section centrale ? Nullement, car les irrigations devront continuer et continueront, lors même que le projet de loi relatif à l’aliénation forcée des bruyères communales sera rejeté.
Je crois donc, messieurs, que l’adoption de la motion de disjonction équivaudrait véritablement au renvoi du vote du crédit de 500,000 fr. aux calendes grecques.
Je voterai en conséquence contre la motion de disjonction.
M. de Garcia. - Messieurs, j’ai aussi demandé la parole pour combattre la proposition qui a été faite par l’honorable M. Orban. Je serai très court, car les mesures qu’on nous propose sont des mesures urgentes ; la misère frappe à nos portes, et je crois que, en acquit de nos devoirs, nous devons, autant que possible, abréger la discussion de la loi qui nous est soumise, et réaliser les bienfaits qu’elle se propose.
Pour apprécier la portée de la proposition de l’honorable M. Orban, il faut bien se rendre compte du but de la loi et surtout de la partie de la loi qui tend à favoriser les défrichements.
Il est incontestable, selon moi, et je suis confirmé dans cette pensée par les explications qu’a données M. le ministre de l’intérieur ; il est incontestable, dis-je, que cette partie de la loi n’a nullement pour objet l’expropriation forcée de terrains appartenant à des communes. Si cette partie de la loi pouvait préjuger la question d’expropriation, je devrais appuyer la motion de l’honorable M. Orban. Mais il n’en est nullement ainsi, et partant, pour démontrer l’impossibilité de l’ajournement proposé et tout ce qu’il a de désavantageux, il faut, comme je le disais en débutant, se fixer nettement sur la portée de la partie de la loi dont on demande le retranchement. Evidemment le crédit des 500,000 fr. pétitionnés pont défrichement et pour l’irrigation de terres arides, doit réaliser un double but sans toucher au principe d’expropriation.
Il doit pourvoir d’abord à une nécessité du moment, à celle de donner du pain aux pauvres, en leur donnant du travail. A ce premier point de vue, les circonstances du moment commandent impérieusement cette mesure.
D’un autre côté, ce crédit a pour objet de faire face aux frais d’un essai qui, en matière semblable, peut avoir des résultats heureux, beaucoup plus concluants que toutes les théories.
En effet, le gouvernement, à l’aide de cette somme, pourra faire procéder à des défrichements sur des terrains dont l’aliénation volontaire sera consentie par les communes.
On le voit, messieurs, la disposition de la loi, dont on demande l’ajournement, peut atteindre un but éminemment utile sous un double rapport. Pourtant, je n’hésite pas à le déclarer, si le n° 3 de l’article premier du projet de loi n’avait en vue que le dernier objet que j’ai signalé, je demanderais des renseignements ultérieurs ; mais en présence de la misère publique, qui exige un soulagement immédiat en faveur des classes ouvrières, je n’hésite pas à donner mon assentiment à cette partie de la loi ; je crois que nous ne pouvons différer un seul instant d’accorder au gouvernement les moyens de favoriser les classes les moins aisées de la société.
J’ai promis d’être court parce que les circonstances commandent une prompte solution de la question ; dès lors je n’en dirai pas davantage ; d’ailleurs, l’honorable M. Dubus ainé a développé d’autres considérations auxquelles je m’associe complétement.
M. de Brouckere. - Messieurs, je ne viens ni défendre, ni combattre la motion de l’honorable M. Orban ; je me réserve mon vote sur cette motion. J’ai demandé la parole pour faire au gouvernement une interpellation que je formulerai, après avoir présenté à la chambre quelques courtes observations.
La motion de l’honorable M. Orban n’est autre chose que la conséquence de la légèreté qu’on a mise dans la présentation du projet de loi qui nous occupe et l’insuffisance des considérations développées à l’appui de ce projet de loi.
On a mis de la légèreté dans la présentation du projet. En effet, si vous voulez en distraire les 1,200,000 fr. demandés pour mesures relatives aux subsistances, il est incontestable, et personne ne contestera, que les 300,000 fr. demandés pour aider aux perfectionnements de l’industrie linière et les 500,000 fr. qu’on demande pour faciliter les défrichements sont relatifs à l’application de principes qui ne sont pas admis, à l’exécution de lois qui ne sont pas votées ; c’est-à-dire que pour ces 500 et ces 300 mille francs on agit au rebours de ce qui se fait toujours et partout, au rebours de ce que demandent la logique et le bon sens. Pour les cinq cent mille francs, on l’a établi ; on a fait voir, en outre, combien il était bizarre qu’alors que le fonctionnaire qui sera chargé spécialement de faire l’application du principe qui sera proposé relativement aux défrichements des bruyères, ne demandait que 100,000 fr. le gouvernement l’eût prié d’en accepter 500,000 ; on aurait dû ajouter que le gouvernement semble s’estimer très heureux de ce que cet habile ingénieur ait daigné accepter 500,000 francs au lieu de 100,000 qu’il avait demandés.
Quant aux trois cent mille francs, veuillez lire la note annexée au projet de loi. Voici le premier paragraphe de cette annexe : « La mesure proposée pour le perfectionnement de l’industrie linière est le complément de celles qui résultent de la société d’exportation pour les produits de cette industrie. »
Continuez cette lecture et vous verrez que les trois cent mille francs qu’on avait conseillé au gouvernement de demander, ne sont sollicités que pour aider à l’exécution du projet de loi qui nous sera soumis, relativement à la société d’exportation.
Ainsi, on nous présente la loi d’application avant la loi de principe, la loi complémentaire avant la loi principale ; et M. le ministre de l’intérieur s’étonnera qu’on fasse des motions de disjonction !
J’ai dit que j’avais une interpellation à faire, la voici :
Les trois cent mille francs sont donc le complément de la mesure qui sera présentée à la chambre pour la création d’une société d’exportation. Je demanderai que le gouvernement nous dise quand il nous présentera ce projet de loi relatif à la création d’une société d’exportation, projet qui a été annoncé à l’ouverture de la session, projet qu’on annonce encore aujourd’hui, et qui paraît cependant n’être pas prêt.
J’espère que le gouvernement me donnera une explication satisfaisante, car je n’hésite pas à dire que, quant à moi, je suis disposé à voter les 300 mille francs qui sont demandés. La chambre connaît les calamités qui pèsent sur les Flandres, et les calamités plus grandes encore qui les menacent. Aucun de vous n’oserait prendre sur lui de refuser les subsides demandés pour les Flandres, alors même qu’il aurait la conviction, et cette conviction, pour ma part, je l’ai, que des fonds alloués on ne tirera pas tout l’avantage, toute l’utilité qu’on en pourrait tirer.
J’ai dit que les développements à l’appui du projet étaient insuffisants. Eh bien, pour quiconque alu ces développements, il doit être manifeste que le gouvernement n’a pas encore d’idées arrêtées, car les explications sont tellement vagues, il y règne une telle ambiguïté qu’elles démontrent que le gouvernement ne sait pas encore lui-même ce qu’il fera.
Il y a bien autre chose ! De la lecture de la pièce annexée au projet de loi, je dois conclure que M. le ministre de l’intérieur n’a pas lui-même lu cette annexe. Voulez-vous la preuve de cette assertion ? Je vais vous la donner. Cette annexe est rédigée par M. l’inspecteur Kindt, et il l’avait rédigée non pour former une annexe, mais pour être insérée dans l’exposé des motifs.
Cela est si vrai que M. l’inspecteur Kindt parle à la chambre, il croit que la note sera adoptée par M. le ministre de l’intérieur, et mise dans son exposé de motifs. Voyez page 10 : « Le crédit de 50,000 fr., relatif aux ateliers d’apprentissage, est aussi, MESSIEURS, d’une utilité incontestable. »
On avait dit à M. Kindt : Faites un petit exposé de motifs, et sans lire ce petit exposé de motifs, on l’insère comme annexe à la suite du projet, sans s’apercevoir qu’il est en opposition avec les explications qui précèdent le projet. Voilà comment le projet si important qu’on nous présente a été examiné, mûri au département de l’intérieur.
J’ai un mot à répondre à l’honorable M. Dubus relativement à la comparaison qu’il a faite entre la province de Liége et les autres provinces quant à la part qu’elles ont eue dans les deux millions votés l’année dernière. Il a reproché à M. Vandensteen de prêcher pour son clocher. Je crois qu’il a un peu imité cet exemple, mais avec cette différence que M. Vandensteen prêchait pour son clocher natal, tandis que M. Dubus a prêché polir son clocher d’adoption.
Mais enfin on a dit que la province de Liége dans une somme de 425 mille francs avait absorbé à elle seule 143 mille francs. Vous savez que ces 425 mille francs ont été employés aux chemins vicinaux.
L’honorable membre a oublié de tourner la page ; s’il l’avait fait, voici ce qu’il aurait vu : que dans une somme de 1,426 mille francs distribués atre les provinces pour remédier à la détresse générale, la province de Liége a reçu : savez-vous combien ? 21 mille francs ! ! de manière que la province de Liége a eu pour sa part dans les deux millions une somme de 143 mille francs, plus 21 mille francs, c’est-à-dire ensemble 164 mille francs. Je ne crois pas que ce soit plus que la part à laquelle elle auvait prétendre. Je regrette qu’on mette ainsi les provinces non-seulement en état de rivalité, mais en état d’hostilité l’une contre l’autre.
La province de Liége, que j’habitais l’année dernière, ne s’est jamais plainte de ce qu’on ne lui donnait pas assez dans les 1,400,000 fr. distribués aux communes les plus nécessiteuses. Moi-même qui avait un certain intérêt dans la répartition, j’ai toujours reconnu qu’il fallait donner beaucoup (page 262) plus aux provinces malheureuses, notamment aux Flandres, qu’aux autres provinces. Mais en ce qui concerne la voirie, les chemins vicinaux, je puis dire que la province de Liége est une des plus maltraitées du royaume.
Elle disait : Donnez-nous peu ; nous nous viendrons en aide à nous-mêmes ; mais donnez-nous quelque chose pour faire des routes et des chemins vicinaux, parce qu’aucune province n’est plus maltraitée en qui concerne les routes et les chemins vicinaux.
Messieurs, je n’ai pas hésité à dire que dans la distribution des deux millions le gouvernement s’était montré juste et impartial ; je le dis encore aujourd’hui.
Je demande, messieurs, que M. le ministre des affaires étrangères ait l’obligeance de répondre à mon interpellation et de nous dire quand enfin nous sera présenté le projet de loi ayant pour objet la création d’un société d’exportation ; attendu que les 300,000 fr., qu’on nous demande et que je suis prêt à voter, sont le complément de ce projet.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je regrette véritablement que l’honorable membre, tout en traitant de grandes questions, ait cru devoir, je dois le dire, y rattacher de très petites considérations au moins en un point.
Il vous a dit que je n’avais pas moi-même lu l’annexe de M. Kindt. Or messieurs, le fait qu’il vous a cité prouve précisément que j’ai lu cette annexe, que M. Kindt avait rédigée pour constituer l’exposé des motifs mais que je n’ai pas adoptée comme tels. On a donc rayé les expressions qui supposaient les rapports du ministre à la chambre, et c’est par inadvertance qu’une seule de ces expressions y est restée. C’était au prote la supprimer.
L’honorable membre a dit qu’il n’y a pas eu d’ordre dans les mesures présentées par le gouvernement ; mais, messieurs, je crois qu’il y a eu beaucoup d’ensemble dans ces mesures. Le gouvernement avait à pourvoir à la subsistance des classes ouvrières, et il vous a demandé de ce chef une somme de 2 millions applicables à divers usages. Voilà ce que nous appelons une mesure d’ensemble.
A la vérité, quant à l’application de cette loi, du moins quant à l’application partielle, il fallait deux autres lois de principe ; l’une qui autorise la société linière, et quant à cette société, les statuts en ont été délibérés par le gouvernement avant qu’il ne vous adressât la demande de crédit ; si le projet ne vous est pas encore présenté, c’est qu’il est survenu quelques difficultés dans la recherche du personnel ; des personnes sur lesquelles on avait compté, ont cru que la charge était trop lourde pour elles, que leurs affaires particulières ne leur permettaient pas d’accepter cette mission. Mais je crois que les choses en sont arrivées à un tel degré d’avancement, qu’il ne se passera que très peu de jours avant que le projet de loi ne soit présenté.
Quant à ce qui concerne les défrichements, nous avons, messieurs, présenté la loi de principe en même temps que celle-ci, et si le rapport n’a pas encore été fait, ce n’est pas à nous que ce retard est imputable.
Ainsi viennent à tomber les critiques adressées bien à tort, quoiqu’avec une certaine amertume, au gouvernement.
Messieurs, qu’on ne se le dissimule pas : la question des défrichements, des irrigations et de colonisation est une question éminemment populaire, parce qu’elle est entièrement dans l’intérêt du pays ; aussi il n’y a pas de question vers laquelle l’attention publique se porte aussi unanimement que celle-là.
Que l’on ne vienne pas nous dire : Vous auriez dû déclarer ce que vous vouliez faire, par exemple, en ce qui concerne les mesures de colonisation ; vous voulez bâtir les édifices nécessaires pour faciliter l’établissement d’un village ; vous voulez prendre telle autre mesure. Mais, messieurs, ce sont là des mesures simplement administratives. Il suffit que deux choses soient adoptées par les chambres : d’une part, les crédits, et d’autre part, la loi de principe. Le reste se fera de soi-même et avec peu de dépenses. Car la somme de 500,000 francs que nous vous demandons est, en grande partie, une somme à dépenser en avances et qui ne sera pas perdue pour le trésor.
Qu’est-il arrivé l’année dernière ? J’avais dans la session de 1845 signalé le premier le rapport fait par M. Kummer sur les irrigations. Aucun projet ne fût présenté à la chambre pour demander un crédit. Mais la circonstance fortuite du manque de récolte des pommes de terre mit des fonds aux mains du gouvernement, et sur ce fonds des subsistances, il prit 50,000 fr. pour faire un premier essai des travaux d’irrigation. Ces essais ont répondu aux espérances de l’ingénieur et du gouvernement, et dès lors la preuve a été acquise que ce système était bon en lui-même, qu’il ne s’agissait maintenant que de lui donner tous ses développements.
Ainsi ne dites donc pas que ce sont là des faits inconnus, que ce sont des faits nouveaux pour la chambre. Vous avez eu le premier rapport présenté par M. Kummer au printemps de 1845 ; vous avez eu l’application de ce rapport, et les résultats vous sont connus. Vois avez maintenant un second rapport de M. Kummer, qui est imprimé depuis plusieurs semaines ; vous avez le rapport du conseil d’agriculture et l’exposé du gouvernement.
Si une pareille question n’est pas instruite, je ne sais pas quand il aura des lumières suffisantes pour se former une opinion.
Qu’après cela, M. le rapporteur n’ait pas cru devoir entrer dans des considérations étendues, il vous en expliquera peut-être les motifs, mais c’est qu’il aura pensé que la question était claire, que tout développement, tout détail nouveau serait superflu.
L’honorable M. Orban prétend toujours que cette loi préjuge l’aliénation forcée des terrains communaux. En aucune manière. Il y a deux choses dans la loi qui vous a été présentée quant aux défrichements. Il y a d’abord les ventes forcées et publiques des terrains communaux. Quant au principe, il n’est nullement préjugé par l’adoption du crédit.
Il y a un second principe ; c’est l’expropriation des terrains communaux à faire par le gouvernement pour les disposer à l’état d’irrigation. Ceci, messieurs, est entièrement connexe au système que la chambre a déjà apprécié et qu’aucun orateur ne combat ; de manière que, pour ce point-là, je ne doute pas que la chambre n’adopte le principe que le gouvernement a proposé. Mais, dit-on, attendez au moins que la chambre ait adopté le second principe de la loi des défrichements. Mais, messieurs, la chose me paraît tellement simple, que nous ne voyons aucune espèce d’inconvénient à ce que la chambre vote le crédit.
D’ailleurs les 500 mille francs ne seront pas employés à l’expropriation. Aucune partie n’en sera employée aussi longtemps que le principe n’aura pas été voté. Mais nous emploierons tout ce qu’il sera possible d’employer pour les terrains que les communes mettent volontairement à la disposition du gouvernement. Voilà quelle sera la première application de ce crédit.
On dit : M. Kummer n’a demandé que 100 mille francs. C’est une erreur. M. Kummer demandait 150 mille francs. Mais nous avons fait mention des 100 mille francs nouveaux qu’il demandait, parce qu’il croyait que les 50 mille francs qui avaient été dépensés pouvaient être de nouveau employés au même usage. C’était donc 150 mille francs qu’il demandait.
Il les demandait à titre de fonds roulant ; car cette somme de 150 mille francs serait évidemment insuffisante ; mais il comptait employer de nouveau ses fonds d’année en année à mesure qu’ils rentreraient.
Maintenant, messieurs, que les fonds seront plus considérables si la chambre adopte le crédit, on donnera toute l’activité possible aux travaux de l’irrigation, et pour le reste nous attendrons que la loi de défrichement ait été votée.
En tout état de cause, comme l’a fort bien fait observer l’honorable M. Dubus, si la chambre ne se croyait pas suffisamment éclairée pour allouer la somme entière de 500,000 francs, on ne pourrait se dispenser d’allouer au moins une grande partie de cette somme, pour commencer les travaux d’irrigation, principe qui n’est plus contesté aujourd’hui, que personne n’oserait plus contester, tellement les faits sont évidents, tellement la chose est populaire.
S’il en était autrement, messieurs, qu’arriverait-il ? C’est que cette année-ci on marcherait à reculons. L’année dernière, sur le crédit total de deux millions, le gouvernement a pu imputer pour les irrigations. Mais cette année, comme on a demandé un crédit spécial, il ne pourrait imputer, et ainsi il n’y aurait plus aucun travail à faire dans la Campine.
Telle serait la conséquence ultérieure de ce que propose l’honorable M. Orban.
Cet honorable membre demande le renvoi du crédit de 500,000 fr. à la discussion du projet de loi sur les défrichements. Or, l’honorable membre dit qu’il faut un mois à l’homme le plus intelligent uniquement pour rédiger le rapport. Et combien de mois faudra-t-il à la chambre pour le discuter ?
On dit : Nous allons nous enfoncer dans des discussions interminables. Mais, messieurs, quelque mince que soit un projet, si la chambre n’avait pas le bon sens de mettre un terme aux discussions, il est en sa puissance de discuter des années entières. Il faut donc compter sur notre propre bon sens et penser que nous n’irons pas donner à cette discussion une importance démesurée, une importance qu’elle ne comporte pas.
Ainsi, messieurs, de deux choses l’une : ou la chambre adoptera le crédit entier de cinq cent mille francs, ou tout au moins elle adoptera ce qui est nécessaire pour commencer immédiatement les travaux d’irrigation, sans rien préjuger quant à l’autre partie du crédit ; et de toute manière, vous voyez que la proposition de disjonction faite par M. Orban est prématurée, qu’il faut au moins attendre que nous soyons arrivés à la discussion du 3° de l’article premier.
Plusieurs membres. - Proposez la question préalable.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - On m’engage à proposer la question préalable. Messieurs, je la proposerai pour mettre fin au débat.
Mais je prie la chambre de faire attention à l’effet moral de son vote. Connue je l’ai dit, de toutes parts ou demande la loi des défrichements ; de toutes parts ou demande que les travaux d’irrigation dans la Campine soient poussés une la plus grande activité.
Le rejet de tout crédit, messieurs, porterait en quelque sorte le découragement dans l’esprit de tant de personnes qui se sont occupées de cette question, qui y ont consacré un temps considérable, qui même ont fait imprimer à leurs frais des mémoires ; et véritablement on ne saurait pas interpréter un semblable vote de la chambre, surtout en présence de circonstances aussi graves que celles-ci, où tout nous convie à procurer du travail et du travail en abondance à la classe ouvrière.
- La clôture est demandée.
M. Orban. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour modifier mon amendement. Je proposerai de renvoyer à l’époque de la discussion du projet de loi sur les défrichements, le vote de la partie du crédit de 500,000 fr. qui a été ajouté par M. le ministre de l’intérieur à celle qui était (page 263) demandée par M. Kummer, et que cet ingénieur jugeait suffisante pour continuer les irrigations. De cette manière il sera fait droit aux réclamations soulevées par les honorables députés de la Campine, qui demandent qu’il soit donné immédiatement du travail aux classes ouvrières ; et de l’autre côté nous laisserons intacte la question relative à la colonisation, celle des défrichements et toutes celles qui s’y rattachent.
Je propose donc de distraire du projet une somme de 350,000 fr., spécialement destinée à cet objet.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, si la chambre veut accorder 150,000 fr. pour les irrigations, travaux qui peuvent être immédiatement exécutés, je consens volontiers à l’ajournement des 350,000 fr. jusqu’à la discussion de la loi sur les défrichements. Mais je demande que ce crédit fasse alors partie de la loi. (Oui ! oui !)
M. Lys. - Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. - Je dois dire que je n’ai entendu faire aucune observation qui vous fût personnelle.
M. Lys. - L’honorable député de Turnhout m’a renvoyé aux Annales parlementaires, et je désire expliquer ce que j’ai dit. Je n’en ai que pour un moment.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Lys. - L’honorable député de Turnhout m’a renvoyé aux Annales parlementaires. Messieurs, je n’ai trouvé dans les Annales que le rapport de M. l’ingénieur Kummer, fait au conseil d’agriculture, et le rapport du conseil d’agriculture. Mais ce que j’ai demandé, c’est la discussion qui a eu lieu au conseil d’agriculture sur la question dont il s’agit aujourd’hui. Cette discussion existe dans les archives du département de l’intérieur. Elle doit nous éclairer pour l’examen de la question. Je demande donc que M. le ministre veuille la faire distribuer aux membres de la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le conseil d’agriculture a arrêté un rapport au ministère sur cette question et je crois que c’est tout ce que le conseil d’agriculture avait l’intention de faire publier. S’il a été tenu note de quelques observations de détails faites par des membres, j’aurai à examiner si elles sont de nature à être publiées.
M. Lys. - Les pièces qui nous ont été communiquées ne nous apprennent rien, tandis que la discussion qui a eu lieu au conseil d’agriculture est très intéressante. C’est un membre du conseil même qui m’a dit lui-même, que cette discussion servirait beaucoup à éclairer la question. On ne veut sans doute pas prétendre, que nous nous en rapportions à l’avis du conseil d’agriculture, sans examen des motifs qui l’ont dirigé, car c’est là le seul moyen d’apprécier convenablement leur mérite.
M. de Tornaco. - Je demande la parole sur la position de la question.
Je crois, messieurs, qu’il est nécessaire de préciser la question que nous avons à résoudre.
D’après l’amendement de l’honorable M. Orban, il s’agirait d’accorder, je le crois du moins, le complément de la somme qui a été demandée par M. l’ingénieur Kummer. (Non ! non !) Mais alors vous n’êtes plus d’accord avec les chiffres de M. l’ingénieur Kummer ou avec ceux du ministère. Je pense qu’il serait préférable de prendre pour base les chiffres de M. l’ingénieur Kummer, et d’accorder purement et simplement le complément de la somme de 150,000 fr., qui était demandée par lui.
Remarquez, messieurs, que M. l’ingénieur Kummer demande cette somme de 150,000 fi, pour faire un travail de 15 millions de francs. Je crois que cela est suffisant pour donner du travail aux ouvriers de la Campine et aux Flamands qui y iront chercher de l’occupation.
Je propose donc formellement d’allouer au gouvernement, sur le chiffre de 500,000 fr., la somme de 97,000 fr. De cette manière nous accordons le chiffre que M. l’ingénieur Kummer juge nécessaire.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, si l’honorable préopinant avait fait attention au discours que j’ai prononcé, il n’aurait point présenté cet amendement. J’ai dit que l’ingénieur Kummer avait demandé seulement 97,000 fr., parce qu’il supposait que les fonds déjà employés pour les irrigations pouvaient être de nouveau consacrés à cet objet, ce qui avec les 97,000 fr. aurait formé la somme de 150,000 ; mais il n’en est pas ainsi, les règles de la comptabilité s’y opposent et dès lors il faut voter toute la somme de 150,000 fr.
Maintenant, messieurs, qu’on ne suppose pas que 150,000 fr. employés une fois, donneraient du travail pour 15 millions. C’est la somme de 150,000 fr. employée très souvent qui pourrait faire obtenir ce résultat au bout de plusieurs années.
Mais, messieurs, il s’agit de donner une impulsion bien autrement grande à ces travaux et c’est ce que nous demanderons en discutant la loi sur le défrichement. Avec la somme de 150,000 fr., nous pourrons pourvoir au plus pressé, et c’est ce qui m’a déterminé à ne pas m’opposer à l’ajournement tel qu’il est maintenant restreint. Lorsque nous discuterons la loi sur le défrichement, il me sera très facile de démontrer que la somme de 350,000 fr. est de la plus urgente nécessité.
M. Dubus (aîné). - Je n’ai qu’un mot à répondre, messieurs, à l’honorable député de Verriers. Cet honorable membre dit que je l’ai renvoyé aux Annales parlementaires ; il se trompe, c’est lui qui a invoqué les Annales parlementaires pour en conclure que depuis hier ou avant-hier seulement nous avions connaissance du rapport du conseil supérieur d’agriculture, et je lui ai fait remarquer que depuis trois semaines cette pièce avait été imprimée par ordre de la chambre, comme annexe au projet de loi que nous discutons aujourd’hui ; j’ai ajouté que ce n’est pas seulement une série de résolutions sèches qu’on nous a distribuée, mais que les questions et les résolutions se trouvent précédées d’un rapport de 11 pages in-folio.
- La proposition de M. Orban est mise aux voix et adoptée.
M. Osy. - Messieurs, il y a peu de jours, nous avons eu à combattre, dans cette enceinte, des paroles peu bienveillantes contre le commerce qui a rendu de si grands services pour l’alimentation du pays.
Ce n’était qu’une opinion individuelle d’un membre du parlement, mais aujourd’hui, j’ai à signaler un acte d’une autre importance. C’est un rapport officiel de M. le gouverneur de la Flandre orientale, inséré au Moniteur d’hier et qui a fait la plus pénible impression Sur tous mes honorables collègues qui l’ont lu.
Un gouverneur d’une province où il règne tant de misère et où le commerce a tant fait pour amener des subsistances, pour faire abaisser, le plus possible, les prix, ose dire (et le ministre fait publier cette lettre) :
« Il est hors de doute, d’après moi, M. le ministre, que la spéculation est la cause principale du haut prix qu’ont atteint les céréales dans ces derniers temps. »
Plus loin, ce haut fonctionnaire, allant encore plus loin dans son rapport du 2 juin, dit :
« C’est le haut commerce, me semble-t-il, dont les intérêts ont été éveillés par cette loi (du 27 septembre 1845) qui ayant pu disposer, en peu de temps, de quantités extraordinaires de blés importés, a poussé, par des moyens qui lui sont familiers, à la hausse des céréales. »
Aussi, on importe à force, on fait des ventes journalières, au fur et à mesure qu’il y a des acheteurs ; au point que M. le ministre des finances. disait lui-même samedi : « Le mouvement de nos entrepôts a prouvé qu’une importation de 450,000,000 de denrées alimentaires s’est faite, sans que jamais les entrepôts aient été encombrés. Et un gouverneur d’une province malheureuse fait tout ce qu’il peut, par des paroles plus qu’imprudentes, je dirai même méchantes, pour déconsidérer une classe si utile à la société et qui a rendu de si grands services, et ameuter une classe contre l’autre, le consommateur contre le commerce ! Il faut craindre que ces paroles officielles, adressées au ministre, sont également répétées aux administrés, et les conséquences peuvent en être les plus funestes.
Ayez de la haine pour le commerce et portez toute votre affection sur les campagnards, qui vous seront, peut-être, plus utiles que les citadins, dans une autre circonstance ; mais comme haut fonctionnaire, le gouvernement doit publiquement réprimer des paroles aussi inconsidérées que celles qu’il a fait publier par le Moniteur.
Pour ma part, je proteste de toutes mes forces contre cette opinion de M. le gouverneur de Gand ; mais daus l’intérêt du pays et de la tranquillité de nos grandes villes commerciales, M. le ministre nous doit une explication sur la publication de cette dépêche du 2 juin, et en désavouant les paroles inconvenantes du haut fonctionnaire de Gand, nous pouvons espérer qu’on pourra éclairer les populations et rassurer le haut commerce. Car sans cela, soyez persuadés qu’il s’arrêtera dans ses opérations, et si le pays a encore de grands besoins, nous serons pris au dépourvu et les prix des céréales pourraient encore hausser considérablement. Et alors, nous pourrons dire que cette nouvelle hausse n’est à attribuer qu’aux paroles inconsidérées d’un haut administrateur.
J’espère que l’honorable M. de Theux voudra prendre la parole, pour blâmer, comme moi, son préfet ; mais malheureusement, si même c’était par des paroles chaleureuses, je crains que le mal ne soit déjà fait et qu’on ne pourra le réparer qu’en partie ; car vous savez, messieurs, que de toute calomnie, il en reste toujours quelque chose. Je dis calomnie, parce que les paroles de M. le gouverneur ne sont appuyées d’aucun fait à l’appui et qu’il ne pourra pas se justifier.
Je n’ai le droit d’interpeller aucun de nos collègues, mais nous pouvons nous en prendre à M. le ministre de l’intérieur, sauf à lui à s’arranger avec ses administrateurs dans les provinces et l’en rendre responsable.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je suis persuadé, messieurs, que l’honorable membre a donné au rapport du gouverneur de la Flandre orientale une portée que ce rapport ne comporte point.
M. le gouverneur de la Flandre orientale ne signale pas que tel ou tel négociant aurait, par un accaparement illicite, donné lieu au renchérissement extraordinaire des denrées ; telle n’est point sa pensée ; la simple lecture du rapport le fait voir. Lorsque le commerce achète des blés à l’étranger, il reste juge du moment le plus opportun pour ses intérêts de les déverser dans la consommation. Si les négociants, qui ont fait venir les céréales, ne les ont pas vendus immédiatement, c’est qu’ils ont cru de leur intérêt de ne les vendre que successivement ou d’en suspendre la vente jusqu’à ce qu’ils pussent l’opérer plus avantageusement.
Cette observation, du reste, a encore été faite par un autre gouverneur que celui de la Flandre orientale, et c’est évidemment dans le même esprit que l’une et l’autre observation ont été faites. Je crois donc que l’honorable membre a eu tort de la considérer comme un blâme adressé au commerce, comme une sorte d’appel aux populations affamées contre les membres du haut commerce qui ont fait des importations de céréales. Voilà, messieurs, la seule explication que j’aie à donner, et je ne vois réellement aucun inconvénient à la publicité qu’ont reçue les différentes (page 264) opinions émises sur la question si grave des subsistances, question qu’il importe d’éclaircir par tous les moyens disponibles.
M. Desmaisières. - Messieurs, j’ai déjà dit, dans une autre occasion, que toutes les fois qu’un membre de cette chambre se permettra de m’interpeller…
M. Osy. - Je ne vous ai pas interpellé.
M. Desmaisières. - Ou de m’accuser en ce qui concerne les fonctions que je remplis en dehors de cette chambre, je ne répondrais pas. J’agirai encore aujourd’hui de la même manière. Mais l’honorable M. Osy s’est permis, à mon égard, des paroles que je ne qualifierai pas... (Interruption.) parce que, contrairement à ce qu’il a fait à mon égard, je ne veux me servir que d’expressions permises dans cette enceinte, et qu’il n’y a pas de termes parlementaires assez forts pour faire sentir l’inconvenance des accusations qu’il n’a pas craint de porter contre un collègue. Il a commencé, en parlant de moi, par faire bien remarquer à la chambre qu’il s’agissait d’un membre de la chambre ici présent.
M. Osy. - Je n’ai pas dit cela.
M. Desmaisières. - Vous avez dit : « un honorable membre de cette chambre », je l’ai très bien entendu ; j’ai écouté vos paroles avec la plus grande attention, et vous m’avez accusé d’avoir, dans la lettre que j’ai adressée à M. le ministre de l’intérieur, « agi méchamment contre le commerce, d’avoir montré de la haine contre le commerce ». Eh bien, j’ai dans cette chambre, tous mes honorables collègues en sont témoins, j’ai dans cette chambre mille fois défendu la cause du commerce ; et dans la question de sucres, par exemple, qui est-ce qui l’a plus défendu que moi ? Est-ce M. Osy ?
Maintenant j’ai émis, en ma qualité de fonctionnaire public, une opinion sur la question des subsistances, mais mon honorable collègue de la province d’Anvers a émis la même opinion. Voici en effet ce qu’il a dit dans sa lettre :
« Si la spéculation est aujourd’hui la cause principale du haut prix des céréales, y obvierait-on par l’établissement de greniers d’abondance, de halles aux grains, par la création de caisses d’avances pour la boulangerie, etc. »
Vous voyez donc bien que l’opinion que j’ai émise d’une manière dubitative, du reste, dans ma lettre à M. le ministre de l’intérieur, d’après les rapports que j’ai reçus, et qui attribuaient à des spéculations le haut prix des céréales ; vous voyez donc bien, messieurs, que cette opinion était à la même époque entièrement partagée par mon honorable collègue de la province d’Anvers.
M. Osy. - Messieurs, j’ai dit que nous n’avions pas le droit d’interpeller un membre de la chambre et que je rendais responsable M. le ministre de l’intérieur à qui je demandais des explications. Voilà tout ce que j’ai dit, mais j’ai trouvé les paroles, publiées hier au Moniteur, tellement dangereuses que, pour ma part, je ne pouvais me dispenser de protester contre ces paroles.
M. Lesoinne. – Messieurs, j’ai lu aussi, avec un sentiment semblable, la lettre du gouverneur de la Flandre orientale, parce qu’elle tend à maintenir un préjugé faux et dangereux dans ses conséquences.
Ces idées d’accaparement, on en a fait justice depuis longtemps. Dans un temps de disette, un commerçant risque ses capitaux pour aller chercher des denrées alimentaires pour son pays ; et on l’accuserait de vouloir l’affamer ! Mais quand on lance une accusation pareille, on devrait l’appuyer de preuves qui pussent faire croire qu’on a dit la vérité...
M. Rogier. – C’est cela !
M. Lesoinne. - Et je crois qu’on serait fort embarrassé de le faire. L’année dernière déjà on était gêné pour l’approvisionnement du pays ; l’année qui va finir n’a pas été meilleure ; au contraire, il a été plus difficile encore de se procurer les denrées alimentaires. Je dirai que le fret d’Odessa à Anvers s’est élevé jusqu’à 100 florins le last ; ce qui porte le fret à 8 fr. par hectolitre environ ; eh bien, les ordres transmis dans ce pays-là n’ont pas pu être exécutés, même dans des limites très larges. Si l’on pouvait connaître le résultat des opérations qui ont été faites dans les grains sur les différents marchés, on trouverait que beaucoup de ces opérations ont plutôt présenté de la perte que du gain. Si M. le gouverneur de la Flandre orientale s’était donné la peine de prendre des renseignements sur les prix et les frets des céréales sur les marchés étrangers, je suis persuadé qu’il n’aurait pas écrit à M. le ministre de l’intérieur la lettre qui provoque aujourd’hui cette irritante discussion.
M. Loos. - Messieurs, je ne sais si nous avons plus à nous émouvoir de la lettre inconcevable du gouverneur de la Flandre orientale, que de la publicité que M. le ministre de l’intérieur a donnée à une opinion aussi absurde.
Je dis une opinion absurde ; je ne critique pas ici l’opinion d’un membre de cette chambre ; je m’attaque à l’opinion d’un haut fonctionnaire qui n’a pas craint de dire au pays que c’était le commerce qui faisait renchérir le grain par des manœuvres qui lui sont familières. Je vous l’avoue, messieurs, l’indignation me déborde quand je vois un haut fonctionnaire émettre une semblable doctrine.
Comment ! c’est en présence du tableau que nous présente le gouvernement des opérations faites par le commerce, tableau d’où il résulte qu’en 2l mois sur 455 kilog. de denrées alimentaires introduites dans le pays, 34 millions seulement ont passé en transit, de sorte que plus de 400 millions de kilog. de denrées alimentaires ont été procurés à la consommation du pays par le commerce ; c’est en présence d’un semblable résultat qu’un haut fonctionnaire du pays s’avise d’envoyer au gouvernement une opinion absurde, opinion que le gouvernement produit au Moniteur.
Messieurs, je me sens profondément humilié pour mon pays, quand je songe que c’est un gouverneur de province, un ancien ministre des finances, un ancien ministre des travaux publics, qui, à l’époque où nous vivons, écrit de semblables absurdités à son gouvernement. Je vous demande, messieurs, pardon de la vivacité de mes paroles ; mais, comme je l’ai dit en commençant, l’indignation me débordait quand j’ai lu une semblable accusation dans la feuille officielle. Je demande donc que le gouvernement désavoue une opinion contribué à répandre dans le pays.
M. Rogier. - Messieurs, si M. le ministre de l’intérieur avait donné une réponse satisfaisante à l’honorable M. Osy, je n’aurais pas pris la parole ; mais je dois le dire, la manière dont M. le ministre de l’intérieur a répondu, pourrait faire croire que l’opinion si extraordinaire exprimée par un de ses agents, ne contrarierait pas tellement la sienne propre qu’il se crût dans la nécessité de la désavouer.
Dès lors cette opinion, que nous aurions pu couvrir d’un silence indulgent, cette opinion revêt un caractère beaucoup plus important ; le gouvernement, en la publiant par la voie du Moniteur, l’a faite en quelque sorte sienne.
Je veux croire que c’est par une distraction que cette lettre singulière a figuré parmi les documents officiels émanés du gouvernement ; mais l’effet de cette distraction n’en peut pas moins être déplorable sur l’opinion, et je crois que M. le ministre de l’intérieur, à moins qu’il ne veuille partager, aux yeux du public, la solidarité de cette opinion, doit aux membres de la chambre de la désavouer et de la combattre. Si nons devions supposer que l’opinion de M. le gouverneur de la Flandre orientale est celle de M. le ministre de l’intérieur, dès à présent nous combattrions M. le ministre de l’intérieur sur ce point avec toute l’énergie dont nous pouvons être capables.
Je demande donc que M. le ministre de l’intérieur s’explique sur cette question.
J’ai eu tout récemment à combattre l’opinion isolée d’un de nos collègues ; je l’ai fait alors avec trop de vivacité peut-être ; mais, messieurs, si cette opinion, d’isolée qu’elle était, venait à remonter jusqu’au gouvernement, oh ! alors je n’aurais pas assez d’énergie pour m’élever contre de semblables doctrines, je demanderais compte au gouvernement de la propagation de pareilles erreurs.
M. le ministre de l’intérieur vient de nous dire : « De quoi vous plaignez-vous ? Aucun négociant n’a été nominativement accusé ; dès lors, cette opinion peut librement circuler sans inconvénient pour personne. »
M. le ministre de l’intérieur a-t-il pris garde à ce qu’il disait ? Non, on n’a pas accusé tel ou tel individu « de pousser à la hausse du prix du grain par les manœuvres qui lui sont familières » ; car une pareille accusation aurait nécessairement donné lieu à un procès, soit contre l’auteur de ces manœuvres, soit contre l’auteur de la calomnie qui aurait frappé ce commerçant ; nous n’aurions pas dû nous occuper de l’accusation, si elle avait atteint un seul individu ; mais il en est tout autrement quand l’accusation, se produisant par la voie officielle et sous patronage du gouvernement, s’applique à toute une classe de citoyens, à tous les commerçants indistinctement, même à ceux de la ville où le haut fonctionnaire dont il s’agit exerce ses fonctions ; car je ne sache pas que le commerce de Gand s’abstienne de faire arriver des céréales. Eh bien je fais un appel au commerce de Gand lui-même contre de pareilles doctrines, contre de pareilles assertions.
En finissant, je demande de nouveau à M. le ministre de l’intérieur si l’opinion exprimée dans la lettre qui a été publiée dans le Moniteur sous ses auspices, est la sienne.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je n’ai nullement à déclarer ici si je fais mienne la rédaction de M. le gouverneur de la Flandre orientale ; je n’ai rien à avouer ni à désavouer ; j’ai donné aux paroles du gouverneur de la Flandre orientale le sens naturel qu’elles m’ont semblé comporter ; et d’après les explications que j’ai données, je crois que ces paroles sont irrépréhensibles dans le sens que j’y moi-même attaché, et l’honorable gouverneur, membre de cette chambre, en prenant la parole, n’a en aucune manière désavoué l’explication que j’ai donnée. J’ai dit que je pensais que dans l’opinion de ce fonctionnaire, il s’agissait d’importations de blés dont les commerçants avaient fait tel usage qu’ils avaient jugé convenir, mais qu’il n’avait signalé aucune manœuvre illicite qui fût de nature à blesser l’honneur du commerce.
L’honorable M. Lesoinne dit que les frais d’importation ont été considérables. C’est un des motifs pour lesquels le commerçant ne s’empresse pas de vendre quand il a fait des importations à ses risques et périls ;
On sait que le commerce des céréales est un commerce plein de dangers, que rien n’est plus variable que le prix des céréales.
Celui qui consacre ses capitaux à acheter des céréales à l’étranger pour les importer, attend le moment opportun de les vendre, pour réaliser le bénéfice qu’il trouve raisonnable et dont il est seul juge.
On ne fait pas du commerce par esprit de charité, par patriotisme ; on fait du commerce parce qu’on y trouve son compte, parce que la profession du commerçant est honorable. C’est dans ce sens que j’ai compris l’opinion de l’honorable M. Desmaisières, comme j’ai compris dans le même sens l’opinion de M. le gouverneur de la province d’Anvers. Nous vivons sous un régime de publicité, on ne doit pas se montrer si chatouilleux.
(page 265) Je ne pouvais pas supprimer tel ou tel document d’une enquête qui a été instituée par mon prédécesseur. M. Van de Weyer a institué une enquête sur la cherté du pain, je l’ai livrée à la publicité telle que je l’ai reçue, car M. Van de Weyer s’était retiré à cette époque.
M. Verhaegen. - M. le ministre de l’intérieur, pour se justifier de l’imprudence au moins qu’il a commise, vient de dire que nous vivons sous un régime de publicité, et parce que nous vivons sous un régime de publicité, il a cru devoir publier une lettre qui, si on s’en rapporte aux observations que vient de présenter M. Desmaisières, serait une lettre non destinée à être livrée à la publicité. Nous avons vu en maintes circonstances M. le ministre de l’intérieur nous refuser, dans des occasions solennelles, de nous communiquer sa correspondance avec ses subordonnés. Il venait nous dire alors que cette correspondance était de sa nature secrète, et que s’il la livrait à la publicité, il arrêterait les fonctionnaires dans le développement des renseignements dont souvent il a besoin.
Maintenant le fait est grave. M. de Theux aura beau dire qu’il n’a pas ni cette gravité que nous voyons, il aura beau donner une interprétation forcée à des termes qui sont clairs, précis ; toujours est-il, et pour mon compte j’en ai l’intime conviction, que si on avait consulté M. Desmaisières sur la question de savoir si sa lettre du 2 juin devait être publiée, il s’y serait complétement refusé. Eh bien, je demande maintenant à M. le ministre de l’intérieur quelle utilité il a trouvée, lui, à publier, au milieu du mois de décembre 1846, une lettre qui porte la date du 2 juin ? Car les dates sont importantes. Cette lettre porte la date du juin. Pourquoi, dis-je, au milieu du mois de décembre a-t-on jugé nécessaire de la publier ?
Oh ! s’il y avait dans cette lettre des renseignements importants pour l’exécution du projet de loi qui nous occupe, je comprends que M. le ministre pourrait se justifier de cette publication. Mais il n’y a dans cette lettre, au fond, autre chose, si ce n’est, comme l’a dit mon honorable ami M. Rogier, une calomnie caractérisée par la loi pénale, si l’imputation avait eu lieu contre un individu déterminé. Peu de mots suffiront pour le démontrer.
Celui qui emploie des manœuvres pour faire hausser le prix des grains, se rend coupable d’un délit ; et il est, aux termes de nos lois pénales, sévèrement puni.
En effet, ce fait est grave : spéculer sur la misère publique est de tous les faits, le fait le plus odieux ; outre la peine déterminée par le code pénal, il expose son auteur à la haine, à l’animadversion de ses concitoyens, surtout à l’animadversion de la classe nécessiteuse.
Attribuer à quelqu’un un pareil fait, c’est en quelque sorte provoquer au pillage et à tous les désordres ; c’est notamment eu égard à l’importance, à la gravité de cette accusation, que la loi pénale a sévi gravement contre ceux qui se rendent coupables d’une pareille calomnie.
Je dis que les termes de cette lettre sont clairs ; et l’explication que vient de donner M. le ministre de l’intérieur n’a réellement aucune portée.
On impute à tous les individus d’une même catégorie un fait odieux qui, s’il avait été imputé à un seul, constituerait un délit de calomnie ; c’est une calomnie contre tous, au lieu d’être une calomnie contre un ou deux, et la chose en est d’autant plus grave.
Quoi qu’il en soit, comme il faut que chacun réponde de ses œuvres, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de faire remarquer que si l’honorable M. Desmaisières a communiqué au ministre de l’intérieur une opinion qu’il pouvait avoir, quelque erronée qu’elle fût, au moins il n’y a pas à déverser sur lui ce blâme que nous déversons sur M. le ministre de l’intérieur, à moins qu’il ne l’ait autorisé à publier sa lettre.
Comme chacun répond de ses actes, quoiqu’il ne nous appartienne pas d’interroger dans cette enceinte M. Desmaisières comme gouverneur, je pense qu’il conviendrait, pour sa justification aux yeux du pays, qu’il s’expliquât lui-même quant à cette publication. Je le prie de me prêter un instant son attention.
Je pense que lorsque l’honorable membre a écrit à ses supérieurs, dans la hiérarchie administrative, la lettre dont il est ici question, il n’entrait nullement dans ses intentions de la voir publier ; et évidemment quelque erronée qu’ait pu être l’opinion de l’honorable M. Desmaisières, l’énonciation de cette opinion ne pouvait amener aucune conséquence fâcheuse, du moment où elle restait concentrée dans la correspondance administrative.
Or, messieurs, si la publication de cette lettre a eu lieu sans l’assentiment de l’honorable M. Desmaisières, qui est responsable, si ce n’est le ministère ? J’ai ajouté que si l’honorable M. Desmaisières ne reconnaît à aucun de nous le droit de l’interpeller dans cette enceinte comme gouverneur, au moins il était de son intérêt de s’en expliquer lui-même ; il était de son intérêt de se justifier aux yeux du pays, et de ne pas prendre pour son commerce qui doit être exclusivement pour le compte de M. le ministre de l’intérieur.
En terminant, messieurs, je dirai que la publication de cette lettre est injustifiable. Je dirai que publier cette lettre au milieu du mois de décembre, alors qu’elle porte la date du juin et cela sans utilité quelconque, ce n’était faire autre chose sinon déverser le blâme sur le commerce tout entier, exciter la haine des citoyens contre le commerce tout entier ; et ceux qui ont agi de la sorte doivent en assumer toute la responsabilité.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). – Messieurs, l’honorable membre attaque avec véhémence la publication de cette lettre ; il allègue que la lettre est du 2 juin, et qu’elle n’a été publiée qu’au mois de décembre.
Messieurs, la question est évidemment aujourd’hui à l’ordre du jour. Elle s’agite dans presque toutes les grandes communes du royaume ; elle a été plusieurs fois agitée dans les chambres législatives, et nous avons cru que la publication de toute l’instruction qui avait été faite par notre prédécesseur, pouvait avoir un caractère d’utilité, ne fût-ce que pour détruire certaines opinions erronées que l’on se formait quant à la tarification du pain.
Messieurs, les correspondances du ministère avec MM. les gouverneurs n’ont eu absolument aucun caractère confidentiel. Nous n’avons pas demandé à MM. les gouverneurs si leurs rapports pouvaient être publiés ou ne pouvaient pas l’être ; mais nous avons cru qu’il s’agissait d’une question d’un haut intérêt et qu’il n’y avait aucune espèce d’inconvénient à la publication de l’enquête.
Du reste, comme nous l’avons dit, messieurs, on a donné à la lettre de M. Desmaisières un caractère qu’elle ne comporte pas.
M. de Saegher. - Messieurs, je ne conçois vraiment pas le procès que l’on vient faire dans cette enceinte à un honorable membre de la chambre, sous prétexte qu’on le fait seulement au gouverneur d’une province. Je ne conçois la proposition ni quant à la forme, ni quant au fond.
Quant à la forme, messieurs, à quelle occasion, je vous le demande, par quel motif plausible cette question a-t-elle été introduite dans cette enceinte, incidemment et lorsqu’il s’agissait de presser, de hâter la discussion d’un projet de loi accordant un crédit pour aider à la subsistance des pauvres, loi dont nous avons le plus grand besoin, que les populations des Flandres attendent avec la plus grande anxiété ?
Que s’est-il passé ?
Un honorable gouverneur d’une province est consulté par le gouvernement à l’effet de connaître son opinion relativement à une question qui doit s’agiter. Ce gouverneur examine la question, il donne consciencieusement son avis. Où donc est le mal ? Je le répète, conçoit-on les accusations que l’on vient de lancer contre cet honorable membre ? Conçoit-on les injures qu’il a été obligé d’essuyer depuis trois quarts d’heure que dure cette discussion ? Quant à moi, je ne puis les comprendre.
Quant au fond, messieurs, ce fonctionnaire a émis son opinion. Cette opinion est fondée ou elle ne l’est pas ; mais enfin c’est une opinion qui est partagée par d’autres ; c’est une opinion qui est loin d’être aussi isolée que veulent bien le faire croire les honorables représentants du haut commerce d’Anvers.
Cette opinion existe, messieurs, et cette opinion n’injurie personne ; cette opinion n’attaque l’honneur de personne.
En effet, messieurs, quelle est la question ? Il s’agit de savoir si la spéculation ou, si l’on veut, si les opérations commerciales peuvent faire hausser le prix des grains. Eh bien, messieurs, cest une opinion qui existe sans doute dans le pays, et je ne crains pas de le dire, lorsque la question est ainsi posée, cette opinion est la mienne. (Interruption.)
Je comprends vos rires, je sais que je suis de fort peu de valeur dans cette chambre ; mais j’ai une opinion libre et j’ai une raison droite.
Je dis donc, messieurs, que cette opinion ne peut pas être imputée à crime ; parce qu’en admettant que ceux auxquels on impute les opérations dont il s’agit s’y livrent réellement, leur honneur n’y est pas intéressé.
Messieurs, croyez-vous donc sérieusement que la chose n’existe pas en réalité, en ce sens que des spéculateurs font venir des cargaisons de grains dans le pays, dans l’espoir que les prix augmenteront ; qu’au moment où leurs greniers sont remplis, et quoique les prix aient augmenté, quoiqu’ils puissent vendre avec un honnête bénéfice, cependant ils tiennent encore leurs grains en magasin, dans l’espoir que les prix augmenteront encore ? Sans doute que cela est licite, et c’est dans ce sens que la lettre du gouverneur de la Flandre orientale doit être, non pas interprétée, car elle est claire, elle n’exige pas d’interprétation, mais comprise.
Ce qui m’étonne, messieurs, c’est que l’on vienne, au nom du commerce d’Anvers, attaquer un honorable fonctionnaire à l’occasion d’une opinion qui a été émise à peu près dans les mêmes termes par le gouverneur de la province d’Anvers lui-même. Voyons de près sa lettre, confrontons-la avec celle que vous attaquez, et vous reconnaîtrez qu’il est impossible de s’y méprendre, que c’est absolument le même sens.
Voici, messieurs, ce que dit M. le gouverneur d’Anvers dans sa lettre :
« Si la spéculation est aujourd’hui la cause principale du haut prix des céréales, y obvierait-on par l’établissement de greniers d’abondance, de halles aux grains, par la création de caisses d’avances pour la boulangerie, etc. ?
« L’établissement de greniers d’abondance existe en France. Ce système y a été adopté pour prévenir le monopole dans le cas de disette. Peut-être cette institution n’y est-elle que la conséquence de l’état peu avancé du commerce des grains. Car il est digne de remarque que ni l’Angleterre, ni la Hollande, pays avec lesquels la Belgique peut mieux être comparée qu’avec la France, sous ce rapport, n’ont de greniers d’abondance. C’est dans le commerce que ces pays trouvent leurs réserves dans des cas de disette. »
Voici maintenant ce que dit la lettre de M. le gouverneur de la Flandre orientale :
« C’est le haut commerce, me semble-t-il, dont les intérêts ont été éveillés par cette loi, qui ayant pu disposer, en peu de temps, de quantités (page 266) extraordinaires de blés importés, a poussé, par des moyens qui lui sont familiers, à la hausse des céréales.
« Pour combattre les inconvénients futurs de la spéculation, l’établissement de greniers d’abondance, de halles aux grains et aux farines, tels qu’il en existe à Paris et dans divers Etats de l’Allemagne, me paraît, en même temps, le moyen le plus rationnel et le plus aisément praticable. Si, grâce à l’influence à exercer sur les marchés par ces établissements, le prix des grains conserve toujours son taux normal, les mesures indiquées, en dernier lieu, dans votre dépêche deviennent complètement inutiles.
« Du reste, la création de caisses d’avances pour les boulangeries pourrait devenir onéreuse pour le trésor public ou pour les communes qui en établiraient, et la limitation du nombre des boulangeries s’éloigne trop de la libéralité de nos institutions pour être praticable.
Je le sais, messieurs, c’est l’expression des moyens qui lui sont familiers qui a servi de prétexte, mais vous ne pouvez pas séparer l’expression de l’ensemble des phrases.
Vous le voyez, messieurs, il s’agissait de discuter la question relativement aux greniers d’abondance.
Le gouverneur de la province d’Anvers traite la question en supposant que la spéculation est aujourd’hui la cause principale du haut prix de céréales, en ne le déniant pas. Le gouverneur de la Flandre orientale traite la question, en reconnaissant la spéculation, en l’admettant. Je vous demande non pas s’il y a là quelque chose d’illicite, mais s’il peut y avoir quelque chose de plus naturel, de moins blâmable.
C’est tout un système, dit-on, qui se trouve dans cette lettre, et que dira-t-on, à Gand, d’une semblable opinion émise par le gouverneur de la Flandre orientale ? Ah ! messieurs, je comprends quel est l’effet que l’on veut produire à Gand ; mais je vous dirai, moi, ce qu’on dira à Gand. Je vous dirai qu’à Gand l’opinion est également accréditée, que c’est la spéculation, toujours la spéculation non contraire aux lois, qui est la cause peut-être involontaire de la hausse des grains ; et je vous dirai d’avance que la ville de Gand, que tous ceux qui examineront la question ne seront pas du tout scandalisés de l’opinion que son gouverneur a émise.
Mais, messieurs, il y a bien plus. Je me rappelle que les commissions d’agriculture, si je ne me trompe, il y a deux ou trois ans, lorsqu’il s’agissait de la loi sur les céréales, ont demandé l’augmentation des marchés régulateurs. Et pourquoi, messieurs ? Précisément pour empêcher les spéculations illicites ; tandis qu’aujourd’hui vous voulez dénier les spéculations même licites.
D’ailleurs, n’a-t-on pas dit cent fois que le projet de loi sur les céréales avait pour but spécial de mettre un terme à la hausse factice ?
M. d’Elhoungne. - Messieurs, la chambre comprendra que C’est avec un sentiment très pénible que je viens prendre part à cette discussion. J’aurais voulu m’en abstenir ; dans mon opinion, la discussion ne peut rouler que sur la publicité que le gouvernement a donnée à la lettre de M. le gouverneur de la Flandre orientale ; M. le gouverneur ne doit pas être ici traduit devant vous, et bien que cet honorable membre fasse partie de la chambre, il n’a pas à s’expliquer sur les actes qu’il pose comme administrateur.
Mais je dois protester, messieurs, contre l’opinion que l’honorable M. de Saegher vient de prêter à la ville de Gand. Il n’y a à Gand que trois négociants, que trois spéculateurs, puisqu’on les appelle ainsi, qui font de grandes affaires en céréales ; il ne faut pas qu’on vienne ameuter la population contre eux.
M. de Saegher. - Je n’ai pas dit un mot de cela.
M. d’Elhoungne. – Il ne faut pas qu’on dise qu’à Gand l’opinion générale est que la cherté des grains ne provenait pas, au mois de juin déjà, du manque de la récolte des pommes de terre, mais qu’elle provenait exclusivement de spéculations....
M. Desmaisières. - Je n’ai pas dit cela.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, ce sont les propres paroles de la lettre de M. Desmaisières que je cite, lettre que M. de Saegher n’a pas lue en entier. (Interruption.) Il n’a lu que la deuxième phrase. Il n’a pas lu la première. (Interruption.) On ne doit pas calomnier l’opinion publique de Gand.
M. de Saegher. - Je ne l’ai pas calomniée.
M. d’Elhoungne. - On a calomnié la ville de Gand en lui prêtant des opinions absurdes, en lui prêtant des intentions odieuses. (Interruption.)
Je le répète, messieurs, je ne considère comme répréhensible que la publicité donnée longtemps après, à une lettre, entièrement confidentielle de sa nature. M. le gouverneur de la Flandre orientale a pensé, au mois de juin, que la spéculation était la cause principale de la cherté des grains ; il a pensé en outre que la cherté des céréales était provoquée par des manœuvres répréhensibles ; mais le gouvernement a reconnu que ces manœuvres n’existaient pas. La preuve, c’est que pas un procureur du roi, y compris M. le procureur du roi de Gand, n’a fait de poursuites. (Bruit.) On a donc reconnu que ces manœuvres n’existaient pas ; cependant on a publié la lettre de M. le gouverneur, et la discussion actuelle lui donne un éclat plus fâcheux encore, (Interruption.) Ce qui a été écrit au gouvernement au mois de juin dernier, pouvait être une opinion erronée, mais elle est devenue dangereuse par la publicité qui y a été donnée, et aujourd’hui elle est cent fois plus dangereuse encore. (Interruption.) Si des négociants s’étaient rendus coupables de manœuvres illicites, il eût fallu les signaler à la justice ; mais il ne fallait pas jeter une accusation odieuse sur le commerce eu général, il ne fallait pas confondre les innocents avec lei coupables, et exposer les uns et les autres aux représailles de la multitude.
Il y a, messieurs, dans les renseignements de M. le gouverneur d’autres inexactitudes. Ainsi, l’on y dit au gouvernement que les mesures relatives à la taxe du pain sont exécutées parfaitement dans presque toutes les communes de la Flandre orientale. Eh bien, messieurs, j’ai reçu des plaintes nombreuses qui me sont parvenues de différents points de la province, et elles portent principalement sur la taxe du pain et sur la manière dont se fait la police de la boulangerie. On me signale que dans les campagnes les boulangers pratiquent, quant au poids, la fraude sur une grande échelle. (Interruption.)
M. le président. - Je recommande à tout le monde une grande modération ; dans un débat aussi brûlant on ne saurait mettre assez de réserve dans les expressions.
M. d’Elhoungne. - Dans beaucoup de villages on vend du pain qui n’a pas 50 p. c. du poids légal, et je ne prévoyais pas que lorsque je signalerais de pareils faits mes paroles seraient accueillies par des murmures, murmures hostiles pour moi et sympathiques pour ceux qui volent le peuple. (Nombreuses réclamations.)
Je dis que l’on doit faire exécuter les règlements ; je veux qu’on fasse exécuter les lois et les règlements ; je le veux, messieurs, pour les spéculateurs comme pour les boulangers ; point de fraude, point d’illégalité ; voilà ma pensée. Mais je ne puis permettre, messieurs, qu’on vienne dire à cette chambre que l’opinion professée par l’honorable M. de Saegher est l’opinion de la ville qui m’a envoyé dans cette enceinte comme lui. (Interruption.)
Je n’ai pas compris tout à l’heure le sens des murmures qui ont éclaté lorsque j’ai parlé des boulangers qui vendent du pain n’ayant pas le poids légal. Peut-être la majorité a-t-elle pensé qu’il y avait quelque chose d’excitant dans mes paroles. (Oui, oui !) Je les retire s’il en est ainsi, mais la chambre comprendra que lorsqu’on parle au milieu d’interruptions continuelles, il devient bien difficile de modérer ses expressions comme on voudrait le faire. Si j’ai dit un mot imprudent, provocateur, je le retire immédiatement et avec contrition. (On rit.)
M. le ministre des finances (M. Malou). – Messieurs, cette discussion, je le crois, au point de vue de l’intérêt du pays, n’a que trop duré ; nous le dirons tous quand nous serons rentrés en nous-mêmes.
Que s’est-il donc passé ? La question des subsistances préoccupe à bien juste titre tous les esprits, depuis deux ans. On a accueilli avec empressement, sur des questions bien moins importantes, la publication de toutes les opinions, si erronées qu’on pût les croire après coup. Aujourd’hui que vient-on faire ? On fait un grief au gouvernement d’avoir publié, dans une enquête, une opinion isolée, individuelle, qu’on peut ne point partager, mais qui se trouve combattue dans la même enquête par une foule d’opinions contraires. Je dis plus, on isole l’opinion d’un fonctionnaire de celle d’un autre et on la scinde elle-même. En effet, messieurs, à quel point de vue est-il parlé dans cette pièce, des spéculations ? Mais dans toute l’enquête on en parle, Sans cesse, quant aux rapports qu’elle peut avoir avec l’établissement de greniers d’abondance.
On a lu un passage du rapport d’un autre gouverneur ; on n’a pas lu un passage de ce rapport, qui est conçu entièrement dans les mêmes termes que ceux contre lesquels on s’est élevé. On a vu dans d’autres parties de cette enquête qui est encore incomplète, on a vu partout énoncer cette idée, sous une forme ou sous une autre, que dans des circonstances données il peut être d’une bonne législation, et toutes les discussions antérieures relatives aux céréales le prouvent assez, d’avoir certaines mesures qui préviennent les spéculations illicites. Mais dans le passage que l’on incrimine, est-il parlé de manœuvres frauduleuses, d’actes coupables ?
Un membre. – De manœuvres.
M. le ministre des finances (M. Malou). - On parle de manœuvres, mais est-ce que des manœuvres seules suffisent pour constituer le délit de calomnie ? Vous n’avez donc pas lu le Code pénal que vous invoquez ?
Je viens de parcourir rapidement la partie de l’enquête qui est publiée et partout on rattache la question des spéculations à la question posée par M. le ministre de l’intérieur : s’il était bon d’avoir des greniers d’abondance. Mais je le demande à chacun de vous, est-il possible que le gouvernement ou la chambre fasse encore jamais une enquête sur une question quelconque si, alors que la moitié seulement de l’enquête est publiée, on peut venir demander au ministre, sur chacune des opinions émises dans cette enquête, s’il la partage ou s’il la désavoue ?
Messieurs, je n’irai pas plus loin. Je disais en commençant, et je termine par cette observation, qu’il est dangereux au dernier point de discuter ces questions ; que le retentissement donné à une opinion individuelle émise dans l’enquête, est infiniment plus dangereux, infiniment plus déplorable que cette opinion elle-même.
M. le président. - La parole est à M. de Saegher. Je renouvelle l’observation que j’ai faite tout à l’heure ; toutes nos paroles dans un semblable débat ont un grand retentissement.
M. de Saegher. - Messieurs, je serai très bref, mais j’ai besoin de relever quelques paroles qui m’ont été adressées. On m’a attribué des opinions dangereuses ; - je pourrais récriminer, je pourrais dire que les paroles prononcées par l’honorable M. d’Elhoungne, lorsqu’il a parlé des boulangers et de vols sur une grande échelle, sont beaucoup plus dangereuses que celles qu’on m’a reprochées.
Des membres. - Il les a retirées.
M. de Saegher. - Mais il me suffira de rétablir les faits. Qu’ai-je dit ? J’ai parlé des spéculations, uniquement pour démontrer quelles (page 267) spéculations M. le gouverneur de la Flandre orientale avait eues en vue dans sa lettre. J’ai fort bien distingué les spéculations licites des spéculations illicites, et je n’ai voulu parler que de la spéculation licite, lorsque j’ai indiqué une opinion manifestée dans la ville de Gand ; et cette opinion, je ne crains pas de l’affirmer, c’est celle de l’honorable M. d’Elhoungne lui-même. Je ne crois pas avoir émis une autre opinion que celle qui a été énoncée par l’honorable membre relativement aux spéculations. Je ne comprends pas qu’on vienne me faire dire autre chose alors que je me suis exprimé aussi clairement.
M. d’Elhoungne (pour un fait personnel). - Je voulais faire remarquer à la chambre qu’il est très possible, qu’au milieu du tumulte qui régnait au moment où j’ai parlé, on n’ait pas bien saisi mes paroles. Je n’ai pas dit que l’opinion de l’honorable M. de Saegher était une opinion odieuse ; j’ai dit qu’elle pourrait avoir des conséquences odieuses. Je n’ai pas entendu attaquer l’opinion de l’honorable membre.
Je dois faire observer également qu’on ne m’a pas compris lorsqu’on a dit que je voulais exciter la population de la ville de Gand contre les boulangers. J’ai parlé des boulangers des campagnes, j’ai dit que les règlements n’étaient pas observés, que j’avais reçu de toutes parts des plaintes nombreuses et très graves sur la manière dont les boulangers des campagnes éludent les règlements en ne donnant pas au pain le poids légal, ou abusent de l’absence de règlements fixant le poids légal du pain.
M. Dumortier. - Messieurs, cette discussion a une excessive gravité, et elle pourrait avoir un retentissement tel que, dans certaines circonstances données, elle entraînerait des événements que tous nous aurions à déplorer. Je viens donc demander à la chambre de bien vouloir clore ces débats.
Je demanderai aussi à M. le ministre de l’intérieur que dans les documents qui restent à publier, il veuille bien retrancher ce qui pourrait avoir un caractère irritant à l’égard d’une classe quelconque de citoyens. Il est à désirer que dans des questions aussi brûlantes, on ne fasse rien qui soit de nature à exciter les passions, à jeter l’irritation dans le pays.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je dois dire à la chambre que je ne me crois pas le droit de mutiler l’opinion d’un fonctionnaire que j’ai consulté. Les opinions qui me sont transmises doivent être publiées en entier ou ne pas être publiées du tout. Dans cette circonstance-ci il importe que les différentes opinions qui ont été émises soient publiées complètement.
Maintenant, messieurs, je demande qu’on mette un peu de sang-froid dans cette affaire, et je suis persuadé qu’il n’est pas une seule personne dans le pays qui après une lecture calme et réfléchie, puisse voir la moindre hostilité contre le commerce dans le rapport qui a été si vivement incriminé. Prenez le rapport comme vous le voulez ; tout ce que vous y trouvez c’est que, dans l’opinion de son autour, il y a eu en 1846 et des spéculations sur les céréales.
Eh bien, messieurs, des spéculations, il y en a toujours eu et il y en aura jusqu’à la fin du monde. Partout où il y aura de l’argent à gagner, il y aura des spéculations ; mais il faut distinguer entre les spéculations illicites et les spéculations ordinaires du commerce. Quant à ces dernières, aucun de nos discours ne les paralysera. Soit que vous les blâmiez, soit que vous les approuviez, elles auront toujours lieu ; elles ont eu lieu depuis le commencement du monde ; elles auront lieu jusqu’à la fin du monde ; mais le gouvernement a un devoir à remplir, quand les spéculations prennent un caractère illicite : c’est de faire poursuivre les auteurs de ces spéculations coupables.
- La clôture est demandée.
M. Loos (contre la clôture).-— Messieurs, je vous avoue que j’étais trop ému, en prenant la première fois la parole, pour songer à présenter une justification complète du haut commerce qu’on a accusé dans la lettre publiée au Moniteur. Je prie la chambre de me permettre de dire encore quelques mots.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
Plusieurs membres. - A demain ! à demain !
M. Rogier. - Messieurs, il n’est que 4 heures ; si un incident, dont nous ne sommes nullement comptables, a occupé l’assemblée pendant une heure, nous devrions récupérer cette heure, en restant jusqu’à 5 heures en séance.
M. Mast de Vries. - On pourrait fixer l’ouverture de la séance de demain à 11 heures.
M. Rogier. - Soit ! mais je n’en demande pas moins que la séance continue ; nous sommes prêts à voter toutes les mesures propres à porter remède à la situation ; nous demandons qu’on commence la discussion dès aujourd’hui ; demain, nous serons à notre poste à telle heure de la matinée qu’on voudra.
Des membres. – Continuons.
M. Vanden Eynde. - Je veux aussi que la séance continue ; mais il me paraît que quelques membres du côté opposé veulent adresser des reproches à la majorité ; mais ce n’est pas sur nos bancs que le fâcheux incident a été soulevé ; c’est l’honorable M. Osy qui a introduit cet incident dans nos débats.
M. le président. - Je ne permettrai pas qu’on se livre à des récriminations sur ce point ; des paroles vives ont été prononcées sur tous les bancs.
- La chambre consultée décide que la séance continue.
M. Dumont remplace M. Liedts au fauteuil.
La discussion générale est ouverte sur le projet de loi concernant les subsistances.
M. le président. - La parole est à M. Kervyn.
M. Kervyn. - Messieurs, la chambre vient de disjoindre du projet de loi en discussion, les crédits demandés pour les défrichements des bruyères et pour la colonisation. Je m’abstiendrai, en conséquence, dans les considérations générales que j’ai l’honneur de vous soumettre, l’examiner ces questions en détail, me bornant à les rencontrer succinctement lorsque j’y serai amené par l’examen du n°1 du crédit que le gouvernement nous demande.
Quoique le projet de loi qui nous est soumis ait un caractère de généralité, embrassant les nécessités qui se révèlent dans toutes les provinces, je m’attacherai particulièrement à l’examiner dans ses rapports avec les Flandres, parce que c’est là que les nécessités sont les plus grandes et que le mal est le plus intense.
Il n’est plus nécessaire de se livrer à de longues observations pour faire connaître à la chambre les souffrances des populations flamandes. La misère les chasse de leurs foyers ; et malgré la surveillance des gendarmes qui ont mission de leur interdire l’entrée de la capitale, quelques individus épuisés par la faim, quelques mères de famille traînant après elles leurs enfants à peine vêtus, parviennent à franchir ce cordon sanitaire d’une nouvelle espèce, pour vous donner le spectacle de leur dénuement. Ces éclaireurs de la faim et de la mendicité ont quitté la route qui mène au presbytère et au bureau de bienfaisance de leurs communes, parce que toutes les ressources locales sont épuisées ; ils ont pris celle qui mène aux grandes villes parce qu’ils comptent trouver la charité au milieu du luxe et obtenir nos sympathies et notre appui.
J’espère, quant à moi, qu’ils les obtiendront.
C’est chose vraiment effrayante que de suivre la marche du paupérisme dans les Flandres. Il n’y a pas un demi-siècle que, dans les campagnes, les prolétaires agricoles et industriels étaient inconnus. Le travail était organisé de telle manière que tout le monde avait une existence assurée résultant d’occupations croissantes, sans chômages, sans intermittence, sans ces crises qui jettent la perturbation dans les rangs des travailleurs. Il n’est pas nécessaire de s’appesantir sur ce point ; tout le monde sait que cette heureuse condition était l’effet de l’alliance de la fabrication des toiles avec l’agriculture. Aussi lorsque commença le déclin de cette fabrication, l’alliance fut rompue et le prolétariat apparut. Voici, messieurs, la progression qu’il suivit pour aboutir à la crise actuelle.
Il se recruta d’abord dans les rangs des tisserands qui ne se livraient qu’accessoirement à la culture. Ces gens étaient presque tous propriétaires d’une cabane et d’un champ. Cette propriété fut d’abord grevée, puis vendue ; puis ils perdirent leur capital, et alors ils se divisèrent en deux catégories : les uns devinrent ouvriers purement agricoles, n’obtenant que des salaires au-dessous des besoins de leurs familles ; les autres s’adonnèrent au tissage d’étoffes pour lequel ils n’avaient pas besoin de capitaux, comme le tissage des calicots, des cotonnettes, etc. ; les uns étaient devenus prolétaires agricoles, les autres prolétaires industriels, soumis, ces derniers surtout, à une multitude d’éventualités. Ils durent chômer lorsque leurs métiers furent remplacés par les power-looms.
Bientôt le prolétariat fit de nouvelles victimes. Il se recruta de cette multitude de gens à gages que les fermiers occupaient, tantôt aux travaux des champs, tantôt à la préparation du lin, au filage et au tissage des toiles. Lorsque le bénéfice de la partie industrielle de leur exploitation disparut, ils remplacèrent leurs domestiques par des journaliers.
Jusque dans ces dernières années la classe des petits fermiers était restée fidèle aux traditions de l’ancienne industrie linière. Mais dans leurs rangs aussi, la misère a fait de nombreuses éclaircies. Beaucoup d’entre eux ont été évincés de leurs fermes et sont descendus au dernier échelon de l’échelle agricole. Il ne fallait pas grand-chose pour que cette multitude de prolétaires dont l’existence était déjà si mal assurée fît un pas de plus dans la voie de la dégradation et du malheur. La perte d’une récolte aurait suffi ; il n’était pas besoin d’une seconde année calamiteuse pour que la mendicité devînt générale.
De ce qui précède il résulte que nous avons un double devoir à remplir. D’abord, nous devons aviser aux moyens qui peuvent donner du pain à tant d’êtres affamés, et qui peuvent empêcher que la mendicité ne se compte et ne s’organise pour aboutir à une sanglante jacquerie. Pour cela il nous faut des mesures immédiates. Il importe, en second lieu, de rendre le retour de pareilles calamités, sinon impossible, au moins plus supportable. Pour cela il est nécessaire de remonter à la source du mal, de sonder la profondeur de la plaie pour y appliquer, non des remèdes temporaires qui ne sont que des palliatifs, mais des remèdes permanents qui ne peuvent se trouver que dans l’amélioration du sort des travailleurs, soit qu’on organise leur industrie sur d’autres bases, soit que l’on s’ingénie à appliquer leurs bras à d’autres occupations, soit que l’on s’attache à mieux répartir la population et à chercher dans le défrichement des terrains improductifs de nouveaux éléments de travail et de nouvelle ressources contre la disette.
C’est aussi ce double but que le gouvernement veut atteindre par le projet de loi qu’il nous a soumis et par d’autres dispositions que nous connaissons et qui en sont les corollaires.
Pour ce qui regarde les mesures d’avenir, je n’hésite pas à déclarer que les vues du gouvernement sont saines et offrent une appréciation exacte de nos besoins. Ainsi, on nous annonce la formation d’une société d’exportation, qui seule peut soustraire nos produits liniers au mode de vente défectueux qui en empêchait le placement. Ainsi, on nous demande un crédit de 300,000 fr. destiné cette fois à perfectionner le travail, à nous faire entrer dans la voie du progrès, à créer des comités industriels dignes de ce nom. Telles sont au moins les vues que l’on énonce et que j’approuve à beaucoup d’égards. Il me reste un doute cependant quant à l’application, et ce doute le voici : l’honorable rapporteur de la section centrale nous dit que notre infériorité dans l’industrie (page 268) linière résulte de l’absence de fabricants ; il pense qu’il importe de faire l’éducation professionnelle des ouvriers, et que bientôt les entrepreneurs d’industrie se présenteront pour utiliser leurs bras.
Comme lui, je suis persuadé que sans capitaux, sans entrepreneurs d’industrie, sans division dans le travail, nous sommes condamnés à végéter sans pouvoir concourir avec nos rivaux qui sont mieux montés et mieux organisés ; mais, contrairement à son opinion, je suis persuadé que dans l’industrie linière comme dans toutes les autres, c’est la tête qui doit commander aux bras ; que ce sont les chefs d’industrie qui forment les ouvriers, et que ce ne sont nullement ceux-ci qui peuvent faire surgir des fabricants. J’engage le gouvernement à examiner s’il ne serait pas plus utile pour le but que l’on veut atteindre d’appliquer ces fonds comme subside à une société ou à des particuliers qui, se plaçant à côté de la société d’exportation, fabriqueraient dans leur intérêt privé et seraient mieux placés que les autorités administratives pour former de bons ouvriers.
Enfin l’agriculture est appelée, dans le projet du gouvernement qui nous est soumis ainsi que dans celui qui concerne l’expropriation des bruyères communales, à fournir une grande somme de travail aux populations.
Quoique l’on ait principalement en vue les bruyères de la Campine, je suis persuadé que les grands travaux d’irrigation et de culture qui y seront entrepris exerceront une certaine influence sur le déplacement des populations voisines. Mais je compte surtout sur le défrichement qui peut s’opérer dans les Flandres mêmes. Je regrette que le gouvernement n’ait pas étudié sérieusement cette question et qu’il se borne à dire, dans son exposé des motifs, qu’il y fera quelque chose s’il y a lieu. Pour beaucoup de personnes qui connaissent les localités, pour le conseil supérieur d’agriculture la question est jugée.
Si tous ces projets, si toutes ces améliorations soit agricoles, soit industrielles, sont conduites avec sagesse et promptitude, nous avons l’espoir de voir naître une ère meilleure pour nos populations.
Mais nous propose-t-on des mesures suffisantes pour parer aux nécessités du moment ? Personne ne pourrait l’affirmer. On semble se faire illusion sur la gravité de la crise ; on semble oublier que tant d’hommes affamés attendent inutilement du travail pour avoir du pain.
En Irlande, messieurs, 300,000 individus sont occupés aux travaux publics. Il n’a fallu que quelques semaines pour les décréter et les exécuter ; l’année dernière 3,500 ouvriers, dont 800 artisans de la ville de Turnhout, ont été constamment occupés pendant l’hiver à une section des canaux de la Campine ; mais dans les Flandres que fait-on ? A-t-on convoqué les propriétaires, comme on l’a fait en Irlande pour les exciter à entreprendre, avec le concours du gouvernement, les améliorations foncières dont quelques cantons sont susceptibles ? A-t-on provoqué la réunion de concessionnaires pour construire des routes ? A-t-on étudié les sources de travail qu’un grand nombre de localités peuvent fournir ? Loin de là, messieurs ; les rares travaux décidés par le gouvernement ne reçoivent pas même d’exécution. Le canal de Schipdonck est une œuvre morte. De la deuxième section du canal de Zelzaete on ne parle plus. Pour ce qui concerne les routes à construire, je n’en connais aucune.
L’espoir que nous avions fondé sur certaines concessions de chemins de fer est également évanoui. Rien ne se fait, si l’on excepte quelques terrassements qui ont lieu dans la Flandre occidentale. Mais ceux qui devaient se construire dans le Brabant et le Hainaut, ceux qui devaient sillonner la vallée de la Dendre, si peuplée et si malheureuse, que sont-ils devenus ?
Une crise financière vient en aide à la disette pour accabler les populations flamandes, et nous ignorons les efforts qu’a pu faire le gouvernement pour en atténuer les effets. Cependant le mal s’aggrave de jour en jour ; nos compatriotes meurent d’inanition et la génération qui s’élève gardera dans son sein le germe de la dégradation physique et morale que la misère lui aura infligé.
Ainsi nous n’avons à notre disposition aucun de ces moyens extraordinaires sur lesquels nous devions compter comme mesures immédiates. Je me trompe, le gouvernement nous demande un crédit de 1,200,000 fr. pour toutes les provinces ; il consent même à se rallier à la proposition de la section centrale qui le majore de 500,000 fr. Mais à cette proportion même, ce chiffre ne serait qu’un faible palliatif ; il faudrait l’élever de beaucoup si les travaux publics ou privés, organisés sur une large échelle, ne venaient pas au secours de notre population.
Ceci me conduit à l’examen de la première disposition du projet de loi.
La crise au milieu de laquelle nous vivons est au moins égale, sinon supérieure, à celle de l’année dernière.
Les denrées alimentaires sont à un taux plus élevé ; un nombre immense de familles, ayant épuisé toutes leurs ressources pour se suffire à elles-mêmes, viennent grossir cette année le bilan de l’indigence ; la récolte du lin a manqué, et par conséquent les ouvriers liniers ne trouvent plus de matière première ; la charité particulière a fait un effort suprême ; et on doute qu’il puisse se répéter ; enfin, les ressources des bureaux de bienfaisance et de la plupart des communes ont disparu. Elles ont cependant à pourvoir au soulagement de plus de 300,000 indigents inscrits qui entrent pour plus du cinquième dans la population totale des deux provinces.
On peut sans exagération évaluer à 200,000 le nombre d’individus qui subissent de cruelles privations, par suite de l’insuffisance du travail et du prix exorbitant des vivres. De sorte que nous pouvons dire avec l’inspecteur général des prisons et des bureaux de bienfaisance que dans certains cantons nous avons dépassé l’Irlande.
L’année dernière, un certain nombre de communes ont fait des levées d’argent pour nourrir leurs pauvres. Ces emprunts s’élèvent à une somme de 295,000 fr. Cent six communes de la Flandre orientale ont établi des taxes spéciales dans le même but, et ont augmenté de cette manière la taxe des pauvres d’une somme de 277,894. Croit-on par hasard que les mêmes moyens puissent encore réussir, en présence de l’élévation de la cotisation personnelle qui est, dans un grand nombre de localités, plus que doublée quant au chiffre, et plus que triplée si l’on a égard à la réduction du nombre des contribuables. Je pourrais citer une commune où leur nombre est descendu depuis 20 ans dans la proportion de 100 à 37.
On le voit, messieurs, les besoins sont immenses tandis que les ressources vont en diminuant. Pendant l’année que nous avons traversée les deux provinces où le paupérisme a principalement établi son empire, ont obtenu comme subside aux communes une somme de 886,000 fr. Un peu plus d’un demi-million a été accordé aux autres provinces réunies. Si l’on suit aujourd’hui la même marche et si l’on consacre aux chemins vicinaux la même somme, le crédit de 1,500,000 fr. présente une insuffisance de plus de 350,000 fr.
En présence de ces faits, il ne nous reste que cette alternative ou d’augmenter encore le chiffre qui nous est proposé par la section centrale, ou bien de chercher dans des travaux extraordinaires, concédés ou exécutés aux frais de l’Etat un soulagement immédiat à la misère.
Je déclare hautement que ce dernier parti est de beaucoup préférable ; qu’il me répugne de voir l’Etat contribuer directement et dans une trop forte proportion à l’organisation de la charité légale, et j’engage itérativement le ministère à restreindre la mission facile qu’il s’est donnée.
Faire aux communes des distributions de fonds est utile sans doute ; c’est une ressource immédiate qu’on doit employer, qu’on doit même prodiguer lorsqu’il n’y en a pas d’autres pour conjurer la faim qui menace de faire tant de victimes. Mais activer, mais inventer le travail, soustraire nos populations laborieuses à la honte de l’aumône, convertir les libéralités du trésor public en un bien permanent, en accroissement de la richesse générale, exige sans doute plus d’habileté et constitue pour un ministère un plus beau titre à la confiance du pays.
Je voterai donc les chiffres proposés par la section centrale ; je voterai même toute augmentation qui sera présentée dans le cours de la discussion, à moins que le gouvernement ne me donne l’assurance que des travaux variés et nombreux allégeront efficacement les maux des Flandres.
M. de Saegher. - Les causes de la misère qui règne en ce moment dans les deux Flandres sont connues. Depuis plusieurs années la décadence de l’ancienne industrie linière faisait des progrès alarmants. Les habitants des campagnes occupés à la confection des toiles, n’obtenaient plus sur nos marchés un prix rémunérateur qui pût les mettre à même de pourvoir à l’existence de leur famille. Un grand nombre d’entre eux abandonnèrent donc la fabrication de la toile pour s’adonner exclusivement aux travaux de l’agriculture ; d’autres furent obligés de réduire considérablement leur industrie. Il en résulta qu’un nombre considérable de tisserands et de fileuses demeurèrent sans travail, et que pour ceux qui, parmi les meilleurs ouvriers, purent trouver encore de l’occupation, le salaire se trouva tellement réduit, qu’il n’existait plus aucun équilibre entre ce salaire et leurs besoins. Les ouvriers employés aux travaux de l’agriculture se ressentirent de cette crise ; le travail agricole diminua insensiblement à mesure que la position du petit fermier, devenant plus gênée, l’obligeait à réduire ses dépenses. D’un autre côté, la population des Flandres allait toujours en augmentant, de sorte que dans la Flandre orientale la population qui en 1816 n’était encore que de 615,689, s’élevait déjà en 1844, à 803,345 habitants.
C’est dans une semblable position, lorsque d’année en année on constatait dans la population des Flandres une progression ascendante si marquée, tandis que la diminution du travail et l’insuffisance des salaires suivaient une progression descendante plus rapide encore, qu’une double calamité est venue frapper les classes ouvrières du pays. La récolte des pommes de terre a presque totalement manqué en 1845 ; le seigle donné en 1846 moins du tiers d’une récolte ordinaire, et le prix des denrées alimentaires a été porté à un taux excessif.
Ici encore il est à remarquer que les habitants des campagnes ont été frappés plus cruellement que les autres, car presque tous plantent des pommes de terre pour leur provision d’hiver ; presque tous récoltent quelque seigle. Ainsi dans ces derniers temps les habitants des Flandres ont été privés de toutes leurs ressources à la fois, de pain, de pommes de terre, et de travail.
Une autre cause permanente de la grande misère dans certaines communes du pays, c’est l’organisation actuelle de la bienfaisance publique ; c’est que la répartition des secours publics n’est pas en rapport avec les besoins des localités ; c’est que chaque commune doit pourvoir aux besoins de ses pauvres, quel que soit leur nombre, quelles que soient les ressources dont la commune peut disposer.
Ceci nous amène à rechercher où est le siège principal de cette misère affreuse qui nous préoccupe à si juste titre ; quelles sont les ressources ordinaires dont la bienfaisance publique dispose pour la combattre ; quelle doit être par conséquent la direction que le gouvernement doit donner aux subsides que la législature mettra à sa disposition, et quelles sont les mesures qu’il doit prendre pour l’avenir.
Il est incontestable que le siège de la profonde misère qui nous occupe se trouve dans les communes rurales des Flandres. Cela résulte de tous les rapports qui nous sont parvenus, notamment du rapport du (page 269) gouvernement sur l’emploi du crédit de deux millions alloué par la loi du 24 septembre 1845, du rapport de la commission instituée par M. le ministre de la justice pour l’amélioration de la condition des classes laborieuses, et enfin du rapport de l’inspecteur général des prisons M. Ducpetiaux.
D’après l’exposé de la situation de la Flandre orientale pour 1846, le nombre des indigents dans les villes de la province est de 41,192 sur une population de 207,324 habitants ; tandis que dans les communes rurales ils s’élèvent à 127,924 sur une population de 584,397, et nous ne craignons pas d’ajouter que ce nombre augmente considérablement de jour en jour.
Maintenant quel est le sort de tous ces malheureux dans les campagnes ? Quelles sont les ressources dont on dispose pour venir à leur aide ?
Examinons le point en ce qui concerne la Flandre orientale qui nous est mieux connue. La Flandre occidentale se trouve d’ailleurs dans une position analogue.
Les revenus communaux de onze villes de la Flandre orientale renfermant une population de 207,324 âmes, s’élèvent, d’après le budget de 1846, à 2,115,341 fr.
Les revenus communaux des 282 communes rurales, renfermant une population de 584,397 âmes, à 1,065,545 fr.
Mais il est à remarquer que la majeure partie de cette dernière somme est le produit des cotisations personnelles qui s’élèvent pour les 282 communes à 715,162 fr.
Le montant des sommes affectées par la charité publique au soulagement des indigents s’est élevé en 1845, à 1,334,247 fr.
Cette somme se décompose ainsi :
Les revenus et moyens des bureaux de bienfaisance des onze villes précitées s’élèvent à 459,591 fr.
Ceux des 282 communes rurales à 874,655 fr.
Mais ici encore on remarquera que le montant des subsides accordés par les communes rurales et les collectes faites dans les églises entrent dans cette dernière somme pour 337,735 fr.
De sorte que les revenus et moyens des bureaux de bienfaisance des communes rurales proviennent, pour près de moitié, de la charité privée et des cotisations personnelles.
Les revenus des hospices autres que ceux aux dépenses desquels il est pourvu sur les ressources des bureaux de bienfaisance, s’élèvent pour neuf des onze villes de la Flandre orientale à 626,083 fr.
Deux communes rurales seulement possèdent des hospices semblables avec un revenu de 6,128 fr.
Tous les autres établissements de bienfaisance érigés dans quelques localités, ressortissent aux bureaux de bienfaisance et doivent être alimentés par eux.
Il résulte des données qui précèdent, que les communes rurales de la Flandre orientale, quoique privées d’hospices et d’hôpitaux pour y abriter leurs vieillards et leurs malades pauvres, disposent pour toutes ressources d’une somme de 874,655 fr. C’est à peu près 6 fr. 80 c. par tête pour une année.
Encore cette somme provient-elle en grande partie, comme nous l’avons fait remarquer déjà, de la bienfaisance privée des habitants de ces communes, et des cotisations personnelles si onéreuses dans nos campagnes.
Comment dès lors est-on parvenu jusqu’ici à faire face aux besoins les plus pressants de la classe nécessiteuse ?
D’abord, beaucoup de communes ont contracté des emprunts, d’autres ont établi des taxes extraordinaires de capitation ou cotisation personnelle (tableaux n°41 et 43).
Surtout la charité privée dans les campagnes a été sans bornes. On ne peut se faire une idée de l’importance des sacrifices que font les habitants des campagnes et notamment les fermiers.
Mais, il faut bien le dire, il est impossible que cet état de choses continue ; 128,000 pauvres sur une population rurale de moins de 600,000 habitants est une charge beaucoup trop lourde, là où, comme je viens de l’établir, il n’existe presque aucune autre ressource que la charité privée.
Cela est incontestable, surtout, lorsqu’on considère, ainsi que la commission instituée pour l’amélioration de la condition des classes laborieuses le fait observer dans son rapport, p. 99, « qu’une commune de 10,000 habitants a proportionnellement vingt fois moins de ressources qu’une ville de 100,000. Or, il ne s’agit pas même ici de communes de 10,000 âmes, mais de localités composées de 500 à 5,000 qui supportent en ce moment des charges aussi accablantes.
Aussi nous n’hésitons pas à affirmer que, pour un grand nombre de communes de nos Flandres, il est impossible de songer encore ou à établir des cotisations personnelles spéciales pour les besoins des nécessiteux, ou à augmenter les cotisations personnelles ordinaires déjà existantes ; que d’un autre côté tous nos efforts doivent tendre à diminuer dans les campagnes les charges de la bienfaisance privée.
Et cependant les charges des communes augmentent de jour en jour, à mesure que les ressources diminuent, et il existe, de la part du gouvernement lui-même, une certaine tendance à les augmenter encore.
A cet égard, nous croyons devoir dire un mot relativement à la loi de 1845 sur le domicile de secours.
Cette loi, comme la loi antérieure, consacre le principe que tout indigent a droit à des secours publics. Nous n’avons pas à examiner pour le moment quelles peuvent être les conséquences bonnes ou mauvaises de ce principe. Cependant nous ferons remarquer que des mendiants de profession commencent à abuser singulièrement du principe aux dépens de la véritable indigence.
Mais la loi antérieure statuait, que le lieu de la naissance serait remplacé comme domicile de secours par celui où l’indigent aurait habité pendant quatre ans. Dans la nouvelle loi de 1845 ce terme est doublé, et il en résulte une aggravation considérable dans les charges des communes rurales. En effet, les populations des campagnes sont attirées dans les villes ; elles y contractent les vices des grands centres de population. Eh bien, les communes sont obligées de payer la pension d’un grand nombre de ces individus qui n’y sont plus connus, qui ont quitté le village depuis plus de huit ans, et qui sont colloqués dans les hôpitaux et dans les hospices de villes, par suite des infirmités que leur immoralité, quelquefois l’excès du travail dans les manufactures leur ont fait contracter. Les charges qui en résultent sont quelquefois si accablantes que dans plusieurs communes les revenus communaux sont à peine suffisants pour y faire face. Voilà une position que dans l’état actuel des choses, on n’aurait pas dû faire aux communes.
Mais on veut aller plus loin. M. le ministre de la justice vient de déposer un projet de loi sur les dépôts de mendicité, qui aggraverait encore sensiblement la position des communes pauvres. En effet ce projet, tout en maintenant toutes les obligations qui existent aujourd’hui pour les communes, contient une disposition portant : A l’avenir seront reçus dans les dépôts de mendicité entre autres les individus qui se présentent volontairement munis de l’autorisation des bourgmestre et échevins de la localité où ils se trouvent ou dans laquelle ils ont leur résidence.
Ce n’est pas le moment de discuter ce projet de loi ; mais il nous importe, dans les circonstances actuelles, de signaler la mauvaise voie où l’on est entré par la loi sur le domicile de secours, et que l’on paraît vouloir continuer à suivre.
N’est-il pas évident qu’avec une semblable disposition les autorités des grandes localités s’empresseraient de faire conduire aux dépôts de mendicité tous les pauvres étrangers qui mettraient le pied dans leur commune ? Je suppose que la loi projetée soit en vigueur, que des dépôts en plus grand nombre et mieux organisés soient établis ; pensez-vous que les autorités de Bruxelles placeraient encore des gendarmes aux portes de la ville pour en défendre l’entrée aux pauvres ? Non, sans doute, elles feraient alors ce que l’humanité leur commanderait, elles délivreraient aux pauvres campagnards des autorisations pour se rendre aux dépôts, autorisations qui seraient acceptées avec reconnaissance par ces malheureux. Dès lors, n’est-il pas évident que la position des communes pauvres des Flandres, d’où ces mendiants nous arrivent, deviendrait encore plus intolérable qu’aujourd’hui, puisqu’elles seraient obligées d’entretenir un plus grand nombre de pauvres dans les dépôts.
Je prie le gouvernement de bien examiner les questions que je viens d’indiquer, et notamment de voir s’il ne conviendrait pas de mettre les dépenses des dépôts de mendicité à la charge du gouvernement. Déjà dans quelques communes les sommes payées aux dépôts et aux hospices joints aux subsides accordés aux bureaux de bienfaisance égalent le produit de tous les revenus communaux. Déjà dans d’autres communes on ne paye plus, parce qu’on se trouve dans l’impossibilité de payer. Les pauvres de ces communes sont encore obligés d’aller mendier ailleurs un morceau de pain ! Que sera-ce si ces charges doivent augmenter encore ?
Dans notre opinion, si les charges imposées aux communes rurales devaient accroître encore, il en résulterait que l’administration de plusieurs de ces communes deviendrait en quelque sorte impossible. Je sais que des députations permanentes tâchent de parer au mal en augmentant d’office les cotisations personnelles, et en ajoutant à cette mesure un subside, pour ne pas décourager les contribuables et les autorités ; mais si les charges doivent continuer à augmenter, cet expédient n’aura plus le succès. Le gouvernement, il est vrai, pourrait proposer une loi qui permette d’imposer de nouveaux sacrifices aux communes, d’augmenter les cotisations personnelles ; mais encore faudrait-il qu’il y eût moyen d’exécuter une semblable mesure ; or, la position de quelques communes des Flandres ne le permettrait pas sans donner lieu aux inconvénients les plus graves.
J’appelle donc l’attention du gouvernement sur cet objet, je l’engage bien s’enquérir de la position financière des communes, du nombre de leurs indigents, etc., et à accorder des subsides là où les ressources sont insuffisantes, et autant que possible, dans la proportion des besoins.
Nous venons d’indiquer les causes principales de la poignante misère qui règne dans les deux Flandres. Ce sont, d’un côté, l’accroissement successif de la population, la décadence de l’industrie linière et par suite le manque absolu de travail ; de l’autre côté, la mauvaise récolte des deux dernières années et par suite l’élévation du prix des denrées alimentaires. Nous venons de démontrer que la bienfaisance publique dans nos communes rurales n’a pas les moyens d’apporter des soulagements efficaces à tant de maux.
Quelles sont les mesures que le gouvernement pourrait prendre pour venir en aide à nos populations ouvrières ?
D’abord, en ce qui concerne les causes principales et permanentes de la misère, le manque de travail, il n’y a qu’une seule mesure efficace à prendre, c’est de procurer, par tous les moyens possibles, du travail à ceux qui en manquent ; tous les autres remèdes que vous essayerez ne seront que des palliatifs ; si vous ne pouvez parvenir à ce résultat, la misère augmentera d’année en année, et bientôt nous nous trouverons dans la même position que l’Irlande.
(page 270) Mais comment réussir à procurer du travail à une population ouvrière aussi nombreuse ? En premier lieu, messieurs, on ne peut pas perdre de vue, qu’il existe encore aujourd’hui dans nos campagnes des Flandres 170 mille à 200 mille ouvriers qui n’ont d’autre occupation que le tissage et le filage. Il n’est pas possible, pour le moment, de donner au travail d’un nombre aussi considérable d’ouvriers, une autre direction ; il n’y a, d’ailleurs, aucune nécessité de le faire.
En effet, ainsi que M. l’inspecteur Kindt nous l’a dit dans son rapport, beaucoup de négociants respectables ont foi dans l’ancienne industrie linière ; la France nous achète encore beaucoup de toiles de l’ancienne industrie et nous avons encore à l’étranger une clientèle nombreuse. Il est certain d’ailleurs, que notamment pour les toiles fines, nous pouvons soutenir la concurrence étrangère ; il est certain aussi que nos tisserands, que nos bonnes fileuses réalisent encore quelques bénéfices, trop faibles sans doute pour pourvoir entièrement à leur subsistance, mais qui, joints aux travaux agricoles, suffisent rigoureusement pour entretenir leurs familles.
Dès lors il nous semble qu’il est du devoir du gouvernement de faire tous ses efforts pour parvenir à améliorer la position de cette ancienne industrie, pour pourvoir à l’insuffisance du salaire des fileuses et des tisserands, pour protéger en un mot la fabrication. A cet égard nous approuvons sans restriction les mesures que le gouvernement se propose de prendre pour aider au perfectionnement de l’ancienne industrie linière, notamment en ce qui concerne l’introduction d’outils perfectionnés, dont l’utilité a été reconnue incontestable, ainsi que le classement et le numérotage du fil à la main. Nous approuvons également la création d’une société d’exportation pour les produits de l’ancienne industrie linière. Nous espérons que de cette manière on ouvrira aux fabricants de nouveaux et d’importants débouchés ; nous avons confiance que par l’emploi de tous ces moyens réunis, on maintiendra le travail pour une partie du moins de la population qut s’occupe aujourd’hui de cette industrie, et que l’on parviendra à lui procurer un salaire plus élevé.
Que si, contre l’opinion de tant d’hommes spéciaux qui se sont occupés de la question, il n’en pouvait être ainsi pour toujours ; du moins les efforts du gouvernement auraient pour résultat de rendre la transition moins brusque, et de permettre, dans l’intervalle, l’introduction dans nos campagnes d’industries nouvelles.
Car, dans tous les cas, cette première mesure est loin d’être suffisante pour procurer dars l’avenir du travail à toutes nos populations flamandes qui en manquent aujourd’hui. La fabrication à la mécanique doit nécessairement restreindre l’ancienne industrie linière ; il n’est plus permis d’espérer que cette belle industrie puisse retourner encore à l’état florissant où nous l’avons vue. Il faut donc songer à d’autres remèdes.
Parmi ceux qui ont été proposés jusqu’ ce jour, celui qui nous paraît le plus efficace c’est, ainsi que nous venons de l’indiquer déjà, l’introduction dans nos campagnes de nouvelles branches d’industrie. Je pense que tous les efforts du gouvernement devraient tendre vers ce but, et nous voyons avec regret, que dans la position critique où se trouve une partie du pays, le gouvernement n’y ait pas songé ; qu’il ne propose du moins aucune mesure nouvelle plus puissante que celles prises jusqu’à ce jour, qu’il ne nous communique aucun projet nouveau tendant à faciliter l’introduction dans les communes rurales de nouvelles industries, d’autant plus que les efforts faits jusqu’ici par la charité privée, par des communes et par des bureaux de bienfaisance, ont été couronnés d’un plein succès.
En effet, on a introduit dans les campagnes la fabrication des gants, la broderie, le tricot, le tissage des mouchoirs, des étoffes mélangées, etc. Mais c’est surtout la fabrication des dentelles qui a produit les meilleurs résultats. On a introduit cette fabrication dans 137 communes de la Flandre orientale, et il a été reconnu que, sans le secours de cette nouvelle industrie, la misère eût été doublée, triplée même, dans ces localités où l’industrie dentellière se trouve établie. Dans des communes de 2,000 à 3,000, le nombre des ouvrières, presque toutes appartenant à la classe nécessiteuse, s’élève de 75 à 125. Chaque ouvrière, après un court apprentissage, gagne de 50 c. à 1 fr. et plus, par jour. On conçoit de quel secours a dû être, dans ce derniers temps, un salaire aussi satisfaisant à répartir entre les familles qui, sans cela, eussent dû être entretenues par la charité publique et privée.
Il y a donc lieu d’être étonné que la commission, instituée pour l’amélioration des classes laborieuses, critique cette mesure prise par la charité privée ; qu’elle veuille en entraver le développement sous le prétexte qu’il y a déjà une baisse de 15 p. c. dans les prix de vente des dentelles ; qu’une crise nouvelle peut atteindre plus tard cette fabrication, et qu’il ne faut pas pousser à la concurrence des industries qui prospèrent sous le régime du « laisser faire ».
Il y a lieu d’être étonné qu’un homme qui s’est signalé par ses richesses et ses travaux en faveur de l’humanité souffrante, ait, dans une note qui nous a été distribuée sur les mesures à prendre dans l’intérêt des ouvriers des Flandres, appuyé cette opinion par le motif que « les écoles de dentellières établies dans le campagnes font déjà une concurrence fatale aux dentellières des villes », que les salaires tendent à s’abaisser, qu’il faut donc s’arrêter « sous peine de provoquer une crise analogue à celle qui afflige l’industrie linière ».
Quoi ! messieurs, lorsque nos ouvriers meurent de faim par suite de la perte de leur industrie, on ne pourrait pas les employer à une autre industrie assez florissante pour leur procurer le pain nécessaire à leur existence ! Quoi ! parce qu’une baisse s’est manifestée et que par suite le salaire est moindre, on devrait négliger les moyens de pourvoir aux besoins les plus pressants en faisant partager ce salaire, quoique réduit, à un plus grand nombre d’individus, pour les empêcher de mourir de faim ! Quoi, parce que le salaire des dentellières des grandes localités, où il y a d’autres ressources encore, se trouve partagé avec les ouvrières des petites communes dénuées de tout, on ne pourrait plus pousser au développement d’une industrie capable encore de pourvoir aux nécessités les plus pressantes de milliers de nos concitoyens ! Quoi ! on devrait s’arrêter parce que plus tard une crise analogue à celle qui afflige l’industrie linière pourrait se manifester ! Mais oublie-t-on que le premier droit de l’homme est celui de vivre, et le premier devoir de la chambre d’empêcher qu’un seul homme ne meure de faim ? Plus tard une crise pourrait se manifester ! Mais plus tard nous verrons ; plus tard nous vous prouverons que votre opinion n’est pas fondée ; en attendant aidez-nous à donner à nos pauvres exténués de misère le pain quotidien qui doit les empêcher de tomber d’inanition dans nos rues et dans nos places publiques. Car vous devez reconnaître que l’industrie dentellière établie dans nos campagnes a déjà préservé durant ces dernières années un grand nombre de familles de la misère la plus affreuse.
Et c’est dans un moment où, malgré l’urgence des besoins, on ne propose aucune mesure efficace et immédiate, que l’on émet une semblable opinion, qui, remarquez-le bien, peut s’appliquer à toutes les industries nouvelles que l’on tenterait d’introduire dans les campagnes des Flandres.
Non, messieurs, ceux qui émettent cette opinion ne connaissent pas toute l’étendue de la misère qui afflige, qui ronge une partie du pays.
Aussi nous pensons que le gouvernement ne peut pas s’arrêter un instant devant cette opinion. Nous croyons cependant qu’elle a déjà fait quelque impression puisque le gouvernement ne s’est pas expliqué suffisamment sur les moyens d’introduire dans les campagnes d’autres travaux, d’autres industries, dans le but de donner à la population ouvrière le travail qui fait défaut aujourd’hui. Nous l’engagerons à examiner la question de plus près ; il y a urgence.
Une troisième mesure pour obvier aux causes permanentes de la misère pourrait consister dans le défrichement de terrains encore incultes, dans la colonisation d’une partie du territoire belge. Mais les résultats de cette mesure nous paraissent si éloignés que nous croyons pouvoir nous borner pour le moment à recommander cet objet à la sollicitude du gouvernement, et nous voterons les sommes qui nous seront demandées dans ce but.
Je viens d’indiquer quelques mesures qui me paraissent les plus utiles pour obtenir, dans l’avenir, l’augmentation du travail, et par conséquent la diminution de la misère dans les Flandres.
Mais qu’allons-nous faire aujourd’hui même ; Quels moyens allons-nous employer pour pourvoir immédiatement à l’existence de milliers de malheureux qui manquent de pain ?
Le gouvernement a demandé d’abord, à cet effet, un crédit de 1,200,000 fr. ; il a consenti à accepter une augmentation jusqu’à concurrence de 1,500,000 fr. pour aider à la subsistance des populations dans les communes dont les ressources sont insuffisantes.
Nous approuvons cette mesure sans doute, mais nous avons la ferme conviction qu’elle sera loin d’être suffisante. Aussi ne nous serions-nous pas contenté de demander une augmentation de 300,000 fr. sans la promesse formelle faite par M. le ministre de l’intérieur, qu’il emploiera le crédit actuel à secourir immédiatement les communes dont les ressources sont reconnues insuffisantes, et que, si les circonstances l’exigent, il n’hésiterait pas à nous demander un nouveau crédit.
En effet, messieurs, nous l’avons déjà dit, dans les communes rurales de la Flandre orientale seulement il y a 128,000 pauvres, sans compter un grand nombre d’ouvriers sans travail, qui ne pourront certainement pas pourvoir à leur subsistance s’ils ne reçoivent aucun secours. Nous avons déjà indiqué le chiffre global des sommes dont les communes disposent et qui revient à 6-80 par pauvre inscrit au bureau de bienfaisance. En admettant que les communes rurales des deux Flandres puissent obtenir sur le crédit proposé un somme de 8 à 900,000 fr., pensez-vous que cette somme soit suffisante pour faire face aux besoins les plus pressants ! C’est ce que nous ne pouvons admettre.
Mais, dit-on, les travaux publics concédés et ceux entrepris aux frais de l’Etat seront beaucoup plus considérables qu’ils ne l’ont été jusqu’ici. (Voir l’exposé des motifs.) C’est ce que nous ne voyons malheureusement pas. Les seuls travaux importants dans les Flandres sont le creusement du canal de Schipdonck et du canal de Zelzaete. Mais le canal de Schipdonck seul pourra être commencé an mois de mars ou d’avril prochain, si aucun obstacle ne vient entraver les formalités préliminaires. Quant à la deuxième section du canal de Zelzaete, je crains beaucoup qu’on ne pourra mettre la main à l’œuvre avant l’été, et qu’ainsi nous pouvons peu compter sur le travail qu’il procurera dans la saison rigoureuse.
Vous comptez sur le concours actif de cette multitude de citoyens qui ont déjà déployé tant de zèle, dont la charité est inépuisable ! En cela vous avez raison ce concours ne vous fera pas défaut, et pour ma part, c’est dans ce concours généreux que je place ma plus ferme confiance, pour inverser les mauvais jours que la position malheureuse de tant de milliers de nos concitoyens nous prépare.
Cependant la charité privée a aussi des bornes. Que le gouvernement ne reste donc pas inactif ; qu’il soit persuadé que jusqu’ici il est loin d’avoir fait assez pour remédier aux suites funestes du manque de travail dans les (page 271) soient prise à cet effet. J’appelle de nouveau sur ce point toute son attention.
M. le président. - La parole est à M. Manilius.
M. Delehaye. - Messieurs, mon honorable ami, M. Manilius, a été obligé de partir pour Gand ; il se proposait de prononcer un discours favorable au projet du gouvernement.
M. Rogier. - Parmi les documents relatifs aux Flandres, il est souvent question d’un rapport de M. Moxhet sur l’Irlande ; ce rapport doit présenter beaucoup d’intérêt ; je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s’il y aurait de l’inconvénient à le publier.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je le ferai insérer dans le Moniteur de demain matin.
- La séance est levée à 5 heures et quart.