(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M*.* Liedts.)
(page 155) M. Huveners procède à l’appel nominal à 1 heure et quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Gustave Oppelt, second commis au département des finances, demande la place de bibliothécaire de la chambre. »
- Depôt au bureau des renseignements.
« Les employés du commissariat de l’arrondissement de Verviers demandent une loi qui autorise le gouvernement à les admettre à la pension de retraite. »
M. Lys. - Plusieurs pétitions du même genre nous ont été adressées et je crois qu’elles ont été renvoyées à la section centrale chargée d’examiner le budget de l’intérieur. Je demande le même renvoi.
M. le président. - Ces pétitions ont toutes été renvoyées à la commission des pétitions.
M. Lys. - En ce cas je demanderai un prompt rapport.
- Le renvoi à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport est ordonné.
« Le conseil communal de Synghem prie la chambre de voter un crédit extraordinaire pour subvenir aux besoins de la classe nécessiteuse. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi concernant des crédits pour mesures relatives aux subsistances.
« Le sieur Wargniers soumet à la chambre la question de savoir si un conseiller communal réélu, a cessé de faire partie du conseil au moment de l’expiration de son premier mandat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Malberbe, fabricant d’armes à feu, de guerre et de luxe, à Liége, demande qu’il soit pris des mesures pour empêcher l’exportation du bois de chêne nécessaire à la fabrication des armes. »
M. Delfosse. - Le pétitionnaire signale un fait digne de l’attention de la chambre. Vous savez tous que les fusils se font avec le bois de noyer. Ce bois devient de plus en plus rare ; le gouvernement français l’a frappé récemment, à la sortie, du droit exorbitant de trente francs par cent kilogrammes, et les étrangers viennent, en grande partie, enlever le peu qui se trouve dans le pays ; le pétitionnaire témoigne à ce sujet de vives inquiétudes ; il paraît craindre que, si l’on n’y prend garde, la fabrication des armes, une de nos branches d’industrie les plus importantes, qui donne du travail à un grand nombre d’ouvriers, ne dépérisse par suite de l’insuffisance de la matière première ; cette pétition soulève des questions délicates. Je me borne, pour le moment, à en proposer le renvoi à la commission permanente d’industrie, avec demande d’un prompt rapport.
- Le renvoi à la commission permanente d’industrie, avec demande d’un prompt rapport, est ordonné.
« Le conseil communal de Rommershoven prie la chambre de statuer sur la demande tendant à ce que cette commune soit distraite du canton de Loos et réunie à celui de Bilsen. «
- Renvoi à la commission pour la circonscription cantonale.
Par message, en date du 13 novembre, le sénat informe la chambre que dans la séance de ce jour il a adopté le projet de loi sur les denrées alimentaires.
- Pris pour notification.
M. de Corswarem. - Messieurs, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau un projet de règlement pour la publication du compte-rendu des séances de la chambre, concerté entre la questure et M. le ministre de la justice.
- Ce projet sera imprimé et distribué.
Sur la proposition de M. le président, la chambre décide qu’il sera discuté en même temps que le budget de la chambre.
M. Sigart. - Messieurs, au nom de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur le service de santé de l’armée, j’ai l’honneur de déposer le rapport sur les amendements présentés par M. le ministre de la guerre dans la séance du 21 novembre.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
Le projet est mis à la suite des objets à l’ordre du jour.
M. le président. - La discussion continue sur l’ensemble du chapitre VI, Commerce.
M. de Haerne. - Messieurs, je ne m’attendais pas à devoir traiter aujourd’hui une question aussi importante que celle qui a été soulevée à la fin de la séance d’hier. Je n’ai pas eu le loisir de rassembler les documents qui me seraient nécessaires pour traiter la question à fond. Une indisposition passagère m’a empêché de revenir assez à temps dans le pays pour assister aux séances de la chambre depuis l’ouverture de la session, et, pour la même raison, je n’ai pas pu me procurer les pièces nécessaires pour traiter la question.
Cependant je crois devoir répondre à un honorable membre qui m’a en quelque sorte provoqué hier à dire mon opinion au sujet de la loi des droits différentiels, à la discussion de laquelle j’ai pris quelque part.
L’honorable M. Osy m’a fait l’honneur de supposer que j’ai mis en avant la question de la relâche dans les ports intermédiaires ; je suis très flatté de l’honneur qu’il veut bien me faire, quoique je ne puisse pas l’accepter, car la question avait déjà été traitée précédemment ; j’en ai parlé, comme bien d’autres, après qu’il s’en était agi dans des journaux et des brochures. Il est vrai que j’ai émis une opinion qui n’était pas celle de l’honorable membre, mais j’ai agi consciencieusement, comme il l’a fait lui-même.
Messieurs, la question des droits différentiels est très importante. Elle touche à tous les intérêts industriels de la Belgique. Elle touche aussi au système de protection que le pays n’est pas encore disposé, je pense, à abandonner. Le système des droits différentiels est un système de protection pour la marine et pour les produits nationaux, et je crois que le pays est moins disposé à abandonner cette partie du système protecteur, qu’à en abandonner toute autre partie. Si nous jetons les yeux sur ce qui se passe à l’étranger, nous voyons les nations mêmes qui semblent disposées à renoncer à la rigueur du système protecteur, maintenir dans toute leur force les droits différentiels. Ainsi, l’Angleterre a introduit dans son tarif de douanes de grandes mitigations, et cependant elle conserve intacts ses droits différentiels, qui sont, comme vous le savez, messieurs, très élevés.
Si donc le système de la liberté du commerce doit être réalisé tôt ou tard, ce qui devra toujours se faire avec beaucoup de prudence, et de manière à ce que les petits pays ne soient point dupes des grands, je ne crois pas que ce sera par les droits différentiels que l’on commencera. Dans tous les cas, en ce qui nous concerne, l’établissement des droits différentiels est encore trop récent en Belgique pour que nous puissions, relativement à leur utilité, émettre une opinion basée sur l’expérience.
Le système des droits différentiels n’a pas encore une assez longue durée en Belgique pour que l’on puisse connaître tous les avantages qu’il est appelé à produire. Les avantages que nous avons voulu en retirer sont de trois espèces : d’abord nous avons voulu favoriser les relations directes avec les pays étrangers, mais particulièrement avec les pays transatlantiques ; en second lieu, nous avons voulu nous créer des moyens pour arriver à la conclusion de traités de commerce, et, en troisième lieu, notre but a été de développer la marine marchande du pays. Voilà, messieurs, le triple résultat que nous avons voulu obtenir.
En ce qui concerne le développement de la marine marchande, je vois que depuis l’établissement des droits différentiel il y a eu réellement progrès. Quant à la conclusion de traités de commerce, nous avons également réussi en partie, car nous avons conclu quelques traités que nous n’aurions certes jamais obtenus sans l’existence des droits différentiels. Je ne soutiens pas que ces traités sont favorables sous tous les rapports, mais il en est que je crois très avantageux et qui ont obtenu l’approbation presque général de la chambre. Mais, messieurs, le dernier mot n’est pas dit, tout n’a pas été accompli quant aux traités à conclure avec les nations étrangères et, si vous me permettez de jeter un regard rétrospectif sur les discussions qui ont eu lieu relativement aux droits différentiels, je vous rappellerai les traités que, personnellement, j’avais en vue et qui étaient différents de ceux que nous avons conclus jusqu’à présent. Les honorables membres qui s’énoncent dans un sens opposé à mon opinion, doivent se rappeler que j’avais surtout en vue des traités à conclure avec les Etats d’Italie, le Brésil, et avant tout avec l’Espagne ; et que, quant au traité à conclure avec ce dernier pays, on aurait stipulé en notre faveur des avantages, relativement aux colonies espagnoles.
Je puis donc répéter que tout n’est pas fait, quant à la conclusion des traités et que dès lors nous ne pouvons pas porter à la légère la main sur la loi des droits différentiels, dans la crainte d’en détruire l’économie, et de nous mettre dans l’impossibilité de réaliser le but auquel nous tendions, par l’adoption du système des droits différentiels.
Il est un troisième but que l’on s’est proposé en établissant ce système, et je me hâte d’arriver à l’objection spéciale qui a été touchée hier par l’honorable M. Osy. Il s’agit des relations directes avec les pays transatlantiques. Comme tous les partisans des droits différentiels, l’honorable membre ne veut pas favoriser les entrepôts d’Europe, il ne veut pas favoriser les ventes sous voiles, et toujours dans quel but ? Pour protéger les relations directes avec les pays transatlantiques. Nous sommes donc d’accord sur ce point. Je puis dire en conséquence que l’honorable M. Osy est grand partisan des droits différentiels.
Mais il y a un point sur lequel nous ne sommes pas d’accord et sur (page 156) lequel nous pourrions peut-être nous entendre, car, d’après les explications que l’honorable M. Osy a eu la bonté de me donner tout à l’heure, il paraît que, hier, je n’avais pas saisi parfaitement la pensée de notre honorable collègue. L’honorable M. 0sy repousse, comme moi, les ventes sous voiles, mais il admet les connaissements à ordre dans certains cas où l’expédition n’est pas faite comme propriété ou comme consignation sur un port belge. Or, je pense que c’est là porter atteinte aux relations directes, parce que je me dis que, dans ce cas, le navire n’a pas une destination directe, primitive, pour la Belgique, et que, par conséquent il est dans l’ordre des choses que ce navire ne prendra pas au retour de marchandises belges. Voïlà le grand point. Comment favoriser les relations directes ? C’est par les arrivages des pays transatlantiques, soit au moyen des navires de ces pays, soit au moyen de nos propres navires, car s’il s’agit de navires qui n’appartiennent ni aux pays transatlantiques, ni à la Belgique, il y a cent à parier contre un que vous ne ferez pas d’expéditions dans les pays transatlantiques, parce que ces navires auront intérêt à prendre des cargaisons en Angleterre.
Je pense donc que la distinction qu’établit l’honorable M. Osy n’est pas fondée, dans ce sens qu’elle n’est pas de nature à faire disparaître l’inconvénient des ventes sous voiles, et l’honorable membre est d’accord avec moi pour repousser les ventes sous voiles.
Savez-vous, messieurs, la différence que je trouve entre les ventes qui se font sous voiles et les ventes telles que celles que préconise l’honorable M. Osy ? C’est que, dans le premier cas, ce sont les petits qui en profitent, tandis que ce sont les grands dans le second cas.
Ce sont des ventes de part et d’autre, mais il faut avoir de grands moyens pour opérer des ventes telles que les veut l’honorable M. Osy, tandis que les petits négociants peuvent concourir aux ventes sous voiles. Je trouve que le système soutenu par l’honorable membre tend à favoriser les grands au préjudice des petits. J’ai de la peine à concilier ce système avec les idées libérales que l’honorable membre a énoncées en matière de commerce, et sur divers autres sujets.
Si l’honorable M. Osy parvient à me convaincre que le danger que je crains pour nos relations directes n’existe pas, je serai très disposé à renoncer à mon opinion et à adopter la sienne. Je n’ai été guidé par aucun esprit de système dans la loi des droits différentiels ; j’ai pris quelque part à la discussion de cette loi, parce que j’ai tenu à énoncer mes opinions dans l’intérêt du pays. J’ai voulu concilier l’intérêt de l’industrie avec l’intérêt bien entendu du commerce, non du commerce de commission ou de consignation, mais du grand commerce, du commerce qui opère par les navires du pays pour compte du pays, à l’avantage du pays ; j’ai pensé qu’il y avait moyen de concilier ces deux intérêts qu’on sépare trop souvent ; je pense que le commerce a intérêt à appuyer l’industrie, comme l’industrie a intérêt à appuyer le commerce.
M. le président. - J’engagerai les orateurs à ne pas entrer plus avant dans la discussion de la loi sur les droits différentiels, en dehors de la question de la relâche à Cowes ; car la discussion de cette loi a duré trois mois. Si nous la reprenions nous n’en finirions pas, et ce serait sans utilité.
M. Loos. - L’honorable abbé de Haerne vient de terminer en disant que le commerce doit appuyer l’industrie comme l’industrie doit appuyer le commerce. Forcerez-vous le commerce à faire des exportations en repoussant les navires étrangers de vos ports ? En d’autres termes, quand vous n’aurez plus que des arrivages directs par navires étrangers n’ayant pas touché à Cowes, obtiendrez-vous l’exportation de vos articles manufacturés, quand même ces articles ne seraient pas propres à l’exportation ? Forcerez-vous le commerce à exporter des articles dont le débit n’est, pas assuré, ce serait le forcer à l’inaction, car jamais il ne se décidera à faire des opérations ruineuses.
On voudrait des navires venant directement dans nos ports, parce que, dit-on, ceux qui ont touché à Cowes retournent sur lest. Mais examinons ce qui se passe, vous verrez que les navires arrivant directement des colonies sans loucher à Cowes retournent la plupart sur lest. Ce n’est pas en les empêchant de toucher à Cowes qu’on obtiendra des exportations par ces navires. Il est inutile d’insister davantage surce point qui me paraît devoir être clair pour tout le monde.
L’honorable M. de Haerne a cité l’Angleterre. En relisant les discussions de 1844, j’ai vu qu’on y invoquait constamment la conduite de l’Angleterre, qu’on la présentait connue devant servir de modèle à la Belgique. L’Angleterre, nous disait-on, repousse le pavillon étranger et sa marine est dans une situation florissante, faisons comme l’Angleterre et le même système produira les mêmes effets. Les mêmes mesures doivent produire pour la Belgique la méfie prospérité.
Les mêmes mesures doivent produire pour la Belgique la même prospérité.
Ainsi, messieurs, l’Angleterre qui est arrivée à l’apogée commerciale, qui a des navires sur toutes les mers, qui non seulement n’a pas besoin du pavillon étranger, pour pourvoir à son importante consommation, mais qui fournit à la consommation de beaucoup d’autres pays, voilà le pays qu’on donne comme modèle à la Belgique, qui possède à peine une centaine de navires ! En d’autres termes, on demande que le commerce souffre pendant un demi-siècle le système qu’on lui impose, et au bout d’un demi-siècle la Belgique pourra avoir une marine commerciale florissante comme l’Angleterre !
Messieurs, on n’arrive pas en un jour à cette prospérité que vous admirez en Angleterre, et pour ma part je suis très peu partisan d’un système qui réduirait le port d’Anvers à un état pitoyable pendant de longues années, qui en d’autres termes réduirait le port d’Anvers à l’approvisionnement d’un pays de 4 millions d’habitants. Je demande, messieurs, si ce sont là les destinées du port d’Anvers. Je crois que si l’importance du port d’Anvers doit se réduire à la consommation du pays, il ne répondra pas à l’importance de sa situation.
Messieurs, qu’est-ce qui constitue le prospérité d’un port de mer ? L’importance d’une place commerciale, d’un marché, c’est, je crois, le grand nombre d’arrivages, la multiplicité des affaires qui s’y traitent.
Or, à quoi tend l’article 5 de la loi ? A repousser du port d’Anvers, ainsi que je le disais hier, une quantité de navires qui seraient consignés à des maisons de cette place, pour les envoyer aux ports de Hambourg, de Rotterdam ou de Brème.
Ce système, messieurs, est-il sage ? Si vous voulez qu’une place de commerce soit prospère, faites en sorte qu’il y arrive le plus de marchandises possible, que les pavillons de toutes les nations y abordent. Et votre système tend au contraire à en repousser un grand nombre.
Pour ma part, messieurs, sans être partisan des droits différentiels, je ne voudrais pas tenter d’abolir une loi qui, ainsi que notre honorable président le disait tout à l’heure, a demandé tant de temps à la chambre. Mais je voudrais voir disparaître de celle loi une disposition évidemment onéreuse à ceux qu’on a voulu servir, c’est-à-dire au commerce.
Le commerce, messieurs, est unanime pour vous demander cette modification.
La loi des droits différentiels n’est pas, en définitive, l’arche sainte à laquelle on ne puisse toucher. Déjà vous avez reconnu, et je suis persuadé que beaucoup de membres de cette chambre ont reconnu que la disposition du tarif des droits différentiels qui concerne les cuirs est parfaitement onéreuse au pays. Je suis certain qu’une conviction existe dans l’esprit de beaucoup de membrés de cette chambre sur ce point, parce que ce n’est pas là un intérêt qui se personnifie dans Anvers, mais qu’il est répandu sur une grande partie du pays. Aussi, je suis persuadé que si M. le ministre des finances proposait une modification à la loi sur ce point, cette modification obtiendrait l’assentiment de la chambre.
Or, messieurs, si en ce qui concerne les cuirs une disposition défectueuse se trouve dans la loi, pourquoi ne reconnaîtriez-vous pas qu’il en est de même quant à une autre branche de la prospérité publique, alors que le commerce est unanime pour vous le déclarer et pour vous demander une modification à l’article 5 ?
Je dis, messieurs, que le commerce est unanime. Je crois pouvoir le déclarer et parler ici au nom d’Anvers.
Si aujourd’hui le gouvernement soumettait à la chambre de commerce d’Anvers, à l’association commerciale, et je dirai même à ceux qui se sont montrés les plus grands partisans des droits différentiels, la question de savoir si une modification est essentielle à l’article 5, tous vous répondraient affirmativement, tous vous diraient que les cargaisons adressées en consignation à des maisons d’Anvers ne sont pas celles qu’on a voulu atteindre.
Messieurs, hier soir encore j’ai relu les discussions qui ont eu lieu dans cette chambre, et j’ai acquis davantage encore la conviction qu’aussi bien dans l’intention du ministre qui défendait la loi que dans l’intention des membres qui la soutenaient, on n’a voulu atteindre qu’une espèce de cargaisons, les cargaisons qui sont adressées sous voile, qui font à Cowes l’objet d’un commerce pendant quinze jours, pour lesquelles on cherche un placement soit sur la place d’Anvers, soit sur celles de Hambourg, de Rotterdam ou de Londres. Car ce sont là les marchés où l’on cherche d’abord à placer ces sortes de cargaisons.
C’étaient donc, messieurs, ces sortes de cargaisons qu’à cette époque on voulait atteindre, sauf, je le reconnais, l’honorable M. de Haerne, qui voulait atteindre le pavillon étranger qu’il touchât ou qu’il ne touchât pas à Cowes.
M. de Haerne. - Ce n’est pas exact. C’était dans le cas de la relâche.
M. Loos. - L’honorable M. de Haerne, d’après ce que j’ai lu dans le Moniteur, avait proposé un amendement qui n’a pas été admis par la chambre, et l’honorable M. Nothomb répondait à cette époque : « Messieurs, voulez-vous augmenter la protection en faveur du pavillon national, je suis très disposé à effacer de la loi la disposition concernant la relâche à Cowes ; mais je trouve que la protection qu’on accorde au pavillon belge n’est pas suffisante »
Messieurs, peut-être les chiffres de la protection qu’on accorde au pavillon belge sont-ils sortis de votre mémoire, et cependant le point essentiel de la question est de savoir si le pavillon belge est suffisamment protégé contre le pavillon étranger, si cette protection est de nature à permettre à notre marine nationale de se développer. Car c’est là, je crois, le but que vous avez voulu atteindre. Vous avez voulu favoriser la marine nationale, vous avez voulu qu’elle pût s’accroître.
Messieurs, le pavillon national jouit d’une protection sur le pavillon étranger de 25 fr. par tonneau pour l’importation la plus importante, celle du café.
Savez-vous, messieurs, à quelle proportion cela établit la protection ?
D’où nous viennent généralement les cafés ? Les cafés nous viennent généralement du Brésil, de St-Domingue. Quel est ordinairement le fret du Brésil à Anvers ? 3 liv. à 3 liv. 10 sch. ; rarement 4 liv. Dès lors 25 fr. ou une livre sterling forment une protection de 33 à 40 p. c. Messieurs, je le dis, si une proteclion de 40 p. c. sur le fret n’est pas suffisante à la marine nationale, vous grevez le consommateur sans aucune utilité pour le pays.
(page 157) Après le café vient le sucre, comme article le plus important de nos importations. Pour le sucre le pavillon national est protégé de 17 francs par tonneau ; pour le poivre il est protégé de 30 fr., pour l’étain de 20 fr., pour le coton de 17 fr.
Je dis, messieurs, que ce point résulte de la question, c’est de savoir si la protection que je viens de rappeler pour les articles les plus importants du commerce est suffisante, ou s’il faut l’élever. Quant à moi, j’ai la conviction que cette protection est plus que suffisante.
Reportons-nous, messieurs, à l’époque qui a précédé l’introduction des droits différentiels. A cette époque le pavillon national n’avait qu’une protection de 10 p. c. sur les droits. Or, 10 p. c. sur le café faisaient à cette époque 5 fr. par tonneau, 5 fr. ayant l’introduction des droits différentiels ; 25 fr. aujourd’hui. Vous avez donc quintuplé la protection pour l’importation du café.
Au surplus, messieurs, les cargaisons sous pavillon étranger que vous repoussez de la Belgique, en arriveront-elles moins en Europe ? Mais non, elles iront à Rotterdam, à Hambourg, à Brème, à Trieste. Je ne puis comprendre, messieurs, quel bénéfice la Belgique peut obtenir en repoussant de ses ports des cargaisons destinées pour l’Europe. J’ai vainement parcouru toutes les discussions ; je n’ai vu nulle part qu’on nous apprît en quoi le pays pouvait profiter en repoussant les cargaisons arrivant sous pavillon étranger. Ce n’est pas non plus ce que M. le ministre des finances a établi. Nulle part, je le répète, nous ne trouvons une réponse raisonnable à cette question.
Messieurs, si vous pouviez contraindre le commerce à changer ses habitudes de prudence, qui consistent à s’informer de la position des marchés avant de les aborder, peut-être pourriez-vous obtenir des cargaisons arrivant en ligne directe, c’est-à-dire des cargaisons n’ayant pas touché à Cowes. Mais ainsi que je le disais eu commençant, je ne vois pas réellement l’avantage que vous retirez de la disposition dont nous nous plaignons. Les navires ayant touché à Cowes n’en sont pas moins des navires venant des pays transatlantiques. Ces navires, après un long voyage, ont besoin d’être réparés dans le port où ils arrivent. Car jusqu’à présent, bien qu’ayant constamment habité Anvers, jamais je n’ai vu les navires quitter ce port après leur déchargement, pour aller se réparer dans les ports étrangers.
Et c’est ici, messieurs, que j’établis une différence entre les navires venant des pays transatlantiques et les navires venant des entrepôts d’Europe. Il est certain qu’un navire venant de Londres à Anvers n’a pas besoin d’être réparé, et n’emploie par conséquent ni nos cuivres, ni nos clous, ni nos cordages, tandis que les navires venant des pays transatlantiques ont besoin de tous ces produits pour se réparer.
D’ailleurs, messieurs, les navires qui se rendent dans les pays transatlantiques, n’ont-ils pas un fret à faire, et ne prennent-ils pas souvent pour une partie de ce fret des produits du pays ? On me dira que généralement ces navires retournent sur lest ? Messieurs, ces navires emporteraient des marchandises manufacturées de votre pays, s’ils trouvaient à les placer à des conditions favorables dans les colonies.
Messieurs, j’emploie toujours les mots : « Repousser les cargaisons », parce que, en réalité, c’est vouloir les repousser que de les soumettre à la surtaxe extraordinaire qui existe dans nos tarifs pour les navires ayant touché à Cowes. Je vais encore vous mettre à même d’en juger.
Je dis que c’est réellement repousser les navires étrangers que de vouloir faire payer à leurs cargaisons une surtaxe de 65 fr. par tonneau pour le café, de 22 fr. 40 pour le coton, de 42 fr. 24 pour le sucre. Quelle est la maison qui consentira à payer, ou qui pourra payer sans perte une surtaxe aussi énorme ? Ce n’est pas là, messieurs, la protection que vous avez voulu accorder au pavillon national ; cette protection se trouve écrite en chiffres dans vos tarifs : vous avez voulu accorder 25fr. par tonneau pour le café et 17 fr. pour le sucre. Voilà, messieurs, la protection que vous avez substituée à la faveur de 5 fr. qui existait pour le café avant la loi des droits différentiels.
Ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire à la chambre, en commençant, mon intention n’est pas de bouleverser le système des droits différentiels ; je le maintiens, mais je voudrais qu’il ne fût pas exagéré au point de nuire à tout le monde.
Je n’ai pas besoin de vous dire, messieurs, que la chambre voudrait une chose impossible dans l’état actuel de notre marine marchande, en exigeant que la navigation belge pourvût à elle seule à tous les besoins de la consommation du pays : le nombre très restreint des navires que nous possédons jusqu’à présent, est réellement insuffisant. Mais j’admets un moment que le nombre de nos navires soit suffisant pour satisfaire aux besoins de la consommation du pays. N’aurions-nous pas encore intérêt à recevoir des navires étrangers et, comme je le disais, devrions-nous borner toute l’importance de la place d’Anvers à l’approvisionnement de 4 à 5 millions d’habitants ? On nous a cité, messieurs, la France et l’Angleterre ; mais ne perdez pas de vue que l’Angleterre et la France ont une population considérable, et que la marine de ces pays serait encore extrêmement importante alors même qu’elle n’aurait à pourvoir qu’aux besoins de la consommation intérieure. En France, il en est à peu près ainsi, car on sait que la marine française n’est guère employée qu’à approvisionner la consommation de la France. La marine anglaise, au contraire, après avoir pourvu à l’approvisionnement de l’Angleterre, pourvoit encore à l’approvisionnement de beaucoup d’autres pays. J’ai dit que pour arriver chez nous à un pareil état de choses, il faudrait au moins un demi-siècle, mais en admettant qu’il ne fallût qu’un quart de siècle, encore n’y aurait-il personne dans cette chambre qui voulût d’un système dont les bons effets ne devraient se faire sentir que dans vingt-cinq ans.
En définitive, messieurs, l’intérêt qu’on veut protéger, quel est-il ? Ce n’est pas l’intérêt des Flandres ou du Luxembourg, par exemple, c’est un intérêt commercial qui se résume principalement dans les affaires d’Anvers. Eh bien, messieurs, voulez-vous être meilleurs juges que le commerce lui-même de la protection qui lui est nécessaire ? Il trouve que la protection que lui donne le tarif est suffisante ; il ne faut donc pas l’étendre, l’exagérer au point de nuire à l’intérêt que vous voulez favoriser.
Dans les discussions qui ont eu lieu en 1844,je n’ai pas vu, messieurs que l’on eût bien défini la différence qui existe entre les navires venant directement des pays transatlantiques à Anvers et ceux qui touchent à Cowes pour y recevoir une destination définitive. Beaucoup de membres de cette chambre ont établi une différence entre le navire arrivant directement et celui qui, ayant fait l’objet de négociations, ne reçoit une destination définitive qu’après avoir été vendu ; cela, tout le monde l’a parfaitement compris.
J’ai relu encore ce que disait à cet égard l’honorable M. Nothomb, et pour moi il en est résulté la conviction que, dans l’esprit de tout le monde, il y avait similitude complète entre le navire étranger arrivant directement des pays transatlantiques et celui qui touche à Cowes uniquement pour y recevoir un ordre. On a confondu ces deux espèces d’opérations, mais on les a distinguées de celle que fait le navire vendu sous voiles ou à vendre sous voiles et c’est celle-là seule qu’on a voulu atteindre. Eh ! bien, quant à cette opération, le commerce ne demande pas que vous l’affranchissiez des droits considérables auxquels vos tarifs la soumettent ; il vous demande seulement de soustraire à ces droits des arrivages qui ont tout le mérite de l’importation directe et qui ne peuvent pas supporter des charges aussi exorbitantes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, comme l’avait prévu M. le président, l’honorable député d’Anvers a remis en discussion la loi des droits différentiels tout entière. L’honorable membre n’a pas combattu l’arrêté pris relativement à la relâche à Cowes, il a fait le procès très franchement à tout le système de la loi du 21 juillet 1844. C’est une opinion que l’on peut exprimer ; mais ce n’est pas la question dont il s’agit.
L’honorable membre a prétendu que l’intention primitive du gouvernement, pendant la discussion de la loi des droits différentiels, avait été de permettre aux navires étrangers de relâcher à Cowes pour y recevoir une destination définitive. Je ne relirai pas de longs extraits de cette discussion, mais je pourrais en citer beaucoup qui démontrent que l’honorable M. Nothomb, ministre de l’intérieur, n’a voulu permettre la relâche à Cowes aux navires étrangers que pour permettre à Londres les opérations de banque que les honorables députés d’Anvers indiquaient comme nécessaires.
Ce n’est pas, messieurs, le gouvernement qui a reculé depuis cette discussion, c’est le commerce d’Anvers.
Maintenons bien les positions prises par chacun. Pendant la discussion de la loi du 21 juillet 1844, l’honorable M. Cogels demandait qu’on accordât aux navires étrangers la faculté de relâcher à Cowes, uniquement pour faire certaines opérations de banque, nécessaires d’après lui. Voici ce que disait, de son côté, l’honorable M. Osy en répondant à M. Nothomb :
« Nous demandons seulement que les navires qui auraient relâché à Cowes, sans y avoir fait une opération de commerce, puissent être admis. »
Mais cette opération de commerce est-elle uniquement la vente d’une cargaison sous voiles ? Permettre, comme le veut aujourd’hui M. Osy. qu’un connaissement puisse être envoyé à Londres avec un endossement en blanc et ainsi passé à ordre par la maison de Londres, n’est-ce pas, au fond, la même opération qu’une vente sous voiles, n’est-ce pas autoriser une opération de commerce ?
L’honorable M. Osy ajoutait, en répondant à l’honorable M. Donny dans la discussion de 1844 :
« L’honorable membre doit avoir tout apaisement si le navire est affrété pour Anvers, car les papiers de bord le constateront… Je le répète, on a des garanties suffisantes contre les entrepôts flottants, si les connaissements et papiers de bord portent que le navire a été affrété pour Anvers. »
Depuis la loi du 21 juillet 1844, le commerce d’Anvers n’avait demandé qu’une chose, c’était l’exécution de la loi, exécution qui, selon lui, n’avait pas eu lieu de la part du gouvernement ; il demandait qu’on réalisât les promesses de l’honorable M. Nothomb, en permettant, à certaines conditions fixées par la loi, la relâche à Cowes pour les navires étrangers.
Des commissions ont été nommées ; la première était mixte, deux membres de la chambre de commerce d’Anvers en faisaient partie ; la seconde était composée, tout entière, de représentants du commerce d’Anvers. Je ne pense pas qu’un autre vœu ait été émis dans ces commissions, sinon de voir le gouvernement user de la faculté que l’article 5 de la loi lui laissait. L’honorable M. Osy nous a répété plus d’une fois à la tribune qu’il ne voulait que l’exécution de la loi.
Maintenant, la question change : il ne s’agit plus de l’exécution de la loi, il s’agit de changer l’article 5 de la loi du 21 juillet 1844.
D’après le système de l’article 5 de la loi du 21 juillet, on ne voulait permettre la relâche que pour les navires dont la cargaison était belge, soit comme propriété, soit comme consignation faite directement des lieux de production. Maintenant on veut un autre système, on veut pouvoir accepter les consignations faites directement, non pas des lieux de production, mais de Londres. C’est une prétention toute nouvelle et sur laquelle on demande que le gouvernement se prononce. (Interruption).
Nous n’avons eu à examiner jusqu’aujourd’hui que les réclamations du commerce d’Anvers ; or, ces réclamations n’ont jamais été jusqu’à la révision de la loi. Les prétentions ont monté ; et en face de ces nouvelles prétentions, l’on veut que le gouvernement vienne déclarer subitement qu’il annule l’arrêté qu’il vient de prendre !
Mais, messieurs, ne faut-il pas attendre que cet arrêté, qui a été pris en conséquence de l’article 5, ait reçu une exécution pendant un certain temps ? Cet arrêté est à peine intervenu, et déjà vous voulez en juger les résultats, avant que l’expérience ait parlé. Attendez donc l’expérience. Depuis l’adoption de la loi du 21 juillet, nous avons été sous le régime de la prohibition absolue, quant à la relâche à Cowes pour les navires étrangers ; depuis hier seulement, on est entré dans un autre système d’après lequel la relâche sera possible pour les navires étrangers à certaines conditions. Ces conditions sont-elles donc si sévères ? M. Osy déclare que les trois jours accordés pour la relâche sont trop peu et rendent la mesure illusoire ; niais l’honorable membre a oublié que c’est lui qui en 1844 indiquait cette mesure à M. Nothomb. « Déclarez, disait M. Osy, qu’un navire ne pourra s’arrêter que deux ou trois jours à moins de vents contraires. » Le gouvernement ne vous demande qu’une seule chose : laissez faire une expérience suffisante ; elle décidera si l’arrêté qui a été pris doit être maintenu ou bien si la loi doit être modifiée.
Puisque j’ai la parole, la chambre me permettra de l’entretenir un instant des résultats de la loi des droits différentiels ; j’entends dire tant de fois autour de moi que cette loi n’a produit aucun effet, relativement au commerce du pays, que je crois utile de signaler en peu de mots quelques faits, d’où il résulte que la loi n’a pas été sans influence sur notre mouvement commercial.
D’abord, messieurs, vous le savez tous, la loi du 21 juillet 4844 consacre un système de droits très modérés ; on a voulu des droits très modérés, afin d’éviter une interruption dans les arrivages par navires étrangers. Mais ce ne sont pas ceux qui ont voulu des droits modérés, qui doivent se plaindre maintenant de l’inefficacité de la loi. Evidemment avec des droits modérés, il est impossible d’obtenir des résultats prompts ; pour arriver à de semblables résultats, il aurait fallu un système analogue à celui qui est en vigueur en France ou en Angleterre. Messieurs, n’oubliez pas que la loi du 21juillet 1844 n’a été rendue exécutoire que le 21 juillet 1845, c’est-à-dire, une année après, pour les articles les plus importants, les cotons, les cuirs, les potasses, les bois exotiques, les grains, etc.
Le même délai d’exécution a été fixé à l’égard des encouragements accordés au pavillon national pour les arrivages directs des lieux situés au-delà des détroits de Gibraltar et du Sund.
La faveur pour les arrivages directs du sucre n’a été accordée que graduellement d’année en année pendant quatre ans.
Pour les cafés, l’exception relative aux 7 millions de kilogrammes a mis un certain obstacle à l’extension de nos affaires commerciales reposant sur les importations de café.
Vous comprenez que toutes ces mesures de transition et de prudence, à l’égard d’une loi qui a fixé les droits à un taux modéré, ont dû avoir pour effet de ne faire produire à la loi que des résultats très lents, et le but de la législature a été de n’obtenir que des résultats très lents, afin d’empêcher la perturbation dans les relations actuelles par navires étrangers.
Eh bien, messieurs, malgré toutes ces circonstances, il est peu vrai que la loi des droits différentiels n’a exercé aucune influence sur notre mouvement commercial ; je vais citer quelques faits qui établiront que la loi du 24juillet n’a rien entravé, mais qu’elle a plutôt aidé au développement commercial.
Ainsi, le mouvement de notre commerce maritime entrait dans le commerce général : en 1844 pour 41 p. c. et en 1845 pour 45 p. c.
Voici un résultat plus significatif :
La part proportionnelle de la navigation belge avec les pays hors d’Europe a été :
Pour le nombre des navires : de 24 p. c. en 1844 et de 28 p. c. en 1845 ;
Pour le tonnage : de 21 p. c. en 1844 et de 25 p. c. en 1845 ;
Pour le chargement : de 20 p. c. en 1844 et de 26 p. c. en 1845.
Ainsi, depuis la loi du 21juillet, un accroissement sensible du mouvement de la navigation belge a et lieu vers les contrées hors d’Europe, avec lesquelles la loi a voulu développer nos relations.
Je descends maintenant à des faits plus spéciaux : les rapports directs avec le Brésil et Saint-Domingue sont presque entièrement acquis à la navigation belge.
Entre la Belgique et les Etats-Unis, le commerce d’intercourse se fait presque entièrement par des marins américains et par des marins belges : les nations-tiers ont été presque complétement écartées, et c’est l’un des buts qu’on avait en vue en faisant la loi de 1844.
Le commerce direct avec la Méditerranée s’est développé dans une proportion assez grande ; le commerce des fruits, qui forme la base de nos rapports avec la Méditerranée, est presque acquis entièrement au pavillon belge, au profit de nos exportations. Auparavant ce commerce se faisait presque exclusivement par des navires du Nord. Ces résultats ne sont pas insignifiants ; on peut contester que ce soit la loi des droits différentiels qui seule les ait produit, mais il serait difficile de prétendre qu’elle y a été étrangère.
Voici un autre fait : Avant la loi du 21 juillet, la marine nationale était en décadence ; on ne parvenait pas à remplacer les navires perdus ou démolis. Ces faits ont été signalés plusieurs fois à la chambre. En 1845, ce mouvement de décadence s’arrête.
De 1841 à 1843, on a construit 10 navires, jaugeant ensemble 2,280 tonneaux. En 1846 seulement, on a construit 7 navires, jaugeant 1,536 tonneaux ; on a nationalisé, en vertu de la loi des droits différentiels, 6 navires étrangers, jaugeant 1,497 tonneaux, en prenant l’engagement exigé par la loi de construire dans le pays 4 autres navires de 800 à 900 tonneaux.
Dans les deux années 1845 et 1846, on a construit ou nationalisé, en y comprenant les quatre navires dont je viens de parier, 21 navires jaugeant 4,691 tonneaux, tandis que pendant les trois années 1841 à 1843, avant la loi du 21 juillet, on n’a construit que 10 navires jaugeant 2,280 tonneaux.
Je dis qu’il est permis de croire que ces résultats, en partie du moins, sont dus à la loi du 21 juillet.
Je ne continuerai pas cette discussion, car je sortirais de l’ordre du jour, et comme l’a remarqué notre honorable président, on pourrait recommencer tous les débats sur la loi des droits différentiels. Je mc borne à répéter que la prétention d’Anvers est nouvelle, qu’il s’agit non plus de l’exécution de l’article de la loi, mais de son abrogation complète. Le gouvernement croit qu’ayant pris un arrêté royal permettant la relâche à Cowes, sous certaines conditions auxquelles une partie du commerce d’Anvers paraissait se rallier naguère, il faut laisser à l’expérience le soin de décider si cette mesure est réellement insuffisante.
M. Donny. - Je ne comptais pas prendre part à ces débats, parce que je trouvais inutile de prolonger des discussions qui ne peuvent avoir aucun résultat. Mais quand j’ai entendu l’honorable M. Osy dire que le système qu’il préconise aujourd’hui est désiré par le commerce d’Anvers tout entier, et que, de plus, ce système ne rencontre aucune opposition dans le pays, j’ai cru devoir prendre la parole pour détromper l’honorable membre.
Je ne sais pas ce qui se passe à Anvers, mais je sais ce qui se passe à Ostende ; et je sais que là on n’est nullement partisan du système que MM. Osy et Loos voudraient faire introduire dans notre législation.
Je n’en dirai pas davantage pour le moment. Je pense que si nous prolongions cette discussion, nous pourrions nous écarter de notre ordre du jour, sans utilité, sans fruit ; parce que si quelque jour des modifications législatives nous sont proposées, tout ce qu’on aura dit aujourd’hui devra être dit de nouveau ; ce qu’on aura fait, n’aura servi à rien qu’à vous faire perdre du temps.
M. David. - Messieurs, ce n’a pas été sans surprise que j’ai entendu hier dire par M. le ministre des finances, à propos de la question de la relâche à Cowes : Que personnellement et tant qu’il serait aux affaires, jamais il ne consentirait à modifier la loi différentielle (ou tout au moins l’interprétation de la loi différentielle), relativement à nos premiers articles d’importation, et cela d’après les vœux exprimés tous ces jours-ci par l’honorable M. Osy.
Comment M. le ministre peut-il traiter ainsi un des premiers représentants du commerce du pays, qui revient chaque jour avec un nouveau courage à prouver jusqu’à l’évidence que le gouvernement commet un acte de véritable injustice, je dirai plus, un acte d’impéritie ?
Comment, messieurs, M. le ministre des finances refuse de nommer une nouvelle commission, qu’on lui propose de choisir dans Anvers ? J’admets encore peut-être ce refus, parce que Anvers seule serait juge ; mais au moins M. le ministre devrait-il avoir la conscience de ne pas y mettre une opposition à outrance, en nommant à défaut une commission dans le sein de la chambre.
Si par exemple la loi sur les cuirs ou la loi en faveur des tanneries belges, qui nous est si solennellement promise, nous est donnée, les faveurs que l’on veut lui accorder seront illusoires ; car il est facile de comprendre que toutes les grandes cargaisons qui viennent relâcher à Cowes, pour se consigner là où leur intérêt les appelle, soit les ports de Hambourg, Rotterdam, et les ports anglais, les cuirs ne sortiront pas de l’état de réprobation qui les atteint et payeront toujours 2 fr. 50, au lieu du taux auquel on proposera bientôt de les taxer.
J’insiste donc avec l’honorable M. Osy sur l’indispensable nécessité de nommer une commission au sein de la chambre. J’adjure M. le ministre des finances de ne pas faire une plus longue résistance à des réclamations aussi justes que pressantes.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L’honorable M. Osy m’a fait une interpellation à laquelle j’ai répondu en termes très clairs : le gouvernement ne croit pas, pour le moment, qu’il y ait lieu d’adopter la (page 159) proposition de l’honorable M. Osy. Les raisons sont excessivement simples. Chaque fois qu’on a fait une concession au commerce d’Anvers sur cette question, le lendemain il demande le double, le triple ou le décuple. Ainsi, messieurs, prenons le fait actuel. Depuis deux années, des réclamations ne cessent de pleuvoir pour que les navires étrangers puissent relâcher à Cowes sous certaines conditions.
L’arrêté du 11 novembre, uu peu tardivement peut-être, a fait droit à ces réclamations. A peine est-il porté, qu’on demande l’abrogation de l’article 5 de la loi. Pour moi, je désespère de pouvoir suivre ou satisfaire toutes ces exigences.
L’on doit attendre que l’expérience de l’arrêté soit complète ou du moins faite jusqu’à un certain point. Alors une discussion nouvelle, un nouvel examen pourraient avoir lieu avec utilité. Ainsi, il n’est jamais entré dans ma pensée de ne soumettre à une nouvelle étude aucune disposition relative à la loi des droits différentiels ; je me suis seulement attaché à faire remarquer les considérations de fait qui empêchaient de satisfaire actuellement à la demande de l’honorable M. Osy.
Le gouvernement doit suivre le développement des faits, et consulter l’expérience qu’on commence, pour faire plus tard, s’il y a lieu, d’autres propositions. (Aux voix ! aux voix !)
M. Osy. - Messieurs, je serai très bref. L’honorable M. Donny nous a dit qu’il n’entrerait pas dans la discussion de la question soulevée, parce qu’elle n’est pas à l’ordre du jour. Il me semble cependant que quand nous discutons le budget des affaires étrangères, et que nous nous occupons du chapitre intitulé : « Commerce », c’est bien là que nous pouvons parler de nos intérêts commerciaux, et faire entendre les réclamations de la première ville commerciale du pays. Je ne puis concevoir les raisons pour lesquelles Ostende repousserait la demande que nous faisons, car Ostende n’a pas intérêt à ce que les navires dont il s’agit touchent ou ne touchent pas à Cowes, tous les grands navires expédies pour la Belgique venant à Anvers.
Messieurs, la question est bien simple. L’honorable M. de Haerne est contraire à ma demande ; mais j’aurais voulu qu’il nous donnât la preuve que cette demande est nuisible aux intérêts généraux du pays. Car, enfin, nous ne venons pas ici défendre l’intérêt de notre localité, nous venons défendre les intérêts généraux du pays. Or, je voudrais qu’on laissât là les théories et qu’on nous prouvât que ce que nous réclamons est contraire à ces intérêts.
Messieurs, si l’on peut me prouver que vous exporterez plus de toiles, plus d’armes et d’autres produits de vos manufactures, en repoussant les navires qui relàchent à Cowes, je reconnaîtrai que je suis dans l’erreur.
Messieurs, ces navires que nous désirons obtenir en consignation, sont généralement employés, je le reconnais, à l’exportation des produits anglais. Si Anvers était le seul port eurppéen, je concevrais que nous repoussassions ces navires, que nous ne leur permissions pas de venir apporter à Anvers de denrées coloniales pour aller ensuite prendre des produits manufacturés de l’Angleterre ; je concevrais l’opinion de l’honorable M. de Haerne ; mais nous sommes, comme je le disais en 18S44, un petit coin de terre en Europe. Les Anglais n’ont pas besoin de nous. Ils n’ont qu’à aller à Rotterdam, à Hambourg, à Brème, à Trieste, et les cafés, les sucres qu’ils apportent pourront être placés. L’Angleterre ne souffrira donc nullement, si vous n’acceptez pas les chargements arrivant des pays transatlantiques, et je crois vous avoir prouvé que vous n’exporterez pas une aune de toile de plus.
Messieurs, soyez-en persuadés, l’Angleterre n’est pas intéressée à la question. Mais nous y sommes intéresses, et quand je dis nous, c’est toute la Belgique. Car enfin, si Anvers est prospère, toute la Belgique en profite. D’ailleurs, les navires qui partent ne prennent-ils pas toujours quelques-uns de nos produits ? Et lors même qu’ils partent sur lest, les réparations qu’ils doivent subir n’amènent-elles pas la consommation de plusieurs produits belges ?
Messieurs, je dirai maintenant à M. le ministre des affaires étrangères qu’on a effectivement institué une commission à Anvers. Mais cette commission avait un mandat spécial, c’est-à-dire qu’on lui a posé la question : Comment faut-il exécuter la loi ? Mais si l’on avait demandé à cette commission : « Faut-il changer l’article 5 de la loi ? », elle aurait donné une autre réponse. Car je connais la majorité de cette commission, et je crois pouvoir dire que l’unanimité même de ses membres pensent, comme moi, qu’il faut un changement à l’article 5. Car l’article 5, et je prie M. le ministre des finances de ne pas l’oublier, est appliqué aux navires étrangers, mais seulement quand les cargaisons sont belges, et nous, au contraire, nous voulons que les navires étrangers, avec des cargaisons étrangères qui n’ont pas été vendues sous voiles, puissent arriver à Anvers.
Messieurs, je n’ai pas été grand partisan des droits différentiels, au contraire, mon opinion personnelle est favorable à la liberté du commerce, et si je ne faisais pas partie de la chambre, je serais free-trader. Mais je sais que les industries du pays ont besoin d’une protection, et comme j’avoue que la liberté du commerce leur ferait d’abord beaucoup de tort, je ne suis pas free trader et je ne consentirai pas à entrer, comme on m’y a déjà engagé, dans l’association des libres échangistes. Au contraire, je sus protecteur, je veux qu’on permette à nos industries de progresser, pour qu’à la longue, peut-être, on puisse parvenir à une réduction de droits.
Je désire surtout que l’industrie linière puisse se perfectionner, et comme je suis le grand ami des Flandres, je désire qu’on leur fournisse des moyens d’exporter leurs toiles.
Mais, messieurs, il ne suffit pas de dire : Nous voulons exporter ; il faut pouvoir exporter ; et en attendant, pour maintenir le marché intérieur à nos industries, je veux le maintien des droits protecteurs.
Je dis donc que la commission avait un mandat spécial, celui d’examiner les mesures qu’il fallait prendre pour l’exécution de l’article 5 de la loi. Mais, comme nous l’avons prouvé hier, les stipulations du nouvel arrêté sont plus onéreuses que celles du précédent arrêté ; car nous soutenons que, par l’arrêté de 1844, il n’y avait pas de terme fixé pour la relâche. Aujourd’hui le gouvernement, contrairement à l’unanimité de la commission, a fixé trois jours, ce qui est tout à fait illusoire. Car il est impossible qu’en trois jours on puisse recevoir à Anvers une lettre de Cowes et y répondre.
Il faut donc absolument, messieurs, que l’on modifie l’article 5 dans le sens que j’ai indiqué hier, et qu’a indiqué aussi l’honorable M. Loos, qui n’a pas été plus loin que nous. Car l’un et l’autre nous faisons le sacrifice de nos opinions ; nous aurions désiré qu’on allât plus loin. Mais nous voulons réunir l’unanimité du commerce et nous désirons pouvoir même réunir celle de la chambre, pour qu’ainsi ou acquière la preuve que la demande que nous faisons ne peut nuire à aucun intérêt du pays. Car, messieurs, je le répète, je crois que chacun, dans cette chambre, doit défendre les intérêts généraux du pays et non des intérêts de localité. Quant au commerce d’Ostende, il n’est pas intéressé dans la question, nous ne pouvons lui nuire.
Je crois donc, messieurs, que le gouvernement devrait prendre l’engagement d’examiner la question avec attention ; il pourrait même s’adjoindre quelques membres de la chambre pour cet examen.
Si le gouvernement persistait dans la résolution de ne rien faire, je déclare qu’en acquit de ma conscience et guidé par l’intérêt du pays, j’engagerais mes honorables amis, députés d’Anvers, à faire avec moi une proposition à la chambre.
Plusieurs voix. - Faites-le.
M. Osy. - Vous savez, messieurs, qu’il est toujours très désagréable, lorsqu’on fait une proposition, d’avoir le gouvernement contre soi. Les députés d’Anvers fout tous quatre partie de l’opposition.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Qu’est-ce que cela fait ? Il ne s’agit pas d’une question d’opposition.
M. Osy. - Il vaudrait mieux, pour la solution d’une question aussi grave, que le gouvernement s’éclairât et que nous pussions être d’accord.
Cette question, je ne saurais trop le répéter, intéresse non pas Anvers mais tout le pays ; car Anvers, c’est tout le pays. (Réclamations.)
Messieurs, vous n’avez qu’un grand port de mer ; il est bien certain que la prospérité de cette place reflue sur tout le pays.
Messieurs, lorsqu’il s’agit de mesures favorables à l’industrie, vous ne nous trouvez jamais pour adversaires. Ainsi toutes les mesures que l’on nous proposera pour les Flandres seront accueillies par nous avec empressement ; nous nous empresserons d’y donner les mains, aussi bien qu’à toutes les mesures qui sont dans l’intérêt général du pays.
Mais, de votre côté, unissez vos efforts aux nôtres, en faveur de la seule ville commerçante que vous ayez ; en faveur d’une ville qui peut amener des richesses énormes dans tout le pays, d’une ville qui dans d’autres siècles avait la supériorité sur presque toutes les autres places de l’Europe.
Aujourd’hui, messieurs, que le fleuve est libre, n’allons pas indirectement, par de petits moyens, en rétablir nous-mêmes la fermeture. Donnons-nous au contraire la main pour que notre ville commerçante puisse reconquérir cette prospérité, cet éclat qu’elle possédait autrefois.
- La clôture est demandée.
M. Loos.- (contre la clôture). - Messieurs, je demanderai seulement à dire quelques mots ; je ne prendrai pus cinq minutes ; je ne rentrerai pas dans la discussion.
- La clôture est mise aux voix et n’est pas prononcée.
M. Loos. - Messieurs, je ne veux pas rentrer dans la discussion,. mon intention n’est pas de prolonger ce débat qui n’a, du reste, qu’un seul but, c’est de prier M. le ministre des affaires étrangères qui a le commerce dans ses attributions, ainsi que M. le ministre des finances, de s’engager vis à vis de la chambre, à revoir l’article 5 de la loi des droits différentiels.
Puisqu’une modification à cette loi, en ce qui concerne les cuirs, modification reconnue indispensable par le gouvernement lui-même, doit nous être proposée, je voudrais qu’à la même occasion on soumît à la chambre un projet de modification de l’article 5.
J’ai surtout, messieurs, désiré prendre la parole, pour répondre à quelques mots que j’ai entendus sortir de la bouche de M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances vous a dit : Le commerce n’est jamais content, on lui accorde quelque chose, et le lendemain ii est encore à vous demander.
Mais, en définitive, messieurs, le commerce n’est-il pas aussi bon juge que vous dans sa propre cause ? De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’intérêts commerciaux, et je crois que les théories du gouvernement, les théories de tel ou tel ministre ne doivent pas prévaloir sur l’opinion, sur l’expérience, sur les connaissances du commerce.
S’il s’agissait de l’industrie, je comprendrais parfaitement que l’opinion des membres appartenant plus particulièrement aux districts manufacturiers fût écoutée, qu’elle eût un grand appui dans cette chambre. Mais lorsque le commerce est unanime pour réclamer, non pas une faveur, mais une mesure qui ne coûte rien au pays, qui, au contraire, doit augmenter singulièrement les recettes du trésor sans nuire à aucune industrie, à aucune branche de la prospérité publique, je dis que vous devez accorder ce que demande la commerce.
Si le commerce réclame, qu’est-ce que cela prouve ? C’est que vous faites des lois contraires à l’intérêt du commerce. Mais cela ne prouve pas que le commerce n’ait pas de raisons légitimes de réclamer.
- La discussion générale sur le chapitre VI est close.
« Art. 1er. Ecoles de navigation : fr. 16,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Chambre de commerce : fr. 12,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Frais divers et encouragements au commerce : fr. 23,000. »
M. le président. - M. le ministre propose le retranchement d’une somme de 3,100 fr. qui a été ajoutée à l’article 2 du chapitre premier.
- L’article est adopté avec ce retranchement.
« Art. 4. Encouragements pour la navigation à vapeur entre les port belges et ceux d’Europe, ainsi que pour la navigation à voiles, sans que dans l’un ou l’autre cas, les engagements puissent obliger l’Etat au-delà du crédit alloué pour l’année 1847, et sans que les crédits puissent excéder 40,000 fr. par service : fr. 115,000. »
M. Osy. - Jusqu’à présent, messieurs, le gouvernement a donné des équipages aux navires qui font le voyage des Grandes-Indes. Cet avantage équivalait pour le navire à un subside d’environ 40,000 fr. ; mais comme le gouvernement donnait toujours un équipage plus fort que le navire ne l’avait besoin, et que cet équipage ne se composait que d’officiers, il en résultait des frais considérables pour le navire, et l’avantage que j’ai considéré comme représentant un subside de 40,000 fr., se trouvait ainsi considérablement réduit d’après des calculs que nous avons établis, Il n’équivalait pas, en définitive, à un subside de 15,000 fr. Cependant, pour accorder cette faveur à un navire, le gouvernement devait dépenser une somme qui s’élevait quelquefois jusqu’à 70,000 fr., et qui pour trois navires a atteint le chiffre de 179,000 fr.
Eh bien, messieurs, nous demandons à obtenir six départs au lieu de trois, pour les Grandes-Indes ; et je vais indiquer de quelle manière on pourrait atteindre ce but en réalisant une économie assez considérable. Or, maintenant que nous avons des arrangements commerciaux avec les Pays-Bas, nous pourrions chercher des produits plus avantageusement, à cause de la réduction des droits de sortie de Java. De cette manière nos navires qui vont en Chine ou à Manille pourraient trouver des retours avantageux. Nous demandons, messieurs, que le gouvernement favorise l’établissement de six départs pour les Grandes-Indes, en accordant une prime de 50 francs par tonneau, jusqu’à concurrence de 250 tonneaux par navire ; ce serait une dépense totale de 75,000 fr. pour les six départs. Vous voyez que l’économie serait considérable, puisque l’on a dépensé, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure 179,000 fr. pour trois départs, dans le système suivi jusqu’à présent.
Je demanderai donc au gouvernement s’il ne croit pas convenable d’employer ce moyen soit cette année soit l’année prochaine.
Je demanderai encore, messieurs, que pour l’instruction de nos officiers de marine, le gouvernement fasse comme on fait en Angleterre et en Hollande, c’est-à-dire, qu’il autorise les officiers de la marine royale à servir en temps de paix sur les navires marchands, sans perdre leurs droits d’ancienneté. De cette manière, on atteindrait parfaitement le but que l’on a eu en vue, relativement à l’instruction des officiers ; on ne serait pas obligé d’engager inutilement des matelots, et on réaliserait en même temps l’économie considérable que j’ai indiquée à la chambre.
Je crois également, messieurs, que la somme destinée aux primes pourrait être réduite de 9 mille francs par la suppression du subside qui avait été accordé à la ligne de New-York, et qui est devenu inutile, à cause des arrivages américains et de la possibilité où nous sommes maintenant d’utiliser ces navires, pour le transport des émigrants qui nous arrivent de l’Allemagne. Ces émigrants que nous avons enlevés à Brème, et qui sont extrêmement nombreux, procurent un avantage considérable au pays ; ils y dépensent beaucoup d’argent.
Je prierai M. le ministre de bien vouloir nous faire connaître son intention, relativement aux questions que je viens d’avoir l’honneur de lui soumettre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - J’ai déjà dit à la chambre que l’intention du gouvernement était en effet de supprimer le subside accordé à la ligne de navigation régulière à voiles entre Anvers et New-York. En 1846 le transport des émigrants dont le nombre s’est élevé à 12,000 et qui ont été transportés par 78 navires, ce transport a constamment tenu le fret à un taux très bas, plus bas même que celui qui est fixé pour la ligne de navigation subsidiée. Les occasions étant maintenant très fréquentes entre Anvers et New-York, il est inutile de continuer à subsidier cette ligne de navigation. Mais, messieurs, je ne puis pas cependant consentir à réduire le chiffre du budget, de 18,000 fr., car on pourra donner à cette somme un emploi fort utile.
L’honorable baron Osy a demandé quelle était l’intention du gouvernement, relativement à un système nouveau qui a été proposé par la chambre de commerce d’Anvers, et que l’honorable membre vient d’exposer, pour la navigation vers les Grandes-Indes, Singapore, Batavia, Manille et Canton.
Il y a maintenant pour ces parages trois départs desservis, c’est-à-dire, au moyen d’équipages fournis par la marine de l’Etat.
L’honorable député d’Anvers propose un autre système : il voudrait que l’on renonçât à accorder des équipages de l’Etat à la marine marchande et que l’on organisât six départs pour les Grandes-Indes, au lieu de trois, en subsidiant ces navires, comme on le fait pour les autres lignes, ce qui amènerait un transfert du budget de la marine au budget des affaires étrangères, chapitre Commerce.
Je dirai d’abord à l’honorable membre (et il l’a presque reconnu lui-même) que son système est irréalisable pour 1846. Je crois que si l’a voulait ouvrir des soumissions pour six départs pour les Grandes-Indes, on ne trouverait pas six soumissionnaires, ces opérations devant se préparer très longtemps d’avance. Mais faut-il renoncer au système d’accorder des équipages de l’Etat à la marine marchande ? Les deux objections présentées contre ce mode d’encouragement par la chambre de commerce d’Anvers et par l’honorable baron Osy, sont celles-ci : Les équipages de l’Etat font concurrence aux marins marchands ; les capitaines de la marine marchande perdent l’occasion des plus beaux voyages auxquels ils peuvent aspirer.
Messieurs, d’abord je ferai une remarque, c’est que jusqu’à présent les voyages aux Grandes-Indes, pour lesquels on a accordé des équipages de l’Etat, ont été en très petit nombre. Depuis 1842, il n’y a eu que neuf navires employés, c’est-à-dire qu’il n’y a eu que deux traversées annuellement. Ainsi donc, les capitaines pris dans la marine militaire n’ont pas fait une concurrence bien grande aux capitaines de la marine marchande. Quant à l’objection relative à l’emplacement plus grand que les équipages de l’Etat exigent, à la nécessité d’un plus grand nombre de marins et de navires, je ferai cette remarque qu’en général les navires expédiés aux Grandes-Indes ont un tonnage de 800 à 1,000 tonneaux. Or, l’excédant de personnel résultant du système employé n’est que de 1/3, et comme ces navires sont rarement chargés d’une manière complète, il ne résulte aucun inconvénient réel de cette augmentation de personnel.
Il ne faut pas oublier, messieurs, qu’il y a une très grande pénurie de matelots nationaux. Le nombre restreint de bâtiments que l’Etat envoie en mer ne peut servir de pépinière pour satisfaire à ses propres besoins. Le service des Grandes-Indes permet de placer sur chaque navire 20 à 30 novices ; l’on forme ainsi quelques marins, qui sortent ordinairement des dépôts de mendicité et des hospices d orphelins. On donne à ces jeunes gens des moyens d’existence, on décharge les budgets de ces établissements, et l’on crée des marins nationaux.
En outre, ces voyages vers les Grandes-Indes forment à la mer les jeunes aspirants qui sortent de notre école militaire, et l’on habitue nos officiers de marine à un commandement en mer. Ce résultat, il est important de ne pas le perdre de vue.
Le gouvernement ne croit donc pas pouvoir se rallier complétement à l’opinion qui a été émise par l’honorable membre. Mais pour l’année qui s’ouvre, mon intention est de faire cependant un essai dans ce sens. Ainsi, le gouvernement maintiendrait les trois départs pour les Grandes-Indes, en leur confiant des équipages de la marine de l’Etat : mais comme le subside pour la ligne de New-York sera supprimé, on pourra, comme essai, créer un service subsidié de plus pour les Grandes-Indes.
La commission directrice des lignes de navigation à voiles d’Anvers n’a pas partagé l’opinion de la chambre de commerce de cette ville ; elle a cru qu’il était impossible de créer cette année six départs pour les Indes ; elle a demandé qu’il y eût quatre départs ; eh bien, il y aura quatre départs, dont trois avec des équipages de l’Etat, et un subsidié directement par le gouvernement. Si l’excédant du budget permet d’établir une seconde ligne sur les lndes, le gouvernement examinera s’il doit donner la préférence à cette seconde ligne ou à un départ nouveau vers Valparaiso.
- L’article 4 est mis aux voix et adopté.
« Art. 5. Primes pour construction de navires : fr. 35,000. »
- Adopté.
« Art. 6. Pêche maritime : fr. 400,000. »
M. Donny. - Messieurs, le dernier traité hollando-belge a porté un coup mortel à la pêche nationale ; pour moi, cela est évident. Je sais bien que malheureusement la même évidence ne frappe pas les yeux de M. le ministre des affaires étrangères ; mais je vais avoir l’honneur de présenter à la chambre, et à M. le ministre, quelques faits et quelques considérations qui seront de nature à le faire changer d’opinion, à moins qu’il n’ait déjà pris définitivement son parti sur le sort qui attend la. pêche nationale.
Avant le traité qu’on vient de conclure avec la Hollande, voici quelle était la position de la pêche nationale : les pêcheurs qui reçoivent les deux tiers des produits bruts de la pêche, qui n’ont aucun capital à risquer ni à conserver, qui dès lors peuvent consommer au jour le jour tout ce qu’ils reçoivent ; les pêcheurs vivaient dans l’aisance ; mais les armateurs, qui ne reçoivent qu’un tiers du produit brut et qui voient d’année en année décroître d’une manière excessivement rapide les capitaux engagés dans les armements ; les armateurs étaient loin de se trouver dans un état prospère, et ce qui le prouve, c’est que le compte général clos vers Pâques, n’a présenté aucun bénéfice aux armateurs, considérés en masse. Il résulte de là que la campagne de l’hiver dernier, a eu pour résultat, non seulement que les armateurs n’ont reçu aucun dividende, mais encore qu’ils n’ont retiré aucun intérêt de leurs capitaux engagés. Maintenant je dis que si telle était, dès avant la conclusion du traité, la position des armateurs, tout le monde doit convenir que, depuis le traité, leur situation doit devenir extrêmement mauvaise, à moins qu’on ne veuille soutenir que le traité avec la Hollande ne peut produire aucun résultat avantageux pour la pêche hollandaise et aucun résultat défavorable pour notre pêche nationale.
(page 161) Ce n’est pas tout ; avant le traité la pêche nationale produisait déjà beaucoup trop de morue pour la consommation du pays ; parmi un grand nombre de faits que je pourrais citer à l’appui de ce que j’avance, j’en choisirai seulement deux. L’un de ces faits, c’est qu’il y a déjà quelques années, l’on a été tellement frappé de la surabondance du produit de la pêche de la morue en Belgique, qu’on a établi une sécherie de morue à Ostende et qu’on a exporté vers le Levant une quantité considérable de poisson à l’état de morue sèche. Le deuxième fait est plus récent : A la date du 22 février 1846, il se trouvait encore dans les magasins des armateurs d’Ostende au-delà de 300 tonnes de morue qui depuis longtemps attendaient vainement des acheteurs ; à Nieuport, il y en avait encore 500 tonnes, dont 300 entre les mains d’un seul armateur. S’il y a quelque doute à ce sujet, soit dans l’esprit de M. le ministre, soit dans l’esprit de quelques membres de cette chambre, je m’empresserai d’indiquer les noms des armateurs, détenteurs de ces quantités de morue.
Mais s’il est constant que la pêche nationale produit déjà une surabondance de morue, qu’arrivera-t-il quand la Hollande viendra importer 5,000 tonnes de morue de plus, c’est-à-dire viendra jeter sur notre marché, déjà surchargé, une quantité de morue égale au tiers de la consommation du pays.
Je puis maintenant, messieurs, vous présenter autre chose que des raisonnements ; je puis vous mettre sous les yeux des résultats positifs.
L’année 1846 s’est passée tout entière sous l’influence du traité. Il est vrai que le traité n’a été conclu que vers le milieu de l’année ; mais la crainte qu’avaient les armateurs de voir conclure un traité nuisible à leur industrie, et, d’un autre côté, l’espérance qu’avaient conçue les acheteurs que le traité serait favorable à leurs intérêts ; ces craintes et ces espérances ont influé, dès le commencement de l’année, sur les prix de vente de la morue. Les résultats de 1846 peuvent donc être considérés comme les premiers résultats du traité.
J’ai comparé les produits de la pêche d’été de 1846 avec les produits de la pêche d’été de 1845, et j’ai fait cette comparaison en me basant sur des chiffres officiels, sur des chiffres puisés dans des procès-verbaux dressés par officier public et dûment enregistrés, sur des chiffres qui servent à régler les comptes des armateurs et des pêcheurs.
Voici les résultats que m’ont donné ces chiffres. Pendant l’été de 1846, la flotte d’Ostende a rapporté, en nombre rond, 1,800 tonnes de morue de plus que pendant la campagne d’été de 1845 ; et malgré cet accroissement considérable, les produits de la campagne de 1846 se sont vendus 19 mille francs de moins que les produits de la campagne de 1845. La baisse en 1846, comparativement à 1845, a été en moyenne de 7 francs par tonne de morue.
Voici maintenant d’autres résultats, basés sur les mêmes chiffres. En 1845, les produits de la pêche d’été ont été, terme moyen, par chaloupe, de 4,313 francs brut ; et en 1846, ils n’ont été que de 3,908. Voilà donc 405 fr. de différence par chaloupe entre les résultats de 1846 et ceux de 1845.
Je sais, messieurs, que la petite quantité de poisson frais que fournit notre pêche d’été s’est vendue à un prix assez avantageux ; je sais que le hareng n’a pas été placé non plus d’une manière défavorable ; je sais que, de temps à autre, on a fait de bons prix de la morue vendue sur le marché d’Ostende ; je sais que l’on en a même obtenu jusqu’à 44 et 46 fr. ; mais je sais aussi que ces bons prix n’ont été obtenus que d’un millier de tonnes de morue et que par contre, le restant, s’élevant à plus de 11 mille tonnes, s’est vendu à des prix excessivement bas, et tellement bas que malgré le bon placement d’un millier de tonnes de morue, on est encore arrivé à ce résultat affligeant que je viens d’avoir l’honneur de vous signaler. Encore, veuillez-le remarquer, je ne viens de vous parler que de la pêche d’été. Or, pendant l’été, la lutte entre la pêche hollandaise et la pêche nationale est peu vive ; ce n’est qu’en hiver qu’elle devient sérieuse. Voulez-vous en savoir la raison ? la voici :
En été la pêche nationale produit très peu de poisson frais, et la pêche hollandaise produit très peu de morue dans cette saison. Les Hollandais pêchent le hareng, et nous nous pêchons la morue. Mais en hiver les deux pêches rivales produisent l’une et l’autre de la morue, l’une et l’autre du poisson frais. C’est donc en hiver que la lutte va devenir redoutable, et ce qui s’est passé durant la campagne d’été, dit vous donner la conviction que la lutte d’hiver sera écrasante pour notre pêche. Que doit-il résulter d’un pareil état de choses ?
L’armateur belge fera, dans des circonstances aussi fâcheuses, ce que ferait tout autre fabricant, tout autre producteur, tout autre négociant. Se trouvant en présence d’une perte inévitable, d’une perte qui doit se renouveler de jour en jour pendant cinq ans, l’armateur belge se retirera, et en se retirant, il laissera tomber l’industrie nationale de la pêche.
Voilà le résultat nécessaire du traité. Et pourquoi, messieurs, a-t-on porté à la pêche ce coup mortel ? Vous le savez : uniquement pour favoriser quelques autres industries du pays, et pour favoriser des industries dont M. le ministre des affaires étrangères était venu, peu de temps auparavant, vous présenter le tableau le plus brillant.
Je conclus, messieurs, de tout ce que je viens de dire, qu’il est de la justice du pays, qu’il est de l’intérêt général de la Belgique, qu’il est surtout de l’intérêt des industries favorisées par le traité hollando-belge, de venir au secours de la pêche, de prendre toutes les mesures nécessaires pour que cette industrie ne disparaisse pas du sol de la Belgique.
Faut-il faire, messieurs, de grands efforts pour vous démontrer que cela est juste ? Je ne le pense pas ; car il me semble évident qu’il est juste que l’on soutienne, par les efforts réunis de tous, une industrie qui n’a été frappée que dans l’intérêt de tous. C’est là, du moins, mon opinion ; mais je suis heureux de pouvoir ajouter que cette manière de voir n’est pas une opinion isolée.
En effet, si ma mémoire est fidèle, l’honorable M. Nothomb vous a dit, dans la discussion générale du traité hollando-belge, que ce serait poser un acte d’immoralité que de sacrifier une industrie du pays, afin de procurer à d’autres industries des places privilégiées sur les marchés étrangers ; et l’honorable M. Nothomb ajoutait que, parce que si l’on était obligé de frapper la pêche nationale dans l’intérêt d’autres industries, on viendrait au secours de l’industrie frappée, on soutiendrait la pêche, on l’empêcherait d’être sacrifiée.
L’honorable ministre des affaires étrangères n’a pas été aussi explicite en séance publique, je le sais ; mais je me permettrai de fait ici un appel à sa loyauté ; et je suis persuadé que cet appel sera entendu. Je suis persuadé que l’honorable M. Dechamps ne viendra pas me démentir, lorsque j’affirmerai, du haut de la tribune, que dans les conférences si nombreuses que j’ai eu l’honneur d’avoir avec lui, que dans les conférences si nombreuses qu’il a accordées aux armateurs de la pêche, il n’y a en pas eu une seule peut-être dans laquelle l’honorable ministre n’ait déclaré de la manière la plus formelle, de la manière la plus explicite, qu’il serait accordé des compensations à la pêche nationale, que la pêche nationale ne devait pas périr, qu’elle serait soutenue, qu’elle ne périrait pas.
Cet appel, messieurs, que je viens de faire à la loyauté de M. le ministre, je pourrai l’étendre et l’adresser à plusieurs de mes honorables collègues, qui, dans des conversations particulières, ont reconnu qu’il était juste de venir au secours de la pêche, lorsqu’il fallait la frapper dans l’intérêt d’autres industries, dans l’intérêt général du pays.
Mais, je le sais, si pour l’honneur des corps législatifs, il faut admettre qu’en général ils ne font que ce qui est juste, il faut bien reconnaître aussi qu’ils ne font pas toujours tout ce qui est juste ; que s’ils se laissent guider le plus souvent par la justice, ils consultent aussi très volontiers l’intérêt général du pays. Et il arrive quelquefois que l’intérêt général ne se trouve pas en parfaite harmonie avec les principes sévères de la justice.
Mais ici, messieurs, je suis heureux de pouvoir le constater, la justice, l’intérêt général du pays, l’intérêt particulier des industries favorisées par le traité, tous marchent d’accord. C’est ce que je vais avoir l’honneur de vous démontrer.
Le traité hollando-belge qu’on considère généralement comme avantageux au pays, et qui est incontestablement très avantageux à certaines industries, n’est pas un traité perpétuel ; il n’a de force obligatoire que pendant cinq ans. Je vais, messieurs, examiner ce qui doit arriver au bout de ce terme, d’une part dans l’hypothèse de la ruine de notre pêche nationale, d’autre part, dans l’hypothèse de la conservation de cette industrie ; et de cet examen résultera la preuve que je me suis engagé à vous fournir.
Et d’abord je me place dans l’hypothèse de la ruine de notre pêche nationale.
Pendant les cinq années que doit durer le traité, les industries favorisées par cet acte vont se développer, vont étendre, autant qu’elles le pourront, leurs exportations vers les Pays-Bas, et au bout des cinq années, la position de ces industries sera telle que le gouvernement belge se trouvera dans la nécessité, non seulement de demander, mais d’obtenir le renouvellement du traité.
Alors, MM. les ministres, comment vous y prendrez-vous pour obtenir ce renouvellement ? Vous savez aussi bien et mieux que moi qu’en diplomatie celui qui n’a rien à offrir, qui n’a rien à proposer, qui n’a aucune menace à faire, est certain d’avance de ne rien obtenir. Eh bien, je vous le demande, qu’aurez-vous à offrir dans cinq ans, dans l’hypothèse de la ruine de votre pêche nationale ? Rien, absolument rien. En vain proposerez-vous à la Hollande le maintien des droits réduits fixés par le traité actuel. La Hollande vous dira : « Aujourd’hui que le marché de votre pays m’est assuré, je tiens assez peu aux chiffres de votre tarif. La question de tarif n’est plus une question entre vous et moi. La question de tarif est une question entre le trésor belge et le consommateur belge. Elevez votre tarif, abaissez votre tarif, peu m’importe. Il faudra toujours que votre population acceptent mon poisson. » Et si MM. les ministres s’avisaient de menacer la Hollande d’une prohibition complète des produits de la pêche, les ministres hollandais pourraient leur répondre : « Prohiber les produits de ma pêche !... vous, pays catholique, qui n’avez d’autre poisson que celui que je vous envoie ! Mais vous n’y songez pas !... La menace n’est pas sérieuse ; car elle deviendrait ridicule, si elle l’était. »
Je me place, maintenant, messieurs, dans l’hypothèse contraire, et je suppose que par des mesures sages on soit parvenu à conserver la pêche nationale.
Le traité aura répandu, pendant cinq années, sur le littoral des Pays-Bas, tous les bienfaits qu’il peut y produire ; une honnête aisance aura remplacé la misère profonde qui y règne aujourd’hui, et le renouvellement du traité sera devenu pour la pêche néerlandaise un besoin impérieux qui réagira sur le gouvernement des Pays-Bas ; et qui le dominera à tel point que ce gouvernement sera forcé, sinon de demander, du moins de désirer le renouvellement du traité. Et s’il n’en était pas ainsi, si le (page 162) gouvernement néerlandais faisait alors des difficultés, s’il se montrait déraisonnable, mais la Belgique aurait en main le moyen de le mettre immédiatement à la raison. En possession d’une pêche qui pourrait suffire aux besoins du pays, le gouvernement belge serait à même de dire à la Hollande : « Si le traité n’est pas renouvelé, si vous exigez des conditions déraisonnables, je prohiberai d’une manière complète tous les produit de votre pêche nationale. » Et, messieurs, la prohibition absolue des produits de la pêche néerlandaise jetterait dans le désespoir la population du littoral de la Hollande déjà habituée à l’aisance. C’est là une arme puissante, une arme à laquelle la Hollande ne pourrait résister, et quand on a en main une arme de cette force, on ne doit pas craindre le non- renouvellement du traité, et on est certain d’obtenir de nouveau les faveurs que le traité actuel accorde à certaines industries.
Messieurs, il me reste à traiter une autre question, et ce n’est pas la moins importante.
Que faut-il faire pour conserver la pêche nationale en présence du traité qui la frappe ?
J’ai demandé, il y a quelques jours, à M. le ministre des affaires étrangères, ce qu’il comptait faire dans ce sens. Il m’a dit qu’il serait apporté des modifications au système des octrois ; il m’a dit encore qu’il serait apporté au tarif du chemin de fer, des modifications qui permettraient au producteur belge d’aller à l’étranger à la recherche de nouveaux consommateurs ; il m’a dit enfin que l’on vous proposerait une augmentation du crédit qui se trouve au budget, augmentation qui, si je ne me trompe, s’élèverait à 20,000 francs.
Voilà tout ce que le gouvernement est disposé à faire pour la pêche nationale.
Messieurs, quant à la mesure qui doit modifier les octrois, et quant à celle qui doit modifier le tarif du chemin de fer, ce sont sans doute des dispositions fort utiles, et je les appelle de tous mes vœux. Mais ce serait se faire une étrange illusion que de croire qu’au moyen de mesures semblables on puisse parvenir à contrebalancer les effets désastreux d’une importation de 5 mille tonnes de morue et de 2 millions de kilogrammes de poisson frais. Et puis, alors même qu’on pourrait obtenir un semblable résultat, ce résultat ne serait pas immédiat ; il ne se réaliserait complétement que dans quelques années, et dans quelques années, vous n’aurez plus de pêche nationale.
Quant à l’augmentation du subside, pour se rendre compte de ce que peut faire une majoration de 20,000 francs par exemple, il faut se demander quelle est la gravité de la blessure faite à la pêche nationale. Je vais, messieurs, tâcher de vous donner une idée de cette gravité, en fixant un maximum et un minimum, et en supposant que la vérité doit se trouver entre ces deux limites extrêmes.
Voici, messieurs, comment je procède pour fixer mon maximum. Puisque la pêche nationale produit déjà trop de morue, il se peut que l’introduction de 5,000 tonnes de morue provenant de la pêche des Pays-Bas, occasionne le non-placement de pareille quantité de morue produite par la pêche belge. Il est très permis de supposer ce résultat, surtout lorsqu’on calcule un maximum. 5,000 tonnes de morue à 40 fr. en moyenne, voilà une perte de 200,000 fr. Si maintenant je fais un calcul analogue eu ce qui concerne le poisson frais, j’arrive à une autre perte d’au moins 300,000 fr. Le maximum de la perte annuelle dont la pêche nationale est menacée, peut ainsi être fixé à 500,000 fr.
Voici maintenant comment je fixe mon minimum. Je suppose que l’industrie de la pêche nationale pourrait parvenir à placer en Belgique tout ce qu’elle y fait consommer aujourd’hui. C’est là, chacun en conviendra, un résultat pour ainsi dire chimérique, résultat que l’on ne peut supposer que parce qu’il s’agit d’établir un minimum. Mais, pour arriver à ce résultat, que je crois pouvoir qualifier de chimérique, il faut nécessairement qu’on baisse les prix dans une proportion considérable. Vous conviendrez, messieurs, que l’on ne parviendra jamais à faire manger 5,000 tonnes de morue de plus en Belgique sans attirer de nouveaux consommateurs par des prix excessivement réduits.
Eh bien, cette baisse de prix, cette baisse nécessaire pour placer tout ce qu’on place aujourd’hui, se fera sentir à un degré plus ou moins grand sur toutes les ventes de l’année ; mais comme je calcule un minimum, je restreindrai la baisse à une quantité de 5 mille tonnes seulement, et je réduirai le chiffre de cette baisse au chiffre de la réduction que le traité a opérée sur le tarif des douanes ; c’est-à-dire, que je me bornerai à fixer la perte sur la morue à 15 fr. par tonne. Or, 15 fr. sur 5,000 tonnes, voilà 75,000 fr.
Opérant d’une manière analogue pour le poisson frais, j’arrive de ce chef une perte d’au moins 125,000 fr., et je fixe ainsi mon minimum à 200,000 fr.
La perte qui doit être subie par la pêche nationale se trouve donc entre un minimum de 200,000 fr. et un maximum de 500,000 fr. par an, et j’ai la conviction intime qu’en raisonnant ainsi je ne m’écarte pas de la vérité.
Je demande maintenant, messieurs, ce que sont 20.000 fr. de majoration en présence d’une perte de 200,000 à 500,000 fr. !
J’ai parfaitement senti, lorsque j’ai présenté mon amendement, qu’il était inutile de demander une compensation pleine et entière de la perte que doit subir la pêche nationale ; la chambre ne me l’eût pas accordée. Aussi, j’ai réduit le chiffre de la majoration que j’ai l’honneur de demander autant qu’il m’était possible de le faire, et je l’ai tellement réduit, que l’honorable ministre des affaires étrangères ne pourra, sans inconséquence, pour ne pas dire plus, taxer ce chiffre d’exagération.
Messieurs, veuillez remarquer qu’une majoration de 100,000 fr. ne peut compenser qu’une diminution de 2 fr. par tonne de morue, et de 2 fr. par quintal métrique de poisson frais, et que déjà, je vous l’ai prouvé, cette année-ci, la baisse sur la morue a atteint le chiffre de 7 fr. par tonne.
J’ai d’ailleurs une autre observation à vous faire, et c’est par là, messieurs, que je vais terminer. Cette observation est importante ; elle mérite toute votre attention, et j’espère qu’elle sera de nature à me concilier quelques votes.
Par suite du traité que nous venons de conclure, la Hollande va nous importer 5,000 tonnes de morue et 2 millions de kilogrammes de poisson frais de plus qu’à l’ordinaire. Cette introduction aura lieu à des droits réduits, mais elle ne se fera pas en franchise de droits ; le trésor fera de ce chef une recette extraordinaire, une recette qu’il n’aurait pas faite si le traité n’avait pas été conclu, si la pêche nationale n’avait pas été frappée aussi cruellement qu’elle l’est. Le trésor recevra, de ce chef, sur 5,000 tonnes de morue, à raison de 40 fr., 50,000 fr. ; il recevra, sur 2 millions de kilogrammes de poisson frais, à raison de 9 fr. et de 5 fr. par quintal métrique, au-delà de 100,000 fr. Le trésor est donc appelé, par suite du traité, par suite du coup porté à la pêche nationale, à faire une recette extraordinaire de 150,000 fr. au moins.
Ainsi, messieurs, lorsque je propose une augmentation de 100,000 fr., je ne propose aucune charge nouvelle, je ne demande pas une obole au trésor, je ne sollicite qu’une part de la recette extraordinaire que fera le trésor par suite du sacrifice de la pêche. Et, messieurs, si, comme l’a dit M. Nothomb, il est immoral de frapper une industrie pour en favoriser une autre, il serait cent fois plus immoral encore de frapper une industrie pour enrichir le trésor ; il serait cent fois plus immoral encore de permettre que le trésor perçoive en quelque sorte le prix de la vente de notre industrie à l’étranger, et cela tout en refusant à cette industrie la part qu’elle réclame, comme condition d’existence, comme nécessité.
J’espère, messieurs, que ces considérations vous détermineront à adopter mon amendement.
- La séance est levée à 4 heures.