(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1967) M. Dubus (Albéric) procède à l'appel nominal à onze heures et un quart.
M. Huveners donne ensuite lecture du procès-verbal de la dernière séance.
La rédaction en est adoptée.
M. A. Dubus communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« La dame Naidet, veuve du sieur Hersens, décoré de la croix de Fer, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les fabricants de tissus de laine dans l'arrondissement de Turnhout, présentant des observations contre l'article 23 du traité conclu avec les Pays-Bas, demandent le maintien du droit d'entrée de 160 fr. par 100 kilog., établi par l'arrêté royal du 14 juillet 1843. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
M. de Lannoy, dont l'admission a été prononcée dans la dernière séance, prête le serment prescrit par le congrès.
M. Veydt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner les budgets de la dette publique et des dotations pour l'exercice 1847.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué ; l'époque de la discussion sera ultérieurement fixée.
M. Eloy de Burdinne. - Le traité du 29 juillet, conclu entre la Belgique et la Hollande, n'obtiendra pas mon vote approbatif. Je devrai m'abstenir ou voter contre, malgré le vif désir que je professe de maintenir des rapports d'amitié et de bon voisinage entre nous et la Hollande. N'ayant pas contribué aux dissentiments qui ont éclaté en janvier dernier, entre la Hollande et la Belgique, par suite de dispositions prises par notre gouvernement, je n'ai aucun devoir à remplir pour les réparer en faisant des sacrifices pour y parvenir.
Cette tâche est réservée à ceux qui ont provoqué ce dissentiment. Les sacrifices à faire pour rétablir la bonne amitié entre les deux nations, doivent être supportés par ceux qui en ont été la cause, et non par les pêcheurs, les éleveurs de bétail et les fabricants de divers étoffes de laine.
Je ne conteste pas quelques avantages concédés par la Hollande en faveur de la Belgique. Mais je conteste qu'ils soient de nature à compenser les sacrifices que la Belgique fait en faveur de la Hollande.
Les concessions que nous fait la Hollande sont telles qu'elles ne nuisent en rien à son industrie, tandis que les concessions que nous faisons à la Hollande sont avantageuses à l'industrie de la pêche, à l'industrie agricole, aux fabriques de coatings, calmoucks, duffels, etc., néerlandaises, et désastreuses aux industries similaires belges, la pêche, l'élève du bétail, et les fabriques de coatings, etc. Par le traité la Hollande ne fait aucun sacrifice, elle en exige de nous en faveur de trois de ses industries et de son commerce.
Nous avions toujours cru que la pêche nationale avait besoin de protections, on nous a même entraînés à faire des sacrifices pour soutenir cette industrie, nous donnons annuellement un subside de 40 mille fr. aux pêcheurs.
M. le ministre des affaires étrangères dans son exposé des motifs pour apprécier le traité nous dit, page 12, que le droit réduit de 9 fr.et de5 fr. constitue encore une protection suffisante, pour soutenir la concurrence étrangère, en ce qui concerne la pêche nationale.
Si, par suite d'une réduction de protection de 9 et 5 fr. sur l'entrée du poisson étranger, il reste encore aux pêcheurs belges le moyen de soutenir la concurrence étrangère, comme le dit M. le ministre des affaires étrangères, je lui demanderai comment il se fait que la pêche nationale, avec une protection de 9 et 5 fr. en plus dont elle a joui depuis plusieurs années, ne pouvait soutenir cette concurrence, et que pour encourager cette industrie, l'Etat a accordé une prime de 40 mille fr. annuellement.
Si la pêche nationale peut soutenir la concurrence étrangère avec une protection réduite, à plus forte raison pouvait-elle la soutenir avec une protection en plus de 9 et 5 fr.
D'après ce dilemme, qu'on veuille bien m’expliquer et justifier le subside demandé pour l'encouragement de la pêche nationale. Si, comme le dit M. le ministre, les pêcheurs belges peuvent soutenir la concurrence étrangère au moyen du droit réduit sur les produits similaires étrangers, le gouvernement est coupable d'avoir réclamé un subside de quarante mille francs en faveur de la pêche nationale, il a dilapidé nos finances.
Nous devons sans doute protection à toutes les industries, nous devons leur garantir le marché intérieur, mais nous ne devons de prime à aucune, ou bien nous en devons à toutes : tels sont mes principes.
La commission de pêche d'Ostende n'est pas d'accord avec M. le ministre, cette commission prétend que l'adoption du traité est la ruine de la pêche nationale ; pour mon compte, je suis porté à partager la même opinion.
Nous sacrifions la pêche nationale à la pêche hollandaise, comme, naguère, nous avons sacrifié la fabrication du sucre indigène à la fabrication du sucre indien ; en un mot, nous sacrifions l'intérêt de nos classes ouvrières et pauvres en faveur des classes pauvres étrangères, et finalement nous faisons tout ce qu'il faut pour procurer de l'aisance à l'étranger, et la misère à nos classes ouvrières.
Mes conclusions ne se bornent pas aux pauvres pêcheurs, elles ont aussi rapport aux ouvriers des fabriques de coatings, calmoucks, duffels, etc., ainsi qu'aux éleveurs de bétail dont le plus grand nombre appartient, dans la plus grande partie du pays, à la classe nécessiteuse ; sur cent veaux qu'on élève en Belgique 70 au moins sont élevés par la classe ouvrière.
Par suite de la réduction de protection, cette classe d'éleveurs réduira le nombre d'élèves, ce qui rendra le bétail moins abondant, et par suite, loin de faire diminuer le prix de la viande, sera une cause de renchérissement.
Si l'on veut obtenir les produits à bon marché, on doit encourager la production.
On conçoit les exigences de la Hollande envers la Belgique. Cette exigence est facile à expliquer, c'est l'effet de la mauvaise humeur.
Nous venons de voter une loi. (La loi des sucres.)
Cette loi constitue le trésor belge dans une dépense de 3 à 4 millions pour le plaisir de nuire aux produits des sucres des colonies hollandaises. Au moyen du sacrifice que fait le trésor belge, nos raffineurs de sucres havanais peuvent concourir sur les marchés étrangers avec les raffineurs hollandais qui raffinent le sucre de leurs colonies.
Cette conduite est de nature à indisposer contre nous et le gouvernement et la nation hollandaise, qui ne doit voir dans notre conduite que le seul plaisir de nuire tout en dépensant trois à quatre millions annuellement, en renonçant à faire produire à notre sol pour plus de dix millions de plus qu'il ne produit, en renonçant à priver de travail nos classes ouvrières qui manquent d'ouvrage, en nuisant à diverses industries qui alimentent de leurs produits les fabriques de sucre indigène ; en un mot, en nuisant à la généralité de la nation en faveur de l'étranger.
Si, avant de voter la loi des sucres, on avait proposé à la Hollande de renoncer à lui faire concurrence sur les marchés étrangers avec des sucres de la Havane raffinés en Belgique, vous eussiez obtenu de meilleures conditions pour l'entrée de vos houilles, de vos fers et d'autres produits, sans devoir sacrifier les pêcheurs belges, et les ouvriers des fabriques de coatings, calmoucks et autres étoffes, ainsi que les éleveurs de bétail belge.
Il est à regretter que cette loi est la cause de notre position. En repoussant le traité, on pourrait revenir sur la loi des sucres, qui doit moins intéresser Anvers aujourd'hui, par suite de la loi anglaise. Les Anglais s'approvisionneront à la Havane, et, par suite, on verra renchérir le sucre brut, de manière à le porter à un taux qui ne permettra plus aux raffineurs belges de lutter à l'étranger avec les raffineurs hollandais, et par suite on verra dépérir l'industrie du raffinage du sucre exotique en Belgique, après que nous aurons anéanti une industrie pleine d'avenir, la fabrication du sucre indigène, après avoir sacrifié trois à quatre millions d'impôt en faveur des raffineurs, après avoir renoncé à faire produire au pays huit à dix millions en plus qu'il ne produit, après avoir sacrifié l'intérêt des classes ouvrières ainsi que l'intérêt des diverses industries dont les produits sont nécessaires à la fabrication du sucre.
Tous ces sacrifices sont aujourd'hui faits en pure perte. Il ne reste aujourd'hui qu'à repousser le traité, à renoncer à faire concurrence à la Hollande avec les sucres, en révisant la loi, et à traiter de nouveau, et nous obtiendrons de nouvelles conditions plus favorables.
Les sacrifices que j'ai signalés ne sont pas les seuls. Par le traité nous laissons entrer le bois hollandais sous le nom de perches qui sont (page 1968) désignées ayant 70 centimètres de circonférence, ce qui est en diamètre 7 à 8 pouces, et ces prétendues perches sont des bois de construction, et on fait cette concession au moment où nous voulons encourager le défrichement de nos bruyères appelées à produire des perches dès le début du défrichement.
Tel est le bel encouragement que nous donnons en perspective aux Belges disposés à faire la dépense que réclame le défrichement de nos bruyères.
Avant de terminer j’avais quelque chose à dire à l'honorable M. Osy que je regrette de ne pas voir dans cette enceinte... (M. Osy reparaît.) Je répondrai, en terminant, quelques mots à l'honorable M. Osy. A la séance d'hier cet honorable membre a regretté notre révolution. Je dois dire que je n'ai pas été plus que lui le promoteur de cette révolution, mais dès que le pays l'a résolue comme le seul moyen de faire cesser des griefs dont il avait trop longtemps souffert, je m'y suis associé.
C'est un regret tardif qu'éprouve l'honorable membre. Mais on a raison de dire : la caque sent toujours un peu le hareng, et les épluchures d'orange, quelque vieilles qu'elles soient, sont toujours amères.
Nous devons, aujourd'hui que nous avons conquis notre indépendance, oublier les griefs que nous avions, non contre la nation hollandaise, mais contre le souverain qui n'est plus, et chercher à nous donner la main, à faire de bons traités de commerce ; nous ne devons pas exiger que tout dans les traités soit fait dans l'intérêt de telle ou telle industrie, mais dans l'intérêt général du pays.
Voilà quelle est ma manière de voir, quels sont mes sentiments.
M. Osy. -Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, hier en parlant de la situation de la Belgique avant 1830, j'ai démontré seulement que la Belgique trouvait de grands avantages dans la possession du marché de la Hollande et de ses colonies ; j'ai rappelé qu'au congrès avant l'arrivée du souverain, j'ai fait ressortir combien sous le rapport des intérêts matériels l'union avec la Hollande était utile à la Belgique ; mais j'ai dit aussi que depuis l'arrivée du souverain, je n'avais cessé de défendre l'indépendance de la Belgique et de déclarer que jamais je ne me soumettrais à aucune puissance étrangère. C'est pour cela que j'ai fait ressortir les désavantages de la convention. Cependant partageant la manière de voir que vient d'exprimer l'honorable préopinant, je sacrifierai les intérêts spéciaux qui me sont confiés aux intérêts généraux du pays et je voterai pour la convention, toutefois en maintenant tout ce que j'ai dit pour les désavantages et les sacrifices imposés à vos ports de mer.
M. Rogier. - J'avais demandé la parole au moment où mon honorable collègue et ami, le député d'Anvers, s'exprimait, à l'égard de la révolution belge, en termes que je ne pouvais pas accepter. Les explications que cet honorable membre vient de donner, pourraient, à la rigueur, me dispenser de répondre à son discours d'hier. Je n'avais pas demande la parole pour défendre le traité, car je n'en suis pas tellement partisan que je veuille figurer au premier rang de ses défenseurs. Si cependant la chambre veut bien me le permettre, puisque j'ai la parole, je m'expliquerai sur le traité.
M. le président. - J'avais classé les divers orateurs, afin que tous ceux qui doivent parler contre le traité ne vinssent pas les uns après les autres. Voilà comment il se fait que M. Rogier se trouve inscrit parmi les orateurs qui doivent parler pour le traité, parce que je connaissais son vote à la section centrale.
M. Rogier. - Messieurs, l'union commerciale avec la Hollande me paraîtrait un fait très désirable pour la Belgique. Dès l'année 1835, alors que le gouvernement nous proposait d'augmenter les droits, particulièrement contre l'introduction du bétail hollandais, je combattis cette proposition. Je la combattis d'abord au point de vue des intérêts généraux ; je la combattis aussi comme une mesure particulièrement hostile à la Hollande. Je disais alors, et bien que nous fussions encore à l'état de guerre pour ainsi dire avec nos voisins, qu'il importait à la Belgique de maintenir de bonnes relations avec la Hollande ; que, séparés d'avec elle au point de vue politique, nous devions chercher, autant que nous le pouvions, à rétablir nos relations commerciales, à maintenir notre communauté matérielle.
Sous ce rapport, donc, je suis grand partisan de l'alliance la plus intime avec la Hollande. Je l'ai dit dès 1835 ; ce n'est pas à la nation hollandaise que nous avons fait la guerre ; ce n'est pas le peuple hollandais que nous avons repoussé du pays.
Mais, messieurs, d'une alliance intime avec la Hollande, au point de vue de nos intérêts matériels, à une fusion complète sous l'ancien gouvernement, il y a un abîme ; et si le regret de qui que ce soit devait porter sur l'ancien régime que nous avons repoussé, jamais, messieurs, nous ne pourrions nous associer à de pareils regrets. (Très bien ! très bien !)
Il ne faut pas qu'on se fasse illusion au-delà de la frontière. Il y a dans le pays des divisions, mais ces divisions c'est la vie des pays libres, c'est le ressort des gouvernements représentatifs. Il y a dans le pays une grande opinion qui est mécontente, une opinion injustement, profondément froissée. Mais cette opinion, messieurs, est nationale. Le jour ou la nationalité se trouverait menacée, on la verrait, comme on l'a vue en 1830, à la tête du pays pour défendre son indépendance et ses libertés.
Ce qui me plaît, messieurs, dans le traité avec la Hollande, c'est un retour, retour incomplet encore, mais c'est un retour vers les idées que nous considérons comme les idées saines en économie publique.
Nous avons toujours combattu les systèmes qui ont eu pour but ou pour résultat d'isoler la Belgique, dans ses relations avec les autres nations. Nous avons cru que la prospérité de la Belgique pouvait facilement se concilier avec un système de commerce libéral. Tant que nous avons pu, nous avons résisté aux entraînements et des chambres et du gouvernement pour le système prohibitif.
Sous ce rapport le gouvernement a plus d'un reproche à se faire. Depuis quelques années, surtout, sa conduite a été marquée au coin d'une versatilité déplorable. Nous l'avons vu successivement accorder à toutes les industries des plus grandes protections, puis successivement retirer à ces mêmes industries ces mêmes protections Dans le traité avec la France n'avons-nous pas vu le ministère qui, il y a à peine trois ans, avait, par son arrêté du mois de juillet 1843, excité diverses industries à prendre un plus grand développement, qui leur avait promis sa garantie, n'avons-nous pas vu le ministère abandonner cette garantie, retirer ses promesses et ne pas craindre de porter la perturbation dans les industries qu'il avait cherché à développer ? Cette conduite, messieurs, ne saurait mériter trop de blâme, et je dois encore, à l'occasion du traité avec la Hollande, insister sur ces observations.
L'arrêté du mois de juillet 1843 avait eu pour but, entre autres, de favoriser le développement de certaines industries lainières. Eh bien, par le traité avec la France, le gouvernement a retiré à l'industrie de Verviers et de Tournay cette protection qu'il lui avait accordée.
L'arrêté dont il s'agit avait aussi contribué à développer une industrie drapière dans la province d'Anvers, l’industrie des tissus de laine communs. Eh bien, par le traité avec la Hollande, cette industrie est tout à coup privée de la protection qui lui avait été accordée. Cette conduite manque, je ne dirai pas de loyauté, mais manque entièrement de prudence.
Il n'est ni prudent ni politique ni gouvernemental de jeter ainsi les industries dans une voie de développement pour ensuite les faire rétrograder, les condamner à l'inaction ; cela est inconciliable avec l'intérêt bien entendu de l'industrie, avec les premiers devoirs de tout gouvernement.
Qu'avons-nous fait également pour la pêche ? Il fallait donner à la Belgique des marins, il fallait à tout prix encourager la pêche, Il n'y a pas plus de trois ans, en 1842 encore on renforçait les droits en faveur de la pêche nationale. Eh bien, messieurs, quelques années après, voilà qu'on abandonne à la Hollande cette industrie qu'on avait voulu encourager.
Je ferai la même observation pour le bétail. On sait que les griefs de la Hollande contre la Belgique résidaient surtout dans les lois belges sur la pêche et sur le bétail, et dès l'instant où la Belgique renonçait à ses lois protectrices, la Hollande n'avait presque plus rien à lui demander. C'est ce qui a été fait et c'est ce qui explique le traité avec la Hollande. Pour moi, je ne m'étonne que d'une chose, c'est qu'il ait fallu un temps aussi long pour le conclure. Nous n'avons rien refusé à la Hollande ; tout ce qu'elle demandait, nous l'avons accordé. Je ne sais pas si la Hollande a accordé tout ce que demandait la Belgique, mais il suffit de lire les réclamations contenues dans la lettre de M. Rochussen, du mois de novembre 184 pour se convaincre qu'il a été satisfait à toutes les demandes de la Hollande.
Cette instabilité dans la politique commerciale du gouvernement, je la trouve encore en d'autres circonstances. Les chambres belges avaient accepté avec le plus grand empressement l'idée de favoriser les relations de la Belgique avec les contrées transatlantiques par la navigation à la vapeur. Qu'est-il arrivé ? C'est que le gouvernement, soit mauvais vouloir, soit inertie, soit incapacité, a laissé périr, misérablement l'entreprise des bateaux à vapeur vers les pays transatlantiques.
On dira peut-être qu'une acquisition imprudente avait été faite, qu’un grand navire qui ne convenait pas a été acheté. Mais la question de la navigation à vapeur vers les pays, transatlantiques ne résidait pas tout entière dans la British-Queen ; qu'importe après tout que la British-Queen ait été un bon ou un mauvais navire ? là n'est pas la question ; et, sous ce rapport, si une discussion spéciale venait à s'établir, on pourrait démontrer que ce navire n'était pas aussi mauvais qu'on a voulu le dire. Mais en supposant que ce navire fût une acquisition malheureuse, est-ce à dire qu'il fallait abandonner la grande et utile idée de l'établissement d'une navigation à vapeur vers les Etats Unis ? Voilà l'idée fondamentale qu'il fallait poursuivre et à laquelle le gouvernement a si. légèrement renoncé, à tel point qu'aujourd'hui ces relations qui pouvaient devenir si fécondes pour le développement de l'industrie belge, vont passer au port de Brème et peut-être à d'autres ports de l'Allemagne, qui hériteront des avantages que la Belgique aurait pu s'assurer, si l'on avait persévéré dans un système qu'on s'est hâté d'abandonner à la première apparence d'un échec.
On a tenté aussi une colonisation. Au point de vue commercial, il pouvait y avoir du bon dans l'idée d'établir des comptoirs belges, sinon une colonie belge, dans les pays transatlantiques. Quelle a été encore la conduite du gouvernement dans cette circonstance ? Tandis qu'il semblait vouloir patronner l'entreprise, il la combattait sourdement ; il prenait officiellement des engagements pour favoriser l'entreprise, et officieusement il repoussait ces engagements ; il était accusé de manquer à sa parole ; cette entreprise, messieurs, vous savez aujourd'hui à quoi elle est réduite ; vous savez ce qu'elle est devenue.
Vient maintenant la grande loi des droits différentiels. La chambre s'est livrée à de longues enquêtes ; de longs débats avaient eu lieu ; le pavillon national à la main, le ministère marchait fièrement à la conquête des marchés transatlantiques ; il tenait dans ses mains les (page 1969) destinées du littoral ; il fallait que les destinées du littoral s'accomplissent ; quelques souffrances intérieures pourraient en résulter, quelques industries intérieures pourraient se plaindre ; mais il importait peu, il était temps pour le pays que les destinées du littoral s'accomplissent. Eh bien, comment lesi destinées du littoral se sont-elles accomplies ? Quel a été le résultat de cette grande loi des droits différentiels ? Où est cette prospérité tant promise par le ministère et par un honorable membre de Thielt, qui ne paraît pas présent en ce moment.
M. de Foere (placé derrière l'orateur). - Pardon, je vous écoute.
M. Rogier. - S’il est présent, c'est pour assister aux funérailles des dernies restes de cette loi dont il peut revendiquer en grande partie l'honneur.
Cette loi des droits différentiels, nous n'en avons pas été partisan, nous n'avons pas cru qu'elle pût produire les grands résultats qu'on promettait au pays ; mais enfin cette loi avait été votée et elle l'avait été à la suite d'une longue enquête. Le gouvernement s'était déclaré franchement partisan de cette loi, il croyait qu'elle devait produire de merveilleuses conséquences pour la prospérité commerciale du pays.
Mais encore une fois, qu'est devenu le système du gouvernement ? Y a-t-il persisté pendant deux ou trois années ? Non, pendant la discussion même, par suite de l'esprit de versatilité qui le distingue, le gouvernement a abandonné une partie de son système, au moment où il venait le présenter à cette chambre. Depuis lors, chaque loi commerciale nouvelle a été, pour ainsi dire, un démembrement de la loi des droits différentiels.
M. le ministre des affaires étrangères, qui a eu sa part dans cette grande loi qui devait développer d'une manière si large notre prospérité commerciale, tâche encore de la défendre ; il cherche à nous démontrer que cette loi n'est pas morte, qu'elle est encore pleine de vie, qu'elle peut encore produire de grands résultats ; mais je dois dire qu'à la manière dont M. le ministre des affaires étrangères nous expose ses motifs d'espérer, il n'a pas une conviction bien profonde sur les résultats de ce qui peut encore rester de cette loi. Je crois que sa conviction à cet égard, il est trop éclairé pour qu'il en soit autrement, est singulièrement ébranlée et qu'il sera bientôt forcé de reconnaître que cette loi n'existe plus en réalité, qu'elle a fait son temps. Pour ma part, je ne le regrette pas, car je crois que celle loi ne pouvait pas donner à notre commerce cette prospérité qu'on lui a faussement promise ; mais ce que je regrette, c'est la versatilité, l'instabilité d'un gouvernement qui ne sait pas persister deux ou trois ans dans un système quelconque. J'aimerais mieux voir le gouvernement épuiser jusqu'au bout un mauvais système, que de le voir passer alternativement de l'un à l'autre, et traiter d'une façon si légère et si cavalière les intérêts du pays.
L'on nous dit que les droits différentiels ont amené pour le pays de grands avantages. Entendons-nous. La loi des droits différentiels était une loi commerciale destinée à profiter au littoral du pays, non à telle ou telle industrie particulière. Qu'est-il arrivé ? C'est que cette loi on en a fait usage pour favoriser telle ou telle industrie particulière du pays, non pour favoriser le développement commercial comme on l'avait promis.
Le traité avec le Zollverein a détruit en partie la loi des droits différentiels ; qu'est-ce que le commerce y a gagné ? On a favorisé l'entrée des fontes en Allemagne, mais cela ne fait rien à la prospérité du littoral. Par le traité avec la Hollande, certains produits industriels vont être favorisés, je m'en félicite, je ne regrette pas ce résultat, mais qu'est-ce que le littoral aura gagné ? Mais, dit-on, par ce traité avec la Hollande vous allez obtenir un avantage immense, inattendu, inespéré, vous vous êtes ouvert ce qui jusque-là était considéré comme irrévocablement fermé pour vous, vous allez pouvoir faire le commerce avec Java. Pouvons-nous y importer nos produits avec pavillon national ? Non ; nous pourrons sortir de Java avec un droit de faveur, mais avec un droit supérieur encore à celui imposé au pavillon hollandais. Il ne suffit pas de pouvoir sortir, il faudrait pouvoir y entrer ; alors je comprendrais le bienfait de cette disposition. Si des navires belges, exportant des produits de l'industrie belge, pouvaient entrer à Java avec un droit de faveur, je dirais qu'il y a là un grand avantage.
Mais il n'en est pas ainsi. Tout ce que nous obtenons, c'est un droit de faveur à la sortie de Java, et de peur que notre commerce ne prît trop de développement, on a eu soin de limiter la quantité de marchandises qu'il pourra exporter au droit réduit ; au-delà de 8 mille tonneaux, notre commerce retombe dans le droit commun. Huit mille tonnes ; ce serait le chargemenl de 16 navires en les supposant de 500 tonneaux.
On a eu soin de nous dire qu'il y avait d'autant moins d'inconvénients à admettre cette limite que jamais nous n'atteindrions ce maximum de 8 mille tonneaux. Si cela est vrai, je demande où est l'immense avantage que nous avons obtenu par cette concession. Je me demande en outre pourquoi on irait chercher à Java du café que nous pouvons obtenir dans les entrepôts hollandais et importer dans le pays aux mêmes droits que si nous allions les chercher à Java.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Pas au même droit.
M. Rogier. - Il y a quelques centimes de différence, il ne faut pas m'interrompre pour si peu de chose.
Le café que nous importons de Java, nous l’importons au droit de 9 fr. et le café que nous importons des entrepôts hollandais, nous le recevons au droit de 9 fr. 99 c. Voilà la grande faveur que nous obtiendrons. Eh bien, je dis qu'il sera beaucoup plus simple d'aller chercher le café dans les entrepôts hollandais que d'aller le prendre aux Indes néerlandaises.
Le café donc très probablement continuera à nous venir des entrepôts hollandais.
Ainsi, messieurs, cette grande faveur, la seule faveur commerciale qui résulte du traité, cette grande faveur, pour ma part, il m'est impossible de lui donner la portée que M. le ministre a bien voulu lui assigner.
C'est une faveur sans doute que d'être admis à la sortie de Java à un droit différentiel, mais cette faveur est bien peu de chose ; et si c'est là le grand résultat que l'on devait attendre de la loi des droits différentiels, si c'est ainsi que les destinées du littoral doivent s'accomplir, oh, messieurs, on s'est livré à de grandes illusions, lorsqu'on nous a présenté cette loi comme devant affranchir le commerce, comme devant lui assurer une prospérité inouïe jusqu'à ce jour.
On a reproché à mon honorable ami M. Osy d’être en contradiction avec lui-même à l'égard de Java. On lui a dit : Vous soutenez que le pavillon belge ne profitera pas du droit différentiel de sortie à Java, et dans la discussion des droits différentiels vous avez annoncé que les navires belges pourraient aller chercher le café à Java. Messieurs, je crois que l'honorable M. Osy avait raison dans l'hypothèse où il s'était placé. Il supposait alors que nous n'aurions pas à recevoir des entrepôts hollandais le café de Java au prix réduit de 9 fr. 99 c. Mais du moment que nous devions recevoir des entrepôts hollandais le café à peu près au même droit que s'il venait directement des Indes néerlandaises, il était évident que cette opération ne pouvait plus se faire.
On dira peut-être que nous pourrons aller chercher aux colonies hollandaises tout le café dont le pays aura besoin au-delà des 7 millions privilégiés. Mais ne perdons pas de vue que la consommation du café hollandais est limitée dans le pays, et que dans tous les cas si nous allions chercher de Belgique du café à Java au-delà des 7 millions de kil., ce serait au préjudice du café que nous allons chercher au Brésil et ailleurs, là où nous devons aussi tendre à établir des relations. Car il ne serait pas avantageux au pays de concentrer toutes ses relations commerciales sur un seul point. Il est utile que ces relations s'étendent à divers pays. Il serait bon que nous eussions des relations avec Java, je le reconnais, mais il est bon aussi que nous ayons des relations avec d'autres contrées, avec les Etats-Unis, et notamment pour ce qui concerne le café, avec le Brésil.
En résumé, messieurs, et tenant compte des moments de la chambre et de son impatience, je dirai que le traité je l'accepte d'abord, parce que c'est un acte qui lie deux gouvernements, et qu'avant d'en venir à rejeter de pareils engagements, il faut être assuré que des inconvénients beaucoup plus graves ne surgiraient pas du retour à l'ancien statu quo que du régime nouveau que le traité est destiné à établir.
Je l’accepte aussi, parce que j'y vois, de la part du gouvernement et de la part de la chambre qui le votera, un pas nouveau dans la voie des libres échanges.
j'y vois une tendance vers cette liberté commerciale, qui, successivement, sagement établie, peut amener pour la nation de plus grands avantages que le système restrictif dans lequel on s'est lancé, suivant moi, avec imprévoyance ; système restrictif que l'on a été successivement obligé d'abandonner, au grand détriment de certaines industries dont il avait provoqué le développement.
J'ai dit le côté qui me plaît dans le traité. J'espère qu'avec le temps, nos relations avec la nation hollandaise à laquelle nous n'avons jamais fait la guerre, deviendront de plus en plus intimes.
Nous avons, messieurs, intérêt à nous allier avec la Hollande. Si la Hollande n'a pas entièrement les mêmes institutions que nous, elle a au moins au point de vue de son indépendance le même intérêt que nous. Sous ce rapport nous pouvons y trouver un appui, nous pouvons encore y rencontrer des frères.
Mais là s'arrêtent mes vœux ; et tous les efforts, toutes les espérances, qui par-delà la frontière pourraient avoir en vue un autre résultat, et tendre à nous ramener à un régime que nous avons à jamais exclu, ces espérances, ces efforts, je le répète, nous les combattrons à outrance et toujours.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l'honorable 31. Rogier a beaucoup plus attaqué la politique commerciale du gouvernement depuis quelques années, qu'il n'a attaqué le traité en lui-même. En effet, messieurs, en ce qui concerne le traité, l'honorable membre a présenté beaucoup d'allégations, mais des faits, je n'en ai trouvé aucun, au moins qui puisse détruire les arguments que j'avais présentés hier.
L'honorable membre a affirmé que le traité était la destruction de la loi des droits différentiels ; que c'était la ruine de la pêche et le retrait des protections accordées à certaines industries. Mais, je le répète, des faits et des raisons à l'appui de ces allégations, il a trouvé bon de ne pas en donner.
L'honorable membre a reproché au gouvernement d'avoir depuis quelques années accordé des protections successives à certaines industries et à notre commerce maritime. Il a rappelé la protection accordée au bétail par la loi de 1835, aux céréales par la loi de 1834, à la pêche par la loi de 1842, au commerce maritime par la loi des droits différentiels, et il prétendu que successivement par le traité français, par celui du 1er septembre, et par le traité du 29 juillet, le gouvernement avait retiré l'une après l'autre les faveurs de tarif qu'il avait offertes à chacune de ces industries ; et il a qualifié cette politique de politique de versatilité.
L'honorable préopinant oublie une chose que j'ai déjà eu l'occasion de faire remarquer hier : lorsque le gouvernement a-augmenté la (page 1970) protection à l'égard de certaines industries, et de la navigation nationale, ne poursuivait-il pas un double but ! Le premier était de procurer à l'industrie et au commerce une situation meilleure ; le second était de créer des éléments de négociation avec les pays maritimes et industriels.
Si nous avions suivi les conseils de l'honorable M. Rogier et de ses amis, si nous avions conservé un tarif libéral qui ne nous permettait de faire aucune concession aux nations avec lesquelles nous avions intérêt de négocier, aurions-nous fait le traité avec le Zollverein ? Aurions-nous fait le traité du 29 juillet ? Evidemment non. Sans la loi des droits différentiels, le traité avec le Zollverein et le traité du 29 juillet étaient impossibles.
Dans le traité du 1er septembre, quelles concessions avons-nous faites au Zollverein ? La seule concession importante que nous lui ayons faite a été l'assimilation de pavillon ; or cette assimilation au pavillon national, avant la loi du 21 juillet 1844, n'avait presque aucune valeur, puisque la protection différentielle était nulle. C'est parce que les droits différentiels ont été augmentés en 1844 que le traité avec le Zollverein, négocié infructueusement depuis plusieurs années, a pu être conclu.
Si nous n'avions pas eu les lois de 1835 et de 1843 sur le bétail et les lois sur la pêche, aurions-nous obtenu les avantages industriels et coloniaux que renferme le traité du 29 juillet ? Personne n'oserait le soutenir.
Par parenthèse je rappellerai ici à l'honorable M. Rogier que si le gouvernement a des reproches à se faire, comme il l'a prétendu, d'avoir donné à la pêche une protection exagérée que, selon lui, on lui retire aujourd'hui, il est aussi coupable que le ministère actuel. L'honorable membre doit se rappeler que la protection la plus forte qui ait été accordée à la pêche nationale, l’a été par la loi du 10 avril 1841 portée sous son ministère, loi qui établissait un droit prohibitif de 25 fr. par tonneau sur la morue de pêche étrangère. C'est le cabinet dont l'honorable membre faisait partie qui a accordé cette protection exorbitante. Si le gouvernement est coupable d'avoir trop protégé la pêche, l'honorable M. Rogier doit prendre sa part de cette culpabilité.
Nous sommes tous partisans en principe de la liberté commerciale ; mais de la liberté commerciale à l'aide de traités, c'est-à-dire établie par des concessions réciproques et successives. Or, cette liberté commerciale à l'aide de traités n'est pas possible si nous n'avons rien à offrir à l'étranger dans les négociations. Vouloir procéder par un tarif libéral pour en faire sortir des traités de commerce, c'est une contradiction.
Le système du gouvernement depuis quelques années, système combattu par l'honorable membre, est précisément celui-ci : c'est d'arriver à un système de protection modérée par suite de traités ; c'est-à-dire par l'échange de concessions mutuelles.
La loi des droits différentiels a été une loi de protection maritime, et cette protection est loin d'être détruite, mais elle a été aussi une loi diplomatique qui, sous ce rapport, a amplement produit les résultats qu'en attendait le gouvernement.
L'honorable membre a soutenu que cette loi était profondément altérée, qu'elle n'existait plus ; que le traité du 29 juillet était le glas de ses funérailles. Ce sont là des allégations bien hasardées, bien tranchantes ; j'aurais voulu que l'honorable membre fût descendu jusqu'aux faits pour en démontrer la justesse. Le traité du 29 juillet ne fait autre chose que maintenir l'exception relative aux 7 millions de kilogrammes de café et aux 180 millions de kil. de tabac. Je demande à l'honorable membre en quoi le traité du 29 juillet en dehors du maintien de ces exceptions, porte une atteinte sérieuse à la loi des droits différentiels. Les concessions faites pour le commerce de la Baltique sont-elles destructives de la loi du 21 juillet 1844 ? La protection pour la navigation nationale reste encore assez élevée pour la plupart de ces provenances.
Est-il, du reste, personne au monde qui ait jamais songé à développer notre marine dans nos relations avec la Baltique en concurrence avec la marine des nations du Nord ? Jamais ; c'est une illusion qu'on n'a jamais eue.
Comme je l'ai dit hier, nos relations dans la mer des Indes, le traité les rend meilleures.
L'honorable M. Rogier a dit tout à l'heure que la suppression des droits de sortie sur une exportation de 8,000 tonnes venant de Java serait à peu près illusoire, que le commerce, pour les cafés par exemple, se ferait toujours par l'intermédiaire des entrepôts néerlandais et non directement avec Java. J'ai établi hier la contradiction flagrante qu'il y a entre la thèse que soutiennent aujourd'hui les honorables MM. Rogier et Osy et celle qu'ils ont défendue, en 1814.
J'ai cité hier les paroles de l'honorable M. Osy.
Je citerai maintenant les paroles de l'honorable M. Rogier.
Voici ce qu'il disait, en 1844, au sujet de l'exception des 7 millions de kilogrammes :
« Dans l'état actuel du commerce, il aurait pu arriver que le commerce, faisant de nouveaux efforts, allât à Java et enlevât aux entrepôts néerlandais une partie des importations ; mais à l'avenir, les entrepôts hollandais viendront chez nous par un privilège légal. Par les effets d'un commerce chaque jour se développant, nous aurions pu nous soustraire à ce vasselage hollandais.
M. Rogier. - Je raisonnais dans l'hypothèse où l'exception n'eût pas été admise.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Précisément, mais vous allez voir que c'est exactement la même chose.
En effet, pourquoi l'honorable membre, ainsi que l'honorable M. Osy, croyaient-ils, en 1844, que l'exception qui admettait au droit de 10 fr. les sept millions de kilog, de café, était un obstacle à notre commerce direct avec Java ? Parce que le droit de sortie de 4 florins par picul établi à Java, rendait le café arrivant directement de la colonie à Anvers, plus cher que s'il était introduit par Rotterdam, d'où nous le recevions ) un droit exceptionnel de 10 fr. Si le droit primitivement proposé de 18 fr. 50 c. avait été maintenu, cette différence, d'après les honorables membres, eût été effacée et le commerce direct avec Java était possible.
Or, que nous élevions le droit différentiel sur les cafés venant des entrepôts néerlandais, ou que les Pays-Bas suppriment les droits de sortie à Java, le résultat est exactement le même.
Les honorables MM. Osy et Rogier ont soutenu en 1844, que sans la faveur accordée aux entrepôts néerlandais, le café nous arriverait directement des Indes. Je dis que le café venant directement de Java payant aujourd'hui, en vertu du traité, un franc de moins par navire belge que par l'intermédiaire des entrepôts néerlandais, sans tenir compte des frais de détour et d'entrepôts en Hollande, nous sommes dans la même position et même dans une position meilleure que celle qui était l'objet des vifs regrets des honorables membres en 1844.
L'honorable M. Rogier me répond : Nous n'irons pas à Java ; notre navigation de long cours, appropriée au commerce des Indes, n'est pas assez considérable pour profiter de la clause de l'article 15 du traité ! Mais serait-ce la faute du traité ? Serait-ce la faute du gouvernement ? Si l'on ne va pas à Java, c'est qu'on ne voudra pas y aller ; le traité ouvre la voie, c'est au commerce à faire le reste, et j'espère que l'esprit d'entreprise se développera assez pour mettre à profit cette faveur que les Pays-Bas nous accordent.
J'ai dit, dans l'exposé des motifs, qu'en effet la limite de 8,000 tonnes ne serait vraisemblablement pas atteinte d'ici à quelques années. C'est un regret que j'ai exprimé, mais le commerce belge est trop intelligent pour négliger d'utiliser les retours qui nous sont assurés dans les colonies néerlandaises.
L'honorable M. Rogier a fait une autre objection : il a dit que si nous pouvions jusqu'à un certain point importer peut-être du café et du sucre directement de Java, nos exportations industrielles vers Java n'en recevraient pas pour cela de l'accroissement, et que la colonie restait fermée aux importations des produits belges. Cela est vrai jusqu'à un certain point ; mais ce que l'honorable membre n'a pas compris, c'est que les retours en denrées coloniales que nos navires trouveront à Java faciliteront nos exportations vers Manille, Singapore et la Chine. Nos relations commerciales avec la mer de l'Indo-Chine seront infiniment améliorées par le traité, et c'est là une des conséquences les plus heureuses de cet acte international.
L'honorable M. Rogier n'avait vu dans la politique commerciale du gouvernement, depuis cinq ans, que de l'inconséquence et de la versatilité. Je lui ai démontré qu'il n'avait pas saisi le sens de cette politique qui a été dirigée, par des efforts constants, vers un but clairement déterminé. Cette politique commerciale a été d'augmenter modérément la protection industrielle et maritime pour protéger d'abord ces grands intérêts à l'intérieur et pour se procurer des moyens de négociation. Ces moyens, nous les avons obtenus, nous les avons employés, et nous avons réussi.
Mais il est un autre système, un autre but plus général encore que le gouvernement a poursuivi. Je m'étonne que cette pensée ait échappé à la perspicacité de l'honorable membre.
Aujourd'hui la Belgique a un système de traités différentiels avec les puissances qui nous entourent.
Nous avons avec la France des relations sanctionnées par un traité qui nous assurent sur le marché français des privilèges pour l'industrie linière, pour notre houille et notre fonte, c'est-à-dire, pour trois de nos grandes industries.
Le traité du 1er septembre avec le Zollverein nous a accordé sur le marché allemand un traitement différentiel pour une grande industrie, l'industrie métallurgique, à laquelle se rattache le sort de notre industrie houilleresse.
Aujourd'hui, avec les Pays-Bas nous avons obtenu un régime différentiel pour toutes nos grandes industries, des privilèges qui ne sont accordés à aucune autre nation.
La draperie et les tissus de laine, l'industrie cotonnière, l'industrie linière, celles du fer, des clous, des verres à vitre, des glaces, les tanneries, la papeterie, etc., trouveront sur le marché des Pays-Bas, déjà si important aujourd'hui, les mêmes privilèges que l'industrie métallurgique a trouvés, en Allemagne, par le traité du 1er septembre, et que l'industrie linière, la houille et la fonte possèdent sur le marché de la France.
L'article 24 du traité du 29 juillet, dont on a peu parlé et dont j'ai signalé l'importance, nous donne certaines garanties sérieuses contre l'extension à d'autres nations des faveurs que le traité consacre pour nous.
Il donne à nos nombreuses industries en relation avec les Pays-Bas la fixité, la certitude d'avenir qui leur manquait et dont l'absence constituait le plus grand obstacle à nos exportations vers la Hollande.
Je le demande à l'honorable membre : quelle est la nation autour de nous qui ait obtenu de tels résultats, qui puisse dire que sur tous les marchés qui l'environnent, elle a un traitement au partage duquel aucune autre nation n'est admise ?
Voilà, messieurs, le système dont le gouvernement a poursuivi depuis quelques années la réalisation, et si l'honorable M. Rogier et l'honorable M. Osy ne voient dans la politique commerciale du gouvernement qu'inconséquence et versatilité, qu'ils me permettent de le dire, c'est ne se sont pas placés à un point de vue assez élevé pour l'apprécier et le juger.
(page 1971) M. Donny. - Messieurs, je voterai contre le traité hollando-belge, parce que ce traité doit avoir pour conséquence naturelle, pour conséquence nécessaire, la ruine de la pêche nationale et, par suite, l'importation sur le littoral belge de cette misère affreuse qui désole aujourd'hui le littoral des Pays-Bas.
Mais, messieurs, bien loin de me faire la moindre illusion sur les conséquences de mon opposition, je ne sais malheureusement que trop que mon vote est un vote perdu, que mon discours est un discours stérile. Si je prends la parole, c'est parce que j'éprouve le besoin d'éclairer la chambre et le pays sur l'étendue du sacrifice auquel des ministres belges ont eu la faiblesse de souscrire ; c'est parce que je tiens à redresser des erreurs, à combattre des préjugés généralement répandus dans le pays et qui se sont fait jour jusque dans cette enceinte, c'est, enfin, parce que je veux signaler à la chambre les conséquences amères qui doivent un jour succéder aux avantages, bien dangereux selon moi, que le traité accorde aujourd'hui à quelques industries.
Chez toutes les nations maritimes la pêche nationale est un objet de vive sollicitude : on la protège contre la concurrence étrangère par des droits élevés, par des droits prohibitifs, par des prohibitions formelles, et de plus, on l'encourage par des primes de diverse nature. Cette sollicitude est générale chez toutes les nations maritimes, et pour être aussi générale, il faut bien qu'elle soit justifiée par de bons motifs.
Je puis, messieurs, vous signaler quelques-uns de ces motifs.
D'abord, messieurs, si la pêche n'était pas favorisée d'une manière extraordinaire, les particuliers ne pourraient se livrer à cette industrie, parce que la pêche est non seulement une industrie purement aléatoire, mais encore une industrie aléatoire de telle nature que les chances de bénéfice sont extrêmement limitées dans leurs résultats, tandis que les chances de perte sont immenses. En effet, que peut gagner l'armateur lorsque les circonstances lui sont extrêmement favorables ? Il peut importer quelques paniers de poisson frais, quelques tonnes de morue, quelques tonnes de hareng de plus qu'à l'ordinaire, et de ce chef, il peut, cette année-là, voir augmenter de quelques pour cent l'intérêt de son capital ; mais quand les circonstances tournent contre lui, il peut non seulement ne retirer aucun intérêt de son capital, ou perdre une partie de celui-ci, mais il peut en un seul instant voir s'engloutir ce capital tout entier.
Il faut donc bien que l'on trouve à côté de cette partie aléatoire si défavorable quelque chose de certain, quelque rentrée sur laquelle on puisse compter ; et ce quelque chose de certain consiste d'une part dans les primes allouées à la pêche, d'autre part dans la certitude d'un débouché pour ses produits, c'est-à-dire dans une forte protection douanière.
Ensuite, messieurs, la pêche est une industrie importante, non pas précisément à raison des capitaux qu'elle emploie, car il est beaucoup d'autres industries qui mettent plus de fonds en mouvement, mais elle est importante parce qu'elle enrichit le pays non seulement à raison de tout ce qu'elle produit (et, relativement parlant, elle produit beaucoup), mais encore à raison de tout ce qu'elle consomme, et elle consomme beaucoup. Dans la pêche tout est bénéfice, non pas pour l'armateur, l'armateur périt souvent, mais pour le pays.
Enfin, messieurs, on vous l'a souvent dit, et le gouvernement lui-même a tenu ce langage ; la pêche est la pépinière des matelots. En effet, où pourrait-on trouver des marins plus intrépides que parmi les hommes qui, dès leur plus tendre enfance, ont passé leur vie entière à lutter pendant l'été contre les ouragans et les coups de vent qui règnent constamment à la hauteur de l'Islande, et à braver, pendant l'hiver, l'intempérie des saisons dans les parages du Doggersbank.
Si, sous tous ces rapports, la pêche est importante pour tous les pays maritimes, elle doit l'être surtout pour la Belgique, où elle constituera seule industrie du littoral. Que la pêche disparaisse et que deviendront l'industrie des constructeurs de navires, l'industrie des voiliers, l'industrie des cordiers ? Toutes ces industries accessoires à la pêche doivent souffrir avec elle, doivent disparaître avec elle.
Et puis, les matelots manquent en Belgique, et à tel point qu'on a déjà émis l'idée de prendre, dans les hospices et chez les pauvres, les garçons les plus robustes pour les élever à l'état de marin.
L'importance de la pêche ne sera d'ailleurs contestée par personne ; elle ne le sera surtout pas par le gouvernement, qui ne voudra certes pas se mettre en contradiction flagrante avec tout ce qu'il a dit, avec tout ce qu'il a fait depuis seize ans. Non, le gouvernement ne conteste pas l'importance de la pêche, mais il fait bien pis : il la sacrifie, et je vais le démontrer.
Le traité permet à la Hollande d'importer en Belgique 2 millions de kilog. de poisson frais, aux droits de 5 fr. le 100 kil. de poisson commun et de 9 fr. les 100 k. de poisson fin. D'après les chiffres de la section centrale, et je dirai, eu passant, que, pour ne pas établir une discussion sur les chiffres, discussion plus ou moins oiseuse en ce moment, j'accepte les chiffres de tout e monde, même ceux que je puis contester : d'après les chiffres de la section centrale, le rapport entre l'importation du poisson commun et l'importation du poisson fin, est de 4 à 1, c'est-à-dire que sur 2 millions de kilog. de poisson frais, la Hollande importera probablement un million et demi de poisson commun, à raison de 5 fr. et un demi-million de poisson à raison de 9 fr.
Après l'importation de ces quantités, la Hollande rentrera dans le droit commun, elle payera le droit actuel de 12 fr. par 100 kil. Voilà le système établi par le traité.
Je vous dirai maintenant qu'en adoptant ce système, le gouvernement a fait un libre choix, car il a eu à choisir entre le système de limitation, tel que je viens de l'indiquer, et un autre système qui consistait à permettre l'entrée du poisson frais en Belgique, sans limitation, mais aux droits de 6 fr. par 100 kil. de poisson commun et de 10 fr. par 100 kil. de poisson fin.
Ainsi le gouvernement pouvait obtenir des droits plus élevés sans limitation, mais il a choisi des droits moins élevés avec limitation. Pourquoi a-t-il préféré ce système de limitation ? Evidemment parce qu'il était convaincu que la Hollande se trouve en position d'importer en Belgique des quantités de poisson frais beaucoup plus considérables que deux millions de kil. S'il en était autrement, si le gouvernement n'avait pas cette conviction profonde, la limitation ne serait plus qu'une indigne mystification, destinée uniquement à masquer l'étendue des concessions qu'on a faites à la Hollande ; mais je le répète, je reconnais que le gouvernement est de bonne foi, qu'il est convaincu de l'utilité de la limitation, qu'il est convaincu que la Hollande pourrait nous envoyer beaucoup plus de poisson frais, si la limitation n'existait pas.
Sans examiner si le gouvernement a tort ou raison dans ses convictions, j'ai le droit de les prendre pour base de mon argumentation, de me placer en quelque sorte sur son terrain et je le fais.
Il doit résulter de ce que je viens de dire que la Hollande pouvant nous envoyer des masses de poisson frais, commencera par importer chez nous les deux millions de kilog. qu'on lui permet d'importer à des droits réduits, et qu'après cela, elle nous enverra de plus au droit actuel de 12 fr. les 100 kilog., tout ce qu'elle nous importe aujourd'hui, c'est-à-dire 712,000 kilog., d'après les chiffres ministériels. Ce qu'elle nous importe aujourd'hui au prix de 12 fr., pourquoi ne pourrait-elle pas l'importer demain au même taux ? Elle nous enverra donc d'abord deux millions, ensuite 712,000 kilog., soit un total de 2,712,000 kil. de poisson frais.
Quelle est la consommation de la Belgique en poisson frais ? le gouvernement indique le chiffre de 5 millions de kil. Ce chiffre est trop fort, mais je l'ai déjà dit, je ne veux pas établir une discussion sur les chiffres, j'accepte la consommation de 5 millions de kil. La Hollande importera 2,712,000 kil. et la Belgique ne consomme que 5 millions de kil. ; la Hollande nous importera donc plus de la moitié de la consommation du pays en poisson frais !...
J'ai maintenant, toujours en me plaçant sur le terrain du gouvernement, j'ai un raisonnement analogue à faire pour la morue. Mais comme la section centrale porte le chiffre de la consommation de la morue à 15,000 tonnes, et que j'accepte ses chiffres aussi volontiers que ceux du gouvernement, ce n'est plus la moitié de la consommation que la Hollande pourra fournir, mais ce sera beaucoup plus du tiers, ce sera d'abord une quantité de 5,000 tonnes au droit réduit de 10 francs ; viendront ensuite 1,400 tonnes au droit actuel de 25 fr., autant qu'elle nous en importe aujourd'hui, ainsi que M. le ministre des affaires étrangères nous l'apprend dans ses tableaux ; elle nous enverra donc 6,400 tonnes de morue pour une consommation de 15,000 tonnes ; c'est, comme je l'ai dit, beaucoup plus du tiers.
Maintenant je demanderai et à tous les honorables industriels qui siègent dans cette enceinte, et à tous ceux de mes honorables collègues qui ont des connaissances spéciales en industrie, et au gouvernement lui-même, quelle est en Belgique, chez nos voisins, dans le monde entier, l'industrie qui, travaillant uniquement pour le marché intérieur, puisse se maintenir, lorsque tout d'un coup, sans transition aucune, on jette sur ce marché des quantités de marchandises similaires étrangères, devant être vendues immédiatement et s'élevant à plus de la moitié de la consommation pour une partie, et à plus du tiers de la consommation pour le restant ?
Evidemment une industrie placée dans cette position, une industrie frappée aussi rudement, aussi inopinément, sans transition aucune, doit disparaître d'emblée, ou succomber à la longue, en commençant par restreindre considérablement sa production. Mais restreindre considérablement sa production en fait de pêche, savez-vous ce que c'est, messieurs ? Mais c'est désarmer une partie considérable de sa flotte, c'est jeter sur le pavé, dans la misère, dans la mendicité, un nombre considérable de pêcheurs et avec eux leurs malheureuses familles.
Et ici, ce résultat est d'autant plus inévitable que d'un côté, le compte général des armements à Ostende, clos au mois d'avril dernier, a donné, non pas un bénéfice, mais de la perte ; et que d'un autre côté, la production de la morue dépasse les besoins de la consommation, à tel point que depuis plusieurs années l'on travaille à restreindre cette production ; à cette fin, l'on a fait une tentative pour sécher la morue et l'exporter dans le Levant, tentative qui ne paraît pas avoir réussi, puisqu'elle n'a pas été renouvelée ; on a distrait de la pêche de la morue quelques bâtiments, qu'on a mis à la pêche du poisson frais ; l'on a distrait de la pêche de la morue d'autres bâtiments encore pour les consacrer à la pêche du hareng ; autre tentative, qui s'annonçait sous d'heureux auspices, que le malheureux traité vient anéantir pour toujours.
Je sais bien que. dans leur optimisme, MM. les ministres se flattent de l'espoir que, malgré tous ces désavantages, la pêche belge pourra se maintenir encore ; si MM. les ministres sont sincères quand ils expriment cette espérance, c'est parce qu'ils aiment à se faire illusion, à s'étourdir sur les conséquences des fautes qu'ils ont commises ; mais je ne crains pas de le leur prédire (ils peuvent prendre acte de mes paroles) cette illusion ne sera pas de longue durée ; d'ici à quelque temps, ils commenceront à recevoir des rapports officiels, qui leur apprendront le (page 1972) désarmement successif de notre flotte, le licenciement successif de nos équipages. (Interruption.) Il y aura, comme le dit fort bien l'honorable M. Rodenbach, à Ostende seul, environ 700 familles réduites à la misère.
Oui, le moment n'est peut-être pas éloigné où le gouvernement apprendra officiellement que cette population de pêcheurs, aujourd'hui si heureuse, si belle, si pleine d'énergie, se trouve réduite à tendre la main, dans les rues d'Ostende, à l'aristocratie européenne tout entière, en disant. : °Faites l'aumône aux malheureux pêcheurs ostendais, précipités de l'aisance dans la mendicité par la faute du gouvernement belge. »
Mais on dira, et ici je rencontre une objection qu'on a déjà faite, on dira : Comment pouvez-vous croire que la pêche belge sera anéantie, alors qu'on lui conserve des primes considérables, alors qu'on maintient, en partie, la protection du tarif actuel et que les droits réduits conservent encore eux-mêmes le caractère d'une protection considérée comme suffisante par le gouvernement ; et puis, dans la supposition que la pêche hollandaise fût mise chez nous sur le même pied que la pêche belge, pourquoi les pêcheurs belges ne peuvent-ils pas lutter contre les pêcheurs hollandais ?
D'abord, quant aux primes, il y en a en Hollande, il y en a en France, il y en a eu Angleterre ; il y en a partout. Dès lors, on est mal venu à parler de primes comme moyen de protection. Quant aux droits actuels, ils sont maintenus, il est vrai ; mais, seulement après des introductions qui s'élèvent, tantôt à la moitié, tantôt au tiers de la consommation du pays.
Quant aux droits réduits, ce n'est pas sérieusement que le gouvernement présente comme une protection des droits de 5 et de 9 fr. par 100 kilogrammes de poisson frais, marchandises qu'il faut immédiatement consommer ou jeter, et que, par conséquent, il faut vendre à tout prix. Comme protection, ces droits-là sont ridicules comparativement aux droits français qui s'élèvent à 44 fr. Ils sont ridicules comparativement à la prohibition que la Hollande maintenait encore naguère contre nous et contre toute l'Europe entière. Ils sont ridicules surtout comparativement à la prohibition que la Hollande maintient encore aujourd'hui et d'une manière si humiliante pour la Belgique, en faveur de sa grande pêche au hareng. Mais arrêtons-nous un instant à ces droits tout ridicules qu'ils sont, et voyons quels effets ils peuvent produire dans la lutte entre le poisson belge et le poisson hollandais sur les marchés de la Belgique. Prenons le marché de Bruxelles, et voyons quelle y sera la position du poisson de Nieuport, d'Ostende et de Blankenberg, vis-à-vis du poisson hollandais. Le poisson belge n'y arrive que par la voie du chemin de fer, voie extrêmement coûteuse, tandis que le poisson hollandais y est apporté, moyennant un fret très léger, dans des bateaux qu'on remplit à pleine charge, qu'on charge même tellement qu'on en a vu sombrer dans des eaux paisibles.
Ce n'est pas tout, quand le poisson belge a été cahoté pendant cinq ou six heures sur les waggons du chemin de fer, il a naturellement perdu ces belles apparences de fraîcheur, que conserve le poisson hollandais tranquillement amené en bateau par les eaux intérieures. Il existe ainsi une double différence en faveur de la Hollande, et des personnes compétentes, qui n'ont pas l'habitude d'exagérer, sont d'avis que sous ce double rapport, l'avantage de la Hollande compense largement des droits de 5 et de 9 fr. par 100 kilog.
Ainsi, sur les marchés belges, l'industrie belge et l'industrie hollandaise auront à lutter à armes égales. Mais, pourquoi donc les pêcheurs belges ne pourraient-ils soutenir cette lutte à armes égales ? Pourquoi ? Parce qu'aucun producteur régulier au monde ne saurait lutter contre la misère ; parce qu'aucun producteur régulier ne saurait lutter contre un concurrent qui produit beaucoup trop et manque de débouchés ; parce qu'aucun producteur régulier ne peut lutter contre un concurrent qui doit nécessairement ou vendre sa marchandise à l'instant même, ou la voir détruire.
Laissez importer librement en Belgique, de la France, de l'Allemagne, de l'Angleterre, les fonds de magasins, les marchandises provenant de faillites, en un mot, les marchandises que, pour une cause ou pour une autre, les détenteurs doivent vendre à tout prix, et vous verrez ce que deviendront la plupart des industries du pays ! Encore les marchandises dont je parle peuvent-elles être mises en magasin, attendre l'acheteur et au besoin être réexportées ; mais pour le poisson, rien de semblable : il doit être vendu de suite on il doit être jeté.
Quels peuvent avoir été les motifs qui ont déterminé des ministres belges à sacrifier ainsi une industrie belge ? Fallait-il peut-être, pour sauver d'une ruine certaine une industrie plus considérable, se résigner à l'anéantissement d'une industrie moins importante ? Non, personne ne l'a dit, personne ne le dira, et le gouvernement le dira moins encore que personne.
Si M. le ministre des affaires étrangères croyait pouvoir soutenir une thèse semblable, pour le réfuter immédiatement et victorieusement je n'aurais qu'à vous lire une partie du discours remarquable qu'il a prononcé à la séance du 2 juillet, discours auquel s'est associé par une interruption, son honorable collègue le ministre des finances, discours confirmé de nouveau par l'honorable M. Dechamps dans la séance d'hier.
Fallait-il peut-être dans l'intérêt du consommateur belge et pour protéger celui-ci contre l'avidité des armateurs à la pêche, fallait-il élargir le cercle de la concurrence hollandaise ?
Je vais examiner cette question avec quelque soin parce qu’à cette question se rattache un préjugé répandu dans le pays, partagé jusqu’à un certain point par le gouvernement et par les membres de la chambre ; préjugé dont je vais faire prompte justice.
De tous les côtés du royaume, on n'entend qu’un cri : Le poisson est trop cher, il faut chercher les moyens d'en faire baisse le prix. Ce cri est légitime. Oui, le poisson est trop cher : oui, le poisson est horriblement cher pour le consommateur ; oui, il faut trouver les moyens d’en faire baisser le prix, il faut en faire un aliment accessible à la classe moyenne et pour quelques espèces le mettre à la portée de la classe la plus infime de la société. Et j'ajouterai, moi, que la recherche, la mise en pratique de ces moyens est un devoir impérieux qui pèse sur tout homme chargé de l'administration des intérêts du peuple, qu'il s’appelle ministre du Roi, gouverneur, député d'un conseil provincial ou simple conseiller communal. Mais pour trouver ces moyens, il faut commencer par se rendre compte des causes de la cherté du poisson. C'est sur ces causes que je vais appeler toute votre attention.
Mais, avant tout, il faut écarter de la discussion une cause qui se présente plus fréquemment qu'on ne pense, et contre laquelle tous les efforts des hommes sont impuissants : je veux parler de l'intempérie des saisons. On conçoit que lorsque le pécheur est retenu dans le port par les vents contraires, on rencontre sur le lieu de la pêche un temps qui rend la pêche impossible, ou improductive ; le poisson doit être cher, et ce cas, je le répète, se présente beaucoup plus fréquemment qu'on ne pense. Mais, veuillez le remarquer, lorsque le pêcheur belge est dans l'impossibilité de pêcher, la même impossibilité existe pour le pêcheur hollandais qui pêche dans les mêmes parages. Ainsi, quant à cette cause de cherté, le traité reste impuissant ; le traité ne fera rien pour le consommateur.
J'arrive maintenant à la cause ordinaire de la cherté, à cette cause à laquelle il importe de porter remède.
On croirait, au premier abord, qu'il se présente dans la pêche ce qui se présente dans les autres industries ; que, lorsque le consommateur doit payer trop cher, cela provient de ce que le producteur est trop avide, de ce qu'il profite d'une position trop belle, d'un monopole ou d'autres circonstances qui lui permettent de vendre à des prix trop élevés. C'est ce qu'on croit dans le pays, c'est ce que croient quelques-uns de nos honorables collègues, confirmés sans doute, dans cette opinion, par les inductions qu'ils tirent de quelques passages de l'exposé des motifs et du rapport de la section centrale. C'est là une erreur évidente, une erreur grave, je vais le démontrer.
Dans l'exposé des motifs, le gouvernement nous a dit que le producteur vendait la tonne de morue, prix moyen, à 40 fr. M. le ministre des affaires étrangères me permettra de lui faire observer que ce chiffre est trop élevé, mais je l'accepte comme exact. Pour vendre une tonne de morue à 40 fr., le producteur a dû commencer par payer pour la tonne, pour le sel et pour quelques autres menues dépenses indispensables, une somme que je porte à 7 fr. Ce chiffre, assurément, n'a rien d'exagéré. Il faut donc réduire à 33 fr. le produit du poisson que renferme une tonne de morue, Cette tonne fournit à la consommation environ 500 livres de morue détrempée, telle qu'on la livre au consommateur. 300 livres de morue pour 33 fr., cela revient à 11 centimes la livre. Voilà ce que le producteur retire de la pêche.
Pour le poisson frais, le calcul est un peu plus compliqué ; cependant je suis à même de fournir à la chambre des données tout aussi précises, tout aussi certaines.
A Ostende, tout le poisson frais se vend publiquement, par le ministère d'un agent spécial. Cet agent est obligé de tenir un registre exact et détaillé de tout ce qui se vend, et ce registre est la seule base qui sert à établir la comptabilité des pécheurs et des armateurs. Il doit donc être tenu exactement ; il présente donc nécessairement le véritable état des choses. Les armateurs d'Ostende ont remis à M. le ministre des affaires étrangères le relevé exact de ce registre pour les ventes faites pendant les trois derniers mois de 1845, et M. le ministre des affaires étrangères a fait mention de ce relevé dans l'exposé des motifs, page 12, en note. D'après les résultats de ce relevé, le poisson frais s'est vendu, pendant les trois derniers mois de l'année dernière, à raison de 18 fr. 57 c. les 100 kilogr. Ce bas prix ne vous surprendra pas lorsque vous verrez dans la même note du gouvernement, qu'en Hollande le prix du poisson frais ne s'élève qu'à 11 fr. les 100 kilog. Mais peut-être trouverez-vous que nous sommes déjà un peu loin de 1845 ; peut-être voudrez-vous savoir quels sont les prix à une époque plus rapprochée de nous ; peut-être aussi demanderez-vous à connaître l'effet des représailles sur les prix des producteurs belges. Je suis à même de vous présenter des données positives à cet égard. Je tiens en main et à la disposition de la chambre, la feuille d'Ostende du dimanche 14 juin 1846. Cette feuille indique exactement le prix auquel s'est vendu le poisson frais rendant la semaine précédente. Faisant abstraction de ce qui s'est vendu à la pièce, et dont le prix varie d'après la taille, je vous dirai que le panier de 100 livres, contenant soixante et dix couples de soles, s'est vendu cette semaine-là 13 fr., c'est-à-dire à raison de 13 c. la livre de poisson ; que le panier de 100 livres de raies contenant environ 20 pièces a été vendu à 7 francs, c'est-à-dire à 7 c. la livre ; que le panier de 100 livres de plies contenant à peu près 70 pièces s'est vendu 4 fr. 50 c, c'est-à-dire 4 c.1/2 la livre ; c'est à meilleur marché que ne se vendaient les pommes de terre à la même époque !.. 11 c. la livre de morue, 15 c, 10 c, 7 c, 4 c. 1/2 la livre de poisson frais, est-ce trop cher ? Je vous le demande à vous tous, je le demanderais plus volontiers à vos ménagères qui à Bruxelles sont dans l'habitude de payer (page 1973) la morue à 50 c. la livre et le poisson frais à raison de 1 fr. la livre et souvent plus cher encore.
Vous me demanderez comment cela est possible ; vous me demanderez comment il peut se faire que le consommateur paye tant et que le producteur reçoive si peu. Vous me demanderez ce qui se trouve entre le producteur et le consommateur. Je vais vous le dire, messieurs, et ceci mérite encore toute votre attention.
Il y a d'abord le transport de la marchandise, mais bien que ce transport par le chemin de fer soit assez élevé, ce n'est là que très peu de chose comparativement au reste, et je n'en fais en quelque sorte mention que pour mémoire.
Il y a en second lieu les taxes municipales, taxes municipales souvent exorbitantes quant à leur taux et qui le deviennent plus encore par le mode de perception. Généralement ce droit se perçoit à la valeur ; mais non pas sur cette valeur minime que reçoit le producteur, mais sur une valeur beaucoup plus élevée fixée par la vente de la minque. De telle sorte que presque toujours le droit d'octroi s'élève à beaucoup plus que le prix principal encaissé par le producteur.
Ce n'est pas tout encore... (Interruption.)
Je prierai l'honorable M. de Man qui a bien voulu me demander des détails sur ce point, de me prêter un instant d'attention. C'est en partie pour lui que j'en donne.
Indépendamment des frais de transport, indépendamment des droits d'octroi, il y a encore dans plusieurs villes un système tout à fait irrationnel, tout à fait injustifiable, qui, contrairement sans doute aux intentions de ceux qui en sont les auteurs, tend à restreindre la consommation, et à favoriser le monopole des vivres, système dont le résultat doit être, jusqu'à un certain point, d'affamer le peuple pour enrichir des bouchers, pour enrichir des poissonniers. (C'est très vrai !)
Voilà ; messieurs, ce qui se trouve entre le producteur et le consommateur, voilà les causes de la cherté du poisson. Et faut-il vous le dire ? après la mise à exécution du traité, ces causes existeront comme aujourd'hui. Faut-il vous dire que dès lors le traité n'aura aucune influence sur le prix du poisson ? Et cependant on s'imagine en général dans le pays qu’aussitôt le traité mis à exécution on achètera le poisson à des prix extrêmement modiques comparativement à ce qu'on le paye aujourd'hui.
C'est une erreur, une erreur évidente, j'espère l'avoir détruite, et en tout cas, l'avenir la fera disparaître mieux encore que ne le peuvent mes paroles.
Mais si le sacrifice de la pêche n'a été commandé ni par la nécessité de sauver d'une ruine certaine quelque branche plus importante de notre industrie, ni par la nécessité de protéger le consommateur contre l'avidité des producteurs, à quoi donc faut-il attribuer la malheureuse idée que le gouvernement a eue de sacrifier la pêche nationale ? Il n'y a, messieurs, qu'une seule explication possible de cette conduite, et cette explication se résume en un seul mot : le gouvernement a été faible, excessivement faible.
Il a été faible à l'intérieur, il a été faible vis-à-vis de l'étranger, il a été faible avant la négociation de La Haye, pendant les négociations de La Haye, et même, après les négociations de La Haye. Je répéterai mes paroles, si elles sont contestées ; mais j'ai déjà parlé trop longuement pour développer en ce moment cette thèse, fondée sur une conviction profonde. Toutefois, si l'on veut m'attirer sur ce terrain, je suis prêt à m'y placer, et alors je saurai justifier, sous toutes ses faces, l'allégation que je viens d'émettre.
Je veux, pour le moment, me borner à un seul fait ; et je choisis celui-là, parce c'est un acte de faiblesse tellement caractérisé, qu'à l'exception peut-être de messieurs les ministres, personne ne viendra lui contester la qualification que je lui donne.
Lorsque deux nations également indépendantes, également jalouses de leur dignité, négocient un traité, la première règle qu'elles posent dans les négociations, c'est la réciprocité dans toutes les stipulations qui en sont susceptibles.
Je ne veux pas dire, messieurs, qu'il y ait toujours une juste réciprocité de fait ; mais il y a réciprocité de stipulations. Lorsqu'on s'écarte de cette règle, ce n'est que par exception, et c'est toujours pour des causes graves, pour des causes que la raison puisse avouer.
Or, dans le traité qui vous est soumis, on a, à la vérité, stipulé la réciprocité pour les pavillons ; on a stipulé la réciprocité pour l'introduction de la morue dont nous n'introduisons jamais une seule tonne en Hollande ; la réciprocité pour l'introduction du poisson frais, dont nous ne vendons jamais un seul panier à nos voisins. Mais on a fait une exception à la règle de réciprocité, en ce qui concerne le hareng salé. On a permis à la Hollande d'importer en Belgique le hareng salé de sa pêche en quantité indéterminée, et cela à un droit qui, comparé à la valeur de la marchandise, est cent fois plus ridicule encore que le droit de 5 centimes par kilog. de poisson frais. Et tout en permettant à la Hollande cette importation gratuite, on a défendu à la Belgique d'importer en Hollande un seul hareng salé provenant de la pêche belge, quels que fussent les droits que l'on voulût payer.
Liberté entière pour la Hollande sur le marché belge ; prohibition complète, absolue contre la Belgique sur le marché hollandais.
Quels sont, je le demanderai, quels sont les motifs d'une concession aussi énorme, d'une concession aussi exorbitante ? Messieurs, il n'y en a qu'un seul : la Hollande l'a voulu ainsi et la diplomatie belge a humblement courbé la tête devant la volonté de la Hollande. Pour vous faire comprendre combien cette concession est empreinte de faiblesse, combien cette concession est humiliante pour la Belgique, je vais en deux mots vous mettre sous les yeux la position de l’industrie du hareng dans les deux pays.
Eh Hollande la grande pêche du hareng est une industrie ancienne, une industrie puissance, une industrie formée par de vastes associations, bien plus développée dans ce pays que chez nous : c’est une industrie soutenue par une réputation européenne. En Belgique, au contraire, la pêche du hareng vient à peine de naître ; c'est une industrie faible encore, créée par des efforts individuels, une industrie injustement dédaignée par la nation et dont les produits sont injustement dépréciés dans lie public. En Hollande cette industrie est un géant, en Belgique c'est à peine un pygmée ; la Hollande a poussé l'exigence jusqu'à vouloir rendre impossible, matériellement impossible toute lutte entre le géant et le pygmée ; et la diplomatie belge a cédé devant un caprice aussi déraisonnable ! On dira peut-être : « Mais il fallait bien faire quelque chose pour la Hollande ; si nous n'avions pas consenti à cette stipulation pour le hareng, produit principal de la pêche hollandaise, nous aurions eu la rupture. » Si l'on tient ce langage, je répondrai dès à présent : Vous avez reculé devant la rupture, c'est un nouvel acte de faiblesse. Comment avez-vous pu croire que le gouvernement hollandais se serait présenté devant les états généraux, devant le haut commerce de son pays, en disant : « Nous avions obtenu de la Belgique tous les avantages que nous voulions obtenir, des avantages pour l'importation de notre bétail et de notre poisson sur le marché belge ; la moitié de la consommation de ce pays en fait de poisson nous était assurée dès à présent, et en peu de temps nous pouvions l'exploiter tout entière ; mais nous avons rejeté tous ces avantages pour le seul motif que la Belgique, par un sentiment de dignité bien naturel, voulait mettre sur la même ligne par une stipulation de réciprocité, notre vaste pêche du hareng et la petite industrie similaire, qui vient à peine de naître et qui ne pouvait raisonnablement nous causer aucun ombrage. » Et vous, ministres, vous, diplomates belges, vous avez pu croire que le gouvernement hollandais en fût venu jusqu'à la rupture pour se mettre dans une pareille position ? Oh non ! non, vous ne l'avez point cru ; vous avez été faibles et c'est là l'explication de votre conduite.
Il me reste, messieurs (et c'est par là que je vais terminer), il me reste à vous parler des conséquences générales que doit avoir le traité. Le traité est obligatoire pendant 5 ans. Pendant cette période de 5 années la position des choses va changer en Belgique, la position des choses va changer en Hollande.
Voyons quel sera le résultat de ce changement. En Hollande, pendant 5 ans l'industrie secondée par le commerce aura étendu ses relations en Angleterre pour l'importation de son bétail, et si, au bout de ces 5 ans, le, marché belge peut encore offrir quelques avantages à la Hollande, ces avantages seront minimes, insensibles, comparativement à ceux qu'elle aura obtenues en Angleterre. On peut donc dire que dans 5 ans d'ici, la Hollande sera indépendante de la Belgique en ce qui concerne sort bétail.
Quant à la pêche, d'ici à 5 ans, la Hollande aura conquis, irrévocablement conquis, le marché belge tout entier, et dès lors elle n'aura plus à craindre que notre gouvernement l'entrave de ce côté.
En Belgique il en sera tout autrement ; les industries qui aujourd'hui sont favorisées par le traité vont naturellement (et c'est pour cela que le traité est fait) vont se développer et accroître leurs exportations vers la Hollande ; et quand le traité sera sur le point d'expirer cet accroissement d'exportations vers la Hollande qui aujourd'hui n'est qu'une faveur, sera devenu un besoin, un besoin impérieux, un besoin qui rendra la Belgique dépendante de la Hollande, un besoin qui pèsera bien autrement sur les ministres d'alors, que les circonstances qui ont amené le traité ne pesaient sur les ministres actuellement au pouvoir.
D'un autre côté, le marché belge sera entièrement approvisionné par la pêche hollandaise ; la pêche belge sera anéantie et anéantie sans retour, sans qu'il y ait possibilité de la faire revivre, car si le gouvernement à cette époque faisait quelque tentative dans ce sens, personne n'armerait plus, personne n'armerait sur la foi d'un gouvernement qui ne sait qu'élever aujourd'hui une industrie pour l'abattre demain, qui érige même en principe un système que je combats de toutes mes forces. Vous avez, en effet, entendu il n'y a pas une heure, M. le ministre des affaires étrangères vous dire que si nous avions obtenu des avantages sur le marché français, c'est parce que nous avions eu quelque chose à offrir à la France ; que si nous avons obtenu des avantages sur le marché allemand, c’est parce que nous avons été à même d'offrir quelque chose au Zollverein ; que si nous obtenons des avantages sur le marché hollandais, c'est parce que nous avons été en mesure d'offrir à la Hollande le sacrifice de notre pêche.
Ainsi le système du gouvernement est celui-ci : il tâchera toujours d'obtenir sur les marchés voisins une place privilégiée, comme il le dit, pour certaines industries, mais à quel prix ? Au prix du sacrifice de certaines autres industries, qu'il aura presque à dessein rendues florissantes pour leur donner une valeur vénale plus grande, et les livrer ensuite en holocauste à nos voisins.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je n'ai pas dit cela.
M. Donny. - Non, M. le ministre, vous n'avez pas prononcé Isa mêmes paroles, mais vous avez dit la même chose, au fond.
Maintenant, messieurs, veuillez réfléchir à ceci : que doit-il arriver à la Belgique, placée dans la position que je viens de définir ? Evidemment le gouvernement des Pays-Bas qui, lui aussi, a devant lui des assemblées (page 1974) législatives ; qui, lui aussi, a derrière lui le commerce et l'industrie ; qui, lui aussi, a une patrie à rendre heureuse, à défendre ; le gouvernement des Pays-Bas ne nous dira-t-il pas dans cinq ans, soit spontanément, soit forcément, ne nous dira-t-il pas ce que le ministère français nous a dit naguère, ne nous dira-t-il pas : « Pour renouveler le traité, il faut que la Belgique donne plus, il faut qu'elle reçoive moins. » Heureux encore si, voyant la Belgique humiliée et désarmée, il veut bien se tenir alors dans les bornes de la modération !
Mais s'il se montre rigoureux, sévère, qu'aurez-vous à lui opposer ? Quelles menaces pourrez-vous appeler à votre secours ? Des droits élevés sur le bétail ? Mais il n'aura plus besoin de votre marché. Des droits élevés sur le poisson ? Mais ces droits n'entraveront pas ses exportations, vous ne pourrez plus vous passer de son poisson ; les droits pèseront non sur la Hollande, mais sur le consommateur belge. Vous le voyez : la Belgique, sans moyens de résistance, sans armes, va se trouver à genoux devant la Hollande, et Dieu sait le sort que la Hollande lui prépare pour ce temps-là !
Quant à moi, quelles que soient les circonstances qui arrivent, je n'aurai rien à me reprocher ; aucune responsabilité ne pèsera sur moi ; j'ai donné assez d'avertissements au pouvoir, j'en ai donné à l'un des membres chargés des négociations ; j'ai encore aujourd'hui fait tout ce qui dépendait de moi pour éclairer la chambre et le pays ; et je vais résumer mes efforts dans un vote négatif. C'est tout ce qu'il m'est possible de faire pour écarter du pays les désastres qui doivent résulter du traité. J'ai dit.
M. Lebeau. - Messieurs, le ministère trouvera peut-être dans l'appui que je viens prêter au projet en discussion, une faible compensation du discours plein d'amertume que vous venez d'entendre ; je ne crois pas que, parmi les adversaires du traité, personne aille aussi loin, même dans l'opposition, que l'honorable ami du cabinet qui vient de se rasseoir.
Je dis, messieurs, que je viens offrir une faible compensation à MM. les ministres ; je viens me déclarer ministériel, et probablement plus ministériel dans cette occurrence que certains ministres. Je donnerai mon assentiment au traité actuellement en discussion ; je le lui donnerai, d'abord pour les stipulations qu'il renferme, puis pour des considérations politiques que je regarde comme de la plus haute importance.
Je donne mon assentiment au traité, parce qu'il est tout au moins un temps d'arrêt dans le système des restrictions commerciales. J'y vois plus que cela, j'y vois un nouveau pas fait avec prudence dans le système de libres échanges, qui est la grande question à l'ordre du jour dans plusieurs Etats.
J'y vois, messieurs, un système d'humanité et de haute prudence, l'abaissement, par un acte isolé, il est vrai, mais que je regarde comme le précurseur d'autres actes de même nature, l'abaissement du prix des substances alimentaires ; l'abaissement du prix des céréales, de la viande, du poisson, qui sont la base de l'alimentation des classes les moins aisées et les plus nombreuses ; j'y vois une tendance à la diminution du prix du café, du tabac, du fromage, qui sont le très modeste et trop rare superflu d'une très grande partie de nos concitoyens.
J'y vois encore un abaissement sur le prix des vêtements de la classe la plus pauvre, sur les étoffes de laine grossière. A cet égard, j'accepterais la stipulation avec plus de reconnaissance, si elle ne venait de nouveau régler l'imprévoyance du cabinet qui, dans cette circonstance, comme dans une autre circonstance toute récente, nous a montré qu'il ne cherchait en quelque sorte à élever des industries à l'aide de protections, que pour les offrir quelque temps après en holocauste.
Je me félicite encore de la signature du traité actuel, parce qu'il donne de plus en plus raison à ceux qui ont combattu, dans cette enceinte, avec énergie, le système des droits différentiels. Quoi qu'en ail dit M. le ministre des affaires étrangères, loin que ce projet de loi soit la consécration du système des droits différentiels, il lui porte la brèche la plus large que ce système ait jamais reçue. Il ne reste, et c'est notre métropole commerciale qui vous le dit, il ne reste plus de ce système que les gènes, les entraves que vous y avez inscrites ; et ce sont ceux qui auraient le plus grand intérêt à ce que la loi des droits différentiels se développât, si le sort de notre marine marchande y était réellement lié, ce sont ceux-là qui viennent vous demander d'en faire disparaître les derniers vestiges.
Il est vrai que du haut de votre science, du haut des panégyriques dont vous accablent vos amis de la presse ; du haut, sans doute, de l'opinion d'une fraction du commerce de Bruges, d'Ostende, que sais-je ! de l'autorité de Neufchâteau, vous affirmez dédaigneusement que les localités les plus intéressées, qu'Anvers, Gand, Liège, Mons, Charleroy, Verviers, qui se sont prononcés et qui se prononcent encore contre la loi des droits différentiels, n'y entendent absolument rien.
Messieurs, je ne veux pas abuser des moments de la chambre, je ne veux pas prolonger une discussion qu'on peut considérer comme incidentelle ; je crois que cette discussion aura son siège naturel dans l'examen des propositions qui nous seront faites de la part, si je ne me trompe, des honorables députés d'Anvers, ou de la part du gouvernement, si le gouvernement prend l'initiative, lorsqu'il s'agira de la pétition concernant la relâche à Cowes. Je me réserve d'aborder alors sérieusement la question.
Je ne dirai qu'un mot pour en finir sur ce point : c'est que je suis convaincu qu'il n'y a pas un des grands traités internationaux que la chambre a été appelée à ratifier après la loi des droits différentiels, qui n'eût pu être conclu, sans cette loi, avec la stipulation d'avantages analogues à ceux qui sont renfermés dans les traités. Et pour n'en citer qu'un exemple, je demande ce que la loi des droits différentiels a fait à la signature du traité conclu avec les Etats-Unis ? Je demande quelle différence notable il y a entre le traité signé en 1840 avec cette puissance, et le traité signé avec le même pays après la loi des droits différentiels de 1844 ?
Messieurs, si des considérations commerciales nous passons aux considérations politiques, celles-ci me paraissent militer avec plus de force encore en faveur du traité qui est soumis à notre sanction.
Personne plus que moi, aux époques même les plus voisines de la révolution, n'a désiré qu'un rapprochement s'établît entre la Belgique et la Hollande. Ministre d'un gouvernement pour ainsi dire provisoire, sous la régence, je m'adressai directement à l'un des ministres du gouvernement des Pays-Bas, dans le dessein de préparer un pareil rapprochement.
On connaît la libéralité relative du tarif néerlandais ; là nous ne voyons en général ni droits excessifs, ni prohibitions, ni monopoles. Une légère déviation, qui, j'espère, ne sera que momentanée, a été apportée par la loi du 19 juin 1845 au tarif généralement libéral de la Hollande. J'ai la conviction, je le répète, que cette déviation, contraire aux vrais intérêts comme aux traditions de la Hollande, ne se reproduira pas.
Je vois dans notre voisin d'outre-Moerdyk une puissance trop faible pour porter jamais ombrage à notre indépendance ; une puissance qui a, comme nous, le plus grand intérêt à défendre les doctrines de paix et de neutralité auxquelles se rattachent si intimement l'intégrité et l'inviolabilité de nos territoires respectifs. Deux puissances voisines ayant, sous ce rapport, les mêmes intérêts à protéger, les mêmes périls à courir et à conjurer, et pouvant mettre en commun deux budgets de cent millions de francs, et deux armées de cent mille hommes, ces deux nations doivent nécessairement s'entendre pour veiller sur leur indépendance, sur le maintien de leur neutralité, sur l'inviolabilité du sol national.
C'était là pour la Hollande le but des traités de barrière.
Nous avons mille fois mieux que ces traités, puisqu'alors la Belgique était gardée par l'étranger moins pour elle que pour lui, et qu'elle devait payer ses gardiens, servitude à la fois dégradante et ruineuse, bien propre à nourrir, à exaspérer la haine nationale contre les auteurs d'une si humiliante domination.
Aujourd'hui, notre dignité et notre indépendance se concilient avec les intérêts les plus élevés de la Néerlande elle-même.
L'intérêt des deux pays au jour du danger, si contre toute apparence la paix du monde venait à être troublée, est de mettre en commun, par une association aussi honorable qu'intime, tous les moyens de défense dont ils peuvent disposer, pour l'inviolabilité de leurs territoires respectifs et pour que leur neutralité reste toujours sincère, loyale, forte, inexpugnable.
Je passe maintenant à l'examen de quelques clauses du traité. Je serai aussi bref qu'il me sera possible, car il faut du courage pour parler dans un pareil moment, en présence de la fatigue que doit éprouver la chambre. (Non ! non ! parlez !)
Je commence par l'examen des stipulations relatives aux colonies néerlandaises. En ce qui concerne l'entrée de nos produits aux colonies néerlandaises, un de mes honorables amis l'a déjà fait remarquer, nous n'obtenons rien ; et si nous obtenions quelque chose, nous le partagerions avec la France et l'Angleterre. En effet l'article premier du traité de 17 mars 1824 entre l'Angleterre et les Pays-Bas est formel sur ce point ; il est ainsi conçu :
« Les hautes puissances contractantes s'engagent à admettre réciproquement leurs sujets au commerce avec leurs possessions respectives dans l'Archipel oriental et sur le continent de l'Inde et dans l'île de Ceylan, et ce sur le pied de la nation la plus favorisée, etc. »
Il ne s'agit pas, comme on le voit, d'équivalents ; l'assimilation est de plein droit. La France a été mise sur la même ligne par le traité qu'elle a conclu avec les Pays-Bas, le 25 juillet 1840. L'article 9 porte :
« Que les hautes parties contractantes s'engagent également à admettre, sans équivalent et de plein droit, les sujets, navires et produits de toute nature de l'autre Etat, dans les colonies respectives sur le pied de toute autre nation européenne la plus favorisée. »
Ainsi assimilation complète de la France et de l'Angleterre à l'entrée dans les colonies néerlandaises, le jour où le moindre privilège y serait accordé à la Belgique.
Nous avons à examiner maintenant une stipulation faite spécialement pour la Belgique, quant à la sortie des colonies néerlandaises. D’abord, sur ce point l'Angleterre est aussi placée sur la même ligne que nous ; elle y est placée aussi sans équivalent, de plein droit, sans compensation, car la disposition du traité que j'ai citée ne distingue point entre l'entrée et la sortie.
Et la France ? Ne peut-elle pas revendiquer le même droit ?
Je ne crains pas que ma faible autorité puisse servir à la défense des intérêts français ; dès lors la chambre comprendra que je ne pense pas devoir, sous ce rapport, mettre grande réserve dans l'observation que j'ai à lui présenter.
Je suis fâché de ne pouvoir entièrement m'associer aux félicitations qu'adressent à MM. les ministres leurs organes habituels. Dans leurs chaleureux panégyriques, ceux-ci n'admettent pas même la plus légère critique du traité ; ils n'entendent pas, sans colère, la plus légère observation ; ils accusent presque d'être un mauvais citoyen quiconque ose toucher aux lauriers dont ils décorent la tête de leurs patrons.
Il m'est impossible de ne pas concevoir, en présence du traité conclu (page 1975) le 25 juillet 1840 entre la France et les Pays-Bas, quelques doutes sur le fondement des prétentions que le gouvernement français pourrait élever à être, quant au droit de sortie des colonies néerlandaises, assimilé au pavillon belge.
Je sais que les colonies néerlandaises n'approvisionnent ni la France, ni l'Angleterre ; mais cette assimilation, que je.ne prétends pas, du reste, ressortir clairement du traité gallo-néerlandais, peut être réclamée avec les chances que donne l'ascendant d'une grande puissance sur une petite ; et dès lors les faveurs qu'on nous accorde deviendraient ainsi à peu près celles de tout le monde.
J'avoue, encore une fois, que ce droit de sortie pour l'Angleterre et la France n'est pas d'une grande importance. Je crois que l'Angleterre n'ira pas chercher beaucoup de produits coloniaux à Java, elle qui est si riche en colonies. Cependant elle vient de changer son tarif et de faire un pas immense dans un nouveau système commercial ; elle vient de changer même sa législation sur les sucres par suite de l'extrême besoin d'approvisionner ses marchés ; je ne pense pas qu'elle fera fi de cette faculté ; il se peut donc qu'elle prenne à Java huit mille tonneaux de sucre. Ce n’est pas là, je le reconnais, un immense avantage pour elle, ni un grand dommage pour nous. Si la France n'était pas une puissance coloniale et qu’elle eût besoin de chercher du sucre ou du café à Java, nous avons vu, qu'elle ne manquerait pas de motif ou au moins de prétexte pour s'y faire admettre aux mêmes avantages que nous.
Le traité, outre les stipulations coloniales, contient des dispositions relatives à l'entrée des produits belges sur le sol néerlandais. Il nous a été démontré que ces avantages étaient encore considérablement restreints, parce que nous sommes exposés à les partager avec l'Angleterre. Je suppose que sur ce point la concurrence de l'Angleterre paraîtra plus dangereuse au ministère et à ses amis extra-parlementaires, que la concurrence de cette puissance à Java. L'article premier du traité du 27 octobre 1837, entre les Pays-Bas et le Royaume-Uni, admet l'Angleterre, sous des conditions assez faciles à remplir, moyennant une compensation, à introduire ses produits en Hollande sur le pied de la nation la plus favorisée.
La France, par son traité du 25 juillet 1840, article 11, est d'abord sur le même pied que l'Angleterre. De plus elle est placée dans une position beaucoup meilleure que celle-ci, puisqu'en vertu de ce même traité (article 10), elle peut aujourd'hui, sans aucune compensation, partager le marché néerlandais avec la Belgique pour la bonneterie, la dentelle et les tulles, la coutellerie, la mercerie, les papiers de tenture, la porcelaine blanche et colorée, la verrerie et les avantages de navigation intérieure et fluviale. La compensation n'aurait lieu que si la France réclamait l'assimilation pour les cuirs, les fers, les clous, les fils de lin, les meubles, les tissus de coton, de lin et de laine. ! Je conviens que nos privilèges sont encore assez considérables ; mais moyennant des compensations qu'il serait peu difficile de trouver au besoin, ces objets pourraient être importés par la France aux mêmes conditions que les nôtres.
Tout en reconnaissant que ce sont là des avantages, il ne faut donc pas s'en exagérer la portée. Ils sont restreints, d'abord par la concurrence anglaise, possible sous certaines conditions, et ensuite, quant à la France, et par les avantages spéciaux de son traité, et par la faculté qu'elle a, en vertu de ce même traité, d'être entièrement assimilée à la Belgique.
Cependant je reconnais qu'il y a du bon dans le traité. Je reconnais que la faculté d'exporter, avec un droit de faveur, 8,000 tonnes de denrées coloniales des Indes néerlandaises, est bonne en elle-même ; c'est une bonne stipulation, qui peut favoriser notre commerce lointain, en nous procurant des retours.
J'espère que cet esprit commercial, qui avait créé, il y a un peu plus d’un siècle, cette belle Compagnie d'Ostende, qui avait conduit notre pavillon et nos produits à Moka, sur la côte de Malabar, sur la côte de Coromandel, au Bengale et jusqu'en Chine, revivra. On sait que les navires de la Compagnie revinrent en Belgique avec de riches cargaisons et parfois avec un bénéfice de 100 à 120 p. c. J'espère que cet ancien esprit, malheureusement étouffé bientôt après par la faiblesse coupable du gouvernement, cet esprit commercial vivifié à Ostende par les encouragements du pouvoir, et qui avait fait établir, entre Ostende, Gand et Anvers, une véritable hanse, une fédération commerciale ; j'espère que cet ancien esprit n'est pas entièrement étouffé, qu'd pourra renaître ; et quelque faible que soit l'encouragement que lui apporte le nouveau traité, à ce titre encore il aura mes suffrages, il aura mes sympathies. J'ose espérer que l'esprit des de Prêt, des de Coninck, d'Anvers, des Maelcamp, de Gand, des Roy, d'Ostende, peut encore renaître.
Je ne terminerai pas sans user de la réserve formellement stipulée dans le remarquable rapport qui vous a été présenté par l'honorable M. d'Elhoungne. Nous nous sommes abstenus de jeter le moindre blâme sur tout ce qui a précédé la négociation. Le gouvernement rendra à l'opposition la justice de reconnaître que, sous ce rapport, elle s'est montrée aussi patriotique, aussi dévouée aux intérêts du pays que ceux qui habituellement appuient le ministère. Nous avons gardé le silence le plus absolu ; quels que fussent les reproches que nous avions à faire au gouvernement, nous les avons différés ; le moment est venu de les lui adresser.
Nous sortons d'une guerre douanière qui a été cruelle, qui a fait de nombreuses victimes. Cette guerre douanière, je n'hésite pas à le dire, est le résultat des imprudences du cabinet ; peu de mots suffiront pour l'établir.
Avant d'arriver à la discussion de la loi des droits différentiels qui a été la cause déterminante de la lutte douanière dont nous allons sortir, le cabinet avait déjà préludé à cette guerre commerciale avec la Hollande qui a éclaté quelque temps après ; il y avait préludé par des mesures telles que la surtaxe sur les tapis de poil de vache et le retrait du transit du bétail que l'on avait accordé sur les instances de la Hollande et qu'on se hâtait de retirer par suite des réclamations qui partaient de ces bancs. (L'orateur désigne les bancs de la droite.)
Je n'insiste pas sur le mérite des mesures qu'on avait prises ; mais sur la facilité avec laquelle ces mesures sont prises un jour et retirées le lendemain.
Quant à la loi des droits différentiels, quel fut, pendant la discussion, le langage qu'on a tenu ? Il a été double comme les phases de la discussion. Dans la première phase qu'a-t-on dit ? Quand on a parlé de représailles possibles, l'honorable M. Dechamps, le premier, combattait en quelque sorte ces craintes avec l'arme du ridicule. Selon lui, le haut commerce hollandais opposerait une résistance insurmontable à toute idée de représailles de la part du gouvernement des Pays-Bas envers la Belgique. Quelques jours après ce langage, il y avait un changement complet dans les discours des organes du gouvernement. Je ne répéterai pas ce qui a été dit en comité secret ; mais dans la séance publique du 8 juin 1844, voici ce que disait M. le ministre de l'intérieur :
« La question est celle-ci : L'exception de sept millions de kil. de café est-elle politiquement nécessaire ? Nous croyons avoir en comité secret établi la nécessité politique de cette exception. »
Je le répète, dans la seconde phase de la discussion de la loi du 21 juillet 1844, le maintien de l'exception en faveur de la Hollande a été présenté comme une condition indispensable du maintien du statu quo de la part du cabinet de La Haye. A quelques jours d'intervalle le langage avait complétement changé. En présence des réclamations de la Hollande, le ministère demandait avec instance, comme condition du maintien du statu quo, l'exception des 7 millions de kil. de café néerlandais à introduire au droit de faveur. Comment un des membres du cabinet d'alors, qui siège dans le cabinet actuel, qui soutenait cette opinion, sachant à quelles conditions le gouvernement néerlandais à tort ou à raison s'abstenait d'user de représailles, est-il venu donner à ce même gouvernement des prétextes pour nous déclarer une guerre douanière, qu'il était si facile d'éviter ?
Car dans l'exposé des motifs du projet de loi de janvier dernier, voici comment l'honorable M. Dechamps s'exprime : « Par la prorogation, pure et simple, nous pouvions peut-être ajourner les difficultés pour quelques mois. » Ajourner les difficultés pour quelques mois, messieurs,, mais cela était énorme, alors que vous avez dit depuis que la Hollande ne cherchait qu'un prétexte. Et ce prétexte, vous le lui donnez ! Vous le lui donnez, parce que quelques réclamations plus ou moins vives vous sont arrivées d'Anvers, et vous le lui donnez non pas en agissant avec dignité, non pas même en agissant avec légalité, car il est douteux que vous pussiez opérer le retrait partiel de la disposition relative aux 7 millions de café ; mais vous adoptez un terme moyen ; vous n'avez pas le courage de frapper un grand coup contre la Hollande, c'est avec une chiquenaude que vous provoquez la guerre des tarifs ! Et dans quel moment ? Je le répète, lorsque vous veniez à peine de clore une session qui n'avait été ouverte que pour pourvoir à l'approvisionnement du pays ; lorsque vous étiez en présence d'une crise alimentaire ; lorsque vous saviez qu'il fallait abattre nos barrières protectionnistes pour nous aider à conjurer le danger qui planait sur le pays. Vous greffez sur cette crise désastreuse une crise industrielle et commerciale. Et vous parlez de prévoyance ! Et vous parlez de votre sollicitude pour les intérêts matériels ! Fort heureusement la sagesse, la moralité des populations belges a été au-delà de votre imprudence. Mais ce sont là, croyez-le, MM. les ministres, des épreuves auxquelles il ne faut pas souvent soumettre un pays, d'autant plus que nous avons vu le gouvernement s'humilier ensuite comme toujours, et avoir l'air d'aller demander grâce et merci à La Haye. (Réclamations.)
J'espère qu'on ne me prête pas l'intention de faire un mauvais jeu de mots. Je dis que le gouvernement s'est humilié, parce qu'il a fait les premières démarches, bien que la guerre de tarifs n'eût pas été déclarée par nous, et qu'il a eu l'air d'aller demander grâce et merci à La Haye.
Qu'est-il résulté, messieurs, de ces représailles ? Indépendamment des dangers auxquels l'ordre public aurait été exposé sans une population moins patiente, moins résignée, moins morale que la population belge, il en est résulté, en pure perte, des dommages matériels incalculables. Jetez les yeux sur la note que M. le rapporteur de la section centrale a mise à côté de son rapport ; comparez nos exportations vers la Hollande pendant les six mois de 1846 qu'a duré la guerre douanière, et les mêmes exportations pendant les six mois correspondants de 1845, et vous verrez que pour les houilles, l'exportation, qui avait été dans les six mois de 1845, de 95,240 tonneaux, tombe pour la même période de 1846, à 27,975 tonneaux ;
Que les exportations de fontes ouvrées sont réduites de moitié ; que les exportations de fer battu, de 301,403 kil. qu'elles étaient en 1845, sont tombées à 95,274 kil. ;
Que l'exportation de nos clous, qui pendant les six mois de 1845, était de 2 millions de kil., est tombée à moins de 800,000 kil. dans la période correspondante.
Que la réduction sur nos tissus de coton a été 100,000 de kil. ; que l'exportation de nos verres à vitre est tombée de 800,000 k. à 400,000 kil.
Et tout cela, messieurs, pourquoi ? Pour arrivera un traité. Mais vous (page 1976) pouviez arriver à ce traité sans crise. Vous saviez bien quelles étaient les conditions sons lesquelles seules vous pouviez obtenir ce traité international : c'étaient des concessions sur la pêche, des concessions sur le bétail, des concessions sur les céréales.
Si, au lieu de faire précéder la négociation d'une crise complétement inutile, vous aviez prolongé l'exception et traité sur la triple base des concessions sur la pêche, sur le bétail et sur les céréales ; avant l'expiration de cette exception que la prudence d'un de vos collègues avait fait insérer dans la loi des droits différentiels, vous seriez venus apporter à cette chambre le traité que vous lui apportez aujourd'hui. Mais vous n'avez pas eu ce courage ; vous avez voulu que l'opposition fût à l'avance, quant à ces trois concessions, amortie, vaincue par une crise ; voilà quelle a été votre conduite.
Je vous le répète, MM. les ministres, rendez grâce à la moralité, à la patience vraiment chrétienne de la population belge, de ce que les choses se sont ainsi passées ; mais rendez grâce aussi peut-être à l'état des esprits, à l'époque avancée de la session, à la fatigue qui domine la plupart d'entre nous et qui vous feront seuls peut-être échapper au blâme que vous avez mérité.
Oui, messieurs, cela est ainsi. J'approuve hautement le traité. Je m'en suis expliqué ouvertement. Je ne mettrai jamais mes intérêts d'opposant au-dessus de mes devoirs de citoyen. Mais, je crois qu'après avoir rempli mes devoirs de citoyen, en appuyant le traité, j'ai eu le droit de m'exprimer sur le cabinet avec la chaleur que j'ai mise dans ces dernières paroles, et j'y persiste.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Quelque désir que j'aie de voir cette discussion ne pas se prolonger au-delà du temps fixé par l'impatience de la chambre, je suis forcé, messieurs, de répondre quelques mots au discours de l'honorable préopinant.
L'honorable membre accepte le traité, mais il veut infliger un blâme au gouvernement qui l'a négocié. Il considère le traité comme un acte utile et heureux, mais il croit devoir appeler une faute la conduite que le gouvernement a tenue avant le conflit commercial qui a précédé la négociation du traité. Il applaudit aux résultats, mais il critique les moyens employés pour les atteindre.
Messieurs, j'accepte très volontiers les éloges que l'honorable membre a bien voulu adresser à l'œuvre même. Si une faute avait été commise et avait provoqué les représailles, cette faute, à ses yeux, devrait être heureuse, puisque le résultat du conflit commercial a été de créer une situation meilleure que celle qui existait avant la rupture. Je souhaite que l'on commette dans l'avenir des fautes qui amènent d'aussi heureuses conséquences.
Mais je n'accepte pas le blâme qu'il a voulu infliger à la conduite du gouvernement.
Messieurs, l'honorable membre a soutenu que l'arrêté du 29 décembre 1845, qui a été l'occasion des représailles de la Hollande, avait été une faute. J'ai heureusement, pour défendre ici le gouvernement, le rapport qui a été présenté par l'honorable M. d'Elhoungne dans le mois de janvier dernier. Cet honorable membre, en examinant au nom de la section centrale, quelle avait été, dans les longues négociations qui ont eu lieu entre les deux pays pour amener la conclusion d'un traité, la nature des prétentions des deux gouvernements, vous a démontré que si quelque chose pouvait être reproché au gouvernement belge, c'était peut-être d'avoir été trop loin dans la voie des concessions et de la condescendance. Et c'est là le reproche que tout à l'heure l'honorable M. Donny a renouvelé.
J'appelle l'attention de la chambre sur la contradiction qui existe entre l'affirmation de l'honorable M. d'Elhoungne et l'affirmation de l'honorable M. Lebeau. Voici ce qui disait l'honorable M. d'Elhoungne dans son rapport : » Dans le désir de voir ses rapports avec les Pays-Bas se multiplier et s'étendre sous l'influence d'un traité réciproquement favorable, elle a pu user de ménagements et prendre, plus d'une fois, l'initiative des concessions. Mais la Belgique pouvait-elle aller plus loin, sans que sa modération dégénérât en faiblesse ? En présence du tarif exceptionnel et hostile dont le gouvernement néerlandais a frappé brusquement les produits belges, sans tenir compte ni des bons procédés, ni des avances de la Belgique, celle-ci devait-elle rester impassible ? Telle est la question que le gouvernement belge s'est posée, et qu'il n'a point hésité à résoudre négativement. »
D'après l'honorable M. d'Elhoungne, les avances, les bons procédés, l'initiative des concessions sont toujours venues de la Belgique.
D'après l'honorable M. Lebeau, au contraire, la Hollande aurait eu à reprocher à la Belgique des griefs nombreux qui, d'après lui, auraient légitimé en quelque sorte les représailles prises contre nous.
La question première est donc celle-ci : Dans les négociations qui ont eu lieu avant l'arrêté du 29 décembre, le gouvernement belge n'a-t-il pas posé les actes de conciliation, de prudence qu'on lui a reprochés comme allant jusqu'à la faiblesse ?
La deuxième question que je pose est celle-ci : L'arrêté du 29 décembre pouvait-il être évité ? Cet arrêté a-t-il justifié les représailles des Pays-Bas ?
La section centrale a répondu ; le rapport de M. d'Elhoungne n'est qu'une longue et complète démonstration.
Mais, messieurs, j'attire votre attention sur ce point : l'arrêté du 29 décembre n'a pas été cause des représailles ; je l'ai déjà démontré dans l'exposé des motifs, mais je me permettrai de citer un passage d'une note officielle du gouvernement des Pays-Bas, postérieure à l'arrêté du 29 décembre, et qui prouve d'une manière péremptoire l'erreur qui existe, à cet égard, dans certains esprits. Dans cette note du 18 janvier, M. le ministre des affaires étrangères des Pays-Bas s'exprime ainsi :
« Ce n'est nullement l'arrêté royal belge du 29 décembre dernier qui est la cause première de la mesure de réciprocité établie par l'arrêté royal néerlandais du 5 courant ; il n'en a été que la cause déterminante, comme l'aurait pu être tout autre arrêté qui, fixant l'échéance de l'exception, serait venu changer le statu quo, sous lequel les négociations avaient été ouvertes. »
Ainsi, messieurs, si le gouvernement belge n'avait pas pris l'arrêté du 29 décembre, s'il s'était borné, comme la loi lui en faisait une obligation, à proroger le délai fixé par cette loi pour l'exception relative aux 7 millions de kilog. de café, à déterminer ainsi l'échéance de l'exception, les mesures de représailles n'en étaient pas moins prises, la note que je viens de citer le déclare formellement.
De toute façon, du reste, ces mesures étaient inévitables, le 1er août, alors que l'exception tombait en vertu de la loi même.
Valait-il mieux qu'elles fussent adoptées le 1er août, plutôt que le 5 janvier ? En d'autres termes, valait-il mieux que le conflit commercial que nous avons eu à regretter, eût lieu au milieu de l'été, pendant la saison des ventes et des expéditions, au lieu de s'être produit en hiver lorsque ces relations ne sont pas actives ?
Ainsi donc, messieurs, la conduite du gouvernement avant l'arrêté du 29 décembre, dans les négociations, a été prudente, modérée, trop modérée aux yeux de la section centrale dont M. d'Elhoungne a été le rapporteur.
L'arrêté du 29 décembre ne justifiait pas les représailles du 5 janvier et ces représailles eussent été prises quand même l'arrêté de décembre n'aurait pas existé. Voilà ce qui me paraît établi et démontré.
Le gouvernement n'accepte donc pas le blâme que l'honorable M. Lebeau a voulu déverser sur sa conduite en cette circonstance.
Permettez-moi, messieurs, de répondre quelques mots encore à une autre partie du discours de l'honorable membre.
L'honorable M. Lebeau, se préoccupant de l'intérêt que l'Angleterre ou la France pourrait avoir en ce qui concerne l'interprétation de certaines clauses de leurs traités de 1824, 1837 et 1840, avec les Pays-Bas, l'honorable membre émet des doutes sur la question de savoir, d'abord si l'Angleterre et la France jouiraient de l'exception à la sortie de Java, pour une quantité de 8,000 tonnes à exporter.
Il demande, en second lieu, si en vertu des traités de 1837 et de 1840, l'Angleterre et la France ne participeront pas aux faveurs industrielles que le traité nous accorde.
Je ne veux pas discuter ici sur le sens à donner au traité de 1824 avec l'Angleterre et au traité de 1840 avec la France, relativement à la question des Indes orientales. Je me bornerai à lui dire que l'interprétation qu'il a donnée, n'est pas la vraie, dans mon opinion ; mais c'est là un débat entre les cabinets de Londres et de La Haye, dans lequel nous n'avons pas à intervenir.
Mais je suppose que je me trompe, que nous importe ? C'est une question entre l'Angleterre et la Hollande ou entre la France et la Hollande, mais ce n'est pas une question d'intérêt belge.
Si l'Angleterre reçoit directement de Java 8,000 tonnes par navires anglais, ou la France par navires français, je le répète, en quoi l'intérêt belge est-il mêlé à cette question ? Si donc cette clause du traité est un laurier qui couronne la tête des ministres, pour me servir des expressions de M. Lebeau, l'argument de l'honorable membre n'est nullement de nature à l'arracher de notre front.
Mais, messieurs, relativement aux concessions industrielles que nous avons obtenues sur le marché néerlandais, relativement au traitement différentiel qui nous est acquis en ce qui concerne les grandes industries belges, là il est clair que ni la France ni l'Angleterre ne peuvent prétendre à participer à ces concessions sans un traité nouveau. Sans doute ces concessions peuvent leur être accordées, en vertu d'équivalents et de compensations équitablement établies.
Mais, je le demande à l'honorable membre : au moment même où l'Angleterre vient de s'interdire, pour ainsi dire, tout traité avec d'autres nations continentales, par les mesures de liberté commerciale qu'elle a prises, est-il vraisemblable qu'une négociation soit entamée entre les Pays-Bas et l'Angleterre, pour amener des compensations qui pourraient faire accorder à l'Angleterre les réductions industrielles que nous avons obtenues par le traité ? C'est là une garantie. On ne conclut pas des traités tous les jours. Un traité existe entre la France et les Pays-Bas ; il n'est guère probable qu'une négociation va avoir lieu pour changer ce traité ; et nous avons au moins cette certitude morale, qu'il faudra des traités nouveaux, des compensations réelles pour que d'autres nations jouissent du traitement différentiel qui nous a été accordé par le traité sur les marchés des Pays-Bas.
M. Zoude. - Je conviens, avec l'honorable rapporteur de la section centrale, que le traité qui vous est soumis est plus avantageux à la majorité des intérêts belges que n'était l'état des choses qui existait avant, la guerre de tarifs avec la Hollande ; mais il est à déplorer que l'intérêt particulier du Luxembourg doive toujours être sacrifié à l'intérêt général dans presque tous les traités ; c'est ainsi qu'il l'a été d'une manière sanglante dans celui de 1839 ; il l'a été dans la dernière convention avec la France ; il l’est enfin d'une manière on ne peut plus préjudiciable dans le traité maintenant en discussion.
Nous ne rouvrirons pas les plaies encore saignantes du déchirement de (page 1977) la province, nous nous bornerons à dire quelques mots de la convention avec la France et de celle qui vous est soumise.
Il est connu que le Luxembourg n'a plus maintenant que deux ressources, l'une générale, qui est celle de son bétail, l'autre particulière à quelques localités où elle était en prospérité, c'était l'industrie ardoisière que la convention a sacrifiée à l'égoïsme français qui en a repoussé les produits par un droit prohibitif ; il est, en effet, presque triplé sur les ardoises d'une certaine dimension, il est porté de 2 fr. à 5-80 et presque doublé sur celles d'une dimension plus forte, parce qu'on a fait accueillir comme vérité aux chambres françaises, une absurdité qui ferait sourire de pitié nos ouvriers les plus grossiers. On fit croire à ces chambres que des ardoises épaisses de quelques centimètres pouvaient, après leur entrée en France, être divisées de manière à en augmenter le nombre ! Et notre ministère, dans les motifs à l'appui du traité, n'a pas hésité à nous dire que la convention stipulait une réduction des droits d'entrée sur les ardoises.
Aujourd'hui c'est le bétail qui est offert en holocauste, c'est-à-dire la fortune entière de la province ; cependant il commençait à s'introduire dans les cantons voisins d'où il sera bientôt refoulé, parce que toutes les campagnes vont souffrir du traité qui réduit le droit de 25 p. c. sur les uns, et de 50 p. c. sur les autres.
Le gouvernement cherche à en atténuer les effets, mais il vous en a signalé lui-même tous les inconvénients, et les souffrances que vous éprouverez encore, il les a développées dans le projet de loi qu'il vous a présenté le 30 mai 1844, lorsqu'il vous disait que les commissions qui furent réunies dans diverses provinces pour apprécier les effets de la loi de 1835, qui frappait le bétail hollandais du droit de 10 c. au kilogramme, les avaient considérés presque à l'unanimité comme payant été utiles à l'agriculture et à l'élève du bétail. Ces commissions avaient aussi émis l'avis que son influence était étrangère aux augmentations survenues dans le prix de la viande.
Le Luxembourg aurait obtenu un allégement si le gouvernement avait cherché à faire admettre son bétail au poids, tandis qu'il est frappé par tête, ce qui augmente considérablement le droit qu'il supporte eu égard au gros bétail des autres provinces ; mais loin de là, car il est universellement accrédité dans le Luxembourg que le gouvernement aurait pu obtenir cette concession de la part de la France, qui éprouve quelque besoin de notre bétail, s'il avait voulu s'en occuper sérieusement ; mais le faible et le pauvre rencontre, dit-on, peu d'appui au pouvoir. J'engage instamment le gouvernement à ne plus encourir ce reproche.
D'après les considérations que je viens d'exposer, je ne puis appuyer de mon vote un traité si préjudiciable aux intérêts de ma province ; cependant étant convaincu qu'il est favorable aux intérêts de la majorité du pays, je croirais faire acte de mauvais citoyen en votant contre, c'est pourquoi je m'abstiendrai.
M. Desmet. - Messieurs, à entendre parler l'honorable M. Lebeau, comme cet honorable membre vient de le faire en commençant le discours qu'il a prononcé, on pourrait bien croire qu'il y a dans cette chambre divergence d'opinion sur le désir d'obtenir les denrées alimentaires au plus bas prix possible, et en prononçant les vœux qu'il a faits pour avoir l'abaissement des prix de ces denrées, on a bien vu qu'il voulait faire un reproche aux membres de la chambre qui défendent le système de protection pour les produits nationaux. Comme un des membres qui dans cette chambre ont toujours voulu avoir une protection pour le travail belge, je crois utile de répondre deux mots, à ce sujet, à l'honorable M. Lebeau.
Autant que lui je désire l'abaissement des prix des différentes substances alimentaires, et tout particulièrement celles dont a besoin la classe ouvrière ; mais à quoi peut servir le bas prix de la viande, du pain et même du fromage hollandais, des boissons et des vêtements, quand je n'ai pas de quoi les acheter, quand je ne gagne rien, quand je n'ai pas de travail ? C'est surtout le travail qu'on doit chercher à procurer à la classe pauvre et ouvrière ; c'est le travail que cette classe demande partout et sans cesse, et c'est à quoi songent et travaillent tout particulièrement ceux qui demandent de la protection pour le travail national, pour les manufactures, les fabriques, l'agriculture et le commerce belges. C'est le bon placement des produits de notre industrie propre que nous cherchons et que nous désirons avoir, coûte que coûte, dans des moments, surtout, où notre nombreuse population ouvrière se trouve sans travail et sans pain, et c'est pourquoi nous aimons à voter un nouveau traité de commerce afin d'agrandir le marché de nos produits et en faciliter le placement, et surtout d'en faire un avec la Hollande, parce que ce pays nous offre un débouché favorable à nos produits, et que nous pouvons le conclure sur des bases assez larges, parce que les deux pays ont à peu près le même intérêt à faire le traité.
C'est là toujours la tendance des protectionnistes, ils désirent l'agrandissement des marchés ; c'est encore pour les mêmes motifs qu'ils ont désiré d'obtenir un traité avec la France sur de plus larges bases et qui, certes, aurait été dans l'intérêt, aussi bien de la France que de la Belgique et qui aurait servi les deux nations avec plus d'avantage contre leurs rivaux en fait d'industrie et de commerce. Et c'est ici que je me trouve obligé de faire un reproche à l'honorable membre que je combats dans ce moment, que quand il avait entre les mains les rênes de l'Etat et qu'il a eu l'occasion d'obtenir ce traité avec la France, il l'a repoussé et n'a pas profité de cette belle occasion ; s'il avait accepté ce beau cadeau pour son pays, il lui aurait rendu un service éminent, et il n'aurait pas été forcé de songer à d'autres moyens pour procurer le travail et le pain à bon marché à la classe nécessiteuse.
Nous sommes donc de l'opinion des honorables membres Lebeau et Rogier, que nous aimons comme eux les conclusions des traités de commerce, afin d'obtenir une liberté de commerce ; mais nous différons en ceci que nous voulons une liberté générale, mais pas une liberté partielle, celle qui aurait pour but d'ouvrir nos ports aux nations qui ne voudraient pas les ouvrir également pour nous ; j'appellerai cette liberté celle des dupes, et si nous avions en ceci suivi l'opinion ancienne de ces honorables membres et de leurs partisans, nous n'aurions pas le traité que nous allons voter tout à l'heure ; la Belgique n'a pas peur de la liberté générale, elle la désire et la demande, car elle saura lutter contre les autres peuples dans l'industrie et le commerce, et elle se verra heureuse quand cette liberté sera acquise pour elle.
Un autre motif pour quoi je voterai le tarif est celui-ci : quand j'ouvre nos livres statistiques d'importations et d'exportations, je vois que depuis notre séparation avec la Hollande, depuis 1831, les importations des produits hollandais ont constamment été croissant, tandis que celles des produits belges ont été en diminuant. Nous avons toujours reçu les produits de l’agriculture, des colonies et des pêcheries hollandaises, quand même nous mettions de l'empêchement à leur entrée, et que, de son côté, la Hollande refusait d'accepter les nôtres et s'opiniâtrait à en refuser l'entrée chez elle.
Quoique je vote volontiers le traité qui nous est présenté, je ne puis cependant pas dire qu'il n'y ait aussi des motifs pour le critiquer assez amèrement. Ne pourrait-on pas soutenir, avec l'honorable M. Donny, que par le traité la pêche est à son trépas en Belgique ? qu'elle approche de sa fin ? Je conviens comme l'honorable député d'Ostende qu'elle va beaucoup souffrir et que l'on ne pourra plus trouver des sociétés qui voudront faire des entreprises et risquer leurs fonds pour laisser faire la pêche et procurer du pain aux familles pauvres des pêcheurs.
Je n'en dirai pas plus sur cet important objet, M. Donny l'a traité avec trop de talent, de détail et de vérité. Mais je dois ajouter quelques mots sur le malheureux sort qui est réservé à Ostende ; non seulement ce port va perdre sa marine qui s'occupe de la pêche et sa pépinière de matelots ; mais en exécution de l'article 14 du traité, qui est, je dois le dire, un très mauvais article pour la Belgique, le port d'Ostende va perdre les arrivages des bois du Nord, qui forment les seules cargaisons, les seules marchandises que ce port reçoit encore ; par le n° 2 de l'article 14 les bois du Zollverein, déposés en Hollande, peuvent être importés en Belgique avec la même faveur que ceux qui y arriveraient des pays de production et sous pavillon national. Il est constant que par suite de cette disposition Ostende va perdre ses arrivages de bois, et que ce seront les Hollandais qui introduiront tous les bois du Nord en Belgique et qui profiteront du commerce avec le Nord. Ceci fera un tort immense au port d'Ostende et l'anéantira totalement.
Ce qui va faire encore beaucoup de mal à ce port, c'est si l'on exécute le chemin de fer de Jurbise à Tournay, sans y porter un remède, c'est-à-dire si l'on ne construit pas une nouvelle voie, par laquelle la distance de Bruxelles à Gand serait raccourcie ; car, sans ce remède, les Anglais débarqueraient de préférence à Calais et Boulogne, et prendraient le chemin de fer de Jurbise pour se rendre à Bruxelles et vers l'Allemagne. Cependant le gouvernement doit y prendre attention, il ne peut pas laisser fermer un port dont il peut avoir besoin dans un temps de guerre et quand l'Escaut se trouverait fermé. Je conjure donc le ministre de songer sérieusement à trouver des moyens d'obvier à ce que la pêche ne soit pas anéantie et à ce que le port d'Ostende soit récompensé de la grande perte qu'il va faire.
Un autre objet du traité que je dois fortement combattre, c'est le peu d'égard qu'on a eu pour les fils retors. On a obtenu de bonnes concessions pour les toiles, les tissus de lin, mais on a absolument oublié les fils à coudre ; on les a, je puis le dire, maintenus avec un droit prohibitif. Avant le tarif hollandais de juin 1845, ces fils payaient 6 p. c. à leur entrée en Hollande, ces 6 p. c. venaient en réalité à 2 ou 3 p. c. ; par le tarif de 1845, on a perçu les droits d'entrée au poids autant qu'à la valeur et le droit a été porté à 15 fl. de Pays-Bas les 100 kil. Ce qui revenait au-delà de 12 p. c. ; par le traité le droit 15 fl. a été abaissé à 12 fl. Mais quoiqu'il y ait une diminution de 3 fl., encore le droit reste exorbitant. D'après l'opinion du gouvernement, il serait encore à 10 p. c. de la valeur.
Vous sentez, messieurs, que c'est un coup mortel que l'on porte à une industrie de si grande importance et qui fait vivre tant de pauvres familles. Car il s'agit de fileuses, et c'est surtout le district que j'ai l'honneur de représenter ici qui va en souffrir et qui déjà a une si grande population pauvre qui ne sait plus comment se procurer du pain par le travail.
J'attire sur cet objet l'attention du gouvernement et je le conjure de chercher un moyeu d'y porter remède et de prévenir un grand mal, car je suis sûr que c'est par inadvertance que ce droit exorbitant a été maintenu.
J'aurai encore un mot à dire, c'est sur le droit sur le bétail. Il me semble que la diminution du droit ne peut pas faire tort aux éleveurs du bétail du pays. Les bêtes sont rares en Belgique, l'agriculture et les consommateurs ont besoin des bestiaux étrangers et de ceux de Hollande. D'ailleurs en ce moment-ci bien peu arrivent au marché hebdomadaire de Malines ; les éleveurs hollandais ont de l'avantage à les placer en Prusse et en Angleterre, et je crains fort que bientôt on en enlèvera tant que nous nous plaindrons de ne pas avoir les bêtes de Hollande. S'il est vrai ce que j'ai lu récemment dans un journal anglais, sur un seul marché à Smithfield, il s'est trouvé 4,000 têtes de bétail hollandais.
Je termine ici et je voterai le traité, mais j'engage avec beaucoup d'instance le gouvernement à examiner s'il n'y a pas moyen de porter des modifications à l'article fils retors de lin.
(page 1978) M. Delfosse. - Le traité que nous discutons sera voté à la presque unanimité. Il est donc inutile d'entrer dans de longues considérations pour faire ressortir les avantages qu'il doit nous procurer. Ces avantages sont évidents. Plusieurs de nos industries, et ce ne sont pas les moins importances, vont enfin sortir de l'espèce d'inaction à laquelle on les avait condamnées. D'un autre côté, la plupart des concessions que la Hollande obtient nous sont utiles ; je considère surtout comme telles les exceptions à la loi des droits différentiels et la réduction des droits d'entrée sur les céréales du Limbourg cédé, sur le bétail et même sur le poisson.
La loi des droits différentiels n'a pour elle ni Gand, ni Anvers, ni Liège, ni Verviers, ni Mons, ni Charleroy ; cela prouve assez qu'elle ne favorise ni le commerce, ni l'industrie. C'est une mauvaise loi, une loi condamnée ; il serait à désirer qu'au lieu d'en changer quelques dispositions en faveur de la Hollande, on pût l'abroger entièrement, le pays s'en trouverait bien.
M. le ministre des affaires étrangères soutenait hier, et il a reproduit cette idée, il n'y a qu'un instant, que la loi des droits différentiels nous a été utile dans les négociations, que c'est grâce à elle que nous avons pu traiter, à de bonnes conditions, avec les Etats-Unis, avec le Zollverein, et récemment avec la Hollande. Je ne saurais partager cet avis.
Je ne parlerai en ce moment ni des Etats-Unis, ni du Zollverein, cela me conduirait trop loin ; je me bornerai à parler de la Hollande.
Nous nous sommes crus fort habiles en établissant des droits différentiels. Nous nous sommes imaginé que nous pourrions, à l'aide de ce système, faire à la Hollande des concessions qui seraient payées de retour ; c'est là un but qui a été naïvement avoué à cette tribune.
Le gouvernement hollandais, qui est au moins aussi habile que le nôtre, a déjoué cette tactique en se donnant aussi un moyen de nous faire des concessions. Il a élevé son tarif, par pari. La position respective des deux parties est ainsi restée la même ; la Hollande a obtenu, par l'élévation de son tarif, un avantage pour négocier au moins équivalent à celui que avions cru nous attribuer par l'établissement des droits différentiels.
La partie du district de Verviers contiguë à la frontière hollandaise se trouve à une grande distance du chemin de fer ; elle ne pourrait guère se passer des céréales du Limbourg cédé ; l'importation, au quart des droits, de douze millions de kilogrammes de céréales du Limbourg cédé, est donc autant dans notre intérêt que dans celui de la Hollande ; cette quantité n'est pas d'ailleurs assez considérable pour inspirer des craintes sérieuses à nos producteurs agricoles ; c'est à peu près la centième partie de la consommation totale du pays. Les agriculteurs du canton de Dalhem, qui n'ont guère d'autre débouché que le district de Verviers, et qui supporteront par conséquent tout le poids de la concurrence, sont les seuls qui pourraient avoir à se plaindre de cette mesure. Mais il dépend du gouvernement de les dédommager en créant des voies de communication qui leur donnent un accès facile au marché de Liège.
Le canton de Dalhem est traversé par la route de Battice à Maestricht ; une chaîne de hautes montagnes le sépare de la route de Liège à Visé et de la Meuse.
Le gouvernement a senti la nécessité de faire construire un embranchement qui relierait la Meuse et la route de Liège à Visé à celle de Battice à Maestricht ; malheureusement on n'est pas d'accord sur la direction à donner à cet embranchement, les uns veulent passer par Mouland, les autres par Berneau ; pendant qu'on se dispute là-dessus, le temps se passe, rien ne se fait et le canton de Dalhem reste privé de moyens de communication.
On m'a assuré qu'il serait possible de construire les deux embranchements sans faire une dépense plus forte que celle qui doit résulter de l'exécution des projets du gouvernement pour l'une ou l'autre des deux directions ; il suffirait pour cela de suivre les anciens chemins de Visé à Berneau et de Visé à Mouland qui sont assez larges et assez directs. On échapperait ainsi à de grands frais d'expropriation. J'engage vivement M. le ministre des travaux publics à faire examiner cette question, je l'engage surtout à prendre une résolution le plus tôt possible.
La réduction des droits d'entrée sur le bétail était généralement réclamée. Le prix excessif de la viande avait fait naître des souffrances et provoqué des plaintes que notre gouvernement aurait été forcé de prendre en considération alors même que W traité lui aurait laissé une entière liberté sur ce point.
Le prix du poisson est aussi beaucoup trop élevé, et je ne pense pas que le traité aura pour la pêche nationale les conséquences désastreuses que l'honorable M. Donny semble redouter. Les doléances de l'honorable député d'Ostende m'ont paru empreintes d'exagération. Dans tous les cas il voudra bien se rappeler que l'industrie lainière, autrement importante que la pêche, a dû faire les frais du traité avec la France. Sans concessions sur la pêche, pas de traité possible avec la Hollande. L'honorable membre aurait-il voulu que le gouvernement belge posât entre nos voisins du Nord et nous une barrière infranchissable ?
Si l'on excepte quelques dispositions auxquelles on peut trouver à redire, je n'ai que des éloges à donner au traité avec la Hollande ; mais je dois exprimer, avec l'honorable M. Lebeau, le regret, et ce regret est un blâme pour le ministère, que l'on nous ait fait passer, avant de conclure le traité, par la dure épreuve des représailles.
C'est là un fait sur lequel M. le ministre des affaires étrangères n'est pas parvenu et ne parviendra pas à se justifier. M. le ministre des affaires étrangères prétend que l'arrête belge du 29 décembre 1845 n'a été que l'occasion de la rupture, que la cause était plus générale et remontait plus haut et que la cessation des exceptions consacrées par la loi des droits différentiels, qui devait avoir lieu le 1er août 1846, aurait inévitablement provoquée.
Je prendrai la liberté de faire remarquer à M. le ministre des affaires étrangères qu'il y avait un moyen bien simple d'empêcher la rupture d'éclater au 1er' août 1846 ; c'était de conclure un traité avant cette époque ; c'est justement ce qui a été fait et c'est ce qui aurait pu se faire également sans arrêté du 29 décembre 1845.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Pas du tout.
M. Delfosse. - Je vais vous le prouver.
Il est évident que si l'arrêté belge du 29 décembre 1845 n'avait pas été pris, il n'y aurait eu ni représailles au mois de janvier, ni rupture plus tard ; mais, nous dit M. le ministre des affaires étrangères, le gouvernement belge a été poussé à cet acte par les exigences déraisonnables, par les prétentions exorbitantes des Pays-Bas.
J'en demande bien pardon à M. le ministre des affaires étrangères, le gouvernement des Pays-Bas n'avait pas montré, avant l'arrêté du 29 décembre 1845, d'autres prétentions que celles qu'il a soutenues plus tard et auxquelles notre gouvernement a cru devoir accéder.
Que demandait en effet le gouvernement des Pays-Bas avant l'arrête du 29 décembre 1845 ? Il demandait, je parle d'après M. le ministre des affaires étrangères lui-même, que le cadre de la négociation fût étendu ; il demandait que la négociation portât sur le poisson et le bétail, en même temps que sur des exceptions plus larges au système des droits différentiels ; eh bien, c'est ce qu'il a encore demandé au mois de janvier 1846 et c'est ce que notre gouvernement a concédé.
On lit en effet à la page 3 de l'exposé des motifs que lorsque la négociation fut reprise à la fin de janvier 1846, « le gouvernement du Roi comprit que son système de négociation restreinte devait être abandonné. »
Je vous le demande, messieurs, n'y avait-il pas de l'imprévoyance, n'y avait-il pas de la légèreté à poser, au mois de décembre 1845, un acte qui exposait le pays à des mesures de représailles, pour ne pas accéder à des conditions que l'on devait accepter un mois plus tard ?
Si notre gouvernement avait consenti au mois de décembre, comme il l'a fait à la fin de janvier, à reprendre les négociations sur les bases proposées par le gouvernement des Pays-Bas, le traité du 29 juillet aurait pu se conclure un mois plus tôt, et nous n'aurions pas eu cette guerre de tarifs qui a fait, pendant sept mois, tant de mal aux deux pays.
L'imprudence de notre gouvernement a été d'autant plus grande, d'autant plus coupable que l'on se trouvait, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Lebeau, au milieu d'un hiver qui menaçait d'être rigoureux par le manque des subsistances ; j'ajouterai que l'industrie n'était pas encore rassurée sur l'issue de nos négociations avec la France...
M. le ministre des finances (M. Malou). - Le traité avec la France a été signé le 13 décembre.
M. Delfosse. - Il n'était ni connu, ni ratifié. Certes le moment était mal choisi pour nous créer de nouveaux embarras !
C'est bien à tort que M. le ministre des affaires étrangères a invoqué en sa faveur l'opinion de la section centrale dont l'honorable M. d'Elhoungne a été l'organe dans la séance du 2 mars 1846.
L'honorable M. d'Elhoungne a dit, au contraire, que la section centrale s'abstiendrait de se prononcer parce qu'il importait de laisser au gouvernement toute sa liberté d'action et toute sa responsabilité. « Plus tard, (ajoutait l'honorable rapporteur) le contrôle des chambres s'exercera avec plus d'opportunité sur ce point qui est entièrement réservé. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Mais il y a un autre passage.
M. Delfosse. - Ce passage n'a pas le sens que vous lui attribuez ; du reste l'honorable M. d'Elhoungne pourra s'expliquer lui-même, et je suis sûr qu'il s'expliquera dans le même sens que moi. (Signe d'assentiment de la part de M. d'Elhoungne.)
Puisque M. le ministre des affaires étrangères insiste, je ferai une citation plus longue. On lit ce qui suit dans le rapport de M. d'Elhoungne, pages 8 et 9 :
« Voilà quelle était la position prise par les deux pays, quand des négociations infructueuses ont déterminé le gouvernement belge à restreindre, par un arrêté du 29 décembre dernier, à un avantage de 5-50 par 100 kilog. la faveur de 5 francs par 100 kilog. que la loi des droits différentiels permettait d'accorder au café de Java. C'est à cet arrêté que le gouvernement des Pays-Bas répondit, le 5 janvier, par des mesures de représailles, et le gouvernement belge décréta des mesures analogues contre les provenances néerlandaises, par ses arrêtés du 8 et du 12 janvier.
« Ces derniers actes, messieurs, rentrent évidemment dans la longue négociation dont M. le ministre des affaires étrangères vous a fait l'exposé. Votre section centrale a cru devoir s'abstenir de se prononcer sur cette négociation. En émettant une opinion sur la marche qu'on y a suivie, sur le langage qu'on y a tenu au nom de la Belgique, sur les propositions qu'on y a faites, votre section centrale craindrait de créer des difficultés à la marche du gouvernement, auquel il importe de laisser toute sa liberté d'action et toute sa responsabilité. Plus tard, le contrôle des chambres s'exercera avec plus d'opportunité sur ce point, qui reste entièrement réservé. »
Il me semble que le passage que je viens de lire est assez clair.
Je ne veux pas, messieurs, terminer sans dire quelques mots d'un (page 1979) projet qui intéresse éminemment la province de Liège ; le traité avec la Hollande paraît, au premier abord, favorable à cette province et il l'est en effet ; mais les avantages qu'elle doit en retirer ne seront assurés que lorsqu'on aura complété le canal de Liège à Maastricht, par la dérivation de la Meuse, à partir de Chokier. La plupart de nos grands établissements industriels, houillères, usines métallurgiques, hauts fourneaux, etc., étant placés à l'amont de Liège, il leur sera impossible d'avoir des relations suivies avec la Hollande, tant qu'on laissera la Meuse dans l'état déplorable où elle se trouve.
Et remarquez bien, messieurs, que la dérivation de ce fleuve n'est pas seulement commandée par les besoins de l'industrie ; elle est nécessaire surtout pour mettre la ville de Liège et les environs à l'abri des inondations qui exercent chaque année de si tristes ravages ; elle est nécessaire aussi pour faire disparaître les dangers d'une navigation qui amène de fréquents sinistres. J'ai sommé plusieurs fois le gouvernement, au nom de l'humanité, d'aborder enfin ce grand travail, mais il n'a fait jusqu'ici que des promesses qui sont restées vaines. Dernièrement, M. le ministre des travaux publics, interpellé par mon honorable ami M. de Tornaco, a reconnu la nécessité, l'urgence même de la dérivation de la Meuse, mais il a allégué le manque d'argent, qui, selon lui, ne permet pas de l'entreprendre immédiatement. Il faudra, a dit M. le ministre des travaux publics, une vingtaine de millions pour les travaux destinés à mettre les diverses parties du pays à l'abri des inondations, et le moment n'est pas favorable pour réaliser un emprunt.
Je reconnais qu'il y a quelque chose de fondé dans cette observation de M. le ministre des travaux publics, qui lui aura sans doute été suggérée par M. le ministre des finances ; les circonstances ne sont pas des plus favorables à la réalisation d'un emprunt ; mais pouvons-nous en espérer prochainement de meilleures, et faut-il, en attendant, laisser le pays exposé à tous les maux que les inondations traînent à leur suite ? Les avantages immenses qui résulteraient de l'amélioration de nos voies fluviales ne compenseraient-elles pas amplement la perte, qui d'ailleurs ne serait pas très forte, que l'on devrait subir sur le taux de l'emprunt ?
Je livre ce sujet aux méditations les plus sérieuses du gouvernement. Il ne s'agit pas seulement d'une question d'argent, il s'agit d'une question d'humanité ; le gouvernement a un grand devoir à remplir, je l'attends à la session prochaine.
M. Nothomb. - Messieurs, ce qui est au fond de ces débats, tel que vous l'ont présenté surtout les honorables MM. Rogier et Lebeau, c'est le système des traités de commerce. Etes-vous ou non partisans de ces sortes d'arrangements internationaux ? C'est à ce point de vue que je vais me placer pour vous entretenir pendant quelques instants.
Je trouve que ces honorables membres qui ont reproché au gouvernement (et j'entends par là l'administration depuis cinq ans), qui ont reproché au gouvernement d'être inconséquent, auraient dû, pour être conséquents de leur côté, se déclarer adversaires de ce que j'appelle le système des traités de commerce.
Tout pays, messieurs, qui veut conclure des traités de commerce, doit avoir un tarif de douane et une législation maritime, tels qu'il puisse déroger à ces lois pour faire des concessions aux nations avec lesquelles il veut traiter.
Qu'est-ce en effet qu'un traité de commerce ? C'est l'échange de concessions maritimes ou industrielles. Vous demandez des concessions à un pays étranger. Il est évident que pour opérer cet échange, car il y a échange, il faut offrir à ce pays des concessions industrielles ou maritimes destinées à servir de compensation. Si vous n'avez rien à offrir, renoncez au système des traités de commerce ; il est évident encore que pour avoir quelque chose à offrir, il faut que votre tarif de douane et votre législation maritime ne soient pas conçus dans un esprit tellement libéral, qu'aucune réduction ne soit utilement possible en faveur de l'étranger.
Messieurs, il suffit d'énoncer ces propositions pour en faire, en quelque sorte, la démonstration.
On a longtemps reproché au gouvernement belge son impuissance. Depuis 1830 jusqu'en 1840, on n'a pas conclu de véritable traité de commerce, et on ne le pouvait pas, j'ai déjà dit pourquoi : on n'avait rien à offrir. Ce n'est plus l'impuissance qu'on reproche au gouvernement, c'est l'inconséquence. Examinons, messieurs, jusqu'à quel point il y a inconséquence de la part du gouvernement. Recherchons si, dans la position donnée, avec le but que l'on voulait atteindre, le gouvernement et les chambres, les majorités qui se sont alors associées à lui, ne devaient point se conduire comme on l'a fait. Je prétends qu'il y a esprit de suite, qu'il y a un système.
A diverses reprises vous avez cherché à négocier avec l'Allemagne, vous l'avez essayé avant 1839, avant le traité de Londres, qui a définitivement constitué la nationalité belge ; vous l'avez essayé depuis, vous n'y êtes point parvenus. Il était, en effet, difficile de traiter avec l'Allemagne, avec un pays dont les industries sont à peu près similaires aux nôtres ; il était difficile d'offrir à ce pays des concessions industrielles, c'eût été froisser des industries de notre pays. Il s'est trouvé qu'un des Etats, l'Etat principal du Zollverein, est un Etat maritime, et vous en êtes ainsi arrivés à l'idée de traiter avec le Zollverein, en donnant aux négociations pour base l'échange dos concessions industrielles que vous réclamiez du Zollverein contre des concessions maritimes au profit de cet Etat du Zollverein.
La position était encore la même par rapport au royaume des Pays-Bas. Vous demandiez au royaume des Pays-Bas des concessions industrielles. Ici, il ne pouvait être question d'offrir des concessions industrielles, il fallait offrir principalement des concessions maritimes ; mais pour offrir des concessions maritimes il fallait pouvoir entrer dans un système de droits différentiels maritimes.
La France a conclu le 25 juillet 1840 un traité de commerce avec les Pays-Bas ; lorsque ce traité a paru, on a dit au gouvernement belge : Faites-en autant. Mais pour obtenir des concessions industrielles la France avait entre autres ouvert au pavillon hollandais les ports du Rhin et de ses affluents, c'est-à-dire qu'elle avait porté atteinte en faveur du pavillon hollandais à son système différentiel.
C'est ainsi, messieurs, que par le cours naturel des choses, à la suite de toutes les épreuves stériles que l'on avait faites, on est arrivé, il y a cinq ans, à se dite que pour avoir enfin des négociations utiles avec la Hollande, avec l'Allemagne, il fallait, en Belgique, se créer, à l'aide de lois nouvelles, des moyens de négociations. Une de ces lois, et la plus fameuse, c'est la loi des droits différentiels.
Tout ceci, messieurs, n'était pas aussi imprévu que l'a supposé entre autres l'honorable M. Rogier, qui s'est plu à reproduire à plusieurs reprises un lambeau d'un de mes discours. J'aurais voulu qu'au lieu de répéter si souvent cette phrase où je ne montrais qu'un côté de la loi, il eût bien voulu citer aussi d'autres passages de mes discours où je caractérisais avec autant de force un autre but de la loi. A entendre l'honorable membre, nous n'aurions eu pour but, dans la loi des droits différentiels, que de favoriser la marine belge, ou, pour me servir d'une plus belle expression, de développer les destinées du littoral.
Il est vrai, messieurs, que dans cette discussion on a indiqué comme un but, mais seulement comme un des buts de la loi, de favoriser le pavillon belge et par là même de favoriser les retours des pays transatlantiques et l'exportation de nos produits industriels vers ces mêmes pays, mais j'ai dit non pas une fois, mais toutes les fois que la question a été soulevée, cent fois peut-être, que la loi soumise à la chambre était aussi un moyen de négociations, un plan de campagne diplomatique, si vous le voulez. Ceci, messieurs, a été ouvertement annoncé. Jusqu'à quel point ce que je viens d'appeler un plan de campagne diplomatique, jusqu'à quel point ce plan de campagne a-t-il réussi ? Le traité conclu avec le Zollverein a réuni la presque unanimité dans les deux chambres ; tel sera aussi probablement le sort du traité qui vous est soumis en ce moment. Beaucoup de membres ont accueilli je dirai presque avec enthousiasme le premier traité que je viens de rappeler, aussi bien que le second ; beaucoup de ces membres étaient de ceux qui avaient voté contre la loi des droits différentiels.
Eh bien, qu'il me soit permis de le dire, je vois dans cette conduite une rétractation de leur premier vote. (Interruption.) Il n'y a rien, je pense, de désobligeant dans cette expression. Je le répète, j'oserai dire que dans l'approbation donnée aux deux résultats de la loi des droits différentiels, je vois une rétractation des votes hostiles à cette loi. (Interruption.) Je soutiens qu'on ne peut accepter les résultats et répudier les moyens.
Mais, dit-on, rien ne vous prouve que les traités qualifiés à juste titre par l'honorable M. Lebeau de grands actes internationaux, rien ne démontre que ces deux traités ne seraient pas intervenus en l'absence de la loi des droits différentiels. C'est là, messieurs, une simple allégation. (Interruption.) Le contraire n'est pas une simple allégation.
Jetez les yeux sur les deux traités : vous demandiez à l'Allemagne un droit différentiel en faveur d'une grande industrie, de l'industrie métallurgique ; c'était une demande exorbitante, et qu'aviez-vous à offrir à l'Allemagne avant la loi des droits différentiels ? Rien. Et quand je dis rien, ce n'est pas une simple assertion, car vous aviez vainement négocié pendant un grand nombre d'années ; vous aviez négocié à Berlin, vous aviez négocié à Bruxelles. (Interruption.) Vous n'aviez rien à offrir à l'Allemagne en retour des concessions industrielles que vous sollicitiez. Lorsque, à la suite du traité de Londres, du 19 avril 1839, vous avez ouvert une négociation directe avec la Hollande pour résoudre toutes les questions territoriales, fluviales, financières, que le traité de Londres avait laissées en suspens, il n'est pas échappé au gouvernement qu'il devait chercher à joindre à cette grande négociation une négociation commerciale : on a dit au gouvernement des Pays-Bas : Vous n'êtes pas principalement un Etat industriel, nous vous demandons des concessions industrielles, nous désirons traiter sur cette base. Le gouvernement des Pays-Bas a répondu : Qu'avez-vous à offrir en retour des concessions industrielles que vous demandez et, messieurs, nous n'avions rien à offrir. Ce ne sont pas là des allégations.
Un membre. - La pêche.
M. Nothomb. - Vous n'aviez pas même alors à offrir des concessions sur la pêche ; la loi sur la pêche n'existait pas en 1839.
Le moyen principal de négociation que vous vous êtes ménagé, c’est la loi des droits différentiels. Je n'ignore pas que vis-à-vis de la Hollande l'on s'est en outre ménagé des moyens de négociation par la loi sur la pêche et par la loi sur le bétail. telle que celle loi a été modifiée dans ces derniers temps, lorsqu'on a étendu le haut droit à toute la frontière, au lieu de généraliser le droit moindre.
Ainsi, à l'appui de l'opinion que nous soutenons, à savoir que ces deux grands traités qu'on appelle des actes heureux, n'étaient pas possibles en dehors de la législation qu'on critique ; à l'appui de cette opinion, dis-je, nous avons les faits, nous avons l'historique de toutes les négociations diplomatiques depuis 15 ans, nous avons toutes les épreuves infructueuses tentées par tous les ministères qui avaient précédé l'administration dont j'ai fait partie pendant pins de quatre ans comme ministre du commerce.
(page 1980) Il fallait donc, il y a cinq ans, en prendre franchement son parti ; il fallait dire : Nous renonçons au système des traités de commerce ; nous renonçons à l'espoir de faire des brèches aux tarifs des pays qui nous entourent ; ou bien il fallait se décider à proposer aux chambres certaines lois de nature à procurer au gouvernement belge des moyens de négociations.
Mais, dit-on, c'est là un système immoral, inique. (Interruption.). J'irai jusqu'au bout de l'objection ; je comprends l'ordre d'idées dans lequel on se place. Vous demandiez à l'Allemagne, par exemple, un droit différentiel en faveur de l'industrie métallurgique ; vous demandiez à la Hollande des droits différentiels ou du moins le statu quo de son tarif en faveur de vos industries principales. Mais pour obtenir ces concessions, vous êtes forcés d'offrir en holocauste (c'est le mot) des industries belges, des intérêts belges.
La première réponse à cette objection c'est de dire que les traités de commerce ne sont pas autrement possibles. (Interruption) Les traités de commerce ne sont possibles (je suis forcé de le répéter, et j'en demande pardon à la chambre), qu'à l'aide d'un échange de concessions industrielles et maritimes. Il est évident que quand la Belgique fait une concession maritime ou industrielle, elle froisse en Belgique un intérêt au profit d'un plus grand intérêt belge que nous voulons favoriser.
Il y a cependant ceci de vrai dans l'objection : c'est qu'il y aurait quelque chose d'inique et d'immoral à outrer le système.
Si, par exemple, pour ne parler que d'un seul objet, la pêche, dont l'honorable M. Donny vous a entretenus ; si on avait entièrement sacrifié la loi du 10 avril 1841 qui appartient à l'administration dont l'honorable M. Rogier faisait partie ; si on avait entièrement sacrifié la loi du 25 février 1842 qui appartient à mon administration qu'on a particulièrement inculpée, il est évident qu'on aurait outré le système. Il serait vrai de dire alors qu'on a offert en holocauste à un gouvernement étranger toute une industrie belge.
Mais telle n'est pas la portée du traité qui est soumis à la chambre. Par une combinaison que je regarde comme heureuse, on n'a attribué à la pêche hollandaise qu'une partie de la consommation belge, telle qu'elle existe, et on a réservé le reste à la pêche belge, avec toutes les chances d'augmentation. Citons un exemple, pour nous faire mieux comprendre : Prenons l'article Morue. La Hollande pourra importer en Belgique, au droit réduit, 5,000 tonnes de morue ; la consommation est de 17,000 tonnes ; il ne reste donc plus que 12,000 tonnes à fournir par l'industrie belge. Pour réparer cette perte, il ne faudrait qu'augmenter proportionnellement la consommation belge ; voulez-vous un moyen d'augmenter cette consommation ? L'honorable M. Donny l'a indiqué lui-même : faites la réforme du système d'octrois dans quelques-unes de vos grandes villes ; ayez de meilleurs règlements pour les marchés de poisson, et je vous annonce que vous retrouverez bientôt dans l'augmentation de la consommation générale, les 5,000 tonnes de morue qu'on va enlever à l'industrie belge. (Marques nombreuses d'adhésion.)
Le même raisonnement s'applique aux autres genres de poisson : il est inutile d'entrer dans tous ces détails.
Je dois ici me permettre une petite digression qui n'est peut-être qu'apparente ; je préviens probablement une objection. On me dira : « Dans une autre circonstance, on a été plus loin, on a outré le système. C'est ainsi que, quand il s'est agi de la convention linière du 16 juillet, on a sacrifié, pour en obtenir le renouvellement, l'industrie lainière. » Je crois qu'il y a ici exagération : l'industrie lainière n'a pas été sacrifiée au point où on le suppose ; je dois avouer que longtemps même avant ma retraite du ministère, il était prévu que l'on n'obtiendrait le renouvellement de la convention qu'à l'aide de certaines modifications à l'arrêté du 14 juillet. Il y a plus : c'est que les industriels belges qui ont provoqué l'arrêté du 14 juillet, contresigné par moi, n'ont jamais demandé cet arrêté contre la France ; ils l'ont demandé contre une autre puissance, dont chacun peut deviner le nom. On disait au gouvernement : « Nous ne voulons rien faire d'hostile à la France, nous ne voulons pas compromettre nos négociations avec la France. » Néanmoins, l'arrêté a été général ; mais à peine l'arrêté était-il pris, que les industriels se sont dit : « Ce que nous tenons est bon à garder. » (On rit.)
Le gouvernement, une fois averti, ne s'est plus exposé au même embarras, lorsqu'il s'est agi d'augmenter le droit sur le coton ; cette fois, le gouvernement a eu soin d'insérer dans l'arrêté, qui est du 15 octobre 1844, l'exception temporaire, en quelque sorte anticipée en faveur de la France.
A-t-on outré le système, au point de le rendre immoral, inique ? Est-on tombé dans des inconséquences au sujet de la loi des droits différentiels elle-même ? Il faudrait répondre affirmativement, à en croire certains membres qui viennent nous déclarer que la loi des droits différentiels n’’existe plus : cette loi ne serait plus qu'une espèce de mystification.
Il faudrait démontrer que les faveurs de pavillon accordées soit dans le traité du 1er septembre, soit dans le traité du 29 juillet, sont telles qu'il y a assimilation complète du pavillon étranger au pavillon belge. Cela existe dans très peu de cas. Dans le traité avec le Zollverein, il y a assimilation pour certains produits de la Baltique, mais le commerce des autres mers reste excepté, demeure réservé au pavillon belge.
Le traité qui nous est soumis qu'accorde-t-il au pavillon hollandais ? Y a-t-il dans tous les cas assimilation de pavillon ? Elle existe dans certains cas, j'en conviens ; pour les 7 millions de kilog. de café et pour une certaine quantité du tabac : il y a assimilation pour certains bois du Rhin ; mais il n'y a pas assimilation, par exemple, pour les produits de la Baltique énumérés dans le traité, il n'y a qu'assimilation du pavillon hollandais au pavillon étranger venant du lieu de production.
En examinant bien le traité, peut-on dire que la loi des droits différentiels a disparu ?
A en croire l'honorable M. Delfosse, l’existence de la loi des droits différentiels ne serait plus que nominale ; il ne reste plus qu'à la révoquer d'une manière formelle.
M. Delfosse. - Je n'ai pas dit cela !
M. Nothomb. - Cette loi que vous voulez révoquer en même temps que vous vous félicitez des traités conclus avec le Zollverein et avec la Hollande, est tellement la base de ces traités que le jour où vous la révoqueriez les traités viendraient à tomber.
M. Delfosse. - Je demande la parole.
M. Nothomb. - A moins que, par un hasard providentiel, vous ne parveniez à substituer aux concessions maritimes je ne sais quelles concessions que vous avez vainement cherchées pendant dix ans avant d'avoir la loi des droits différentiels.
Puisqu'on a si amèrement incriminé l'administration à laquelle j'ai appartenu, je dis à ceux qui peuvent être appelés à constituer les administrations futures, que je leur porte le défi de révoquer la loi des droits différentiels, à moins de renoncer franchement à faire des traités de commerce, à moins d'insérer dans leur programme : pas de traités de commerce ; dans ce cas et dans ce cas seulement vous pouvez révoquer la loi des droits différentiels.
Je viens de dire quelles sont les conséquences du système une fois adopté des traités de commerce. Comment faut-il qualifier ce système ? Mérite-t-il qu'on le flétrisse du nom de rétrograde ? L'avenir nous réserve-t-il un autre système plus élevé, plus généreux ? Je n'examinerai pas la qualification qu'on donne à ce système, mais je demanderai quel était le système nécessaire à la Belgique. La position de la Belgique ne tient pas à une théorie, à un vœu que l'avenir réalisera peut-être ; la position de la Belgique est commandée par la politique des pays qui l'entourent. Que demandait-on depuis 1830, que demandait-on au congrès, même quand le pays n'était pas encore constitué ? On demandait des traités de commerce. Le gouvernement pouvait-il ne pas accepter la mission de faire des traités de commerce ?
Dès lors que cette mission, sous l'empire des circonstances où l'on se trouvait, nous était imposée par le vœu du pays, et était justifiée par la politique des gouvernements étrangers, le gouvernement devait recourir aux seuls moyens propres à le réaliser.
En sera-t-il autrement dans l'avenir ? Les Etats du continent accepteront-ils la grande politique, je veux bien la qualifier ainsi, que vient d'inaugurer l'Angleterre ? L'Angleterre renonce ouvertement aux traités de commerce ; en y renonçant, elle réduit ses tarifs, sans se demander : Obtiendrai-je en retour des réductions des gouvernements étrangers ? Elle dit avec MM. Rogier et Lebeau : Le véritable système que commande la civilisation du monde, c'est le système le plus libéral en matière de tarifs ; mais en disant cela, elle ajoute : Plus de traités de commerce ! C'est malheureusement ce que n'ont pas dit les deux honorables membres que vous avez entendus et qui m'ont si sévèrement blâmés ; c'est l'inconséquence que je leur reproche. (Interruption.)
Je suis loin de repousser toutes les considérations présentées par ces honorables membres ; mais je leur demande de juger moins sévèrement l'administration dont j'ai fait partie, et de voir plus nettement les conséquences de la doctrine qu'ils paraissent préconiser.
Je me suis toujours montré, dit M. Rogier, l'adversaire des mesures restrictives, mesures qui tendent à isoler la Belgique. Est-il vrai que ces lois vous aient isolés ? Je prétends que si vous étiez restés dans votre tarif libéral, si vous aviez repoussé la loi des droits différentiels, c'est alors que vous seriez restés dans l'isolement ; vous n'auriez pas conclu de traités de commerce.
Une voix. - Et la Suisse.
M. Nothomb. - L'honorable M. Lebeau cite la Suisse. Je l'en remercie. La Suisse n'a pas de douane, mais elle n'a pas de traité de commerce elle n'en veut pas. Dites comme elle : Pas de traités de commerce ; et n'ayez pas de douane. Mais en blâmant le ministère vous vous félicitez du traité ; vous l'appelez un acte heureux et vous préconisez l'absence de tarif, vous voulez le priver des moyens de négociations, permettez-moi de vous dire encore : Vous êtes inconséquents avec vous-mêmes.
Je serais désolé que l'honorable membre crût que je veux outrer les considérations qu'il a présentées, je sais qu'il n'entend pas briser les tarifs. La seule question est celle-ci : vous avez voulu depuis 1830 des traités de commerce, depuis trois ans vous en avez obtenu et vous répudiez les seuls moyens qui pouvaient les amener ; là est l'inconséquence.
M. Lebeau. - Depuis 10 ans ces moyens vous étaient proposés par l'honorable M. de Foere !
M. Nothomb. - Que l'honorable M. de Foere le premier dans cette chambre ait le mieux compris la question, je le veux bien. Ce n'est pas une affaire d'amour-propre ; je croirais rabaisser ce débat si j'en faisais une question de ce genre.
Il faut donc nous demander si le système qui a été suivi depuis 1830, depuis cinq ans surtout, et dont vous êtes appelé à sanctionner un des résultats était nécessaire ; s'il était possible d'atteindre ce résultat autrement que dans la voie où l’on est entré.
Je suis autant que l'honorable membre partisan de la liberté commerciale ; (page 1981) mais comme homme politique, comme homme de gouvernement, comme membre d'une chambre, je suis à chaque moment forcé de me demander quelle est la politique qu'impose à la Belgique l'attitude prise par les gouvernements étrangers.
Je reconnais ce qu'il y a de douloureux, d'affligeant dans la crise que nous avons dû traverser ; mais ne fallait-il pas une crise et jusqu'à quel point peut-on la déplorer en présence du résultat que nous avons atteint ?
Je ne veux pas m'occuper de ce qui est arrivé depuis ma retraite du ministère, mais je veux être franc, je veux bien reconnaître que si j'étais resté aux affaires, l'exception des 7 millions aurait été purement et simplement maintenue. Je n'oserais pas dire qu'avec ce moyen le traité qui vous est soumis serait maintenant déposé sur le bureau.
Il fallait peut-être, je ne dirai pas une crise aussi profonde, mais une crise momentanée qui réagît sur l'opinion publique et par suite sur les deux gouvernements, pour arriver à ce résultat. Une crise frappe nécessairement les esprits, remue les populations et, par contrecoup agit sur les gouvernements, tandis qu'avec l'exception de 7 millions purement et simplement maintenue, la négociation se présentait un peu trop a priori. Aussi je ne veux pas infliger un blâme à mon profit, je ne veux pas dire qu'avec le maintien de l'exception de 7 millions on aurait pu obtenir le traité du 29 juillet ; je n'oserais pas le dire... consciencieusement parlant. Les expressions « je n'oserais pas » pouvaient faire supposer que je ne l'aurais pas osé en raison de ma position officielle hors de cette chambre.
J'aime à croire que la phase dans laquelle on est entré depuis cinq ans est close. Aussi la plupart des grands résultats que nous avions en vue sont-ils atteints. Un de ces grands résultats est surtout atteint par le traité du 29 juillet. La Hollande nous offre pour nos produits industriels le marché le plus avantageux et le statu quo vous y est désormais garanti pour la plupart de nos industries.
Une voix. - Il y a mieux que cela.
M. Nothomb. - Je le sais ; nous l'avons souvent reconnu ; c'eût déjà été une stipulation avantageuse que d'obtenir la seule garantie du maintien du statu quo avec la Hollande. Nous avons obtenu davantage, nous avons obtenu la réduction sur beaucoup de droits.
Une voix. - Et la France.
M. Nothomb. - Je regrette, puisqu'on parle de la France, de ne pouvoir en dire autant de la France ; mais c'est que vous n'aviez pas assez lui offrir. Toutes ces industries sont similaires aux vôtres ; fort heureusement vous ne produisez pas de vins, et lorsqu'il s'est agi d'accorder une compensation pour conserver le débouché français à l'industrie linière, ne produisant pas de vins, vous avez pu faire à la France une concession, non pas industrielle ou commerciale, mais financière.
Je regrette encore que, par le traité du 1er septembre, nous n'ayons pu, du côté de l'Allemagne, nous assurer le statu quo aussi largement qu'il nous est désormais garanti du côté des Pays-Bas.
J'espère néanmoins, je le répète, que la phase ouverte depuis cinq ans est fermée ; je désire, je demande que cette phase dont tous les grands résultats ont été acceptés par la presque unanimité des deux chambres, soit dans son ensemble plus impartialement jugée.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Mercier. - Mon tour de parole est arrivé ; mais si la chambre désire clore la discussion, je n'insiste pas pour parler.
M. Dumortier. - Je suis inscrit sur le projet ; mon intention est de présenter des observations sur plusieurs articles et notamment sur celui relatif à l'industrie de la pêche, à laquelle nous portons tous un grand intérêt.
Mon intention étant de m'abstenir, j'aurais pu me faire inscrire contre le projet, et, dans ce cas, mon tour de parole serait déjà venu. Je n'ai pas voulu le faire. J'espère que néanmoins la chambre voudra bien m'entendre. D'ailleurs, il ne conviendrait guère qu'une question aussi grave fût vidée en une seule séance.
M. Vandensteen et M. Savart-Martel renoncent à la parole.
La chambre les autorise à faire insérer dans le Moniteur les observations qu'ils voulaient présenter.
M. d’Elhoungne. - Je n'ai qu'un mot à dire. Deux interprétations ont été données à mon rapport. Je déclare que l'interprétation de l'honorable M. Delfosse rend non seulement ma pensée, mais encore celle de la section centrale.
- La discussion générale est close.
M. Osy. - Avant de voter sur les articles de la loi, il doit nous être permis de faire des observations sur le traité même. Hier j'ai dit que je demanderais des renseignements sur l'article 24. Il me paraît qu'on pourrait bien accorder la parole à ceux qui veulent demander des renseignements au sujet du traité même.
M. le président. - Nous n'en sommes pas encore à l'article premier de la loi.
M. Osy. - C'est sur l'article 24 du traité que je demande la parole.
M. le président. - Je ne pense pas que la chambre veuille ouvrir une discussion spéciale sur chaque article du traité. Cela serait contraire à ses précédents.
Plusieurs membres. - Cela ne s'est jamais fait.
M. le président. - L’article premier du projet est ainsi conçu :
« Art. 1er. Le traite de commerce et de navigation entre la Belgique et les Pays-Bas, et signé à La Haye, le vingt-neuf juillet 1840, sortira son plein et entier effet. »
M. Osy. - Je demande la parole. (Réclamations.)
M. Mercier. - Je ne crois pas qu'on puisse discuter de nouveau de traité. Sinon je réclamerai mon tour de parole.
M. Osy. - J'ai demandé la parole sur le traité ; on me l'a refusée. Maintenant je la demande sur l'article premier de la loi ; je crois qu'on doit m'entendre.
J'ai déclaré hier que tout en votant pour la convention, nous demandions au gouvernement de vouloir s'occuper de trois objets importants que réclame le commerce d'Anvers en compensation des sacrifices que lui impose le traité... (Interruption.) M. le ministre des affaires étrangères ne s'est pas expliqué à cet égard. Je le prie de me dire s'il s'occupera de ces trois objets.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Oui.
M. Osy. - Je demanderai aussi qu'il vous dise si l'affaire des relâches n'est pas contraire à l'article 24 de la convention.
- L'article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Le tarif établi par l'arrêté royal du 12 janvier 1846 est applicable aux marchandises déclarées pour la consommation après le 13 janvier 1846. »
- Adopté.
« Art. 3. Le gouvernement modifiera, provisoirement, les conditions établies par les articles 53 et 56 de la loi du 2 août 1822 (Journal officiel, n°32) de manière à faciliter l'exportation des biens avec décharge de l'accise.
« Les dispositions prises en vertu du présent article, seront soumises à l'approbation des chambres, dans leur prochaine session. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
77 membres répondent à l'appel nominal.
65 votent l'adoption.
6 votent le rejet.
6 s'abstiennent.
En conséquence le projet est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont voté l'adoption : MM. de Tornaco, de Villegas, d'Huart, Dolez, Dubus (aîné), de Lannoy, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Rogier, Scheyven, Sigart, Thienpont, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen. Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Vilain XIII1, Anspach, Brabant, Cans, Coppieters, David, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq.
Ont voté le rejet : MM. Donny, Huveners, Simons, Biebuyck, Clep, et de Foere. Se sont abstenus :
MM. A. Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Maertens, Rodenbach et Zoude.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Dubus (Albéric). - Je n'ai pas voté contre le traité, parce que je le considère en général comme avantageux au pays.
Je n'ai pas voté pour, parce qu'il renferme des clauses préjudiciables à plusieurs de nos industries et notamment à la fabrication de nos étoffes de laine grossière qui est menacée de destruction par la réduction accordée à la Hollande sur les droits que payent ces articles à l'importation.
M. Dumortier. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre le traité parce qu'il offre des avantages pour plusieurs de nos industries et qu'il facilite un rapprochement commercial avec la Hollande, rapprochement que j'ai toujours désiré.
Cependant il m'a été impossible de donner à ce traité un vote approbatif, parce qu'il sacrifie diverses industries et spécialement la pêche nationale qui est la pépinière de notre marine ; parce qu'il me paraît impossible de vouloir réorganiser la marine en enlevant la possibilité de créer et de former des matelots ; parce que d'un autre côté je regarde comme une chose infiniment déplorable d'élever des industries au moyen de droits protecteurs pour les sacrifier ensuite. Ce système que l'on a suivi dans le traité qui vient d'être voté, en ce qui concerne la pêche, est le même que celui qui a été suivi dans le traité avec la France en ce qui concerne l'industrie des laines, et que j'ai blâmé lors de la discussion de ce dernier traité. Je ne puis donc aujourd'hui lui donner mon approbation.,
M. Eloy de Burdinne. - Je me suis abstenu par les motifs que vient de faire valoir M. Dumortier, et, en outre, parce que je crois que l'on aurait pu obtenir le même résultat en faveur de quelques-unes de nos industries, sans en sacrifier d'autres, si l'on avait fait les concessions auxquelles j'ai fait allusion et qui, loin d'être onéreuses au pays, lui auraient été éminemment avantageuses.
M. Maertens. - Je n'ai point voté contre le traité, parce que je ne puis méconnaître qu'il contient quelques dispositions favorables à la Belgique ; mais je n'ai pu y donner mon assentiment, parce que, tout en (page 1982) admettant que dans une convention de cette nature il faut des concessions réciproques, je trouve qu'il est souverainement injuste et impolitique de sacrifier l'industrie de la pêche, la seule qui, dans la Flandre occidentale, eût encore quelque vie.
M. Rodenbach. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Maertens.
M. Zoude. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'ai développés dans mon discours.
M. Savart-Martel. - Je regrette, messieurs, de m'être absenté un instant, précisément au moment du vote. Je déclare que j'aurais voté pour le traité.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il est important, messieurs, que les crédits demandés par mon honorable collègue des travaux publics soient votés dans la présente session. Comme la chambre paraît désireuse de se séparer, il me semble qu'il faudrait décider ou qu'on abordera immédiatement la discussion de ces crédits ou qu'on se réunira ce soir, car je crains fort que demain on ne soit plus en nombre.
M. Delfosse. - Pourquoi ne pourrions-nous pas nous réunir aussi bien demain que ce soir ?
Des membres. - Demain à dix heures.
D'autres membres. - A midi ! à midi !
M. le président. - Si l'on remet la séance à demain, il faut que ceux qui voteront dans ce sens prennent l'engagement de venir, car parmi les crédits dont il s'agit, il en est qui ne peuvent pas être remis à la session prochaine.
- La proposition de fixer une séance à ce soir est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
La chambre décide ensuite qu'elle se réunira demain à midi.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, dans la séance d'hier, M. le ministre des travaux publics a annoncé qu'il communiquerait à la section centrale une note relative à des modifications au projet de loi dont elle avait proposé l'ajournement. Cette note a été remise et la section centrale qui s'est réunie pour l'examiner ; mais elle ne s'est pas crue assez éclairée sur les divers articles de la proposition du gouvernement, et elle m'a chargé de présenter le rapport que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, rapport dans lequel elle se borne à proposer l'adoption d'un crédit de 100,000 fr. pour renouvellement de billes et de rails.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, qui sera discuté dans la séance de demain.
La séance est levée à quatre heures et demie.