(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 860) M. de Villegas procède à l'appel nominal à midi et quart.
M. Huveners donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Villegas présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le sieur Bervoets, instituteur à Bruxelles, soumet à la chambre un projet de culture pour les bruyères. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Les membres du conseil communal d'Uccle demandent que l'arrêté royal du 6 février 1846, qui a transféré d’Uccle à St-Gilles le bureau de l'enregistrement, soit rapporté, et que le receveur des contributions directes et le juge de paix soient tenus d'habiter Uccle, chef-lieu du canton. »
M. Lange. - Comme cette requête a un caractère d'urgence, je demanderai qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec invitation de faire un prompt rapport. »
- Cette proposition est adoptée.
« Les régisseurs de la wateringue de Stammerhoucke prient la chambre de rejeter le projet de loi sur la dérivation des eaux de la Lys. »
« Même demande des régisseurs de la wateringue de Maeskerke-Sud au-delà de la Lieve. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
« Plusieurs habitants des localités qui avoisinent la voie ferrée de la ligne du Midi, demandent que le tunnel de Braine de Comte soit remplacé par une voie double à ciel ouvert. »
« Même demande des notables industriels et négociants de Neufville. »
M. Duvivier. - Je demanderai le renvoi de ces deux pièces fort intéressantes à la section centrale du budget des travaux publics.
- Cette proposition est adoptée.
M. Henot. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la vente d'effets militaires.
- Ce rapport sera imprimé et distribué ; et la mise à l'ordre du jour sera ultérieurement fixée.
M. Manilius. - J'ai demandé la parole pour adresser une interpellation à MM. les ministres. Je suis porté à le faire, parce que tout à l'heure nous allons avoir à discuter un article de la loi de comptabilité qui est très important et de nature à mériter toute l'attention de la chambre et la présence d'un cabinet réel ; je dis d'un cabinet réel, parce que j'ai lieu de douter qu'il soit encore réellement entier, voire même qu'il existe.
Je demande donc que le ministère veuille bien répondre catégoriquement : quelle est la situation où se trouve maintenant le cabinet, s'il est en état de donner suite au projet de loi en discussion ou si l'on ne ferait pas mieux de l'ajourner jusqu'à la fin de la crise ministérielle.
M. le ministre des finances (M. Malou). - A la fin de l'avant-dernière séance répondant à une interpellation de l'honorable M. Rogier, j'ai déclaré qu'avant peu de jours la chambre et le pays connaîtraient la véritable situation. J'ai ajouté qu'il ne me paraissait exister aucun motif pour interrompre la discussion d'une loi qui a un caractère tout administratif et dont le vote est indépendant de l'opinion qu'on peut avoir sur la situation et de cette situation elle-même. Je crois devoir me borner à reproduire cette déclaration, que j'ai déjà faite, parce qu'il s'est écoulé seulement deux jours, et que rien n'est changé depuis que je l'ai faite ; il me semble, d'ailleurs, qu'on peut bien encore attendre deux ou trois jours.
M. Manilius. - En effet, la loi qui nous occupe a un caractère administratif, mais il n'en est pas ainsi de l'article 17, qui a été introduit dans le projet en dehors des vues du gouvernement. Je trouve que cet article touche à une des plus grandes questions qu'on puisse soulever dans cette enceinte, à une question constitutionnelle. Si cet article était voté tel qu'il est présenté, on ne ferait ni plus ni moins que délier la bourse de l'Etat et la mettre entre les mains du gouvernement. Nous devons conserver les sages précautions instituées par la Constitution pour empêcher la dilapidation des deniers de l'Etat ; nous avons juré de maintenir la Constitution, nous devons faire tous nos efforts pour maintenir le pouvoir exécutif dans les limites que la Constitution lui a tracées. cette question peut aller très loin ; son examen exige la présence d'un ministère sérieux qui puisse avoir notre confiance ; mais nous ne pouvons pas la discuter devant un ministère délabré, comme l'est celui que nous avons devant nous ; car je ne sais à qui nous accorderions notre confiance.
Si l'on veut continuer la discussion du projet à l'ordre du jour, je reproduirai mes observations à chaque occasion. Je combattrai la disposition présentée en attaquant la situation extraordinaire du cabinet, et l'inconstitutionnalité.
C'est une inconvenance envers la chambre que de ne pas lui faire connaître si elle a devant elle un ministère démissionnaire, oui ou non. On a dit dans une autre enceinte que dans deux ou trois jours on donnera des explications, et l'on vient encore, quelques jours après, répéter la même chose ici. Cela est contraire à la dignité de la représentation nationale, qui a le droit de savoir devant quel cabinet elle se trouve, ou plutôt de connaître la situation du cabinet qui se trouve devant elle.
Etes-vous encore au pouvoir, ou n'y êtes-vous plus ? Si vous y êtes encore, ne venez pas dire que dans quelques jours vous nous direz si vous êtes encore ministres. Si vous n'y êtes, ne continuons pas une discussion qu'on a peut-être déjà poussée trop loin.
M. de Mérode. - Nous discutons une loi indispensable sous tous les ministères quels qu'ils soient ; je suis fort peu touché de la position actuelle du ministère quant à cette loi. Cela peut me toucher quant à d'autres projets de loi ; mais quant à celui-ci, cela m'est parfaitement égal. Je ne suis pas plus disposé à voter l'article qui est présenté sans discussion sérieuse avec un ministère dont tous les membres seraient présents à leur banc, car cela ne m'apprendrait rien. Il s'agit de savoir si le gouvernement aura le droit de disposer du trésor public dans des circonstances extraordinaires ; il est possible que le gouvernement ait besoin d'avoir ce droit, mais les circonstances dans lesquelles ce droit peut lui être indispensable, me sont inconnues ; quels que soient les membres qui siègent au banc ministériel, il me serait impossible d'en savoir davantage sur ce que je dois faire. C'est la discussion qui me l'apprendra. Trois membres du cabinet suffisent pour exprimer l'opinion du gouvernement sur ce point.
Si c'est une question constitutionnelle et qu'il importe à la chambre de ne pas se dessaisir du droit de voter préalablement toutes les dépenses, c'est (page 861) en présence d'un ministère non compacte que nous serons plus forts pour résister, que nous serons dans une meilleure position pour repousser l'article proposé, si nous ne le trouvons pas bon.
M. Verhaegen. - L'honorable M. de Mérode, qui siège sur un des bancs de la droite, vient nous dire qu'il s'inquiète fort peu de la position du ministère. Mais nous, qui siégeons sur d'autres bancs, nous sommes tous d'accord pour adopter une opinion diamétralement opposée à la sienne.
Veuillez remarquer, messieurs, qu'il s'agit ici non pas d'une loi ordinaire, d'une loi qui renferme des dispositions purement administratives, mais d'une loi dont un des articles, celui dont nous allons immédiatement nous occuper, comporte à certains égards une preuve de confiance dans le cabinet. Il s'agit en effet de savoir si l'on accordera au gouvernement la faculté de disposer d'une manière illimitée des fonds de l'Etat par arrêté royal. Je vous le demande, messieurs, pour discuter utilement une disposition aussi exorbitante, ne faut-il pas, d'abord, la présente de tous les membres du cabinet ? Ne faut-il pas savoir, ensuite, quels sont les hommes à qui on va confier ce pouvoir énorme et quelle est leur position actuelle ?
Depuis plusieurs jours il se passe dans cette enceinte des choses vraiment extraordinaires. La chambre n'a pas sa physionomie ordinaire ; les bancs sont dégarnis, et cependant on discute une des lois les plus importantes qui puissent se présenter : au début de la discussion, un de mes honorables amis a fait cette observation, le ministère lui a répondu qu'il ne pouvait pas s'expliquer encore sur la crise, mais que, dans deux ou trois jours, il donnerait des explications catégoriques. Deux, trois jours et plus se sont écoulés, et aujourd'hui on affirme que rien n'est changé dans la position.
Messieurs, je vais simplifier l'interpellation qui a été faite par mon honorable ami M. Manilius. Il y a quelque chose de changé dans la position, si ce qu'on dit au dehors est vrai ; il semble véritablement qu'on en sache davantage en dehors du parlement que dans son sein. On dit, et c'est sur ce point que nous interpellons le ministère, on dit que tous les ministres ont donné leur démission.
Je demande donc à ceux qui sont assis au banc ministériel, nous en avons certes le droit, si ce fait est vrai oui ou non.
Les ministres ont-ils oui ou non offert leur démission au Roi ?
J'entends l'honorable M. d'Huart dire que le ministère n'a pas à s'expliquer jusqu'à présent. Je ne partage pas son opinion, car si les ministres ont donné leur démission, leur position n'est plus ce qu'elle était il y a deux jours ; peu importe que cette démission n'ait pas encore été acceptée, les démissionnaires peuvent avoir le rôle d'administrateurs provisoires, mais le caractère de véritables ministres, avec ce qui est attaché à cette position, ils ne l'ont plus. Ils administrent, c'est vrai, mais provisoirement, jusqu'à ce qu'il ait plu à la Royauté de statuer sur l'offre qu'ils lui ont adressée.
Depuis les dernières interpellations il y a eu quelque chose de nouveau ; on prétend que MM. les ministres ont donné leur démission. Notre interpellation porte sur ce fait ; est-il vrai oui ou non ? Ensuite, avons-nous le droit de nous enquérir de ce fait ? Je pense qu'il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. Au dehors, des gens qui paraissent bien informés, qui paraissent recevoir les confidences de plusieurs membres du cabinet s'en expliquent d'une manière catégorique. Il semble que ce soit au sein de la chambre seulement qu'on ignore ce qui se passe à l'égard du ministère. Nous ne pouvons pas accepter cette position ; garder le silence plus longtemps serait plus que de la condescendance. Il fallait à cet égard une explication catégorique. Je résume donc mon interpellation à ces mots : je demande que l'on réponde par oui ou non à cette question : Le ministère a-t-il donné sa démission ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Si la loi que nous discutons en ce moment pouvait, dans une seule de ses dispositions, impliquer l'idée de confiance ou de non-confiance envers le ministère, je concevrais la motion qui vient d'être renouvelée. Mais un article qui accorderait au gouvernement le droit de disposer, dans certaines circonstances, des deniers publics sans le vote préalable des chambres peut être discutée indépendamment de la confiance dans un cabinet quelconque. En effet, les cabinets les plus durables que nous ayons jamais eus en Belgique n'ont jamais eu la durée d'une disposition organique. Si rien ne s'était passé, si aucune inquiétude n'était née dans le pays, il aurait pu arriver qu'une disposition quelconque étant votée, la première application qui en aurait été faite aurait été déférée à un cabinet nouveau.
Ainsi, la disposition qu'on indique, importante, je le reconnais, doit être appréciée en elle-même, indépendamment de la situation, parce que, l'on aurait beau n'avoir aucune inquiétude, que l'application de cette disposition pourrait être déférée à un ministère nouveau. Il est impossible de savoir pour qui l'on vote cette disposition : on la vote pour tous les ministères futurs, Il en est de l'article 17 comme de toutes les dispositions qui se trouvent dans le projet.
L'honorable M. Verhaegen renouvelle le vœu qui a déjà été émis plusieurs fois, de voir tous mes collègues ici présents. J'ai fait avertir ceux qui ne sont pas encore venus à la séance. J'espère que le ministère sera bientôt aussi complet sur ces bancs que peut le désirer l'honorable membre.
Il n'est pas exact de dire qu'a plusieurs reprises les explications promises aient été ajournées par le cabinet. C'est à la séance d'avant-hier seulement que l'honorable M. Rogier a fait une interpellation à laquelle j'ai répondu d'une manière très directe, très catégorique en déclarant à la chambre qu'avant peu de jours elle aura connaissance de la situation tout entière.
Je demande si c'est bien le surlendemain d'une telle déclaration, et alors que nous déclarons, que la situation est la même que le jour où nous nous sommes expliqués devant vous, qu'on peut rien exiger au-delà de cette déclaration qui, on me permettra de le dire, avait paru satisfaire toutes les parties de cette chambre.
Je crois donc devoir maintenir purement et simplement cette déclaration.
J'espère, je suis même certain qu'avant très peu de jours nous serons à même de donner connaissance à la chambre de cette situation.
Je ne crois pas que l'on puisse exiger de nous des explications qui seraient incomplètes et que notre devoir même nous interdit de donner.
M. de La Coste. - Il m'a paru que deux des orateurs qui ont parlé avant moi sont plus ou moins entrés dans le fond de la question. C'est ce qui m'a engagé à demander la parole. Quelle que soit l'issue du débat qui vient d'être soulevé, je pense qu'il faut réserver le fond de la question. Telle est l'observation que je voulais faire.
J'ai entendu depuis un honorable député de Bruxelles dire que tout un côté de la chambre était d'accord sur la nécessité que le ministère fût constitué d'une manière plus solide et plus stable avant qu'on entame la discussion de l'article.
Si j'avais entendu cette observation avant de demander la parole, je m'en serais abstenu ; car mon intention n'était pas de prendre part à la discussion d'une question de parti ; mais je ne pense pas qu'elle doive exercer d'influence sur la décision de la chambre.
Il me semble, ainsi que M. le ministre des finances l'a expliqué, que la disposition que nous serions occupés à discuter sans l'interpellation de l'honorable député de Gand, et sur laquelle, quant à moi, il me faudrait des explications plus amples que celles que j'ai reçues pour me la faire accepter ; il me semble, dis-je, que cette disposition est d'une nature telle que ce sera probablement le ministère actuel et même le ministère subséquent qui en feront le moins usage, que l'usage le plus fréquent en sera réservé pour un avenir plus éloigné.
C'est du reste une disposition qui n'est pas du tout de nature à être adoptée ou refusée à raison du ministère qui existe, à raison des hommes qui sont au banc des ministres.
Quant à ce qu'a dit l'honorable M. de Mérode, que nous qui ne sommes pas pénétrés de la bonté de la disposition, nous aurions un certain avantage à la discuter devant un ministère qu'on dit affaibli, je crois que cet avantage n'existe pas. Je crois que les personnes qui sont au banc des ministres sont fort à même de soutenir la discussion dans l'intérêt du gouvernement, dans l'intérêt de l'Etat considéré au point de vue gouvernemental.
Je désire, quant à moi, que l'on passe outre à cette discussion, parce que ce projet est peut-être la loi la plus importante qui aura signalé jusqu'à présent les travaux de cette session, parce que notre ordre du jour appelle ensuite la discussion d'une loi que plusieurs provinces attendent avec impatience.
Je veux parler de la loi relative à la rectification du tracé du chemin de fer, dont l'exécution, trop longtemps suspendue, donnera du travail à la classe laborieuse dans plusieurs localités.
Le sénat s'est ajourné au 16, comptant trouver à sa rentrée de quoi s'occuper. Si nous persistons à discuter de telles questions, dont au reste je ne veux pas nier l'importance, mais qui peuvent sans inconvénient être renvoyées à un moment plus opportun, le pays aura droit de se plaindre de la stérilité de nos débats et des retards apportés à la solution des questions auxquelles il attache un juste intérêt.
D'ailleurs, en supposant la situation du ministère telle qu'on l'a indiquée, il me semble qu'on ne peut mettre la couronne en demeure de créer un ministère dans un temps donné et dès lors qu'il y aurait de l'inconvénient à subordonner à cette question la continuation de nos travaux. Il suffit pour que la discussion puisse continuer, qu'il y ait au banc ministériel des hommes très capables de la soutenir et pour lesquels c'est un droit et un devoir.
M. Devaux. - Il me semble que l'honorable membre qui vient de se rasseoir a donné à l'interpellation de l'honorable M. Verhaegen un sens qu'elle n'a pas. Je crois que cet honorable membre n'a eu nullement l'intention de mettre la couronne en demeure. Il demande d'une manière précise que le ministère déclare s'il a, oui ou non, donné sa démission. Il ne s'agit pas là de la couronne, mais uniquement d'un acte du ministère. Je crois que c'est le droit de la chambre de connaître la situation du ministère et que celui-ci n'a pas le droit de la celer. La chambre a le droit de savoir s'il y a devant elle un ministère régulier, ou un ministère démissionnaire qui n'a plus qu'un caractère provisoire et administratif. Entre l'une et l'autre de ces positions, il y a une très grande différence.
La démission d'un ministère est le fait le plus grave qui puisse se présenter dans le gouvernement. Dès qu'il est accompli, le parlement a le droit de le connaître. Le ministère n'a pas celui de cacher au parlement le changement qui s'est opéré dans sa position et de se faire passer pour ce qu'il n'est plus.
Un ministère démissionnaire n'a plus de caractère politique, il est préoccupé, vivement préoccupé de questions tout autres que les questions d'avenir et les questions politiques. C'est un ministère détaché de l'avenir du pouvoir. Dans une telle position, devant un parlement le ministère est tout autre qu'auparavant.
Dans une pareille position, le ministère doit s'interdire la discussion des lois importantes et qui touchent à de grands intérêts ou des prérogatives importantes du pouvoir, parce qu'il ne représente pas suffisamment cet intérêt.
Je crois donc que sans méconnaître les égards qu'on doit à la chambre, on ne peut lui celer la position du ministère ; on n'en a pas le droit.
La situation ne comporte-t-elle pas encore d'explications complètes sur les causes qui l'ont amenée ? On ne refuse pas au ministère un délai pour les exposer avec tout le développement qu'il voudra leur donner. Mais au nom des droits de la chambre, des convenances parlementaires, des égards dus au parlement, et des besoins de toute discussion importante, on est (page 862) fondé à demander que la chambre apprenne sans délai, de la bouche des ministres eux-mêmes, s'ils sont, oui ou non, démissionnaires.
M. d’Huart, ministre d’Etat. - M. le ministre des finances vous a déclaré que nous ne pouvions vous donner maintenant d'autres explications que celles qui vous ont été données à la séance d'avant-hier. Nous conservons cette position. La chambre verra si elle veut aller plus loin, s'il y a lieu de donner d'autres explications ; nous demandons que la chambre se prononce..
Tous les arguments qu'on a fait valoir pour que nous donnions d’autres explications sont inadmissibles. On vous dit qu'on n'a plus qu'un ministère provisoire et n'ayant qu'un caractère administratif. Je ne conçois pas que l'on s'enquérir ainsi de la position du ministère dans une loi purement administrative et qui n'a rien de politique.
En admettant la position comme vient de la définir l'honorable préopinant, il n'y a là rien qui doive arrêter la discussion de la loi. En effet, la loi n'a rien qui soit personnel au ministère ; ses dispositions devront être appliquées par tous les ministères. Nous pouvons commencer cette discussion, alors qu'on vous a donné pleine satisfaction, et qu'avant peu vous connaîtrez la véritable situation du cabinet.
Je demande donc que l'on continue la discussion qui vient d'être entamée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Si le ministère avait refusé de donner des explications sur la position ministérielle, je comprendrais parfaitement l'impatience de l'opposition et les motifs de la motion d'ordre.
Mais le ministère n'a pas refusé de donner des explications ; il a déclaré positivement qu'il en donnerait sous peu de jours.
Messieurs, si le ministère ne peut pas donner des explications complètes dès aujourd'hui, et l'honorable M. Devaux reconnaît qu'il est possible que des faits existent qui empêchent que ces explications complètes ne puissent être données, la chambre doit respecter les motifs de ce silence que le cabinet croit devoir garder, en accomplissement de son devoir.
Si les faits étaient tellement accomplis que ces explications pussent être données à la chambre sans inconvénients, ces explications vous seraient données à l'heure même. Le ministère n'aurait aucun intérêt à celer à la Chambre un fait de ce genre, si d'autres causes ne lui prescrivaient pas une complète réserve, et si le ministère n'avait pas un devoir sérieux à remplir envers la royauté, envers la chambre et envers le pays.
Il faut, dans des circonstances aussi graves, laisser au gouvernement, sous sa responsabilité, le choix du moment et de l'heure où ces explications peuvent vous être données sans compromettre des intérêts supérieurs à ceux de notre position personnelle. Sous peu de jours la position ministérielle sera connue.
M. Verhaegen. - Messieurs, l'honorable M. Devaux a eu parfaitement raison, lorsqu'il vous a dit qu'il n'entrait pas dans mes intentions de mettre la royauté en demeure de faire choix de nouveaux conseillers. En effet, rien dans mes paroles n'avait autorisé un honorable préopinant à me prêter cette idée.
J'ai soutenu l'interpellation qui avait été faite par l'honorable M. Manilius, et je l'ai même réduite, si je puis m'exprimer ainsi, à des éléments plus simples.
Nous ne demandons pas des explications au ministère ; il donnera ces explications lorsqu'il les jugera possibles, sans froisser les intérêts de la couronne, des chambres ou du pays. Tout ce que nous demandons, c'est un oui ou un non sur un fait nouveau qui vient de se produire ; eu d'autres termes, nous voulons savoir si, oui ou non, tous les membres du cabinet ont offert leur démission au roi.
Je sais bien que si MM. les ministres s'obstinent à garder ce qu'ils appellent un prudent silence, il nous sera matériellement impossible de leur ouvrir la bouche. Mais au moins nous aurons rempli notre devoir, nous aurons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour éclairer le pays sur une crise, qui ne dure déjà que trop longtemps, et qui est de nature à compromettre les plus graves intérêts.
Comment ! en dehors de cette enceinte, des journaux, qui passent pour être les organes du cabinet, annoncent que les ministres ont donné leur démission....
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Nous n'avons pas d'organes.
M. Verhaegen. - Des journalistes qui se vantent de recevoir vos confidences disent que, tous, vous avez donné votre démission ; ils indiquent même les jour et heure où cette démarche a eu lieu, et nous, membres du parlement, nous ne pourrions pas vous demander officiellement si ce fait est vrai. La réponse que vous pourriez nous donner serait-elle donc si compromettante ? Mais vos hésitations et surtout votre refus de démentir les bruits qui circulent, ne sont en définitive que des aveux indirects dont vous désirez, pour quelques jours encore, dissimuler la portée. Je comprends qu'il puisse y avoir des inconvénients à nous faire connaître, dès à présent, les causes de la dislocation du cabinet ; aussi, nous ne vous demandons pas actuellement ces explications ; tout ce que nous vous demandons, c'est de nous dire si le cabinet est encore aujourd'hui ce qu'il était avant-hier, si depuis deux jours il n'est pas intervenu un fait nouveau, celui de la démission de tous les membres du cabinet.
Messieurs, qu'on ne s'y trompe pas. On parle des intérêts du pays. Mais les plus graves intérêts du pays peuvent se trouver compromis par l'incertitude dans laquelle on veut nous laisser ; nos démêlés avec la Hollande et beaucoup d'autres affaires très importantes peuvent souffrir de cet état de choses. Si MM. les ministres n'ont pas donné leur démission, qu'ils veuillent bien nous le dire, qu'ils démentent les bruits qui circulent dans le public, et qui émanent de ceux-là même qui reçoivent leurs confidences.
Messieurs, il est d'autant plus nécessaire d'avoir une réponse catégorique sur ce point que, si je ne me trompe, samedi dernier un des membres du cabinet, M. le ministre de la justice, disait au sénat, qu'il n'y avait pas le moindre dissentiment dans le ministère...
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je n'ai pas dit cela.
M. Verhaegen. - Vous avez dit que tous les membres du cabinet étaient parfaitement d'accord.
Certain journal a fait l'observation que vos paroles n'avaient pas été reproduites dans le Moniteur telles qu'elles avaient été prononcées.
Les personnes présentes, des membres même de cette chambre ont entendu comme je viens de le rapporter le passage du discours qu'a prononcé M. d'Anethan devant le sénat.
Messieurs, je le répète, nous ne pouvons pas forcer le ministère à répondre à la question que nous lui posons ; mais le pays appréciera son refus et ainsi notre but sera atteint.
M. de Theux. - Je ne puis me joindre à ceux qui ne veulent pas laisser au gouvernement la liberté de s'expliquer, lorsqu'il le jugera convenable, sur les faits qui ont été articulés par l'honorable député de Gand. Je ne vois aucun péril en la demeure. Je pense que nous serons tout aussi avancés en recevant ces explications dans deux ou trois jours qu'en les recevant aujourd'hui.
L'objet dont nous avons à nous occuper, a un caractère véritablement administratif. La loi qui se discute sera applicable à tous les ministères, non seulement au ministères actuel, mais aussi longtemps que la loi durera, et comme l'a observé l'honorable député de Louvain, il ne s'agit pas même de faire un usage prochain de l'article qui a soulevé cette discussion. Si cet article est voté, il n'en sera pas certainement fait usage dans la durée de la session, et dès lors je ne vois aucune espèce de difficulté à continuer la discussion.
M. Lebeau. - Je ne tiens pas, comme ont paru le faire quelques honorables collègues, à rattacher l'interpellation qui a été adressée au cabinet, à la discussion de la loi qui nous occupe. Je crois qu'indépendamment des raisons de connexité que l'on peut voir entre une loi de cette nature et la position ministérielle, il est d'autres convenances qui à elles seules parlent assez haut pour que la chambre ne reste pas dans une situation tout à fait incertaine, tout à fait étrange et qui me paraît peu compatible avec sa dignité.
Tout ce que l'on pourrait exiger au moment de discuter l'article soumis en ce moment à l'examen de la chambre, ce serait peut-être la présence de tous les ministres. Il importe extrêmement en effet à ceux qui seraient quelque peu enclins à voter une disposition aussi exorbitante, qui remet en quelque sorte à un moment donné, dans les mains du gouvernement, toute la fortune publique, de savoir quel sens chacun des ministres, et non M. le ministre des finances seulement, attache à une pareille disposition. J'avoue que si je pouvais surmonter la répugnance que j'éprouve à voter un pouvoir aussi exorbitant pour le gouvernement ce serait pour un seul cas, pour le cas où le salut du pays en dépendrait. Je dois l'avouer, hors de ce cas, je ne crois pas que l'on puisse se passer du concours des chambres, surtout dans un pays aussi peu étendu que le nôtre, où les moyens de communication sont si prompts et si nombreux et où en 24 heures les chambres peuvent être réunies pour ainsi dire au complet.
Ainsi, je le répète, hors le cas d'une défense à opposer à une attaque qui menacerait l'indépendance du pays, hors les cas d'une nature différente, mais tout aussi graves que celui- là, je ne saurais surmonter la répugnance que j'éprouve à accorder un pareil droit au gouvernement, et je crois qu'il conviendrait que chacun des ministres donnât à cet égard sa pensée tout entière à la chambre sur la portée d'une pareille disposition.
J'en reviens maintenant à une autre question. Messieurs, j'ai eu assez souvent l'honneur de faire partie des conseils de la couronne, pour que l'on soit certain que ses prérogatives me sont aussi chères qu'à quelque membre de cette chambre que ce soit. Si donc j'apercevais, dans les interpellations adressées au gouvernement, l'ombre d'une atteinte au libre arbitre de la prérogative royale, je serais des premiers à m'y opposer, quand même, contre toute probabilité, ces interpellations seraient faites par un de mes plus intimes amis politiques. Mais je crois que la prérogative est tout à fait en dehors de ce débat.
Si nous étions, messieurs, dans des circonstances ordinaires, si rien ne légitimait une interpellation semblable, je serais tout à fait de l'avis de M. le ministre d'Etat d'Huart, et je dirais qu'un ministre ne doit pas y répondre. Mais lorsque de toutes parts la crise ministérielle est l'objet de toutes les conversations, lorsque personne ne s'aborde sans qu'elle soit pour ainsi dire le premier mot de tout entretien, lorsque depuis un mois le ministère à ce singulier et triste honneur de voir tous les matins les journaux amis et ennemis donner son bulletin sanitaire (rires), il me semble qu'il est convenable que la chambre ne soit pas seule exceptée de communications qui semblent émaner du gouvernement vers plusieurs organes de la presse, parmi lesquels on reconnaît aujourd'hui ceux de ses amis les plus circonspects.
Remarquez, messieurs, que dans tous les pays où le fait d'une dislocation ministérielle arrive, ce fait est aussitôt rendu public. Dernièrement le chef du cabinet anglais a donné sa démission ; vingt-quatre heures après le pays en était officiellement averti. En France, il y a eu, je ne me rappelle pas précisément à quelle époque, une démission en masse donnée, et on a si bien compris que dans cette situation le parlement ne pouvait siéger, même pour la discussion de lois administratives, qu'on a nommé un ministère provisoire, afin que les chambres connussent parfaitement bien quelles (page 863) étaient la position, la responsabilité véritable, des ministres qu'elles avaient devant elles. On se rappelle le ministère provisoire chargé de discuter des lois qu'on qualifiait comme aujourd'hui de lois purement administratives ; je veux parler du ministère de M. Girod (de l'Ain) et de ses amis.
Messieurs, je n'ai pas besoin de signaler un fait dont chacun de nous est témoin et que je crois de nature à porter atteinte à la dignité de la chambre ainsi qu'à la considération, à l'autorité morale de la loi que vous êtes appelés à discuter, c'est l'inattention générale, les préoccupations étrangères à l'objet des débats ; c'est le spectacle que donne au public une chambre qui joue en quelque sorte la parodie du gouvernement représentatif, qui est obligée de deviner à chaque instant l'énigme qu'elle a sous les yeux, de deviner s'il existe devant elle un cabinet sérieux.
Voilà, messieurs, une considération qui, si elle n'engage pas les ministres à donner des explications, devraient au moins engager la chambre à différer de quelques-jours la discussion des dispositions les plus graves du projet de loi. La chambre ne peut pas dans l'incertitude où elle se trouve sur la position du cabinet, continuer cette discussion, sans manquer à sa dignité, sans manquer même aux intérêts qui se débattent devant elle. Je voudrais qu'on donnât des explications ou qu'on ajournât de quelques jours la discussion des dispositions sérieuses, importantes de la loi sur la comptabilité. Je ne fais pas de proposition à cet égard ; c'est une réflexion que j'émets, mais que je crois parfaitement justifiée par la situation dans laquelle nous nous trouvons.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Bien des fois, messieurs, depuis le début de la discussion l'on a appelé sur ces bancs tous les membres du cabinet ; et quels sont ceux qui ont fait cet appel ? Ce sont les honorables membres qui ont toujours professé dans toute son étendue, dans le sens le plus absolu, la doctrine de l'homogénéité ministérielle.
Toutes les fois que la question m'a été posée, j'ai déclaré, quoique la chose allât en quelque sorte d'elle-même, que je m'étais concerté avec mes collègues. Je l'ai déclaré lorsqu'il s'est agi de mettre la loi à l'ordre du jour, et depuis lors, trois ou quatre fois dans le cours de la discussion, et cependant on persiste à venir exiger que tous les ministres soient constamment présents et qu'ils expriment, sur chaque disposition de la loi, leur opinion individuelle.
Je pense, messieurs, qu'une semblable marche serait contraire à la dignité du gouvernement : le gouvernement exprime son opinion par l'un de ses organes ; un ministre, suivant la nature de ses attributions et suivant la spécialité de la loi en discussion, exprime l’opinion du gouvernement après s'être concerté avec ses collègues.
Ce débat, dit l'honorable préopinant, a lieu au milieu de l’inattention générale. Permettez-moi, messieurs, de dire que mes impressions ont été entièrement différentes. Hier encore, j'ai bien des fois formé le vœu, dans l'intérêt du pays, que toutes les discussions d'affaires marchassent comme a marché jusqu'à présent la discussion de la loi sur la comptabilité.
Un membre. - La moitié de la chambre est absente.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Si, le premier jour, la moitié de la chambre était absente, aujourd'hui la chambre est plus nombreuse qu'elle ne l'est d'habitude ; et si l'interpellation n'avait pas été faite, j'espère que la discussion aurait marché comme elle a marché jusqu'à présent, c'est-à-dire d'une manière conforme aux véritables intérêts du pays. Cette affaire s'est traitée jusqu'à présent, je le répète, comme il est à désirer, que toutes les affaires se traitent dans cette enceinte.
Les journaux, les bruits, les conversations, voilà ce dont on vient vous parler.
Eh ! messieurs, il est arrivé bien des fois (et l'honorable membre doit le savoir) que l'on publiait des bulletins sanitaires pour des ministères qui se portaient parfaitement bien. Si aujourd'hui ces bulletins ont été publiés avec une régularité telle que des inquiétudes se soient répandues dans les esprits, si même ces inquiétudes avaient une cause fondée, une cause légitime, aurait-on pour cela le droit de dire : « Vous vous expliquerez aujourd'hui sur telle question précise ? » Le cabinet, je l'ai déjà dit, ne recule pas devant les explications, mais il croit qu'il est de son devoir le plus impérieux, dont vous serez juges sous peu de jours, de différer ces explications, pour qu'elles ne soient pas scindées, pour que la chambre puisse connaître, non pas un fait, mais une situation.
L'honorable préopinant, dans les observations qu'il vient de présenter, a discuté la disposition même qui a donné lieu aux interpellations. Déjà, messieurs, dans la séance d'hier, j'avais déclaré qu'en examinant la proposition de la section centrale, je m'étais dit que dans certains moments d'entraînement auxquels un gouvernement régi par l'opinion publique est quelquefois sujet, une semblable disposition pourrait offrir des dangers pour les finances du pays ; j'ai ajouté que j'avais rédigé mon amendement dans un sens restrictif et que si des restrictions nouvelles étaient proposées, je m'y rallierais. J'irai plus loin : si la discussion, qui, j'espère, va s'ouvrir, démontrait que les dangers de la disposition l'emportent sur les avantages qu'elle peut offrir, je n'hésiterais pas à abandonner la proposition que le gouvernement n'a pas faite dans le projet primitif, mais que la section centrale a puisée dans la législation d'un pays qui peut avoir des besoins différents des nôtres, et qui a certes une organisation constitutionnelle quelque peu différente de la nôtre.
Ainsi, messieurs, abordons cette question. Que la chambre accorde au cabinet le délai de quelques jours qu'il croit devoir demander, non pas pour lui, mais dans l'intérêt du pays, et la chambre aura bientôt, non pas des explications sur une question à résoudre par un oui ou par un non, mais une connaissance des faits que la chambre a le droit de connaître, mais qu'elle doit connaître dans leur ensemble pour pouvoir apprécier quels sont ses devoirs envers le pays.
- La proposition d'ajournement faite par M. Manilius est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
M. de Man d’Attenrode. (pour une motion d’ordre.) - Messieurs, dans le compte-rendu de la séance d'hier, qui se trouve au Moniteur, il y a une omission très considérable. M. de Corswarem avait fait à M. le ministre des finances une interpellation relative à l'article 13 de la section centrale ; M. le ministre des finances a répondu à cette interpellation ; l'article a été ensuite adopté. Après cela, M. le président a demandé si la chambre adoptait le rétablissement des mots : « § 2. Dépenses » avant l'article 14, et j'ai déclaré que c'était par erreur que ces mots n'avaient pas été reproduits dans le projet de la section centrale. Eh bien, messieurs, la réponse de M. le ministre des finances, l'adoption de l'article 13 et la question faite par M. le président, tout cela a été omis dans le compte-rendu qui, ainsi, n'a plus aucun sens. Je demanderai que MM. les questeurs veuillent bien faire remplacer cette feuille du Moniteur par une autre feuille où l'erreur que je viens de signaler serait réparée.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai remarqué aussi là lacune qui vient d'être signalée par l'honorable préopinant. J'avais revu mon discours qui a été remis, et je pense que, par une erreur de la mise en page, quelques feuillets ont été omis. J'ai écrit au directeur du Moniteur pour qu'on fasse un erratum.
La discussion continue sur l'article 17, ainsi conçu :
« Art. 17 (nouveau). Dans des circonstances extraordinaires et en l'absence des chambres, les ministres peuvent disposer, pour des services urgents et avec le visa préalable de la cour des comptes, des crédits ouverts par ordonnance du Roi sur l'avis du conseil des ministres.
« Ces ordonnances sont contresignées par le ministre qui crée la dépense, et par celui des finances, et insérées au Moniteur.
« Ces ordonnances sont réunies en un seul projet de loi pour être soumises par le ministre des finances à la sanction des chambres dans les huit premiers jours de leur prochaine réunion, et avant la présentation des budgets. »
M. le ministre des finances a proposé la rédaction suivante :
« Art. 17 (nouveau). En l'absence des chambres, le Roi peut, sur là. proposition du conseil des ministres, ouvrir des crédits pour faire face à dè$ besoins imprévus et urgents.
« Les dépenses imputées sur ces crédits sont soumises au visa préalable de la cour des comptes.
« Les arrêtés sont contresignés par le ministre qui crée la dépense et par celui des finances et insérés au Moniteur.
« Ces arrêtés sont réunis en un seul projet de loi qui est présenté par le ministre des finances aux chambres à la plus prochaine session et avant la présentation des budgets. »
M. Osy. - Messieurs, je viens combattre la proposition faite par M. le ministre des finances, relativement à l'article 17 nouveau. Il s'agit d'autoriser le gouvernement à disposer, dans des cas imprévus et urgents, sur le trésor public, sans que des crédits lui aient été ouverts par la loi. Je concevrais qu'une semblable autorisation fût accordée au gouvernement pour des circonstances tout à fait extraordinaires, comme, par exemple, le cas d'une calamité publique tout à fait imprévue, mais avec la rédaction actuelle, je crois que la disposition serait dangereuse.
En France une semblable disposition était peut-être nécessaire, parce que là il s'écoule un temps assez long avant que les chambres ne puissent être réunies ; mais ici ce n'est pas la même chose ; ici les chambres peuvent se réunir dans un très-bref délai.
Que serait-il arrivé, messieurs, s'il avait existé une disposition semblable à l'article 17 tel que M. le ministre des finances propose de la rédiger ? Que serait-il arrivé si une semblable disposition avait existé lorsqu'il s'est agi, par exemple, de garantir un emprunt de 3 millions de francs, à émettre par une société de colonisation ? Quelques années auparavant on a dépensé 2 millions pour un achat bien malheureux. Ce n'étaient pas là des circonstances extraordinaires, mais c'étaient des circonstances imprévues et le gouvernement aurait pu faire usage de la disposition proposée par M. le ministre des finances.
Sous le ministère de l'honorable M. de Theux, il s'est présenté une circonstance réellement extraordinaire qui a obligé le gouvernement à faire une avance de deux millions pour éviter les malheurs qui auraient pu résulter de la crise industrielle de celle époque. Le gouvernement a agi alors en dehors de ses pouvoirs et je ne l'en blâme pas, parce que la nécessité de la mesure qu'il a prise était réelle et impérieuse. Pour des cas analogues il serait peut-être convenable d'autoriser le gouvernement à disposer sur le trésor, sauf à convoquer les chambres dans le plus court délai possible, pour leur en donner connaissance.
Si l'on me prouve que la proposition de la section centrale est inconstitutionnelle, je ne lui donnerai certainement pas mon assentiment ; mais je crois cependant qu'il peut se présenter des circonstances tout à fait extraordinaires, pour lesquelles il est indispensable que le gouvernement ait des fonds à sa disposition. Ainsi on ne devrait attribuer cette faculté au gouvernement qu'en vue de circonstances de cette nature, et non pas seulement en vue de besoins urgents ; parce que le gouvernement pourrait avoir l'idée de ne pas porter certaines dépenses am budget, et les ordonner dans l'intervalle des sessions. Je voterai donc contre la proposition du gouvernement, et j'adopterai celle de la section centrale, à moins, je le répète, qu'on ne me prouve que cette dernière proposition est inconstitutionnelle.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, pour apprécier la proposition de la section centrale, je pense qu'il faut se rendre compte de la situation actuelle du gouvernement à l'égard du trésor. Quelle est cette situation d'après le règlement de 1824 ? Car c'est toujours à ce règlement qu'il faut en revenir, bien qu'il soit peu ou point connu. Aux termes de l'article 423 de ce règlement, M. le ministre des finances peut, sans contrôle, disposer sur le trésor dans les limites qu'il juge convenables. Toutefois, et cela paraîtra peut-être étrange, ce pouvoir très grand, sous le gouvernement des Pays-Bas, était tempéré par la couronne ; à cette époque, le chef de l'Etat jouissait d'une suprématie entière pour le maniement des deniers de l'Etat. Cette situation a été changée par notre Constitution ; les ministres sont actuellement responsables ; nous avons perdu la garantie qu'offrait la couronne, et le ministre des finances a pu continuer, en vertu de l'article 423 du règlement, à disposer du trésor, au moyen d'une simple assignation.
D'après l'article 16, que la chambre a adopté, aucune sortie de fonds ne peut se faire sans le concours du ministre des finances et sans le visa préalable et la liquidation de la cour des comptes, sauf les exceptions établies par la loi.
Donc, en vertu de cette disposition, pas une centime ne pourra sortir du trésor sans un crédit législatif. Il a semblé à la section centrale qu'il était dangereux de laisser le gouvernement entièrement dépourvu de la faculté de faire face à certains besoins imprévus dans des circonstances extraordinaires et en l'absence des chambres ; un des membres de la section centrale a donc présenté l'article en discussion que la section centrale a adopté à l'unanimité.
Cet article commence en ces termes :
« Dans des circonstances extraordinaires et en l'absence des chambres...»
M. le ministre des finances a déclaré que cette proposition lui semblait offrir des dangers dans certaines circonstances, et qu'il avait présenté une autre proposition dans un sens restrictif. Il me semble, messieurs, que la proposition de M. le ministre a un effet tout à fait différent ; il supprime les mots : « dans les circonstances extraordinaires », et il enlève ainsi la garantie que nous voulions avoir qu'il ne serait fait usage de cette faculté que dans des circonstances très-graves. Quelles seront ces circonstances extraordinaires ? Ce sera une calamité publique, une invasion, une épidémie, que sais-je ! une rupture de digue. Si le gouvernement pouvait disposer du trésor, seulement pour les besoins imprévus et urgents, l'exception deviendrait trop fréquente, car l'administration prétend toujours qu'elle a des besoins imprévus et urgents.
Il m'est donc impossible d'adopter la rédaction de M. le ministre des finances ; si la chambre croyait devoir supprimer les premiers mots de l'article 17 de la section centrale, je serais le premier à demander le rejet de la proposition que nous discutons.
Après ces explications, il me semble pouvoir dire que j'ai trouvé étrange que, dans le débat incidentel d'aujourd'hui, l'honorable M. Lebeau ait déclaré que la section centrale accordait un pouvoir exorbitant au gouvernement par cette disposition ; c'est tout à fait le contraire. Le gouvernement jouit dans ce moment d'un pouvoir exorbitant ; l'honorable M. Lebeau, qui a été longtemps au pouvoir, doit en savoir quelque chose, il doit se rappeler que c'est pendant son administration que le cabinet a profité de l'article 423 du règlement de 1824 pour disposer de 2 millions pour l'achat de la British Queen...
M. Lebeau. - Ce n'est pas moi, c'est votre ami M. Nothomb qui a fait cela.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Il n'en est pas moins vrai que le contrat primitif a été fait sous l'administration de 1840 ; et que c'est l'article 423 qui a permis de le faire. Cette faculté existe encore aujourd'hui, et elle ne cessera de subsister que par la loi qui est en discussion. C'est encore sous le régime qui régit nos finances que vous avez vu sortir du trésor une somme de 1,800,000 fr. qui a été avancée à des entrepreneurs. Cette sortie de fonds s'est faite, il y a quelques années ; la chambre l'a toujours ignoré. Mais je suppose qu'actuellement le gouvernement, dans une circonstance très grave, extraordinaire, dispose sur le trésor, nous avons en ce cas des garanties très considérables ; le ministre ne pourra le faire que de l'avis unanime du conseil des ministres ; cet acte sera immédiatement publié au Moniteur ; dès la rentrée des chambres, il devra être soumis à la sanction législative ; le ministre est obligé de venir nous demander un bill d'indemnité, il est responsable de cet acte.
La section centrale a pensé qu'en posant des bornes aussi sévères à la sortie des fonds du trésor, il eût été cependant dangereux de couper entièrement les bras au gouvernement, de l'empêcher, dans un moment où les chambres ne sont pas réunies, de faire la moindre disposition sur le trésor.
Je pense, messieurs, m'être suffisamment expliqué, pour justifier la proposition de la section centrale. J'ai insisté surtout pour qu'on ne supprimât pas les premiers mots de cet article. Pour le reste, ce n'est qu'un changement de rédaction, c'est choux verts et verts choux ; et je ne vois là qu'un désir de tout changer et de ne rien trouver de bon dans ce que vous propose la section centrale.
M. le président. - M. Osy propose d'ajouter le mot « imprévues » après le mot « extraordinaires » dans la proposition de la section centrale.
- Cet amendement est appuyé.
M. de La Coste. - Messieurs, il est sans doute loin de la pensée des membres de la chambre qui ont pris la parole, il est loin de la mienne, de ne trouver rien de bon dans le travail de la section centrale. J'ai souvent exprimée l'idée que nous devions de la reconnaissance aux membres qui se chargent de ces travaux souvent laborieux et presque toujours ingrats ; nous en devons particulièrement à M. le rapporteur pour les soins spéciaux qu'il donne à une partie importante du service public.
Mais je n'en discuterai pas moins avec liberté la proposition du gouvernement et celle de la section centrale, parce qu'il ne s'agit pas ici d'une question de courtoisie, mais d'une disposition fort importante, sur laquelle je désire avoir pleine satisfaction, avant de la voter.
Messieurs, je lis, dans l'article 115 de la Constitution, que toutes les recettes et les dépenses de l'Etat doivent être portées dans les budgets et dans les comptes. Je pense donc que si l'on a fait usage d'un article du règlement arrêté sous le gouvernement précédent, pour faire sortir du trésor des fonds, et les employer à des dépenses qui n'étaient pas votées par la législature, c'est un de ces actes que les ministres prennent quelquefois sous leur responsabilité à charge d'en rendre compte aux chambres et d'obtenir de celles-ci un bill d'indemnité. Je ne crois donc pas que l'état actuel des choses laisse au gouvernement la latitude qu'a supposée M. le rapporteur.
Si, du reste, la nécessité de la disposition, au point de vue de l'intérêt général, et même, comme l'a dit M. le ministre des finances, en certains cas. pour sauver l'Etat, est prouvée, certes, ni moi ni personne, nous ne nous opposerons à la disposition, sauf à lui donner la forme qui sera jugée la plus convenable. Mais, quant à moi, cette nécessité ne m'est pas encore démontrée.
Messieurs, je crois, comme l'a fait observer l'honorable M. de Man, que la disposition présentée par M. le ministre des finances est, sous certains rapports, moins restrictive que celle de la section centrale. Le ministre, dans sa rédaction, donne, à la vérité, une garantie nouvelle : c'est la proposition du conseil des ministres. Mais ici, pour le dire en passant, j'éprouve un certain scrupule ; je ne sais si l'on peut subordonner une disposition royale à la proposition du conseil ; il nous est indiffèrent de quel côté vient l'initiative, pourvu que les ministres couvrent la disposition de leurs signatures.
Dans certains Etats on a exigé, pour certains actes, la signature de quatre ministres ; je conçois cette prescription, mais je ne conçois pas aussi bien la nécessité de la proposition du conseil des ministres ; je ne comprends pas bien non plus comment, à défaut de la signature des membres du cabinet, l'adhésion du conseil constera.
Quoi qu'il en soit, si la section centrale ne propose pas cette garantie, elle en propose une autre que le ministre écarte ; elle veut faire insérer formellement dans la loi que la disposition ne pourra s'exécuter que dans les circonstances extraordinaires. Ce serait là effectivement une garantie très grande, si en dernière analyse, ce n'était pas le ministère qui demeure juge de ce qui constitue les circonstances extraordinaires.
Messieurs, ce qui me porte à prendre la parole dans cette occasion, c'est la tendance que j'observe en général dans la marche des administrations. Que se passe-t-il ? Lorsqu'une disposition semblable est insérée dans une loi, on commence par redouter pour ainsi dire d'en faire usage.
On ne trouve pas les circonstances assez graves, on ne les trouve pas assez extraordinaires ; enfin se présente une circonstance qui paraît se rapprocher du caractère prévu par la loi ; il s'agit d'un acte qu'on a grande envie de poser, qu'on craindrait peut-être de soumettre à une discussion ; on hésite d'abord, puis on s'enhardit et on pose l'acte. L'acte est posé ; il se présente, non plus comme proposition, mais comme fait accompli ; le ciel n'a pas tonné, l'opposition n'a pas été trop hostile, la majorité a enregistré l'acte ; c'est un précédent. D'autres actes semblables sont posés sans hésitation ; des actes semblables on passe à des actes à peu près semblables, et, petit à petit, ce qui ne devait avoir lieu que dans les cas extraordinaires se fait dans les cas ordinaires ; la décision du conseil des ministres devient de pure forme ; dans le conseil des ministres on n'y fera bientôt plus grande attention, et dans la chambre on n'y fera plus d'attention du tout ; et nous aurons un budget supplémentaire décrété par ordonnance. Nous aurons un budget légal, présenté au mois de février, et nous aurons un budget supplémentaire, présenté au mois de novembre, qui ne sera pas susceptible de discussion, parce que tout sera fait, tout sera accompli.
Voilà ma crainte, voilà même ce qu'une autre rédaction me paraît pouvoir difficilement empêcher. Mais, dira-t-on, il peut se présenter des cas véritablement extraordinaires, que fera-t-on ? Laissera-t-on périr l'Etat ? Non, on fera ce qu'on a fait, on agira sous sa responsabilité, et on viendra demander un bill d'indemnité. Mais, dit-on, la chambre des comptes refusera son visa. Je réponds, qu'au moins le plus souvent, le visa de la cour ne sera pas nécessaire, il suffit que le gouvernement engage sa responsabilité et ordonne la dépense ; le payement viendra après quand l'acte aura été régularisé.
Si les circonstances sont tellement graves, tellement extraordinaires que tout cela ne suffise pas, eh bien ! convoquez les chambres ; vous donnerez plus de force au gouvernement qu'en lui conférant ces pouvoirs irréguliers. Dans les circonstances graves, dans les cas extraordinaires, les chambres auxquelles le gouvernement s'adresse viennent donner à ces actes une force morale, une solennité, qu'une simple ordonnance ne peut avoir. Dans des cas semblables il n'y a plus de partis, la chambre est unanime. C'est ce qu'on a vu quand on s'est adressé à nous pour ratifier les actes posés sous la crainte d'une disette et pour y ajouter d'autres mesures que vous avez également sanctionnées.
M. Delehaye. - Il me reste très peu de chose à dire, après le discours de l’honorable député de Louvain ; cependant, je ne puis me dispenser de répondre à l'honorable M. Osy, que l'exemple qu'il a invoqué à l'appui de la proposition, est celui que j'invoquerais pour la combattre. Il a dit que si le pouvoir avait été investi du droit que veut lui conférer la section (page 865) centrale, il n'aurait pas manqué d'en faire usage dans l'affaire de Guatemala, qui était imprévue. Au mot « imprévue », l'honorable membre ajoute celui : « extraordinaire ». Vous comprenez qu'un ministère, qui aurait trouvé un cas imprévu, le trouverait aussi extraordinaire. Ce ministère, auquel vous supposez l'impossibilité d'user de la disposition de la loi parce que voui surez exigé que le cas fût extraordinaire, ne manquera jamais de raisons pour établir que le cas, où il en a fait usage, était extraordinaire. Puisqu'on cité l'exemple de Guatemala, je vous demande si le ministère n'aurait pas pu prétendre que cette dépense était imprévue, parce qu'il ne pouvait pas prévoir ce qui est arrivé, comme il aurait pu prétendre que c'était un cas extraordinaire, qu'il s'agissait de sauver les malheureux Belges partis pour cette colonie, et si le gouvernement n'aurait pas pu faire usage de la disposition que vous voulez adopter ?
Je pense que le correctif inventé par l'honorable M. Osy ne donne pas une garantie suffisante à ceux qui ne veulent pas augmenter les attributions du gouvernement. Je comprends, comme l'honorable M. de La Coste, qu'il est de notre devoir de repousser cette disposition.
C'est une chose inconcevable que quand le gouvernement n'a pas osé demander un pareil pouvoir, ce soit la chambre, la section centrale pour mieux dire qui aille le lui offrir.
Mais, dit-on, cette disposition existe en France.
Je suis grand admirateur des institutions françaises, je voudrais qu'on imitât la France dans ce qu'elle fait pour son commerce et pour son industrie ; mais faut-il l'imiter aussi quand elle commet une faute ? En France, il peut se faire qu'une disposition semblable soit nécessaire ; je ne pense pas qu'il en soit ainsi en Belgique. La séparation des chambres chez nous n'est jamais très longue, nos sessions durent 7, 8 et 9 mois, de sorte que la séparation des chambres n'a lieu que pendant trois ou quatre mois. Il faudrait donc que le cas extraordinaire et imprévu se présentât dans ces trois ou quatre mois. Ne peut-on pas alors ordonner la dépense et demander les fonds pour payer, quand les chambres sont réunies ? Je pense qu'aucune considération quelle qu'elle soit ne milite en faveur de la disposition proposée.
Quand une dépense est faite, la chambre est d'assez facile composition, c'est un fait consommé et elle l'admet ; mais quand le gouvernement devra venir demander un bill d'indemnité, il saura que l'acte sera regardé de près et qu'il pourra rencontrer des difficultés, il sera plus circonspect.
Vous avez adopté une disposition qui accorde au gouvernement la faculté de donner des décorations. La loi a prescrit de motiver les arrêtés, comment l'a-t-on fait ? La plupart sont basés sur des motifs dont la loi n'avait pas voulu. On se trouvera dans des circonstances non extraordinaires et non imprévues, on en fera des cas extraordinaires et imprévus et la disposition sera appliquée.
Il est toujours dangereux d'admettre un pareil système. Pour ma part je ne lui donnerai pas mon assentiment, d'autant moins que le gouvernement n'a pas demandé les pouvoirs qu'on veut lui donner.
D'ailleurs, il n'y a pas de considération qui puisse mettre le gouvernement dans la nécessité de disposer des fonds avant le vote de la chambre. Il peut arriver qu'il doive prendre des mesures, rien ne l'empêchera de les prendre sous sa responsabilité et de venir demander après les fonds nécessaires pour le payement.
Ces considérations suffiront, je pense, pour faire rejeter la disposition.
M. de Garcia. - Je suis dans la même position que l'honorable M. Delehaye. Les raisons développées par l'honorable M. de la Coste, dont je partage l'opinion, sont tellement claires, tellement positives, qu'il est inutile, en quelque sorte, de rien ajouter pour faire repousser, soit la proposition de la section centrale, soit l'amendement du gouvernement, soit celui de M. Osy.
Il a démontré à l'évidence, selon moi, qu'on ne peut, sans s'exposer aux plus graves abus, admettre le principe consacre dans ces diverses dispositions, qui, dans la pensée de ses auteurs, n'est réclamé que pour des cas rares, imprévus, urgents et de la plus haute gravité, et comme l’a énoncé un honorable préopinant, lorsqu'il s'agit du salut de la patrie. Faut-il, pour des cas aussi exceptionnels, créer dans la loi un principe qui peut ouvrir la porte aux plus larges abus ?
Telle ne peut être mon opinion. Pour des hypothèses de cette nature, le gouvernement aura toujours pour lui une loi aussi ancienne que l'établissement des nations ; il pourra invoquer une loi suprême, devant laquelle se taisent toutes les autres ; salus populi suprema lex. Tant qu'il n'agira que dans ce cercle et je ne veux pas qu'il agisse dans un autre, qu'il soit parfaitement tranquille, il obtiendra sans peine un bill d'indemnité de la législature pour l'atteinte portée à quelques-unes de nos lois à l'effet de sauver la patrie. Cela reconnu, je ne pourrai consentir à consigner dans la loi une disposition qui peut donner lieu aux plus grands inconvénients. Comme l'a démontré parfaitement l'honorable M. de la Coste, ce n'est qu'avec les plus grands dangers qu'on peut ériger en loi aucune des dispositions présentées, et si l'une d'elles venait à être sanctionnée, j'ai la conviction que l'expérience justifiera nos prévisions.
M. Savart-Martel. - Messieurs, tout le monde sent qu'il peut se trouver telle circonstance impérieuse où l'on pourrait regretter que le pouvoir exécutif n'ait pas la faculté qu'on exige ici en sa faveur ; je doute cependant que nous puissions voter l'article, sauf peut-être le cas où le salut de l'Etat en dépendrait ; car salus populi, suprema lex.
Le chapitre II de la Constitution indique le pouvoir accordé à la royauté. On y trouve l'article 78 ainsi conçu : « Le roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même. »
Or, la loi qu'on nous demande va-t-elle être portée en vertu de la Constitution ? Je crains le contraire, lorsque je me pénètre de l'esprit des articles 115 et 116. Le premier article veut que toutes les dépenses de l'Etat soient portées au budget ; et l'article suivant fait un devoir à la cour des comptes do veiller à ce qu'aucun article des dépenses du budget ne soit dépassé. L’ensemble de ces deux articles me porte à croire qu'une loi qui accorderait au gouvernement un pouvoir aussi exorbitant serait inconstitutionnel ; je soumets à la chambre cette réflexion.
On nous a cité l'exemple de la France ; mais les raisons qui militeraient pour la France, ne seraient d'aucune utilité pour nous.
En France il faut au moins quatre ou cinq semaines pour la réunion du parlement, tandis qu'en Belgique trois fois 24 heures suffisent pour nous trouver réunis.
Je voterai donc contre le pouvoir exorbitant qu'on nous demande en ce moment.
. M. Mercier. - Les orateurs qui ont pris la parole dans cette discussion conviennent en général qu'il peut se trouver des circonstances graves où il y ait nécessité de faire des dépenses extraordinaires qui ne seraient pas portées au budget. Mais ces honorables membres ajoutent que dans de telles circonstances on fera ce qu'on a fait jusqu'à présent, c'est-à-dire que le ministère pourra, sous sa responsabilité, ordonnancer les dépenses qu'il jugera indispensables pour parer aux événements qui se seraient produits. Mais il y a, pour agir ainsi, un obstacle insurmontable qui va naître de la loi que nous discutons ; aucun comptable de l'Etat ne consentira plus à se dessaisir des fonds dont il sera dépositaire, sans une ordonnance régulière.
La loi est rédigée de telle sorte qu'un ministre qui voudra prendre sous sa responsabilité d'ordonnancer une dépense qui n'a pas été prévue au budget, ne le pourra pas, dût le salut de l'Etat être gravement compromis. Aucun comptable ne voudra encourir la responsabilité d'effectuer des payements de cette nature.
Voilà ce qui s'opposera à ce qu'on agisse à l'avenir comme on l'a fait par le passé.
La faculté que propose la section centrale, d'accord avec le gouvernement, est utile ; mais il faut l'entourer de garanties telles qu'on ne puisse en abuser.
L'honorable M. de La Coste n'a pu trouver, contre l'adoption de cette disposition, d'autre argument sérieux que dans la supposition que la loi ne recevrait pas sa fidèle exécution. C'est une hypothèse que nous ne pouvons admettre. Lorsque la loi exige qu'il y ait des circonstances graves, imprévues et extraordinaires, il est évident qu'un ministre compromettrait singulièrement sa responsabilité, s'il usait légèrement de la faculté que la loi ne lui donne qu'avec des restrictions aussi formelles.
On a dit que dans les circonstances graves, on pourra réunir les chambres ; mais les besoins de la situation peuvent exiger que cette dépense soit immédiate et ne comporte aucun délai ; il peut même arriver tel événement qui ne permette pas aux chambres de se réunir.
On a fait remarquer que la section centrale a pris l'initiative de cette proposition, que si le gouvernement ne l'avait pas proposée c'est qu'elle n'était pas nécessaire. Pour moi, je pense qu'on doit la considérer comme étant inspirée par une sage prévoyance, mais qu'il faut l'entourer de toutes les garanties propres à en maintenir l'application dans les bornes prescrites. Si l'on en craint l'abus, qu'on ajoute aux restrictions indiquées par l'honorable M. Osy, d'autres conditions encore. Suivant l'amendement de l'honorable M. Osy, les circonstances doivent être graves, extraordinaires et imprévues. Ainsi, il faudra de plus, l’absence des chambres et la proposition du conseil des ministres.
Je crois que moyennant ces conditions, la disposition ne présente pas de danger et que le ministre qui ne les observerait pas ne serait plus dans les termes de la loi ;que dans ce cas extraordinaire la cour des comptes pourrait refuser son visa, et que par conséquent le caissier de l'Etat ne serait pas autorisé à se dessaisir des fonds.
M. Manilius. - Je demande la parole.
M. de Mérode. - Si la disposition en discussion ne devait avoir d'autres résultats que d'empêcher des opérations telles que l'acquisition du steamer Brilish-Queen, je ne m'opposerais certes pas à son adoption. Mais d'après l'observation de l'honorable M. Mercier, le gouvernement peut se trouver dans la nécessité de parer à des dangers, et d'après la loi, défense serait faite à tous les comptables de fournir des fonds au gouvernement.
Je vous citerai ce qui m'est arrivé personnellement, lorsque j'étais membre du conseil des ministres. C'était à l'époque où il s'agissait de céder une partie du territoire belge à la Hollande ; il y avait de grands embarras financiers dans le pays ; l'une des banques du pays faiblissait. On mit en délibération s'il ne fallait pas empêcher cette banque de faire faillite. Je passai un jour et une nuit très pénible en délibération avec mes collègues, sur la nécessité de faire une avance de plusieurs millions à cette banque. Etait-il possible de faire à ce sujet une communication aux chambres ? Evidemment non ; car cette affaire devait être faite en secret. Le pays était alors dans une position très critique.
Comme je viens de le dire, je voudrais qu'on ne pût dépenser l'argent du trésor sans les garanties que la loi prescrit, comme cela est arrivé. Mais il peut survenir des circonstances où, en voulant remplir toutes les formalités ordinaires, on précipiterait le pays dans de graves dangers.
Je demande donc le maintien de l'article de la section centrale, concevant très bien que cette section nous ait fait cette proposition, puisqu'elle a reconnu une nécessité que le ministère n'avait pas prévue.
(page 866) M. Desmet. - On fait à la section centrale le reproche de s'être montrée plus facile que le gouvernement. M. le ministre des finances n'est pas, je pense, de cet avis ; il trouve assurément la proposition du gouvernement plus commode que celle de la section centrale. Il n'y a qu'à voir les deux dispositions pour reconnaître qu'il y a entre elles une grande différence pour la sûreté des fonds de l'Etat.
Pourquoi la section centrale a-t-elle introduit cette disposition ? Parce qu'elle lui a paru nécessaire. J'ai fait remarquer dans la section centrale qu'il était des circonstances, comme par exemple la rupture d'une digue, où elle serait indispensable. S'il n'y a pas de fonds pour faire la dépense, comment réparera-t-on la digue ? Cela prouve bien la nécessité d'introduire la disposition dans le projet de loi. Que l'on fasse attention que trois circonstances sont exigées. Il faut que les circonstances soient graves, imprévues, extraordinaires, et surtout qu'il y ait urgence. C'est cette urgence que l'on doit prendre en considération, li faut qu'il y ait nécessité et urgence de faire une dépense pour éviter de grands maux.
L'honorable M. Delehaye dit : Vous avez tout le temps pour payer. Mais il ne s'agit pas de payement,, il s'agit d'ordonnancer la dépense et d'ouvrir des crédits pour y satisfaire.
Qu'on fasse attention que la mesure doit être sanctionnée par la loi. Si la dépense n'a pas les caractères exigés par la loi, elle tombera à la charge du ministre. Celui-ci se gardera bien d'ordonner une dépense qui ne devra pas être sanctionnée. Il y a donc toutes garanties.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Un honorable préopinant s'est étonné de ce que la section centrale ait fait une proposition que le gouvernement n'avait pas faite et qu'il aurait dû faire s'il l'avait jugée nécessaire.
Il semble induire de là que la proposition est inutile. Je me vois obligé d'expliquer comment la section centrale a été amenée à la faire. Messieurs, c'est par suite d'un examen approfondi du projet du gouvernement que la section centrale a cru convenable d'adopter cet amendement au projet primitif.
D'après la rédaction de l'article 6 proposé par le gouvernement, la perception des deniers de l'Etat ne pouvait être faite que par un comptable du trésor.
Mais cette rédaction ne concernait que les percepteurs. La section centrale a fait un amendement d'où il résulte, de plus, que les caisses publiques ne peuvent être gérées que par un agent placé sous les ordres du ministre des finances responsable de sa gestion et justiciable de la cour des comptes.
Il faut combiner cette disposition avec celle de l'article 5 transférée à l'article 16.
De plus, l'article 5 proposé par le gouvernement se bornait à stipuler qu'aucune sortie de fonds ne pouvait se faire sans son concours. La section centrale a amendé cette disposition et a ajouté qu'aucune sortie de fonds ne pourrait se faire sans la liquidation préalable de la cour des comptes.
C'est ainsi que la section centrale vous a proposé de faire en sorte que les deniers des contribuables fussent concentrés dans une caisse tellement bien fermée qu'on ne pût les en faire sortir que par l'intermédiaire de la cour des comptes.
Le projet du gouvernement lui laissait la faculté de continuer à invoquer le bénéfice du règlement des Pays-Bas, la faculté de disposer du trésor. La section centrale a tellement calfeutré, a rendu tellement inabordable la caisse de l'Etat, qu'il n'y a plus moyen d'en faire sortir une obole sans l'intermédiaire de la cour des comptes.
Lorsque la section centrale eut terminé son travail, elle comprit qu'il était des circonstances extraordinaires et urgentes où le gouvernement pouvait avoir besoin de faire un prompt usage des deniers de l'Etat ; elle crut qu'il était nécessaire de pourvoir à cette occurrence.
Je crois avoir expliqué suffisamment ce qui a déterminé la section centrale à faire cette proposition.
Maintenant, puisque j'ai la parole, je répondrai un mot à l'honorable M. de La Coste. Cet honorable membre a dit : On fera ce qu'on a fait par le passé ; le visa de la cour des comptes ne sera pas nécessaire. Mais qu'a-t-on fait ? On a fait sortir les deniers de l'Etat de la caisse du trésor d'une manière irrégulière et sans garantie, sans le contrôle de la publicité. La législature n'en a pas été informée. Si elle l'a été, ç'a été quand le ministre n'était plus au pouvoir, quand il n'y avait plus de recours contre lui. Nous au contraire que faisons-nous ?
En réglant cette grave faculté, nous établissons des garanties, et nous faisons en sorte que le ministre qui aura usé de ce pouvoir, soit obligé de comparaître devant la législature dans un délai déterminé et très rapproché.
L'honorable M. de Garcia, pas plus que l'honorable M. de La Coste, ne veut de cette disposition. Cependant, si j'interprète bien ses paroles, il pense que, dans des circonstances graves, le gouvernement pourra, contrairement aux dispositions de la loi, mettre encore comme par le passé la main sur le trésor. Il trouve que salus populi doit être la suprema lex. Je suis de son avis, mais il me semble beaucoup plus raisonnable de prévoir les circonstances où le gouvernement pourra user exceptionnellement des fonds du trésor, de régler de quelle manière, et quand il aura à justifier d'une mesure exigée par le salut du pays.
D'ailleurs, l'honorable M. Mercier a clairement établi que, sans la disposition que nous discutons, le trésor abandonné à la garde des comptables et confié à leur responsabilité, ne sera pas disponible pour le gouvernement sans un crédit législatif.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j'ai écouté attentivement toute la discussion qui vient d'avoir lieu.
La proposition qui vous a été soumise et qui a amené mon amendement émane de la section centrale. J'ai cru, et peut-être me suis-je trompé, imposer des limites plus étroites au gouvernement par la définition que j'ai donnée. Ainsi l'idée de l'imprévu ne se trouvait pas dans l'amendement primitif ; en d'autres termes, légalement, les ministres auraient pu, d'après l'amendement de la section centrale, même pour les termes prévus, augmenter les crédits qui leur avaient été accordés.
Le seul motif de la proposition qui vous a été faite consiste en ce qu'aujourd'hui le ministre des finances a le pouvoir de mandater directement sur le caissier général pour la totalité de l'encaisse, tandis que, d'après les dispositions de la loi nouvelle, il n'aurait plus ce pouvoir
Après avoir entendu, messieurs, tout ce qui a été dit dans cette discussion, je me suis décidé à retirer l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous soumettre. Je pense qu'il est bien entendu que dans un moment comme celui en vue duquel l'article a été proposé, le gouvernement, je ne dis pas seulement pourrait, mais devrait même user de tous les moyens en son pouvoir pour que les intérêts du pays ne fussent pas lésés. Je pense, messieurs, que malgré les dispositions impératives de la loi, dans une telle circonstance la cour des comptes ne refuserait pas son visa.
Il y a peut-être, messieurs, un autre moyen de solution dans les dispositions qui devront être soumises à la chambre pour l'organisation définitive du caissier de l'Etat. Peut-être alors pourrait-on admettre, non pas ce droit qui existe aujourd'hui de mandater d'une manière directe et illimitée sur le caissier de l'Etat, de disposer en un instant de tout le solde d'encaisse, mais définir l'action du ministre à l'égard du caissier de l'Etat, de manière qu'il puisse faire face à ces circonstances imprévues et extraordinaires.
Je crois donc, messieurs, pouvoir renoncer à l'amendement que j'avais présenté et qui était la conséquence de la proposition de la section centrale.
M. de Theux. - Le gouvernement abandonne-t-il toute la proposition ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Oui.
M. le président. - La section centrale ayant fait la proposition, je suis obligé de la mettre aux voix.
M. Jonet. - Messieurs, la section centrale ne retirant pas sa proposition, je dois dire quelques mots sur la question constitutionnelle.
Je n'aborderai pas l'examen de l'article 17 tel qu'il est présenté, soit par la section centrale, soit par M. le ministre des finances. Cet article, je ne peux pas le discuter. La chambre n'a pas le droit de le voter, et, si cela est vrai, il est inutile d'aller plus loin.
Je dis que la chambre n'a pas le droit de le voter, parce que cet article, s'il était adopté, serait directement contraire à la Constitution dont nous avons juré l'observance, et nous y serons fidèles, je l'espère.
Je ne serai pas long. Pour établir ma thèse, je me bornerai à citer quatre dispositions de la Constitution. La chambre appréciera ces dispositions ; elle jugera ensuite si elle peut voter l'article 17.
La première disposition que j'invoque est celle de l'article 27 de la Constitution qui porte : « Toute loi relative aux recettes et aux dépenses de l'Etat doit être votée d'abord par la chambre des représentants. » Et vous voudriez, messieurs, par une loi particulière, supprimer cet article, et donner au roi et aux ministres un droit qu'ils ne peuvent avoir ! Il suffit d’émettre la disposition proposée en présence de cet article 27, pour démontrer de la manière la plus formelle que cette disposition ne peut être accueillie.
La seconde disposition que j'invoque est celle qui a déjà été citée par l'honorable M. Savart : article 115 de la Constitution : « Chaque année les chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget. Toutes les recettes et les dépenses de l'Etat doivent être portées au budget. »
Comment, en présence d'une semblable disposition, pourriez-vous donner au gouvernement le droit de faire, sans l'intervention des chambres des dépenses quelconques, dans quelque position que ce soit ? Toutes les dépenses doivent être portées au budget, ou au moins dans la loi. La loi doit précéder la dépense. Comment donc pourriez-vous donner, sans manquer à la Constitution, le droit que l'on réclame, au roi et aux ministres ? Vous ne le pouvez pas.
La troisième disposition a également été citée par l'honorable M. Savart, c'est l'article 116 de la Constitution : « La cour des comptes veille à ce qu'aucun article des dépenses du budget ne soit dépassé et à ce qu'aucun transfert n'ait lieu. »
Si cela est vrai, si aucun article de dépenses porté au budget ou à la loi des dépenses ne peut être dépassé, comment pourriez-vous donner un pouvoir contraire au Roi et aux ministres ? Je le répète, vous ne le pouvez pas.
Enfin j'invoque, pour autant que de besoin, l'article 130 de la Constitution» qui porte : « La Constitution ne peut être suspendue en tout ou en partie.» Elle ne serait peut-être pas suspendue dans l'espèce particulière, si vous adoptiez l'article en discussion, mais elle serait détruite.
On a invoqué les inconvénients qui pourraient se présenter avec notre système constitutionnel, si l'on rejetait l'article 17. Mais ces inconvénients doivent avoir été prévus par le congrès constitutionnel et ils l'ont été. La Constitution a été examinée sous différents points de vue, et malgré les inconvénients qui pourraient se présenter, on a cependant voté l'article 130. Si vous craignez les inconvénients, vous avez le moyen de les prévenir à l'avenir, c'est de faire usage de l'article 131 qui vous permet de réviser la Constitution. Vous avez le droit de réviser la Constitution, mais en suivant les formes voulues par la Constitution elle-même. Mais vous n'avez pas le droit de détruire la Constitution par une loi particulière.
(page 867) C'est assez dire que je voterai contre l'amendement de la section centrale et même contre toute la loi, si la disposition était adoptée.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Messieurs, la section centrale a cru qu'il était de son devoir de présenter cette disposition, après avoir renforcé, comme elle l'avait fait, le reste de la loi. Je me suis assez expliqué tout à l'heure sur ce point.
Maintenant je viens d'entendre avec surprise M. le ministre des finances retirer son amendement et se prononcer contre le nôtre. Dès lors je crois inutile que je soutienne au nom de la section centrale un article qu'elle avait présenté dans l'intérêt de l'administration. Si le gouvernement pense pouvoir s'en passer, il doit mieux connaître que nous ce qui lui est nécessaire pour marcher. Il est au pouvoir, il a sur nous l'avantage de l'expérience.
Je renonce donc à l'article 17 et je propose à la chambre de passer à l'article suivant.
M. de Mérode. - Je demande la parole.
M. le président. - L'article étant retiré, si personne ne le reprend, il n'y a plus lieu à discussion.
M. Delfosse. - Je demande à adresser une interpellation à M. le ministre des finances.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Delfosse. - M. le ministre des finances nous a dit tantôt qu'il s'était mis d'accord avec ses collègues sur les dispositions du projet de loi et notamment sur l'article 17, qui peut être considéré comme l'un des plus importants. Je demande comment il se fait que cet article important, sur lequel M. le ministre des finances avait cru devoir consulter ses collègues, soit retiré par M. le ministre des finances seul, alors que la plupart des ministres sont absents ; il me semble que si M. le ministre des finances a cru devoir consulter ses collègues pour présenter cette disposition, il aurait dû aussi les consulter avant de la retirer ; je prie M. le ministre des finances de vouloir bien expliquer cette contradiction qui me paraît exister entre les paroles qu'il a prononcées au commencement de la séance et l'acte qu'il vient de poser.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il paraît, messieurs, que nous entrons, pour les discussions parlementaires, dans une phase toute nouvelle. Un ministère doit se trouver au complet sur ces bancs, et un ministre doit toujours avoir tous ses collègues auprès de lui, pour savoir si, d'après le cours de la discussion, il peut modifier le projet qu'il a soumis à la chambre. Messieurs, je vous le demande, et la carrière parlementaire de la plupart d'entre vous est plus longue que la mienne, pareille idée a-t-elle été émise depuis que la Belgique a un parlement ?
Le ministère arrête en commun les projets à soumettre à la chambre ; il les discute avec elle ; et lorsque la discussion démontre que les dangers d'une proposition sont supérieurs à ses avantages, que d'un autre côté ces avantages peuvent être réalisés par des moyens différents, faut-il, je le demande à l'honorable membre lui-même, que chacun des ministres soit ici en permanence et que nous votions en conseil des ministres sur ces bancs ?
Non, assurément. Ce serait changer tous les précédents du gouvernement et de la chambre depuis 1830. Je me crois parfaitement en droit, et je ne crois nullement poser un acte contradictoire avec la déclaration que j'ai faite tout à l'heure, en renonçant, d'après les raisons qui ont été données dans le cours de cette discussion, à la proposition que j'avais faite.
M. Delfosse. - M. le ministre des finances a sans aucun doute le droit de retirer son amendement ; je ne l'ai pas contesté ; mais j'ai, de mon côté, le droit de faire ressortir les contradictions que je crois remarquer entre ses actes et ses paroles.
Tantôt l'honorable M. Manilius demandait l'ajournement de la discussion de l'article 17, jusqu'au moment où nous nous trouverions en présence d'un ministère sérieux, d'un ministère dont tous les membres pourraient prendre part à cette discussion. D'après l'honorable M. Manilius, le ministère actuel serait ébranlé, chancelant, tous les ministres auraient même remis leur démission.
MM. les ministres interpellés sur ce dernier point ont refusé de s'expliquer, ou plutôt ils ont cru refuser, car il me paraît résulter bien clairement de leurs paroles qu'ils ont réellement donné leur démission ; s'ils ne l'avaient pas donnée, leur devoir serait de démentir les bruits répandus par les journaux ; par cela seul qu'ils ne démentent pas ces bruits, par cela seul qu'ils gardent le silence, je tiens les bruits pour fondés.
M. le ministre des finances, tout en refusant de répondre à l’interpellation, s'est opposé à l'ajournement de la discussion de l'article 17 ; et pourquoi s'y est-il opposé ? C'est d'abord parce que la loi a, selon lui, un caractère purement administratif ; c'est ensuite parce que ceux de ses collègues dont on paraissait désirer la présence avaient donné leur assentiment à cette loi ; si l'assentiment des collègues de M. le ministre des finances était nécessaire au commencement de la séance, il me semble qu'il doit encore l'être en ce moment ; il me semble que M. le ministre des finances qui a cru avoir besoin de l'assentiment de ses collègues pour présenter son amendement à l'article 17, se met en contradiction avec lui-même, lorsqu'il retire cet amendement en leur absence et sans les avoir consultés.
La chambre passe à l'article 18, qui est ainsi conçu :
« Art. 18. Les ordonnateurs sont responsables des payements mandatés par eux contrairement aux lois et règlements d'administration. »
- Cet article est mis aux voix et adopté.
« Art. 19. Les ministres ne font aucun contrat, marché ou adjudication, pour un terme dépassant la durée du budget qui porte l'allocation nécessaire pour faire face à la dépense.
« Toutefois, quand l'allocation embrasse la totalité de la dépense, et lorsque celle-ci, à raison de l'importance des travaux, ne peut se réaliser complétement dans le cours du budget, ils peuvent stipuler pour un plus long terme sans pouvoir dépasser celui de 5 années, à compter de celle qui donne son nom à l'exercice.
« Le devis de la dépense totale sera produit comme développement à l'appui du budget dans lequel le crédit à allouer sera demandé à la législature.
« Sont exceptés de cette règle les baux d'entretien, qui peuvent être contractés pour plusieurs années ; auquel cas chaque budget se trouve grevé de la dépense afférente à l'année à laquelle il se rapporte. »
M. le ministre des finances (M. Malou). a proposé la rédaction suivante :
« Art. 19. Les ministres ne font aucun contrat, marché ou adjudication pour un terme dépassant la durée du budget.
« Sont exceptés de cette règle les baux de location ou d'entretien qui peuvent être contractés pour un plus long terme ; auquel cas, chaque budget se trouve grevé de la dépense afférente à l'année à laquelle il se rapporte.
« Quand la dépense, à raison de l'importance des travaux, ne peut se réaliser pendant la durée du budget, les ministres peuvent contracter pour un plus long terme qui, toutefois, ne dépasse pas cinq années, à compter de l'année qui donne son nom à l'exercice. »
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Voici, messieurs, en quoi consiste l'amendement de la section centrale. La section centrale demande que le devis de la dépense totale soit produit comme développement à l'appui du budget dans lequel on demandera des crédits destinés à des dépenses à répartir sur plusieurs exercices.
Voici pourquoi elle vous propose cette disposition. Il arrive dans plusieurs circonstances que le gouvernement désirant de faire une dépense considérable demandait à la législature un crédit partiel sans faire connaître le chiffre de la dépense totale, parce qu'il craignait que la chambre ne reculât devant une dépense aussi élevée.
La disposition proposée par la section centrale tend à obliger le gouvernement à faire connaître à la législature toute la portée des demandes de crédit qu'il lui soumet.
Elle tend ensuite à empêcher qu'un ministre n'engage plusieurs budgets sans le consentement de la législature. N'avons-nous pas vu, messieurs (et nous le voyons fréquemment à la suite de ces changements si fréquents de cabinet), n'avons-nous pas vu les ministres qui se retirent faire leur testament politique, et engager souvent pour plusieurs années les budgets de leurs successeurs ?
Quant à la disposition qui oblige le gouvernement à présenter le devis de la dépense totale lorsqu'il s'agit d'engager plusieurs exercices, je pense que c'est une disposition excellente. La chambre a refusé dernièrement un crédit que le gouvernement demandait pour des travaux de fortifications, elle l'a refusé parce que le devis de la dépense n'était pas joint à la demande de crédit ; il me semble qu'il faut prévenir des propositions semblables. Il me semble que pour être conséquente avec elle-même la chambre doit écrire dans la loi l'obligation pour les ministres de ne présenter à l'avenir que des projets de loi accompagnés des pièces justificatives, qui tendent à les motiver.
Je crois, messieurs, que ces considérations justifient suffisamment la proposition de la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la proposition nouvelle que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, se rapproche beaucoup en principe de celle de la section centrale. Le motif de la différence qu'il y a entre les deux propositions est puisé dans les faits actuels et dans la nécessité de maintenir ces faits. Je prends, messieurs, un exemple dans nos budgets. Les crédits affectés à la construction, la réparation et l'amélioration des routes, sont votés par la chambre en un ou deux articles. Le gouvernement, pour multiplier les bienfaits qui doivent résulter de la construction de voies de communication, prend, avec le concours des provinces, des communes et des particuliers, des engagements échelonnés sur plusieurs années. D'après la rédaction proposée par la section centrale, il serait désormais impossible de suivre cette marche, puisque, à l'époque du vote des budgets, le gouvernement devrait pouvoir produire le devis de la dépense totale, pour des routes dont la construction est alors encore incertaine et doit faire l'objet de négociations avec les provinces et les communes et souvent avec les particuliers.
Est-il nécessaire, me suis-je demandé en examinant cette disposition, est-il nécessaire d'imposer au gouvernement des limites aussi étroites ? Je pense, messieurs, que non. Le principe posé dans le premier paragraphe, c'est que le ministre ne peut pas engager les fonds du budget au-delà de la durée du budget lui-même. Deux exceptions sont admises à ce principe ; l'un concerne les travaux importants qui ne peuvent pas s'exécuter dans le cours d'un exercice. Remarquez, messieurs, que ces travaux, à raison de leur importance même, sont toujours l'objet d'un vote spécial de la part de la législature. Ainsi les précautions que l'on prend sont à cet égard parfaitement inutiles. La deuxième exception est celle qui concerne les baux d'entretien et de location. Dans l'intérêt de l'Etat, il importe que le gouvernement puisse contracter à cet égard pour un terme plus long que la durée d'un budget. Cette deuxième exception est donc facile à justifier.
D'après ces considérations, je pense, messieurs, que l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer et qui n'est guère que la reproduction de l'article primitif, peut être admis sans qu'il y ait aucun abus a craindre à l'avenir.
- L'article 19 est mis aux voix et adopté avec la rédaction proposée par M. le ministre des finances.
« Art. 20. Aucun marché, aucune convention pour travaux et fournitures, ne peut stipuler d'a-compte que pour un service fait et accepté. »
- Adopté.
« Art. 21. Tous les marchés au nom de l’Etat sont faits avec concurrence, publicité et à forfait, sauf les exceptions établies par les lois spéciales ou par la disposition suivante :
« Il peut être traité de gré à gré :
« 1° Pour les fournitures, transports et travaux dont la dépense totale n'excède pas dix mille francs, ou s'il s'agit d'un marché passé pour cinq années, dont la dépense annuelle n'excède pas 3,000 francs ;
« 2° Pour toute espèce de fournitures, de transports ou de travaux, lorsque les circonstances exigent que les opérations du gouvernement soient tenues secrètes : ces marchés doivent préalablement avoir été autorisés par le roi, sur un rapport spécial ;
« 3° Pour des objets dont la fabrication est exclusivement attribuée à des porteurs de brevets d'invention et d'importation ;
« 4° Pour les objets qui n'auraient qu'un possesseur unique ;
« 5° Pour les ouvrages et les objets d'art et de précision dont l'exécution ne peut être confiée qu'à des artistes ou ouvriers éprouvés ;
« 6° Pour les exploitations, fabrications et fournitures qui ne sont faites qu'à titre d'essai ;
« 7° Pour les matières et denrées qui, à raison de leur nature particulière et de la spécialité de l'emploi auquel elles sont destinées, sont achetées et choisies au lieu de production, ou livrées sans intermédiaire par les producteurs eux-mêmes ;
« 8° Pour les fournitures, transports ou travaux qui n'ont été l'objet d'aucune offre aux adjudications, ou à l'égard desquels il n'a été proposé que des prix inacceptables ; toutefois, lorsque l'administration a cru devoir arrêter et faire connaître un maximum de prix, elle ne doit pas dépasser ce maximum ;
« 9° (nouveau). Pour les fournitures, transports et travaux qui, dans le cas d'urgence évidente, amenés par des circonstances imprévues, ne peuvent pas subir les délais des adjudications.»
M. le ministre des finances (M. Malou) propose de faire du premier paragraphe de cet article un article spécial, et un deuxième article des autres paragraphes.
- L'article ainsi divisé est mis aux voix et adopté.
« Art. 22. Les dépenses fixes, telles que traitements, abonnements, pensions, sont ordonnancées par le ministre des finances, sur des états collectifs qui lui sont transmis par les départements d'administration générale, et sur des crédits préalablement ouverts à cet effet par la cour des comptes, pour l'année entière, sur les allocations compétentes des budgets et sur la production des états nominatifs des parties intéressées. Les payements effectués d'après ce mode seront justifiés à la cour des comptes avant la clôture de l'exercice. »
Le gouvernement propose le maintien de l'article primitif qui est ainsi conçu :
« Les dépenses fixes, telles que traitements, abonnements, pensions, sont ordonnancées par le ministre des finances sur les états collectifs qui lui seront transmis par les départements d'administration générale : ces départements feront connaître à la cour des comptes le montant des imputations à faire sur chaque article du budget par suite de la formation de ces états, et, d'après cette communication, la cour des comptes fait l'enregistrement de ces dépenses. Les payements sont justifiés à cette cour avant la clôture de l'exercice. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le mode proposé par la section centrale consiste à faire ordonnancer par le ministre des finances sur des crédits préalablement ouverts par la cour des comptes pour l'année entière, tandis que, d'après le projet primitif, l'ordonnancement se ferait sur des états collectifs transmis par les départements d'administration générale. S'il était possible, pour les dépenses fixes, telles que traitements, abonnements, pensions, d'avoir des états invariables pour une année entière, le travail serait beaucoup plus facile, beaucoup plus simple, d'après le projet de la section centrale, mais il n'en est pas ainsi : les pensions qui doivent être payées au commencement de L'année, diffèrent souvent beaucoup de celles qui doivent être payées dans le deuxième et le troisième trimestre.
Il en est de même pour les traitements, dans certains ordres de fonctionnaires. Il y a même plus : les fonctionnaires de l'administration des finances (et ce sont les plus nombreux), qui sont payés au moyen de remises proportionnelles, ne peuvent évidemment rentrer sous l'application de l'article du projet de la section centrale. Ces remises ne peuvent pas être calculées d'avance pour l'année entière. Loin d'introduire dans la comptabilité une simplification nouvelle, ce changement proposé par la section centrale donnerait lieu à un travail beaucoup plus considérable et sans utilité réelle. C'est pour ce motif seul que je crois devoir maintenir le projet primitif.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, l'article en discussion constitue une disposition très importante, en ce qu'elle implique la question du visa préalable dont l'application sera examinée lors de la discussion du projet de loi de la cour des comptes.
Dans le système actuel, le gouvernement fait dresser des états collectifs mensuels qui sont visés préalablement par la cour des comptes, avant d'être émis payables. D'après le système du gouvernement, il n'y aurait plus de visa préalable, les états collectifs seraient dressés chaque mois, comme à l'ordinaire ; la cour des comptes ouvrirait des crédits sans imputation sur un simple avis ; elle ne viserait plus ; elle ne régulariserait les payements qu'à la fin de l'année, quand tout serait terminé.
La chambre doit y regarder à deux fois, avant de modifier l'application si importante du visa préalable. On dira peut-être que les traitements ont quelque chose d'immuable, qu'il en est de même des pensions. Cependant les traitements ont besoin de contrôle comme toutes les autres dépenses.
Je citerai, à l'appui de ce que j'avance, l'administration des chemins de fer. Sous le ministère de M. Desmaisières, si je ne me trompe, le nombre des fonctionnaires du chemin de fer, leurs traitements, etc., furent arrêtés par un règlement qui a été revêtu de la sanction royale. Or, une foule de dispositions ministérielles sont venues déroger à cet arrêté royal qui avait une certaine valeur, et il en est résulté que les dépenses ont été augmentées. Il me semble donc qu'il est utile que la cour des comptes puisse connaître quels sont les traitements, quel en est le mouvement, si le gouvernement exécute les arrêtés royaux qu'il a provoqués lui-même.
Quant aux pensions, il me semble aussi utile, surtout quand les pensions sont liquidées pour la première fois, que la cour des comptes puisse examiner si le chiffre en est régulièrement porté aux états collectifs. La section centrale avait consenti à sacrifier le visa mensuel, elle s'était contentée d'un visa annuel pendant le cours de l'année, le gouvernement aurait à informer la cour des comptes des modifications qui auraient été introduites. L'article de la seclion centrale n'est, en résumé, que calqué sur un article d'un règlement spécial de comptabilité, concernant le ministère de la justice et des cultes en France. D'après l'article 67, § 2 de ce règlement, les états du premier trimestre de chaque année contiennent les noms de toutes les parties prenantes, et l'indication de la somme à payer à chacune d'elles ; les états des trois trimestres suivants ne contiennent que des articles qui ne sont pas conformes aux détails de l'état du premier trimestre. Ainsi, il y aurait un premier état très complet et les états suivants se borneraient à indiquer les modifications qui seraient introduites.
Je viens de vous dire, messieurs, que depuis 1830, l'on dresse des états collectifs mensuels ; la formation de ces états exige un temps considérable, et occupe, paraît-il, presque exclusivement plusieurs employés. Avant 1830, les états n'étaient dressés que trimestriellement, et je pense qu'il serait d'autant plus convenable d'en revenir à ce système qu'il n'y a pas d'uniformité pour le payement des traitements des fonctionnaires de l'Etat. C'est ainsi que l'on a conservé le système des payements trimestriels pour les pensions : la loi de 1844 en a décidé ainsi. Les agents des ponts et chaussées ne sont payés que trimestriellement. Il en est de même pour l'article si important des cultes. L'ordre judiciaire n'est également payé que par trimestre. Depuis 1830, on a introduit le système des payements mensuels pour les départements ministériels, pour les agents des chemins de fer et pour les bureaux des gouvernements provinciaux. Il me paraît convenable d'établir un mode uniforme de payement pour tous les fonctionnaires qui reçoivent un traitement sur les fonds de l'Etat. Le mode le meilleur, selon moi, consiste à effectuer ce payement par trimestre.
Messieurs, j'ai cherché à découvrir pourquoi on avait dérogé, en faveur de certains fonctionnaires, au système établi par le gouvernement des Pays-Bas ; d'après ce que j'ai appris, cette innovation a été introduite dans les premiers temps de la révolution ; le nouvel ordre de choses paraissait si peu solide que les fonctionnaires des départements ministériels furent charmés d'être payés mensuellement ; ils n'avaient pas une très grande confiance, paraît-il, dans la stabilité du gouvernement, et c'était une espèce de garantie qu'on leur donnait.
Il me semble que les payements trimestriels ne peuvent leur faire du tort ; au contraire, cela leur donnera des habitudes d'économie, les obligera à avoir des ressources par devers eux.
J'insiste donc, messieurs, pour qu'il y ait un visa préalable de la cour des comptes pour le payement des traitements. Je demande que ce visa n'ait lieu que pour l'état collectif du premier trimestre ; quant aux trois autres trimestres, on pourrait se borner à donner connaissance à la cour des comptes des modifications survenues depuis le visa de l'état du premier trimestre.
Je propose d'ajouter, dans l'article de la section centrale, le mot « trimestriellement » après celui-ci : « ordonnancées », afin qu'il y ait uniformité dans le payement des traitements des fonctionnaires de l'Etat ; je maintiens la suite de la rédaction de l'article.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'article, tel qu'il est proposé, ne préjuge absolument rien, en ce qui concerne la première liquidation des pensions. Cette question sera examinée naturellement à l'occasion d’un article nouveau que la section centrale, chargée de l'examen de la loi de la cour des comptes, vous a proposé. Il s'agit seulement de savoir si l'on simplifiera la comptabilité, s'il est de l'intérêt de l'administration de donner plus tôt le droit au ministre d'ordonnancer, sauf à justifier ultérieurement à la cour, ou s'il faut que la cour donne un visa pour la totalité d'un crédit affecté pendant le cours d'une année entière au payement de dépenses fixes, telles que traitements, abonnements, pensions. Eh bien, je suppose que cette année la disposition de la section centrale ait été applicable au ministère des finances ; que dans le courant du mois de janvier j’aie transmis l'état du personnel de ce ministère ; la cour aurait reconnu que, d'après l'état du personnel, il dépassait le douzième de la somme totale, et je n'aurais pu faire admettre la demande que j'aurais soumise à la cour.
Il peut arriver, au contraire, que les dépenses, au commencement de l'année, soient beaucoup moins considérables pour les traitements, abonnements ou pensions qu'ils ne le sont plus tard. En d'autres termes, l'article de la section centrale suppose que ces dépenses, qui sont fixes par leur nature, sont invariables, dans le cours d'une année, quant à leur quotité. C'est là un principe auquel les faits ne répondent pas.
Ainsi, je suppose que l'article soit appliqué aux pensions ; j'envoie à la (page 869) cour des comptes les états collectifs de tous les pensionnaires au 1er janvier ; à chaque payement à faire, j'aurai une nouvelle correspondance avec la cour pour toutes les modifications qui peuvent être survenues. Ainsi, pour les pensions qui se payent par trimestre, j'aurai ce travail quatre fois par an ; mais pour les dépenses qui se payent par mois, j'aurais douze fois à correspondre avec la cour, pour rectifier les états arrêtés au 1er janvier. Ces dépenses sont bien fixes, en ce sens qu'elles doivent avoir lieu ; mais elles sont variables, quant aux parties prenantes et quant à la quotité ; et ce sont ces variations qui, loin de simplifier le travail, d'après le projet de la section centrale, l'augmenteraient et l'embrouilleraient considérablement.
L'honorable préopinant pense qu'il vaudrait mieux payer les traitements et abonnements par trimestre. Ce serait là une espèce de révolution administrative, ce serait une mesure qui viendrait troubler l'existence de presque tous les serviteurs de l'Etat. Je n'hésite pas, à cet égard, à en appeler à l'expérience de toutes les personnes qui ont eu l'occasion d'ordonnancer des traitements. Loin d'encourager les habitudes d'économie, on livrerait les fonctionnaires inférieurs, pendant le premier trimestre surtout, à des nécessités toujours fâcheuses, on obérerait leur avenir, et ils ne pourraient plus recouvrer la position qu'ils maintiennent souvent très difficilement au moyen du payement régulier des douzièmes.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, je trouve étrange que M. le ministre des finances qui entend prévenir la confusion, qui veut tout simplifier, maintienne les payements mensuels. Mais c'est précisément cela qui complique le travail. Qu'on paye certains fonctionnaires trimestriellement, comme on paye tous les autres, on abrégera beaucoup la besogne. M. le ministre nous dit que les modifications qui surviennent dans la quotité des traitements rendent impossible le visa préalable, mais de pareilles modifications ont eu lieu depuis 1830 ; cela n'a pas apporté obstacle au visa mensuel. Je propose de ne payer que tous les trois mois, et au dire de M. le ministre, c'est tout embrouiller ; mais, au contraire, je crois tout simplifier par ce mode ; jusqu'à présent le visa préalable a été mensuel, la section centrale propose de le rendre annuel, et nous voulons encore, au dire de M. le ministre, compliquer le travail ! Je ne puis reconnaître aux difficultés, aux embarras, qu'a signalés M. le ministre, une valeur sérieuse.
M. de Mérode. - Je voudrais que M. le ministre des finances nous expliquât pourquoi il est nécessaire de payer aujourd'hui autrement qu'on ne payait avant 1830. D'après ce que vient de dire l'honorable rapporteur, ce changement a eu lieu par suite de notre situation politique. On conçoit que dans ce moment les employés aient désiré être payés par mois ; j’ai appartenu au gouvernement d'alors et je dois reconnaître que son existence était très chanceuse ; il était assez naturel qu'on payât autrement que précédemment. A cette objection, M. le ministre n'a rien répondu : je serais bien aise qu'il donnât des explications, afin de savoir pour lequel des deux systèmes je dois voter.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je crois avoir fait connaître autant qu'il est possible les motifs péremptoires, selon moi, qui doivent faire maintenir le payement mensuel. Mon expérience de ministre est très courte, mais je dois dire que le retard qu'a éprouvé le vote du budget des finances a eu pour les employés inférieurs des conséquences très fâcheuses. Cependant, ce retard n'a pas été de trois mois. Je n’hésite pas à déclarer, d'après mon expérience de ministre des finances et des autres fonctions administratives que j'ai remplies, que ce serait une perturbation dans l'existence de presque tous les fonctionnaires inférieurs qui, pour la plupart, sont peu et même trop peu payés. Tel est le véritable motif qui empêcherait même de faire cette transition d'un régime à l'autre. En supposant que la formation des états collectifs fût de nature à occasionner un travail aussi considérable qu'on le prétend, le mode proposé par l'honorable rapporteur de la section centrale présente de graves inconvénients, sans offrir les avantages qu'on s'en promet, parce que chaque payement nécessiterait un travail aussi considérable que la formation des états collectifs.
M. Osy. - Je préfère la proposition de la section centrale en supprimant les mots « pour l'année entière ». La différence qui en résultera, c'est que les états collectifs seront visés par la cour des comptes, tandis que le gouvernement, par la disposition qu'il propose, s'engage seulement à faire connaître les mandats collectif à la cour des comptes. Je voudrais, moi, que les mandats eux-mêmes fussent visés. En effaçant les mots « pour l'année entière, » le gouvernement a la faculté de payer par trimestre ou par mois. Il n'y a aucune gêne à envoyer les mandats à la cour pour recevoir son visa avant de les envoyer en province. L'engagement de faire connaître les mandats à la cour serait rempli, si le gouvernement lui donnait avis à la fin de l'année, tandis que, par le visa préalable, la cour connaît la dépense du moment où l'on dispose sur la caisse.
Je propose donc de retrancher de la réfaction de la section centrale les mots « pour l'année entière » ; et d'adopter l'article ainsi modifié de cette manière, nous maintenons le vœu de la loi qui prescrit le visa préalable.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La suppression des mots : « pour l'année entière », que propose l'honorable M. Osy, ne corrige rien ; elle ôte toute signification à l'article. Je vais le démontrer., Il y a, comme on l'a dit, plusieurs manières de faire sortir les fonds de la caisse de l'Etat. Le premier a lieu moyennant le visa préalable ; quand la dépense est faite de cette manière, l'état collectif est vise par la cour, chaque créancier est désigné dans l'état et l'acquit est donné sur l'état par le créancier désigne. Le second mode est celui que la section centrale propose comme le gouvernement, pour les traitements, abonnements et pensions ; c'est le mode par forme de crédit ouvert. Peut-on combiner le visa préalable avec les crédits ouverts ? Non, parce que quand on ouvre un crédit pour une dépense à faire, c'est à charge de justifier ultérieurement de l'emploi de ce crédit, sans que les créanciers entre lesquels il doit être reparti, soient connus de la cour et appelés à donner l'acquit sur la pièce qui lui a été transmise.
L'article n'a plus de sens, ai-je dit, en supprimant les mots : « pour l'année entière ». Si je ne transmets pas un état nominatif, je ne puis pas demander qu’on m'ouvre un crédit, car je n'aurais aucune base pour l'asseoir. Pour les dépenses fixes, l'article ne s'applique qu'à celles-là, on a toutes les garanties dans le mode que j'ai indiqué, c'est-à-dire le mode de payement par ouverture de crédit. Je crois avoir établi qu'il est impossible de combiner le visa préalable, qui suppose le créancier certain connu, avec les dispositions inhérentes au deuxième mode de sortie des fonds du trésor, l'ouverture de crédits, sauf justification ultérieure.
Le troisième mode, qui se fait par forme d'avance, est étranger à l'article en discussion.
M. de Garcia. - J'ai demandé la parole pour dire un seul mot sur l'amendement de l'honorable M. de Man d'Attenrode qui voudrait que les traitements qui, jusqu'à ce jour, se sont payés de mois en mois, fussent payés trimestriellement. Une proposition semblable m'étonne d'autant plus que dans nos séances antérieures plusieurs membres des plus influents de cette assemblée se sont plaints que les créanciers de l'Etat dussent attendre trop longtemps pour recevoir ce qui leur est dù. Si l'on admettait la proportion de l'honorable membre, ce serait évidemment agir contrairement à toutes les considérations judicieuses qui ont été produites dans nos précédentes discussions. D'un autre côté, je dois dire que je ne comprends pas la prétention de l'honorable M. de Man d'Attenrode qui dit que sa proposition a pour objet de débrouiller la loi.
Débrouiller la loi ; en quoi faisant ? En rejetant à trois mois le payement de traitements et d'émoluments gagnés par les serviteurs de l'Etat. Une proposition semblable n'est nullement justifiée par son auteur, et, en outre, elle est diamétralement opposée au vœu manifesté dans cette assemblée, qui désire que le créancier de l'Etat soit payé dans le plus bref délai possible. A ce propos qu'il me soit permis de produire une observation. Je voudrais qu'on pût faire un changement dans le payement des pensions qui ne se payent que par trimestre. Par suite de ce mode de payement, le fonctionnaire pensionné se trouve privé souvent de la partie du traitement qui lui était surtout nécessaire dans les derniers instants de sa vie. Il y a plus,c'est que le trimestre de pension qui lui est acquis n'est aujourd'hui soldé que lieux mois après l'échéance de ce trimestre. Je désire que cet ordre de choses soit changé, je désire que le serviteur du pays, qui a bien mérité, jouisse complétement de ce qui lui est dû et de tout ce que la loi lui accorde.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La jouissance des pensions a été réglée d'une manière formelle ; quant au payement, toutes les fois que des plaintes se sont élevées, nous avons pris des mesures pour hâter le payement. Les pensionnaires sont payés par trimestre, en vertu d'une disposition expresse de la loi du 21 juillet 1844. Cette loi a accordé une facilité nouvelle qui occasionne beaucoup de besogne, le payement au chef-lieu d'arrondissement. La loi a amélioré ainsi le sort des pensionnaires, en ce sens qu'ils perçoivent leur pension à moins de frais.
- L’amendement proposé par M. de Man d'Attenrode est mis aux voix. Il n'est pas adopte.
L'amendement de M. Osy est ensuite mis aux voix. Il n'est pas adopté.
Il en est de même de l'amendement proposé par la section centrale.
L'article proposé par le gouvernement, 19, qui devient article 22, est mis aux voix et adopté.
Article 23
Article 23 de la section centrale auquel le gouvernement se rallie :
« Art. 23. Tous payements ou restitutions à faire en dehors des allocations pour les dépenses générales de l'Etat, ont lieu sur les fonds spéciaux et particuliers institués pour les services qu'ils concernent, jusqu'à concurrence des recouvrements effectués à leur profit ; les recettes et les dépenses de cette catégorie sont renseignées par ordre dans les budgets et dans les comptes ; elles se régularisent dans la comptabilité de la trésorerie, sous le contrôle de la cour des comptes. »
- Adopté.
Article 24 de la section centrale auquel le gouvernement se rallie :
« Art. 24. Le règlement définitif du budget est l'objet d'une loi particulière. Cette loi est soumise aux chambres dans la même forme et dans le même cadre que la loi du budget. »
- Adopté.
Article 25 (22 du gouvernement) :
« Art. 22. Le tableau du budget clos, qui est annexé au projet de loi sur le règlement de chaque exercice, fait connaître :
« Pour la recette.
« Les évaluations ;
« Les droits constatés sur les contributions et revenus publics ;
« Les recouvrements effectués ;
« Et les produits restant à recouvrer.
« Pour la dépense.
« Les crédits ouverts par la loi ;
« Les droits acquis aux créanciers de l'Etat ;
« Les pavements effectués ;
« Et les dépenses restant à payer. »
Article propose par la section centrale :
« Art. 25. Le tableau du budget clos, qui est annexé au projet de loi sur le règlement de chaque exercice fait connaître :
(page 870) « Pour la recette,
« Les évaluations ;
« Les droits constatés sur les contributions et revenus publics ;
« Les recouvrements effectués ;
« Et les produits restant à recouvrer.
« Des développements applicables à l'exercice expiré et formant une partie spéciale du compte de l'administration des finances, font connaître sur chaque branche de service, les valeurs, matières ou quantités, qui ont été soumises à l'application des tarifs, et qui ont déterminé le montant des droits perçus par le trésor public.
« Pour la dépense.
« Les crédits ouverts par la loi ;
« Les droits acquis aux créanciers de l'Etat ;
« Les payements effectués ;
« Et les dépenses restant à payer. »
Le gouvernement ne se rallie pas à cet amendement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Le paragraphe de développement ajouté par la section centrale, jurait pour le trésor public, d'après les renseignements que j'ai pris, cette conséquence que son exécution coûterait réellement une somme d'environ 50 mille fr. Il faudrait, en effet, pour exécuter cette disposition, rédiger chaque année une statistique financière comprenant les moindres détails. Ainsi, par exemple, il faudrait, pour l'enregistrement, renseigner l'origine et le nombre des actes, les droits perçus et ceux qui ne seraient pas perçus. Il en serait de même pour tous les impôts. Il faudrait que des 112 millions du budget des voies et moyens, pas un centime ne fût omis, que sa nature et son origine fussent renseignées.
Après m'être fait rendre compte de la possibilité d'appliquer cet article en Belgique, je me suis demandé s'il était assez utile pour que la chambre voulût prendre en principe l'engagement de voter pour le ministère des finances 50,000 fr. par an. Cette nécessité ne m'a pas paru bien démontrée.
L'article primitif indique les éléments qui devront être joints au projet de budget ; ces éléments pourront recevoir quelques développements. Le gouvernement pourra y joindre des indications beaucoup plus complètes que celles qu'il a annexées jusqu'à présent au budget des recettes. Ces éléments qui peuvent recevoir plus d'extension par la suite, à mesure que les moyens d'action, c'est-à-dire les fonds du budget seront augmentés, ont suffi jusqu'à présent à la chambre.
Je pense donc qu'il n'y a pas de motifs suffisants pour créer une pareille dépense.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Je n'ai pas supputé les dépenses qu'occasionnera au trésor l'amendement de la section centrale. Je pense que les renseignements statistiques qu'il s'agit d'obtenir exigeront un travail considérable au ministère des finances, et que c'est pour ne pas en être chargés que les employés du ministère ont grossi le chiffre de la dépense.
Cet amendement est la reproduction d'un article du règlement français, dont l'exécution amène tous les ans, en France, la rédaction d'une statistique des plus instructives.
Je possède ce travail qui est considérable, j'en conviens, et qui est du plus haut intérêt. En l'examinant, j'ai remarqué qu'un tel travail nous serait d'une très grande utilité, d'abord en ce qu'il nous permettrait des études sur les bases de l'impôt.
Lors de la discussion du budget des voies et moyens, l'honorable M. Verhaegen s'est plaint de ce que le travail de la section centrale ne renfermait pas d'appréciations concernant la base de nos impôts. J'ai fait remarquer alors que des documents statistiques analogues à ceux qui sont publiés à l'étranger nous étaient indispensables pour étudier cette grave question. C'est faute de ces renseignements qui permettent de contrôler les recouvrements de la trésorerie, que souvent le gouvernement n'a pas exigé des créanciers de l'Etat tout ce qu'il aurait dû exiger. C'est ainsi qu'à l'origine de la fameuse affaire de la forêt de Chiny, si nous avions été saisis de documents semblables, nous aurions su qu'il était dû à l'Etat une somme qui n'avait pas été perçue en temps convenable ; ces développements nous auraient mis à même de demander au gouvernement des renseignements en temps opportun ; nous aurions ainsi évité à l'Etat une perte que je n'exagère pas en l'évaluant à 500,000 fr.
L'Etat a fait bien d'autres pertes, à cause du manque de moyens de contrôler les recettes du trésor, que je pourrais citer, si je ne craignais d'abuser des moments de la chambre.
C'est donc le moyen d'exercer un contrôle sur le point de savoir si le gouvernement fait rentrer tout ce qui est dû au pays, que je réclame. Sans l'état qu'exige le paragraphe proposé par la section centrale, vous ne pouvez le savoir.
Quand il s'agit de la discussion du budget des voies et moyens, on est obligé d'envoyer au gouvernement, de demander des renseignements qui arrivent trop tard, et l'on est obligé de voter sans renseignements suffisants ; car la discussion arrive avant qu'on ait obtenu les renseignements.
Dans le but de faire comprendre à la chambre l'utilité de ce travail, j'ai fait dresser un tableau relatif à l'impôt des patentes ; il figure dans les annexes. Plusieurs de mes honorables collègues ont trouvé ce tableau fort utile. Si vous tenez à être pourvus de renseignements de cette nature sur toutes les branches de l'impôt, il faut adopter l'article proposé par la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j'ai voulu rendre la chambre attentive aux conséquences de cette disposition. Je ne pense pas qu'on puisse alléguer comme motif sérieux d'adopter la disposition que son exécution assurerait la perception de tout ce qui est dû à l'Etat et rendrait tout abus impossible.
Je remercie l'honorable préopinant d'avoir cité le tableau relatif aux patentes. Ce tableau a été demandé au ministère des finances.. J'ai été obligé de le donner pour 1841 ; depuis cette époque, on avait renoncé à le dresser, parce que, pour ce tableau seul, il fallait, avec les moyens dont dispose le gouvernement, un espace de trois mois. J'ai même, si mes souvenirs sont fidèles, fait connaître à la section centrale qu'il faudrait, pour donner ce tableau à une date plus récente, trois mois de travail, et ce au détriment des autres travaux du ministère.
Je ne conteste nullement l'utilité d'une statistique financière bien faite. Mais cette question mérite un examen spécial. Déjà l'on s'est occupé d'une statistique financière embrassant une longue période, et présentant des faits plus généraux que n'en présenterait l'exécution de la proposition de la section centrale.
J'ai examiné les premiers résultats de ce travail ; il est très considérable. Si l'amendement était adopté, je devrais demander pour le personnel une augmentation de 50,000 fr. La chambre appréciera si l'utilité de ce travail serait assez grande pour autoriser cette dépense. Mais elle comprendra que je ne pouvais passer sous silence les conséquences de cette disposition ; quand je serais venu vous demander ces 50,000 fr., la chambre m'aurait reproché, avec raison, de ne pas lui avoir fait apercevoir les conséquences de son vote.
L'honorable rapporteur suppose que, dans l'affaire de la forêt de Chiny, une somme considérable serait perdue. Cette affaire est déférée aux tribunaux. Tant qu'elle n'est pas terminée, l'honorable membre ne peut dire quels en seront les résultats pour l'Etat.
M. de La Coste. - Lorsque M. le ministre des finances déclare que la disposition entraînerait pour l'Etat une dépense annuelle de 50,000 fr., j'avoue que je ne suis pas disposé à voter cette charge implicitement. Cependant j'insiste pour que M. le ministre des finances s'occupe, sinon tous les ans, au moins une bonne fois, d'une statistique financière. Puisque nous dépensons beaucoup d'argent pour avoir de la statistique sur tous les sujets donnés, c'est bien le moins que nous en ayons sur notre ménage financier.
Dans beaucoup de questions importantes, cette statistique nous serait fort utile. Moi-même, j'en éprouve vivement le besoin pour l'étude de la question des octrois, que je voudrais pouvoir discuter d'une manière approfondie, lorsque l'occasion s'en présentera.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Sans doute une statistique financière serait fort utile, mais il pourrait suffire de la faire par périodes de 5 ou 10 ans. Elle présenterait ainsi des données plus générales que la statistique demandée par la section centrale. Déjà l'on s'occupe de ce travail, je n'ai pu jusqu'ici le terminer. Si je l'avais terminé, je n'aurais pu le publier parce qu'il m'aurait fallu demander un crédit pour couvrir les frais d'impression.
M. Veydt. - Messieurs, j'appuie la proposition de la section centrale, je suis tout disposé à la remercier de l'avoir faite, en supposant même qu'il en résulte un surcroît de dépense.
Nous recevons, tous les ans, un grand nombre de documents statistiques très importants, très intéressants, je le veux bien, mais dont aucun n'a rapport à l'impôt public. Il importe cependant de connaître la nature et l'importance de l'impôt dans ses détails et ses spécialités. Jusqu'à présent, nous ne connaissons que les recettes en bloc. Pour l'impression du document relatif aux octrois communaux, il a été fait une dépense considérable. On pourrait en faire autant, à plus forte raison, pour nous fournir les renseignements demandés par la section centrale.
Je pense que quand la disposition sera adoptée, quand le service sera organisé de manière à donner des renseignements statistiques, et que la dépense sera faite une première fois, elle ne s'élèvera pas tous les ans à la somme considérable que vient d'indiquer M. le ministre.
Il y a, je pense, dans toutes les administrations des employés qui pourraient donner annuellement les renseignements dont il s'agit. Je demande en conséquence que la chambre adopte le paragraphe proposé par la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il me vient à la mémoire un autre fait qui permettra d'apprécier ce que coûtent les statistiques financières. On publie chaque année la statistique des douanes. La dépense portée de ce chef au budget des finances s'élève chaque année à 22,500 fr. S'il fallait pour tous nos impôts à base multiple, perçus par petites sommes dans tout le royaume, une statistique analogue, je crois même avoir dit trop peu en disant qu'il ne faudrait dépenser que 50,000 fr.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - L'honorable ministre des finances vient de dire que la statistique commerciale coûte par an 22,500 francs. Ceci vient à l'appui de ce que je veux dire.
Nous ne faisons pas mal de statistique, et je crois que nous en faisons beaucoup d'une utilité douteuse. Nous en faisons cependant de très utile et parmi celles-là je range la statistique commerciale. Eh bien ! la statistique commerciale se rattache au document que nous demandons. Je possède, messieurs, le document français, et tout ce qui concerne le commerce, tout ce qui concerne la douane y est compris. M. le ministre des finances cherche à nous faire apprécier ce document ; mais je suis persuade qu'il ne l'a jamais vu. Je me suis procure a Paris celui de l'année dernière et je l'ai parcouru : c'est la statistique la plus intéressante, la plus instructive que l'on puisse voir.
On fait de la statistique pour savoir ce qu'il tombe d'eau par année et (page 871) pour d'autres choses assez insignifiantes. Faites de la statistique utile, de la statistique financière, cela vaut mieux.
La statistique commerciale coule 22,000 francs. Si le chiffre de 50,000 fr. dont on nous a parlé, n'est pas exagéré, et je suis persuadé qu'on l'a exagéré pour engager la chambre à rejeter l'article en discussion, il resterait 28,000 fr. à voter en plus chaque année.
Messieurs, je crains que l'amendement de la section centrale ne soit pas adopté. Nous n'avons pas été très heureux aujourd'hui en fait d'amendements. Je proposerai donc que cette statistique ne soit imprimée que tous les trois ans, dès lors le chiffre de la dépense ne sera plus aussi considérable.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Si je comprends bien cette proposition, elle tendrait à décréter dans la loi de comptabilité, à l'article 25, qui concerne le tableau de chaque budget clos, que l'on ferait tous les trois ans une statistique financière.
Je demanderai à l'honorable membre, de bien vouloir différer sa proposition jusqu'à l'examen du prochain budget des finances, parce que telle qu'elle est formulée, elle ne peut trouver place dans la loi de comptabilité et surtout à l'article 25.
Il n'est jamais entré dans ma pensée, messieurs, et j'espère que la chambre ne se sera pas méprise à cet égard, de contester l'utilité d'une statistique financière. Je renouvelle la déclaration que je me suis déjà occupé de réunir pour toute la période qui s'est écoulée depuis 1830, les éléments d'une statistique financière générale qui permettra d'avoir un ensemble des principaux faits financiers. Mais ce travail est immense, et j'ai hésité, dans les circonstances actuelles, devant la dépense que nécessite la publication seule de ce document.
Je voudrais, messieurs, qu'il fût possible, moyennant une somme additionnelle de 22,000 fr., même en maintenant le crédit affecté à la statistique commerciale, de satisfaire aux prescriptions contenues dans ce petit paragraphe de la section centrale. Mais je le répète, la statistique des douanes ne porte que sur un seul de nos impôts, et nous avons des impôts nombreux, dont le compte-rendu exigerait des développements beaucoup plus grands que ceux que nous donnons annuellement à notre statistique commerciale.
Je demande, d'après la proposition même qui est faite par l'honorable rapporteur, que cette question ne soit pas tranchée en principe à l'occasion de la loi de comptabilité. Lors du prochain vote du budget, j'examinerai s'il y a lieu de proposer un crédit pour imprimer les documents déjà recueillis et pour les compléter. On pourra aussi examiner s'il faut poser en principe que ces documents seront publiés avec certains développements, par périodes plus ou moins longues. En ce qui me concerne, je vote toujours avec beaucoup de plaisir les dépenses qui ont pour objet la publication de renseignements statistiques. Le travail statistique qui, il faut le dire, est à peine commencé dans l'Europe, peut présenter, lorsqu'il sera complet, lorsque les faits pourront être généralisés, systématisés, un intérêt qu'il ne présente pas aujourd'hui. C'est à ce point de vue qu'il faut se placer pour apprécier l'utilité de certaines publications qui, considérées isolément et en elles-mêmes, n'offrent pas, je l’avoue, un grand intérêt.
M. de Man d’Attenrode. - Je retire ma proposition quant une statistique financière, et je maintiens l'article tel qu'il a été proposé par la section centrale.
M. de Theux. - Messieurs, je crois inutile d'inscrire dans la loi l'obligation qui résulte du paragraphe proposé par la section centrale. Je pense qu'il y a un moyen très simple d'obtenir de M. le ministre des finances tous les renseignements que nous désirons et dans les limites que nous voulons : ce sera de porter au budget un crédit annuel pour former cette statistique ; car je crois que la principale objection de la part de M. le ministre des finances, c'est l'absence d'un crédit.
Le gouvernement n'a aucun motif pour refuser ces renseignements à la chambre qui, d'ailleurs, a toujours le droit de les réclamer.
Je pense que, lorsque M. le ministre des finances nous aura fourni la première statistique sur les exercices déjà expirés, nous serons mieux à même d'apprécier l'utilité de ce document, les lacunes qu'il pourrait présenter, les améliorations qu'il y aurait à y apporter et la dépense qu'il nécessitera. Mais la discussion annuelle des budgets nous fournit une occasion sûre d'arriver au but que nous désirons atteindre.
M. Rogier. - Je crois, messieurs, qu'il faut s'entendre sur la portée de l'article en discussion. Il ne faut pas l'étendre au-delà de ses limites naturelles, mais il ne faut pas non plus tellement le restreindre qu'il ne signifierait plus rien.
Il s'agit ici de la justification des recettes opérées par le trésor. Le projet du gouvernement porte que pour le règlement de chaque exercice, le tableau du budget clos fera connaître :
Les évaluations ;
Les droits constatés sur les contributions et revenus publics ;
Les recouvrements effectués ;
Les produits restant à recouvrer.
Entend-on par là que ces renseignements seront fournis d'une manière globale ? Se contentera-t-on de placer, à côté de chacun de ces intitulés, un chiffre et croit-on que l'on aura ainsi suffisamment rendu compte de la situation financière de l'Etat ? Quant à moi, je ne le pense pas. Je pense que si le gouvernement veut faire un travail utile et conforme aux véritables intentions de la loi, il devra accompagner chaque chiffre d'un tableau détaillé, et je crois que la publication de ces tableaux n'entraînera pas. une dépense de 50,000 fr.
Aujourd'hui nous sommes réduits, dans la discussion du budget des voies et moyens, à quelques renseignements tout à fait insuffisants. Le budget des voies et moyens devrait être le budget le plus approfondi par la chambre, puisqu'on définitive c'est là que viennent se placer toutes les questions d'impôts, celles qui intéressent particulièrement la fortune publique. C'est sur ces points que l'on devrait jeter les lumières à pleines mains. On ne devrait jamais craindre d'en donner trop à la chambre, et au pays. Je regrette, messieurs, que M. le ministre des finances vienne mettre en avant des questions d'économie, lorsqu'il s'agit de renseignements qui peuvent éclairer les chambres sur la question financière, sur la nature des impôts, sur leur quotité, sur leur produit.
Je demande à M. le ministre comment il entend exécuter les prescriptions de l'article en discussion ; s'il croit que les prescriptions de la loi seront exécutées alors qu'il aura fourni quelques détails insignifiants, quelques tableaux insignifiants, ou s'il ne pense pas que pour exécuter la loi dans son esprit, il faudra que ces tableaux aient de grands développements. Je crois, quant à moi, qu'il ne faut pas se borner à quelques maigres renseignements qui n'éclairciraient pas du tout la situation.
Ainsi, messieurs, je pense qu'interprétée avec mesure, sans lui donner une portée exagérée qui n'est pas entrée dans les vues de ses auteurs, la disposition de la section centrale, qui n'est d'ailleurs qu'une disposition empruntée au règlement français, pourrait être exécutée en Belgique comme elle se trouve exécutée en France.
Je pense que la dépense pour la Belgique devrait être calculée sur les bases de la dépense française. Or les renseignements français, portant sur un budget dix fois plus élevé que le nôtre, devraient s'élever au décuple de la dépense que nous a indiquée M. le ministre. Je ne crois cependant pas que la publication des renseignements fournis par le gouvernement français à l'appui du budget, donne lieu à une dépense de dix fois 50 mille frs. chaque année. L'honorable M. de Man nous dit qu'il est porteur d'un document contenant ces renseignements. Je ne sais si ce document est si extraordinaire ; mais ce que je sais, c'est qu'on trouve à la bibliothèque de la chambre, le compte-rendu présenté chaque année par le ministre français, sur l'état des finances. Ce compte-rendu est très détaillé, et jette les plus grandes lumières sur la situation financière de la France. Il est en quelque sorte honteux pour la Belgique, d'avoir ces renseignements en ce qui concerne la France, et peut-être l'Angleterre, et de ne pas les avoir pour elle-même.
Il faut, messieurs, jeter la lumière dans toutes ces questions d'impôt. Cela importe à la fortune publique ; cela importe aussi à nos discussions parlementaires.
On nous fournit, messieurs, on nous inonde, c'est le mot, de publications, d'une utilité beaucoup plus contestable. Il y a souvent même de doubles emplois dans la statistique. Chaque ministère, pendant un certain temps, a publié des statistiques qui faisaient double emploi. Je crois qu'aujourd'hui on a porté remède jusqu'à un certain point à cet état de choses. Eh bien, je ne connais pas de statistique qui contribuerait à nous instruire davantage dans des matières où nous ne voyons pas clair, qu'une bonne statistique financière.
Du reste je ne demande pas qu'on se livre à des dépenses exagérées ; mais je demande que M. le ministre des finances prenne l'engagement de publier à l'avenir, avec chacun de ses budgets, des renseignements plus complets, sur l'origine de tous nos impôts, sur la nature de ces impôts, sur le mode de recouvrement, sur la quotité produite par province, par arrondissement et par localité. Ce sont là les renseignements qui figurent dans la statistique française jointe chaque année à l'appui des budgets ou à l'appui des comptes.
Voilà, je pense, ce que la section centrale a voulu, et j'espère aussi que c'est ce que M. le ministre des finances voudra. Lui-même doit être partisan des bonnes statistiques. Il a plusieurs raisons pour cela. Il en a lui-même publié d'excellentes, et je suis convaincu qu'avec l'esprit qui le distingue, et avec l'esprit d'économie qui, j'espère, le distingue aussi, M. le ministre des finances parviendrait à fournir à la chambre des renseignements très instructifs, de nature à lui faire honneur et souvent à jeter la lumière dans des discussions où la chambre ne voit pas clair.
M. Desmet. - Messieurs, on doit reconnaître que les raisons données par M. le ministre des finances sont fort adroites ; mais ce n'est qu'un argument qui ne doit exercer aucune influence sur vos esprits.
Par la rédaction que propose la section centrale on demande non pas une statistique, mais des pièces justificatives.
Le fait est qu'on ne nous présente que des sommes globales, tandis que, d'après la disposition, le gouvernement devrait nous soumettre des comptes réguliers et détaillés qu'il fût possible d'examiner. On demande que les comptes soient accompagnés de pièces justificatives, voilà le but de la proposition. Je ne pense donc pas que l'on puisse admettre l'observation de l'honorable M. de Theux, d'après lequel il s'agirait d'un travail exigeant une dépense considérable. On ne demande pas un travail très étendu, on ne demande, je le répète, que des pièces justificatives.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, ce n'est pas un moyen adroit que j'ai voulu employer ; j'ai cru qu'il était de mon devoir et en même temps de mon intérêt, de signaler à la chambre les conséquences de l'article ; de mon devoir, parce que la chambre, à son insu, pourrait voter une dépense considérable ; de mon intérêt, parce que si, lors du vote des budgets, j'étais venu demander le crédit nécessaire pour l'exécution de cette disposition, la chambre aurait pu me reprocher de ne pas lui avoir fait connaître quelle serait la dépense à résulter du vote de l'article dont nous nous occupons en ce moment, et ne point accorder le crédit.
J'aime beaucoup les bonnes statistiques, messieurs ; je voudrais qu’il fût possible d'avoir chaque année une statistique financière parfaitement faite, sans qu'il en résultât une grande dépense. Mais après avoir pris tous les renseignements, après avoir consulté les faits, je crois devoir déclarer que (page 872) l'évaluation de la dépense que j'ai donnée à la chambre est plutôt au-dessous qu'au-dessus de la réalité. La chambre appréciera s'il y a des motifs suffisants pour voter dès à présent le principe de cette dépense annuelle et s'il ne suffirait pas, lors du vote du budget, d'accorder au gouvernement les crédits nécessaires pour faire une bonne statistique quinquennale, par exemple. Le gouvernement s'empressera toujours comme il s'est toujours empressé de donner à la chambre les renseignements les plus développés, mais ces renseignements sont subordonnés au vote de crédits assez considérables ; sans de semblables crédits il est impossible de faire de bonnes statistiques et je pense bien qu'on n'en veut que de bonnes ; il faut non seulement constater des faits très nombreux, très détaillés, mais il faut encore organiser un contrôle sans lequel il n'est aucune statistique en laquelle on puisse avoir confiance.
- Les différentes parties de l'article proposé par la section centrale sont successivement mises aux voix et adoptées.
« Art 26. Les ordonnances que les comptes renseignent comme restant à payer à l'époque de la clôture d'un exercice, et dont le payement a été autorisé par des crédits régulièrement ouverts, seront acquittées et portées en dépense au compte de la trésorerie, au moment où ces payements auront lieu, jusqu'à l'expiration du terme de déchéance. »
- Adopté.
« Art. 27. Les sommes réalisées sur les ressources de l'exercice clos, sont portées en recette au compte de l'année pendant laquelle les recouvrements seront effectués. »
- Adopté.
« Art. 28. Les ordonnances de payement liquidées sur l'exercice, et dont le payement n'a pas été réclamé dans le cours légal du budget, ne sont pas sujettes à renouvellement ; le payement peut en être fait pendant cinq ans, à compter du 1er janvier de l'année qui donne son nom à l'exercice. »
- Adopté.
« Art. 29. Lorsque, à la clôture d'un exercice, certaines allocations du budget sont grevées de droits en faveur de créanciers de l'Etat, pour travaux adjugés et en cours d'exécution, la partie d'allocation encore nécessaire pour solder la créance est transférée à l'exercice suivant, après décompte vérifié préalablement par la cour des comptes. »
- Adopté.
« Art. 30. Les fonds restés disponibles à la clôture d'un exercice sur les allocations spéciales affectées à des services étrangers aux dépenses générales de l'Etat, sur les consignations, fonds de tiers, de non-valeurs sur les contributions directes, sur les fonds provenant des subsides alloués par les provinces, les communes et les particuliers pour constructions de routes, sont reportés à l'exercice suivant, et ils conservent l'affectation qui leur a été donnée par le budget. »
Le gouvernement a proposé la rédaction suivante.
« Les fonds restés disponibles, à la clôture d'un exercice, sur les allocations spéciales affectées à des services étrangers aux dépenses générales de l'Etat, sont reportés à l'exercice suivant, et ils y conservent l'affectation qui leur a été donnée par le budget. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j'ai à donner une explication fort simple. Je me rallie à la proposition de la section centrale en ce qui concerne le retranchement des mots : « par les lois de règlement », qui se trouvaient dans l'article primitif ; mais je pense qu'il vaut mieux ne pas faire d'énumération dans la disposition, parce que cette énumération peut être exacte aujourd'hui et ne plus l'être demain. Je crois qu'il suffit de dire qu'il s'agit uniquement des allocations affectées à des services étrangers aux dépenses générales de l'Etat.
- L'article 30 est mis aux voix et adopté avec la rédaction proposée par M. le ministre des finances.
« Art. 31. Les reports mentionnés dans les articles qui précèdent sont l'objet de dispositions spéciales dans la loi de règlement des comptes, et l'emploi des fonds par les ministres respectifs peut avoir lieu dès l'ouverture de l'exercice, en observant les règles établies par la loi. »
- Adopté.
« Art. 32. La présentation du projet de loi spécial pour le règlement définitif du budget du dernier exercice clos a lieu à l'ouverture de la session ordinaire des chambres.
« La cour des comptes soumet à la même époque, avec ses observations, le compte général de l’Etat du même exercice et les documents à l'appui. »
- Le gouvernement propose de dire : « dans le mois qui suit l'ouverture de la session, etc. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, pour éviter toute espèce de doute sur le point de savoir quel est le budget qui doit être soumis à la chambre à l'époque fixée par cet article, je crois qu'il conviendrait d'ajouter les mots « et arrêté après exercice clos », de dire « clos et arrêté ». De cette manière il serait clair qu'il s'agit du budget qui a passé par toutes les formalités déterminées dans la loi.
Je me rallie à la proposition qui concerne le délai dans lequel la cour des comptes doit fournir ses observations à la chambre, mais il me paraît que l'on ne peut supprimer tout délai pour la présentation de ces documents. On invoque souvent l'expérience de la France, on a senti la nécessité d'accorder au gouvernement un délai. Comment d'ailleurs l'article serait-il exécutable si la présentation du projet de loi spécial devait avoir lieu à l'ouverture des chambres ? Souvent il arrive, d'après le jeu même de nos institutions, que la chambre n'est constituée que plusieurs jours après l'ouverture de la session. Un délai quelconque est donc nécessaire par la forme même des choses. Du reste, le gouvernement n'attendra pas l'expiration du délai que nous demandons ; il présentera les documents dont il s'agit aussitôt que la chambre sera constituée et qu'il lui sera possible de les présenter.
M. Delfosse. - Messieurs, la disposition qui va vous occuper est très-importante, et la chambre doit être fatiguée. Je demanderai donc qu'elle veuille bien renvoyer l'examen de cette disposition à demain.
Je présenterai dès à présent un amendement ; afin que messieurs les membres de la chambre aient le temps de l'examiner. Cet amendement est ainsi conçu :
« La présentation du projet de loi spécial pour le règlement définitif du budget de l'exercice clos le 31 octobre, a lieu dans les deux premiers mois de l'année suivante. »
Plusieurs membres. - A demain.
D’autres membres. - Non, non, continuons.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je me verrai probablement dans la nécessité de demander la question préalable sur l'amendement de l'honorable M. Delfosse qui n'est que la reproduction d'un amendement rejeté au commencement de cette discussion.
J'ai voulu, par l'amendement que j'ai indiqué tout à l'heure et par un autre amendement que je proposerai, en ce qui concerne l'article 44. faire droit, du moins en partie, aux observations de l'honorable M. Delfosse. Ainsi, pour lever le doute que lui paraissait soulever l'article 32, je propose d'ajouter les mots : « clos et arrêtés. »
Pour que la chambre puisse toujours avoir connaissance de la situation du trésor, au moment où elle vote le budget, je proposerai d'insérer dans l'article 44 du projet de la section centrale, l'obligation pour le gouvernement de communiquer à la fois aux chambres et à la cour des comptes le compte général des finances. Je pense qu'au moyen de ces deux amendements, il sera fait droit aux observations que l'honorable M. Delfosse a faites au début de la discussion.
Je ne crois pas pouvoir examiner dès à présent la question préalable ; il est juste que l'honorable membre développe d'abord sa proposition.
Des membres. - A demain !
M. de Mérode. - Si l'on veut ajourner cet article à demain, soit ; mais rien n'empêche qu'on ne passe aux articles suivants de la loi. J'en fais la proposition.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt) dépose un projet de loi, ayant pour objet d'autoriser le gouvernement à accorder la concession du chemin de fer du Luxembourg.
M. le président. - Ce projet de loi, ainsi que l'exposé des motifs, sera imprimé et distribué. Comment la chambre entend-elle l'examiner ?
Des membres. - En sections !
D’autres membres. - Par une commission !
- La chambre consultée renvoie le projet de loi à l'examen des sections.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne m'oppose pas à ce que l'article 32 soit tenu en suspens, mais je demande avec l'honorable M. de Mérode, que l'on passe aux articles suivants.
- La chambre consultée, ajourne à demain la discussion de l'article 32, et passe aux articles suivants.
« Art. 33. Sont prescrites et définitivement éteintes au profit de l'Etat, sans préjudice des déchéances prononcées par les lois antérieures, ou consenties par des marchés ou conventions, toutes créances qui n'auraient pas été liquidées, ordonnancées et payées, dans un délai de cinq ans, à partir de l'ouverture de l’exercice. »
- Adopté.
« Art. 34. Les dispositions de l'article précédent ne sont pas applicables aux créances dont l'ordonnancement et le payement n'ont pu être effectués dans les délais déterminés par le fait de l'administration ou par suite d'instances entamées devant l'autorité judiciaire.
« Tout créancier a le droit de se taire délivrer par le ministre compétent un bulletin énonçant la date de sa demande, et les pièces produites à l'appui.»
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je me rallie à cet article.
- L'article est adopté.
« Art. 35. Toute ordonnance dont le payement n'a pas été réclamé dans le délai de cinq ans, à compter du 1er janvier de l'année qui donne son nom à l’exercice, est prescrite au profit du trésor.
« Cette prescription n'atteint pas les ordonnances de payement qui seraient frappées de saisies-arrêts ou d'opposition. »
- Adopté.
« Art. 36. A l'expiration de la cinquième année, le montant des ordonnances de payement frappées de saisies-arrêts, est versé à la caisse des dépôts et consignations, à la conservation des droits de qui il appartiendra. Ce versement libère entièrement le trésor public.
« Les consignations de cette nature ne font courir aucun intérêt en faveur des parties intéressées. »
- Le gouvernement propose d'ajouter les mots : « ou d'oppositions », après de ceux-ci : « de saisies-arrêts ».
- L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 37 (nouveau). - Le montant des cautionnements, dont le remboursement n'a pas été effectué, faute de productions ou de justifications suffisantes, dans le délai d'un an à compter de la cessation des fonctions du titulaire, sera versé en capital et intérêts à la caisse des dépôts et consignations à la conservation des droits de qui il appartiendra ; ce versement libère entièrement le trésor public. »
Le gouvernement propose de transférer cet article à la fin du chapitre, et de le rédiger ainsi qu'il suit :
(page 873) « Les cautionnements dont le remboursement n'a pas été effectué, faute de productions ou de justifications suffisantes, dans le délai d'une année à compter de la cessation des fonctions des titulaires, ne portent plus d'intérêts. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, cet article, à la place que lui a assignée la section centrale, me paraît rompre la série naturelle des idées. En second lieu, il ne serait pas susceptible d'exécution, si la chambre adoptait le projet dont elle est saisie, en ce qui concerne l'organisation d'une caisse d'amortissement. Il serait impossible de verser dans cette caisse les fonds qui doivent y entrer.
J'adopte l'article en principe ; il n'a d'autre signification, si ce n'est que le montant des cautionnements cessera de porter intérêt ; c'est en ces termes que j'ai proposé de rédiger l'article dont la place naturelle est à la fin du chapitre.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, je ne m'oppose pas à ce que l'article 37 soit transféré à la fin du chapitre. En proposant cet article, la section centrale a voulu faire cesser un véritable abus : il est des personnes qui ont été comptables, qui ne se font pas rembourser de leurs cautionnements et qui trouvent commode à continuer à en percevoir les intérêts. Il en est même qui vendent leurs titres ou même parties de titres. La caisse des cautionnements devient une véritable banque.
La nouvelle rédaction, proposée par M. le ministre des finances, devant produire le résultat que la section centrale a eu en vue, je ne vois pas d'inconvénient à m'y rallier ; quand il sera dit dans la loi que les anciens comptables ne toucheront plus d'intérêts, au bout d'un an après la cessation de leurs fonctions, ils retireront leur cautionnement.
- La chambre adopte la nouvelle rédaction de M. le ministre des finances. Elle décide ensuite que cet article sera transféré à la fin du chapitre.
« Art. 38 (devenu l'art. 37.) Sont définitivement acquises à l'Etat les sommes versées aux caisses des agents des administrations des postes et du chemin de fer de l'Etat pour être remises à destination, et dont le remboursement n'a pas été réclamé par les ayants droit, dans un délai de cinq années, à partir du jour du versement des valeurs. »
- Le gouvernement propose de supprimer dans cet article les mots « des administrations ».
L'article ainsi modifié est mis aux voix et adopté.
« Art. 39 (devenu l'art. 38). Les saisies-arrêts, oppositions, significations de cessions et délégations, sur des sommes et ordonnances de payement dues par l'Etat, n'ont d'effet que pendant cinq ans, à compter de leur date, quels que soient d'ailleurs les traités, actes de procédure ou jugements intervenus sur lesdites oppositions ou significations, à moins qu'ils n’aient été régulièrement notifiés à l'administration.
« Elles sont rayées d'office des registres dans lesquels elles auraient été inscrites, et ne sont pas comprises dans les certificats prescrits par l'article 14 de la loi du 19 février 1792, et par les articles 7 et 8 du décret du 18 août 1807. »
- Adopté.
« Art. 40 (devenu l'art. 39). Les saisies-arrêts, oppositions et significations de cessions ou transports, et toutes autres ayant pour objet d'arrêter le payement de sommes dues par l'Etat, qui auraient plus de cinq ans de date au jour de la publication de la présente loi, devront être renouvelées dans le délai d'un an, faute de quoi elles seront périmées, et par suite rayées des registres dans lesquels elles auront été inscrites. »
- Adopté.
« Art. 41. Toutes saisies-arrêts ou oppositions sur des sommes dues par l'Etat, toutes significations de cessions ou transport desdites sommes, et toutes autres notifications ayant pour objet d'en arrêter le payement, doivent, à peine de nullité, être faites entre les mains du chef du département ministériel que la dépense concerne, ou de son délégué en province, et en cas d'urgence en mains de l'agent du trésor chargé d'en effectuer le payement. »
M. le ministre des finances (M. Malou) se rallie à cet article et propose de le transférer parmi les dispositions transitoires.
- L'article est adopté, et la chambre décide qu'il sera placé parmi les dispositions transitoires.
La chambre remet à demain la suite de la discussion.
La séance est levée à 4 heures et demie.