Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 29 janvier 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 515) M. de Villegas procède à l'appel nominal à une heure.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Plusieurs commissaires de police, dans la Flandre occidentale, demandent une indemnité du chef des fonctions d'officier du ministère public qu'ils remplissent près des tribunaux de simple police. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de la commune de Casterlé prient la chambre d'accorder la demande en concession du chemin de fer d'Anvers à Düsseldorf, qui a été faite par la société Auguste Desfossés, etc. »

« Même demande des habitants d'Ulmen, Meerhout, Westerloo. Baelen, Eynthout et Gheel. »

M. Huveners. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi prorogeant la loi du 22 septembre 1835

Rapport de la section centrale

M. Van Cutsem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur le projet de loi accordant au gouvernement le droit d'expulsion contre les étrangers.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je prie la chambre de mettre ce rapport à l'ordre du jour entre les deux votes du projet de loi qui nous occupe. La loi existante expire le 1er mars ; il est indispensable d'avoir le projet discuté et la nouvelle loi votée avant cette époque.

- La proposition de M. le ministre de la justice est adoptée.


M. le ministre des finances (M. Malou). - Je prierai la chambre de vouloir bien porter à son ordre du jour, après le second vote de la loi sur la chasse, le projet de loi relatif à la vente faite à main ferme du palais du gouvernement provincial à Liège.

- Cette proposition est adoptée.

Commission d'enquête parlementaire sur les causes de l'éboulement du tunnel ferroviaire de Cumptich

Rapport

M. Delfosse. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission d'enquête parlementaire, qui a été chargée de rechercher les causes de l'éboulement du tunnel de Cumptich. Je dois faire connaître à la chambre que ce rapport a été adopté à l'unanimité. Tous les membres de la commission étaient présents, excepté un seul.

Plusieurs voix. - L'impression ! l'impression !

D'autres voix. - La lecture ! la lecture !

M. de Mérode. - Je demande la lecture !

- L'impression est mise aux voix et ordonnée.

M. Lesoinne. - Nous demandons en outre la lecture.

M. Rodenbach. - D'après le règlement, l'impression des rapports est de droit. Il n'était pas nécessaire de faire voter la chambre sur la question de savoir si l'impression aurait lieu. Mais il est d'usage, quand un rapport est important, qu'on accorde la lecture du rapport ou des conclusions. On pourrait bien nous faire connaître les conclusions de la commission d'enquête sur une question qui a été l'objet de plusieurs discours à plusieurs reprises ; notre désir de connaître le résultat de l'examen de la commission est tout naturel.

M. Delfosse. - Je crois qu'on ne peut pas donner lecture des conclusions sans lire le rapport, car ces conclusions assez sévères sont motivées par le rapport.

M. Vanden Eynde. - J'ai fait partie de la commission d'enquête. Le rapport est très intéressant, mais il est long. La lecture durera peut-être 3/4 d'heure, une heure.

M. Delfosse. -- La chambre désire-t-elle que je lui donne lecture du rapport ?

Un grand nombre de voix. - Oui ! oui !

(Note du webmaster : les Annales parlementaires reprennent la lecture intégrale du rapport par Delfosse (pp. 515-522). Ce rapport n’est pas repris dans la présente version numérisée. Après la lecture de ce rapport, les débats ont continué comme suit.)

(page 522) M. Manilius. -Ne doit-on pas fixer un jour pour la discussion de ce rapport ?

M. le président. - Quand il sera imprimé, on fixera le jour de la discussion.

M. Vanden Eynde. - Je pense que pour la justification et l'intelligence du rapport, il faut faire imprimer les interrogatoires et toutes les pièces qui ont servi à éclairer la commission.

M. le président. - Le rapport sera imprimé avec toutes les pièces à l'appui.

M. Dumont. - Je regrette que M. le ministre des travaux publics ne soit pas présent à la séance. Il me paraît constaté par le rapport que le tunnel de Braine-le-Comte a été construit d'une manière qui présente des dangers. On a reconnu qu'une partie de ce tunnel avait été construite avec de la chaux non hydraulique. Je désire savoir si le gouvernement s'est assuré de la solidité de ce tunnel et s'il ne présente aucun danger pour les voyageurs. Après la leçon terrible qu'on a reçue, il est bon de prendre tous les renseignements possibles. Si le gouvernement n'était pas complétement rassuré, mieux vaudrait interrompre le passage par ce tunnel que d'exposer la vie des voyageurs en le continuant.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je pense qu'il faut attendre, pour s'occuper de cet objet, que M. le ministre des travaux publics soit présent. Cependant, pour ne pas laisser la chambre sous une impression fâcheuse, je puis lui faire connaître que plusieurs enquêtes ont eu lieu depuis l'événement de Cumptich, pour reconnaître l'état du souterrain de Braine-le-Comte ; je sais même qu'un examen minutieux a eu lieu dernièrement, et d'après les renseignements qui me sont parvenus, je crois que les résultats de cette enquête n'ont pas le caractère alarmant qui résulterait de l'opinion émise par les experts consultés par la commission d'enquête. Du reste, je ne veux pas soulever une question pour la solution de laquelle les renseignements me manquent, et il me paraît qu'il faut attendre la présence de M. le ministre des travaux publics pour entendre ses explications et connaître exactement les faits.

M. Dumortier. - Quand on a construit le tunnel de Braine-le-Comte, déjà, à cette époque, des vices ont été signalés pendant la construction même. Quant au rapport dont on nous parle des ingénieurs du corps des ponts et chaussées sur l'état de ce tunnel, nous venons de voir, par le rapport très lumineux de notre honorable collègue, M. Delfosse, jusqu’à quel point ces rapports doivent nous inspirer toute espèce de confiance, surtout en ce qui concerne les faits consommés. J'insisterai sur ce point. A la dernière session, nous avons accordé les fonds pour créer une deuxième voie entre Mons et Bruxelles. A cette époque, j'ai signalé l'importance qu'il y avait à ne pas créer de deuxième tunnel, mais à établir la seconde voie à ciel ouvert. Je demande s'il en a été ainsi ou si l'on compte percer un deuxième tunnel à côté de celui de Braine-le-Comte. Dans tous les cas, je pense que le rapport de la commission d'enquête et les enseignements qu'il contient doivent démontrer au gouvernement la nécessité de renoncer à l'idée de faire un deuxième tunnel à Braine-le-Comte et d'établir une voie à ciel ouvert.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je pense qu'on ferait bien de ne pas discuter cette question en l'absence de M. le ministre des travaux publics. J'ai fait connaître à la chambre l'année dernière qu'il n'y aurait pas à Braine-le-Comte de second souterrain accolé au premier et que la seconde voie se ferait à ciel ouvert.

M. Verhaegen. - Messieurs, la commission d'enquête, en vous parlant incidentellement du tunnel de Braine-le-Comte, n'a fait que vous communiquer un passage du rapport de MM. Dandelin, Lesoinne et Demanet ayant pour objet le tunnel de Cumptich, sans y attacher d'ailleurs plus d'importance que ne le comportent les circonstances.

On lit dans ce rapport ce qui suit :

« Entre ces deux extrêmes il y a une infinité de moyennes : avec un peu d'attention il n'est pas difficile de classer certains mortiers suivant un ordre plus ou moins exact d'hydraulicité ; ainsi au tunnel de Braine-le-Comte nous avons reconnu en de certains endroits des jets d'eau pure, sortant des parois ou le mortier était fort dur, d'autres où le mortier suintait était mou et au-dessous desquels se trouvaient des stalagmites ; enfin d'autres d'où le mortier devenu presque tout à fait liquide laissait passer des lessives du sol environnant. Nous pouvons en toute confiance en déduire que dans les premiers endroits le mortier était hydraulique, que dans les autres il l'était peu ou point du tout, que dans les derniers la décomposition du mortier et la désunion des maçonneries était complète et sur le point de l'être. »

La responsabilité du gouvernement, engagée dès le principe dans cette grave question, est établie aujourd'hui d'une manière bien explicite, et il ne pourra plus désormais prétexter d'ignorance.

M. le ministre des finances (M. Malou). - M. le ministre des travaux publics donnera des explications demain, à l'ouverture de la séance.

M. Sigart. - Je pense, comme M. le ministre des affaires étrangères, qu'on ne peut pas discuter relativement à la solidité du tunnel de Braine-le-Comte, sans la présence de M. le ministre des travaux publics. Mais d'un autre côté, on ne peut pas attendre pour s'occuper de cet objet. Je suis d'avis qu'on invite M. le ministre des travaux publics à se rendre au sein de l'assemblée.

M. de Mérode. - On a déjà passé si souvent sous le tunnel de Braine-le-Comte, que je pense qu'en attendant jusqu'à demain les explications de M. le ministre des travaux publics, on ne courra aucun danger en y passant encore un jour de plus. Pour moi, j'y passerai encore sans crainte pendant longtemps.

Il y a une grande différence entre un tunnel à côté duquel on en a construit un autre, et un tunnel qui reste dans son état primitif. Il n'y a aucune comparaison à faire entre ces deux tunnels.

Il y a sans doute un examen à faire au sujet du tunnel de Braine-le-Comte. Mais il ne faut pas exciter mal à propos l'inquiétude publique au sujet d'un passage dont on a besoin, et qui, j'en suis convaincu, ne présente aucun danger.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - La chambre ne peut prétendre recevoir les explications de mon honorable collègue des travaux publics avant la séance de demain ; car il faut bien lui laisser le temps de rassembler les documents. (Adhésion.)

M. le président. - M. le ministre des travaux publics sera averti que demain, à l'ouverture de la séance, il sera fait une interpellation au sujet du tunnel de Braine-le-Comte.

M. Dumortier. - Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de réclamer l'impression immédiate du rapport dans le Moniteur. C'est de droit puisque le rapport a été lu.

M. Delfosse. - On pourrait peut-être différer l'insertion au Moniteur jusqu'à ce que le rapport ait été imprimé comme pièce de la chambre, avec les pièces justificatives.

M. Dumortier. - Cela prendrait trop de temps. L'insertion immédiate dans le Moniteur est préférable. (Adhésion.)

Projet de loi sur la chasse

Discussion des articles

Article 8

La chambre adopte l'article 8, avec un amendement de M. de Villegas, auquel le gouvernement s'est rallié, avec la substitution du mot « délits » au mot « contraventions, » proposée par M. le ministre de la justice et avec une disposition additionnelle proposée également par M. le ministre de la justice, et à laquelle M. Savart se rallie.

L'article est adopté dans les termes suivants :

« Art. 8. Dans tous les cas, sauf celui prévu par le paragraphe premier de l'article 2, les armes avec lesquelles le délit aura été commis seront confisquées, sans néanmoins qu'il soit permis de désarmer les chasseurs. »

« Le délinquant sera condamné à payer la valeur de l'arme : 1° si l'arme décrite au procès-verbal n'est pas représentée ; 2° si l'arme, par suite du refus du délinquant, n'a pas été décrite.

« La fixation de la valeur sera faite par le jugement, sans qu'elle puisse être au-dessous de cinquante francs. »

Article 9

La chambre passe à l'article 9 ainsi conçu :

« Art. 9. Le père, la mère, le tuteur, les maîtres et les commettants, sont civilement responsables des délits de chasse commis par leurs enfants mineurs non mariés, pupilles demeurant avec eux, domestiques ou préposés, sauf tout recours de droit.

« Cette responsabilité sera réglée conformément à l'article 1384 du Code civil, et ne s'appliquera qu'aux dommages intérêts et frais, sans pouvoir, toutefois, donner lieu à la contrainte par corps. »

M. Henot. - Je n'entends pas combattre l'application du principe de la responsabilité civile aux délits de chasse, mais je désire que cette application soit renfermée dans de justes limites.

Personne n'ignore que la responsabilité civile dont traite la loi pénale est l'obligation qui est imposée à chacun de répondre du dommage causé par les crimes ou les délits des personnes qui sont sous sa dépendance, et qu'elle prend sa source dans la négligence qu'on mettrait à surveiller ces individus.

La loi de 1790, tout en admettant cette responsabilité en matière de chasse, ne l’étendit qu'aux père et mère, vis-à-vis de leurs enfants mineurs de vingt ans, non mariés et domiciliés avec eux.

La section centrale ne voulut soumettre à la responsabilité civile que les personnes qu'atteignait la loi de 1790, mais elle présenta une disposition toute nouvelle qui étendait cette responsabilité aux amendes.

Cette disposition était en opposition directe avec les principes qui régissent la matière, et son sujet ne pouvait être un instant douteux.

Les amendes sont, en effet, de véritables peines, comme il résulte formellement des articles 9, 11 et 464 du code pénal, et elles ne peuvent dès lors atteindre que les individus déclarés coupables d'un crime, d'un délit ou d'une contravention, puisque toute peine est essentiellement personnelle.

Le gouvernement, rendant hommage à ces principes, substitua à la proposition de la section centrale une disposition qui borne la responsabilité civile aux dommages-intérêts et aux frais.

Mais tout en restreignant cette responsabilité aux dommages-intérêts et aux frais, il l’étendit non seulement aux père et mère vis-à-vis de leurs enfants mineurs, non mariés et domiciliés avec eux, mais aussi aux tuteurs, maîtres et aux commettants, vis-à-vis de leurs pupilles, de leurs domestiques, ou de leurs préposés.

Il déclara en même temps que la responsabilité aurait été réglée conformément à l'article 1384 du Code civil.

Je ne puis me dissimuler que la nouvelle obligation qu'on veut imposer aux tuteurs est de nature à rendre plus restreint encore le nombre d'individus qui consentiront à se charger d'une tutelle, nombre qui est déjà si peu considérable.

Quoi qu'il en soit, il importe d'appeler l'attention de la chambre sur la portée de la disposition qui déclare que la responsabilité résultant d'un délit de chasse, sera réglée conformément à l'article 1384 du Code civil.

La responsabilité civile, réglée en matière de chasse, conformément à l'article 1384 du Code civil, aura pour effet :

1° D'imposer aux pères, aux mères et aux tuteurs l'obligation de payer les dommages-intérêts et les frais résultant d'un délit de chasse de leur enfant mineur, ou de leur pupille non marié et demeurant avec eux.

2° D'imposer la même obligation aux maîtres et aux commettants, mais pour autant seulement que le dommage aurait été causé par leurs domestiques ou leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les auront employés.

Cette responsabilité, réglée conformément à l'article précité, aura encore pour effet de dégager de toute responsabilité les père et mère qui prouveront qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui a donné lieu à la responsabilité ; mais il n'en sera pas de même du tuteur, ni du maître, ni du commettant.

Je ne puis, messieurs, donner mon approbation au dernier résultat que je viens de signaler.

Ainsi, ne le perdons pas de vue, d'après la proposition du gouvernement, le père d'un enfant mineur, non marié, et demeurant avec lui ne devra payer ni les dommages et intérêts, ni les frais résultant d'un délit de chasse perpétré par son fils, dès qu'il aura établi qu'il n'a pu l'empêcher ; et le tuteur dont l'autorité n'a pas sur le pupille la même puissance que celle d'un père sur son fils, aura beau établir qu'il lui a été impossible d'empêcher le délit de chasse perpétré par son pupille, il n'en devra pas moins acquitter les dommages et intérêts, ainsi que les frais qui auront été la suite du délit de ce dernier.

Ensuite, d'après l'ensemble de la proposition du gouvernement, un maître ou un commettant établira en vain que, quoique employant communément son domestique ou son préposé à la chasse, il a été dans l'impossibilité d'empêcher le délit qu'il aura commis, ils n'en devront pas moins payer, l'un et l'autre, les frais de première instance, d'appel et même de cassation, s'il plaît à leur domestique ou à leur préposé d'épuiser tous les degrés de juridiction, ainsi que tous les dommages-intérêts qu'ils auront encourus.

Et qu'on ne dise pas que l'article que nous discutons n'aura point ce résultat, car, en jetant les yeux sur la disposition finale de l'article 1384 du Code civil, on restera convaincu que la faculté d'établir l'impossibilité où l'on s'est trouvé d'empêcher le fait qui entraîne la responsabilité, n'est accordée qu'au père et à la mère, et nullement aux maîtres ni aux commettants, et moins encore au tuteur, dont cet article ne s'occupe pas.

D'après les règles qui régissent la matière, le délit d'un mineur, d'un domestique, d'un préposé, etc., fait naître la présomption que ce délit est le résultat d'une négligence et d'un défaut de surveillance, et l'on peut admettre que, tant et aussi longtemps que cette présomption n'est pas détruite, on doive rester sous le coup de la responsabilité ; mais il est juste aussi, d'un autre côté, que dès que cette présomption, qui n'est qu'une présomption juris tantum, n'existe plus, la responsabilité doit cesser pour le tuteur, le maître et le commettant, tout aussi bien que pour le père et pour la mère ; car on ne peut imputer à personne de n'avoir pas fait une chose qui n'était pas en son pouvoir.

Si, messieurs, des motifs tirés de la position spéciale des maîtres et des domestiques ont pu porter le législateur à ne pas dégager, en règle générale, de toute responsabilité les maîtres qui établiraient qu'ils ont été dans l'impossibilité d'empêcher le fait qui y a donné naissance, il me paraît que rien n'exige qu'on étende une pareille rigueur aux délits de chasse, et que dans tous les cas on ne peut méconnaître que ces motifs ne sont pas applicables aux tuteurs.

Guidé par les considérations qui précèdent, j'ai l'honneur de proposer la disposition additionnelle suivante à l'article 9 qui nous occupe.

« Néanmoins la responsabilité cessera dès que le père, la mère, le tuteur, les maîtres ou les commettants prouveront qu'ils n'ont pu empêcher le délit de chasse qui y a donné lieu. »

J'entends un honorable membre m'objecter que l'amendement que je (page 524) présente serait inutile ; cette objection me prouve que ce membre n’a pas bien compris les observations que j'ai eu l'honneur do présenter à la chambre, ni même la portée de la disposition qui déclare que la responsabilité sera réglée conformément à l'article 1384 du code civil ; mon amendement serait inutile, il est vrai, si l'article 1384 accordait aux tuteurs, ainsi qu'aux maîtres et aux commettants, la faculté de prouver qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à la responsabilité, mais il n'en est rien ; cet article ne concède cette faculté qu'au père et à la mère seulement, de sorte que mon amendement, qui tend à la concéder également aux tuteurs, aux maîtres et aux commettants, et à mitiger en conséquence, à leur égard, la rigueur de l'article 1384 précité, est loin d'être inutile.

M. de Bonne. - Messieurs, je n'ai que deux mots à dire, et ils ont pour objet la suppression de deux mots, ceux de domestiques et préposés.

Je pense que rendre les maîtres responsables des dégâts causés par leurs domestiques est une disposition exorbitante. Elle se trouve, il est vrai, dans la loi française, mais ce n'est pas une raison pour l'admettre dans la nôtre. Remarquons que c'est la chambre des pairs qui l'a fait insérer dans la loi, et que c'est à une faible majorité que la chambre des députés l'a admise.

C'est la grande propriété qui a voulu soumettre la petite à la conservation de ses plaisirs.

On objectera que le correctif se trouve dans le paragraphe qui rappelle l'article 1384 C. G. qui rend les maîtres responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.

Ceci peut donner lieu à équivoque et voici comment :

Un propriétaire non chasseur, prend un garde pour la conservation de sa chasse et de ses bois.

Quand il a besoin de gibier, il ordonne d'en prendre dans sa propriété. Si pendant son absence ou à son insu ce garde chasse sur les propriétés du voisin, commet des dégâts, en un mot braconne, le maître devra-t-il payer le dommage ? Oui, direz-vous. Cependant le maître n'a pas pris ce garde ou chasseur pour qu'il allât braconner. Il (le domestique) l'aura fait dans les fonctions de garde, de chasseur. Le manque à ses devoirs sera néanmoins imputé au maître.

Si vous descendez plus bas, vous trouvez le domestique de ferme qui dans les champs se permet de placer des lacets, traverse les propriétés de divers cultivateurs et y cause du dommage ; le fermier sera-t-il tenu de les payer ?

Veuillez bien faire attention que la généralité de l'article peut donner lieu à de fausses applications et plus importantes qu'on ne pense.

Une bande de braconniers dans laquelle se trouvera le garde ou chasseur d'un propriétaire ou son domestique fera des dégâts sur différentes propriétés, le délit sera constaté, naturellement et comme toujours le garde ou domestique du maître le plus riche sera reconnu et ce maître devra payer le dommage fait par toute la bande.

On comprend que les parents, les tuteurs soient responsables des faits de leurs enfants et pupilles, ils ont une autorité légale, même morale, en ce qu'ils sont censés avoir manqué de soin, d'enseignement vis-à-vis d'eux, pour ne leur avoir pas inculqué des principes de conduite et de morale.

Mais vis-à-vis de domestiques quelle autorité ont les maîtres ? Aucune.

Peut-on leur reprocher d'avoir manqué de sollicitude, de n'avoir pas pris soin de leur éducation ? Ce serait une dérision.

Cet article 1384 est encore d'une application injuste, car son dernier a ordonné aux maîtres de prouver qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à la responsabilité. Comment faire cette preuve ? Il faudrait avoir des témoins pour certifier que le maître a défendu d'aller chasser. L'amour de la chasse est un goût personnel qu'on ne satisfait pas par procuration ou délégation : quoique je ne l'aie pas, aucun chasseur ne soutiendra le contraire.

Je vois dans cette pénalité portée contre les maîtres, l'intention manifeste d'obliger tous les propriétaires à conserver ou à garantir les plaisirs d'une petite portion de citoyens qui ont le goût ou la passion de la chasse.

Qu'on punisse sévèrement mais personnellement le délinquant, mais pas l'innocent qui n'a pas eu l'intention, qui n'a pas eu connaissance du délit, en un mot qui n'a pu l'empêcher.

On dira que ce n'est pas une peine. C'est une erreur, le mot ne fait rien : l'amende est une peine ; ainsi qu'on dise indemnité, dédommagement, réparation ou amende, c'est toujours de l'argent à donner, le mot ne change rien à la chose, c'est le cas de dire qu'il n'a pour objet que de déguiser la pensée.

Le maintien de ces deux mots me semble inadmissible et j'en propose la suppression.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, la disposition qui vous est présentée est la reproduction d'une disposition semblable qui se trouve dans la loi française. Cette disposition est de plus conforme à l'article 1384 du Code civil qui règle la matière de la responsabilité civile ; mais cette disposition est utile en ce sens qu'elle apporte à l'article 1384 une modification en soustrayant à la contrainte par corps les individus qui, d'après l'article 1384, y auraient été soumis. La contrainte par corps peut en effet toujours être prononcée lorsqu'il s'agit de dommages-intérêts. Ainsi loin d'étendre la responsabilité civile, la disposition qui nous occupe a, au contraire, pour but de la restreindre, du moins quant aux moyens à l'aide desquels on peut faire produire des résultats à cette responsabilité.

Je pense, messieurs, que l'honorable préopinant est dans l'erreur, lorsqu'il croit que c'est la chambre des pairs qui a introduit cette disposition.

Je vois, en effet, dans l'ouvrage de Berriat-St-Prix, sur la législation de la chasse, que c'est le garde des sceaux qui, à la chambre des pairs, dans la séance du 19 avril 1843, a indiqué quels étaient les motifs pour lesquels on demandait d'introduire dans la loi la disposition qui vous est soumise. Voici, messieurs, comment il s'exprimait :

« La loi de 1790 ne rendait réellement responsables des délits de chasse que les père et mère à l'égard de leurs enfants. Le projet étend cette responsabilité aux tuteurs, aux maîtres et commettants, à l'égard des pupilles, serviteurs et autres subordonnés. Ils ont sur ces derniers une autorité dont ils doivent user pour empêcher de commettre des délits. C'est d'ailleurs la seule manière d'atteindre, quant à une partie des condamnations pécuniaires, une classe de délinquants qui, ne possédant rien, pourraient souvent jouir d'une impunité complète. »

Voilà, messieurs, les motifs qui ont fait présenter et adopter cette disposition en France. Je pense que ces motifs détermineront également la chambre des représentants. La chambre ne perdra pas de vue que cette disposition réduit les effets quelquefois bien rigoureux de la responsabilité établie par l'art. 1384 du Code civil, et qu'en outre elle ramène aux véritables principes en rejetant ce qui avait été proposé par la section centrale, à savoir : d'étendre la responsabilité jusqu'à l'amende.

La seule question est donc d'examiner s'il convient de comprendre dans l'article en discussion les tuteurs, ainsi que les maîtres et commettants.

Il me paraît, messieurs, qu'en présence de l'art. 1384 du code civil dont les principes doivent, aux termes de la disposition qui vous est proposée, être appliqués, il convient de soumettre à la responsabilité les personnes que je viens d'énumérer. Quant aux pères et aux mères, on n'élève aucune objection, et dès lors, il me semble difficile d'en élever quant aux tuteurs. Le tuteur représente le père et la mère, il doit exercer sur son pupille due surveillance égale à celle des parents ; il a les mêmes droits, il doit être soumis aux mêmes obligations ; et présenter quant à la responsabilité Civile les mêmes garanties.

L'observation de l'honorable M. Henot à l'égard des tuteurs serait juste, s'ils devaient être exclus du privilège accordé aux parents par l'art. 1384 du Code civil, s'ils ne pouvaient pas dire comme les parents : Nous avons fait tous nos efforts pour empêcher nos pupilles de commettre tel ou tel fait, en dépit de nos efforts. Le fait a été commis ; nous n'en sommes pas responsables.

Voyons donc si ce langage leur est interdit.

D'après l'honorable M. Henot, les tuteurs n'étant pas compris dans l’article 1384 du code civil, ne pourront pas l'invoquer. C'est, je pense, une erreur. Messieurs, l'intention de M. le ministre de l'intérieur et la mienne, en rédigeant l'article de la loi en discussion, a été d'assimiler complétement le tuteur au père et à la mère, de le considérer comme remplaçant ceux-ci et comme devant jouir de tous les bénéfices qui leur sont attribués par l'article 1384 du code civil, de même qu'il en supporte toutes les obligations.

Aussi, messieurs, l'article que nous discutons dit-il formellement que le principe de responsabilité sera appliqué conformément à l'article 1384 du Code civil. Or, cet article permet aux pères et aux mères de se soustraire au payement des dommages et intérêts en faisant la preuve que je viens de rappeler. Cette faculté existe donc nécessairement pour les tuteurs, ms par notre article sur la même ligne que les parents.

Je crois donc inutile, messieurs, d'ajouter à l'article une disposition pour assimiler les tuteurs aux pères et mères, puisqu'ils y sont suffisamment assimilés par la nature des fonctions qu'ils exercent et par l'intention indiquée dans l'article d'appliquer, d'une manière complète, la responsabilité conformément aux dispositions de l'article 1384 du Code civil.

L'honorable M. de Bonne demande la suppression des mots : « maîtres et commettants. » Il pense qu'il ne serait pas juste d'obliger les maîtres et les commettants à supporter des frais occasionnés par un délit commis par leur domestique ou leur préposé, sur lesquels, dit l'honorable membre, ils ne doivent pas veiller avec autant de soin qu'un père doit veiller sur ses enfants.

Mais, messieurs, ce que nous demandons d'introduire dans la loi, n'est, je l'ai déjà dit, que la reproduction de ce qui existe maintenant. Ce que demande l'honorable M. de Bonne serait une innovation, une modification aux principes du code civil. Or l'article 1384 de ce code n'a jusqu'à présent donné, que je sache, matière à aucun inconvénient, à aucune critiqua, et dès lors, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de le modifier.

Au reste, et c'est une considération qui sert de réponse à plusieurs observations de l'honorable M. de Bonne, il ne faut pas perdre de vue que l'article que nous discutons devra s'appliquer conformément aux prescriptions de l'article 1384 du code civil, que conséquemment les maîtres et les commettants ne seront responsables des faits posés par leurs domestiques ou leurs préposés, que dans les cas où ces faits auront été posés dans l'exercice des fonctions que les maîtres leur ont confiées. C'est ainsi que cette disposition est expliquée dans les commentateurs qui se sont récemment occupés de la nouvelle loi sur la chasse en France.

« Ainsi, dit M. Championnière, relativement aux domestiques, elle (la responsabilité) n'aura lieu qu'autant que le délit aura été commis par le domestique, dans les fonctions auxquelles il était employé par son maître ; il est évident que ce cas se bornera à celui où le maître aura employé lui-même son domestique à la chasse. Quant aux préposés, il n'est guère que les gardes-chasse ou gardes particuliers qui puissent chasser en exerçant leurs fonctions, car tout autre sera obligé de les abandonner, au moins momentanément, pour se livrer à la chasse.»

Voilà, messieurs, les véritables principes. Nous en demandons l'adoption dans la proposition qui vous est présentée, et nous répétons, en terminant, que si elle n'était pas adoptée, nous resterons sous l'empire de (page 525) l'article 1384 du Code civil qui est évidemment plus sévère que la disposition qui nous occupe.

M. Orts. - Messieurs, je réclamerai un instant l'attention sur la disposition finale de l'article 9, où je crois qu'il se trouve une contradiction avec le système général de la loi.

Le système de cet article est de ne jamais faire peser sur les personnes qui y sont indiquées la responsabilité de la peine, c'est-à-dire l'amende. Je pars de là. Jamais père ni mère, ni maître ne pourront être condamnés à la pénalité qui est l'amende. Ils pourront être condamnés, d'après l'article 1384 du code civil, aux dommages et intérêts. Comme il n'existe pas de dommages-intérêts prononcés d'office, puisqu'on a encore dernièrement exclu l'indemnité d'office, ils ne payeront jamais de dommages-intérêts que là où il y aura une partie civile qui les réclamera. Pas de partie civile, pas de dommages-intérêts, pas de possibilité d'appliquer la responsabilité aux termes de l'article 9.

Je conçois, messieurs, que vous condamniez aux frais comme conséquence des dommages-intérêts et par conséquent lorsqu'il y a partie civile. Car les frais ne peuvent être que la conséquence des dommages-intérêts, et ceux-ci n'existent que s'il y a une partie civile. Il faut donc, lorsqu'il n'y a pas de partie civile, lorsque personne ne réclamera d'indemnité, que la personne responsable ne puisse être condamnée aux frais de la procédure. Car sans cela, vous condamneriez à un accessoire, alors que vous reconnaissez que vous ne pouvez condamner au principal.

Je demanderai donc, messieurs, que cet article soit modifié dans ce sens que la responsabilité réglée par l'article 1384 du Code civil ne pourra jamais s'appliquer qu'aux dommage-intérêts aux frais envers la partie civile.

Si vous n'adoptiez pas une modification en ce sens, messieurs, voyez quels inconvénients pourraient se présenter. On rend les maîtres responsables des faits de leurs domestiques. Mais n'oublions pas que nous avons dans la loi un article 5 qui frappe non seulement ceux qui vendent, mais aussi ceux qui achètent du gibier ou qui en transportent en temps de chasse prohibé. Ici il n'y aura pas de dommages-intérêts, puisqu'il ne se présentera pas de partie civile. Ainsi voilà que si un domestique achète un lièvre, peut-être sur un marché public, il pourra arriver que le maître sera condamné à supporter, pour ce fait, les frais d'un procès.

Je crois, messieurs, que pour être logique, il faut subordonner la condamnation aux frais à la condamnation à des dommages-intérêts, et je propose d'ajouter, au second paragraphe de l'article en discussion, après les mots ; « qu'aux dommages-intérêts et frais, » ceux-ci : « envers la partie civile. »

M. de Garcia. - Messieurs, je partage complétement l'opinion de M. le ministre, qui croit que l'article serait, en quelque sorte, inutile, si l'on n'avait voulu restreindre le système général de nos lois et les conséquences de l'article 1384 du code civil. En vertu de cet article les délits posés par des enfants mineurs, par des domestiques et les personnes y mentionnées, donnent lieu à des dommages-intérêts, non seulement envers la partie civile proprement dite, mais encore envers l'Etat, représenté, en justice réglée, par le ministère public. A ce dernier point de vue, les personnes mentionnées à l'article précité, sont responsables des frais des poursuites faites dans l'intérêt de la vindicte publiques.

La jurisprudence est fixée sur ce point. Les dommages-intérêts mentionnés dans nos lois ne concernent pas seulement l'intérêt individuel, mais encore l'intérêt public. Une seule condition est imposée à l'application de cette disposition de la loi, c'est de la part du ministère public l'obligation de mettre en cause la partie responsable. Ces dommages sont rationnels autant que légaux, puisque les frais, faits pour la répression de ces délits, sont occasionnés par la négligence des personnes auxquelles la loi confie la surveillance de la conduite de ceux qui leur sont immédiatement soumis.

Cette doctrine est tellement dans l'esprit de nos lois qu'aujourd'hui elle ne présente plus la moindre difficulté ; récemment, je crois, la cour de Liège a rendu encore un arrêt dans ce sens.

Dans cet état, j'avoue qu'il m'est impossible de concevoir la portée de l'amendement présenté par M. Orts. Cet amendement ne me paraît reposer que sur une confusion d'idées et sur la supposition qu'il ne pouvait être dû des dommages-intérêts qu'à l'intérêt particulier. D'après ces considérations, tous les amendements présentés me paraissent sans portée et complétement inutiles. L'article en discussion n'introduit aucun principe nouveau dans notre législation, et je déclare qu'au premier aperçu j’avais résolu d'en demander la suppression. Si j'ai changé de résolution, c'est que la disposition nouvelle tempère la loi ancienne au point de vue de la contrainte par corps.

M. Savart-Martel. - La discussion me paraît présenter trois questions.

1° Quelles sont les personnes responsables ? Il suffit de mettre cette responsabilité à charge des personnes désignées dans l'article 1384 du code civil ?

2° Doit-on admettre l'exception que comporte le dernier paragraphe de cet article en faveur de ceux qui n'ont pu empêcher la contravention ou le délit ?

L'équité nécessite cette exception ; il faut l'écrire dans la loi.

3° Enfin, les personnes responsables peuvent-elles être soumises à la contrainte par corps ?

Nous sommes tous d'accord de la négative, mais il est convenable encore de l'écrire dans la loi.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je n'ai qu'un mot à répondre à l'honorable M. Savart, ainsi qu'à l'honorable M. Orts.

M. Savart nous a dit que jamais dans aucune loi on n'a établi la responsabilité des tuteurs en matière de délits ; c'est une erreur, car dans l'article 7 de la loi du 27 septembre 1791, cette responsabilité est établie. Cet article porte :

« Les père, mère, mari, tuteurs, etc., sont responsables, etc. »

Vous remarquerez, messieurs, que cet article étend bien plus la responsabilité que ne le fait l'article en discussion, puisqu'il n'existe aucune loi postérieure qui ait rendu l'article 1384 applicable à la disposition que je viens de citer.

Je ferai remarquer maintenant à l'honorable M. Orts, que la responsabilité civile s'étend évidemment aux frais. Cela me paraît incontestable ; de nombreux arrêts sont là pour établir cette doctrine, et tous les commentateurs sont d'accord sur ce point. Dès qu'il est écrit dans la loi qu'un individu est, dans telle circonstance, responsable du fait d'un autre, cet individu, déclaré responsable, doit réparer le dommage causé à l'Etat, tout comme le dommage causé à un particulier. Or, les frais qu'occasionne à l'Etat une poursuite constituent un véritable dommage, il doit donc être réparé.

Messieurs, je conçois difficilement comment on peut admettre la réparation dans certaines circonstances et la rejeter dans d'autres. Comment est-il possible de subordonner la réparation d'un dommage au fait d'un tiers, à sa volonté de se constituer ou de ne pas se constituer partie civile ? Supposons qu'un domestique par exemple ait chassé en temps prohibé, mais sans causer aucun dégât, personne ne songera à se constituer partie civile, néanmoins le délinquant sera poursuivi, et s'il est condamné, pourquoi le maître serait-il dispensé de supporter les frais occasionnés à l'Etat ? La constitution d'une partie civile ne change rien à la nature de ces frais, et j'avoue que je ne puis pas saisir la distinction que veut établir l'honorable M. Orts, entre les frais dus à l'Etat et les dommages-intérêts dus à un particulier, car les uns et les autres ont la même origine, et produisent le même résultat dommageable, à savoir lésion pour le particulier, dépenses pour l'Etat ; dans le premier cas, la lésion doit être réparée, dans le second, la dépense doit être remboursée.

M. Henot. - M. le ministre de la justice a cru devoir faire connaître à la chambre que la disposition que le gouvernement propose, a été admise dans la nouvelle loi française sur la police de la chasse ; mais cette observation ne peut aucunement me déterminer à l'adopter ; il peut être bon, sans doute, de profiler des exemples que donne ce pays, et des lumières des hommes éminents qui s'y occupent de la législation, mais il ne faut pas pour cela décréter aveuglément, en quelque sorte, toutes les dispositions que la France croit convenable d'inscrire dans ses lois ; si on a voulu en France pousser la rigueur jusqu'au point de rendre un tuteur, un maître, et même un commettant responsable d'un délit qu'il ne leur a pas été possible d'empêcher, et de leur interdire d'administrer la preuve de cette impossibilité ; il ne s'ensuit pas qu'il doive en être de même en Belgique, et il doit surtout être permis de ne pas pousser la responsabilité en matière de chasse dans ses dernières limites, comme l'a fait la législation française.

M. le ministre a dit encore que la disposition qu'il présente n'étend pas la responsabilité civile au-delà des limites posées par l'article 1384 du code civil, mais c'est là évidemment une erreur, car cet article ne parle pas du tuteur, sur lequel cependant le gouvernement veut faire peser aussi la responsabilité civile qui résulterait d'un délit de chasse.

Mon honorable contradicteur a bien voulu reconnaître que le tuteur étant tenu de remplir, vis-à-vis de son pupille, les mêmes obligations qu'un père doit remplir vis-à-vis de son fils, et qu'il doit être conséquemment placé sur la même ligne ; c'est là certes reconnaître, de la manière la plus formelle, que mon amendement doit être adopté, au moins en ce qui concerne le tuteur.

Il a prétendu, toutefois, qu'il résulte de l'esprit de la disposition qu'il propose, que le tuteur pourra, pour éviter la responsabilité civile, administrer, aussi bien que le peut la mère, la preuve qu'il n'a pu empêcher le fait qui y a donné naissance ; mais qu'il veuille bien réfléchir que nous nous occupons d'une matière pénale, et que, tout étant dans une pareille matière de stricte interprétation, il est nécessaire qu'on déclare positivement, comme je le demande par mon amendement, que le tuteur sera déchargé de toute responsabilité en prouvant qu'il n'a pu empêcher le délit de chasse.

Quel inconvénient y a-t-il d'ailleurs à insérer expressément dans une loi une disposition qu'on prétend découler de l'esprit qui l'a dictée ? Il n'y en a réellement aucun.

M. le ministre de la justice ne m'a pas bien compris, qu'il me permette de le dire, lorsqu'il prétend que mon intention serait de restreindre la responsabilité civile telle qu'elle résulte de l'article 1384 précité ; ce n'est pas là ce que je demande ; mon amendement a seulement pour but d'étendre au tuteur, au maître et au commettant une faculté que cet article restreint au père et à la mère, et de mettre conséquemment sur la même ligne toutes les personnes que la responsabilité civile résultant d'un délit de chasse doit atteindre.

Aucune objection sérieuse n'a donc été faite contre l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter, et j'espère en conséquence qu'il sera adopté par la chambre.

M. Orts. - Je regrette bien, messieurs, de ne pas avoir été compris par M. le ministre de la justice. Voici en quoi nous différons. M. le ministre dit que la responsabilité civile entraîne nécessairement le payement des frais. Cela est exact, mais il ne s'agit point ici d'une responsabilité civile, de dommages-intérêts. Dans l'article 9 le gouvernement déclare qui ne veut pas faire peser la moindre peine sur les personnes responsables. Il n'y a point d'amende contre les personnes responsables, et dès lors, l'action publique est désintéressée en ce qui les concerne.

(page 526) Maintenant, messieurs, les frais sont doubles. Lorsqu'il y a une peine appliquée, les frais sont l'annexe de cette peine infligée, après des poursuites dirigées au nom de la vindicte publique ; mais lorsque la peine n'a pas été appliquée, la condamnation aux frais ne peut pas être prononcée.

On dit que ce sont des dommages-intérêts dus au gouvernement. C'est là une erreur ; il s'agit, quant à ces frais, d'un recouvrement, et contre qui poursuivrez-vous ce recouvrement ? Mais vous tâcherez de rencontrer le domestique qui a commis le délit et c'est contre lui que vous poursuivrez le recouvrement des frais, en même temps que vous demanderez l'application de l'amende. Comment voulez-vous recouvrer les frais contre la personne responsable, alors que vous ne voulez pas lui faire supporter l'amende, alors que vous reconnaissez que l'amende ne peut pas être due par elle, puisqu'il n'y a pas faute de sa part.

Maintenant, messieurs, pourquoi les frais sont-ils dus envers la partie civile ? Parce qu'alors le payement des frais est une conséquence de la responsabilité civile. Mais jamais il n'entrera dans mon esprit que ce soit à titre de dommages-intérêts que l'on condamne aux frais, lorsqu'on condamne à la peine principale.

Voilà, messieurs, dans quel ordre d'idées j'ai présenté cette proposition. Il me paraissait que réellement dans l'espèce les frais ne pouvaient s'entendre que mis en relation avec les dommages-intérêts, et comme ce n'est qu'une partie civile qui puisse obtenir des dommages-intérêts, il me semblait naturel de dire que les frais devaient retomber à la charge des personnes responsables.

- La clôture est demandée et prononcée.

L'amendement de M. de Bonne est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. Orts est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. Henot est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. Savart, qui propose la suppression du mot « tuteur. »

- Cette suppression est adoptée.

Le premier paragraphe de l'article, moins le mot « tuteur, » est mis aux voix et adopté.

Le deuxième paragraphe est ensuite mis aux voix et également adopté.

L'ensemble de l'article est mis aux voix et adopté.

La chambre remet à demain la suite de la discussion.

La séance est levée à 4 heures et demie.