(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 481) M. de Villegas. procède à l'appel nominal à une heure un quart. La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. de Villegas. fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Eemans, ancien commis de l'hôpital militaire de Bruxelles, demande que sa pension de réforme soit convertie en pension de retraite. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants de la ville de Bruxelles demandent la réforme postale basée sur la taxe uniforme de dix centimes.»
M. Verhaegen. - Messieurs, cette pétition est signée par la plupart des négociants de Bruxelles,. J'ai déjà eu l'honneur, lors de la discussion du budget des voies et moyens, d'entretenir l'assemblée de la réforme postale. Cet objet est réellement important, dans les circonstances où nous sommes placés vis-à-vis de nos voisins. Je demanderai que la pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs négociants, établis dans la ville d'Ath, demandent la révision de la législation sur les faillites et les sursis. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs fabricants mégissiers de diverses villes demandent une réduction des droits de sortie sur les peaux mégies. »
- Renvoi à la commission permanente d'industrie.
« La commission pour le dessèchement de la vallée du Demer dite Schuelenbrouck, prie la chambre d'allouer au budget du département des travaux publics une somme de 15 mille francs pour les travaux de dessèchement et d'amélioration de cette vallée. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du budget du département des travaux publics.
« Le sieur Van Baetem réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le remboursement des sommes qui lui reviennent du chef de prestations militaires. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
Le rapport de la commission d'industrie sera imprimé et distribué.
M. Lesoinne. - Messieurs, cet objet intéresse essentiellement une des principales industries de Liège. Des pétitions ont été envoyées à la chambre dès l'année dernière. Les fabricants d'armes souffrent plus ou moins de ce retard. Je demanderai donc que le projet de loi soit mis à l'ordre du jour, aussitôt après qu'il aura subi l'examen préalable.
M. le président. - Aux termes du règlement, la commission d'industrie a droit de présenter un projet de loi à la chambre ; il ne s'agit donc plus que de fixer le jour de la discussion du projet dont M. le rapporteur vient de donner lecture.
M. Delfosse. - Le projet de loi présenté par la commission permanente d'industrie est très simple ; il est fondé sur des motifs tellement plausibles que la chambre sera, j'en suis sur, unanime pour l'adopter. Il n'est pas probable qu'il donnera lieu a une discussion bien longue ; je demande, comme mon honorable collègue de Liège, qu'on la mette sous peu à l'ordre du jour.
M. Mast de Vries. - Je demanderai que la discussion soit fixée après l'impression et la distribution du rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. Delfosse. - M. le ministre de l'intérieur a présenté, il y a déjà quelque temps, un projet de loi relatif à la séparation de la commune de Grâce Montegnée (province de Liège), en deux communes différentes.
Je prierai la commission spéciale qui a été nommée pour l'examen de ce projet, de vouloir s'en occuper le plus tôt possible ; il y a plusieurs années que la demande de séparation a été formée ; il y a trois ans, si je ne me trompe, que le conseil provincial a émis, à l'unanimité, un avis favorable sur cette demande ; elle est restée longtemps, je ne sais pourquoi, dans les cartons du ministre de l'intérieur ; il serait vraiment fâcheux que le projet ne fût pas voté dans la présente session.
M. Orban. - Messieurs, le projet de loi relatif à cette séparation de commune avait été renvoyé à la commission spéciale qui m'a fait l'honneur de me nommer son rapporteur. La commission se livrait à cet examen, lorsque la chambre a reçu une réclamation des habitants de la commune contre le projet de loi présenté par M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre de l'intérieur a eu connaissance de cette réclamation ; il a demandé qu'elle lui fût communiquée et qu'il lui fut également permis de revoir toutes les pièces qui concernent cette affaire, à l'effet de s'assurer s'il n'y a pas de changements à faire au projet de loi. En conséquence, la commission spéciale n'est plus saisie pour le moment du projet de loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je me livre à l'examen de cette affaire ; cet examen sera bientôt terminé, et alors il pourra être donné suite à la demande de l’honorable M. Delfosse.
M. Delfosse. - Je remercie M. le ministre de l'intérieur de la promesse qu'il vient de faire d'examiner sans retard les pièces qui lui sont parvenues. Il est, du reste, probable que ces pièces ne lui apprendront rien de nouveau. La demande en séparation de la commune de Grâce-Montegnée a été l'objet d'une enquête administrative faite avec beaucoup de soin ; toutes les raisons que l'on pouvait faire valoir pour ou contre la demande ont été produites alors ; elles se trouvent consignées et discutées dans divers rapports, dont le département de l'intérieur est en possession depuis longtemps.
M. Verhaegen. - Messieurs, il y a peu de temps, nous avons eu à nous occuper d'une question de la plus haute importance au sujet d'un crédit de 6,300 fr. que le ministère demandait de lui ouvrir au budget de la dette publique, pour exécuter l'arrêt rendu en faveur des héritiers Coupez et passé en force de chose jugée. L'indépendance du pouvoir judiciaire avait été imprudemment attaquée par quelques orateurs qui étaient allés jusqu'à soutenir que la chambre était compétente pour annuler ou au moins pour rendre sans effet les décisions des cours et tribunaux, et le débat avait acquis un tel degré de gravité que certains membres du cabinet parurent même en être effrayés.
Ce fut alors que M. le ministre des finances jugea prudent de déclarer que l'arrêt en cause Coupez étant passé en force de chose jugée, il fallait le respecter, quel qu'il fût, et qu'ainsi le gouvernement ne pouvait pas se dispenser de payer. C'était déjà un revirement d'opinion, car au début de la discussion, M. le ministre avait émis un avis tout à fait contraire.
Toutefois, pour tâcher de se mettre d'accord avec les diverses opinions, M. Malou ajouta que, quant aux douze autres affaires portées par les titulaires des toelagen devant les tribunaux, il avait cru de son devoir, d'abord parce qu'un seul arrêt ne lui semblait pas faire jurisprudence ; ensuite, parce qu'il ne partageait nullement l'opinion de la cour suprême, de se pourvoir en cassation contre les douze arrêts rendus par la cour d'appel de Bruxelles ; il engagea, en conséquence, la chambre à laisser suivre les procès engagés devant la cour de cassation.
Ainsi parlait un membre du cabinet dans la séance du 25 novembre 1845 (Moniteur, Annales parlementaires, séance du 25 novembre, page 115), et ses paroles étaient graves, parce qu'elles impliquaient un blâme contre la cour d'appel de Bruxelles, et cependant le ministère vient de se désister de ses douze pourvois avec offre de dépens et de reconnaître ainsi de la manière la plus formelle que la cour d'appel a eu raison d'accueillir les prétentions des titulaires des toelagen.
(page 482) Pourquoi donc le blâme exprimé si témérairement contre la magistrature dans la séance du 25 novembre ? Pourquoi l'approbation qui a succédé au blâme ? M. le ministre de la justice voudra bien nous expliquer ce qui tout au moins pourrait être considéré comme une légèreté inexcusable dans le chef du gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, ce désistement a été fait et ne pouvait être fait que par M. le ministre des finances ; je regrette, en conséquence, de ne pas pouvoir répondre à l'interpellation qui vient de m'être adressée et qui regarde mon collègue.
M. Verhaegen. - Je renouvellerai mon interpellation, quand M. le ministre des finances sera présent.
M. le président. - La chambre est arrivée à l'article 3. Cet article est ainsi conçu :
« Art. 3. (Projet de la section centrale.)
Le gouvernement propose de rédiger le premier paragraphe comme suit :
« Il est défendu, sous peine d'une amende de 50 fr., de chasser, de quelque manière que ce soit, hors des époques fixées par le gouvernement, sans préjudice du droit, appartenant au propriétaire ou au fermier, de repousser ou de détruire, même avec des armes à feu, les bêtes fauves qui porteraient dommage à leurs propriétés. »
(Amendement présenté par M. de Breyne.) « § 2. Ajouter après les mots : « sous la même peine, » ceux-ci : « de chasser depuis le coucher jusqu'après le lever du soleil, etc., » et après le mot : « gelinottes, » celui de : « vanneaux, » etc. »
(Amendement présenté par M. Desmet.) « Le propriétaire ou possesseur peut chasser ou faire chasser en tout temps, sans permis de chasse, dans ses possessions attenantes à une habitation et entourées d'une clôture continue, faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins. »
(Disposition additionnelle présentée par M. de Saegher.) « Le propriétaire ou possesseur peut chasser ou faire chasser en tout temps, dans ses possessions, qui sont séparées par des murs ou des haies vives d'avec les héritages d'autrui. » ;
M. Jonet. - J'ai aussi un amendement à présentera l'article 3. Je propose de mettre dans le paragraphe premier, après les mots : « de repousser ou de détruire », ceux-ci : « avec des filets ou autres engins, même, etc. », le reste comme au paragraphe.
- La chambre décide qu'elle discutera d'abord l'article 3 et les trois amendements qui s'y rattachent directement ; elle s'occupera ensuite des amendements de MM. Desmet et de Saegher, amendements qui sont des dispositions additionnelles à l'article 3.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je ferai à la chambre une observation sur le texte de l'article 5, et cette observation aura peut-être pour résultat de faire tomber quelques-uns des amendements qui ont été proposés.
Ces amendements sont dictés par un esprit sage, c'est celui de protéger les récoltes contre les dévastations du gibier. Je me suis demandé quel est le gibier véritablement nuisible aux fruits de la terre. Dans une séance précédente, on avait désigné le lièvre comme un animal très nuisible, surtout lorsqu'il voulait faire son chemin. Cette observation a été victorieusement combattue par un membre de cette chambre, qui, ayant 40 années d'expérience comme agriculteur, a pu s'assurer que les lièvres n'ont pas en effet ces habitudes destructives que peuvent avoir d'autres animaux. Ainsi, les lièvres sont sous ce rapport tout à fait hors de cause.
Je me suis demandé ensuite si le mot général « bêtes fauves » comprend tous les animaux qui par leur nature destructive peuvent porter atteinte aux fruits de la terre. Au nombre des animaux les plus destructeurs, après les bêtes fauves, sont à coup sûr les lapins ; j'ai examiné la question de savoir si les lapins pouvaient, dans un sens général, être compris sous le nom de bêtes fauves ; et après avoir envisagé cette question sous toutes ses faces, j'ai été obligé de reconnaître qu'il était impossible de les ranger dans celle catégorie. Les lapins ont cependant, par leur nature destructive, tous les titres possibles à être admis au nombre de ces animaux destructeurs, et par conséquent, je propose de modifier la rédaction du paragraphe premier de l'article 3 de cette manière-ci. On ajouterait les mots : « ainsi que les lapins, » après ceux-ci : « les bêtes fauves. »
Par là, nous atteindrons le but qu'ont eu en vue la plupart des honorables membres qui ont proposé des amendements.
- L'amendement présenté par M. Jonet est appuyé.
M. de Corswarem. - Je trouve que la section centrale, dans la signification qu'elle donne aux mots bêtes fauves n'est pas du tout d'accord j avec le dictionnaire de l'Académie. En effet, je trouve dans ce dictionnaire, au mot bête : bêtes fauves, les cerfs, les chevreuils, les daims. Bêtes noires, les sangliers, etc. Bêtes puantes, les renards, les blaireaux, etc.
Ainsi la section centrale n'est pas d'accord avec l'Académie, en rangeant au nombre des bêtes fauves les loups, les renards, les blaireaux et les sangliers, dont aucune n'est bêle fauve, d'après l'Académie.
Au mot fauves, je trouve dans l'Académie : Bêtes fauves : les cerfs, les chevreuils, les daims.
Le dictionnaire ajoute : Il se dit à la différence des bêtes noires ou rousses comme les sangliers et les renards. Il ne comprend le loup, qui est un animal carnassier, ni dans les bêtes fauves, ni dans aucune de ces catégories.
Je trouve donc l'expression très impropre. Il y a une foule d'autres animaux très nuisibles qui ne sont pas compris dans la dénomination de bêtes fauves, comme la loutre, la fouine, le putois.
Si le projet de loi, tel qu'il nous est présenté, était adopté, on ne pourrait pas détruire ces animaux. En effet, il est déterminé à l'article 4 qu'on ne pourra faire usage d'aucun engin propre à prendre le gibier dont il est fait mention à l'article 5.
Si vous mettez une trappe pour prendre une loutre qui ravage vos étangs, vous seriez passible d'amende, parce qu'avec le même engin vous pourriez prendre un lièvre. Si une fouine, un putois se trouve sur votre maison, vous ne pourrez lui tirer un coup de fusil, car ces animaux ne sont pas compris dans la dénomination de bêtes fauves.
Je voudrais donc que ces mots fussent remplacés par ceux de : « animaux nuisibles ou malfaisants. » Je n'en fais pas la proposition, car je ne suis pas heureux dans mes amendements. Mais je crois que ce serait préférable.
La loi a été copiée dans une loi plus ancienne. On s'en aperçoit en ce qu'elle donne au propriétaire ou au fermier le droit de détruire les bêtes fauves qui porteraient dommage à ses propriétés. Or les cerfs, les daims, les chamois ne traversent jamais un bois, un champ, un pré, sans causer du dommage aux herbes, aux blés, aux pousses du bois, parce qu'ils y broutent. Mais un loup qui passe dans un bois ou dans un pré n'y cause pas le moindre dommage. Ainsi, d'après la loi vous ne pourriez le détruire.
M. d’Huart, ministre d’Etat. - Quand il prend du bétail, il cause sans doute un dommage.
M. de Corswarem. - Sans doute ; mais ainsi il faudrait donc qu'il fût pris en flagrant délit. Car, d'après le projet de loi, vous ne pouvez tuer que l'animal qui porte un dommage à vos propriétés, et le loup, en les traversant simplement, n'y commet pas le moindre dégât.
Le deuxième paragraphe de l'article 3 est ainsi conçu :
« Il est également défendu, sous la même peine, d'enlever ou de détruire des œufs ou des couvées de faisans, de perdrix, de cailles, de gelinottes et de coqs de bruyère, sur le terrain d'autrui. »
Il y a là une lacune qui expose le propriétaire à de certaines pertes. Il y a, par exemple, dans la Campine des étangs où l'on tient des canards, des oies, même des cygnes qui font le plus souvent leur couvée, non pas dans les maisons, mais au bord des étangs. Des enfants, des malfaiteurs prennent ces œufs, sous prétexte qu'ils les croient des œufs de cygnes, d'oies ou de canards sauvages.
Pour mettre un terme à ce délit, je voudrais que l'on ajoutât « et des oiseaux aquatiques. » Ces expressions comprendraient les poules d'eau, les plongeons, les canards sauvages ; on empêcherait ainsi la destruction de ces oiseaux qui sont un objet de chasse, surtout les halbrans, et on ôterait tout prétexte d'ignorance à ceux qui se permettent de détruire les œufs des oies, des cygnes et des canards domestiques.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Dans les observations qui vous ont été faites par l'honorable préopinant, je trouve un blâme des membres de l'Académie, rédacteurs du dictionnaire. Cela ne prouve qu'une seule chose, c'est que les académiciens, auteurs du dictionnaire, étaient aussi peu chasseurs que je le suis moi-même. Ils ont déterminé la signification des mots bêtes fauves d'après la langue académique, la langue usuelle, la langue de la société, mais non d'après l'usage constant admis dans les lois et dans les traités sur la matière. L'Académie a négligé d'examiner toutes les acceptions qu'on peut donner à un mot. Elle ne s'est occupée que de l'acception ordinaire du mot ; elle n'a pas examiné ses acceptions de vénerie, de chasse.
La loi française a été plus explicite, elle n'a pas commis l’erreur qui se trouve dans le dictionnaire de l'Académie. Bêtes fauves : on entend par ces mots : les loups, renards, fouines, putois. Ainsi d'après les lois sur la matière, tous ces animaux malfaisants sont compris dans la dénomination de bêtes fauves. Je crois que ce sont ces lois, que ce sont les traités qu'il faut consulter et non pas l'Académie française, qui n'est pas ici une autorité compétente.
Si l'amendement de l'honorable préopinant était adopté, si l'on disait « des animaux nuisibles ou malfaisants », la généralité de ces termes présenterait de graves inconvénients ; le mot « malfaisant » serait compris en un sens dans certaines parties du pays, et en un sens différent dans d'autres parties. De là des discussions, des luttes, des procès-verbaux, des procès devant les tribunaux.
Je pense donc qu'il est impossible d'admettre dans la loi les mots vagues « d'animaux nuisibles et malfaisants. » Nous entendons par les expressions bêtes fauves les animaux compris sous cette dénomination dans la loi française ainsi que les fouines (comme le demande l'honorable préopinant), les belettes et toute espèce d'animaux destructeurs. Nous y ajoutons les lapins. Ainsi nous reconnaissons que le lièvre, la perdrix ne seront jamais considérés comme des animaux malfaisants ou nuisibles à la récolte.
Je pense que le mot « malfaisants » pourrait donner lieu à des interprétations dangereuses, et faire naître une foule de procès-verbaux inutiles.
M. Rodenbach. - M. le ministre de l'intérieur a avancé que les lièvres ne nuisent pas à la récolte ; il s'est fondé sur l'expérience d'un honorable représentant. C'est une erreur. Je le prouverai en peu de mots.
Lorsque les céréales n'ont qu'un pied de hauteur, lorsque le lièvre mange ce blé vert, cela peut être utile. Parfois on fait entrer dans le champ des moutons pour manger ce blé ; mais lorsque ce blé a trois pieds, c'est extrêmement nuisible.
Au contraire, c'est peut-être le gibier qui fait le plus de mal quand il y a déjà des épis au froment. Ceux qui habitent les campagnes doivent connaître cela. L'honorable membre conviendra que si le lièvre n'est pas nuisible (page 483) quand le froment n'a qu'un pied, il n'y a pas de gibier qui fasse plus de mal lorsque le froment a atteint trois pieds.
On a prétendu que le lièvre était tout à fait innocent, qu'il était plutôt utile à l'agriculture que nuisible.
Je crois que nous devons prendre une grande attention aux amendements qui nous arrivent au milieu de la discussion. Un honorable député vient d'en présenter un concernant les oies et les canards, il vous a dit qu'il fallait empêcher l'enlèvement des œufs d'oies et de canards sur le bord des étangs. Mais souvent les oies et les canards vont pondre dans les champs du voisin ! Ce propriétaire ne pourrait pas prendre les œufs que ces oies et ces canards viennent pondre dans son champ, non sans y faire de dégât ?
J'en reviens à ma première observation, il est de fait que les lièvres sont très nuisibles aux récoltes, bien qu'on ait prétendu qu'ils ne faisaient aucun mal. J'attendrai la discussion ultérieure pour reprendre la parole. !
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, jusqu'à certain point je partagerais bien l'opinion de l'honorable préopinant que les lièvres sont nuisibles en ce sens qu'en courant dans les champs ils pourraient écraser une tige de grain et que les feuilles mangées par le lièvre ne peuvent pas l'être par le mouton qu'on fait paître dans les champs. Le lièvre est herbivore, il n'est pas fructivore ; il ne mange donc pas le grain, mais seulement la feuille du froment et quand il aurait trois pieds, il ne mangerait pas le montant qui doit porter l'épi, mais seulement des feuilles destinées à pourrir. Peut-être dira-t-on qu'en mangeant ces feuilles qui auraient pourri il enlève à la terre un engrais et fait ainsi tort à l'agriculture ? Mais quand le lièvre a mangé des feuilles elles ne lui restent pas dans le corps, il rend à la terre un engrais meilleur que la feuille de grain qu'il aurait laissée pourrir.
Je persiste donc à dire que le lièvre ne fait pas grand tort à l'agriculture.
M. le président. - M. de Breyne propose d'ajouter après l’énumération des oiseaux aquatiques le mot : « vanneaux. »
M. de Breyne. - Messieurs, je propose d'ajouter à l'article 3, après le mot de « gelinottes, » les mots : « de vanneaux. »
L'article 3 porte : II est également défendu, sous la même peine, d'enlever ou de détruire les œufs ou des couvées de faisans, de perdrix, de cailles, de gelinottes » ; j'ajouterai : « de vanneaux et de coqs de bruyère sur le terrain d'autrui. »
Dans le pays de poldres, dont est composée une grande partie de la Flandre occidentale, le jeune vanneau est assez recherché.
Le vanneau, loin d'être un oiseau destructeur des récoltes, fait au contraire du bien à l'agriculture en mangeant les insectes, dont il se nourrit exclusivement.
Je vous dirai plus, dans les pays plais voisins de la mer, dans les Flandres, il est encore utile sous d'autres rapports à l'agriculture. C'est peut-être hypothétique ce que j'ai l'honneur de vous dire ; cependant cela a été vérifie par une longue expérience. Chez nous l'agriculteur tire de l'endroit où le vanneau pond un pronostic plus ou moins certain de l'atmosphère que nous aurons dans la saison suivante. Je vais vous expliquer cela.
Messieurs, le vanneau pond ses œufs dans la trace laissée par le pied d'un cheval ou d'une vache.
Lorsque nous devons avoir une saison pluvieuse, le vanneau cherche l'endroit le plus élevé de la prairie pour pondre, tandis qu'il recherche les parties les plus basses, quand le printemps semble devoir être sec. Voilà ce qu'on remarque dans les Flandres, et l'expérience est venue vérifier ces faits.
Enfin, messieurs, chacun sait (erratum inséré à la page 558 des Annales parlementaires : ) que l’œuf de vanneau est un mets des plus délicats, des plus exquis, et très recherché par les gourmets. Il n'est que de la grosseur du tiers d'un œuf de poule ordinaire, et cependant il se vend de 15 à 30 centimes. Ce prix que l'on donne pour les œufs de vanneau est un véritable appât pour ceux qui en cherchent les nids et détruisent les couvées. Je voudrais, au moyen de l'insertion du mot « vanneaux » dans l'article en discussion, faire cesser cet appât. Je propose donc d'insérer le mot « vanneaux » après le mot « gelinottes. »
- L'amendement est appuyé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, après la manière très sévère avec laquelle certains animaux fort innocents ont été traités, animaux dont j'ai été obligé de prendre officiellement la défense, il m'eût été agréable d'entendre faire l'éloge des qualités morales, physiques et intellectuelles du vanneau. Je ne regrette, après avoir entendu un éloge aussi complet, je ne regrette qu'une seule chose, c'est que cet oiseau soit si rare dans notre pays. Cependant, comme l'honorable membre a constaté le fait de l'existence d'un grand nombre de vanneaux dans les poldres, et l'utilité que peuvent avoir leurs œufs pour l'agriculteur, je pense ne pas devoir m'opposer à ce que le mot « vanneaux » soit ajouté à l'article. J'adopterai donc volontiers l'amendement proposé par l'honorable préopinant.
M. de Tornaco. - La section centrale avait mentionné le râle dans sa disposition. Je ne sais pourquoi le gouvernement a fait disparaître les œufs de ce gibier. Je désire que le râle soit réintégré à côté de la caille. Le râle est un gibier intéressant. Il y a une autre raison pour empêcher la recherche et l'enlèvement de ses œufs ; c'est qu'il fait son nid dans les prés ; et en cherchant ses œufs ainsi qu'en le chassant au mois d'août, on fait beaucoup de dégât dans les prés.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Le gouvernement peut avoir été induit en erreur, en retranchant le râle ; mais c'est parce que le râle a été considéré comme un gibier d'eau.
Un membre. Il y a deux espèces de râles.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - C'est alors un animal mixte. Il y a deux espèces de râle ; on me dit qu'il y a le râle d'eau et le râle de genêts. Je demande si le râle d'eau n'est pas plus commun que l'autre.
M. de Tornaco. — Le râle de genêts est plus nombreux ; je propose d'ajouter le râle de genêts.
M. Mast de Vries. - La question du râle est une affaire terminée à ce qu'il paraît. (Non ! non !) Je reviens sur la question du vanneau. Je ne sais pas pourquoi on ajouterait le vanneau au deuxième paragraphe de l'article 3. La prise des œufs de vanneau n'a jamais été prohibée ; c'est un mets très délicat ; les personnes qui connaissent les œufs de vanneau en tirent un assez grand profit, les vanneaux retournant pondre dans le même nid, quoiqu'on leur ait enlevé leurs œufs.
Messieurs, dans les parties du pays où il y a des vanneaux, leurs œufs forment une sorte de revenu pour les pauvres qui vont les recueillir, parce que le vanneau vient toujours pondre à la même place.
D'ailleurs, je ne sais quelle importance on attache au vanneau, et si on peut le considérer comme un gibier ; il ne se vendrait pas 10 centimes la pièce au marché de Bruxelles.
M. Eloy de Burdinne. - L'honorable M. de Tornaco vous a désigné deux espèces de râles, le râle d'eau et le râle de genêt. C'est très bien pour les contrées où il y a des genêts comme dans les Ardennes et même dans le Condroz. Mais dans la Hesbaye où on ne voit pas de genêts. nous avons cependant des râles que nous appelons râles des campagnes. Je crois donc qu'on ne peut se servir de l'expression râles de genêts, mais qu'il faut dire râles des champs ; c'est une rectification que je demande à l'amendement de l'honorable M. de Tornaco.
M. de Breyne. - Messieurs, si j'ai bien compris l'honorable M. Mast de Vries, il vous a dit qu'il n'avait pas mangé de vanneaux. Eh bien, moi qui en ai mangé, je soutiens que le vanneau jeune, le vanneau âgé de moins d'une année est un mets délicat.
Quant à ce que l'honorable membre a dit de la pondaison, je n'ose pas le contredire. Cependant je n'ai jamais entendu dans nos contrées que le vanneau, après qu'on lui a enlevé ses œufs, vient en pondre d'autres dans le même nid. Du reste, messieurs, puisque nous regardons le gibier comme inhérent à la propriété, pourquoi le propriétaire ne pourrait-il pas être maître du vanneau qui vient nicher dans son champ, tout aussi bien que de la caille ou de la perdrix ?
Messieurs, si les vanneaux pondent des œufs à mesure qu'on les leur enlève, je demanderai comment il se fait que l'espèce des vanneaux est pour ainsi dire détruite. S'il en était comme le dit l'honorable préopinant, le vanneau serait plus commun.
M. Thyrion. - Messieurs, je veux simplement faire une observation au sujet du paragraphe 2 de cet article.
Ce paragraphe est terminé par les mots : « Sur le terrain d'autrui. » Il y a eu une erreur dans l'impression du projet de loi de la section centrale. Celle-ci avait décidé que ces mots seraient supprimés. C'est une conséquence du principe lui-même du projet de loi. Qu'a-t-on voulu ? On a voulu protéger la propagation du gibier, et c'est pour cela qu'on a défendu à un propriétaire de tuer, en temps de chasse close, une perdrix sur son terrain. Or, il serait contradictoire, me semble-t-il, que le propriétaire qui ne peut tuer une perdrix sur son terrain, pût cependant y détruire des couvées de perdrix. La section centrale a voulu que la défense fût absolue et non relative.
Je pense donc, messieurs, que pour atteindre le but qu'on se propose et pour être conséquent, il faut nécessairement supprimer les mots : « sur le terrain d'autrui. »
Messieurs, ceux qui habitent la campagne et qui ont l'occasion d'entrer dans les chaumières, y voient presque toujours de longs chapelets d'œufs de perdrix qui y sont suspendus comme des espèces d'ornements. C'est un abus qu'il importe de faire cesser.
Je pense donc que si l'on veut que la loi protège la propagation du gibier, il faut interdire, d'une manière complète, la destruction des couvées. Je propose, en conséquence, d'accord en ce point avec la section centrale, de supprimer les mots : « sur le terrain d'autrui. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Ce qui avait déterminé le gouvernement à s'écarter de la rédaction proposée par la section centrale, c'est qu'il avait été reconnu que des œufs découverts par des faucheurs étaient recueillis par les propriétaires dans l'intérêt même de la conservation de la couvée.
M. Jonet. - Messieurs, d'après la discussion qui s'est élevée au commencement de cette séance, sur la signification des mots gibier, bêtes fauves et autres, je déclare que je dois modifier la rédaction de mon amendement.
J'ai lu aussi dans le dictionnaire de l'Académie ce que signifient les mots bêtes fauves, et je croyais que, d'après l'Académie, on permettait, par ces mots, à un particulier, de tuer, de détruire tout animal qui viendrait menacer ses récoltes. Mais puisqu'il y a doute, puisqu'il y a un autre dictionnaire pour les chasseurs, (je ne sais toutefois pas si c'est ce dernier que les tribunaux devront suivre), je voudrais qu'on nous donnât une définition bien claire, pour que les tribunaux ne fussent jamais embarrassés en pareille circonstance. Car il est certain que les tribunaux recourront avant tout au dictionnaire de l'Académie, et s'il les induit en erreur, ils prononceront mal.
Quoi qu'il en soit, pour éviter toute difficulté, je change la rédaction de mon amendement, et je tâcherai de faire comprendre à la chambre ce que je veux et ce que je demande.
Je l'ai dit dans une séance précédente, ce que je veux, c'est le maintien de la disposition de l'article 15 de la loi du 30 avril 1790. Ce n'est pas une loi nouvelle que je demande, c'est le maintien de ce qui existe.
Qu'existe-t-il actuellement ? Le voici : il est libre en tout temps au propriétaire (page 484) ou possesseur, et même au fermier, de détruire le gibier dans ses récoltes, en se servant de filets ou autres engins qui ne puissent pas nuire aux fruits de la terre, comme aussi de repousser par des armes à feu les bêtes fauves qui se répandraient dans lesdites récoltes.
En examinant cette disposition avec attention, je vois en effet qu'il y a une différence entre le gibier et les bêtes fauves. Cette différence est établie dans la loi que j'ai à la main, et je désire qu'elle soit conservée.
En conséquence je propose de dire à l'article 3 : il est défendu à toutes personnes, à peine d'une amende de 50 fr., de chasser, de quelque manière que ce soit, hors des époques fixées par le gouvernement, sans préjudice du droit, appartenant au propriétaire ou au fermier, de détruire le gibier dans ses récoltes en se serrant de filets ou autres engins qui ne puissent pas nuire aux fruits de la terre, comme aussi de repousser avec des armes à feu les bêtes fauves qui se répandraient dans lesdites récoltes. »
Messieurs, quels motifs a-t-on de changer, sous ce rapport, la loi de 1790 ? Cette loi a-t-elle présenté des inconvénients dans son exécution ? Je vous déclare que, quant à moi, je ne connais aucun cas dans lequel on se soit plaint de l'exécution de cette loi. Que dit-elle ? Le particulier qui a une récolte peut défendre cette récolte. Comment peut-il la défendre ? D'abord en détruisant le gibier qui s'y trouve, au moyen de filets ou d'autres engins non nuisibles à la récolte. Il me paraît que ce fait est si simple et si naturel que je suis étonné que le gouvernement ne l'autorise pas dans son projet. Quoi ! un particulier a une récolte ; il s'aperçoit que des animaux malfaisants viennent la manger, et il ne pourra se servir d'engins ou de filets pour empêcher ces animaux de venir ravager son bien ? Il me paraît qu'un tel principe serait contraire à l'équité, et du moment qu'il est contraire à l'équité, je m'y oppose.
Si vous adoptez mon amendement, chaque particulier pourra détruire le gibier qui vient ravager sa récolte, même avec des engins et des filets, et de plus il pourra repousser les bêtes fauves qui sont répandues dans lesdites récoltes, même avec des armes à feu.
Mais dira-t-on, la loi nouvelle est suffisante (je m'attends à cette objection), puisqu'elle dit : « Sans préjudice du droit, appartenant au propriétaire ou au fermier, de repousser ou de détruire, même avec des armes à feu, les bêtes fauves qui porteraient dommage à leurs propriétés. » Oui, la loi nouvelle permet de détruire ou de repousser les bêtes fauves avec des armes à feu. Mais est-il possible au propriétaire d'une récolte de repousser toujours le gibier ou les bêtes fauves avec des armes à feu ? Evidemment non. Car il faudrait que le propriétaire, pour sauvegarder sa récolte, se décidât à passer jour et nuit sur sa terre. C'est souvent la nuit que les animaux malfaisants viennent dans son champ. Il faudra donc que le malheureux cultivateur, après avoir passé la journée au travail, se prive de repos, pour aller avec une arme à feu faire la chasse aux animaux malfaisants qui viennent manger sa récolte ?
La disposition que l'on propose me paraît tout à fait insuffisante.
Je voudrais donc que les mois : « détruire au moyen d'engins, de filets, etc. » fussent conservés. Qu'on ne croie pas que je veuille permettre la chasse aux engins et aux filets. Non, je suis disposé à adopter sous ce point de vue l'article 4 du projet. Je veux faire la guerre aux braconniers, mais je veux que la position du propriétaire de la récolte soit aussi favorable que possible. Je permets l'usage des engins et des filets au propriétaire de la récolte, mais à la condition qu'il emploie ces instruments pour conserver sa récolte, pour détruire, comme le dit la loi de 1790, les animaux qui nuisent à sa récolte, et non pas pour chasser. Ainsi je défends l'usage des filets et engins, lorsqu'ils servent à chasser, mais je permets l'usage des filets et engins lorsque le cultivateur s'en sert pour protéger sa récolte.
En un mot, messieurs, j'adopterai toutes les dispositions qui tendent à réprimer le braconnage ; mais ce que j'ai principalement en vue, c'est l'intérêt des propriétaires des récoltes, et si j'ai pris la parole en leur faveur, c'est parce que je vois dans cette enceinte fort peu de membres qui se préoccupent du soin de les défendre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je regrette, messieurs, d'avoir entendu la dernière observation de l'honorable préopinant. Je crois, au contraire, avoir donné à la chambre les preuves les plus positives de l'intérêt, de la sollicitude du gouvernement pour l'agriculture et pour les fruits de la terre. L'honorable M. Jonet part de ces idées : d'abord qu'il suffit qu'une disposition se trouve dans la loi de 1790, pour que le maintien de cette disposition soit encore utile aujourd'hui.
Cependant, messieurs, telle n'était point la pensée des rédacteurs mêmes de la loi ; ils ont au contraire considéré leur loi comme une loi provisoire, comme une loi qui avait besoin de l'expérience pour être améliorée, car dans l'exposé des motifs le législateur s'exprime de la manière suivante : « Par provision, et en attendant que l'ordre des travaux permette de plus grands développements de celle matière ! » Eh bien, c'est précisément parce que la loi de 1790 est incomplète, parce qu'elle a donné lieu à de graves abus, parce que ses dispositions larges et vagues ont favorisé le braconnage, que partout, en France comme ici, on a reconnu la nécessité de modifier et d'améliorer la loi.
La deuxième idée qui domine tout l'amendement de l'honorable membre, c'est que tout gibier est dangereux. Nous avons, nous, messieurs, cherché à déterminer dans la loi quels sont véritablement les animaux dangereux et nuisibles à l'agriculture, et après avoir examiné et étudié mûrement la question, nous avons reconnu que ces animaux dangereux sont ceux dont l'énumération a été faite tout à l'heure. Cependant, comme des doutes se sont élevés dans les esprits sur le point de savoir si les lapins pouvaient être compris dans la disposition, nous les y avons ajoutés. Ainsi les animaux nuisibles à l'agriculture sont, d'après nous, les lapins et les bêtes fauves ; ce mot étant compris non comme l'explique le dictionnaire de l'Académie, mais dans le sens que lui donnent toutes les lois sur la chasse, dans le sens que lui attribuent tous les chasseurs. Quant aux autres animaux, ceux qui font l'objet de la chasse, ils ne sont point nuisibles aux fruits de la terre.
Ainsi, l'amendement de l'honorable M. Jonet, s'il était adopté, nous ferait tomber dans les inconvénients que nous voulons éviter en modifiant la loi de 1790.
L'honorable membre dit : « Je me rallie au projet du gouvernement et j'admettrai contre les braconniers la défense d'employer des engins, des filets, etc., mais j'entends que les propriétaires puissent se servir de ces engins pour détruire les animaux qui viendraient ravager leurs récoltes. » Je demanderai à l'honorable M. Jonet comment il établira la distinction entre un filet, une bricole, un lacet posé par un propriétaire pour prémunir ses récoltes contre les attaques du gibier, et un filet, une bricole, un lacet posé par un braconnier. C'est précisément, messieurs, parce que nous avons voulu éviter que le braconnier n'employât ces moyens de destruction du gibier, que nous avons dû en interdire l'usage à tout le monde.
Messieurs, les véritables animaux nuisibles, les bêtes fauves sont-elles jamais prises dans ces bricoles, dans ces lacets, dans ces filets, tels que les fabriquent les braconniers ? En aucune façon. Ces animaux destructeurs et voraces détruiraient ces bricoles, ces filets, ces lacets ; ils ne sont pas du tout propres à saisir, à arrêter le gibier destructeur. Ces bricoles, ces filets et tous ces engins sont essentiellement des moyens de commettre des délits, des moyens de braconnage. Ce ne sont nullement des moyens de protection pour les fruits de la terre. Ainsi, messieurs, l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Jonet vous ferait manquer complétement le but que nous nous proposons, c'est-à-dire l'anéantissement du braconnage.
M. le président. - Voici une nouvelle rédaction de l'amendement de M. Jonet :
« Après le mot « fermier, » dans le premier paragraphe de l'article 3, je propose de dire : « De détruire le gibier dans ses récoltes, en se servant de filets ou autres engins qui ne puissent pas nuire aux fruits de la terre, comme aussi de repousser avec des armes à feu les bêtes fauves qui se répandraient dans lesdites récoltes. »
M. de Corswarem. - D'accord, messieurs, avec l'honorable ministre de l'intérieur et en opposition avec l'honorable M. Thyrion, je demanderai que les mots : « Sur le terrain d'autrui » soient maintenus à la fin de l'article. Il est des circonstances où l'on enlève des œufs de perdrix, très involontairement ; chacun sait que très souvent les faucheurs, en coupant du trèfle, découvrent des nids ; eh bien, alors ils enlèvent les œufs pour les laisser couver chez eux par des poules ou par d'autres oiseaux domestiques.
Si vous retranchez les mots : « sur le terrain d'autrui, » on ne pourra plus enlever les œufs que l'on aura ainsi découverts ; on devra les laisser dépérir dans les champs.
On m'objectera qu'il sera impossible de constater si celui qui a enlevé des œufs, les a pris sur son terrain ou sur le terrain d'autrui ; mais je répondrai qu'on ne trouvera personne muni d'œufs, à moins qu'il ne vienne de les enlever très récemment, et celui qui viendra d'enlever ces œufs pourra toujours indiquer le nid où il les aura pris.
Celui qui enlève ainsi des œufs ne commet pas un acte de destruction ; il agit, au contraire, dans un but de conservation ; si donc on le punissait pour ce fait, on agirait dans un sens tout à fait opposé à l'esprit de la loi.
Si les mots : « Sur le terrain d'autrui, » étaient retranchés, l'honorable M. Rodenbach aurait eu raison de dire que l'on veut empêcher un propriétaire de détruire sur sa propriété les œufs qu'un canard, une oie, un cygne d'un autre serait venu y pondre et voudrait y couver. Ce n'est pas là ce que je veux.
Il est bien différent, messieurs, d'enlever des œufs sur son terrain pour les faire couver, ou de tuer une pièce de gibier ; comme je l'ai déjà dit, le premier fait est presque toujours un acte de conservation, taudis que l'autre est un acte de destruction qui procure un profit réel et immédiat à celui par lequel il est commis.
Quant aux loutres, putois et fouines, du moment qu'il est bien entendu qu'ils sont compris dans la catégorie des bêtes fauves, je me contente de ces expressions, pourvu qu'il résulte de la loi même qu'on les a voulu désigner par là aussi bien que d'autres animaux plus forts.
M. Dumont. - Je crois, messieurs, qu'il est nécessaire de supprimer les mots : « Sur le terrain d'autrui. » Il y aurait en effet inconséquence à défendre la destruction du gibier pendant l'époque de l'accouplement et à permettre, d'un autre côté, la destruction des œufs. Si l'on ne défendait pas la destruction des œufs, on s'éloignerait complétement du but que l'on a en vue par la fermeture de la chasse.
L'honorable ministre de l'intérieur a dit qu'il propose le maintien des mots dont il s'agit, pour ne pas empêcher un propriétaire de recueillir un nid de perdreaux ou de cailles, par exemple, qu'il trouvera dans son champ ; mais ce n'est pas là un délit, c'est au contraire un acte conforme à l'esprit de la loi, qui a pour objet de favoriser la multiplication du gibier.
Il me semble donc que la suppression des mots « sur le terrain d'autrui » ne pourra jamais avoir pour résultat de faire condamner celui qui aura recueilli des œufs pour en faire faire la couvée.
Je me joins donc à MM. Thyrion et de Corswarem, ainsi qu'à la section centrale pour demander la suppression des mots : « sur le terrain d'autrui. »
M. d’Huart, ministre d’Etat. - Je ferai remarquer à la chambre que M. le ministre de l'intérieur ne s'est pas opposé à la suppression des mots : « sur le terrain d'autrui. » Il a seulement expliqué les motifs pour lesquels ces (page 485) mots se trouvent dans le projet présenté en dernier lieu par le gouvernement.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je déclarerai la discussion close et je mettrai l'article aux voix paragraphe par paragraphe.
- La nouvelle rédaction du premier paragraphe proposé par le gouvernement, est d'abord mise aux voix et adoptée.
L'amendement de M. Jonet, qui se rapporte au même paragraphe, est ensuite mis aux voix ; il n'est pas adopté.
La chambre adopte ensuite l'amendement de M. de Corswarem, qui consiste à introduire dans le deuxième paragraphe les mots : « oiseaux aquatiques. »
M. le président. - M. de Breyne a proposé d'ajouter aux « oiseaux aquatiques » le mot « vanneaux. »
M. de Breyne. (sur la position de la question). - La chambre vient d'adopter l'amendement de l'honorable M. de Corswarem. Si, parmi les oiseaux aquatiques, on comprend les vanneaux, mon amendement devient inutile.
M. le président. - C'est ce qu'il n'appartient pas au bureau de décider ; la chambre prononcera.
- La chambre consultée ajoute dans l'article le mot « vanneaux. »
M. le président. - M. de Tornaco a proposé d'ajouter le mot « râles. »
M. Eloy de Burdinne (sur la position de la question). - Il est entendu que l'amendement s'applique à toute espèce de râles.
M. le président. - Oui, c'est pour cela que l'auteur de l'amendement a retranché le mot genêts.
- Le mot râles est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Enfin l'on a proposé de supprimer à la fin du second paragraphe les mots « sur le terrain d'autrui. »
- Après une double épreuve, le maintien de ces mots est prononcé.
M. le président. - Viennent maintenant les deux dispositions additionnelles proposées, l'une par M. Desmet, l'autre par M. de Saegher.
La première est ainsi conçue :
« Le propriétaire ou possesseur peut chasser ou faire chasser en tout temps, sans permis de chasse, dans ses possessions attenantes à une habitation et entourées d'une clôture continue, faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins. »
La seconde est ainsi conçue :
« Le propriétaire ou possesseur peut chasser ou faire chasser en tout temps, dans ses possessions, qui sont séparées par des murs ou des haies vives d'avec les héritages d'autrui. »
M. le président. - La parole est à M. de Saegher, pour développer son amendement.
M. de Saegher. - Messieurs, par l'amendement que j'ai déposé sur le bureau, je ne demande que le maintien de ce qui existe aujourd'hui, c'est-à-dire, le maintien d'une partie de l'article 13 de la loi de 1790.
A ce propos, M. le ministre de l'intérieur, dans une autre séance, nous a dit que je voulais ramener la chambre aux principes du droit naturel. C'est là une erreur. Tout ce que je désire, c'est que la loi s'écarte le moins possible des principes du droit civil, relatifs à la propriété, et c'est dans ce but que je propose de maintenir l'article 13 de la loi du 30 avril 1790.
Mon amendement ne peut pas avoir pour effet d'empêcher la répression efficace du braconnage, attendu que le propriétaire qui chassera dans son enclos, ne peut, en aucun cas, être considéré comme braconnier. Mais le rejet de mon amendement, c'est-à-dire, l'adoption pure et simple de l'article 3 du projet en discussion aurait pour résultat de favoriser le chasseur, aux dépens du propriétaire, de restreindre outre mesure le droit de propriété.
Je le demande, messieurs, où est la nécessité d'aller si loin ? Où est la nécessité de défendre aux propriétaires de chasser même dans leur enclos ? On a beaucoup parlé, messieurs, depuis le commencement de la discussion, de la nécessité de faire une nouvelle loi, et de réprimer le braconnage ; mais quant au point que je traite, on n'en a pas dit un mot. Je voudrais que l'on s'expliquât, pour nous faire connaître l'utilité publique qu'il y aurait à empêcher le propriétaire de chasser dans son propre enclos.
Lorsque dans une autre séance j'ai expliqué que, par le projet en discussion, le propriétaire n'avait plus le droit de détruire le gibier dans son enclos, M. le ministre de l'intérieur nous a répondu que la pratique constante était contraire aux principes que je posais ; je crois que depuis lors M. le ministre de l'intérieur aura reconnu son erreur.
En effet, lorsque j'ai fait l'objection, qu'avec la loi, telle qu'elle était proposée, le propriétaire n'aurait plus le droit de détruire, par exemple, un lièvre dans son jardin, M. le ministre de l'intérieur nous a répondu que la pratique constante était contraire à mon assertion. Or, c'est là une erreur évidente, selon moi ; et en effet la loi de 1790 permet à tout propriétaire de chasser dans celles de ses possessions qui sont séparées, par des murs ou des haies vives, d'avec les héritages d'autrui. Maintenant, l'article 3 du nouveau projet défend, sous peine d'amende, de chasser de quelque manière que ce soit. Voilà donc la règle générale. Il y a plus, on pose dans le même article deux exceptions que nous venons d'adopter et qui confirment la règle ; et à l'article final du projet, il est dit que la loi du 30 avril 1790 est abrogée. N'est-il pas évident, d'après cela, que si nous adoptons l'article 3 du projet purement et simplement, sans insérer dans la loi nouvelle la disposition de l'article 13 de la loi de 1790 ou toute disposition analogue, il ne sera plus permis désormais de chasser dans un enclos ?
Or, messieurs, mon amendement ne tend qu'à maintenir cet article de la loi de 1790. Mais il y a bien plus : l'amendement que je propose, n'est que la reprise de la proposition qui a été faite par le gouvernement lui-même.
En effet, je trouve dans l'article du projet du gouvernement, ces mots :
« Art. 2. Sauf l'exception mentionnée à l'article 13 de la loi du 28-30 avril 1790, il est défendu, à peine d'une amende de 50 francs, de chasser de quelques manière que ce soit. »
Vous voyez dons, messieurs, que le gouvernement lui-même a adopté cet amendement. Maintenant, pour quel motif le gouvernement a-t-il fait cette proposition, et pour quel motif l'a-t-il abandonnée ? Je demande quelques explications à cet égard du gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur nous a dit, dans une autre occasion, qu'il y a une raison toute simple, pour que la faculté de tuer le gibier dans son enclos ne soit pas constatée dans la loi : c'est que ce délit ne pourrait pas être constaté dans un enclos. Mais c'est là, selon nous, encore une erreur. En effet, il me paraît que le délit, si délit il y a, pourrait être facilement constaté au moyen de l'article 11 du projet. Le délit dont il s'agit ne pourrait-il pas en maintes circonstances être constaté et par des témoins et par des procès-verbaux ? Il est évident que ce délit pourra être constaté comme tout autre délit, puni par nos lois pénales, et qui se commet dans une maison habitée ou ses dépendances.
Mais ce qui est vrai, c'est que bien souvent le délit de chasse, dans un enclos, ne pourra être constaté sans une violation de clôture ou du domicile. C'est précisément pour la conservation du droit de propriété, pour éviter toute violation de domicile du citoyen belge, pour faire en sorte qu'aucun citoyen ne soit molesté dans son enclos ; c'est dans ce but, dis-je, que j'ai proposé mon amendement.
J'espère donc que le gouvernement voudra bien revenir à la première résolution qu'il avait prise spontanément, et qu'il voudra se rallier à l'amendement que je propose.
- L'amendement de M. de Saegher est appuyé.
M. le président. - M. Desmet a présenté aussi un amendement à cet article. Il est ainsi conçu :
« Le propriétaire ou possesseur peut chasser ou faire chasser en tout temps, sans permis de chasse, dans ses possessions attenantes à une habitation et entourées d'une clôture continue, faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, la loi qui vous occupe a pour objet non seulement l'interdiction du braconnage et les mesures les plus propres à empêcher ce délit, mais en même temps, elle a pour but la conservation et la reproduction du gibier. Elle a pour but aussi de ne pas établir de catégories entre les propriétaires. Si l'amendement de l'honorable préopinant était adopté, il en résulterait que les propriétaires de grands parcs, de grands enclos auraient la faculté de chasser dans ces enclos en tout temps, même quand la chasse serait le plus nuisible à la reproduction du gibier.
Voilà pour la première partie ; si la seconde était adoptée, à savoir la faculté de chasser sur des possessions séparées par des haies vives d'avec les héritages d'autrui, je pose en fait qu'il serait inutile de discuter plus longtemps et que mieux vaudrait dire : Il n'y aura pas de loi sur la chasse ; car il dépendra de tout propriétaire d'entourer ses terrains de haies vives, pour à l'instant même se trouver délié de toutes les obligations que la loi veut imposer ; et au moyen de certains appâts connus de tous les chasseurs, il attirerait le gibier des champs voisins et le tuerait à son aise. La haie vive ne présente pas un obstacle tel qu'un lièvre ne puisse y passer ; et par ce moyen les délits pourraient se commettre à l'ombre de la loi, la loi à la main. Voilà les deux graves considérations qui ont déterminé le gouvernement à modifier sa proposition première. Il a été reconnu qu'avec cette distinction ou favorisait quelques grands propriétaires, on consacrait une inégalité dans la loi, on plaçait le petit propriétaire sur une autre ligne que le grand propriétaire, que le possesseur de grands enclos, la loi elle-même enfin serait complétement illusoire. L'honorable préopinant a cru remarquer une contradiction entre l'opinion que j'exprime aujourd'hui et celle que j'ai exprimée il y a quelques jours.
Vous avez reconnu, dit-il, qu'il était loisible au propriétaire de chasser dans son enclos. Oui, si cet enclos fait partie de son habitation, de son domicile, s'il est situé de manière qu'il fasse un avec l'habitation du propriétaire. Alors la pratique, l'usage constant est de tolérer le coup de fusil isolé contre un lièvre qui vient dans un enclos, parce que le domicile du citoyen est inviolable et aussi parce qu'il y aurait impossibilité de constater le délit sans violer le domicile. Ainsi, j'ai eu, en exprimant la première opinion, un respect religieux pour le domicile du citoyen et, en repoussant l'amendement de l'honorable préopinant, j'ai voulu que la loi fût efficace, ne fût pas illusoire, car cet amendement donnait les moyens bien simples d'établir le braconnage sur toute la surface du pays.
M. Desmet. - Messieurs, si je ne me trompe, mon amendements quelque chose de plus sérieux que ceux qui concernent les lapins et les vanneaux et tous les agréments de la chasse, car il a pour objet de maintenir l’inviolabilité du domicile consacrée par l'article 10 de notre Constitution. Si je ne puis pas faire chez moi ce que je veux, mon domicile peut être violé à chaque instant. Si je tire un coup de fusil, aussitôt un agent de la police va entrer dans mon enclos et verbaliser pour établir que je suis en contravention. On n'a jamais vu pareille chose. L'ancienne loi sur la chasse consacre le principe de l'amendement proposé par M. de Saegher ; la nouvelle loi française consacre ce que je demande, l'inviolabilité du domicile. Voudrions-nous faire une loi plus sévère que la loi française, qui, soit dit en passant, n'est pas regardée en France comme une loi d'amour, mais bien comme très odieuse ? Je ne vois donc pas pourquoi la Belgique voudrait surpasser les Français en sévérité dans la police de la chasse, (page 486) pourquoi la Belgique voudrait, pour l'agrément des chasseurs, aller jusqu'il porter atteinte à l'inviolabilité du domicile. Cela n'est pas possible. Pendant la clôture de la chasse, sans permis de chasse, je puis faire dans mon enclos, dans mon domicile, ce que je veux.
Comme on pourrait chicaner sur le mot enclos et prétendre que ce n'est pas le domicile, d'après les termes dans lesquels mon amendement est conçu, c'est l'enclos attenant à l'habitation qui sera seul excepté. La loi pénale, nos mœurs, les lois forestières disent que l'enclos attenant à l'habitation fait partie du domicile.
M. Rodenbach. - Dans le discours de M. le ministre de l'intérieur, l'honorable M. Desmet a parfaitement raison ; son amendement doit être adopté. Mais dans la loi, cela ne s'y trouve pas. Si cet amendement n'est pas adopté, votre loi sera infiniment plus sévère que la loi française, car la disposition que propose l'honorable M. Desmet, est copiée, je crois, de la loi française, loi qui a été bafouée, persiflée à cause de sa sévérité, et sur laquelle les épigrammes pleuvent encore tous les jours.
Vous voulez permettre qu'on viole votre domicile pour verbaliser parce que vous aurez tué des oiseaux, du gibier, qui sera venu manger vos fruits ou vos légumes ; si vous vous avisez de tirer un coup de fusil, un garde champêtre qui sera près de votre jardin pourra verbaliser contre vous. Ce serait la loi la plus arbitraire que nous aurions votée depuis la révolution.
Je voterai contre l'ensemble de la loi si on ne l'améliore considérablement. Au lieu d'arriver au libéralisme, nous serions rétrogrades.
M. de Mérode. - Je conçois les inconvénients signalés par l'honorable M. Rodenbach ; si, dans un jardin potager, on ne pouvait pas tirer les oiseaux qui viendraient manger les fruits, ce serait un grand inconvénient. Cependant il y a quelque chose à considérer, c'est qu'attenant à des habitations, il y a des bois, des parcs très grands ; les propriétaires pourraient attirer là-dedans tout le gibier de la campagne. Je citerai le parc de Grimbry qui appartient à mon frère, où arrivent tous les lièvres de la campagne environnante. S'il pouvait tirer à volonté, il tuerait les lièvres de tous les voisins. C'est là un grand inconvénient.
D'un autre côté, il serait rigoureux, contraire à la raison, d'empêcher le propriétaire d'un jardin potager de tirer les oiseaux qui viendraient manger les fruits de son jardin.
Je voudrais qu'on fît une distinction entre les grands parcs et les jardins ; peut-être pourrait-on y arriver en déterminant l'étendue.
Quant à l'amendement de M. de Saegher, il ne remédie pas aux inconvénients signalés par l'honorable M. Rodenbach, car il ne parle pas d'enclos attenant à une habitation, il suffirait que ce fût un enclos entouré de haies vives pour pouvoir y chasser en tout temps.
M. Fleussu. - Deux amendements sont présentés à l'article qui nous occupe ; l'un a été admis, l'autre a été combattu par M. le ministre de l'intérieur. J'abonde parfaitement dans son sens. Si l'amendement de l'honorable M. Desmet n'a pas fait partie de la loi première, c'est que les auteurs ont cru que c'était inutile. La jurisprudence est constante sur ce point qu'on peut, en tout temps, chasser dans un enclos attenant à une habitation. Par habitation, on n'entend pas une maison de garde placée au milieu d'un parc. Il faut que l'enclos soit attenant à l'habitation de celui qui a posé le fait de chasse.
La jurisprudence a été plus loin, elle a admis qu'on pouvait y chasser sans le permis de chasse voulu par le décret de 1812.
Quant à l'autre amendement, il me semble que les raisons données par M. le ministre de l'intérieur suffisent pour le faire repousser. Il est évident que vouloir admettre, comme la loi de 1790, la chasse en tout temps dans les bois, les parcs, pourvu qu'ils soient séparés par des haies vives d'avec les héritages d'autrui (je fais observer en passant qu'il y avait dans la loi de 1790 des exceptions que ne reproduit pas l'amendement), c'est favoriser le grand propriétaire, il peut attirer dans son enclos isolé tout le gibier des campagnes, car les haies ne sont pas tellement serrées que les lièvres ne puissent y passer.
Je pense donc que, des deux amendements, il y a lieu d'adopter l'un et de rejeter l'autre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Les raisons que j'ai données hier et que j'ai répétées aujourd'hui, sont une preuve du respect du gouvernement pour le domicile du citoyen et ses droits. Je ferai une observation sur l'amendement de l'honorable M. Desmet, c'est qu'il est conçu de manière à ne pas se renfermer dans le domicile du citoyen, car il porte que le propriétaire ou possesseur peut chasser ou faire chasser en tout temps sans permis de chasse dans ses possessions attenantes à une habitation. Je proposerai de mettre à son habitation.
M. de Saegher. - Puisque M. le ministre de l'intérieur se rallie à l'amendement de l'honorable M. Desmet, je ne suis pas obligé d'insister sur ce que j'ai dit tout à l'heure sur la nécessité d'un amendement. Mais je ne comprends pas comment on peut soutenir que jusqu'à ce jour c'est l'usage constant ou la jurisprudence des tribunaux qui a permis de tuer les lièvres dans un enclos, tandis que la loi de 1790 est formelle, et que le nouveau projet qu'on nous présente abolit cette même loi par un article spécial.
Messieurs, on combat mon amendement précisément par les motifs pour lesquels je veux le maintenir. On dit : Mais si vous admettez cet amendement, vous allez protéger les grands propriétaires, ceux qui ont de grands enclos. Messieurs, ce n'est pas ce qui est à craindre. Les grands propriétaires savent bien faire en sorte que leur gibier soit conservé et soit conservé pour eux. Mais ce qu'il y a à craindre, ce sont les vexations pour les petits propriétaires. Si vous n'admettez pas mon amendement, quoi que vous en disiez, il sera toujours reconnu, et l'expérience viendra bientôt le prouver, que c'est contre le petit propriétaire que votre loi est dirigée.
Messieurs, par la loi de 1790, il est reconnu que l'on peut chasser dans un enclos entouré de murs ou de haies. L'honorable ministre nous a dit : S'il fallait tolérer une pareille chose, s'il suffisait d'entourer sa propriété d'une haie vive pour y chasser librement, mais bientôt vous détruiriez la chasse ! Messieurs, n'oublions pas que la loi de 1790 existe depuis 50 ans : pouvez-vous dire que la chasse a été détruite par la disposition que je reproduis ?
Je le répète, messieurs, le seul moyen de consoler, en quelque sorte, les propriétaires qui attachent réellement du prix à la conservation de leurs droits, des effets de la loi que vous allez voter, c'est d'admettre au moins l'amendement que je propose.
M. de Mérode. - Messieurs, j'ai une observation à faire dans l'intérêt des petits propriétaires dont a parlé l'honorable M. de Saegher. Il arrive quelquefois que des jardins ne soient pas attenants à une habitation,. Il y a telle personne qui a une habitation dans un village et qui a son jardin ou son potager à quelque distance de cette habitation. Il me semble qu'on devrait permettre aussi la destruction du gibier dans ce jardin ou ce potager. Je propose donc un sous-amendement à l'amendement de M. Desmet, qui consisterait à ajouter : « Et dans les jardins légumiers ou vergers. »
- La clôture est demandée.
M. de Breyne (contre la clôture). - Je demande à pouvoir dire un seul mot sur l'amendement de l'honorable M. Desmet.
M. Rodenbach. - Je me prononce contre la clôture. On n'a pas discuté le sous-amendement de l'honorable M. de Mérode. Je serai d'ailleurs très court.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
L'amendement de M. de Saegher est d'abord mis aux voix et rejeté.
Le sous-amendement de M. de Mérode est aussi rejeté.
L'amendement de M. Desmet, avec la modification de rédaction proposée par M. le ministre de l'intérieur, est adopté. Il formera le troisième paragraphe de l'article 3.
L'ensemble de l'article 3 est adopté.
« Art. 4. Il est interdit en tout temps, à peine d'une amende de 100 fr., de faire usage de filets, lacets, bricoles, appâts et de tous autres engins propres à prendre ou à détruire le gibier dont fait mention l'article 5 ci-après.
« Sera puni de la même amende, celui qui sera trouvé, hors de son domicile, muni ou porteur desdits filets, lacets, bricoles et autres engins.
« Dans tous les cas, ces objets seront saisis et confisqués ; le juge en ordonnera la destruction. »
Le gouvernement propose la rédaction suivante :
« Art. 4. Il est interdit, en tout temps, sous peine d'une amende de 100 fr., de faire usage de filets, lacets, bricoles, appâts et de tous autres engins propres à prendre ou à détruire le gibier, dont fait mention l'article 5 ci-après.
« Sera puni de la même amende celui qui sera trouvé, hors voies et chemins, sur le terrain d'autrui et sans en avoir le droit, muni ou porteur desdits filets, lacets, bricoles ou autres engins.
« Dans tous les cas, ces objets seront saisis et confisqués ; le juge en ordonnera la destruction. »
M. le président. - M. de Breyne propose par amendement d'ajouter après les mots : « sous peine d'une amende de 100 fr., » ceux-ci : « et de chasser en dehors des bois et forêts depuis le coucher jusqu'après le lever du soleil. »
M. Orban propose de supprimer le mot « lacets » dans le deuxième paragraphe.
La parole est à M. de Breyne pour développer son amendement.
M. de Breyne. - Messieurs, j'ai déjà annoncé que je désirerais voir introduire dans la loi la défense de chasser pendant la nuit. D'après les observations que m'ont faites quelques honorables collègues, j'ai modifié ma première rédaction, et la défense ne s'étendra plus qu'à la chasse en dehors des forêts et des bois.
Messieurs, vous savez tous aussi bien que moi, que l'on distingue deux classes de chasseurs. Il y a d'abord ce que j'appelle le véritable chasseur, qui est guidé par certaines lois qu'il observe régulièrement. Par exemple, le véritable chasseur ne tue pas le lièvre au gîte ; il ne tue pas une compagnie de perdreaux lorsqu'elle se trouve dans ce qu'on appelle le bain, en flamand roest (on rit). Messieurs, j'ai entendu M. le ministre de l'intérieur vous citer du latin, des vers d'Horace ; moi, je crois pouvoir citer un mot technique flamand, c'est ma langue maternelle. Le véritable chasseur ne tue pas le gibier pendant le temps de l'accouplement ; il ne tue pas le gibier pendant le temps de la couvée.
L'autre chasseur, que j'appelle le braconnier lors même qu'il est muni d'un port d'armes, c'est le chasseur par état, le chasseur parmétier. Celui-là chasse depuis le matin jusqu'au soir, et depuis le soir jusqu'au matin. Il tue tout ce qu'il rencontre ; car plus il peut tuer d'un seul coup de fusil, plus ses bénéfices sont grands. Voici, messieurs, ce que chez nous, dans les Flandres, fait le chasseur par état, le chasseur par métier. Pendant le jour il cherche le gîte ou le bain des perdreaux. Lorsqu'il a découvert ce gîte, il y revient le soir, il se couche dans un champ de moisson, et quand le crépuscule se montre et que la première lueur du soleil réunit la compagnie de perdreaux, il la tue tout entière d'un seul coup de fusil.
Mon amendement, messieurs, ne tend donc pas à restreindre la chasse pour le véritable chasseur ; mais elle tend à la restreindre pour le chasseur qui n'est qu'un destructeur, qu'un exterminateur de gibier. Ce chasseur par état, messieurs, est d'ailleurs un homme qui n'ose très souvent pas se montrer pendant le jour et qui parcourt les champs dans tous les sens (page 487) pendant la nuit, et y fait des dégâts d'autant plus grands qu'il n'est observé par personne.
Messieurs, le principe que j'ai l'honneur de vous proposer, n'est pas nouveau. Après que j'avais déposé hier mon amendement, un honorable membre qui siège devant moi, a bien voulu me remettre un ouvrage intitulé : « Traité complet du droit de chasse, » par M. Petit. « Commentaire sur la loi française du mois de mai 1844. » Or, qu'est-ce que je lis dans ce commentaire :
« Art. 12. Seront punis d'une amende de cinquante à deux cents francs, et pourront en outre l'être d'un emprisonnement de six jours à deux mois :
« 1°Ceux qui auront chassé en temps prohibé ;
« 2° Ceux qui auront chassé pendant la nuit ou à l'aide d'engins et instruments prohibés, ou par d'autres moyens que ceux qui sont autorisés par l'article 9. »
Messieurs, cette disposition a reçu son approbation des hommes les plus distingués en France, et voici ce que dit le commentateur relativement à cette disposition.
« § 1er. Le projet de loi portait que des ordonnances royales détermineraient dans quels cas et sous quelles conditions la chasse serait permise pendant la nuit. La chambre des pairs n'a pas adopté cette disposition. Sur une observation de M. le marquis de Boissy, M. le rapporteur a déclaré en termes formels que la commission avait entendu prohiber d'une manière absolue la chasse pendant la nuit. M. de Boissy ayant ensuite dit qu'on pourrait retrancher de l'article les mots de jour, M. le président a répondu : « Si on retranche ces mots, il n'y aura pas d'indication que la chasse est interdite de nuit. » On n'a plus insisté et le paragraphe a été voté. Le gouvernement s'est approprié cet amendement, car, en présentant le projet à la chambre des députés, M. le garde des sceaux a dit : « La chasse pendant la nuit y est aussi interdite d'une manière implicite. La législation actuelle ne la défend pas, et cependant il n'en est pas de plus dangereuse. C'esl elle surtout qui devient la cause d'un grand nombre de meurtres ou de crimes contre les personnes. Le projet comble la lacune qui existe à cet égard dans nos lois. » M. le rapporteur de la commission de la chambre des députés constate aussi la prohibition de la chasse de nuit, en déclarant dans son rapport que la loi a voulu que la chasse ne pût avoir lieu que pendant le jour, autant par motif de sûreté publique que dans l'intérêt d'une surveillance utile. »
Messieurs, vous voyez que ce n'est pas tout à fait ce que veut la loi française que je demande par mon amendement. J'excepte la chasse à la bécasse et autres chasses qui ont lieu dans la province de Liège et dans le Luxembourg, et qui se font dans les bois et forêts.
Ce qui vient encore corroborer mes observations, messieurs, c'est le projet sur la chasse qu'on nous a distribué aujourd'hui à notre entrée dans la salle, et qui nous est présenté par un propriétaire que je n'ai pas l'honneur de connaître, mais qui, d'après ce qu'on m'a dit, est un des plus grands amateurs de chasse de la Flandre orientale. Voici comment est conçu l'article 14 de ce projet : « Il est défendu de chasser avant le lever et après le coucher du soleil. »
Je pense donc, messieurs, que la chambre accueillera favorablement mon amendement.
- L'amendement de M. de Breyne est appuyé.
M. le président. - La parole est à M. Orban pour développer son amendement.
M. Orban. - Messieurs, le but de mon amendement est de faire disparaître de l'article 4 de la loi une expression qui tend à faire considérer comme un délit le fait d'être trouvé porteur de lacets, n'importe dans quel but.
D'après la disposition en discussion, le fait d'être porteur de lacets destinés à la tenderie de la grive ou de la bécasse serait une contravention. Evidemment telle ne peut être l'intention de la loi.
Je ferai remarquer que le fait de prendre au lacets des grives ainsi que des bécasses, n'est pas considéré comme un délit par la loi. En effet, le paragraphe premier de l'article 4 dit qu'il est interdit, sous peine d'une amende de 100 fr., de faire usage de filets, lacets, bricoles, appâts et de tous autres engins propres à prendre ou à détruire le gibier dont fait mention l'article 5 ci-après, et dans le gibier énuméré à l'article 5 ne se trouvent ni les grives, ni les bécasses. Par conséquent l'intention de la loi n'a pas été et ne pouvait être, comme chacun le comprend, de supprimer la tenderie aux lacets dans le but de prendre des grives ou des bécasses. Cependant l'article 4 fait considérer comme un délit d'une manière absolue, le fait d'être trouvé porteur, hors voies et chemins, de lacets. Ainsi vous avez le droit de placer des lacets pour prendre des grives, mais en même temps si vous êtes trouvé, hors voies et chemins, porteur de lacets, vous êtes en délit.
C'est cette contradiction que je veux faire disparaître, et pour la faire disparaître, il faut ou supprimer le mot « lacets » du second paragraphe de l'article 4 ou déclarer dans la loi d'une manière formelle que le fait d'être porteur de lacets destinés à la tenderie des grives et des bécasses ne constitue pas un délit. La nécessité de cette modification est évidente pour toute personne qui veut examiner attentivement les dispositions de la loi.
- L'amendement de M. Orban est appuyé.
M. Henot. - Messieurs, je suis d’accord avec l'honorable M. de Breyne que la chasse doit être défendue pendant la nuit, et il n'y avait pas besoin pour me convaincre, de citer le garde des sceaux de France, ni la chambre des pairs. Mais, messieurs, l'honorable membre, par la rédaction qu'il propose, irait beaucoup plus loin, car si elle était adoptée, on ne pourrait plus chasser du tout. Voici, messieurs, cette rédaction : « Depuis le coucher jusqu'après le lever du soleil. » Ainsi, après le coucher du soleil, je ne puis plus chasser, et je ne puis plus chasser non plus après le lever du soleil. Je demande alors à l'honorable M. de Breyne quand on pourra chasser.
M. de Breyne. - Messieurs, il est possible que ma rédaction ne soit pas bonne ; j'accepterai volontiers celle que l'honorable préopinant voudra bien présenter. J'avais proposé cette réduction, parce que la destruction de gibier que j'ai voulu prévenir se fait souvent lorsque le crépuscule se montre. J'ai voulu dire qu'on ne pouvait chasser qu'après le lever du soleil.
M. Henot. - On pourrait dire : jusqu'au lever du soleil.
M. de Breyne. - J'accepte cette rédaction.
M. le président. - Ainsi on dira : « Depuis le coucher jusqu'au lever du soleil. »
M. Rodenbach. - Messieurs, par l'amendement de l'honorable M. Desmet, que vous avez adopté, il est entendu que l'on peut chasser ou faire chasser dans son clos. Mais je suppose qu'on peut aussi faire usage de filets dans son clos. Je crois que c'est ainsi que l'entend M. le ministre de l'intérieur ; puisqu'on peut détruire le gibier dans son clos, on peut le faire au moyen de filets ou de lacets.
Je fais cette observation parce que les tribunaux pourraient être d'une opinion divergente à cet égard.
Je demanderai aussi, à propos de cet article, si un cultivateur pourra, an moyen d'un filet, non pas d'un filet de braconnier pour prendre le gibier, mais d'un filet aux oiseaux, faire la chasse aux moineaux qui ravagent son champ. Car, quoi qu'on en ait dit, le moineau est un oiseau très destructeur, il peut faire des ravages considérables dans un champ de blé. Or, je ne crois pas qu'en toute justice on puisse condamner un homme qui veut sauver les fruits de sa terre.
Si donc il n'était pas entendu que le cultivateur pourra détruire les moineaux qui ravagent son champ, il y aurait lieu d'en faire un amendement à l'article 4. Tous les jours, messieurs, notamment dans les Flandres, on va prendre les moineaux qui ravagent les champs. Ces animaux n'ont d’ailleurs aucune valeur ; on ne les prend que pour empêcher que les fruits de la terre soient anéantis.
M. le président. - Au premier paragraphe, après les mots : « et de tous autres engins propres à prendre ou à détruire, » M. de Villegas propose de dire « les bécassines, les jacquets et le gibier, dont, etc. »
La parole est à M. de Villegas pour développer son amendement.
M. de Villegas. - J'approuve à tous égards le principe de l'article 4. Je considère cette disposition comme devant contribuer le plus efficacement à la répression du braconnage, à la grande satisfaction de l'agriculteur. Tout le monde sait, en effet, que le braconnier par les voies et traînées qu'il pratique dans les récoltes, cause beaucoup de dégâts au propriétaire. Mais je trouve dans la combinaison des articles 4 et 5 du projet de loi quelque chose d'incomplet.
L'article 4 qui défend l'usage des filets, etc., ne concerne que le gibier de plaine. Dans la partie de la Flandre que j'habite, les braconniers font un usage très fréquent de filets pour prendre les bécassines et les jacquets dans les marais et prairies. Cette espèce de gibier forme néanmoins, pendant la grande partie de l'année, la principale et, pour ainsi dire, l'unique ressource des chasseurs de bon aloi qui habitent le voisinage des marais et rivières. Il serait donc de toute justice de généraliser la défense des articles 4 et 5, ou tout au moins de l'étendre aux bécassines et jacquets. Par mon amendement je propose cette extension.
M. Desmet. - Je dois faire une observation en réponse à ce qui a été dit par l'honorable M. Rodenbach en faveur de l'emploi par les cultivateurs des lacets, bricoles, filets, pour la destruction des moineaux. La défense d'employer ces engins ne concerne que la chasse aux oiseaux dont l'énumération est faite dans l'article 5 ; pour tous les autres oiseaux, on peut employer des filets, des lacets, des bricoles, etc. ; ainsi on peut prendre au moyen de ces instruments des alouettes, des ortolans, des moineaux. On va me répondre, que lorsqu'un homme est porteur d'un filet on ne peut pas distinguer si ce filet est destiné à prendre tels ou tels oiseaux. Je crois, en effet, que sous ce rapport la rédaction de l'article devra être rendue plus claire.
Voici, messieurs, l'objet principal pour lequel j'ai pris la parole. Vous voulez interdire la chasse au filet parce que vous la considérez comme pouvant faire du tort ; mais ne pensez-vous pas que la chasse au moyen de certains chiens peut faire plus de tort encore ? Je fais cette observation pour appeler sur ce point l'attention de M. le ministre de l'intérieur, afin que d'ici à lundi, il examine s'il n'y aurait pas lieu de restreindre la chasse aux lévriers, par exemple. Je lui demanderai aussi, si d’après l'esprit de la loi, il pense que, lorsque la chasse est ouverte, on peut chasser au moyen de lévriers ou des chiens quelconques sans être muni d'un permis de port d'armes.
En France la question n'offre aucun doute, car là on délivre non pas des permis de port d'armes, mais des permis de chasse.
M. de Garcia. - J'ai pris la parole, messieurs, pour demander une explication à M. le ministre de l'intérieur. Je pense que le port d'un filet ne sera puni qu'en tant que ce filet serve directement à prendre des oiseaux appartenant aux espèces dont l'énumération est faite dans l'article 5. Cependant, messieurs, il est des filets qu’on pourrait en quelque sorte appeler mixtes ; dans ma province et dans d'autres encore, nous connaissons la chasse au traîneau, la chasse au rideau, chasses qui, en réalité, n'ont pour but que de prendre les alouettes. Il arrive pourtant qu'avec ces filets on prend, accidentellement, des perdreaux. Je demanderai à M. le ministre si des filets semblables sont compris dans ceux indiqués dans l'article en discussion. Selon moi, ils ne doivent pas être compris dans cette catégorie, et si le gouvernement le déclare, je pense qu'on doit s'expliquer nettement à cet égard, parce que je pense qu'à défaut de le faire, les tribunaux pourront trouver de graves difficultés dans l'application de la loi. Il faut, (page 488) selon moi, pour prévenir les inconvénients dans l'application de la loi, des explications tout à fait claires autant sur les filets employés a la chasse du gibier, autres que ceux mentionnés à l'article 5 de la présente loi, que sur les lacets employés à la chasse de la grive et de la bécasse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, l'esprit de l'article 4 est bien, dans l'intention du gouvernement, d'interdire l'emploi de toute espèce d'engins propres à détruire le gibier. En conséquence, si au nombre de ces engins se trouvent des filets mixtes à l'aide desquels on peut détruire le gibier mentionné à l'article 5, tout aussi bien qu'au moyen des engins énumérés dans l'article 4, l'emploi de ces engins est évidemment interdit, et dès lors le transport en est également interdit.
M. Rodenbach. - L'explication que vient de donner M. le ministre de l'intérieur ne me paraît pas suffisamment claire ; et il me semble que les tribunaux pourront être quelquefois très embarrassés. J'avais demandé à M. le ministre de bien vouloir me répondre catégoriquement sur le point de savoir si l'on pourra intenter un procès au cultivateur qui aura transporté un filet destiné non pas à chasser, mais à prendre les moineaux qui ravagent sa moisson. Je désirerais que M. le ministre de l'intérieur voulût bien répondre de manière à fixer le sens de la loi, afin qu'elle ne donne pas lieu à des interprétations différentes dans les divers tribunaux.
Il est également bien entendu (et je le répète, afin que la chose soit constatée), il est également bien entendu que l'on peut chasser dans ses enclos et y faire usage de filets et de lacets. Si tel n'était pas le sens de la loi, je prierais M. le ministre de l'intérieur de bien vouloir s'en expliquer ;sinon je considérerai son interprétation comme conforme à la mienne.
- La séance est levée à 4 heures et demie.