(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 438) M. Huveners fait l'appel nominal à une heure et quart.
M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Huveners présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Les sieurs Lorent, Lefèvre et autres habitants du faubourg de Charleroy demandent que ce faubourg soit séparé de la ville pour être érigé en commune distincte. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Mathias Bumbert prie la chambre de prendre une disposition législative pour le dispenser du payement du droit d'enregistrement auquel se trouve assujettie la naturalisation qu'il a demandée depuis le mois de décembre 1835. »
- Même renvoi.
Première section :
Président : M. Dubus (aîné)
Vice-président : M. Veydts
Secrétaires : M. de Renesse
Rapporteur de pétitions : M. de Meer de Morseel
Deuxième section
Président : M. de Man d’Attenrode
Vice-président : M. Loos
Secrétaires :t M. d'Elhoungne
Rapporteur de pétitions : M. de Tornaco
Troisième section
Président : M. Mercier
Vice-président : M. Lange
Secrétaires : M. de Haerne
Rapporteur de pétitions : M. Simons
Quatrième section
Président : M. de Theux
Vice-président : M. Lejeune
Secrétaires : M. Orban
Rapporteur de pétitions : M. Zoude
Cinquième section
Président : M. Osy
Vice-président : M. Fleussu
Secrétaires : M. de Corswarem
Rapporteur de pétitions : M. Henot
Sixième section
Président : M. de Mérode
Vice-président : M. de Chimay
Secrétaires : M. Huveners
Rapporteur de pétitions : M. Biebuyck
La discussion continue sur l'article unique du chapitre III, relatif aux traitements des agents consulaires.
M. Rogier. - Je demande à présenter quelques observations sur l'article en discussion. Ces observations seront courtes.
On a soulevé dans la discussion d'hier, à propos de cet article, un assez grand nombre de questions ; on a parlé de Guatemala, du consulat établi à Valparaiso et du consulat à établir éventuellement à Cologne.
Pour ce qui concerne la question de Guatemala, M. le ministre des affaires étrangères ayant promis un rapport à la chambre, rapport qui, j'espère, ne se fera pas trop attendre, je me réserve de présenter ultérieurement des observations à cet égard ; je dirai seulement aujourd'hui que, dans mon opinion, le gouvernement aura un compte très sévère à rendre, et de ce qu'il a fait, et de ce qu'il n'a pas fait dans cette affaire.
Quant au consulat de Valparaiso, je ne puis partager l'opinion que ce consulat serait inutile. C'est le seul établissement consulaire que la Belgique possède sur la côte occidentale de l'Amérique, le long de l'océan Pacifique. A moins de supprimer partout les consuls, il est impossible de n'en pas maintenir au moins un sur cette côte immense où nos relations vont croissant d'année en année.
En ce qui concerne le consulat de Cologne, j'espère que la chambre n'hésitera pas à adopter la proposition du gouvernement qui a été adoptée par la section centrale. Cologne est devenue pour nous un des points commerciaux les plus importants du continent. Les Etats rhénans, par leur position topographique. forment en quelque sorte un Etat séparé, avec lequel on peut prévoir que la Belgique est appelée à avoir des relations de jour en jour plus intimes et plus considérables. Quant à moi, je considère Cologne comme un des centres commerciaux où la présence d'un agent peut rendre le plus de services au pays. A coup sûr, un agent consulaire dans les Etats rhénans est au moins aussi utile qu'un agent consulaire en Hollande, en Suisse, en France.
Mon intention n'est pas d'entrer ici dans une question de personnes ; au gouvernement seul appartient le droit de nomination, c'est à lui de choisir les hommes qui lui offrent le plus de garanties sous le rapport de la capacité et de l'expérience des affaires. Il doit les prendre là où il les trouve le plus convenants, soit dans l'armée, soit ailleurs ; nous n'avons pas d'interdiction à lui faire ; il nomme ses agents sous sa responsabilité.
Je pense aussi qu'il ne faut point, en introduisant un trop grand nombre d'officiers dans le corps diplomatique, fermer la carrière à ceux de nos jeunes gens qui font de la diplomatie leur carrière spéciale ; ce serait là une imprudence et une injustice ; mais, je crois aussi que ce serait pousser la rigueur trop loin que d'exclure du corps diplomatique des hommes capables, par cela seul qu'ils feraient partie de l'armée. Le gouvernement doit choisir ses agents parmi les hommes les plus capables, sans distinction de la classe de la société à laquelle ils appartiennent.
Je conviens cependant, je le répète, qu'il ne faudrait pas introduire dans le corps diplomatique un trop grand nombre d'officiers, parce que de cette manière on pourrait nuire à la fois à l'armée et au corps diplomatiques J'ajoute aussi qu'il est nécessaire que les officiers qui passeraient dans le corps diplomatique, y entrent aux mêmes conditions que tous les autres. S'il y a un examen à subir, il faut qu'ils s'y soumettent. Il est bien entendu aussi qu'ils ne doivent point cumuler les avantages des deux positions.
C'est dans ce sens, messieurs, que j'appuierais au besoin la nomination d'agents diplomatiques ou consulaires pris dans les rangs de l'armée. Ces agents, s'ils sont réellement capables, peuvent rendre des services non seulement au corps diplomatique, mais aussi à l'armée. Les voyages en pays étrangers, la fréquentation des officiers étrangers, la résidence auprès des gouvernements étrangers peuvent donner à ces officiers des lumières et des connaissances qui plus tard tourneront au profit de l'armée. C'est surtout par la comparaison des différents systèmes militaires de l'Europe que nous pouvons introduire des améliorations dans notre armée. Eh bien, messieurs, je crois qu'à ce point de vue, il peut être très utile que quelques-uns de nos officiers connaissent les pays étrangers, afin de rapporter chez nous les lumières qu'ils peuvent y recueillir.
J'ai dit que je ne voulais point faire des allusions personnelles. Je dois cependant rectifier une erreur qui est échappée hier à un honorable préopinant. L'officier que le gouvernement paraît destiner au consulat de Cologne, est secrétaire de légation depuis plusieurs années, il a été nommé secrétaire avant l'arrêté royal qui exige des examens ; j'en fais l'observation à l'honorable M. Dumortier. Du reste, je ne mets pas en doute qu'il ne fût parfaitement à même de subir tout examen qu'on pût lui imposer, que sa capacité n'aurait qu'une occasion de plus de briller. Si je suis bien informé, cet officier a rempli, en effet, ses fonctions diplomatiques avec distinction. Sa capacité est parfaitement appréciée, je pense, par le gouvernement. Je me hâte de le dire, toutefois, je ne voudrais pas que M. le ministre vît dans mes paroles quelque chose qui pût ressembler à une recommandation. C'est à lui d'apprécier ses agents et de les choisir sous sa responsabilité.
M. Dumortier. - Messieurs, lorsque j'ai pris hier la parole dans la discussion qui nous occupe, j'ignorais complétement de quelle personne il s'agissait ; j'ai traité la question au point de vue général, et c'est encore ce que j'entends faire aujourd'hui. L'honorable M. Rogier vient de dire que la personne à laquelle il a fait allusion a reçu sa nomination avant la création de la commission chargée d'examiner ceux qui veulent entrer dans le corps diplomatique. Puisqu'il en est ainsi, les observations que j'avais présentées hier sous ce rapport, ces observations tombent d'elles-mêmes. Du reste, c'étaient encore là des observations générales, puisque je me suis borné à dire que je n'avais point connaissance qu'aucun membre de l'armée eût subi un examen devant la commission chargée de délivrer les diplômes nécessaires pour entrer dans le corps diplomatique.
Je persiste à croire que le gouvernement doit faire de la carrière diplomatique une carrière sérieuse et que, de même que l'armée serait fort mécontente si l'on y faisait entrer des membres du corps diplomatique, le corps diplomatique doit être fort mécontent lorsqu'on y introduit des officiers, de manière à rendre l'avancement à peu près impossible. Je ne veux point provoquer des mesures réactionnaires, je m'occupe principalement de l'avenir. Eh bien, je dis qu'il serait excessivement à désirer que le gouvernement s'abstînt de faire entrer dans le corps diplomatique des membres de l'armée de manière à décourager ceux qui ont choisi la diplomatie comme une carrière.
L'honorable M. Rogier pense qu'il serait très avantageux à l'armée de faire entrer des officiers dans le corps diplomatique, parce que ces officiers pourraient recueillir dans les pays étrangers des lumières qui tourneraient plus tard au profit de notre organisation militaire. Je dis, moi, que nous ne devons point faire de notre armée une agence commerciale ; notre armée n'est instituée que pour la défense du pays, et je pense que les officiers envoyés en mission diplomatique ne pourront rien rapporter d'utile sous ce point de vue, alors que les missions diplomatiques deviennent de plus en plus commerciales.
Messieurs, si un jour des hostilités venaient à éclater, la Belgique aurait besoin de rappeler à elle tous ses officiers, et alors, avec le système que je combats, il y aurait nécessairement des lacunes soit dans l'armée, soit dans le corps diplomatique.
D'ailleurs, les grades ne sont pas tellement nombreux dans le corps diplomatique qu'on puisse les donner à des officiers au lieu de les réserver à ceux qui y ont acquis des droits ; ainsi, messieurs, vous n'avez que 6 ou 8 secrétaires rétribués et une dizaine de chargés d'affaires. Eh bien, lorsque les grades sont si peu nombreux, il faut au moins les réserver à ceux qui ont le droit de les obtenir par voie d'avancement.
J'appelle aussi toute l'attention du gouvernement sur la nécessité de n'admettre dans le corps diplomatique que des personnes qui soient à l'abri de toute espèce de reproche. Il faut que le gouvernement soit très sévère (page 439) sous ce rapport, qu'il ne se laisse point aller aux sollicitations. La Belgique est une nation jeune : elle a besoin d’être représentée dignement à l'étranger, d'y être représentée par des hommes dont la capacité impose, et il n'est malheureusement que trop vrai que dans plusieurs circonstances on n'a pas tenu assez compte de cette nécessité ; souvent les sollicitations ont fait faire des choix qui laissaient beaucoup à désirer. J'espère que le ministère actuel comprendra toute l'importance de bons choix et j'insiste beaucoup pour qu'on n'introduise dans le corps diplomatique que des hommes dont la capacité soit telle que leur nomination puisse rapporter à la Belgique honneur et profit.
M. de Foere. - L'honorable membre qui, dans cette séance, a pris, le premier, la parole a invoqué l'opinion unanime de la section centrale pour justifier la création d'un nouveau consulat à Cologne.
M. Rogier. - Je n'ai pas dit l'opinion unanime de la section centrale ; j'ai dit que la proposition avait obtenu la sanction de la section centrale.
M. de Foere. - Soit, mais toujours est-il qu'il y a eu opposition dans a section centrale. M. le ministre des affaires étrangères a développé, dans le sein de cette section, les motifs pour lesquels il proposait un consul pour la place de Cologne. Aucun de ces motifs n'était puisé dans les besoins commerciaux de cette place. Ils étaient tous d'une nature exclusivement politique. J'ai trouvé que le but que M. le ministre des affaires étrangères recherchait, pouvait être atteint plus facilement, et avec plus de succès, par notre chargé d'affaires à Francfort et surtout par notre agent diplomatique à Berlin. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas appuyé, dans la section centrale, cette nouvelle proposition.
M. Veydt. - Messieurs, deux honorables membres ont traité, hier, une question sur laquelle je me proposais d'appeler aussi l'attention de la chambre, je veux parler de la question des consuls, en ce qui concerne leurs attributions judiciaires et municipales.
M. le ministre des affaires étrangères a déclaré que son département et celui de la justice s'occupaient de la préparation d'un projet de loi ; je regrette que M. le ministre n'ait pas pu nous donner l'assurance que ce projet sera présenté dans un bref délai. Quand le prédécesseur de M. le ministre a soumis à la chambre le projet de loi relatif au tarif des droits à percevoir par les consuls, nous étions sur cette question au même point où nous nous trouvons aujourd'hui. En effet, dans son exposé des motifs du 21 avril 1845, l'honorable comte Goblet disait aussi qu'il préparait un projet, tendant à remplir les lacunes nombreuses que présente notre organisation consulaire. Je prierai donc M. le ministre de vouloir nous saisir, dans le cours de cette session, du projet de loi déjà annoncé depuis plusieurs mois.
Messieurs, les sections sont saisies du projet de loi présenté le 21 avril 1845. Il est conçu en un seul article, et a pour objet de combler une autre lacune qui a souvent attiré l'attention des chambres de commerce. Le gouvernement demande l'autorisation de régler, par arrêté royal, le tarif des droits que nos consuls pourront percevoir. Je demanderai que les sections soient invitées à s'occuper de l'examen de ce projet de loi dans un bref délai. S'il reçoit un accueil favorable de la législature, il pourra être fait droit sans retard aux réclamations dont les dispositions actuelles, qui tiennent lieu de tarif, et qui ont toutes été prises sous le gouvernement des Pays-Bas, ont été fréquemment l'objet.
M. Osy., rapporteur. - J'ai déjà, et à plusieurs reprises, prié le gouvernement et je le prie de nouveau de vouloir bien examiner s'il ne serait pas préférable de substituer un projet de loi définitif à celui dont parle l'honorable préopinant, et qui laissait au gouvernement le soin de régler cet objet. Le gouvernement est maintenant nanti de tous les matériaux nécessaires pour présenter un projet définitif.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je m'associe à l'honorable M. Veydt, pour engager les sections à s'occuper du projet de loi relatif aux émoluments des consuls. Lorsque la discussion de ce projet sera mise à l'ordre du jour, on pourra examiner, mieux qu’on ne pourrait le faire maintenant, s'il est préférable d'organiser cette matière par la loi elle-même, au lieu d'autoriser le gouvernement à la régler par arrêté royal.
M. Osy. - Je demande dès lors aussi que le projet de loi dont il s'agit, soit examiné par les sections.
- Personne ne demandant plus la parole, le chiffre de 115,000 fr. (dont 12,000 fr. à titre de charge extraordinaire) est mis aux voix et adopté.
« Article unique. Frais de voyage des agents du service extérieur et de l'administration centrale ; frais de courriers, estafettes, courses diverses : fr. 70,500. »
M. Osy., rapporteur. - Messieurs, déjà depuis plusieurs années, on demande que le gouvernement règle par arrête royal le tarif des frais de route et de séjour des membres de notre diplomatie. La section centrale a renouvelé cette année la même demande.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, une commission mixte a été nommée l'année dernière, pour examiner la question relative aux frais de voyage et de séjour des fonctionnaires de tous les départements ministériels. Cette commission a reconnu qu'il était impossible de prendre une mesure commune à tous les départements, et qu'il était dès lors nécessaire d'adopter un règlement spécial pour chaque ministère. Le projet qui concerne mon département est terminé. Nous avons pris pour base le règlement prussien, avec certaines modifications : ce règlement sera l'objet d'un arrêté royal qui paraîtra sous peu.
- Personne ne demandant plus la parole, le chiffre est adopté.
« Article unique. Frais à rembourser aux agents du service extérieur : fr. 80,000. »
M. Dumortier. - Il y a sur cet article une majoration de 5,000 fr. qui n'est justifiée par aucun motif. Il s'agit seulement de sommes à rembourser aux agents du service extérieur. L'allocation a toujours été trop forte les années précédentes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Elle n'a pas été trop forte, puisqu'on a dû demander depuis plusieurs années des crédits supplémentaires. Le crédit a toujours été dépassé. Or, c'est précisément pour ne plus devoir recourir à des crédits supplémentaires, qu'on demande une augmentation de 5,000 francs.
- Personne ne demandant plus la parole, le chiffre est adopté.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur ce chapitre.
La parole est à M. Castiau.
M. Castiau. - Messieurs, je ne puis laisser passer sans une protestation formelle un des actes les plus importants que M. le ministre des affaires étrangères ait contresignés depuis qu'il a réuni les attributions commerciales à ses attributions ordinaires ; je veux parler de l'arrêté royal du 9 novembre 1845, relatif aux livrets d'ouvriers.
J'ai dit que je ne pouvais laisser passer cette mesure sans une protestation énergique, c'est qu'en effet, comme je le démontrerai tout à l'heure, l'arrêté est entaché d'une flagrante illégalité et viole les principales dispositions de la loi du 22 germinal an XI qui la première a institué les livrets pour l'industrie et les manufactures. Vous savez, messieurs, quelles sont les attributions du gouvernement, en matière d'arrêtés royaux et de règlements de police : le gouvernement peut prendre des arrêtés, des règlements, mais il ne peut les prendre que pour l'exécution des lois ; il ne peut ni changer la loi ni l'altérer dans son but ou son esprit. Ici, au lieu d'exécuter la loi, le ministre, je le répète, l'a violée, et il la viole dans ses deux dispositions principales.
Il a violé cette loi de germinal qu'il devait exécuter d'abord dans la disposition relative à la pénalité. La sanction de cette loi se trouvait dans la loi elle-même. Elle prononçait des dommages-intérêts dont elle fixait l'importance pour toute contravention à ses dispositions. Là, je le répète, était la sanction, l'unique pénalité de la loi. La loi l'avait trouvée suffisante, nul n'avait le droit de la changer et de la fausser.
Qu'a fait maintenant le gouvernement dans l'arrêté royal du 10 novembre dernier ?
M. le ministre ne s'est pas contenté de faire un règlement d'administration publique pour fixer la forme de ces livrets et les règles de leur délivrance, leur terme et leur renouvellement, ce qui, je le reconnais, rentrait dans ses attributions ; mais il fait un règlement qui modifie la sanction et le caractère de la loi et qui en change la pénalité. A la place de la peine des dommages-intérêts, établie par les articles 11 et 12 de la loi de germinal an XI, le ministre a fait apparaître des pénalités nouvelles, l'amende d'abord, puis l'emprisonnement, que la loi de germinal s’était gardée de prononcer. C'est là que se trouve pour moi la première et la plus grave des illégalités que je devais vous signaler.
Et M. le ministre ne s'est pas contenté de violer la loi de germinal an XI dans les dispositions relatives à la pénalité ; il l'a également violée dans les dispositions relatives à l'ordre des juridictions. D'après cette loi, la pénalité, c'était une question de dommages-intérêts ; l'autorité compétente pour en connaître, c'était la justice de paix. Eh bien, par le nouvel arrêté royal, le ministre a prononcé, en fait, dans ce cas l'incompétence des juges da paix ; les justices de paix ne sont plus saisies de ces questions ; c'est la juridiction pénale qui remplace la juridiction paternelle des juges de paix. C'est devant les tribunaux correctionnels que seront à l'avenir jugées les contraventions à la loi de germinal, car il s'agit d'une pénalité qui, pour l'amende et l'emprisonnement, excède évidemment la compétence des juges de paix.
Que M. le ministre ne vienne pas prétendre, pour sa justification, qu'il n'a fait que suivre un précédent, imiter ce qui avait été fait en 1840, lorsqu'il a été question du rétablissement de livrets pour les ouvriers mineurs ; car dans l'arrêté du 30 septembre 1840, relatif aux mineurs, on avait respecté à la fois et les dispositions de la loi de 1810, et la nature des pénalités, et l'ordre des juridictions. Loin de vouloir introduire des innovations illégales, on s'en était référé purement et simplement, pour les poursuites et pénalités, au titre 10 de la loi du 21 avril 1810.
Et pourquoi M. le ministre a-t -il ainsi bouleversé toute la législation primitive sur les livrets ? Pourquoi en a-t-il violé et la pénalité et la juridiction ? Uniquement, messieurs, pour établir des pénalités exorbitantes, des pénalités odieuses, et qui vont retomber de tout leur poids sur les classes ouvrières qu'elles écraseront.
La loi de germinal se contentait de dommages-intérêts pour les contraventions à ses dispositions ; M. le ministre établit, lui, d'abord une amende qui pourra s'élever à 200 fr. N'est-ce pas là pour les ouvriers une véritable confiscation ? Connaissez-vous beaucoup d'ouvriers assez riches pour payer de telles amendes ?
Cette pénalité pécuniaire n'a pas suffi ; il a fallu y joindre une pénalité plus odieuse encore, une pénalité qui démoralise, souille et flétrit, la pénalité de l’emprisonnement et d'un emprisonnement qui pourra être de 14 jours. Ainsi voilà le travail considéré comme un délit et puni avec plus de rigueur que certains vols, uniquement parce que l'ouvrier aura travaillé (page 440) sans livret, ou parce qu'il aura oublié de le faire viser par l'administration locale.
Qui sait même, messieurs, si l'on ne déploiera pas, dans cette occurrence, tout le luxe des sévérités correctionnelles ? Qui sait si l'on ne joindra pas à la rigueur de la peine, la rigueur de l'emprisonnement préventif ? Il s'agit ici, ne l'oublions pas, de la juridiction correctionnelle et, en matière correctionnelle, on peut souvent, pendant des semaines et des mois entiers, retenir le prévenu dans les prisons ! Et que d'innocents ont été victimes de cet emprisonnement préalable.
Ce n'est pas tout encore ; si 1°ouvrier condamné à une amende de 200 fr. se trouve dans l'impossibilité de payer cette amende, il sera, pour ce seul fait, retenu dans les prisons pendant six mois. Ainsi le veut l'article 53 du code pénal. Ainsi, pour le seul fait d'avoir travaillé avec trop d'empressement et peut-être d'avoir ignoré la loi, l'ouvrier sera condamné à une amende de 200 fr., à 14 jours d'emprisonnement et à une nouvelle captivité de six mois s'il ne peut payer l'amende dont il est frappé !
Voilà ce que M. le ministre appelle mettre la législation impériale en harmonie avec le droit public des Belges ! Ce droit public, c'est donc la violation de la liberté individuelle, l'amende et un long et rigoureux emprisonnement !
Je regrette de devoir le dire, le ministre n'a touché à la législation impériale que pour en aggraver les dispositions d'une manière intolérable, pour les rendre plus lourdes, plus oppressives pour les classes ouvrières !
Aggravation et aggravation exorbitante quant à la pénalité ! Je viens de le démontrer, une pénalité civile est remplacée par l'emprisonnement et par une sorte de confiscation.
L'aggravation existe encore quant à la formalité du visa du livret. Ainsi, sous l'empire de la législation impériale, le visa n'avait lieu que dans le cas où l'ouvrier quittait son domicile pour aller travailler dans une autre localité. D'après l'arrêté de novembre 1845, le visa va devenir obligatoire, chaque fois que, restant dans la même localité, l'ouvrier changera d'atelier. Ce visa devra être porté sur le livret dans les 48 heures du changement d'atelier.
L'ouvrier sera ainsi obligé de passer en allées et en venues auprès des administrations communales le temps qu'il devrait consacrer à son travail.
Nouvelle aggravation encore pour la possession du livret.
D'après la législation impériale, le livret ne devait être remis dans les mains du maître que quand le maître l'exigeait, et souvent le maître ne l'exigeait pas ; d'après l'arrêté royal, le dépôt du livret dans les mains du maître devient obligatoire. Le maître, dans tous les cas, reste dépositaire du livret en échange duquel il donne un simple récépissé à l'ouvrier.
Voyez maintenant la conséquence de l'abandon au maître du livret de l’ouvrier. C'est que celui-ci est livré à sa merci. Le maître, en retenant le livret, met l'ouvrier dans l'impossibilité de travailler, et partant dans l'impossibilité de vivre. Il suffira pour cela de la simple allégation d'un maître de mauvaise foi, pour être autorisé à retenir et à retenir indéfiniment le livret d'un ouvrier, c'est-à-dire pour le ruiner lui et sa famille, pour lui enlever son travail et ses ressources, et le jeter sur le pavé des rues comme un misérable vagabond !
Bien plus, quand le maître ne remplit pas les obligations qu'il a contractées, qu'il refuse, soit le salaire, soit le travail, et que l'ouvrier est son débiteur, le nouvel arrêté lui attribue une sorte d'hypothèque sur la personne et le travail de l'ouvrier. Le nouveau maître chez lequel il travaille est obligé de faire une retenue sur son salaire pour payer son créancier, et celle retenue on ne l'a pas même limitée aux 2/10 du salaire, ainsi que le faisait la législation impériale.
Voilà les droits des maîtres tels qu'il sont réglés par le nouvel arrêté royal.
Quelles sont maintenant les garanties de l'ouvrier ? Quels sont ses droits et ses ressources, quand le maître manque à ses engagements et qu'il refuse, par exemple, sans motif légitime, de rendre le livret de l'ouvrier ? C'est là évidemment un fait grave, un fait qu'on pourrait assimiler à un délit, car c'est un véritable délit, aux yeux de la morale du moins, de retenir, sans motif légitime, le livret d'un ouvrier ; c'est une sorte d'attentat contre son existence et celle de sa famille.
On aurait compris que pour un fait de cette gravité on eût réservé toutes les pénalités de l'arrêté royal ; eh bien, pour ce fait si grave, on se contente d'un simple renvoi devant la justice de paix ; il faut que l'ouvrier assigne le maître devant la justice de paix, qu'il fasse l'avance des frais de la procédure et qu'en attendant il reste sans travail et sans ressources, lui et sa famille. Pourra-t-il, du moins, espérer d'obtenir justice ? Non, si le maître est de mauvaise foi. Celui-ci en est cru sur sa parole. Toutes les preuves viennent se briser contre son affirmation. Tel est l'incroyable privilège attribue aux chefs d'industrie, par l'article 1781 du code civil !
L'ouvrier est donc ici, on peut le dire sans exagération, mis hors la loi commune.
Vous le voyez, messieurs, M. le ministre ne paraît pas avoir compris toute la gravité de la question et l'importance des intérêts et des difficultés auxquelles elle touche. Il y avait de nombreux problèmes à résoudre et d'importantes modifications à introduire, avant de prendre les mesures que M. le ministre me paraît avoir adoptées avec quelque légèreté.
Ce qu'il eût fallu d'abord, c'était modifier la loi de 1842, relative aux conseils de prud'hommes. Là était le moyen d'arriver sans trop de froissement et d'irritation au rétablissement des livrets. On ne s'est pas douté, paraît-il, en 1842, de l'importance de cette institution et des services qu'elle est appelée à rendre. On a commis alors deux fautes, qu'il me soit permis de le dire, qui finiront par paralyser tous les avantages de cette institution. On a rendu facultatif l'établissement des conseils de prud'hommes et on en a abandonné les frais et les charges aux administrations communales qui les réclameraient.
Qu'en est-il résulté ? C'est que les villes principales ont repoussé cette institution, et sont privées en ce moment encore de conseils de prud'hommes. Cette institution, cependant, avait un caractère d'urgence, elle eût protégé également les droits des maîtres et des ouvriers ; c'est surtout, en effet, un tribunal de conciliation, et c'est à ce titre de conciliation et de représentants naturels des maîtres et des ouvriers que les prud'hommes, partout où ils existent, terminent la plupart des différends et préviennent de déplorables conflits.
Voilà la mesure par laquelle il fallait commencer, avant d'établir des mesures de répression si sévères qui n'auront pas même pour effet d'atteindre le but que M. le ministre poursuit.
Le moment était venu aussi de se demander si le privilège accordé aux maîtres par l'article 1781 du code civil était bien conforme à nos idées d'égalité et aux exigences de notre régime constitutionnel. et si, comme je le pense, il viole le premier de tous les principes constitutionnels, l'égalité de tous les Belges devant la loi, ce qu'il fallait faire, c'était en provoquer l'abrogation.
Puis, pour populariser la mesure qu'on voulait prendre, que ne suivait-on l'exemple donné en 1840 à l'occasion du rétablissement des livrets des mineurs ? Alors on a eu la prudence de rattacher à cette mesure une institution protectrice et bienfaisante, celle d'une caisse de prévoyance pour les ouvriers mineurs, pour leurs veuves et leurs orphelins. C'était une mesure peu populaire que le rétablissement des livrets des mineurs ; cette tentative souvent avait amené des soulèvements et des rixes sanglantes dans le Hainaut. On a voulu calmer les passions en donnant aux ouvriers une preuve de la sollicitude sociale, et le rétablissement des livrets a été accepté. Pourquoi ne pas étendre et généraliser cette utile et féconde pensée d'une caisse de retraite et de prévoyance ? Pourquoi n'avoir point appelé toutes les classes ouvrières à participer aux mêmes avantages que les ouvriers mineurs ? C'eût été du moins une compensation aux mesures draconiennes que l'arrêté royal fait peser sur elles.
Il fallait encore, il fallait enfin, dans une occurrence aussi grave, intervenir avec justice et impartialité entre les deux classes de la société qu'il s'agissait de concilier.
Il ne suffisait donc pas de déterminer les devoirs des classes ouvrières, il eût fallu également déterminer quelques-uns des devoirs du maître ; car s'il y a des garanties à prendre contre l'abus que l'ouvrier peut faire de sa liberté, il y a aussi des garanties à prendre contre l'abus que le maître peut faire de sa domination. Ces abus ne sont que trop à craindre. Déjà l'honorable M. David, à l'une de nos dernières séances, a révélé l'un de ces abus les plus graves ; il a parlé d'industriels qui payent leurs ouvriers, non plus en numéraire, mais en marchandises ; ce fait est odieux, car c'est là véritablement retenir le salaire de l'ouvrier. Ce fait, l'honorable M. David l'a flétri, avec raison, de toute la chaleur de son indignation et de sa loyauté.
Qu'a fait le gouvernement ? Il a murmuré le mot d'enquête. Cette enquête a-t-elle été faite ?Quels en ont été les résultats ? Quand nous les communiquera-t-on ?
Je suis obligé, je dois le dire avec regret, je suis obligé, malgré toutes ses manifestations et malgré toutes ses déclarations, de déclarer que le gouvernement n'a rien fait jusqu'ici pour améliorer le sort de la classe ouvrière. Il n'a pas même présenté le projet de loi sur le travail des enfants dans les manufactures, qu'on avait annoncé, il y a trois ans, dans un discours de la Couronne. Et quand MM. les ministres veulent bien se rappeler l'existence des classes ouvrières, c'est, comme ils viennent de le faire dans l'arrêté royal que je critique, uniquement pour leur offrir en perspective des condamnations, des amendes et la honte de la captivité !
Me voici au terme des observations que j'avais à présenter ; à quelles conclusions arriver en terminant ? Viendrai-je demander à M. le ministre de retrancher de l'arrêté les dispositions illégales relatives à la pénalité et à la perturbation de l'ordre des juridictions ? Cette demande, je le reconnais, serait trop candide de ma part.
MM. les ministres ne nous ont pas habitués à une telle abnégation ; ils sont trop convaincus de leur infaillibilité pour jamais reconnaître leurs erreurs.
M. le ministre persistera donc dans les dispositions qu'il a prises, je le crains du moins ; mais, je l'espère aussi, le pouvoir judiciaire donnera ici au gouvernement une nouvelle leçon de légalité et d'indépendance. Si le gouvernement persiste à faire exécuter les dispositions de l'arrêté relatives à la pénalité et à la juridiction, les tribunaux n'hésiteront pas sans doute à décider que le gouvernement a outrepassé ses attributions, qu'il a violé la loi et que des dispositions illégales n'ont rien d'obligatoire.
Tout ce que je me permettrai donc de demander à M. le ministre, c'est qu'il veuille bien nous présenter des modifications reconnues nécessaires à la loi sur les prud'hommes. A cette occasion, l'on pourra régler quelques-uns des rapports qui doivent exister entre les chefs d'industrie et leurs ouvriers ; l'on pourra déterminer quelques-uns de leurs droits et de leurs devoirs réciproques, en les conciliant, autant que possible, avec la liberté du travail et des conventions. Ce sonl là, je le sais, des questions graves, délicates, irritantes peut-être ; mais l'on ne pourra toujours les ajourner cependant. Plus on en diffère l'examen, plus elles grandissent et plus elles se chargent d'embarras et de menaces. Si quelque danger, en effet, pouvait encore menacer notre ordre social, ce danger, il faudrait en aller chercher la cause dans le développement de deux faits malheureux, le malaise des classes ouvrières et la progression du paupérisme.
(page 441) M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - - L'honorable M. Castiau aurait désiré que les mesures relatives aux livrets eussent reçu une application plus générale, qu'on eût compris dans ces mesures des objets qui s'y rattachent sous certains rapports, telles que les modifications a la loi de 1842 sur les prud'hommes, et des dispositions relatives au contrat d'apprentissage. Effectivement ces questions méritent un sérieux examen.
Mais le gouvernement, sur les réclamations très vives de presque toutes les chambres de commerce, a cru devoir aller au plus pressé et remettre en vigueur les dispositions de l'arrêté des consuls du 9 frimaire an XI, relatives à l'organisation des livrets, dispositions tombées en désuétude.
Une commission mixte a été nommée ; elle a examiné avec soin toutes les questions relatives à la remise en vigueur des dispositions concernant les livrets d'ouvriers.
Cette commission avait proposé d'étendre les dispositions de l'arrête royal au contrat d'apprentissage. Mais c'est précisément pour que l'arrêté royal ne fût pas entaché d'illégalité que le gouvernement s'est borné à remettre en vigueur les mesures qui se rapportent aux livrets. La chambre sait que cette matière est réglée par la loi du 22 germinal an XI. Cette loi porte :
« La forme de ces livrets et les règles a suivre pour leur délivrance, leur tenue et leur renouvellement seront déterminées par le gouvernement de la manière prescrite par les règlements d'administration publique. »
C'est aux termes de cette disposition législative qu'a été pris l'arrêté des consuls du 9 frimaire an XI, et c'est en vertu de cette même disposition que le gouvernement a pris l'arrêté royal du 30 décembre 1840, relatif aux ouvriers mineurs, ainsi que l'arrête royal du 18 novembre 1845.
La légalité de cet arrêté ne pourrait donc être contestée, que si quelques-unes de ses dispositions dérogeaient formellement à la loi de germinal an XI.
Lorsque la commission a soumis son travail au gouvernement, le ministre qui a le commerce dans ses attributions, après l'avoir examiné, l'a transmis à M. le ministre de la justice, afin que la question de légalité fût examinée avec soin. Cette question a été résolue en faveur de l'arrêté royal.
Relativement à la pénalité, on a maintenu les dispositions pénales de l'arrêté du 9 frimaire, et on n'a fait qu'étendre ces pénalités en appliquant la loi du 6 mars 1818.
L'article 9 maintient l'ordre des juridictions.
Du reste, mon honorable collègue de la justice traitera d'une manière plus étendue que je ne pourrais le faire cette question spéciale de légalité.
J'ajouterai seulement quelques observations sur le fond.
J'ai la conviction, pour ma part, que la remise en vigueur des dispositions relatives aux livrets l'a été autant dans l'intérêt des ouvriers que dans l'intérêt même des maîtres. Elles donnent des garanties aux maîtres ; mais elles en donnent aux ouvriers. Les bons ouvriers ne se plaignent pas des inconvénients attachés à ces garanties. Il n'y a que les mauvais ouvriers qui peuvent s'en plaindre.
En effet, d'après l'arrêté royal, les livrets sont pour l'ouvrier une feuille de route, un témoignage de bonne conduite et souvent aussi une lettre de crédit sur laquelle des avances leur sont faites.
Cette mesure aura aussi pour effet d'empêcher l'embauchage des ouvriers, plus nuisible à ceux-ci qu'à leurs patrons.
La pénalité était nécessaire pour que la loi eût une sanction.
C'est parce que cette sanction manquait que la loi de germinal an XI est tombée en désuétude. Cette pénalité, en donnant une sanction à la loi, n'a fait que remettre en vigueur l'institution des livrets qui est aussi favorable aux maîtres qu'aux ouvriers.
Critiquer les pénalités et vouloir de l'institution des livrets, c'est une contradiction à laquelle il est impossible d'échapper.
Il ne faut pas oublier que, dans l'ordre des pénalités, le conseil des prud'hommes intervient en première ligne. L'honorable M. Castiau vient, avec raison, de qualifier ce tribunal de justice paternelle. Dans les conseils des prud'hommes, les ouvriers et les apprentis sont représentés. Cette institution donne toutes les garanties désirables aux ouvriers ; elle n'a donc nullement le caractère draconien dont on a parlé.
Cet arrêté royal, il faut bien le dire, a reçu l'approbation générale en Belgique ; cette réorganisation avait été réclamée par toutes les chambres de commerce. Les effets que l'arrête de 1840 sur les livrets des mineurs a produits seront aussi obtenus, je n'en doute pas, par l'arrêté du 19 novembre 1845.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je demanderai à la chambre la permission d'ajouter quelques mots à ce que vient de dire mon honorable collègue des affaires étrangères, pour répondre aux observations qui ont été faites contre la légalité de l'arrêté royal de novembre 1845.
L'honorable M. Castiau attaque cet arrêté de deux chefs : 1° sous le rapport de la pénalité ; 2° sous le rapport de l'ordre des juridictions qui, d'après l'honorable membre, aurait été violé.
Toute la question est de savoir si le gouvernement (abstraction faite de la pénalité) avait le droit de régler, par arrêté royal, l’exécution de la loi de germinal an XI ; car s'il avait ce droit, ce qui, je pense, ne peut être contesté, il avait ce droit aussi bien pour l'arrêté de novembre 1845, que pour l'arrêté de 1840, mentionné par l'honorable préopinant.
Messieurs, que cet arrêté ait été pris dans l'ordre des pouvoirs constitutionnels du gouvernement, cela ne me paraît pas pouvoir être mis en doute. La loi de germinal an XI, dont on vous a déjà fait connaître quelques articles, règle dans son titre III les obligations qui doivent exister entre les ouvriers et ceux qui les emploient. D'après les articles 9, 10 et 11 de cette loi il est défendu au maître de recevoir des ouvriers, sans que ces ouvriers soient munis de livrets. C'est assez dire que le gouvernement est en droit, pour amener l'exécution de cette loi, d'obliger les ouvriers à se munir de livrets ; n'est-ce pas, en effet, pour amener cette exécution que le gouvernement a pris des mesures de police, et des mesures réglementaires, et par une conséquence naturelle, a établi des peines contre ceux qui négligeraient de se soumettre aux obligations établies par l'arrêté.
Cet arrêté a ordonné aux ouvriers de se présenter devant le bourgmestre de la commune et a ordonné à ce fonctionnaire de leur délivrer un livret lorsqu'ils se trouvent dans les termes voulus pour l'obtenir, et si l'ouvrier se présente chez un maître sans être muni de cette pièce indispensable, l'arrêté de 1845 commine contre lui une peine.
Cette peine prononcée contre l'ouvrier est-elle illégale ? Car tout le raisonnement de l'honorable membre consiste à nier la légalité de l'arrêté à cause de la pénalité qu'il commine.
Messieurs, je dirai que, selon moi, l'article 23 de l'arrêté de 1845 était inutile. L'arrêté trouvait sa sanction dans la loi de 1818, abstraction faite de la mention qu'en a faite l'article 23, de même que l'arrêté de 1840 trouve sa sanction dans la loi de 1818, bien que cette loi n'y soit pas rappelée. Car les termes de la loi de 1818 sont généraux. Lorsqu'une mesure d'administration publique est prise sans qu'une pénalité soit créée, soit par l'arrêté lui-même, soit par une loi, ce sont les dispositions de la loi de 1818 qui sont applicables.
Il me paraît donc qu'à ce point de vue, il est impossible de contester la légalité de l'arrêté de 1845. Pour contester cette légalité, il faudrait établir que l'arrête de 1845 a violé la loi de l'an XI au lieu d'en assurer l'exécution, et qu'ainsi les nouvelles mesures décrétées sont contraires à l'esprit de cette loi ; je dis contraires à l'esprit de la loi, car l'exécution d'une loi nécessite toujours des mesures qui, sans ajouter à la loi, en assurent efficacement l'exécution.
Il me paraît donc qu'envisagée comme je viens de le faire, la question de légalité ne peut recevoir la solution que lui a donnée l'honorable M. Castiau.
Il est évident, messieurs, que le gouvernement, en introduisant l'article 23 dans son arrêté, n'a pu violer la loi, puisqu'il s'est borné à rappeler l'exécution de la loi de 1818
La solution que je donne à cette question entraîne nécessairement aussi la solution de la seconde difficultés qui a été soulevée par l'honorable M. Castiau, relativement à l'ordre des juridictions. Car dès qu'il est reconnu que les peines comminées par la loi de 1818 sont légalement applicables, il est, par une conséquence rigoureuse, nécessaire d'admettre que ces peines doivent être prononcées par les tribunaux correctionnels, les seuls qui puissent prononcer des peines allant jusqu'à 14 jours de détention.
Mais, comme vient de le faire observer M. le ministre des affaires étrangères, loin de troubler l'ordre des juridictions, on l'a scrupuleusement conservé ; mon honorable collègue vous a rappelé l'article 9 de l'arrêté, qui maintient d'une manière complète la juridiction des prud'hommes, si éminemment utile, si éminemment nécessaire en pareilles circonstances, et le cas échéant la juridiction des juges de paix, quand il n'y a pas de conseils de prud'hommes dans les villes où des contestations surgissent entre les ouvriers et les maîtres.
Messieurs, je ferai de plus observer que la loi de germinal an XI contient des dispositions qu'il était indispensable de mettre en rapport avec nos institutions actuelles.
L'article 19 porte : « Toutes les affaires de simple police entre les ouvriers et apprentis, les manufacturiers, fabricants et artisans, seront portées à Paris, devant le préfet de police, devant les commissaires généraux de police dans les villes où il y en a d'établis et, dans les autres lieux, devant le maire ou un des adjoints. »
Il est évident, messieurs, qu'aujourd'hui on ne peut plus porter devant les bourgmestres des contestations judiciaires ; il fallait donc bien modifier cette disposition et en la modifiant le gouvernement ne faisait que rendre la loi exécutable. Mais les dispositions de la loi de germinal an XI vont beaucoup plus loin :
L'article 19 ajoute : « § 2. Si l'affaire est du ressort des tribunaux de police correctionnelle ou criminelle, ils pourront ordonner l'arrestation provisoire des prévenus et les faire traduire devant le magistrat de sûreté, »
Ainsi la loi de germinal avait déjà prévu la possibilité de traduire les ouvriers devant les tribunaux correctionnels.
M. le ministre des affaires étrangères me paraît donc s'être scrupuleusement conformé à la loi ; il a poussé la précaution jusqu'à rappeler dans l'article 9 les juridictions établies par la loi.
L'arrêté de 1845 n'est, au reste, que la reproduction partielle de l'arrêté du 9 frimaire an XI. Or, il était indispensable d'apporter à cet arrêté certaines modifications qu'exigeait notre régime nouveau, et dès l'instant où des modifications y étaient apportées, ces modifications trouvaient leur sanction pénale dans la loi de 1818, même dans le silence que l'auteur de cet arrêté aurait gardé sur cette loi.
Ainsi, à moins de denier formellement au gouvernement le droit de modifier en aucune espèce de façon, l'arrêté du 9 frimaire an XII, pris en exécution de la loi de germinal, on doit reconnaître que le gouvernement usait d'un droit constitutionnel en invoquant, pour la disposition nouvelle, la sanction de la loi de 1808.
A l'occasion de la critique de l'arrêté de 1845, l'honorable M. Castiau a attaqué quelques points de nos lois civiles. Il a parlé notamment de l'article 1781 du Code civil, et il a prétendu que cette disposition devait disparaître ; que dorénavant le maître ne devrait plus être cru lorsqu'il s'agirait de la hauteur du salaire ou des gages des ouvriers.
(page 442) Je n'entrerai pas, messieurs, dans une discussion approfondie sur ce point. Je me permettrai seulement de faire remarquer que lorsqu'il s'agit du salaire et des gages des domestiques et des ouvriers on ne fait pas de contrat par écrit. Or il faut bien alors que quelqu'un soit cru sur son affirmation ; et je crois qu'il n'entre dans l'esprit de personne de vouloir modifier la disposition de telle sorte que ce soit à l'affirmation de l'ouvrier et non plus à celle du maître que l'on ajoute foi et confiance ; autrement je ne vois pas trop comment on pourrait modifier l'article cité par l'honorable préopinant.
Les conseils de prud'hommes, messieurs, comme vous le savez, sont déjà établis dans beaucoup de villes ; des institutions récentes ont eu lieu, et des que les villes en font la demande, le gouvernement se met en devoir d'y accéder. Dans les villes où ils sont établis, ces conseils fonctionnent d'une manière très satisfaisante et on n'a qu'à se louer des résultats obtenus.
Il me reste un mot à répondre à l'honorable préopinant relativement au travail des enfants dans les manufactures.
L'honorable membre dit que, dans un discours du trône, on avait annoncé un projet de loi sur cette matière. Je ne me rappelle pas, messieurs, dans quel discours du trône il a été parlé de ce projet, mais je puis donner à l'honorable M. Castiau l'assurance que l'enquête qu'il croit ne pas avoir eu lieu, a été faite avec le plus grand soin et que dans ce moment les deux départements de la justice et de l'intérieur examinent cette question avec toute l'attention qu'elle mérite. L'enquête est extrêmement volumineuse ; elle a été confiée à des hommes au talent et à l'habileté desquels l'honorable M. Castiau, j’en suis persuadé, est prêt à rendre hommage.
M. Castiau. - J'ai reçu, avec plaisir, l'assurance que vient de nous donner, en terminant, M. le ministre de la justice. L'instruction du projet de loi relatif au travail des enfants dans les manufactures, toucherait à son terme, et le projet ne tarderait pas à nous être soumis. J'appelle de tous mes vœux l'accomplissement de cette promesse. Elle n'a déjà subi que de trop longs retards. Il était d'autant plus permis de s'en étonner que cette question, qu'on trouve si difficile au ministère de la justice, a déjà été résolue dans les principaux pays qui nous environnent. Il est vraiment par trop humiliant pour la Belgique de devoir se traîner sans cesse à la queue de toutes les autres nations, quand il s'agit d'améliorations populaires. Faut-il donc renoncer pour jamais, dans ce pays, à toute pensée d'initiative et de progrès ?
La mesure que nous examinons, et à laquelle je reviens, ne nous prouve que trop, qu'au lieu d'améliorer la législation, le gouvernement ne pense guère qu'à en aggraver les dispositions. Aussi M. le ministre des affaires étrangères a-t-il voulu habilement déplacer la question de la légalité de l'arrêté royal du 10 novembre 1845, et la remplacer par l'examen même de l'institution des livrets. Je ne puis le suivre, en ce moment, sur ce terrain. Je n'ai pas à me prononcer ici sur cette question de l'utilité des livrets. J'ai seulement déclaré et je répète que, pour qu'une pareille institution fût vraiment utile, il faudrait que de nouvelles garanties fussent stipulées dans l'intérêt des classes ouvrières ; sous le régime actuel, et aussi longtemps qu'existeront tous les privilèges conférés aux maîtres par nos lois et nos arrêtés, si le maître est de mauvaise foi, l'ouvrier est complétement livré à sa merci ; il s'adresserait vainement aux tribunaux pour obtenir justice. Je crois l'avoir prouvé dans les premières observations que j'ai eu l'honneur de vous soumettre. Il est donc inutile d'y revenir.
Mais que ferez-vous ? me dit M. le ministre de la justice ; voulez-vous donc renverser les dispositions de la loi et transporter aux ouvriers le privilège de l'article 1781 du code civil que vous voulez enlever aux maîtres ? Je ne sais ce qui autorise M. le ministre à me prêter une pensée aussi absurde, quand je venais réclamer ici la déchéance des privilèges et l'égalité de toutes les classes de la société devant la loi. Non, je ne veux pas abandonner aux ouvriers le privilège que je conteste aux chefs d'industrie. Je demande pour eux tous la réciprocité des droits et des devoirs. Si l'on avait adopté l'idée la plus naturelle et la plus juste ; si, au lieu de déposer le livret dans les mains du maître, on l'avait fait tenir en double pour le laisser également à l'ouvrier, il eût été facile, dans ce cas, de constater d'une manière régulière et légale les engagements réciproques sur les salaires et les avances, sans être obligé de conserver au maître le privilège exorbitant d'en être cru sur son affirmation quand il comparaît en justice. Mais je laisse ces considérations accessoires pour me renfermer dans l'examen de la question spéciale que j'avais soulevée, celle de la légalité des mesures pénales prononcées par l'arrêté royal du 10 novembre.
M. le ministre, comptant justifier son initiative en cette occurrence, vous a lu l'article 13 de la loi de germinal an XI ; mais cette lecture est précisément la condamnation la plus formelle de l'abus de pouvoir qu'il a commis. Cet article trace les limites que le gouvernement devait respecter. Il pouvait prendre des mesures concernant la forme des livrets, leur délivrance, leur tenue et leur renouvellement, mais il ne pouvait aller au-delà. Il ne pouvait surtout changer la sanction et la pénalité que la loi elle-même avait établies. C'est cette transformation qui constitue toute l'illégalité que j'ai dénoncée.
C'est à la loi de 1818 qu'on en appelle. La loi du 3 mars 1818, me disent mes deux honorables adversaires, les ministres des allai' res étrangères et de la justice, nous autorisait, dans ce cas, à prononcer des pénalités spéciales. Je pourrais ici rappeler à mes adversaires que des doutes très graves ont été exprimés devant les tribunaux sur l'exécution de cette loi de 1818, sous l'empire de nos nouvelles institutions. La jurisprudence, si je ne me trompe, a hésité au moment de se prononcer sur cette question, et pourquoi ? C'est que les formalités imposées par la loi de 1818 ne peuvent plus être remplies en ce moment. Sous l'empire de cette loi, le pouvoir exécutif pouvait sans doute prononcer des pénalités d'amendes et d'emprisonnement, mais à quelle condition ? A la condition que les mesures seraient préalablement soumises à l'avis du conseil d'Etat. Cet avis était obligatoire. Cette formalité substantielle ne peut plus être remplie aujourd'hui. Dès lors on peut avec quelque fondement soutenir l'opinion que si le gouvernement peut prendre des mesures pour l'exécution des lois, il ne peut plus se prévaloir de la disposition de la loi de 1818 pour établir des pénalités.
Je l'admets, toutefois, ce droit d'établir des dispositions pénales, mais avec les réserves stipulées formellement dans l'article premier de la loi de 1818. Ces réserves formelles, c'est qu'il n'y ait pas ici de pénalités prononcées par la loi elle-même ; c'est, en un mot, que la loi n'ait pas elle-même stipulé la sanction qui devait en assurer l'exécution.
Ici reparaît donc dans toute sa force l'argumentation que j'ai eu l'honneur de vous soumettre et que mes honorables contradicteurs n'ont pas détruite. J'ai dit que la loi de germinal, sur les livrets, avait elle-même stipulé quelle serait sa sanction et quelle serait la pénalité pour les contraventions à des dispositions.
Il me suffit, messieurs, pour établir ce point décisif, de mettre sous vos yeux les dispositions des articles 10, 11 et 12 de cette loi :
« Art. 10. Le maître ne pourra, sous peine de dommages-intérêts, retenir l'apprenti au-delà de son temps, ni lui refuser un congé d'acquit, quand il aura rempli ses engagements.
« Les dommages-intérêts seront au moins du triple du prix des journées depuis la fin de l'apprentissage.
« Art. 11. Nul individu employant des ouvriers ne pourra recevoir un apprenti sans congé d'acquit, sous peine de dommages-intérêts envers son maître.
« Art. 12. Nul ne pourra, sous les mêmes peines, recevoir un ouvrier s'il n'est porteur d'un livret portant le certificat d'acquit de ses engagements délivré par celui de chez qu'il sort. »
Cette lecture tranche, ce me semble, le débat.
En présence de déclarations aussi précises et aussi énergiques, que deviennent les commentaires passablement subtils qu'on m’oppose ? N'est-il pas vrai, à l'évidence, que la loi de germinal avait elle-même réglé sa sanction, qui ne pouvait être modifiée ? N'est-il pas vrai qu'en changeant cette sanction et en bouleversant la pénalité de cette loi, le gouvernement l'a violée et qu'il a violé en même temps la loi de 1818 qui, encore une fois, ne l'autorisait à user du pouvoir répressif que dans le cas où la loi elle-même n'aurait pas déterminé la garantie de sa sanction et la pénalité pour les infractions à ses dispositions.
M. le ministre de la justice, pour justifier cette illégalité, s'est réfugié derrière le précédent posé en 1840, à l'occasion des livrets des mineurs. J'avais d'avance pressenti cette objection, et j'y avais répondu, ce me semble, en déclarant, qu'en 1840, au lieu de changer la sanction et la pénalité de la loi, on s'était scrupuleusement renfermé dans les limites de la loi sur les mines. En voulez-vous la preuve ? Voici l'article 13 de l'arrêté royal du 10 décembre 1840 :
« Les contraventions aux dispositions ci-dessus seront poursuivies et jugées, conformément au titre X de la loi du 21 avril 1810. »
C'est cet article qu'on aurait dû reproduire dans l'arrêté du 10 novembre 1845, et c'est cet exemple que j'aurais voulu voir suivre en cette circonstance par le gouvernement. Ce qu'il devait faire, c'était de s’en référer pour les pénalités à la loi organique des livrets, celle de germinal an XI.
Cette pénalité était insuffisante, a dit M. le ministre des affaires étrangères. Mais, est-ce donc à lui qu'il appartient de décider cette question ? Qui donc a le droit de se prononcer sur le caractère des pénalités et de les aggraver en cas d'insuffisance ? Le pouvoir législatif, et le pouvoir législatif seul, ce me semble. A toutes les violations de la légalité, se joint donc ici une violation de la Constitution elle-même ; car c'est la Constitution qui a déterminé les attributions de chacun des pouvoirs et qui a déposé dans nos mains le pouvoir législatif. Le laisserez-vous enlever, messieurs, et consentirez-vous que cette atteinte à vos prérogatives reste impunie et entraîne à sa suite de nouvelles usurpations et de nouvelles illégalités ?
J'ai donc le droit de maintenir toutes mes observations. Je répète que la loi de germinal an XI a été violée dans son esprit et dans son texte ; je répète qu'on a modifié la sanction de cette loi et la pénalité qu'elle déterminait ; je répète qu'on a violé et bouleversé en même temps l'ordre des juridictions ; je répète que le résultat de ce changement, c'est de faire retomber illégalement sur les classes ouvrières des pénalités d'amende, d'emprisonnement et de contrainte par corps, tellement sévères et tellement odieuses, qu'elles ne méritent que trop l'appellation de mesures draconiennes, que je leur ai donnée dans mes premières observations.
Un mot encore avant de terminer. MM. les ministres se sont joints aux éloges que j'avais adressés à l'institution des prud'hommes. Ils reconnaissent tous les services que cette institution est appelée à rendre. Mais alors pourquoi la laisser dans l'état d'impuissance dans lequel elle se débat ? Pourquoi ne pas en faire une institution d'ordre public ? Pourquoi ne pas la rendre obligatoire et générale, en se hâtant de l'introduire dans toutes nos villes manufacturières ?
Sous l'influence de la loi actuelle, cette institution est frappée d'impuissance et menacée de mort. En laissant les conseils communaux maîtres de l'utiliser et en mettant en même temps à leur charge les frais qu'elle entraîne, c'est, je l'ai dit déjà, les engager à repousser d'avance une institution qu'il faudrait étendre sur le pays tout entier.
Qu'est-il résulté de ce vice radical de notre législation ? C'est que la plupart de nos villes manufacturières ont repoussé cette institution. Je ne pense (page 443) pas même qu'il existe un conseil de prud'hommes à Gand, à Liège, à Verviers, dans nos principaux centres d'industrie enfin. N'est-ce pas là un spectacle déplorable ?
Il est, je le sais, une honorable exception à cette indifférence presque générale pour la plus utile des institutions ; cette exception, c'est la petite ville de Roulers qui nous l'a donnée. Je l'en félicite de tout mon cœur ; j'applaudis de toutes mes forces à ce bon exemple ; mais sera-t-il suivi par toutes nos autres localités industrielles ?
J'en doute, car pour cela il faudrait, dans l'état actuel des choses, une sorte de dévouement de la part des conseils communaux qui consentiraient spontanément à accepter la charge de cette institution. Et ce n'est pas sur le dévouement des hommes que nous devons compter pour amener le développement, et la perpétuité des institutions utiles que nous avons la prétention de fonder.
C'est donc à la loi à intervenir, avec sa toute puissance, pour assurer les destinées des conseils des prud'hommes. Cette institution prend chaque jour un nouveau degré d'importance et d'utilité ; seule, peut-être, elle parviendrait à prévenir les conflits si graves et st alarmants qu'on voit éclater aux époques de malaise entre les chefs d'industrie et les classes ouvrières.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable membre ne conteste pas la légalité de l'arrêté de 1845, abstraction faite de l'article 23 ; il reconnaît que toutes les autres dispositions sont à l'abri du reproche d'illégalité qu'il n'adresse, je le répète, qu'à l'art. 23. Eh bien, messieurs, je trouve dans ce grief ainsi restreint la justification complète de l'article 23 lui-même.
L'arrêté de 1845 est une mesure d'administration générale prise pour assurer l'exécution de la loi. Pour faire considérer cet arrête comme illégal, il faudrait attaquer les mesures qu'il prescrit pour assurer l'exécution de la loi, et c'est ce que l'honorable M. Castiau n'a point fait ; il a seulement attaqué les pénalités que commine cet arrêté et qui ne sont que la conséquence des mesures dont je viens de parler.
Maintenant l'honorable M. Castiau demande s'il est permis au gouvernement d'établir des pénalités alors que la loi de germinal an XI en établissait déjà elle-même. Je n'hésite pas à déclarer que la où la loi a établi des pénalités, un arrêté ne peut pas en établir d'autres pour les mêmes infractions.
Mais je prie l'honorable M. Castiau de m'indiquer dans la loi de germinal une disposition qui commine une peine contre les ouvriers qui ne sont pas munis d'un livret. Il n'y a aucune peine relative à cet objet.
M. Castiau. - Lisez l'article 12.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'article 12 de la loi porte :
« Nul ne pourra, sous les mêmes peines, recevoir un ouvrier, s'il n'est porteur d’un livret portant le certificat d'acquit de ses engagements délivre par celui de chez qui il sort. »
Je ferai observer d'abord que le mot peine est ici un mot impropre parce que les dommages-intérêts ne sont pas une peine. Du reste, j'abandonne cet argument, et je veux bien admettre que les dommages-intérêts sont une peine ; je demande à l'honorable M. Castiau qui m'a rappelé l'article 12, je lui demande, à mon tour, s'il trouve dans l'article 12 une peine contre l'ouvrier. Or, du moment qu'aucune peine n'était comminée contre l'ouvrier non muni de livret, alors que le gouvernement avait la faculté d'obliger un ouvrier a en prendre un, et d'en déterminer les formes, il est évident que l'ouvrier est passible de la peine établie par la loi de 1818, même abstraction faite de l'article 23, s'il ne se. conforme pas à cette injonction.
Je ne conçois pas comment on pourrait trouver dans l'article 12 la répression d'un fait qui n'a été établi comme délit que par l'arrêté de 1845 ; en ce qui concerne les ouvriers, les tribunaux et les maîtres étaient désarmés sous l'empire de la loi de germinal an XI : on établissait bien pour le maître la défense de recevoir l'ouvrier lorsqu'il n'était pas muni d'un livret ; mais l'ouvrier pouvait se présenter non muni d'un livret, sans qu'il y eût une peine comminée contre lui. Or, c'est pour combler cette lacune que l'arrêté de 1845 a été porté.
L'honorable M. Castiau ne m'a pas compris, lorsque j'ai parle de l'arrêté de 1840 ; je n'ai pas dit que l'arrête de 1840 rappelait à la loi de 1818, mais j'ai dit que l'arrêté de 1840, malgré le silence qu'il conserve sur la loi de 1818, trouvait sa sanction dans cette loi. Il y a dans l'arrêté de 1840 des faits qui ne sont pas prévus par la loi de 1810 sur les mines, et ces faits trouvent leur sanction dans la loi de 1818. Du moment qu'une mesure d'administration générale ne trouve pas sa sanction spéciale dans une loi ou dans l'arrêté même, on a droit d'invoquer la disposition de la loi de 1818.
L'honorable M. Castiau m'a dit que j'avais reconnu moi-même que le gouvernement avait trouble l'ordre des juridictions.
Selon l’honorable membre, aux termes de la loi de germinal an XI, c'étaient les juges de paix qui devaient connaître des difficultés relatives à cette matière ; non, messieurs, d’après l'article 19, ce n'étaient pas les juges de paix qui devaient connaître de ces difficultés, c'étaient les commissaires généraux de police ou les mains et adjoints dans les villes où il n'y avait pas de semblables fonctionnaires. Or, il n'est pas possible, sous l'empire de nos institutions actuelles, de laisser un semblable pouvoir aux bourgmestres, la Constitution mettant tous les pouvoirs, quant aux affaires contentieuses, entre les mains de l'autorité judiciaire.
M. Dumortier. - Messieurs, la question qui a été soulevée par mon honorable collègue et ami, M. Castiau, est d'une très haute gravité. Dans l'arrêté qui vous a été dénoncé, messieurs, on a constitué en délit l'absence d'un livret chez les ouvriers. D'un autre côté, les peines comminées contre les ouvriers qui se rendent coupables de ce nouveau délit, passent toutes les bornes de la modération. Comment ! un ouvrier, pour n'être pas muni d'un livret, sera condamné à une amende de 200 francs ou à l'emprisonnement ! Mais, qu'on y réfléchisse donc, condamner l'ouvrier à une amende de 200 francs, c'est le condamner à l’emprisonnement perpétuel. Où est l'ouvrier qui trouvera 200 francs pour payer l'amende ? Je dis que cette disposition est immorale, inhumaine, et que la peine est tout à fait hors de proportion avec le délit.
D'un autre côté, on traduit en police correctionnelle les ouvriers qui n'auront pas de livret. Mais, de grâce, qu'on réfléchisse encore une fois à ce qui va arriver : autrefois, l'ouvrier qui n'avait pas de livret, était traduit devant le maire ; mais maintenait vous allez le forcer à aller à une distance de quinze lieues peut-être ; mais pendant son absence, que feront sa femme et ses enfants ?
Il n'y a, je le répète, aucune espèce de proportion entre le fait de l'absence d'un livret chez l'ouvrier et les pénalités qui sont comminées par l'arrêté royal, et les mesures qu'on prend pour l'exécution de ces peines.
Il est un point qui m'a vivement frappé, lorsque l'arrêté a paru : le dernier article de l'arrêté porte que la mesure sera mise à exécution au plus tard le 1er mars 1846.
Vous vous le rappelez tous, messieurs, lorsque l'arrêté de 1840, relatif aux ouvriers mineurs, a paru, le gouvernement provincial du Hainaut a eu, les plus grandes peines du monde pour mettre cet arrêté à exécution ; vous savez qu'on a dû aller jusqu'au point d'envoyer de l'artillerie dans le Borinage.
J'espère bien que le nouvel arrêté n'amènera pas de pareilles conséquences. Mais quand doit-on mettre à exécution l'arrêté de 1845 qui concerne tous les ouvriers de la Belgique ? Au 1er mars, prochain, c'est-à-dire, à une époque où les ouvriers seront dans la plus grande détresse, au point de vue de leur nourriture ; on va donc compliquer cette situation grave par une difficulté nouvelle ! C'est la plus grande maladresse que le gouvernement pût commettre. Comment ! dans un moment où les ouvriers seront portés par la misère à commettre des actions répréhensibles et punissables, vous allez leur donner un nouveau motif de mécontentement ? C'est une faute extrêmement blâmable.
Je ne puis assez blâmer ce défaut de discernement qui ajoute inutilement de nouvelles difficultés aux difficultés déjà si grandes de la situation, il est vivement à désirer que le gouvernement porte un remède à cet état de choses, et qu'il retarde de plusieurs mois l'exécution de son arrêté.
Quant aux pénalités, je pense, avec mon honorable ami, M. Castiau, qu'elles sont monstrueuses dans l'espèce, qu'elles ne sont nullement en relation avec le fait qu'on veut atteindre. Je ne sais pas d'ailleurs comment on peut considérer comme délit, le fait que l'ouvrier n'est pas muni d'un livret. Et l'on punit ce fait d'une amende de 200 fr. ou d'un emprisonnement ! Cela est réellement monstrueux. D'ailleurs, l'exécution de l'arrêté sera une source d'embarras pour le gouvernement ; du reste, il l'a cherchée, et il en subira les conséquences.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je n'ai qu'un mot à répondre à l'honorable M. Dumortier, qui trouve que les peines sont exorbitantes, et qu'on a mal choisi le moment pour faire exécuter le nouvel arrêté.
Messieurs, si l'arrêté de 1845 n'avait pas été pris, nous resterions sons l'empire de l'arrêté du 9 frimaire an XII. Or, voici les pénalités établies par cet arrêté.
« Art.5. Indépendamment de l'exécution de la loi sur les passeports, l'ouvrier sera tenu de faire viser son dernier congé par le maire ou son adjoint, et de faire indiquer le lieu où il se propose de se rendre.
« Tout ouvrier qui voyagerait sans être muni d'un livret ainsi visé sera réputé vagabond, et pourra être arrêté et puni comme tel. »
Ainsi, tout ouvrier qui sera trouvé hors de son domicile, sans être muni de son livret peut, en vertu de cet arrêté, être arrêté provisoirement comme vagabond et puni comme tel...
M. Dumortier. - S'il reste chez lui !
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - S'il reste chez lui et qu'il ne travaille pas, il n'aura pas besoin de livret.
Quoi qu'il en soit, il y avait dans l'arrêté de frimaire an XII cette disposition qu'on peut effectivement considérer comme exorbitante, et qui consisterait à regarder comme vagabond l'ouvrier qui, ayant même un livret, aurait été dans une autre localité, sans être muni de ce livret. Je ne comprends pas comment on peut qualifier de draconienne une mesure substituée à un arrêté qui contenait une disposition aussi sévère.
M. Verhaegen. - Messieurs, je n'ai à présenter qu'une seule observation ; elle vous prouvera, je crois, que mon honorable ami M. Castiau avait raison, lorsqu'il disait que l'arrête dénoncé était illégal.
M. le ministre de la justice s'est borné, en réponse à l'objection de l'honorable M. Castiau à dire que la loi de l'an XI n'a pas comminé de peine contre l'ouvrier et qu'ainsi le gouvernement, en prenant une mesure d'intérêt général pour assurer l'exécution de la loi, a pu établir une peine, soit une amende, soit un emprisonnement, dans les limites de la loi de 1818.
Mais, messieurs, avant de parler de peine à prononcer contre l'ouvrier, il s'agit d'examiner tout d'abord si d'après la loi de l'an XI, le fait de ne pas être muni d'un livret est considéré dans le chef de l'ouvrier comme un délit ou une contravention.
Or, M. le ministre de la justice, en répondant à M. Castiau, a démontré que la loi de l'an XI s'est uniquement occupée des maîtres, qu'il les a déclarés passibles de dommages-intérêts s'ils acceptent des ouvriers non munis de, livret et que, quant aux ouvriers mêmes, il a gardé le silence ; donc le gouvernement en imputant aux ouvriers certains faits à délit ou à contravention (page 444) qui ne leur étaient pas imputés comme tels par la loi dont il prétend assurer l'exécution, a substitué sa volonté à celle du législateur et, poussé l'illégalité jusqu'à punir un fait que la loi n'avait pas puni. C'est bien là un système tout à fait nouveau créé par arrêté avec des peines et une juridiction toutes spéciales.
En deux mots, dans le système de la loi de l'an XI, c'est au maître seul que s'est adressé le législateur : il lui a fait défense de recevoir aucun ouvrier non muni d'un livret, sous peine de dommages-intérêts ; quant à l'ouvrier lui-même, il ne s'en est pas occupé et il ne devait pas s'en occuper, car celui-là sera suffisamment puni par le défaut de travail, par le refus des maîtres de l'accepter. Ainsi, encore une fois, le gouvernement, en incriminant par son arrêté le fait de l'ouvrier non incriminé par la loi, en comminant contre ce fait des peines et en établissant, pour en faire l'application, une juridiction spéciale, a commis une illégalité, je dirai même une inconstitutionnalité ; aussi, comme l'a fort bien dit mon honorable ami M. Castiau, les tribunaux refuseront d'appliquer cet arrêté inconstitutionnel et illégal, car l’article 106 de la Constitution leur en fait un devoir impérieux.
M. de Roo. - Messieurs, comme nous avons besoin de débouchés pour celles de nos industries qui sont le plus en souffrance, notamment celle des toiles, je demanderai quelques renseignements à M. le ministre des affaires étrangères. Je ne parierai pas de la convention avec la France ; j'espère que M. le ministre aura su écarter le désastreux amendement de Lespaul et l'interprétation qui détruisait l'économie de la convention, et introduire une disposition favorable relativement à l'ancienne industrie qui est de nature à faire le moins d'ombrage à la France.
Je parlerai de la convention avec l'Espagne. Il y a quatre ans que nous avons voté la convention avec l'Espagne ; elle n'a pas encore été ratifiée. Le tarif espagnol contient la plus grande injustice à noire égard, car il se perçoit sur des évaluations doubles de la valeur réelle de nos fabricats.
Je ne citerai qu'un exemple relativement à nos toiles à carreaux, que j'emprunterai à un auteur espagnol. Le droit sur ces toiles, en Espagne, est de 25 p. c. Sur une évaluation arbitraire de tarif espagnol, qui porte la valeur sur nos toiles à carreaux à 1,406 réaux de vellon par quintal d'Espagne ou 46 kil., donc par quintal, 266 réaux.
A ajouter un tiers pour l'importation par pavillon belge, 122 réaux
Ensemble, 488 réaux.
A ajouter encore un tiers de droit de consommation, 162 réaux
Plus, 6 p. c. pour droit d'octroi, 50 réaux
Total, 690 réaux.
Pour établir la valeur du quintal, il faut prendre 200 vares d'Espagne ou 245 mètres de nos tissus, valant 664 réaux, prix de fabrique.
C'est ainsi que l'a établi don Ramonde la Sagra, dans son rapport au ministère espagnol, sur l'exposition belge de 1841.
Il résulte évidemment de ces faits que, sur une valeur de fabrique de 664 réaux ou 176 fr. 28 c, l'Espagne perçoit un droit de 690 réaux ou 186 fr. 28 c, soit 104 p. c. environ de la valeur.
L'Espagne laisse ainsi subsister ces hauts droits et la Belgique reste dupe de ses droits minimes, établis sur les provenances d'Espagne.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L'honorable membre sait que le traité qu'on a appelé le traité Olozaga n'a pas encore été ratifié par les cortès espagnoles. Les circonstances politiques dans lesquelles le gouvernement espagnol s'est trouvé placé expliquent la non ratification de ce traité, malgré les instances du gouvernement belge pour obtenir qu'il fût ratifié.
Je ne sais si le gouvernement a encore intérêt à demander la ratification du traité Olozaga, car dans cette convention la réduction de droit stipulée est basée sur les chiffres du tarif actuel qui sont excessivement élevés, eu égard à la manière d'évaluer les objets sur lesquels ils portent. Chacun sait que le gouvernement espagnol est sur le point de modifier essentiellement son tarif de douane. Il eût fallu substituer une base nouvelle à l'application des droits dans la convention pour que les réductions fussent proportionnelles aux chiffres du nouveau tarif.
Le gouvernement n'ignore pas l'importance qu'il y a pour l'industrie linière à reconquérir le marché espagnol, il ne néglige aucun effort pour y parvenir. Notre envoyé à Madrid a repris les négociations qui du reste n'ont jamais été interrompues ; elles seront poursuivies avec toute la vigueur nécessaire et en rapport avec l'intérêt que nous avons à rétablir nos relations commerciales avec l'Espagne.
M. de Haerne. - Je crois aussi que ce n'est pas le cas d'insister sur la ratification de la convention Olozaga ; car comme vient de le dire M. le ministre des affaires étrangères, les évaluations sur lesquelles repose cette convention sont exagérées ; elles le sont même d'une manière exorbitante, au point que les valeurs de nos produits sont portées au triple, ce qui fait que souvent le droit équivaut à 75 p. c, comme l'a dit l'honorable M. de Roo. Je pense donc qu'en demandant la ratification du traité Olozaga, nous nous mettrions dans des conditions plus mauvaises que celles où se trouveront les nations nos rivales en industrie linière, quand l'Espagne adoptera un nouveau tarif, tarif dont ou s'occupe peut-être en ce moment.
Je saisirai cette occasion pour recommander à M. le ministre de donner des instructions, pour qu'après l'adoption d'un tarif générai plus modéré que le tarif actuel, on puisse au moyen d'un traité obtenir les faveurs auxquelles nous pouvons prétendre en faisant de notre côte certaines concessions. De cette manière, nous pourrions avoir une faveur différentielle à l'égard d'autres nations.
Nous pourrions ainsi arriver non seulement sur le marché de l'Espagne, mais encore sur celui plus considérable de Cuba.
Puisque j'ai la parole, j'adresserai une autre demande à M. le ministre des affaires étrangères.
A la session précédente, plusieurs pétitions ont été adressées à la chambre pour demander une élévation de droits sur les fils de soie retors pour la couture et la passementerie. Je crois que les pétitionnaires qui appartiennent à la ville d'Anvers et à celle de Courtrai étaient dans leur droit. En effet, toute industrie a droit à une protection équitable quand la protection est admise en principe ; on ne peut pas abandonner une industrie qui fait de grands efforts pour soutenir la concurrence avec l'étranger. La protection que demande l'industrie dont il s'agit n'est pas exagérée, elle est telle que peu d'industries s'en contenteraient, elle se réduit à 6 p.c. de la valeur. Comme vous voyez, elle est aussi modérée que possible.
Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s'il pourra bientôt donner suite à la demande de cette industrie sur laquelle, à plusieurs reprises, un rapport favorable a été fait par la commission des pétitions.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Cette question viendra en son temps quand il s'agira de convertir en loi l'arrêté du 14 juillet. La chambre verra s'il faut étendre à d'autres objets la protection donnée aux articles compris dans cet arrêté.
La question soulevée par l'honorable M. de Haerne concerne nos relations avec la France, l'Allemagne et la Suisse.
C'est assez dire qu'elle doit être traitée avec circonspection.
M. de Haerne. - Je sais que l'objet dont je viens de parler concerne nos relations avec la France, l'Allemagne et la Suisse. Mais je ferai remarquer que les pétitionnaires ont consenti à ce qu'une exception fût faite en faveur de la France et du Zollverein, à cause des relations que nous avons avec ces pays. Pour les autres Etats, comme il s'agit d'un droit minime de 6 p. c, je crois qu'il n'y a pas de raisons à faire valoir ; sans cela nous serions dans l'impossibilité de protéger notre industrie contre la concurrence étrangère. L'exception à l'égard de la France et de l'Allemagne, puisque les pétitionnaires eux-mêmes la demandent, on peut l'admettre ; mais de ce que cet article nous vient de France et d'Allemagne, ce n'est pas une raison pour ne pas protéger notre industrie contre la concurrence des autres pays qui le fabriquent aussi et avec lesquels nous avons peu de relations commerciales.
M. Eloy de Burdinne. - Puisqu'il s'agit de douanes, je ferai une observation qui se rattache à cette matière.
Nous sommes en progrès relativement aux primes que nous accordons à la pêche nationale. Le chiffre est augmenté de 5,000 fr. Je vois par les développements du budget qu'on pêche plus aujourd'hui qu'autrefois. La somme affectée aux primes a dû être augmentée.
Je demanderai à M. le ministre s'il n'y aurait pas moyen d'encourager la pêche nationale autrement que par des subsides ; car si nous adoptons le système des primes pour encourager l'industrie, il n'y a pas de raison pour ne pas en accorder à toutes les autres industries ; nous sommes en droit de vous en demander.
Ne pourrions-nous pas, en établissant des droits plus élevés sur le poisson étranger, donner à notre pêche une protection telle qu'elle ne trouverait plus sur notre marché la concurrence du poisson étranger ?
En jetant les yeux sur le tarif des douanes, on voit que le poisson frais étranger de mer ne paye que 10 francs. Le tarif français frappe le poisson frais étranger d'un droit de 40 francs par navire français et d'un droit de 44 francs par navire étranger, soit taux moyen 42 francs. Au lieu de ce droit que l'on paye en France, en Belgique on paye seulement : pour la morue 25 francs ; pour le hareng 12 francs 50 centimes, et pour le stockvish 32 centimes. En élevant le droit au même taux qu'en France, on favoriserait nos pêcheurs sans grever le trésor, qui est alimenté par les contribuables. C'est un moyen de faire tourner le droit au profil de la généralité et de le mettre à la charge de l'étranger, du consommateur. Ce qui, selon moi, est infiniment plus juste que de faire payer des impôts, dans le but d'abaisser le prix des produits au profil du consommateur. J'appelle l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur ces observations.
Nous ne devons pas avoir deux poids et deux mesures. Si nous accordons des primes à la pêche, nous devons en accorder à toutes les autres industries. Toutes les industries doivent être sœurs. Il est injuste d'accorder à l'une et de ne pas accorder à l'autre.
M. Desmet. - L'article dont a parlé tout à l'heure l'honorable M. de Haerne est le fil de soie. Je suppose qu'il s'agit du fil tors, et non du fil simple ; car le fil simple est pour nous une matière première depuis que le tissage de la soie se fait dans le pays.
Puisque l'on s'occupe des modifications à apporter au tarif actuel, je demande que l'on ait égard aux réclamations des tisserands en soie, relatives à cet article.
A cette occasion, je rappellerai que la commission d'industrie avait propose des modifications au tarif, qui sont restées dans les cartons parce que l'honorable prédécesseur de M. le ministre des affaires étrangères a déclaré qu'il s'occupait d'un travail général. Mais je ferai remarquer que les propositions émanées du gouvernement ne comprennent pas d'augmentation de droits sur les pianos et sur les houblons, augmentation nécessaire et qui a été proposée par la commission d'industrie.
M. Donny. - L'honorable M. Eloy de Burdinne propose un système tout nouveau. Il voudrait supprimer les primes accordées à la pêche nationale, et, en compensation de cette suppression, il voudrait que l'on établît des droits très élevés, équivalant à des droits prohibitifs, sur l'importation (page 445) du poisson étranger. Mais l'abolition des primes serait une mesure fort imprudente, qui compromettrait le sort de la pêche nationale. Cela doit paraître évident à tous ceux qui connaissent les mesures que l'on prend dans les autres pays pour protéger la pêche. En France, il y a un droit prohibitif, un droit de 40 fr. comme l'a dit l'honorable membre. Néanmoins, malgré cette prohibition, malgré l'immense étendue du marché de la France, ce pays est obligé, pour maintenir sa pêche nationale, de lui accorder des primes.
En Hollande, où il y a, non pas des droits élevés, mais prohibition complète du poisson de mer étranger, il y a encore des primes.
En Angleterre, il y a également des prohibitions et des primes.
Il y en a partout où l'on veut posséder une pèche nationale. La raison en est fort simple. La pêche est une industrie aléatoire. Les armateurs sont soumis à des frais certains, inévitables, tandis que le produit de la pêche est incertain : souvent même, il y a perte pour eux.
Si le gouvernement cessait d'accorder des primes à cette industrie, elle cesserait d'exister ; car on ne trouverait plus d'armateurs.
M. de Roo.- En réponse à ce qu'a dit l'honorable ministre des affaires étrangères, je dois faire remarquer que la convention faite avec l'Espagne comprend un article qui nous assure le traitement des nations les plus favorisées. Si donc les droits ont été abaissés au profit de l'une ou l'autre puissance, ce n'est pas un motif pour ne pas ratifier la convention. Au contraire ; car la même faveur nous est acquise de plein droit, aux termes de cette convention.
M. Mast de Vries. - La pêche nationale se trouve protégée en Belgique par un droit de 12 p. c. Indépendamment de cela, elle reçoit des primes.
L'honorable M. Eloy de Burdinne voudrait que l'on augmentât le droit à l'entrée du poisson étranger. Mais depuis que nous avons fait la loi sur la pêche (je regrette beaucoup que nous ayons porté cette loi, à l'élaboration de laquelle, j'en conviens, j'ai pris part en qualité de rapporteur), partout on se plaint de la rareté du poisson. Dans toutes les localités on se plaint de ce que le poisson, par suite de sa rareté, est inaccessible non seulement pour le pauvre, mais encore pour la classe moyenne.
Lorsque toutes les denrées alimentaires sont à des prix aussi élevés, est-il nécessaire d'augmenter, par une élévation de droits, le prix du poisson ? Je regrette que toutes les propositions que fait l'honorable M. Eloy de Burdinne concernent les subsistances.
Remarquez d'ailleurs qu'à la différence de la Hollande et de l'Angleterre qui prohibent le poisson étranger, le poisson est un objet de nécessité dans notre pays où tous professent la religion catholique. Ainsi, au lieu d'augmenter le droit, il serait à désirer qu'd fût diminué.
M. Rodenbach. - Depuis qu'un accorde des primes à la pêche nationale et qu'on a augmenté le droit sur le poisson étranger, la pêche est devenue plus prospère. Mais l'honorable préopinant vient de dire que le poisson est extrêmement cher, et qu'il faudrait diminuer les droits d'entrée. Je ne le pense pas. En effet, il nous vient encore beaucoup de poisson de l'étranger. La Hollande en introduit annuellement pour 750,000 fr. La cherté du poisson ne provient pas de là. Ce sont les impôts locaux qui augmentent considérablement le prix du poisson. Ainsi, à Bruxelles le poisson de mer frais paye un droit de 15 p. c. à la valeur, indépendamment du droit de minque, qui est assez élevé, et qui rapporte annuellement à la ville de Bruxelles 20,500 fr. C'est là qu'est le mal. Il en est de même pour beaucoup de comestibles ; par exemple, pour la viande, qui se vend à la campagne 40 c. le demi-kilog., et dont le prix s'élève à Bruxelles jusqu’à 63 c, par suite de l'élévation excessive des droits d'octroi.
Je recommande d'autant plus ces objets à l'attention du gouvernement, qu'il n'a pas encore approuvé le budget de la ville de Bruxelles, qui comprend les droits dont je viens de parler.
M. Donny. - L'honorable M. Mast de Vries a bien tort de regretter la part qu'il a prise à la législation sur la pêche, et d'attribuer à cette législation la rareté du poisson. Avant l'état actuel des choses, il y avait tantôt rareté, tantôt abondance de poisson. Aujourd'hui, il y a également tantôt rareté, tantôt abondance. Cela est si vrai que l'honorable membre aura vu, il y a peu de jours encore, qu'il nous est arrivé tout d'un coup de très fortes quantités de poisson frais, au point que le schelvisch s'est vendu à vil prix.
D'où vient, messieurs, ce double état de choses, la rareté du poisson avant la loi dont on se plaint, l'abondance depuis cette loi ? Il vient de la nature même de la pêche. Le poisson est abondant et en Belgique et en Hollande et en France, lorsque le temps est favorable à la pêche. Le poisson est rare chez nos voisins comme chez nous, lorsque le temps est défavorable. La loi n'y fait absolument rien, et ce qui le prouve, c'est que, comme vous l'a fait remarquer l'honorable M. Rodenbach, malgré le droit de 12 francs par 100 kil., il est entré beaucoup de poisson frais en Belgique, et il continue encore à en arriver tous les jours.
Quant au prix, il est certain, et je suis prêt à en administrer la preuve quand on le voudra, qu'il y a une différence immense entre le prix que les pêcheurs retirent du produit de leur pêche et le prix que paye le consommateur,
Cela provient de ce que les droits de ville sont trop élevés et de ce que les marchands de poissons s'entendent pour se créer un monopole et font payer aux consommateurs considérablement plus que ce qu'ils payent eux-mêmes.
Du reste, messieurs, je crois que le moment de discuter la question n'est rien moins qu'opportun et je me bornerai à ces courtes observations.
M. Osy ( pour une motion d'ordre ). - Messieurs, je crois qu'il serait convenable de ne pas continuer la discussion qu'a soulevée l'honorable M. Eloy de Burdinne. Vous savez que dans ce moment un gouvernement voisin réclame contre votre tarif. Dès lors vous sentez que M. le ministre des affaires étrangères ne peut prendre la parole dans cette circonstance. Nous aurons d'ailleurs à nous occuper bientôt des modifications proposées au tarif des douanes, c'est alors que nous pourrons discuter utilement cette grave question.
Je propose donc à la chambre de clore la discussion sur la pêche nationale.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je n'ai pas demandé que M. le ministre des affaires étrangères répondît immédiatement à mon interpellation. J'ai seulement voulu soumettre à la chambre une idée que je crois autant dans l'intérêt des pêcheurs que des consommateurs, et surtout dans l'intérêt des contribuables.
- La motion de M. Osy est mise aux voix et adoptée.
Personne ne demandant plus la parole dans la discussion générale du chapitre VI, cette discussion est close.
« Art. 1er. Ecoles de navigation : fr. 16,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Chambres de commerce : fr. 12,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Frais divers et encouragements au commerce : fr, 23,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Encouragements pour la navigation à vapeur, ainsi que pour la navigation à voiles : fr. 115,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Primes pour la construction de navires : fr. 35,000. »
- Adopté.
« Art. 7. Pêche nationale : fr. 100,000. »
- Adopté.
« Article unique. Missions extraordinaires, traitements d'agents politiques et consulaires en inactivité, et dépenses imprévues : fr. 40,000. »
- Adopté.
M. Mast de Vries. - Messieurs, avant que nous passions au vote sur l'ensemble du budget, j'ai une observation à faire.
Il y a deux ans, l'honorable M. Nothomb, ayant alors le commerce dans ses attributions, a fait distribuer aux membres de la chambre un tarif comparé comprenant, outre le tarif belge, le tarif prussien, le tarif français et, je crois, le tarif américain. Ce document est de la plus haute importance et de la plus grande utilité pour les membres de la chambre, et surtout pour les personnes qui s'occupent des affaires commerciales. Mais vous sentez que cette importance et cette utilité viennent aujourd'hui à disparaître parce que des modifications ont été apportées tant au tarif belge qu'aux tarifs étrangers.
Je demanderai donc à M. le ministre des affaires étrangères, s'il ne serait pas possible que le gouvernement publiât tous les ans un feuillet sur lequel se trouveraient les modifications qu'ont subies les tarifs pendant l'année. De cette manière le document dont j'ai parlé, conserverait toute son importance, et la somme considérable qu'il a coûté, ne serait pas perdue.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je crois effectivement que, pour que ce document conserve toute son utilité, il faudrait publier tous les ans les modifications apportées aux tarifs.
M. Rogier. - Il était convenu qu'il en serait ainsi.
M. le président. - Deux amendements ont été apportés au premier vote.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je m'y rallie.
M. le président. - En ce cas la chambre entend-elle passer immédiatement au vote définitif ? (Oui ! oui !)
- Les amendements apportés à l'article 2 du chapitre premier et à l'article 9 du chapitre II, sont définitivement adoptés.
La chambre passe à la discussion du projet de loi :
« Art. 1er. Le budget du département des affaires étrangères, pour l'exercice 1846, est fixé à la somme de 1,324,300 fr., conformément au tableau ci-annexé. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
Personne ne demandant la parole, ces deux articles sont adoptés.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget.
65 membres répondent à l'appel nominal.
61 votent l'adoption.
4 votent le rejet.
En conséquence, le budget est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont voté l'adoption : MM. Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Zoude, Biebuyck, Brabant, Clep, d'Anethan, David, de Bonne, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, d'Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Donny, Dubus ainé, Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Liedts, (page 446) Loos, Lys, Manilius, Mast do Vries, Mercier, Orban, Orts, Osy, Pirmez et Rodenbach.
Ont voté le rejet : MM. Castiau, Delehaye, Delfosse et de Tornaco.
M. de Tornaco fait le rapport sur les pétitions suivantes : « Quelques habitants de Stevoort demandent que la recette des contributions directes et accises qui se trouve dans cette commune ne soit pas supprimée. »
Ordre du jour.
- Adopté.
M. de Tornaco, rapporteur. - « Le sieur Wauters demande que l'exploitation de la cantine à la salle d'attente à Malines soit mise en adjudication. »
Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. de Tornaco, rapporteur. - « Le sieur Bricoux offre de faire connaître au gouvernement le moyen d'empêcher les waggons de sortir des rails, si la chambre veut exempter son fils Charles du service militaire. »
Ordre du jour.
- Adopté.
M. de Tornaco, rapporteur. - « Le sieur Marchand demande que l'église à construire à Bauffe soit bâtie à l'emplacement de l'ancienne église ou sur un terrain communal. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
Plusieurs membres. - L'ordre du jour.
D’autres membres. - L'église est bâtie.
M. Dumortier. - Je ne pense pas, messieurs, qu'on puisse renvoyer cette pétition à M. le ministre de la justice. Il est à ma connaissance que l'église de Bauffe a été construite principalement à l'aide des sommes dues à la générosité d'un honorable membre de cette chambre, estimé de tous. D'ailleurs la chambre n'est pas un bureau destiné à transmettre des pétitions aux ministres.
M. de Tornaco, rapporteur. - Je ne m'oppose pas à ce que la chambre passe à l'ordre du jour, mais je dois dire que la commission ignorait ce qui s'est passé. Cette pétition était déjà très ancienne lorsque j'ai été chargé de faire le rapport.
- L'ordre du jour est mis aux voix et adopté.
M. de Tornaco, rapporteur. - « Le sieur Perroux, pâtissier-traiteur à Bouillon, né à Châteaudun (France), demande d'être dispensé du droit d'enregistrement auquel sera soumise sa naturalisation ordinaire. »
Renvoi à M. le ministre des finances.
- Adopté.
La séance est levée à 4 heures et 1/4.