(page 1663) (Présidence de M. d’Hoffschmidt)
M. Huveners fait l’appel nominal à 11 heures et quart.
M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse des pétitions adressées à la chambre :
« Le sieur Callens, blessé de septembre, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir un secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par divers messages, en date du 7 mai, le séant informe la chambre qu’il a pris en considération 24 demandes de naturalisation ordinaire et qu’il a rejeté celle du sieur J.-M. Loos. »
- Pris pour notification.
« Par dépêche, en date du 7 mai, M. le ministre des finances adresse à la chambre des explications sur une pétition des habitants de Wardin, qui réclament contre la perception du droit d’entrée sur les bois provenant des propriétés qu’ils possèdent sur la frontière du Grand-Duché. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. Savart-Martel, retenu chez lui, par la mort de son fils, demande un congé de quelques jours.
- Ce congé est accordé.
M. Zoude, rapporteur – « Les sieurs Vander Elst, ingénieurs civils, auteurs des projets de chemins de fer de Mons à Ath et Tournay, demandent que, dans le projet de loi relatif à la concession de ces chemins de fer, il soit inséré une disposition qui maintienne leurs droits à la concurrence pour obtenir la concession et qui, en cas d’éviction, règle l’indemnité à laquelle ils ont droit. »
Les pétitionnaires font connaître qu’ils sont les auteurs des chemins de fer de Mons à Ath et d’Ath à Tournay.
Ils le prouvent en disant que leurs projets, présentés en 1836, furent soumis à une commission d’enquête nommée par arrêté ministériel en 1837 ; que cette commission fit son rapport au gouvernement en mai 1838, que ces projets sont les mêmes que ceux dont l’exécution est concédée à la société Mackenzie, que, dès lors, ils ont droit à l’indemnité fixée par les arrêtés royaux.
Votre commission à l’honneur de proposer le renvoi de cette pétition au département des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur – « Le sieur Chenaye et consorts prient la chambre de décider que le contrat passé avec la société Mackenzie, pour l’exécution des chemins de fer de Tournai à Jurbise et de St-Trond à Hasselt, sera soumis à une adjudication publique. »
Les pétitionnaires exposent à la chambre qu’ils sont les auteurs de la proposition de chemin de fer d’Hasselt ; ils prétendent le prouver par les rapports qu’ils ont eus avec M. le ministre des travaux publics, par les divers propositions qui leur auraient été faites et qu’ils auraient acceptées, que cependant la concession a été accordée à la compagnie Mackenzie ; en présence de ces faits, les pétitionnaires prient la chambre d’ordonner que l’entreprise de cette route soit mise en adjudication publique, aux termes des engagements pris envers eux.
Mais la chambre ayant ratifié cette convention et ne pouvant se déjuger, votre commission estime qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette pétition. Cependant comme il pourrait se faire que le gouvernement aurait stipulé une indemnité, ou prit un autre arrangement avec Mackenzie, dans l’intérêt des pétitionnaires, votre commission croit devoir vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics.
- Les conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur –« Plusieurs habitants de la Boverie, Froidmont et Vennes demandent la rectification du lit de la Meuse en amont du pont de la Boverie et l’endiguement de leur île du côté de la Meuse. »
Les pétitionnaires exposent à la chambre que la localité qu’ils habitent forme une espèce d’île entre la Meuse et l’Ourthe, qui, moins élevée que les autres parties de la ville de Liége, les expose à de fréquentes inondations ; que le danger s’est accru depuis la construction du pont du chemin de fer au Val-Benoît qui dirige les eaux vers les prairies de la Boverie où elles ont déjà creusé des excavations profondes, ce qui leur inspire la crainte qu’à la première débâcle des glaces, leurs terres ne soient enlevées jusqu’au gravier et ne leur laissent que le spectacle d’une dévastation complète
Les pétitionnaires indiquent le moyen de prévenir tous ces maux ; c’est pourquoi votre commission a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Rogier – Le 21 décembre dernier, la chambre a renvoyé, avec demande d’un prompt rapport, une pétition de plusieurs habitants de Bruxelles, Renaix et autres villes, signalant la triste situation de quelques familles belges dans la colonie de Santo-Thomas et demandant le concours de la législature pour y porter remède. Cette pétition fut jugée assez importante pour être renvoyée, avec demande d’un prompt rapport. Depuis, plusieurs autres pétitions vous sont arrivées ayant le même objet ; elles ont été également renvoyées à la commission. Je désirerais savoir pourquoi un prompt rapport n’a pas été fait.
M. Zoude – J’ai examiné attentivement le volumineux dossier relatif à la colonie de Santo-Thomas. Les pièces de ce dossier sont si nombreuses et si étendues que la commission a cru devoir ajourner son rapport jusqu’au retour du major Guillaumot, trouvant prudent de ne pas émettre d’opinion sur son administration avant de l’avoir entendu.
M. Rogier – La commission n’a pas fait de rapport sur les pétitions dont je viens de parler, parce que, dit M. le rapporteur, le dossier était trop volumineux. Mais ces pétitions sont très-courtes, et il n’y a pas eu de dossier renvoyé à la commission. C’est sur ces pétitions qu’un rapport a été demandé dès le 21 décembre. Si la commission avait résolu de se livrer à un long travail ou d’attendre le retour du major Guillaumot pour se prononcer, elle aurait dû au moins faire un rapport provisoire quelconque.
Si j’insiste auprès de M. le rapporteur, c’est que ma demande se lie aux interpellations que je dois adresser à M. le ministre de l’intérieur.
M. Zoude – La commission n’a pas voulu agir avec légèreté, mais s’entourer, avant de se prononcer, de tous les renseignements. Ceux qu’elle a receuillis sont très-considérables, les pièces sont très-volumineuses, nous avons dû les examiner avec beaucoup d’attention. J’ai déclaré à la commission que je ne pouvais pas présenter un rapport. Nous avons cru politique, quand il s’agissait d’envoyer un nouveau gouverneur, de ne pas présenter un rapport qui pourrait faire croire qu’on avait condamné le major Guillaumot sans l’avoir entendu, et influer sur le sort de la colonie en compromettant peut-être l’action du nouveau gouverneur.
M. Rogier – Il n’était pas question de cela, mais de se prononcer pour ou contre les réclamations de malheureux qui, encouragés par le gouvernement, se sont rendus dans la colonie de Santo-Thomas.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est ce que nous nions.
M. Rogier – C’est sur ces plaintes que la chambre a voulu que la commission des pétitions présentât un prompt rapport.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il s’agissait, avant tout, d’après cette pétition, d’examiner si les plaintes qui sont faites doivent porter sur l’administration du major Guillaumot. C’est ce que soutiennent les auteurs de la pétition ; ils vous dénoncent, en faisant l’éloge de l’établissement, une mortalité extrêmement considérable ; ils l’attribuent à la mauvaise administration du directeur colonial. Les défenseurs du major disent qu’il faut attribuer cette mortalité au climat et surtout au choix de l’emplacement colonial. Ce sont des faits qu’il faut éclaircir. Je dois donc de nouveau protester contre les dernières paroles de l’honorable membre, qui prétend que c’est par suite du concours, je dirai presque de l’excitation, du gouvernement que des colons se sont rendus à Santo-Thomas. Je proteste contre cette allégation et je m’en réfère aux explications étendues que j’ai données à la chambre.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – J’ai l’honneur de présenter à la chambre un projet de loi qui a pour objet de régler le service et le contrôle de la caisse d’amortissement et de la caisse des dépôts et consignations. A moins que la chambre ne le désire, je m’abstiendrai de donner lecture du projet qui est assez long, ainsi que de l’exposé des motifs, qui contient des explications sur chaque disposition et notamment sur de nouvelles attributions déférées à la caisse des dépôts et consignations.
Plusieurs voix - L’impression ! l’impression !
M. le président – Il est donné à M. le ministre des finances acte de la présentation du projet de loi qu’il vient de faire connaître.
Le projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimées et distribués.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je demande que le projet soit renvoyé à la section centrale qui a examiné le projet de loi de comptabilité générale de l’Etat. Il y a beaucoup d’analogie entre ce projet et celui que je viens de présenter. C’est pour ce motif que je fais la proposition de le soumettre à l’examen de la section centrale du projet de loi de comptabilité.
M. de Garcia – Le projet qui vient d’être présenté ne sera pas distribué dans le cours de cette session. Partant, il n’y a nulle raison d’urgence de le renvoyer à une commission spéciale. Mais il y en a pour le renvoyer en sections. Pour des projets de cette importance, je désire qu’ils subissent l’épreuve des sections qui est la plus fructueuse. Parmi les membres de cette chambre, il y en a beaucoup qui aiment à s’instruire aux lumières de leurs collègues. Je suis du nombre. J’ai remarqué que les projets renvoyés aux commissions et aux sections centrales constituées en commission spéciale ont le désavantage de n’être pas connus complètement des membres qui n’en font pas partie, et sont en outre privés des observations judicieuses que peuvent porter à l’examen de ces lois les membres de cette chambre qui participent aux travaux des sections. Je demande donc qu’on renvoie aux sections de l’année prochaine le projet actuel.
(page 1664) M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne m’opposerai pas à la motion de l’honorable M. de Garcia, mais quand les moment sera venu, je demanderai que les deux sections centrales se réunissent, parce que la section centrale qui a examiné la loi de comptabilité, s’est livrée à de longues études, et que ces deux lois doivent être en corrélation.
- Le renvoi aux sections est ordonné.
M. Delehaye – J’ai demandé la parole pour rectifier une erreur qui s’est glissée dans le compte rendu du Moniteur, relativement à la décision de la chambre sur une proposition de M. Lejeune. M. Lejeune avait demandé que les considérants du projet de loi conférant la grande naturalisation au sieur Behaghel fussent retranchés.
Le Moniteur porte que cette proposition a été admise, tandis qu’elle a été rejetée par la chambre.
Je demande que cette erreur soit rectifiée.
M. Lejeune – J’ai aussi une réclamation à faire. Hier, quand on a voté la loi concernant la naturalisation des Limbourgeois et des Luxembourgeois qui ont négligé de faire la déclaration prescrite par la loi de 1839, je me suis abstenu, parce que je n’était pas suffisamment préparé pour discuter ce projet et que je ne trouvais pas d’inconvénient à l’ajourner à la session prochaine. Je répète ces motifs pour relever et rectifier ainsi l’erreur qui s’est glissée au Moniteur. Si j’avais voulu que la loi fût rejetée, comme on me le fait dire, je n’aurais pas hésité à voter contre cette loi.
M. le président – Les rectifications auront lieu (La copie transmise au Moniteur portait les deux erreurs qui sont signalées)
M. Rogier – Pour ne pas avoir à revenir sur la question que je viens de soulever et pour ménager les moments de la chambre, je demande à compléter les observations que j’ai annoncées.
M. de Garcia – L’ordre du jour ! l’ordre du jour !
M. Rogier – Je demande que la chambre statue sur ma proposition. J’ai annoncé hier l’intention d’adresser des interpellations au gouvernement.
On n’y a pas fait d’opposition, veut-on en faire aujourd’hui ? je promets de ne pas être long.
M. de Garcia – Je ne demande pas la parole pour combattre le fonds de la proposition que pourra faire l’honorable M. Rogier, je ne la connais pas, mais pour engager la chambre à maintenir son ordre du jour, afin de ne pas retarder une discussion que nous désirons aborder le plus-tôt possible. En introduisant, par motion d’ordre, des discussions incidentielles, l’on renverse l’ordre du jour fixé par la chambre. C’est pour ce motif que je m’oppose à la discussion soulevée par l’honorable M. Rogier. Une autre considération me conduit encore à m’opposer à cette discussion ; il est possible que la chambre veuille se séparer demain, et ainsi il pourrait arriver qu’on négligeât des objets urgents, pour des intérêts dont l’urgence n’est pas démontrée.
Je n’ai jamais considéré la colonisation du Guatemala, comme une affaire de l’Etat, et la position prise par le gouvernement à ce sujet n’a jamais été à mes yeux qu’une position de protection.
Plusieurs voix – C‘est le fond !
M. de Garcia – C’est vrai ! Je m’arrête ! Et je termine en demandant qu’on ne change pas l’ordre du jour, et qu’on s’occupe incontinent du premier objet à l’ordre du jour, le chemin de fer de Namur à Liége.
M. Rogier – Les observations de l’honorable M. de Garcia auraient dû être faites hier, quand j’ai annoncé que j’adresserais des interpellations au gouvernement avant la fin de la session. L’honorable membre dit que la question n’est pas opportune. S’il avait lu une correspondance de l’Observateur ce matin, il aurait vu qu’il y a opportunité. Je me serais peut-être abstenu, vu la disposition des esprits, de soulever cette question ; mais ce document, joint à mes informations particulières sur la situation de la colonie de Santo-Thomas, me détermine à insister pour obtenir des explications positives de la part du cabinet.
On a beau dire qu’il n’y a pas eu concours, de la part du ministère, qu’il s’agit d’une affaire privée ; c’est inexact. Le gouvernement a stimulé, encouragé, patronné les émigrations ; et quand des malheureux ainsi entraînés se plaignent de la situation dans laquelle on les a jetés, la chambre a le devoir d’intervenir.
M. de Garcia aura le chemin de fer de Namur,il n’a pas à en douter, la chambre ne se séparera pas avant de l’avoir voté. Mais voici ce que je crains, c’est qu’une fois en possession de son chemin de fer, chacun ne se hâte de partir et n’oublie des concitoyens au secours desquels on doit venir. M. le ministre de l’intérieur ne s’oppose-t-il pas à la discussion ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne m’y oppose pas, parce que, si je m’y opposais, on supposerait que je crains ces interpellations. Je n’ai pas là le journal qu’on vient de citer. J’ignore donc encore les faits dont on parle.
Du reste, la position que le gouvernement a prise dans cette affaire, il la conservera, malgré toutes les tentatives que l’on pourrait faire.
Si la chambre veut se prêter à ce qu’une discussion soit soulevée, je l’accepte. Cette discussion peut être imprudente ; on persiste à présenter cette affaire aux yeux des populations et aux yeux des tiers qui peuvent avoir contracté avec la compagnie, comme étant autre chose qu’une affaire privée. Je protesterai toujours contre ce caractère que l’on veut donner à cette entreprise.
Du reste, je le répète, si l’on veut une discussion (Non ! non ! non ) je ne m’y oppose pas.
M. Rogier – Il ne s’agit pas d’une discussion. Je suis en droit d’adresser des interpellations au gouvernement. Je les avait annoncées hier, et on ne s’y était pas opposé. Si, aujourd’hui, on m’empêche de les faire, c’est un déni de justice pour les pétitionnaires et pour moi.
M. de Garcia – Je le répète, je ne m’oppose pas aux interpellations de l’honorable M. Rogier, et je le lui déclare franchement. Mais je ne veux pas que l’on change l’ordre du jour, parce que, selon moi, les objets qui s’y trouvent sont plus importants dans l’intérêt de la chose publique que la discussion que l’on veut y intercaler.
L’honorable M. Rogier vient de vous dire le motif qui le dirige, c’est qu’il craint que la chambre ne se trouve plus en nombre. Eh bien, moi, messieurs, je crains que la chambre ne sont plus en nombre après samedi, et je craindrais qu’en interrompant la discussion on ne laissât sans décision des questions beaucoup plus importantes et beaucoup plus utiles aux intérêts nationaux que celle du Guatemala.
Je propose donc l’ordre du jour.
- La chambre consultée décide qu’elle passe à l’ordre du jour.
M. Osy – Messieurs, l’honorable ministre des affaires étrangères nous a présenté, il y a peu de jours un projet relatif au tarif des consuls. Par son projet M. le ministre des affaires étrangères nous demandait de pouvoir fixer par arrêté ce tarif. Comme il nous sera impossible de nous occuper de ce projet pendant cette session, je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères de vouloir le retirer au commencement de la session prochaine, et de nous soumettre enfin le tarif consulaire promis depuis longtemps. M. le ministre aura le temps de préparer ce travail ; le motif qu’il donnait pour demander l’autorisation de fixer le tarif par arrêté royal, n’existera plus Je demande à M. le ministre des affaires étrangères s’il croit pouvoir satisfaire à ma demande.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – C’est une question que j’examinerai dans l’intervalle des sessions.
M. le président – M. le ministre se rallie-t-il aux modifications proposées par la commission ?
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Oui, M. le président.
M. Sigart – Dans l’esprit du gouvernement et dans l’esprit de la section centrale, la pensée qui a dicté le projet que nous discutons est une pensée d’ensemble. Cette pensée d’ensemble, il serait facile de la réaliser, si une seule compagnie avait été chargée de l’exécution de tous les travaux. Mais il y a plusieurs compagnies. Si par hasard quelqu’une de ces compagnies n’exécutait pas les travaux dont elle est chargée, je demanderai au gouvernement ce qui arriverait. Est-ce que le gouvernement se chargerait, soit par lui-même, soit par d’autres, de l’exécution des travaux ? S’emparerait-il du cautionnement pour faire exécuter les travaux projetés ? Quelle garantie enfin le gouvernement peut-il nous présenter ?
Je n’ai qu’un enthousiasme fort modéré pour la combinaison qui nous a été soumise, cependant, je ne lui refuserai pas mon vote, si je reçois du ministre une réponse satisfaisante.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Les garanties que le gouvernement possède, il les trouve d’abord dans les renseignements qu’il a été de son devoir de prendre sur le caractère sérieux des compagnies ; en second lieu, dans la responsabilité personnelle des capitalistes qui se sont engagés ; en troisième lieu, dans le cautionnement considérable qui doit être versé préalablement à la signature de la convention ; puis dans les premiers versements qui doivent s’opérer avant même les expropriations des terrains, avant le commencement des travaux. Si, contre toute prévoyance et contrairement à tout ce qui s’est passé en Angleterre, une compagnie après avoir commencé les travaux venait à les abandonner, eh bien, le gouvernement pourrait d’abord exercer son recours contre les capitalistes qui se sont engagés personnellement ; il aurait en sa possession les cautionnements versés, et les premiers versements qui auraient été opérés. Je suppose que les travaux à exécuter se montent, dans leur ensemble, à une valeur de 110 millions ; eh bien, le dixième de cette somme sera versé à titre de cautionnement préalable ; un autre dixième sera payé à titre de premier versement, avant le commencement des travaux ; voilà donc 20 millions qui seront versés avant même qu’on puisse mettre la main à l’œuvre ; ensuite une troisième somme d’un dixième sera versée, lorsque les travaux seront commencés, c’est-à-dire dans les trois ou quatre premiers mois qui vont courir. Ainsi, après le commencement des travaux, le gouvernement aura en sa possession 30 millions de fonds versés, et de plus les ouvrages exécutés. Si maintenant il arrivait que la compagnie, avant l’exécution totale de son entreprise, se trouvât tout à coup dans une position tellement fâcheuse, qu’il lui fût impossible de continuer les travaux, malgré son intérêt de ne pas abandonner des capitaux aussi considérables ; eh bien, le gouvernement serait nanti d’un fonds de 30 millions de francs, qui formerait un subside considérable, soit pour mettre ces entreprises en adjudication, soit pour les exécuter pour le compte de l’Etat, s’il le jugeait convenable.
M. Sigart – Est-ce que les cautionnements sont versés ?
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Oui.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, déjà dans une séance précédente, je me suis prononcé contre l’établissement de toute ligne de voie ferrée, disposée parallèlement avec celles de l’Etat ; je me suis prononcé surtout contre la concession de lignes semblables, et j’ai déclaré que, si une (page 1665) ligne parallèle à celle de l’Etat est indispensable, elle ne pouvait être exécutée que par le gouvernement, afin de rester conséquent avec le système du 1er mai 1834.
Le motif en est fort simple.
Après avoir imposé au trésor une charge de 160 millions, vous penserez sans doute, comme moi, comme notre devoir est de ne pas atténuer les produits, qui doivent être le contre-poids de cette grande dépense.
Nous avons établi primitivement la grande ligne qui réunit la mer au Rhin.
Nous avons ensuite voté une ligne vers la France, qui se rattache, à Bruxelles, à la grande artère de nos chemins de fer, ou qui au moins devrait s’y rattacher, car pour le moment il existe à Bruxelles une solution de continuité, que l’ingénieur Desart estime à 45 kilomètres dans son rapport sur le chemin de fer de Jurbise, à cause de la perte de temps.
Dans la situation présente, tous les voyageurs qui veulent emprunter nos chemins de fer pour passer d’Angleterre et de France en Allemagne, doivent faire usage exclusivement du railway de l’Etat.
D’après le projet de loi que l’on nous propose, nous abandonnerions, en partie au moins, à l’industrie privée une grande ligne établie de Calais par Lille et Liége, et de Paris par St-Quentin et Maubeuge également à Liége.
Nous abandonnerions ainsi, en partie, à des compagnies tout le mouvement du nord de la France vers l’Allemagne, au détriment du chemin de fer de l’Etat.
En présence d’une proposition d’une aussi grande portée, je ne conçois pas, messieurs, que l’exposé des motifs du gouvernement puisse donner aux projets, qu’il nous a soumis, le caractère d’affluents pour le chemin de fer de l’Etat. Ce que j’entends, moi, par affluent, c’est une ligne en quelque sorte perpendiculaire à une autre plus importante ; mais une ligne parallèle ne peut être envisagée comme un affluent ; la ligne parallèle et la ligne perpendiculaires sont exclusives. Au reste le gouvernement a paru le reconnaître lui-même, car il reconnaît un peu plus loin,aux pages 2 et 3 de son exposé, que cette voie (il entend parler de l’ensemble des voies en discussion aujourd’hui) tend à établir une communication en ligne presque droite des frontières de France aux frontières de Prusse et l’on se demandera, ajoute le gouvernement, si ces projets ne renferment pas le principe d’une décentralisation dommageable aux intérêts du trésor de l’Etat.
Messieurs, le gouvernement a fait, quant aux distances, des calculs de Mouscrion à Liége ; quant à moi, je prendrai Quiévrain pour point de départ. Quiévrain est en effet le point convergent des voyageurs qui arrivent de France pour se rendre en Belgique et en Allemagne.
La distance de la station de Quiévrain à Liége, d’après l’exposé des motifs même du gouvernement, est de 199 kilomètres, en ne comptant que 5 kilomètres pour la solution de continuité à Bruxelles ; mais, comme cette solution de continuité, d’après les ingénieurs même du gouvernement, doit être estimée à 45 kilomètres, la distance qui sépare Quiévrain de Liége, par Bruxelles, est de 239 kilomètres, tandis que, par la nouvelle ligne qu’il s’agit de concéder, il n’y a que 169 kilomètres de la station de Quiévrain à Liége ; il y aurait donc en plus par Bruxelles 70 kilomètres.
Maintenant, la section centrale vous propose encore un nouveau chemin de fer ; c’est un chemin de fer de Marchienne-au-Pont à la frontière de France par la vallée de la Sambre. D’après une note explicative de M. le ministre des travaux publics, il semblerait qu’en votant ce chemin de fer nous ne ferions autre chose que d’accorder une faveur aux produits de l’arrondissement de Charleroy ; mais, messieurs, ce petit bout de chemin de fer a une toute autre importance. D’après des renseignements qui me sont venus de Maubeuge, il y a 5 ou 6 jours, des ingénieurs anglais parcourent l’intervalle qui sépare Maubeuge de la grande voie ferrée de Paris à Valenciennes. Ils relèvent le pays qui sépare Saint-Quentin de Maubeuge, et une compagnie se propose d’établir un chemin de fer, qui se raccorderait ensuite au petit bout de chemin de fer que la section centrale nous propose. Il résulterait donc de ce chemin de fer que, non-seulement, tout le nord de la France préférerait la nouvelle ligne pour se diriger vers l’Allemagne, mais que le mouvement de Paris même, vers Cologne, vers les eaux, où les étrangers se portent en si grand nombre dans certains saisons de l’année, que ce mouvement aurait lieu par le nouveau chemin de fer qui nous est proposé.
Il est donc, messieurs, clair comme le jour pour quiconque veut envisager ces projets avec impartialité sans songer à des intérêts secondaires, que les projets en discussion tendent à établir une grande ligne en concurrence avec celle de l’Etat.
Mais voyons quels sont les motifs que donne le gouvernement pour nous rassurer. D’après lui, la ligne de Mons à Manage sera une ligne exclusivement industrielle ; elle sera construite avec des rampes fortes, les courbes seront d’un petit rayon. Ce sont là des obstacles à ce que les trains qui circuleront sur cette voie, ne marchent pas à grande vitesse.
D’ailleurs, messieurs, qui est-ce qui nous assure que la voie sera exécutée dans les conditions indiquées par le gouvernement ? Est-il écrit dans la loi, que les courbes seront aussi fortes, que les rampes seront aussi rapides ? Et, en supposant que l’on exécute les travaux de cette manière, qui est-ce qui nous garantit que, dans quelques années, l’on ne rendra pas les courbes et les rampes moins fortes ? Mais je suis convaincu, quant à moi, que lorsque le gouvernement sera en présence d’une compagnie puissante il n’aura pas la force de s’y opposer.
Ensuite, messieurs, afin de détourner les voyageurs de la nouvelle ligne, que dit M. le ministre des travaux publics ? Il leur réserve des désagréments de toute espèce ; il y aura défaut de coïncidences pour les heures d’arrivée et de départ ; il y aura de nombreux changements de convois ; mais, messieurs, si les compagnies pouvaient supposer que le gouvernement sera à même de solliciter de semblables obstacles à leurs intérêts, croyez-vous qu’elles mettraient tant d’empressement à demander la concession ? Je répondrai moi, que les compagnies comptent sur un très-grand mouvement de voyageurs, qu’elles feront tout ce qui sera possible pour attirer ce mouvement, et que le gouvernement sera dans l’impossibilité de les empêcher d’employer tous les moyens imaginables pour rendre leur chemin de fer aussi productif que possible. Lorsque cette ligne sera bien organisée, et elle le sera, car le gouvernement sera dans l’impossibilité de s’y opposer, je le répète, lorsque cette ligne sera bien organisée, et elle le sera, cette ligne sera très-suivie et les voyageurs entre l’Angleterre et l’Allemagne prendront également cette route. Déjà le gouvernement français a décrété un chemin de fer de Calais à Lille. On va me dire que les voyageurs anglais auront plus court d’aller par Ostende que d’aller par Calais. Je conviens que la distance d’Ostende à Cologne, par la voie ferrée, est moins longue que celle de Calais à Cologne, mais on ne songe pas que le bras de mer qui séparer Douvres d’Ostende est beaucoup plus large que celui qui sépare Douvres de Calais. La plupart des membres de la chambre, qui ont voyagé sur mer savent combien ces trajets sont pénibles et désagréables, qu’on y éprouve un mal que tout le monde cherche à éviter et que l’on aime infiniment mieux faire 20 à 30 lieues de plus par le chemin de fer, que de prolonger le mal de mer pendant 2 ou 3 heures. Le gouvernement nous a dit encore, messieurs : « Mais le mouvement est très peu important entre les points éloignés ; il n’a d’importance qu’entre les points plus rapprochés ; cela est établi par le mouvement entre Ostende et Bruges, qui est considérable, tandis que la mouvement entre Ostende et la frontière de Prusse est très-peu important. » Mais, messieurs, c’est là un aveu qui condamne l’administration du chemin de fer belge ; la plupart des voyageurs étrangers qui passent sur notre territoire disent : « Oui, les Belges ont l’honneur de l’initiative pour la construction des chemins de fer sur le continent, mais quant à l’administration de leurs railways, ils sont en arrière ; sous ce rapport ils sont devancés de beaucoup par les Anglais, par les Français, par les Allemands, dès que l’on passe la frontière à Quiévrain, on éprouve un ballottement insupportable, un mouvement étourdissant ; ensuite sur les chemins de fer belges on marche avec une extrême lenteur et sans régularité. Pourquoi le gouvernement ne fait-il pas ce qu’on fait en Angleterre ? Pourquoi n’y a-t-il pas des fast-trains, des convois de première classe qui ne s’arrêtent pas aux petites stations, qui marchent avec rapidité, et dont les tarifs sont plus élevés ? Pourquoi n’y a-t-il pas des convois de nuit ? Je crois, messieurs, que ce observations sont fondées. Il y a entre Bruxelles et Mons, et je pense qu’il en existe sur d’autres lignes, un départ qu’on appelle train de poste ; on pourrait supposer que ce train marche plus vite que les autres ; eh bien, messieurs, j’ai vu qu’on y attelait des waggons chargés de bétail. Voilà ce que c’est que les trains de poste en Belgique je dis enfin en terminant que, quant au transit des voyageurs, il faut raisonner de nos chemins de fer, non sur ce qu’ils sont, mais sur ce qu’ils doivent être.
Messieurs, lorsque, en France, il s’agit d’un chemin de fer de l’importance de celui qui nous occupe, on procède à de longues enquêtes, il y a des procès-verbaux de commodo et incommodo, on demande l’avis motivé du corps des ponts et chaussées. Ces préliminaires durent longtemps, et cela doit être si l’on veut s’éclairer. Ici comment procède-t-on ? Nous avons l’opinion individuelle de l’ingénieur qui a procédé aux études et qui soit nécessairement être favorable à un projet dont il est l’auteur. Qu’avons-nous encore ? L’avis de M. le ministre des travaux publics, et c’est à la fin d’une session, quand fatigués de nombreux travaux nous sentons tous le besoin de prendre du repos, qu’on vient vous proposer un projet qui nous fait entrer dans une voie nouvelle, puisqu’il s’agit de concéder une voie parallèle à celle de l’Etat, qu’on vient faire des propositions peu étudiées, dont nous ne pouvons approfondit toute la portée.
Si, messieurs, j’avais quelque espérance de trouve quelque appui, je n’hésiterais pas à vous proposer l’ajournement. Mais je crois que cette proposition aurait peu de chances de succès. La chambre veut en finir, mais je regrette que des questions aussi graves soient tranchées dans cette disposition des esprits, et quand nous ne sommes pas au grand complet.
Un membre – Nous sommes 74.
M. de Man d’Attenrode – On dit que nous sommes 74. Si nous sommes aussi nombreux, je suis heureux de l’apprendre, car nous n’étions pas si nombreux ces jours-ci.
Je termine. Si le gouvernement parvient à dissiper mes craintes, je ne demande pas mieux que de voter pour le projet ; s’il ne les dissipe pas, je voterai contre.
M. Delfosse – Le travail de la section centrale s’est ressenti de la précipitation qu’elle a dû y mettre, et je pense qu’il y aura quelque changement à faire aux propositions qu’elle nous soumet.
La section centrale nous propose d’autoriser le gouvernement à concéder divers chemins de fer, plus un canal, elle nous propose en outre d’insérer dans le cahier des charges, une clause en vertu de laquelle les concessionnaires du chemin de fer de Namur à Liége seraient autorisés à prolonger cette ligne jusqu’à la frontière néerlandaise, par la rive droite de la Meuse.
On ne s’explique pas pourquoi la section centrale veut que cette dernière ligne soit concédée par la loi, alors que les autres lignes seraient concédées par le gouvernement ; il faut suivre la même marche pour toutes les lignes, il faut admettre pour toutes, ou bien la concession directe par la loi, ou bien la concession par le gouvernement en vertu de la loi.
Pour faire disparaître l’inconséquence qui existe dans les propositions de la section centrale, j’ai l’honneur de soumettre à la chambre la disposition (page 1666) suivante, qui serait substituée à l’art. 66 du cahier des charges et qui formerait l’art. 2 de la loi.
« Il pourra autoriser, aux mêmes conditions, le prolongement du chemin de fer de Namur à Liége, soit jusqu’à Visé, soit jusqu’à la frontière néerlandaise, dans le cas où une concession serait accordée par le gouvernement des Pays-Bas, sur la rive droite de la Meuse, vers la frontière de la Belgique. »
Cette disposition, si elle est adoptée par la chambre, et je ne doute pas qu’elle le soit, n’aura pas seulement l’avantage de rétablir l’uniformité dans les propositions de la section centrale, elle aura un autre avantage auquel j’attache le plus grand prix.
J’ai dit, dans la discussion du projet de loi sur le canal latéral à la Meuse, que je n’avais aucune raison pour m’opposer au chemin de fer de Liége à Maestricht, mais que je m’y opposerais s’il était exclusif du canal. Dans mon opinion, comme dans celle de la grande majorité des habitants de la province de Liége, le canal sera beaucoup plus utile à l’industrie que le chemin de fer.
Il est à craindre, si le chemin de fer de Liége à Maestricht est concédé directement par la loi, si les concessionnaires peuvent se passer de l’intervention du gouvernement, il est à craindre qu’ils ne fassent des démarches, soit auprès du gouvernement hollandais, soit ailleurs, pour empêcher la construction du canal. je sais par expérience que ces messieurs savent faire des démarches très-actives et je désire que le gouvernement ait sur eux un moyen d’action qui les rende circonspects. j’engage vivement M. le ministre des travaux publics à ne concéder le chemin de fer que quand il aura la certitude que tous les obstacles à la construction du canal sont levés.
Je n’ai présenté mon amendement que dans l’hypothèse où la chambre adopterait les projets qui lui sont soumis ; il est à peu près certain qu’elle adoptera le projet de chemin de fer de Liége à Namur ; ce chemin de fer sera d’une haute utilité, et il n’a donné lieu à aucune objection sérieuse. M. le ministre des travaux publics a démontré que les produits des lignes de l’Etat n’en souffriront pas ou tout au moins que les réductions, s’il y en a, seront peu sensibles.
J’aurai voulu que M. le ministre des travaux publics eût fait la même démonstration pour la ligne de Liége à Maestricht. J’aurais voulu qu’il eût prouvé que cette ligne, qui aboutira à celle de Maestricht à Aix-la-Chapelle, n’exercera pas une influence fâcheuse sur les recettes de la ligne de Liége à Aix-la-Chapelle par Verviers.
L’utilité du chemin de fer de Liége à Maestricht ne peut être contestée ; il n’y a qu’une considération qui pourrait nous arrêter, ce serait la crainte de compromettre les recettes de l’Etat ; il est nécessaire que M. le ministre des travaux publics nous donne quelques explications sur ce point, comme il en a donné pour le chemin de fer de Liége à Namur. Je suis tout disposé à vpter aussi pour le chemin de fer de Liége à Maestricht, mais quelques-uns de nos collègues pourraient avoir des craintes qu’il est bon de dissiper.
- L’amendement de M. Delfosse est appuyé.
M. Donny – Messieurs, j’ai demandé la parole lorsque j’ai entendu l’honorable M. de Man vous dire, en combattant le projet de loi en discussion, que, si les concessions étaient accordées, les voyageurs venant d’Angleterre et se rendant en Allemagne, débarqueraient probablement à Calais, prendraient la ligne nouvelle qui va s’établir, et déserteraient ainsi la grande ligne de transit que nous avons créée pour les voyageurs, en faisant un chemin de fer de la frontière prussienne au port d’Ostende, et en établissant, tout récemment encore, un service quotidien de bateaux à vapeur.
L’inconvénient qui a été signalé par l’honorable membre, serait très-grave, s’il avait quelque fondement. En effet, le chemin de fer de la frontière prussienne au port d’Ostende a été construit aux frais de l’Etat ; ce chemin de fer et le service des bateaux à vapeur qui va être organisé, s’exploitent pour le compte de l’Etat ; il est donc de l’intérêt général du pays d’écarter des concessions qu’on demande, tout ce qui pourrait détourner de cette grande ligne de transit les voyageurs qui viennent d’Angleterre et qui se rendent en Allemagne, et vice versâ.
C’est là un principe que je n’ai jamais perdu de vue, lorsque j’ai concouru, dans la section centrale, à l’examen des projets de concession ; je me suis demandé si les lignes de Manage à Mons, de Namur à Liége, combinées avec la ligne de Tournay à Jurbise, avec quelques tronçons du chemin de fer de l’Etat, et enfin avec les chemins de fer qu’on va faire en France, de calais à Boulogne sur Lille ; je me suis demandé, dis-je, si tout cela ne formerait pas une ligne qui porterait un grave préjudice aux lignes de l’Etat.
Je me suis bien vite convaincu qu’il n’en était pas ainsi. Supposons un voyageur anglais débarquant à Calais ou à Boulogne et se rendant à Cologne : il doit commencer par aller à Lille ; arrivé là, il aura devant lui trois chemins de fer différents : 1° le chemin de fer de l’Etat belge, passant par Courtray, Gand et Malines ; 2° le chemin de fer en quelque sorte mixte, passant par Tournay et Jurbise, Mons, Manage, Namur et Liége ; et 3° enfin, si le voyageur ne recule pas devant un grand détour, un chemin de fer passant par Douai, Valenciennes, et allant rejoindre à Mons la ligne mixte dont je viens de parler.
M. de Man d’Attenrode – Il faut tenir compte du chemin de fer à exécuter de Lille à Valenciennes.
M. Donny – La bifurcation du railway français en projet est à Douai. Ainsi l’on doit aller de Lille à Douai pour se rendre à Valenciennes. Au reste, cela ne change rien à l’affaire.
Or, messieurs, de ces trois chemins de fer, le voyageur prendra infailliblement, à moins de circonstances particulières, exceptionnelles, le chemin de fer de l’Etat belge, passant par Courtray, Gand et Malines ; il prendra ce parti pour une double raison ; d’abord, ce chemin de fer est le plus court ; en second lieu, c’est le seul chemin où il pourra voyager avec une grande vitesse pendant tout le parcours de la route ; c’est le seul chemin où il n’aura pas à subir le désagrément de devoir changer souvent de voiture, décharger et recharger ses bagages.
Ainsi, l’inconvénient que semble craindre l’honorable M. de Man n’existera pas, il ne peut pas exister.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, je répondrai quelques mots à l’honorable M. de Man.
L’honorable membre craint que les voyageurs venant d’Angleterre et de France ne prennent les lignes nouvelles du Midi, et ne nuisent ainsi aux recettes du chemin de fer d’Ostende à Cologne. Cette crainte ne repose sur aucun fondement.
Il est d’abord impossible que les voyageurs de l’Angleterre préfèrent la ligne de Calais ou de Boulogne à la ligne d’Ostende. La raison en est bien simple. C’est qu’en premier lieu le trajet d’Ostende à Liége est de 218 kilomètres, on n’y a qu’une seule douane à traverser, il n’y a qu’un seul changement de convoi qui s’opère à Malines. Or, de Calais à Liége, soit par Lille, soit par Tournay et les lignes nouvelles, il y aura 350 kilomètres environ. La différence de parcours en faveur du trajet par le chemin de fer actuel de l’Etat est de 130 kilomètres, c’est-à-dire de 25 lieues. N’oubliez pas non plus qu’il faut traverser deux douanes. or, les voyageurs en général, et les voyageurs anglais en particulier ont en horreur le passage des douanes. Pour aller de Calais à Liége par les lignes nouvelles, le voyageur a six changements de convoi à supporter, tandis qu’il n’y a qu’un seul changement de convoi sur toute la ligne d’Ostende. Il est donc impossible de croire que les voyageurs venant d’Angleterre veuillent bien se soumettre à tous ces inconvénients, et surtout à l’inconvénient d’un parcours beaucoup plus long.
Maintenant en ce qui concerne les voyageurs venant de France, vous savez que le tronc principal des chemins de fer français se dirige de Paris vers Lille, avec un embranchement, vers Valenciennes. Voyons d’abord la situation relativement à Lille, comme point de départ :
De Mouscron à Liége, par le chemin de fer actuel de l’Etat, il y a 250 kilomètres ; par le chemin de fer projeté de Tournay à Jurbise, il y en aura 279 ; le voyageur aura donc à parcourir par les lignes nouvelles, 29 kilomètres en plus, indépendamment de tous les changements de convoi dont je viens de parler. il est donc encore évident ici que le voyageur référera la voie ancienne.
Reste la voie de Quiévrain. Eh bien, cette voie, par le chemin de fer de l’Etat, est de 194 kilomètres ; de Quiévrain à Liége par Namur, le tracé est de 189 kilomètres. Il y a donc 5 kilomètres en plus. Je ne compte pas la solution de continuité à Bruxelles.
M. de Man d’Attenrode – Cette solution de continuité est évaluée à 45 kilomètres par vos propres ingénieurs.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Nous n’admettons pas cela, c’est une exagération. cette solution de continuité était de 10 kilomètres, et si l’on en tenait compte, la différence en plus, pour le parcours sur la ligne de l’Etat, serait de 10 kilomètres.
Ainsi, pour économiser une dizaine de minutes sur un parcours de 38 lieues, on irait consentir à éviter la capitale, et on ne gagnerait pas même ces dix minutes, puisqu’on les perdrait par les changements de convoi, lorsqu’on passerait des lignes de l’Etat sur les lignes concédées. il est évident que les voyageurs venant de France prendront presque toujours leur destination vers la capitale qui a un mouvement d’attraction inévitable. On ne voyage pas la nuit sur le chemin de fer, il faut une étape, et cette étape sera Bruxelles.
Je suppose pour un moment, par impossible, que l’on prenne la ligne par Namur de préférence à la ligne de Bruxelles. j’ai démontré que, dans cette éventualité, dont la réalisation me paraît impossible, le trésor belge ferait seulement une perte de 14,000 fr. ; tandis qu’il est évident que le chemin de fer de Liége à Namur étant, là où il aboutit, un double affluent au chemin de fer, il y créera un nouveau mouvement dont le produit compensera et bien au delà la perte éventuelle que le trésor pourrait faire.
Messieurs, il ne faut pas oublier que le mouvement de transport à grandes distances, en transit, est une chose minime, relativement à l’importance du mouvement intérieur. Il n’y a de grand mouvement qu’entre les localités rapprochées.
Ainsi, sur les 3 millions de voyageurs qui parcourent nos chemins de fer par an, :
2 millions sont transportés à moins de 10 lieues.
643,000 de 10 à 20.
20,000 de 20 à 30.
17,000 de 30 à 40.
5,000 au delà de 40.
S’il y a quelques voyageurs de France, venant par la ligne de Valenciennes, qui préfèrent la ligne nouvelle, nous aurons une large compensation dans le mouvement intérieur de localité sur la ligne de l’Est et sur la ligne du Midi vers Namur et Charleroy.
L’honorable M. Delfosse a demandé si le gouvernement ne craignait pas que la ligne de Liége à Maestricht n’exerçât une influence fâcheuse, en faisant concurrence au chemin de fer de la Vesdre. C’est là une question que le gouvernement devait examiner sérieusement ; eh bien, le gouvernement ne peut partager les craintes que l’on a manifestées. le détour par Maestricht à Aix-la-Chapelle serait de 4 lieues en plus que par la ligne droite de Liége à Aix-la-Chapelle. En second lieu, au lieu d’une douane, il y en a deux à traverser. Il n’est donc pas à craindre que la ligne nouvelle fasse concurrence au chemin de fer de la Vesdre.
Mais la ligne de Maestricht aura un grand avantage. il est possible que (page 1667) dans l’avenir il y ait des interruptions dans la ligne de la Vesdre. Nous venons de faire l’expérience des inconvénients d’une interruption de ce genre, occasionnée par l’éboulement du souterrain de Cumptich. Il est donc désirable que nous ayons deux voies vers l’Allemagne, comme nous en avons deux vers la France. l’une ne peut pas faite concurrence à l’autre ; mais, en cas d’interruption sur l’une des lignes, la Belgique sera fort heureuse de ne pas voir le grand mouvement d’Anvers vers l’Allemagne interrompu.
Je me rallie à l’amendement de l’honorable M. Delfosse. en effet, la rédaction de la section centrale pouvait présenter un sens douteux. il faut que la rédaction soit la même que pour les autres projets de loi. Je déclare que mon intention n’est pas d’autoriser la construction du chemin de fer de Maestricht à Visé, avant qu’on n’ait obtenu la concession de la Hollande, ni avant que la convention relative au canal latéral à la Meuse n’ait été conclue entre les deux gouvernements.
M. de Garcia – Je crois inutile de répondre aux observations qui ont été faites par l’honorable M. de Man contre la concession du chemin de fer de la vallée de la Meuse ; elles ont été réfutées complètement par M. le ministre des travaux publics et l’honorable M. Donny, et, dès lors, mes observations doivent être excessivement courtes. Elles se borneront à une seule demande à adresser à M. le ministre des travaux publics. Un ingénieur distingué, qu’une mort trop précoce a enlevé au pays et à sa famille, a, depuis longtemps, fait les avant-projets, les plans et les devis d’un chemin de fer de Namur à liége, et une demande de concession. Incontestablement, selon moi, le droit de priorité est acquis à ce projet. Qu’il me soit permis de nommer son auteur, c’est M. Fallot, qui a laissé une réputation scientifique supérieure de beaucoup à sa fortune. Je désire savoir de M. le ministre si des droits aussi sains et aussi légalement acquis sont conservés, dans la concession actuelle, au profit de la veuve et de la fille de l’ingénieur Fallot. je désire avoir mes apaisements sur l’acte de justice que je viens de signaler, et je prie M. le ministre de vouloir bien me donner une réponse à cet égard.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Dans tous les cahiers des charges il est toujours stipulé que les concessionnaires prennent à leur charge toutes les indemnités qui peuvent être dues, soit aux auteurs des projets, soit à d’autres personnes, d’après les lois en vigueur. Or, d’après la loi de 1832, et l’arrêté royal de 1836, les droits des auteurs des projets sont toujours sauvegardés.
M. Lesoinne – Messieurs, je n’ai pas d’objection à faire contre l’amendement que mon honorable ami M. Delfosse vient de vous présenter. Moi aussi je me suis opposé au chemin de fer de Liége à Maestricht lorsqu’on a présenté ce projet comme devant remplacer celui du canal latéral à la Meuse, parce que j’étais profondément convaincu que la création de ce chemin de fer ne pouvait satisfaire aux besoins du commerce et de l’industrie de la province de Liége. il a été clairement démontré, dans cette enceinte, que le pris du transport par le chemin de fer était beaucoup plus élevé que le fret actuel par la Meuse et qu’il serait double de celui du canal projeté.
Néanmoins, du moment où l’exécution du canal latéral à la Meuse est assurée, je ne m’oppose plus à la concession d’un chemin de fer de Liége vers la frontière néerlandaise. ces deux voies de communication sont également utiles, mais doivent satisfaire des besoins différents.
J’ajouterai que l’on peut d’autant mieux appuyer l’amendement de mon honorable ami M. Delfosse, que les demandeurs en concession du chemin de fer de Maestricht à Liége consentent à subordonner leur concession à l’exécution du canal latéral à la Meuse.
Quant à l’influence que ce chemin de fer pourrait exercer sur les recettes du railway de l’Etat vers Aix-la-Chapelle, l’honorable ministre des travaux publics, a, selon moi, suffisamment répondu à cet égard.
Puisque j’ai la parole, je proposerai d’ajouter au cahier des charges le même amendement qui a été adopté dans la séance d’hier pour la concession du chemin de fer de la Dendre, relativement au transport des voyageurs, c’est-à-dire que le gouvernement pourra prescrire aux concessionnaires de se servir de waggons couverts. je n’ai pas la rédaction présente à la mémoire, je priera M. le président de vouloir bien donner lecture de l’amendement adopté dans la séance d »hier.
M. le président – Il est ainsi conçu :
« Le gouvernement pourra prescrire l’emploi de waggons couverts. »
- Cet amendement est appuyé.
M. Rogier – Messieurs, il faut que j’obéisse à une conviction bien profonde pour demander encore la parole dans une discussion où j’ai d’avance la persuasion d’aboutir à une défaite. Mais je crois remplir un devoir impérieux ; et la perspective d’une défaite ne m’arrêtera pas. Je demande à la chambre une dernière fois quelques moments de sa bienveillante attention. Messieurs, si je n’écoutais qu’un sentiment de satisfaction personnelle, j’accepterais sans restriction ni réserve ce grand nombre de chemins de fer qui surgissent tout à coup dans le pays, je pourrais m’en applaudir, comme d’un triomphe de ceux qui considéraient autrefois ces grands travaux comme une chimère et qui, aujourd’hui, sont obligés de les accepter d’enthousiasme. Mais, de grâce, laissons les questions de personne. celle du chemin de fer est trop haute, elle nous domine tous. Ai-je besoin de le dire ? Les voies de communication ont la plus grande importance pour la prospérité du pays, je verrai toujours avec joie tout ce qui sera de nature à rendre la Belgique de plus en plus florissante. Nous sommes tous d’accord sur le but, nous ne différons que sur les moyens.
Qu’est-ce que je soutiens ? D’une part, que le gouvernement a eu tort d’abandonner trop légèrement le système suivi jusqu’à présent en Belgique ; et d’autre part qu’il n’a pas suffisamment étudié tous les projets qu’il nous a soumis pour être concédés aux sociétés particulières. J’ai dit que les grandes artères du système devaient demeurer dans les mains de l’Etat, s’il voulait demeurer conséquent avec ce que j’ai appelé sa politique. J’ai ajouté que pour les lignes secondaires suffisamment étudiées, on pouvait, en prenant des précautions et garanties suffisantes, les concéder à des sociétés particulières. Voilà ce que j’ai soutenu à toutes les époques et ce que je soutiens encore aujourd’hui.
Le railway de Namur à Liége ne rentre-t-il pas évidemment dans ces lignes qui forment les principales artères du pays, et pouvez-vous sans inconséquence enlever au domaine public une pareille ligne ? Vous le ferez ; pourquoi ? Parce qu’autour de cette question d’intérêt public se trouvent groupes, coalisés, divers intérêts locaux qui ne réfléchissent pas, tant ils sont pressés d’être satisfaits, qui ne prennent pas garde que pour jouir un peu plus tôt peut-être des bienfaits des chemins de fer, ils s’exposent par la suite à souffrir du mode d’exploitation qui serait adopté.
Il ne faut pas exagérer ni l’intervention de l’Etat, ni l’intervention des particuliers. or, nous en sommes là aujourd’hui, on exagère le système des concessions. On l’exagère à tel point que, dans la section centrale chargée d’examiner le projet du chemin de fer de Namur à liége et de Manage à Mons, cinq nouveaux projets en quatre ou cinq jours ont tout à coup été improvisés et nous sont présentés de telle manière que, sans vouloir rien dire de désobligeant pour les membres de cette chambre, j’oserais affirmer que beaucoup d’entre nous vont voter le chemin de fer de Namur à liége sans savoir ce qu’ils votent, sans savoir qu’ils votent en même temps un canal et quatre autres chemins de fer. Evidemment, il y a là exagération ; on marche trop vite, et sous prétexte de profiter de l’affluence des capitaux étrangers, on expose le pays pour l’avenir à de graves inconvénients.
En l’état actuel des choses, je ne suis pas exigeant, j’aurais voulu que le gouvernement, pour son honneur, défendît au moins sa propre cause sur un point.
Qu’objecte-t-on contre l’intervention de l’Etat dans la route de Namur à Liége ? D’abord, qu’objectent les partisans de la concession à tout prix, les adversaires du système du gouvernement ? Que le gouvernement ne doit pas intervenir, parce qu’il est démoralisateur, parce qu’il se sert de ses moyens pour corrompre. Voilà une première et grave objection qu’un gouvernement qui se respecte n’aurait pas dû laisser un moment debout. Quelle est l’autre objection ? L’Etat ne doit pas intervenir parce qu’il manque d’habilité. Ainsi le gouvernement est immoral et inhabile ; voilà le beau rôle qu’on lui assigne, et pour compléter le tableau, on ajoute qu’il manque d’argent. Comme cette troisième objection vient du banc ministériel, j’y répondrai en quelques mots. J’abandonne au cabinet le soin de répondre aux deux autres.
Je dirai seulement qu’en principe le gouvernement doit avoir de la moralité, de l’habilité, et je crois qu’en fait, le gouvernement aurait de l’argent s’il en voulait, pour exécuter les lignes qu’il répudie aujourd’hui.
Comment ! il s’agit d’une somme de 17 à 18 millions de francs, d’après le devis de l’ingénieur Magis, et le gouvernement se trouve arrêté devant cette dépense ? Le gouvernement vous déclare que le trésor public est aux abois, et que, fût-ce en trois ou quatre ans, il lui serait impossible d’exécuter un chemin de fer. Et le jour même où il venait vous dépeindre sous des couleurs si noires la détresse du trésor public, il demandait l’exécution d’un canal de Liége à Maestricht, canal qui, suivant les uns, doit coûter 3,500,000 fr., canal qui, suivant d’autres opinions, doit coûter le double. Mais enfin, il demandait d’exécuter ce canal au moment où il se plaignait du manque d’argent pour compléter son système de chemin de fer.
Messieurs, un Etat qui, dans les circonstances où nous sommes, se trouverait réduit à une pareille détresse, ne mériterait pas de vivre. Comment ! en pleine paix, quand les capitaux abondent, la Belgique ne serait pas en situation d’emprunter et de dépenser 17 à 18 millions en quatre ans pour achever son railway ? Mais on ne vous croira pas, et, permettez moi de la dire, vous ne vous croyez pas vous-même.
M. le ministre des travaux publics a dit que le canal de Liége à Maestricht devait être fait pas l’Etat, parce qu’il constituait une communication internationale. On avait demandé aussi la concession de ce canal ; mais le motif que je viens de rappeler l’a fait repousser. Aujourd’hui, messieurs, il s’agit de la construction d’un chemin de fer de Liége à Maestricht, et M. le ministre le cède par concession, et toujours sans doute en vertu du même principe que ce chemin de fer constitue une communication internationale.
Le chemin de fer de Namur à Liége, complètement de celui de Mons à Charleroy, forme aussi une ligne internationale, une ligne qui, traversant tout le pays au sud, ira d’une part de la France à la Hollande, et d’autre part, de la France à l’Allemagne. De toute temps, et par M. le ministre de l’intérieur lui-même, et par M. l’ingénieur en chef Vifquain, cette ligne a été considérée comme artère principal, comme devant rester dans le système des chemins de fer d’intérêts généraux, comme les appelait M. Vifquain, décrété par la loi du 1er mars 1834. Jetez les yeux sur la carte, messieurs, et vous verrez qu’il est impossible, sans rompre toute unité et tout ensemble, de l’enlever au domaine de l’Etat.
Indépendamment de la ligne des Flandres et d’Anvers, le système des chemins de fer que je voudrais retenir entre les mains de l’Etat, forme aujourd’hui une espèce de triangle, ayant la ligne de Bruxelles à Mons pour base, et, pour côtés, celle de Bruxelles à Liége d’une part ; celle de Mons à Liége, par Charleroy, Namur et Huy d’autre part. L’Etat tient entre ses mains les trois côtés, sauf la ligne de Namur à Liége. c’est cette lacune, qu’il devrait se réserver de combler pour avoir un système complet.
Une fois ce grand triangle fermé, mon Dieu ! laissez la concession libre à (page 1678) l’intérieur ; laissez-là s’y jouer dans tous les sens, si bon vous semble ; mais au moins conservez à l’Etat la totalité de ce triangle.
Cette ligne, messieurs, aura une importance très-grande comme route internationale et non moins grande au point de vue des communications intérieures. Dois-je en faire ressortir ici tous les avantages ? Une telle démonstration ne pourra-t-elle avoir pour effet de faire hausser les actions de ce chemin de fer à la bourse de Londres, ou dans d’autres bourses plus ou moins secrètes ? Mais enfin, il faut bien qu’au nom de l’Etat, je défende ce que je crois dans l’intérêt de l’Etat, au risque de produire cet effet que je n’ai aucun intérêt à produire. Je désire que tout le monde puisse en dire autant.
Messieurs, si vous examinez la carte, vous verrez clairement qu’une fois cette route finie, un grand mouvement s’établira au midi de la Belgique. Tout le mouvement de Paris par Valenciennes et Mons vers l’Allemagne et réciproquement, se fera nécessairement par la route de Namur. cette route recevra encore l’affluence considérable qui va être créée de St-Quentin vers Charleroy, au moyen d’une concession dont vous allez voter aussi une section. Elle recevra encore l’affluent du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, qui, avec le temps, ira chercher les populations du nord-est de la France, de Mézières, etc. Cette ligne de Namur à Liége recevra encore pour affluent les voyageurs et les produits du Luxembourg.
On ne niera pas l’importance d’une telle ligne. L’ingénieur qui a été chargé de l’étudier déclare qu’elle rapportera 6 p. 100 du capital engagé. Eh bien ! messieurs, ne conviendrait-il pas, au simple point de vue fiscal, que le gouvernement n’abandonnât pas cette route, et que, sous prétexte de manquer d’argent, il ne renonçât pas à une entreprise aussi productive, qui se lie si entièrement à son système ? En vérité, messieurs, on croirait que le chemin de fer de l’Etat est devenu une affaire financière détestable. A chaque instant on vient vous dire qu’il grève le pays de charges énormes. Hier encore l’honorable M. de Gracia se plaignait qu’il ne rapportait que 3 à 4 p. 100. Messieurs, pour tous les hommes qui réfléchissent un peu, n’est-il pas évident que si le chemin de fer rapporte aujourd’hui trois à quatre p.c., avant peu d’années, il pourra rapporter sept, huit et neuf pour cent ? N’est-il pas évident que c’est une des entreprises qui, à mesure qu’elles vieillissent doivent prospérer ? N’est-il pas évident pour tout le monde que le meilleur signe de la prospérité future du chemin de fer, c’est son état actuel ? N’est-il pas évident enfin que si le chemin de fer ne rapporte que 3 à 4 p. 100, c’est parce qu’on part d’une base d’emprunts contractés à un taux élevé ; que lorsque nous parviendrons à réduire successivement l’intérêt des capitaux empruntés, le chemin de fer verra réduire d’autant ses charges annuelles ; que déjà, pour la plus forte partie des emprunts, ce n’est plus une rente de 5, mais de 4 ½ qu’il a à payer ; et que lorsque nous arriverons à réduire la dette à 4, à 3 ½ et peut-être à 3, comme en Angleterre, le chemin de fer couvrira au-delà de ses intérêts, en supposant même qu’il reste dans les conditions actuelles ?
Mais il ne restera pas dans les conditions actuelles ; tout le monde est d’accord sur la prospérité croissante qu’il doit acquérir.
Je conçois que des concessionnaires qui ont intérêt à s’emparer de ce beau domaine public, à se substituer à l’Etat, cherchent à rabaisser notre railway, cherchent à prouver que, dans les mains du gouvernement, une pareille entreprise est mauvaise, désastreuse. Je conçois ce raisonnement de la part de ceux qui voudraient déposséder l’Etat. Mais je ne le concevrais pas de la part des chambres, de la part du gouvernement qui doivent avoir confiance dans leur œuvre.
Le système que je défends, j’y tiens fortement ; je le défends avec persévérance, parce que je le crois le vrai système du pays, parce que je le crois le vrai système de l’avenir. Mes opinions, messieurs, je puis les avouer ouvertement ; elles sont pour l’intérêt du plus grand nombre. A ce point de vue, je n’hésite pas à le dire, j’appartiens à l’opinion démocratique. Mais plus je sens de sympathie pour ces intérêts, plus je veux aussi laisser de force et d’autorité légale au gouvernement, parce que c’est surtout par la force et l’autorité gouvernementale que je veux arriver au bien-être des populations.
Mon système, pour le formuler en deux mots, est un système démocratique et gouvernemental. Tout en favorisant les efforts individuels ou collectifs, je veux laisser entre les mains du gouvernement les moyens d’exercer une influence bienveillante sur les populations. Je veux qu’il prévienne et évite ainsi ces conflits auxquels tôt ou tard aucun gouvernement n’échappe, quand il ne répond pas aux besoins et aux opinions de son temps.
Je demande le maintien de l’intervention du gouvernement dans les travaux publics afin qu’ils servent non pas seulement à quelques classes, à quelques intérêts, mais à tous les intérêts, à toutes les classes du pays.
Voyez, messieurs, ce qui se passe en Angleterre. dans ce pays d’aristocratie, faut-il encore le répéter, à qui profitent les chemins de fer ? A quelques classes privilégiées. Contre qui paraissent-ils faits ? Contre les classes qui n’ont pas les moyens de payer de gros tarifs.
Et que se passe-t-il, en ce moment, sous ce gouvernement si prévoyant et si ferme dans sa conduite, sous ce gouvernement conservateur et progressif ? Mais aujourd’hui, il est surtout occupé des besoins des classes inférieures. Si sir Robert Peel, messieurs, et je demande pardon de citer ce nom en présence de ce que nous avons sous les yeux, si sir Robert Peel avait entre les mains un pareil instrument de bien-être et de progrès pour les populations, il ne l’abandonnerait pas. Les conservateurs progressifs de la Grande-Bretagne, à la tête desquels se place noblement sir Robert Peel, veulent, eux, faire rentrer les chemins de fer dans le domaine de l’Etat.
L’Etat, messieurs, mais c’est le représentant de tout le monde : c’est l’administrateur de la grande société belge, administrateur qui doit être, sous le contrôle des chambres, juste et bienveillant pour tous. (Interruption).
Messieurs, je n’ai plus que cette occasion de parler, et je veux dire ma pensée jusqu’à la fin.
Ce que je reproche au gouvernement, c’est d’avoir abandonné ce système belge, qui était préconisé par tous les pays étrangers, ce système auquel on rendait hommage à toutes les tribunes, auquel on rendait hommage dans les nombreux écrits que les chemins de fer ont suscité de toutes parts. C’est ce système que l’on abandonne aujourd’hui pour se jeter, avec la plus grande légèreté, dans le système illimité des concessions. on l’abandonne, messieurs, et en présence de quels reproches ? Je ne puis trop insister sur ce point, en présence de ce triple et accablant reproche : « Vous n’avez pas de moralité, vous n’avez pas d’habilité, vous n’avez pas d’argent ! » Voilà, messieurs, sous quels tristes auspices le gouvernement, s’abandonnant lui-même, va prononcer sa propre déchéance.
Me renfermant dans le projet en discussion, je demanderai, particulièrement à M. le ministre des finances, s’il croit que l’Etat serait dans l’impossibilité d’exécuter, en 3 ou 4ans, aux frais du trésor public, le chemin de fer de Liége à namur. je lui demande de vouloir bien me répondre immédiatement sur ce point.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, j’ai déjà déclaré, dans une précédente discussion que l’Etat est loin de se trouver dans l’impossibilité de contracter un emprunt de quelques millions et même un emprunt considérable ; mais j’ai signalé les dangers qu’il y aurait à suivre cette voie. J’ai fait observer à la chambre qu’il y aurait une véritable imprudence à faire consister une trop grande partie des revenus publics en péages, parce que c’est là un produit fort éventuel, un produit soumis à de mauvaises chances, et qui viendrait surtout à nous manquer dans les moments critiques, alors que les charges des emprunts subsisteraient toujours de même que les charges de l’exploitation ; car il serait impossible de renvoyer le nombreux personnel que l’Etat aurait pû créer pour ce service.
Voilà, messieurs, ce que j’ai répondu dans une autre occasion, je n’ai jamais dit ni pu dire que nous nous trouvions dans l’impossibilité de contracter un emprunt. S’il fallait contracter, nous trouverions des prêteurs à des conditions convenables. nous ne sommes pas arrivés, à ce point de détresse que l’honorable membre a voulu représenter tout à l’heure comme résultant des déclarations du gouvernement ; rien ne me paraît motiver une pareille interprétation.
M. Rogier – L’observation de M. le ministre des finances est celle-ci : il ne faut pas que le gouvernement trouve ses ressources dans des produits qui ne seraient qu’éventuels, transitoires et que des circonstances critiques pourraient anéantir. Un pareil raisonnement appliqué aux chemins de fer m’étonne, messieurs, de la part d’un haut fonctionnaire chargé d’administrer la fortune publique. Comment ! sous le prétexte que, dans telle ou telle circonstance donnée, il pourrait arriver qu’il y eût un peu moins de voyageurs, un peu moins de marchandises à transporter par le chemin de fer, sous ce prétexte l’Etat devrait y renoncer et se priver d’un bénéfice permanent, pendant un grand nombre d’années ! Mais si ce raisonnement est juste, changez donc vos bases d’impôts : si ce raisonnement est juste, supprimez au plus tôt vos impôts de consommation. Ils seraient les plus dangereux des impôts, car des les circonstances difficiles la consommation diminue et ces impôts vous échappent en partie. Vous auriez donc un système financier bien pauvrement, bien précairement établi.
M. le ministre des travaux publics insiste sur cette idée que le chemin de fer est surtout parcouru par les voyageurs à petites distances, par ceux que leurs besoins journaliers forcent à des déplacements. Eh bien, messieurs, quelles que soient les circonstances critiques dans lesquelles on puisse se trouver, et ces circonstances heureusement sont toujours de courte durée, quelles que soient ces circonstances, ces déplacements obligés auront toujours lieu, et dès lors les crises qui pourraient survenir n’influeraient que faiblement sur les produits du chemin de fer. Véritablement, messieurs, un pareil raisonnement, je n’ai pas le courage d’en poursuivre la réfutation. Je dirai seulement qu’il ne s’agit pas ici (et je reproche au gouvernement cette autre exagération), qu’il ne s’agit pas ici d’engager le trésor, comme on l’a dit, dans une dépense de 200 millions de francs, qu’il s’agirait seulement d’accorder à l’Etat l’autorisation de construire un chemin de fer qui peut coûter 18 à 20 millions à répartir sur plusieurs années.
Eh bien, ce n’est pas parce que, dans une circonstance donnée, les produits pourraient pendant quelque temps diminuer plus ou moins, ce n’est pas pour ce motif puéril que l’Etat doit renoncer à un chemin de fer qui rentre évidemment dans son système. Je pose en fait qu’avant quelques années le gouvernement sera forcé de racheter cette ligne, ou bien les lignes qui viennent ainsi se placer au milieu du railway de l’Etat finiront par l’absorber. Et voilà, messieurs, ce que pour ma part je redoute encore ; je crains qu’il ne vienne un temps où le chemin de fer, ce premier besoin du pays, sera livré tout entier aux concessions particulières. C’est là un immense danger que je voudrais prévenir. Oh, je le sais ; pour un certain nombre de membres, de bonne foi, je le veux bien, le chemin de fer a quelque chose qui déplait. Les chemins de fer anglais, exploités en grande partie pour quelques classes seulement, leur vont mieux. Il est des opinions qui trouvent mauvais que le peuple voyage, qui ne veulent pas accorder aux petites gens des villes et des campagnes la liberté et l’égalité devant le chemin de fer. Il est des opinions qui voient des germes de démoralisation dans ces déplacements, des germes de civilisation qui leur déplaisent. Oh ! pour ceux-là, je conçois que les tarifs immobiles entre les mains de l’intérêt privé leur conviennent beaucoup. A ces membres, l’idée peut sourire de voir le chemin de fer de l’Etat abandonné. Déjà le bruit se répand que des sociétés anglaises offrent de racheter tout le railway belge avec un bel intérêt pour l’Etat ; car, tandis que l’on paraît désespérer ici de l’avenir du chemin de fer, les sociétés anglaises ne désespèrent pas. Eh bien, messieurs, voilà ce que je veux éviter à tout prix, voilà pourquoi je me suis livré avec (page 1669) trop de chaleur peut-être à la défense du principe que je considère comme une des meilleures bases de la politique belge.
Je prie mes honorables collègues de ne point prendre en mauvaise part les paroles un peu vives qui me seraient échappées ; je les prie d’être bien convaincus que je ne fais point de ceci une affaire d’amour-propre ; j’en fais une affaire de conviction, une affaire d’Etat. je serais désespéré que l’on pût rapetisser de cette manière de pareilles questions. Je veux bien admettre que M. le ministre des travaux publics a été entraîné lui-même au delà de ce qu’il aurait désiré d’abord. Mais je crois qu’il a eu tort de ne pas savoir résister aux entraînements du moment. Certainement il ne devait pas repousser toutes les concessions, mais il devait les étudier mûrement, soumettre à la chambre un système complet, un système raisonné sur l’ensemble de ces communications, sur les relations nouvelles qu’elles allaient établir, sur l’influence qu’elles pourraient exercer quant aux voies existantes. M. le ministre, après s’être livré à une pareille enquête, à de pareilles démonstrations, aurait pu entraîner plus de convictions qu’il ne l’a fait, car ce sont pas tant des convictions que des intérêts coalisées qui votent aujourd’hui ; il y a des votes que je considère comme forcés, enchaînés qu’ils sont aux intérêts locaux.
Sous ce rapport, je me trouve entièrement libre ; Anvers est exclue du banquet. Je prie la chambre de croire que ce n’est pas cette circonstance qui m’a engagé à prendre la parole contre l’abandon du système belge. la ville d’Anvers n’obtient rien dans le grand partage. Je me trompe : elle se voit menacée de perdre un de ses quais. Je demande à M. le ministre de vouloir bien conserver à cette ville ce qu’une concession particulière veut lui enlever et j’espère que je ne me serais pas montré trop exigeant ni trop local, en terminant par cette petit réclamation.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, je n’ai pas besoin de suivre l’honorable préopinant dans les considérations générales qu’il a renouvelées sur les deux principes qu’il a mis en présence : l’intervention directe de l’Etat dans les travaux publics et le système des concessions. Déjà, dans les séances précédentes, j’ai eu l’occasion de dire à la chambre quelle était mon opinion et de répondre d’avance à quelques considérations qui viennent d’être reproduites.
Je n’ai pas besoin de combattre l’honorable membre au point de vue des principes généraux qu’il a défendus, car, au fond, je partage sa manière de voir. J’ai déclaré déjà que dans les limites des possibilités et de l’utilité réelle, je suis partisan de l’intervention directe du gouvernement dans les travaux publics ; mais, comme l’honorable membre, à côté de cette intervention directe, j’accepte aussi le système de l’intervention de l’industrie particulière. Cette opinion, l’honorable M. Rogier lui-même l’a défendue en 1834, comme il vient de le rappeler. En 1834, l’honorable membre et les partisans de l’intervention du gouvernement dans les travaux publics, étaient loin de croire qu’on eût même étendu ce système aussi loin qu’on l’a fait par la loi complémentaire de 1837. En 1834 on ne considérait comme formant l’artère principale, réservée aux mains de l’Etat, comme étant une ligne d’intérêt national, on ne considérait ainsi que la jonction de l’Escaut au Rhin avec embranchements vers notre métropole commerciale, vers la capitale et vers l’Océan à Ostende.
Ce n’est que par un amendement que la chambre a décidé que nous serions rattachés à la frontière de France, par le Hainaut. Ainsi, en 1834, on croyait que ce système d’intervention de l’Etat devait être renfermé dans des limites beaucoup plus restreintes que celle qu’on lui a assignées depuis. Et l’on croyait alors que cette artère principale ne devait coûter que de 25 à 30 mille fr.
La question est donc celle-ci : Quelles sont, pour l’exécution des chemins de fer, les limites qui séparent l’action directe du gouvernement de l’action de l’industrie privée ?
Voici quelle est la pensée qui a dirigé la conduite du gouvernement : il a cru qu’il devait rester dans les bornes fixées par les lois de 1834 et 1837, que ces deux lois avaient établi en effet le réseau de nos grandes lignes à caractère national.
Par la loi de 1834, le gouvernement a voulu que notre chemin de fer nous rattachât aux nations voisines, à l’Allemagne par le chemin de fer de l’Est, à la Hollande, par le chemin de fer du Nord, à l’Angleterre, par Ostende, à la France, par le chemin de fer du Midi. Voilà le principe politique sur lequel repose le projet de 1834.
La pensée politique du projet de 1837 est une pensée de politique intérieure. c’est celle de rattacher tous les chefs-lieux de nos provinces à la capitale.
Ces lois sont exécutées ; et si le gouvernement a tenu à conserver l’exploitation par l’Etat pour les chemins de fer de Jurbise et de Hasselt, c’est par ce motif que ces deux chemins de fer rentrent dans le système de 1834 et 1837, le système de notre réseau général.
La question est donc celle-ci : les chemins de fer destinés à rattacher les provinces les unes aux autres, les localités importantes du pays entre elles, les centres industriels, les lieux de consommation, aux lignes que j’appelerai industrielles et secondaires, doivent-elles être exécutées inévitablement par l’Etat ou peuvent-elles être concédées ? Le gouvernement croit qu’elles peuvent être concédées.
Relativement au chemin de fer qui fait l’objet de la discussion actuelle, au chemin de fer de Liége à Namur, je ne partage pas l’appréciation de l’honorable M. Rogier. Je pense, au contraire, qu’il existe plus de raisons de le concéder qu’à l’égard d’autres chemins de fer que nous avons livrés aux mains des compagnies.
J’ai déjà démontré tout à l’heure que ce caractère national qu’on veut lui attribuer n’existe pas, que le mouvement des voyageurs d’Allemagne ou de France ne se fera pas par cette ligne nouvelle, mais par la ligne qui se dirige vers Bruxelles. J’en ai dit la raison tout à l’heure. Je dois en ajouter une autre. Le chemin de fer de Braine-le-Comte à Namur trouve son prolongement dans le service des bateaux à vapeur entre Namur et Liége, qui forme un moyen de transport presque aussi rapide et aussi économique qu’un chemin de fer.
M. de Garcia – Ce service est incomplet.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je le reconnais ; néanmoins, si le mal que l’on craint devait exister, il existerait déjà, en partie du moins.
Le caractère spécial du chemin de fer de Liége à Namur est d’être industriel. Il ne peut donner de bénéfices que par le mouvement industriel qu’il doit établir.
Je prie la chambre de ne pas perdre de vue cette observation ; elle est fondamentale. Ce chemin de fer ne peut être exploité par l’Etat.
En effet, l’avenir du chemin de fer, ses résultats tiennent aux transports industriels qui doivent y être amenés. ces transports devront, en quelques saisons, faire concurrence à ceux de la Meuse. De là nécessité de fixe des tarifs très-bas, plus bas que ceux de l’Etat, afin de rendre le chemin productif et exploitable. Or, si l’Etat exploitait, il devrait le faire d’après le tarif général ; il ne pourrait fixer un tarif spécial pour cette ligne. Eh bien, au taux du tarif de l’Etat, l’exploitation de ce chemin de fer n’est pas possible.
La précaution qu’on a prise d’insérer dans le cahier des charges, que toutes les modifications de tarif devront être approuvées par le gouvernement, a précisément pour objet d’empêcher la compagnie de ruiner le batelage de la Meuse par une baisse exagérée et momentanée dans le prix des transports.
M. Delfosse – Cette disposition se trouve-t-elle dans tous les cahiers des charges ?
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Oui.
Je dis qu’un tarif exceptionnel et très-bas est nécessaire sur cette ligne. Le gouvernement ne peut donc l’exploiter ; car il ne peut pas avoir deux tarifs ; s’il adoptait un tarif très-bas, on réclamerait de suite des réductions analogues sur les autres lignes ; s’il était fait droit, il y aurait perte sur l’exploitation. Cette considération est capitale.
Si ce chemin de fer ne peut être exploité par l’Etat, c’est parce qu’il a un caractère industriel, que le caractère international n’existe pas au degré que M. Rogier lui avait attribué.
On a parlé de l’Angleterre et de la manière dont les compagnies pressurent les populations des classes inférieures ; cela est vrai ; mais on oublie que les concessions sont perpétuelles, que le gouvernement est sans action sur le tarif et sur les règlements d’exploitation.
Là, il n’y a pas de cahier des charges comme en France et en Belgique, qui impose toutes les conditions dans lesquelles les compagnies doivent se renfermer. Le gouvernement, en Angleterre, n’a pas tous les pouvoirs que donnent les cahiers des charges, tels qu’ils sont rédigés en France et chez nous.
Ainsi les abus qu’on paraît craindre ont pu exister en Angleterre ; ils sont impossibles en France et en Belgique.
L’honorable membre a cru que le gouvernement abandonnait ce qu’il a appelé la politique belge en fait de travaux publics. Il n’en est rien. Le gouvernement n’abandonne pas l’intervention directe de l’Etat dans les travaux publics. J’ai dit quelle était la pensée qui a guidé le gouvernement, quel était son système. Ainsi récemment le gouvernement a déclaré inconcessible le canal de Liége à Maestricht.
Je suis donc d’accord avec l’honorable membre sur le principe ; je ne diffère que dans l’application.
L’honorable M. Rogier s’est plaint de ce que, dans ce qu’il a appelé cette distribution de travaux publics entre les provinces, il n’y eût rien pour la ville d’Anvers. Il a rappelé qu’il y a une demande de concession pour un chemin de fer d’Anvers vers la Hollande. C’est précisément parce que le gouvernement n’abandonne pas sans motif son intervention directe dans les travaux publics, que cette concession n’a pas encore été accordée. Je ne dis pas que ce chemin de fer ne doit pas être concédé. mais à cause du caractère international de ce chemin de fer, le gouvernement doit soumettre la question que son exécution soulève à un examen ultérieur et approfondi.
Ce qui doit prouver à l’honorable M. Rogier, que la pensée politique à laquelle l’honorable M. Rogier s’est voué, n’est pas abandonnée par le gouvernement, c’est qu’il n’a pas donné suite aux demandes en concession qui lui ont été faites relativement au chemin de fer d’Anvers à la frontière hollandaise.
Plusieurs membres – La clôture !
M. Dolez – Jusqu’à présent, les observations qui vous ont été soumises n’ont été que des observations générales, ou relatives au chemin de fer de Namur à Liége. J’ai quelques considérations à soumettre à la chambre sur le chemin de fer de Manage à Mons. Je demande que la clôture ne soit pas prononcée quand il n’a pas encore été dit un seul mot sur une des parties du projet. Je dois ajouter que les observations que j’ai à faire sont dans l’intérêt du trésor public. Je ne toucherai pas aux questions générales ; mais je veux démontrer que le chemin de fer de Manage à Mons ne rapportera pas une obole qui ne soit enlevée au trésor public.
Si la chambre ne veut pas entendre ces observations, elle peut clore ; il me suffira d’avoir tenté de remplir mon devoir de député.
M. Meeus – Je ne pense qu’on puisse clore la discussion. Pour la clore, il eût fallu empêcher l’honorable M. Rogier d’entrer dans les considérations générales qu’il a développées. Puisqu’il l’a fait, il doit être permis (page 1670) aux membres de la chambre qui ne partagent pas son opinion d’y répondre au moins brièvement. D’ailleurs, on peur bien consacrer une heure ou deux à une discussion générale.
- La chambre, consultée, décide que la discussion continue
M. Cogels – Je me suis trouvé d’accord avec l’honorable M. Rogier, sur l’opposition qu’il a faite à la concession du chemin de fer de Jurbise, non pas à cause de la non-intervention complète de l’Etat, mais à cause de son intervention incomplète. Il y avait là un système mixte que je ne puis admettre, et que je ne veux pas qu’on puisse invoquer un jour comme un précédent, parce qu’à mes yeux (je reconnais que nous avons formé une très-faible minorité), le gouvernement, dans l’exécution du chemin de fer de Jurbise, s’est réservé la plus mauvaise part.
Il n’en est pas de même du chemin de fer de Namur à Liége, parce qu’il n’y a pas là de système mixte ; il y a un système de concession absolue que j’ai adopté pour le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse et pour les autres concessions que nous venons d’accorder.
d’abord, ainsi que M. le ministre des travaux publics l’a déjà fait remarquer, le chemin de fer de Namur à Liége n’a pas ce caractère de grande communication qu’ont les chemins de fer qui relient l’Escaut à la frontière d’Allemagne ou la mer au Rhin. Il n’a pas même le caractère qu’a le chemin de fer de Jurbise, qui est complètement dépendant du chemin de fer de l’Etat.
Quant à moi, loin de vouloir étendre le système d’exploitation par l’Etat, je chercherai à le restreindre, dans toutes les occasions où ce sera possible, je voudrais ne le maintenir que pour la ligne commerciale où l’Etat a dû se réserver l’exploitation ; pour cette grande ligne de communication, où l’Etat ne doit pas avoir en vue une source de revenu, un intérêt financier, mais un intérêt commercial, c’est-à-dire qu’il doit abaisser les péages au point de se constituer même en perte, s’il s’agit de soutenir la concurrence contre une puissance rivale.
Les motifs qui me déterminent à restreindre, autant que possible, l’exploitation de l’Etat sont faciles à saisir : l’Etat exploite toujours mal, toujours chèrement ; il est obligé de payer plus cher les matériaux, le combustible, tout enfin ! Toujours on lui impose des sacrifices. Pour le personnel, il ne peut pas mettre la même économie qu’une exploitation particulière.
Une compagnie n’a en vue que son intérêt ; elle n’emploie jamais que le personnel qui est indispensable. Lorsque ce personnel devient insuffisant, elle cherche à le maintenir ainsi jusqu’à ce qu’il succombe à la tâche. C’est alors seulement qu’elle l’augmente. L’Etat, au contraire, par suite de toutes les sollicitations dont il est entouré, à peine voit-il une petite place ouverte qu’il cherche à la remplir. On a parlé des moyens de corruption, je n’y vois qu’une source de difficultés, d’affaiblissement, car dès qu’une place est ouverte, il n’y a souvent pas moins de 600 postulants. Donc, pour un heureux, on fait 599 mécontents. Celui qu’on a cru satisfaire ne tarde pas à devenir mécontent lui-même, parce que son ambition n’est pas satisfaite ; il a une place médiocre ; il voudrait s’élever très-rapidement. Ainsi, loin de se faire des amis de cette manière, plus il y a de places à donner, plus on fait de mécontents.
Encore une considération qu’on a fait valoir et qui est fort juste, c’est que quand l’Etat a un personnel trop nombreux, il doit le garder ; il ne peut pas renvoyer d’employés. Il n’en est pas de même d’une compagnie particulière. Lorsque le personnel est trop nombreux, elle renvoie sans aucune considération les employés dont elle peut se passer.
L’honorable M. Rogier a dit que le système belge a été préconisé partout ; mais je pourrais dire qu’il n’a été imité nulle part.
Un membre – Si fait, en Allemagne.
M. Cogels – Par un petit nombre d’Etats de l’Allemagne.
En France, où l’on a eu quelques années l’idée de l’exploitation par l’Etat, on a renoncé à ce système ; on veut accorder maintenant à des concessionnaires toutes les grandes lignes. En Angleterre, il n’y a pas d’exploitation par l’Etat. Aux Etats-Unis, il n’y en a pas davantage. En Allemagne, il y en a très-peu. Ce n’est qu’en Belgique. Je suis loin de le blâmer, je trouve que la Belgique était dans une position particulière.
Cela me rappelle une observation qui a été présentée hier.
En France, on tombe dans un autre excès ; on abuse de l’espèce d’engouement qui existe en ce moment pour les chemins de fer pour amener des concessions à des termes trop courts. Comme les capitalistes ne calculent pas toujours bien, on les excite à engager leurs capitaux dans des entreprises où ces capitaux pourront se trouver compromis. On met les travaux publics en adjudication ; et comme il y a un cahier des charges dont toutes les autres conditions sont invariablement fixées, l’adjudication ne porte que sur le terme. Quelles seraient les conséquences d’un semblable système en Belgique ? C’est que, comme il y a beaucoup d’engouement, comme le but principal de quelques demandes en concession (il faut bien le dire) est la vente des actions, les demandeurs passeraient par toutes les conditions que l’on voudrait, que vous verriez se présenter des compagnies qui ne présenteraient pas toutes les garanties nécessaires et que vous feriez échouer peut-être finalement toutes ces entreprises dont on a reconnu l’utilité, ou au moins qu’elles ne répondraient pas au but que vous avez en vue.
Voilà pourquoi le gouvernement a fait fort sagement de ne pas mettre toutes ces lignes en adjudication, quelqu’étendu que soit d’ailleurs le terme des concessions.
On vous a dit encore que les compagnies particulières étaient intéressées à exploiter le public, à le faire payer très-chèrement aux classes moyennes. Je crois que cela n’est pas exact. Le succès d’un chemin de fer dépend de son grand mouvement. La classe la plus élevée est la moins nombreuse. Après la classe élevée, ce sont les classes moyennes. Celle qui est la plus nombreuse est la classe en-dessous de la moyenne. par conséquent si vous voulez un grand mouvement, vous devez faire un appel à ces classes. Ce qui le prouve, c’est qu’en France, les compagnies particulières ont fait ce que le gouvernement ici n’aurait pu faire : elles ont abaissé le tarif dans l’intérêt des classes inférieures. pour Versailles et St-Germain, on a réduit le prix d’un tiers pour les jours de la semaine, pour que la capitale fût accessible à toutes les populations rurales que ces lignes traversent.
Le gouvernement ne pourrait le faire en Belgique, parce qu’il ne peut avoir plusieurs tarifs. Dès qu’il abaisserait le tarif sur une ligne, toutes les autres réclameraient la même réduction, lors même qu’il n’y aurait aucun intérêt à l’admettre.
M. Meeus – J’ai demandé la parole en entendant le discours de M. Rogier. Cet honorable membre se méprend sur la portée de la loi de 1834 ; il s’obstine à croire que la Belgique a fait, à cette époque, un acte de sage administration, quand elle n’a fait autre chose qu’un acte de sage politique. Il vous a dit que l’acte posé, en 1834, par la Belgique avait été admiré par les autres nations ; sans aucun doute, mais aucune ne l’a véritablement imitée.
C’est au point de vue politique que cet acte a été admiré. Nous n’avons, en effet, pas eu, messieurs, de diplomate meilleur, de diplomate plus habile pour plaider notre nationalité que la construction de notre chemin de fer. Alors que les nations étrangères doutaient de l’existence politique de la Belgique, elle prouvait au monde entier sa foi vive dans ses institutions, dans sa nationalité, en faisant des travaux admirables, et que la France, vieille nation, n’avait pas encore eu le courage d’entreprendre chez elle ; l’acte posé en 1834 a été, je le répète, éminemment national, mais au point de vue politique. Au point de vue administratif, cet acte aurait été une faute, si des concessionnaires s’étaient présentés pour doter la Belgique du railway de l’Etat. A cette époque, les concessionnaires qui se présentaient ne voulaient entreprendre que des chemins de fer partiels ; ainsi le chemin de fer de Bruxelles à Anvers qui, aux yeux de tous, devait donner de grands bénéfices. Il y avait donc à la fois raison politique et force majeure de construire notre réseau de chemins de fer, aux frais du trésor, par les soins du gouvernement. Mais parce que la Belgique, à cette époque, a cru devoir s’imposer ce sacrifice, le doit-elle encore aujourd’hui que des compagnies se présentent pour doter la Belgique de la plupart des chemins de fer qui lui manquent ?
L’honorable M. Rogier, ai-je dit, se trompe en croyant qu’en 1834 il y a eu avantage au point de vue administratif. Cela est facile à prouver. Pour quiconque a la pratique des affaires, il est certain que de tous les industriels le meilleur est la personne privée, le particulier isolé, quand il est possible qu’il réunisse les capitaux nécessaires pour une entreprise quelconque. Quand le particulier est impuissant, alors se forme la société en nom collectif. Quand cette société est impuissante, vient la société anonyme. Quand toute société est impuissante, alors seulement il appartient à l’Etat de se charger de l’entreprise.
Quand l’Etat reste dans cette limite, alors l’Etat est habile, alors l’Etat n’est pas immoral (puisqu’on s’est servi de cette expression), et alors l’Etat trouve les ressources financières qui lui sont nécessaires ; car quand il y a un travail nécessaire, utile pour toute la nation, jamais les chambres n’ont manqué ni ne manqueront d’accorder au gouvernement les subsides nécessaires pour mener à fin le travail proposé. Mais, messieurs, il y a longtemps que les principes que je développe ici sont les vôtres. Il y a quatre ans, le chemin de fer de Jurbise, dont on a tant parlé, a été proposé par un amendement de M. Dumortier ; j’ai voté cet amendement ; il a été rejeté.
Pourquoi a-t-il été rejeté ? parce que la chambre a pensé, avec raison, qu’il était temps d’arrêter le gouvernement ; qu’en face des travaux utiles que le gouvernement pouvait faire, il fallait mettre en balance les charges des contribuables.
On parle de chemins de fer qui peuvent rapporter 5, 6 ou 7 p.c. ; mais lorsque vous venez demander au contribuable une partie de son revenu, quand vous venez lui demander des subsides, avez-vous calculé la perte que souvent fait le contribuable, quand les impôts sont exagérés ? Il perd, non pas 7 ou 8 p.c., mais souvent 15 à 20 p.c.
Ainsi donc une fois que le gouvernement s’est trouvé arrêté et a dû se trouver arrêté dans le système de l’exécution des travaux publics aux frais de l’Etat, il a fallu nécessairement recourir à d’autres moyens.
L’honorable M. Rogier, en rabaissant nos ministres, vous a parlé de sir Robert Peel. Certes, messieurs, sir Robert Peel se trouve sur un théâtre ou l’on peut jouer un autre rôle que nos hommes d’Etat ; mais je ne crains pas de le dire, dans les limites d’un pouvoir circonscrit par l’étendue du pays, l’honorable ministre des travaux publics vient de prendre une belle position.
Obsédé qu’il était pas ce besoin de faire, de créer, il a su discerner ce qui intéressait l’Etat, il a su se faire violence à lui-même, il a su se soustraire aux influences qui l’entouraient, il a su, en un mot, faire entrer la Belgique dans une voie nouvelle ; et je le déclare, il a fait tout ce qu’un sir Robert Pelle aurait pu faire en Belgique, s’il y avait été placé à la tête du département des travaux publics ; pour moi, j’en fait mon compliment le plus sincère à M. le ministre des travaux publics. (Marques d’assentiment)
Ce n’est pas en rabaissant nos hommes d’Etat qu’on crée l’esprit national ; on le crée, en appréciant les choses au point de vue de la vérité.
Je n’ai pas peut, quant à moi, de dire aux ministres leurs fautes, mais je suis trop franc, trop loyal, je suis trop bon citoyen, pour ne pas leur payer, quand l’occasion se présente, le tribut d’éloges auquel ils ont des titres légitimes.
(page 1671) Messieurs, pardonnez-moi cette digression ; j’en reviens à l’objet de la discussion.
Les chemins de fer dont il s’agit en ce moment ne peuvent soulever que deux questions importantes, à mes yeux ; l’une consiste dans l’atteinte qui serait portée aux ressources du trésor public ; l’autre, dans un déplacement d’intérêt de localité.
Après ce que vous a dit M. le ministre des travaux publics, je crois que, jusqu’à un certain point, il y aura quelque froissement, mais je ne pense cependant pas que ce froissement soit de nature à nous engager à priver le pays des voies de communication dont on vous demande la concession. Ayant donc examiné ces questions, j’ai mes apaisements, et je suis prêt à voter les concessions demandées.
L’honorable M. Dolez vient cependant de demander la parole pour fournir la preuve qu’un de ces chemins de fer doit porter un préjudice notable à l’Etat. Si ce préjudice, messieurs, était réellement considérable, je changerais probablement de disposition. J’attendrai donc les explications que l’honorable M. Dolez voudra bien nous donner.
Je terminerai, messieurs, et plus promptement peut-être que je n’aurais voulu, parce que je pense que vous moments sont précieux, ou pour mieux dire sont comptés ; je terminerai en vous disant, comme l’honorable M. Rogier, que, plus encore que lui, j’appartiens à une localité parfaitement désintéressée ; je ne sache pas qu’il y ait des chemins de fer pour Bruxelles dans toutes les concessions qui vous sont demandées. C’est donc d’un point de vue tout à fait impartial que j’ai pu discuter brièvement la question générale, et que je puis donner un vote consciencieux sur les projets qui sont en discussion.
M. de Haerne – Messieurs, c’est la troisième ou peut-être la quatrième fois que nous nous occupons de projets de chemins de fer, que les deux systèmes, le système gouvernemental et le système concessionnaire sont mis en parallèle ; une discussion s’est établie dans cette chambre sur la préférence à donner à l’un ou à l’autre de ces deux systèmes.
Ce débat a déjà précédemment occupé assez longtemps les moments de la chambre, et certes, je n’aurais pas demander la parole, pour y prendre part, si je n’étais pas en mesure de citer quelques faits qui ne sont peut-être pas connus généralement des membres de cette chambre.
Mais, messieurs, avant d’aborder ces faits, permettez moi de vous présenter une réflexion générale au sujet des deux systèmes.
L’un de ces systèmes, le système du gouvernement, tient, selon moi, à l’action générale du gouvernement ; l’autre tient à l’action libre des citoyens. Comme on l’a fait remarquer dans une précédente séance, ces deux systèmes sont corrélatifs aux deux tendances qui se manifestent dans l’ordre constitutionnel de nos institutions. D’un côté c’est l’action du gouvernement ; d’un autre côté, c’est l’effet de la liberté. Eh bien, lorsque je considère la question sous ce rapport, je ne puis m’empêcher de me joindre, quant au principe général et à ses tendances aux idées qui vous ont été exposées à diverses reprises, et notamment dans un éloquent discours que vous avez admiré, et dans lequel M. Castiau a soutenu qu’il fallait donner la préférence au régime de la liberté.
Je n’adopte cependant pas d’une manière exclusive les principes de l’honorable membre ; je ne repousse pas absolument le système de l’action du gouvernement, en matière de travaux publics, j’admets cette action, je la crois bonne, utile, nécessaire même dans certains cas. Lorsque la liberté fait défaut, il faut que le gouvernement la supplée.
Voilà quel est mon principe, et je crois pouvoir l’appliquer dans la circonstance actuelle. Ici, des concessionnaires se présentent, ils offrent toutes les garanties désirables, et dès lors je crois qu’on doit préférer le régime de liberté.
Messieurs, on vous a dit à plusieurs reprises ce qui se passe en France et en Angleterre. on a vanté le système français, ou plutôt le système gouvernemental qui est plus suivi en France qu’en Angleterre, et l’on a déprécié le système anglais.
Messieurs, nous avons sans doute dans nos institutions, dans notre manière d’être et de vivre, beaucoup d’analogie avec ces deux nations. En Angleterre, il y a plus de liberté qu’en France ; en France, il y a plus d’égalité qu’en Angleterre. Nous, nous avons à la fois une plus grande somme de liberté et d’égalité que ces deux nations ; et pour appliquer ce principe à la matière qui nous occupe, je crois que les deux systèmes peuvent marcher parallèlement en Belgique, et se soutenir mutuellement, afin que l’un profite de l’autre : le système gouvernementale a l’avantage de la régularité, celui de la concession à l’avantage de l’économie.
Messieurs, les observations critiques qu’on a faites contre la manière dont sont entrepris et exploités les chemins de fer de l’Angleterre, ne sont pas exactes, à les prendre en général. Je pense que l’honorable M. Rogier n’a pas suffisamment étudié les chemins de fer de l’Angleterre pour pouvoir généraliser ainsi sa critique.
Il est vrai que sur beaucoup de chemins de fer de l’Angleterre proprement dite, les voyageurs, surtout les voyageurs pauvres, sont mal à l’aise, maltraités même ; mais il y a en Ecosse et principalement en Irlande des lignes qui, sous ce rapport, ne le cèdent guère aux nôtres ; et cependant ces lignes ont été établies et sont exploitées par des compagnies.
Je vous citerai en Ecosse la ligne d’Edimbourg à Glascow, où le voyageur est bien mieux traité qu’en Angleterre. En Irlande, il y a une ligne inachevée de Belfast à Dublin, les parties exploitées de cette ligne sont aussi bonnes, aussi commodes et peut-être plus confortables que les lignes belges. Les voyageurs de seconde classe se trouvent dans des voitures qui m’ont paru préférables aux nôtres. Et pourtant, si ma mémoire est fidèle, le prix y est supérieur au nôtre seulement d’un sixième, tandis qu’en Angleterre le prix diffère du tarif belge, à peu près du double. Une autre ligne en Irlande, celle de Dublin à Dalkey, chemin atmosphérique qui est exploité par une compagnie, ne laisse rien à désirer. Je pense qu’on ne peut pas soutenir que c’est au système de concession que les abus qu’on signale doivent être attribués.
M. Delehaye – Il s’agit du chemin de fer de Namur à Liége.
M. de Haerne – Je réponds aux observations qui viennent d’être faites. Quand on émet des opinions, c’est pour que ceux qui ne les partagent pas puissent les connaître. J’ai commencé par dire que si la question n’avait pas été soulevée, je ne l’aurais pas reproduite.
On a parlé, à propos du chemin de fer, d’une question de moralité. On a dit que peut-être, dans une certaine opinion, l’on préférait le système des concessions, parce que les voyageurs sont moins bien traités, payent plus cher ; et que, par conséquent, on voyagerait moins sur les chemins de fer entrepris par concession que sur les autres et qu’on éviterait ainsi ce qu’on croyait être une tendance à l’immoralité. Je ne sais à quelle opinion on a voulu faire allusion en proférant ces paroles. Pour ma part, je proteste de toutes mes forces contre une pareille supposition. Non, je ne crois pas qu’il y ait rien d’immoral dans la propagation des idées, dans la facilité des communications. Je crois tout le contraire, et pour prouver ce que j’avance, je dirai que si les erreurs se propagent plus facilement par la rapidité des communications, la vérité suit aussi le même élan. Comme j’ai plus de confiance dans la vérité que dans l’erreur, je crois que par le progrès des communications et de la civilisation, c’est la vérité qui doit l’emporter. Je dirai qu’en Belgique, je suis fier des grandes œuvres qui se sont accomplies en Belgique, je suis fier que ma patrie ait pu se mettre à la tête des nations du continent, donner l’élan à l’Europe continentale. Les chemins de fer, d’après leur destination, doivent répandre la vie commerciale, la vie industrielle. La Belgique a été placée de manière à avoir une grande part dans l’activité du corps social. la Belgique est la station centrale de l’Europe, elle se trouve placée au cœur du mouvement accéléré établi sur le continent, c’est de ce centre que partent les artères destinées à répandre une vie nouvelle parmi les nations. Sous le rapport industrielle aussi bien que le rapport moral, nous sommes placés dans la situation la plus heureuse.
Les deux langues que parle la nation et qui la mettent en rapport avec la civilisation du Midi et celle du Nord, lui donnent la plus grande facilité pour participer à la propagation des lumières qui viennent du Nord et du Midi, de l’Est et de l’Ouest, se reflètent dans le foyer et se répandent au loin. Les railways, en nous familiarisant avec l’Allemand, l’Anglais, le Français, doivent nous faire participer aux progrès de ces nations et nous faire faire un pas immense dans la voie de la civilisation. Pour répondre à l’allusion qu’on a faite à l’immoralité qui résulterait de l’accélération des voies de communication, je ne dirai plus qu’un mot. J’ai assisté à l’inauguration des chemins de fer de Rouen et d’Orléans, cette inauguration a été consacrée par le clergé.
Une autre observation que je me permettrai de faire, en terminant (je crains d’abuser des moments de la chambre), c’est que je préfère au système du gouvernement celui de la liberté. Je pense que le système gouvernemental ne doit intervenir qu’à défaut de celui de la concession.
En matière de chemins de fer comme en toutes choses, il doit y avoir progrès constant. Qui sait si les chemins de fer resteront encore longtemps dans l’état actuel, si de nouvelles améliorations ne seront pas introduites, si on ne changera pas de système, si le système atmosphérique, par exemple, ne sera pas perfectionné au point de pouvoir être substitué au système actuellement adopté en Belgique ? Sous le rapport de l’humanité, je crois le railway atmosphérique préférable pour éviter les accidents et les suites funestes auxquelles on est exposé avec le système actuel. Je crois que, pour suivre les progrès qui s’introduiront nécessairement dans cette industrie comme dans les autres, les compagnies ont plus de facilités que le gouvernement qui n’est pas excité par l’intérêt qui guide toujours les particuliers.
M. Dolez – Messieurs, après les dissertations théoriques que vous venez d’entendre, ce n’est point sans quelque hésitation que je me permets de prendre la parole pour tenir un langage plus modeste et plus simple. Je n’ai pas à traiter de pareilles questions ; je veux seulement dire quelques mots dans l’intérêt du trésor public. je pense qu’au nom de cet intérêt, vous voudrez bien prêter à ma voix fatiguée et souffrante quelques moments d’attention.
Je vous ai annoncé que j’entendais démontrer à la chambre que le chemin de fer de Manage à Mons et les projets nouveaux, qui en ont été la conséquence nécessaire et que vous propose, à ce titre, le rapport de la commission doivent avoir pour résultat d’enlever au trésor public tous les péages qui seront perçus soit sur l’une, soit sur l’autre de ces voies nouvelles ; je vais vous le prouver.
Je me place d’abord au point de vue du chemin de fer de l’Etat. Si vous avez devant les yeux la carte représentant le chemin de Manage à Mons que l’on vous demande de concéder, et celui de l’Etat, qui, lui aussi, conduit de Manage à Mons par Braine-le-Comte, vous comprendrez, à la seule inspection de cette carte, tout ce que le chemin projeté peut enlever à celui de l’Etat. Je vois M. le ministre se hâter trop peut-être de me faire un signe négatif.
La ville de Mons a d’importantes communications avec le bassin du Centre, avec le canton et avec l’arrondissement de Nivelles : la presque totalité de ces relations s’opère aujourd’hui par le chemin de fer de l’Etat (page 1672) partant de Mons par Braine-le-Comte ; où s’opéreront à l’avenir ces communications ? Par la voie la plus directe que vous allez établir entre Mons et Manage.
Il paraît incontestable que le mouvement de voyageurs qui a lieu entre les localités que je viens de citer sera enlevé totalement au trésor public, par le chemin de fer nouveau. Cette considération était trop saillante, pour que les auteurs du projet de loi ne cherchassent pas à la renverser, et qu’a-t-on dit ? On a avancé sérieusement que la compagnie concessionnaire ferait marcher ses convois si lentement que les voyageurs ne voudraient pas les prendre ! Lisez l’exposé des motifs de M. le ministre et le rapport si incomplet de votre commission, vous verrez qu’on y dit que les courbes sont telles que la marche des convois sera nécessairement fort lente et qu’on préférera toujours prendre les convois à grand vitesse des chemins de fer de l’Etat. Mais qui ne sait que l’intérêt privé est aussi actif et aussi ingénieux, pour ne pas être arrêté par des difficultés illusoires et que les concessions trouveront bien moyen de les vaincre. Quand la compagnie aura obtenu la concession de ce chemin, elle saura bien l’établir et l’exploiter de manière que ses convois soient non pas seulement aussi rapides, mais même plus rapides que ceux de l’Etat. Ce premier point paraît donc incontestable.
J’ajouterai que le préjudice ne doit pas s’arrêter au mouvement entre Mons et les localités que j’ai citées ; il doit s’étendre à la correspondance entre Mons et Charleroy, entre Mons et Namur, puisque pour cette correspondance le nouveau chemin présentera une grande économie de parcours et de temps.
La raison en est simple, indépendamment du détour qu’il faut faire, en suivant le chemin de fer de l’Etat, on a à subir à Braine-le-Comte l’inconvénient de la jonction des convois venant de Namur d’une part, de Bruxelles d’autre part, et de Mons de troisième part. Il y a là un temps d’arrêt nécessaire, parce que le convoi arrivant d’une ligne verse ses voyageurs dans le convoi de l’autre ligne qui doit nécessairement l’attendre. Il y aura économie de temps à abandonner à Manage le service de l’Etat, pour prendre celui de la compagnie. Il semble même que l’on ait pris soin de faciliter ce résultat par toutes les conditions de l’entreprise.
A Manage, la station de la compagnie est à côté de celle de l’Etat, si même elle n’est pas confondue avec elle. A Mons même, la compagnie concessionnaire, d’après les documents publiés à l’appui du projet de loi,aura sa station dans la station de l’Etat ; on y signale même, comme un avantage, que les agents de l’Etat pourraient être en même temps les agents de la compagnie.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Où cela est-il dit ?
M. Dolez – C’est dans le rapport de l’ingénieur à M. le ministre, rapport que vous nous avez remis à l’appui de votre projet.
Je suis donc fondé à dire que le chemin de fer de manage doit occasionné au trésor un préjudice important. Ce n’est pas tout : il est dans le projet qui nous occupe, d’autres causes de préjudice pour le trésor public, dont on n’a pas parlé, qui ont échappé, je ne sais comment, à la sollicitude dont je ne puis douter que M. le ministre des travaux publics soit animé pour les intérêts du trésor.
Déjà, depuis longtemps, la construction du canal de Jemappes à Alost a été décrétée et la concession en a été adjugée, conformément aux lois sur la matière. Ce canal, pris isolément, était de nature à satisfaire aux besoins d’une importante industrie, sans occasionner un grave préjudice au trésor public.
Il devait, en effet, conduire en Hollande les charbons de Mons, qui n’y parviennent plus aujourd’hui.
Mais quand à ce canal se rattachera le chemin de fer de Manage, savez-vous ce qui en résultera ? C’est que le canal de Charleroy perdra une grande partie de ses immenses produits. Ce canal, je prie la chambre de ne pas le perdre de vue, figure au budget des voies et moyens pour une somme de 16 à 17,000 francs pour l’exercice actuel.
De quels éléments s’alimentent ses produits ? D’abord, des transports des produits des charbonnages du Centre vers Bruxelles. Sous ce rapport, le chemin de fer de Manage n’occasionnera aucun préjudice au trésor ; ils s’alimentent encore de tout ce que les houillères du Centre et de Charleroy envoient au-delà de Bruxelles à Anvers, notamment, qui est un marché excessivement important, et de tout ce que les charbonnages peuvent envoyer en Flandre et en Hollande.
Eh bien, savez-vous ce qui arrivera, quand le chemin de fer de Manage à Mons aura mis les charbonnages du Centre en rapport avec le canal de Jemappes à Alost ? on abandonnera le canal de Charleroy, appartenant à l’Etat, pour prendre les communications appartenant à ces concessionnaires, le chemin de fer de Manage à Mons et le canal de Jemappes à Alost.
Un simple rapprochement de chiffres le démontrera.
Partant des charbonnages du Centre, on arrive à Boom, point correspondant, pour le canal de Charleroy, à Termonde pour le canal d’Alost.
On paye par tonneau :
1° Droits des embranchements du canal de Charleroy fr. 1,00
2° Droits du canal de Charleroy fr. 3,07
3° Droits du canal de Willebroeck c. 31
Total, fr. 4,38
Pour arriver dans le bas Escaut par le chemin de fer de Manage et par le canal d’Alost, on paye :
1° Droit du chemin de fer fr. 1,60
2° Droit du canal de Jemappes à Alost fr. 1,40
Total fr. 3,00
Voilà donc déjà une différence de 1 fr. 38 en faveur des voies concédées.
Ce n’est pas tout encore. Le canal de Charleroy, par une faute qu’on n’est plus à regretter maintenant pour la première fois, n’a pas été construit à grande section. Il en résulte que, pour arriver dans les eaux inférieures, on est obligé de rompre charge, soit à Bruxelles, soit à Boom, soit à Anvers, et de transborder sur des bateaux d’une capacité plus grande, les charbons qu’on veut envoyer en Flandre ou exporter en Hollande. De ce chef, il s’opère en frais et en détérioration de la marchandise une perte de 50 centimes par tonneau, ce qui porte à 1 fr. 88 l’avantage que les expéditeurs trouveront à abandonner le canal de Charleroy pour prendre le chemin de Manage et le canal d’Alost.
Je pourrais, messieurs, vous montrer un résultat bien plus frappant encore, si je tenais compte de la question du fret, qui sera tout à l’avantage du canal d’Alost, mais je m’abstiens de le faire, le simple élément des péages suffisant à ma démonstration.
Voilà, messieurs, pour le chemin de fer de Manage !
Je sais bien que M. le ministre des travaux publics viendra me dire qu’il y aura pour le trésor public des compensations.
Les charbons, arrivés à Mons, prendront le canal de Mons à Condé et le canal d’Antoing, pour arriver en France par le premier et en Flandre par le second. Je crois cette compensation tout à faire illusoire sous un double rapport.
En effet, pour aller en Flandre, deux voies sont ouvertes aux charbons du Centre. D’abord le canal de Charleroy, dont il serait utile de réduire les péages, puis le chemin de fer de l’Etat partant de Manage et se rattachant à l’Escaut par le chemin de fer de Jurbise à Tournay. La communication du bassin du Centre avec la Flandre par l’Escaut peut donc être atteinte par des voies qui appartiennent au trésor public, sans qu’il soit besoin d’un nouveau chemin de fer de Manage.
Je compte le chemin de fer de Jurbise à Tournay comme une voie qui appartient à l’Etat ; car il ne faut pas perdre de vue que ce chemin, quoique concédé, intéresse directement le trésor public, puisque 50 p.c. des recettes lui appartiennent.
Au lieu de faire le chemin de fer de Manage à Mons, que l’on propose de rattacher les charbonnages du Centre au chemin de fer de l’Etat à Manage, à l’instar de ce qui a été fait pour les rattacher au canal de Charleroy, et à la voie que j’indique pour arriver à l’Escaut supérieur pourra être suivie avec avantage.
Quant à l’avantage que l’on prétend que le chemin de fer de Manage à Mons procurera au canal de Mons à Condé, par les expéditions vers Paris, je vous démontrerai bientôt qu’il est une véritable chimère.
Maintenant, j’aborde les autres éléments du débat qui nous occupe.
Ici je dois à la sincérité que j’ai toujours montrée à la chambre, de lui faire l’aveu du motif primitif de mon opposition au projet de loi.
Lorsque le chemin de fer de Manage à Mons fut projeté, la première pensée qui me préoccupa fut l’intérêt du district que j’ai l’honneur de représenter. J’envisageai le préjudice qu’il devait occasionner à l’important et intéressant district de Mons.
Ce préjudice était tel qu’il devait amener le gouvernement et les chambres à ne pas admettre le projet, sans donner des compensations aux charbonnages de Mons. Tout le monde reconnut bientôt cette vérité, qui s’étendait d’ailleurs, quoique avec une moindre importante, au district de Charleroy. Mais si les compensations accordées étaient de nature à désintéresser mon district électoral, elles n’étaient point de nature à effacer la conviction que je m’étais formée sur les dangers que courrait le trésor public. Je dus, dès lors, à ce titre, continuer à considérer comme un devoir d’appeler l’attention de la chambre sur ces dangers.
Les compensations offertes consistent dans de nouvelles voies de communications qui elles aussi doivent être livrées à des compagnies concessionnaires qui doivent à leur tour imposer les plus graves sacrifices au trésor public. Ainsi, Charleroi aurait un chemin de fer, partant de son faubourg de Marchiennes, se dirigeant vers Erquelinnes à notre extrême frontière vers la France.
Quel est le but de ce chemin de fer ? C’est d’éviter le péage de la Sambre. C’est de substituer les péages du chemin de fer de la compagnie concessionnaire aux péages de la Sambre, propriété du trésor public. Et qu’on ne le nie pas : cela est écrit nettement dans le rapport de la commission.
On y lit :
« Le chemin de fer de Marchienne-au-Pont à la frontière de France, indépendamment des facilités et des avantages qu’il assure aux populations et à l’industrie de la vallée de la Sambre, permettra aux produits de l’arrondissement de Charleroy, d’atteindre le point d’Erquelinnes sur la haute Sambre belge, à des conditions analogues à celles offertes aux produits du Centre, par l’embranchement du chemin de fer de Manage à Mons. »
Ainsi, l’on abandonne votre communication domaniale, faite aux frais du trésor public, la Sambre, pour prendre le chemin de fer de la compagnie concessionnaire, qui vous conduit où ? A la Sambre française. Et cette Sambre belge pour laquelle le trésor a dépensé des millions, on l’abandonne ; pourquoi ? En vérité, je ne sais que répondre.
M. Dumont – Je demande la parole.
M. Dolez – Dira-t-on que c’est parce que les droits de navigation sont trop élevés ? Je ne serai pas l’adversaire de qui tiendrait ce langage, et j’aime çà le rappeler, il y a trois ans déjà que j’ai signalé les inconvénients des péages énormes qu’on perçoit sur notre navigation intérieure.
Si les péages sont trop élevés, qu’on les réduise ; car, que l’on ne se trompe point sur ma pensée ; je ne veux point ériger nos canaux en voies fiscales, je veux, au contraire, donner à notre industrie les facilités les plus étendues ; mais ce que je ne veux pas, c’est qu’on substitue des voies concédées à celles qui appartiennent à l’Etat quand le but qu’on poursuit peut être atteint par une réduction des droits qui se posent sur ces dernières. Ces réductions (page 1673) seront un avantage pour le commerce, et elles ne nuiront pas au trésor public ; car la réduction des droits augmente la circulation.
Qu’on réduise donc les péages ; cette mesure n’aura pas de défenseur plus zélé, plus dévoué que moi. Mais qu’on élude nos voies de navigation domaniales, uniquement dans l’intérêt de ces compagnies qui se sont improvisées depuis quelques semaines, voilà ce que mon dévouement aux véritables intérêts de mon pays doit me porter à repousser.
Je viens de vous parler de l’indemnité que l’on accorde au district de Charleroy. Je dois vous entretenir de celle que l’on accorde à Mons.
Elle consiste dans la création du canal de la Trouille, qui doit aboutir de Mons à la Sambre.
Quel est donc le but de ce canal ? De permettre aux charbons de Mons d’aller à Paris par une autre voie que par le canal de Mons à Condé et le canal de St-Quentin, c’est-à-dire en anéantissant la majeure partie des produits d’un canal, pour les revenus duquel vous avez, dans votre dernière session, émis un vote qui a porté la perturbation dans les finances de la plus importante de nos provinces, qui en garde toujours le pénible souvenir qu’inspire le sentiment d’une grave injustice.
Il y a un an, je défendais à ce sujet, contre l’honorable M. Malou, les intérêts de la province du Hainaut. Mes efforts on été vains. L’Etat a repris le canal.
Et maintenant, pour compenser le préjudice que le chemin de fer doit causer au trésor public, on vous propose d’annihiler le produit du canal de Mons à Condé ! Est-ce logique ? Est-ce comprendre l’intérêt du pays.
M. le ministre des travaux publics, qui doit connaître ces questions, mérite-t-il, en agissant ainsi, les éloges si exagérés que vient de lui adresser un honorable orateur qui siège à ma droite ? Pour moi, je ne puis le croire.
Maintenant, savez-vous pourquoi je dois, presque à la fin de vos débats, vous soumettre ces questions qui auraient dû vous être signalées par le gouvernement lui-même et au moins dès les premiers pas de votre examen ? C’est parce que dans le cours de cette affaire, on a procédé avec une légèreté que je déplore, autant dans l’intérêt du pays que dans l’intérêt de la dignité de la chambre. En voulez-vous une preuve ? Elle est matérielle. On a déposé, dans la séance du 3 mai, le rapport d’un de nos honorable collègues, contenant l’exposé des délibérations de la commission ; eh bien ! que lisons-nous dans ce rapport ?
Je vois que M. le ministre des travaux publics a donné communication à la section centrale d’une convention intervenue entre MM. Bisschoffsheim et consorts, et le gouvernement belge. C’est à la page 5 :
« M. le ministre a donné connaissance à la section centrale des négociations entamées avec les demandeurs en concession de ces lignes nouvelles et il lui a communiqué deux conventions passées avec une compagnie belge, pour l’exécution d’un canal de Mons à la Sambre et de la branche ferrée, des charbonnages du centre à Erquelinnes, ainsi qu’une convention conclue avec une autre compagnie, pour la construction d’une branche de chemin de fer, de Marchienne au même point d’Erquelinnes. »
Voilà, messieurs, ce qu’on vous dit dans un rapport déposé le 3 mai, et, on annexe à ce rapport la convention dont on parle. Eh bien, messieurs, savez-vous quelle est la date de la convention ? Elle est du 5 mai.
Cette convention est postérieure de deux jours au dépôt du rapport.
Messieurs, je savais que la rapidité des chemins de fer pouvait aller fort loin ; mais je ne pensais pas, je l’avoue, qu’elle dût aller, entre les mains de la section centrale, jusqu’à faire obtenir communication d’une convention avant même qu’elle ne fût faite.
C’est cependant ce que nous voyons se réaliser entre les mains de la section centrale.
Eh bien, messieurs, moi qui n’aime pas les déceptions, moi qui aime la réalité, alors qu’il s’agit de l’intérêt du trésor public, je demande à la chambre de ne pas donner sa sanction à un projet qui n’est pas mûr, qui a été mal étudié, mal compris par la commission elle-même et dont personne ne voit la portée ; à un projet qui soulève des questions de la nature de celles que je viens de vous signaler, à un projet qui mérite un long et consciencieux examen, avant que vous puissiez en connaissance de cause répondre qu’il vous est possible, comme député, de donner votre vote approbatif aux propositions du gouvernement et de la commission.
Au reste, messieurs, je n’entends pas que la difficulté qui s’élève pour le chemin de fer de Manage à Mons, soit de nature à entraver la concession du chemin de fer de Namur à Liége, pour lequel il paraît qu’aucune objection sérieuse ne s’élève. Je fais donc formellement la proposition de voter par division sur les deux parties du projet. Je pense que la chambre, persévérant dans les idées de prudence qui l’on toujours animée, ne voudra pas montrer au pays un triste et déplorable exemple de légèreté qui terminerait bien mal la longue et laborieuse session dont nous atteignons le terme.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, avant de répondre au discours de l’honorable préopinant, je commence par déclarer que la disjonction serait vraisemblablement une clause résolutoire. Le chemin de fer de Liége à Namur et celui de Mons à manage font l’objet d’une seule et même convention, comme le chemin de fer de Jurbise à Tournay et celui de St-Trond à Hasselt faisaient l’objet d’une même convention que nous avions considérée comme étant indivisible.
Ainsi, prononcer la disjonction, c’est évidemment compromettre le sort non-seulement du chemin de fer de Mons à Manage, mais aussi du chemin de fer de Liége à Namur.
Messieurs, lorsque l’honorable M. Dolez a pris la parole pour démontrer que le chemin de fer de Mons à Manage devait enlever au trésor public des produits qui lui sont maintenant acquis, je vous avoue que j’étais curieux de voir de quelle manière l’honorable membre pourrait parvenir à démontrer une thèse qui me paraissait insoutenable.
D’abord, avant de répondre aux détails de chiffres, il suffit de jeter les yeux sur la carte pour comprendre que le but du chemin de fer qui doit relier Manage à Mons, est de fournir au bassin houiller du Centre un débouché, d’une part, vers Mons et le canal de Condé à Charleroy, et d’autre part, par la station de Manage, d’un côté, vers Braine-le-Comte et le pays d’Ath, d’Enghien et de Lessines, de l’autre côté vers l’Entre-Sambre-et-Meuse.
Il doit paraître évident, par cette simple énonciation, messieurs, que ce chemin de fer est appelé à donner un tonnage nouveau au cal de Condé à celui d’Antoing, et d’un autre côté, qu’il est destiné à amener à la station de Manage vers Braine-le-Comte et vers Charleroy et l’Entre-Sambre-et-Meuse, des transports nombreux qui n’existent pas actuellement.
L’honorable M. Dolez a parlé d’abord d’un mouvement de voyageurs important, selon lui, qui existait entre Mons et les localités qui entourent la station de Manage. Messieurs, je connais quelque peu ces localités ; mais je dois avouer que ce mouvement de voyageurs auquel l’honorable membre a fait allusion, m’est complètement inconnu. Je me souviens parfaitement bien qu’avant l’établissement du chemin de fer de Braine-le-Comte et de Mons, il n’y avait qu’une seule diligence entre Mons et Seneffe, et qui ne desservait que quelques jours de la semaine ces localités.
Mais je suppose un moment que ce mouvement de voyageurs existe. Eh bien, je renouvelle l’observation qui est consignée dans l’exposé des motifs et à laquelle, selon moi, l’honorable membre n’a pas suffisamment répondu. Le chemin de fer de Mons à Manage est un chemin industriel établi d’après un système de courbes à petits rayons et de pentes qui s’élèvent à 10 millimètres par mètre sur une grande étendue. Il ne se trouve donc pas dans des conditions d’exploitation pour servir au transport des voyageurs.
L’honorable membre répond à cela que la compagnie trouvera bien moyen de l’établir d’une autre manière et à d’autres conditions. Messieurs, cela est complètement impossible. D’après les études faites par les ingénieurs de l’Etat, il n’y a pas de possibilité matérielle d’établir ce chemin de fer d’après un autre tracé. Dès lors, je le demande, alors que ce chemin de fer se trouvera continuellement encombré de convois de marchandises, allant à petite vitesse, est-il possible de croire que les voyageurs préféreront cette voie si incommode en subissant un changement de convoi et peut-être de station à Manage, à la voie existant par Braine-le-Comte, et cela pour éviter un léger détour d’une lieue ?
Mais, dit l’honorable membre, et c’est ici que ses observations acquièrent plus d’importance, il faut combiner le chemin de fer de Mons à Manage avec l’exécution possible du canal de Jemappes à Alost ; et de cette double exécution, il a déduit la conséquence que le canal de Charleroy perdrait une partie importante des transports actuels, des charbonnages du Centre vers l’intérieur, vers Anvers et vers la Hollande.
D’abord, je répondrai à l’honorable membre, que si ce fait était aussi exact que je crois peu, il devait s’en prendre plutôt à l’exécution du canal de Jemappes à Alost qu’à l’exécution du chemin de fer de Manage à Mons, et je ne pense pas que l’honorable M. Dolez veuille arriver à cette conclusion, le canal de Jemappes à Alost étant destiné à ouvrir le marché de la Hollande au district que l’honorable membre représente plus spécialement dans cette enceinte.
M. Dolez – Je demande la parole
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Mais je ne crois pas que ce chemin de fer combiné avec le canal de Jemappes à Alost puisse déposséder le canal de Charleroy des transports qui lui sont actuellement acquis.
Ainsi, l’honorable M. Dolez a reconnu d’abord que la plus grande partie des transports sur le canal de Charleroy, ont lieu vers les marchés de Bruxelles, de Malines et de Louvain. Or, ces transports resteraient toujours acquis au canal de Charleroy. Cet aveu de l’honorable M. Dolez ôte presque toute valeur à son objection.
Pour Anvers, messieurs, je ne pense pas que les transports du Centre et de Charleroy choisissent le chemin de fer nouveau qu’il s’agit de concéder pour essuyer un transbordement coûteux à Mons, et la détérioration que la houille éprouve sur les convois et par ces transbordements.
Je ferai remarquer d’abord que, dans les calculs que l’honorable membre a présentés, il a commis plusieurs erreurs. Ainsi il n’a pas tenu compte du transbordement des produits que le chemin de Manage versera dans le canal de Jemappes. Dans ses calculs, il n’est question que des péages au lieu du fret total, qui constitue la dépense réelle des transports. Voyons donc quel est le fret comparé du centre vers Anvers, par le canal de Charleroy et par les voies nouvelles.
M. Dolez a avancé que le transport d’un tonneau de houille à Anvers, par les voies nouvelles, ne coûterait que 3 fr.
C’est une erreur évidente ; en effet, le trajet moyen des charbonnages du Centre au bassin de Jemappes est de 5 lieues et non de 4 lieues, comme l’a pensé l’honorable préopinant.
5 lieues à 40 centimes, fr. 2
Transbordement à Jemappes, c. 30
Le péage, le halage et le batelage sur le canal de Jemappes à Alost, fr. 3,34
D’Alost à Termonde, c. 37
Halage et batelage de Termonde à Anvers, fr. 1,04
Fret total : fr. 6,05
C’est là une évaluation minimum et en dessous de celle des ingénieurs
Par le canal de Charleroy, le tonneau de houille coûte en péages, d’après l’honorable M. Dolez, fr. 4,79
A ce chiffre, il faut ajouter le fret simple, fr. 1,70
Fret total : fr. 6,49.
Mais il faut diminuer les trois quarts du péage sur les canaux de l’Etat (page 1674) pour les expéditions vers la Hollande, c’est-à-dire de 2 fr. 30, ce qui laisse un avantage de 1 fr. 86 à la ligne de l’Etat.
En résumé donc, les voies nouvelles n’enlèveront rien au canal de Charleroy pour l’approvisionnement de Bruxelles, de Louvain et de la Hollande. Le fret vers Anvers sera sensiblement le même par les deux voies, mais les charbonnages du Centre préféreront toujours la navigation directe et sans rupture de charge du canal de Charleroy, que de faire le détour par Mons en employant tour à tour un chemin de fer et un canal.
Je prie les membres de la chambre de relire l’excellent travail de M. Vifquain sur nos voies navigables ; ils y verront traitée en détail la question du canal de Jemappes à Alost, comme celles du canal d’Erquelinnes et de la communication à établir du Centre vers Mons. Ils remarqueront que, selon l’avis unanime du conseil des ponts et chaussées le canal de Jemappes à Alost n’est pas destiné à enlever une partie notable du tonnage des canaux d’Antoing et de Charleroy.
Il est donc bien évident qu’à prix à peu près égal, et le prix est à peu près égal, on continuera, pour approvisionner le marché d’Anvers, à se servir du canal de Charleroy.
J’admets une possibilité, si le canal de Jemappes à Alost est établi. Je pense qu’effectivement les houilles de Mons en destination de la Hollande se transporteront par la voie nouvelle indiquée par l’honorable M. Dolez. Mais n’oubliez pas, messieurs, que ce transport n’existe pas actuellement. Ainsi, ni le canal de Charleroy ni le canal d’Antoing ne le perdront. C’’est un transport nouveau que l’on crée.
J’arrive à une autre considération relative au chemin de fer de Marchienne à Erquelinnes. L’honorable M. Dolez nous a dit, messieurs, que ce chemin de fer est demandé dans le but de déposséder la Sambre. C’est là une erreur complète. Le fret de Marchienne-au-Pont à Erquelinnes est maintenant de 1 fr. 80 ; par le chemin de fer nouveau, le parcours est de 6 lieues ce qui, par tonneau, fait 2 fr. 40. il est donc impossible de croire que les transports pondéreux de Charleroy iront prendre le chemin de fer. On n’ira pas payer, au lieu de 1 fr. 80, 2 fr.40, et cela sans tenir compte du transbordement qui devrait avoir lieu à Erquelinnes.
Les demandeurs en concession n’ont pas fait entrer dans leurs calculs de produits le transport des matières pondéreuses qui se fait maintenant sur la Sambre si ce n’est en cas d’interruption de la navigation. J’ai eu entre les mains le rapport fait sur cette ligne par M. Cordier, inspecteur divisionnaire en retraite en France, et il ne compte les transport de matières pondéreuses que comme devant s’élever à quelques centaines de tonneaux. Le but de ce chemin de fer est de prolonger le chemin de fer de St-Quentin à Maubeuge, jusqu’à Charleroy. Son but, c’est le transport des voyageurs et non pas le transport des produits pondéreux.
L’honorable membre, poussant plus loin cet intérêt (qu’il me permette de me servir de ce terme) cet intérêt exagéré pour le trésor public, a trouvé que le canal de Mons à la Sambre présentait cet inconvénient, qu’il était destiné à enlever au canal de Condé les transports des houilles de Mons vers Paris.
Je vous avoue que c’est la première fois que j’entends élever une pareille objection contre l’exécution du canal de Mons à la Sambre. Ce canal a fait l’objet des études du gouvernement depuis l’empire, et des vœux constants du bassin houiller de Mons. Mais on n’a jamais songé jusqu’ici à supputer quelle serait la perte qu’éprouverait le trésor par la diminution éventuelle du tonnage sur le canal de Condé, pour en faire une objection sérieuse contre la construction de cette voie importante. C’est l une considération que je trouve excessivement accessoire, en présence du but principal que nous ne devons pas perdre de vue, c’est-à-dire le but commercial, industriel et d’intérêt public.
Messieurs, le but de cette voie de communication, l’honorable membre ne l’ignore pas, est aussi de faire la loi au canal de St-Quentin. Maintenant le canal de St-Quentin se trouve entre les mains de concessionnaires, et il est grevé de droits énormes. En créant une deuxième voie de Mons sur Paris, on fait positivement la loi au canal de St-Quentin. Du reste, n’oubliez pas, messieurs, que le canal de Condé recevra, en compensation, un tonnage nouveau par l’achèvement du canal de l’Espierre. Le canal d’Antoing est déjà arrivé à son maximum d’éclusage, on se plaint de l’encombrement fâcheux qui y existe ; lorsque le canal de l’Espierre sera ouvert et viendra ajouter un nouveau tonnage à celui qui existe maintenant on aura indispensablement besoin d’une nouvelle voie de dégagement vers Paris et Rouen.
M. Dolez – Je n’ai pas parlé du canal d’Antoing. M. le ministre des travaux publics devait savoir mieux que moi que ce canal ne conduit point à Paris. J’ai parlé du canal de Mons à Condé.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je me suis peut-être mal exprimé, mais ma pensée est claire pour tout le monde.
Messieurs, l’honorable membre a quelquefois défendu contre moi dans cette enceinte une idée que je me permets de lui rappeler. Il a souvent soutenu avec moi que dans les questions des chemins de fer et de voies navigables, l’intérêt du trésor, dont le gouvernement doit tenu compte, sans doute, n’est cependant que secondaire. L’intérêt principal est le but commercial, le but industriel, le but d’ouvrir des communications nouvelles qui créent des sources nouvelles de richesses et pour le pays et pour le trésor public lui-même par les revenus indirects qu’il en reçoit.
Le chemin de fer de Mons à Manage fait partie d’un système de communication déjà ancien. Ainsi, depuis l’empire, on toujours songé d’une part à rattacher Mons à la Sambre, par le canal de Mons à Erquelinnes, qui forme la jonction de toutes nos voies navigables, et d’autre part le canal de la Haine devait rattacher le bassin houiller du Centre à Mons, afin de faire participer ce riche bassin aux voies de communication qui lui manquent vers l’extérieur.
Mais, messieurs, dans le Hainaut, il y a trois bassins houillers : le bassin de Mons, le bassin de Charleroy et le bassin du Centre.
Le bassin de Mons est en possession du canal de Condé qui lui ouvre le canal de St-Quentin et le marché français ; il est en possession du canal d’Antoing et de l’Escaut vers l’intérieur ; il jouira bientôt d’une nouvelle voie vers l’intérieur et vers la Hollande, le canal de Jemappes à Alost ; bientôt nous verrons achevé le canal de l’Espierre qui est destiné à lui donner le marché de Lille et de Roubaix ; il y a le chemin de fer de l’Etat, et si la loi que nous discutons maintenant est adoptée, comme je l’espère, il aura ce qu’il demande depuis tant d’années, la jonction du canal de Mons à la Sambre par la vallée de la Trouille. Il est difficile de réunir plus de richesses en voies de communication.
Le bassin de Charleroy est en possession de la Sambre et du canal de la Sambre à l’Oise qui lui donne accès au marché français ; il possède le chemin de fer de l’Etat ; on vient de le doter du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, destiné à créer pour lui un nouveau marché de consommation, les Ardennes françaises et la Marne…. ; on vient de le doter du chemin de fer de Jemeppe à Louvain et on lui crée ainsi une nouvelle communication importante.
Le bassin du Centre n’a qu’une communication vers l’intérieur du pays, le canal de Charleroy construit à petite section et grevé de droits énormes ; ce bassin est situé à deux lieues de toutes les communications si riches vers l’extérieur que possèdent Charleroy et Mons. Et l’on voudrait, messieurs, par un système d’exclusion que je ne m’explique point, empêcher ce centre industriel d’être relié, par le chemin de fer de Manage à Mons, à toutes ces voies de communication vers l’étranger que les bassins de Mons et de Charleroy ne doivent nullement s’effrayer de partager avec lui, car les qualités des houilles des trois bassins sont tellement différentes que la concurrence est impossible.
L’honorable M. Dolez s’étonne que la section centrale ait admis avec une sorte de précipitation, comme le gouvernement lui-même, la concession du canal de Mons à la Sambre ; mais, messieurs, l’honorable membre voudra bien se le rappeler, il n’est pas, en Belgique, en fait de travaux publics, une question plus ancienne que celle-là ; il y a eu non-seulement de longues études faites par les ingénieurs, non-seulement des enquêtes où tous les intérêts ont été défendus, mais on est arrivé même jusqu’à l’adjudication publique. Ainsi, cette question est parfaitement connue des membres de la chambre, elle est ancienne, elle est jugée, et le gouvernement a été heureux de trouver une compagnie concessionnaire qui consentît à exécuter cette jonction de toutes nos voies navigables, cette belle communication commerciale.
Je rappellerai à l’honorable membre, que dans l’enquête qui a eu lieu à Mons, et dont je faisais partie, que dans cette enquête où tous les intérêts étaient représentés, les bassins de Mons, de Charleroy et du Centre, sont tombés d’accord sur l’utilité d’exécuter le canal de la Haine, qui est remplacé par le chemin de fer de Mons à Manage, qu’ils sont tombés d’accord sur l’utilité de cette exécution, à la seule condition que le canal d’Erquelinnes s’exécutât simultanément. Eh bien, c’est cette simultanéité d’exécution que vous allez décréter en votant les projets de chemin de fer de Manage à Mons, substitué au canal de la Haine, et du canal de Mons à la Sambre.
Ainsi, messieurs, le chemin de fer de Mons à Manage, et le canal de Mons à la Sambre, forment l’ensemble d’un système ancien, d’un système qui a étudié, sur lequel des enquêtes ont été faites, et je demanderai à l’honorable membre, si, lorsqu’il propose la disjonction, il entend aussi repousser l’article du projet par lequel le canal de Mons à la Sambre serait autorisé ?
M. Dolez – Je viens de déposer sur le bureau une proposition qui satisfait complètement à l’observation de M. le ministre des travaux publics. Je demande que la chambre vote séparément sur le chemin de fer de Namur à Liége et sur le chemin de fer de Mons à Manage et ses dépendances. Vous voyez donc, messieurs, que je ne suis pas guidé par un étroit esprit de localité lorsque je demande à repousser par mon vote le chemin de fer de Marchienne-au-Pont à Erquelinnes.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je considérerais comme une chose déplorable le rejet de cette partie de la loi. Comment ! nous trouvons l’occasion heureuse, inattendue, d’exécuter aujourd’hui ce que le gouvernement rêvait depuis l’empire, le grand canal de jonction de toutes nos voies navigables, le canal de Mons à la Sambre, et le chemin de fer de Mons à Manage qui remplace l’ancien canal de la Haine, en nous laisserions échapper cette occasion ! Je dis que ces deux voies de communication sont destinées à nous ouvrir des marchés nouveaux, à nous assurer complètement le marché de Paris et à nous faire reconquérir le marché de Rouen que nous avons perdu.
Messieurs, je considérerai le vote de la chambre en faveur de l’amendement de M. Dolez comme véritablement contraire aux intérêts du pays, comme une calamité.
Je le répète, messieurs, les nouvelles voies, loin d’être défavorables au trésor public, lui amèneront des produits nouveaux et sur les canaux anciens et sur les chemins de fer de l’Etat. (Aux voix ! aux voix !).
M. le président – Voici l’amendement de M. Dolez :
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de voter séparément sur le chemin de fer de Namur à Liége, et sur le chemin de fer de Manage à Mons et ses dépendances. »
- La clôture est demandée.
M. Dolez (contre la clôture) – Messieurs, dans la session qui va finir (page 1675) vous avez émis des votes qui ont fortement grevé le trésor public. Ainsi notamment, vous avez constitué grandement notre armée. Eh bien, en retour, vous devez aussi donner quelques moments d’attention, et de sérieuse attention, à quiconque vient défendre les intérêts du trésor ; car, ne perdez pas que vue que la question qu’on traite légèrement en ce moment, est grosse de conséquences : avant quatre ans, vous devrez voter plus de deux millions nouveaux à charge du trésor public. (Dénégations.)
Soyez convaincus que si vous sortez de cette séance, après avoir émis le vote qu’on vous demande, vous pourrez retourner devant les électeurs de vos districts respectifs, et leur annoncer anticipative ment que vous avez voté de nouveaux impôts.
M. Coghen (contre la clôture) – Messieurs, il ne faut pas laisser la chambre sous l’impression des paroles de l’honorable M. Dolez. Si la chambre ne ferme pas la discussion, je m’emparerai des chiffres mêmes de l’honorable M. Dolez pour prouver que les conséquences qu’il en tire pour le trésor sont loin d’être ce qu’il prétend.
M. de Mérode (contre la clôture) – On est dans l’incertitude sur la bonté de l’opération. M. le ministre des travaux publics affirme, lui, que l’opération est bonne ; mais je suis encore dans le doute, et il faudrait laisser parler les orateurs qui ont des observations à faire.
Un grand nombre de voix – La clôture !
- La clôture est prononcée.
M. le président – Nous avons d’abord à nous occuper de la proposition de M. Dolez, proposition ainsi conçue :
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de voter séparément sur le chemin de fer de Namur à Liége, et sur le chemin de fer de Manage à Mons et ses dépendances. »
M. Dumont – Je demande à l’honorable M. Dolez, si parmi ces dépendances, il comprend la ligne de Marchienne-au-Pont vers la frontière de France.
Je regrette que la clôture ait été prononcée. Je me proposais de prouver que la Sambre ne serait pas désertée, par l’exécution du projet dont il s’agit.
M. Dolez – La portée de ma proposition est, d’une part, de voter séparément le chemin de fer de Namur à Liége, et, d’autre par, d’émettre un vote particulier sur les autres projets qui ont été improvisés dans le sein de la commission, d’une manière si singulière, et qui forment un système.
Je regrette plus que l’honorable M. Dumont, que la discussion ait été close. Si j’avais pu parler, j’aurais démontré à la chambre que la plupart des faits qui ont été avancés par M. le ministre des travaux publics sont complètement inexacts. La clôture ayant été prononcée, je dois laisser la chambre en présence de deux affirmations, celle de M. le ministre des travaux publics et la mienne. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne rentrerai pas dans la discussion. Mais je maintiens complètement mon affirmation. Je ferai remarquer à la chambre que voter la proposition de M. Dolez entraîne le rejet de tous les projets. Il s’agit ici, non pas de permettre au gouvernement de concéder un chemin de fer, mais d’approuver ou de ne pas approuver une convention semblable à celle que vous avez votée hier. Il y a ici un tout indivisible.
M. de La Coste – Je ne comprends pas la marche que nous suivons. Il y a une proposition de la section centrale à laquelle M. le ministre s’est rallié, et un amendement de l’honorable M. Delfosse, auquel M. le ministre s’est également rallié. Par conséquent, nous avons plusieurs articles à voter.
L’honorable M. Dolez devrait demander la division de l’article 1er.
M. Dolez – Je demanderai la parole, pour donner une explication. On ne saisit pas bien la portée de ma proposition. Je demande la division du projet de loi. L’article premier du projet autorise le gouvernement à concéder d’abord le chemin de fer de Namur à Liége ; puis le chemin de fer de Manage à Mons, l’article autorise enfin le gouvernement, par suite des additions faites par la section centrale, à concéder la longue nomenclature des travaux publics demandés.
Qu’est-ce que je demande ? Je demande qu’on vote, d’une part, le chemin de fer de Namur à Liége, et, d’autre part, qu’on vote les autres projets qui forment un système.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, autant que je comprends bien l’amendement de l’honorable M. Dolez, il me paraît évident que la proposition bouleverse de fond en comble le projet de loi… Ainsi, il bouleverse l’art. 1er.
M. de Mérode – Non ! non !
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Permettez, M. de Mérode.
M. de Mérode – On étouffe la discussion.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Si vous écoutiez un peu mieux, on ne devrait pas parler si longtemps.
Le projet de loi comprendra 4 articles. Par le premier article, le gouvernement demande à la chambre d’approuver une convention passée avec une société anglaise pour l’exécution simultanée du chemin de fer de Liége à Namur et de Mons à Manage. C’est là une convention indivisible comme celle qui a été conclue pour les chemins de fer de Jurbise te de Hasselt…
M. le président – Je prie M. le ministre des travaux publics de ne pas rentrer dans le fond.
M. Dolez – Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président – Vous avez la parole.
M. Dolez - J’avais demandé à pouvoir répondre à M. le ministre des travaux publics ; la loi de la majorité m’a fermé la bouche ; et bien, je demande que la loi de la majorité qui doit être la même pour un ministre que pour un député, ne permette pas à M. le ministre des travaux publics de combattre maintenant d’une manière indirecte la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire. Sinon, je réclame la permission de lui répondre et je me fais fort de démontrer que la plupart des faits qu’il a avancés sont inexacts. (Aux voix ! aux voix !)
M. Malou – S’il ne s’agit que de voter par division, c’est de droit. On votera non-seulement sur chaque article, mais sur chaque paragraphe, si l’on veut. Mais ce n’est pas en ce sens que j’avais compris la proposition de l’honorable M. Dolez. Je comprenais que l’honorable membre voulait diviser un projet unique en deux projets distinct. Sinon, je ne sais pourquoi nous discutons. S’il s’agit simplement de voter par division, il suffira qu’un membre en fasse la proposition, pour qu’on vote de cette manière.
M. le président – La difficulté vient de la déclaration faite par M. le ministre des travaux publics que le vote serait indivisible.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je prie l’honorable M. Dolez de vouloir bien donner une nouvelle explication sur la portée de sa proposition.
M. Dolez – Je répète pour la troisième fois que la portée de ma proposition est très-simple. Je me trouve, par exemple, en présence de l’article 1er de la loi qui porte :
« le gouvernement est autorisé à accordé à la compagnie représentée par M. Georges-Robert d’Harcourt, de Londres, la concession des chemins de fer de Liége à Namur et des charbonnages du Centre à manage et à Mons. »
Je demande que le premier vote s’arrêt au chemin de fer de Namur à Liége, et qu’on vote ensuite sur la seconde partie du § 8 des charbonnages du Centre à Manage et à Mons.
M. le président – Je mets aux voix la première partie de l’article relatif au chemin de fer de Namur à Liège.
- Elle est adoptée.
M. le président – Je vais mettre maintenant aux voix la seconde partie relative aux chemins de fer des charbonnages du Centre à Manage et à Mons.
Plusieurs membres – L’appel nominal, l’appel nominal.
- Il est procédé à cette opération. En voici le résultat :
73 membres ont répondu à l’appel ;
58 membres ont répondu oui ;
5 ont répondu non ;
10 se sont abstenus.
En conséquence, la chambre adopte.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.
M. Verhaegen – Etranger aux localités que le chemin de fer de Manage à Mons doit parcourir, j’ai voulu m’éclairer ; on n’a pas voulu qu’il y eût discussion, j’ai dû m’abstenir.
M. de Foere – Je me suis abstenu, parce que je n’ai pas pu apprécié les divers intérêts en jeu.
M. de La Coste – Je me suis abstenu, parce que je n’étais pas assez éclairé.
M. Delehaye – Je me suis abstenu par les mêmes motifs.
M. Delfosse – Je me suis abstenu parce que l’on a prononcé trop tôt la clôture. Les questions soulevées par l’honorable M. Dolez étaient assez graves pour qu’on lui permît de répondre à M. le ministre des travaux publics.
M. d’Elhoungne - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que M. Delfosse.
M. de Tornaco – La discussion a été tellement étranglée qu’il m’a été impossible de me faire une opinion sur l’exactitude des faits et encore moins sur leurs conséquences.
M. Dumortier – J’ai toujours considéré comme une chose fâcheuse le déplacement des industries ; et comme mes doutes n’ont pas été éclaircis dans la question actuelle, je me suis abstenu.
M. Orts – L’honorable M. Dolez ayant annoncé qu’il avait des arguments péremptoires à présenter, comme on ne lui a pas permis de le faire, je me suis abstenu.
Ont répondu non : MM. de Man d’Attenrode, Dolez, Hénot, Huveners et Mast de Vries.
Ont répondu oui : Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaerts, Zoude, Brabant, Castiau, Cogels, Coghen, Coppieters, d’Anethan, David, Dechamps, de Corwarem, Dedecker, Biebuyck, de Garcia de la Vega, de Haerne, de Meer de Moorstel, de Meester, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Villegas, Donny, Dubus (aîné), Dumont, Duvivier, Fallon, Fleussu, Goblet, Jadot, Lange, Lejeune, Lesoinne, Maertens, Malou, Manilius, Meeus, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Sigart, Smits, Thyrion, Troye, Van Cutsem et d’Hoffschmidt.
L’amendement proposé par M. Delfosse est mis aux voix et adopté.
M. Lesoinne – Par suite de l’adoption de l’amendement de M. Delfosse, l’article 66 du cahier des charges vient à tomber.
Cet article est ainsi conçu :
« Art. 66. Les concessionnaires sont également autorisés, à leurs frais, risques et périls, et sous le régime du présent cahier des charges, à prolonger le chemin de fer de Namur à Liége, soi jusqu’à Visé, soir jusqu’à la frontière néerlandaise, dans le cas où une concession serait accordée par le (page 1676) gouvernement des Pays-Bas, sur la rive droite de la Meuse, vers la frontière de Belgique. »
M. Delfosse – Par suite de l’adoption de mon amendement, il faudra changer la rédaction de l’article.
Plusieurs voix – C’est sauf rédaction.
M. le président – L’article 1er serait alors ainsi conçu :
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé, sous les réserves indiquées ci-après, à accorder à la compagnie représentée par M. Georges Robert d’Harcourt, de Londres, stipulant au nom de MM. Andrew Spottiswood, Richard Bates, John Gurney Fry, la concession des chemins de fer de Liége à Namur et des charbonnages du Centre à Manage et à Mons, aux conditions posées dans la convention du 14 avril 1845 et dans les cahiers des charges y annexés.
« La disposition suivantes est substituée à l’article 3 de la convention :
« Si les premiers contractants voulaient use de la faculté qui leur est laissée par l’art. 52 (art. 53 du cahier des charges de manage à Mons), du cahier des charges du chemin de fer de Namur à Liége, de former une société en nom collectif ou une société anonyme avec émission d’actions, ces actions ne pourront être émises en Belgique par souscription ouverte au public, ni être cotées aux bourses d’Anvers et de Bruxelles, qu’après l’entier achèvement du chemin de fer. »
« Les cahiers des charges sont modifiés comme suit :
« 1° Art. 35 du cahier des charges de Namur à Liége (36 de celui de Mons à Manage).
« Tous changements apportés dans les tarifs devront être approuvés par un arrêté du ministre des travaux publics pris sur la proposition des concessionnaires et annoncés au mois un mois à l’avance par voie d’affiches et de publications. »
« 2° § 2 (nouveau) de l’art. 54 du cahier des charges de Namur à liége (55 de celui de Mons à manage).
« S’il arrivait qu’un chemin de fer à construire par l’Etat ou une société dût suivre une partie du tracé de la ligne qui fait l’objet de la présente concession, cette partie du tracé pourra être déclarée commune aux deux lignes, et, dans ce cas, les concessionnaires devront livrer passage aux convois désignés par le gouvernement, moyennant une indemnité à fixer de gré à gré ou à dire d’experts.
« 3° L‘article 65 du cahier des charges du chemin de fer de Namur à liége.
« En cas de concurrence pour la construction de tout ou partie du chemin de fer de Namur à Dinant ou à la frontière, la préférence serait acquise aux concessionnaires de celui de Namur à liége.
« 4° Art. 66 (nouveau). Le gouvernement pourra prescrire l’emplo ide waggons couverts. »
L’article 1er ainsi rédigé est adopté.
« Art. 2. Le gouvernement pourra autoriser, aux mêmes conditions, le prolongement du chemin de fer de Namur à Liége, soit jusqu’à Visé, soit jusqu’à la frontière hollandaise, dans le cas où une concession serait accordée par le gouvernement des Pays-Bas sur la rive droite de la Meuse, vers la frontière de Belgique. » - Adopté.
« Art. 3. Le gouvernement est autorisé à concéder la compagnie représentée par les sieurs Bischoffsheim et Joseph Oppenheim et aux conditions posées dans les conventions du 5 mai 1845 :
1° Le canal de Mons à la Sambre, par la vallée de la Trouille ;
2° La branche de chemin de fer, ayant son origine au chemin de fer de Manage à Mons et aboutissant à la Sambre vers Erquelinnes. » - Adopté.
« Art. 4. le gouvernement est autorisé à accorder à la compagnie représentée par le sieur A.-H. Neville et aux conditions posées dans la convention du 5 mai 1845, la concession d’un chemin de fer, de Marchienne-au-Pont à la frontière française, par la vallée de la Sambre. » - Adopté.
M. Dolez – Je demande qu’on ajoute deux mots au dernier paragraphe de l’art. 1er du cahier des charges relatif à la construction du canal de Mons à la Sambre. Voici ce qu’il porte : immédiatement en aval de Givry le canal franchira la Trouille pour se placer sur la rive gauche de cette rivière qu’il suivra à peu près parallèlement à son cours, et en traversant les territoires des communes de Harmignies et de Spiennes ; de ce point il se dirigera sur le canal de Mons à Condé soit par Cuesme, soit en traversant la ville de Mons.
Je demande qu’on ajoute les mots : « au choix du gouvernement » ; afin que l’alternative de la direction par Mons ou par Cuesme soit laissée à la décision du gouvernement et non des concessionnaires. M. le ministre connaît les motifs qui me font proposer cette addition. J’ose compter cette fois sur son concours.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – J’adhère à cet amendement.
M. le président – L’article serait ainsi conçu et deviendrait l’article 5 :
« Art. 5. les deux concessions de chemin de fer dont il est parlé aux articles 3 et 4 sont régies par les cahiers des charges pour les chemins de fer de Liége à Namur et de Manage à Mons, sous les réserves indiquées à l’article 1er.
« La concession du canal de Mons à la Sambre est régie par le cahier des charges arrêté le 25 août 1838, et modifié par la convention du 5 mai 1845. Le paragraphe 4 de l’article 1er de ce cahier des charges est en outre remplacé par la disposition suivante :
« Immédiatement en aval de Givry, le canal franchira la Trouille, pour se placer sur la rive gauche de cette rivière, qu’il suivra à peu près parallèlement à son cours, et en traversant les territoires des communes de Harmignies et de Spiennes ; de ce point il se dirigera sur le canal de Mons à Condé soit par Cuesme, soit en traversant la ville de Mons, au choix du gouvernement. »
Plusieurs voix – L’appel nominal ! l’appel nominal !
M. le président – La chambre veut-elle voter d’urgence ?
Plusieurs voix – Oui ! oui !
M. Rodenbach – Il n’y a plus d’amendement ; le ministre s’est rallié.
- La chambre se prononce pour qu’il soit passé immédiatement au vote sur l’ensemble du projet ; en voici le résultat :
74 membres sont présents.
7 (MM. Verhaegen, de Foere, de la Coste, de Man d’Attenrode, de Mérode, Dolez et Orts) s’abstiennent.
65 prennent part a vote.
63 votent pour l’adoption.
2 (MM. Henot et Mast de Vries) votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté l’adoption : Van den Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaerts, Zoude, Brabant, Castiau, Cogels, Coghen, Coppieters, d’Anethan, David, Dechamps, de Corwarem, de Decker, Biebuyck, de Garcia de la Vega, de Haerne, Delehaye, Delfosse, d’Elhoungne, de Meer de Moorstel, de Meester, de Muelenaere, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, de Smet, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Fallon, Fleussu, Goblet, Huveners, Jadot, Lange, Lejeune, Maertens, Malou, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Sigart, Smits, Thyrion, Troye, Van Cutsem
M. le président – Les membres qui se sont abstenus sont invités à énoncer les motifs de leur abstention.
M. Verhaegen – J’ai été suffisamment éclairer sir le chemin de fer de Namur à Liége et j’ai opté pour. Mais faute de renseignements sur le chambre de Manage à Mons, j’ai dû m’abstenir sur ce projet. J’ai cru devoir m’abstenir également sur l’ensemble de la loi.
M. de Foere – Je me suis abstenu, par le motif que j’ai indiqué tout à l’heure.
M. de La Coste – M’étant abstenu sur une des parties principales du projet de loi, j’ai cru devoir m’abstenir dans le vote sur l’ensemble. La loi embrasse d’ailleurs des projets qui n’ont pas été étudiés. Pour plusieurs, il n’y a pas même de plan.
M. de Man d’Attenrode – Je me suis abstenu, par les mêmes motifs que l’honorable M. Verhaegen.
M. de Mérode – Je me suis abstenu par les motifs que j’ai indiqués au sujets de l’un des articles du projet de loi.
M. Dolez – Je voulais voter pour le chemin de fer de Namur à Liége ; je ne voulais pas voter pour le reste du projet ; j’ai donc du m’abstenir.
M. Orts - Je me suis abstenu par le même motif.
- La chambre, sur la proposition de M. le ministre des travaux publics, fixe sa prochaine séance à ce soir à 8 heures.
La séance est levée à 4 heures et demie.
(page 1685)(Séance du soir. Présidence de M. Vilain XIIII)
M. de Man d’Attenrode fait l’appel nominal à huit heures et un quart.
M. Huveners, secrétaire, donne lecture d’une lettre par laquelle M. de Naeyer informe la chambre qu’une indisposition l’empêche de prendre part aux travaux de l‘assemblée.
- Pris pour information.
M. le président – La séance est reprise. L’ordre du jour appelle en premier lien la discussion du projet de loi portant concession de chemins de fer dans la Flandre occidentale.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – En attendant l’arrivée de M. le ministre des travaux publics, on pourrait s’occuper de la loi relative aux pensions supplémentaires des officiers des Indes. (Non ! non !)
M. Delfosse demande qu’on s’occupe, en attendant du projet de loi relatif au crédit de 400,000 fr. destiné à l’appropriation d’un bâtiment à la tenue des bureaux du gouvernement provincial à Liége.
- Cette proposition n’a pas de suite, par suite de l’arrivée de M. le ministre des travaux publics.
(page 1686) M. Dumont – La commission qui a été chargée d’examiner le projet de loi concernant les chemins de fer de Liége à Namur et de Manage à Mons, a fait un rapport sur deux pétitions qui lui ont été renvoyées. La commission a proposé le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics. Je demande que la chambre statue sur ce renvoi.
Ces pétitions émanent des concessionnaires de la route de Roeulx à Mons, ainsi que de la régence du Roeulx. Ils signalent le tort que le chemin de fer de Manage à Mons va faire à la route dont il s’agit, et ils concluent à ce que le chemin de fer ne soit pas concédé.
Un membre – Mais c’est une affaire terminée.
M. Delfosse – Cela n’est pas à l’ordre du jour.
M. Dumont – Rien ne me paraît s’opposer à ce que la chambre se prononce sur le renvoi proposé par la commission.
M. Delehaye – Je ne m’oppose pas au renvoi, s’il doit être pur et simple ; mais je m’y opposerais formellement si, par ce renvoi, la chambre était censée adhérer au système de l’honorable M. Dumont, système consistant à accorder des indemnités.
- La chambre consultée renvoie, sans rien préjuger, les deux pétitions à M. le ministre des travaux publics.
M. de Foere – Messieurs, d’après le rapport de la commission, deux points d’une importance grave pour le district de Thielt sont restés sans solution définitive. Dans le double but de ne pas égarer la discussion et de l’abréger, il convient que la chambre soit fixée sur ces points. L’article 52 du cahier des charges contient l’obligation pour la société concessionnaire de prolonger l’embranchement du chemin de fer de Thielt, soit sur Aeltre, soit sur Deynze, si ce prolongement est décrété.
La majorité de la commission avait déjà voté en faveur de ce prolongement. Après ce vote, M. le ministre des travaux publics est venu déclarer dans le sein de la commission que, pour le moment, il ne pouvait pas se prononcer sur cette question. Après cette déclaration ministérielle, la commission est revenue sur ce vote, et la majorité s’est transformée en minorité. Ce fait n’est pas relaté dans le rapport, mais il n’en est pas moins constant.
Si alors l’opinion de M. le ministre des travaux publics n’était pas arrêtée sur cette question, il est à espérer que maintenant il pourra se prononcer ; car, par les nombreux projets de chemins de fer qu’il nous a proposés et que nous avons votés, il nous a fourni la preuve qu’en deux ou trois semaines il a pu embrasser des questions d’une complication et d’une importance tout autre que celle dont il s’agit maintenant.
En effet, il est simplement question de savoir si le prolongement de l’embranchement de Thielt sur Deynze ou sur Aeltre sera décrété maintenant, où s’il sera abandonné aux chances de l’avenir.
La chambre comprendra que si aujourd’hui M. le ministre des travaux publics avait une opinion favorable à ce prolongement, la discussion serait singulièrement simplifiée. Si, au contraire, son opinion était défavorable, ou si elle restait encore douteuse, les motifs qu’on a allégués dans le sein de la commission, seraient de nature à entraîner une discussion longue et peut-être animée. Je demanderai donc à M. le ministre des travaux publics si maintenant il a une opinion arrêtée à cet égard.
Il est un deuxième point qui est aussi resté sans décision positive.
D’après le rapport, le point de raccordement de Thielt à la ligne principale de Courtray à Bruges n’est pas fixé. La commission exprime le vœu que cette jonction aura lieu à la station d’Iseghem. Nous ne savons donc pas si cette jonction aura lieu à la station d’Iseghem, ou à celle de Roulers, ou à celle de Thourout ou enfin à un point intermédiaire entre ces différentes localités.
Ce point de raccordement a une immense importance pour le commerce de toiles du district de Thielt. S’il est décidé en faveur de la station d’Iseghem, il y aurait fort peu de discussion ; toutes les localités, à l’exception de Bruges, sont parfaitement désintéressés.
Dans l’intérêt de la discussion, je demanderai à M. le ministre des travaux publics, s’il a fixé son opinion sur ce dernier point.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, quoique ne faisant pas partie de la commission, j’ai été appelé dans son sein pour donner quelques explications.
Je vais rectifier d’abord un fait qui vient d’être énoncé par l’honorable préopinant. L’honorable membre a cru que, dans le sein de la commission, la majorité avait commencé par se prononcer pour l’établissement d’un embranchement vers Deynze ou vers Aeltre ; et que c’est, sur une déclaration que j’aurai faite, que la majorité s’est trouvée déplacée, et s’est transformée en minorité. C’est là une erreur.
La séance de la commission à laquelle j’ai assisté, a été une séance du soir, et par conséquent un peu confuse (Oh ! oh ! On rit.), un peu orageuse, si vous l’aimez mieux (Nouvelle hilarité.)
M. le président – J’espère que la chambre prouvera à M. le ministre qu’il a eu tort.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Dans cette séance, après une discussion assez longue, un vote a eu lieu. Après l’énoncé de ce vote, deux membres ont déclaré ne pas avoir compris la portée de ce vote, et le président de la commission m’a demandé, comme ministre, pour savoir quelle était l’intention du gouvernement, puisqu’il avait paru à la commission que cette intention n’avait pas été parfaitement comprise. C’est alors que j’ai déclaré que je maintenais le projet de loi et le cahier des charges tel qu’il est rédigé, c’est-à-dire que pour l’embranchement vers Aeltre ou Deynze, en face des réclamations qui avaient surgi dans la province, en présence de l’indécision de la compagnie relativement au choix du tracé, soit vers Aeltre, soit vers Deynze, le gouvernement, en face de l’indécision qui avait régné de la part de la compagnie, avait cru ne pas devoir se prononcer et admettre un ajournement pour faire un examen nouveau sur cette question de tracé. Ce qu’il avait cru devoir faire quant à présent, c’était d’obliger la compagnie à exécuter l’embranchement quand il serait décrété par une loi. Ainsi la compagnie est obligée d’exécuter le chemin quand la législature le décrétera. Ainsi, on est certain qu’alors ce chemin sera exécuté. Mais en présence des réclamations qui ont été adressées au gouvernement, qui avaient un caractère sérieux, il a cru devoir adopter un ajournement afin de pouvoir soumettre la question à un examen ultérieur dans l’intervalle des deux sessions.
M. d’Elhoungne – Il est vraiment à regretter que toutes les fois que le ministre se trouve en présence d’intérêts opposés un peu importants, il hésite à se prononcer. Il semblerait qu’au lieu de diriger vos discussions, le ministère attende vos discussions pour se diriger lui-même.
Un membre – Cela n’est pas nouveau.
M. d’Elhoungne – Je sais bien que cela n’est pas nouveau ; mais ce n’est pas moins vrai pour cela. Dès qu’il y a divergence, le gouvernement abandonne son initiative : il attend l’événement avec plus de résignation que de dignité. J’insiste cependant pour que le gouvernement nous dise au moins son opinion sur la question soulevée par l’honorable M. de Foere. Cette question est la plus simple, la plus facilement saisissable, la plus dégagée de difficultés qui se soit présentée. A côté des immenses questions que nous avons résolues, celle-ci n’est qu’une petite question. Si c’est trop exiger, je demanderai au gouvernement d’indiquer la position qu’il entend prendre dans le débat. Si c’est trop exiger encore de la résolution de M. le ministre, je demanderai qu’il nous dise quels sont les motifs qui l’empêchent de prendre une position franche et nette dans cette discussion.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je suis très-étonné de la demande que vient de faire l’honorable membre. Il veut que le gouvernement ouvre la discussion avant d’avoir entendu les raisons que feront valoir les auteurs de l’amendement.
Le gouvernement garde la position qu’il a prise dès le principe. Il y a des embranchements sur lesquels, par des considérations de politique provinciale, il y a indécision quant au tracé. C’est la compagnie concessionnaire et non le gouvernement qui doit avoir l’initiative dans une question de tracé ; elle a déclaré qu’elle n’était pas prête pour le raccordement et le tracé vers Deynze ; et, d’un autre côté, des réclamations sérieuses ont été présentées. Le gouvernement aurait pu prendre une position plus défavorable aux intérêts que défend l’honorable membre, c’était de ne pas admettre l’embranchement. Ce qui prouve que le gouvernement n’a pas négligé les intérêts de ces localités, c’est qu’il a rendu le chemin de fer possible en obligeant la compagnie à l’exécuter quand il sera décrété. La conduite du gouvernement est logique. Du reste, je prendrai la parole quand je croirai convenable de le faire. J’attendrai les observations qui seront faites et j’y répondrai. D’ailleurs, ce n’est pas une motion d’ordre qu’on a faite, c’est la discussion même qu’on a commencée.
Un grand nombre de membres - Oui ! oui !
M. de Roo – Messieurs, de prime abord, lorsque j’ai vu éclore le projet ministériel, relativement au tracé du chemin de fer de la Flandre occidentale, il me souciait, parce que j’y voyait le redressement d’une erreur commise lors du premier tracé du chemin de fer de l’Etat dans cette province, erreur qui consistait à faire partir le chemin de fer de Gand à Bruges par Aeltre, pays de bruyère, au lieu de le conduire par Thielt, dans le centre de la population et de l’industrie, car la plus grande industrie des Flandres est incontestablement la toile, et Thielt est en possession du plus grand marché de la toile de la province et du pays ; on y vend plus de 60,000 pièces de toiles annuellement, d’une valeur d’environ 6,000,000 ; et de Thielt le chemin devait se bifurquer sur Bruges et sur Courtray.
Cette erreur, messieurs, a été déplorée par tous ceux qui connaissent ces localités, et a été signalée à la tribune nationale par M. le ministre de l’intérieur lui-même. Aussi elle a été fatale au gouvernement ; elle lui a causé une perte de 3,000,000 dans l’exécution puisque dans cette direction on raccourcissait le chemin de trois lieues, et de plus elle lui a causé et lui cause encore annuellement un préjudice de 50,000 fr., tandis qu’en prenant la direction de Thielt, un pareil bénéfice lui était assuré ; or, une perte là et un manque de bénéfice ici, font dans la balance une perte effective de 100,000 fr. annuellement pour l’Etat. Eh bien, messieurs, c’était ce tracé que suivait la nouvelle voie, proposée par M. le ministre des travaux publics.
Mais grand a été mon étonnement lorsque j’ai vu retirer par M. le ministre son premier projet qui était si bien combiné, si bien étudié, si bien élaboré, si bien motivé ; c’était le résultat d’une enquête faite sur les lieux mêmes par les agents du gouvernement, dans laquelle toutes les autorités locales avaient été interrogées, enfin un projet qui répondait à tous les besoins et ménageait tous les intérêts.
Et pourquoi ce revirement subit ? Pour tomber dans une seconde erreur, aussi déplorable que la première ; car le nouveau tracé de Bruges à Thourout, et de Thourout à Lichtervelde parcourt absolument un pays semblable à celui d’Aeltre, sans industrie notable, sans commerce, enfin un pays de bruyères (page 1687) où le commerce de bois, de balais et d’écorces est le plus important ; et certes cette marchandise, comme on sait, n’alimente pas beaucoup le chemin de fer, tandis que, par la première ligne, vous rencontriez les communes les plus populeuses de toute la Flandre occidentale, communes de 8, 9 et 13,000 habitants, telles que les communes de Thielt, Meulebeke, Ruysselede, Wyngene, Pitthem, et, qui dans un rayon d’une lieue, forment une population de 57,000 âmes, où Thourout et son rayon n’en forment que 29,000.
Rien de si étrange, messieurs, que les pétitions des communes qui veulent démontrer leur importance. Nonobstant ce que nous venons de dire et de démontrer, Thourout prétend avoir une population supérieure à Thielt. Dans sa requête elle fait un grand étalage du transport qu’elle procurera au chemin de fer en question ; entre autres, elle cite le transport de la chaux, tandis que son terrain n’en souffre pas, et que le terrain de Thielt, terrain argileux et fort, a besoin de la chaux pour son amendement.
Il en est de même du commerce de la toile ; elle n’a pas même un marché de toile, tandis que Thielt est en possession du plus grand marché du pays. Je n’irai pas plus loin, messieurs, je dirai seulement que les contributions personnelles que l’on paye à Thourout, si mes renseignements sont exacts, montent à 91,000 fr., tandis qu’à Thielt elles montent à plus de 177,000. Il en est de même des patentes.
Je ne m’appesantirai pas davantage sur la démonstration de la préférence de l’ancien tracé sur le nouveau, attendu que d’après la déclaration ministérielle dans le sein de la commission, il est irrévocablement jugé qu’on ne le suivra pas. Force nous est donc de concentrer la discussion dans le cercle du nouveau tracé de la convention qui en est la base.
Or, messieurs, l’article 52 de la convention in fine dit : « Au cas où le prolongement de l’embranchement de Thielt serait décrété, soit jusqu’à Aeltre, soit jusqu Deynze, les concessionnaires seraient autorisés et s’obligent à exécuter ce prolongement sous le régime du présent cahier des charges. »
C’est donc en exécution de cet article de la convention que j’ai l’honneur de proposer, avec neuf de mes honorables collègues, un amendement ainsi conçu…. : « avec embranchement de Thielt sur Aeltre ou sur Deynze. »
En examinant la carte, messieurs, vous voyez qu’il y a une ligne du sud au nord, c’est-à-dire de Courtray à Bruges, et vous en remarquerez une autre transversale de l’ouest à l’est, c’est-à-dire de Dixmude à Thielt, et là elle s’arrête, met Thielt dans un cul-de-sac, dans une impasse, tandis qu’à deux lieues de là, il y a, d’un côté, le chemin de fer de l’Etat à Deynze et de l’autre à Aeltre.
Et cela pourquoi ? Parce que le chemin de fer se trouve malheureusement dans la Flandre orientale, comme si la Flandre orientale était une terre étrangère, comme s’il y avait une ligne de douanes entre Thielt et Deynze ou Aeltre, comme s’il y avait là une digue infranchissable.
De sorte, messieurs, que les habitants de Thielt, qui se rendent à Gand, qui est à 5 lieues ½ de Thielt, doivent faire 15 à 16 lieues par le chemin de fer proposé pour s’y rendre, c’est-à-dire passer par Thourout, Bruges et Aeltre, pour arriver à Gand, tandis qu’avec l’embranchement d’Aeltre ou Deynze, ils sont à Gand en 20 minutes de temps.
Non-seulement, messieurs, les habitants de Thielt rencontreront cet inconvénient, mais les nombreux négociants de toile qui fréquentent les marchés et qui viennent pour le marché du jeudi à Thielt et se rendent à Gand pour le marché du vendredi, devront faire le même détour ; quelle entrave dans le commerce ! et cela n’aura-t-il pas pour effet, ce qui est le plus à craindre, le déplacement du marché de toile de Thielt ? Vous savez ce qui est arrivé à Lokeren pour le marché des huiles ; il s’est totalement déplacé à Termonde, parce que là on trouvait la facilité de circulation par le chemin de fer. Eh bien, la même cause n’amènera-t-elle pas le même effet ?
Et le gouvernement protège ces ridicules prétentions de Bruges, qui n’a pas voulu faire le détour d’une lieue, lorsque nous avons demandé le changement de la ligne du chemin de fer de Gand à Bruges par Thielt.
Mais le chemin de fer est-il donc fait pour Bruges seul, et non pour la province, et pour le pays entier ? L’excentricité de Bruges n’est-elle pas seule la cause de son exclusion ? Et de quel droit veut-on mettre obstacle au libre exercice du commerce, en voulant restreindre ou défendre les relations commerciales avec les villes et endroits, où leurs intérêts les appellent ? N’est-ce pas contraire aux droits politiques du pays. Les habitants de Thielt et de sa banlieue n’ont-ils pas aussi contribué à payer pour le chemin de fer de l’Etat, et, parce que vous en êtes en jouissance, vous voudriez empêcher les autres d’en jouir ! Est-ce là de la justice distributive ?
Le gouvernement, le premier, ne devrait-il pas exiger cet embranchement, et non pas y mettre des entraves ? Ne devrait-il pas l’exiger surtout dans l’intérêt du trésor ? car c’est bien là un véritable affluent du chemin de fer de l’Etat, qui augmentera ses revenus considérablement, soit sur la route de Courtray à Gand, soit sur celle de Gand à Bruges ; si vous adoptez l’amendement, on vous offre un embranchement, sans aucuns frais, qui procurera une somme considérable au trésor de l’Etat, et vous le refusez ! Mais un ministre qui a à cœur les intérêts de l’Etat, peut-il raisonnablement s’y opposer ?
Les études ne sont pas faites, dit M. le ministre. Mais je lui dirai que les études de son projet actuel ne sont pas faites non plus, puisqu’il a changé son premier projet en 24 heures de temps, et cela ne l’empêche pas de le présenter ; tandis que les études de son premier projet sont faites depuis longtemps, les seules que nous ayons eues dans la commission, et dans ce projet se trouve l’embranchement de Thielt sur Aeltre ; ce n’est donc pas là une raison péremptoire.
Son autre moyen dilatoire n’est pas plus fondé ; et avant de l’aborder, il faut le dire, le même amendement a été proposé par moi dans la commission, il y a été adopté par 4 voix contre 3, comme l’a dit mon honorable collègue, M. de Foere, prouve le procès-verbal de la commission ; mais deux des quatre sont revenus sur leur vote, parce qu’on leur faisait accroire que le chemin de fer ne s’exécuterait pas s’ils persistaient, que les concessionnaires n’étaient point encore fixés à cet égard, et que l’on compromettait tout le chemin. D’autres collèges présents peuvent l’attester.
Eh bien, messieurs, j’ai parlé personnellement aux concessionnaires, et ils ne demandent pas mieux que de l’exécuter ; cela rentre même dans leurs vues ; le chemin de fer de Dixmude à Thielt ne serait pas viable sans un embranchement vers la grande voie ; ils le demandent tellement, qu’ils en ont fait une clause spéciale dans la convention, et qu’ils le disent formellement dans la lettre jointe au rapport ; ils disent qu’ils ont même déjà versé les fonds à cet effet, qu’ils n’en demandent que le décrètement.
Je me résume donc. L’embranchement de Thielt vers Deynze, ou de Thielt vers Aeltre est utile et indispensable pour les deux tiers de la province de la Flandre occidentale ; il est utile et indispensable pour la province de la Flandre orientale et pour toutes les provinces du pays, puisqu’il les met en relation avec la province de la Flandre occidentale. Il est utile et lucratif pour l’Etat, parce que c’est un véritable affluent de son chemin de fer, qui lui procurera un bénéfice assuré pour son trésor, sans aucune dépense. Il n’y a aucun obstacle de la part des concessionnaires, puisqu’ils le demandent, le stipulent, l’exigent. C’est donc avec confiance que je présente notre amendement.
M. le président – L’amendement que M. de Roo vient de développer est conçu comme suit : « Avec embranchement de Thielt sur Aeltre ou sur Deynze. » Il est signé par dix députés, à savoir : MM. de Foere, d’Elhoungne, Delehaye, de Roo, Manilius, de Secus, Desmaisières, de Saegher, Castiau et de Tornaco. »
Voici une disposition additionnelle présentée par M. Donny :
« Est supprimée la mention faite à l’art. 52, d’un prolongement de l’embranchement de Dixmude jusqu’à Furnes. »
La parole est à M. Donny pour développer son amendement.
M. Donny – Sous le rapport de l’exécution, messieurs, le chemin de fer dont la concession est demandée peut se diviser en trois parties : par une partie de ce chemin de fer les concessionnaires sont dès aujourd’hui obligés d’une manière pure et simple de l’exécuter ; pour une autre partie de ce chemin de fer, les concessionnaires ont contracté une obligation définitive de l’exécuter lorsque tôt ou tard la législature trouvera bon de la décréter ; enfin pour une troisième partie du chemin de fer dont il s’agit, les concessionnaires n’ont contracté aucune obligation quelconque ; ils peuvent l’exécuter ou ne pas l’exécuter et on leur donne la faculté d’agir à cet égard d’après leur bon plaisir en leur accordant en même temps une année tout entière pour se décider.
La partie que les concessionnaires ses sont engagés dès à présent à exécuter, c’est le tronc principal avec embranchement sur Thielt et Dixmude, sur Ypres et sur Poperinghe ; la partie qu’ils se sont obligés d’exécuter dans le cas où la législature le décréterait, c’est l’embranchement de Thielt à Aeltre ou à Deynze ; enfin, la partie qui est laissée complètement à leur bon plaisir pendant une année entière, c’est le prolongement de Dixmude jusqu’à Furnes.
Je ne m’occuperai en ce moment ni du tronc principal ni des embranchements sur Thielt et sur Deynze ou sur Aeltre, mais je viens m’opposer à la faculté accordée aux concessionnaires par l’art. 52 ;, pendant une année entière, de construire, s’ils le trouvent bon, un prolongement de Dixmude jusqu’à Furnes. Je repousse cette faculté pour deux motifs différents.
D’abord, messieurs, cette faculté doit évidemment tenir en suspens, pendant une année entière, la construction de tout autre chemin de fer sur lequel l’embranchement dont il s’agit, pourrait exercer quelque influence défavorable ; et cette observation, messieurs, n’est pas simplement une réflexion spéculative, car il existe un projet de chemin de fer dont j’aurai l’honneur de parler tout à l’heure et qui pourra se faire, si le prolongement vers Furnes n’est pas exécuté, mais qui probablement ne se fera pas si les concessionnaires se décident à exécuter ce prolongement.
Voici maintenant la deuxième raison qui me porte à repousser la faculté dont il s’agit. Quand on aura construit la partie du chemin de fer concédé qui doit relier Thielt à Dixmude, quand la législature aura décrété et qu’on aura exécuté l’embranchement de Thielt vers Deynze par exemple, si alors les concessionnaires exécutent, de plus, le prolongement de Dixmude à Furnes, il ne faudra plus, en Belgique, qu’un petit tronçon de chemin de fer pour rendre possible l’établissement d’une route directe, d’une route en ligne droite de Calais à Gand, passant par Dunkerque, Furnes, Dixmude, Thielt et Deynze. Vous concevez, tout d’abord, messieurs, combien une semblable route directe porterait de préjudice à la grande ligne de transit que nous avons établie pour les voyageurs en construisant un chemin de fer de la frontière prussienne jusqu’au port d’Ostende et en établissant récemment dans ce port un service de bateaux à vapeur vers l’Angleterre.
Il y a, messieurs, dans les cartons de M. le ministre des travaux publics, une demande en concession de chemin de fer d’Ostende à Dunkerque. M. le ministre hésite à statuer favorablement sur cette demande, et il hésite par la seule raison qu’il craint que ce chemin de fer pourrait attirer les voyageurs venant d’Angleterre, vers le port de Calais ou vers celui de Boulogne, tandis que lui veut, et avec beaucoup de raison, les attirer autant que possible vers le port d’Ostende. Je dirai en passant à M. le ministre que, selon moi, la route dont je parle ne fera pas surgir un inconvénient nouveau : en effet, les voyageurs qui débarqueront à Calais n’auront nullement besoin, pour arriver en Belgique, du chemin de fer de Dunkerque à Ostende. Ils (page 1688) pourront, en effet, se rendre à Lille par l’embranchement que l’on va faire en France entre cette ville et Calais, et de Lille ils arriveront à Gand aussi promptement ou plus promptement peut-être qu’ils ne pourraient le faire s’ils se dirigeaient de Calais sur Ostende et de là sur Gand ; de sorte, messieurs, que le mal que M. le ministre paraît craindre existe déjà aujourd’hui ou existera sous très-peu de temps, indépendamment de la route de Dunkerque à Ostende.
Je dirai maintenant à M. le ministre que si le chemin de fer de Dunkerque à Ostende peut lui inspirer quelques craintes, ses craintes doivent être cent fois plus vives encore à l’égard de la ligne directe qui se dirigerait de Calais sur Gand, d’abord, parce que cette direction est directe, en ligne droite, parce que c’est le plus court chemin possible de Calais à Gand, tandis que pour se rendre de Calais à Gand, soit en passant par Ostende, soit en passant par Lille, il faut faire un détour et un grand détour. Ce n’est pas tout, lorsqu’on suivra la ligne directe de Calais vers Gand, on voyagera constamment sur des chemins de fer concédés à des particuliers ; on ne prend, en effet, le railway de l’Etat qu’aux portes de Gand, à Deynze ; tandis que les voyageurs qui se rendraient de Calais à Gand, soit en passant par Ostende, soit en passant par Lille, viendraient nécessairement prendre le railway de l’Etat belge, à partir des stations extrêmes de Mouscron d’un côté, ou d’Ostende de l’autre. M. le ministre doit donc se montrer très-contraire à tout ce qui peut favoriser l’établissement d’une ligne directe de Calais à Gand.
Le but de l’amendement que j’ai l’honneur de proposer est d’empêcher qu’on ne vote précipitamment une disposition qui pourrait favoriser l’établissement de cette ligne. Je ne demande pas que la chambre décide aujourd’hui d’une manière définitive une question qui peut présenter quelque gravité ; tout ce que je demande, c’est qu’elle ne la tranche pas dans un sens contraire à celui que je crois rationnel. En adoptant mon amendement, elle ne la décidera ni dans un sens, ni dans l’autre, car tout ce qui en résultera, c’est que la faculté qu’on a si légèrement et, selon moi, sans motifs, accordée aux concessionnaires, sera retirée ; mais rien n’empêchera dans la suite de proposer, si on le trouve convenable, le prolongement de la ligne de Dixmude à Furnes et même, si on le veut, de Dixmude à la frontière française, pour rejoindre un railway français. Tout ce que je demande, c’est que, aujourd’hui, à la hâte, au moment de nous séparer, sans examen, on ne tranche pas une question dont la solution peut compromettre les intérêts du pays, les produits du grand railway de l’Etat.
M. Malou, rapporteur – Presque au début de la discussion, je désire établir, messieurs, quelle a été la pensée de la commission à laquelle vous avez renvoyé l’examen du projet de loi relatif au chemin de fer de la Flandre occidentale. Nous nous sommes trouvés en présence d’un fait, la convention du 19 avril, qui fait beaucoup pour le présent, qui laisse beaucoup à l’avenir. Quel a été maintenant, dans cette commission, le dissentiment entre la majorité et la minorité ? La minorité voulait, messieurs, empiétant en quelque sorte sur l’avenir, qu’on n’acceptât pas le bien tel qu’il est proposé ; au risque de compromettre le présent, elle voulait faire mieux que ce qui était reconnu par la majorité comme actuellement possible. Voilà en réalité toute la question. On propose, messieurs, par une convention conclue entre le gouvernement et une société de concessionnaire, de doter la Flandre occidentale, cette province si grande, si riche, encadrée en quelque sorte dans le chemin de fer de l’Etat, sans avoir elle-même une ligne qui la traverse en diagonale, on propose de la doter d’un réseau de chemins de fer qui relieront entre elles les principales localités de la province. Pour le présent, on relie Bruges, Courtray, Thourout, Roulers, Ypres, Menin, Poperinghe, Thielt et Dixmude, on relie toutes ces villes au grand réseau des chemins de fer de l’Etat. De plus, on laisse facultatif à la compagnie de prolonger deux embranchements et, d’autre part, on laisse facultatif à la législature de décréter deux embranchements encore. La minorité de la commission, messieurs, voulait décider, dès à présent, que l’embranchement de Thielt serait prolongé jusqu’à Deynze ou jusqu’à Aeltre. La majorité, au contraire, a pensé que cette question était très-grave et qu’il fallait la réserver, non-seulement parce que la compagnie elle-même paraissait n’avoir pas d’opinion arrêtée, mais aussi parce que le gouvernement, de son côté, déclarait qu’il n’était pas fixé. Nous nous sommes donc tenus aux faits, nous n’avons voulu empêcher la réalisation d’aucune des espérances que l’on forme pour l’avenir.
L’amendement de l’honorable M. Donny, je crains, messieurs, que mes paroles ne soient trop vives en le qualifiant. Un embranchement est offert à la ville de Furnes pour la relier, à ce système général, et dans l’intérêt d’une autre localité, intérêt peut-être mal apprécié, on demande que cet embranchement ne soit pas décrété.
M. Dumortier et M. Donny demandent la parole.
M. Devaux – Je la demande aussi.
M. d’Elhoungne – Je la demande aussi.
M. Malou – Je me demande, messieurs, quel doit être le point de vue de la législature en décrétant des chemins de fer dans la Flandre. S’agit-il de voir si l’exécution d’une ligne donnée peut favoriser telle localité en restreignant peut-être un peu le développement d’une autre localité ? Non, messieurs, il ne s’agit pas de cela. Il s’agit de vivifier toute une province, il s’agit d’une mesure d’intérêt général….
M. de Garcia – Ce n’est pas un chemin vicinal.
M. Malou – Ce n’est pas un chemin vicinal, comme le dit fort bien l’honorable M. de Garcia.
L’amendement va plus loin même que le but de l’honorable membre. Pour que son but fût atteint, il suffirait de subordonner le prolongement de l’embranchement de Furnes au vote d’une loi, mais il n’est pas nécessaire d’empêcher l’exécution de l’embranchement lui-même.
L’honorable membre m’a paru encore apprécier mal ce qui arrivera dans l’avenir pour la jonction des chemins de fer de la Flandre occidentale avec le réseau qui sera créé inévitablement dans le département du Nord. Ce n’est pas le long des côtes, ce n’est pas en suivant les dunes qui s’établiront les grandes communications de Calais avec l’intérieur du continent. La jonction s’établira plus tard (et cela est déjà posé pour ainsi dire) par le prolongement de l’embranchement de Poperinghe.
C’est en venant de Calais sur le centre de la Belgique que les voyageurs venant d’Angleterre, par Calais, se dirigeront sur le continent ; ce n’est pas en suivant les dunes jusqu’à Ostende, et en allant de là à Gand.
La commission a voulu accepter purement et simplement la concession parce que la concession fait pour la Flandre occidentale tout ce qu’il est possible de faire dans les circonstances actuelles, parce qu’elle n’est pas un obstacle à d’autres améliorations, parce qu’elle satisfait aux intérêts actuelles sans compromettre l’avenir.
M. Meeus – Je pense que jusqu’ici la chambre a montré son vif désir de satisfaire les exigences de toutes les localités, surtout lorsque le gouvernement peut le faire sans charger le trésor public. La nouvelle phase dans laquelle la Belgique va entrer ne va pas être à la fois, je l’espère, une phase d’exclusion, et une phase d’extension.
Si les localités devaient se combattre, c’était la séance de ce matin surtout qui aurait dû en donner un exemple frappant. Comme j’ai eu l’honorable de vous le dire, le chemin de fer de Manage à Mons est un chemin de fer très-utile au Centre, mais qui va causer quelque préjudice à la province du Hainaut, ou plutôt au district de Mons.
Lorsqu’il s’agit, comme je le disais ce matin, de doter la Belgique d’une voie de communication réellement utile, on ne peut s’arrêter à ces mesquines proportions d’un égoïsme étroit. Je ne comprends donc pas, je l’avoue, que les Flandres, par leurs représentants, viennent se faire la guerre sur les chemins de fer en projet, qu’elles veillent s’exclure, en combattant pour une localité et en excluant une autre. Ce système, je viens le combattre ; il n’est pas digne de nous, il n’est pas digne de la Belgique.
Si je comprends bien le système des chemin de fer, dans l’avenir, il doit, comme on l’a dit, couvrir toute la Belgique, et toutes les localités se serviront à l’avenir non plus des routes ordinaires, mais des chemins de fer qui deviendront les communications usuelles.
Dans le cas présent, si je jette les yeux sur la carte, il me semble que la position des localités indique ce que l’on doit faire pour les tracés des chemins de fer, car il faut toujours diriger les voies nouvelles vers les centres de commerce et d’industrie. Pour faire jouir les populations des grands centres de commerce, il faut les en rapprocher, créer des voies de communications. Comment donc qualifier cet égoïsme étroit de Bruges, qui vient s’opposer au chemin de fer de Thielt sur Deynze, que la nature du sol et des localités indique d’une manière frappante ? Si Mons n’a pas fait entendre une seule plainte, pour un intérêt immense, pour un des intérêts les plus palpitants de la Belgique, le commerce de ses charbons avec la France, comment, par un étroit égoïsme provincial, voudrait-on forcer les habitants de Thielt à aller à Gand par Thourout et Bruges ? C’est de la dérision !
Je suis parfaitement étranger à toutes ces localités. Je n’ai aucun intérêt à ce que le chemin de fer aille dans un sens plutôt que dans un autre. Mais il est évident qu’on ne peut, sans manquer aux premiers principes en matière de chemins de fer, se dispenser de rapprocher les grands centres de population.
Quant à l’intérêt de l’Etat, il est tout entier dans le chemin de fer de Thourout à Deynze. En effet, les Anglais qui connaissent ces travaux mieux que nous, ne cessent de répéter qu’il fait, dans l’intérêt même des revenus des chemins de fer, rapprocher les centres de population, des centres de commerce et d’industrie. Et Gand, n’est-il pas, pour les populations des Flandre, le port que la nature a marqué ? N’est-ce pas le Manchester de la Belgique ? (Adhésion de la part de plusieurs membres.)
Ce que je ne comprends pas dans l’amendement de l’honorable M. de Roo, c’est l’option du tracé entre Aeltre et Deynze.
Un honorable membre me dit qu’il donnera sur ce point des explications ; je les attendrai.
J’appuie donc la proposition des membres de cette chambre qui demandent une communication de Thielt à Deynze ; je l’appuie, parc que, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le dire, il ne doit pas s’agit ici d’exclusions ; mais qu’il s’agit, au contraire, de comprendre, autant qu’on pourra, toutes les localités dans notre système de chemins de fer.
M. Dumortier – Lorsque j’ai entendu l’honorable député d’Ostende prendre la parole pour développement son amendement, je dois vous déclarer que j’ai cru comprendre qu’il ne s’agissait que d’un intérêt de localités, bien respectable sans doute, puisqu’il se rattache à la localité qui l’a envoyé dans cette enceinte.
J’ai maintenant devant moi la carte du gouvernement, que malheureusement vous n’avez pas sous les yeux, et je suis frappé de ceci, c’est qu’au moyen des diverses adjonctions de la loi, il ne s’agit de rien moins que de créer une ligne complètement parallèle à celle de l’Etat, une ligne qui partirait de Furnes, irait en ligne droite à vol d’oiseau, se dirigeant sur Deynze, par conséquent serait tout à fait parallèle à la route d’Ostende sur Gand.
J’entends un honorable membre qui dit : Non. Je prie celui qui conteste de venir jeter les yeux sur la carte. C’est une ligne à vol d’oiseau qui est tout à fait droite depuis Thielt jusqu’à Deynze. Je vous le demande, n’est-ce pas (page 1689) là véritablement une ligne destinée à faire concurrence au chemin de fer de l’Etat, et l’Etat doit-il venir donner une pareille autorisation à la fin d’une session, sans examen, sans discussion ? car, certainement, on n’appellera pas un examen, une discussion, le peu de paroles que nous pourrons prononcer dans cette séance.
Je voudrais, messieurs, qu’une pareille question fût examinée avec une extrême maturité. Et pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’abord ici d’une ligne internationale qui peut déplacer le commerce d’Ostende, notre principal port sur l’Océan, pour le placer ailleurs ; en second lieu, parce qu’au moyen des concessions qui sont autorisées par le cahier des charges, le gouvernement pourrait, sans avoir recours à la législature, mettre ce chemin de fer en contact avec les ports de mer français, avec Dunkerque et Calais.
Remarquez-le bien, messieurs, par la loi de concessions de péages, le gouvernement est autorisé à concéder, sans l’intervention du pouvoir législatif, toute ligne de chemin de fer qui n’a pas deux lieues de parcours ; or, ni Furnes ni Poperinghe ne se trouvent à deux lieues de la frontière de France. De sorte que le gouvernement pourrait toujours, sans l’intervention des chambres, concéder un embranchement qui mettrait cette ligne en contact avec la frontière française, et ruinerait complètement Ostende. Il me paraît, messieurs, qu’avant de déplacer un intérêt aussi majeur, il est nécessaire que le pouvoir législatif puisse examiner attentivement la question.
Messieurs, si l’amendement de mes honorables collègues n’avait pour but que de rattacher le point de Thielt à Aeltre, je le concevrais ; car il aurait pour avantage de mettre la ville assez importante de Thielt en communication avec Gand d’une part, et avec Bruges d’une autre. Mais véritablement, messieurs, vouloir mettre Thielt en rapport avec Deynze, c’est dire à Thielt qu’il n’aura plus de rapports avec le chef-lieu de la province, que tous ses rapports seront définitivement avec la seule ville de Gand.
Remarquez, je vous prie, que Thielt est aussi voisin de Gand par Aeltre que par Deynze et que par la direction d’Aeltre, il est aussi rapproché de la ville de Bruges. D’un autre côté, si vous jetez toujours les yeux sur la carte, vous verrez que cette grande ligne droite que je viens de signaler aura pour effet de relier Dixmude à Thourout et à Thielt. Si maintenant vous reliez Thielt à Aeltre et non à Deynze, vous reconnaîtrez que les mêmes motifs de crainte n’existent plus, et que, tout en favorisant les intérêts des Flandres, vous empêcherez la création d’une ligne concurrente de celle de l’Etat.
Je vous demande, messieurs, cela n’est-il pas digne de l’attention du gouvernement, de l’attention de la chambre ? Je crois qu’il y a là matière à sérieux examen ; je désire que la chambre ne se prononce pas à la légère sur la création d’une ligne entièrement parallèle au chemin de fer de l’Etat et qui pourrait annuler notre railway de Gand à Ostende.
Le résultat d’une pareille ligne, messieurs, serait infiniment préjudiciable à la chose publique. Car, lorsque vous aurez une ligne droite, sans aucune déviation, depuis Deynze jusqu’à Furnes, et que vous aurez raccordé Furnes avec Dunkerque, vous pouvez être assurés qu’aucun des voyageurs qui se rendront en Angleterre, ne prendra plus la ligne que l’Etat a créée avec tant de dépenses. Et vous arriveriez à ce résultat, non pas dans l’intérêt de la Flandre occidentale, mais dans l’intérêt d’une compagnie. Quant à moi, je vous déclare que je ne pourrais donner les mains à un pareil projet.
Je demanderai d’un autre côté quel besoin il y a de pousser un embranchement de chemin de fer d’Ypres à Poperinghe. Poperinghe, messieurs, est une très-petite localité qui, dans aucune circonstance, ne peut fournir le nombre de voyageurs suffisant pour un chemin de fer.
Je le déclare, messieurs, si l’embranchement de Poperinghe et si celui de Furnes sont votés, je proposerai un amendement dérogeant à la loi des concessions de péages, qui interdira au gouvernement le droit de concéder la continuation de ces lignes jusqu’à la frontière, sans l’autorisation de la législature (Oui, oui ! Proposez-le.), parce que je ne veux pas qu’on vienne créer une ligne parallèle à notre chemin de fer et qui pourrait amener sa ruine, sans compensation aucune pour l’Etat, uniquement dans l’intérêt d’une compagnie.
Puisque plusieurs membres approuvent l’amendement que j’annonce, je vais le déposer.
Je me borne à ces observations mais je les crois sérieuses, et je prie la chambre de les prendre en considération.
M. Donny – Messieurs, l’honorable rapporteur vous a dit qu’il éprouvait quelque embarras à qualifier mon amendement. L’honorable membre me permettra de lui répondre avec beaucoup de franchise que j’éprouve un embarras tout aussi grand pour qualifier les paroles qu’il vient de prononcer. Aussi ne le ferai-je point. Je dirai seulement que si l’honorable rapporteur avait un peu mieux réfléchi à ce qu’il disait il n’aurait pas, dans un même discours, appliqué des principes diamétralement opposés à deux cas semblables.
Lorsqu’il s’est agi de la direction d’un embranchement de Thielt vers Aeltre ou vers Deynze, que vous a dit l’honorable membre ? C’est une question qui présente des difficultés, et lorsqu’une question semblable se présente à la fin d’une session, au moment où il n’est plus possible de l’examiner, ce qu’on peut faire de plus sage, c’est de l’ajourner, et c’est l’ajournement que je propose.
Quant il s’est agi, au contraire, de l’embranchement de Dixmude vers Furnes, embranchement qui soulève une question grave, car la construction de cet embranchement peut amener une ligne directe de Calais à Gand, et compromettre ainsi les recettes du trésor sur la ligne principale d’Ostende à Cologne, l’honorable membre trouve tout simple de ne pas ajourner, de décider immédiatement que les concessionnaires auront la faculté de faire cet embranchement. Voilà une contradiction qui m’a frappé ; je laisse à l’honorable membre le soin de l’expliquer. L’honorable rapporteur a semblé croire qu’il ne s’agissait dans tout ceci que d’une localité combattant les intérêts d’une autre localité. Je suis heureux que l’honorable M. Dumortier ait fait voir qu’il n’en était pas ainsi ; mais, pour ma part, je ferai observer de plus, que j’ai donné à la chambre un motif qui était bien certainement fondé sur l’intérêt général : les produits que l’Etat doit retirer du railway vers Cologne, sont évidemment tout autre chose qu’un objet d’intérêt local.
Ai-je donc mérité un reproche de cette nature ? Aujourd’hui, j’ai entendu deux députés se plaindre de ce que, dans le grand partage des railways qui se fait en ce moment, leurs localités étaient oubliées. J’aurais pu vous dire la même chose ; l’ai-je fait ? non. J’aurais cependant eu le droit de me plaindre, parce qu’il s’est présenté deux compagnies pour obtenir des concessions de chemins de fer partant d’Ostende. L’une a demandé la concession d’une route se dirigeant sur Thourout, Courtray, etc. ; en un mot, la ligne qu’il s’agit de concéder aujourd’hui, avec cette différence cependant que la route serait partie d’Ostende, au lieu de partir de Bruges.
La seconde compagnie demande à construire une ligne partant d’Ostende et se rendant à Dunkerque. Et, remarquez que cette ligne peut devenir impossible, si l’embranchement de Dixmude à Furnes est concédé et s’il s’établit une ligne de Furnes à Gand directement, les concessionnaires futurs qui construiraient une route d’Ostende à Dunkerque ne feraient probablement autre chose que travailler au profit des concessionnaires actuels ; car les voyageurs arrivant de Calais à Furnes, suivraient probablement le railway de ceux-ci jusqu’à Gand, sans se rendre à Ostende. Aucune des deux routes ostendaises ne vous ayant été proposée ; j’aurais eu le droit, tant autant que personne dans cette enceinte, de me plaindre d’un pareil oubli. J’ai gardé le silence et je l’aurais gardé encore si l’honorable rapporteur ne m’avait en quelque sorte forcé de le rompre.
M. le président – Voici l’amendement proposé par M. Dumortier :
« Aucun chemin de fer de Poperinghe ou de Furnes à la frontière de France, ne pourra être concédé qu’en vertu d’une loi. »
- L’amendement est appuyé.
M. Delehaye – Messieurs, il n’est pas nécessaire de vous dire qu’entre Gand et Bruges, il n’y a pas de rivalité possible, sous le rapport industriel et commercial. Ce n’est donc pas un intérêt de localité qui me guide et peut me guider. Je m’empare des paroles de l’honorable M. Malou, paroles au moyen desquelles il a voulu écarter l’embranchement entre Thielt, soit vers Deynze, soit vers Aeltre. Il vous a dit qu’on ne s’était pas arrêté à cette construction, parce qu’on ne voulait pas compromettre des avantages réels pour obtenir des avantages incertains. Mieux vaut, a-t-il ajouté, s’en tenir au bien présent, que de tenter d’obtenir mieux, quand on est loin d’être certain que cette tentative réussira.
Je puis donner à l’honorable membre l’assurance que la compagnie sera on ne peut plus enchantée de faire l’embranchement de Thielt à Deynze ou à Aeltre, parce que l’importance de Thielt rend très-probable la perception d’un revenu considérable sur cet embranchement.
Qu’est-ce que l’Etat doit prendre en considération, avant de donner son consentement à l’exécution d’un chemin de fer qu’il ne se construit pas à ses frais ? C’est que le chemin de fer ne lèse pas les intérêts généraux, c’est qu’il ne lèse pas non plus aucun autre intérêt légitimement acquis.
Or, quel intérêt peut se trouver lésé par l’embranchement qu’on sollicite pour Thielt ? Tout le monde connaît l’importance de la ville de Thielt ; il s’y trouve un marché de toiles considérable, il s’y vend un millier de pièces de toile par semaine. Thielt a donc à donner satisfaction à des intérêts commerciaux et industriels pour lesquels il faut que cette localité soit en relation avec Gand et avec la France. Je reconnais que Thielt a des intérêts administratifs qui l’appellent à Bruges. Mais veut-on qu’en vue de ces intérêts administratifs, Thielt soit mis en relation exclusivement avec Bruges, par le chemin de fer ? Mais c’est évidemment compromettre les intérêts commerciaux de la première ville. Thielt ne s’opposerait pas à un embranchement sur Bruges, mais il y a des intérêts beaucoup plus graves, que Thielt doit avant tout ménager ; et les intérêts administratifs qui la lient à Bruges, ne sont pas tellement majeurs que, pour satisfaire à ces intérêts, elle doive sacrifier ses intérêts matériels.
Thielt demande un embranchement qui la relie à Gand. Messieurs, si je ne consultais que l’intérêt de ma localité et celui de Thielt, je me rallierais à la proposition de l’honorable M. Meeus qui demande l’embranchement de Thielt à Deynze. L’honorable membre avait même ajouté qu’il ne comprenait pas comment on pouvait réclamer l’embranchement de Thielt à Aeltre. J’ai interrompu l’honorable M. Meeus, pour lui dire que je suis à même d’expliquer pourquoi cette proposition est faite.
Messieurs, je suis un des signataires de la proposition qui vous a été soumise. J’ai demandé l’embranchement de Thielt à Deynze ou à Aeltre. J’avoue que si je ne consultais que l’intérêt de la ville de Gand, je demanderais la jonction de Thielt à Deynze. Mais j’ai déjà fait remarquer que Thielt a des intérêts administratifs, et que dès lors cette ville doit être reliée à Bruges. (Interruption.)
S’il est décidé qu’il doit y avoir un embranchement de Thielt à Thourout,, je me rends aux raisons de l’honorable M. Meeus. Mais remarquez qu’il est fortement question de supprimer cet embranchement. (Dénégation.). On me dit non ; je crois que la route de Thielt à Thourout, lorsqu’il existera une route de Thielt à Deynze, devient parfaitement inutile. Cela ne peut former l’ombre d’un doute pour ceux qui connaissent les localités. (Interruption.)
(page 1690) Permettez !... Si vous construisiez l’amendement de Thielt à Aeltre mais voici l’avantage que vous obtiendriez, c’est que l’embranchement de Thielt, se dirigeant vers Aeltre, peut se relier aussi bien à Bruges qu’à Gand. Dans ce système, la ville de Thielt peut donc donner satisfaction à ses intérêts administratifs vers Bruges, et à ses intérêts commerciaux et industriels vers Gand.
L’intérêt de l’Etat est également sauvegardé par cet embranchement.
En effet, toutes les fois que les habitants de Thielt et des environs se déplaceront sur cet embranchement, il viendront verser dans les caisses du chemin de fer de l’Etat une partie de la somme qu’ils auront à payer pour ce parcours. Et je suis vraiment étonné que le gouvernement n’insiste pas sur ce embranchement, lui qui voulait, lorsqu’il s’est agi de la réorganisation de la poste aux chevaux, établir partout des messageries, pour mettre les différentes localités en relation avec le chemin de fer, parce que de là pouvait résulter un accroissement de revenus pour ce chemin.
Messieurs, pour ma part, je déplore l’espèce d’égoïsme qui porte aujourd’hui la ville de Bruges à chercher à se rendre seule maîtresse de la ville de Thielt. Thielt repousse cette prétention de toutes ses forces ; elle ne veut pas, absolument pas que Bruges dans son intérêt exclusif, l’empêche d’aller, soit à Gand soit ailleurs. Parce qu’il convient à Bruges que Thielt ne soit en communication qu’avec Bruges, pouvez-vous vouloir que Thielt cède à une exigence aussi exorbitante ? En vérité, ce n’est pas dans ce siècle qu’une semblable prétention peut avoir quelques chances de succès. Bruges a des intérêts avec Thielt ; eh bien, si je venais vous proposer de distraire Bruges de Thielt, vous repousseriez ma demande, et vous auriez grande raison. Or, nous ne proposons pas de détruite tout moyen de communication entre Thielt et Bruges ; je veux que Thielt soit en communication avec Bruges, mais je ne veux pas que cette communication soit exclusive. Il y a ici en jeu un intérêt politique très important : Si Thielt était privée de la communication qu’elle demande vers Gand, elle ne pourrait s’empêcher de croire que, dans cette circonstance, elle a été sacrifiée aux intérêts égoïstes de la ville de Bruges ; Thielt serait dès lors dans un état permanent d’hostilité avec Bruges ; et vous, messieurs, qui voulez maintenant l’union dans toutes les parties du pays, vous iriez ici directement contre ce but, si vous alliez donner tort à la ville de Thielt, pour favoriser exclusivement la ville de Bruges. Vous ne consacrerez pas un pareil système qui léserait gravement les intérêts de l’Etat.
Un honorable député d’Ostende vous a demandé la suppression du chemin de fer de Dixmude à Furnes. Les observations faites par l’honorable rapporteur et l’honorable M. Meeus contre la proposition me paraissent on ne peut plus fondées. Je ne comprends pas dans quel intérêt on décréterait la suppression de ce chemin de fer. Les intérêts que cette route est appelée à desservir ne touchent nullement à ceux de l’Etat. Il n’y a nulle concurrence possible entre cette route et celle de l’Etat, puisque ces deux voies de communication ont à satisfaire des intérêts différents. Je n’en dirai pas davantage sur cette proposition dont M. le rapporteur a fait justice.
Quant à la question principale, je crois avoir rempli l’engagement que j’avais pris, en interrompant l’honorable M. Meeus, de donner des explications satisfaisantes ; je crois avoir démontré à l’honorable membre qu’en demandant que Thielt fut reliée à Aeltre, je n’ai eu à consulter que l’intérêt de Bruges qui dès lors n’a pas à se plaindre.
L’honorable membre demandera dès lors sans doute avec nous que Thielt soit mise en communication avec Aeltre ; qu’il me soit permis d’ajouter encore que l’intérêt de Gand réclame plus particulièrement l’embranchement de Thielt sur Deynze. Mais dans cette circonstance encore, messieurs, nous sommes prêts à faire le sacrifice de nos avantages pour appeler à en profiter une ville qui se prétend aujourd’hui notre rivale.
(page 1707) M. Devaux – Messieurs, vous venez d’entendre de bien graves accusations contre une ville qui me touche de près. Si vous voulez m’accorder un moment d’attention, je n’aurai pas de peine à les détruire. Ce n’est pas de prétentions égoïstes que Bruges peut être accusée ; en acceptant le tracé actuel, elle fait de grands sacrifices, car ce tracé froisse ses intérêts.
Je tâcherai de vous faire voir que la question, jusqu’à présent, a été mal comprise par ceux qui ont combattu le projet qui vous est soumis. Mais avant de vous parler de l’embranchement de Deynze, je parlerai de la direction par Thourout qui a été critiquée par un des orateurs que vous avez entendus. Je dirai qu’il suffit de jeter les yeux sur la carte pour voir que la direction de Thourout est plus conforme aux intérêts généraux de la province que celle par Thielt. La dernière longerait, en quelque sorte, le chemin de fer de l’Etat et laisse toute la partie ouest de la province à l’écart. Par Thourout au contraire on rapproche le chemin de fer de toutes les populations qui en étaient privées jusqu’à présent. Aussi de ce changement de direction est né l’embranchement sur Dixmude dont il n’était pas question dans le premier projet, et l’embranchement éventuel sur Furnes. On a critiqué le point de raccordement, parce que, pour aller de Thielt à Courtray, il fallait reculer vers Bruges. La chambre de commerce de Courtray, dans la pétition qu’elle nous a adressée, accepte ce point de raccordement ; Bruges et Thourout le demandent. La commission a émis le vœu, approuvé par M. le ministre des travaux publics, que ce point fût fixé de manière à concilier les intérêts des communications de Thielt avec Courtray et de Thielt avec Bruges, c’est-à-dire, que de Thielt on tire une perpendiculaire sur la ligne principale afin qu’en allant à Courtray on ne soit pas obligé de rétrograder vers Bruges et qu’en allant à Bruges, on ne rétrograde pas vers Courtray.
Je recommande à M. le ministre les points intermédiaires entre Thourout et Bruges ; il se trouve là des communes dont l’intérêt mérite d’être pris en considération, par rapport à la direction du tracé, telle que Wardamme, Ruddervoorde et d’autres.
Je pense, messieurs, que la direction par Thourout ne sera pas autrement contestée que pour la ville de Thielt qui aime naturellement mieux avoir le tronc principal qu’un embranchement.
Je passe, messieurs, à la question qui concerne l’embranchement, et je dis que cette question a été mal comprise jusqu’ici, parce qu’on ne s’est pas douté que l’embranchement vers Deynze ou Aeltre entraînerait des changements considérables et inévitables dans le tracé. Messieurs, quand il s’agit de couvrir d’un réseau de chemins de fer une province aussi populeuse composée d’un grand nombre de districts et comptant jusqu’à quinze villes, c’est une tâche assez difficile de contenter tout le monde.
Vous comprendrez que pour arriver à un résultat, il faut nécessairement procéder avec quelque esprit de conciliation. Il faut tâcher de satisfaire le plus grand nombre ; il faut quelquefois désespérer de contenter les plus exigeants. Le projet de loi, tel qu’il vous est maintenant soumis, est accepté dans la Flandre occidentale par quatorze des quinze villes qui s’y trouvent.
J’entends un murmure de la part du représentant de Thielt, qui est en effet la quinzième ville.
Un membre – Et Gand ?
M. Devaux – J’y viendrai.
Je dis que ce projet réunit l’assentiment de 14 des 15 villes de la Flandre occidentale. Ce projet est une convention signée depuis le 19 avril par les concessionnaires, approuvée par le gouvernement qui l’a présentée à la commission chargée d’examiner le projet de loi primitif, la commission l’a adopté.
Une seule ville de la Flandre occidentale s’y oppose ; c’est la ville de Thielt. Or, dans ce projet de loi, vous en conviendrez, il s’agissait de concilier bien des intérêts. Thielt y perd-elle ? Non ; elle y gagne trois communications par chemin de fer, une vers Courtray, une autre vers Bruges, une troisième vers Dixmude ; mais elle en voulait une troisième vers Gand. Heureuses toutes les villes de l’importance de Thielt, si on les dotait de trois communications par chemin de fer ! Tout à l’heure, j’examinerai l’intérêt de la ville de Thielt dans la province, elle n’arrive qu’au cinquième rang pour sa population ; à d’autres égards, elle est loin d’être au cinquième rang. Cependant des villes plus importantes acceptent le projet de loi tel qu’il est aujourd’hui présenté.
La chambre de commerce de Courtray est expresse ; elle regarde le projet de loi comme la direction la meilleure avec l’embranchement s’arrêtant d’une part à Dixmude et de l’autre à Thielt.
La ville de Gand élève des réclamations ; tout à l’heure, je les examinerai. Mais je dirai d’avance que l’intérêt de la ville de Gand est minime, qu’il s’agit ici d’une construction provinciale, à tel point, que si c’était une route pavée, la ville de Gand ne serait pas même consultée, ce serait le conseil provincial de la Flandre occidentale qui décréterait la route, et le ferait d’après des considérations provinciales.
Messieurs, en acceptant ce tracé, loin de faire preuve d’égoïsme, la ville de Bruges a fait preuve d’un grand désir de conciliation ; car le tracé, tel qu’il est dans le projet de loi, est défavorable à Bruges, désastreux peut-être. Je n’aurai pas de peine à vous en convaincre, et cependant Bruges s’est résignée au tracé, à la condition qu’il ne serait pas empiré contre elle. S’il est, messieurs, je pense, en fait de routes provinciales un principe qui mérite considération, c’est que les chefs-lieux ont droit d’être mis en rapport direct avec les localités importantes de leur province. En est-il ainsi dans le projet qui vous est présenté ? en est-il ainsi pour Bruges ?
Ces communications directes qu’on réclame pour Gand, dans la Flandre orientale, le chef-lieu de la Flandre occidentale les a-t-elle obtenues ? D’après le projet, il n’y a que deux points reliés directement à Bruges. Bruges ne va sans détour qu’à Thourout et à Roulers. Pour aller de Bruges à Dixmude, il y a un détour ; pour aller à Thielt, il y a un détour ; pour aller à Courtray, il y a un détour de trois lieues. Mais ce qui est plus grave (c’est sur ce point que j’attire votre attention) : savez-vous quel est le parcours qu’on est obligé de faire pour aller de Bruges à Ypres ? On est obligé de faire un détour de sept à huit lieues. La distance en ligne droite est de huit à neuf lieues, et l’on est obligé d’en faire seize. Ypres serait aussi éloigné de Bruges que l’est Termonde ; Ypres deviendrait aussi étranger au chef-lieu que l’est Termonde. Trouvez-vous encore que Bruges soit traitée équitablement ? Y-a-t-il un chef-lieu de province que l’on ait jamais songé à traiter de la sorte ? Trouvez-vous que le principe des relations directes qu’on invoque soit observé envers Bruges ? Trouvez-vous que Bruges ne soit pas en droit de se plaindre et de se récrier quand on réclame pour d’autres l’application d’un principe dont on lui refuse le bénéfice ?
Il y avait dans la Flandre occidentale trois points importants à relier : Bruges, Courtray et Ypres. Ces trois points forment un triangle ; Bruges en est la pointe nord ; Courtray et Ypres les deux points extrêmes de la base du triangle vers le sud. Il s’agissait de relier ces trois points. Quel était le moyen naturel ? Il était bien simple : choisir un point vers le centre du triangle ; et faire converger vers ce point des lignes partant des trois villes à relier : Roulers semblait être placé là tout exprès. Le tracé que le bon sens indiquait, consistait donc à diriger le chemin de fer de Bruges sur Roulers, avec bifurcation sur Ypres et sur Courtray. On aurait ainsi le moins de détour, les lignes les plus directes de chacune des trois villes aux deux autres. Au lieu de cela que fait-on ? On conduit le chemin de fer de Bruges à Roulers et de Roulers à Courtray. Mais de Roulers à Ypres, il n’y a pas de ligne directe. De sorte que les voyageurs et les marchandises venant de Roulers ou de Bruges sont obligés de passer par Courtray pour aller à Ypres. Et comment, encore, vont-ils de Courtray à Ypres ? Pas même en ligne droite ; ils suivent une courbe, vont se promener sur une ligne qui décrit une espèce de feston, le long de la frontière française, et arrivent ainsi de Bruges à Ypres, après avoir fait un parcours de 15 à 16 lieues.
Le résultat, comme je le disais, c’est qu’à tout jamais le district d’Ypres est détaché de Bruges, qu’il est mis en relations directes avec Gand exclusivement ; c’est que la Flandre orientale absorbe désormais la partie sud de la Flandre occidentale. Et c’est Gand qui se plaint du tracé, alors que la Flandre occidentale lui cède en quelque sorte ses plus beaux districts ! Y avait-il pour cela une raison plausible ? On dit qu’il y a des intérêts contraires ; je les crois très-faibles, car je ne suis pas même parvenu à les comprendre ; et cependant il faut que Bruges supporte ce malheur ; elle y est condamnée, dit-on, dans d’autres intérêts que les siens ; mais à son intérêt à elle, rien ne peut être sacrifié.
Pour savoir quelle est la portée d’un pareil coup, il faut se rappeler quelle est la population de Bruges. Bruges, vous le savez, a perdu depuis longtemps son ancienne prospérité ; elle a vu la nature et les événements politiques conjurés contre elle : la nature a ensablé le port qui lui avait donné sa richesse, les événements politiques ont jeté ce port entre les mains d’une autre nation longtemps ennemie. Son commerce aujourd’hui (page 1708) est réduit au trafic de sel, qu’on menaçait encore naguère. Elle faisait encore le commerce des bois ; mais une loi récemment portée l’a encore atteinte dans ce reste de ses ressources. Une seule industrie de quelque étendue lui reste : c’est une industrie de femmes, celle des dentelles, une des plus précaires qu’il y ait
Bruges n’est pas comme Gand ; ce n’est pas un Manchester ; elle n’a pas de nombreux rapports établis avec toutes les provinces et les pays étrangers ; elle n’a pas de riches manufactures ; ce n’est pas une ville puissante ; c’est une ville qui vit de ses rapports avec les campagnes de la province. Quelles facilités a-t-elle pour cela ? Elle est bien loin de posséder celles dont jouit Gand pour communiquer avec le reste de la Flandre orientale. Gand a 4 lignes de chemins de fer qui, tout en le mettant en rapport avec Anvers, Bruxelles, Liége, Bruges, Ostende, Courtray, le Hainaut, la France et l’Allemagne, traversent toutes les populations de la Flandre orientale elle-même ; qui a de plus le canal vers Bruges qui parcourt une partie de la province, l’Escaut qui, pour arriver à Gand, traverse une partie de la province ; qui, après être sorti de la ville, traverse une autre partie, la Lys qui en arrose encore une autre partie.
Bruges n’a que le chemin de fer de l’Etat qui ne fait que raser la Flandre occidentale et qui ne la met pas en communication avec des populations nombreuses et des campagnes de la province. Le canal de Bruges à Ostende et à Gand suit la même direction, et pas plus que le chemin de fer, il ne rentre dans le cœur de la province.
Ce n’était pas assez : il a fallu que les événements politiques depuis quelques années vinssent réduire les rapports de Bruges avec le pays qui l’avoisine. La révolution est venue placer la frontière hollandaise à ses portes. Bruges avait des relations fréquentes avec la Flandre hollandaise. Ces relations sont brisées aujourd’hui par une ligne de douane ; et cependant, qu’il me soit permis de le dire en passant, Bruges ne s’est pas plainte des événements politiques. Jamais une voix antinationale ne s’est élevée en son sein. Animée des sentiments les plus patriotiques, elle s’est ralliée de tout cœur au nouvel ordre des choses. Voilà les ressources d’une population de 48,000 âmes ; et voilà que dans ce moment elle est obligée de disputer à la puissance ville de Gand. Ai-je besoin de rappeler que cette ville qui a hérité d’une nombreuse population, compte 20,000 pauvres ? Je l’ai prédit plusieurs fois, il y a, dans cette agglomération de pauvres, un véritable danger pour l’Etat que l’avenir révélera un jour. Cette population est fort tranquille aujourd’hui ; elle ne songe pas à mal. Mais vienne une catastrophe pour l’industrie des dentelles, un changement dans la mode, un encombrement du marché, un perfectionnement dans la mécanique, combinez cet événement avec la coïncidence de quelque mauvaise récole, et vous verrez s’il y a à se jouer d’une pareille situation.
Je demande si, au moment où l’on construit un chemin de fer provincial, ce n’était pas le moment de faire quelque chose pour cette ville, de la mettre tout au moins en relations directes avec les populations de la province. Au lieu de cela, on les écarte ; on isole d’elle toute une riche partie du sud de la Flandre occidentale. Ferait-on autrement, si l’on voulait réduire cette ville à l’état de village. Eh bien, Bruges qu’on accuse de d’égoïsme, Bruges évidemment froissée dans ses plus justes et ses plus modestes prétentions, se résignait à ce coup si ce devait être le dernier ; elle subissait le sacrifice, à condition qu’il s’arrêtât là et qu’on ne prétendit pas lui en imposer d’autres. Elle cédait ses rapports présents et futurs à un riche district de cent mille âmes, à condition qu’on ne lui enlevât pas ses rapports actuels avec de populations plus rapprochées encore.
Mais cette condition, on la repousse ; le sacrifice ne suffit pas ; il faut qu’elle abandonne tout et que personne ne lui cède rien. Je le demande, cependant : Bruges n’a-t-elle pas le droit de demander une compensation pour le mal qu’on lui a fait ? Pourquoi Gand mis en rapport direct avec Ypres dont on écarte si injustement Bruges, Gand qui obtient tout à Ypres, ne céderait-il rien dans le district de Thielt, où, d’ailleurs, il arrive déjà directement aujourd’hui ? Il y arrive d’un côté par le canal de Bruges à Gand, et d’un autre côté par la Lys. Il y arrive par le chemin de fer de Bruges à Gand et par le chemin de fer de Bruges à Courtray. La ville de Gand enserre pour ainsi dire ce petit espace de terrain entre les communications qui partent du pied de ses murs.
Messieurs, j’ai besoin de vous rendre compte de ce qui s’est passé relativement à Bruges dans cette affaire. D’après le premier tracé qui a été présenté par le gouvernement, Bruges était mise en communication directe avec Ypres, sans autre détour que de passer par Roulers. Bruges fit des réclamations sur l’embranchement d’Aeltre, qui était proposé à cette époque et sur la direction de la ligne principale. Ces réclamations parurent assez graves pour mériter d’être prises en considération, et alors on lui proposa le retranchement de l’embranchement d’Aeltre moyennant le retranchement de la petite ligne droite de Roulers à Ypres. J’étais, dans cette entrevue avec M. le ministre et le fondé de pouvoirs de la compagnie, chargé, avec un de mes honorables collègues du conseil communal, de défendre les intérêts de Bruges, et je vous avoue, messieurs, que je n’osai pas adhérer à cette proposition. Le sacrifice des relations directes avec Ypres me parut énorme. Nous en référâmes à l’autorité la plus compétente pour apprécier cet intérêt, le conseil communal de Bruges qui, dans la crainte de compromettre toute l’affaire, se résigna à la suppression de la ligne de Roulers à Ypres, moyennant la suppression de l’embranchement d’Aeltre. Eh bien, messieurs, aujourd’hui que la ligne d’Ypres est supprimée, on ne veut plus de l’embranchement d’Aeltre qui en a été la condition. L’une est la conséquence de l’autre ; on ne peut pas supprimer la relation directe avec Ypres s’il y a un embranchement sur Aeltre ou Deynze. Si Gand a le droit d’être mis directement en rapport avec des localités de la Flandre occidentale, Bruges, qui en est le chef-lieu, a certainement le même droit dans la province même. Vous ne pouvez donc pas, sans iniquité, admettre les réclamations de Gand et rester sourd à celles de Bruges. Si Bruges doit être privée de la relation direction avec Ypres, il faut que Gand cède aussi quelque chose, et ce quelque chose est minime pour elle. (Interruption.)
Vous voyez, messieurs, combien sont loin d’être égoïstes les réclamations de Bruges ; Bruges dit : « Vous m’arrachez un district de 100,000 âmes, eh bien, dans ce cas, cédez de vos prétentions, laissez-moi tout au moins en possession de mes rapports avec les populations voisines. »
Quel est maintenant, dans cette question, l’intérêt de la ville de Thielt ? La ville de Thielt a pris tout à coup, à ce qu’il paraît, une importance extraordinaire. Je suis charmé, quant à moi, qu’il y ait une ville si importante dans ma province, mais encore faut-il réduire la chose à sa véritable valeur. Il y a quelques années, quand il s’agissait du chemin de fer de l’Etat, la ville de Thielt était loin de ce qu’elle semble tout à coup devenue dans ce moment ; elle était si loin d’avoir cette importance, qu’on ne pensa pas même à elle pour diriger le railway de ce coté, quoique ce fût une direction fort praticable et économique pour l’Etat.
Quoi qu’il en soit, messieurs, ce pays est-il si malheureux ? Est-il si mal doté en fait de communication ? Ainsi que je viens de le dire, le pays compris entre Thielt et Gand est en quelque sort le mieux partagé de toute la Belgique en fait de chemins de fer. Jetez un coup d’œil sur la carte, et vous verrez ce petit pays, bordé d’un côté par la ligne du chemin de fer de l’Etat qui va de Gand à Bruges, de l’autre, par la ligne du chemin de fer de l’Etat qui va de Gand à Courtray. Maintenant, on vient, par le tracé proposé, ajouter à cela un complément qui encadre complètement le pays de Thielt du côté opposé, et de plus, un embranchement qui pénètre dans son sein. Et ce n’est point assez !
On vous parle de la population du district tout entier qui est, dit-on, vivement intéressé à l’embranchement de Deynze ou Aeltre. Mais il suffit encore de regarder la carte pour voir à quoi cela se réduit. Prenez la grande carte que le gouvernement a fait distribuer, où toutes les communes se trouvent indiquées, vous verrez que Thielt est à peu près isolé dans un certain cercle et que la grande population de cette partie du pays, comprise entre Gand et Thielt, ces communes nombreuses se pressent en quelque sorte contre le chemin de fer de l’Etat. Messieurs, il y a dix-neuf communes dans l’arrondissement de Thielt ; de ces dix-neuf communes, il y en a cinq qui sont au nord-ouest et à l’ouest de Thielt ; celles-là ont leurs rapports principaux avec Bruges ; elles en ont très-peu avec Gand. Il y en a ensuite, messieurs, neuf communes qui sont plus près ou aussi près du chemin de fer de l’Etat de Gand à Courtray qu’elles ne le seront jamais de l’embranchement que vous allez faire, soit que vous le conduisiez à Deynze, soit que vous le dirigiez sur Aeltre. Ces communes, messieurs, je vais vous les nommer ; vous avez d’abord les cinq communes qui ont beaucoup plus de rapports avec Bruges qu’avec Gand, et qui se trouvent situées à l’ouest et au nord, savoir : Wyngene, Swevezeele, Pitthem, Eeghem et Coolscamp.
Les neuf communes qui n’ont aucun intérêt à l’embranchement, attendu qu’elles sont desservies par le chemin de fer de l’Etat, qu’elle se trouvent ou plus voisines ou aussi voisines du chemin de fer que de l’embranchement dont il s’agit ici sont : Iseghem, qui se trouve sur la ligne même que l’on va construire de Bruges à Courtray par Thourout, Wielsbeke, Wacken, Vive-St-Bavon, Oyghem, Ousselghem, Oostroosebeke, Denteryghem, Markeghem.
Voilà donc quatorze sur dix-neuf communes qui sont désintéressées dans la question. Quant à la commune de Meulebeke, elle est plus intéressée à un embranchement d’Iseghem sur Vive-St-Eloy, dont je parlerai tout à l’heure, qu’à celui qu’on réclame.
Reste donc Thielt avec trois communes, Aerseele, Caeneghem, et Ruysselede qui seraient intéressées à l’embranchement, s’il se dirigeait à la fois vers Aeltre et vers Deynze. Mais cela est impossible ; il faut choisir entre les deux directions, et dès lors, on ne peut plus passer que par l’une de ces communes, par Aerseele, dans la direction de Deynze, ou par Caeneghem et Ruysselede sur Aeltre.
Ainsi, messieurs, l’intérêt de cette grande population qu’on allègue se réduit à l’intérêt de la petit ville de Thielt et d’une commune d’un côté, ou à l’intérêt de Thielt et de deux communes de l’autre. Tout le reste de l’arrondissement de Thielt est sans intérêt bien direct dans la question.
J’en viens, messieurs, à l’intérêt de la ville de Thielt même. Qu’est-ce que la ville de Thielt ? La ville de Thielt a d’abord un marché de toiles considérable ; est-ce dans l’intérêt de ce marché qu’on demande l’embranchement sur Gand ? Messieurs, Thielt ne vend pas ses toiles à la ville de Gand ; le commerce de toiles de Thielt se fait avec Courtray principalement et avec la France. C’est un fait dont tout le monde est convenu dans la commission….
Plusieurs membres – C’est vrai !
M. Devaux – Le commerce des toiles n’est donc pas intéressé dans la question. Mais supposons même que quelques pièces de toile doivent être transportées de Thielt à Gand, car il y a si peu de commerce entre ces deux villes, en ce qui concerne les toiles, qu’on a été incertain, dans le commencement, sur la question de savoir si les toiles vont de Gand à Thielt, ou de Thielt à Gand ; je suppose donc qu’une certaine quantité de pièces de toile soient transportées de l’une à l’autre des deux villes dont il s’agit, savez-vous l’importance du coût du détour qu’il pourrait y avoir à faire dans ce transport ? Quand il s’agit du transport de matières pondéreuses, par exemple, de houilles, mille kilogrammes de houille qui coûtent à la bure 15 fr. payent 45 cent. par lieue, c’est-à-dire 3 p.c., cela a de l’importance ; mais mille kilogrammes de toiles valent 4,5 ou 6,000 fr., or, les toiles se transportent à raison de 75 cent. par 1,000 kil. et par lieue, c’est-à-dire un cinquième ou un huitième par mille de la valeur (page 1709). Une pièce de toile qu’on peut évaluer moyennement de 80 à 100 fr., et qui pèse environ 20 kilog., ne coûtera qu’un centime et demi par lieue ; si donc elle devait faire un détour de 6 lieues, ce serait une dizaine de centimes à payer.
Messieurs, je viens de vous dire que le commerce de Thielt se faisait principalement avec Courtray et la France. Eh bien, voulez-vous connaître l’opinion d’une autorité fort compétente sur le projet de loi tel qu’il est aujourd’hui, avec embranchement s’arrêtant à Thielt et Dixmude ; voici celle de la chambre de commerce de Courtray ; elle termine en ces mots une pétition qu’elle nous adresse :
« Pour tous ces motifs, notre chambre de commerce est unanimement d’avis que le projet de chemin de fer partant d’Ypres par Wervicq et Menin vers Courtray, et de Courtray vers Bruges par Thourout avec embranchement de ce dernier point vers Thielt et Dixmude, est le projet le plus utile à notre arrondissement, à la province de la Flandre occidentale et aux intérêts généraux du pays tout entier. »
Ainsi, messieurs, voilà certainement une des autorités les plus imposantes en matière de commerce de toiles, qui vous demande d’adopter sans modification le tracé qui vous est proposé.
Messieurs, voilà ce qui en est pour le commerce des toiles. Otez ce commerce, et que reste-il de Thielt ? Une ville très-peu importante, une ville sans industrie, une ville qui n’a pas même d’octroi, une ville dont l’impôt communal s’élève la modique somme de 16,000 fr., qui, avec le produit de son marché, forment son budget communal ; une ville, messieurs, qui paye en patentes la sommes de 4,000 fr., principal et additionnels compris. Il y a des villes dans notre province, telles que Dixmude, qui, avec une population de moins du tiers, payent plus de droits de patente que la ville de Thielt. Si vous voulez prendre un rapprochement dans une autre province, je vous dirai que Lierre, qui a à peu près la même population que Thielt, paye deux fois plus de contribution personnelle, et trois fois plus de patentes que Thielt. Cela vous prouve ce que je vous disais tout à l’heure, que Thielt n’a pas même le rang que semble lui donner sa population. Pour la contribution personnelle, elle n’est que la neuvième ville de notre province et pour les patentes, elle n’est que la onzième.
Or, à cette ville, que je ne veux nullement rabaisser d’ailleurs, il ne s’agit de rien ôter ; il s’agit de lui donner un peu plus ou un peu moins ; il s’agit de lui donner quatre directions de chemins de fer vers Courtray, vers Bruges, vers Dixmude, vers Deynze, ou de ne lui en donner que trois. La convention lui en donne trois, on vous propose de lui en donner quatre.
Messieurs, quant à Gand, vous voyez quel peut être son intérêt dans cette affaire. L’intérêt de Gand, quant aux communes rurales du pays de Thielt, il est satisfait puisque la plupart de ces communes sont plus en rapport avec Gand par le chemin de fer actuellement existant, qu’elles ne seront jamais avec l’embranchement que l’on réclame. Le commerce des toiles, comme je vous l’ai démontré, il n’y a que très-peu d’intérêts. Reste le petit commerce de consommation d’un petit nombre de communes. Voilà à peu près tout pour la ville de Gand en ce qui concerne l’arrondissement de Thielt.
Messieurs, réellement est-ce bien la peine qu’une puissante ville comme Gand se mettre en campagne pour disputer à Bruges un tel intérêt ? Est-ce bien la peine que ses honorables députés y attachent tant d’importance ? N’est-ce pas là compromettre un peu leur influence, eux qui ont tant et de si graves intérêts à défendre devant la représentation nationale, que de donner une importance pareille à une question de cette portée ?
Messieurs, Bruges, à laquelle on reproche de l’égoïsme, ne s’est pas conduite ainsi. Bruges a vu le port et l’entrepôt de Gand s’élever aux dépens de son port. Bruges n’a jamais élevé la voix ; elle a constamment donné les mains à Gand pour le soutien de son port.
Quand il s’est agi du remboursement du péage stipulé par le traité avec les Pays-Bas, j’ai moi-même voté en faveur de sa restitution.
Récemment encore, quand nous avons demandé une réduction de péages sur nos canaux, nous aurions eu le droit de demander seulement sur le canal de Bruges à Ostende, parce que Bruges est un port direct, nous aurions pu nous arrêter là. Nous avons réclamer à la fois pour Bruges et pour Gand.
Je rappellerai que quand l’entrepôt de Gand a été inauguré, le collige échevinal de Bruges a poussé la condescendance, l’esprit d’union jusqu’à aller assister à cette inauguration, et cependant cet entrepôt, comme le port de Gand tout entier, est élevé, je le répète, aux dépens du port de Bruges.
Pourquoi, me dira-t-on, puisque la chose est si peu importante, Bruges y tient-elle ? Bruges y tient, messieurs, parce que d’un côté elle supporte par le projet une grande injustice qui n’est pas réparée par cette compensation qu’elle vous demande. Bruges y tient, parce qu’elle vit de ses rapports avec les populations environnantes, avec les populations des campagnes. Bruges y tient, parce qu’elle a peu à céder, peu à donner.
Enfin, messieurs, une raison pour laquelle Bruges y tient, et pour laquelle l’Etat doit y tenir, c’est que Bruges craint qu’à la suite de ce troisième débouché que la Flandre orientale aura dans la Flandre occidentale, il se fasse un déplacement plus considérable que celui de la consommation de Thielt, qu’on parait avoir seule en vue ; elle craint qu’à la suite de Thielt, le marché de la Flandre occidentale centrale ne se déplace à son détriment. Et ici l’intérêt de la ligne de l’Etat est complètement d’accord avec l’intérêt de Bruges. Sans l’embranchement que l’on vous propose sur Deynze, le chemin de fer de la Flandre occidentale ne puis nuire, je pense, à la ligne de l’Etat. Il lui enlèvera les voyageurs de Bruges sur Courtray, c’est vrai ; il nuira aussi aux canaux de Gand à Bruges et de Bruges à Nieuport et à Ypres par la concurrence qu’il leur fera. Mais ce dommage sera compensé par les voyageurs qu’il apportera à Bruges et à Courtray, voyageurs qui, pour aller à Gand ou à Bruxelles, devront parcourir toute la ligne de l’Etat. Si, au contraire, vous faites une trouée, si vous laissez couper la ligne de l’Etat, alors il est évident que cette compensation n’existe plus, que l’Etat perdra même les voyageurs qu’il a aujourd’hui.
Messieurs, je ne suis pas très-difficile, ni très-effrayé en fait de concurrence. Je comprends très-bien qu’il est difficile d’empêcher de relier des centres d’industrie importants, qu’il est difficile, par exemple, d’empêcher le Hainaut de porter ses produits directement en Allemagne. Je sens qu’il est difficile d’empêcher des villes comme Liége et Namur de se relier. Mais je demande quel est ici l’intérêt, dans quel intérêt on ferait ce sacrifice. Cet intérêt, je ne le vois pas. Vous aurez rapproché la Flandre centrale de Gand et de Bruxelles, de combien ? En général de très-peu de chose. Pour la plus grande partie de la Flandre occidentale, ce sera une différence d’une lieue, une lieue et demie. Or, une lieue, une lieue et demie de chemin de fer, c’est bien peu de chose. Il s’agit donc d’un bien faible intérêt.
Mais le voyageur, quelque faible que soit l’avantage, préférera la route la plus courte de la compagnie à la ligne plus longue de l’Etat. Ainsi celle-ci perdra ce qu’elle a aujourd’hui.
Messieurs, il y a une autre question qui se lie à l’embranchement de Deynze. Cet embranchement, messieurs, il faut bien le dire, n’est pas ce qu’il paraît. Cet embranchement est le germe d’une ligne toute entière d’Ostende sur Bruxelles, passant par Audenaede et Ninove, et laissant de côté Gand et Bruges. Cette ligne, messieurs, n’est pas un rêve, car je pense que la concession est demandée (M. le ministre des travaux publics fait un signe affirmatif.) Je vois que l’on me fait un signe affirmatif. Cette ligne, messieurs, c’est tout bonnement une concurrence à la ligne de l’Etat, que cette fois, tous ceux qui réclament l’embranchement de Deynze n’approuveront pas. En fait de concurrence, il y a des limites ; ce serait aller bien loin que de faire deux lieues de Bruxelles à Ostende, à une distance de deux ou trois lieues, quelquefois d’une lieue, passant par les mêmes provinces, passant par les mêmes arrondissements. Tout le monde trouvera que l’Etat ne peut donner en concession une pareille ligne et qu’il doit y réfléchir mûrement avant de la faire lui-même.
Qu’est-ce qu’il arriverait d’une pareille concurrence ? Que les deux lignes s’appauvriraient l’une l’autre. Quand elles se seraient appauvries, les concessionnaires et l’Etat, se trouvant en perte, finiraient par s’entendre pour augmenter les péages, et le commerce, au lieu d’une ligne à bon marché, en aurait deux dont le prix de transport serait onéreux.
Messieurs, quand une fois vous aurez laissé coupé la ligne de l’Etat à Deynze, il ne vous sera plus possible d’empêcher Audenarde de se relier à Deynze, et quand Audenarde viendra vous demander pourquoi il ne serait pas relié directement à Bruxelles, comme Thielt l’a été à Gand, il vous sera impossible d’empêcher cette jonction de s’opérer. Je ne sais si alors mes honorables collègues de Gand soutiendront encore la cause qu’ils soutiennent aujourd’hui ; je ne sais s’ils s’engageraient à appuyer la demande de la ligne de Deynze sur Bruxelles.
L’honorable M. Delehaye me dit qu’on ne demande pas l’embranchement par Deynze. Mais il y a trois jours, on le demandait encore ; on s’est rabattu maintenant sur Aeltre, peut-être parce qu’on a découvert que la ligne de Deynze devait créer une nouvelle communication directe entre Ostende et Bruxelles, et laisser de côté Gand.
Vous voyez, messieurs, qu’à cet embranchement se rattachent d’autres questions ; les auteurs de l’amendement sont même indécis entre eux, et, pour se mettre d’accord, ils ont besoin de stipuler dans la disposition que l’embranchement se fera vers Deynze ou vers Aeltre ; de cette manière, ceux qui seraient opposés à la ligne d’Aeltre et voteraient celle de Deynze, adopteront néanmoins l’amendement.
Ce n’est pas la seule incertitude à lever. Si vous faites un embranchement, si vous décidez que la Flandre orientale doit déboucher pour la troisième fois dans la Flandre occidentale, où elle pénètre déjà deux fois par les routes ferrées, il y a à examiner si ce nouveau débouché doit avoir lieu à Thielt, ou s’il ne doit pas bien plutôt avoir lieu à Roulers par Iseghem et Vive-St-Eloy. Cette question n’a pas encore été étudiée.
La question de l’embranchement de Deynze, vous le voyez, entraîne d’autres questions, et ainsi que je l’ai établi, entraîne comme conséquence nécessaire un changement dans le tracé de Roulers sur Ypres.
Messieurs, je crois vous avoir prouvé qu’il y a des raisons puissantes pour ménager les intérêts du district de Bruges ; je crois vous avoir démontré que le tracé est très-désavantageux pour Bruges, que la compensation que lui offrait le projet est très-faible ; et cette compensation, on propose de la lui retirer, en lui laissant tout le désavantage du tracé ; je crois vous avoir fait voir qu’ici l’intérêt est minime pour Thielt et pour Gand, attendu que Thielt a peu de relations commerciales avec Gand, que ces relations existent bien plus avec Courtray, Lille et Bruges.
Messieurs, l’intérêt que je défends est d’accord aussi avec celui de l’Etat. Dans tous les cas, je ne demande pas de faveur, je ne demande que justice ; je dis que, puisque vous lésez gravement et injustement Bruges d’un côté, il faut au moins lui offrir une légère compensation de l’autre. Puisque la ville de Bruges est condamnée à sacrifier ses rapports actuels avec le district d’Ypres, qu’elle puisse au moins conserver ses rapports avec les populations plus voisines.
Messieurs, si ces réclamations si justes ne sont pas écoutées, je demanderai, comme conséquence du changement qu’on introduira, le rétablissement de la ligne directe de Roulers à Ypres. Je crois que je parviendrai à démontrer que si l’amendement est adopté, cette ligne doit être inévitablement décrétée. (Interruption.)
(page 1710) Je le sais, messieurs, cela amènerait un changement dans le tracé, cela donnerait lieu à une complication. Eh bien, messieurs, c’est pour l’éviter et ne pas compromettre le chemin de fer de la Flandre occidentale que la ville de Bruges s’était résignée à adhérer au tracé actuel ; mais certainement si on retire, en quelque sorte, le prix auquel elle a consenti à se prier de l’embranchement d’Ypres, sa résignation ne doit pas aller jusqu’à subir ce nouveau sacrifice ; elle doit réclamer justice devant vous, et votre devoir est d’être équitable envers elle.
(page 1690)t M. d'Elhoungne – Messieurs, je ne viens pas combattre la direction par Thourout, proposée pour le chemin de fer de la Flandre occidentale. Cette direction je l’approuve. Mon intention est de défendre seulement l’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre avec plusieurs de mes honorables collègues. Je le ferai en épargnant le plus possible les moments de l’assemblée, car je comprends, messieurs, la fatigue qu’elle éprouve de ce débat auquel l’honorable préopinant a donné des proportions peut-être exagérées. Notre amendement a pour objet de prolonger le chemin de fer projeté de Thielt jusqu’à Deynze, et, à défaut de Deynze, jusqu’à Aeltre. Et je dirai franchement que mon opinion personnelle est exclusivement favorable à la direction sur Deynze, parce que je considère la direction sur Aeltre comme un terme moyen très-ingénieux sans doute, que l’esprit de conciliation a inspiré aux autorités locales, mais qui, sous tout autre point de vue, ne peut se justifier.
Cette question, je dois le déclarer, est un anachronisme dans l’histoire des deux dernières semaines. Entraînés, stimulés par le gouvernement ; nous avons voté des chemins de fer en foule ; nous en avons voté presque partout ; nous en avons voté de la plus haute importance. Nous les avons voté, messieurs, sans tenir compte du parallélisme qu’ils pouvaient présenter parfois avec les lignes de l’Etat ; sans nous arrêter aux détails de leur raccordement avec le réseau national ; sans nous effrayer de ce qu’ils dussent affecter légèrement ou profondément les recettes du trésor public. Nous les avons voté presque sans discussion par cette considération puissante, il faut le reconnaître, que les chemins de fer ne devaient rien coûter à l’Etat, tandis qu’ils allaient en définitive satisfaire des intérêts considérables et nombreux.
Or, la discussion actuelle, à quoi se réduit-elle ? A un question de rivalité entre Bruges et Gand ? A une misérable querelle de petits intérêts entre ces deux villes ? Mais, s’il n’y avait que cela au fond de ce débat, je dédaignerais d’y prendre part ! Il y a autre chose, vraiment ! Il y a une lutte inégale et injuste entre Bruges d’une part et Thielt d’autre part. C’est Bruges qui dispute à Thielt un embranchement de chemin de fer de deux lieues et demie, embranchement que réclament impérieusement tous les intérêts de Thielt, embranchement qui ne doit rien coûter à l’Etat, et qu’une compagnie offre de construire ; voilà toute la discussion.
L’honorable M. Malou a dit avec raison, au début de la séance, qu’il s’agit, dans le projet de loi qui nous est soumis, de vivifier toute la Flandre occidentale par un réseau de chemins de fer. Ce but ne saurait être atteint sans notre amendement qui complète, pour une partie essentielle, le réseau projeté. L’honorable préopinant, M. Devaux, allègue vainement que toutes les villes sont d’accord pour approuver le tracé de la section centrale, et que la ville de Thielt est seule à se plaindre. C’est qu’en effet la ville de Thielt est seule sacrifiée ; et de quoi se plaint-on ? De ce qu’un avantage plus grand, un avantage immense lui étant offert, sans rien coûter au pays, sans nuire à aucune localité, la ville de Bruges cependant, par un sentiment que je ne qualifierai pas…
Un membre – Qualifiez toujours….
M. d’Elhoungne – La ville de Bruges ose le lui contester ! Mais la ville de Thielt a trop d’importance par elle-même, trop d’importance par les nombreuses populations agglomérées autour d’elle, pour que ces efforts puissent obtenir quelque succès. Je sais, messieurs, que l’honorable M. Devaux a prétendu que Thielt est sans importance par lui-même et que les communes rurales qui l’entourent, se trouvant déjà assises sur la lisière de deux chemins de fer, l’embranchement que nous proposons est inutile. Mais je réponds à l’honorable membre : Si l’embranchement est inutile, eh bien ! son mouvement sera nul, son action sera nulle : il devra chômer ! Or, s’il doit chômer, pourquoi Bruges s’y oppose-t-il ? Au contraire si l’embranchement proposé doit faire naître une grande circulation, c’est qu’il répond à de grands, à de sérieux besoins ; et si tel est son caractère, de quel droit Bruges s’y opposerait-il ?
Il est inconcevable, messieurs, que Thielt est le centre d’une immense population rurale. Malheureusement cette population a pour principale ressource notre vieille industrie flamande, notre industrie linière, dont les souffrances sont si profondes, dont l’état de crise est permanent, et dont la situation est telle que chaque année un cri d’alarme retentit dans cette enceinte, et que chacun de nous n’entrevoit qu’avec angoisse le sombre avenir de deux de nos plus belles provinces.
Eh bien ! que faut-il faire pour cette population si digne de notre sollicitude ? Faut-il la rapprocher, elle qui a besoin de travail, d’industrie, de progrès, faut-il la rapprocher de Bruges ? Mais Bruges, son honorable député vous l’a dit, Bruges est déchu de son antique splendeur ; Bruges n’a plus ni industrie, ni commerce, ni activité ; Bruges n’a pas cette sève, cette vitalité qui puisse ranimer une population abattue, et la lancer dans une voie nouvelle. Ce qu’il importe de faire, messieurs, c’est de rattacher les populations rurales de la Flandre à cette ville qui est l’un des grands foyers de l’activité industrielle du pays ; c’est de rattacher ces milliers de travailleurs à la grande cité où sont les capitaux et les industriels ; c’est de les rattacher à Gand !
Ici se présente le côté élevé de la question. Chaque jour on proclame la nécessité de venir en aide à l’ancienne industrie linière. Chaque jour nous entendons dire : Il faut transformer cette industrie trop exclusive de nos campagnes. On propose, par exemple, de substituer le tissage au filage, même pour les femmes et les enfants (chose facile avec les métiers perfectionnés). On propose encore, quant au tissage lui-même, de substituer sur une plus grande échelle le fil mécanique au fil à la main, puisque le goût de certains consommateurs et les besoins de l’exportation l’exigent ; et, en second lieu, de substituer, le plus possible, au tissage de la toile, celui des tissus de coton, dont la demande est plus étendue. Eh bien, si vous voulez résoudre le problème de cette transformation industrielle, poussez vers Gand, où se fabrique le fil de lin et le fil de coton, cette population rurale aujourd’hui éperdue ; elle trouvera à la fois et la matière première de son travail, et une directe intelligente, et une vive sympathie.
Veuillez le remarquer, messieurs, en favorisant, en amenant un pareil résultat, le gouvernement et la législature accomplissent la plus utile, la plus belle, la plus incontestable partie de leur mission. C’est sans doute un acte d’humanité que d’accorder des subsides à une industrie souffrante ; mais ce n’est, en définitive qu’un acte d’humanité et de nécessité. Une intervention bien autrement efficace, de la part du pouvoir social, est celle qui relève toute une contrée de la décadence, en la dotant de voies de communication perfectionnées. Les chemins de fer, en effet, ne portent-ils pas une vie nouvelle, ne créent-ils pas un immense et nouveau mouvement, ne multiplient –ils pas à l’infini le déplacement des hommes et le transport des choses ; en un mot, ne font-ils pas, partout où ils s’établissent, jaillir du sol des sources nouvelles de prospérité.
Voilà cependant ce que le chemin de fer projeté, lorsqu’on le complète par notre amendement, peut réaliser pour l’arrondissement de Thielt ; voilà ce que Thielt réclame ; voilà ce que Gand, lui prêtant un légitime appui, demande avec Thielt à la justice de la chambre. C’est donc bien à ce point de vue, une question d’avenir, d’industrie, de prévoyance gouvernementale ; et je ne puis trop m’étonner, qu’on l’ait dénaturée, qu’on l’ait rapetissée à ce point de n’y voir qu’une rivalité d’intérêt entre deux villes….
M. Maertens – L’intérêt de Gand est en jeu ; lisez la pétition de la régence de Gand.
M. d’Elhoungne – Qu’importe la pétition de Gand ! Je suis juge, moi aussi, de la question. Je ne reçois pas mes inspirations du dehors, je les puise dans l’étude des faits et dans ma conviction. Permettez ! vous (page 1691) dites que l’intérêt de Gand est en jeu ! Mais l’honorable M. Devaux a démontré, avec toute l’habilité de sa parole, que l’intérêt de Gand est de plus minimes dans cette mauvaise querelle. Que mon honorable interrupteur se mette donc d’accord avec l’honorable M. Devaux ; ou plutôt qu’il fasse un retour sur la réalité des faits, et il avouera que Gand ne reçoit guère de Thielt que des travailleurs, et n’y envoie guère que de l’ouvrage.
L’intérêt général réclame, sous d’autres rapports encore, l’adoption de notre amendement. Je ne puis comprendre que l’honorable M. Devaux ait prétendu le contraire en affirmant que la ligne de Thielt à Deynze serait préjudiciable au chemin de fer de l’Etat. En effet, tout le réseau des chemins de fer de l’Etat se trouve à l’Est ; tout le réseau des chemins de fer concédés que nous venons de voter se trouve à l’Est ; toutes les autres provinces du pays sont situées à l’Est ; tous les échanges, tous les rapports, tout le mouvement s’opère vers l’Est : or, que proposons-nous ? Un embranchement vers l’est, qui relie le chemin de fer de la Flandre occidentale au railway national et aux railways concédés ; qui le relie à toutes les provinces du pays ; qui le prolonge dans la direction que suivent toutes les affaires, toutes les relations.
« Mais, dit l’honorable préopinant, le chemin de fer de la Flandre occidentale touche déjà par deux embranchement au réseau de l’Etat : un troisième est inutile. » Je réponds à l’honorable membre : « Si l’embranchement que nous proposons est inutile, il n’aura rien à faire ; il ne vous fera, par conséquent, aucun mal : pourquoi le repousser ? »
Un autre orateur qui a défendu le projet de la section centrale dans cette enceinte, s’est écrié qu’il ne savait pas comment qualifier la conduite d’Ostende qui demande le rejet de l’embranchement de Dixmude sur Furnes. Je pense que cet honorable préopinant n’est pas moins embarrassé pour qualifier la conduite de Bruges qui dispute avec acharnement à Thielt l’embranchement sur Deynze. Chose étrange cependant, l’honorable M. Malou, qui combat les prétentions d’Ostende, qui ne sait comment les qualifier, prête son appui aux prétentions tout aussi odieuses de Bruges !
On a objecté ensuite que la question soulevée par l’amendement n’est pas suffisamment étudiée. Mais avec tous les détails qu’on vous a donnés, après les discours que vous venez d’entendre, en présence des documents nombreux qui vous on été distribués, je vous demande, messieurs, si cette question d’un petit embranchement de deux lieues et demie n’est pas au moins aussi bien examinée que toutes les questions que nous avons résolues depuis quelques jours ?
Il me reste quelques mots encore à répondre à l’honorable M. Devaux. Cet honorable membre n’est point parvenu, malgré les brillants efforts qu’il a faits, à démontrer que la question est mal comprise par nous, mal comprise par la chambre. Il semble, au contraire, que personne n’a déplacé et faussé la question autant que l’honorable député de Bruges qui a pour système d’établir des relations forcées, et par conséquent, onéreuses, entre la capitale de la Flandre occidentale et les autres localités de cette province. Evidemment, si l’on n’avait pas mieux compris ailleurs les grands et vrais intérêts du pays, la moitié de nos chemins eût été condamne au néant. On n’aurait décrété ni la ligne de Jurbise, ni la ligne d’Hasselt, ni la ligne de la Dendre, ni la ligne de Namur à Liége, ni la ligne de Manage. Cependant on a décrété ces chemins de fer malgré les froissements d’intérêts qui en seront la suite. Pourquoi ? parce qu’en définitive ces chemins de fer multiplieront, activeront les relations entre les grands centres du pays et créeront par là de nouvelles ressources commerciales, industrielles et agricoles. S’il fallait en croire l’honorable député de Bruges, nous tracerions un cercle inflexible autour de la Flandre occidentale, nous mettrions des entraves aux rapports toujours croissantes de cette province avec la Flandre orientale, avec le Hainaut, avec le Brabant ; or, c’est à ces rapports précisément que nous devons donner un nouvel élan ; la prospérité de la Flandre occidentale est à ce prix. Qu’après cela on vient s’attendrir sur la position excentrique que la nature a faite à la ville de Bruges ; qu’on critique le tracé du chemin de fer projeté qui ne relie pas en ligne droite la ville de Bruges à plusieurs villes importantes de la province : je demanderai ce que cela prouve ? Proposez un tracé meilleur, présentez des concessionnaires qui l’acceptent, et nous ferons droit à vos propositions. Mais vous prévaloir de cela pour combattre un embranchement nécessaire, un embranchement que le gouvernement lui-même a considéré comme tel dès le principe, ; il faut en convenir, c’est une conduite qui ne s’explique que par l’esprit de localité, que par l’amour de sa localité poussés à l’excès.
Bruges ne veut pas qu’on prolonge le chemin de fer de Thielt à Deynze. Mais si Gand avait si peu d’intelligence des intérêts de la Flandre, Gand devrait donc se plaindre de tout le chemin de fer qu’on propose ? En effet, les voyageurs nombreux qui se rendent du Midi à Bruges et à Ostende doivent passer par Courtray et par Gand. Au moyen de la nouvelle ligne, ils iront directement de Courtray à Bruges, laissant la ville de Gand à l’écart. Eh bien, ce préjudice, s’il existe, nous nous y soumettons, nous ne venons pas le jeter dans la balance quand il s’agit de doter une vaste province des bienfaits du chemin de fer et de lui donner ainsi une vie nouvelle.
Ceci me conduit à faire une déclaration sur laquelle l’honorable M. Devaux nous a mis en demeure de nous expliquer. L’honorable député de Bruges nous a demandé ce que feraient les députés de Gand, si l’on vient plus tard proposer le prolongement du railway de Deynze à Audenarde, d’Audenarde à Grammont, et de Grammont à Bruxelles. Je répondrai à l’honorable préopinant que si l’on vient demander cette nouvelle ligne de chemins de fer, les députés de Gand examineront son utilité au point de vue de l’intérêt général du pays ; et si cette utilité leur est démontrée, ils donneront leur vote à la nouvelle ligne, comme ils l’ont donné à la ligne de Jurbise, à la ligne de la Dendre. Les députés de Gand sont bien convaincus, l’honorable préopinant peut le croire, qu’un intérêt local relativement très-mince ne doit pas prévaloir sur l’intérêt de tous.
Toutefois, je n’entends pas me faire un mérite de cette franchise. J’ajouterai que le parallélisme de grandes lignes de chemin de fer ne m’effraye pas du tout. L’étude attentive du mouvement de notre railway démontre à l’évidence que le nombre de voyageurs qui parcours les grandes distances est infiniment restreint. Ainsi le chiffre des voyageurs qui viennent d’Angleterre et vont jusqu’à la frontière allemande est insignifiant, quand on le compare aux millions de voyageurs qui parcourent nos chemins de fer. Il en est de même pour les marchandises. Comparez le nombre de tonneaux transportés en transit d’Anvers à Cologne avec la masse de transports à petites distances que le chemin de fer effectue, et vous trouverez un nombre sans importance, au-dessous de toutes les prévisions de ceux qui ont décrété cette grande ligne internationale. Je vois avec plaisir que M. le ministre des travaux publics fait un signe d’assentiment : j’en conclus qu’il est d’accord avec moi sur ce point. Dès lors, vous voyez, messieurs, que la ligne nouvelle d’Ostende sur Bruxelles, dont l’imagination de l’honorable préopinant s’effraye par anticipation, n’aura point l’importance qu’il lui donne, ne causera pas le préjudice qu’il lui attribue. Je ne pense donc pas que la déclaration que j’ai faite nous prépare, dans l’avenir, de grande sacrifices.
Je bornerai là mes observations. Il doit être évident pour tous que le débat n’est pas entre Bruges et Gand. Si pareille rivalité se produisait dans cette enceinte, la chambre tiendrait impartialement la balance entre les intérêts des deux villes. Aujourd’hui, l’intérêt de Thielt est principalement et presque seul engagé. Cet intérêt, vous le ferez triompher, et en reliant Thielt et Gand, vous ferez participer toute une immense population aux bienfaits du travail, de l’industrie et du progrès. J’ai dit.
Un grand nombre de voix - La clôture ! la clôture !
M. de Foere - Je demande la parole contre la clôture.
M. le président – Voici un amendement que vient de déposer M. Devaux :
« J’ai l’honneur de proposer, pour le cas où un embranchement quelconque sur Thielt ou sur Aeltre serait adopté, l’amendement suivant qui en serait la conséquence :
« Le gouvernement est autorisé à accorder à la compagnie, etc., la concession d’un chemin de fer de Bruges à Roulers par Thourout avec embranchement sur Thielt et Dixmude, et de Roulers à Courtray, avec embranchement sur Ypres et Poperinghe partant de Roulers. »
M. Devaux – J’ai annoncé cet amendement, je désire l’expliquer en très-peu de mots.
M. de Foere (contre la clôture) – Le district que j’ai l’honneur de représenter est intéressé dans la question. Je demande à dire quelques paroles, je m’engage à ne pas tenir la chambre plus de 5 minutes.
M. Malou, rapporteur – L’amendement que vient de présenter l’honorable M. Devaux bouleverse tout le système de la loi. Je demande cinq minutes pour exprimer les motifs de mon opposition à cet amendement.
M. Maertens – J’ai demandé la parole contre la clôture. Il ne s’agit pas ici d’un simple intérêt de localité, comme on a voulu le faire croire ; il s’agit bien plus de l’intérêt général. Je suis inscrit pour parler, et je me charge de démontrer que si la ligne de Furnes à Deynze est construite, il en résultera la plus grande concurrence qu’on puisse faire à la ligne de l’Etat. C’en serait fini du produit de la ligne de Bruges sur Gand.
Je demande qu’on me permettre de le démontrer, ou a u moins qu’on ne ferme pas la discussion avant que le gouvernement ne se soit expliqué. Je suis persuadé qu’il a des réflexions très-importantes à faire valoir. Je m’oppose de toutes mes forces à la clôture.
M. Dumortier – Il faut au moins que le gouvernement s’explique. Il est impossible de prononcer la clôture aujourd’hui. Je demande qu’on se réunisse demain de bonne heure.
Un grand nombre de voix – A 10 heures.
D’autres voix – A 11 heures.
- La chambre, consultée, renvoie la discussion à demain à, 10 heures.
- La séance est levée à 11 heures et demie.