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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 1 mai 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 1538) (Présidence de M. Vilain XIII)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à une heure.

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« L’administration communale d’Aerseele demande que le chemin de fer de Bruges à Courtray passe par Tielt, avec un embranchement d’Ingelmunsuter par Iseghem à Roulers.

« Même demande de plusieurs négociants en toile de diverses localités. »

- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi qui se rapporte à ce chemin de fer.


« Plusieurs docteurs en médecine et chirurgie de Namur demandent l’abolition de l’impôt patente, auquel sont assujettis ceux qui exercent l’un des branches de l’art de guérir. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi sur les patentes.


« La veuve du lieutenant-colonel Beaulieu prie la chambre de lui accorder une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions


« Le conseil communal de Bouillon demande que le canton de ce nom soit autorisé à importer annuellement de France, la quantité de dix mille hectolitres de froment, et cinq mille hectolitres de seigle, au quart des droits existants. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Furnes demande que l’embranchement du chemin de fer central de la Flandre occidentale soit prolongé de Dixmude à Furnes. »

M. Deprey – Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à la concession de chemin de fer dans la Flandre occidentale.

- Cette proposition est adoptée.


Par dépêche en date du 30 avril, M. le ministre de la justice transmet à la chambre les renseignements relatifs à quatre naturalisations ordinaires.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du département de l’intérieur, pour le palais de Liége

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Le Roi m’a chargé de vous présenter un projet de loi tendant à accorder au département de l’intérieur un crédit de 133,000 fr. formant le premier tiers d’une somme de 400,000 francs destinée à exécuter au palais de Liège les travaux nécessaires pour y établir la demeure du gouvernement de la province, les bureaux de l’administration et en faire le siège du conseil provincial.

(page 1539) - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera, ainsi que les motifs qui l’accompagnent, imprimé et distribué.

Sur la proposition de M. le ministre, il est renvoyé à la section centrale qui a examiné le budget de l’intérieur.

Projet de loi relatif au canal latéral à la Meuse

Discussion générale

M. David – Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Messieurs la soumission des capitalistes anglais, dont M. le ministre des travaux publics désirait la régularisation, vient de lui être remise, munie des signatures de ces capitalistes. Je n’entrerai dans aucun détail sur les conditions de cette soumission ; elles sont en tout conformes au cahier des charges que l’Etat propose pour le canal.

Le secrétaire générale de M. le ministre, M. de Bavay, vient de lui remettre ses pièces parfaitement en règle.

Je n’ai désiré vous dire que ce peu de mots que pour ma justification et mon honneur parce que depuis deux jours j’ai annoncé que cette soumission serait déposée.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, au moment où j’entrais en séance, on m’a remis un projet de soumission relativement à l’exécution du canal latéral et d’un chemin de fer, projet que je n’ai pas eu le temps encore d’examiner. Mais, messieurs, les affaires ne peuvent pas être traitées de cette manière. L’honorable M. David avait annoncé hier à la chambre que le soir ou aujourd’hui matin des capitalistes entreraient en négociation avec le gouvernement. Il paraît qu’on tient à ce que cette négociation se fasse, non dans le cabinet du ministre, mais à la tribune publique. C’est un mode nouveau de négocier.

Du reste messieurs, je viens de parcourir à la hâte ce projet de soumission et j’y remarque déjà deux conditions qui me paraissent fort extraordinaires. D’abord le péage n’est pas celui qui a été stipulé dans le travail de M. l’ingénieur Kummer, mais il est fixé conformément à l’interprétation que l’honorable M. David lui avait donnée. Ainsi le tarif serait de 12 centimes par tonneau et par lieue pour toute espèce de marchandises à la descente et de 6 centimes par tonneau et par lieue pour le retour des bateaux à vide ou à moitié chargé, c’est-à-dire de 18 centimes au lieu de 12 centimes que porte le projet du gouvernement.

En second lieu, messieurs, je remarque que la compagnie ne veut pas s’engager à construire le canal qu’à la condition que le coût du canal ne dépasse pas la somme de 3,500,000 fr. Ordinairement une compagnie se présente pour construire à ses frais, risques et périls une route, un canal ou un chemin de fer. Ici on y met une condition, c’est que l’évaluation des ingénieurs ne sera pas dépassée.

M. Delfosse – Elle ne propose de construire le canal qu’à condition qu’elle obtienne le chemin de fer.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Sans doute ; le chemin de fer fait partie de la concession ; le canal ne se ferait qu’à la condition que le chemin de fer fût concédé en même temps.

Du reste j’aurais dû peut-être ne pas entretenir la chambre de cette soumission qui a été introduite d’une manière aussi irrégulière et aussi contraire aux formes parlementaires.

Messieurs, le gouvernement, je l’ai déclaré hier, a accepté le principe de la construction du canal latéral directement par l’Etat. Il en a dit les raisons ; il a dit les motifs pour lesquels il croyait que ce canal n’était pas concessible ;ces motifs vous sont connus. Le gouvernement persiste à maintenir la discussion sur ce terrain. La chambre prendra la décision qu’elle voudra, mais le gouvernement a pris un parti et il le maintient.

M. David – Je demande à répondre un mot.

Je suis satisfait de ce que vient de dire M. le ministre ; il a donné acte de la soumission signée. C’était tout ce que je demandais pour ma justification.

M. Delfosse – Je demande faire une observation. M. David a lu hier un discours écrit, il y a entremêlé une quantité de réflexions improvisées, auxquelles j’ai répondu ; le discours écrit se trouve seul au Moniteur, en sorte que je parais avoir répondu à des choses qui n’ont pas été dites.

M. David – Messieurs, ce n’est pas moi qui dois être accusé dans cette circonstance. J’aurais eu quelques regrets d’adresser un reproche public à MM. les sténographes ; je m’en suis abstenu. Mais il est vrai que j’ai présenté une masse d’arguments et d’observations qui auraient dû être intercalés dans mon discours.

C’est donc moi, messieurs, qui ai à me plaindre. M. Delfosse le sait parfaitement bien. Il n’a sans doute pas voulu incriminer ma bonne foi, car je désirerais infiniment que j’eusse été complètement reproduit par la sténographie. C’est ce que j’ai exprimé hier soir devant lui. Je soutiendrai, du reste, tous les arguments que j’ai fait valoir et dont je n’ai pas perdu le souvenir.

(M. d’Hoffschmidt remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.)

M. Manilius – Messieurs, j’ai demandé la parole, non pas pour combattre le projet de loi relatif au canal latéral à la Meuse, mais pour faire quelques réflexions sur le grand travail dont M. le ministre des travaux publics nous a entretenus hier. Loin de combattre le projet en discussion, je suis disposé à le voter, d’autant plus que c’est, à mes yeux, un travail des plus urgents et des plus utiles. Je crois, messieurs, que ce canal remplacera, par une navigation régulière et avantageuse, une navigation fatigante, ruineuse et fatale au batelage de la Meuse.

Mais, messieurs, j’ai demandé la parole lorsque M. le ministre des travaux publics a dit que si nous ne votions pas ce canal, nous renverserions tout à fait l’équilibre industriel et commercial qui doit résulter de l’ensemble de ses propositions. M. le ministre a fait cette observation en se plaçant au point de vue des bassins houillers, je pense ; mais je crois qu’il y a un autre équilibre à maintenir, un autre équilibre à respecter, c’est l’équilibre commercial proprement dit, l’équilibre de nos moyens de transport, autant par les fleuves, rivières et canaux, que par le chemin de fer. Eh bien, si le désir de maintenir cet équilibre est si prononcé chez M. le ministre, j’espère que ce désir ne s’affaiblira pas lorsque nous aurons à voter sur d’autres voies de communication qui font aussi partie du grand travail dont il s’agit. Je n’entrerai pas maintenant dans tous les détails des observations que j’aurai à faire à cet égard ; je crois que l’occasion de vous les soumettre se présentera beaucoup mieux, lorsque nous nous occuperons, par exemple, du canal de Jemmapes à Alost.

Si j’en dis un mot maintenant, c’est pour fixer sur ce point l’attention de M. le ministre. Depuis quelques temps, messieurs, on apporte beaucoup de changements à la situation des centres commerciaux du pays, mais tout se fait d’un seul côté, et rien ne se fait de l’autre ; si l’on veut qu’il y ait équilibre, il faut qu’on fasse la même chose pour les différents intérêts qui se trouvent en présence. Quand on fait le chemin de fer de Jurbise à Tournay, par exemple, on le fait au préjudice d’une grande province. Que l’on ne parle donc point d’équilibre ! Si l’on veut qu’il y ait équilibre, il faut qu’on ajoute un travail aux projets qui nous sont soumis. Je ne dirai pas beaucoup de ce travail aussi longtemps que je n’aurai pas entendu, en ce qui le concerne, la voix de M. le ministre. Je me borne à dire qu’il doit y avoir à l’étude d’autres projets que ceux dont nous seront saisis, et c’est seulement lorsque ces projets seront présentés à la chambre que M. le ministre pourra tenir le langage qu’il a tenu en parlant de l’équilibre commercial. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce point ; je compte y revenir dans la discussion du canal de Jemmapes à Alost.

Puisque j’ai la parole, je dirai un mot de l’amendement de l’honorable M. David. Cet amendement, messieurs, ne tend à rien moins qu’à détruire une loi que nous avons votée il y a dix jours, je veux parler de la loi des péages. Dans cette loi il est dit, entre autres, qu’aucun canal de plus de dix kilomètres, qu’aucune ligne de chemin de fer, destinée au transport de voyageurs et de marchandises et de la même étendue, ne pourra être concédé qu’en vertu d’une loi. Que dit l’amendement de l’honorable M. David ? Il tend à laisser au gouvernement la faculté de concéder un chemin de fer latéral à la Meuse, à la seule condition qu’il soit fait une enquête dans la province de Liège pour constater que la concession est utile. Mais, messieurs, lorsqu’on veut faire voter un semblable projet par la chambre, il faut venir, l’enquête à la main, constater que la concession est utile. Lorsqu’on a inséré cette clause dans la loi des péages on a précisément voulu que lorsque le gouvernement se proposerait de concéder un chemin de fer ou un canal, il vînt dire à la chambre : L’utilité est constatée ; voici les faits qui le démontrent, voici l’enquête qui a été faite.

Je crois donc, messieurs, que l’amendement de l’honorable M. David ne doit pas être adopté. Non pas que je m’oppose à ce qu’il y ait un chemin de fer d’un côté de la Meuse et un canal de l’autre ; je pense, au contraire, qu’il ne saurais y avoir trop de voies de communication ; mais ce qui m’empêche d’admettre l’amendement, c’est que le projet n’est pas étudié ; je l’accueillerai avec plaisir lorsque des études sérieuses auront été faites, lorsque nous serons à même de nous prononcer en connaissance de cause.

Je bornerai là mes observations, et comme je viens de le dire, je voterai pour le projet et je repousserai l’amendement de l’honorable M. David.

M. Malou – Messieurs, dans la séance d’hier j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre quelques objections contre le projet. Ces objections, loin d’être affaiblies, se sont au contraire fortifiées dans le cours de la discussion. La première de ces objections est celle que l’un des honorables députés de Liége a bien voulu reconnaître comme sérieuse, celle qui est tirée de notre situation financière ; je ne crois pas, messieurs, qu’une seule réponse ait été donnée à cette objection. On a bien dit que ce serait une dépense utile, une dépense productive ; mais, messieurs, avec des arguments semblables on peut vous mener à créer indéfiniment des charges nouvelles pour le trésor, à contracter à l’infini de nouveaux emprunts. En effet, lorsqu’il s’agit d’exécuter des travaux publics, il faudrait que les ingénieurs fussent bien malheureux, les projets bien mauvais, pour qu’on ne pût pas présenter à la chambre la perspective d’un intérêt très-satisfaisant, si pas d’un très-gros intérêt.

Je crois, messieurs, ne pas devoir m’appesantir sur la question de savoir si en réalité ce canal serait très-productif. Il y a là une partie du revenu qu’on peut considérer comme certaine ; il y en a une autre que je considère comme problématique ; mais il n’est pas moins certain que dans la situation actuelle du trésor, par le vote qui vous est demandé, vous allez augmenter votre dette flottante en vue d’un résultat en partie problématique.

Quant à l’utilité des travaux, vous avez entendu, à la séance d’hier, l’honorable ministre des travaux publics vous dire qu’il y a divergence d’opinions entre les ingénieurs ; et s’il y a divergence d’opinion entre les ingénieurs, qu’on nous remette les pièces qui montrent par quel moyen on peut le mieux résoudre cette question difficile ; mais au contraire nous nous trouvons en présence de l’opinion motivée d’un ingénieur qui a été chargé du service de la Meuse, qui a fait sur le cours de la Meuse, sur les améliorations que ce cours réclame, des études de six années, d’un ingénieur, s’il m’est permis d’employer cette expression, qui aime la Meuse comme son enfant (On rit.) Il suffit, messieurs, de lire les études de M. l’ingénieur Guillery, pour voir qu’il porte le plus vif, le plus grand intérêt à la Meuse.

Cette opinion, dont on conteste aujourd’hui la valeur, a été invoquée pour servir de motifs au vote d’une rente de 200,000 francs pour l’amélioration de la Meuse. Cette opinion, on l’invoque encore pour maintenir le (page 1540) même crédit pour la Meuse supérieure. Comment se fait-il que les travaux dont le mauvais résultat ne nous est pas démontré, puissent continuer à être faits dans le cours de la Meuse supérieure, et que, pour la Meuse inférieure, il faille recourir à un autre système ?

Un autre aveu nous a été fait. Il est possible de donner à la Meuse, en dessous de Liége, le tirant d’eau de 1 mètre 50 cent.

M. Lesoinne – Qui a dit cela ?

M. Malou – M. le ministre des travaux publics, sur l’observation qui en avait été faite hier, que M. l’ingénieur Guillery espérait obtenir un tirant d’eau de 1 mètre 70 cent., a dit que, d’après l’opinion du corps des ponts et chaussées, il fallait le réduire à 1 mètre 50 cent.

M. Lesoinne – On ne garantit pas ce tirant d’eau.

M. Malou – Cette profondeur de la Meuse, cette amélioration en aval de Liège, à quel prix peut-elle être obtenue ? D’après les calculs que j’ai eu sous les yeux, elle peut être obtenue au prix d’un million. On nous demande au contraire 3,500,000 fr. pour améliorer cette partie du cours de la Meuse, cette partie dans laquelle, en persistant dans le système où l’on est entré, il y a le moins de travaux à faire.

Je reviens, messieurs, sur une autre considération. C’est dans cette partie du cours de la Meuse qu’il y a non-seulement le moins de travaux à exécuter, mais le moins d’intérêt à satisfaire. Les plus grands intérêts pour l’industrie de la province sont en amont de Liége.

Ainsi, messieurs, il y a divergence d’opinions entre les ingénieurs, et c’est en présence de cette divergence d’opinions, motivée seulement pour l’une des deux opinions, que l’on abandonné celle-ci et que l’on vous propose de préférer l’autre.

Que dit-on encore ? Que le canal n’est pas concessible. C’est une question qui mérite un examen très-sérieux. Vous avez des concessions que je ne connais pas. Mais il y a un fais très-important dans notre situation financière actuelle ; il faut examiner si, en effet, le canal n’est pas concessible.

Y a-t-il urgence ? Je conçois fort bien l’urgence des délibérations sur les divers projets de loi qui ont été présentés, relatifs à l’exécution de travaux pour lesquels il est fait des offres de capitaux qui pourraient plus tard ne pas se renouveler. Mais lorsqu’il s’agit de travaux à faire aux frais du trésor public, l’urgence n’existe pas.

Toutes ces questions pourront être examinées, approfondies, résolues en connaissance de cause, aussi bien l’année prochaine que cette année.

Une objection paraît indiquée. Qu’allons-nous faire en décrétant ce canal ? Nous allons décréter un canal mixte ; nous allons le décréter à nous seuls ; notre décision ne peut pas recevoir son exécution.

Cette question internationale se complique encore d’une idée de défense militaire, de l’importance que le gouvernement des Pays-Bas doit nécessairement attacher à conserver toute la force de Maestricht. Aucunes conditions, aucune obligation ne sont déterminées.

On dit : Le principe est admis. Mais encore une fois qu’est-ce que le principe ? Comment ferez-vous pour l’exécution du canal sur le territoire étranger ? Il y a plus de mille points à régler, avant de procéder à l’exécution de ce canal, sur le territoire étranger, et au profit de la Belgique. Ce sera l’objet de négociations. Mais si les chambres belges ont décrété l’exécution du canal, le gouvernement n’est plus dans une bonne position ; vous ne pouvez plus négocier. Le gouvernement ayant une loi qui l’oblige à exécuter le canal ne peut plus négocier ; il devra subir les conditions que dictera le gouvernement hollandais.

Il est donc de toute nécessité qu’en décrétant ce canal, nous sachions à quelles conditions il pourra être exécuté sur le territoire étranger. Il faut nécessairement qu’il n’y ait pas de loi, pour que le gouvernement puisse obtenir de bonnes conditions, si plus tard l’exécution du canal devait être décrétée.

Ces divers motifs me portent à proposer à la chambre d’ajourner l’examen ultérieur du projet de loi, jusqu’à la session prochaine et notamment jusqu’à ce qu’une convention soit conclue avec le gouvernement des Pays-Bas.

J’en fais la proposition formelle.

M. Fleussu – Messieurs, il me paraît que les raisons qui viennent d’être développées par l’honorable M. Malou, sont bien plus propres à faire rejeter le canal (et je crois que c’est au fond son intention) qu’à motiver un ajournement. En effet, toutes ses raisons combattent le canal ; il n’en est pas une seule qui laisse entrevoir l’utilité de cette voie navigable ; l’honorable membre a critiqué le canal au point de vue financier, au point de vue de l’utilité, au point de vue de l’exécution, au point de vue enfin des impossibilités qui devaient se présenter su le territoire étranger ; cependant l’honorable M. Malou ne conclut pas au rejet, mais il demande un plus ample informé.

Il a été écrit quelque part que les rivières n’étaient bonnes qu’à alimenter les canaux. En vous produisant cette proposition, je n’entends pas l’adopter dans sa généralité, mais il me semble qu’elle reçoit, pour la Meuse, une application directe.

Ceux qui ne connaissent pas la Meuse, ou qui ne la connaissent que pour l’avoir vue en passant, doivent croire que c’est une rivière constamment propre à la navigation, au transport des produits des industries établies sur ses bords. Eh bien, messieurs, il n’est est rien. La Meuse, au point de vue de la navigation, n’est remarquable que par son inconstance et par ses caprices. Tantôt ce sont les hautes eaux, et alors la Meuse devient un fleuve impétueux et impropre à la navigation, tantôt ce sont les basses eaux, et alors elle n’est pas assez pour supporter les bateaux ; tantôt c’est la gelée, et la navigation est rendue impossible ; puis viennent les glaçons et nouvelle impossibilité de naviguer. Aussi, année moyenne, la Meuse n’est-elle propre à la navigation que pendant trois mois par an, et, en disant trois mois, je mets le maximum. Voilà l’état de ce beau fleuve, de cette rivière fameuse qu’on nous présente comme devant favoriser l’exportation de tous les produits du bassin houiller de Liége !...

Vous concevez, messieurs, que les opérations commerciales exigent de la régularité pour pouvoir prendre de l’étendue ; il faut que, quand une commande est faite, le producteur puisse garantir qu’à l’époque fixée la fourniture aura lieu. Eh bien, rien de semblable n’est possible avec la navigation de la Meuse, parce qu’il peut dépendre d’un orage ou d’une gelée pour retarder l’expédition qui avait été promise pour un jour déterminé ; et cependant, messieurs, vous conviendrez avec moi que la régularité dans les relations commerciales est une des chances de succès ; je dirai même que c’est une des conditions indispensables du succès. Or, cette condition fait complètement défaut aux industriels de la Meuse.

Et remarquez, messieurs, qu’il n’en était pas de même sous l’ancien gouvernement ; à cette époque, les industriels de la Meuse avaient le monopole de la Hollande, d’où étaient exclues les houilles anglaises et les houilles de la Roër ; à cette époque, on choisissait pour faire des expéditions par la Meuse, une saison convenable ; on agissait ainsi sans aucun danger, car il n’y avait qu’un seul marché, et nous possédions le monopole de ce marché. Cet état de choses est changé aujourd’hui. Les Anglais importent leurs houilles en Hollande, les Allemands en font autant, et il sont pour eux une navigation constamment favorable, de manière que nous ne pouvons pas lutter contre eux sous ce rapport

Des améliorations à la Meuse sont donc réclamées de la manière la plus énergique. la nécessité n’en est contestée par personne ! que dis-je, contestée, mais elle est reconnue par tout le monde, elle est reconnue par tous ceux qui vous ont présenté des pétitions, par des bateliers, par l’association charbonnière ; elle est reconnue par l’honorable M. David lui-même. Tous les gouvernements qui se sont succédé ont été d’accord pour proclamer aussi cette nécessité. Le gouvernement précédent avait fait faire des études par un homme spécial, par l’inspecteur général de Waterstaat, M. Goudriaan. Cet inspecteur a passé deux ans à étudier la Muse, depuis Liége jusqu’à Maestricht, et sans les événements de 1830, on ne parlerait aujourd’hui du canal projeté que pour en proclamer les bienfaits. Depuis les événements de 1830, un ingénieur a encore été détaché pour étudier la Meuse depuis Liége jusqu’à Maestricht. Cette mission a été confiée à M. l’ingénieur Kummer qui s’est livré à cette étude depuis 1842. Et chose remarquable, c’est que ces deux hommes spéciaux, après avoir consacré à eux deux quatre années à l’étude de la Meuse, sont arrivés au même résultat, c’est-à-dire que l’un et l’autre ont proposé la construction d’un canal latéral.

Permettez-moi, messieurs, de vous présenter ici une réflexion : si un canal latéral a été reconnu, sous l’ancien gouvernement, comme la meilleure amélioration à faire à la Meuse, à bien plus forte raison, cette amélioration doit-elle être reconnue nécessaire aujourd’hui, et la seule à laquelle on puisse s’arrêter. Sous l’ancien gouvernement, vous pouviez disposer des deux rives de la Meuse, et y faire tous les changements que jugerait utiles ; aujourd’hui, vous n’avez plus que la rive gauche, vous ne pouvez manier la Meuse, comme vous le pouviez autrefois. Je le répète, et cette observation me paraît avoir quelqu’importance : si, alors que le gouvernement était le propriétaire des deux rives, l’on n’en a pas moins cru que le canal latéral était la meilleure mesure à prendre, à plus forte raison devez-vous adopter cette mesure, maintenant que vous êtes propriétaires d’une seule rive, et que la rive droite dépend d’une puissance voisine sur un parcours de trois lieues.

Je dis donc que des améliorations à la Meuse sont une chose reconnue indispensable ; personne n’en contestera la nécessité. Or, on a mis en avant trois système pour réaliser ces améliorations. Ces système sont : 1° les passes artificielles ; 2° la canalisation de la Meuse et 3° le canal latéral.

Examinons quel peut être celui de ces trois systèmes qu’il y a lieu d’admettre.

L’honorable M. Malou vient de préconiser le système des passes artificielles. Mais le système des passes artificielles est encore à l’état d’essai et on ne peut encore savoir quels seront les résultats du systèmes des passes artificielles. Les ingénieurs ne sont pas d’accord entre eux, et c’est parce qu’ils sont entre eux en désaccord que l’honorable M. Malou voudrait donner la préférence au système des passes artificielles, à un système qui est encore livré à l’incertitude, tandis que ceux mêmes qui sont partisans des passes artificielles ne s’opposent nullement à l’exécution d’un canal latéral.

Je dis, messieurs, que le système des passes artificielles est encore à l’état d’essai ; que, dans tous les cas, et en supposant qu’il puisse produire un résultat favorable, les passes ne donneront jamais qu’un tirant d’eau d’un mètre 50, et cela de l’avis des ingénieurs qui sont unanimes cette fois. Or, messieurs, un tirant d’un mètre 50 cent. ne suffit pas à la navigation, si vous voulez la rendre prospère ; car avec un tirant d’au d’un mètre 50 cent., vous ne pourriez pas naviguer dans le canal de Bois-le-Duc. D’un autre côté, il faudra encore décharger à Maestricht ; et ce sont les frais de déchargement et de rechargement qui rendent la navigation onéreuse.

Je viens de m’expliquer sur le système des passes artificielles. J’arrive au deuxième système, c’est-à-dire à la canalisation de la Meuse.

Messieurs, aucun ingénieur n’a proposé ce moyen, parce qu’il présente trop d’inconvénients : on s’expose à changer le régime de la Meuse, on s’expose à léser les intérêts des propriétaires riverains ; enfin il est un autre intérêt qui doit être pris en considération, c’est celui des bateaux à vapeur qui sont établis entre Liége et Maestricht.

Et puis, je ne sais si je m’abuse, mais il me semble qu’un canal dans la Meuse occasionnerait une dépense aussi considérable qu’un canal latéral, et n’aurait pas des résultats aussi bienveillants.

(page 1541) Ainsi, messieurs, reste comme une nécessité le canal latéral.

M. Kummer était, à ce qu’il paraît, partisan, il y a quelque temps, des passes artificielles, et c’est après des études approfondies, qu’il a modifié son opinion. Ecoutez, messieurs, ce que cet ingénieur dit, à la page 122 de son rapport :

« L étude des localités à laquelle je me suis livré, notamment en 1842, encore pendant la présente année et qui a peu pour objet de faire application des divers moyens qui se présentent pour pratiquer une communication navigable entre Liége et Maestricht, m’a conduit à adopter le canal latéral, ainsi qu’il a été projeté, dans toutes ses parties, par l’administration hollandaise, à l’époque de 1829. »

Ainsi, messieurs, dans l’incertitude dont nous ne pouvons nous tirer, parce que nous ne sommes pas des hommes de l’art, je préfère, malgré toute la confiance que j’ai dans l’intelligence de l’honorable M. Malou, je préfère m’en rapporter à l’avis de M. Goudriaan et de M. Kümmer ; et nous irions, à raison de cette incertitude, ajourner l’exécution de ce travail qui est réclamé depuis des années par la province de Liége et d’autres provinces ! Car je démontrerai que la province de Liège n’est pas seule qui ait intérêt à la construction du canal latéral.

Oui, messieurs, je crois que c’est envisager la confection du canal à un point de vue fort restreint que de le considérer seulement, au point de vue des houillères du bassin de Liége. Il y a d’autres intérêts qui se rattachent à la confection du canal ; si, comme je l’espère, ce canal se construit, les bienfaits s’en feront ressentir sur quatre ou cinq provinces au moins. Il faut le mettre en rapport avec les communications qu’il vous donne vers la Hollande ; il faut le mettre en rapport avec les canaux de la Campine, de cette contrée que vous chercher, avec raison, à fertiliser. Eh bien, messieurs, rendez la navigation de la Meuse aussi facile que nous le demandons, et vous verrez bientôt la Campine devenir fertile ; elle pourra prendre les engrais qui se forment dans les grandes villes et dans les environs du bassin de la Meuse ; elle y trouvera les chaux, qui sont, je pense, un des engrais les plus convenables à la nature du sol de la Campine. Cette communication, enfin, nous mettra en rapport avec Anvers, car il suffira que quelques améliorations soient apportées à la navigation de la petite Nèthe, pour que les marchandises nous arrivent directement par les voies navigables.

La province de Namur est-elle désintéressée dans la question de la construction du canal ? N’a-t-elle pas ses pierres de tailles, ses chaux, etc., à expédier ?

La question n’intéresse-t-elle pas non plus le Luxembourg ? Exécutez donc, puisque le gouvernement paraît en avoir le moyen maintenant, exécuter donc une grande pensée conçue sur un autre gouvernement ; faites faire le canal de Meuse et Moselle, et vous réaliserez une des conceptions les plus riches et les plus grandioses de l’ancien gouvernement, conception que le gouvernement actuel ne pourrait répudier sans honte.

En présence de tous ces avantages qu’il est si facile d’obtenir, la suite de la confection du canal, qu’est-ce donc que cette question d’argent à laquelle l’honorable M. Malou semble attacher tant d’importance ?

Il y a dit jours, il s’agissait d’une dépense de 1,040,000 fr. qui ne doit pas être aussi productive que celle-ci, d’une dépense qui a pour objet de fertiliser le sol ingrat de la Campine du côté de Turnhout. Pas une seule voix, pas une de ces voix qui s’élèvent toujours, lorsqu’il s’agit d’économie, par même celle de l’honorable M. Malou ne s’est fait entendre pour faire remarquer que vous alliez augmenter les bons du trésor, surcharger le trésor public. Comment donc, quand il s’agit d’une dépense évidemment plus productive, plus utile à la Belgique, fait-on cette objection qu’on va grever le trésor, augmenter le nombre des bon du trésor !...

M. le ministre des travaux publics vous l’a dit dans son exposé des motifs : « Vous aurez de quoi suffire aux intérêts des bons du trésor. Il y a au budget 140,000 à l’aide desquels vous pourrez pourvoir aux bons du trésor, que vous ne mettrez en circulation qu’au fur et à mesure des besoins. »

Ensuite, est-ce que le canal ne produira rien. D’après les calculs de l’ingénieur, vous aurez un revenu de 150,000 fr. Voilà, ou peu s’en faut, l’intérêt à 5 p.c. de vos bons du trésor, produit direct et certain. Je laisse le chiffre des produits indirects s’élevant à 72,000 fr. et même plus, pour les frais d’entretien et de personnel évalués par l’ingénieur Kummer à 25,000 francs seulement.

M. le ministre des travaux publics a terminé un de ses discours, dans la séance d’hier, d’une manière qui m’a frappé et qui, sans doute, aura fait impression sur vos esprits : « J’ai dit, messieurs, que si la construction du canal n’est pas accueillie par la chambre, il y aura défaut de compensation. L’équilibre commercial qui existe entre les trois grands bassins houillers de la Belgique sera rompu. Or, la chambre n’a aucune raison de le rompre. Ce serait un mal véritable, une injustice flagrante, selon moi, et cette injustice, vous pouvez ne pas la commettre à l’aide d’une dépense minime, d’une dépense qui doit rapporter beaucoup à l’Etat et qui doit produire au bassin de Liége un avenir commercial brillant. »

Ces paroles semblent s’adresser tout directement à la loyauté des députés du Hainaut ; elles s’adressent aux sentiments équitables des députés des autres provinces de la Belgique. Ne serait-il pas étrange, lorsque l’Etat a mis à la disposition des trois bassins houillers du Hainaut des chemins de fer et des voies navigables, pour exploiter leurs produits, que le bassin houiller de Liége fut réduit à conserver tous ses produits, à défaut de moyens de transport ? Ce serait une véritable injustice.

On me dit que la plupart des canaux qui sillonnent le Hainaut ont été fait par l’industrie particulière ; je le veux bien. Mais nous n’avons pas été dans une position à exciter l’industrie particulière, parce que le bassin houiller de Liége est entouré de montagnes ; il n’y a pas moyen de faire des canaux, ni à droite, ni à gauche. Mais quoique l’industrie particulière ait fait ces canaux, il n’en est pas moins vrai qu’ils appartiennent à l’Etat. C’est donc à l’aide des instruments de l’Etat que les bassins houillers du Hainaut exploitent leurs produits. N’est-il pas équitable dès lors que le gouvernement avantage de la même manière le bassin houiller de Liége ?

Véritablement, le district de Liége se trouve dans une position toute spéciale. Tandis que les grands travaux d’utilité publique enrichissent les autres districts houillers, ils appauvrissent celui de Liége. Ainsi quand on a construit le chemin de fer, il devait, dans la prévision des ingénieurs, donner au bassin houiller de Liége le marché d’Anvers, comme compensation du marché de la Hollande qu’il avait perdu. Le Hainaut avec raison s’en est alarmé ; il a réclamé ; il a exigé que les péages des canaux fussent toujours en rapport avec les péages des chemins de fer. C’est ce qui a eu lieu. Mais les prévisions des ingénieurs ne se sont pas réalisées ; ç’a été tout le contraire ; car au lieu de transporter nos houilles à Malines, à Bruxelles, nous avons perdu des marchés qui nous étaient acquis ; nous les transportions par les rouliers à Louvain, qui prenaient là des marchandises qu’ils transportaient à Liége.

Ce marché a encore été perdu pour le bassin de Liége. Vient maintenant le chemin de fer de Jemeppe à Louvain et nous sommes exposés à perdre le marché de Tirlemont et même celui de Hasselt et de la Campine.Vous voyez que nous ne pourrons plus placer un brin de houille, pas même à Tirlemont.

De manière que le bassin houiller de Liége aura pour seul débouché la province de Liége, tout au plus.

Je vous le demande, n’est-il pas de l’équité de la chambre alors que le motif d’équité a touché le gouvernement, d’accorder le canal qu’il demande.

J’ai deux mots à dire sur l’amendement de l’honorable M. David. Je trouve cet amendement en contradiction avec lui-même. D’abord on amende un canal par un chemin de fer, ce qui ne me paraît pas très-régulier.

Ensuite, son amendement est de nature à faire ajourner la discussion car il demande qu’une enquête se fasse dans la province de Liége, pour tester l’utilité du chemin de fer qu’il réclame. Il demande, d’un coté, que l’on commence sans retard, de l’autre, il demande une enquête qui doit le faire ajourner. C‘est une véritable contradiction.

Vous ne pouvez pas amender un canal par un chemin de fer. Ensuite pour qu’on adoptât l’amendement, il faudrait que toutes les études fussent faites pour que l’on substituât le chemin de fer au canal, ou du moins que l’on pût joindre la discussion du canal à celle du chemin de fer. Or, d’après l’amendement, il est évident que les études ne sont pas faites puisqu’on provoque une enquête pour en établir l’utilité.

Ainsi, sous ce double rapport, l’amendement doit être rejeté.

Il est encore peut-être, messieurs, quelques réponses à faire au discours de l’honorable M. Malou.

Il nous a parlé d’un canal mixte qui appartiendrait aux deux Etats, et aux conditions que l’Etat voisin pourrait imposer à la confection du canal. Messieurs, on perd de vue l’article 2 du projet : le gouvernement n’est autorisé à faire le canal qu’autant qu’il y ait accord parfait avec le gouvernement voisin. Or ; si le gouvernement néerlandais imposait des conditions qui ne fussent pas acceptables, ou M. le ministre les repousserait, ou il viendrait vous les soumettre.

On dit, messieurs, que lorsque vous aurez voté la loi, les deux gouvernements ne pourront plus combattre à armes égales. Mais vous ne votez qu’une loi conditionnelle. Le gouvernement n’est pas obligé d’exécuter le canal du jour au lendemain ; il faut que les négociations avec le gouvernement voisin soient achevées pour commencer les travaux.

D’après ces considérations, messieurs, vous sentez que je voterai pour le projet de loi.

M. Osy – Je demande la parole pour une motion d’ordre.

M. le ministre des travaux publics avait promis de nous donner le chiffre probable de l’entretien du canal. l’honorable M. Fleussu vient de dire que ce chiffre se montera à 25,000 fr. Il me semble que nous devrions avoir quelques renseignements sur ce point.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, je viens combattre la motion d’ajournement que vous a proposée l’honorable M. Malou. L’honorable membre propose l’ajournement, afin qu’il y ait plus ample informé. Il a supposé que la question n’était pas suffisamment instruite.

Messieurs, le projet d’un canal latéral entre Liége et Maestricht est l’un des projets les plus anciens, les plus étudiés de tous les projets de canaux dont le gouvernement ait à s’occuper. Ce projet complet a été traité, dès 1829, par M. Goudrial. Le projet de M. l’ingénieur Kummer n’est que le projet de M. Goudrial, amendé et rectifié. Ainsi, il est impossible d’avoir un projet plus complet, et la chambre aurait beau prononcer l’ajournement l’année prochaine le gouvernement serait dans l’impossibilité de lui présenter un projet plus complètement étudié et mieux mûri.

Messieurs, l’honorable M. Malou, comme vous l’a fait remarquer très bien l’honorable M. Fleussu, a défendu au fond beaucoup plus une opinion contraire à l’exécution du canal que sa motion d’ajournement. Au fond, l’honorable membre croit qu’il faudrait préférer les améliorations à faire à la Meuse d’après le système des passes artificielles proposé par un ingénieur à l’exécution du canal latéral ; il s’ arme de la divergence d’opinions qui ont existé entre les ingénieurs relativement à l’amélioration de la Meuse. messieurs, il n’y a pas de divergence sur l’utilité du canal latéral, sur sa supériorité relativement à tout autre mode d’amélioration de la rivière ; mais il y (page 1542) a eu une divergence d’opinion sur les résultats promis par M. l’ingénieur Guillery, relativement au tirant d’eau que devraient produire les passes artificielles. Le conseil des ponts et chaussées n’a pas voulu garantir au gouvernement un tirant d’eau de 1 mètre 50 centimètres en moyenne, et si l’on s’en rapporte à l’expérience faite dans un pays voisin, cette espérance d’obtenir 1 mètre 50 centimètres ne serait pas même réalisée.

Je ferai remarquer à l’honorable membre que la question a été tranchée, non pas au point de vue d’une question d’art, mais au point de vue commercial.

L’honorable M. Malou m’a demandé : Mais si le système des passes artificielles peut être continué et suffit pour la Meuse supérieure, pourquoi serait-il mauvais pour la Meuse inférieure, en aval de Liége ? Messieurs, j’ai déjà répondu à cette question. La Meuse, en aval de Liége, doit être mise en rapport de communication avec le canal de Bois-le-Duc qui a 2 mètres 10 cent. de tirant d’eau, tandis que la Meuse supérieure doit se rattacher à la Meuse française, qui n’a que 1 mètre 10 cent. de tirant d’eau. Or, le système de M. Guillery, qui, d’après ses espérances doit amener, un mouillage de 1 mètre 50 cent. au maximum, peut suffire pour les relations avec la France, mais ne peut suffire pour nous rattacher aux eaux hollandaises. Ainsi, ce qui est bon pour la Meuse supérieure, est mauvais, au point de vue commercial, pour la Meuse inférieure.

Messieurs, lorsqu’il y a divergence d’opinions entre des ingénieurs, ce qui arrive pour toutes les questions d’art qui leur sont soumises, mais c’est au gouvernement à trancher la question sur laquelle les ingénieurs se divisent. Mais l’ajournement proposé par l’honorable M. Malou serait indéfini, s’il faut concilier les opinions divergentes des ingénieurs. Le gouvernement a tranché la question. Il vous propose l’exécution du canal latéral, je l’ai dit hier, comme le seul mode logique, le seul mode utile pour résoudre la grave question de l’amélioration de la Meuse. Or, l’année prochaine le gouvernement vous proposera la même solution, parce que c’est la seule qu’il croit bonne.

Le second motif sur lequel l’honorable M. Malou a appuyé sa motion d’ajournement, ce sont les négociations entamées avec un pays voisin, et qui sont pas encore parvenues à une complète solution.

L’honorable M. Fleussu vient déjà de vous faire observer que l’art. 2 de la loi exige que le gouvernement ne commence l’exécution du canal qu’après que la convention avec la Hollande aura été conclue ; et certainement, messieurs, le gouvernement, sous sa responsabilité, ; n’acceptera pas des conditions qui seraient onéreuses, et s’en rapporteraient de nouveau à la législature si ces conditions lui étaient imposées.

Mais il ne faut pas perdre de vue que le principe de l’exécution du canal est admis par les deux gouvernements. L’opposition militaire, dont a parlé l’honorable M. Malou n’existe plus. Le génie militaire hollandais a donné son assentiment à l’exécution du canal de Liége à Maestricht. La négociation sur les détails de la convention qui, selon moi, ne soulèvent aucune difficulté, est déjà assez avancée pour être persuadé que le gouvernement ne rencontrera aucun obstacle de ce côté.

D’ailleurs, messieurs, lorsqu’en 1834, on a décrété le chemin de fer d’Anvers à la frontière prussienne, le gouvernement belge n’avait pas non plus de convention avec le gouvernement prussien. Il n’y avait pas même de principe décrété, de principe admis par les deux gouvernements. On a fait la même objection lorsqu’on a discuté en 1834 l’exécution de ce chemin de fer. Les adversaires du projet disaient aussi : Mais êtes-vous certain que le chemin de fer sera prolongé sur le territoire prussien ? Et s’il n’est pas prolongé, il est inutile de le faire. Eh bien, le gouvernement belge a parfaitement compris qu’il devait décréter le chemin de fer afin de le rendre nécessaire au-delà de la frontière.

L’honorable M. Malou veut mieux armer le gouvernement que par la loi qui vous est proposée ; il veut l’armer d’un ajournement, d’un ajournement prononcé par la législature. Mais je ne comprends pas comment le gouvernement serait mieux armé dans une négociation avec la Hollande, lorsque la chambre aura jeté le doute sur l’utilité même du projet. Evidemment, messieurs, la négociation qui est maintenant entamée, qui est presque terminée, serait pour ainsi dire détruite, et bien loin d’être armés, nous serions désarmées.

Quant à la question financière, la chambre me permettra une observation.

Il y a quelques jours, lorsque nous discutions des projets de chemins de fer concédés, les membres qui combattaient le projet avaient une confiance complète dans les calculs présentés par les ingénieurs. Je me trompe, on contestait ces calculs, mais de quelle manière ? Lorsque M. l’ingénieur Desart trouvait, par exemple, que le chemin de fer de Tournay à Jurbise ne devait rapporter, pour la ligne isolée, que 4 ou 5 p.c., on s’obstinait à considérer ce produit comme devant s’élever à 12 p.c. On exagérait les évaluations des produits et on admettait sans contestation les évaluations de dépenses. On disait à l’Etat : Pourquoi ne conservez-vous pas ce chemin de fer si productif ? Pourquoi donnez-vous à des compagnies des bénéfices que vous pouvez vous réserver ?

aujourd’hui, messieurs, la thèse change. M. l’ingénieur Kummer, dans ses calculs positifs, évalue la dépense à 3,500,000 fr. Cette dépense, on n’y compte pas, elle doit s’élever à je ne sais quel chiffre. Les produits qui sont évalués au minimum, il faut le dire, lorsqu’on se rend compte du mouvement commercial qui doit avoir lieu entre Liége et la Hollande, et entre Liége et la campine anversoise, les produits, dis-je, sont contestés.

M. L’ingénieur Kummer évalue au minimum les revenus directs du canal à 150,000 fr., ce qui forme un bien bel intérêt du capital à dépenser ; les produits indirects qui comprennent l’augmentation sur le canal de Bois-le-Duc et sur les canaux de la Campine, produits tout aussi positifs que les premiers, sont évalués à 72,000 fr.

L’honorable M. Fleussu vient de vous le dire : Je suppose, messieurs, que ces 72,000 fr. soient affectés aux frais d’entretien et du personnel attaché au canal latéral. C’est ici que trouve sa place la réponse à l’interpellation que vient de renouveler l’honorable baron Osy.

Voici, messieurs, les calculs exacts qui m’ont été remis, d’après les détails des devis, par M. l’ingénieur Kummer, sur les frais de personnel et d’entretien du canal :

« Dépenses nécessaires pour le personnel et l’entretien annule du canal latéral :

« Longueur : 25,000 mètres (5 lieues)

« Personnel

« 1 conducteur ou surveillant, fr. 1,500

« 5 éclusiers, fr. 3,000

« 2 gardes à 450 fr., fr. 900

« 11 cantonniers à 300 fr, 3,300

« Total pour le personnel : fr.8,700

« Entretien

« L’entretien des ouvrages d’art et des terrassements s’élevera au maximum, à fr. 15,000

« Total général, fr. 23,700 »

Il est hors de doute que les calculs de l’ingénieur Kummer se trouvent dans les limites les plus modérées.

Ici je reprends l’observation de l’honorable M. Fleussu. En défalquant les 72 mille francs auxquels on évalue les frais d’entretien vous voyez combien cette somme est exagérée, il restera plus de 150 mille fr. pour couvrir les intérêts du capital employé.

Messieurs, je ne reviendrai plus sur la question d’utilité. Je crois qu’à cet égard, il ne peut y avoir deux opinions. Il est fort clair que le canal latéral qui doit mettre la Meuse inférieure avec un tirant de deux mètres d’eau en communication avec le canal de Bois-le-Duc ouvrira le marché de la Hollande au bassin de Liége ; il en résultera de plus une navigation régulière, un commerce régulier avec la Hollande dont nous manquons complètement.

Je répondrai quelques mots à l’honorable comte de Mérode qui a pensé que le canal n’avait pour objet que des intérêts commerciaux et industriels qui lui paraissent peu importants et qui nous a parlé de la nécessité de construire des routes.

Je ne vois pas que l’utilité qu’il y aurait de construire des routes soit un obstacle à la création d’un canal également utile. L’honorable membre a dit que les bassins houillers étaient des magasins dont il ne fallait pas trop ouvrir les portes. Il voudrait peut-être qu’on y mît plutôt une serrure, qu’on établit des droits à la sortie.

Je crois qu’il sera plus sensible à un autre caractère de ce canal, aux avantages agricoles qui se rattachent au canal latéral à la Meuse. C’est la tête du système des canaux qui a pour objet de joindre l’Escaut à la Meuse. Sans la construction de ce canal, la jonction n’existerait pas ; elle existerait jusqu’à Liége, mais non de Liége à Maestricht. Je considère l’état de la Meuse dans ce parcours comme une interruption de navigation. Ainsi, la canalisation de la Campine est incomplète, si le canal latéral ne s’exécute pas.

C’est à Liége que la Campine doit s’approvisionner de chaux pour ses défrichements. Or, la chaux ne peut être transportée dans la Campine que pendant les mois d’été, c’est l’époque des basses eaux et les transports des chaux pour les approvisionnements se font d’une manière onéreuse, parce que la navigation est irrégulière, incomplète dans l’état actuel de la navigation de la Meuse. Si vous voulez amener des défrichements dans la Campine, il faut pouvoir y apporter les chaux du pays de Liége, de manière à avoir des approvisionnements en toute saison, sans cela les défrichements ne pourront pas s’opérer d’une manière utile.

Ainsi, le canal latéral n’est pas seulement un canal commercial, industriel, un canal d’exportation, mais encore un canal intérieur important, puisqu’il est la tête de la canalisation de la Campine, et le moyen le plus efficace d’opérer le défrichement de ces localités importantes.

(page 1547) M. de Garcia - Je crois devoir présenter quelques considérations pour motiver mon vote dans la question qui nous occupe.

Messieurs, la question du canal latéral à la Meuse a été envisagée et devait être envisagée sous trois rapports essentiels : d’abord au point de vue financier ; en second lieu au point de vue de l’intérêt général, et en troisième lieu, au point de vue d’un système général de compensation. A ces trois questions se rattache une question de politique internationale qui les domine toutes.

Je commencerai par la première. Au point de vue du trésor, le pays peut-il faire cette dépenses ? Evidemment nous sommes dans une situation financière qui ne permet pas de dépenser légèrement les fonds de l’Etat. L’honorable M. David, dans le but de ne pas mettre cette création à charge du trésor et, par suite, à charge des contribuables, a présenté des considérations qui avaient pour objet de faire construire et exploiter par une société, ce service public.

J’avoue que si j’avais l’espoir de voir réaliser la pensée de l’honorable M. David, je m’opposerais à ce que le gouvernement fît le canal. J’ai déjà exprimé mon opinion sur les exploitations par le gouvernement ; j’ai dit, et je regarde ce fait comme incontestable, que je considérais le gouvernement comme l’exploitant qui agissait avec le moins d’économie et avec les frais les plus considérables. Convaincu de cette idée, je désire le voir en concurrence avec l’industrie particulière. Sous ce premier rapport, je voudrais donc voir concéder la construction de ce canal. On a établi des chiffres qui ne sont pas parfaitement d’accord sur le revenu du canal. Les uns ont prétendu que le produit donnera un intérêt de 1 ½ p.c., d’autres ont assuré qu’il donnerait 5 p.c.

Ne voulant pas entrer dans les questions de chiffres, pour pouvoir restreindre mes observations dans un cadre plus étroit, j’adopterai le produit le plus élevé, celui du gouvernement. Je suppose que le canal produise de 140 à 150 mille fr., déduction faite des frais d’entretien et du personnel. Mais je crois que l’on néglige encore une autre dépense qui vient à charge du trésor. La partie du territoire que le canal doit occuper est une des plus fertiles du pays, elle est dans le bassin de la Meuse. Je suis persuadé que les expropriations en moyenne coûteront 10 mille fr. par hectare ; par conséquent, sur les trois millions et demi demandés, les expropriations de terres et de bâtisses emporteront un million. Nous verrons dans les résultats si je me suis trompé, et ici j’ai encore la conviction d’être dans le vrai. Quand vous soustrayez à l’impôt une valeur d’un million, c’est une perte pour le trésor, non-seulement du revenu direct, mais de revenu indirect des mutations. Je crois donc que, tout en admettant les calculs du gouvernement, il y a imprévoyance de la dépense que je viens d’indiquer, et qu’en réalité cette dépense doit diminuer le revenu de l’Etat et venir en défalcation des revenus qu’on se propose.

Messieurs, à ce point de vue, je n’en dirais pas davantage. J’aborde le deuxième, celui de l’intérêt général. Je ne viens pas contester l’utilité du canal, je pense qu’il doit être des plus utiles au bassin houiller de Liége, je pense que cette branche importante de richesse nationale trouvera un avantage immense à avoir un canal ayant un tirant d’eau tel que les bâtiments qui partiront de Liége, puissent naviguer sur les eaux intérieures de la Hollande. Ce point est évident, selon moi, et personne, me semble-t-il, ne peut sérieusement le contester ; mais, dans l’état actuel des choses, l’on doit reconnaître une autre vérité non moins palpable, c’est que ce canal ne constitue qu’un avantage de localité.

On a dit et répété constamment que la province de Namur et toute la Meuse supérieure était appelées à participer aux avantages immenses à résulter de la mesure proposée ; il ne faut pas abuser des choses, et je ne puis admettre l’exactitude entière de ces observations. Je n’aura aucune peine à le prouver, et les opinions émises par plusieurs membres et par M. le ministre lui-même, me fournissent des arguments victorieux à cet égard.

D’un autre côté, le ministre vient dire que l’état où se trouve la Meuse de Liége à Maestricht était tellement mauvais, qu’il y avait interruption de navigation. Ce sont ses expressions.

Eh bien, s’il y a interruption de navigation de Liége à Maestricht, nous pouvons dire avec bien plus de raison, que de Liége à Namur et sur toute la Meuse supérieure qui compte 25 lieues de parcours sur notre territoire, il y a interruption de navigation. C’est donc de votre propre avis que nous ne jouissons pas des grands avantages auxquels vous prétendez que nous sommes reliés.

Si je rapproche cette pensée de celle que vous avez émise, d’établir un système général de compensation, quelle compensation la Meuse supérieure trouvera-t-elle dans votre système ? Zéro ; bien plus, elle éprouvera un préjudice en ce que vous raccourcirez le parcours de notre batelage et que vous le soumettrez au transbordement à Liége. Car il doit rester constant que les bateaux appropriés à la misérable navigation de la Meuse supérieure, ne pourront, sans perte considérable, concourir avec les forts bâtiments qui seront employés à la navigation en aval de la ville de Liége. Pour rester juste envers tous les intérêts du pays, il y a donc nécessité de faire quelque chose pour les industries et les nombreuses populations situées sur les rives de la Meuse supérieure.

Je l’ai dit, je crois que ce canal est d’un très-grand intérêt. Mais je voudrais qu’on le reliât, non en paroles mais en réalité, aux intérêts de la Meuse supérieure ; jusqu’à ce jour, cela n’existe pas. Cet intérêt peut se réaliser à l’aide de différents moyens. Si j’avais l’espoir que le chemin de fer de Namur vers Dinant serait adopté, je voterais le canal latéral ; mais je n’ai aucune garantie ; d’un autre côté, j’ai lieu de croire qu’en amont de Liége la navigation de la Meuse ne recevra que les améliorations successives insignifiantes ; l’honorable M. Lesoinne l’a fait remarquer à la séance d’hier, les passes artificielles n’ont pas atteint le résultat qu’on en espérait, et loin d’offrir un tirant d’eau de 1 m. 50 c., comme on l’espérait, il se réduit, dans beaucoup de localités, à 80 centimètres. Il a même ajouté qu’il avait constaté ce fait lorsque les eaux n’étaient pas arrivées à leur plus bas étiage. Dès lors on doit reconnaître qu’avec le système d’essai pratiqué l’on ne pourra obtenir qu’une navigation très-incomplète. Un chemin de fer dans toute la vallée de la Meuse peut seul nous indemniser de l’isolement dans lequel se trouvera cette contrée. Mais avant de quitter la navigation de la Meuse, qu’il me soit encore permis de présenter quelques considérations sur l’état dans lequel elle se trouve. Les capitaux employés à son amélioration et l’expérience faite nous conduisent déjà à un examen utile de cette question. Je crois qu’au moyen de passes artificielles on ne peut espérer qu’une amélioration insignifiante ; les seuls travaux à faire pour la réalisation d’une bonne navigation seraient peut-être des barrages à piles et avec poutrilles mobiles. Mais en attendant, il est un autre objet qui est négligé complètement et sur lequel, je dois, de toutes mes forces, attirer l’attention de M. le ministre ; je veux parler des chemins de halage. Malgré les capitaux employés à la Meuse, ces chemins de halage sont dans un état détestable ; la vie des hommes est continuellement exposée ; outre leur mauvais état, il ne s’y trouve aucune régularité, on doit sans cesse passer d’une rive à l’autre, ce qui est très-dangereux et ce qui entrave singulièrement la navigation. J’insiste donc vivement pour que le gouvernement fixe surtout son attention sur les réparations à faire au halage. Tous ceux qui connaissent la Meuse peuvent affirmer l’exactitude des faits que je viens de signaler.

En ce qui concerne la question de politique internationale, je partage l’honorable de l’honorable M. Malou et les réponses faites à cet égard par M. le ministre et par M. Fleussu ne sont ni satisfaisantes ni concluantes. L’honorable M. Fleussu, ainsi que M. le ministre des travaux publics, ont soutenu que nous ne faisons qu’une loi conditionnelle. Il n’en est pas moins vrai que le gouvernement, en vertu de la loi, est parfaitement libre de nous soumettre ou de ne pas nous soumettre la convention qu’il fera avec le gouvernement hollandais c’est en vain qu’on objecte qu’il y a ici une question de responsabilité, mais nous connaissons toute la portée de cette responsabilité. Il en sera de cette convention comme du traité du Zollverein : une convention de ce genre peut être plus ou moins satisfaisante, et quand elle n’atteint pas complètement le but qu’on eût désiré, on dit : C’est un fait accompli, il faut l’accepter ; et la chose passe. Si le gouvernement faisait d’abord la convention avec la Hollande et s’il venait alors réclamer le canal, je crois qu’il serait beaucoup plus fort vis-à-vis le gouvernement hollandais pour obtenir les stipulations les plus favorables à la Belgique, surtout en supposant, comme on le prétend, que ce canal est avantageux aux deux nations.

Il y a une autre question politique qui peut se présenter, messieurs ; le traité de Vienne a, en quelque sorte, déclaré domaine européen toutes les rivières d’une certaine importance ; je demanderai à M. le ministre si le canal latéral, qui remplacera en quelque sorte la Meuse, ne sera pas compris dans cette règle tracée par le congrès de Vienne ? S’il en était ainsi, cela porterait un grave préjudice aux intérêts belges, car si nous accordons à la navigation nationale des péages très-bas, il ne faut pas accorder la même faveur à la navigation étrangère. Lorsque nous avons voté, il y a peu de jours, une loi qui autorise le gouvernement a établir un service de bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres, nous avons été tellement jaloux de nos intérêts que nous avons exigé que les navires fussent construits en Belgique ; nous avons consenti tout au plus à ce qu’on prît à l’étranger un seul navire pour servir de modèle à nos constructeurs.

Pour combattre l’opinion que nous soutenons sur la nécessité de la convention préalable avec la Hollande, l’honorable ministre des travaux publics nous a dit : Mais il y a un antécédent ; le chemin de fer qui devait se diriger vers l’Allemagne a été voté par les chambres avant qu’il n’y eût une convention avec les gouvernements de ce pays. Cet exemple, messieurs, n’est pas bien choisi ; je crois que, dans cette circonstance, elle a le tort de ne pas faire ce que l’honorable M. Malou demande aujourd’hui. Qu’est-il arrivé en effet ? C’est que, pour engager l’Allemagne à faire aboutit son chemin de fer au nôtre, nous avons été forcés d’acquérir une masse d’actions du chemin de fer rhénan. Si nous avions eu une convention préalable, nous aurions pu amener ce résultat sans faire un semblable sacrifice, et dès lors cet exemple milite en faveur de notre manière de voir. Au surplus, messieurs, je désire avoir la certitude que M. le ministre des travaux publics voudra bien avoir égard aux réclamations que j’ai faites en ce qui concerne la Meuse supérieure. J’espère, en outre, que les chambres voteront, dans la session actuelle le chemin de fer qui doit relier Liége à Namur, et qui doit se poursuivre vers Dinant et la frontière de France.

J’espère enfin que M. le ministre, qui veut établir un système de compensations générales, réparera la position désavantageuse dans laquelle se trouve une grande partie de la province de Namur par suite des communications nouvelles établies et voudra bien aussi proposer une réduction des péages exorbitants qui pèsent sur la navigation de la Sambre. J’espère qu’aujourd’hui les honorables députés de Liége, qui se sont constamment (page 1548) opposés à cette réduction qu’ils considéraient comme devant amener une concurrence nuisible à leur bassin houiller, voudront bien, à l’avenir, ne plus combattre une mesure qui me paraît de toute justice. J’espère que, de son côté, le gouvernement fera droit aux réclamations très-fondées des nombreuses populations des rives de la Sambre et de la Meuse supérieure et notamment des villes de Namur et d’Andenne, qui on besoin de charbon de terre pour leur industrie.

Qu’il me soit encore permis, messieurs, d’ajouter quelques mots à une observation présentée par l’honorable conte de Mérode. Il vous a signalé les inconvénients qui pouvaient résulter de l’exploitation trop active de nos houillères. Je vous avoue que je partage l’opinion de l’honorable comte ; je crois aussi qu’il ne faut pas favoriser d’une manière trop large l’exportation de matières premières qui sont indispensables à l’industrie, surtout dans un pays comme le nôtre, qui possède de nombreux établissements métallurgiques. Je crois que favoriser outre mesure l’exportation d’une matière première aussi précieuse, c’est nuire, dans l’avenir, aux intérêts du pays ; je crois que c’est contraire aux intérêts et aux principes d’une économie politique sage et prévoyante.

(page 1542) M. Lesoinne, rapporteur – Messieurs, de toutes les personnes qui connaissent la province de Liége, il n’en est pas une seule qui mette en doute l’utilité du canal latéral. Tout le monde est d’accord sur la nécessité de faciliter les transports entre Liége et Maestricht, mais on diffère sur le meilleur mode à adopter pour arriver à ce résultat. L’honorable M. David trouve que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est un chemin de fer ; d’autres pensent qu’il faut apporter des améliorations au fleuve même, d’autres enfin trouvent que c’est le canal latéral qui doit obtenir la préférence.

Pour bien juger la question, il faut tenir compte de la position dans laquelle se trouvent les exploitations houillères. Je répondrai ici à l’honorable M. de Garcia que les concessions ne sont accordées qu’à certaines conditions et que l’on impose, entre autres, celle de commencer les travaux dans un délai plus ou moins rapprochés, ordinairement dans le délai d’une année. Pour exploiter avec bénéfice, il faut une grande extraction. L’exploitant n’est pas maître de régler l’extraction comme il l’entend ; il faut absolument extraire (page 1543) beaucoup pour pouvoir payer les frais d’exploitation, le salaire des ouvriers, et l’intérêt du capital engagé dans l’entreprise ; de là, la nécessité de pouvoir compter sur un « écoulement régulier » : quand on est obligé d’attendre du hasard ou du temps, un tirant d’eau convenable pour pouvoir exporter les produits, il peut en résulter des inconvénients très-graves, par exemple, la houille, de certaines qualités surtout, se détériore lorsqu’elle est mise en tas dans les magasins ; elle peut même s’enflammer.

Il faut donc autant que possible, régulariser les moyens de transport de cette marchandise. Il en est de même de la plupart des autres produits pondéreux. Lorsqu’il y a des moyens de transports réguliers, il est permis aux exploitants de contracter des marchés à termes. Dans la situation actuelle des choses beaucoup de livraisons se font par marchés. La plupart des villes s’éclairent maintenant au gaz ; les chemins de fer se multiplient tout autour de nous. Il faut pouvoir soumissionner dans les différents pays qui nous avoisinent ; mais pour pouvoir soumissionner, il faut être certain de fournir à des époques fixes. Aujourd’hui cela est impossible. Aussi la plupart des exploitants sont obligés de renoncer aux adjudications qui se font, par exemple, dans les différentes villes de la Hollande, soit pour l’éclairage au gaz, soit pour la fourniture de coke nécessaire aux locomotives des chemins de fer hollandais, soit pour les bateaux à vapeur, soit enfin pour toutes les industries qui emploient la houille.

L’honorable comte de Mérode lui-même a reconnu la nécessité d’améliorer la Meuse à l’intérieur de la ville de Liége.

En effet, messieurs, outre la question commerciale, il y a ici une question d’humanité ; tous les ans, dans la traverse de Liége, des hommes perdent la vie. Dans le temps, j’ai fait partie d’une commission chargée de réclamer du gouvernement l’exécution d’un projet rédigé par l’intérieur en chef de la province de Liége, pour la dérivation de la Meuse dans la ville. Ce projet était fort beau, mais c’est précisément parce qu’il était trop beau, parce qu’il était fait en quelque sorte pour des besoins futurs, que l’exécution a été ajournée. Il y avait dans ce projet des bassins alimentés par des machines à vapeur, des entrepôts, une station intérieure, des magasins, enfin tout ce qui est nécessaire à une ville de commerce. On s’est demandé : Mais à quoi bon dépenser tant d’argent pour une navigation sujette des interruptions continuelles ? A quoi bon mettre le chemin de fer en rapport avec le fleuve, avoir une administration, avoir des employés qui resteront les bras croisés peut-être pendant six mois de l’année ? C’est là, messieurs, je le répète, la principale cause de l’ajournement de ce projet.

Lorsque le canal sera fait, a contraire, ces besoins-là se feront sentir ; ils seront sensibles, palpables pour tous. Quand on verra arriver les bateaux directement d’Anvers et de la Hollande pour prendre leurs chargements dans le port de Liége, on sentira la nécessité de donner des facilités au commerce.

J’ai cru, messieurs, devoir entrer dans ces détails pour vous démontrer l’utilité du canal à exécuter.

A propos de la concession du chemin de fer de Jurbise, on a beaucoup parlé dans cette enceinte de deux système différents, le système de concession et le système de la construction aux frais de l’Etat. Je crois, messieurs, que c’est faire un bon usage des contributions que payent les différentes provinces du royaume de créer entre elles des voies de communication dont l’intérêt se rattache à l’intérêt général. Or, le canal soumis à votre discussion doit relier à Liége d’un côté la province d’Anvers et de l’autre toute la Campine et la Hollande. On peut donc considérer ce canal comme le complément nécessaire des ouvrages qui sont déjà exécutés aujourd’hui.

A moins que ce ne soit un parti pris de renoncer à la construction par l’Etat des voies de communication, je pense que cette dépense peut être faite. Elle peut l’être d’autant plus qu’elle donnera des bénéfices au trésor public.

On en peut guère juger de l’avenir du canal, messieurs, en s’en tenant au tonnage actuel de la Meuse. Mais en calculant de cette manière, on arrive déjà à des résultats fort satisfaisants.

Si l’on avait renoncé définitivement au système de la construction par l’Etat, je demanderai alors à quoi bon payer des ingénieurs, à quoi bon avoir un corps des ponts et chaussées ? Les ingénieurs, selon moi, sont chargés de faire les plans des voies de communication de toute espèce, qui doivent relier entre elles toutes les provinces du royaume. Le plus sûr moyen de consolider la nationalité belge, c’est de relier tous les intérêts de la Belgique au moyen de grandes voies de communication bien coordonnées.

Pour appuyer la demande d’un chemin de fer, l’honorable M. David est venu vous dire, messieurs, que le canal ne desservirait qu’une seule rive du fleuve en aval de Liége. Son chemin de fer desservirait deux établissement mais il laisserait sur la rive gauche huit sièges d’exploitation qui sont tous en activité. Ils auront probablement échappé à la sollicitude de l’honorable membre.

Il y a, selon moi, une erreur grave dans les calculs qu’a présentés l’honorable M. ; David, lorsqu’il a comparé les transports par le chemin de fer aux transports par le canal.

L’honorable M. David compte par le canal entre Liége et Maestricht 60 centimes en descente et 30 centimes à la remonte, en tout 90 centimes. Ensuite il ajoute pour frais de traction le prix total du transport actuel par la Meuse de Liége à Maestricht, c’est-à-dire, qu’il ne tient aucun compte des facilités que donne la navigation par canaux. Pour rendre plus palpable le calcul de l’honorable M. David, j’ajouterai ceci :

C’est comme si l’honorable M. David prenait le bateau chargé, le déposait dans le bateau du canal, et transportait le tout jusqu’à Maestricht.

Pour tranquilliser l’honorable M. David, je dirai que les frais de traction par bateau sur le canal de Maestricht à Bois-le-Duc, sont par tonne-lieue de 6 centimes.

On a parlé des améliorations à apporter à la Meuse en dessous de Maestricht. Nous avons depuis Maestricht jusqu’aux frontières hollandaises une seule rive ; cette rive a été négligée longtemps ; mais je crois qu’on y a exécuté à présent des améliorations qui garantiront les propriétés riveraines.

On a objecté aussi qu’on serait mieux armé, par un ajournement, vis-à-vis du gouvernement hollandais.

Qu’on se rassure, le gouvernement hollandais entend aussi bien ses intérêts, pour nous procurer toutes les facilités possibles, à l’effet d’exécuter un travail qui doit lui profiter autant qu’à nous.

L’honorable M. de Garcia a considéré le chemin de fer de Liége à Namur comme une compensation des améliorations à exécuter à la Meuse, en aval de Liége. La section centrale discute maintenant ce projet de chemin de fer, et le rapport sera déposé cette semaine. Je pense que ce projet, qui est d’une grande-utilité, ne soulèvera pas beaucoup d’objections dans cette assemblée.

Messieurs, j’ai cru devoir entrer dans ces détails pour vous démontrer l’utilité du canal latéral à la Meuse. Si je n’ai pas réussi à faire passer mes convictions dans vos esprits, c’est que j’aurai été inhabile à peindre la vérité. Je ne parlerai pas ici des petites jalousies qui peuvent diviser les différentes localités que nous représentons. Je pense qu’ici nous devons chercher à concilier tous les intérêts, et à maintenir l’union entre toutes les parties de la Belgique. C’est au nom de cette conciliation, c’est au nom de cette union que je viens réclamer de votre justice un sacrifice que je puis dire léger, si je le compare aux résultats que nous devons en attendre.

M. David – Messieurs, c’est l’honorable M. Manilius qui, le premier, s’est prononcé contre l’amendement que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre. C’est la seconde partie de mon amendement, celle concernant la stipulation de l’enquête, qui a été critiquée par l’honorable membre. L’honorable M. Fleussu s’est également élevé contre cette partie de l’amendement. Je ne tiens pas essentiellement au maintien de cette stipulation. Si je l’ai proposée dans mon amendement, c’est que j’ai cru donner à tous les membres de cette chambre, une certaine latitude pour voter l’amendement. Je ne considère pas le résultat de l’enquête comme douteux, et il sera infiniment favorable à la proposition d’un chemin de fer entre Liége et Maestricht.

J’ajouterai cependant que le gouvernement lui-même n’a pas provoqué d’enquête relativement à la proposition qui nous est faite d’un chemin de fer de Liége à Namur.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Il y a une enquête.

M. David – S’il y a eu une enquête, je ne sais par quel ingénieur elle a été faite. (Interruption.) Eh bien, il y a une enquête faite, et c’est par le même ingénieur que celle faite pour le chemin de fer de Liége à Namur ; les deux chemins ont été également étudiés, et je pense que M. le ministre des travaux publics est maintenant parfaitement au courant des propositions faites par MM. Lamarche et Borguet, relativement au cahier des charges, etc., qui concernent ce chemin de fer.

J’ajouterai encore un mot relativement à l’enquête. Je voudrais savoir si le canal de Liége à Maestricht, qu’on dit si profondément étudié et depuis tant d’années, l’est effectivement d’une manière complète. Jetez les yeux sur les plans qui nous sont soumis : je défie qui que ce soit de me dire quel sera le résultat du déchirement qu’on va faire dans la ville de Maestricht, pour arriver à l’écluse du canal ; je défie en second lieu, puisqu’on revient constamment sur ce point, de me dire à quel prix se fera le canal qui, de l’embouchure du canal (de 5 lieues) qui est maintenant en discussion, ira jusqu’au-dessous de Chokier ; je demande s’il existe sur ce point la plus légère étude.

Y a-t-il dans la députation de Liége un seule membre qui soit d’accord avec ses collègues sur ce point ? Comment ! les ingénieurs ne sont pas d’accord entre eux et vous voulez que je m’en rapporte à vous qui n’êtes pas non plus d’un avis uniforme. Je pense que vous n’êtes pas meilleurs juges que moi, vous me permettrez de vous le dire.

Il me semble que l’honorable M. Malou, en demandant l’ajournement, s’est montré trop sévère ; je crois que, sous le rapport financier, l’honorable membre s’est un peu égaré. Mais qu’on réfléchisse donc qu’il y a devant nous une proposition de faire les travaux gratuitement ! Et pourquoi donc mettre toujours des bons du trésor en avant ?

Vous avez à choisir entre la construction par l’Etat, laquelle ne peut avoir lieu qu’au moyen d’une émission de bons du trésor, et la construction gratuite. C’est sur ce point qu’un amendement sensé devrait porté avant tout, et c’est cet amendement que je me propose de présenter à la chambre. Je demanderai à la chambre de déclarer catégoriquement si elle veut faire construire gratuitement le canal de Liége à Maestricht, ou si elle veut absolument que le contribuable paye ce canal ? Si vous n’étiez pas en présence d’une proposition positive, je n’insisterais pas avec tant de force, car je veux le canal et le chemin de fer ; mais j’engage au moins mon pays à ne pas repousser un cadeau dont le refus doit grever le contribuable.

Messieurs, l’ajournement du canal ne serait peut-être pas le plus grand de tous les maux. Je redoute moi-même avant tout cet ajournement ; je redoute surtout l’ajournement pour le chemin de fer ; je ne cesserai de le dire dans cette enceinte : dans trois mois peut-être les faveurs du ciel, ou comme le dit très-bien à côté de moi, M. Nothomb, la manne céleste ne nous tombera plus sur la tête. La manière inhospitalière dont nous accueillons (page 1544) les capitaux étrangers, pourra leur faire prendre une direction bien défavorable, pourra les éloigner de notre beau pays.

L’honorable M. Fleussu parle du canal à construire dans la Meuse. L’honorable membre a abordé franchement la question, il parlé de ce canal comme devant être destiné à relier ensuite les établissements industriels jusqu’à Chokier. L’honorable M. Fleussu est effrayé lui-même de la dépense qu’il faudra faire pour la continuation de ce canal.

M. Fleussu – Je n’ai pas parlé de cela.

M. David – Vous avez dit qu’il faudrait creuser la Meuse, et qu’on ne pouvait prévoir les frais énormes que ce creusement occasionnerait. Cet argument, je l’ai trouvé puissant en ma faveur ; car je dirai toujours que le canal de 5 lieues, à construire de Liége à Maestricht, n’est peut-être pas la partie la plus essentielle, la plus vitale ; que l’autre partie coûtera plus d’argent et offrira plus d’incertitude encore, quant à la réussite de sa construction.

L’honorable M. Fleussu est revenu sur les calculs de M. Kummer. Il vous a dit que les résultats du canal seront de 151,000 fr. Mais comment trouve-t-il cette somme ? Il adopte, avec tous ses collègues, les chiffres de 60 centimes à la descente et de 30 à la remonte, posés par M. Kummer. A moi, il est défendu d’invoquer ces chiffres ; quand je les invoque, ils ne sont plus rien, il faut les déplacer ; et ces messieurs seuls ont le droit de s’en servir, pour appuyer leurs arguments.

Comment ! vous détruirez d’abord les chiffres de 60 et 30 centimes, par la réduction de 75 p.c., et vous reviendrez ensuite réclamer les mêmes chiffres de M. ; Kummer et vous direz que le canal rapportera 151,000 fr. Voilà une manière commode de raisonner. Ces chiffres sont donc bien élastiques, et surtout à votre service exclusif.

Il est un point sur lequel je dois revenir encore. Tout le monde est à peu près impressionné de la même manière, relativement au péage à la remonte. Dans une brochure qui nous a été distribuée ce matin, et qui est une réplique des ateliers à la pétition de l’association des charbonnages liégeois, je lis les deux lignes suivantes qui m’ont frappé :

« En vérifiant nos calculs nous trouvons que, par suite de la fausse opinion où nous étions que l’on ne payait pas la remonte des bateaux… »

(Interruption.) Messieurs, permettez-moi de citer encore une ligne. (Nouvelle interruption.) N’est-il pas inconcevable que toutes les fois que les calculs, les chiffres de M. l’ingénieur Kummer peuvent être utiles à votre cause vous les invoquiez, et que, quand on vous les rétorque, vous prétendiez que vous avez des données particulières relatives aux péages ; ce sont là des moyens, des choses inextricables auxquelles je n’ai jamais pu rien comprendre. Il faut donc que mon intelligence soit bien obtuse !

Hier, M. le ministre des travaux publics me soutenait, fort de l’assentiment de tous mes collègues de Liége, dans le rapport de M. l’ingénieur Kummer, on ne comptait rien pour la remonte des bateaux à vide. Cependant je trouve qu’on paye à vide comme on paye moitié charge. Je retrouve cela à chaque page.

M. Delfosse – C’est une erreur !

M. David – Mais alors jetez au feu, brûler le rapport de l’ingénieur Kummer. Il devient définitivement un document inutile. M. le ministre me soutenait hier qu’on ne paye pas à vide, je trouve le contraire dans le rapport, je lui présente à son banc le passage, il me répond : C’est une faute d’impression !

Page 125, je lis : « Retour en supposant moitié charge, ou moitié du droit pour le VIDE TOTAL DU BATEAU. »

M. Delfosse – Il s’agit là de moitié charge et non de retour à vide.

M. David – « Et moitié du droit pour le vide total du bateau », il ne s’agit plus là de moitié charge.

M. Brabant – Le vide veut dire la capacité du bateau.

M. David – Il était bon d’avoir cette explication ; tout le monde ne peut pas l’entendre comme cela. Beaucoup de personnes peuvent avoir l’ineptie de comprendre comme moi.

On m’a fait une espèce de reproche, en citant les avantages du chemin de fer que je pose en comparaison du canal, de n’avoir pas songé aux intérêts d’une ville que j’ai l’honneur de représenter. Je ne fera pas ici, messieurs, de réclame électorale, mais je dirai que Verviers peut être assuré de ne rien perdre par le chemin de fer de Maestricht à Liége. La raison en est toute simple. Comment voulez-vous qu’un chemin qui partira de Liége pour se diriger sur Verviers pour l’Allemagne puisse aller emprunter le détour par Maestricht, dans la supposition même où l’on ferait une ligne de Maestricht sur Aix-la-Chapelle ? On n’irait pas prendre la route de Maestricht pour aller à Aix-la-Chapelle, choisir une route qui a quatre lieues de parcours de plus et qui forcerait à passer par quatre formalités ou bureaux de douanes ? Les exigences de la douane à la sortie de la Belgique, les exigences de la douane à l’entrée de la Hollande, les exigences de la douane à la sortie de la Hollande, les exigences de la douane à l’entrée de la Prusse !!! Choisiriez-vous cette voie pour vos voyages ? Il me semble qu’il est inutile d’insister. Il faudrait pour cela voyager pour son instruction ou pour faire du chemin le plus possible et le plus incommodément possible. Ce n’est pas celui qui voyagera pour ses affaires qui pourra porter préjudice aux chemins de fer de l’Etat, en faisant de semblables tournées. L’objection de mon honorable collège n’est pas heureuse.

Il me semble qu’en présence des deux grandes choses qui nous sont offertes aujourd’hui, de deux importantes propositions qu’on ne peut plus nier et que nous avons le temps de faire étudier (car il faudrait peu de temps pour cela, attendu que les études en sont fort avancées, si elles ne sont pas aussi complètes que pour d’autres lignes), il y a une question à décider par la chambre. En présence de la demande de concession du canal et du chemin de fer réunis, il me paraît naturel qu’on doive poser à la chambre la question de savoir si elle entend concéder le chemin de fer et le canal, ou si elle veut réserver absolument la construction du canal à l’Etat, c’est-à-dire à le faire exécuter aux frais du contribuable, tandis qu’on veut le lui construire pour rien. Voilà toute la question ; je ne demande pas d’ajournement, au contraire, je m’y opposerais ; mais je voudrais que la chambre se prononçât sur ces deux questions importantes, surtout en présence de circonstances nouvelles qui peuvent survenir et où toutes les faveurs dont le pays est comblé pourraient bien disparaître et s’en aller en fumée.

M. Huveners – Si le canal latéral à la Meuse est indispensable à l’écoulement des produits industriels de la province de Liége, si, au moyen de ce canal, les nombreux établissements de la province de Liége sont à même de soutenir la concurrence avec l’Angleterre et l’Allemagne sur le marché hollandais ; si par ce canal ils ont l’espoir fondé de conserver en partie l’approvisionnement de ce marché qu’ils possédaient exclusivement avant les événements de 1830 ; la construction de ce canal qui vous est proposé exercera aussi une heureuse influence sur le défrichement de vastes bruyères de la Campine, comme l’a déjà fait remarquer l’honorable ministre des travaux publics. En effet, la chaux étant le seul engrais étranger qu’il soit possible de se procurer, pour pousser au défrichement, il est nécessaire que les dépôts ou magasins s’établissent le long des canaux de la Campine, pour que le cultivateur puisse s’y approvisionner lorsque les circonstances lui paraissent favorables ; ces dépôts ne peuvent se réaliser que pour autant que la navigation entre Liége et la Campine soit continue et incessante ; or, une telle navigation ne peut s’obtenir que par le canal en discussion, canal qui en complétant la navigation vers la Hollande, facilitera aussi les relations avec les riverains de la Meuse en aval de Maestricht.

L’utilité des dépôts de chaux a été reconnue dès que le canal de Bois-le-Duc fut livré à la navigation, mais la navigation entre Liége et Maestricht ne permettant le transport de la chaux que pendant trois mois, comme le disait tout à l’heure l’honorable M. Fleussu, l’insuffisance de cette marchandise s’est surtout fait sentir lorsqu’il était le plus opportun d’en faire usage.

Outre les avantages que je viens de signaler, ce canal sera encore favorable à la Campine, parce qu’on pourra se procurer la chaux, la houille, les pierres, les fers, enfin tous les matériaux de construction, que le défrichement va nécessiter, au plus bas prix possible ; les calculs dans lesquels on est entré hier, indiquent une diminution de prix de dix p.c.

On a fait une objection qui paraît avait fait quelque influence sur vos esprits, c’est qu’on ne peut calculer les dépenses auxquelles un vote affirmatif pourrait entraîner. Mais, messieurs, outre les antécédents en fait d’évaluations de l’ingénieur Kümmer, qu’on a cités, nous avons l’assurance que la somme demandée ne sera pas dépassée ; les honorables MM. Fleussu et Lesoinne nous ont dit, dans la séance d’hier, que des entrepreneurs se présentent pour exécuter le canal au prix indiqué.

Je donnerai donc mon assentiment au projet, parce que je le considère comme le seul moyen efficace de faire prospérer divers industries de la province de Liége et de Namur, et ce sans nuire aux industries rivales des autres provinces ; parce que l’équilibre commercial entre les différents bassins houillers du pays sera maintenu, et qu’il serait injuste de le rompre au préjudice de celui de Liége ; parce que la dépense qui sera le résultat de mon vote, produira un intérêt raisonnable, surtout eu égard aux dépenses que l’amélioration de la navigation occasionnera entre Liége et Maestricht, quelque imparfaite qu’elle puisse être ; enfin parce que ce canal exercera une salutaire influence sur le défrichement des vastes bruyères de la Campine.

M. Pirmez – C’est l’éloge fait par l’honorable M. Fleussu sur ce qu’a dit M. le ministre des travaux publics, des constructions exécutées par le gouvernement, qui me donne l’occasion de prendre la parole. M. le ministre est revenu sur la prétention de pondérer les intérêts, d’établir une espèce d’équilibre entre les intérêts opposés. J’ai déjà eu l’occasion de faire remarquer que la pensée d’équilibrer les différents intérêts était entièrement chimérique ; je l’ai démontré, on ne m’a pas répondu un seul mot sur ce point. J’ai démontré, dans la discussion de la loi sur les postes, que c’était entièrement impossible ; j’ai démontré que les intérêts luttaient, combattaient et triomphaient ou succombaient ; que mettre entre les mains d’un gouvernement les moyens de tenter d’établir l’équilibre entre ces intérêts qui combattaient était chose chimérique et immorale, car elle amenait la corruption.

Il n’y a qu’un peuple dégradé qui puisse prétendre qu’on pût équilibrer les intérêts qui sont sans cesse en lutte dans le monde et qui puisse permettre à un gouvernement de se charger d’établir cet équilibre. Il y a des pays où cela existe, par exemple, l’Egypte. Méhémet-Ali, dit-on, a la prétention d’établir cet équilibre. Là les habitants peuvent croire qu’il y a possibilité de pondérer les intérêts rivaux. Les peuples libre, au contraire, et l’Angleterre en première ligne, ceux qui ont conscience de leur liberté et de leur dignité, savent que c’est une chose chimérique que de vouloir donner un être ou à un corps quelconque le droit de pondérer les intérêts rivaux.

Je vous assure que je ne suis mû ici par aucun sentiment de localité, je n’éprouve aucune jalousie, je parle comme député de la Belgique, comme député d’une nation qui prétend être libre j’ai déjà montré que cette idée de pondération des intérêts conduit à la dégradation des individus et qu’elle était impossible à réaliser. C’est dans la constance, dans la permanence des règles que consiste la liberté. Les intérêts luttent, combattent et triomphent ou succombent. Vous sentez qu’un gouvernement qui a la prétention de régulariser les intérêts, de les équilibrer, de les pondérer, ôte toute (page 1545) vigueur, toute énergie tout courage, aux hommes, ainsi qu’aux agglomérations d’hommes qui pourraient faire quelque effort de courage pour obtenir un résultat matériel, une amélioration de bien-être quelconque. Cette pensée qu’aussitôt qu’il aura fait cet effort le gouvernement viendra poser une barrière sous prétexte de pondérer les intérets, paralysera son courage.

Je vous ai démontré qu’il était impossible de pondérer les efforts des individus ; car celui qui aurait le moins d’énergie, le moins de force, le moins de courage, pourrait être égalé à celui qui aurait le plus de force, le plus d’énergie, le plus de courage. Vous sentez que cela doit amener la dégradation. Tous les avantages naturels départis aux hommes, vous voudriez les égaliser ; vous voudriez même égaliser les avantages départis aux contrées, comme disait tout à l’heure l’honorable M. Fleussu.

M. Fleussu – Je n’ai pas dit un mot de cela.

M. Pirmez – Vous avez dit : On a fait des canaux pour les pays de plaines, notre pays est un pays de montagnes, c’est pour cela qu’on n’y a pas fait de canaux ; on aurait dû en faire comme dans les pays de plaines. C’est absolument là ce qu’a dit l’honorable M. Fleussu, c’est pour cela que j’ai demandé la parole. (Nouvelle dénégation de la part de M. Fleussu.)

Quand même l’honorable membre ne l’aurait pas dit, c’est la conséquence du principe qu’il a posé.

Voici un exemple de l’application de ce principe : Les propriétaires d’une houillère très-avantagée par la nature feront, je suppose, un chemin de fer pour arriver à une route, à un but quelconque. Dans le but d’égaliser la concurrence, vous doterez du même avantage une exploitation rivale.

Si ceux qui ont fait construire un chemin de fer à leurs frais avaient supposé qu’il pût vous entrer dans l’esprit de faire une pareille opération, certes ils se seraient bien gardés de faire les frais de cette communication.

L’honorable M. Fleussu a parlé du canal de Jemeppe à Louvain qui, dit-il, avantagera le Hainaut ; cela est peu important ; c’est une question de localité. Le canal de Jemeppe sera fait avec des fonds qui ne coûteront rien à l’Etat ; ainsi le pouvoir social est désintéressé dans cette question.

L’Etat, dit-il, a payé les canaux du Hainaut, cela est vrai, mais ces canaux vous pouvez les revendre, vous en trouveriez au moins le prix d’achat, cela n’est pas douteux, vous n’avez qu’à les mettre en adjudication.

On dit que j’exagère, mais pas du tout, je reste dans la vérité : non-seulement vous posez un principe, mais encore vous en faites l’application et vous dites que j’exagère ; quelle exagération y a-t-il là dedans ?

Une occasion se présente de sortir de l’ornière ; des capitaux nous sont offerts, ne cherchons pas à équilibrer les intérêts, à persister dans le système que nous avons adopté, et qui fait de nous tous des solliciteurs ; car c’est là le résultat du principe de la pondération des intérêts.

L’honorable M. Lesoinne a dit : Que ferez-vous des ingénieurs si vous ne faites pas des canaux ? Faut-il que nous fassions des canaux parce que nous avons une foule d’ingénieurs ?

L’honorable membre a dit que l’exécution des voies de communication par le gouvernement consoliderait notre nationalité. Evidemment non ; si l’on veut pondérer tous les intérêt, on mettra la division entre nous tous.

M. Lesoinne – Le canal dont il s’agit est destiné à nous relier et non à nous diviser.

M. Pirmez – Nous relier matériellement, non diviser moralement.

Si vous voulez pondérer tous les intérêts, chacun viendra dire au ministre : « Agissez, nous ne ferons rien, nous comptons sur vous pour maintenir tous les intérêts. Ceux qui font de grands efforts sont sur la même ligne que ceux qui n’en font pas.

M. Castiau – Très-bien.

M. Osy – Je tiens à motiver mon vote en faveur de la proposition de l’honorable M. Malou.

Dans la section centrale, j’ai voté pour le canal. Mais d’après toutes les informations qui ont été données, dans la discussion hier et aujourd’hui, je crois que quand nous aurons fait le canal de Liége à Maestricht, nous serons obligés de le faire jusqu’à Chokier, ce qui serait une dépense considérable.

Nous pouvons ajourner cette discussion à la session prochaine ; car rien n’est fait avec la Hollande.

Lorsque nous étions en section centrale, en mars, on nous avait fait espérer un arrangement pour la fin de mars ; nous sommes en mai, et nous ne sommes pas plus avancés.

On dit que le principe est adopté. Mais vous savez que la Hollande sait très-bien négocier. Lorsque vous avez eu besoin de la Hollande pour vos toiles et vos fers, vous avez dû faire des concessions pour les céréales et pour les vins, sur lesquels je demanderai tout à l’heure un renseignement à M. le ministre des finances.

Pour les céréales, nous avons adopté, pour deux ans, une loi que nous avons été sur le point de rejeter. Au sénat, il y a eu une proposition bien plus forte encore.

Je conclus de là que nous devons attendre qu’une convention soit faite avec la Hollande ; car une fois la loi votée, nous serons obligé d’en passer par les concessions que demandera la Hollande.

Je crois que, dans l’intérêt de tout le pays, nous devons faire tout ce qui dépendra de nous pour améliorer le cours de la Meuse. Mais je ne veux pas souscrire à des conditions onéreuses pour le reste du pays.

Je rappellerai à M. le ministre des finances que, dans la session dernière et dans cette session, il avait promis que si la Hollande ne recevait pas les vins de Belgique au taux auquel la Belgique reçoit les vins de Hollande, il ferait cesser cet état de choses.

Plusieurs membres – Ce n’est pas la question.

M. Osy – C’est la question ; car cela prouve que la Hollande profite de toutes les occasions pour grever la Belgique à son avantage.

Je dis que nous ne devons pas voter la loi avant de savoir quelles concessions nous demandera la Hollande.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je répondrai deux mots en passant à l’honorable M. Pirmez, qui a donné à mes observations une portée tout autre que celle que j’avais l’intention de leur donner moi-même. Ainsi, il est évident que le gouvernement ne doit pas vouloir tout pondérer, tout équilibrer, de manière à rendre inutile toute énergie individuelle. Mais comment ces observations s’appliquent-elles à cette discussion ? Est-ce que l’honorable membre pousserait la répugnance pour l’équilibre au point de ne pas vouloir l’établir, lorsque les circonstances naturelles s’y prêteront ? De quoi s’agit-il ? D’un canal de Liége à Maestricht qui va donner au bassin de Liége, en retour du marché qu’elle perd dans les Ardennes françaises, le marché de la Hollande, lequel sera ouvert en même temps au bassin de Mons, par l’exécution du canal de Jemappes à Alost.

Est-ce donc un mal que l’équilibre ? Je ne conçois pas comment la corruption en résulterait.

Si je voulais pousser le principe de l’honorable M. Pirmez jusqu’à l’exagération, il faudrait en conclure que le gouvernement devrait laisser les populations dans leurs forêts primitives, ne construire ni routes, ni canaux, afin de laisser aux individus leur énergie primitive. Ce serait exagérer un principe vrai, comme l’honorable membre a exagéré le principe vrai que j’ai énoncé.

L’honorable M. Osy a annoncé qu’il avait voté dans la section centrale pour l’exécution du canal et qu’il se prononcerait aujourd’hui pour l’ajournement. J’aurais compris jusqu’à un certain point que dans la section centrale, il eût voté pour l’ajournement, car alors on croyait que le canal devait se prolonger jusqu’à Chokier ; mais aujourd’hui qu’il s’agit d’un chemin de fer qui doit desservir les deux rives de la Meuse, l’exécution du canal jusqu’à Chokier n’est plus utile comme elle pouvait le paraître à la section centrale.

Ensuite quand la section centrale discutait, la Hollande n’avait pas encore admis l’utilité en principe du canal ; ce pouvait être encore un motif d’ajournement. Ce motif a également disparu puisque le principe est admis par le gouvernement hollandais.

Je ne comprends donc pas le vote de l’honorable membre pour l’ajournement, aujourd’hui que la situation est complètement assurée.

Relativement la motion de l’honorable M. David, je dirai pourquoi le gouvernement ne s’y est pas rallié. Je ne me suis pas opposé à l’exécution d’un chemin de fer de Liége à Maestricht, c’est une question à examiner ; il y a des considérations puissantes qui doivent être pesées par le gouvernement, mais il ne faut pas perdre de vue qu’en liant le chemin de fer au canal vous rendriez le canal éventuel comme le chemin de fer. Il faut d’abord que le chemin de fer soit accepté par le gouvernement hollandais. J’ai dit qu’il y aurait deux lieues à la rive gauche de la Meuse au milieu des fortifications, j’ignore su le gouvernement hollandais, si le génie militaire y consentira ; ainsi la construction d’un chemin de fer est une hypothèse pour le gouvernement hollandais et pour le gouvernement belge. Par l’amendement de M. David, vous rendriez le canal également éventuel.

M. de Man d’Attenrode – J’ai demandé la parole pour répondre quelques mots aux arguments présentés par M. le ministre des travaux publics, dans le premier discours qu’il a prononcé au commencement de cette séance. D’après ce qu’il a dit, il semblerait que l’entretien serait peu considérable, que les produits seraient satisfaisants, que le devis aurait été bien étudié et serait très-sérieux.

S’il fallait s’en rapporter aux calculs de l’administration, l’entretien de travaux d’art ne s’élèverait qu’à environ 15,000 fr., les frais de personnel seraient de 8,700 fr., ce qui ferait une dépense totale de 23,700 fr.

Ceux d’entre nous, messieurs, qui ont étudié le tracé de ce canal doivent avoir remarqué qu’il emprunte sur une certaine distance le lit de la Meuse Or, les orateurs même qui ont parlé en faveur du projet nous ont dit que la Meuse était une rivière capricieuse, difficile à contenir. Il faudra, pour construire le canal, des digues en lit de rivière. Eh bien, je vous le demande, quand, après de fortes gelées, arrivera la débâcle et que des masses de glaçons amoncelés viendront se jeter contre ces digues, croyez-vous qu’une dépense de 15,000 fr. suffira pour réparer des dégâts faciles à prévoir ? Je suis persuadé, messieurs, que l’évaluation du gouvernement est infiniment trop peu élevée.

M. le ministre des travaux publics nous a dit que les produits seraient satisfaisants, que l’Etat retirerait un bel intérêt de son argent. Messieurs, je le déclare, j’ai peu de confiance dans les produits d’un canal établi par le gouvernement. Dans ce moment, de puissances compagnies demandent la construction de ce canal, et elles l’obtiendront. Eh bien, quand il sera construit, ces sociétés se serviront encore de leur puissance pour harceler le gouvernement et se faire accorder des réductions de tarifs. L’organe du gouvernement nous a rappelé encore la grande discussion de 1834 concernant le premier établissement des chemins de fer. Il nous a dit que bien que le gouvernement n’eût pas encore arrêté l’établissement d’un chemin de fer de la frontière à Cologne, nous avions voté la construction de celui d’Anvers à la frontière allemande ; que, par conséquent nous devions avoir assez de confiance pour voter le canal qui doit emprunter une partie du territoire hollandais.

Messieurs, cette comparaison me semble porter à faux.

D’abord on ne nous a pas demandé, en 1834, des fonds pour construire un chemin de fer sur le territoire prussien. Ici, au contraire, on nous demande des fonds pour établir un canal sur le territoire étranger.

(page 1546) D’ailleurs, qu’est-ce qui nous a portés, messieurs, à voter en 1834 un chemin de fer d’Anvers à la frontière, bien que le gouvernement prussien ne se fût pas engagé à le continuer ? c’est que ous comprenions parfaitement bien que les provinces rhénanes avaient un immense intérêt à la continuation de ce chemin de fer, et qu’il serait impossible au gouvernement prussien de résister à l’établissement d’un chemin de fer qui intéressait aussi puissamment les provinces du Rhin.

Messieurs, pour nous engager à voter ce projet, on nous a aussi parlé de la détresse de ce qu’on appelle l’industrie houillère. Mais, messieurs, d’après une pièce qui vous a été adressée hier, vous aurez pu remarquer qu’en 1840 on n’exportait que 33,000 tonneaux dans le bassin de Liége, tandis que cette exportation s’est successivement élevée, et a été portée, en 1844 jusqu’à 165,000 tonneaux. Aussi, comme on me l’a assuré, le prix du charbon est-il augmenté dans les pays alimentés par le bassin de Liége.

Au reste, je ne puis pas plus concevoir avec l’honorable M. de Mérode quel grand intérêt nous avons à nous débarrasser d’une matière première aussi précieuse, et à en faire augmenter le prix ; cela ne peut avoir pour résultat que d’élever le prix des moyens de fabrication, et de faire tort à la véritable industrie.

Je ferai remarquer encore que l’industrie de l’extraction de la houille ne paye rien au trésor. J’ai entendu faire cette observation, il a quelque temps, et elle me semble très-juste. L’industrie des bois paye beaucoup au trésor du chef de l’impôt foncier, et les compagnies qui extraient le charbon ne payent pas un centime, et en outre il faut que l’Etat se charge de leur construire des moyens d’écoulement, afin de transporter leurs produits à vil prix. C’est là un système qui me semble constituer une faveur intolérable.

Quant à l’exactitude des devis dont vous a parlé M. le ministre des travaux publics, je lui demanderai, puisqu’il les croit si exacts, s’il se rallierait à un amendement, qui tendrait à établir dans la loi que le gouvernement s’engage à ne rien demander au-delà des 3,500,000 fr. pour la construction de ce canal ? Je serais curieux de savoir s’il accepterait cet amendement, que je suis très disposé à présenter, si celui de l’honorable M. Malou est rejeté. Je n’irai pas plus loin, car il me semble que la chambre ne paraît plus disposée à m’écouter, et qu’elle est décidée à en finir.

- La clôture est demandée.

M. Delfosse – J’avais encore quelques considérations à soumettre à la chambre, mais je vois qu’elle est impatiente d’en finir, et, comme l’adoption du projet ne me paraît plus douteuse, je renonce volontiers à la parole.

M. de Tornaco – Je demanderai à la chambre la permission de lui présenter une seule observation. Je n’ai pas encore eu la parole dans cette discussion.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président – La motion d’ajournement de M. Malou est ainsi conçue :

« J’ai l’honneur de proposer à la chambre d’ajourner à la session prochaine, et notamment jusqu’à ce qu’une convention soit conclue avec le gouvernement des Pays-Bas, l’examen ultérieur du projet de loi relatif au canal de Liége à Maestricht. »

Je mets cette proposition d’ajournement aux voix. (L’appel nominal !)

- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition d’ajournement :

64 membres répondent à l’appel nominal ;

24 votent pour la proposition d’ajournement ;

36 votent contre.

1 (M. de Garcia) s’abstient.

Ont voté pour l’ajournement : MM. Thienpont, Van Cutsem, Van den Eynde, Brabant, Castiau, Cogels, Coppieters, Biebuyck, de Haerne, de la Coste, de Man d’Attenrode, de Mérode, Deprey, De Roo, de Villegas, Donny, Eloy de Burdinne, Maertens, Malou, Morel-Danheel, Osy, Pirmez, Pirson et Rodenbach.

Ont voté contre l’ajournement : Smits, Thyrion, Troye, Vandensteen, Van Volxem, Zoude, Coghen, d’Anethan, David, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, Delfosse, d’Elhoungne, de Neyer, de Secus, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Duvivier, Fleussu, Huveners, Jadot, Lange, Lejeune, Lesoinne, Lys, Manilius, Meeus, Mercier, Nothomb, Orts et Sigart.

M. de Garcia est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. de Garcia – Messieurs, je considère le canal latéral à la Meuse comme une œuvre de grande utilité ; mais n’ayant pas mes apaisements à certains points de vue que j’ai signalés dans mon discours, j’ai cru devoir m’abstenir.

Discussion des articles

M. le président – Nous passons à la discussion des articles du projet.

Article premier

« Art. 1er. Il est ouvert au département des travaux publics un crédit de fr. 3,500,000 pour la construction d’un canal de navigation latéral à la Meuse, de Liége vers le canal de Maestricht à Bois-le-Duc. »

- Adopté

Article 2

« Art. 2. Ce projet ne pourra recevoir aucun commencement d’exécution avant que l’introduction du canal dans le rayon de la forteresse de Maestricht et le mode d’exécution aient été réglés par une convention entre le gouvernement belge et celui des Pays-Bas.

« Aucune autre dépense que celle de construction et d’entretien ne pourra être mise à charge de la Belgique. »

M. Osy – D’après ce que nous a dit l’honorable ministre des travaux publics, je pense qu’il est bien entendu, que la convention à conclure avec les Pays-Bas ne concernera que l’exécution du canal, et que si le gouvernement hollandais exigeait qu’on y comprît d’autres objets, il ne pourrait être donné suite aux travaux.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – C’est dans ce sens que j’interprète l’art. 2. Du reste, le dernier alinéa le dit : « Aucune autre dépense que celle de construction et d’entretien ne pourra être mise à charge de la Belgique. »

M. Malou – Si je comprends bien l’interpellation de l’honorable M. Osy, elle consiste en ceci : Est-il bien entendu d’après cet article que le gouvernement ne consentira, pour obtenir l’autorisation d’exécuter ce canal, à aucune compensation même sur des objets étrangers au canal ?

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Oui. Si des compensations étaient demandées ou exigées par la Hollande, le gouvernement se croirait obligé de soumettre cette convention à la législature.

- L’art. 2 est mis aux voix et adopté.

Vote sur l'ensemble du projet

- Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet :

58 membres sont présents ;

6 s’abstiennent ;

38 adoptent ;

14 rejettent.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

Ont voté l’adoption : MM Smits, Thyrion, Van Cutsem, Vandensteen, Van Volxem, Zoude, d’Anethan, David, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, Delfosse, d’Elhoungne, de Naeyer, de Secus, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Duvivier, Fleussu, Huveners, Jadot, Lange, Lejeune, Lesoinne, Lys, Maertens, Manilius, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts et Osy.

Ont voté le rejet : MM. Thienpont, Brabant, Cogels, Coppieters, Biebuyck, de Man d’Attenrode, de Mérode, Deprey, de Roo, de Villegas, Donny, Malou, Morel-Danheel, Osy, Pirmez et Pirson

MM. Vanden Eynde, Castiau, de Garcia, de Haerne, de La Coste et Rodenbach se sont abstenus.

M. Vanden Eynde – Je considérais la construction d’un canal latéral à la Meuse comme une entreprise utile, mais les renseignements fournis par le gouvernement étaient insuffisants pour établir ma conviction. Voilà pourquoi je me suis abstenu.

M. Castiau – Je n’ai pas voulu rejeter le projet parce qu’il s’agissait d’un travail d’utilité publique. Je n’ai pu l’adopter parce que le mode de construction, onéreux aux contribuables, est en opposition flagrante avec le système de concession que la chambre a adopté dans ses précédentes séances.

M. de Garcia – Je me suis abstenu sur l’ensemble de la loi pour les mêmes motifs qui m’ont déterminé à m’abstenir sur l’ajournement.

M. de La Coste – Je me suis abstenu pour les motifs qui m’ont porté à appuyer l’ajournement, c’est-à-dire que j’aurais désiré voir vider d’abord la question diplomatique et obtenir des renseignements sur l’intégralité du projet dont ceci n’est qu’une partie.

M. Rodenbach – Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que M. Castiau.


M. le président fait connaître que le bureau a composé de la manière suivante la commission chargée d’examiner le projet de loi des chemins de fer de la Flandre occidentale : MM. Devaux, Malou, Van Cutsem, Manilius, Coghen, Rodenbach et de Roo.

- La séance est levée à 4 heures et demie.