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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 27 janvier 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 599) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure un quart. La séance est ouverte.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieur Auguste Lanou, soldat au 2e régiment de ligne, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Plusieurs cultivateurs de houblon à Liége présentent des observations contre la proposition de la commission permanente d’industrie, relative aux droits d’entrée sur le houblon. »

- Renvoi à la commission d’industrie.


« Le sieur Taylor transmet un nouvel affidavit constatant le nombre de souscriptions demandées pour le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse et fait hommage à la chambre de deux exemplaires d’une réplique de M. de Laveleye au rapport fait par M. Demoor à M. le ministre des travaux publics.

M. Rodenbach – Dans une de nos précédentes séances, j’ai eu l’honneur de vous dire qu’une compagnie anglaise avait demandé la concession du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse. Dans cette séance, j’ai fait connaître qu’on venait d’analyser un affidavit que la compagnie avait adressé à la chambre et qui constatait que la souscription pour la construction de ce chemin de fer s’élevait déjà à 12 millions. Aujourd’hui on adresse à la chambre un nouvel affidavit qui constate que la souscription a été close à 1,052,000 liv. sterl., soit 26,285,000 fr., c’est-à-dire le double de la somme nécessaire pour la construction de ce chemin de fer.

J’attire l’attention de la chambre sur cette requête, parce que la compagnie Taylor ne demande ni subside, ni minimum d’intérêt, comme les autres soumissionnaires.

Comme je crains que nous n’entrions dans cette voie de minimum d’intérêts, qui serait funeste au pays, je prie la chambre d’examiner mûrement, dans les sections, les offres de la compagnie anglaise.

On a fait courir le bruit que cette compagnie n’avait aucune consistance ; mais je n’en crois rien ; car, dans la requête, il est question de cautionnement. On veut en fournir un dans un très-bref délai. Cela doit donner une bonne opinion de cette société.

Je demande l’insertion de l’affidavit au Moniteur.

- Cette proposition est adoptée ; la pétition est renvoyée à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi relatif à l’exécution de divers travaux publics.


« Le conseil communal de Tongres présente une note à l’appui de la pétition qui a pour objet la construction du chemin de fer d’Ans à Hasselt par Tongres. »

M. de Renesse – L’administration de la ville de Tongres a l’honneur d’adresser à la chambre une note à l’appui de sa pétition du 14 de ce mois ; par cette note, qui renferme des renseignements très-utiles, surtout des données statistiques, sur le mouvement commercial d’une grande partie de la province de Limbourg, il est prouvé à l’évidence que cette province a intérêt d’être reliée au chemin de fer de l’Etat, vers les localités où se trouvent toutes ses relations de commerce ; pour que MM. les membres de la chambre puissent apprécier, en connaissance de cause, les véritables intérêts d’une grande partie du Limbourg, et donner un vote de conviction sur le tracé du chemin de fer réellement le plus utile à cette province, j’ai l’honneur de proposer à la chambre de vouloir ordonner l’impression de ce document dans le Moniteur et son renvoi à la section centrale, qui sera chargée de l’examen du projet de loi relatif au contrat avec la société Mackenzie.

- Cette proposition est adoptée.

Motion d'ordre

Projet de chemin de fer d'Ans à Hasselt

M. de Renesse – Messieurs, j’ai l’honneur de demander à M. le ministre des travaux publics pourquoi MM. les ingénieurs chargés des études du chemin de fer d’Ans à Hasselt, se sont rendus sur le terrain sans que MM. Blyckaerts et Detiège, demandeurs en concession, en aient été prévenus ; il paraît qu’ils en avaient fait la demande à M. le ministre ; ils devaient donc s’attendre à être informés du départ de MM. les ingénieurs ; Si je suis bien instruit par MM. les demandeurs en concession, M. le ministre leur aurait donné l’assurance d’être mis immédiatement en relation avec MM. les ingénieurs ; c’est seulement par moi que MM. Blyckaerts et Detiège ont été informés que M. l’ingénieur Grosfils se trouvent, depuis une huitaine de jours, sur les lieux, pour y faire des études. MM. les demandeurs en concession ont le plus grand intérêt à discuter avec MM. les ingénieurs la direction à donner au chemin de fer proposé d’Ans à Hasselt par Tongres ; déjà depuis quelque temps ils avaient parcouru toutes les directions avec d’autres ingénieurs civils, ils avaient arrêté un tracé provisoire ; il ne leur est donc pas indifférent de connaître et de discuter avec MM. les ingénieurs la direction à laquelle ceux-ci croient devoir donner la préférence, car, comme ils doivent fournir un cautionnement, il est d’un grand intérêt pour eux que la dépense de construction de cette voie ferrée ne soit pas exagérée, que le tracé soit aussi direct, aussi économique que possible. Vouloir faire dresser un plan contrairement à leurs vues, c’est un moyen détourné d’empêcher l’exécution de ce chemin de fer, c’est agir avec peu d’égards envers ceux qui s’intéressent vivement à l’établissement d’un railway très-utile à une grande partie de la province de Limbourg ; j’ai donc l’honneur de demander à M. le ministre des travaux publics pourquoi MM. Detiège et Blyckaerts n’ont pas été mis en relation avec MM. les ingénieurs, et pourquoi ceux-ci ont commencé les études, sans au préalable, avec discuté sur le terrain, avec les demandeurs en concession, la direction la plus convenable, la plus économique de ce chemin de fer d’Ans à Hasselt ?

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – J’ai chargé des ingénieurs de faire les études préliminaires du chemin de fer d’Ans à Tongres. L’honorable M. de Renesse demande pourquoi ils ne se sont pas mis en rapport avec les demandeurs en concession. Je les ai chargés de se mettre en relation avec eux. J’ignore s’ils ne se sont pas conformés à cette intention. Il est possible qu’ils aient voulu auparavant faire un avant-projet, parcourir le terrain, afin que les relations avec les demandeurs amenassent un résultat plus pratique.

De reste, je tiendrai compte de l’observation de l’honorable M. de Renesse. Je renouvellerai l’ordre que j’ai donné à ces ingénieurs.

Formation du jury d'examen universitaire

Tirage au sort des membres sortants

M. le président – Comme il y a six jurys, il y aura six tirages au sort.

Chaque tirage au sort se fera entre les deux titulaires et leurs suppléants.

Voici le résultat de ces tirages au sort :

1er Jury : Doctorat en droit :

Titulaire sortant: M. Demonceau, professeur à l’université de Louvain; suppléant: M. Delcourt, professeur à l’université de Louvain.

2ème jury : Candidature en droit :

Titulaire sortant : M. Picart, professeur à l’université de Bruxelles ; suppléant : M. Orts, professeur à l’universdité de Bruxelles.

3ème jury : Docteur en médecine :

Titulaire sortant : M. François, professeur à l’université de Louvain ; suppléant : M. Hubert, professeur à l’université de Louvain.

4ème jury : Candidature en médecine :

Titulaire sortant : M. Frankinet, professeur à l’université de Liége ; suppléant : M. Vaust, professeur à l’université de Liége.

5ème jury : Faculté des sciences :

Titulaire sortant : M. Quetelet, directeur de l’Observatoire royal de Bruxelles ; suppléant : M. Mayer, professeur à l’université de Bruxelles.

6ème jury : Faculté de philosophie et lettres

Titulaire sortant : M. Tandel, professeur à l’université de Liége ; suppléant, M. Schwartz, professeur à l’université de Liége.


MM Troye et Lejeune, admis comme membre de la chambre dans une séance précédente, prêtent serment.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l'exercice 1845

Discussion générale

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Messieurs, dans le discours que l’honorable M. Verhaegen a prononcé samedi, il se trouve quelques observations sur un acte de mon administration ; la chambre me permettra de donner quelques explications à cet égard.

L’honorable M. Verhaegen vous a parlé de l’avancement au choix ; tout en remerciant l’honorable membre des termes modérés et même bienveillants dans lesquels il a traité cette question, j’éprouve le besoin de lui dire que je ne puis accepter le reproche qu’il m’a adressé de ce chef.

Lorsque, en 1836, vous avez voté la loi d’avancement, vous avez démoli un système qui avait été suivi pendant quinze ans dans notre pays et qui l’a été pendant vingt-cinq ans dans un pays voisin : l’avancement exclusif à l’ancienneté.

Si vous avez renoncé à ce système, c’est parce que l’expérience vous en a montré les nombreux inconvénients. Je ne les développerai pas tous ici, je me contenterai de vous dire que ce système avait pour effet de n’amener aux sommités des emplois militaires que des hommes souvent usés par l’âge ; que, pour atteindre un officier de mérite, il fallait souvent faire dix nominations et donner tout autant de pensions de retraite ; que ces pensions étaient toujours très-élevées, puisqu’elles atteignaient principalement les hommes âgés qui, d’après le système, occupaient toujours les grades les plus élevés ; qu’en remplaçant ces hommes par d’autres presque aussi âgés, il fallait sans cesse recommencer une opération des plus onéreuses pour l’Etat et n’offrant aucune garantie pour la bonne répartition des emplois.

(page 600) Ce système, qui appelait tous les officiers à occuper, à leur tour d’ancienneté, les grades les plus importants, était destructif de leur émulation.

L’instruction en souffrait, parce qu’elle ne recevait point d’encouragement.

Le zèle pour le service et les sentiments les plus nobles que l’on aime tant à trouver chez les militaires, se refroidissaient et menaçaient de s’éteindre.

De tels inconvénients nuisaient évidemment à tout bonne composition des cadres d’une armée ; vous en avez été frappés, messieurs, et vous avez admis d’autres principes.

Dans la loi d’avancement, vous avez établi une part pour l’ancienneté et une autre part pour le choix.

Si un ministre, dans son seul intérêt, pour faire taire mille réclamations, prenait le parti de confondre ces deux principes ; si, sans se donner le souci de consulter les nombreux rapports des chefs de corps, des chefs de service et des inspecteurs-généraux, il ne suivait d’autre loi que celle du temps, d’autre règle que celle de l’ancienneté, vous ne manqueriez pas, messieurs, de lui dire que ce n’est pas ainsi que vous avez entendu la loi que vous avez votée.

Messieurs, en appliquant consciencieusement la loi, en faisant, selon les besoins du service, un choix plus ou moins prononcé parmi les officiers les plus méritants et jugés les plus aptes à remplir les emplois supérieurs, nous n’entendons attacher aucune idée de blâme ou d’humiliation pour les autres. Loin de là, nous avons la conviction que si tel eût dû être l’effet de la loi, on n’eût pas trouvé dans les deux chambres une seule voix pour la voter, et que l’on ne trouverait dans l’armée aucun ministre pour la mettre en pratique.

Messieurs, en exécutant la loi d’avancement dans son double principe, nous nous acquittons d’un devoir, et comme, dans les choix que nous avons à soumettre au Roi, nous ne procédons pas à la légère, que nous agissons sans esprit de malveillance pour personne, sans aucune idée de faveur, mais d’après des principes fixes qui tous ont pour but l’intérêt général, je dois le dire, les choix que j’ai faits hier, je les ferais encore demain, et, je le déclare, je ne changerai pas de système tant que je serai ministre.

Messieurs, au sujet d’une question importante qui fera, j’espère, l’objet des délibérations de la chambre avant la fin de février, l’honorable membre a rappelé qu’il a défendu le budget de la guerre, et il a bien voulu ajouter qu’il le défendra encore. Messieurs, j’accepte de tout cœur cette promesse, et comme, dans cette question importante et toute nationale, il ne pourra s’agir de personnes ni de division en partis, j’ose compter sur l’appui de toutes ces voix mâles et patriotiques qui s’élèvent de tous les bancs de la chambre, chaque fois que l’on aborde la question d’indépendance, de nationalité, question à laquelle les intérêts de l’armée sont si intimement liés.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, l’honorable M. Osy a soumis à la chambre un projet d’adresse au Roi, lequel a pour but le renversement du cabinet ; je serais disposé à appuyer la proposition de notre honorable collègue, si j’avais l’espoir que le ministère appelé à le remplacer entendrait mieux les intérêt de l’industrie que je défends, et serait plus porté à lui accorder la protection qu’elle à droit de réclamer.

L’auteur de cette proposition ayant renversé, pourrait bien être appelé à recomposer le cabinet, et je dois vous avouer que j’aurais bien peu de foi dans les hommes de son choix en ce qui a rapport aux intérêts agricoles et manufacturiers.

Il est possible, je dirai même qu’il est probable que le pouvoir passerait dans les mains des hommes qui, malheureusement, dans toutes les questions graves, ont prouvé qu’à leurs yeux les intérêts de l’agriculture et de l’industrie devaient être sacrifiés aux exigences du haut commerce ; pour se convaincre et avoir la preuve de ce déplorable égoïsme, que l’on consulte le Moniteur au compte rendu des séances. En relisant les discours des représentants d’Anvers et les répliques de MM. les ministres, on ne pourra révoquer en doute la politique des défenseurs du haut commerce, politique qui, j’en suis persuadé, inspirera aux défenseurs de l’industrie manufacturière les mêmes craintes que j’éprouve pour l’agriculture.

Le ministère actuel est loin d’avoir protégé l’industrie agricole comme elle devait l’être. Loin de là, pour favoriser le commerce et certaines industries on a réduit la protection qui lui avait été accordée par la loi de 1834, protection qui même sans morcellement, est loin d’être suffisante, si on la compare à la protection accordée, en France, à cette industrie.

J’aime à croire que les discussions au sénat et à la chambre des représentants, sur le traité du Zollverein, auront fait quelque effet sur l’esprit de nos ministres, et que, reconnaissant la nécessité d’apporter plus de sollicitude envers la première industrie, dont la prospérité a tant d’influence sur les autres, je dirai même sur le commerce, le cabinet, plus éclairé sur l’importance de l’agriculture, ne manquera pas de soumettre à la chambre des dispositions législatives de nature à soutenir la propriété et l’industrie agricole contre la propriété et l’agriculture étrangères. Mais si, contre mon attente, le ministère se refuse à prendre l’initiative, et que la législature soit forcée à faire des propositions, j’espère alors qu’on parviendra à lui forcer la main, comme on l’a fait en 1834, c’est-à-dire que nous obtiendrons justice malgré le cabinet.

Dans cette dernière hypothèse, je le déclare formellement, je retirerai ma confiance au cabinet actuel, et je serai alors forcé à appuyer son renvoi.

C’est donc dans l’espoir qu’il fera des réflexions sérieuses sur sa position actuelle, ainsi que sur les causes qui l’on produite, que je voterai contre la proposition de l’honorable M. Osy, me réservant mon vote sur le budget, que je suis loin d’approuver dans tout son ensemble.

Avant de terminer, qu’il me soit permis de vous signaler un fait important, un seul exemple à l’appui de mes craintes.

Vous avez dû remarquer comme moi, que dans toutes les discussions où il s’agissait de l’entrée des céréales étrangères en Belgique, les défenseurs du commerce d’Anvers ont soutenu que la minime quantité de grains étrangers importés ne pouvait influencer sur le prix de nos marchés.

Je conçois leur sollicitude, en faveur des intérêts d’une petite partie des habitants d’Anvers, mais je leur demanderai si les avantages de quelques individus, au détriment des trois quarts de la population, doivent être pris en considération. Trois millions de kilogrammes de froment introduits sur nos marchés en novembre dernier, à une époque où nos cultivateurs sont obligés de vendre leurs produits pour faire face à leurs obligations, a pu, je dirai même a dû faire tomber le prix de l’hectolitre de froment belge d’un franc.

Sur sept millions d’hectolitres que la culture belge livre aux consommateurs, elle a éprouvé de ce chef 7 millions de francs de perte, et ces millions de kilogrammes, considérés comme chose insignifiante, ont suffi à l’alimentation de toute la population belge pendant trois jours du mois de novembre, ce qui représente 10 p.c. de la consommation générale.

Pour 7 millions de perte faite par l’industrie agricole le commerce d’Anvers a pu gagner quelques milliers de francs ; mais ne perdez pas de vue, messieurs, que la perte que je viens de signaler réagit au moins pour trois quarts sur l’industrie et le commerce de détail.

En résumé, je déclare m’opposer à la proposition d’adresse, tout en me réservant mon vote sur le budget, qui, pour obtenir mon vote approbatif, devra subir des modifications importantes. Lors de la discussion des articles, je proposerai des modifications, et, si le ministre les repousse, alors je serai forcé de refuser mon vote approbatif ; j’aurai rempli mon devoir et j’aurai pour consolation l’axiome suivant : « Fais ce que tu dois, advienne que pourra. »

M. Osy – Je demande à répondre à l’honorable M. Eloy de Burdinne.

M. le président – M. Osy aura la parole à son tour ; il est inscrit. La parole est à M. Devaux.

M. Devaux – Il faut surmonter, messieurs, de vives répugnances, il faut être sous l’impulsion d’un devoir bien impérieux pour venir se mêler à des débats qui depuis longtemps présentent toujours le même et le plus triste caractère.

Les discussions politiques sont nobles et attrayantes, lorsque de grandes idées viennent s’y combattre ; lorsque des principes différents, mais également honorables viennent y mesurer leur puissance l’une contre l’autre, et lorsque des convictions également sincères viennent s’y contrôler mutuellement. Mais dans ce qui depuis longtemps se passe sous nos yeux, y a-t-il rien de semblable ? Que voyons-nous ? Une lutte contre un ministère dont le caractère est de ne représenter que lui-même, de ne représenter aucun principe, aucune conviction. S’il y a une pensée qui le domine, c’est que les convictions sont de luxe dans le ministère, c’est que les principe sont de trop dans le gouvernement, c’est que tout doit être subordonné à un intérêt de position, à un intérêt de personnes.

Cette pensée, on n’ose pas l’avouer dans cette chambre. Je rends cette justice au ministère, il n’ose pas se l’avouer à lui-même. Mais cette pensée, il est facile de la saisir sous ses paroles, sous tant d’aveux indirectes. De quelle manière le ministère se justifie-t-il ? Comment répond-il aux attaques dirigées contre lui ? Il recule de deux ou trois, que dis-je, de quinze ans en arrière. Il va rechercher tout ce qui a été dit contre les anciens ministères, il vient de dire que les reproches qu’on lui fait on les a faits à tout le monde. Que conclut-il de là ? Il n’ose pas le dire ; mais c’est sa pensée tout ensuite. Il conclut de là qu’il n’y a ni bons, ni mauvais ministres, qu’on peut faire à tous les mêmes reproches, qu’il n’y a ni bien ni mal aux yeux d’un ministère, qu’il n’y a plus de moralité politique pour un gouvernement.

Quand on reproche à M. le ministre de l'intérieur d’avoir manqué à sa dignité, en désertant le projet de loi sur le jury d’examen et en votant pour le projet qui renversait le sien, que répond-il ?

« J’aurai bien été dupe ; je serais resté avec l’opposition qui ne m’aurai pas soutenu et la majorité m’aurait abandonné. »

J’aurais été bien dupe ! Voilà le résumé des principes du ministère. Ainsi ce qu’on examine, ce n’est pas si la dignité conseille de prendre un parti, c’est le résultat utile de tel ou tel parti. On démontre au ministère qu’il était de sa dignité de suivre une autre marche. Il vous répond : « Je n’aurais pas été soutenu ; il aura fallu me retirer. » Sa retraite ! Voilà ce à quoi il ne peut se résoudre à aucun prix. Voilà la seule question qui le préoccupe.

Dans un autre discours, que vous a dit le même orateur ? L’opposition vous parle sans cesse de ce qu’elle appelle la moralité de nos actes ; elle envisage les actes du gouvernement par leur petit côté.

Dans la dernière séance, un collègue de M. le ministre de l'intérieur, marchant avec succès sur les traces du maître, vous a fait la même profession de foi. Ainsi, d’après vous, la moralité, c’est le petit côté de la politique. Oui, en effet, voilà la question ; voilà l’abîme qui nous sépare. Ce qui, pour vous, est le petit côté, est pour nous le grand côté, l’immense côté, le côté dominant des pouvoirs et de leurs actes. La moralité politique, c’est la base de nos institutions. Otez la moralité, que reste-t-il ? Sans moralité politique, savez-vous que vos libertés ne sont plus que mensonges, que moyens de corruption ? Il faudrait maudire vos institutions si vous leur ôtiez la moralité des grands pouvoirs.

Plusieurs membres – Très-bien.

M. Devaux – Mieux vaut le pouvoir absolu, parce que, lui, au moins, il se cache ; il endort les opinions, on ne le voit pas ; tout le monde ne s’en préoccupe pas. Le pouvoir absolu, tout lui obéit, et on ne corrompt (page 601) que ce qui résiste ; il n’a pas à corrompre autant qu’un gouvernement sous lequel toutes les institutions provoquent à la résistance.

La moralité des pouvoirs, je le répète, c’est la base de nos institutions. Cette base, on n’a pu l’écrire dans notre pacte fondamental ; on n’a pu dire que le pouvoir était tenu d’être sincère, d’être vrai, de ne pas corrompre ; mais on a écrit que nous étions les contrôleurs du pouvoir ; la Constitution nous en fait un devoir. Si le pouvoir manque de dignité, de sincérité, c’est à nous que la nation doit s’en prendre.

Cette responsabilité, messieurs, est pesante ; n’espérons pas y soustraire nos consciences ; nous la subirons. La question que nous avons à résoudre est celle-ci : Voulons-nous asseoir la nationalité belge, la liberté de la Belgique, les mœurs politiques de la Belgique, sur la déconsidération et le mépris du pouvoir ? Voilà la question que nous avons à trancher ; il n’y a que celle-là au fond du débat qui s’agite devant vous. Voulons-nous que la moralité soit le petit ou le grand côté des affaires ? Voilà ce que vous allez décider par votre vote.

Je pourrais, messieurs, m’en tenir là. Je pourrais me borner à faire appel aux sentiments qui, chaque jour, débordent vos consciences. Je pourrais me borner à vous rappeler ces impressions pénibles que vous donne chaque jour le spectacle de ce qui se passe devant vous depuis trop longtemps. Je pourrais me borner à vous rappeler ces épanchements spontanés dans lesquels, au sortir des séances, toutes les nuances d’opinions viennent mettre en commun leur indignation et leur mépris.

Mais le pays ne voit pas les choses d’aussi près que nous ; ce qui est évident, palpable pour nous ne l’est pas peut-être au même degré pour tout le monde au dehors de cette enceinte. Le pays ne sait pas peut-être jusqu’à quel degré invraisemblable, le mal est parvenu, c’est à nous de l’éclairer. Il est nécessaire que notre responsabilité à tous soit bien claire et bien précise à tous les yeux. Il faut, je ne dirai pas que les opinions, mais que les individualités indulgentes ou compatissantes qui acceptent la solidarité du ministère, sachent bien jusqu’où elle va. D’ailleurs, messieurs, je me rappelle que l’on demandait récemment encore à l’opposition quels étaient ses griefs ; on lui demandait de sortir des généralités. M. le ministre de la justice lui-même, comme s’il assistait pour la première fois à nos débats, demandait à un honorable orateur en quoi le gouvernement avait manqué à la vérité et à sa dignité. Je crois que je pourrai le satisfaire. Je ne remonterai pas loin, je veux préciser le débat ; je n’irai pas au-delà du dernier vote politique de la session dernière et je me restreindrai à trois actes. Je les choisis de nature différente : un acte de politique intérieur, un acte administratif et un acte de politique extérieure.

L’acte de politique intérieure c’est le projet de loi sur le jury d’examen. On en a déjà parlé. Je ne l’envisagerai que sous un point de vue, celui de la moralité. Tout, depuis le début jusqu’à la fin, n’a-t-il pas, dans cette affaire, révélé l’absence de dignité, le manque de foi ? Dans la présentation du projet de loi, manque de foi envers l’opinion qui soutenait le ministère. Sans doute on pouvait espérer de convaincre cette majorité qu’elle avait tort, on pouvait même lui demander une concession ; mais il fallait agir franchement, il fallait poser la question sur ce terrain, il fallait dire à la majorité : Nous vous demandons une concession politique ; elle est utile, elle est nécessaire. Au lieu de cela, que fait-on ? On présente ce projet de loi comme changeant une question de détails administratifs, comme ne renfermant que la question de roulement des examinateurs ; on voulait en quelque sorte que la majorité honteuse fît semblant de ne pas s’apercevoir de cette feinte. Il y eût eu encore manque de foi dans la retraite simulée de l’un des ministres. Et quelles étaient les causes qu’on donnait à cette sortie ? Vous les connaissez tous ; c’est encore un manque de foi que les ministres se reprochaient mutuellement. Celui de MM. les ministres qui se retirait, disaient les uns, ne voulait pas subir la condition qu’il avait acceptée à son entrée ; cette condition, disaient les autres, n’avait jamais été posée par ses collègues ; ils l’avaient imaginé après coup. Que fit-on ensuite ? On fit d’abord semblant de défendre le projet de loi ; puis, quand on eut reçu quelques avertissements sévères de la majorité, on prit une espèce d’engagement secret d’abandonner le projet sans le dire. On déserta son propre projet de loi. Chacun a dû reconnaître clairement que le désir du ministère était d’être battu, et, comme l’a dit un journal de l’opinion de la majorité, c’était par la défaite que le cabinet voulait marcher à la victoire. On vit les amis du ministère, les fonctionnaires, qui avaient sa pensée, voter contre le projet. Deux des ministres qui avaient prétendu, dit-on, que le projet était la condition de leur entrée aux affaires, que firent-ils pour le défendre, que firent-ils pour relever leur entrée au ministère ? ils se turent, ils ne dirent pas un mot. M. le ministre de la justice, disait-on d’un côté, était pour le projet ; dans d’autres rangs on disait qu’il était contre le projet ; il ne consentit pas même à nous faire connaître ce qui en était.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – J’ai voté.

M. Delfosse – De deux manières entièrement différentes.

M. Devaux – L’observation de l’honorable M. Delfosse est parfaitement juste ; M. le ministre a voté de deux manières entièrement opposées, ce qui laisse aujourd’hui subsister l’incertitude.

Définitivement, les ministres votèrent pour un projet qui renversait complètement le leur. Ils songèrent, comme l’a dit M. le ministre de l’intérieur, qu’ils auraient été dupes s’ils étaient restés conséquents avec eux-mêmes. Ils auraient dû se retirer ; et le ministère sortant qui ne voulait pas, lui non plus être dupe, nous a dit hier que si le projet de ses collègues avait été adopté, il se serait retiré, qu’il eût dû se retirer, ou, si on veut, qu’il n’aurait pu rentrer.

Eh bien, l’honorable ministre des travaux publics, par cela même, condamne la conduite de ses collègues qui, eux, sont restés au pouvoir après que leur projet eût été rejeté. Si lui ne pouvait pas rester au pouvoir sans manquer à sa dignité, dans le cas où le projet primitif aurait été adopté, eux ne pouvaient pas y rester honorablement après que le leur avait succombé. M. le ministre des travaux publics ne pouvait, dans aucun cas, rentrer au cabinet, puisque, de son propre aveu, c’était s’associer à des hommes qui avaient foulé aux pieds ce que lui regardait comme un devoir. Dans toute cette discussion, la dignité du pouvoir a donc été constamment sacrifiée, la bonne foi a été sans cesse méconnue, on a eu le secret de tromper toutes les opinions à la fois.

Messieurs, on a plusieurs fois parlé, dans la discussion actuelle, d’une loi fiscale, de la loi des tabacs, dans laquelle la chambre n’a pas été renversé moins d’une cinquantaine de dispositions présentées par le gouvernement.

Je n’en dirai qu’un mot en passant, pour rappeler que ce projet contenait encore un insigne manque de foi envers le commerce. Vous vous rappelez, messieurs, que lorsque le gouvernement eut fait avec la France une convention par suite de laquelle les droits sur les vins avaient été abaissés, la chambre crut qu’il était équitable que les négociants qui avaient fait des approvisionnements profitassent de la réduction des droits, non-seulement sur les vins qu’ils recevraient, dans la suite, de France, mais aussi dans certaines limites sur ceux qu’ils avaient en magasin.

La chambre crut que, sans cela, ces négociants auraient à soutenir une concurrence trop difficile de la part de ceux qui n’avaient point d’approvisionnements au moment de la mise à exécution de la convention. Les deux chambre adoptèrent une disposition dans ce sens. Que fit le gouvernement ? Il refusa la sanction de la loi ; et par quelle raison ? Par la raison, disait-il, que si cette mesure était aujourd’hui favorable au commerce, il faudrait, par suite de ce précédent, lorsque des droits seraient augmentés, soumettre aussi les approvisionnements à l’augmentation et que ce serait là un principe beaucoup trop défavorable au commerce. C’était bien, messieurs, dire au commerce en général : « Vous pouvez désormais agir librement, vous pouvez faire des approvisionnements en toute liberté, jamais le gouvernement ne donnera un effet rétroactif à une loi d’impôt quelconque. » Eh bien, messieurs, à la première occasion qui se présente, la loi des tabacs, que fait le gouvernement ? Sans égard à la parole donnée, sans égard à la position qu’il a prise vis-à-vis du commerce, il applique dans son projet de loi aux approvisionnements l’augmentation considérable d’impôt qu’il propose.

Ainsi, messieurs, dans ses rapports avec le commerce comme dans ses rapports avec les chambres, toujours le même défaut de dignité, toujours le même manque de foi.

Je passe à ce que j’ai appelé l’affaire administrative : je veux parler de l’affaire de Guatemala, qui n’a pas encore assez occupé l’attention de la chambre, affaire déplorable et dont l’examen a droit de préoccuper vivement la chambre.

Je ne parle pas de l’entreprise en elle-même, mais des rapports du gouvernement avec cette entreprise. C’est de ces rapports seuls que je vais m’occuper. Car, messieurs, il est loin de ma pensée de vouloir jeter la moindre défaveur sur une compagnie particulière ; et pour qu’à cet égard on ne prenne pas le change sur mes intentions, je dirai que je n’ai pas assez étudié le fonds de cette entreprise pour en connaître les chances et pour savoir de quelle manière elle a été conduite, mais que, connaissant une partie des personnes qui en sont membres et au nombre desquelles nous comptons deux de nos collègues, j’ai tout lieu de croire, par ce seul fait, que les intentions qui ont présidé à sa fondation ont été des intentions très-honorables. Je parle, je le répète, des intentions ; quant à l’administration elle-même, je ne suis pas en position de l’apprécier.

Messieurs, quels furent les premiers rapports du gouvernement avec la société ? Déjà, à leur début, vous apercevez ce même défaut de franchise que je vous signalais tout à l’heure dans d’autres actes. On voulu complaire à quelques influences favorables à l’entreprise, et, en même temps, ne pas déplaire aux influences qui lui étaient contraires. On fit assez pour exciter l’espoir des uns et pas assez pour que d’autres pussent, dans la chambre, reprocher au gouvernement d’être intervenu activement.

Le gouvernement consentit, par exemple, à avoir un ou plusieurs commissaires dans la colonie. Ces commissaires devaient faire croire aux colons que le gouvernement belge veillait sur eux ; car ils étaient chargés de veiller à l’exécution des règlements. Ces commissaires, qu’ont-ils révélé au gouvernement ? Qu’ont-ils fait pour les colons ? Aujourd’hui on se plaint de plusieurs côtés que les règlements ont été violés, que les colons en ont souffert, en ont déplorablement souffert. On va même jusqu’à prétendre que, grâce à cette violation des règlements, une très-grande mortalité s’est déclarée. Eh bien, où sont les rapports des commissaires ? Que nous a dit l’autre jour M. le ministre de l'intérieur ? Qu’il devait beaucoup de reconnaissance à un employé du département de l’intérieur qui avait fait un voyage à Guatemala, et que c’était de lui qu’il tenait ses renseignements ; tandis que des commissaires que l’on a envoyés (et je crois qu’il y en a encore un en ce moment au Guatemala), il paraît qu’on ne s’en occupe pas. Il paraît que le gouvernement a cru que tout était fait lorsqu’il a laissé mettre dans le contrat qu’un commissaire serait envoyé.

Messieurs, quels ont été plus récemment les rapports du gouvernement avec la compagnie ?

La compagnie avait besoin de faire de l’argent. Très-probablement elle en demande au gouvernement. Le gouvernement n’eut le courage ni de lui en donner ni de lui en refuser. Il crut que l’affaire n’était pas assez bonne pour que la chambre consentît à y intervenir par des subsides. Que fit-il ? Il s’adressa aux communes et aux pauvres, aux bureaux de bienfaisance. Il prit un arrêté pour provoquer les communes et les bureaux de bienfaisance (page 602) à mettre leur argent dans cette spéculation aléatoire ; arrêté à double face. Pour les communes, il est bien évident que le gouvernement protège la société, la prend sous son patronage ; cela ne peut faire doute. Mais remarquez de près la rédaction, et vous verrez que le gouvernement s’est réservé de dire aux chambres : « Lisez le texte et en réalité je ne suis pas engagé. J’ai bien permis les souscriptions dans toutes les communes du royaume ; j’ai bien pris un arrêté royal ; mais ma responsabilité n’est pas engagée ; le texte ne m’engage pas. »

Messieurs, ce qui est certain, c’est que pour les communes, c’est que pour les bureaux de bienfaisance, c’était un encouragement du gouvernement, c’était un patronage du gouvernement, et que si les communes et les bureaux de bienfaisance avaient eu confiance dans le gouvernement, ils se seraient probablement laissés entraîner à la suite de son arrêté.

On n’a pas souscrit, dit-on ? On n’a pas souscrit ! mais c’est la confusion du gouvernement ! Cela prouve qu’on n’a pas eu confiance dans son patronage, et c’est réellement une chose qui fait peine qu’un gouvernement prenne sous sa protection une souscription adressée à toutes les communes et à tous les bureaux de bienfaisance du pays, et qu’il ne parvienne pas à recueillir six signatures ? Serait-ce là la mesure de la force morale du gouvernement dans l’opinion publique ?

Je n’ai pas besoin, messieurs, d’insister sur cet arrêté. Vous l’avez tous condamné, et on ne peut le défendre, qu’en se réfugiant derrière des subtilités de texte ; le texte ne vous engageait pas, dites-vous ; mais le sens de l’arrêté, tel que tout le monde devait l’entendre, c’est que votre influence morale était acquise à la compagnie et que vous recommandiez la souscription.

Un honorable membre de cette assemblée, dont la seule présence au sein de la compagnie est, comme je l’ai dit, une garantie que les intentions qui ont présidé à cette entreprise ont été honorables, M. de Mérode, disait, il y a plusieurs mois, que lui n’avait exposé dans cette compagnie que l’argent qu’il voulait risquer de perdre, et qu’on ne devait en agir de cette manière. C’était là, messieurs, des paroles très-raisonnables. Mais le gouvernement en a-t-il agi ainsi ? Et quand il s’adressait à de pauvres communes, quand il s’adressait à l’argent des pauvres, aux bureaux de bienfaisance, était-ce n’exposer que ce qu’on peut perdre ? Mais c’est exposer ce qu’il y a de plus nécessaire, ce qu’il y a de plus précieux ; c’est l’existence des malheureux.

Messieurs, après l’arrêté est venue la convention du 21 juillet, et la franchise, la dignité du gouvernement, ont suivi une marche toujours ascendante.

La compagnie, encore une fois, avait besoin d’argent. De nouveau, elle s’adresse au gouvernement, et de nouveau encore le gouvernement n’ose ni lui refuser ce qu’elle demande, ni le lui accorder régulièrement.

Que dit-il à la compagnie ? De l’argent, je ne vous en donnerai pas ; mais je puis vous donner une signature avec laquelle vous en ferez.

Et qu’était-ce que cette signature ? C’était une convention que tout homme sensé, faisant partie de la chambre, devait savoir ne pas pouvoir amener de résultat sérieux. Il était impossible qu’un homme qui connaissait le moins du monde les dispositions de la chambre, crût que la majorité de la chambre consentirait à garantir un emprunt de 3 millions pour la compagnie de Guatemala. Et malgré cela, le ministère a signé une convention, où il promet de présenter à la chambre, avant la fin de l’année, un projet de loi stipulant cette garantie.

Il était impossible, je le répète, que le ministère attendît un résultat sérieux de cette convention ; tout le monde en est persuadé dans cette chambre. Je citerai même, à cet égard, les organes du ministère dans la presse. Que nous apprirent les journaux ministériels ? Que la convention serait probablement rejetée par les chambres ; que le ministère y tenait peu.

Cette convention ne pouvait avoir qu’un effet : c’était d’introduire des tiers dans une fausse confiance. Et, en effet, des tiers avaient offert de traiter avec la compagnie pour plusieurs centaines de mille francs, si elle pouvait obtenir cette convention du gouvernement et la convention signée, les prêts eurent lieu. Ces prêteurs furent d’abord des capitalistes belges. Plus tard on est allé en Angleterre, la convention à la main, et on est parvenu à avoir en échange des lots de terrain, un ou deux millions des capitalistes anglais, sur la foi de la signature du gouvernement belge, sous la foi de cette convention qui, du moment où elle n’était pas sérieuse dans l’esprit du gouvernement, devenait un véritable piège pour les tiers.

Et comment peut-il en être autrement ? Pourquoi sans cela cette forme de convention ? peut-on donner une seule raison pour laquelle le gouvernement se serait engagé par sa signature, cinq mois avant l’ouverture des chambres, à présenter un projet de loi ? Quelles obligations avait la compagnie ? Quels avantages lui faisait la compagnie ? Pourquoi, si le gouvernement jugeait la chose utile, ne se réservait-il pas sa liberté jusqu’au moment de la présentation du projet de loi ? Pourquoi s’engager ? Peut-on en donner une seule raison avouable ? N’était-ce pas uniquement pour donner à la compagnie un crédit imaginaire basé sur une pièce qui ne devait avoir aucun résultat sérieux ?

Cela est si extraordinaire, si coupable, qu’on se demande comment le gouvernement a pu poser un pareil acte ; comment il ne s’est pas dit à lui-même dans quelles difficultés il se précipitait ? La règle de conduite du ministère, en cette circonstance, comme en bien d’autres, c’est sa confiance illimitée dans les expédients ; c’est que, quand une difficulté se présenté, on rêve un expédient, et qu’on ne s’inquiète pas des difficultés que cette expédient fera naître, parce que, quand elles surgiront, on espère en inventer un autre pour les tourner ou les ajourner. En toute chose, on n’a pour but que de gagner du temps.

Le premier expédient, c’était, comme les journaux l’ont révélé, de présenter un projet de loi et de nous dire : « Rejetez-le, je n’y tiens pas. » Mais on s’est souvenu que cette comédie avait été jouée une première fois, lors de la loi du jury ; comme l’impression en était encore trop récente, on n’a pas osé la renouveler. On a imaginé alors de chercher dans le texte de la convention un moyen de chicane pour ruiner le contrat.

Je me permets de vous arrêter sur cette matière, parce qu’elle caractérise admirablement l’esprit du ministère dans les affaires administratives. La convention disait :

« Art. 1er. Le gouvernement s’engage à soumettre à la législature, avant le 31 décembre 1844, un projet de loi qui l’autorise à garantir à la compagnie belge de colonisation un minimum d’intérêt de 3 p.c. l’an, et 1 p.c. d’amortissement d’un capital de 3 millions de francs au plus et à emprunter par la compagnie à la suite du vote de la loi. »

Le gouvernement s’engageait donc à présenter un projet de loi qui garantit l’intérêt d’un capital de 3 millions.

L’art. 2 portait :

« Le mode et les conditions de l’emprunt, les sûretés et les gages que la compagnie aura à fournir à l’Etat, feront l’objet d’une convention spéciale. »

Pour tout homme sincère, pour tout homme de bonne foi, que signifie ce second article ? Il signifie que, lorsque la loi aura été votée, le gouvernement et la compagnie s’entendront sur l’exécution. Que fait le gouvernement ? Il prétend que, d’après cet article, la compagnie devait lui fournir les gages et les sûretés, avant qu’il présentât le projet de loi à la chambre, et qu’elle ne l’a pas fait.

Quoi ! le gouvernement engage sa signature, il promet de présenter un projet de loi, il donne du crédit à la société, il engage par là des tiers à lui prêter, et il ne sait pas si elle peut lui offrir les sûretés et les gages dont il a besoin ! Cinq mois après qu’il a invité les communes et les bureaux de bienfaisance à prendre des actions de la compagnie de colonisation, le gouvernement ne connaît pas la situation des affaires de la société. Et la convention devient un contrat dans ce genre-ci :

« Art. 1er. Je m’engage à être votre caution.

« Art. 2. Il me reste cependant à examiner un autre jour si vous êtes solvables. »

Ainsi, messieurs, avec cette interprétation le gouvernement était toujours libre de se dégager ; il lui était toujours permis de dire : « Les gages et les sûretés que vous m’offrez, ne me suffisent pas. » Le gouvernement avait fait une convention qui n’était que pour la forme, une convention qui devait bien compromettre des tiers, mais qui ne le compromettait, lui, en aucune façon.

Ce subterfuge, il faut le dire, est de plus grossiers. Je ne crois pas qu’une seule maison industrielle honorable voulût signer une convention interprétée dans ce sens-là. C’est le gouvernement qui s’abaisse à la réputation et aux actes d’un mauvais payeur aux abois ; des tiers qui ne connaissent pas tel ou tel ministère, qui ne connaissent que la confiance qui s’attache aux actes financiers du gouvernement, devaient croire qu’il y avait là un acte sérieux ; que non-seulement le ministère tiendrait sa parole de présenter un projet à la chambre, mais encore qu’en signant un pareil engagement, le ministère avait quelque certitude morale que la majorité de la chambre était disposée à le ratifier ; c’est ce qu’ont dû croire les capitalistes belges, c’est ce qu’on a dû croire en Angleterre. On dit : quand un ministère donne sa signature, il la donne honorablement, et avec l’intention de lui faire honneur.

On a dit que l’acte n’aura pas de suite pour le trésor, et que dès lors il ne faut plus s’en occuper. C’est ce qu’on a dit aussi de l’arrêté qui a été adressé aux communes et aux bureaux de bienfaisance, et qui n’a pas amené de souscriptions.

Je dirai qu’indépendamment des suites que l’acte peut avoir pour le trésor, ce qui nous importe, c’est la moralité du fait, c’est l’honneur du gouvernement qu’il a compromis.

D’ailleurs, l’acte n’aura-t-il pas de suite pour le fisc ? La compagnie y a-t-elle renoncé ? Dans ce moment, elle n’est peut-être pas pressée de voir exécuter la convention ; elle a ses raisons pour cela ; mais la compagnie tient-elle l’acte pour nul ? Si le ministère avait présenté le projet de loi, la chambre pouvait le rejeter, et tout était dit : alors il n’y avait plus d’autres conséquences pour le trésor. Mais aujourd’hui, le ministère a refusé de remplir une promesse écrite ; et qui vous dit que le gouvernement n’aura pas à subir un procès de ce chef ? Qui vous dit qu’on ne l’attaquera pas en dommages-intérêts, parce qu’il n’a pas rempli sa promesse ?

La convention, dit le ministre, est nulle, et de son chef, de sa seule autorité, il est venu nous déclarer ici la nullité d’un contrat signé par deux parties. Messieurs, le ministre s’est même exprimé avec une telle assurance que j’ai cru un instant qu’il allait demander, comme dans une occasion antérieure, l’insertion de ses paroles au procès-verbal, et pour la véracité les deux déclarations se seraient ressemblé. Le lendemain, la compagnie est venue protester contre les paroles de M. le ministre de l'intérieur ; elle est venue déclarer que l’acte n’était pas nul ; et parce ceux qui ont protesté, figure un des honorables membres qui accordent leur appui au ministère.

Où le ministre a-t-il puisé le droit de déclarer la déchéance de la compagnie ? Où y a-t-il, dans la convention, un terme stipulé pour les garanties que la compagnie devait donner ?

Le ministère dit : Il y a nullité, parce que la compagnie n’a donné ni gages ni sûreté avant le 31 décembre. En supposant que vous ne connussiez pas ces garanties, où était-il stipulé que ces garanties devaient vous être livrées antérieurement à la présentation du projet de loi que le gouvernement s’était positivement engagé à présenter avant le 31 décembre ?

(page 603) Il est si peu vrai que le contrat n’acquerrait de valeur qu’après la convention sur le mode d’emprunt et les garanties que, d’après l’art. 3, les livres de la société, sa situation, doivent être arrêtés le jour même de la signature de la convention.

D’après l’art. 4, la compagnie ne peut plus étendre ses opérations, à partir du jour de la signature de la convention, sans l’assentiment du gouvernement.

Eh bien, si la convention ne devenait obligatoire pour le gouvernement que du jour où la compagnie aurait ultérieurement fourni les garanties, quel intérêt avait-on à connaître, à arrêter la situation de la compagnie, le jour même de la signature de la convention ?

Vous ne deviez la connaître qu’au moment où vous auriez à apprécier les garanties et les sûretés. Si vous n’étiez pas liés, pourquoi arrêter les comptes, contrôler les opérations du jour de la signature de la convention ? Vous ne deviez contrôler que du jour où vous exécutiez la convention. D’ailleurs, le gouvernement a exécuté une partie de la convention depuis la signature ; son délégué siège dans le conseil, prend part à toutes les délibérations sur les opérations de la société. Le gouvernement exerce son droit de contrôle sur les opérations ; car il y a des entreprises qu’elle a suspendues, parce que le gouvernement lui a imposé des conditions qu’elle n’a pas voulu accepter.

Une vente de lots a eu lieu postérieurement à la convention ; le gouvernement l’a autorisée ; il n’a pas exigé l’annulation de la convention pour autoriser cette opération.

Au reste, cette opération ne paraît pas avoir pu empirer la position de la compagnie ; car elle a échangé des lots de terre d’une valeur plus ou moins problématiques contre des capitaux.

Les garanties, d’ailleurs, le gouvernement devait les connaître avant de signer ; il est impossible qu’il eût pris l’arrêté à l’égard des communes et des bureaux de bienfaisance, sans s’être enquis auparavant de la situation de la compagnie.

Ces garanties, d’ailleurs, chacun peut imaginer ce qu’elles sont. Une compagnie de colonisation, quelles sont ses propriétés ? Les forêts qu’elles possèdent dans le Nouveau-Monde, son capital social moins les dépenses faites. Elle a offert ce qu’elle avait ; que pouvait-elle offrir de plus ? Le principal avoir d’une pareille compagnie est une appréciation en quelque sorte morale, c’est l’avenir de son entreprise. Le gouvernement devait savoir cela avant de signer. Mais a-t-il demandé à la compagnie de lui fournir des garanties avant le 31 décembre ? A-t-il indiqué celles qu’il voulait ? A ce sujet, je demande que le ministère veuille bien déposer la correspondance de la compagnie avec le gouvernement, pour que nous connaissions les pièces.

La compagnie nous a écrit qu’elle n’a pas renoncé à la convention. Je crois que le gouvernement tenait beaucoup à ce qu’elle y renonçât ; et qu’il tenait si peu la convention pour nulle que si elle avait voulu renoncer à la convention, certaines décorations promises, sur lesquelles un embargo provisoire est mis, seraient probablement accordées aujourd’hui.

Messieurs, vous le voyez, ce n’est plus seulement manque de foi dans les affaires politiques, c’est manque de foi dans les affaires d’argent, dans des affaires où les fortunes particulières sont engagées. Par une aussi misérable conduite, le gouvernement fait descendre sa signature au niveau de celle du gouvernement espagnol dans ses plus mauvais jours.

Est-ce, messieurs, assez de fautes, assez d’actes coupables dans une seule affaire ? La dignité, la droiture, sont-elles assez froissées ? Y a-t-il des exemples chez nous d’un pareil enchaînement de pareils faits ? Est-ce, messieurs, sur de telles traditions administratives que nous voulons fonder la nationalité belge ? Y a-t-il un seul membre dans cette enceinte qui consente à accepter hautement la solidarité de la conduite du gouvernement dans cette affaire du Guatemala ?

Je défie le gouvernement de se justifier sur cette affaire, et je dis qu’il est impossible qu’un ministère qui a posé de tels actes puisse y survivre, une fois qu’ils ont été dénoncés à la tribune.

Je passe à la politique extérieure, et j’ai promis de me borner à une seule affaire ; je veux parler des rapports du gouvernement avec la Prusse et le Zollverein.

Le gouvernement avait étendu à l’Allemagne un arrêté abaissant les droits sur les vins et les soieries, dont la réduction avait été accordée à la France. Des réclamations s’élevèrent dans cette chambre contre cette extension ; on blâma le gouvernement d’avoir accordé cette concession à l’Allemagne, sans compensation. Comment se défendit le gouvernement ? Il soutint que la mesure était indispensable à nos négociations avec la Prusse, que sans cela il y aurait eu rupture avec la Prusse. Il soutint tout cela et quelque temps après il retira l’arrêté.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il ne retira pas ; mais il ne renouvela pas.

M. Devaux – Il ne renouvela pas l’arrêté. Dans son texte, il est vrai, il était temporaire, mais que devinrent les motifs que le gouvernement avait donnés pour le maintien de cet arrêté ? De deux choses l’une : ou le ministère n’avait pas dit la vérité à la chambre, ou il faisait une immense faute en ne renouvelant pas l’arrêté ; et il le laissait tomber au moment où la Prusse allait être mise en état de négocier un traité avec nous, au moment où elle allait élever son tarif sur les fontes et où la Belgique pourrait obtenir un droit différentiel, un droit moindre que les autres Etats. C’est ce moment que le gouvernement choisit pour laisser tomber l’arrêté sur les vins. La Prusse s’irrite, elle impose une surtaxe à nos fers, au lieu de les privilégier. Le gouvernement belge, que fait-il de son côté ? Il prend fièrement des mesures de représailles ; il décrète que les pavillons prussiens payeront un droit extraordinaire de pavillon et de pilotage, et qu’à Anvers, le péage de l’Escaut ne leur sera plus remboursé comme aux vaisseaux des autres nations. Il y avait bien de l’imprévoyance dans ces représailles ! Comment allaient-elles finir ? Dès que cette hostilité fut déclarée, le ministère belge fut à la discrétion de la Prusse, car il lui fallait un traité à tout prix ; on eut hâte d’accepter tout ce que la Prusse offrait depuis longtemps. On abandonna tout le reste. On concéda tout ce que la Prusse demandait, même ce qu’elle n’avait pas demandé jusqu’alors, pour sortir d’affaire, pour pouvoir aborder les chambres, un traité à la main.

On a dit qu’on s’était servi des droits différentiels pour obtenir ce traité. Mais il a été démontré que tout ce qu’on avait obtenu avait été offert antérieurement. La loi des droits différentiels était un moyen de négociations, un moyen puissant, mais on ne s’en est pas servi, on n’en a pas tiré parti, car la Prusse n’a rien donné en compensation des avantages indirects que lui donnait notre loi des droits différentiels. On nous reproche d’avoir dit que c’était un fait heureux, à certains égards, que le traité avec le Zollverein. Sans doute, c’est un fait heureux de se rapprocher de ses voisins, mais ce fait on pouvait l’obtenir depuis longtemps. Depuis longtemps on pouvait faire avec la Prusse un traité de navigation, qui multipliât nos relations avec la Prusse ; mais ce traité de navigation le gouvernement n’en avait pas voulu, parce qu’il sentait les grands avantages qu’il avait pour la Prusse ; il voulait obtenir des compensations commerciales. Que le fait du rapprochement de la Belgique du Zollverein soit heureux, cela ne prouve pas qu’il fallût l’acheter à tout prix, que la négociation ait été bien conduite, qu’on ait obtenu tout ce qu’on pouvait obtenir. La négociation a laissé tant à désirer, que la disposition principale du traité relative à nos fontes n’avait pas été étudiée.

On est depuis convenu qu’on ne savait s’il était ou non de l’intérêt de la Belgique que ses fontes pussent entrer en Prusse par le Rhin au droit réduit.

On a si mal négocié qu’on avait stipulé certaines dispositions, desquelles il ressortait que les vaisseaux prussiens seraient traités dans nos ports plus favorablement que les vaisseaux belges.

Messieurs, sous le rapport moral, au prix de quelles humiliations avons-nous obtenu ce traité ? Le gouvernement a été blessé dans ce qu’un homme d’honneur a de plus sensible ; il a subi de la part du ministre de Prusse une double accusation de manque de foi. Le ministre de Prusse l’a accusé d’avoir manqué de foi envers lui-même et envers la chambre, car il a dit que les arrêtés sur les vins qui, par la forme extérieure, étaient temporaires aux yeux de la chambre, en réalité, d’après des conventions verbales, devaient être considérés comme permanents. Bien plus, le gouvernement n’a pas osé repousser avec quelque dignité une pareille accusation, et quand le gouvernement prussien lui a dit qu’il manquait à un engagement verbal aussi sacré qu’un engagement écrit, il a répondu par une déplorable phrase où il semble dire que sa parole à lui, gouvernement belge, n’est rien quand elle n’est pas écrite.

On a consenti, pour fléchir le ministre étranger, d’abord à négocier par une personne interposée. Ensuite, quand il a fallu paraître en présence du négociateur prussien, on s’est abaissé jusqu’à demander pardon des représailles auxquelles on avait eu recours ; on s’est engage, par écrit, à les retirer, avant que le traité fût soumis à la ratification du roi de Prusse, et sans que le roi de Prusse prît, de son côté, aucun engagement semblable.

Le traité qui fut signé le 1er septembre n’était exécutoire qu’au 1er janvier ; il ne devait être ratifié que six semaines après le 1er septembre ; la Belgique s’engage dans le traité à retirer, avant le 10 décembre, et par conséquent avant la ratification, toutes les mesures de représailles ; la Prusse ne s’engage dans le traité à rien de semblable ; elle reste libre de faire tout ce qu’elle jugera convenable : c’est-à-dire que du 1er au 8 septembre, la Belgique est restée à genoux devant la Prusse, demandant pardon des mesures qu’elles avait prises. Ce n’est que le 8 ou le 9 décembre que la Prusse a bien voulu la relever, jugeant sans doute qu’elle était assez punie, et alors, de son côté, elle a librement retiré la surtaxe dont elle avait frappé subitement nos fers.

Devant un pareil fait, à la chambre des communes, en Angleterre, à la chambre des députés, en France, il n’y aurait qu’une opinion ; toute division d’opinion cesserait ; en Angleterre, il n’y aurait que des Anglais, en France, il n’y aurait eu que des Français pour condamner un acte si déplorable et le ministère qui l’aurait posé.

Ce n’était cependant pas encore assez de déconsidération pour le pouvoir dans cette affaire. Il fallait que les incidents de la discussion vinssent y ajouter encore.

Vous avez entendu un ministre venir vous déclarer solennellement que l’art. 19 du traité serait exécuté dans le sens que nos fers et nos fontes entreraient par le Rhin, et demander spontanément que cette déclaration fût insérée au procès-verbal.

Quand des doutes ont été soulevés, quand on a précisé la question, quand on a interpellé le ministère, qu’avons-nous reconnu ? Qu’il n’avait aucun élément de certitude, que sa déclaration manquait complètement de base ; qu’il n’avait d’autre espoir que dans le résultat et les éventualités d’une négociation toute nouvelle.

On a eu beau se réfugier dans le comité secret, le comité secret n’a servi qu’à faire ressortir l’édifiante moralité de l’acte ; car c’est alors que nous avons vu les collègues de M. le ministre de l'intérieur le démentir, et faire tous leurs efforts pour se dégager de cette solidarité qu’ils réclament un peu tardivement aujourd’hui dans la question du budget de l’intérieur ; comme si on n’était arrivé à reconnaître qu’après avoir vainement essayé de se sauver de l’isolement. Mais qu’a fait la chambre ? Elle a refusé de donner acte aux ministres de toutes ces explications ; elle a refusé (page 604) de tenir procès-verbal du comité secret ; elle s’en est tenue à la déclaration insérée au procès-verbal.

On a été jusqu’à implorer en quelque sorte notre pitié. Le gouvernement s’est senti si coupable, que c’est à la commisération personnelle de chacun des opposants qu’il s’adressait. La pitié ! nous en avons pour les hommes ; mais nous ne pouvons en avoir pour le pouvoir : le pouvoir vit de dignité et de considération et non de pitié.

M. le ministre des travaux publics a essayé de rapprocher un pareil fait d’un autre fait qui s’est passé il y a treize ou quatorze ans. Il a trouvé une analogie à ce fait dans une discussion qui a eu lieu au Congrès sur le sens d’un traité, discussion dans laquelle un membre avait émis des conjectures fondées sur des bases qu’il livrait à la discussion.

Est-ce ainsi qu’a agi M. le ministre de l'intérieur ? Il a garanti sa déclaration, non pas par des motifs qu’il a développés, mais par des raisons qu’il a tenues secrètes, et que nous devions croire certaines ; il n’a pas indiqué les éléments de son opinion ; il nous a garanti l’interprétation comme un fait certain.

D’ailleurs, les prévisions de 1831, auxquelles on a fait allusion, il a été impossible de les vérifier en fait, puisque le traité qu’on discutait à cette époque n’a jamais été exécuté.

Le ministère a cherché ensuite à obtenir, par une convention nouvelle, ce qui réellement n’était pas dans l’art. 19 du traité ; on a demandé grâce au gouvernement prussien, on l’a supplié de tirer le ministère belge de ce mauvais pas. Le ministère belge s’est trouvé encore une fois à genoux devant l’étranger. Le gouvernement belge lui a fait dédaigneusement grâce autant qu’il le pouvait.

Toutefois, le ministère belge n’est pas encore relevé à l’heure qu’il est ; il est à genoux devant dix-sept Etats de l’Allemagne, dont il invoque la commisération.

Il est vrai que, depuis le récent ajournement de la chambre, on a découvert un thème nouveau. Quand le gouvernement a fait la déclaration, insérée au procès-verbal, il voulait, disait-il, rendre sa position diplomatique plus forte ; il comptait sur un comité secret ultérieur pour nous expliquer ce stratagème. C’est une invention nouvelle, aussi vraie que l’autre. On a fait un appel aux députés de Liége. Qu’ont-il répondu ? Oui, vous nous avez parlé dans des conversations particulières d’explications à donner en comité secret mais c’était avant votre déclaration. Quand vous l’avez faite, nous n’avons pas pensé qu’il pût encore être question de comité secret. Le comité secret, qui l’a proposé ? On a laissé s’écouler quatre jours après la déclaration ministérielle. Ce n’est que quand j’ai interpellé formellement le ministre qu’il a, après avoir essayé de répondre en public, réclamé le comité secret, en désespoir de cause.

Je le répète, la chambre n’a pas accueilli les explications qu’il a données en comité secret ; elle a refusé d’en dresser procès-verbal.

On a voulu rendre sa position plus forte, et c’est dans cette intention qu’on a posé un acte qui déconsidérait de plus en plus le gouvernement devant l’étranger ; car le gouvernement prussien savait la vérité ; il savait qu’on trompait la chambre. Le ministère belge, qu’il avait déjà accusé d’un double manque de foi, a dû, par ce fait, se faire une forte position dans son estime. Elle est forte, la position du ministère, pour toutes les négociations qu’il peut désormais entreprendre ! Il s’est désormais mis dans l’impossibilité de négocier sur un pied quelque peu digne, soit avec la Prusse, à qui il a demandé grâce, soit avec les autres Etats de l’Allemagne ; sa position n’est pas beaucoup meilleure à l’égard de la Hollande, car il a pris avec elle des engagements secrets que la chambre n’a pas voulu reconnaître. Quant à sa position avec la France, il a conclu, l’été dernier, une convention avec elle. Les journaux en ont révélé l’existence ; ceux de Belgique l’ont blâmée à l’avance, et il paraît qu’on n’a pas osé la maintenir, et qu’on a été réduit à supplier la France de la regarder comme non avenue.

La position du ministère, on la voit forte vis-à-vis de la diplomatique étrangère ; on peut dire qu’il en est la risée, et je me sers d’une expression affaiblie.

Messieurs, je me suis livré à l’examen de bien peu d’actes du ministère ; et vous avez vu ce qui en est sorti. Récapitulons :

Dans la loi du jury d’examen : manque de foi envers la majorité ; manque de foi envers la minorité ; manque de foi des ministres entre eux ;

Dans la loi des tabacs : manque de foi envers le commerce ;

Dans les négociations avec l’Allemagne : manque de foi envers l’étranger, manque de foi envers la représentation nationale ; humiliation du pays devant la Prusse et dix-sept Etats de l’Allemagne ;

Dans l’affaire de Guatemala, manque de foi envers les communes et envers les pauvres ; manque de foi envers la compagnie ; manque de foi envers les colons ; manque de foi envers les capitalistes belges ; manque de foi envers les capitalistes étrangers ; le crédit, la signature du gouvernement belge compromis.

Acceptez donc, messieurs, la solidarité de pareils actes, pour vous, pour votre opinion, pour le pays ! Par un vote solennel, consentez à envelopper l’honneur de la Belgique, celui de la chambre, l’honneur de votre parti, votre honneur politique personnel, dans cette déconsidération déplorable où nous reconnaissons tous, en âme et conscience, que le ministère est tombé. Devant l’honneur du pays compromis, devant les lois de la probité politique froissées, il ne doit y avoir qu’un seul sentiment entre les Belges ; un sentiment dont aucune opinion ne peut consentir à laisser le monopole à l’autre. Il ne peut y avoir entre les partis qu’une généreuse émulation, pour rejeter loin d’eux cette responsabilité.

Le cabinet voudrait qu’il en fût autrement ; il voudrait nous voir divisés sur des questions d’honneur et de moralité. Déjà trois ministres ont successivement fait des efforts dans cette discussion pour passionner l’un contre l’autre les deux côtés de la chambre. Tout à l’heure on va continuer le même rôle. Faux apôtres de la conciliation, vous secouez les torches de la Discorde !

Un ministère qui se compose d’éléments, si harmonieusement combinés entre eux, est semblable, sans scandalisé, sans doute, d’avoir à lutter contre une opposition si peu homogène. Il voudrait le rapprochement des partis à son profit ; il n’en veut plus, si c’est contre lui que les opinions réunissent leurs efforts.

M. le ministre des travaux publics peut le croire, les divers opinons de cette chambre n’ont pas mis leur drapeau sous leur banc. Il n’y a pas ici de coalition ; il n’y a pas de convention ; et surtout, ce qui peut étonner certains hommes, on n’a pas stipulé le prix de la victoire. Vous avez parlé d’intrigue ; et de quel côté, je vous prie ? Serait-ce du nôtre ? le temps serait bien choisi ! Les deux hommes que vous n’avez cessé d’accuser de vous faire une guerre de portefeuille, relèvent à peine d’une longue maladie qui ne leur permet pas même de songer à recueillir votre héritage. Vous ne pouvez les craindre. Ce n’est donc pas de notre côté que vous craignez la guerre de portefeuille. Vous accusez donc d’intrigue le côté de la chambre auquel vous vous vantez d’appartenir ?...

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – J’ai dit le contraire.

M. Devaux – Ce n’est pas vous qui avez dit le contraire, mais c’est un autre membre qui vous a réfuté à l’avance ; un membre qui a soutenu le ministère et qui a soutenu qu’on manquait de candidats-ministres. Mais si l’on manque de candidats-ministres, où donc est l’intrigue qui veut renverser le ministère ?

Messieurs, notre devoir à nous, c’est de sauver le pays du régime sous lequel il vit dans ce moment. Tout changement, qui nous sortira de cette atmosphère est à nos yeux un progrès.

Si, messieurs, nous en croyions MM. les ministres, ils seraient éternels sur leurs bancs ; car ils nous effrayent tous successivement des suites de leur chute. Avec ce raisonnement, messieurs, nous devrions tout souffrir. Le pouvoir ne devrait donc plus nous rendre compte de rien. Il n’y aurait donc plus aucune faute qui entraînât une répression.

Sommes-nous, messieurs, si pauvres en hommes, que les deux chambres n’aient pas de quoi remplacer les capacités du cabinet ? La chambre n’a fourni au ministère que trois hommes ; les autres n’y sont pas rentrés par la chambre ; au contraire, ils sont arrivés à la chambre par le ministère. La chambre est-elle incapable de fournir désormais un aussi faible contingent ? En vérité, je n’ai pas, quant à moi, si mince opinion des diverses nuances d’opinion qui composent la représentation nationale.

Oui, il y a des opinions divergentes qui s’unissent ici contre vous, parce que le gouvernement froisse un sentiment commun à toutes les opinions, parce que personne ne fait plus au ministère l’honneur de le considérer comme le représentant d’une opinion, parce qu’il y a, pour la chambre, un sentiment supérieur à la division des partis, parce que tous nous sommes Belges, parce que nous sommes amis de la moralité politique. ? Un lien qui unit vos adversaires, c’est le dégoût de la duplicité, c’est l’indignation que nous inspire l’abaissement du pouvoir ; c’est une espèce d’aspiration commune vers une atmosphère plus pure. La chute du ministère sera le triomphe de la loyauté politique et la défaite de la ruse et de la politique d’expédients. Quelle opinion droite et sincère peut redouter ce résultat ?

Qui peut dire, messieurs, si le ministère devait durer encore, jusqu’où le pouvoir conduirait le pays ? Voyez quel progrès il a fait. D’un expédient on est conduit à l’autre. Je vous le disais tout à l’heure, du matin au soir, on ne rêve que d’expédients. C’est devenu une espèce de manie : on en met partout, même sans utilité, et chaque jour, par cette habitude, on devient plus facile sur les moyens. On est sur une pente où l’on se laisse entraîner ; où, chaque année, je dirai presque chaque mois, on descend plus bas que le mois précédent. M. le ministre de l'intérieur lui-même n’a pu prévoir jusqu’où il irait. Si on lui avait dit, lors de son entrée au ministère, qu’il se conduirait devant la chambre, comme il l’a fait pour la loi du jury, il ne l’aurait pas cru, et il aurait été sincère.

Si on lui avait dit, il y a deux ans seulement, qu’il ferait la convention de Guatemala, et qu’il lui donnerait l’interprétation qu’il voudrait lui donner aujourd’hui, il ne l’aurait pas cru, et il aurait été sincère.

Si on lui avait dit, il y a un an, qu’il serait venu faire ici à la chambre une déclaration fausse, et qu’il en aurait demandé spontanément l’insertion au procès-verbal comme pour ôter tout doute à sa véracité, il ne l’aurait pas cru et il aurait été sincère.

Si on lui avait dit qu’il serait descendu jusqu’à venir invoquer la pitié de l’opposition, oh ! il ne l’aurait pas cru, et il aurait été sincère.

Messieurs, que sera-ce dans un an ? qui peut nous en répondre ? En renversant le ministère, je dis que nous sauvons M. le ministre de l'intérieur de lui-même, car il a eu le malheur de s’associer à des collègues qui ne sont pas assez puissants pour le retenir. S’il continue, et il ne peut pas changer, il est condamné à persister dans la même voie, il perdra le pouvoir ; il finira par perdre le pays. Il perdra tous les hommes d’avenir auxquels il pourra toucher, et il sera la première victime !

Messieurs, que ceux qui ne croient pas que le pouvoir est descendu assez bas, votent pour le ministère qu’ils acceptent la responsabilité de ses actes dans le présent et dans l’avenir, et que le pays salue un parti nouveau sur la bannière duquel le ministère aura écrit : La moralité est le petit côté des pouvoirs politiques et de leurs actes !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, j’attendais depuis (page 605) longtemps l’honorable membre, je l’attendais comme un adversaire politique, disposé, obligé de donner à la discussion soulevée devant vous, toute sa portée. Au lieu de s’élever jusque-là, il a appelé votre attention sur trois actes spéciaux, laissant de côté la question politique, invoquant devant vous un grand mot qui est aussi un grand mot pour moi : la moralité.

Sans doute, messieurs, il ne doit pas suffire à un ministère d’être d’accord avec une majorité parlementaire sur le système politique ; il faut encore que ce ministère ne commette pas de fautes, telles qu’il rende son maintien impossible, dût peut-être même le système politique être compromis ! Ce système politique, que l’honorable membre passe sous silence aujourd’hui, nous verrons pourquoi, ce système politique, je le discuterai plus tard ; je me dois à moi-même, je dois à mes collègues, je dois à l’assemblée d’aborder immédiatement les trois faits spéciaux qui vous ont été signalés.

Il ne s’agit pas, messieurs, de faire prendre ici le change par ce grand et respectable mot de moralité. Dans une autre occasion, vous vous le rappellerez peut-être, messieurs, l’honorable préopinant a aussi invoqué au dernier moment, ce grand mot : vous savez ce qui en est advenu.

L’honorable membre a discuté trois faits spéciaux ; d’abord, la conduite du ministère avant et depuis le traité du 1er septembre ; en second lieu, les rapports du gouvernement avec la société de colonisation ; en troisième lieu, la conduite du ministère dans ses rapports avec la chambre lors de la question du jury universitaire.

L’honorable membre, vous l’aurez remarqué, ne s’attache jamais aux événements considérés en eux-mêmes, il n’examine jamais les textes pris en eux-mêmes. Il y a toujours pour lui quelque chose en dehors des textes officiels. A mon tour, ne pourrais-je pas dire qu’il y a un manque de foi, lorsqu’au lieu de considérer les faits en eux-mêmes, les textes en eux-mêmes, on suppose qu’au-delà des textes, au-delà des événements, des intentions que rien ne peut justifier, des intentions qui reposent sur l’appréciation la plus mauvais du cœur humain ? La moralité politique et privée, la bonne foi politique et privée exigent que l’on considère les textes en eux-mêmes, les événements en eux-mêmes, et ne vous autorisent pas à supposer autre chose que les événements considérés en eux-mêmes, que les textes considérés en eux-mêmes, à moins que vous n’ayez des preuves contraires et des preuves réelles.

Les hommes politiques se jugent d’après les actes politiques et pas autrement. Si les actes politiques ne suffisent pas, il faut produire des preuves et autre chose que des suppositions.

Après ces réflexions générales sur la moralité dans la vie politique comme dans la vie privée, examinons, messieurs, les trois actes spéciaux qui vous sont dénoncés.

Je commence par le dernier.

On vous a dénoncé la conduite du gouvernement dans ses rapports avec l’Allemagne, avant et depuis le traité du 1er septembre 1844.

Un arrêté, en date du 28 août 1842, avait étendu à l’Allemagne les avantages faits à la France, par la convention du 16 juillet 1842. Cet arrêté, dit l’honorable membre, vous l’avez révoqué. C’est encore une fois, messieurs, perdre de vue les faits, les textes. Cet arrêté était conditionnel dans sa rédaction ; il est resté conditionnel dans son exécution, et vous n’avez pas le droit de venir dire que cet arrêté était indéfini pour le gouvernement belge.

L’arrêté du 28 août 1842 accordait à l’Allemagne le bénéfice de la convention du 16 juillet pour dix mois, en attendant le résultat des négociations ouvertes. C’est ce que porte le texte et pour nous, il n’y a pas autre chose que le texte ; nous sommes restés fidèles au texte, tel qu’il a été publié et communiqué aux chambres belges.

L’arrêté a été deux fois renouvelé et toujours avec son caractère provisoire et conditionnel.

La première fois il a été renouvelé depuis le 1er juillet 1843 jusqu’au 1er novembre 1843, en vertu de l’arrêté royal du 27 juin 183 ; il a été renouvelé une dernière fois jusqu'au 31 mars 1844, en vertu de l’arrêté royal du 5 novembre 1843. Il l’a toujours été conditionnellement, il l’a toujours été dans l’attente du résultat des négociations ouvertes avec l’Allemagne. Ce résultat ne s’étant pas produit, le terme est venu à expirer, le 31 mars 1844 sans qu’il y ait eu prorogation nouvelle. Voilà les faits pour vous et pour nous, il n’y en a pas d’autres ; si l’on a conçu d’autres espérances, si l’on a pensé que, devant la crainte de représailles, le gouvernement belge reculerait et accorderait de nouveau gratuitement et indéfiniment peut-être l’application du bénéfice de la convention du 16 juillet, on s’est trompé : nous ne sommes pas responsables des espérances que d’autres peuvent concevoir ; nous ne sommes pas responsables des déceptions auxquelles on peut s’être exposé.

Les négociations avec l’Allemagne étaient ouvertes ; nous avons malheureusement reconnu que ces négociations resteraient stériles. Nous l’avons reconnu ; vous savez pourquoi nous avons subi les effets de la position prise par la Belgique par tous les gouvernements qui se sont succédés en Belgique depuis 1830. Vous aviez, sans condition, accordé à l’Allemagne tous les avantages de navigation, beaucoup d’avantages de commerce ; vous aviez, en autorisant le gouvernement à rembourser le péage de l’Escaut, accordé ce remboursement à l’Allemagne, sans compensation. En 1839, lorsque vous avez été forcé d’abandonner deux moitiés de province, vous n’aviez vu dans la loi du 6 juin 1839 qu’une question de sentiment ; et en votant cette loi, vous n’y aviez mis pour condition aucune compensation matérielle. Enfin, en 1842, le gouvernement avait cru, pour continuer les négociations avec l’Allemagne, devoir étendre à l’Allemagne les avantages stipulés par la convention du 16 juillet en faveur de la France ; mais cette fois, et c’était la première fois, cette fois le gouvernement belge y a mis une condition et un terme ; cette fois il a annoncé que si un traité n’intervenait pas, l’arrêté du 28 août viendrait à tomber. C’est la première fois qu’on prenait cette position à l’égard de l’Allemagne. J’ai déjà eu l’honneur de dire à la chambre que le statu quo, aussi longtemps qu’il existe, n’est pas apprécié. Nous avons reconnu qu’il fallait nous exposer à une crise avec l’Allemagne ; nous avons reconnu qu’il fallait nous exposer à la nécessité, très-dangereuse peut-être, très-compromettante pour nous, de faire cesser le statu quo. La position que vous aviez alors à l’égard de l’Allemagne, vous l’avez encore à l’égard d’autres puissances. J’en ai déjà signalé quelques-unes. Croyez-vous, par exemple, que si vous pouviez révoquer l’arrêté du 21 juillet, par lequel la Belgique a accordé aux Etats-Unis d’Amérique, tout le bénéfice de la loi des droits différentiels, croyez-vous que vous ne feriez pas un excellent calcul, en courant néanmoins toute les chances auxquelles on s’expose quand on veut arriver à une position meilleure ? Vous y arriverez peut-être ; les Etats-Unis refuseront peut-être d’acheter le statu quo qu’on leur a provisoirement accordé par l’arrêté du 21 juillet. Le ministère actuel ou un autre ministère acceptera cette nécessité de devoir faire cesser le statu quo accordé provisoirement dans notre pensée aux Etats-Unis d’Amérique. C’est ainsi qu’on arrive à des résultats ; on n’y arrive pas en jouant toujours à coup sûr, en restant dans une position à laquelle les puissances étrangères n’attachent aucun prix, parce qu’elles pensent que vous n’oserez pas en sortir.

Etait-ce là, messieurs, s’humilier, que de faire cesser vis-à-vis de l’association allemande le statu quo dont elle jouissait depuis plus de 14 ans, et qui avait été successivement renforcé le plus souvent sans conditions, et une seule fois avec une condition et avec un terme ? était-ce là de l’humiliation ?

On ne s’attendait pas peut-être à des représailles de la Belgique ; on en s’attendait pas à cet acte de fermeté. C’est peut-être pour cela qu’on avait conçu tant d’espérances ; c’est peut-être pour cela qu’on avait espéré que l’arrêté du 28 août ne viendrait jamais à tomber.

Le statu quo avec l’Allemagne est donc venu à cesser, et très-heureusement. Il le fallait pour arriver aux résultats que nous avons obtenus. L’Allemagne a usé de représailles ; nous avons répondu par des représailles ; nous avons répondu par l’arrêté du 28 juillet. L’Allemagne aurait pu alors prendre une autre position ; elle aurait pu dire : Je ne traiterai avec la Belgique que si l’arrêté du 28 juillet est révoqué ; je ne traiterai avec la Belgique que quand les actes de représailles qu’elle a posés seront venus à cesser. C’est ce que l’Allemagne n’a pas fait.

La position prise par la France et l’Allemagne, à la suite de la convention du 16 juillet, ne s’est pas renouvelée. (Interruption.)

C’est un fait qu’on perd toujours de vue qu’à la suite de la convention du 16 juillet, le Zollverein a pris des mesures exceptionnelles contre la France. Des mesures exceptionnelles auraient également été prises contre nous, dès 1842, si la faveur relative aux soieries et aux vins n’avaient pas été étendue à l’Allemagne. Lorsque cette faveur est venue à tomber, en 1844, ces mesures ont été seulement prises.

Le traité du 1er septembre a été conclu. L’Allemagne a consenti, par ce traité, à payer à peu près tout ce qu’elle avait gratuitement depuis 14 ans. Voilà, messieurs, le véritable point de vue où il faut se placer pour expliquer, pour apprécier les événements.

Le traité du 1er septembre, dit l’honorable membre, est un événement heureux. Il continue à le qualifier de la sorte, mais il a été amené par des événements déplorables. Je viens d’expliquer ces événements. Le traité du 1er septembre n’aurait pas été possible, si le statu quo entre la Belgique et l’Allemagne n’était pas venu à cesser momentanément. De même, vous n’aurez peut-être pas de traité avec les Etats-Unis d’Amérique, par exemple, si le statu quo ne vient pas à cesser. Il faudra du côté des Etats-Unis, accepter tous les dangers d’une crise, comme nous avons accepté tous les dangers d’une crise avec l’Allemagne.

« Le traité a été conclu avec beaucoup de légèreté ; ce qui l’atteste, c’est la rédaction de l’art. 19. » Nous avons déjà plus d’une fois déclaré à la chambre qu’il nous aurait été facile de prendre une position plus commode. Nous sommes forcés de le répéter : si nous étions des hommes aussi déloyaux que le suppose l’honorable membre ; si nous étions des hommes aussi égoïstes, nous serions venus vous dire : L’art. 19 est rédigé de manière à exclure, d’après son texte, les voies fluviales ; telle est sa rédaction ; nous ne pouvons entreprendre sous notre responsabilité une tentative pour le faire changer ; votez contre le traité si vous je jugez convenable. Voilà la position que nous aurions dû prendre, je le répète, si nous étions des hommes déloyaux, égoïstes.

M. Delfosse – C’eût été une mauvaise position.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – La position eût été mauvaise, mais nous n’aurions même pu vous la laisser ignorer. Nous n’avions pas besoin de venir dire que nous avions recours à cette position pour éviter de grands embarras. Nous serions venus soutenir que le § 1er de l’art. 19 avait pour but d’exclure les voies fluviales, et qu’il fallait continuer à les exclure. C’est ce que nous aurions soutenu. (Interruption.) Le traité du 1er septembre aurait été voté malgré cette déclaration, et s’il m’est permis de citer les députés liégeois, je dirai que tout au plus les députés liégeois se seraient abstenus ; il y aurait toujours eu, en faveur du traité, une grande, une très-grande (page 606) grande majorité. En un mot, nous pouvions maintenir la position indiquée par la section centrale, nous pouvions la maintenir devant vous, et le traité ne courait aucun danger. Eh bien, messieurs, ces hommes d’une si insigne déloyauté, ces hommes d’un si profond égoïsme ont reconnu qu’une erreur avait été commise, ont déclaré que le traité devait être rectifié ; ils ont demandé cette rectification ; ils vous ont fait connaître toute la vérité, et la rectification a été obtenue. Il a suffi que nous fissions un appel à la bonne foi des Etats du Zollverein ; cet appel, comme nous vous l’avons démontré, a été suivi du plus entier succès. Est-ce s’humilier que de faire un appel à la bonne foi ? Nous vous avons loyalement déclaré, sans songer à la position difficile où nous pouvions nous placer, mais nous vous avons loyalement déclaré sous l’empire de quelles idées on avait rédigé le § 1er de l’art. 19 ; nous avons ajouté que l’article, ainsi rédigé par nous, avait été accepté sans observation par le plénipotentiaire prussien, que dès lors il ne fallait pas s’attendre à une opposition quelconque de la Prusse, ni des autres Etats du Zollverein ; qu’il nous suffisait de faire un appel à leur bonne foi. C’est d’après toutes ces assurances qui me donnent à moi, une certitude morale, que j’ai pu dire, le 13 décembre, non pas, comme le suppose encore une fois l’honorable préopinant, que tel était inévitablement le sens de l’article 19 du traité ; mais que l’art. 19 serait appliqué de telle manière. Qu’on relise, pour s’en convaincre, la déclaration que j’ai faite le 13 décembre, et qui est consignée au procès-verbal.

Je n’ai donc pas dit que l’art. 19 avait nécessairement ce sens ; j’ai dit dans le comité secret, que la lettre du traité portait le contraire, mais que, selon l’esprit du traité, eu égard à toutes les circonstances qui avaient accompagné la signature du traité, eu égard à toutes les circonstances qui s’étaient produites depuis, l’art. 19 recevrait cette application.

D’ailleurs, ces assurances au 13 décembre avaient déjà reçu un début d’exécution, en ce sens que le commissaire du Zollverein, et le plénipotentiaire prussien, signataire du traité, s’étaient déjà adressés à leurs gouvernements, pour obtenir cette application, en l’appuyant de tous leurs efforts.

Nous nous étions toujours réservés de donner, en comité secret, toutes les explications désirables : nous l’avons fait. Longtemps on nous a soutenu qu’il n’était pas entré dans nos intentions de donner des explications en comité secret. L’honorable M. Delfosse a bien voulu déclarer que j’avais annoncé vouloir donner des explications en comité secret. Ici, encore une fois, au dire de l’honorable membre, je me suis humilié, et cette fois devant l’opposition. Eh bien, oui, messieurs, j’ai osé faire un appel à l’honorable M. Delfosse ; je ne m’humilie devant qui que ce soit, quand je fais un appel à la loyauté ; je n’hésiterai jamais à faire cet appel même à mes adversaires politiques. Croire qu’on s’humilie dans une pareille occasion, c’est supposer qu’on vous fait une grâce en se montrant vrai et de bonne foi.

Nous avons obtenu la rectification, nous l’avons obtenue telle que nous l’avions annoncée, c’est-à-dire sans compensation nouvelle; nous l’avons obtenue, comme rectification destinée à faire partie intégrante du traité.

Que craignait-on, messieurs, en décembre dernier, lorsque cette question a été soulevée pour la première fois ? Que nous disait-on ? On nous disait : Vous aurez l’application extensive, mais vous ne l’aurez pas comme rectification, vous ne l’aurez qu’en accordant des compensations nouvelles, ou bien vous ne l’aurez que comme disposition révocable à volonté par ceux qui vous l’auront accordée. Voilà ce qu’on nous annonçait. Ce thème, on est bien forcé de l’abandonner, et aujourd’hui on a recours à un thème nouveau, c’est le reproche d’humiliation, parce que nous avons obtenu ce que nous demandions.

Donc, quoi qu’il advînt, il était décidé que nous serions coupables. Nous avions dit : Nous obtiendrons la rectification, et comme faisant partie intégrante du traité. Si nous ne l’avions pas obtenue, le non-succès nous aurait donné un démenti, et nous étions coupables ; nous l’obtenons, et l’on nous dit : Vous l’avez obtenue, mais en vous humiliant,. Il n’y avait donc pas de milieu pour nous ! Une accusation nous attendait dans tous les cas. (Interruption.)

On m’interrompt pour me dire : Avez-vous la réponse favorable des autres Etats du Zollverein ? Je réponds que nous l’aurons, que rien ne nous fait supposer que les autres Etats du Zollverein ne montreront pas la bonne foi qu’a montrée le gouvernement prussien.

D’ailleurs, si nous n’obtenons pas une réponse favorable, nous courrons tous les risques que nous avons attachés à la réponse négative.

Vous voyez donc à quoi se réduit ce premier grief.

« Avant le traité du 1er septembre, nous avons agi inconsidérément, dit l’honorable membre, et nous avons fait de fausses promesses à l’Allemagne. » Les actes sont là pour donner un démenti à cette assertion. Nous avons pris vis-à-vis de l’Allemagne la position qui, seule, pouvait nous conduire à un résultat ; nous nous sommes exposés, et nous avons couru tous les risques, nous nous sommes exposés à faire cesser le statu quo auquel l’Allemagne n’attachait aucun prix ; elle a dès lors par le traité du 1er septembre, payé ce qu’elle avait jusque là gratis et ce qu’elle espérait conserver gratis.

Le traité du 1er septembre a été conclu. Il s’est trouvé que ce traité renfermait une erreur due à la fausse appréciation de certains faits, à une enquête incomplète ; l’erreur a été rectifiée. La rectification du traité s’est faite sans compensation ; elle a été effectuée, comme faisant partie intégrante du traité. Nous avons compté sur la bonne foi des Etats de l’Allemagne, et depuis quand s’humilie-t-on en faisant un appel à la bonne foi ?

Je passe au second acte, aux rapports du gouvernement belge avec la compagnie de Guatemala.

Ici, messieurs, je pourrais dire : même tactique ; les textes, on ne les examine pas ; on suppose toujours dans les textes ce qui n’y est pas.

Quelles conséquences faut-il d’abord attacher à l’autorisation donnée par le gouvernement de la constitution d’une société anonyme. Je sais, messieurs, qu’il y a beaucoup de sociétés anonymes qui ont la prétention de faire supposer qu’ayant obtenu l’autorisation du gouvernement d’être sociétés anonymes, il s’est établi entre elles et le gouvernement je ne sais quel lien qui impose des obligations à l’Etat. C’est une prétention que nous avons toujours combattue, que tous les ministères qui se sont succédé à ce banc ont constamment combattue. (Interruption.)

Je prie l’honorable M. Verhaegen de ne pas m’interrompre ; il peut être convaincu que je ne prétends pas tirer des conséquences exagérées de cette première considération. Je veux seulement faire remarquer que les sociétés anonymes prennent très-facilement cette position. Elles cherchent à faire croire au public que la disposition royale qui leur accorde le titre de société anonyme, crée un lien entre elle et l’Etat. C’est là une erreur : une société obtient le droit d’être société anonyme, lorsqu’il est reconnu que son but est louable, et que le but qu’elle veut atteindre peut être considéré comme en dehors des efforts privés. Voilà, messieurs, la raison pour laquelle on accorde l’autorisation de société anonyme, autorisation qui assure aux membres de cette société l’irresponsabilité personnelle.

L’honorable M. Devaux reconnaît que le but de la société de colonisation est éminemment louable ; ce qu’il ne veut pas, ce qu’il ne peut examiner, ce sont les actes de cette société, sa gestion ; je comprends, et j’approuve sa réserve.

Trois circonstances, selon l’honorable M. Devaux, ont établi un lien tout spécial entre la compagnie belge de colonisation et le gouvernement.

La première circonstance, c’est qu’il y a un commissaire du gouvernement à Santo-Thomas. Ce commissaire du gouvernement se trouve chargé d’une surveillance purement passive, rien de plus, et il fallait que cette surveillance ne fût que passive ; sinon, le gouvernement aurait complètement changé sa position vis-à-vis de la société, des colons et du public. L’homme vraiment responsable et agissant était l’homme librement choisi par la compagnie, le directeur colonial, fonctionnaire dont il ne nous est pas permis de juger l’administration, et qui, probablement, sera bientôt de retour à Bruxelles ; alors nous pourrons apprécier les faits qui doivent s’être passés à Santo-Thomas.

Il y a beaucoup de sociétés anonymes près desquelles il est institué un commissaire du gouvernement. C’est une garantie que le gouvernement s’est donnée, mais l’existence de ce commissaire ne rend pas le gouvernement responsable vis-à-vis de tiers. Soutenir le contraire serait complètement méconnaître le caractère des commissaires du gouvernement près des sociétés anonymes.

La seconde circonstance qui, au dire de l’honorable préopinant, aurait établi un lien spécial entre le gouvernement et la compagnie, est l’arrêté du 31 mars, qui a déclaré que des listes de souscription seraient déposées dans toutes les communes. Nous avions alors, nous avons encore aujourd’hui en grande partie l’idée que l’honorable M. Devaux a lui-même de cette entreprise : c’est que cette entreprise est louable et utile.

« Nous avons, dit-il, fait un appel aux communes pauvres. » Nous n’avons pas fait un appel aux communes pauvres ; il y a des communes riches, et, évidemment, l’autorisation de souscrire ne devait être accordée qu’aux communes riches qui auraient des sommes à placer.

Je sais, messieurs, qu’en supposant l’appel fait aux communes pauvres, on peut, à l’instant même, se permettre les sorties les plus violentes contre le gouvernement ; on peut lui dire : « Vous avez voulu dépouiller les pauvres. » Mais il n’en est rien. D’après l’arrêté du 31 mas, les communes et les établissements restaient libres, et, évidemment, les autorités chargées d’exercer une tutelle sur ces établissements et sur les communes ne devaient accorder l’autorisation de souscrire qu’à ceux des établissements, qu’à celles des communes, qui avaient des capitaux à placer.

De son côté, le gouvernement n’aurait pas manqué de donner aux autorités exerçant la tutelle sur les établissements et sur les communes, les renseignements dont ces autorités auraient eu besoin pour statuer sur les demandes en autorisation. Mais il fallait un premier fait, il fallait qu’il fût constaté que les établissements et les communes avaient des capitaux à placer. (Interruption.) On ne s’adressait qu’à ceux qui étaient riches : il y a des bureaux de bienfaisance qui ont beaucoup de ressources et qui placent des capitaux.

On ne veut pas non plus relire les conditions de la souscription. D’après ces conditions, on pouvait, entre autres, placer à Santo-Thomas un certain nombre de colons.

Evidemment, cette condition ne doit pas être désapprouvée par ceux qui louent l’entreprise, comme le fait l’honorable M. Devaux.

La troisième circonstance, et c’est sur celle-là que je dois m’arrêter le plus longtemps, c’est la convention du 21 juillet. Ici encore on méconnaît complètement le texte, on ne se donne pas la peine de lire le texte ; on suppose une interprétation nécessaire là où le texte est tellement clair que toute interprétation est évidemment superflue. Il suffit de lire le texte.

L’art. 1er est ainsi conçu :

« Art. 1er. Le gouvernement s’engage à soumettre à la législature, avant le 31 décembre 1844, un projet de loi qui l’autorise à garantir à la compagnie belge de colonisation un minimum d’intérêt de 3 p.c. l’an et 1 p.c. d’amortissement d’un capital de trois millions (fr. 3,000,000) au plus, à emprunter par la compagnie, à la suite du vote de la loi. »

Vous avez, dit l’honorable membre, amené les tiers à donner de l’argent à la compagnie, sur la foi de la convention ; mais ces tiers ne savent donc pas lire ? Des tiers ont donné de l’argent ; qu’ils apprennent à lire : (page 607) l’emprunt ne doit être fait qu’après le vote de la loi. Si des capitalistes qui ne savent pas lire ont admis la singulière interprétation présentée par l’honorable M. Devaux, ces capitalistes en subiront la conséquence.

Je reviendrai sur ce point tout à l’heure. Je passe à l’article 2.

« Art. 2. Le mode et les conditions de l’emprunt, les sûretés et les gages que la compagnie aura à fournir à l’Etat, feront l’objet d’une convention spéciale. »

Cette convention stipulant les gages et les sûretés, dit l’honorable membre, sera faite « après le vote de la loi et pas avant. » Cette convention, à mon sens, doit être la raison déterminante pour la chambre de voter la loi. Il est déraisonnable, s’écrie l’honorable M. Devaux, de supposer que cette convention dût être faite avant le vote de la loi. Il est déraisonnable, selon moi, de supposer le contraire. Ces arguments, je les connais, ce sont les arguments de la compagnie. Elle veut que l’acte du 21 juillet soit considéré comme une convention définitive, liant complètement le gouvernement belge. Ce sont des préventions contraires au texte de la convention. « Les sûretés et les gages qu’aura à fournir », est-il dit. La compagnie vous écrit sérieusement que dès le 7 juillet elle les avait fournis.

Oui, messieurs, la compagnie aurait voulu avoir une convention d’un tout autre caractère ; cette convention lui a été refusée. Celle qui existe n’est pas telle qu’elle avait été sollicitée par la compagnie. Le ministère a déclaré que tout ce qu’il pouvait faire, c’est d’admettre la possibilité de la présentation d’un projet de loi, mais qu’il ne fallait d’emprunt, d’opération financière qu’après le vote de la loi ; qu’il fallait discuter les sûretés, les gages, en faire l’objet d’une convention nouvelle ? C’est ce qui est écrit expressément dans la convention.

La compagnie a contracté avec des banquiers. De deux choses l’une : ce contrat est un emprunt déguisé, ou bien, c’est une cession de lots. Si c’est un emprunt déguisé, aux termes de l’art. 1er, il ne pouvait pas se faire avant le vote de la loi. Si on a fait croire à ces banquiers qu’un emprunt pouvait être contracté avant le vote de la loi, ces banquiers ont été trompés.

Le gouvernement ne les a pas trompés ; il n’y a pas eu de rapports avec ces banquiers, il ne connaît que le texte de la convention ; ou bien, c’est une cession de lots, c’est comme cession de lots que le gouvernement en a connu, et encore indirectement. Il fallait déroger aux statuts qui fixaient le prix des lots à mille francs pour le réduire à 500 francs ; 5,600 lots ont été cédés au prix de 500 francs. Le gouvernement n’est intervenu que pour autoriser cette réduction de prix à 500 fr. (Interruption.)

Je vous disais : Des deux choses l’une : c’est un emprunt ou une cession de lots. Si c’est un emprunt, la compagnie ne pouvait pas le faire aux termes de l’article 1er. Si on l’a fait, on doit se l’imputer à soi-même. Si c’est une cession de lots, cette cession enlève au gouvernement le plus important des gages qu’on devait lui fournir. En effet, quels sont les gages et sûretés que la compagnie offrait le 7 juillet, sûretés et gages que le gouvernement a considérés comme insuffisants ou comme ne lui étant pas suffisamment connus ?

1° La compagnie offrait au gouvernement, comme gages, les lots à vendre au nombre de 5,605. Si le contrat avec les banquiers anglais est une cession, il se trouve que ce gage n’existe plus ;

2° L’établissement colonial ; cet établissement est donné en gage aux banquiers ; ce second gage n’existe plus. C’est le plus important. C’est pour cela que le gouvernement voulait attendre, recueillir, avant l’ouverture des chambres, des renseignements pour savoir ce qui se passait à Santo-Thomas, ce que pouvait valoir l’établissement colonial ;

3° Les lots à vendre, indépendamment des 5,605 lots ; il s’agit de savoir ce que valent ces lots, surtout depuis la vente de 5,605, qui présentaient le plus d’avantages ;

4° Les bénéfices futurs, éventuels, commerciaux et autres de l’entreprise.

Il est évidement qu’il n’y avait rien de vraiment appréciable dans ce prétendu gage. Les deux sûretés les plus importantes, c’étaient les 5,605 lots à vendre (ils sont vendus) ; l’établissement colonial (il est engagé). En juillet dernier, nous n’étions pas à même d’apprécier l’établissement colonial ; nous ne le sommes pas encore aujourd’hui ; d’ailleurs, il est hypothéqué aux banquiers. Savez-vous quelle est la prétention que la compagnie a tout à coup soulevée ? Le contrat a été fait avec les banquiers anglais, et l’a été sans que le gouvernement ait été appelé à approuver directement cet acte ; il n’avait pas eu à l’approuver directement. Un terme était fixé par la convention du 21 juillet pour fournir les gages et sûretés, c’était le 31 décembre. C’est quelque chose d’étrange, dit-on, que cette clause ! le texte est là, j’ai le droit de m’en prévaloir comme pourrait le faire un particulier ; les affaires de l’Etat ne se traitent pas autrement que celles des particuliers. Le contrat a été fait le 21 juillet ; le gouvernement reçoit le 26 décembre une lettre ; on avait, depuis le contrat avec les banquiers, gardé le silence ; la chambre venait de se séparer, nous touchions à la fin de l’année. Voilà la lettre que la compagnie écrivait le 26 décembre

« MM. les Ministres de l’intérieur et des finances.

« Bruxelles, le 26 décembre 1844.

« Le terme fixé par la convention du 21 juillet, pour la présentation d’un projet de loi autorisant le gouvernement à accorder à la compagnie la garantie d’un minimum d’intérêt, étant près d’expirer sans que ce projet de loi ait été présenté, nous venons vous prier, MM. les ministres, de nous faire connaître vos intentions relatives à l’exécution de ladite convention.

« Le fait que la compagnie a trouvé à réaliser un premier capital par la vente de ses lots, n’a fait qu’ajouter aux garanties qu’elle peut offrir à l’Etat pour le payement des intérêts de l’emprunt. Cette vente n’a encore changé en rien ni le caractère, ni le but national de la compagnie, et il ne dépend que du gouvernement de recueillir le fruit de ses travaux dans l’intérêt commercial de la Belgique en lui accordant un appui ferme et efficace.

« L’art. 2 de la convention, quoique subordonné en principe au vote de la loi peut, dès à présent, recevoir une solution satisfaisante, puisque en dehors des capitaux dont la compagnie dispose, elle conserve encore 200,000 hectares de biens-fonds.

« Nous espérons, MM. les ministres, que vous voudrez bien nous honorer d’une prompte réponse, afin de nous fixer sur la marche que la compagnie devra adopter. »

« Veuillez agréer, etc., etc. »

« Le directeur délégué, (Signé : A. Maniglier) ; le président, (Signé : C. Hompesch) »

Cette lettre a dû beaucoup nous étonner, surtout que la chambre venait de se séparer et que nous touchons à la fin de l’année. Il y avait eu une correspondance entre le gouvernement et la compagnie ; on avait toujours soutenu que les garanties que j’ai fait connaître n’étaient de véritables garanties, qu’il fallait, entre autres, connaître la situation actuelle de l’établissement colonial qu’on devait considérer comme le gage le plus important et ce gage venait d’être aliéné, hypothéqué aux banquiers anglais. Le 30 décembre nous avons fait la réponse suivante :

« A M. le président de la compagnie belge de colonisation à Bruxelles,

« Bruxelles, le 30 décembre 1844.

« M. le président,

« Nous avons reçu votre lettre du 26 courant, par laquelle vous nous faites remarquer que le terme fixé par la convention du 21 juillet pour la présentation d’un projet de loi, autorisant le gouvernement à accorder à la compagnie la garantie d’un minimum d’intérêt, est près d’expirer. Personne ne connaît mieux que vous, M. le président les motifs pour lesquels ce projet n’a pas été présenté ; ils sont de plusieurs genres, nous rappellerons seulement que les sûretés à fournir en exécution de l’art. 2 n’existent pas ou n’existent plus.

« Agréez, etc.

« Les ministres des finances et de l’intérieur, Mercier Nothomb. »

Le 30 décembre, même jour au soir, nouvelle lettre de la compagnie :

« A MM. les Ministres de l’intérieur et des finances, à Bruxelles,

« Bruxelles, le 30 décembre 1844,

« Messieurs les ministres,

« En réponse à votre dépêche du 30 courant n°147 73, nous avons l’honneur de vous faire observer qu’elle ne répond pas à notre lettre du 26 courant n°4662, l’observation contenue dans le dernier paragraphe de votre dépêche se trouvant levée par le contenu même de notre lettre précédente. Nous devons, en conséquence, vous prier de nouveau, MM. les ministres, de vouloir honorer d’une réponse catégorique notre susdite demande du 26 courant. Une position nettement tranchée est plus digne du gouvernement et plus conforme aux intérêts de la compagnie, qu’une situation fausse ou incertaine.

« Quant aux sûretés et aux gages dont il est question dans l’article 2, nous sommes à même de les fournir et quant au fait d’avoir réalisé un capital de 2,800,000 fr., vous voudrez bien vous rappeler, MM. les ministres, que par votre lettre du 18 octobre, vous révoquiez en doute que les capitaux provenant de l’emprunt, réunis à ceux que la compagnie pourrait réaliser, seraient suffisants pour assurer l’exercice de la compagnie. Le fait d’avoir trouvé un premier capital ne peut donc pas nous être opposé pour renoncer, sans compensation, aux bénéfices de la convention du 21 juillet.

« Agréez, etc.

« « Le directeur délégué, (Signé : A. Maniglier) ; le président, (Signé : C. Hompesch) »

Le lendemain, nous avons fait la réponse suivante :

« A MM. les directeurs de la compagnie belge de colonisation à Bruxelles,

« Bruxelles, le 31décembre 1844,

« Messieurs,

« Au reçu de votre lettre d’hier, nous avons relu la nôtre de la même date, et cette dernière nous a paru aussi claire que convenable. Si les chambres n’ont point été saisies d’un projet de loi, c’est que le gouvernement n’a pas été placé dans la position que suppose la convention du 21 juillet.

« Vous paraissez offrir au gouvernement, moyennant compensation, de renoncer à la convention ; votre renonciation, nous n’en avons pas besoin, et aucune compensation ne peut être due pour l’abandon d’un acte resté sans force obligatoire, à défaut par vous d’avoir satisfait aux conditions voulues.

« Agréez, etc.

« Les ministres des finances et de l’intérieur, Mercier Nothomb. »

Voilà la position que nous avons prise, et cette position est conforme tant au texte de la convention, qu’aux explications publiques que j’ai eu l’honneur de donner à la chambre dans ses séances des 28 et 29 novembre. J’ai dit dans ces deux séances qu’il ne fallait pas se méprendre sur la portée de cette convention, que c’est un acte provisoire préliminaire, conditionnel, que, notamment, des garanties, des sûretés devaient être fournies, que, si elles l’étaient, le gouvernement serait moralement tenu de présenter un projet de loi, quoi qu’il dût en advenir.

(page 608) Cette déclaration publique n’a été suivie d’aucune protestation de la compagnie ; elle a gardé le silence jusqu’au 26 décembre. La compagnie dira-t-elle qu’elle était censée ignorer les explications données dans les séances des 28 et 29 novembre ?

Mais nous lui répondrions : Vous n’ignorez pas ce qui se passe à la chambre, puisque le 24 janvier vous avez protesté contre une déclaration faite ici le 23 ; pourquoi ne vous êtes-vous pas élevés contre les explications données le 28 et le 29 novembre ?

Ces explications ont été données précisément à l’époque où l’on traitait avec les banquiers anglais.

Vous voyez donc à quoi se réduit cette accusation, quand on s’attache au texte. Il n’y a ici de vrai, il n’y a de susceptible d’examen que le texte même. Personne n’a le droit de supposer que le gouvernement a voulu faire, a voulu promettre autre chose que ce qui est écrit. Ceux qui supposent autre chose doivent s’en prendre à eux-mêmes, s’ils sont dupes. Le texte est là ; les explications données dans les séances des 28 et 29 novembre subsistent.

Je ne relèverai pas toutes les expressions dénigrantes que l’honorable membre a prodiguées dans cette partie de son discours. Je dis qu’il y a mauvaise foi, qu’il y a astuce, quand on veut faire dire à une convention autre chose que ce qu’elle comporte ; on n’en a pas le droit. Si la compagnie (ce que j’ignore, ce que je veux ignorer) a voulu faire croire qu’il y avait dans la convention autre chose que ce qui y est, ce n’est pas au gouvernement qu’on doit adresser les expressions dont s’est servi l’honorable préopinant.

Ce n’est donc pas le gouvernement qui a induit les tiers dans une fausse confiance, qui a usé de manœuvres. Je le répète, les textes sont là ; ils ont été publiés, commentés par les journaux, expliqués devant la chambre. A défaut d’explications, il suffirait de s’en tenir aux textes mêmes ; un procès en dommages-intérêts ne serait pas soutenable.

Vous n’étiez pas sérieux, vous manquiez de sincérité, nous dit-on, lorsque, le 21 juillet, vous avez signé cette convention De quel droit l’honorable membre fait-il cette supposition ? Bien des événements se sont passés depuis le 21 juillet ; bien des événements qui sont loin d’être expliqués.

J’avoue que le 21 juillet je considérais la compagnie comme dans une bonne position ; je croyais l’établissement colonial complètement consolidé.

J’ai pensé, néanmoins que nos renseignements devaient être complétés ; ils ne le seront que quand le directeur colonial, aujourd’hui inculpé, sera de retour. (Interruption.)

Nous avons des rapports du commissaire du gouvernement.

Tous ces faits seront expliqués en temps et lieu.

Je n’incrimine personne, ni la compagnie, ni le directeur colonial. J’explique la position prise par le gouvernement ; elle est conforme au texte de la convention ; personne n’a le droit d’y voir autre chose…

M. Dumortier – On a le droit d’y voir l’intention qui y a présidé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – S’il avait été vérifié que l’établissement colonial était consolidé comme on le disait, l’intention du gouvernement était, à ses risques et périls, de saisir la chambre d’un projet de loi. On s’est adressé à nous au commencement de juillet, alors que la chambre devait être considérée comme définitivement séparée.

M. Devaux – Pourquoi avez-vous signé la convention ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce n’a pas été pour inspirer une fausse sécurité à des capitalistes ; mais afin qu’un homme très-connu, sur qui repose tout l’établissement, continuât à soutenir l’établissement de son crédit personnel déjà engagé ; nous avons voulu, par là, lui donner une preuve de nos bonnes dispositions éventuelles ; rien de plus ; mais elles ne pouvaient se réaliser que quand nous aurions eu tous les renseignements suffisants, notamment sur l’établissement colonial en lui-même.

En un mot, celui qu’on peut considérer comme le chef de l’entreprise nous tenait à peu près le même langage que dans la lettre du 24 à la chambre, où il dit : « La compagnie ne demande pas la présentation du projet de loi avant que la chambre, mieux éclairée sur l’intérêt que l’avenir de cette question peut avoir pour la Belgique, sous le rapport commercial, soit à même de juger en connaissance de cause, s’il est utile ou non de seconder le développement de cette entreprise.

On s’est adressé au gouvernement en juillet dernier ; on lui a dit que l’établissement était consolidé, florissant, que toutes les garanties pourraient être données ; nous avons demandé le temps nécessaire pour constater cette situation pour nous assurer ces garanties.

Vous voyez, de nouveau, à quoi se réduit cette seconde accusation quand on veut s’attacher aux textes, ne voir que dans les textes que ce qu’ils comportent.

J’arrive au dernier acte, celui qui concerne le jury d’examen universitaire. Ici, le gouvernement, selon l’honorable membre, a joué à la fois la majorité et la minorité. Nous avons déjà dit pourquoi nous avions saisi la chambre de ce projet de loi. L’opinion exprimée dans ce projet de loi avait été, en 1835, celle de plus d’un membre de ce qu’on appelle le « parti catholique ». Cette opinion avait aussi été la nôtre ; nous avons cru pouvoir la soumettre à l’épreuve d’une discussion politique ; nous ne voulions rien de plus.

Nous avons successivement présenté le projet de loi, en déclarant qu’il ne comportait pas de question de cabinet afin que tout le monde fût parfaitement libre. C’est ce qu’on ne voulait pas ; on voulait autre chose que le projet ; on voulait détruire une situation politique. C’est lorsque ce danger, que nous avions jusqu’à un certain point prévu, s’est présenté à nous dans toute sa réalité, que nous avons, plus que jamais, persisté à ne voir dans ce projet qu’une simple question qui devait être librement examinée par tous les membres de cette chambre.

M. Devaux – Pourquoi donc M. Dechamps s’était-il retiré ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il l’a expliqué à la session dernière, et vous vous êtes déclaré satisfait.

M. Dumortier – Pourquoi avez-vous présenté le projet de loi ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Parce que c’était notre opinion, et que nous voulions la soumettre à une discussion publique.

Aujourd’hui toutes les accusations qu’on nous adressent reposent sur cette supposition, que nous n’aurions pas sincèrement présenté le projet de loi, que nous l’aurions faiblement défendu, que nous aurions voulu jouer la majorité et la minorité. Nous disons qu’on a voulu adroitement saisir cette occasion pour détruire une situation politique. Cette situation politique, c’est la véritable question entre l’honorable préopinant et moi. Il y a, entre l’honorable préopinant et moi, autre chose que des questions de personnes ; il y a tout un système politique. C’est ce système politique, c’est cette situation politique qu’on a voulu détruire à propos de la loi sur les jurys universitaires. On a donné au projet de loi une portée qu’il n’avait pas.

Aujourd’hui on a recours à un autre moyen.

Le ministère est d’accord, dit-on, avec la majorité, sur le système politique. Cela ne suffit pas, je le reconnais, ce ne serait pas pour le ministère, un motif de rester impuni, s’il manquait à tous les principes de moralité politique.

L’honorable préopinant a soin de cacher la situation politique ; il s’attache à trois actes spéciaux qu’il dénature avec une persistance extraordinaire.

Séparer le ministère de la majorité parlementaire, séparer un des ministres de ses collègues, telle est la double tactique à laquelle on a recours. Cacher le véritable programme politique, écarter la véritable question politique, donner le change sur toutes les intentions, ne s’attacher qu’à quelques faits spéciaux, telle est la position assez modeste, selon moi, qu’on prend aujourd’hui devant vous.

Ce n’est pas la position qu’on prenait, il y a trois, il y a quatre ans ; nous sommes rejetés bien loin des débats qui nous ont occupés alors.

Dans les discours, dans les récits de l’honorable membre, j’occupais une place très-secondaire pendant les deux premières années. C’était la majorité parlementaire qui était alors en cause, c’était un grand parti qui était incriminé, attaqué, accusé. La situation parlementaire devait être détruite ; c’est ce qu’on avait voulu ; c’est ce qu’on avait annoncé, c’est ce qu’on avait prédit.

On n’a pas réussi ; la situation parlementaire, comme vous l’a dit avant-hier M. le ministre des travaux publics, a été conservée à travers deux réélections partielles, deux réélections de la moitié de la chambre. La situation parlementaire étant sauvée, la deuxième épreuve électorale étant faite, c’est le ministère qu’on a dès lors mis en cause ; c’est moi qui ait été placé sur le premier plan. On a eu l’air de mettre hors de cause la majorité parlementaire ; on a eu l’air de mettre hors de cause ce parti catholique qu’on poursuivait autrefois avec tant d ‘injustice et d’acharnement.

Il y a toujours, messieurs, ne l’oubliez pas, il y a en dehors, au-dessus des questions administratives, en dehors, au-dessus des grandes questions d’affaires même, une première question, qui est la question de la politique générale du pays, la première question, qui est la question parlementaire. C’est celle-là, messieurs, ne nous pouvons assez le répéter, nous ne pouvons assez insister sur ce point, c’est cette question qu’on a soin de tenir à l’écart. Que dis-je, messieurs ? On ne s’adresse plus à vous avec ce ton altier qu’on avait autrefois. Il fut un temps où l’honorable membre vous tolérait en quelque sorte dans cette chambre. Il avait presque l’air de vous signifier votre congé très-prochain.

Aujourd’hui ce sont vos propres intérêts que l’on prend en mains. On vous dit : Gardez-vous de vous compromettre, vous avez devant vous des hommes souillés ; préservez-vous de ces souillures ; gardez-vous d’accepter devant le pays une solidarité qui vous compromettrait.

Je dois féliciter la majorité de cette chambre d’avoir trouvé ce défenseur tout nouveau.

En disant qu’il y a une question qui domine toutes les autres questions, la question parlementaire, la question de la politique générale du pays, nous n’entendons pas, messieurs, nous nous empressons de le dire, nous n’entendons pas professer une singulière doctrine qu’on nous prêtera, peut-être : de ce qu’un ministère est d’accord avec la majorité parlementaire sur la politique générale, tout lui serait donc permis, dira-t-on, même les actes les plus immoraux. Mais il faut établir que les actes sont immoraux, il faut le démontrer en considérant les actes en eux-mêmes.

Je n’ai pas d’indulgence à demander à la chambre ; je n’ai à lui demander que de la justice. La chambre examinera si les fautes reprochées au ministère par l’honorable membre existent, et si ces fautes existent, si elles existent au point où le suppose l’honorable membre, la majorité doit, certes, ne pas accepter une solidarité compromettante devant le pays. La majorité parlementaire examinera ces actes avec impartialité, et c’est ce que je ne dois pas attendre de l’honorable membre. Pour conserver la situation politique, vous examinerez les actes avec impartialité ; c’est pour la détruire, que l’honorable membre les examine, j’oserai le dire, ; avec une malveillance qui a dû étonner tout le monde. Malgré les observations les plus positives, les mêmes accusations sont sans cesse reproduites.

Je croyais, messieurs, que l’honorable membre prendrait une autre position. Il y a quatre ans qu’il vous disait que le système politique que voulait maintenir le gouvernement, que le programme même du gouvernement était un mensonge, et que ce programme ne saurait être maintenu qu’à (page 609) l’aide de la duplicité, de la ruse, de la mauvaise foi. Je croyais qu’il prendrait cette position. Mais il s’est bien gardé de mettre sur le compte du programme politique les fautes qu’il nous a reprochées.

La question, la grande, la véritable question politique est là où je l’ai indiquée. La majorité qui a concouru avec le gouvernement à diriger les affaires du pays depuis 1830, est restée la même.

Cette majorité, l’honorable membre ne la croyait nécessaire qu’aussi longtemps que la non-solution de la question hollando-belge exerçait une espèce de compression sur le pays. Cette majorité, nous l’avons crue, après la solution de la question extérieure, après le traité du 19 avril 1839, nous l’avons crue nécessaire comme elle l’a été avant ce traité ; nous l’avons crue nécessaire comme elle l’a été avant la révolution elle-même.

L’union de tous les partis a amené la révolution de 1830 ; cette union a formé la majorité au Congrès national ; elle avait présidé à la direction des affaires du pays de 1830 à 1840. Cette majorité était condamnée par M. Devaux, en 1841 ; elle devait être détruite. Elle ne l’a pas été.

Je ne veux pas, messieurs, exagérer la part que j’ai eue aux événements qui ont maintenu cette majorité parlementaire. Il ne m’est pas permis de vous rappeler ce que j’ai fait. Je compte avec une entière confiance sur vos souvenirs. Notre véritable crime, messieurs, n’est pas dans les trois prétendues fautes qu’on vous a dénoncées, dans les trois actes qu’on a épluchés avec tant de soin. Notre véritable crime est là : nous avons contribué à conserver la majorité parlementaire qui a fait les affaires du pays de 1830 jusqu’aujourd’hui.

Cette majorité croit-elle que nous ayons commis des fautes d’un ordre secondaire, assez graves cependant pour se séparer de nous ? Elle prononcera ; mais, en prononçant, elle acceptera une responsabilité que l’honorable M. Devaux n’est pas tenu d’accepter.

Plusieurs membres – A demain !

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) (pour un fait personnel) – Messieurs, il a été convenu qu’on devait répondre, dans la séance même, lorsqu’il s’agit d’un fait personnel. Du reste, je ne serai pas long.

L’honorable M. Devaux, au début et à la fin de son discours, a exprimé son blâme, son indignation même, à l’égard d’une phrase du discours que j’ai prononcé dans votre dernière séance. Il a donné à cette phrase un sens étrange, qui n’était ni dans mes intentions ni dans mon esprit ; mais la chambre, certainement, ne s’y est pas trompée.

L’honorable M. Devaux a supposé que j’ai dit que le petit côté des actes était celui de leur moralité. Mais, messieurs, ai-je pu dire, ai-je pu penser un moment que la moralité politique était le petit côté des actes ? Si j’avais eu assez peu de sentiment et d’intelligence pour prononcer un pareil non-sens, et une aussi révoltante absurdité, mais ; messieurs, les murmures universels de l’assemblée eussent couvert ces paroles inconsidérées.

Mais qu’ai-je dit, messieurs ? J’ai dit précisément le contraire de la pensée que l’honorable membre m’a prêtée. Voici mes paroles telles qu’elles se trouvent au Moniteur :

« Nos actes, l’opposition ne les envisage pas en eux-mêmes, dans leur signification vraie et générale, mais par le petit côté des incidents et des fausses interprétations.

« L’opposition a trouvé un mot pour cette situation : c’est ce qu’elle appelle examiner la moralité des actes, c’est ce que je nomme moi, le côté personnel des actes que l’on décore de ce nom de moralité. »

Ainsi, messieurs, évidemment ma pensée a été toute contraire au sens qu’y a attaché l’honorable membre. J’ai dit que l’on voulait décorer de ce noble nom de moralité le petit côté des incidents, le côté personnel des actes ; et le discours de l’honorable M. Devaux, tout d’incidents et de récriminations personnelles, a été une pleine confirmation de ce que je vous disais dans la dernière séance.

Je n’ai pu, messieurs, passer sous silence cette interprétation erronée d’une partie de mon discours. Je regrette d’ôter ainsi le prétexte et la base au mouvement oratoire par lequel l’honorable membre a voulu impressionner la chambre.

- La séance est levée à 4 ¾ heures.