(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 555) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure. La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre :
« Plusieurs habitants de Bell, commune de Ghelle, présentent des observations contre le tracé de la route projeté de Ghelle à Moll. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les bateliers navigant sur les canaux de Mons et d’Antoing demandent la restitution des sommes qu’ils ont dû payer du chef de jaugeage de leurs bâtiments. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal d’Alost demande la réunion des deux sections cantonales qui divisent cette ville. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Godschalk et Philips, fabricants de tabacs, demandant un remboursement de droits à la sortie des tabacs fabriqués en Belgique. »
M. Osy – Par la pétition, dont on vient de faire l’analyse, des fabricants de tabacs demandent, comme moyen de conserver à la Belgique l’industrie de la fabrication des tabacs, l’introduction d’un drawback. Je demande le renvoi de cette pétition à la commission d’industrie avec invitation de faire un prompt rapport.
- Ce renvoi est ordonné.
« Les raffineurs de sucre d’Anvers, Gand et Bruxelles demandent la révision de la loi des sucres. »
« Même demande des extracteurs ou marchands de houilles d’Anvers, des chaudronniers, maçons, menuisiers, de fabricants de poteries, des tonneliers et fabricants de caisse de cette ville et des fabricants de papier. »
M. Cogels – Je demande le renvoi de ces pétitions à la commission d’industrie et l’insertion de la première au Moniteur, parce qu’elle a un intérêt particulier.
- Cette double proposition est acceptée.
« Le conseil communal de Hauffalize demande que la commune de Mabompré et les sections de Hoddigny, Bachamps et Vicourt, qui ressortissent à la commune de Novilles, soient réunies au canton de Hauffalize. »
- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi sur la circonscription cantonale.
Constitution d’une commission de vérification des pouvoirs
M. le président procède au tirage au sort des membres de la commission chargée de vérifier les pouvoirs du représentant d’Eecloo ; les noms sortis de l’urne sont : MM. de Saegher, Van Cutsem, de Naeyer, de Garcia, Desmaisières, de Renesse et Kervyn.
M. Delehaye dépose sur le bureau le rapport de la commission des naturalisations sur la demande en grande naturalisation de M. Beaghel.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La mise à l’ordre du jour sera ultérieurement fixée.
M. le président – Nous en étions restés à l’art. 4, sur lequel plusieurs amendements ont été présentés qui ont été développés et appuyés.
M. Fleussu – Je n’ai que quelques réflexions à vous soumettre en réponse aux observations présentées par l’honorable M. Dubus. Je n’ai pas eu l’avantage d’être compris par l’honorable député de Turnhout ; sans cela, il ne m’aurait pas prêté la doctrine qui a servi de texte à son discours. Je n’ai pas prétendu qu’il y avait inconstitutionnalité à donner au gouvernement le droit de sanctionner par des peines les dispositions des règlements d’administration. J’ai dit qu’il y avait convenance à ce que la chambre décrétât elle-même les peines attachées à l’infraction aux dispositions réglementaires. J’ai dit que, dans l’espèce, il y avait avantage à ce que cela fût réglé par la chambre plutôt que par le gouvernement, parce que nous ne connaissons pas les mesures qui seront prises et que les peines pourraient être mal graduées ; pour une infraction à telle disposition réglementaire, il pourrait infliger une peine trop sévère ; j’ai dit qu’il valait mieux laisser les tribunaux arbitres des peines à prononcer, qu’ils apprécieraient la moralité des faits et appliqueraient la peine dans la latitude qui leur serait laissée depuis un jour jusqu’à cinq jours d’emprisonnement, et un franc d’amende jusqu’à 2 mille francs. J’ai vu une question de convenance dans la préférence à donner au système du gouvernement sur celui de la commission, parce que la commission laissait au gouvernement le soin de graduer les peine par arrêtés.
Maintenant est-il vrai de dire que les peines comminées par le gouvernement et la commission ne sont pas trop élevées, que mon système ne s’accorde pas avec le système actuel et qu’il faudrait le réviser immédiatement si on admettait mon amendement ? je crois, au contraire, que c’est mon amendement qui est conforme au système du Code pénal. Voyez, en effet, la gradation du Code pénal ; le fait d’avoir laissé circuler un troupeau infecté alors que l’autorité n’a pas encore ordonné de le tenir enfermé est puni de six jours à deux mois d’emprisonnement ; et le fait de n’avoir pas respecté l’ordre de l’autorité locale de tenir le bétail enfermé est puni de 2 à 6 mois d’emprisonnement ; s’il y a eu communication de la contagion, la peine peut aller jusqu’à cinq années. Voilà l’économie du Code pénal. L’emprisonnement en cette matière est une aggravation de peines ; il n’existe pas avant lui.
J’ai revu les anciens règlements français pour restreindre les effets des maladies contagieuses ; dans ces règlements, la peine la plus forte est 500 fr. d’amende. Si l’art. 461 du Code pénal porte : « Sans préjudice des peines portées par les lois et règlements » il ne faut pas en conclure que des peines plus fortes seront comminées ailleurs ; il n’est fait appel aux dispositions en dehors du Code que pour éviter qu’on ne les considérât comme abrogées. Cette finale ne se rapporte qu’aux cas non prévus par le Code pénal, auxquels doivent continuer à être appliquées les dispositions des anciens règlements dont les peines sont beaucoup moins fortes que celles portées par le Code pénal.
Mais, dit-on, avec votre système, il est possible que celui qui introduit dans le pays une bête infectée soit passible d’une peine moins forte que celui qui aurait laissé circuler un animal en état de maladie.
Mais si la bête introduite n’est pas infectée ; si tout le tort consiste à l’avoir amenée d’un pays infecté, n’est-ce pas une peine assez forte qu’un an d’emprisonnement pour une contravention qui n’a eu aucune conséquence ? Dans toutes les dispositions antérieures, on ne trouve rien d’aussi sévère. S’il y a eu communication de la maladie, on tombe sous l’application du Code pénal qui prononce la peine de cinq années d’emprisonnement.
Il me semble donc que tout est gradué dans mon système ; les dispositions du code pénal restent ; il y a un cas nouveau : l’introduction du bétail d’un pays infecté ; Si la bête introduite n’est pas infectée, c’est une peine assez sévère qu’une année d’emprisonnement. Si la bête est infecté et qu’il y a eu communication de la maladie, vous pouvez appliquer la peine que vous invoquez, cinq années d’emprisonnement. Je pense qu’en matière pénale, ce n’est pas l’énormité de la peine qui effraye les mauvaises intentions, mais la certitude de la punition. Je demande si c’est dans un cas semblable qu’il faut prodiguer des peines aussi exorbitantes que celles contenues dans le projet du gouvernement et celui de la commission.
J’ai n’ai que deux mots à dire sur l’amendement de l’honorable M. Dubus, l’application de l’art. 463 du Code pénal. La commission prend deux moyens pour arriver au même but : d’abord en supprimant le minimum pour l’emprisonnement et pour l’amende. Si cela est admis, l’application de l’art. 463 est impossible, car les juges pourront infliger un jour d’emprisonnement et un franc d’amende jusqu’à 5 années d’emprisonnement et deux mille francs d’amende. Déjà le gouvernement s’est rallié à la commission quant à la suppression du minimum d’emprisonnement ; l’application de l’art. 463 ne pourrait avoir lieu que pour le cas où le minimum serait maintenu quant à l’amende. Reste à savoir si le gouvernement ne pourrait pas se ranger aussi de l’avis de la commission quant à l’amende ; l’art. 463 deviendrait alors tout à fait inutile.
En résumé, je propose trois amendements : l’un de rédaction, consistant à substituer aux mots : « les lois actuellement existantes », ceux-ci : « les lois en vigueur. » En second lieu je suis d’accord avec la section centrale pour écarter le minimum de l’amende et de l’emprisonnement ; en troisième lieu, je pense qu’une année d’emprisonnement est une peine assez forte pour une contravention de la nature de celle dont il s’agit.
M. Savart-Martel – Messieurs, c’est moi qui ai présenté hier la pensée d’appliquer à la loi proposée l’art. 463 du Code pénal ; l’honorable M. Dubus en a fait l’objet d’un amendement que je ne puis qu’appuyer, mais il est bien entendu que ce n’est qu’au cas où le gouvernement persisterait à poser un minimum et un maximum ; car si, suivant la section centrale, il n’y a point de minimum, il est évident que l’art. 463 serait inutile et inapplicable. Sous ce dernier rapport, l’honorable M. Fleussu et moi sommes d’accord. Je n’en dirai point davantage.
M. Dubus (aîné) – (erratum, p. 597) Un honorable député de Liége, au lieu de ces expressions, les lois actuellement existantes, du projet du gouvernement, propose de dire, les lois en vigueur ; je conviens que cette rédaction est préférable. Du reste, cela ne change rien au sens de l’article.
Quant à l’amendement proposé par la section centrale, l’honorable député de Liége persiste à le combattre ; il reconnaît que l’on peut déléguer au gouvernement le pouvoir de porter des peines ; mais il lui semble qu’il ne convient pas de le faire ; il trouve plus convenable, dans le cas actuel, de déterminer, dans l’art. 4, comme le propose le gouvernement, l’échelle des peines dont seront frappés toutes les contraventions quelconques aux règlements (p. 556) qui seront faits en exécution de la loi. Il ne me semble pas que ce soit là ce qui est le plus convenable. Je pense que les peines, dans le système de législation qui nous régit, ne doivent pas être comminées d’une manière vague et tellement large que ce soit un retour à l’ancien système, justement décrié, des peines arbitraires. (erratum, p. 597) Autrefois, il arrivait fréquemment dans les dispositions de nos édits qui réprimaient des délits ou des contraventions, de ne point indiquer les peines à appliquer, mais de se borner à dire que les contrevenants seraient punis ou corrigés « arbitrairement » ; les juges savaient ce que cela signifiait ; il y avait une immense échelle où ils choisissaient les peines qu’ils voulaient appliquer.
Ce système a été justement décrié et proscrit ; il n’y faut pas revenir même jusqu’à un certain point ; or ici que fait-on ? Il peut y avoir mille manières de contrevenir aux règlements qui seront fait et que nous ne connaissons pas encore. Le projet met toutes ces contraventions sur la même ligne. Un honorable membre disait hier que c’est la peine qui fait le délit. Vous décideriez que toutes ces contraventions seront des délits, qu’elles seront toutes de la compétence des tribunaux correctionnels ; vous les déclareriez toutes passibles des mêmes peines ; puis vous renverriez les lois aux tribunaux pour application. Je trouve que cela n’est pas très-convenable. Le législateur méconnaîtrait ainsi tout-à-fait sa mission. Il faut distinguer les différentes catégories de peines et d’infractions et, selon l’importance de celles-ci, appliquer des peines proportionnelles.
C’est ainsi qu’on a fait le Code pénal. Si le législateur ne peut faire cela lui-même, parce qu’il lui est impossible de faire la loi pénale, s’il est obligé de déléguer au gouvernement pendant un temps très-court le pouvoir de faire la loi pénale, il importe de lui donner un mandat complet, de le charger de distinguer entre les divers infractions, et d’y appliquer des peines proportionnelles.
Ce n’est pas à dire pour cela que le gouvernement, et je ne l’ai jamais soutenu ainsi, devra appliquer une seule et même peine inflexible à toutes les contraventions d’une seule catégorie. Le gouvernement choisira dans les limites que nous avons proposées, pour chaque catégorie de contraventions, une échelle de peines, mais une échelle beaucoup plus restreinte que celle qu’on propose, et qui sera proportionnée aux délits. Il y a des contraventions d’une faible importance, le gouvernement ne comminera contre ces infractions que des peines de simple police, et ce sont les juges de paix qui appliqueront ces peines. Mais, d’après l’article du gouvernement, la peine de cinq années d’emprisonnement menace tous les contrevenants quelconques ; elle serait réellement portée contre tous, et c’est ce que je ne puis admettre.
D’ailleurs, messieurs, je rappellerai que c’est dans ce sens que les chambres ont compris leur devoir, quand elles ont fait l’article analogue de la loi provinciale que j’ai invoqué et aussi un article analogue de la loi communale.
Par l’art.85 de la loi provinciale, on a autorisé les conseils provinciaux à faire des règlements. Pour sanction de ces règlements on n’a pas dit, comme on vous propose de le dire aujourd’hui, que toute contravention quelconque aux règlements des états provinciaux seraient passibles d’une peine depuis un jour jusqu’à quatorze jours d’emprisonnement, ou depuis un franc jusqu’à 20 francs d’amende ; mais on a établi le maximum des peines et on a chargé les conseils provinciaux de déterminer eux-mêmes quelles seraient les peines applicables aux différentes catégories de contravention, comme de déterminer qu’elles seraient les contraventions punissables. Il paraît, en effet, que c’est celui qui fait les lois auxquelles les peines doivent s’appliquer, qui doit déterminer les différentes catégories d’infraction et les peines qui y sont applicables.
L’honorable préopinant a insisté sur l’amendement qu’il avait déposé et qui tendait à réduire le maximum de l’emprisonnement à une année.
Cependant j’avais fait remarquer que cela pourrait entraîner cette conséquence, qu’un délit aussi grave et même plus grave que celui qui est prévu par l’art. 461 du Code pénal, serait puni d’une peine inférieure au minimum même qui est déterminé par cet art. 461. Car enfin l’art. 461 punit celui qui a laissé communiquer ses bestiaux infectés avec d’autres, d’une peine de 2 ans à 5 ans d’emprisonnement, si de cette communication il est résulté une contagion. Mais, je le répète, celui qui violerait le cordon sanitaire, qui introduirait et ferait vendre dans le pays des animaux affectés de la contagion, celui qui ferait cela sciemment et en violant le cordon sanitaire, serait infiniment plus coupable que celui qui, ayant acheté un de ces animaux, l’aurait laissé communiquer avec d’autres, ce dont serait résultée la contagion. Cependant, il ne serait pas possible d’appliquer l’art. 461du Code pénal à l’introducteur, car ce n’est pas lui qui a laissé communiquer les animaux infectés avec d’autres. Or, il faut bien qu’il soit frappé d’une peine proportionnée à celle que commine l’article 461 du Code pénal, et cela deviendrait impossible avec l’amendement de l’honorable M. Fleussu. Cet honorable membre a pensé que l’art. 461 serait applicable au cas dont je viens de parler. Quant à moi, il ne me paraît pas applicable d’après ses termes.
D’ailleurs, c’est là un exemple que j’ai imaginé en discutant la question hier ; mais si l’on parcourait les divers articles du règlement qui sera fait par le gouvernement, on trouverait peut-être d’autres cas encore qui présenteraient des délits plus graves ou aussi graves que celui que j’ai cité pour exemple, et auxquels cependant l’art. 461 du Code pénal ne serait pas applicable. On ne pourrait donc appliquer à ces délits qu’un emprisonnement d’une année, tandis que d’autres délits moins graves seraient punis d’un emprisonnement de 5 ans, en vertu de l’art. 461 du Code pénal ; il n’y aurait donc aucune proportion entre les peines.
Quant à l’amendement que j’ai déposé afin de rendre l’art. 463 applicable aux délits prévus par les règlements à prendre en vertu de la présente loi, un honorable membre a fait remarquer que cet amendement n’est pas nécessaire si l’on adopte la proposition du gouvernement, tendant à supprimer le minimum de la peine, parce qu’alors le juge pourra appliquer une peine aussi faible qu’il voudra. Cela est vrai ; mais si on laisse subsister un minimum quelconque, soit pour l’emprisonnement, soit pour l’amende, il deviendra nécessaire de déclarer l’art. 463 applicable ; car le gouvernement déterminant les peines dans son arrêté, il se présentera des cas où, par suite de circonstances atténuantes, le juge devra pouvoir recourir à cet art. 463 du Code pénal.
M. de Garcia – Messieurs, lorsque j’ai demandé la parole, je voulais faire les observations que vient de présenter l’honorable M. Dubus. Il serait difficile d’ajouter de nouvelles considérations à celles que cet honorable membre vient de faire valoir à l’appui de la proposition de la section centrale. Je ne ferai donc qu’une seule remarque. Il faut bien se rendre compte de la situation dans laquelle nous nous trouvons : par une sorte d’urgence et de nécessité, nous devons nous dépouiller d’une prérogative et léguer au gouvernement le droit de créer des dispositions pénales, sans notre concours immédiat. En donnant cette délégation au gouvernement, nous devons, je pense, lui laisser une latitude convenable entre le minimum et le maximum des peines qu’il pourra comminer ; ou plutôt nous devons supprimer le minimum ; mais il est aussi essentiel d’exiger du gouvernement qu’il mesure la gravité des peines sur la gravité des faits. En nous rendant compte de notre situation, nous avons demandé, messieurs, que la loi actuelle n’eût qu’une durée de deux ans ; cependant, si nous avions eu le temps de faire une loi complète, cette loi aurait dû avoir un caractère permanent ; dès lors je pense qu’il est utile, indispensable d’imposer au gouvernement l’obligation de faire un règlement qui servirait en quelque sorte de projet de loi pour l’époque où la mesure actuelle cessera d’avoir ses effets.
Je crois que si le gouvernement prend un arrêté sage et bien médité pour réprimer tous les faits qui pourraient avoir pour conséquence de porter la contagion dans le pays, cet arrêté devra plus tard être converti en loi. Nous aurons, par une mesure semblable, le double avantage de profiter et des lumières du gouvernement et de l’expérience que fournira l’exécution de l’arrêté pendant deux ans. D’après ces considérations et celles développées par l’honorable M. Dubus, je pense, messieurs, que nous devons adopter la proposition de la section centrale.
- La discussion est close.
La chambre adopte d’abord le changement de rédaction proposé par M. Fleussu et consistant à substituer aux mots : « lois actuellement existantes » ceux de « lois en vigueur. »
M. le président – Nous avons maintenant un amendement de M. le ministre qui tend à supprimer le minimum de l’emprisonnement.
M. Dubus (aîné) – Il me paraît que l’amendement qui doit être mis aux voix le premier, est celui qui s’écarte le plus de la proposition primitive. Je ferai toutefois une observation ; c’est que l’amendement de la section centrale devra être mis aux voix par division ; en effet cet amendement est en quelque sorte double ; la dernière partie de l’amendement de la section centrale a supprimé les deux minima, tandis que l’amendement de M. le ministre ne supprime que le minimum de l’emprisonnement. Je pense qu’on pourrait d’abord consulter la chambre sur le point de savoir si l’on supprimera le minimum de l’amende et mettre ensuite aux voix l’amendement de la commission.
M. Savart-Martel – Je pense, comme l’honorable M. Dubus, qu’il convient de mettre d’abord aux voix la proposition faite par la commission, car il sera inutile de nous occuper de l’art. 463, si nous décidons qu’il n’y aura pas de minimum.
- La chambre décide d’abord qu’il n’y aura point de minimum ni pour l’amende ni pour l’emprisonnement.
L’amendement de M. Fleussu, tendant à réduire à une année le maximum de l’emprisonnement est ensuite mis aux voix ; il n’est pas adopté.
Le maximum de cinq années d’emprisonnement et celui de 2,000 francs d’amende sont successivement adoptés.
L’article est adopté dans son ensemble tel qu’il est modifié par les décisions qui viennent d’être prises.
M. le président – Nous arrivons à l’art. 5 nouveau, proposé par M. Dubus (aîné). Cet article est ainsi conçu :
« L’art. 463 du Code pénal est applicable aux délits punissables en vertu de l’article précédent. »
Plusieurs membres – C’est inutile.
M. Dubus (aîné) – Messieurs, cet article est utile, il est même nécessaire. Quoi que l’ait maintenant supprimé le minimum aussi bien pour l’amende que pour la prison, les peines que le gouvernement devra établir n’en seront pas moins en grande partie supérieures aux peines de simple police ; il faut donc que, lorsqu’il se présentera des circonstances atténuantes de la nature de celles dont il s’agit dans l’art. 463, le juge puisse modérer les peines conformément à cet article.
M. Henot – Je pense avec l’honorable M. Dubus, auteur de la disposition qui est destinée à former l’article 5 du projet de loi qui nous occupe, qu’il est nécessaire de donner au juge le pouvoir de mitiger, dans certains cas données, les peines que le gouvernement comminerait en vertu de l’art. 4 qui vient d’être adopté ; si une pareille autorisation est toujours désirable, parce qu’il est impossible au législateur de prévoir toutes les circonstances qui auraient pu l’engager à prononcer une peine moins forte, elle l’est bien davantage dans l’occurrence où, ni les faits que le gouvernement est autorisé à défendre, ni les peines qu’il a la faculté de comminer, ne nous sont connus ; je ne pense pas toutefois que la disposition qui fait (p. 557) l’objet de l’amendement de l’honorable M. Dubus atteindra complètement le but qu’il s’est proposé. Je crois ne pas me tromper en avançant qu’il entre dans ses intentions d’accorder aux tribunaux la faculté de réduire non-seulement la peine de l’emprisonnement, mais aussi celle de l’amende, et qu’il ne veut faire aucun distinction entre le cas où un faits serait réprimé cumulativement par un emprisonnement et une amende, et celui où il ne le serait que par une amende seulement ; or, en conservant la rédaction qu’il propose, il est certain que les tribunaux ne pourraient réduire l’amende que lorsqu’elle serait comminée conjointement avec la peine d’emprisonnement, et que quand l’amende serait prononcée séparément, et comme devant à elle seule servir de répression au délit ; il ne leur serait pas permis de la mitiger, quand bien même ils auraient la conviction qu’elle n’est pas en proportion avec l’infraction commise ; on n’a, pour s’en convaincre de la réalité de ses assertions, qu’à jeter les yeux sur la disposition de l’art. 463 du Code pénal qu’on propose de rendre applicable aux délits qui seraient réprimés en vertu de l’art. 4 de la loi qui est soumise à nos discussions.
« Dans tous les cas où la peine d’emprisonnement est portée par le présent Code, dit cet article 463, si le préjudice causé n’excède pas 25 francs, et si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux sont autorisés à réduire l’emprisonnement même au-dessous de six jours, et l’amende au-dessous de 16 francs : ils pourront aussi prononcer, séparément, l’une ou l’autre de ces peines, sans qu’en aucun cas elle puisse être au-dessus des peines de simple police. »
Ainsi, vous le voyez, ce n’est que dans le cas seul où les peines d’emprisonnement et d’amende sont prononcées cumulativement, que l’article 463 accorde le droit de mitiger les peines, et je suis tout porté à croire qu’il existe une lacune dans cette disposition ; au reste, s’il n’en était pas ainsi, et s’il était vrai que le législateur du Code pénal n’aurait pas voulu que l’amende fût réduite lorsqu’elle devait à elle seule servir de répression, il a pu le faire en connaissance de cause, puisque le montant des diverses amendes comminées, et les faits qui devaient les entraîner, lui étaient connus ; mais il n’en est pas ainsi pour nous qui, je le répète, ignorons les faits qu’on peut rendre criminels et les peines qui seront portées dans les limites posées par l’art. 4, et il est dès lors indispensable d’autoriser les tribunaux à les mitiger dans tous les cas où elles pourront leur paraître excessives.
C’est pour atteindre ce but que j’ai l’honneur de proposer le sous-amendement suivant :
« Lorsque les circonstances paraîtront atténuantes, et que le préjudice causé n’excédera pas 25 fr., les tribunaux sont autorisés à réduire au-dessous de 6 jours et au-dessous de 16 francs, l’emprisonnement ou l’amende qui seraient prononcées en vertu de l’article précédent ; ils pourront aussi prononcer séparément l’une ou l’autre de ces peines, sans qu’en aucun cas elle puisse être au-dessous des peines de simples police.
- Le sous-amendement de M. Henot est mis aux voix et adopté. Il formera l’art. 5.
L’art. 5 du projet de la section centrale, qui devient le 6e, est ainsi conçu : « La présente loi cessera ses effets au 1er janvier 1847. »
M. Dubus (aîné) – Je me suis demandé, messieurs, s’il ne serait pas convenable de dire en même temps que les arrêtés pris en vertu de la présente loi cesseront également leurs effets au 1er janvier 1847.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cela va de soi.
M. Dubus (aîné) – La loi charge le gouvernement de prendre des arrêtés. Ces arrêtés tireront leur force du pouvoir que le gouvernement avait au moment où il les a pris, mais ces arrêtés aucune disposition de votre loi n’y met un terme. Il ne peut les laisser en vigueur.
Je crois qu’il est utile de dire : « La présente loi, ainsi que les arrêtés pris en vertu du pouvoir qu’elle confère, cessera leur effet au 1er janvier 1847. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’observation de l’honorable M. Dubus est celle-ci. La loi cesse au 1er janvier 1847. Que deviennent les arrêtés pris en vertu de la loi Mais il est évident que les arrêtés tomberaient également.
Faut-il le dire dans la loi ? Je me permettrai de soumettre à l’honorable membre et à l’assemblée une objection. Nous avons plus d’une loi temporaire. Le gouvernement a porté des arrêtés en vertu de ces lois. Si vous prenez ici la précaution de dire expressément que les arrêtés tomberont le jour où cessera la loi temporaire, ne faudra-t-il pas supposer que là où elle ne l’aura pas dit, les arrêtés survivront à la loi elle-même ?
M. Vanden Eynde – Je voulais faire cette observation.
M. Dubus (aîné) – Je suis bien aise d’avoir provoqué cette explication. Je retire mon amendement.
- L’art. 6 est mis aux voix et adopté.
La chambre décrète l’urgence du projet de loi, adopte définitivement les amendements qui y ont été introduits et procède au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet de loi, qui est adopté à l’unanimité des 73 membres qui ont pris part au vote.
M. Lys s’abstient parce qu’il n’a pas assisté à la discussion.
Ont pris part au vote : MM. de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus (aîné), A. Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lesoinne, Maertens, Malou, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Cogels, Coghen, Coppieters, d’Anethan, de Baillet, de Chimay, de Corswarem, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Naeyer, Deprey, de Renesse, de Roo, de Saegher et Liedts.
M. de Garcia, rapporteur - J’ai l’honneur de présenter à la chambre le rapport de la commission nommée pour vérifier les pouvoirs de M. Lejeune. Cet honorable membre ayant déjà fait partie de la chambre, nous n’avons pas eu à vérifier s’il remplit les conditions d’éligibilité exigées par la loi.
La commission s’est assurée que toutes les formalités légales ont été rigoureusement observées.
Voici quel a été le résultat du scrutin :
364 électeurs y ont pris part
La majorité absolue était donc de 168.
M. Lejeune a obtenu 323 suffrages.
En conséquence, votre commission a l’honneur de vous proposer d’admettre M. Lejeune comme membre de la chambre des représentants.
Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées. En conséquence, M. Lejeune est proclamé membre de la chambre des représentants.
M. le président – Dans votre séance d’avant-hier, vous avez chargé le bureau de former la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif à la vente d’effets militaires. Le bureau a nommé membres de cette commission : MM. Pirson, Vanden Eynde, Fleussu, Henot, Lange, de Roo et Scheyven.
Les amendements introduits aux art. 3 et 4 sont définitivement adoptés sans discussion.
L’article 5 a été adopté au premier vote en ces termes :
« Art. 5. Le gouvernement fera réimprimer, dans un recueil spécial, les lois et arrêtés avec une traduction flamande pour les communes où l’on parle cette langue.
« Néanmoins ne seront pas réimprimés dans ce recueil, les lois et arrêtés dont l’objet est purement individuel ou local.
« Ce recueil sera adressé directement aux communes, immédiatement après l’insertion des lois et arrêtés au Moniteur. »
M. de Roo – Messieurs, lors de la discussion générale de ce projet de loi, l’honorable M. Desmet a demandé à M. le ministre de la justice s’il se proposait de retirer son arrêté du 1er janvier, relatif à la traduction du Bulletin officiel en langue flamande. M. le ministre de la justice ne s’est pas prononcé à cet égard.
Cet arrêté, messieurs, fait beaucoup de tort à notre langue nationale, en ce sens qu’elle est maintenant diversement enseignée dans les différentes écoles, et même dans celles du gouvernement. Cela provient, messieurs, de ce que M. le ministre de l'intérieur lui-même a déclaré que l’arrêté du 1er janvier ne tirait à aucune conséquence pour l’enseignement de la langue, que cet enseignement était libre.
Avant donc d’adopter définitivement l’orthographe qui sera employée dans la traduction flamande du Bulletin officiel, je demanderai à M. le ministre de la justice ou à M. le ministre de l'intérieur, de bien vouloir soumettre à notre Académie les questions suivantes :
1° Est-il nécessaire de changer l’orthographe de la langue flamande (orthographe de Desroches.)
2° Ce changement étant démontré nécessaire, en quoi consistera-t-il ?
Messieurs, l’Académie est le seul compétent pour juger la matière. La langue flamande est aussi la seule dont ce corps puisse s’occuper ; car elle n’a pas à s’occuper de la langue française qui est jugée dans un autre pays.
La décision de l’Académie servira de règle, tout le monde s’y soumettra ; on n’aura plus à revenir sur cette question, et il y aura unité dans l’enseignement de cette langue.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, je n’ai pas cru devoir répondre à l’honorable M. Desmet, lorsque, dans une séance précédente, il parlé de l’arrêté du 1er janvier 1844, parce que cet arrêté n’était pas ici en question. Je pensais que la question relative à cet arrêté avait été complètement vidée dans la session précédente.
M. Delehaye – On n’a rien voté.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – La chambre n’a pas, je pense, à voter sur l’orthographe.
On a, du reste, singulièrement exagéré la portée de cet arrêté. Le gouvernement s’est borné à déclarer que, dans la traduction du Bulletin officiel, il emploiera l’orthographe qui paraît généralement admise dans le pays par tous les littérateurs. L’arrêté du 1er janvier n’a pas d’autre portée ; chacun dans les écoles et ailleurs est parfaitement libre d’employer l’orthographe qui lui convient. Mais si chacun conserve cette liberté, je la réclame aussi pour moi-même, et je pense être autorisé à adopter l’orthographe qui me paraît préférable.
J’ai suivi, messieurs, le meilleur guide qu’on peut suivre en semblable matière ; je m’en suis rapporté à la décision de littérateurs réunis en congrès à Gand, qui ont fait connaître à l’unanimité, je pense, leur opinion sur la meilleure orthographe. Je me déclare, messieurs, incompétent pour décider une question d’orthographe flamande. Je me suis borné à adopter celle suivie par les personnes les plus compétentes en pareille matière, par les personnes (page 558) qui s’occupent de la littérature flamande. Je ne crois pas, en effet, que pour se décider sur l’orthographe à suivre, il faille aller examiner les anciens protocoles des notaires, ni s’en rapporter aux actes écrits par des personnes qui ne se sont jamais occupées d’études littéraires.
M. Desmet – Comme l’honorable ministre de la justice n’avait pas répondu à la question que je lui avait adressée, je pensais qu’il s’en référait simplement à l’art. 5 de son projet, qui décide que la traduction du Bulletin de lois sera faite en flamand. Je ne pensais pas qu’on voulait persister à admettre pour cette traduction le néerlandais, la langue de la restauration. Je croyais qu’il voulait employer la langue que tout le monde comprend et non la langue de Guillaume et de son administration.
Je n’entrerai pas dans le fond de la discussion sur l’orthographe, mais je ferai observer que si l’on veut sérieusement une traduction que tout le monde comprend, il faut la faire dans la véritable langue flamande.
Ce n’est pas seulement sous le rapport de l’orthographe que j’ai à adresser un reproche au gouvernement ; il est une autre disposition dans votre loi que je blâme, c’est que les Flamands n’auront connaissance des lois et des arrêtés qu’accessoirement.
La publication est faite officiellement dans le Moniteur. Or, les communes ne sont pas obligées de s’abonner au Moniteur, et d’ailleurs il ne pourrait pas être lu dans la partie flamande, puisqu’il n’est publié qu’en français. Je voterai en conséquence contre la loi.
M. de Foere – Messieurs, quoiqu’il n’y ait aucune des assertions que M. le ministre de la justice vient d’émettre qui ne soit contestable, je n’entrerai pas, pour le moment, dans le fond de la discussion. Je me bornerai à demander à M. le ministre de la justice une seule question. L’art. 5 du projet de loi porte que « le gouvernement fera imprimer, dans un recueil spécial, les lois et arrêtés, avec une traduction flamande pour les communes où l’on parle cette langue. » Je demanderai au ministre de la justice s’il se propose de continuer, d’après son arrêté du 1er janvier 1844, de publier, dans ce recueil des lois et arrêtés, sous le nom de traduction flamande, une traduction hollandaise ? Je lui demande cette simple question, en premier lieu, parce que sa réponse doit diriger le vote que j’aurai à émettre sur le projet de loi actuel, et, en second lieu, parce que cette même réponse me dirigera aussi dans la discussion solennelle qui bientôt s’ouvrira sur le budget de l’intérieur. J’attache, avec la très-grande majorité de nos provinces flamandes, une haute importance à cette question. C’est une question nationale qui émeut le pays. Pour ma part, je ne souffrira jamais qu’une langue étrangère soit substituée à la langue nationale ; jamais je ne tolérerai qu’une semblable flétrissure soit imprimée au pays. Je le répète, la question est, pour la tranquillité et pour la dignité du pays, d’une haute gravité. Si la réponse de M. le ministre de la justice est contraire à mon opinion, elle influera, avec d’autres motifs d’opposition, sur le vote politique que l’émettrai sur le budget de l’intérieur.
M. de La Coste – Messieurs, je dois rappeler à la chambre que l’objet de cette discussion a donné lieu à plusieurs pétitions qui ont été renvoyées à une commission. Parmi ces pétitions, il y en a une dont les signataires se sont adressés personnellement à moi ; cette pétition émanait de plusieurs habitants de l’arrondissement de Louvain, et entre autres, si ma mémoire est fidèle, d’ecclésiastiques et de professeurs de l’université. Ils ont réclamé mon appui pour le maintien de l’arrêté du 1er janvier 1844. je leur ai dit que je ne croyais pas que cette matière fût réglée législativement. Je pense que la chambre ne possède pas les éléments nécessaires pour arriver à une conclusion sur cet objet ; je désirerais qu’on trouvât un moyen de la régler autrement ; mais pour le moment, je n’en vois pas. Je ne voudrais nullement qu’on imposât au pays la grammaire de Desroches ni aucune autre. Les langues marchent : la langue hollandaise n’était pas autre chose, dans l’origine, que la langue flamande. Du temps de Halma, le dictionnaire hollandais s’appelait Vlaemsch-Woordenboek ; depuis lors, la langue hollandaise s’est perfectionnée. Notre dialecte peut se perfectionner aussi, mais il me semble que cela doit rester en dehors de la législature. Je bornerai là mes observations.
M. de Haerne – Je regrette de devoir prendre par à cette discussion que je regarde comme un hors-d’œuvre pour la chambre ; mais d’un côté, mon opinion sur cet objet est généralement connue, et d’autre part, j’ai entendu prononcer des paroles que certainement je ne voudrais pas me voir appliquer ; je crois dès lors de mon devoir de dire quelques mots.
On a avancé que le gouvernement, en adoptant l’orthographe qui a été proposée par la commission, approuve la langue de la restauration ; je crois être patriote autant que qui ce soit, et ne m’étais jamais douté que je puisse être accusé de m’être rallié à une langue anti-flamande, alors que j’adoptais le système de la commission, alors que je continuais à suivre l’orthographe qu’avant la commission même j’avais toujours suivie et comme particulier et comme professeur.
Je regrette encore devoir m’opposer, dans cette circonstance, à l’opinion de plusieurs amis, ; membres de cette assemblée, et de plusieurs personnes en dehors de cette chambre, personnes dont je respecte infiniment le caractère et l’autorité ; mais j’aime à me persuader que ces personnes me permettront d’obéir à mes convictions, et à mes convictions seules, dans cette question comme dans toutes celles qui se traitent à la chambre. C’est la seule règle à laquelle je croie devoir conformer ma conduite.
Je serai court ; je tâcherai de prouver que l’orthographe proposée par la commission n’est nullement l’orthographe hollandaise ; il y a des différences essentielles entre les deux orthographes. Pour en être convaincus, les honorables membres de la chambres qui comprennent le hollandais et le flamand n’ont qu’à confronter les journaux flamands que l’on envoie la chambre avec les journaux hollandais ; il n’y a pas de lignes où ils ne trouveront de différence. Ces différences, il est vrai, ne sont pas capitales ; mais qu’est-ce que l’orthographe ? Elle ne consiste qu’en des signes conventionnels ; la langue de ne dépend pas de l’orthographe. Si l’orthographe adoptée par la commission était l’orthographe hollandaise, il faudrait accuser d’une tendance anti-nationale une foule d’institutions scientifiques dans le pays, presque tous les établissements d’instruction moyenne, à l’exception de deux peut-être, et entre autres de l’athénée de Bruxelles, où M. ; le professeur Bôn enseigne l’orthographe flamande d’après le système de Desroches. Tous les collègues, excepté deux, rejettent l’orthographe de Desroches, qu’on veut faire passer pour la seule qui soit nationale.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est le conseil communal de Bruxelles qui a décrété l’enseignement de cette orthographe.
M. de Haerne – Il est du moins certain que M. Bôn est un des grands défenseurs de l’orthographe de Desroches et qu’il s’oppose à l’introduction de l’orthographe de la commission. Or, je prendrai la liberté de vous lire un passage de la grammaire de M. Bôn (Non ! non !)… Je ne ferai pas cette lecture, puis que la chambre ne le désire pas ; je me bornerai à dire que dans la dédicace de cette grammaire, imprimée en 1836, il fait un éloge pompeux du dictionnaire de M. Olinger et de la grammaire flamande de MM. David et Mussely ; or, le système d’orthographe de ces littérateurs est celui de la commission. Voilà ce que M. Bôn faisait en 1836.
Il est possible que je m’écarte un peu de la question dont il s’agit, mais c’est malgré moi. Cette discussion me déplait plus qu’à personne ; car je sens tout ce qu’il y a d’insolite à nous ériger en grammairiens ; un journal allemand, le Coelnische Zeitung disait dans le temps, à propos de la première discussion qui a eu lieu sur ce point, que la chambre des représentants de Belgique avait donné une représentation comique, à propos du flamand, et il citait les différents orateurs comme des acteurs qui avaient pris part à cette représentation.
L’orthographe adoptée par la commission n’est peut-être pas le type de la perfection ; les règles qu’elle a posées ne doivent pas sans doute être invariables à tout jamais. L’orthographe est une chose mobile comme les langues, l’orthographe doit marcher avec le progrès. Mais une chose que personne ne contestera certainement, c’est qu’en matière d’orthographe comme en matière de grammaire, l’on doit s’en rapporter à l’autorité des littérateurs.
Toute opinion contraire à celle-là est inadmissible. Le gouvernement était dès lors dans son droit, en nommant une commission de littérateurs pour juger la question ; cette commission a jugé la question avec le plus grand soin, elle a posé des règles. Ces règles ont été ensuite sanctionnées par un congrès linguistique qui s’est tenu à Gand, et plus tard par le Tael-Verbond de Bruxelles, où tous les littérateurs du pays ont été invités à se rendre, soit pour admettre les règles établies, soit pour protester contre ces règles. Eh bien, dans cette circonstance solennelle, tous les littérateurs à l’unanimité ont adopté les règles de la commission, telles qu’elles avaient été modifiées par le Tael-Congres de Gand.
Un membre – Quels sont ces littérateurs ?
M. de Haerne – Ce sont les premiers littérateurs flamands du pays, ce sont les Willems, les Conscience, etc. On ne peut sans doute comparer à ces écrivains les auteurs de quelques œuvres flamandes de peu d’importance, de traductions de quelques livres français, traductions où l’on a suivi l’orthographe de Desroches. Il s’agit ici d’œuvres vraiment littéraires, d’œuvre qui font honneur au pays, qui ont un retentissement à l’étranger, et dont on rend compte dans des journaux allemands et anglais. Ce sont là non des œuvres accessoires, des œuvres insignifiantes et sans nom, mais des œuvres vraiment littéraires, je dirai des œuvres qui font honneur au pays, en un mot des œuvres de Conscience, qui, tel De Leeuw van Vlaenderen, sont puisées dans l’histoire et les moeurs nationales, et nous font connaître à l’étranger.
Je dis que le ministère a été tout à fait dans son droit en adoptant les règles admises par les grammairiens et les littérateurs, dont l’autorité est au-dessus de celle de l’Académie à laquelle on veut soumettre aujourd’hui la question de l’orthographe flamande. Si ces règles venaient à changer, si les littérateurs venaient à adopter d’autres règles, comme on doit croire que cela arrivera, lorsqu’on en juge par l’histoire de toutes les langues, alors la question changerait aussi pour le gouvernement. Je le répète, je ne pense pas que tout soit parfait dans les règles qu’on a admises ; et si on traitait la question à fond, j’entrerais dans des explications à cet égard ; mais je m’en abstiendrai, je me bornerai à dire que je me soumets à l’opinion des littérateurs du pays ; et je soutiens que le gouvernement a bien fait de s’y rallier. Si ces règles viennent à varier, le gouvernement devra encore se soumettre à la décision de littérateurs ; c’est la seule autorité compétente en la matière.
M. de Corswarem – Messieurs, comme l’a dit l’honorable M. de La Coste, plusieurs pétitions nous ont encore été adressées l’année dernière ; la chambre a renvoyé ces pétitions à la commission avec demande d’u prompt rapport ; il est prêt depuis six mois. Si je ne l’ai pas présenté à la chambre, c’est que j’ai été retenu par la crainte de susciter une discussion comme celle à laquelle nous assistons en ce moment. Mon rapport étant prêt, si la chambre le désire, je le ferai.
M. de Haerne – J’ai été nommé rapporteur d’une autre série de pétitions faites, je crois, en faveur de l’orthographe de Desroches. Je crois qu’il serait bon de joindre les deux rapports pour ne pas faire deux discussions. Mais mon rapport n’est pas prêt.
M. de Corswarem – En décidant sur l’une des deux réclamations contraires, l’autre sera décidée implicitement ; il ne faudra plus revenir sur cette question.
(page 559) Plusieurs membres – Oui ! oui ! le rapport !
- La chambre, consultée, décide qu’elle n’entendra pas dans cette séance le rapport relatif à la question dont il s’agit.
M. Delehaye – Messieurs, j’avoue mon incompétence quant à la décision de la question qui vient d’être soumis à la chambre. Cependant je ne puis me dispenser de faire connaître mon opinion relativement à l’arrêté du 1er janvier 1844. Cet arrêté a divisé les Flandre en deux camps. Vous venez d’entendre deux députés de la même province, je pourrais presque dire du même district, car les districts qu’ils représentent se touchent, émettre des opinions différentes avec un telle âcreté, qu’une opinion était accusée d’être hollandaise et l’autre opinion présentée comme seule nationale. Que résulte-t-il de là ? est-ce la chambre qui sera appelée à décider cette question ? Sous aucun rapport. Moi qui appartiens aux provinces flamandes, j’avoue mon incompétence. Que feront ceux qui appartiennent aux provinces où l’on ne parle pas le flamand ? Le gouvernement a des écoles normales ; c’était là qu’il devait prescrire l’emploi de telle ou telle orthographe, il était inutile de prendre un arrêté. Il suffisait de recommander l’une de préférence à l’autre. Par cet arrêté il a envenimé la question qui, certes, ne touche pas à son terme. Soyez-en convaincus, la lutte qui s’est engagée ne s’arrêtera pas là.
M. le ministre de la justice en rit ; cela ne m’étonne pas, le gouvernement rit de tout ; pour lui, il n’y a rien de sérieux, il n’y a cependant pas lieu de rire de la division qui s’établit dans le pays.
Par son arrêté, il a créé deux camps dans les Flandres, il a donné lieu à une division complète, profonde ; la manière dont on a abordé la discussion et la manière dont on a répondu, vous indiquent quelles sont les attaques auxquelles on se livrera plus tard. J’aurais voulu que le gouvernement mît assez d’adresse dans sa conduite pour éviter de lancer ce ferment de discorde dans le pays. Selon l’honorable M. Haerne, le gouvernement ayant le droit de prendre l’arrête dont il s’agit, a bien fait de le prendre. Si le gouvernement avait prescrit l’orthographe défendue par M. de Foere, qu’eût dit M. de Haerne ? Je suis persuadé que si le gouvernement eût agi ainsi, l’honorable M. de Haerne serait venu le critiquer ; il trouve l’acte parfait, parce qu’il est partisan du système adopté. Cette question, je l’avoue, n’est pas de la compétence de la chambre. Je crois que nous ferions bien d’y mettre un terme ; mais le gouvernement, en prescrivant la mesure, a fait voir qu’il ne tient pas compte de la juste susceptibilité de tout peuple quand on veut modifier sa langue et qu’il se soucie peu du repos du pays. Aujourd’hui, je le répète, les Flandres sont divisées en deux parties qui ne sont pas près de se donner la main. Une défiance très-grande existe ; tout le monde devrait désirer de la voir cesser, mais le moment de la concorde n’est malheureusement pas très prochain.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – L’honorable député de Gand parle comme s’il était loisible au gouvernement de traduire ou de ne pas traduire de Bulletin des lois ; mais le gouvernement est tenu de faire cette traduction, la loi lui en fait un devoir. Que dit l’arrêté ? Il se borne à faire connaître que la traduction des lois et arrêtés se fera d’après telle orthographe ; mais il ne s’agit nullement, je le répète, de prescrire une orthographe aux autorités administratives, ni aux institutions d’instruction publique.
La chambre fera justice de ce qu’a dit l’honorable préopinant quand il a accusé le gouvernement de rire des divisions qui existent dans le pays. Je ne rirais pas du tout, sans doute, si je pouvais croire qu’une division réelle se manifestât dans les Flandres, mais je ne puis me persuader qu’il en soit ainsi, et, je dois le dire, il me paraît singulier qu’on attribue à un arrêté qui règle seulement l’orthographe du Bulletin de lois, l’effet déplorable de semer la division dans le pays.
L’honorable membre ignore sans doute qu’avant le 1er janvier 1844, de nombreuses pétitions avaient été adressées au gouvernement par des personnes favorables à l’orthographe suivie aujourd’hui ; ces pétitions ont motivé l’examen qui a été fait à la question, et amené la solution que quelques personnes critiquent.
Si l’on avait continué à suivre l’ancienne orthographe, des plaintes en grand nombre se seraient élevées ; il y aurait eu, j’ose le dire, un concert à peu près unanime de blâme contre le gouvernement. La mesure prise a aussi l’assentiment de la grande majorité du pays, et n’est nullement de nature à y jeter la division.
M. Rodenbach – Puisque la langue est facultative, l’orthographe doit l’être également. L’arrêté pris par M. le ministre de la justice était tout à fait inopportun, il suffisait de dire au chef du bureau chargé du travail : Traduisez les lois en flamand comme la généralité l’écrit, afin qu’elles puissent être entendues par la généralité ; il ne fallait pas, par un arrêté déterminer l’orthographie à suivre, il ne faut pas d’orthographe officielle ; le tort qu’on a eu a été de vouloir en établir une.
On a appelé congrès une réunion qui s’est occupé à Gand de l’A,B,C flamand.
Je ne pense pas qu’en France, on nomme des commission auxquelles on donne la qualification pompeuse de congrès, pour examiner quelle orthographe il convient de suivre, si on doit donner la préférence à l’orthographe de Voltaire ou à celle de l’abbé Sicart ; chacun suit le système d’orthographe qu’il préfère. Il ne faut pas que le gouvernement prescrive d’orthographe, pas même dans les écoles normales ; on doit laisser faire les grammairiens. Je ne pense pas que les ministres aient la prétention d’être grammairiens. Si un arrêté comme celui qui a été pris avait eu pour objet de faire entrer des millions au trésor et de combler notre définit, je l’aurais compris, mais comme il ne pouvait avoir pour résultat que de faire naître des divisions dans le pays, je ne puis le comprendre et encore moins l’approuver.
M. Malou – J’ai écouté toute la discussion pour savoir où elle pourrait aboutir et j’ai trouvé qu’après avoir décidé qu’on ne s’occuperait pas aujourd’hui de la question de la langue flamande, on en avait repris la discussion. Je demande en quoi cette discussion se rapporte au projet de loi qui nous est soumis. Si l’honorable membre qui l’a soulevée proposait d’écrire dans la loi qu’on doit suivre l’orthographe de Desroches, je concevrais la discussion, mais nous discutons précisément une question que la chambre a décidé qu’on n’aborderait pas aujourd’hui.
Je demande qu’on rentre dans la discussion du projet à l’ordre du jour.
M. Dumortier – Messieurs, la question soulevée en ce moment n’est pas étrangère à nos débats. Il s’agit de savoir quelle sera la traduction qu’on fera des lois votées par les chambres. Cette traduction se fera-t-elle en langue nationale ou dans une langue de nouvelle fabrique ? je conçois la susceptibilité de mes honorables amis en présence de l’objet de la discussion.
En effet, il n’est pas de question plus délicate, plus chatouilleuse, si je puis m’exprimer ainsi, que celles qui se rapportent au langage des habitants. Nous devons nous rappeler combien nous avons été sensibles aux actes du roi Guillaume qui voulait nous imposer une langue étrangère. Aussi je conçois combien a dû être grande la susceptibilité des provinces flamandes, en voyant leur imposer une langue qui n’est pas la langue parlée aujourd’hui chez eux. Cette susceptibilité s’est augmentée quand on a vu le gouvernement s’en rapporter à un congrès présidé par le représentant d’un souverain qui a le plus grand désir de nous voir parler la langue hollandaise. En présence d’un pareil fait, je conçois la susceptibilité de mes honorables amis
Je conçois qu’on n’examine pas la question à fond, si on ne le veut pas. Mais je dis que mes honorables collègues et amis ont eu raison de soulever cette question. Il fallait savoir ce qu’on veut faire. Maintenant qu’ils savent que le gouvernement maintien la nouvelle orthographe, ils savent ce qu’ils devront faire quand se présentera la question des pétitions dont il s’agit.
M. de La Coste – La discussion selon moi, a déjà duré trop longtemps.
Cependant je demande la permission de dire un mot pour protester contre toute idée que les membres de la réunion dont on a parlé auraient obéi à des inspirations contraires à la nationalité belge. C’est là une réclamation déjà consignée, je pense, dans la pétition dont j’ai parlé et il suffit de lire les noms de ses signataires pour qu’on n’ait pas de doutes sur ce point.
M. Dumortier – Je n’ai aucunement entendu faire allusion aux opinions des membres qui ont siégé dans l’assemblée dont on a parlé ; mais je puis dire que les littérateurs flamands patriotes ont pu s’émouvoir en voyant l’assemblée présidée par le ministre plénipotentiaire de la puissance qui a le plus grand intérêt à ce que nous adoptions l’orthographe hollandaise.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cela n’est pas exact.
M. Dumortier - La réunion était sous son patronage.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il est inexact de dire que la réunion a eu lieu sous la présidence ou le patronage de l’ancien ministre des Pays-Bas. Ce fait est inexact.
Des littérateurs belges ont jugé à propos de se réunir en congrès ; ils ont convoqué tous les littérateurs du pays. Ils ont obtenu pour certains frais (entre autres pour le compte-rendu de leurs séances) un subside du gouvernement.
J’ignore si l’ancien ministre des Pays-bas y a pris une part ; il n’a pas parlé ; il y a été ; mais il ne s’est pas occupé de la question. Il est donc inexact de dire que la réunion a eu lieu sous son patronage ou sous sa présidence.
M. Dumortier – Je ne veux pas que l’on interprète mal mes paroles.
Un fait incontestable, c’est que lorsque le ministre plénipotentiaire d’une puissance étrangère est dans une réunion, cette réunion est toujours plus ou moins sous son patronage. Cela est tellement vrai que toujours les diplomates étrangers s’abstiennent d’assister à toute réunion publique.
Je persiste à dire que la présence de l’honorable ministre des Pays-Bas à la réunion était une provocation à l’adoption de l’orthographe hollandaise.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Qu’il me soit permis de le dire à l’honorable membre qui a été comme moi le confrère de l’ancien ministre des Pays-Bas, l’induction qu’il tire de la présence de ce personnage aux réunions dont il s’agit a lieu de m’étonner.
Cet honorable diplomate était membre de l’Académie de Bruxelles ; il était l’un des membres les plus assidus à ses réunions. Est-ce que l’honorable M. Dumortier en conclura qu’il exerçait un patronage sur la compagnie ?
M. Dumortier – Il n’y a entre les deux cas aucune analogie.
Je rends complètement hommage aux services qu’a rendus à l’Académie de Bruxelles l’honorable diplomate dont il s’agit. C’est lui qui l’a réorganisée à la chute de l’empire ; il assistait aux séances de l’Académie comme fondateur, et nous étions heureux de le voir parmi nous. Mais autre chose est de siéger dans un corps scientifique qu’on éclaire de ses lumières, ou de prendre part à une réunion comme celle dont il s’agit
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il n’ a pas pris part.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Deux commissions se sont réunies, l’une à Anvers, l’autre à Gand. Celle d’Anvers s’est assemblée la première et je crois être certain que l’honorable ministre plénipotentiaire (page 560) auquel on fait allusion n’assistait pas à cette réunion ; il n’a assisté qu’à celle de Gand ; or, avant cette dernière réunion les bases de l’orthographe, telle que je l’ai adoptée, avaient déjà été arrêtées à Anvers, où il n’y avait que des littérateurs flamands.
- La chambre, consultée, passe à l’ordre du jour
L’article 5 est définitivement adopté.
« Art. 6. le Moniteur et le Recueil des lois et arrêtés seront envoyés gratuitement aux membres des chambres législatives et aux autorités et fonctionnaires à désigner par le gouvernement.
« L’abonnement au Recueil est obligatoire pour les communes ».
Un § 2 a été supprimé : il était conçu en ces termes : « Le prix d’abonnement du Recueil et du Moniteur sera fixé par le gouvernement, d’après le chiffre du prix de revient. »
- Cet article est définitivement adopté.
« Art. 7. le Recueil sera exempt de la formalité du timbre et circulera en franchise.
« Chaque feuille du Moniteur et du Recueil portera l’empreinte du sceau de l’Etat. »
M. Dumortier – J’ai une observation à faire sur le changement de format du Moniteur. Je regrette beaucoup ce changement. Dans toutes les collections, on cherche, pour l’uniformité, à maintenir le format. Voyez le Moniteur Français. Depuis sa fondation, depuis la république, il n’a pas changé de format.
J’ai cru devoir faire cette observation, alors que le changement ne date que de quelques jours, parce qu’il serait facile de réimprimer les 22 premiers numéros de cette année, et de rendre ainsi à la collection du Moniteur son uniformité.
Je considère ce changement comme tout à fait fâcheux. Je sais que beaucoup de membres qui conservent leur collection le regrettent également. J’aurais désiré qu’avant de faire ce changement, on eût soulevé cette question, lors de la discussion du budget de la chambre. Comme le Moniteur se fait principalement pour la chambre, on aurait pu la consulter.
Autrefois, nous avions un journal grand, vaste, qui indiquait la grandeur du gouvernement ; aujourd’hui nous avons une feuille ratatinée (On rit) qui a l’air de je ne sais trop quoi.
Au reste, quand le gouvernement se réduit et s’amoindrit, il est tout naturel que son organe se rapetisse également.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je ne répondrai pas à la plaisanterie par laquelle l’honorable membre a terminé son discours.
Je me bornerai à dire quelques mots relativement à l’introduction du nouveau format adopté pour le Moniteur. Je pense que ce changement aura l’approbation des membres de la chambre. Le format du Moniteur était extrêmement incommode, lorsque le Moniteur était relié et qu’on devait le consulter.
J’ai choisi un format bien plus facile pour les recherches que l’on doit souvent faire dans la collection reliée du Moniteur. C’est quant à la hauteur, le format des pièces de la chambre ; de cette manière on pourra placer dans un même rayon toutes les pièces législatives. Un autre changement avantageux consiste dans la division en deux parties, dont la deuxième est exclusivement destinée au compte-rendu des séances des chambres, sous le titre d’Annales parlementaires.
Il y aura pour ces deux parties des tables et des titres séparés.
De cette manière, je le répète on aura une collection bien préférable sous tous les rapports.
Déjà, en 1842, la questure de la chambre avait pensé à faire un changement de ce genre, à adopter pour le compte-rendu des séances de la chambre le format maintenant adopté par le gouvernement. J’ai entre les mains un spécimen que la questure avait admis si elle n’avait été arrêtée par la dépense ; car il s’agissait alors de réimprimer toutes les séances de deux chambres depuis la révolution. Maintenant le changement introduit pourra peut-être engager à donner suite à cette première idée.
Le format des pièces de la chambre est, avons-nous dit, celui que nous avons adopté, mais il est bon de noter que les pièces de la chambre avaient d’abord été imprimées dans un autre format, abandonné plus tard lorsqu’on a reconnu qu’un format plus grand convenait mieux que l’ancien format.
On a parlé du format du Moniteur universel (Moniteur français). Mais on sait que l’on réimprime ce Moniteur dans un format qui se rapproche beaucoup de celui que nous avons adopté ; et on a fait cette réimpression parce qu’on a senti combien le format du Moniteur était incommode pour les recherches.
La plupart des personnes à qui j’en ai parlé ont approuvé le changement introduit. Il m’a paru présenter des avantages tels qu’il ne devait rencontrer aucun blâme, et dès lors j’ai dû compter sur l’assentiment de la chambre.
M. Lesoinne – Dans le compte rendu des séances qu’on nous distribue avec le Moniteur, la pagination commence à la page 497, je ne sais pas à quoi cela tient.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – La pagination commence en effet à la page quatre cent et tant ; voici quel en a été le motif.
J’ai désiré être à même, si les fonds disponibles le permettaient, de pouvoir réimprimer dans le format actuel, le compte-rendu de toute la session actuelle. J’ai fait calculer à quelle page on arriverait en réimprimant dans le nouveau format le commencement de la session ; et j’ai adopté une pagination dans la prévision de cette réimpression.
La dépense de la réimpression serait peu considérable ; et je trouverai, je pense, le moyen d’y faire face à l’aide des économies que je pourra faire sur le Moniteur et le Recueil.
- L’art. 7 est mis aux voix et définitivement adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet ; en voici le résultat :
75 membres prennent part au vote ;
63 votent l’adoption.
12 votent le rejet.
En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont voté l’adoption : MM. de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, A. Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu,Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lesoinne, Lys, Maertens, Mats de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Thyrion, Van Cutsem, Van Volxem, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Cogels, Coghen, Coppieters, d’Anethan, David, de Baillet, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, Deprey, de Renesse, de Saegher et Liedts.
Ont voté le rejet : MM. Desmet, de Theux, d’Huart, Dubus (aîné), Orts, Van Eynde, Verhaegen, Verwilghen, Brabant, de Foere, Delehaye, de Naeyer.
M. le président – Le troisième objet à l’ordre du jour est la discussion du budget de l’intérieur.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – Messieurs, je n’ai demandé la parole que pour faire une simple déclaration au nom de tous les membres du ministère.
Plusieurs honorables représentants ont annoncé qu’ils se proposaient de soulever un débat politique, à propos du budget du département de l’intérieur. Si la chambre juge cette discussion nécessaire, nous l’acceptons, mais c’est pour le cabinet tout entier.
Le vote sur l’ensemble du budget de l’intérieur, prenant dès lors un caractère politique, décidera donc de l’existence du cabinet. Telle est, messieurs, la déclaration que le ministère croit devoir vous faire.
M. le président – La discussion générale est ouverte.
M. Osy – Ayant depuis deux ans voté contre le budget de M. le ministre de l'intérieur et combattu presque tous ses actes, vous ne serez pas étonnés aujourd’hui de me voir prendre de nouveau la parole pour vous faire connaître les raisons qui m’obligent à lui refuser ma confiance. Cependant, soyez persuadés, messieurs, que l’exclusion que M. le ministre vient de prononcer contre moi, il y a peu de jours, n’a aucune influence sur moi et que, dans toutes les occasions, je ne considère que les intérêts du pays, et que je n’agis jamais par rancune ou amour-propre.
Je regrette beaucoup, dans l’intérêt du pays, que M. le ministre de l'intérieur n’ait pas suivi l’année dernière les sages conseils de l’honorable M. Dolez, et qu’il ne se soit pas retiré plus tôt, tout en consacrant ses talents et son activité à l’étranger pendant quelques années. En se retirant alors, il aurait évité d’augmenter le mécontentement dans le pays et dans les chambres ; car soyez persuadés, messieurs, que sa présence au pouvoir, nonobstant les échecs successifs qu’il a éprouvés, fait un mal infini et que ce mal n’ira qu’en augmentant ; car il est bien positivement démontré que les griefs de l’opposition augmentent à chaque occasion, et je suis vraiment étonné que la majorité ne se soit pas jointe à nous pour finir d’une fois ce malaise dans le parlement, qui est si nuisible aux affaires et à la marche de nos délibérations ; on voit clairement que la majorité n’a pas plus de confiance que nous, et j’espère qu’on finira par profiter de cette occasion de se prononcer clairement si on veut encore permettre au ministre de suivre la même marche tortueuse, et si on ne désirera pas, comme nous, un pouvoir qui ait la confiance de la chambre et inspire le respect à la nation.
Ayant tous les ans articulé mes griefs contre M. le ministre de l'intérieur, je me bornerai aujourd’hui à rendre mon point de départ depuis la formation du cabinet actuel.
Vous vous rappellerez tous qu’à la retraire de l’ancien ministre des affaires étrangères, M. Nothomb avait engagé ses autres collègues à se retirer également, et, comme il y avait résistance de leur part, il donna seul sa démission. Ses collègues, croyant que la dissolution du ministère était sérieuse, ont imité son exemple ; alors M. Nothomb revint sur sa démission et fut chargé de former le cabinet actuel ; tout le monde a été frappé, dans le temps, de cette marche peu franche, pour ne plus avoir d’entraves. Ce qui nous a alors le plus étonnés, c’est qu’on appela comme ministre des finances, celui qui avait combattu pendant deux ans M. Nothomb, dans toutes les graves questions politiques, et était à la tête de l’opposition. M. Nothomb nous ayant déclaré depuis, à plusieurs reprises, qu’il n’avait abandonné aucun de ses principes, nous ne pouvons pas douter que la présence de ces deux personnes au pouvoir doit occasionner des tiraillements continuels, et certainement cela n’a pas peu contribué à déconsidérer le ministère actuel ; car ceux qui, comme moi, croient à la sincérité des principes, doivent être persuadés qu’il ne peut exister une entente cordiale ; et lors de la discussion du traité avec le Zollverein nous avons vu, dans les déclarations de trois ministres, qu’on était loin de s’entendre, et nous avons la preuve qu’il n’existe pas de ministère solidaire. Je vous parlerai plus tard de la loi du jury d’examen ; là la désunion a encore été plus frappante.
J’ai toujours reconnu que M. le ministre de l'intérieur avait une facilité (page 561) et une activité extraordinaire pour les grandes affaires de l’Etat ; mais depuis un an, mon opinion s’est bien modifiée ; je lui accorde toujours la réputation de grande activité, mais nous avons maintenant la preuve évidente que son grand talent consiste à trouver des expédients pour se tirer d’affaires, mais sans calculer les embarras qu’il aura par la suite, ou qu’il léguera à ses successeurs, peut-être aussi pour empêcher d’autres hommes à lui succéder, si, comme je le crains, les embarras sont par trop grands et difficiles à surmonter. C’est aussi un talent, mais qui peut devenir très-funeste au pays, et plus la situation actuelle durera, plus elle deviendra inextricable. Il est donc plus que temps que nous cherchions un remède au mal. Et il serait à désirer que nous tous, sans considérer ni position, ni amitié, nous disions franchement, la main sur le cœur et comme jury, si la présence prolongée de M. Nothomb au pouvoir n’est pas funeste au pays.
Vous vous rappelez, messieurs, les changements qui ont eu lieu dans deux de nos provinces avant l’ouverture de la session.
On a eu le talent de mécontenter les deux titulaires ; mais ce qui nous a étonnés le plus, c’est que M. le ministre, dans l’espoir de sortir d’un embarras, s’est adressé à un des chefs de l’opposition de droite, qui commençait à se former, et qui pouvait devenir très-redoutable pour son existence ministérielle. Je connais assez le nouveau titulaire, sa franchise et sa loyauté, pour être persuadé que ce n’est pas lui qui reniera aucun de ses principes politiques, mais que M. le ministre devra les subir, et que, s’il ne le faisait pas, nous le verrions comme dans une autre occasion très-grave, reprendre à la chambre, toute son indépendance et toujours se conduire comme un loyal député. Ainsi, au lieu d’avoir voulu et tâcher d’absorber un de nos collègues, il devra marcher d’après ses principes, et ce sera au ministre à se régler d’après les principes de ses fonctionnaires, dans la crainte d’être combattu par eux.
Voilà encore un exemple du talent de M. Nothomb, et que j’appelle expédients, et qui, l’un ou l’autre jour doit tourner contre lui.
Ce qui, dans le règne ministériel de M. le ministre de l'intérieur, m’a le plus profondément affligé pour la dignité du pays, c’est sa conduite lors de la discussion de la loi sur le jury d’examen. Après un travail laborieux et consciencieux, il nous a présenté un projet de loi, par lequel il nous demandait une prérogative royale ; et, au moins ici, nous devions penser qu’il aurait fortement soutenu son projet, ou qu’au moins il serait glorieusement tombé avec lui, d’autant plus que nous avons vu, pendant la discussion, qu’un de ses collègues, qui ne partageait pas son opinion, a cru devoir remettre son portefeuille à Sa Majesté.
Quoique, pendant la discussion et après l’examen en sections, on s’apercevait que la chambre était fractionnée en deux camps, presque de la même force, il n’a pas osé aller au bout de l’épreuve, et, effrayé de sa victoire, qui nous paraissait certaine s’il avait tenu bon et s’il en avait fait une question d’existence, comme l’honorable M. Dechamps en avait donné si convenablement l’exemple, il a dû avoir recours à un de ses amis, pour le tirer d’embarras et pour pouvoir reculer avant d’aller aux voix. La chambre et le pays ont vu avec douleur cette marche peu digne, surtout dans une question mûrement examinée, où on ne nous demandait une prérogative royale.
Dans cette occasion, nous avons pu apprécier tout le talent et le caractère de M. Nothomb, et nous avons la preuve évidente qu’il n’a pas de principes politiques et qu’il sait se plier d’après toutes les circonstances. Souvent dans les conseils de cabinet il doit se présenter des questions de haute politique, et nous ne pouvons pas douter qu’il se laissera toujours entraîner par la majorité, sans jamais faire prévaloir des principes, et alors son talent sera de soutenir devant nous le blanc ou le noir, d’après les circonstances.
Le pays est profondément affligé du rôle joué depuis quatre ans par M. Nothomb, qui amène la déconsidération du pouvoir, son abaissement ; et si ce même système continue à prévaloir, il doit donner à tous les amis du pays les plus sérieuses inquiétudes, et finalement notre nationalité perdra de sa force et de son prestige.
Si j’était ennemi du pays, je devrais en silence désirer la continuation de l’existence ministérielle de M. Nothomb, car personne, mieux que lui ne fait les affaires de ceux qui n’ont pas de foi à notre existence comme nation ; mais désirant la tranquillité et comme véritable conservateur, je me trouve obligé d’éclairer le pouvoir, et me taire serait non-seulement une lâcheté, mais je le considérerais comme une faute politique, et je ne croirais pas remplir dignement le mandat que j’ai obtenu. Oui, je puis et dois hardiment dire que le mécontentement dans toutes les provinces, dans toutes les classes, ne fait que s’augmenter, et que la présence de M. Nothomb au pouvoir diminue les sentiments d’estime et de respect dont nous avons besoin de voir entouré le pouvoir.
Je fais donc des vœux pour que nous nous expliquions franchement tous et sans réserve ; car, malheureusement, nous avons l’expérience que, sans un vote solennel, M. Nothomb ne se retirera pas ; car, si je voulais seulement énumérer les échecs successifs qu’il a encourus pendant sa présence à deux ministères depuis 1841, la liste serait par trop longue, et ces échecs ont été si éclatants que vous devez tous vous les rappeler. Véritablement ce n’est plus le pouvoir qui fait les lois, c’est nous ; et, dans toutes les graves discussions, nous avons dû refaire les lois, en y introduisant des amendements tels que l’esprit primitif des lois se trouve bouleversé, et presque toujours nos amendements proviennent de la méfiance que nous avons dans le pouvoir.
Pour ce qui est de nos affaires industrielles et commerciales, elles ne sont pas mieux menées que les affaires politiques, et le mécontentement ne fait qu’augmenter ; la preuve la plus évidente, ce sont les nombreuses pétitions qui nous parviennent tous les jours, et il ne se passe pas de séance que nous ne soyons obligés de demander le renvoi des pétitions pour avoir de prompts rapports, pour tâcher de soulager les industries souffrantes.
Quoique je fasse aujourd’hui partie de l’opposition, je puis cependant dire que, dans bien des occasions, je me suis trouvé d’accord avec le ministre ; mais je dois ajouter que c’est lui qui abandonne ses projets et les députés qui les soutenaient. Lors de la discussion de son projet du jury d’examen, je partageais ses principes, je suis resté jusqu’au bout à les soutenir, mais il a voté lui-même contre ce qu’il nous avait présenté.
Pour la loi des droits différentiels, il n’a pas eu de plus chaud adhérent que moi, et, pendant trois semaines, nous étions d’accord pour repousser les demandes pour la Meuse, et nous disions ensemble que la Meuse devait s’imposer un léger sacrifice, l’Escaut et le littoral étant fermés pour plusieurs produits, dans l’intérêt des deux grandes branches d’industrie. Il fallait espérer qu’au moins cette fois-ci, la question n’étant pas politique, il tiendrait bon jusqu’à la fin, et que nous aurions fait une loi où aucune nation n’avait des avantages ; que c’était un système commercial que nous allions créer, et qui nous aurait mis à même de pouvoir négocier avec toutes les puissances, sans qu’aucune ne pût se plaindre d’être moins bien traitée que les autres ; et rappelez-vous, messieurs, que pendant les trois premières semaines de nos discussion, M. le ministre nous disait, et je partageais son opinion, qu’en adoptant un système juste, il ne craignait pas les représailles de nos anciens frères du Nord.
Enfin, M. le ministre ayant totalement changé d’opinion, il a doté le pays d’un système commercial contre lequel presque tout le commerce, à de bien légères exceptions près, a protesté de toutes ses forces, et la chambre de commerce de votre métropole commerciale a été obligée de se rendre en corps auprès du chef de l’Etat, pour le prier de ne pas sanctionner la loi ; avant l’adoption de la loi, vous avez reçu des pétitions pour vous demander de conserver le statu quo, et vous avez vu les députés d’une province, pour laquelle on avait viré de bord, voter avec moi contre la loi.
La discussion de cette loi a encore été un triste spectacle des convictions commerciales de M. Nothomb, et certainement depuis ce temps il s’est aliéné même ceux qui ne se mêlent pas de politique.
Je ne vous dirai pas grand’chose de la loi des tabacs, ni dans quel système on a voulu nous attirer ! C’est encore nous qui, dans cette circonstance, tout en sacrifiant une partie de l’industrie, avons soustrait le pays à un régime odieux et que nous subissions du temps de l’Empire.
Sous le ministère 1841-1842, M. Nothomb prenait la parole dans toutes les discussions : ce qui nous faisait dire alors qu’il avait six portefeuilles ; mais lors de la discussion de la loi sur les sucres, il n’est pas venu en aide à son collègue le ministre des finances ; je ne sais si c’était calcul, mais la loi, amendée par la chambre, a mécontenté une industrie très-importante et à tel point, ce que nous devons tous déplorer, que les ouvriers se réunissent pour nos envoyer des pétitions, et il est à craindre que, d’après l’enquête que le ministre vient d’ordonner, de longtemps on ne viendra pas vous présenter une loi pour remédier au mal et pour arrêter la mort certaine des deux industries du sucre.
Je ne vous parlerai pas longuement du triste rôle qu’a joué M. le ministre de l'intérieur pendant la discussion du traité du 1er septembre et quel fâcheux spectacle nous avons dû donner à l’Allemagne, ce qui ne peut que nous déconsidérer à l’étranger comme à l’intérieur. Aussi, jamais n’avons-nous vu autant de comités secrets que depuis un an, et nous a en avons la preuve qu’ils ne sont demandés que pour cacher ses fautes et ses faiblesses, et que le ministère n’ose plus, dans aucune grave question, parler en public la tête haute et faire respecter la Belgique.
Pour ce qui est du projet de l’entrepôt franc, on nous soumet un avant-projet ; il mécontente deux grandes villes, on leur promet qu’on ne donnera pas suite au projet ; peu de temps après, on vous présente la loi, avec exclusion de ces deux villes : nouvelles réclamations, et on leur promet de les comprendre lors de la discussion de la loi, et tout cela dans l’espace de quelque mois.
Le projet de loi contient un nouveau système (les Warrants) qui ne se trouvait pas dans l’avant-projet et sur lequel les chambres de commerce n’ont pas été consultées. Aussi la chambre de commerce de votre métropole, à l’unanimité, rejette la faveur qu’on veut lui accorder et dont elle ne veut pas, parce que, d’un commerce sage et solide, on pouvait attirer les Belges dans des opérations hasardeuses et même qui pourraient devenir frauduleuses.
Je dois encore vous entretenir de la loi des céréales. Dans la dernière session, on nous présente un projet ; la section centrale est réunie, et, après de nombreuses et longues réunions, sur l’arrivée de pétitions, on retire la loi, sans nous en proposer une nouvelle ; et cependant, toute le monde réclame la révision de la loi de 1834. M. le ministre pensera qu’il vaut mieux ne rien faire, que de s’aliéner une partie de la chambre, qui le soutenait jusqu’à présent, mais il est obligé de venir nous présenter une petite loi pour quelques stipulations de la loi de 1834, et là nous apprenons qu’il a fait à l’étranger des promesses, il y a 18 mois, qu’il nous a cachées, autant qu’il a pu, et cela dans un moment où l’agriculture est dans une véritable crise et où le froment est déjà près de 4 franc au-dessous du prix de libre exportation.
Nous, qui voulions venir en aide à l’agriculture, pour ne pas compromettre les traités existants avec la France et les Pays-Bas, nous sommes obligés de sacrifier cette branche intéressante de la richesse nationale.
Le ministre, se croyant sûr du succès dans la chambre des représentants, on ne nous a pas parlé, d’existence ministérielle ; mais, dans une autre enceinte, lorsqu’on croyait la loi compromise, on a lâché le mot magique, et la loi et le ministre ont été sauvés, mais la considération du pouvoir a été avilie.
Aussi, c’est un événement grave d’avoir vu descendre le président de son fauteuil, lui qui est en même temps un haut fonctionnaire dans une des nos (page 562) provinces, et qu’il se soit obligé, par conscience, de combattre la loi jusqu’à la fin, tout en connaissant la déclaration politique et officielle du ministre, et sachant que son vote pourrait renverser son chef.
Honneur au digne représentant de la nation ! Mais vous conviendrez avec moi, messieurs, que la conduite du ministre ne peut qu’altérer la dignité du pouvoir.
L’exemple d’indépendance de l’honorable président sera suivi, j’espère, par tous nos honorables collègues, et en émettant un vote solennel, tous nous ne considérerons ici que notre mandat de député.
Je pourrais augmenter à l’infini la liste de nos griefs contre M. le ministre de l'intérieur et dérouler devant vos yeux le rôle peu digne qu’il a tenu depuis quatre ans au parlement et devant la nation, et comment il a compromis nos affaires ; mais je pense que ce que j’en ai dit doit suffire ; et ayant la preuve que même les plus grands échecs ne lui feront pas abandonner le pouvoir, je pense qu’il est temps que nous déclarions hautement, pour la dignité du pays, que nous ne pouvons pas continuer notre confiance à M. Nothomb ; je ne prendra pas sur moi la responsabilité de le voir plus longtemps au timon des affaires, et en posant la question de confiance, ce qui me paraît le moyen le plus loyal, je répondrai en conscience et par aucune raison d’inimitié
Non, M. le ministre de l'intérieur ne possède pas la confiance de la représentation nationale et du pays, et j’engage tous les honorables collègues à répondre librement et franchement à cette question.
M. Malou (pour un fait personnel) – Messieurs, si je laissais passer en silence quelques-unes des expressions du discours de l’honorable préopinant, je fausserais ma position ; je fausserais, je crois, aussi la position d’un grand nombre de membres de cette chambre.
Quelle est, en effet, messieurs, la doctrine qui, au milieu de certains éloges que je ne crois pas pouvoir accepter, a dicté les paroles de l’honorable préopinant ? C’est que des chefs d’opposition, suivant l’expression qu’il a employée, se laisseraient absorber ici ; c’es que nous n’aurions pas tous ici les mêmes devoirs, les mêmes droits.
C’est cette position que je ne puis accepter pour moi-même, et que je crois qu’aucun de vous n’acceptera.
D’abord, en ce qui me concerne, je ne puis accepter la qualification d’avoir été un des chefs de l’opposition dans cette chambre. Déjà longtemps avant les faits auxquels l’honorable M. Osy a fait allusion, il m’était arrivé de faire de l’opposition. Il m’est arrivé d’en faire à l’occasion de ces faits, il m’arrivera probablement à l’avenir d’en faire encore.
Et, en effet, messieurs, il y a deux oppositions : il y a l’opposition qui s’attache à des actes qu’elle crois mauvais, qui les combat et dit pourquoi. C’est celle-là que j’ai faite dans toutes les positions où je me suis trouvé depuis que je fais partie de cette chambre. C’est celle-là que je continuerai à faire dans toutes les occasions.
Il y a un autre opposition, c’est celle qui combat un système. Il y en a une troisième, peut-être, c’est celle qui combat un homme.
L’opposition de système, je ne l’ai jamais faite et j’espère que de longtemps, je n’aurai pas occasion de la faire. En effet, messieurs, les systèmes de politique qui nous ont divisés jusqu’à présent ont bien nettement dessinés par les discussions de ces dernières années. L’un de ces systèmes est celui qui, prenant acte de l’existence de deux partis, veut que l’un de ces deux partis domine dans le pays, gouverne seul. L’autre système est celui qui, sans tenir compte des hommes et des circonstances, veut qu’on ait égard aux intérêts de deux opinions considérables dans le pays. Je crois n’avoir jamais dit un mot, dans ma courte carrière politique, qui fût contraire à ce dernier système, sans m’occuper des hommes qui momentanément peuvent être au pouvoir.
L’honorable membre m’a rendu justice, quand il a dit que je ne renoncerais pas à mes principes. Mais il a été trop loin lorsqu’il a ajouté qu’en me nommant, le ministère s’était obligé à adopter mes principes à marcher derrière moi, pour me servir de ses expressions. Ni si haut, ni si bas, messieurs. Nous avons tous conservé et nous conserverons toute notre liberté d’action dans toutes les circonstances qui pourront se présenter.
Je demande pardon à la chambre d’avoir voulu dès à présent lui donner ces explications. Mais je crois que la dignité de chacun de nous fait partie du patrimoine commun de la chambre. C’est à ce titre que je me suis permis de l’occuper quelques instants de moi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je pourrais, messieurs, m’emparer des quelques observations faites par l’honorable préopinant, pour donner à l’instant même à la discussion qui s’ouvre toute sa portée, pour dire quelle est la pensée qui m’a ramené aux affaires il y a quatre ans, pour dire comment j’ai constamment, loyalement, courageusement, poursuivi cette pensée à travers toutes les circonstances, à travers tous les obstacles.
Je ne crois pas, en répondant au premier orateur que vous avez entendu, devoir donner à la discussion toute sa portée, j’oserai presque dire, toute sa grandeur ; j’attendrai que d’autres observations m’amènent sur le véritable terrain parlementaire et ministériel. Cet honorable membre s’est attaché à quelques actes, je ne m’attacherai non plus qu’à quelques détails.
Si je savais que ma retraite ouvrirait je ne sais quel âge d’or dans le pays, si je savais que cette retraite ferait à l’instant cesser toutes les réclamations, mettrait fin aux souffrances et de l’agriculture, et de l’industrie et du commerce ; si je savais que cette retraite aurait pour effet de faire arriver devant vous des projets de loi qui ne subiraient aucun changement et qui seraient votés aux acclamations des deux chambres, tels qu’ils seraient sortis du cabinet des ministres, ah ! messieurs, je me retirerais immédiatement de la place où je me trouve, et j’assisterais avec bonheur au spectacle nouveau qu’on semble nous annoncer. Mais je pense qu’avec moi comme sans moi, le pouvoir aura toujours ses difficultés ; je pense qu’avec moi comme sans moi, l’industrie, le commerce, l’agriculture, tous les intérêts qui existent dans le pays, auront des réclamations à vous adresser ; je pense qu’avec moi comme sans moi, les projets de loi apportés par le ministère devant vous, subiront des changements, et que des échecs atteindront mes successeurs comme ils ont été le partage de mes prédécesseurs.
Dès lors, messieurs, instruit par l’expérience de ces quatorze dernières années, je ne dois pas rêver cet âge d’or ; et aucun de vous ne doit se le promettre, même quand je ne serai plus à cette place.
L’honorable préopinant, s’attachant aux détails, vous a énuméré les échecs du gouvernement depuis quatre ans. Sans doute, messieurs, le gouvernement n’a pas vu son opinion prévaloir dans toutes les discussions. Le cabinet n’est pas composé d’hommes infaillibles ; dès lors, à moins de méconnaître complètement et le gouvernement représentatif qui suppose la discussion, et la nature de l’homme qui n’admet pas l’infaillibilité, il fallait bien s’attendre à quelques échecs.
Mais, à côté des échecs, il me sera sans doute permis, dans le cours de la discussion, forcé que je suis de me défendre, il me sera sans doute permis de rappeler les succès, et je dirai de grands succès. Il me sera permis de vous dire d’où nous sommes partis, il y a quatre ans, et où nous sommes arrivés aujourd’hui. Nous verrons alors si mettant dans un plateau les échecs et dans l’autre plateau les succès, le plateau où se trouvent les échecs doit nécessairement monter et s’offrir seul à vos regards.
L’honorable préopinant a surtout insisté sur deux projets de loi : le projet de loi relatif au jury d’examen, et le projet de loi relatif aux droits différentiels. Quant au premier projet, l’opinion que j’ai cru devoir soumettre à une épreuve parlementaire, parce que je voulais rester fidèle à une ancienne conviction personnelle, cette opinion n’a pas prévalu. Il fallait, dit l’honorable membre, pour la faire prévaloir, poser une question de cabinet ; et le même honorable membre, en critiquant ce qui s’est passé récemment au sénat, me reproche d’avoir posé une question de cabinet pour faire adopter par le sénat la loi des céréales. Mais qu’au moins l’honorable membre se mette d’accord avec lui-même. Le ministère est juge sur ce point ; il déclare quand il doit faire une question de cabinet, quand il ne doit pas en faire une. La majorité est juge aussi ; si la majorité, dans la question du jury d’examen, avait cru que, par suite de la présentation du projet de loi, le ministère devait être à l’avenir indigne de la confiance de la chambre, la majorité pouvait déclarer au ministère que, si lui ne faisait pas du vote une question de cabinet, elle en faisait une.
La majorité a usé de son droit en s’abstenant, le ministère avait usé de son droit en déclarant quelle portée il donnerait au vote parlementaire sur cette loi.
Je passe au deuxième point.
La loi des droits différentiels n’est pas restée telle qu’elle était d’abord ; elle a subi une modification importante. Cette modification, l’honorable membre nous le répète pour la centième fois, cette modification dénature, dit-il, tout le système de la loi. Cette question a été discutée ; on vous a prouvé que l’exception des sept millions de café, faite en faveur du commerce hollandais, n’a pas faussé tout le système de la loi, et, ce qui le prouve, c’est que la loi des droits différentiels a déjà porté des fruits, qu’elle est restée suffisante pour négocier à l’étranger ; or, avant tout, vous avez voulu faire de la loi des droits différentiels un moyen de négociations.
La loi des droits différentiels, suivant l’honorable membre, devait rester ce qu’elle était le premier jour ; elle ne devait subir aucune modification ; le ministère devait rester inflexible, absolu, quelques nécessités que le cours de la discussion pût révéler. Je félicite l’honorable membre de cette fermeté, je désire qu’un système aussi énergique, aussi absolu, puisse réussir, mais j’en doute beaucoup.
Quoi qu’il en soit, messieurs, la loi des droits différentiels, telle qu’elle existe aujourd’hui, est encore suffisante ; elle a été déjà suffisante, elle le sera encore dans d’autres circonstances. Cette loi, dans son ensemble, a été votée à une grande majorité dans cette chambre, et il serait vrai de dire que le ministère a de nombreux complices. Quant à l’exception des 7 millions, elle a été votée à l’unanimité moins une voix, celle de l’honorable préopinant. Dès lors, messieurs, je le demande, comment voulez-vous faire au ministère un grief d’une loi adoptée à une très-grande majorité et qui a déjà porté des fruits, d’une loi où il y a une seule exception qui a engagé l’honorable membre à changer d’opinion, et qui a été adoptée à l’unanimité moins une voix ? (Interruption de la part de M. Verhaegen).
La loi, dans son ensemble, a été votée à une grande majorité : l’honorable M. Verhaegen a voté contre, et l’exception dont se plaint M. Osy a été adoptée à l’unanimité moins une voix, la sienne ; c’est-à-dire que l’unanimité de la chambre a reconnu qu’en présence des nécessités nouvelles que la discussion avait révélées, il fallait faire une exception. Direz-vous peut-être que c’est nous qui avons fait naître ces nécessités ? Irez-vous jusque-là ? Ce serait vraiment une singulière doctrine que de dire qu’il ne faut pas, surtout dans une question toute matérielle, s’éclairer par la discussion, qu’il ne faut pas s’éclairer par les réclamations qui peuvent venir du dehors, par les observations qui peuvent être faites dans cette chambre. Mais, messieurs, si l’on en venait là, les deux chambres seraient en quelque sorte réduites à voter par oui ou par non sur les projets que les ministres porteraient devant elles.
J’ai voulu, messieurs, ne m’attacher aujourd’hui qu’à ces deux actes. Nous n’avons pas appelé la discussion qui s’ouvre devant nous, mais nous l’acceptons ; nous prendrons plus d’une fois, sans doute, la parole dans le cours de ces débats ; nous leur donnerons probablement toute la (page 563) portée politique que l’honorable M. Malou a déjà indiquée et que l’honorable M. Osy s’est bien gardé de faire entrevoir. J’espère que la chambre fera justice, c’est le mot dont il s’est servi ; je le reproduis sans crainte.
M. de Tornaco – Messieurs, la responsabilité des représentants de la nation ne se borne pas aux actes qu’ils posent ; elle s’étend à ceux qu’ils laissent poser, qu’ils tolèrent, auxquels ils ne mettent point obstacle dans les limites de leurs pouvoirs constitutionnels. Cette responsabilité, qui grandit en raison des faits auxquels elle s’applique, devient immense quand elle est considérée par rapport à un ensemble de faits ou de principes, par rapport à un système politique comprenant ainsi la position du représentant, habitué, en outre, à regarder la probité politique comme le plus beau patrimoine d’un homme public. J’ai à cœur, messieurs, de répudier toute adhésion soit directe soit indirecte, à un système politique que ma conscience réprouve, et de décliner jusqu’à la moindre part de responsabilité qui pourrait m’en échoir. C’est dans ce but, messieurs, que je prends part à la discussion qui vient de s’ouvrir et que, comme l’honorable M. Osy, je viens à mon tour satisfaire aux exigences de ma position.
J’ai attendu jusqu’ici, messieurs, pour protester contre la politique du cabinet, parce que, d’une part, je tiens infiniment à épargner les moments de la chambre et que, d’autre part, plusieurs de mes honorables collègues ont paru dès longtemps vouloir réserver ce moment comme plus opportun pour un débat politique général et sérieux. Nulle autre considération ne m’a guidé dans le choix du moment. Je ne veux pas faire de la polémique personnelle, elle n’est ni dans mes habitudes ni dans mes goûts, elle est contraire à mes principes. Tous les membres d’un cabinet sont, à mes yeux, responsables de la politique qu’ils adoptent ; ils sont solidaires de la direction qu’ils impriment aux affaires publiques ; aucun d’eux n’a le droit de s’attribuer le mérite exclusif de cette direction quand elle est bonne ; aucun d’eux ne peut non plus lorsqu’elle est mauvaise, se décharger de sa part de responsabilité sur ses collègues. La louange et le blâme leur appartiennent en commun.
L’honorable ministre des affaires étrangères nous a annoncé tout à l’heure que le gouvernement revient à ce principe constitutionnel, sans lequel le pouvoir est dénué de toute force. Je l’en félicite sincèrement ; il n’aurait jamais dû s’en écarter.
Partant, messieurs, de ce principe de solidarité, ce n’est pas sur un ministre mais sur un ministère tout entier, ou plutôt sur un système politique que je viens porter un jugement. Je me félicite d’être ainsi placé en face d’un système ; je m’y sens plus à l’aise ; je m’y trouve moins exposé à des concessions. Les talents qui ont su se produire et éclater à travers les obstacles, les plus multipliés, commandent une sorte de sympathie dont j’ai peine, je l’avoue, à me défendre.
Le ministère, d’ailleurs, s’est, pour ainsi dire, constitué sous l’invocation de la bienveillance, et c’est sous sa protection qu’il s’est présenté dans cette chambre. Trois mots formaient son programme : conciliation, impartialité, affaires. L’expérience nous a démontré que ces mots étaient fort bien choisis. Ils sont, en effet, demeurés des mots, rien que des mots ; mais le ministère a vécu de leur crédit ; à sa faveur, il a su, si non pas créer, au moins empirer une situation dont il a su tirer avantage, et dont le remède est à peine encore entre nos mains. Je reviendrai tout à l’heure sur ce sujet, je veux auparavant avoir raison du cabinet en ce qui concerne les affaires
Toujours il a appuyé son système politique sur la nécessité d’expédier promptement les affaires, et si souvent il a fait valoir sa prétention à gouverner de cette manière, que beaucoup sont allés jusqu’à lui attribuer la puissance exclusive de mener à bonne fin les affaires du pays. A la vérité, messieurs, jamais ministère belge ne prit en mains le pouvoir dans des circonstances plus favorables à l’expédition des affaires. La Belgique était complètement et définitivement constituée. Le gouvernement était débarrassé de toutes les question qui touchaient à la constitution de l’Etat belge ; il pouvait donc se livrer en toute liberté d’esprit aux affaires ; accorder son attention, sa sollicitude, aux intérêts qui les réclamaient ; comment le ministère a-t-il profité de ces circonstances heureuses ? Voyons, examinons.
Comme ce sont les contribuables qui m’ont envoyé dans cette chambre, il est assez juste, ce me semble, que je m’occupe en premier lieu de leurs intérêts, que je voie comment leurs affaires ont été traitées. Messieurs, après les crises politiques, industrielles et financières, après tant de traverses essuyées depuis 1830, le contribuable belge avait lieu d’espérer que la paix et la sécurité étant enfin conquises ou plutôt rachetées, le ministère s’empresserait d’introduire dans les finances de l’Etat l’ordre le plus rigoureux, l’économie la plus sévère, de porter la réforme partout où des abus avaient pu naître à la faveur des temps difficiles, de réaliser enfin la promesse d’une administration à bon marché, et de procurer ainsi aux contribuable un avenir de bien-être et de prospérité. Il faut le dire, messieurs, le moment était des plus opportuns. Aussi, dès que la paix fut signée, on entendit sortir de toutes les bouches ces mots : économie dans les dépenses de l’Etat. On les entendit notamment dans les collèges électoraux en 1843. Je n’ai pas, pour ma part, oublié ce fait qui, n’en doutez pas, se reproduira bientôt encore. On peut affirmer qu’après la pensée politique, c’était la pensée d’économie dans les dépenses de l’Etat qui préoccupait le plus les électeurs en 1843.
Mais, messieurs, le ministère s’est montré peu soucieux des intérêts des contribuables ; il s’est plu, au contraire, à les prendre sans cesse à contre-pied, à rebours. Au lieu d’établir l’ordre dans les finances, il y a perpétué le désordre ; au lieu d’y faire régner l’économie, il y a continué la prodigalité ; au lieu de restreindre cette fourmilière d’employés qui dévorent le budget, il l’a, au contraire, étendu à tel point, qu’au dire d’hommes instruits, en qui j’ai une entière confiance, nos départements ministériels possèdent aujourd’hui plus d’employés que ceux de la Grande-Bretagne elle-même dont les affaires embrassent l’univers entier.
Le ministère a grossi, autant qu’il l’a pu, des traitements déjà fort élevés. Plus d’une fois messieurs, durant son existence, si courte pourtant, vous avez été obligés de l’arrêter dans la voie des augmentations inutiles de traitements, augmentations qui, parfois, étaient déguisées et portaient le caractère de désordre le plus affligeant.
Enfin, messieurs, au budget sur lequel tous les contribuables, à peu d’exceptions près, pensent que de notables économies peuvent être réalisées, ce budget n’a pas même été voté l’an dernier, au mépris de la Constitution ; et qui sait ce qu’il en adviendra cette année-ci ?
Messieurs, le complément obligé du désordre ne pouvait manquer de se produire : la prodigalité des uns entraîne nécessairement le sacrifice des autres. On a donc élevé les impôts sur le sel, sur le tabac, sur la propriété foncière, et si je suis bien informé, on continuera bientôt par une élévation de droits sur les successions.
Pour compléter la preuve de son dédain à l’égard des voix des contribuables, il ne manquait plus au ministère que d’y joindre la dérision. C’est ce qu’il a fait, au commencement de la session. Il est venu prétendre, en quelque sorte, que le contribuable devait être satisfait de sa position, qu’il n’avait pas lieu de se plaindre ; il est venu faire ici des comparaisons étranges entre le contribuable belge et celui de France, de Hollande, d’Angleterre ; se plaisant à considérer toute chose comme d’ailleurs égale entre ses divers termes de comparaison, et passant avec soin sous silence le lourd fardeau qui pèse sur le contribuable belge, au profit des provinces et des communes, fardeau qui n’est pas moindre que de 20 à 30 centimes additionnels sur toutes les contributions directes. Il est venu enfin se féliciter d’un excédant de recettes, tandis qu’il devait avoir la conviction, et la conviction bien établie, d’un déficit inévitable.
Messieurs, le ministère, en agissant de la sorte, en faisant ainsi les affaires du contribuable, me paraît avoir méconnu une grande vérité ; c’est qu’un moyen puissant d’attacher les contribuables au gouvernement, est de les gouverner à bon marché, et de leur faire ainsi sentir et comprendre à chaque instant de la vie le bienfait d’un tel gouvernement.
Le ministère me paraît ne pas avoir eu l’intelligence du temps de son administration ; ignorer que le temps de la paix est aussi celui de l’épargne, et que, ne pas en profiter, c’est s’exposer à mécontenter le contribuable ; lorsque son concours, son adhésion, son dévouement pouvaient devenir le plus nécessaires.
En marchant, comme nous l’avons fait jusqu’ici, de déficit en déficit, malgré l’accroissement continuel des ressources du trésor, malgré l’élévation des impôts et des droits de douane sur une foule d’objets, malgré l’absorption des capitaux provenant soit de la liquidation avec la Hollande, soi de l’aliénation de biens domaniaux, nous devons arriver, par une pente rapide, au moment fatal où il faudra imposer au contribuable de lourds sacrifices. Si alors le contribuable se trouvait épuisé ou mal disposé, ou si (ce qu’à Dieu ne plaise) une guerre, une crise politique, agricole ou autre, un fléau quelconque, succédant à celui d’un ministère dépensier, venait à fondre sur nous, il trouverait, et ce serait aux dépens de notre jeune Etat, que la première de vertus dont il avait besoin, que la prévoyance a manqué à ses gouvernants.
Messieurs, tandis que le ministère dissipe en dépense improductives ou inutiles une portion notable des revenus publics, il néglige, d’un autre côté, les sources principales de la richesse nationale. Je citerai ,en première ligne, l’agriculture, l’agriculture qui, pour quelques milliers de francs, employés à son avantage, ne manque jamais de rendre des millions. Un intérêt qui embrasse de 7 à 8 milliards de francs et peut-être au-delà, est sans doute une affaire qui mérite quelque peu l’attention de nos hommes d’Etat. Agir sur un capital semblable, veiller à ce qu’il porte des fruits abondants, est sans contredit une affaire de quelque importance pour une nation.
Aujourd’hui, plus que jamais, notre agriculture réclame la sollicitude du gouvernement. L’agriculture belge, messieurs, est descendue du rang qu’elle occupait autrefois. Ce n’est plus chez nous que l’étranger vient chercher l’instruction agricole, les instruments aratoires perfectionnés, les types régénérateurs, les produits améliorés ; c’est nous qui allons chercher les uns et les autres chez l’étranger, ou qui les recevons de chez lui chez nous.
L’agriculture, poussée par la force des choses, et guidée aussi par quelques agronomes d’un mérite éminent, fait certainement quelques progrès, bien qu’elle soit abandonnée par le gouvernement ; mais ses progrès sont lents et pénibles. Il appartient au gouvernement, il est du devoir du gouvernement d’ouvrir à l’agriculture la voie d’un progrès plus large et plus rapide, il est du devoir du gouvernement de faire marcher cette industrie de front avec les autres industries nationales.
Un fait déplorable donne à ce devoir du gouvernement un caractère plus impérieux encore. Personne de vous n’ignore, messieurs, qu’une foule de bons esprits trouvent aujourd’hui dans l’agriculture une solution à de graves questions devant lesquelles la société ne peut reculer, je veux parler des questions du paupérisme et de la mendicité. Nul doute que le paupérisme ne doive disparaître de notre pays par le sage emploi des ressources agricoles qu’il possède. La colonisation, les défrichements, sont des moyens infaillibles contre le paupérisme. On peut dire, j’y consens, que ces moyens ne sont que temporaires ; mais au moins donneraient-ils à la raison humaine le temps d’aviser à d’autres moyens permanents, d’empêcher le mal de se reproduire, une fois qu’il aura été vaincu.
Il est, d’ailleurs, une observation à faire, quant à la colonisation : c’est que, (page 564) quand elle ne peut plus avoir lieu à l’intérieur, elle peut être portée à l’extérieur du pays, et alors son domaine est infini.
Mais, messieurs, avant de songer à de telles entreprises, avant de rêver la colonisation ou les défrichements, il faut faire à l’égard de l’industrie agricole, ce que l’on a fait à l’égard des autres industries ; il faut faire, pour l’état de laboureur, ce que l’on a fait pour les autres états ; il faut lui donner l’instruction, il faut arracher le laboureur à la routine, il faut l’éclairer sur son art, l’initier à la science agricole ; il faut, en un mot, former des hommes sur lesquels on puisse se reposer du soin de grandes entreprises agricoles. Vouloir la colonisation et les défrichements, avec des hommes incapables, avec des éléments mal préparés, mal choisis, souvent étrangers même au but que l’on se propose, c’est là une entreprise insensée.
L’instruction agricole est le premier pas à faire en faveur de la régénération de notre agriculture appelée à recevoir dans son sein tant de malheureux qui ne demandent que du travail, et, ne l’oublions pas, la question du paupérisme prend sa source dans l’organisation même de la société, la société ne peut se dispenser d’y porter remède. Les règles de prudence, que j’observe volontiers, m’empêchent de développer davantage une pensée sur ce point.
Eh bien, messieurs, que fait le ministère en présence de ces grands intérêts, de ces grandes nécessités ? Creuse-t-il son génie, afin d’y pourvoir ? Inventeur stérile en agriculture, se montre-t-il au moins imitateur intelligent ? S’enquiert-il de ce qui se passe à l’étranger ? Oh ! non. L’agriculture ne lui donne pas tant de souci ; elle n’a pas une aussi grande part à ses veilles.
Partout les gouvernements ont profité de la paix, pour imprimer à l’agriculture un grand essor.
Un des objets qui ont fixé d’abord leur attention, a été l’enseignement agricole ; des établissements agricoles se sont élevés de toutes parts : l’Allemagne en possède un grand nombre ; la Suisse seule en a plusieurs ; l’Italie est dans la même position.
Partout les gouvernement ont encouragé, honoré l’agriculture. En Prusse, par exemple, le monarque s’entoure des conseils et de lumières des agronomes les plus distingués ; en France, ce sont des pairs et des députés qui, réunis sous le patronage du gouvernement, rendent hommage à la mémoire d’un agronome que la France a perdu et qu’il proclame le bienfaiteur de l’humanité. En Russie même, le czar, qui depuis longtemps a ordonné des travaux agricoles immenses, a créé pour les agronomes une distinction particulière. Ici, c’est tout au plus si le gouvernement prononce de temps à autre le nom de l’agriculture, et c’est tout au plus s’il connaît celui de nos agronomes.
Savez-vous ce qu’il fait pour l’agriculture ? Il gaspille beaucoup d’argent pour faire copier les plans de chemins vicinaux, pour faire copier les anciens plans du cadastre…
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est une loi qui l’a ordonné.
M. de Tornaco – Je le sais bien, mais vous devriez faire exécuter la loi dans le sens que la législature y avait attaché.
Il gaspille aussi un peu d’argent pour entretenir une école qui a usurpé le titre d’école d’agriculture.
Après cela, messieurs, il distribue quelques poignées de blé exotique ; il envoie çà et là quelques régénérateurs décorés du nom de Durham, dont plusieurs m’ont paru sortir de l’infirmerie pour aller directement à la tombe. Il distribue aussi quelques plants de mûrier pour que, sans doute, nous ayons l’extrême félicité de nous vêtir de soie indigène. Comme vous le voyez, les efforts du ministère en faveur de l’agriculture ne tiennent point du prodige, et s’il laisse un souvenir de son passage aux affaires, ce ne sera certes pas celui d’un Sully.
Messieurs, si des affaires financières et agricoles je passe au commerce, je ne trouve pas encore de motif de m’extasier devant l’habilité ou le savoir-faire ministériel. Vous avez été dernièrement fatigués de politique commerciale ; aussi je n’en dirai que fort peu de mots.
Messieurs, les actes patents que le ministère a laissés en cette matière sont, en premier lieu, des discours. Plusieurs de nos honorables collègues nous ont déjà entretenu de ces discours fameux prononcés à l’occasion de l’inauguration du chemin de fer belge-rhénan. J’en parle à mon tour, parce que je suis porté à croire qu’ils ont exercé une influence fâcheuse sur les négociations avec le Zollverein. C’à été une singularité remarquable de voir un ministre belge, représentant le gouvernement belge en cette occasion, faire de la politique commerciale dans les cérémonies publiques, dans des banquets, même en plein vent, et sollicitant l’intervention du commerce étranger pour obtenir un traité sur de larges bases. Mais indépendamment de la singularité du fait, ces démarches ont dû nuire aux négociations avec le Zollverein. Ces démarches du ministre belge laissaient voir avec trop d’évidence toute la vivacité du désir qu’avait le cabinet belge de conclure un traité. Ces démarches semblaient dire au Zollverein qu’il pouvait se montrer exigeant sans courir de mauvaises chances, sans s’exposer à voir les négociations compromises, et l’événement a démontré, du reste, que le Zollverein sait profiter de semblables avis.
Un autre acte de la politique commerciale du cabinet est le retrait de l’arrêté du 28 août 1842, relatif aux vins et aux soieries d’Allemagne. Je ne crois pas être injuste en qualifiant ce retrait d’imprudent ou de maladroit.
Il a donné lieu à des représailles. Les représailles ont mis le ministère dans la nécessité absolue de conclure le traité, sans lui laisser le temps de s’instruire des faits dont il lui importait d’avoir la connaissance exacte avant de rien arrêter. L’art. 19 est une preuve éclatant de ce que je viens d’avancer.
La loi des droits différentiels, dont l’honorable M. Osy vient de vous entretenir, fut présentée en faveur de l’industrie qu’elle devait favoriser ; l’industrie l’a repoussée comme gênante et nuisible ; enfin, elle fut présentée dans l’intérêt de notre marine nationale qu’elle devait faire fleurir et développer, et nous n’avons pas aujourd’hui un navire de plus qu’avant le vote de cette loi. Nous devons nous contenter de l’espérance exprimée à la section centrale par M. le ministre de l'intérieur.
Enfin vient dans la politique commerciale du cabinet le traité du 1er septembre que nous avons voté dernièrement. Nous sommes, je crois, presque tous d’accord sur la valeur de ce traité ; nous savons que les avantages qu’il fait au Zollverein sont plus grands que ceux qu’ils font à la Belgique. Il constitue, quant à la Belgique, une inégalité de conditions qui n’ont fait que trop ressortir la faiblesse du ministère et son attitude vis-à-vis du Zollverein. Je ne crains pas de le dire : une conduite comme celle qu’a tenue le ministère dans cette circonstance, est de nature à porter atteinte à l’égalité qui doit exister entre nations indépendantes.
Messieurs, le ministère, après avoir ainsi accompli sa tâche commerciale, a fort bien fait de se refuser à entrer au Capitole ; il n’y avait pas dans les résultats obtenus de quoi faire hommage même aux faux dieux ; le ministère a, du reste, bientôt compris que la position qu’il avait prise entre le Capitole et la roche Tarpéienne était beaucoup trop élevée pour lui ; il en est descendu avec une rapidité extraordinaire dans le dernier comité secret. Vous reconnaîtrez avec moi, que le ministère avait dans ce comité bien plus l’attitude d’un pénitent que celui d’un semi-triomphateur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Pourquoi n’avez-vous pas voté contre le traité ?
M. de Tornaco – Messieurs, l’honorable ministre de l’intérieur me demande pourquoi je n’ai pas voté contre le traité. C’est parce que tout traité pote avec soi quelque avantage, et qu’il était d’ailleurs conclu et ratifié.
Messieurs, si je devais énumérer les actes que le ministère a posés et qu’on peut critiquer justement, je serais trop long, et mes forces ne suffiraient pas à ma tâche. Aussi, je n’en citerai plus que quelques-uns pris au hasard et, je le ferai succinctement. On dirait qu’une fatalité s’attache à mon examen, car je ne trouve que fautes sur mon chemin.
Ici, c’est la loi sur le jury d’examen universitaire que l’honorable M. Osy a rappelée tout à l’heure, qui semble n’avoir été présentée que pour donner au ministère le triste plaisir de faire une retraite précipitée aussi peu honorable que peu savante, ou pour offrir à l’un de ses membres l’occasion de faire un grand écart qu’il fit en effet avec quelque succès, mais certainement sans gloire ; là ce sont des arrêtés royaux jetés au hasard ; une administration communale respectable injustement blâmée devant laquelle le ministère a compromis son autorité, et s’est ensuite humilié par forme de réparation accordée de fort mauvaise grâce ; plus loin, ce sont les délégués d’un province que le ministère repousse avec une opiniâtreté sans exemple des marches du trône ; il refuse à une province, quand elle conçoit les craintes les plus légitimes sur ses plus chers intérêts, la satisfaction de porter au chef de l’Etat l’expression de ses craintes et de sa confiance en lui.
Le ministère qui, dans tant d’occasion, se montre si pitoyablement faible, semble ici s’irriter de ce que son omnipotence soit mise en question et oublier, à l’égard d’une province, le sentiment des convenances les plus ordinaires. Enfin, je terminerai mes citations par cette incroyable affaire de Guatemala, affaire où le ministère semble s’être évertué à entasser faute sur faute. Il a dissipé les deniers publics par son concours irréfléchi, et a compromis les fortunes privées par l’appui de son autorité accordée à une entreprise hasardeuse ; il est allé jusqu’à vouloir compromettre le patrimoine même des malheureux.
Messieurs, quand un ministère fait de semblables affaires, quand un ministère est arrivé au point de dédaigner toutes les règles de prudence et de montrer aussi peu de souci des règles de morale, ce ministère est jugé.
Oui, messieurs, le ministère est jugé, quant à la partie dominante de son programme : les affaires. Le prestige qui l’entourait doit être aujourd’hui dissipé. Il n’est plus permis de se faire illusion sur son habilité ; elle a failli dans des circonstances trop nombreuses ; tous les talents que possède ce cabinet ne sont pas parvenus à dissimuler ses faiblesses ; les efforts qu’il a fait dans maintes occasions pour les cacher, n’ont abouti qu’à les faire ressortir davantage, souvent aux dépens de la dignité de la chambre, aussi bien qu’aux dépens de la dignité du pouvoir. Comment donc se fait-il que ce ministre préside encore aux destinées de notre pays ? A-t-il mieux réussi dans quelque autre partie de son programme ? Est-ce que cette conciliation qu’il appelait à son secours lui est au moins venue en aide ? Non certainement. Les opinions qui divisaient la chambre et le pays, lorsque le ministère s’est constitué, sont demeurées les mêmes ; elles ne se sont pas rapprochées entre elles ; elles ne se sont pas rapprochées du gouvernement ; elles se sont tenues sur leurs gardes, et elles ont bien fait.
Grâce à cette sage réserve des opinions, la conciliation que le ministère a faite n’est autre que la confusion d’un grand nombre dans un même sentiment de défiance à son égard.
Que le ministère l’ai voulu ou ne l’ait pas voulu, le scepticisme politique a fait de progrès sous son administration. Il est même à craindre qu’à l’ombre d ce régime de conciliation il ne se forme dans le pays une école (page 565) nouvelle pour lui, une école de sceptiques politiques. Il est à craindre qu’on ne voie se propager des opinions qui, je l’hésite pas à le dire, seraient infiniment plus dangereuses que celles qu’on a qualifiées de plus avancées ou d’extrêmes.
S’il arrivait que la fixité des idées, la constante des opinions, les convictions fussent considérées par une portion des intelligences du pays comme autant d’obstacles à la fortune publique, à la satisfaction d’une légitime ambition, tandis que la ruse, et la ruse exercée au profit de l’égoïsme serait mise en honneur, tandis que l’affranchissement de tout lien moral serait regardé comme le comble de l’habilité, il faudrait désespérer de l’avenir politique de notre pays.
La ruse égoïste est exclusive de toutes les nobles passions, auxquelles seules appartient la puissance des grandes choses, et cependant plus un peuple est entouré de dangers, plus il a besoin de ces nobles passions ; plus il doit les cultiver et les honorer, plus il doit cultiver et honorer les vertus politiques, elles valent mieux cent fois que de puissantes armées. D’une seule faute stratégique, d’un seul mauvais soldat, dépend souvent le sort de toute une armée. Les vertus politiques ne sont pas assujetties à de pareilles chances, elles supportent les désastres, leur survivent et les surmontent, sous leur empire. Nous pouvons bien voir envahir notre territoire par l’un ou l’autre de nos voisins, malgré toutes les forces matérielles que nous pourrions mettre en activité ; mais il n’est donné à aucun de ces voisins de le conserver.
La fermeté de caractère, la constance des opinions, le dévouement à la chose publique, les convictions désintéressées ont pris à la constitution de l’Etat belge une part bien plus large que ne l’a été celle de la force matérielle. Ce que ces convictions ont fait, elles le feraient encore un jour, n’en doutez pas. Craignez donc de les laisser endormir ou flétrir sous un régime bâtard de conciliation menteuse.
Messieurs, pour être juste à l’égard du cabinet, je dirai : il a fait preuve de talents parlementaires, que je regrette vivement de ne pas voir au service d’une position meilleure que celle qu’il a choisie ; bien qu’il ait négligé de graves intérêts, il a fait preuve aussi d’une activité que je suis loin de contester. Mais, soit que cette activité ait été mal dirigée, soit qu’il préférât l’éclat du talent à des qualités plus modestes, mais souvent plus utiles, il a manqué de fermeté, de prévoyance, de franchise, de suite dans les idées et d’esprit de conduite dans les affaires du pays. Il a adopté un système politique dangereux pour tout pays, dangereux surtout pour un pays comme le nôtre. Sous son administration, la conciliation est dégénérée en un autre fait qu’il me répugne de qualifier ; les âmes honnêtes s’en sont irritées et effrayées. De là ces débats si souvent renouvelés en si peu de temps, débats qui, trop souvent reproduits, ne manqueraient pas de porter atteinte à nos institutions représentatives, débats ou même, comme simple spectateurs, nous ne pouvions pas nous défendre d’un certain embarras, débats d’où la dignité de la chambre n’est pas souvent sortie plus sauve que celle du gouvernement.
Messieurs, tous nos intérêts les plus chers réclament une autre administration, une autre direction des affaires du pays. Nous ne saurions marcher en sûreté sans confiance dans le gouvernement, et cette confiance est désormais impossible, elle est tellement impossible que le doute s’attache aux assertions, aux affirmations même les plus positives.
Nous ne pouvons nous condamner à vivre dans un doute perpétuel et embarrassant.
Nous infliger une condamnation semblable ou la subir, sans avoir auparavant épuisé tous nos pouvoirs, afin de nous y soustraire, ce serait manquer à nos devoirs, ce serait nous manquer à nous-mêmes, et manquer au caractère dont nous sommes revêtus.
L’honorable M. Osy vous a fait pressentir la question de confiance. Je l’engage vivement à aller plus loin, à la poser d’une manière claire et précise ; mon approbation lui est d’avance pleinement acquise. En agissant de la sorte, l’honorable représentant d’Anvers posera un acte de franchise et de loyauté. C’est là un acte qu’il convient d’opposer à la politique du cabinet, cette politique manquant de franchise et étant contraire à notre caractère national. Dans l’espoir que l’honorable M. Osy posera la question de confiance et qu’elle sera résolue négativement pour le cabinet, je réserve mon vote sur le budget de l’intérieur.
Messieurs, je ne me dissimule pas les difficultés de la situation : malgré tous les calculs auxquels j’ai pu me livrer, je ne suis point parvenu à préciser, dans mon esprit, les conséquences de la chute du cabinet, mais je suis arrivé au point de croire que rien n’est plus à craindre que le maintien de ce cabinet, et je dois m’y opposer, fût-ce même aux dépens de l’opinion à laquelle j’appartiens ! En me rappelant les circonstances à la faveur desquelles j’a eu l’honneur d’entrer dans cette chambre, j’ai été invinciblement amené à penser que les mêmes causes devant produire les mêmes effets, il importe à mon opinion de ne pas mettre obstacle à l’action continue de ces causes. Mais la récapitulation de fautes du cabinet, l’examen consciencieux de sa politique, la répulsion et les craintes qu’elle m’inspire, ont complètement dominé tous mes calculs.
Au-dessus de l’intérêt passager de mon opinion, j’ai vu l’intérêt permanent de toutes les opinions, de toutes les convictions sincères, de nos institutions, l’intérêt de mon pays. Reconnaissant, à n’en pas douter, que l’existence du ministère les compromet tous, et bien décidé à ne pas assumer sur ma tête la moindre part de responsabilité d’une existence semblable, j’ai obéi à mon devoir de citoyen et de représentant, et je m’en suis acquitté.
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures ¾.