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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 20 décembre 1844

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 412) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et un quart.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse de la pièce ci-après, qui a été adressée à la chambre.

« Le sieur Louis-Auguste-Edouard Gobert, sous-ingénieur à l’administration des chemins de fer, né à Cambrai (France), demande la naturalisation ordinaire.

- Renvoi à M. le ministre de la justice.

Projet de loi qui fixe le contingent de l'armée et de la levée de 1845

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) dépose un projet de loi relatif à la fixation du contingent de l’armée pour l’année 1845.

- Ce projet est renvoyé à la section centrale qui est chargée de l’examen du projet de loi concernant l’organisation de l’armée.

La chambre le met à l’ordre du jour de demain.

Projet de loi accordant des crédits provisoires au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Pirson dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi tendant à accorder un crédit provisoire au département de la guerre.

- La chambre met ce projet à l’ordre du jour de demain.

Projet de loi portant prorogation de la loi sur les étrangers résidant en Belgique

Rapport de la section centrale

M. Van Cutsem présente le rapport sur le projet de loi tendant à proroger de trois ans la loi relative aux étrangers.

La commission propose de proroger provisoirement de trois mois (du 1er janvier au 1er avril 1845) la loi dont il s’agit.

M. Van Cutsem, rapporteur – On pourrait discuter cet objet tout de suite.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Nous pourrions fixer notre ordre du jour de demain. Nous avons à l’ordre du jour la loi relative au Moniteur, puis quelques crédits, puis la loi des péages, et celle sur le transit qui a quelque analogie avec la loi précédente ; ensuite, la loi sur le contingent de l’armée que je place avant la loi des crédits pour la guerre, d’après les observations que l’on a faites hier ; et enfin la loi sur l’expulsion des étrangers…

Des membres – On pourrait discuter immédiatement la loi sur les étrangers.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce serait une dérogation au règlement ; et très-souvent, en pareil cas, on a fait de vives réclamations. D’ailleurs, l’urgence n’est pas telle qu’on ne puisse attendre jusqu’à demain.

M. Dubus (aîné) – Je n’ai pas très bien saisi l’ordre dans lequel M. le ministre de l'intérieur a proposé la discussion des projets de loi dont la chambre s’occupera demain ; il me semble que, dans cet ordre, M. le ministre de l'intérieur n’a pas mis en tête les lois dont la discussion serait la plus courte et la plus facile. Je crois que c’est cet ordre qu’il faut établir : la loi sur le contingent de l’armée, celle sur laquelle l’honorable M. Van Cutsem vient de faire un rapport ; et quelques autres lois que M. le ministre de l'intérieur a mises à la fin de l’ordre du jour, devraient venir au commencement. Il y a une loi que M. le ministre a placée en première ligne à l’ordre du jour, je veux parler de la loi relative à la substitution du Moniteur au Bulletin officiel. Je voudrais que cette loi vînt la dernière ou même qu’elle fût ajournée jusqu’après les vacances. Le rapport n’a été distribué qu’hier au soir. C’est une loi qui mérite un grave examen et qui donnera lieu à une longue discussion. Or, si l’on veut que cette loi soit convenablement examinée, il faut que l’on nous donne le temps nécessaire pour l’étudier, et pour nous préparer à la discussion.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, c’est sur la demande de M. le ministre de la justice que la chambre a mis hier à l’ordre du jour la loi relative au Moniteur. Je pense que ceci et reste décidé. Je déclare ne pouvoir prendre sur moi de faire une proposition contraire ; mon collègue, M. le ministre de la justice, regarde ceci comme une chose décidée. Si la chambre voulait maintenant changer l’ordre du jour, je la prierais d’attendre l’arrivée de M. le ministre de la justice qui démontrera qu’il faut s’occuper, avant le 1er janvier, de la loi concernant le Moniteur, ou qu’il faut y renoncer pour une année.

M. Fallon – Je crois aussi que nous devons attendre l’arrivée de M. le ministre de la justice, avant de rien décider. Il peut même arriver que nous terminions aujourd’hui de bonne heure le projet de loi relatif au traité ; nous pourrions encore, dans ce cas, voter aujourd’hui quelques-uns des petits projets de loi à l’ordre du jour. Je propose donc à la chambre d’attendre l’arrivée de M. le ministre de la justice, avant de prendre une décision, tant pour la loi relative aux étrangers, que pour celle relative au Moniteur.

- Cette proposition est acceptée.

Rapport sur une pétition

M. Zoude (au nom de la commission d’industrie) – Messieurs, par une pétition que vous avez envoyée à votre commission de l’industrie, les épiciers et marchands de café brûlé de la ville d’Eecloo exposent à la chambre que le tarif des douanes ne faisant pas de distinction entre le café cru et celui qui est brûlé, les Hollandais importent chez eux de ce dernier café en telle quantité, que leur débit en est déjà diminué des 4/5 ; et si la loi, disent les pétitionnaires, ne vient pas combler la lacune qu’ils signalent, le débit considérable qu’ils en avaient jadis passera entièrement aux Hollandais, qui, outre l’emploi de la main-d’œuvre, jouissent encore d’un bénéfice de 25 p.c. sur les droits d’entrée ; on sait, en effet, que le café cru perd ¼ de son poids quand il est brûlé.

Votre commission considérant que ce qui se fait sur une partie de la frontière peut s’étendre bientôt sur toute la ligne, ce qui serait très-préjudiciable à un grand nombre de débitants, estime que le tarif de douanes, article Café, doit subir une modification, dans ce sens qu’il sera établi une distinction entre le café cru et le café brûlé, et que le droit à payer par ce dernier sera plus élevé de 25 p.c. que celui qui frappe le café cru.

Telle est la conclusion que la commission d’industrie m’a chargé de vous présenter sur cette pétition, dont elle propose le renvoi à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.

- Ces conclusions sont adoptées.

Motion d’ordre

Répartition du café importé, en exécution des accords conclus avec la Hollande

M. Delfosse – Le gouvernement devra bientôt faire, pour l’année 1845, la répartition des sept millions de kilogrammes de café pour lesquels une exception a été introduite dans la loi sur les droits différentiels.

D’après la répartition qui a été faite pour 1844, la province de Liége n’a obtenu que 1,200,000 kilogrammes ; je pense que cette part est trop faible.

Quelles sont les raisons qui ont engagé la chambre à voter l’exception dont je viens de parler ? Il y en a eu deux : on voulait, d’un côté, éviter des représailles de la part de la Hollande, et de l’autre, dédommager la province de Liége, et notamment la navigation de la Meuse, du tort immense que les droits différentiels devaient leur causer.

M. le ministre de l'intérieur, interpellé par moi sur la part qui serait accordée à la province de Liége, m’a répondu dans la séance du 23 mars : « Soyez tranquille, vous avez importé jusqu’à présent environ 1,200,000 kil de café par année, le gouvernement ne vous accordera certainement pas moins de 1,200,000 kil. »

M. le ministre disait que nous n’aurions pas moins de 1,200,000 kil, mais il nous laissait espérer que nous aurions davantage ; il reconnaissait qu’il fallait « une compensation pour les surtaxes dont d’autres objets importés par la Meuse allaient se trouver frappés ».

D’autres collègues, et entre autres celui qui était alors gouverneur de la province d’Anvers, reconnaissaient également qu’on devait nous donner une bonne part dans les sept millions de kilogrammes de café ; cette opinion était partagée par la grande majorité des membres de cette chambre.

Croiriez-vous, messieurs, après cela, que la ville d’Anvers, qui a été si favorisée par la loi sur les droits différentiels, et au profit de laquelle l’exception n’a certes pas été votée, a obtenu que la répartition de 1844, 4,800,000 kil., alors qu’on n’accordait à Liége que 1,200,000 kil.

On a pris, il est vrai pour base de la répartition, la moyenne des importations pendant les années 1841, 1842 et 1843, mais on a perdu de vue que ce n’est guère qu’en 1843 que la navigation de la Meuse a été libre ;on n’a pas tenu compte non plus des cafés importés dans les provinces de Liége et de Limbourg par les bureaux de terre.

Si l’on tient compte de toutes les importations, même à une époque où la navigation de la Meuse était entravée, nous n’avons pas obtenu la moyenne. Nous devions cependant obtenir plus que la moyenne ; cela était fait dans l’esprit de la loi, cela était dans les intentions de la chambre.

Où est, je vous le demande, le dédommagement que la chambre a voulu accorder à la province de Liége ? Nous n’avons pas même le statu quo pour le café, et nous n’avons rien en compensation des surtaxes dont la navigation de la Meuse se trouve frappée pour d’autres objets ; nous n’avons rien en compensation des entraves auxquelles cette navigation sera désormais assujettie.

J’appelle sur ce point l’attention du gouvernement ; je l’engage fortement à faire, pour 1845, une répartition conforme à l’esprit de la loi et aux intentions de la chambre.

M. Cogels – Messieurs, vous vous rappellerez que lorsque l’exception en faveur de la Hollande a été introduite dans la loi des droits différentiels, j’ai défendu et voté cette exception ; car j’en apprécie la nécessité. J’ai cru devoir soutenir cette mesure, quelque hostile qu’elle fût à la ville qui m’a envoyé ici, et quoique je ne me fusse dissimulé aucunement les conséquences qui devaient en résulter. J’ai voulu faire alors une concession à la province de Liége, mais j’ai voulu bien plus encore faire une concession aux intérêts généraux du pays. Mais ce que la chambre a voulu alors, et ce que les députés de Liége exigeaient, c’était le maintien du statu quo ; avant la mise en vigueur de la loi des droits différentiels, il y avait entre Liége et Anvers une libre concurrence ; les droits étaient complètement égaux ; maintenant, d’après les exigences du commerce de Liége, on devrait (page 413) stipuler une part plus forte que Liége n’avait lors de cette libre concurrence, et ceci, messieurs, ne serait pas équitable. Les motifs sur lesquels l’honorable M. Delfosse s’est fondé ne peuvent pas être pris en considération par la chambre. Effectivement il ne faut pas voir ici quelle est la population des provinces, mais quel est leur mouvement commercial. Si on consultait le mouvement commercial d’Anvers et celui de la province de Liége, la part attribuée à Liége serait très-considérable, car Anvers a toujours été le grand marché, non-seulement de la Belgique, mais des pays étrangers auxquels la Belgique expédie. Je pense que ces considérations suffiront pour déterminer le gouvernement à ne pas porter la part d’importation de al province de Liége au-delà des importations qu’elle avait avant la loi des droits différentiels.

M. Delfosse – Je ne veux pas abuser de l’attention de la chambre ; je ne répondrai que quelques mots à l’honorable préopinant.

L’honorable préopinant n’a pas contesté ce que j’ai dit des motifs qui ont engagé la chambre à voter l’exception des sept millions de café.

Je vous le demande, messieurs, lorsque vous avez voté cette exception, avez-vous pu croire qu’elle serait beaucoup plus profitable au port d’Anvers qu’à la Meuse ?

Je suis convaincu que si la chambre avait fixé elle-même les parts, nous aurions obtenu bien au-delà des 1,200,000 kilogrammes.

Je voulais présenter un amendement dans ce sens, je voulais engager la chambre à faire elle-même la répartition. C’est M. le ministre de l'intérieur qui m’a prié de renoncer à ce projet. M. le ministre de l'intérieur m’a dit alors d’être tranquille ; il m’a dit que le gouvernement avait intérêt à ne pas mécontenter la province de Liége ; il m’a dit qu’elle obtiendrait probablement plus du gouvernement que de la chambre.

Je prie M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien se rappeler cette espèce de promesse, et d’y avoir égard dans la répartition qui se fera pour 1845.

Je répète que la répartition de 1844 ne nous a pas même donné le statu quo. Nous avons le droit de réclamer une part plus forte, et nous avons un grand intérêt à le réclamer.

Nos négociants ont en ce moment de fortes quantités de café dans les entrepôts de Liége, elle est dans l’intérêt de toutes les provinces qui peuvent d’approvisionner par la Meuse, elle est dans l’intérêt de la province de Limbourg, de celle de Luxembourg et de celle de Namur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, une nouvelle instruction se fait aux départements des finances et de l’intérieur ; je ne puis dire si on fera ou non des changements à l’arrêté de répartition.

M. le président – Il s’agit de l’interprétation d’un article de la loi des droits différentiels, qui pourrait occuper toute la séance, et cela sans résultat ; car je ne suis saisi d’aucune proposition.

Un grand nombre de voix – La clôture ! la clôture !

- La chambre, consultée, ferme la discussion.

Aucune proposition n’étant faite, on passe à l’ordre du jour.

Projet de loi approuvant le traité de commerce et de navigation conclu avec le Zollverein

Discussion générale

M. Cogels – Messieurs, l’honorable député de Gand auquel j’étais disposé à répondre mardi, quant à une question incidente est venue interrompre le cours de la discussion, a félicité le gouvernement d’avoir trouvé deux orateurs qui eussent voulu prendre la défense du traité. Je viens lui offrir un sujet de félicitations de plus et j’espère que le vote du traité par la chambre viendra bientôt mettre le comble à ses félicitations.

Quant à moi, je félicite le traité d’avoir trouvé un adversaire qui ait bien voulu l’attaquer avec autant de ménagement ; car, il faut l’avouer, l’honorable M. Manilius s’est beaucoup préoccupé d’un de ses collègues, de la conduite de ce collègue à la section centrale, des déclarations des ministres, des travaux de la section centrale ; mais, au lieu de lui voir porter au traité ce coup de massue auquel il nous avait préparés, à peine lui a-t-il fait quelque égratignure.

Au reste, messieurs, ceci ne m’étonne pas : le traité avait été accueilli par le pays, il n’avait rencontré aucune opposition dans les sections ; il n’avait pas rencontré d’opposition sérieuse dans la section centrale. Je crois qu’il aurait suffi de retrancher deux lignes de l’article 24, pour qu’il eût réuni l’unanimité des voix.

Dans les attaques auxquelles on s’est livré au début de la discussion, on s’est adressé au gouvernement, on a attaqué les négociations beaucoup plus que leur résultat. On a été extrêmement sévère, on a mis une certaine passion, et quand on met de la passion on cesse souvent d’être juste. Ainsi on a fait au gouvernement des reproches qu’il ne méritait pas. Je n’en citerai qu’un seul. On a reproché au gouvernement d’avoir présenté un projet très-important pour l’agriculture du pays sans avoir parlé des promesses qui avaient été faites à l’étranger. On avait dû, a-t-on dit, deviner ces promesses. Ce n’était cependant pas très-difficile, car le gouvernement avait appelé l’attention de la chambre sur ces promesses, dans l’exposé des motifs de la loi, dès le 31 octobre. J’ai été étonné d’entendre un des membres de la section centrale chargée d’examiner ce projet de loi, dire qu’il avait fallu deviner ces promesses.

Voici ce que porte l’exposé des motifs, numéro 14 des documents de la chambre :

« En faisant droit à cette réclamation, nous remplirons en même temps une promesse faite au royaume des Pays-Bas, dans la négociation qui a suivi la clôture des travaux de la commission d’Anvers, et qui a amené, le 7 août 1843, la signature de la stipulation qui forme l’article additionnel au règlement du 20 mai sur la navigation de la Meuse. »

Vous voyez que la chambre était prévenue qu’il s’agissait d’une promesse, que le gouvernement n’a rien caché ; au contraire, il a appelé l’attention de la chambre sur la promesse qui avait été faite. Je n’entreprendrai pas de défendre en ce moment le gouvernement ; l’occasion se présentera bientôt où chacun pourra expliquer la ligne de conduite qu’il a suivie, expliquer les motifs de son hostilité à l’égard du ministère ou de l’appui qu’il lui donne ; on verra alors si effectivement il faut, pour faire marcher le char gouvernemental, jeter des bâtons dans les roues.

Des membres – Comment jette-on des bâtons dans les roues ?

M. Cogels – Par les discussions incidentes qui interrompent le cours de nos travaux et nous empêchent de nous occuper des projets de loi que nous aurions dû aborder.

M. le président – J’avais passé déjà une expression pour laquelle je vous aurais interrompu si je n’avais considéré qu’elle vous était échappée dans l’improvisation, et que vous observez toujours les convenances parlementaires.

Vous aviez dit qu’on avait attaqué le gouvernement avec passion, et maintenant vous supposez l’intention de mettre des bâtons dans les roues. Il ne faut jamais prêter de semblables intentions à ses collègues.

M. Cogels – Je vous avouerai, messieurs, que je suis extrêmement surpris des interruptions de l’opposition. Dans une discussion précédente, on a reproché aux membres de la majorité de ne pas oser prendre la défense du cabinet. Aujourd’hui que je viens consacrer autant de minutes à défendre le cabinet qu’on a consacré de séances à l’attaquer, on ne veut pas m’accorder la moindre indulgence, tandis que les attaques ont obtenu l’indulgence la plus soutenue.

Au reste, messieurs, examinons le traité en lui-même, et pour lui-même. Ce traité a été accueilli, nous dit-on, en Allemagne, avec enthousiasme ; on a trouvé dans cet enthousiasme la condamnation du traité. Je dirai qu’il n’a pas été accueilli avec moins d’enthousiasme en Belgique. Je rappellerai seulement qu’à une réunion qui a eu lieu à l’occasion de l’anniversaire de l’inauguration du chemin de fer de Cologne, réunion à laquelle se trouvaient les notabilités du commerce belge et du commerce allemand, l’enthousiasme a été partagé par tout le monde, sans rencontrer la moindre contradiction

Cela n’était pas étonnant, car le traité mettait un terme à une guerre de tarifs que tout le monde avait déplorée ; il faisait plus : il consacrait comme définitive une situation qui jusque-là n’avait été que précaire, et convertissait en véritables concessions à titre onéreux, des concessions qui jusque-là avaient été considérées comme gratuites et dont le retrait aurait été un acte d’hostilité. Il offrait à une de nos principales industries un vaste débouché et il tendait à augmenter nos relations commerciales avec l’Allemagne, relations qui étaient une des principales branches de notre richesse commerciale et auxquelles les événements de 1830 étaient venus apporter une interruption momentanée.

Quels sont les reproches qu’on a faits au traité ? On en a fait beaucoup et de très-graves. D’abord, on a dit qu’il portait une atteinte directe à la loi des droits différentiels, qu’il détruisait ce système, qu’il était préjudiciable à notre agriculture, qu’il devait mettre obstacle à nos relations politiques et commerciales avec les nations voisines.

Examinons ces trois points :

Quant aux droits différentiels, vous vous rappelez tous quel en a été le véritable but. La proposition première de ces droits était complètement étrangère au commerce de cabotage. Ce que voulait l’auteur de la proposition, c’était de créer à la Belgique des relations transatlantiques, de nouveaux débouchés pour son industrie. Ces nouveaux débouchés pour notre industrie que nous devions chercher, étaient au-delà des mers. Cela est tellement vrai que, dans la première proposition des droits différentiels, on n’a pas songé au cabotage ; c’est-à-dire que, pour le cabotage, on n’avait pas songé à accorder une protection au pavillon ; on s’était contenté de la protection de 10 p.c. accordée par l’ancienne loi, protection extrêmement variable, puisqu’elle est nulle pour les articles frappés de droits modérés et très-élevée pour les articles frappés d’un droit considérable.

C’est aussi le système que la chambre a consacré.

Voyons ce que nous avons accordé à l’Allemagne, c’est-à-dire au pavillon du Zollverein. Nous lui avons accordé l’assimilation parfaite au pavillon belge ; par conséquent, le pavillon prussien pourra aller chercher dans les entrepôts du Zollverein, pour les importer en Belgique, les cafés et les sucres avec une réduction de 10 p.c. Jusqu’à présent, cette faveur, pour ce qui regarde les articles coloniaux, est sans aucune importance, parce que ce n’est pas des ports de la Baltique qu’on viendra nous importer des denrées coloniales.

Mais, dit-on, l’accession des villes anséatiques pourra donner à cette concession une très-grande importance. De là les regrets exprimés dans la quatrième section et dans la section centrale, regrets auxquels je me suis associé, sans attacher à la question la gravité qu’on y a donnée depuis lors.

(page 414) En effet, pour bien apprécier l’importance de cette accession, il faut voir quelles étaient nos relations avec les villes anséatiques, avant que les droits différentiels eussent été établis, alors qu’aucune protection n’était accordée pour les importations directes ; or, il se trouve que les villes anséatiques nous ont importé en 1842, 25,908 kilogrammes de café et 958,220 kilogrammes de sucre et en 1843, 2,943 kilogrammes de café et 467,637 kilogrammes de sucre.

Tandis que l’Angleterre nous a importé : en 1842 1,546,747 kilogrammes de café et 4,518,000 kilogrammes de sucre et en 1843 1,766,000 kilogrammes de café et 7,013,692 kilogrammes de sucre.

Maintenant, je vous le demande, tandis qu’avec notre tarif actuel, le café importé des villes anséatiques par pavillon belge ou prussien est souvent à un droit de 13 fr. 50 c., tandis que l’on peut importer du café du brésil directement à 11 fr. 50 c. ; je vous le demande, avons-nous à redouter un accroissement d’importation ? ne devons-nous pas plutôt supposer qu’il y aura décroissement ?

Mais, dit-on, l’Angleterre, malgré les droits différentiels, nous importe des cafés ! Oui ; mais ceci tient à un fait fort simple. Je suis étonné que mon honorable collègue d’Anvers l’ai perdu de vue. L’Angleterre est dans une position où ne se trouvent pas les villes anséatiques.

L’Angleterre par sa législation, ne peut introduire dans sa consommation que le manquant des produits de ses propres colonies ; elle est obligée d’exporter le reste. Il y a d’ailleurs un droit différentiel si élevé, qu’il équivaut à plus de 60 p.c. de la valeur de la marchandise. Mais rien de semblable dans les villes anséatiques.

Les villes anséatiques approvisionnent tout le nord de l’Allemagne ; elles peuvent livrer à la consommation tout ce qu’elles importent, et par conséquent ce n’est pas de là que nous viendront de fortes quantités de marchandises coloniales.

L’Angleterre est obligée d’exporter, et dès lors il faut bien qu’elle s’adresse aux marchés qui lui sont ouverts. Ceci est d’autant plus vrai, qu’ainsi que j’ai déjà eu l’honneur de vous le faire remarquer, pour l’Angleterre l’importation n’est que la conséquence, l’exportation est le principe ; tandis que pour la Belgique le principe de toute grande opération est l’importation ; les exportations ne viennent qu’en seconde ligne.

Au reste, messieurs, pour prouver que l’on n’a par là porté aucun tort au commerce, je citerai le passage d’un mémoire adressé au ministère et d’ont l’honorable ministre des travaux publics vous a déjà lu quelques lignes :

« Les navires appartenant aux Etats riverains de ces fleuves, possèdent, par leur bas fret, l’économie de leurs constructions et de leurs armements, et le faible salaire de leurs équipages, des avantages contre lesquels notre marine n’est pas en état de lutter. La statistique le prouve, puisque depuis 1836 jusqu’en 1841, le nombre des navires belges venus dans ces parages, en y comprenant les villes anséatiques, ne dépasse pas la moyenne annuelle de quinze bâtiments ; encore ce nombre aurait-il été beaucoup plus réduit sans le service à vapeur entre Anvers et Hambourg.

« Le cabotage vers l’Ems, le Weser et l’Elbe est donc d’un intérêt trop secondaire pour être mis en balance avec les avantages que le commerce et l’industrie en général ont lieu d’attendre d’un traité de navigation et de commerce avec la Prusse sur des bases d’une réciprocité libérale

« Par les considérations qui précèdent, nous sommes d’avis, M. le ministre, que la Belgique ne doit pas refuser d’accorder l’assimilation des navires prussiens aux navires belges, pour les arrivages de l’Elbe, du Weser et de l’Ems. Il va de soi que si la Prusse ne réclamait cette concession que sur certains articles, ou si, contrairement aux réflexions ci-dessus, l’arrangement ne devait avoir pour objet que les produits du sol et de l’industrie de la fédération, il y aurait moins de motifs encore de s’y opposer. »

Vous voyez donc, messieurs, que, quant aux droits différentiels, ils restent complètement intacts, que le commerce n’a à se plaindre en aucune façon des dispositions qui ont été introduites dans le traité.

Voyons maintenant les conséquences du traité pour l’agriculture.

Ici se présenter deux articles : les céréales et les bois.

On nous a dit que, par suite du traité, la protection dont jouissent les céréales viendrait à diminuer encore, et quelques membres trouvent que cette protection est déjà insuffisante.

Messieurs, nous allons voir encore ici, et nous allons voir par des faits, que l’opinion de ces honorables membres est complètement erronée.

Quelle sera la protection dont jouira le pavillon prussien ? C’est la protection accordée au pavillon belge, c’est-à-dire 10 p.c. sur les droits. Voyons quelles ont été les importations en 1842 ? Je ne prendrai que le froment.

En 1842, on nous a importé 55,680,000 kilog. de froment ; en 1843, l’importation a été de 42 millions de kilog. Ces années-là l’agriculture n’a pas eu à se plaindre, aussi n’avons-nous entendu aucune plainte de sa part, car les prix ont été constamment élevés. Eh bien, messieurs, supposons que toutes ces importations se soient faites sous pavillon prussien, voulez-vous savoir quelle est la faveur dont le pavillon prussien aurait joui ? En 1842 les 55,680,000 kilog. ont été introduits libres de tout droit, et 1,600,000 kilog. ont payé le droit de 37 fr. Le surplus a été importé du Limbourg. Ainsi la faveur aura été, en 1843, de 6,400 fr. !

Maintenant, messieurs, je le demande que peut produire pour l’agriculture une protection de 4 fr. par 1000 kilog., ce qui revient à 30 et quelques centimes par hectolitre, différence moindre que celle qui existe constamment entre les mercuriales des divers marchés ? Une chose fort étrange, c’est que l’agriculture se plaint, et elle a raison de se plaindre, lorsque les prix sont trop bas ; mais alors, messieurs, il n’y a plus d’importation de grains étrangers (Interruption.) Je vous demande pardon, alors il n’y a plus d’importation de grains étrangers.

L’année 1844 est, depuis quelque temps, la première où le froment a été constamment au-dessous du prix rémunérateur de 20 fr. et où par conséquent l’importation a été régulièrement soumise à l’application du droit ; eh bien, voulez-vous savoir, messieurs, quelle est la situation des grains en 1844 ? Au 15 novembre, il y avait en entrepôt 2,244,356 kilogrammes de froment et 3,693,000 kilogrammes de seigle : depuis le 1er janvier jusqu’au 15 novembre 1844, il a été mis en consommation 986,000 kilog. de froment et 47,683 kilog. de seigle. Vous voyez donc, messieurs, que , dès que les prix baissent, il n’y a plus d’importation, et cela est inévitable, car la grande erreur des défenseurs de l’agriculture, aux intentions desquels, du reste, je rends hommage, leur grande erreur, c’est de prendre pour la cause ce qui est l’effet ; ils croient que l’importation règle les prix, mais pas du tout, ce sont les prix qui règlent l’importation, c’est-à-dire que, quand il y a disette dans le pays, il y a nécessairement beaucoup d’importation, et que, quand il y a abondance, quand le pays est suffisamment fourni pour sa consommation, il n’y a plus d’importations. Voilà ce qui met les défenseurs de l’agriculture dans cette situation étrange de se plaindre lorsque les prix sont bas et de se plaindre lorsque les prix sont élevés : ils se plaignent lorsque les prix sont bas, parce que les fermages ne rentrent pas convenablement, et lorsque les prix sont élevés ils se plaignent parce que les grains étrangers arrivent.

Si l’on suivait ce raisonnement jusqu’à la conclusion extrême, il faudrait dire que la prospérité c’est la disette, que le comble de la prospérité c’est la famine !

Je crois, messieurs, avoir suffisamment prouvé que le traité ne peut avoir aucune influence sur l’agriculture quant aux céréales. Voyons maintenant une autre question où les observations ont été plus fondées : je veux parler des bois. Vous vous rappellerez, messieurs, que j’ai combattu l’augmentation du droit sur les bois étrangers, parce que, comme je l’ai dit alors, on faisait trop ou trop peu ; parce que l’augmentation proposée pouvait avoir pour résultat d’accroître les revenus du trésor, mais qu’elle devait imposer une aggravation de charges à l’industrie, en ce qui concerne les constructions commerciales, navales, industrielles, et même les constructions civiles, et que les prix du bois indigène ne s’en ressentiraient nullement. L’événement a justifié cette opinion ; car le vote de la loi est loin d’avoir exercé une influence favorable sur le prix des forêts ; il ne les a pas empêcher, à ce qu’il paraît, de se déprécier encore. Mais voyons encore une fois quelle est ici la faveur accordée au pavillon prussien par le traité ; voyons quel serait le résultat du traité, en prenant pour base les importations de 1843.

Les droits sur les bois n’étaient autrefois que de 60 centimes par tonneau sur les bois en grume, et de 4 fr. pour les bois sciés, et ici j’ai été surpris, je l’avoue, d’entendre dire, au début de la discussion par un honorable député de Hasselt, habitué à examiner les choses avec beaucoup d’attention, d’entendre dire par cet honorable membre que la loi sur les droits différentiels avait maintenu pour le pavillon national l’ancien droit. C’est une erreur, car l’ancien droit a été plus que triplé. Mais venons au droit actuel. Le droit actuel sur le bois en grume, sur les poutres, est de 2 fr. par pavillon national, et de 4 fr. par pavillon étranger ; pour les planches il est de 9 fr. et de 11 fr. ou bien de 13 fr. 50 c., et de 16 fr. 50 c. selon les épaisseurs. Eh bien, messieurs, en 1843, on a importé de la Prusse 2,800 tonneaux de bois en grume, et 17,000 tonneaux de bois sciés.

En appliquant à ces quantités la faveur accordée au pavillon prussien, on trouve 5,600 fr. pour les poutres et 42,500 fr. pour les bois sciés, ensemble 48,100 fr. Je le demande, messieurs, une réduction de droits de 48,000 fr. sur des bois qui ne sont pas similaires aux nôtres, pourrait-elle exercer une influence fâcheuse sur la vente des produits de nos forêts ? Je ne le pense pas. Avouez, messieurs, que quant aux bois de sapin, les bois de Riga et du Nord ne nous font pas une véritable concurrence. Quant à nos bois de chêne, les produits étrangers peuvent nous faire une certaine concurrence dans les provinces où les transports sont maintenant faciles et peu coûteux, mais généralement encore cette concurrence n’est pas considérable.

Ce n’est pas, messieurs, au-delà de la Baltique qu’il faut aller chercher le plus grand ennemi de nos forêts ; cet ennemi, vous l’avez dans votre sein, vous l’avez fait naître, vous l’avez élevé, vous l’avez nourri, vous l’avez fait grandi ; le véritable ennemi des produits de nos forêts, c’est la métallurgie, ce sont les houillères ; par suite de la grande facilité des communications dans notre pays, la houille a remplacé le bois dans presque toutes les provinces pour le chauffage ; par suite de la grande cherté du bois de chêne et de l’introduction du fer dans les constructions, le fer a remplacé en grande partie le bois. Il y a une vingtaine d’années, se serait-on jamais avisé de construire (page 415) un navire en fer ? Eh bien, maintenant, dans les magasins, dans les usines, tout se fait en fer. Dieu sait ce qu’on ne fera pas encore en fer ! Eh bien, messieurs, voilà le véritable ennemi de nos forêts ; ce n’est pas au-delà de la Baltique, je le répète, qu’il faut aller le chercher.

Une question moins importante, messieurs, mais qui cependant a aussi donné lieu à des regrets de la part de la section centrale, c’est l’exception en faveur des cotons. Messieurs, vous vous rappellerez tous que, il y a quelques années, lorsqu’il s’agissait de voter une modification à nos lois de douanes en ce qui concernait la répression de la fraude, les honorables députés de Gand disaient que le tarif de cette époque offrait une protection suffisante, que tout ce qu’ils demandaient c’était l’application sévère, l’application rigoureuse du tarif, la répression efficace de la fraude. Aussi, n’a-t-on jamais réclamé une élévation du tarif ; tout ce qu’on réclamait, c’étaient des mesures d’une sévérité extrême, que la chambre n’a pas voulu admettre, et d’autres mesures auxquelles la chambre s’est ralliée, mesures qui ont eu le succès qu’on en attendait, puisqu’on dit que la fraude a considérablement diminué, qu’elle a pour ainsi dire complètement disparu.

Eh bien, messieurs, quelle est la situation que l’on a fait à l’industrie cotonnière en ce qui concerne l’Allemagne ? Diminue-t-on l’ancien tarif ? Non, on promet seulement de ne pas l’élever. En ce qui concerne la France, diminue-t-on l’ancien tarif. Non ; on promet seulement de ne pas l’appliquer, d’ici à un an, l’augmentation qui a été portée sur les tissus imprimés par l’arrêté du 13 octobre. D’ailleurs, messieurs, les importations de l’Allemagne ne sont pas du tout considérables, et s’il est une ville en Belgique qui soit intéressée à la question, c’est plutôt la ville de Saint-Nicolas que la ville de Gand ; il paraît que les produits que l’on importe d’Allemagne sont plutôt similaires à ceux de Saint-Nicolas qu’à ceux de Gand. Voilà au moins ce qui résulte des renseignements qui m’ont été donnés.

Eh bien, messieurs, St-Nicolas ne se plaint pas de la Prusse, et cependant St-Nicolas a été ici sacrifiée plus ou moins à l’industrie cotonnière de Gand, en ce qu’on n’a pas permis l’importation de fils anglais dont St-Nicolas a besoin pour la fabrication de ses cotonnettes, fils que Gand ne produit pas ou ne peut pas livrer au même prix que l’industrie anglaise.

On s’est plaint encore du traité en ce qui concerne le transit, on a dit que, dans l’intérêt de notre industrie, il ne fallait pas faciliter ainsi l’exportation des produits allemands vers les colonies, que c’était attirer une concurrence à notre propre industrie. Cette observation serait extrêmement juste, messieurs, si nous formions un cercle autour de l’Allemagne ; mais comme l’Allemagne a d’autres débouchés que notre territoire, comme elle peut se passer de nous, comme elle ferait usage des ports de la Hollande, des villes anséatiques, il est de l’intérêt de la Belgique d’attirer chez elle le transit des produits allemands et de l’enlever aux autres pays. N’est-ce pas la première, la grande idée qui a présidé à la construction du chemin de fer ? Si nous n’avions pas voulu faciliter le transit vers l’Allemagne, nous aurions pu nous dispenser de construire le chemin de fer d’Anvers au Rhin.

On a fait une autre observation quant aux laines ; moi-même, dans la section centrale, j’ai demandé au gouvernement une explication sur ce que l’on entendrait par abus, parce que je trouvais ce mot extrêmement large et que, par conséquent, il me semblait que l’interprétation pourrait en être souvent douteuse. Mais, messieurs, si nous considérons bien l’article, si nous en envisageons la véritable portée et le sens qui y sera, je pense, donné, nous verrons que la disposition ne nous laisse pas grand’chose à désirer.

Quel était l’intérêt de la Belgique ? D’avoir effectivement les laines dont elle a besoin, parce qu’elle n’a pas intérêt à favoriser l’industrie des autres pays. Ici son intérêt est le même que celui de l’Allemagne, et l’intérêt commercial disparaît plus ou moins devant l’intérêt industriel.

Quant aux vins et soieries, un honorable député de Gand nous a dit que le retrait de la convention du 16 juillet pourrait donner une très-grande importance pour l’Allemagne à cette exception.

Quant aux vins, cette exception ne sera jamais d’une grande portée ; vous connaissez tous la différence entre les produits ; vous savez tous qu’à cause des prix et des goûts que l’on s’est créés, les vins du Rhin ne remplaceront jamais, dans la consommation, les vins de France.

Ce que je viens de dire pour les vins est applicable aux soieries, mais dans une proportion moindre, parce que l’on pourra faire pour les soieries ce que l’on ne pourra pas faire pour les vins ; on imitera plus facilement les soieries que les vins de France. Cependant on sera bien longtemps encore avant d’avoir imité les soieries de Lyon, avant d’avoir amené la fabrication à ce degré de perfection. Par conséquent nous recevrons toute espèce de soierie d’Allemagne et de France, comme nous en recevons d’Angleterre, comme, d’un autre côté, nous en exportons nous-mêmes ; car vous savez qu’il y a à Anvers une fabrication très-ancienne de soieries, que nous exportons non-seulement en Angleterre et en Allemagne, mais même en France.

Maintenant, il ne me reste plus qu’une question à traiter : la question principale, la portée politique du traité.

Cependant, je dirai encore deux mots quant aux compensations.

Pour déprécier le traité, on réduit aux proportions les plus minimes les concessions faites à la Belgique ; on exagère celles faites à l’Allemagne.

On ne perdra pas de vue que dans les faveurs accordées à la Prusse, la plus considérable est celle qui concerne la navigation. Sur ce point, la Belgique a pu se montrer très-généreuse, sans faire, de sacrifices pour elle-même ; car, ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire, la navigation belge dans la Baltique est presque nulle.

Il y a plus : c’est que cette faveur pourrait nous amener d’autres faveurs de la part des puissances du Nord ; car il est certain que ces puissances, pour obtenir l’assimilation du pavillon, seront obligées de nous accorder quelque chose.

Quant à la portée politique du traité (je ne m’étendrai pas longtemps sur ce point), quel reproche peut-on lui faire ? On dit que nous nous jetons beaucoup trop dans les bras de l’Allemagne, que nous nous rendons hostile un pays avec lequel nous avons le plus grand intérêt, dit-on, à chercher à établir des relations. On nous a parlé de nos relations avec la France, de l’utilité, de l’intimité de ces relations, de manière à faire croire que l’on en serait revenu au rêve de l’union douanière ; car cette union, je ne puis la considérer que comme un rêve.

Ce qui m’a étonné, c’est que cette union intime a été invoquée au nom de la liberté commerciale ; l’union douanière réclamée au nom de la liberté commerciale !

Mais que nous serait-il arrivé ? Est-ce que la France aurait adopté notre régime ? ou bien aurions-nous subi le sien ? L’union douanière réclamée, au nom de la liberté commerciale ! Mais la France n’a-t-elle par la régie, le monopole, les prohibitions, les restrictions de toute espèce ? Est-ce que la France adopterait notre liberté commerciale ? ou plutôt ne serions-nous pas soumis à ses prohibitions, à sa régie, à son monopole, à ses droits différentiels excessifs, à la protection accordée aux produits de ses colonies ? Evidemment, si l’une des deux nations doit être absorbée, ce n’est pas nous qui absorberions la France.

Au reste, si l’on veut se faire une idée de ce que peuvent être nos relations avec la France, qu’on jette les yeux sur le discours prononcé par M. Guizot dans la séance du 22 mars 1843, à la chambre des pairs. Je me dispenserai d’en donner lecture, parce qu’il pourrait soulever des discussions que je veux éviter.

Je me bornerai donc là.

Je crois, en adoptant le traité, faire chose utile au pays, à l’intérêt général du pays.

Je crois que les localités qui s’opposent à son adoption verront par la suite qu’effectivement il ne leur a porté aucun préjudice.

M. Delehaye – Pour ne pas mériter le reproche que l’honorable préopinant vient d’adresser à mon honorable ami M. Manilius, je lui dirai que mon intention est d’examiner le traité.

Cependant il me sera permis de faire remarquer qu’il a été un peu sévère envers mon honorable ami. Si le député de Gand n’a pas examiné tous les détails du traité, il a du moins rendu un immense service ; c’est à lui, en effet, que nous devons d’avoir obtenu du gouvernement une explication catégorique sur des points que l’on voulait nous cacher.

Avant d’examiner le traité, j’ai une réponse à faire à M. le ministre des travaux publics, qui a bien voulu m’interpeller à la séance de vendredi.

L’honorable ministre vous a dit qu’un ministère qui ne proposerait pas la prohibition pour l’industrie cotonnière et l’estampille n’aurait mon assentiment.

L’honorable ministre eût été complètement dans le vrai s’il avait dit que le ministère actuel (même en proposant ces mesures) n’aurait pas mon appui.

Mais, à aucune époque, je n’ai proposé le système prohibitif pour l’industrie cotonnière ; proposer, messieurs, cette mesure, ce serait méconnaître les progrès de cette industrie. Elle n’a pas besoin du système prohibitif. Grâce à l’expérience, à l’esprit d’ordre et d’économie qui dirigent les chefs de nos établissements, elle ne craint pas la liberté illimitée du commerce ; mais elle demande que cette liberté soit réciproque, c’est-à-dire que nous soyons librement admis chez les nations dont les produits sont librement admis chez nous.

Je veux, dit-on l’estampille ; mais je n’y tient pas du tout. Si l’on veut adopter ce qui existe en Prusse, pays pour lequel on a de si fortes sympathies, je m’y soumettrai volontiers.

Un pareil reproche m’étonne cependant de la part du ministère. Avec un peu de perspicacité, avec un peu d’habilité, vous auriez vu que, avec l’estampille ou dans les mesures adoptées en Prusse, nous eussions eu de puissants moyens de négociations.

Quel est, en effet, l’obstacle le plus sérieux que nous a opposé la France lorsque nous avons voulu négocier avec elle ? Ne vous a-t-elle pas dit que vous n’étiez pas en état de défendre vos frontières ? que vous laissiez envahir votre pays par les produits de toutes les nations voisines ? Que vous disait-on encore ? Que la Belgique se trouvait, par suite de son immense production, dans un état de pléthore qui devait infailliblement la ruiner ; on vous disait que cette production était telle qu’elle dépassait de beaucoup sa consommation.

Eh bien ! par l’estampille ou par des mesures analogues, vous répondriez à tous ces reproches. Vous démontriez que la fraude ne se commettait plus en Belgique, que sa production, quoique considérable, ne répondait certainement pas aux besoins de sa consommation.

Messieurs, je n’aurais pas tenu à répondre à ces faits, si je n’avais à signaler le système que suit le ministère, chaque fois qu’il s’agit de certaines industries. Vous voulez, me dit-on, le système prohibitif, et l’on n’a pas assez d’énergie pour repousser ce système, quand il s’agit de l’adopter pour certaines autres industries. Cependant tout en agissant ainsi, on préconise ce même système pour les industries d’autres provinces. Voilà comment le ministère entend le système d’égalité qui devrait le guider.

C’est là, messieurs, une chose réellement déplorable. Toutes les fois qu’il s’agit d’une industrie importante (car, par les capitaux qu’elle emploie, pour le nombre d’ouvriers qu’elle occupe, l’industrie cotonnière mérite la même protection, les mêmes faveurs que les autres industries) ; toutes les (page 416) fois, dis-je, qu’il s’agit d’une industrie appartenant à certaine province, le gouvernement se montre toujours animé d’un sentiment de profond dédain.

J’aborderai maintenant, messieurs, l’examen de nos relations commerciales.

La Belgique avait devant elle trois pays avec lesquels elle pouvait négocier. Je conviens qu’elle avait une indépendance complète, qu’elle avait une liberté illimitée dans le choix des pays avec lesquels elle voulait traiter ; aucune nation ne pouvait lui imposer des conditions ; elle n’avait qu’à consulter ses intérêts matériels, ses convenances politiques.

Quelle était, messieurs, la puissance avec laquelle la Belgique devait chercher à traiter ? En première ligne se présentait la Hollande. Une convention avec ce pays nous était des plus avantageuses ; elle n’excitait aucune crainte de la part de la France et n’éveillait aucun soupçon de la part de l’Angleterre ou de la Prusse. Vous aviez avec la Hollande d’anciennes relations que les événements de 1830 n’avaient pu entièrement détruire ; vous négociiez avec un pays qui est entièrement commercial et nullement industriel, qui est en possession d’immenses colonies dont les produits excédent de beaucoup les besoins de la mère patrie, et pour lesquels il lui faut les débouchés d’autres pays européens. D’autre part, vous pouviez lui offrir à la Hollande des avantages que nous pouvait lui offrir aucune autre nation ; car elle pouvait déverser sur la Belgique une grande partie de ses produits coloniaux.

Je ne sais, messieurs, de quelle manière le gouvernement s’y est pris avec la Hollande ; mais, d’après ce qui nous a été révélé, il ne se trouve pas vis-à-vis d’elle dans des termes d’amitié bien prononcés.

Se présentait ensuite la France. Un honorable député de Bastogne vous a dit qu’on n’avait rien négligé pour conclure un traité avec la France. Il vous a dit que la Belgique avait envoyé à Paris trois hommes d’Etat éminents pour négocier la réunion douanière.

D’abord, je dois faire remarquer que jamais ces trois diplomates n’ont eu la mission de négocier la réunion douanière ; j’en puis donner la certitude la plus complète. Jamais, d’ailleurs, il ne nous a été dit ni en comité secret, ni en séance publique, que nos négociateurs eussent reçu semblable mission.

La France, messieurs, par suite du système qui régit son industrie, nous offre peu de ressources pour la négociation d’un traité. Elle produit presque tout ce que nous produisons. Elle a d’ailleurs un système de production tel, que tout ce qui est similaire de son industrie, n’obtiendra point de grands avantages chez elle. Vous ne pouviez donc espérer de faire avec la France une convention commerciale plus importante.

Mais la France avait le plus grand intérêt à ce que la Belgique lui fût toujours particulièrement attachée, à ce que rien ne pût faire soupçonner que la Belgique se tournerait de préférence vers le Nord. Or, cet intérêt politique, joint aussi à certains intérêts matériels, et la Belgique est en effet un pays de consommation important pour la France, pouvait vous faire obtenir la réunion douanière.

Mais avez-vous oublié, messieurs, ce qui s’est passé en comité secret ? Ne savez-vous pas ce qui vous a été dit lors de la discussion des droits différentiels ?

J’ai dit, messieurs, que vous pouviez obtenir l’union douanière avec la France. Je vous prouverai tantôt que, depuis le traité avec l’Allemagne, cette réunion n’est plus possible. Quant à un traité de commerce de quelque importance, vous le désireriez inutilement. Comme je viens de vous le dire, le système français ne vous présentera que bien peu d’avantages.

Il se présentait enfin un troisième pays : l’Allemagne.

Messieurs, la Belgique pouvait-elle songer sérieusement à obtenir quelques utiles concessions de l’Allemagne ? En Allemagne, messieurs, toutes les industries sont également similaires aux vôtres, et de plus, elle sont dans des conditions de production beaucoup plus favorables ; la main-d’œuvre y est moins chère ; les propriétés y ont moins de valeur ; le fardeau des impôts n’y est pas aussi lourd, la vie animale, en un mot, exige moins de sacrifices.

Quels autres avantages, messieurs, aviez-vous à espérer de l’Allemagne ? Des avantages politiques ? Mais vous savez de quelle manière la Belgique a toujours été traitée par l’Allemagne. A aucune époque l’Allemagne ne nous a témoigné la moindre sympathie. Il y a plus, messieurs, un écrit récent, émané d’un ministre de Charles X, vous a fait connaître les dispositions de la Prusse à notre égard, même avant 1830. Avez-vous donc oublié que lorsque la Hollande avait besoin d’appui contre la Belgique, c’était à l’Allemagne qu’elle s’adressait ?

Aussi, messieurs, de ces trois pays deux vous présentaient de grands avantages et n’éveillaient aucun soupçon. Ces deux pays, vous les avez négligés pour leur préférer le troisième. Et pourquoi. Non pas parce que vous avez des sympathies pour l’Allemagne, mais, comme cela vous arrive toujours, pour obéir aux nécessités du moment, c’est-à-dire, que, vous étant mis dans une impasse, force vous était d’en sortir et peu vous importaient les moyens d’y parvenir.

Ici, je dois rencontrer une observation de M. le ministre des travaux publics. J’ai dit, vous a rappelé cet honorable ministre, que, dans toutes les négociations, le gouvernement ne cherchait qu’à consolider sa position sans égard pour les intérêts du pays. Messieurs, nous avons eu de longues négociations avec la France. Tantôt nous lui présentions des bases de négociations que nous nous empressions de modifier bientôt après ; tantôt nous indiquions les faveurs que nous voulions lui accorder et celles que nous voulions obtenir ; tantôt, aux négociateurs nommés nous en substituions d’autres chargés de négocier sur de nouvelles bases. Toujours tergiversations, toujours incertitude. Enfin, fatigués de tous ces retards, des membres de cette chambre, et j’en faisais partie, interpellèrent le ministère ; nous lui déclarâmes que, mal armé, il n’obtiendrait rien ; il nous remit à la fin des négociations. Ce qu’il y avait de clair pour moi, c’est que la Belgique n’osait ou ne voulait rien faire pour la seule solution possible et avantageuse, c’est-à-dire pour la réunion douanière ; les dispositions de certain parti effrayèrent le gouvernement sur la portée d’une pareille mesure. En vain indiquâmes-nous les mesures préliminaires indispensables ; le gouvernement se borna à des manifestations politiques, et reculant devant ses propres œuvres, il défit l’un jour ce qu’il avait si laborieusement posé la veille.

Enfin, la France, fatiguée de négocier, prit une disposition contre les toiles et les fils de lin ; cette dispositions n’atteignit pas seulement la Belgique, mais elle frappa aussi l’Angleterre. Cette mesure porta un coup fatal à la principale industrie des Flandres ; il ne se serait pas trouvé dans cette enceinte un seul député de ces provinces qui eût osé donner son appui au ministère, s’il n’avait pas obtenu une exception pour nos toiles. Que fait alors le ministère ? Il envoie bien vite à Paris un commissaire qui n’a pas la moindre idée de ce qui se passe, qui n’est informé de rien ; et cette négociation a eu pour résultat la convention du 16 juillet 1842. Cette convention ne nous accordait pas de bien grands avantages immédiats, quoiqu’il soit vrai de dire que la France nous donna, en cette circonstance, un témoignage de bienveillance, puisqu’elle se borna à réclamer de nous une réduction de droits pour des objets que nous ne produisons point, réduction qui n’avait d’autres résultats qu’une diminution de revenus pour le trésor belge, diminution dont profiteront nos consommateurs.

Nos négociateurs avaient perdu de vue l’amendement de Lespaul, amendement dont la mise à exécution nous enlevait une partie des avantages que la France nous accordait par la convention ; en outre, on n’avait pas songé à une mesure qui existe en France depuis de longues années, celle qui enjoint à ceux qui prennent part aux adjudications publiques, pour l’habillement des troupes, à n’employer que des produits français.

Aussi, un jour, le maréchal Soult, ministre de la guerre, annonce l’adjudication des fournitures nécessaires aux vêtements des troupes françaises ; il déclare, en même temps, que des produits français seront seuls admis pour cette fourniture. Qu’arrive-t-il alors ? Des membres de cette chambre accusent la France de manquer de bonne foi ; on jette l’insulte à la face de la France ! Y a-t-il eu sur les bancs ministériels, un seul membre du cabinet qui ait protesté contre ces reproches ?

Le ministère a laissé tout le monde injurier la France en toute liberté ; mais si un membre de cette chambre s’était permis de pareilles attaques contre la Prusse, oh ! alors le ministère n’aurait pas manqué de faire rappeler à l’ordre le malheureux orateur.

Qu’est-ce qui s’est passé dans la négociation actuelle ? Il est fort heureux que nous ayons à l’appui de ce que nous avançons le memorandum prussien. Comme on avait agi envers la France, on veut agir envers la Prusse ; des bases de négociations lui sont présentées ; à son tour, elle fait connaître ses intentions ; nous demandons à délibérer, nous retirons nos premières bases, nous faisons des promesses, nous ne les accomplissons pas ; après bien des tergiversations, bien des expédients de notre part, la Prusse se fâche ; un beau jour, elle prend des mesures contre nous, elle menace une industrie importante.

Aussitôt notre gouvernement sort de sa léthargie, il demande à négocier ; vous connaissez le reste ; qu’il me soit permis d’appeler un instant votre attention sur un fait que le pays aurait peine à admettre. Dans le memorandum, le plénipotentiaire prussien accuse notre ministère de mauvaise foi, de déloyauté : vous croyez, sans doute, qu’après une pareille accusation le ministère belge se refusera de traiter avec son accusateur ? Il n’en est rien ; non-seulement il continue les négociations, il accepte ce document officiel dans lequel il est si mal traité ; mais il donne à ce diplomate étranger une marque de reconnaissance nationale ; il lui a accordé le grand cordon de l’ordre de Léopold. Qu’il me soit permis de dire que ce qui s’est passé hier et avant-hier me donne la conviction que tout ce qui a été avancé par le ministre de la Prusse est conforme à la vérité. Messieurs, il faut aussi que les avantages que le traité accorde à la Prusse soient bien considérables, pour qu’après la conduite équivoque de notre ministère, il ait consenti à conclure cette convention.

Ce même principe, ce principe de petits moyens, d’expédients que nous voyons dans la convention conclue avec la Prusse , que nous avions déjà vu dans le traité avec la France, se fait remarquer partout, même à l’intérieur : c’est le mobile constant de la conduite du gouvernement, lorsqu’il s’agit des intérêts de l’industrie ; rappelez-vous la loi des droits différentiels. Et qu’il me soit permis de dire ici à l’honorable M. Cogels : par la convention qui a été faite avec la Prusse, nous portons certainement un coup terrible à la loi sur les droits différentiels ; vous avez assimilé à notre propre pavillon le pavillon prussien…

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Pour certaines relations.

M. Delehaye – C’est là porter sans doute une grave atteinte à la loi des droits différentiels.

Vous vous rappelez tous le discours remarquable et patriotique que M. le ministre de l'intérieur a prononcé, au début de la discussion de la loi des droits différentiels. Que fallait-il à l’industrie belge, selon M. le ministre de l'intérieur ? Il lui fallait le marché intérieur. « Assez longtemps, disait-il, les nations voisines se sont emparées de notre marché pour s’y enrichir ; il est temps que le commerce de commission cesse en Belgique. » Ce même ministre répondant à notre honorable collègue, M. Rogier, ajoutait : « Anvers a trop longtemps appartenu à des (page 417) étrangers faisant le commerce de commission, nous voulons mettre un terme à cet état de choses. » Or, par le traité conclu avec la Prusse, qu’aurez-vous à Anvers, sinon un commerce de commission ?

Mais M. le ministre de l'intérieur allait plus loin ; il proclamait alors la nécessité d’un droit différentiel établi sur une large échelle ; il reconnaissait que le produit qui pouvait faire concevoir d’heureuses espérances pour le succès de la loi des droits différentiels, était le café. Le discours de M. le ministre de l'intérieur avait jeté une vive inquiétude sur les bords de la Meuse ; le commerce réclame, et M. le ministre de l'intérieur ne tarde pas à venir proposer à la chambre une modification à ce même système qu’il avait, quelques jours auparavant, proclamé si nécessaire dans toutes ses parties ; il propose de permettre l’introduction de 7 millions de kilogrammes de café.

Vous voyez, messieurs, que le système du gouvernement ne se dément jamais ; jamais il n’a eu en vue les intérêts réels du pays ; quand il s’agit de reculer devant ses propres assertions, cela ne l’effraye point ; pourvu qu’il pare aux embarras, aux dangers du moment, c’est tout ce qu’il désire.

Messieurs, mon honorable ami M. d’Elhoungne vous a déjà exposé d’une manière irréfutable quels sont les immenses sacrifices que nous nous imposons en faveur de l’Allemagne, et combien sont faibles les compensations que l’Allemagne nous accorde en retour. Mon honorable ami a oublié d’insister sur un fait ; c’est que les craintes que doit faire concevoir à la Belgique la conclusion du traité du 1er septembre, craintes qui ne tarderont pas à se réaliser ; c’est que ces craintes, dis-je, ont leur source dans l’accession inévitable des villes anséatiques au Zollverein. M. le ministre de l'intérieur et la section centrale ont prévu cette objection ; ils ont prétendu qu’il n’était ni possible, ni probable que cette accession eût lieu de sitôt. Et vous ne voyez pas que, par la convention faite avec l’Allemagne, vous enlevez précisément le seul obstacle qui s’opposait jusqu’à ce jour à cette accession !

Pourquoi les villes anséatiques n’ont-elles pas voulu jusqu’ici s’adjoindre au Zollverein ? Mais c’est parce que le port de Hambourg servait d’entrepôt à l’Allemagne pour les produits tropicaux, les denrées coloniales. Hambourg est aujourd’hui en possession de fournir à tout le marché de l’Allemagne ; dès lors Hambourg comprenait parfaitement bien que si une fois elle entrait dans le Zollverein, elle serait dans la même position, dans laquelle se trouvera bientôt la ville d’Anvers, c’est-à-dire qu’on y débarquerait des produits tropicaux, des denrées coloniales, pour être exportés immédiatement vers l’Allemagne. Hambourg n’avait donc aucun intérêt à accéder au Zollverein. Mais, maintenant, par la convention faite avec l’Allemagne, les villes anséatiques ne sont plus intéressées à reculer devant cette accession.

Et je ne doute pas que la convention que la Prusse se propose de faire avec les Etats-Unis, ne rende inévitable et prompte l’accession des villes anséatiques au Zollverein.

La même chose existait pour la Hollande. La Hollande est un pays qui a des colonies d’un rapport immense ; elle n’avait aucun intérêt à faire une convention avec l’Allemagne, parce que ses ports eussent été destinés à faciliter la concurrence aux produits de ses colonies. Par suite de la convention que vous faites avec le Zollverein, rien n’empêche désormais la Hollande de conclure à son tour une convention avec l’Allemagne, et cette convention détruira peut-être une partie des avantages que le traité du 1er septembre vous accorde.

Messieurs, un avantage considérable que nous accordons encore à l’Allemagne, c’est le transit. Nous permettons à l’Allemagne de transiter sur notre territoire pour les produits similaires aux nôtres, c’est-à-dire que sur les marchés étrangers nous appelons nos concurrents dont nous facilitons la position. Et puis est-il bien certain que ce transit passif nous rembourse des frais qu’il nous impose ? Vous savez, messieurs, que pour chaque tonneau nous devons payer à la Hollande 1 fl. 50 c. pour droits de navigation. Ce n’est pas tout : en permettant à l’Allemagne de prolonger son territoire jusqu’à Anvers, par la cession que vous lui faites en quelque sorte, de notre port principal, n’allez-vous pas exciter les justes susceptibilités de la France ? Etes-vous encore en état de conserver votre neutralité, alors que l’Allemagne vient s’établir au cœur de votre pays ? N’avez-vous pas craint, en accordant à l’Allemagne une concession aussi exorbitante, en lui cédant pour ainsi dire une ville principale de votre pays, une ville fortifiée ; n’avez-vous pas craint, dis-je, de donner à la France le droit de vous adresser de vifs et légitimes reproches ? Je n’en dirai pas davantage à cet égard ; je ne veux pas qu’on m’accuse d’imprudence ; mais j’ai la conviction intime que la France ne manquera pas de porter une attention sérieuse sur les conséquences d’un traité qui à toute heure, ouvre notre territoire, nos ports, une ville fortifiée à l’ambition allemande !

Il est un autre point sur lequel je dois faire une observation à M. le ministre de l'intérieur.

Le traité fait avec le Zollverein ne porte-t-il pas atteinte à la convention conclue avec la France ? Nous avons déclaré que les vins et les soieries de France jouiraient chez nous des droits accordés aux nations les plus favorisées. Or, par le traité du 1er septembre, nous déclarons que les négociants et les commis-voyageurs du Zollverein qui viendront en Belgique, ne payeront pas d’autre patente que les nationaux ; mais il ne faut pas oublier que par la loi sur le colportage, nous avons doublé le droit de patente pour les étrangers.

A présent, je vous demanderai si les négociants français, les commis français qui voyagent en Belgique pour les vins et les soieries ne sont pas en droit de réclamer. Vous vous êtes obligés à admettre les voyageurs français sur le pied des nations les plus favorisées ; par le traité avec le Zollverein, vous avez affranchi les voyageurs allemands du droit de patente double. Sur ce point, le gouvernement doit y réfléchir, la France est en droit de réclamer, et vous serez également obligé de modifier le droit de patente à son égard.

Nous accordons ensuite à l’Allemagne une réduction du droit sur 250,000 kil. de fils. Ces fils se fabriquent dans le pays, mais on ne les fabriquait pas en assez grande quantité pour alimenter nos fabriques, et la chambre en avait autorisé momentanément l’introduction à un droit réduit.

Vous avez rendu cette introduction permanente. Savez-vous combien il faut d’ouvriers pour fabriquer cette quantité de fil ? 2,500 ouvriers endéans une année ne peuvent faire que 250 mille kilogrammes de fils. Ainsi vous enlevez le travail à 2,500 ouvriers, alors que la classe ouvrière est dans la misère, faute de travail.

Messieurs, on vous a parlé tantôt de l’industrie cotonnière ; on vous a dit que, sous ce rapport, Gand n’avait pas à se plaindre du traité. D’abord, mes honorables amis et moi nous n’avons pas l’habitude de ne nous laisser guider que par des intérêts de localité ; nous ne sommes pas députés de Gand, mais députés de la nation.

Quand l’industrie gantoise n’aurait pas à se plaindre du traité, ce n’est pas une raison pour nous de ne pas l’attaquer, alors que l’industrie d’autres localités peut en souffrir, alors que nous le trouvons contraire aux intérêts d’une partie du pays. L’Allemagne, dit-on, n’avait qu’un faible intérêt à l’exception relative aux cotons ; le gouvernement est d’autant plus condamnable, il est d’autant plus répréhensible de l’avoir accordée. D’après M. Cogels, parce que Saint-Nicolas seul en souffre, nous devrions nous taire ! Nous concevons ce seulement de la part du député d’Anvers, mais nous ne voulons pas nous y associer. Si nous ne voulons pas admettre une disposition qui nous atteindrait, nous n’en voulons pas davantage lorsqu’elle lèse les intérêts des autres.

Je me sens fatigué. Après une indisposition assez longue, c’est la seconde fois que je prends la parole ; cependant, avant d’en finir, qu’il me soit permis de faire remarquer qu’il y a dans la convention des avantages, problématiques à la vérité, pour les provinces wallonnes, pour leur industrie métallurgique, et l’industrie des laines ; ces avantages problématiques, vous les obtenez au moyen d’un double sacrifice que vous imposez à deux branches de l’industrie des Flandres ; que les députés des Flandres y prennent garde, ils contribuent à placer leurs commettants vis-à-vis des provinces wallonnes dans la position qu’avait autrefois la Belgique vis-à-vis de la Hollande ; vous les sacrifiez, vous leur faites une position de vaincu.

M. le président – Il n’y a pas ici de députés des Flandres, mais des députés de la Belgique ; il ne faut pas partager la chambre et le pays en deux fractions.

M. Delehaye – Je le veux bien, M. le président ; je me conformerai à vos désirs ; je m’adresserai à la chambre ; ceux à qui je veux bien m’adresser me comprendront facilement. Je disais donc que bientôt les deux Flandres ne seront plus mentionnées que pour savoir jusqu’où peuvent aller les sacrifices, les fardeaux qui leur seront imposés. Si l’on veut obtenir quelque concession pour l’une ou l’autre province, ce sera chez nous que l’on viendra chercher des compensations. C’est notre devoir d’y veiller, et, pour ma part, je n’y manquerai pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je pense qu’en effet, il est impossible de laisser sans réponse les dernières paroles du discours de l’honorable préopinant, paroles que je n’ose pas même qualifier. Comment peut-on représenter une partie du pays comme vaincue par l’autre ? C’est allez bien loin ! Que l’honorable préopinant y songe, nous sommes en séance publique ?

M. Delehaye – C’est pour cela que je l’ai dit !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est d’autant plus imprudent ! Qu’auriez-vous répondu à ceux qui, lors de la convention du 16 juillet, qui n’a été faite que pour sauver une industrie dont le siège principal est dans les deux Flandres, auraient dit qu’on sacrifiait les autres provinces.

M. Delehaye – On ne leur imposait pas de sacrifices.

M. le président – N’interrompez pas.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est un langage bien imprudent, puisque l’honorable préopinant persiste en m’interrompant, c’est un langage bien imprudent que de séparer le pays, quant à ses intérêts matériels, en deux parties et à présenter l’une comme vaincue par l’autre. Pour qu’un pareil langage fût excusable, il faudrait qu’il pût s’appuyer sur des faits nombreux et de la plus grande évidence.

Nous avons fait avec la France une convention qui, selon moi, est du plus grand intérêt pour l’industrie linière. Cette industrie a son siège principal dans les deux Flandres. Nous avons fait des sacrifices. Aujourd’hui nous nous occupons d’intérêts qui n’ont plus leur siège dans les deux Flandres ; nous nous occupons ainsi successivement de tous les intérêts du pays. C’est juger bien mal la conduite du gouvernement et des chambres que de ne pas voir l’ensemble de ce qui a été fait ; c’est l’ensemble des résultats qu’il faut voir, et non les résultats insolés.

Quel est le grand intérêt qu’on a sacrifié en Flandre par le traité du 1er septembre ? Vous avez accordé le statu quo pour les tissus de coton allemands. Il s’agit d’une importation qui n’atteint pas 200,000 francs. (Interruption.)

Je sais l’objection qu’on va me faire : c’est que l’exception insérée dans le traité du 1er septembre, amène celle de l’arrêté du 13 octobre. C’est cette corrélation que nous nions ; nous disons que, quand même l’exception en (page 418) faveur de l’industrie cotonnière allemande n’aurait pas été faite par le traité du 1er septembre, on n’aurait pas mieux fait l’exception en faveur des cotons français par cet arrêté du 13 octobre. (Interruption.) On me dit : Précisément, vous doublez la faveur ! C’est que jamais vous n’avez égard aux faits. Quelles sont les importations de l’Allemagne en cotons ? Vous recevez de l’Allemagne des tissus en coton pour une valeur qui ne s’élève pas à 200 mille francs.

M. d’Elhoungne – Raison de plus pour ne pas l’accorder !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je rétorque contre vous-même votre observation : raison de plus de ne pas refuser l’exception, puisque vous faisiez une si mince concession. Comment, on avait annoncé depuis longtemps qu’il fallait élever les droits sur les tissus de coton teints et imprimés, la chose était annoncée, et c’est le lendemain du traité que vous auriez frappé l’Allemagne dans l’importation si peu importante de ses cotons ! Vous aviez prévenu l’Allemagne, vous aviez annoncé que le tarif sur les tissus de coton teints et imprimés allaient être augmenté. C’est par cet avertissement qu’on a rendu inévitable l’exception que le traité renferme ; il était impossible de ne pas l’accorder ; on l’avait, en quelque sorte, provoquée. Ce n’était pas, d’ailleurs, contre l’Allemagne qu’il s’agissait de protéger nos cotons. Quand on a demandé l’augmentation du tarif… (Interruption.)

M. le président – Si les interruptions continuent, je serai forcé de rappeler à l’ordre les membres qui interrompent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Plus on m’interrompra, plus mes observations seront longues. Et puisqu’on m’en offre l’occasion, je dirai que j’ai entendu avec plaisir l’éloge de la convention du 16 juillet. C’est chose nouvelle pour vous (interruption) ; vous devez vous rappeler que la convention du 16 juillet n’a pas toujours été l’objet des éloges du préopinant.

M. Delehaye – Je ne l’ai jamais blâmée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne voudrais pas donner un démenti à l’honorable membre ; mais il faut que mes souvenirs me servent bien mal, si je me trompe en disant que la convention du 16 juillet n’a pas toujours obtenu les éloges que vient de lui donner l’honorable membre. (Interruption.)

Je répète donc que la convention du 16 juillet n’a pas toujours été l’objet des éloges de quelques-uns des députés des Flandres, notamment des députés de Gand. Elle a été représentée comme un acte insignifiant, comme une concession ne valant pas le sacrifice qu’on impose au trésor public.

Un membre – Ce n’est qu’après le vote de la loi qu’ils ont dit cela !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Dans beaucoup d’occasions, on a parlé de la convention du 16 juillet comme d’un acte insignifiant. On nous a blâmé quand nous disions naguère que l’exception en faveur des tissus de coton français était au moins temporairement nécessitée pour ne pas compromettre la convention du 16 juillet ; on nous a blâmé en considérant cette convention comme beaucoup moins nécessaire que le suppose aujourd’hui l’honorable préopinant. Je ne veux pas faire d’autres réflexions, je ne dirai pas même que peut-être on ne se prononce aujourd’hui en faveur de cette convention que parce qu’elle semble menacée par les réclamations soulevées en France.

Je me résume ; car je voulais plutôt faire une protestation contre les paroles provocatrices d’un honorable membre, que présenter des observations ; ces sont les interruptions qui ont étendu ma réponse.

Je me résume donc : le traité du 1er septembre accorde sur le marché de l’Allemagne une existence privilégiée à une de nos grandes industries, l’industrie métallurgique, de même que la convention du 16 juillet accorde sur le marché de la France une existence privilégiée à une autre de nos grandes industries, l’industrie linière ; un de ces traités est le pendant de l’autre.

Voilà donc deux industries ayant des privilèges sur deux grands marchés ; fasse le ciel que nous conservions longtemps ces deux positions exclusives !

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne répondrai pas à l’étrange reproche que M. Delehaye nous a fait d’avoir conclu un traité en sept jours, après une négociation de sept années. Je ne le suivrai pas non plus dans les détails dans lesquels il est entré en ce qui concerne ce qui a amené la rupture momentanée et bientôt après la reprise des négociations mêmes. Je considère cette discussion comme épuisée. L’honorable M. Delehaye a cru que je lui avais fait un reproche, dans une séance précédente, d’avoir proposé la prohibition en 1835 et l’estampille en 1842 ; il a ajouté que j’avais parlé avec dédain de l’industrie cotonnière. Je ne lui ai adressé aucun reproche ; je n’ai pas eu l’aveuglement de parler avec dédain d’une grande industrie comme l’industrie cotonnière. J’ai voulu seulement, dans une séance précédente, faire remarquer que le grief qu’il a fait à la politique commerciale du ministère retombe sur la chambre, qui n’a pas voulu, comme lui, ni du système prohibitif, ni de l’estampille. Ces opinions qu’il a professées, il les abandonne aujourd’hui ; je l’en félicite ; nous sommes ainsi plus près de nous entendre.

Du reste, mon opinion est assez connue ; s’il est possible de renforcer plus qu’on ne l’ai fait les mesures pour la répression de la fraude en faveur de l’industrie cotonnière, je suis prêt à appuyer ces mesures de tous mes efforts.

J’aurais voulu me dispenser de répondre à la partie personnelle des discours prononcés dans les séances précédentes, par les honorables MM. Castiau et Osy. Je l’aurai voulu, afin d’arriver immédiatement aux arguments sérieux de l’honorable M. d’Elhoungne, qui a eu le bon esprit de débarrasser immédiatement cette discussion importante de toutes ces personnalités qui, s’il m’est permis d’employer une expression dont on a abusé contre nous, sont les expédients de l’opposition.

M. Castiau – Quelles sont ces personnalités ?

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – L’honorable M. Castiau a reproduit un reproche qu’on m’a adressé sans que j’aie cru devoir le relever : il m’a accusé d’avoir, lors de l’inauguration du chemin de fer belge-rhénan, prononcé des paroles chaleureuses, des discours imprudents. Mais l’honorable membre s’est bien gardé de citer ces paroles chaleureuses, ces discours imprudents. Je suis convaincu, pour ma part, que s’il avait voulu se donner la peine que j’ai prise moi-même depuis son discours de relire mes paroles, il aurait reconnu que je n’ai prononcé aucune parole qui pût compromettre le gouvernement que je représentais.

J’ajouterai un mot : c’est qu’à cette époque je n’ai fait que reproduire, en les affaiblissant, les discours prononcés par les ministres belges, dans la discussion de la loi du 1er mai 1834, organique de nos chemins de fer. Alors des discours chaleureux, mais non pas imprudents, ont été prononcés. N’a-t-on pas annoncé, comme un résultat heureux que nos ports s’ouvraient à l’Allemagne. Ai-je été plus loin, et peut-on me reprocher d’avoir énoncé un fait géographique ?

Je n’ai pas été plus imprudent en 1843 que ne l’ont été les ministres, mes prédécesseurs, en 1834.

L’honorable M. Osy a formulé contre moi un reproche d’une nature plus grave ; j’ai besoin de lire à la chambre les termes dont il s’est servi, parce que je n’en ai compris ni la signification, ni la portée.

(Le ministre donne lecture d’un fragment du discours de M. Osy.)

Comment ! parce que j’ai donné mon assentiment à l’art. 5 du traité, parce que j’ai appuyé cette conviction sur les arguments employés par la chambre de commerce d’Anvers…

M. Osy – Je demande la parole.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Pour cela l’honorable M. Osy m’accuserait de me laisser corrompre au contact de l’un de mes collègues. J’en demande pardon à la chambre si j’insiste. Mais j’aurais bien peu de respect pour moi-même et je tiendrais bien peu au respect des autres, si je laissais froidement tomber de telles accusations, qui portent non pas sur mes discours ou mes actes, ce qui est de guerre légitime, mais sur ma conscience et mon caractère. J’ai toujours eu l’habitude, dans tous les débats parlementaires où j’ai été mêlé, de considérer le caractère et les convictions comme un sanctuaire inviolable pour les autres ; j’ai le droit d’exiger qu’il soit considéré comme inviolable pour moi-même. (Assentiment.)

J’arrive au fond même du débat, au traité du 1er septembre ; on a critiqué ce traité, les uns par rapport à sa portée politique, comme l’honorable M. Castiau, les autres par rapport aux clauses industrielles et commerciales, comme l’honorable M. d’Elhoungne.

D’après l’honorable M. Castiau, il y aurait une politique commerciale allemande qu’il a opposée à la politique commerciale française ; le ministère aurait adopté la première, et aurait ainsi posé un acte de politique hostile à l’intérêt belge.

Les deux ministères de 1834 et de 1840 ont été en butte à une pareille accusation. Chose remarquable ! on a combattu et l’on a défendu la loi mémorable du 1er mai 1834, exactement par les mêmes arguments qui ont servi à combattre et à défendre le traité du 1er septembre. En effet, comme on l’a dit avec justesse, le traité du 1er septembre n’est que le corollaire, la continuation de la loi du 1er mai.

L’honorable M. Rogier, en 1840, lorsqu’il était ministre des travaux publics, répondait par les paroles suivantes à la même accusation :

« Un honorable préopinant (disait l’honorable M. Rogier), se fondant sur je ne sais quelle hypothèse, a présenté le nouveau cabinet comme prêt à se jeter dans les bras de l’Allemagne ; d’autres, nous n’en doutions pas, seraient disposés à présenter le nouveau cabinet comme prêt à se jeter dans les bras de telle autre puissance, de la France, peut-être. Nous pensions que la Belgique doit chercher à donner la main à toutes les nations qui l’entourent. »

C’est aussi notre profession de foi. La Belgique est dans cette admirable situation, qu’elle peut conclure des traités différentiels, reposant sur des bases diverses, avec la France, avec l’Allemagne, avec la Hollande ; et ces traités ne se font pas obstacle les uns aux autres.

Comment donc le traité du 1er septembre est-il hostile aux intérêts français ? Quelles sont les intérêts français qu’il lèse ? L’honorable M. Castiau n’en a cité aucun. Il n’est donc hostile à ses yeux (comme il l’a franchement déclaré) que par rapport à la pensée politique qu’il lui a attribuée. L’honorable M. Castiau semble partager l’opinion d’un publiciste français, qui écrivait naguère que le traité du 1er septembre n’avait rien d’hostile aux intérêts matériels de la France, mais qu’il y avait hostilité, par cela seul qu’il avait traité avec le Zollverein. Cette opinion est celle de M. Castiau. Cet honorable membre a dit : « C’est la politique prussienne qui a créé le Zollverein, qui chaque jour cherche à se fortifier et à s’étendre ; c’est encore une pensée toute prussienne qui préside aux traités qu’on pourrait négocier avec le Zollverein. » Ainsi, d’après l’honorable membre, tout traité avec le Zollverein est hostile à la politique belge.

M. Castiau – Ce sont les circonstances que j’ai critiquées ; pendant que vous négociiez avec la France, vous traitiez sourdement avec la Prusse.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Cela est faux !

M. Castiau – Si M. le ministre n’est pas rappelé à l’ordre, je me chargerai de la police de l’assemblée ; je lui demanderai raison.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je retire volontiers l’expression qui m’est échappée, mais que M. Castiau a mal comprise. Je (page 319) n’ai pas voulu attaquer son intention, mais j’ai pu, sans le blesser, taxer son allégation d’inexacte et d’erronée. Nous ne traitions pas sourdement avec le Zollverein pendant que nous faisions un simulacre de négociation avec la France. On négociait simultanément depuis plusieurs années, et il n’a pas dépendu de nous que le succès de nos négociations avec le Zollverein précédât le succès de nos négociations avec la France.

Ce n’est donc pas ce que le traité renferme que vous attaquez, mais c’est le fait même d’un traité conclue avec la fédération allemande.

Mais c’est là dénier à la Belgique, sinon le droit abstrait, du moins la possibilité politique de faire un traité avec une autre nation que la France ; c’est oublier que l’indépendance belge repose sur la neutralité qui est sa loi politique ; c’est ôter à la Belgique son caractère européen.

Le gouvernement français, qui a aussi son devoir européen à remplir, est loin d’être aussi exclusivement français que l’honorable M. Castiau ; car il n’a pas consenti à négocier avec la Belgique un traité d’alliance exclusive. Comment faire un crime au gouvernement belge d’avoir rendu difficile, impossible, un traité d’union douanière exclusive avec la France, lorsque le gouvernement ne croit pouvoir ni l’offrir, ni l’accepter ?

Je suis aussi partisan que l’honorable M. Castiau, d’un traité de commerce avec la France. L’intérêt des deux pays et les relations qui les rapprochent doivent amener un tel traité qui est dans nos vœux à tous, et le gouvernement ne doit pas perdre un seul instant de vue l’intérêt d’une aussi importante négociation.

Aussi, avons-nous mis un soin particulier à éloigner du traité du 1er septembre tout ce qui aurait pu léser, même en apparence, un intérêt français. Mais l’honorable membre croit-il, en éveillant la susceptibilité française contre nous, rendre plus faciles les négociations que le gouvernement belge continue avec le gouvernement français ? A-t-il fourbi des armes à nos amis ou à nos adversaires quand la question belge sera prochainement agitée à la tribune de France ? Ses paroles ne doivent-elles pas nuire à la cause belge ? Si elles doivent nuire, l’honorable M. Castiau n’a-t-il pas sacrifié l’intérêt du pays au désir de blâmer le ministère ?

Si nous avions inséré dans le traité la clause que la Hollande a admise dans son traité de 1839 avec la Prusse, et par laquelle il est stipulé que le Zollverein jouirait de toutes les faveurs qui seraient faites à d’autres nations dans les traités futurs, alors le traité eût eu un caractère antifrançais, parce qu’un traité différentiel avec la France nous eût été interdit.

J’ajouterai que le traité du 1er septembre, selon moi, rend plus faciles désormais les négociations avec la France et pour une raison très-simple. Vous savez tous que l’obstacle qui s’est opposé au succès de nos négociations avec la France a toujours été la question des fers. Messieurs, certainement la question métallurgique devra toujours être comprise dans les négociations avec la France ; mais elle s’y trouve moins engagée qu’elle ne l’était avant le traité du 1er septembre et la négociation française a donc moins d’obstacles à traverser aujourd’hui.

Ainsi, les négociations avec la France, bien loin d’être entravées, en sont au contraire facilitées dans l’avenir.

J’arrive au discours de M. d’Elhoungne.

Une réflexion d’abord : c’est que devant l’opposition, qui conserve toute liberté dans l’attaque, les ministres n’ont pas la même liberté dans leur défense, à cause de la réserve qui leur est imposée. S’ils mettent quelque chaleur en répondant à une critique exagérée, les adversaires du traité leur reprochent de vouloir monter au Capitole, et les partisans les accusent d’imprudence.

L’honorable M. d’Elhoungne a passé en revue les concessions faites au Zollverein, exagérant, selon moi, l’importance de chacune d’elles. Il a placé en regard les concessions que nous avions obtenues du Zollverein, en les amoindrissant outre mesure. Il en a conclu que la balance n’était pas égale, qu’elle penchait évidemment du côté du Zollverein.

Mais l’honorable M. d’Elhoungne a oublié trois choses qui renversent complètement le plaidoyer ingénieux qu’il a prononcé devant nous : d’abord, c’est que les cinq sixièmes des concessions qu’il a si longuement énumérées, et qui auraient été accordées par nous au Zollverein, étaient accordées d’avance par des arrêtés et par des lois ; en second lieu, c’est que ces concessions ne renferment aucun sacrifice réel pour aucune industrie belge ; en troisième lieu, c’est que dans la plus importante des concessions, celle de la navigation, nous avons satisfait autant l’intérêt des ports belges que l’intérêt du Zollverein lui-même.

Quels étaient en effet les faits devant lesquelles les négociateurs belges se trouvaient placés lors de la reprise des négociations ? Quelles étaient les concessions qui étaient faites d’avance par les ministères précédents au Zollverein ? Ces concessions, les voici :

1° L’assimilation relative aux charges maritimes, les navires prussiens en jouissaient depuis 1830 ;

2° Le remboursement du péage sur l’Escaut était acquis au Zollverein ;

3° La liberté du transit était consacrée par la loi belge de 1842 ;

4° Les avantages accordés par l’arrêté du 17 octobre 1842 aux fils de Westphalie, ces avantages existaient ;

5° La faveur accordée aux vins et aux soieries d’Allemagne par l’arrêté du 28 août était déjà ancienne ;

6° La loi du 6 juin relative au Luxembourg était en vigueur.

Ainsi le ministère n’avait qu’à confirmer des concessions qui avaient été accordées et qui faisaient partie, aux yeux du gouvernement prussien, du statu quo.

Mais ces concession anticipées avaient-elles été faites gratuitement et uniquement pour céder aux exigences de l’Allemagne ? Messieurs, ce serait une erreur de le croire. Ces conditions avaient été accordées avant tout dans un intérêt belge. Le remboursement du péage sur l’Escaut, vous savez qu’on l’a considéré comme étant la condition même de la liberté de l’Escaut ; et l’honorable M. Rogier, si j’ai bon souvenir, a été dans la discussion de la loi sur les droits différentiels, jusqu’à prétendre que ce droit était tellement acquis qu’il n’étais pas permis au gouvernement de le suspendre.

La liberté presque absolue du transit a été consacrée en 1842, évidemment dans un intérêt belge.

Les avantages pour les fils de Westphalie ont été accordés, vous le savez, pour favoriser une industrie de la Campine : l’industrie des coutils de Turnhout.

La faveur accordée par l’arrêté du 28 août aux vins et aux soieries d’Allemagne ? Mais l’honorable M. Dumortier, dans une séance précédente, nous a fait le reproche de ne pas l’avoir gratuitement renouvelée. Selon cet honorable membre, c’était une mesure de bon procédé nécessitée par la convention du 16 juillet, et le gouvernement aurait commis une faute en ne la maintenant pas.

La loi du 6 juin relative au Luxembourg ? Mais les intérêts du Luxembourg belge y sont aussi attachés que les intérêts du Luxembourg allemand.

On me répondra : Mais ces concessions faites d’avance, vous les avez sanctionnées par le traité ; vous leur avez donné la garantie de la durée du traité. Je viens, messieurs, de répondre à cette objection. Si ces concessions avaient été consenties dans un intérêt belge, elles étaient garanties par le fait même. Si vous retiriez ou la loi du transit, ou la loi du 6 juin, ou le remboursement du péage sur l’Escaut, vous soulèveriez des plaintes de la part des intérêts que vous auriez froissés.

Si le traité était rejeté, ces concessions dont M. d’Elhoungne nous a fait l’effrayante énumération ne resteraient-elles pas debout ?

Ainsi, messieurs, dans le bilan qu’a dressé l’honorable M. d’Elhoungne, il ne pouvait pas faire figurer comme concessions les avantages qui avaient été accordés dans un intérêt belge par les ministères précédents, concessions que nous n’avons pas à faire, mais à régulariser.

M. d’Elhoungne – Vous a-t-on laissé pour les fers les avantages dont vous jouissiez auparavant ?

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je répondrai tout à l’heure à votre interruption.

Ainsi, messieurs, toute la première partie du discours de l’honorable membre, où il a longuement énuméré, en les exagérant, les concessions faites par la Belgique, vient à tomber avec la base erronée qui lui servait d’appui.

Mais, de notre côté les concessions que nous avons obtenues étaient-elles anciennes ? Non, messieurs ; ces concessions sont nouvelles : c’est l’extension du transit au-delà du Rhin ; c’est la réduction des droits de sortie sur la laine ; c’est la réduction des droits d’entrée sur les fontes, les ferres en barre et les rails.

En regard de ces concessions nouvelles que nous avons obtenues, quelle est la concession nouvelle que nous avons accordée ? Une seule importante, messieurs, c’est l’assimilation des deux pavillons ; c’est le bénéfice, pour les transports directs entre les deux pays, de la loi des droits différentiels.

Avant la loi des droits différentiels, messieurs, le traité avec le Zollverein n’était pas possible. Si nous n’avions eu à offrir que la faveur insignifiante de la suppression des 10 p.c. que frappaient les droits de douane avant la loi des droits différentiels, nous n’aurions certainement pas obtenu les concessions du transit, la concession sur la laine, la concession sur les fers, en compensation d’un aussi mince avantage.

Je ne veux pas, messieurs, amoindrir l’importance des concessions que nous avons faites ; mais ce que je désire faire remarquer, c’est que ces concessions de navigation n’ont pas été accordées au détriment d’un intérêt belge. La marine belge n’a jamais espéré faire le commerce dans les parages de la Baltique. Cette concession a donc été accordée à la navigation prussienne, non pas au détriment de la marine belge, mais au détriment de la marine de quelques Etats du Nord.

Je dis, messieurs, que je ne veux pas amoindri cette concession ; et en effet si elle n’était pas importante, il y aurait à craindre qu’à l’expiration du traité, le Zollverein ne le renouvelât pas, comme il n’a pas renouvelé le traité de 1839 avec la Hollande.

L’honorable M. d’Elhoungne a formulé contre le traité l’étrange grief d’avoir fait des ports belges les ports du Zollverein, et l’honorable M. Devaux vient de reproduire la même accusation. Il vous disait, lorsqu’il s’est agi de la création du chemin de fer qui devait joindre l’Escaut au Rhin :

« Il ne s’agit de rien moins que de donner deux ports nouveaux à l’Allemagne, que de donner géographiquement l’Allemagne à nos deux ports. »

Messieurs, je ne veux pas m’approprier cette phrase, qui pourrait paraître exagérée. On dirait encore que je veux monter au Capitole.

En 1840, l’honorable M. Rogier répondait d’une manière plus explicite encore, et, selon moi, d’une manière péremptoire à l’argumentation de l’honorable M. d’Elhoungne.

« Quant à l’utilité commerciale des chemins de fer, disait-il, il s’est élevé une singulière appréhension dans le sein de l’assemblée. Je ne sais si ce (page 420) n’est pas un honorable représentant de la Flandre qui a craint de voir le commerce étranger se détourner sur notre territoire, de voir confisquer le commerce étranger par la Belgique… Il serait fort avantageux pour la Belgique de rendre la Prusse et surtout la Hollande ses tributaires. »

Cette réponse est complète. Et effectivement, l’intérêt du commerce d’Anvers n’est-il pas le même ici que l’intérêt du Zollverein lui-même ? Mais depuis longtemps le commerce d’Anvers ne disait-il pas dans tous les rapports qu’il adressait au gouvernement : Hâtez-vous de conclure le traité avec l’Allemagne ; si vous ne vous hâtez pas, les villes anséatiques entreront dans l’union douanière ; un système de droits différentiels sera adopté le lendemain par l’Allemagne et ce système des droits différentiels sera admis à l’exclusion des ports belges.

M. d’Elhoungne – Cela se fera encore.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Vous vous trompez.

La Hollande, disait-on, tâchera de faire renaître son traité de 1839 que le Zollverein a laissé tomber, et si ces deux faits arrivent, la Belgique n’est-elle pas exclue ?

Il faut un traité qui donne la garantie à nos ports, que la Hollande ou les villes anséatiques ne jouiront pas de faveurs dont il seront exclus. Cette garantie, l’art. 14 du traité la leur donne.

Ainsi, messieurs, la concession de navigation que nous avons faite et que l’honorable M. d’Elhoungne qualifiait d’immense, était demandée avec d’autant d’instance par le commerce belge que par la Prusse.

L’honorable M. Cogels vient de vous le démontrer et il a lu un passage du rapport de la chambre de commerce d’Anvers qui conclut de la même manière que moi. Cette concession, nous ne l’avons donc pas faite en sacrifiant un intérêt belge. Cette concession nous est commune avec le Zollverein.

M. d’Elhoungne met cette concession immense en regard de celle que nous avons obtenue pour les fers et il a voulu démontrer que celle-ci n’avait qu’une importance comparativement insignifiante. M. le ministre de l'intérieur nous a déjà fait remarquer, messieurs, dans une séance précédente, ce qu’il y a eu de difficultés pour obtenir de l’Allemagne l’adoption d’un droit différentiel de douanes au profit de la Belgique ; vous le savez, messieurs, le système douanier prussien était contraire à la consécration d’un pareil principe, ses alliances politiques pouvaient lui déconseiller l’adoption. Eh bien, la Belgique a obtenu l’établissement d’un droit différentiel exclusif en faveur d’une de ses grandes industries.

La conquête du principe a une portée qu’on n’a pas assez remarquée. Avant d’entrer dans l’examen des chiffres, qui démontrent l’importance de cette concession, je citerai une autorité, celle des intéressés eux-mêmes. L’honorable M. d’Elhoungne a prétendu que nous devons avoir peu de confiance dans le dire des intéressés. Mais l’honorable membre fera difficilement admettre que ses études récentes et improvisées en fait de métallurgie, doivent faire plus autorité que l’expérience éclairée des maîtres de forges. J’ajouterai qu’il est peut-être en droit de se défier des plaintes des industriels lorsqu’il se refusent à admettre comme suffisantes les faveurs que le gouvernement est parvenu à obtenir, mais quand ils se déclarent satisfaits, on peut les croire, sans crainte de se tromper.

Eh bien, messieurs, voici ce que le chef d’un de nos grands établissements métallurgiques dit dans un mémoire que j’ai entre les mains, et qui était écrit avant la conclusion du traité.

Après avoir établi que la concurrence à craindre n’est pas la concurrence de l’Allemagne, mais celle de l’Angleterre, cet industriel ajoute :

« En effet 5 gros et la durée (3 ans) du nouveau tarif est trop courte pour que de nouvelles usines puissent être créées par l’industrie peu aventureuse des Allemands.

« Ce droit est aussi trop peu important pour faire équivaloir dans l’usage la fonte au bois et celle au coke ; la différence entre elles restera toujours comme 2 à 3 et même 2 à 4 selon qualités.

« D’un autre côté, indépendamment de la supériorité reconnue de nos fontes d’affinage (les seules que nous exportions en Allemagne) sur les fontes anglaises, la différence des 2 droits, de 5 gros, établira encore un motif de préférence. Ainsi, dans l’hypothèse de l’adoption du système dans lequel nous raisonnons, en supposant que l’Angleterre puisse produire les fontes d’affinage à fr. 2 aux 100 kilog. moins que nous, par la différence du droit d’entrée, 1 fr. 25, et celle du fret, à Cologne, qui est de 75 centimes au moins, nous nous mettons sur le même pied qu’elle, et alors nous l’emporterons par la qualité.

« Toutes les réflexions ci-dessus émises pour les fontes sont également applicables aux gros fers et rails. En effet la différence de l’ancien droit à celui proposé de 15 gros par quintal pour les fontes étrangères et seulement 7 ½ pour les fontes belges représente exactement la différence de la valeur de la fonte étrangère (qui seule peut être employée en Allemagne à cette fabrication) frappée d’un droit d’entrée de 10 et 5 gros par quintal à raison de l’emploi de 1,500 kil., fontes pour 1,000 kil fer fin. Donc nos laminoirs, par suite de cette modification aux tarifs du Zollverein, sont maintenus sur le pied actuel, quant au fabricant allemand, et éloignent la fabrication anglaises par une différence de fr. 1 87 ½ aux 100 kilog, fret 87 ½ minimum, soit fr. 2 75 aux 100 kilog sans compter que déjà, à prix supérieur, ils obtiennent la préférence.

« Je conclus donc que le système, par lequel les fontes et fers ordinaires belges seraient frappés à l’entrée en Allemagne, d’un droit de 5 gros, et th. 17 ½ par quintal par exception des produits similaires étrangers auxquels serait appliqué un droit plus élevé de 10 gros et 1 th. 15 s. par quintal, serait également avantageux aux deux nations : à la Belgique, en ce qu’il lui assurerait un débouché important qu’elle a eu tant de peine à acquérir ; au Zollverein lui-même, en ce qu’il assurerait une protection suffisante pour ses hauts-fourneaux qui sont en souffrance, en ce qu’il garantirait, à un prix convenable, aux laminoirs les matières premières qui leur sont indispensables ; en ce qu’il maintiendrait, par l’effet d’une concurrence utile, les prix des fers pour les entreprises des voies ferrées et la grosse quincaillerie, et enfin en ce qu’il donnerait une production normale et convenablement limitée à toutes les forces productrices du fer et à toutes les industries qui en dépendent dans le Zollverein. »

Cette autorité pourrait suffire, mais la chambre me permettra de lui citer une autre autorité, celle des faits et des chiffres.

Le marché des fers en Allemagne comprend trois zones.

Le marché du nord de l’Allemagne est inaccessible à notre forgerie ; il est évident que le transport par Anvers jusqu’à Hambourg ou Stessin rendrait la concurrence impossible à l’égard des forges de la haute Silésie. La zone centrale comprend la Wesphalie, la province rhénane, Bade, le Wurtemberg, la Bavière. L’entrepôt de ce marché est Cologne. Le traité nous assure la prédominance sur ce marché, à moins de crise extraordinaire en Angleterre.

La contrée cisrhénane forme le bassin d’Eschweiler et de Duren. Sans le droit différentiel du traité, nous rencontrions la concurrence anglaise sur ce marché même, dans le cas de dépréciation anormale dans le prix des fontes d’Ecosse ; le droit différentiel du traité nous met, à Duren, à l’abri de la concurrence anglaise. Ainsi, l’honorable de l’honorable M. Delfosse qui a prétendu que le marché de Duren…

M. Delfosse – Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Je ne pense pas qu’il soit permis à M. le ministre des travaux publics de révéler en séance publique ce qui a été dit en comité secret.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je croyais que vous aviez présenté cet argument en séance publique.

M. Delfosse – Je n’ai parlé que dans le comité secret.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Mais il n’y a rien de secret dans votre argument.

M. Delfosse – Non, sans doute mais vous ne pouvez isoler l’un de mes arguments ; vous me forceriez à vous répondre et à dire ce qui s’est passé dans le comité.

M. le président – J’engage M. le ministre à ne pas reproduire ce qui s’est dit dans le comité secret.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je retire volontiers mon observation.

Les faits que je viens d’indiquer je vais les établir par des calculs :

Pour connaître d’une manière exacte le prix des fontes anglaises sur le marché de Cologne, centre de la consommation, j’ai choisi trois bases de comparaison avec les prix des fontes belges : 1° Les prix de la crise de 1843, et chacun sait que cette crise a été causée par celle de l’Amérique où on a vu en 1843, à Vera-Crux seul, 100 millions de kilogrammes de fers laissés pour compte des expéditeurs anglais. Ces prix de la crise de 1843, je les considère comme un minimum. 2° Les prix cotés en Angleterre le 25 juin 1844, alors qu’une hausse assez rapide eut lieu. Je considérerai ces prix comme maximum. 3° Les prix cotés il y a quelques jours en Ecosse. Une baisse s’est fait remarquer depuis le mois de juin, baisse plus régulière, moins exceptionnelle qu’en 1842 et en 1843. ces prix du mois courant me serviront de moyenne et de taux normal.

Je ne pense pas que l’on puisse se placer plus près de l’exactitude des faits.

Quels étaient les prix des fontes d’affinage anglaises, sur le marché de Cologne, pendant la crise de 1843 :

La fonte d’affinage mise à nord à Cardiff ou à Nieuport, en juin 1843, était vendue de 1. 1 17 à l. 1 20 : fr. 4 80 par 100 kil. ; fret jusqu’à Cologne : fr. 3,20. Ensemble : fr. 8 00 les 100 k.

A Liège à la même époque la fonte se vendait fr. 7 80, transport jusqu’à Cologne : fr. 1 25. Ensemble : fr. 9 05 par 100 kil.

Ainsi, sans le droit différentiel du traité du 1er septembre, la fonte d’Ecosse pouvait faire concurrence à la fonte belge jusque sur le marché limitrophe de Duren. Mais ajoutez au prix de la fonte anglaise le nouveau droit de 2 fr. 50 et au prix de la fonte belge le droit réduit de 1 fr 25 c. et la différence, en faveur de notre forgerie, à Cologne, sera de 30 centimes par 100 kil., différence qui lui assure, même en cas de crise, la prédominance, sur le marché allemand, à cause de la supériorité reconnue de la qualité de nos fers.

En juin 1844, la côte des prix à Wales et à Clyde, était de l. 4 5 ; l. 4 ; l. 3 10 ; l. 3 5. la moyenne est 1.4.

Je pourrais, à la rigueur, considérer cette moyenne, non comme un prix maximum de hausse, mais comme un taux normal ; en voici la preuve : D’après un relevé de 64 prix trimestriels de juillet 1825 jusqu’à juillet 1841, en 16 ans, la fonte, en Angleterre, a été 34 fois au-dessus de l.4 et 30 fois au-dessous.

(page 421) Mais pour ne rien exagérer, j’admets le chiffre de l. 4 comme un maximum de hausse, soit fr. 10 20 par 100 kil ; le fret jusqu’à Cologne, fr. 3 20 ; droits, 10 gros, fr. 2 50 ; ensemble fr. 15 90 par 100 kil.

La fonte belge à la même époque à la station de Liége se vendait fr. 9, transport jusqu’à Cologne fr. 1 25 ; droits, 5 gros, fr. 1 25 ; ensemble fr. 11 50 pour 100 kil.

La différence en faveur de la métallurgie belge est de fr. 4 40, ce qui éloigne complètement la rivalité des hauts-fourneaux de l’Angleterre.

J’arrive à la troisième base de comparaison ;

Le prix actuel de la fonte anglaise est de l. 2 10, mais à ce prix il y a refus d’opérer des transactions et ce chiffre est donc trop bas.

Soit fr. 6 40, fret fr. 3 20, droits fr. 2,50 ; ensemble fr. 12 10 pour 100 kil.

Le prix actuel de la fonte belge étant de fr. 11 50, une différence de près de 1 fr reste acquise à notre forgerie, et eu égard à notre supériorité de fabrication, cette différence suffit pour démontrer que le traité du 1er septembre nous assure, dans les temps ordinaires, le marché du centre de l’Allemagne.

Le marché de Duren a une importance de près de 20 millions de kilogrammes de consommation de fonte annuellement. L’importance du marché de la Westphalie est double, et celui du haut Rhin est plus considérable encore que celui de la Westphalie. Toute la production de nos hauts-fourneaux ne suffirait pas si nous parvenions à nous emparer de ces trois marchés.

Des orateurs ont appelé ces résultats insignifiants. Je ne dispute pas sur la valeur des mots, mais il suffit que les faits prouvent le contraire et que les intéressés le reconnaissent.

Je me résume. Voici ce que le traité du 1er septembre donne à la Belgique : l’extension du transit au delà du Rhin, et des modérations très-importantes, en ce qui regarde surtout les voies de transit vers la Suisse, l’Italie et le Levant.

La position d’Anvers, comme port d’approvisionnement et d’écoulement pour le Zollverein, devient supérieure à celle du Havre : par sa situation géographique, supérieure à celle des villes anséatiques qui n’ont pas à offrir un marché privilégié, comme ne le pouvons depuis la loi des droits différentiels ; supérieure enfin à celle de la Hollande, depuis que le traité de 1839 n’a pas été renouvelé.

En second lieu, l’industrie drapière obtient une réduction de moitié sur le droit de sortie de la laine, matière première pour cette importante industrie.

En troisième lieu, par le droit différentiel sur les fontes, sur les fers en barre et sur les rails, la forgerie belge aura, en temps ordinaire, éloigné la concurrence anglaise du Rhin et du centre de l’Allemagne.

Un honorable député du Luxembourg a dit, dans une séance précédente, que les forgeries du Luxembourg qui allaient s’éteignant, ont repris, depuis le traité conclu avec le Zollverein, quelqu’espérance et quelqu’activité.

La prospérité métallurgique produit nécessairement la prospérité de l’industrie des houilles : en 1837, le principal débouché de nos houilles n’était-il pas nos hauts-fourneaux allumés ?

Ainsi, l’intérêt commercial de nos ports, celui de la métallurgie, celui des houillères, celui de l’industrie drapière, c’est-à-dire les intérêts réunis d’Anvers, de Liège, du Hainaut et du Luxembourg, tout cela, je le demande franchement à la chambre, ne constitue-t-il donc que des avantages insignifiants ? Ces résultats, nous ne les avons pas achetés par des sacrifices réels. J’ai démontré que la marine belge n’était pas sacrifiée, et que, en ce qui concerne la navigation, les avantages étaient communs. Dira-t-on que j’arrive à cette conclusion, que la balance est tellement favorable à la Belgique que le traité serait défavorable au Zollverein ? Mais nullement ; le caractère principal du traité, c’est que les avantages sont communs sur les deux points principaux ; sur la navigation, je crois l’avoir prouvé, et sur la métallurgie, parce que le Zollverein a besoin de nos fontes, de nos fers et de nos rails, pour ses forges, pour sa quincaillerie et pour ses chemins de fer. Mais, je le répète, on est tombé dans une étrange exagération, en voulant soutenir que le traité avec le Zollverein n’a pas accordé à la Belgique un avantage industriel suffisant. Peu nous importe du reste la manière dont quelques-uns apprécient cet acte, il suffit que l’intérêt du pays soit satisfait. Les ministres doivent se résigner à être accusés quand ils se trompent, à ne pas être remerciés quand ils réussissent. Je forme un vœu, c’est que dans nos négociations avec la France et avec le Zollverein nous parvenions à obtenir des avantages équivalents, sans recourir à d’autres sacrifices.

M. le président – La parole est à M. Dedecker, rapporteur de la section centrale.

- Des membres réclament la clôture ; d’autres membres font observer que la parole doit être donnée à un orateur inscrit contre.

M. le président – Il est vrai que des ministres viennent de parler pour le traité ; mais d’après les précédents de la chambre, les ministres ne font pas tour de parole pour les inscriptions pour et contre ; si donc la chambre ne veut pas déroger à ses précédents, je dois accorder la parole à un orateur inscrit pour, puisque le dernier orateur qui a parlé avant les ministres M. Delehaye, a parlé contre. (Adhésion.)

M. Devaux – Il est bien entendu qu’il n’y a rien de décidé quant à la clôture ; car si la chambre devait clore aujourd’hui, il dépendrait de MM. les ministres d’occuper toute la séance.

M. Verhaegen – J’ai à examiner un des articles du traité sous un point de vue nouveau ; je n’annonce dès à présent.

M. le président – Je dois rappeler que lorsqu’un traité international est soumis à la ratification de la législature, la discussion est générale et porté à la fois sur l’article unique sur lequel la chambre doit voter. Ainsi, il n’y aura plus de discussion spéciale, lorsque la clôture de la discussion générale aura été prononcée.

M. Verhaegen – C’est précisément pour ce motif que j’annonce dès à présent que j’ai à présenter sur un des articles du traité une observation qui n’a pas été faite jusqu’ici ; je dois pouvoir présenter cette observation avant la clôture de la discussion générale.

M. le président – Comme on ne réclame plus la clôture, la parole est à M. Dedecker, rapporteur de la section centrale.

M. Dedecker, rapporteur – Messieurs, quelques orateurs ont soulevé devant vous la question de savoir quelle doit être la politique commerciale de la Belgique. Permettez-moi de ne pas suivre ces orateurs sur ce terrain et de me renfermer, comme rapporteur, dans les débats qui se rapportent au traité du 1er septembre en lui-même.

Messieurs, la discussion qui a eu lieu jusqu’ici, a dû vous convaincre que, dans l’appréciation du traité du 1er septembre, il faut surtout éviter deux écueils : agrandir démesurément la portée du traité, ou l’amoindrir outre mesure. Et ici ce n’est point en vue des personnes que je parle : peu importe, que l’on considère le traité comme une faute de la part du gouvernement, ou qu’on y voie pour le ministère un titre à la considération, à la reconnaissance nationale. C’est en me plaçant au point de vue des seuls intérêts du pays que je tiens à faire observer que, si d’un côté, il y a imprudence à exagérer la portée du traité, il y aurait, d’autre part, injustice à l’amoindrir.

Messieurs, c’est ce caractère d’impartialité que la section centrale est parvenue, je pense, à donner au travail qu’elle m’a fait l’honneur de soumettre à la chambre ; c’est encore ce caractère de justice et d’impartialité que je tâcherai d’imprimer aux observations que je suis amené à présenter, pour défendre les conclusions de la section centrale.

Je n’entrerai pas dans la discussion spéciale de chacun des intérêts qui sont en jeu dans le traité ; qu’il me soit permis de circonscrire ma défense dans l’examen des questions qui, de l’aveu de tous, dominent le débat, je veux parler de la question maritime et de celle du transit, du côté de l’Allemagne, et de la question des fers, du côté de la Belgique

.Je crois pouvoir démontrer que, relativement à ces trois questions, la section centrale a examiné et apprécié le traité du 1er septembre à sa juste valeur, et que les adversaires du traité, en allant au-delà des réserves ou des regrets de la section centrale, ont commis des inexactitudes, ou sont tombés dans des exagérations.

Examinons d’abord la question maritime.

A en croire l’honorable M. d’Elhoungne, on dirai que personne jusqu’à ce jour n’a entrevu la portée de la création d’une marine marchande pour le Zollverein. Mais, messieurs, pour peu qu’on ait examiné la constitution intérieure des Etats de l’union douanière ; pour peu qu’on ait suivi le mouvement ascendant de son industrie, on conçoit sans peine les vœux et les efforts que fait le Zollverein, pour se procurer une marine marchande qui lui ouvre des débouchés dans les pays transatlantiques. Voyons si, sous ce rapport, le traité du 1er septembre est venu réellement, comme le pense l’honorable M. d’Elhoungne, combler et au-delà les vœux du Zollverein.

Quelles sont, en définitive, les concessions que nous avons faites au Zollverein, par rapport à la question maritime ?

La section centrale vous a dit que, relativement à la navigation entre la Prusse et la Belgique, les avantages accordés par le traité du 1er septembre sont nuls de fait, en ce sens que la marine prussienne a toujours eu le monopole de la navigation entre la Prusse et la Belgique.

La section centrale a fait ensuite une autre concession : elle a dit que la Prusse se substituerait probablement aux autres nations de la Baltique, et prendrait désormais une part considérable au mouvement commercial entre la Baltique et l’Etat belge. Je pense qu’ici la section centrale elle-même a exagéré la portée du traité ; je suis fondé à croire que cette concession n’est pas aussi grande qu’on l’insinue ; je suis fondé à croire que la Prusse ne concentrera pas désormais dans ses ports le mouvement commercial des autres Etats de la Baltique avec l’Etat belge ; je pense que, la navigation du Nord se faisait à des conditions si extraordinairement favorables, si excentriques, on ne peut encore établir de calculs exacts sur les résultats que peut amener le traité du 1er septembre, relativement aux relations futures de la Belgique avec la Baltique.

Maintenant, est-il vrai de dire, comme l’assurent quelques orateurs de l’opposition, que la Belgique, de son côté, n’ait obtenu aucun avantage maritime ?

(page 422) Il y a dans cette assertion une erreur matérielle. La Belgique a d’abord obtenu la suppression du droit extraordinaire de pavillon qui monte à 1,700 fr. pour un navire de 200 tonneaux. C’est là un avantage réel dont les armateurs belges réclament l’obtention depuis de longues années. Cette taxe était, en définitive, l’un des principaux obstacles qui s’opposaient à ce que les armateurs prissent part au mouvement commercial entre la Prusse et la Belgique.

Messieurs, vous vous rappelez que l’art. 12 assimile le pavillon national au pavillon du Zollverein, non-seulement quant à la navigation maritime, mis encore quant à la navigation fluviale. Ici, encore, les orateurs de l’opposition n’ont tenu aucun compte de l’avantage que nous avons obtenu, c’est-à-dire que la Belgique, en ce qui concerne les droits de navigation sur le Rhin, sera mise sur le même pied que toutes les nations riveraines du Rhin et même que la Hollande. C’est là encore un avantage matériel dont la chambre de commerce d’Anvers, à plusieurs reprises, a reconnu et proclamé l’importance. Car, personne ne l’ignore, l’octroi sur le Rhin a sans cesse empêché la réalisation des projets de navigation rhénane entre Cologne et Anvers.

Une autre inexactitude avancée par les orateurs de l’opposition, et il n’y a pas un instant encore, par l’honorable M. Delehaye, c’est que, par le traité du 1er septembre, la Belgique renonce aux avantages qu’elle s’était réservés par l’établissement des droits différentiels.

Messieurs, je commencerai par vous dire que, relativement à notre commerce avec la Baltique, la Belgique n’a fait, sous ce rapport, aucun sacrifice, parce qu’en établissant les droits différentiels, la Belgique n’avait jamais compté qu’elle participerait à la navigation de la Baltique. Et, quoique la section centrale ait fait un aveu contraire, je suis amené, par les orateurs mêmes de l’opposition à le rétracter ; car, en traitant la question des bois, qu’a dit l’honorable M. d’Elhoungne ?

« Lorsque vous avez voté la loi des droits différentiels, quelle a été votre pensée ? Avez-vous fait entrer dans vos calculs le droit que vous établissiez pour la marine nationale ? N’avez-vous pas, au contraire, basé vos calculs sur le droit que vous établissiez pour pavillon étranger ? La réponse n’est pas douteuse. Vous saviez, messieurs, que l’introduction sous pavillon national serait sinon impossible, du moins imperceptible, qu’elle se bornerait à quelques planches prises, par hasard, pour compléter une cargaison.»

L’honorable M. de Theux a confirmé l’assertion de M. d’Elhoungne. Voici ses paroles :

« Dans la discussion de la loi des droits différentiels, il a été étabi que, malgré les droits différentiels, les navires belges ne pourraient jamais concourir avec les navires allemands pour l’importation des bois. Cette observation a été faite par l’honorable M. Donny, député d’un de nos ports, et qui est à même de connaître cette question. »

Je ne prends ici pour exemple que l’article Bois, parce qu’il est un des plus importants, relativement à la navigation entre la Baltique et la Belgique.

Ainsi, donc, messieurs, il est prouvé par les aveux mêmes des orateurs de l’opposition, que vous n’aviez aucun espoir, par suite de la loi des droits différentiels, de prendre part à la navigation entre la Belgique et la mer Baltique. Faut-il vous rappeler que bien d’autres avantages plus considérables que vous vous étiez réservés par vos droits différentiels, vous les avez conservés par le traité ? La Prusse, vous le savez, avait pris une grande part aux importations de fruits de la Méditerranée et aux importations de l’Amérique et des Indes. Par suite de l’établissement des droits différentiels, la Prusse ne pouvait plus participer à ces importations ; or, cet avantage reste réservé à notre pavillon, parce que le traité ne stipule l’assimilation des pavillons que pour la navigation directe entre les ports belges et les ports prussiens.

Donc, ni relativement aux importations de la Méditerranée ou de l’Amérique, ni même quant à ses relations avec la Baltique, la Belgique, dans le traité, n’a sacrifié aucun des avantages qu’elle s’était promis lors de la loi des droits différentiels. D’ailleurs, alors même que les orateurs opposés au traité auraient prouvé que la Belgique a fait des sacrifices à cet égard, vous n’auriez rien prouvé du tout.

En effet, messieurs, quand vous avez voté la loi des droits différentiels, vous l’avez votée non pas exclusivement comme but, mais comme moyen. Avant cette loi, vous n’aviez aucun moyen de négocier des traités ; toujours vous reprochiez au gouvernement d’avoir accordé gratuitement toutes les faveurs qu’il pouvait faire aux autres nations, et de n’avoir plus d’armes en main pour exiger une réciprocité de concessions en faveur de la Belgique. C’est donc comme moyen de négociation que, dans beaucoup de cas, vous avez établi des droits différentiels. En concluant le traité du 1er septembre, le gouvernement aurait donc pu faire usage de la loi des droits différentiels, et sacrifier une partie de ses avantages pour obtenir du Zollverein des faveurs réciproques.

Je passe à la question du transit.

Je dois renouveler le regret que la section centrale a exprimé au nom de toutes les sections que la Belgique n’ait pas obtenu la réciprocité entière en fait de transit. Mais je dois dire aussi que l’opposition, en attaquant cette clause, n’a pas tenu compte de ce que j’appellerai les circonstances atténuantes. En effet, cette question du transit par les routes de l’Allemagne n’a plus l’importance qu’elle avait il y a quelques années. Par la jonction du Mein au Danube, par l’établissement de nombreux chemins de fer dont plusieurs sont déjà en exploitation, le roulage, par les routes ordinaires de l’Allemagne, est complètement bouleversé ; et, d’ici à quelques temps, toute l’économie du transit sera changée dans ces contrées.

Et puis, si cette absence de réciprocité atteint surtout une grand industrie, celle des draps, il est juste de reconnaître que cette même industrie trouve dans le traité, à côté d’une réduction du droit de transit, un autre avantage, celui de la réduction du droit de sortie sur les laines qu’elle tire d’Allemagne. Si, dans les circonstances actuelles, l’industrie drapière parvient à soutenir la concurrence en Italie et dans le Levant avec l’industrie similaire d’autres pays, à plus forte raison pourra-t-elle le faire, placée qu’elle est par le traité dans une position doublement meilleure relativement à l’Allemagne.

Quant au transit de l’Allemagne, à travers la Belgique, je ne veux nullement dissimuler l’importance de la concession que nous avons faite en stipulant, pour ce transit, une liberté complète. Mais il me semble que les orateurs qui ont le plus appuyé sur l’importance de cette concession, sont ensuite tombés dans une étrange contradiction.

M. Delehaye, tout à l’heure encore, a renouvelé cette contradiction. MM. d’Elhoungne, Osy et Desmet ont dit que la Belgique, en accordant le transit à l’Allemagne, lui a fait une immense concession, parce qu’elle est pour les contrées de l’Allemagne centrale une issue indispensable ; ils ont reproché au gouvernement belge d’avoir par là donné à l’industrie allemande les moyens d’aller faire une concurrence redoutable à notre propre industrie sur les marchés lointains ; et immédiatement après, ces mêmes orateurs ont proclamé que l’accession des villes anséatiques au Zollverein est certaine, est prochaine ; ils ont dit que, déjà à l’heure qu’il est la Hollande est en négociation avec l’Allemagne pour offrir à celle-ci des conditions plus avantageuses encore pour le transit. L’inconséquence me semble évidente. S’il est vrai de dire que l’accession des villes anséatiques au Zollverein est certaine, prochaine, et que déjà actuellement l’Allemagne négocie avec la Hollande, vous n’êtes plus admis à dire que la concession faite par la Belgique à l’Allemagne est si grande, que la Belgique est pour l’Allemagne une issue indispensable, et que c’est le transit à travers notre territoire, qui crée, pour les industries allemandes, la possibilité d’entrer en concurrence avec nos industries sur les marchés étrangers.

Loin de moi cependant la pensée de vouloir diminuer l’importance de la concession faire à l’Allemagne, ne fût-ce que pour avoir fourni à cette nation les moyens de négocier avec nos voisins du Nord des conditions plus favorables encore pour son transit ! Mais voyons toutes les faces de la question : n’est-il pas vrai de dire que le transit offre aussi un immense intérêt pour la Belgique ? Faut-il vous rappeler, messieurs, quels efforts, quels sacrifices les peuples commerciaux ont toujours faits pour obtenir le transit à travers leur territoire ? Faut-il vous énumérer tous les avantages directs et indirects qui sont attachés au transit ? Faut-il vous rappeler les vœux et les espérances de la ville d’Anvers pour l’obtention du transit de l’Allemagne par la Belgique ? N’est-ce pas là au fond la pensée première et principale qui a présidé à la construction de notre chemin de fer ? Aujourd’hui que nous obtenons ce résultat, nous en avons peur.

L’honorable M. Castiau dit que, par suite du traité, notre chemin de fer devient un chemin de fer prussien, le port d’Anvers devient un port prussien. Messieurs, entendons-nous : mais c’est précisément ce que nous avons voulu ! Quand nous avons espéré pour la ville d’Anvers de grandes destinées, que nous avons voulu faire de cette place un centre important d’affaires, un grand marché qui pût rivaliser avec celui du Havre, de Hambourg et de Rotterdam, nous avons voulu qu’il devînt prussien, c’est-à-dire que le transit de l’Allemagne, lui donnât du développement et de l’importance ! Nous avons voulu que notre chemin de fer devînt prussien en ce sens que nous considérions sa prospérité comme attachée au transit de l’Allemagne. Ne jouons donc pas sur les mots ; car, au fond, la question qui s’agite en ce moment, la question du traité, c’est la question du chemin de fer. Pour vous en convaincre, relisez les discussions qui ont eu lieu dans cette chambre, relativement à l’établissement du chemin de fer.

C’est que le traité du 1er septembre n’est que la consécration de notre système du chemin de fer. A cette époque aussi on exagérait peut-être les avantages que cette route ferrée allait procurer à l’Allemagne ; on exagérait le danger de la concurrence que l’industrie allemande devait faire à notre industrie sur les marchés lointains ; on exagérait aussi le reproche de tendances allemandes. Aujourd’hui que la construction du chemin de fer est achevée, n’oublions pas le but de sa création, la condition de sa prospérité. Sachons mettre dans nos idées, dans nos discussions, cet esprit de suite qui doit nous faire considérer le traité comme un corollaire de l’établissement de notre chemin de fer. Il y aurait une sorte d’inconséquence à admettre l’un sans l’autre.

Messieurs, permettez-moi une réflexion. Jusqu’il y a quelques mois, on a toujours dit : il est impossible à la Belgique d’obtenir le transit de l’Allemagne à travers son territoire ; c’était une espèce de défi jeté au gouvernement et à la nation belge d’évincer les villes anséatiques, d’évincer la Hollande. Aujourd’hui que nous sommes assez heureux de voir nos efforts couronnés de succès, aujourd’hui que nus sommes parvenus à faire prendre au commerce allemand la route de la Belgique, on en faut un reproche au gouvernement ! Eh bien, moi, je me félicite que, par le régime libéral du transit établi en Belgique, nous ayons pu résoudre en notre faveur ce problème qu’on considérait comme insoluble. Ce transit, qu’on ne pensait pouvoir arracher aux villes anséatiques ou à la Hollande, nous l’avons. Veuillez le remarquer, messieurs, c’est dans l’avenir surtout que ce fait acquerra de l’importance. Si, dans ce moment, nous faisons une grande concession à l’Allemagne, en lui accordant le libre transit par notre territoire, cette concession sera plus tard une arme puissante dans la main du gouvernement belge. Qui ne voit, en effet, que si nous parvenons (page 423) à fixer chez nous le transit de l’Allemagne, par notre chemin de fer, si nous parvenons à faire d’Anvers le grand marché d’approvisionnement de l’Allemagne, à l’expiration du traité nous pourrons tirer un grand parti de ce fait ? Quand le commerce allemand sera accoutumé à cette voie, quand Anvers et Cologne formeront un seul et vaste entrepôt, pensez-vous qu’on changera facilement ces habitudes commerciales des deux peuples ? Ne voyez-vous pas que vous aurez dans l’avenir une arme puissante pour obtenir du Zollverein des concessions bien supérieures à celles que vous obtenez aujourd’hui ?

A propos de la question du transit, qu’il me soit permis de dire quelques mots en réponse à d’autres considérations, qui ont été présentées par l’honorable M. d’Elhoungne. L’art. 28, quelque sage qu’il soit, n’a pas trouvé grâce devant lui. Cet article stipule que les gouvernements, de commun accord, prendront des mesures pour réprimer la fraude.

Il semble que tous les rôles sont intervertis. Quelle est la ville qui a le plus incessamment réclamé l’exécution sévère des lois protectrices de l’industrie, qui a le plus instamment réclamé la répression de la fraude ? N’est-ce pas la ville de Gand, qui a toujours dit qu’elle attachait moins d’importance à une augmentation de droits qu’à l’application rigoureuse des tarifs actuellement existants ?

Lorsqu’il s’est agit récemment de la création des entrepôts francs, n’est-ce pas la ville de Gand qui s’est émue la première, qui a envoyé une députation à Bruxelles parce qu’elle entrevoyait là un moyen d’expédier, presque sans formalités, les marchandises étrangères à travers la Belgique, pour les faire rentrer immédiatement en fraude ?

J’ai donc lieu de m’étonner que les remarques critiques contre cet art. 28 soient venues précisément d’un honorable député de Gand !

Vous savez, a-t-il dit, que le gouvernement prussien a frappé de droits très-élevés le tabac étranger, et qu’il se réserve le monopole du sel. Lequel donc des deux gouvernements, belge ou prussien, avait le plus d’intérêt à empêcher la fraude sur la frontière belge-rhénane ? Ne nous y trompons pas, messieurs, cet avantage du commerce interlope n’est pas exclusivement pour la Belgique. Cette population de fraudeurs, qui exporte des produits belges, revient, soyez-en persuadés, avec des produits allemands. Ils n’ont pas l’habitude de revenir sur lest ; ils appliquent la théorie de l’aller et du retour aussi bien que les armateurs. La preuve, c’est que vous n’ignorez pas quelle masse de produits allemands sont introduits frauduleusement en Belgique. Je signalerai, entre autres produits, les toiles fines d’Elberfeld, le linge de table, ces damassés dont on fait une si grande consommation dans le pays, à cause de leur bel apprêt, de leur bon marché, la bonneterie fine de Saxe, les tissus de coton de qualité supérieure, etc. Ensuite, n’hésitons pas à dire que nous avons autant d’intérêt que l’Allemagne à ce qu’on réprime ce commerce de la fraude, commerce odieux et immoral aux yeux de tous.

Je viens de parler des tissus de coton. Arrêtons nous un instant sur ce point.

L’honorable M. Delehaye, à l’exemple de plusieurs orateurs, se plaint de ce que le gouvernement belge ait sacrifié un intérêt gantois en s’interdisant la faculté d’augmenter, pendant la durée du traité, les droits d’entrée sur les tissus de coton originaires d’Allemagne.

D’abord, M. le ministre de l'intérieur a prouvé que cette introduction de coton d’Allemagne n’a pas une si grande importance qu’on le suppose, puisqu’il ne s’agit ici que de tissus connus sous le nom de cotonnettes, article qui intéresse spécialement St-Nicolas.

Eh bien, j’ai encore, à ce propos, d’autres considérations à présenter : tous ceux qui connaissent la fabrication des cotonnettes à St-Nicolas savent que son développement au point de vue de l’industrie cotonnière, n’est plus aussi considérable, aujourd’hui que les deux tiers des fabriques de St-Nicolas travaillent la laine, font les tartans et les plaids, étoffes qui sont désormais d’un grand usage dans le pays, et pour lesquelles nous étions, jusqu’à ce jour, tributaires de l’industrie étrangère.

Ensuite, je suis étonné que ces observations critiques soient présentées par les représentants de la ville de Gand ; car il s’agit ici, non pas d’un intérêt gantois, mais de l’intérêt de St-Nicolas, opposé, sous ce rapport, à l’industrie gantois. Je crois ne pas trop m’avancer en disant que l’industrie de St-Nicolas ne demande pas une augmentation de droits du côté de l’Allemagne ; mais elle demande à être mise sur le même pied que l’industrie de l’Allemagne, relativement aux fils de coton, qu’on peut considérer comme la matière première de cette fabrication.

Voyez l’anomalie : la Belgique expédie de l’Angleterre en Allemagne d’énormes quantités de twist, c’est-à-dire du coton filé. Ce même coton filé nous revient ensuite en Belgique à l’état de fabricat, faisant concurrence aux produits de l’industrie de St-Nicolas. Pourquoi ? Parce que cette industrie belge ne peut se servir des fils anglais sur lesquels il y a, chez nous, des droits prohibitifs en considération de nos filatures indigènes qui, qu’on le remarque bien, ne produisent pas ces numéros fins dont l’industrie des cotonnettes a besoin. Par cette position désavantageuse, cette industrie ne peut soutenir la concurrence contre les produits similaires de l’étranger. Ce qu’il faudrait donc, ce serait ou que l’industrie gantoise se mît à produire les numéros de fils dont on a besoin pour la fabrication des cotonnettes, où qu’on laissât entrer ces fils anglais avec indication des quantités et des qualités, et avec toutes les précautions désirables.

Je le répète donc, ce n’est pas au nom de l’industrie des cotonnettes qu’on est admis à élever des réclamations contre le traité.

Messieurs, je viens d’examiner devant vous la valeur des concessions que nous avons faites. Avons-nous obtenu, de notre côté, toutes les concessions, tous les avantages que nous pouvions obtenir ? Evidemment, non, et le gouvernement lui-même n’oserait pas soutenir cette prétention,. On n’a pas toujours été aussi exigeant, on n’avait non plus réglé que certains intérêts dans les conventions et les traités avec les autres puissances. Il est déjà fort heureux qu’un traité donne satisfaction à certains intérêts ; on ne peut embrasser dans quelques stipulations toutes les questions commerciales ou industrielles. La difficulté était plus grande encore relativement à un traité conclu par la Belgique (jeune nation, récente agrégation de provinces qui toutes avaient depuis des siècles donné une direction opposée à leurs diverses industries), avec le Zollverein, association d’une vingtaine d’Etats qui ont eu tous, jusqu’à ce jour, leurs intérêts distincts, leurs tendances particulières.

D’ailleurs, savons-nous tout ce qu’il faut de correspondance entre les chancelleries, ce qu’il faut d’instructions, de notes, d’enquêtes, lorsqu’il s’agit d’introduire dans les programme des négociations le moindre petit intérêt, la moindre petite question ?

Il est donc un grand nombre d’industries à qui le traité ne donne pas satisfaction. Mais je ne pense pas que l’on puisse en faire un reproche au gouvernement. N’oublions pas que le traité que nous examinons est un premier traité, un premier jalon. Il est évident que les rapports plus étroits et plus suivis qui vont en résulter entre les populations germaniques et belges auront pour résultat de rendre plus complète dans les deux pays l’intelligence des intérêts réciproques, et de favoriser ainsi, dans l’avenir, les négociations d’autres traités.

Ces observations faites, examinons quelle est la concession majeure que nous a faite le traité ; celle relative à l’industrie métallurgique. Comme rapporteur, je n’ai qu’à renouveler les aveux et les regrets de la section centrale. Nous ne pouvons nous dissimuler, messieurs, que, dans des moments exceptionnels de crise, la protection accordée à nos fontes, ne suffirait peut-être pas pour écarter la concurrence anglaise sur le marché de l’Allemagne. Mais cette concurrence de la métallurgie anglaise, je le répète, ne sera à craindre que dans les grandes crises, ainsi que le prouvent les chiffres de M. le ministre des travaux publics, qui m’a dispensé ainsi d’entrer dans de longs détails.

De plus, la section centrale avait cru qu’il y avait lieu de redouter même la concurrence de l’industrie similaire de l’Allemagne. Mais d’après la déclaration qu’ont faite plusieurs membres de l’opposition, il n’est plus permis d’avoir cette crainte. La section centrale ne demande pas mieux que de mettre hors de cause la concurrence de l’Allemagne même, et de trouver dans ce fait un motif de plus de se rassurer sur les résultats du traité.

Quelques orateurs ont dit que notre industrie métallurgique n’avait pas besoin du traité pour exporter ses produits. La section centrale a reconnu elle-même que nos exportations actuelles de fontes auraient pu se faire sans ce traité, et grâce aux circonstances.

Pour ma part, je le reconnais encore ; mais cette réunion de circonstances est momentanée ; rien n’en garantit la durée. L’avantage du traité, c’est précisément de nous garantir ces exportations pour 6 ans, ce qui est beaucoup, à raison de l’instabilité de la position de la plupart de nos industries. La garantie d’une admission privilégiée de nos fontes et de nos fers, pour six années, sur le marché de l’Allemagne, l’exclusion des autres nations de ce bénéfice : voilà deux avantages réels, incontestables qui résultent de l’art. 19 du traité, et sur lesquels je ne crois pas devoir insister davantage.

Faisons donc une dernière fois le bilan des avantages et des sacrifices à résulter du traité.

De la part de la Belgique, il y a sans doute des concessions, des concessions sur l’importance desquelles l’Allemagne ne peut se faire illusion.

Mais il ne peut en être autrement dans un traité qui n’est pas imposé par la conquête, mais qui est le résultat d’une transaction librement opérée entre deux peuples commerciaux et industriels.

Qu’il me soit permis de le dire en passant, j’ai regretté d’entendre l’honorable M. Delehaye parler de provinces vaincues. Comme l’a dit M. le ministre de l'intérieur, le traité ne donne pas, il est vrai, satisfaction aux intérêts de toutes les provinces ; il me suffit que, sans nuire à aucun intérêt spécial, il donne satisfaction aux intérêts généraux du pays. Dans des traités de ce genre, d’ordinaire on procède par parties. Si dans le présent traité, il s’est agi principalement des intérêts des provinces wallonnes, dans d’autres conventions on a tenu compte des intérêts des Flandres. Je suis Flamand, comme l’honorable M. Delehaye. Mais j’envisage autrement que lui mon devoir comme député flamand ; je subordonne l’intérêt de ma province à l’intérêt général, que je considère comme le résumé, le total de la somme des intérêts particuliers de toutes les provinces.

Oh ! messieurs, qu’à plus forte raison on pourrait élever en Prusse des plaintes de cette nature ! Dans la question de la navigation, comme dans celle du transit, ne pourrait-on pas dire que les principaux avantages sont prussiens et que, en stipulant au nom du Zollverein, le cabinet de Berlin s’est surtout placé au point de vue des intérêts de Stettin, Memel, Dantzig et Cologne ? A-t-on tenu en Allemagne cet égoïste langage ? Evidemment non. On vous l’a dit, le traité a été accueilli en Allemagne par des acclamations unanimes. J’ai hâte d’arriver à la question politique.

Quelques orateurs ont exprimé la crainte de voir le traité du 1er septembre nuire à nos relations commerciales avec la France ? D’abord, messieurs, qu’il me soit permis de signaler encore une inconséquence de la part des honorables membres qui ont articulé ce motif pour s’opposer à l’adoption du traité.

Quel est l’éternel grief de l’opposition, chaque fois qu’il s’est agi, dans cette enceinte, de nos relations commerciales avec la France ? C’est que la Belgique (page 424) a fait à cette puissance des concessions importantes, incessantes, sans compensation. Maintenant que le gouvernement belge, si longtemps accusé de faiblesse, montre, pour la première fois, un certaine fermeté, on s’effraye de cette position.

Autre inconséquence : tous les orateurs de l’opposition ont commencé par insinuer que le traité du 1er septembre n’est pas d’un intérêt majeur, qu’il n’a aucune portée politique ; quelques instants après, il s’en effrayent ; ils y soupçonnent un système longuement préconçu, la reconstitution de l’Europe, voire même, selon l’expression de M. Castiau, la continuation de la politique de Frédéric le Grand ! De deux choses l’une : ne dites pas que la portée du traité du 1er septembre est nulle, ou ne vous en effrayez pas.

Examinons si la France aurait bien le droit de reprocher à la Belgique la position qu’elle vient de prendre.

D’abord la France a-t-elle à se plaindre de nous ? Je ne le vois pas. Je ne pense pas qu’il y ait dans cette assemblée un seul membre disposé à soutenir que la France a le droit de se plaindre de la conduite que la Belgique a tenue envers elle depuis la révolution. L’un des premiers actes de notre politique commerciale belge n’a-t-il pas été de changer le système commercial que le gouvernement des Pays-Bas avait établi en hostilité contre la France ? Depuis cette époque, avons-nous cessé un instant de ménager la France et d’avoir pour elle des procédés bienveillants ? L’honorable M. d’Hoffschmidt a rappelé, dans la dernière séance publique, le grand nombre de concessions partielles que nous avons constamment faites à la France et pour lesquelles nous avons toujours été en avance sur elle.

Maintenant, qu’attendez-vous de la France Qu’est-ce que la France a fait pour vous ? La convention du 16 juillet ? Mais avez-vous oublié que la France reprend pièce par pièce, lambeau par lambeau, toutes les concessions qu’elle vous a faites ? Lorsque vous avez envoyé à Paris des commissaires chargés de négocier avec la France un traité sur les plus larges bases, comment la France a-t-elle accueilli vos propositions ?

L’honorable M. Delehaye vient de vous rappeler que, dans le comité secret qui a précédé la loi des droits différentiels, il vous a été donné connaissance des propositions de la France. Je lui rappellerai, à mon tour, s’il ne s’en souvient plus, qu’un frisson d’indignation parcourut les rangs de cette assemblée, à la lecture des conditions humiliantes posées par la France.

Qu’espérez-vous de la France ? Où sont en France vos ennemis les plus puissants ? (Réclamations.) Messieurs, nous n’avons aucun intérêt à nous dissimuler notre position. Ce sont les représentants de l’industrie française. A chaque annonce de traité avec la Belgique, à chaque soupçon de changement du tarif, vous les voyez se réunir en comités, et essayer même d’imposer leur volonté au gouvernement français et à la législature. Ensuite, ignorez-vous que la seule question de la contrefaçon semble vous avoir ôté tout droit non-seulement à la bienveillance, mais même à la justice, de la part des représentants de la presse et de tous les écrivains de la France ? Supposez-vous rencontrer en France un gouvernement assez fort pour braver cette incessante coalition d’intérêts si puissants, d’influences si grandes sur la presse et sur les élections ? C’est une illusion que d’autres peuvent entretenir, mais que, pour ma part, je ne saurais partager.

A ce sujet, qu’il me soit permis de dire un mot de l’industrie linière ; car je crois que quelques opposants au traité fondent leur opposition sur l’intérêt de cette industrie. Je suis Flamand ; je crois comprendre les intérêts des Flandres aussi bien que qui que ce soit.

Eh bien, je crois, messieurs, que ceux qui se disent les amis de l’industrie linière et qui prétendent que la France doit rester éternellement pour cette industrie un débouché considérable, nourrissent encore des illusions. Je dis, moi, qu’avant dix ans, nous exporterons bien peu de produits de l’industrie linière en France, si même nous ne sommes pas obligés de prendre des mesures pour nous opposer à l’introduction en Belgique des produits de l’industrie linière de France.

Examinons maintenant, messieurs, en quelques mots si le traité blesse les intérêts français. Evidemment non. Aussi personne n’a soutenu cette thèse.

Est-ce dans la question du transit que nous aurions blessé les intérêts de la France ? Mais qui ne sait que depuis douze ans la France applique le même système chez elle ? Qui ne sait que c’est de 1832 que date le nouveau régime qu’a adopté la France et qui a amené une augmentation si considérable dans le transit des produits de l’Allemagne et de la Suisse vers les ports du Havre ?

Est-ce la question maritime ? Mais si la Belgique juge à propos d’accorder quelques avantages à la marine allemande au détriment des marines du nord et des villes anséatiques, est-ce aux ports du Nord ou à la France à se plaindre ? Est-ce la question métallurgique ? Si l’Allemagne accorde quelques faveurs différentielles à la Belgique relativement à l’introduction des produits de l’industrie métallurgique, est-ce à la France ou à l’Angleterre à se plaindre ?

Ainsi donc les trois grands intérêts qui ont été réglés dans le traité du 1er septembre, sont tout à fait en dehors des questions qui sont agitées entre la France et nous ; toutes ces questions restent sauves, tous les intérêts français sont ménagés.

Qui donc, messieurs, le traité du 1er septembre peut-il alarmer en France ? j’aurai le courage de poser nettement la question, telle que me la montrent mes convictions personnelles.

Il ne peut pas alarmer le gouvernement français, parce que le gouvernement français respecte notre nationalité. Il ne peut pas alarmer ceux qui, en France, respectent notre indépendance. Mais savez-vous qui il effarouche ? Ce sont ceux qui, en France, ne croient pas à l’avenir de la Belgique ; ce sont ceux qui rêvent les frontières naturelles, qui rêvent l’absorption politique de la Belgique par la France. A ce sujet, qu’il me soit permis, messieurs, de vous faire connaître le langage tenu par l’organe le plus sérieux de cette politique aventureuse qui fait si bon marché des droits et de la nationalité des peuples. Voici ce que disait naguère la Revue des Deux Mondes :

« Un ministre belge peut bien imaginer que la Belgique est destinée à former des alliances plus ou moins étroites avec tous les Etats voisins ; mais la situation de ce pays, froidement examinée, ne comporte pas de telles illusions. La Belgique ne saurait être l’alliée que d’un seul Etat ; elle est politiquement neutre pour tous les autres… L’hostilité n’est pas dans les clauses du traité du 1er septembre ; elle est dans le fait même de la convention ! »

Messieurs, je ne sais si vous sentez comme moi ce qu’il y a dans ce langage d’attentatoire à nos droits, d’humiliant pour notre orgueil national ! Je regrette sincèrement qu’un tel langage ait, à l’insu des orateurs, sans doute, trouvé un certain écho dans cette chambre. Car, vous vous le rappelez, l’honorable M. Castiau surtout, lorsqu’il a examiné la portée politique du traité du 1er septembre, a fait un appel à la dignité, aux susceptibilités de la France. Il a fait successivement un appel au gouvernement, aux chambres, à l’opinion politique en France. Il a paru vous dire qu’il regardait comme naturel un conflit entre les deux nations, par suite du traité du 1er septembre.

Je dis, messieurs, qu’un semblable langage est au moins maladroit. Comment voulez-vous que la France attache du prix à la conservation de votre amitié, de votre alliance, si vous-mêmes ne savez la faire valoir ? Comment voulez-vous que la France fasse quelques avances ou quelques sacrifices pour retenir la Belgique dans le giron de son influence, lorsque vous aurez commencé par vous inféoder à elle, par vous jeter à ses genoux et déclarer que vous demandez à elle seule le droit de vivre ? Oh ! messieurs, le gouvernement belge a pris une position plus honorable, plus noble, plus capable d’amener la France à des sentiments plus justes envers nous. C’est à ce point de vue que je me félicite surtout de la conclusion du traité du 1er septembre. Et je le dis sans détour, parce que je ne crois pas qu’il faille rougir d’un sentiment né d’une affection sincère pour son pays.

Si donc je félicite le gouvernement d’avoir conclu le traité du 1er septembre, ce n’est pas que j’y voie l’ombre d’une pensée hostile à la France, mais parce que j’y trouve tous les caractères d’une inspiration vraiment nationale.

Combattre l’influence naturelle que la France exercera toujours sur la Belgique, par les mille contacts de tout genre quelle a avec elle, ce serait folie, j’allais dire de l’ingratitude. Personne ne peut avoir cette pensée. Mais je dis que je félicite la Belgique d’avoir secoué le joug trop exclusif que certains partis en France voudraient faire peser sur elle.

Trop longtemps, messieurs, on a entretenu en Europe, des préjugés contre nous ; trop longtemps l’Allemagne a cru que la Belgique devait rester éternellement le satellite de la France ; trop longtemps on a fait croire à la Belgique que ses principes religieux et politiques lui avaient créé au delà du Rhin des antipathies insurmontables. Ces préjugés n’ont été que trop longtemps un obstacle à la consolidation de notre nationalité, au développement de notre prospérité. Je suis heureux que le règne des préjugés finisse. C’est là, pour moi, la vraie signification du traité. J’y vois, non pas une pensée hostile à la France, mais une pensée belge.

Ces préjugés, messieurs, se sont donc dissipés. Et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’ils se sont dissipés. Il y a un an, à l’ouverture du chemin de fer belge-rhénan, c’est alors que les deux peuples se sont rencontrés. Déjà alors se produisit cet enthousiasme qui fait aujourd’hui l’objet des plaisanteries de quelques orateurs. Déjà alors régnait cet enthousiasme non-seulement sur les bords du Rhin, mais aussi sur les bords de l’Escaut. Et ici je fais un appel aux souvenirs de tous les membres de cette assemblée qui ont assisté à cette magnifique scène.

Ce premier contact entre les deux peuples est confirmé aujourd’hui par le traité du 1er septembre. Il se peut que ce traité, je l’ignore, ait excité d’universelles acclamations en Allemagne. Mais, quant à moi, cet enthousiasme me plaît ; il me console, il me rassure, parce qu’il vient de la part de populations réfléchies, sérieuses, de la part de populations qui ont appris à nous connaître et qui sauront nous apprécier ; de la part de populations qui nous traiteront, non comme une province, non comme un peuple vassal, mais comme une nation digne de son indépendance et résolue à la conserver !

Viennent alors ces crises que l’Europe redoute ; viennent des jours de danger où les jeunes nationalités chancellent sur leurs bases mal assises, la Belgique aura trouvé d’autres défenseurs encore, des appuis nouveaux.

La Belgique ne doit pas craindre de voir diminuer l’importance qu’attache la France à la conservation des conquêtes de 1830 : l’intérêt de la France nous répond qu’elle ne nous abandonnera pas ; mais, ce qu’il fallait, c’était mettre encore notre nationalité à l’abri d’autres intérêts. Le traité du 1er septembre, en faisant de la Belgique l’associée commerciale de l’Allemagne, nous garantit encore ce résultat important.

Ainsi le traité,dans ma pensée, n’est pas du tout antifrançais. Je serais désolé qu’il fût tel, même paraître tel ; s’il l’était, je le regretterais tout le premier ; mais le traité est belge. Il ne peut contrarier (j’insiste une dernière fois sur ce point, parce que je ne veux pas qu’on se méprenne sur le fond de ma pensée, toute personnelle d’ailleurs,) que ceux qui, en (page 425) France ou en Belgique, n’ont pas foi en l’avenir de la nationalité belge ; il ne peut contrarier que ceux qui ne respectent pas cette nationalité. Or, je ne crois pas que nous devions beaucoup de ménagements envers ces politiques égoïstes qui commencent par nous contester le plus sacré de nos droits, celui de vivre, et la première prérogative de notre souveraineté, la liberté de nos alliances. Messieurs, encore une réflexion et je finis.

En ouvrant la session parlementaire de 180 à 1841, le ministère d’alors mettait dans la bouche royale les paroles que voici : « La neutralité, nous ne pouvons trop nous en convaincre, est la véritable base de notre politique ; la maintenir sincère, loyale et forte, doit être notre but constant. » Voilà, messieurs, ce que disait le ministère Lebeau-Rogier et j’applaudis, comme vous, à ces paroles. Quelque temps après, un honorable publiciste, examinant quels étaient les actes de ce ministère, quels étaient ces titres à la considération, aux sympathies du pays, vous citait cette phrase comme un de ces actes. Cette phrase est un acte, disait-il, et il avait raison.

Maintenant, vous avez devant vous, non pas une phrase, mais un acte : quel nom lui donnerez-vous ? Ce traité qui est aujourd’hui soumis à vos délibérations ; ce traité qui consolide notre nationalité ; ce traité, qui constate notre admission définitive dans une fraction importante de la famille européenne ; ce traité qui inaugure une politique ferme, nationale, avais-je tort de l’appeler un événement ? (Marques d’approbation.)

M. le président – La parole est à M. Savart.

M. Savart-Martel – M. le président, il souffle sur le banc de la gauche un vent qui vient de je ne sais où, qui m’a tellement indisposé, qu’il ne me serait guère possible de parler en ce moment. J’espère que ce n’est point un vent politique. (On rit.) J’étais inscrit contre le projet ; l’honorable M. Castiau étant aussi inscrit contre, je demande à lui céder la parole.

M. Castiau – Je regrette, messieurs, de ne pouvoir suivre l’honorable orateur, qui vient de se rasseoir, dans les immenses développements qu’il a donnés à sa pensée. Je regrette de ne pouvoir le suivre sur le terrain quelque peu brûlant qu’il a abordé avec tant d’imprudence ; j’ai besoin de le dire, je le regrette, mais c’est un sacrifice que je fais en ce moment à l’impatience de la chambre.

Voilà plus de dix jours déjà que ce débat dure. La chambre a hâte d’en finir. De nombreux orateurs sont encore inscrits. Déjà une première fois j’ai pris la parole. Je dois donc me circonscrire dans un cercle étroit et me borner à quelques mots de réponse.

Je le regrette vivement ; je regrette de devoir borner cette réponse à une énergique protestation contre les paroles que vous venez d’entendre. Ces paroles et ces attaques, dirigées contre moi et les amis politiques, mériteraient d’être longuement réfutées.

Heureusement, messieurs, une autorité imposante est venue en aide aux orateurs de l’opposition pour les dispenser de répondre. C’est la voix même de la chambre qui a protesté contre l’orateur ; c’est la réprobation presque générale qui a accueilli ces imprudentes et inexplicables paroles. (Non ! non ! Oui ! oui !).

M. Mast de Vries – Pas le moins du monde.

M. Castiau – Si nous, orateurs de l’opposition, nous avions le droit de venir censurer le gouvernement, d’attaquer sa politique, de prouver que cette politique était une politique de provocation et d’hostilité contre certaine puissance, il n’appartient pas, ce me semble, au rapporteur de la section centrale de tenir dans cette enceinte le langage provocateur que vous venez d’entendre et qui a excité vos murmures. Il parlait devant vous avec un caractère officiel et presque ministériel. Il parlait comme rapporteur d’une section centrale ! Ses paroles prenaient donc un nouveau degré d’aggravation et d’imprudence par suite de l’honorable mandat qui lui avait été confié.

Aussi, me serait-il permis de m’étonner que, dans cette circonstance, la majorité de sa section centrale ne se soit pas levée, à l’instant même pour protester contre le discours de l’orateur, pour le désavouer avec énergie et en faire retomber sur lui seul l’imprudence et le danger.

Inutile donc, messieurs, de prendre au sérieux et de réfuter longuement le discours de M. Dedecker. La désapprobation d’une partie de la chambre en a fait, je le répète, une éclatante justice. Je n’ai pris la parole que pour répondre aux insinuations et aux attaques que M. le ministre des travaux publics vient de diriger contre moi. Et à la rigueur, j’aurais pu demander la parole pour un fait personnel, à la suite de son discours. La réponse que m’adresse M. le ministre est quelque peu tardive. Il faut le reconnaître, puisqu’elle n’arrive qu’après huit jours de réflexion. Il y a, si je ne me trompe, huit grands jours que je m’étais permis de caractériser et d’attaquer ce que M. le ministre appelait la politique du gouvernement ; j’avais attaqué les résultats les plus saillants de cette politique, et spécialement le traité du 1er septembre, qui en était en quelque sorte le couronnement.

C’est après huit jours de méditation que M. le ministre des travaux publics répond à ces attaques, et y répond en des termes qui ont tous les caractères de la personnalité. (Réclamation de M. le ministre des travaux publics.) Vos paroles avaient tous les caractères de la personnalité, et vous avez dû vous-même retirer l’une des expressions dont vous vous êtes servi, pour éviter le rappel à l’ordre que vous aviez mérité.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je les ai expliquées.

M. Castiau – Le langage de M. le ministre était d’autant plus étrange, que c’était de lui qu’était partie la provocation adressée à l’opposition.

L’attaque nous est permise à nous ; c’est là le rôle habituel de l’opposition. L’attitude du gouvernement, au contraire, devrait être celle du calme, de la réserve de la modération. Cette fois les rôles ont été intervertis ; c’est le gouvernement, c’est M. le ministre des travaux publics, qui a pris l’initiative des hostilités. C’est lui qui nous a provoqués dès le début de la discussion. (Dénégation de la part de M. le ministre des travaux publics.) J’en appelle, messieurs, à vos souvenirs ; est-ce que les premières paroles de M. le ministre des travaux publics, il y a huit jours, n’ont pas été des paroles de blâme et des agressions contre l’opposition en général et contre quelques-uns des membres de la chambre ? Est-ce qu’il ne s’est pas présenté dans cette enceinte en quelque sorte comme un paladin qui descend en champ clos ? Est-ce qu’il ne nous a pas jeté le gant ? Est-ce qu’il n’a pas donné rendrez-vous à l’opposition toute entière, et en la bravant, sur le terrain du traité ? (Interruption.) Puisqu’on nie, et que M. le ministre m’engage à lire les passages de son discours auxquels je fais allusion, je vais faire passer le Moniteur sous vos yeux. Au début du discours de M. le ministre se trouve d’abord l’attaque toute personnelle de M. le ministre contre trois de nos collègues de Gand, dont il avait vivement attaqué les doctrines industrielles.

Arrivant ensuite à l’opposition qui se permet de douter de l’infaillibilité ministérielle, et de trouver que le ministère ne cesse de corrompre, par ses impudences et ses expédients, les intérêts du pays, voici en quels termes dédaigneux M. le ministre parlait de cette opposition :

« Eh bien, messieurs, aux paroles dédaigneuses qu’on a fait entendre, il y quelque temps, dans cette enceinte, à ces paroles dédaigneuses nous opposons des faits significatifs. On nous parle au nom du mécontentement du pays, nous répondons en vous disant ce que nous avons fait pour le pays. On croit défendre à cette tribune les intérêts industriels par des plaintes exagérées, par des récriminations injustes et toujours stériles ; nous les avons défendus, ces intérêts industriels, par des actes formels, et qui ont été appréciés, j’ose dire par les grandes industries du pays. »

Puis viennent les hommages, les éloges, les félicitations qui sont arrivées de toutes les parties du pays à M. le ministre et qu’il a portés à cette tribune avec autant de modestie que de convenance :

« L’industrie drapière nous a remerciés de l’arrêté du 14 juillet ; l’industrie des machines et des mécaniques, l’industrie des produits chimiques et en partie du moins l’industrie cotonnière, nous ont remerciés de l’arrêté du 13 octobre. Le commerce d’Anvers nous a hautement félicités de la conclusion du traité du 1er septembre, qui assure des relations avec l’Allemagne ; les chefs des principaux établissements métallurgiques et houillers de la province de Liège et du pays de Charleroy me disaient, il y a peu de temps encore (et ils m’ont permis de porter cette déclaration à la tribune), me disaient que le traité du 1er septembre avait sauvé leurs provinces, avait sauvé trois grands intérêts. »

Vous voyez donc, messieurs, que j’étais bien près de la vérité, quand je présentais M. le ministre comme une sorte de triomphateur, s’attribuant modestement l’honneur d’avoir sauvé le pays ; il y avait seulement, je le reconnais, quelque peu d’exagération dans mes paroles ; M. le ministre n’a pas sauvé tout le pays, mais s’il faut en croire ses courtisans, il avait sauvé deux provinces et trois grandes industries. (Interruption.) Eh bien ! à ces félicitations exagérées que s’adressait M. le ministre des travaux publics, par l’organe de ceux des industriels qui viennent encombrer ses antichambres, j’ai cru devoir opposer le langage de la vérité, je regrette qu’il ait pu paraître importun ou blessant.

Vous l’avez entendu nous attaquer de nouveau et prétendre que ceux qui combattent le traité dénient en quelque sorte à la Belgique sa nationalité et son caractère européen (ce sont les expressions dont il s’est servi). Déjà, messieurs, nous avons protesté contre ces insinuations véritablement odieuses et qui déjà avaient été produites par M. le ministre de l'intérieur. Nous protesterons de nouveau et nous répéterons ce que nous avons déclaré : que la Belgique avait évidemment le droit de faire des traités commerciaux avec tous des voisins, de tendre la main à tous les peuples qui l’environnent, pour rappeler l’heureuse expression que vient de s’approprier M. le ministre.

Ce n’est donc pas le principe du traité du 1er septembre que nous avons attaqué, ce sont les clauses spéciales qu’il renferme ; ce sont surtout les circonstances qui ont accompagné la négociation. Je l’ai attaqué avec énergie, parce qu’en considération de ces circonstances, ce traité m’a paru constituer un acte d’hostilité contre le pays que nous avions le plus intérêt à ménager au point de vue industriel, comme au point de vue politique. Je l’a attaqué, pace que j’attribue à ce traité la rupture des négociations entamées avec le gouvernement français dans le courant des mois de juillet et d’août.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est ce que je nie.

M. Castiau – M. le ministre de l'intérieur me répond par une dénégation ; mais quand nous l’avons sommé de descendre à son tour dans l’arène, de produire les pièces relatives à cette négociation, qui avait éveillé tant d’espérances dans le pays, il a refusé la communication de ces pièces. Aussi longtemps, M. le ministre, que vous persisterez dans ce refus, j’aurai le droit de vous dire que votre refus vous condamne et que les négociations avec la France n’ont échoué que parce que vous les avez brusquement rompues pour vous jeter aux pieds de la Prusse.

Ce que nous avons encore combattu, ce sont les tendances politiques du traité ; c’est la pensée politique de ce traité, pensée toute allemande, pesée qui a pour but l’extension de l’influence politique de la Prusse.

Eh bien, messieurs, étions-nous dans l’erreur sur ce point ? En vous rappelant qui avait été le négociateur du traité, en vous rappelant que c’était, en définitive, M. le ministre des travaux publics qui avait imprimé la (page 426) dernière impulsion aux négociations, n’étions-nous pas en droit de nous défier des sympathies de M. le ministre pour la Prusse ? Est-ce que ces sympathies sont un mystère ? N’ont-elles pas éclaté, et avec assez de force, dans l’occasion la plus solennelle ? M. le ministre a nié l’imprudence de quelques-unes des paroles qu’il avait prononcées en cette circonstance ; il a fait appel lui-même à ce discours ; permettez-moi donc de vous en lire quelques passages :

« Ce jour, messieurs, n’est pas une solennité ordinaire. Il forme une de ces dates qui restent imprimées dans l’histoire des nations.

« Cette fête belge-allemande, à laquelle nous voyons deux peuples concourir, cette triple inauguration qu’Anvers, Liége et Cologne ouvrent sur l’Escaut, la Meuse et le Rhin, ont une grandeur qui émeut et acquiert toute la valeur d’un événement ! »

Un événement ! C’est absolument comme dans le rapport ; l’expression s’y trouve aussi. Dans le rapport aussi on veut élever le traité du 1er septembre à la hauteur d’un événement. Poursuivons.

« Oui, et vous venez de le dire, chacun a compris que cette pose de la première pierre à la porte du Rhin était bien la consécration du port d’Anvers, comme port du Zollverein et du centre de l’Allemagne. »

Vous voyez, messieurs, que, de son autorité privée, M. le ministre, en vassal empressé, disposait d’avance, en faveur de la Prusse et de l’Allemagne, de notre port si envié d’Anvers. Sont-ce là des paroles belges ? Est-ce là le langage que devait tenir un ministre belge, le représentant officiel du gouvernement ?

Mais comment s’en étonner, lorsque nous voyons ensuite ces paroles et ces sympathies allemandes inspirer la partie politique du rapport de M. Dedecker, dont on connaît les relations intimes avec M. le ministre ? Déjà je vous ai cité un passage de ce rapport où semblent percer l’arrière-pensée de l’accession de la Belgique au Zollverein, et je ne sais quelle répugnance pour la France. Pour achever la démonstration que j’avais commencée, je me proposais de vous lire aujourd’hui d’autres passages de ce rapport, plus explicites encore ; mais à quoi bon ? Le langage que vous venez d’entendre m’en dispense.

Est-il quelque chose de plus provocateur, de plus hostile à la France et aux partisans de l’union douanière avec ce pays, que les paroles qu’il vient de prononcer ? Peut-on pousser plus loin l’expression des répugnances, et, je puis le dire, des haines qu’on semble avoir vouées à la France ? Serait-ce là le commentaire du discours du ministre ?

Cette pensée d’hostilité contre la France et de sympathie pour la Prusse, M. le rapporteur n’a pu la contenir dans les limites de la prudence ; elle a dû se faire jour ; déposée avec quelque réserve dans un travail écrit, elle a dû aujourd’hui faire explosion ; et l’exagération provocatrice de ces paroles, qui n’auront que trop de retentissement, n’aura d’autre effet que de compromettre tout à la fois et le rapporteur et le gouvernement, et surtout M. le ministre des travaux publics, dont M. Dedecker passera pour avoir été l’organe dans cette circonstance.

Et c’est après ces imprudences, ces exagérations, ces attaques et ces provocations, que l’on vient nous accuser de provoquer la France à une rupture avec la Belgique !

Mais ce sont vos actes et vos paroles qui sont autant de provocations adressées à la France : votre politique, MM. les ministres, n’a été qu’une provocation perpétuelle adressée à toutes les puissances qui nous environnent.

La politique de M. le ministre de l'intérieur n’a-t-elle pas été tellement provocatrice à l’égard de la Prusse, qu’elle a amené la rupture momentanée de tous les rapports que la Belgique avait avec ce pays ? Elle n’a pas été moins provocatrice à l’égard de la Hollande ; vous avez directement provoqué la Hollande en présentant la loi des droits différentiels ; cette loi était une loi de guerre contre la Hollande ; vous l’avez reconnu vous-même, car vous avez été obligé d’en modifier la disposition principale.

Maintenant, et depuis deux ans surtout, c’est à la France que s’adressent vos provocations. Ainsi que je l’ai dit déjà, vous paraissez vous être joués de la France, en 1842 et en 1844. Vous vous en êtes joués en 1842, car après lui avoir fait acheter l’avantage d’une réduction de droit sur ses vins et sur ses soieries, vous avez accordé gratuitement à l’Allemagne cet avantage que la France avait payé par une importante concession. Vous venez de vous en jouer de nouveau en 1844, car si l’on en croit les apparences et vos refus de nous éclairer sur ces négociations récentes, ces négociations si brutalement interrompues n’auraient été qu’un moyen d’acheter de la Prusse le traité du 1er septembre ; s’il en était ainsi, ces négociations n’auraient été pour la France qu’une véritable mystification. Et vous nous accusez de provoquer la France, de la pousser à une rupture !

C’est vous, sachez-le, c’est vous qui êtes les provocateurs. Votre politique est une politique d’agression et d’imprudence, et elle finira par attirer sur la Belgique des représailles dont nos principales industries ne pourront jamais se relever peut-être.

Un mot encore, messieurs, et je termine, car je ne veux pas abuser de la patience de la chambre et du tour de faveur que je dois à l’obligeance de l’honorable M. Savart. Je ne puis m’empêcher de répondre deux mots au démenti de M. le ministre des travaux publics. Ce démenti, quelque adouci qu’il soit quant à l’expression, ne m’en laisse pas moins sous l’accusation d’avoir produit dans cette enceinte une assertion inexacte. Or, quelle était cette assertion ? J’avais dit que l’on avait continué à négocier simultanément avec la France et avec la Prusse ; et c’est dans cette simultanéité des négociations que je voyais la preuve de la déloyauté du gouvernement. Eh bien, M. le ministre de l'intérieur a reconnu lui-même le fait, que les négociations avaient eu lieu en même temps avec la France et avec la Prusse. Le démenti de M. le ministre des travaux publics doit donc tomber sur M. le ministre de l'intérieur.

C’est donc à lui que je renvoie ce démenti ; le démenti d’un collègue, après les accusations et les humiliations de toute nature que M. le ministre de l'intérieur a eu à supporter dans cette discussion, c’est trop vraiment ! Aussi, s’il est vrai que M. le ministre touche au dernier moment de sa carrière ministérielle, je me permettrai de lui rappeler la fable du Lion mourant, et la réponse qu’il adresse à la dernière insulte qu’il reçoit. Le moment me semble venu d’en faire l’application.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Presque constamment, il y a eu de la part du gouvernement belge simultanéité de négociations ; l’honorable préopinant y voit en quelque sorte de la duplicité et de la déloyauté. C’est à la fois méconnaître et les nécessités et les avantages de notre situation.

Nous avons eu des négociations avec l’Allemagne, avec la France, avec les Pays-Bas, vous ne l’ignorez pas ; je puis ajouter qu’il y a des négociations avec les pays transatlantiques. Cette simultanéité de négociations est le résultat de la position où se trouve la Belgique dont toutes les relations sont à créer. Je dirai plus, cette simultanéité peut être heureuse. Il faut seulement que le gouvernement s’y prenne de manière à ne pas s’engager dans des négociations contradictoires ; ce qui est possible, car chaque négociation peut porter sur des bases différentes.

Je reconnais donc cette position. L’Allemagne est aujourd’hui hors de cause ; mais il y a eu en même temps des négociations avec d’autres puissances ; il y a même en ce moment encore des négociations avec quatre Etats, deux pays transatlantiques, le Brésil et les Etats-Unis, et deux Etats européens, les Pays-Bas et la France.

L’honorable préopinant semble adhérer aux accusations portées en France contre le gouvernement belge par un parti auquel certes je n’associe par notre honorable collègue ; mais qu’il me permette néanmoins de citer les faits.

Il y a, en France, un parti pour qui la nationalité belge est une hostilité permanente, un grand grief politique ; un parti qui n’a pas accepté cette nationalité sincèrement et définitivement ; qui ne tolère cette nationalité que comme un fait transitoire dans sa pensée. Ce parti n’est ni la France ni son gouvernement ; c’est ce parti qui en France se plaindra du gouvernement belge, chaque fois que ce gouvernement sortira de la position d’isolement à laquelle on voudrait condamner la Belgique, pendant toute la durée de l’interim qu’on lui assigne. (Voix nombreuses ; C’est cela ! très-bien !) Oui, messieurs, la nationalité belge n’est, aux yeux de ce parti, qu’un interim stérile, durant lequel la Belgique doit attendre silencieusement je ne sais quels grands événements que l’avenir réserve à la France !

C’est ce parti, messieurs, qui recueillera vivement toute parole hasardée tombée de cette tribune ; c’est ce parti qui, contre les intentions de l’honorable M. Castiau sans doute, je n’hésite pas à le répéter, acceptera les paroles qu’il vient de prononcer, comme une confirmation des reproches mal fondés qu’on prépare en France contre le gouvernement belge.

Le traité du 1er septembre est un acte belge ; rien de plus ; c’est l’exercice d’un droit belge, pour des intérêts belges ; sans lésion d’aucun véritable intérêt français. Voilà le terrain sur lequel on doit se placer et rester constamment placé. Aller au-delà, c’est se livrer à des suppositions que rien ne justifie.

Ne perdez donc pas de vue qu’il y a en France un parti que j’appellerai un parti de regrets et de grandes espérances : c’est ce parti qui, comme je le disais tout à l’heure, n’accepte la Belgique que comme un interim ; tout acte quelconque qui viendra attester que la nationalité belge peut être autre chose qu’une existence intérimaire ; tout acte quelconque qui viendra attester que la Belgique peut légitimement et utilement sortir de son isolement ; tous ces actes seront accueillis avec je ne sais quel frémissement, par ce parti en France.

Je ne me permets donc aucune insinuation à l’égard de l’honorable préopinant ; je le répète, et il peut croire à la sincérité de cette déclaration ; je ne l’associe pas à ce parti, ennemi d’une nationalité belge ; mais je désire que les discours qu’il a prononcés dans cette enceinte ne fournissent pas des armes contre nous au parti dont je parle.

Messieurs, nous avons donc négocié simultanément ; oui, mais le traité du 1er septembre n’est venu rompre aucune négociation quelconque avec la France. Ce qui était rompu est resté rompu, ce qui était possible avant le 1er septembre est resté possible après le 1er septembre.

L’honorable préopinant est remonté bien loin dans le passé. Il vous a cité l’arrêté du 28 août 1842 qui accordait temporairement et conditionnellement à l’Allemagne les réductions sur les vins et sur les soieries, acte dans lequel il a cru voir une mesure antifrançaise.

Eh bien, je suis encore forcé de revenir sur une ancienne justification. La France savait que les concessions faites dans la convention du 16 juillet pour les soieries et les vins n’étaient pas exclusives ; on nous avait d’abord demandé les concessions avec ce caractère exclusif ; je l’ai dit lors de la discussion de la convention, nous avons obtenu qu’on retranchât de la convention ce caractère ; les concessions n’ont été accordées que conditionnellement et temporairement ; et il a été constaté que les importations des soieries et vins de France en Belgique n’avaient pas diminué, malgré l’application des mêmes réductions aux vins et aux soieries d’Allemagne ; ce fait est reconnu dans des documents officiels français. Nous avons donc usé de notre droit, et, en l’exerçant, nous n’avons pas non plus nui matériellement à la France.

(page 427) Le traité du 1er septembre, et c’est par cette réflexion que je terminerai, le traité du 1er septembre a-t-il pu être un acte bien inattendu pour la France, par exemple ? A-t-on pu croire que nous resterions dans la crise qui a précédé le traité du 1er septembre ? Mais le gouvernement français, tous les partis en France devaient s’attendre à voir le gouvernement belge faire des efforts inouïs pour sortir de la crise, autrement que par un arrangement avec l’Allemagne ? Le traité du 1er septembre n’a donc pas même été un acte imprévu ; tout le monde en France, en Belgique, devait se dire : Il faut bien que la Belgique sorte de cette crise…

M. Delehaye – Cette crise, vous l’avez provoquée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cette crise, nous l’avons provoquée !... Par cette interruption, l’honorable membre me force de prolonger ces quelques réflexions. Cette crise, nous l’avons provoquée !... Voyons ! L’arrêté du 28 août, concédé temporairement et conditionnellement, était venu à tomber ; et, j’en appelle ici aux souvenirs et à la bonne foi de chacun de vous, comment cet arrêté avait-il été accueilli ? Il l’avait été à regret, même comme un acte temporaire, conditionnel, qui devait tomber, si les négociations n’amenaient pas de résultat. L’acte est donc venu à cesser au 1er avril ; l’Allemagne a usé de représailles. Que devait faire le gouvernement. Ne pas user de représailles ? rester passif sous les coups des actes de représailles de l’Allemagne ? Mais qu’auraient dit ceux qui viennent tous les jours nous reprocher de manquer de fermeté ? Messieurs, j’ose le dire, vous devriez, au contraire, féliciter le gouvernement belge d’avoir aussi eu recours à des actes de représailles par l’arrêté du 28 juillet. Il n’est pas impossible que votre gouvernement soit encore amené (Dieu fasse qu cet événement ne se réalise pas !) à répondre à des représailles par des représailles. C’est une chance que vous courez comme nation indépendance. N’allez pas blâmer, décourager votre gouvernement, lorsqu’il lui est arrivé un jour, contre votre attente (murmures et rires), d’être ferme, comme vous l’avez tant de fois demandé. Je crois que ce langage ne devrait exciter ici ni murmures, ni rires. Puisque l’opposition est venue dire constamment que votre gouvernement manquait de fermeté, et qu’elle l’a défié de poser un acte énergique ; eh bien, ce jour qui ne devait jamais arriver pour lui, ce jour est arrivé ; le gouvernement s’est trouvé engagé dans une guerre de tarif, les seules guerres peut-être de nos temps pacifiques ; pardonnez-moi ce rapprochement de mots.

Vous avez fait de grands avantages, pour la navigation, entre autres, à certains Etats, en ne stipulant à votre profit qu’une réciprocité de droit qui, à mes yeux, est illusoire, n’a aucune valeur. Eh bien que fera votre gouvernement, lorsque ces inconvénients viendront à cesser ? Il les laissera expirer, et si les gouvernements, au profit desquels ces conventions existent, usent de représailles, votre gouvernement répondra par des représailles. Ne le découragez donc pas aujourd’hui. Que ces Etats sachent même que vous accepterez, s’il le faut, une crise ; cette crise, si vous avez quelque énergie, sera heureuse, il en sortira des arrangements plus avantageux que ceux qui existent aujourd’hui.

Je proteste donc de nouveau, comme je l’ai fait dans les premières séances, je proteste contre toute proportion exagérée que l’on voudrait donner au traité du 1er septembre ; c’est l’exercice d’un droit belge, au profit d’intérêts matériels belges, acte dont on a affecté d’écarter tout caractère antifrançais. C’est ainsi que je considère cet acte, et je prie la chambre de ne pas lui donner d’autre portée.

M. le président – La parole est à M. Lys.

M. Lys – Si on désire clore aujourd’hui, je céderai volontiers la parole à l’honorable M. Devaux.

- Plus de dix membres demandent la clôture.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il n’est pas possible de clore maintenant la discussion.

Des membres – Il n’est pas encore quatre heures et demie, continuons jusqu’à cinq heures.

M. Devaux – Je crois que, puisque la chambre ne paraît pas encore disposée à clore la discussion, on pourrait remettre la fin du débat à demain, puisque demain nous n’avons à l’ordre du jour que de petites lois dont le vote n’exigera pas un temps fort long.

M. le président – Les membres sont à leur banc, la séance continue. La parole est à M. Devaux.

M. Devaux – Vouloir me faire parler maintenant, c’est vouloir me faire taire ; il est impossible que je termine avant cinq heures, je désire être écouté sérieusement, et on ne peut guère espérer de l’être à 4 heures et demie.

M. le président – Je répète mon observation ; toute la chambre étant en place, la séance continue, et je dois donner la parole à M. Devaux.

M. Devaux – Je prie alors M. le président de consulter la chambre sur la question de savoir si la séance continuera ou sera remise à demain.

M. d’Hoffschmidt – Est-ce qu’un autre orateur ne serait pas disposé à prendre la parole ?

M. le président – Le premier orateur inscrit après M. Devaux, c’est M. Dumortier.

M. Dumortier – Je suis fatigué ; je ne puis pas parler aujourd’hui.

M. le président – Je donne alors la parole à M. Eloy de Burdinne.

M. Eloy de Burdinne – Je suis aussi fatigué que les honorables membres qui renoncent à la parole. Depuis 11 heures je suis occupé à la commission d’industrie et à la chambre ; il est difficile, après un tel travail, de s’exprimer de manière à se faire comprendre. Je suivra l’exemple des orateurs auxquels on a donné la parole, je me tairai.

Plusieurs voix – A demain, à demain ! à 10 heures !

D’autres voix – Non ! non ! à 11 heures.

- La chambre, consultée, décide qu’elle se réunira demain à 10 heures.

M. le président – Demain continuation de la discussion du traité entre la Belgique et le Zollverein, ensuite les huit projets de loi mis à l’ordre du jour. La chambre décidera demain dans quel ordre elle entend les discuter.

- La séance est levée à 4 heures ¾.