(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 285) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi un quart.
M. Huveners donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Plusieurs habitants de Peteghem demandent l’abrogation de la loi qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport.
M. Maertens – Messieurs, j’ai l’honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le budget de l’intérieur, ainsi que les pièces à l’appui dans la section centrale m’a chargé de faire le dépôt.
M. le président – Ce rapport sera imprimé et distribué à tous les membres.
M. de Renesse – Je demanderai à M. le rapporteur, si parmi les pièces qu’il vient de déposer se trouve le rapport de la commission d’enquête nommée par M. le ministre de l'intérieur pour rechercher les causes de la décadence de l’école vétérinaire. Si on veut discuter les mérites de ce rapport, il faut que les membres de la chambre puissent en prendre connaissance. Si le gouvernement a institué cette commission, c’est pour s’éclairer et pour éclairer la chambre sur la question de savoir si les reproches adressés à l’école vétérinaire sont fondés. Il est impossible de se prononcer à cet égard sans avoir lu le rapport que la commission a transmis au gouvernement.
M. Vilain XIIII – Avant de statuer sur la motion de l’honorable M. de Renesse, je désirerais que le rapport fût imprimé et distribué et que la chambre eût connaissance des conclusions de la section centrale relativement à l’école vétérinaire. Après avoir eu connaissance du rapport de la section centrale, M. le comte de Renesse sera toujours libre de demander la communication du rapport concernant l’école vétérinaire. La section centrale a cru devoir rendre ce rapport à M. le ministre de l'intérieur après en avoir pris connaissance. Je demande donc qu’aucune mesure ne soit prise sur la motion dont il s’agit, que quand le rapport de la section centrale sera imprimé et que chacun aura pu prendre connaissance de ses conclusions.
M. de Renesse – Si ce document n’est déposé qu’au moment où le budget sera distribué, on demandera la mise à l’ordre du jour de ce budget deux ou trois jours après ; les membres qui voudraient prendre connaissance du rapport de la commission d’enquête n’en auront pas le temps, car ce rapport est assez volumineux et il faudrait l’avoir cinq ou six jours entre les mains pour l’examiner.
M. Maertens – Je désirerais que M. le ministre de l'intérieur émît son opinion sur la question de savoir s’il trouve ou non des inconvénients au dépôt demandé. S’il n’en trouvait pas, toute discussion viendrait à cesser.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne trouve aucun inconvénient au dépôt du rapport dont il s’agit, si l’on veut lui attribuer le caractère qu’il a. Il n’est pas exact de dire que le gouvernement a institué une commission d’enquête chargée de faire un rapport sur l’école vétérinaire ; il a soumis une série de questions au jury d’examen vétérinaire de 1844 ; le jury a fait un rapport très-étendu au gouvernement. Ce rapport n’est que la première pièce d’une enquête que je poursuis. Il ne faut donc pas attribuer à ce rapport un caractère définitif, c’est un acte préliminaire, provisoire, qu’on peut consulter à titre de renseignement. Mais je ne suis pas à même de me prononcer maintenant sur les faits consignés dans ce rapport ni sur les questions qu’ils soulèvent Avec cette réserve, je ne m’oppose pas au dépôt demandé, et je prie les membres qui l’examineront de ne pas perdre de vue les explications que je viens de donner.
C’est le premier acte d’une enquête, c’est un acte tout à fait provisoire.
- La chambre fixera ultérieurement la mise à l’ordre du jour du rapport de la section centrale.
M. Osy – Il y a huit jours que M. le ministre de l'intérieur a promis le dépôt du détail de l’avance faite à une société d’Anvers. J’aurais désiré avoir ce rapport lors de la discussion du budget des finances, pour voir comment on porte en compte le remboursement et les intérêts des capitaux avancés à cette société. Je désire que ce dépôt ait lieu le plus tôt possible, pour que nous puissions nous en occuper lors de la discussion du budget de l’intérieur. Je prie M. le ministre de nous dire s’il ne pourrait pas nous faire cette communication sou peu de jours.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce rapport est préparé, mais je crois que les convenances exigent que j’aie une conférence avec les anciens ministres avant de le déposer. Il pourra l’être dans quelques jours, et dans tous les cas, il le sera assez à temps pour qu’on puisse en prendre connaissance avant la discussion du budget de l’intérieur.
J’ai le travail sous les yeux.
M. de Brouckere – Messieurs, quand le gouvernement s’est décidé à convoquer les chambres avant l’époque fixée par la Constitution, il a eu en vue de mettre les chambres à même de voter le budget de la guerre avant le 1er janvier, et par conséquent de voter la loi d’organisation de l’armée, puisque ce vote doit précéder celui du budget de la guerre. Nous sommes réunis depuis cinq ou six semaines, et personne de nous n’a encore entendu parler du projet de l’organisation de l’armée. Vous le savez, messieurs, le budget de la guerre n’a pas été examiné dans les sections, parce qu’elles ont déclaré qu’elles ne pouvaient procéder à cet examen qu’après que la loi d’organisation de l’armée aurait été votée.
Je désirerais qu’on donnât quelques explications à la chambre, afin qu’elle sût à quoi en est le travail de la section centrale. Il ne transpire rien sur ce qui se passe dans l’intérieur de cette section centrale, qui, j’en suis convaincu, s’occupe activement du travail important qui lui est confié ; mais il faut que nous sachions à quoi en est ce travail et si nous pourrons être sais prochainement de ce rapport.
M. le président – Je me permettrai de donner les explications demandées par l’honorable préopinant.
Dans un projet aussi important que celui de l’organisation de l’armée, vous comprendrez que la section centrale a dû demander de nombreux renseignements au gouvernement ; les derniers nous sont arrivés l’avant-veille de la clôture de la session ; il a été impossible de réunir encore la section centrale. Dès la rentrée de la chambre, cette section centrale a été de nouveau convoquée.
Cette section, après quelques incidents dont il est inutile de parler en ce moment, a nommé un de ses membres chargé de lui faire verbalement un rapport sur ces renseignements. Quant cet honorable membre eut procédé à l’examen des pièces, il les trouva si importantes qu’il ne voulut pas prendre la responsabilité de faire un rapport. Il engagea ses collègues à en prendre eux-mêmes connaissance. Comme ces pièces étaient volumineuses, il fallait assez de temps pour que chacun pût les examiner. Elles ont maintenant passé entre les mains de tous les membres de la section centrale ; aujourd’hui que chacun en a pris connaissance, il sera possible de se réunir au commencement de la semaine prochaine afin de décider les questions que soulève le projet.
Voilà l’état des travaux de la section centrale chargée de l’examen de ce projet. Jusqu’ici le temps s’est passé en demandes de renseignements et en examen des pièces communiquées ; on pourra maintenant s’occuper des dispositions du projet.
Si personne ne demande plus la parole, nous passerons à l’objet de l’ordre du jour, qui est la discussion du budget de la justice.
M. Dubus (aîné) – Ne conviendrait-il pas de voter sur l’autre objet, qui ne donnera pas lieu à discussion, afin d’éviter qu’il ne soit renvoyé comme il l’a été déjà plusieurs fois. ?
- La proposition de M. Dubus est adoptée.
M. le président – Conformément à la disposition spéciale du règlement sur les naturalisations, il sera voté par assis et levé sur les diverses demandes, et voté par un seul appel nominal sur les divers projets de loi concernant ces demandes.
« LEOPOLD, Roi des Belges,
A tous présent et à venir, salut.
Vu la demande du sieur Joseph-Moïse Oppenheim, négociant à Bruxelles, né à Francfort, le 15 novembre 1810, tendant à obtenir la naturalisation ordinaire,
Attendu que les formalités prescrites par les articles 7 et 8 de la loi du 27 septembre 1835 ont été observées ;
Attendu que le pétitionnaire a justifié des conditions d’âge et de résidence exigées par l’article 5 de ladite loi :
Nous avons, de commun accord avec les chambres, décrété et Nous ordonnons ce qui suit :
Article unique. La naturalisation ordinaire est accordée audit sieur Joseph-Moïse Oppenheim.
Mandons et ordonnons, etc. »
- Adopté
- La formule qui précède est applicable à chacune des demandes des sieurs :
Henri Erismann, sergent au 2e régiment de ligne, né à Weskom (Suisse), le 27 janvier 1799. – Adopté.
(page 286) Laurent Bayer, capitaine au 4e régiment de ligne, né à Dietz (duché de Nassau), le 27 février 1804. – Adopté.
Pierre-Félix-Adrien Loisel, élève mécanicien, attaché à l’administration du chemin de fer à Malines, né à Melun (France), le 10 octobre 1820. – Adopté.
Jean-Henri Dankelman, teneur de livres et caissier à Malines, né à Amsterdam (Pays-Bas), le 19 juillet 1784. – Adopté.
Jonas Goldschmidt, lieutenant officier payeur au 7e régiment de ligne, né à Ehrenbreitsten (Prusse), le 14 octobre 1804. – Adopté.
Amédée Le Marinel, capitaine au 1er régiment de chasseurs à pied, né à Saint-Lô ( France), le 1er juillet 1806. – Adopté.
François-Joseph Peil, capitaine au régiment d’élite, né à Dremmen (Prusse), le 10 juin 1807. – Adopté.
Richard Brewer, négociant commissionnaire à Ostende, né à Londres, le 14 janvier 1807 – Adopté.
Joseph-Honoré Borin, particulier à Offagne, né à Balaive (France), le 11 août 1814. – Adopté.
Joseph Ekkart, propriétaire à Borgerhout, né à Haarlem (Pays-Bas), le 28 mars 1796. – Adopté.
Martin-Joseph Blareau, propriétaire-cultivateur à Athis, né à Villers-Pol (France), le 20 brumaire an VII. – Adopté.
Hubert-Joseph Gerain, propriétaire-cultivateur à Bourseigne-Neuve, né à Vieux-Wallerand (France), le 1er janvier 1791. – Adopté.
Jean-Baptiste Fontaine, propriétaire à Bourseigne-Neuve, né à Reims (France), le 26 avril 1789. – Adopté.
Jean-Baptiste-Martial-Augustin Jouhaud, ancien employé à Bruxelles, né à Limoges (France), le 28 août 1773. – Adopté.
Nicolas-Joseph-Désiré Marchal, ancien militaire et particulier à St-Hubert, né à Givet (France), le 19 avril 1817. – Adopté.
Joseph Kirsch, garde-champêtre à Glabbeek-Suerbempde, né à Cranenburg (Prusse), le 22 octobre 1815. – Adopté.
Louis-Marie Gaillet, négociant à Virginal-Samme, né à Montreuil-aux-Lions (France), le 12 août 1808. – Adopté.
Jean-Joseph Deserno, lieutenant au 8e régiment de ligne, né à Aix-la-Chapelle (Prusse), le 10 janvier 1798. – Adopté.
Guillaume Leitzbach, capitaine au 2e régiment de chasseurs à pied, né à Elz (Allemagne), le 17 avril 1799. – Adopté.
François-Léonard Derudder, fermier à Oostkerke, né à Cappellebroucq (France), le 17 juillet 1819. – Adopté.
Jean-Baptiste-Vincent Mullet, épicier à Tournay, né à St-Venant (France), le 13 floréal an IX. – Adopté.
Paul-François Aribert, secrétaire communal à Philippeville, né à Paris, le 15 janvier 1788. – Adopté.
Frédéric Philips, fabricant de tabacs à Liége, né à Zalt-Bommel (Pays-Bas), le 2 septembre 1803. – Adopté.
Louis-Joseph-Désiré Derudder, fermier à Oostkerke, né à Cappellebroucq (France), le 2 août 1817. – Adopté.
Jean-Baptiste Tisseron, géomètre à Lens, né à Cliron (France), le 5 floréal an XII – Adopté.
Agapite-Joseph Barbier, négociant à Binche, né à Haumont (France), le 29 ventôse an V. – Adopté.
Charles-Thomas Beretzé, lieutenant-adjudant-major au 9e régiment de ligne, né à Maroontown (Jamaïque), le 28 octobre 1810. – Adopté.
Auguste-Constantin-François Verdurmen, brasseur à Saint-Nicolas, né à Hulst (Pays-Bas), le 22 août 1808. – Adopté.
François-Louis-Alfred Boulade, lieutenant-adjudant-major au 9e régiment de ligne, né à Paris, le 5 octobre 1806. – Adopté.
Jean Four, marchand de parapluie à Lokeren, né à Bassignac-le-Haut (France), le 14 frimaire an IV. – Adopté.
Henri-Clément Corteel, instituteur et clerc laïque à Hollebeke, né à Houtkerque (France), le 16 décembre 1812. – Adopté.
Nicolas-Joseph Manteau, épicier à Bersillies-l’Abbaye, né à Jeumont (France) le 25 janvier 1810. – Adopté.
Charles-Abel Brioland, lieutenant-adjudant-major au 1le régiment de ligné, né à Mézières (France), le 9 janvier 1808. - Adopté.
Jean-Louis-Joseph Pirot, cultivateur à Sart-Custinne, né à Hargnies (France), le 25 frimaire an XII. – Adopté.
François-Joseph Rothermel, pharmacien à Arlon, né à Simmern (Prusse), le 30 octobre 1799. – Adopté.
Jean-Baptiste-Joseph Wicard, marchand à Recken, né à Linselles (France), le 26 thermidor an IX. – Adopté.
Célestin-Joseph Moucheront, instituteur et clerc laïque à Monceau-Imbrechies, né à Marbais (France), le 22 fructidor an VII. – Adopté.
Jean-Louis-Barnabé Objois, tailleur d’habits à Momignies, né à Froidestrès (France), le 12 pluviôse an IX. – Adopté.
Pierre-Jacques Van Elle, garde particulier à Houthem, né à Lederzeele (France), le 19 nivôse an II. –Adopté.
Jacques Mangold, pompier à Anvers, né à Pfaffnau (Suisse), le 13 août 1798. – Adopté.
Pierre-François Lebrun, courtier de commerce à Liége, né à Paris, le 18 septembre 1777. – Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur ces projets de loi ; en voici le résultat :
54 membres sont présents et votent pour l’adoption.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption : MM. Vilain XIIII, Zoude, Castiau, d’Anethan, de Brouckere, de Corswarem, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Haerne, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, Deprey, de Renesse, de Roo, de Saegher, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, Donny, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lesoinne, Lys, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Dubus (aîné), Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart, Sigart, Simons, Smits, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Van Volxem, Verhaegen, de Baillet et Liedts.
M. Pirson – Messieurs, l’année dernière, l’honorable M. Savart, en ouvrant la discussion générale du budget de la justice, a profité de cette occasion pour passer en revue tous les codes qui constituent notre législation et appelé l’attention de M. le ministre de la justice sur la nécessité de la révision de ces codes. A l’exemple de cet honorable collègue, et profitant d’une semblable discussion, je viens, cette année, vous soumettre quelques observations sur une lacune qui existe dans notre législation, et engager M. le ministre de la justice à saisir la chambre d’un projet de loi tendant à la faire disparaître.
La lacune que je viens de signaler, messieurs, c’est la nécessité d’une loi ayant pour objet la poursuite et la répression des contraventions, des délits et des crimes que des Belges pourraient commettre dans les Echelles du Levant et des Etats de Barbarie, et décrétant la législation à appliquer par nos consuls dans ces Echelles.
Vous n’ignorez pas, messieurs, que, dans les pays où la loi de Mahomet est la religion de l’Etat, où l’islamisme prédomine, les personnes, aussi bien que la propriété, sont soumises à un système de législation peu en harmonie avec les institutions et la civilisation européennes.
Les puissances chrétiennes eussent dû renoncer au bénéfice d’établir des relations de bonne intelligence et de commerce avec les gouvernements de ces pays, si elles n’eussent pu obtenir de soustraire leurs nationaux, au moins en ce qui concerne leur rapport entre eux, à la justice et au fanatisme des cadis et des pachas.
Aussi, messieurs, depuis 1535, époque à laquelle les premières capitulations furent conclues entre Soliman et François Ier, il fut toujours stipulé dans tous les traités que les puissances européennes contractèrent avec la Porte, que les sujets de ces puissances, en ce qui concernait leurs rapports entre eux, ne seraient soumis à la juridiction locale, ni en matière commerciale, ni en matière correctionnelle, ni en matière civile, ni en matière criminelle.
Dans le traité que la Belgique a conclu avec la Sublime Porte, le 3 août 1838, l’art. 8 lui assure la même prérogative. Dans le Levant, Messieurs, l’usage a encore étendu cette prérogative ; ainsi, si un chrétien quelconque est accusé d’avoir commis un délit ou un crime, même envers un sujet musulman, son consul, s’il le réclame, obtient toujours la faveur de le faire juger d’après les lois de son pays.
Mais, messieurs, cette précieuse garantie dont jouissent les Belges établis dans le Levant, pourrait devenir une cause de désordres et d’embarras si, dans cette position, ils n’étaient soumis à aucune juridiction, si aucun frein légal ne pouvait être opposé à ceux d’entre eux qui se laisseraient entraîner par les mauvaises passions. L’impunité, résultat d’un pareil état de choses, serait aussi affligeant pour la justice que pour la morale publique, et cette impunité pourrait avoir pour effet de compromettre la durée des privilèges qui nous sont accordés par le traité.
Tel est cependant, messieurs, l’état de notre législation en l’absence d’une loi qui règle la poursuite et la répression des délits et des crimes commis dans le Levant, envers un Français, envers un Autrichien, envers un sujet franc quelconque, d’un côté, aux termes des traités, il ne pourrait être réclamé par l’autorité turque, d’un autre, il ne pourrait non plus être condamné par nos lois, et qu’il jouirait de l’impunité, entre deux législations également impuissantes à l’atteindre. La législation consulaire la mieux établie dans le levant, celle qui est le plus consacrée par l’usage et que la Belgique et la Hollande suivent également c’est la législation française qui se combine de dispositions tirées de l’ordonnance de la marine du mois d’août 1681, de celle relative aux consulats, du 3 mars 1781 et de l’édit du mois de juin 1778, enregistré au parlement d’Aix en Provence, le 15 mai 1779. D’après cette législation, nos consuls y exercent les fonctions de juges de première instance en matière correctionnelle et en matière civile ; ils sont chargés de l’instruction des affaires criminelles et rendent leurs jugements assistés de deux notables désignés par eux, et choisis d’ordinaire, l’un par la partie demanderesse, l’autre par la partie défenderesse.
Les lois modernes ne permettent plus l’application de beaucoup de dispositions de l’édit de 1778. La France a modifié et complété sa législation consulaire par la loi du 23 mai 1836, ayant pour objet la poursuite et la répression des délits et des crimes commis par des Français dans les Echelles du Levant et de Barbarie. En vertu des dispositions de cette loi, la cour royale d’Aix en Provence reçoit les appels des jugements consulaires du Levant et elle juge, sans l’intervention du jury, les Français prévenus d’y avoir commis des crimes ou des délits.
Quant à la Belgique, sa législation actuelle n’offre, que je sache, aux justiciables belges ou européens du Levant, aucun moyen d’interjeter appel des jugements rendus par ses consuls.
Plusieurs appels de jugements ont été déposés à notre chancellerie de Constantinople sans qu’il ait pu y être donné suite. Il est à ma connaissance (page 287), en outre, qu’un mécanicien français, appelé par une maison belge à Constantinople, pour y monter un moulin à vapeur, s’est adressé plusieurs fois en vain à notre légation et au ministre des affaires étrangères pour obtenir qu’il soit donné suite à un appel qu’il avait déposé, à propos d’un jugement consulaire intervenu entre lui et cette maison belge. Dans l’embarras où l’on se trouvait, cette réclamation resta sans réponse, mais le silence que l’on fut forcé de garder à son égard n’en constitue pas moins un déplorable déni de justice, et il est indispensable de mettre un terme à un pareil état de choses, et d’assurer à nos nationaux du Levant et aux étrangers, les garanties que présentent plusieurs degrés de juridiction, et que réclame l’esprit de nos institutions. Il est nécessaire qu’une disposition législative leur donne cette garantie et qu’elle désigne la cour de Belgique où il sera interjeté appel des décisions consulaires. Il est tout aussi important que la loi à intervenir définisse encore de quelle manière seront poursuivis et jugés les délits et les crimes commis par les Belges dans les échelles du Levant et des régimes barbaresques.
Aujourd’hui, messieurs, à Constantinople, par exemple, si un Belge commettait un assassinat sur la personne d’un autre Belge, ou sur la personne d’un chrétien quelconque, il jouirait de l’impunité ; la loi ne pourrait l’atteindre, et elle serait impuissante à assurer la punition du crime. En effet, messieurs, les pouvoirs du ministre ou du consul se borneraient à le faire arrêter, à le renvoyer en Europe par le premier bateau belge partant pour cette destination, et à transmettre au ministre des affaires étrangères l’instruction établie à sa charge. Mais le navire arrivé en Belgique, que ferait-on du prévenu ? A quel tribunal le ferait-on comparaître ? Quelle disposition législative pourrait-on lui appliquer ?
A Constantinople on aurait bien pu remplir les formalités de l’instruction, de récolement et de la confrontation. Mais, d’après les lois qui nous régissent, ces formalités seraient-elles suffisantes pour obtenir la condamnation de l’accusé ? Ne devrait-il pas passer devant le jury ? L’instruction du jury permet-elle le prononcé du jugement sur procédure écrite seulement ? Cette instruction n’exige-t-elle pas, comme principe, le débat oral ? Alors comment faire entendre les témoins, comment les faire venir d’un pays aussi lointain ? Je ne crois pas me tromper, messieurs, en avançant que le prévenu ne pourrait être condamné ; il pourrait même retourner à Constantinople, et dans cette capitale des mohamétains, où les Osmanlis ont, comme les autres hommes, l’habitude de juger de l’inconnu par le connu, son retour formerait un singulier contraste avec cette justice, cette civilisation européennes si vantées à Stamboul, et que les gouvernements chrétiens s’efforcent de faire introduire dans les mœurs de ce pays.
Il est de la dernière urgence, messieurs, de combler cette lacune de notre législation, et qu’une loi fixe les incertitudes, règle les difficultés dont je viens de donner une indication seulement très-sommaire. Nos relations commerciales tendent à s’agrandir ; elles prennent de l’accroissement avec les pays situés par-delà les mers. J’en ai parcouru quelques-uns, et partout j’ai rencontré des Belges, j’ai trouvé des maisons de commerce belges. Si nous voulons être considérés au dehors, l’impunité ne doit pas être acquise à la mauvaise foi et au crime. Et puis, messieurs, veuillez le remarquer, les gouvernements étrangers auraient le droit de se plaindre, si des Belges, sur lesquels planent des accusations graves, restaient impunis.
Dans l’intérêt donc de la bonne administration de la justice, dans l’intérêt de nos justiciables nationaux du Levant, dans l’intérêt de nos rapports internationaux, dans celui de la conservations de l’honneur et de la dignité du nom belge dans les pays lointains, je prie M. le ministre de la justice de s’entendre avec son collègue M. le ministre des affaires étrangères, et de nous présenter un projet de loi ayant pour objet la poursuite et la répression des contraventions, des délits et des crimes commis par des Belges dans les échelles du Levant et des Etats de Barbarie, et prescrivant la législation à appliquer par nos consuls dans ces mêmes échelles.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – L’honorable préopinant vient de soulever une question extrêmement importante et extrêmement grave. Cette question, messieurs, a déjà été examinée par le gouvernement, en 1838. Une correspondance a été suivie alors entre le département de la justice et le département des affaires étrangères ; les difficultés que la question soulève ont été discutées entre les deux départements ; le gouvernement, à cette époque, n’était pas en possession des renseignements dont il avait besoin pour formuler un projet de loi ; il a cherché à les recueillir, mais dans l’intervalle l’affaire semble avoir été abandonnée ; du moins je n’ai pas trouvé au département de la justice de traces d’un examen ultérieur qui aurait été fait de cette question, depuis 1838. Seulement, en 1841, à l’occasion d’un procès civil qui avait été entamé à Constantinople, devant le consul, le ministre de la justice a été consulté par son collègue des affaires étrangères sur la question de savoir devant quelle cour ou devant quel tribunal on devait porter en Belgique l’appel de la décision rendue à Constantinople par le consul belge.
D’après l’acte d’appel, il semblait que, suivant l’usage établi à Constantinople en vertu de l’ordonnance de 1681, publiée en Belgique et rapportée dans le code Merlin, c’était le ministre de la puissance à laquelle appartenaient les parties litigantes, qui devait désigner la cour chargée de connaître de l’appel.
Telle a été la réponse de mon honorable prédécesseur. Je ne sais s’il a été donné suite à cette affaire. Je ne sais si le tribunal désigné par notre ministre à Constantinople s’est reconnu compétent, ni même si l’affaire lui a été déférée.
Je reconnais, avec l’honorable M. Pirson, la gravité de cette question ; je le remercie d’avoir appelé sur ce point l’attention du gouvernement, qui est fera l’objet d’un examen très approfondi.
M. de Brouckere – J’avais l’intention de présenter à la chambre quelques nouvelles observations sur le système suivi en Belgique, en ce qui concerne l’exécution des peines. J’aurais pu étayer ces observations de quelques faits plein d’intérêt que j’étais allé recueillir en visitant, depuis la dernière session, quelques prisons et quelques dépôts de mendicité du royaume. Mais dans un des dernières séances, M. le ministre de la justice a présenté à la chambre un projet de loi tendant à un système pénitentiaire nouveau. Je me suis donc décidé à ajourner mes observations jusqu’au moment où nous discuterons le projet de loi. Je les ajourne d’autant plus volontiers que j’applaudis à la pensée qui a présidé à la rédaction de ce projet de loi.
Je félicite le gouvernement d’avoir adopté, comme base du système, l’isolement de jour et de nuit, qui, selon moi, est le seul efficace. Cependant, je dois dire qu le projet de loi me paraît incomplet. Ce qui est plus incomplet encore, c’est l’exposé des motifs. Je désirerais que M. le ministre de la justice voulût bien nous présenter, quand ses occupations le lui permettront, un travail plus complet relativement aux prisons. Ce travail devra faire connaître à la chambre que était l’état actuel des choses, en ce qui concerne l’exécution des peines, quelles sont les maisons de réclusion et de détention, où les condamnés des différentes catégories subissent leur peine, quel régime est adopté dans chacune d’elles, et surtout quelles différences existent entre les traitements que subissent les condamnés des différentes catégories, quels sont les inconvénients qui ont été reconnus résulter du système actuellement suivi, quel a été chaque année le nombré des récidives.
En un mot, je désirerais un rapport complet sur l’état actuel des prisons et sur le résultat du système suivi jusqu’à ce jour.
Je suppose que M. le ministre de la justice ne refusera pas ce travail, où la chambre puisera les éléments nécessaires pour voter ce projet de loi.
Je remarque à la page 6 (mon observation porte moins sur le projet de loi, ce qui serait prématuré, que sur ce qui existe actuellement), que l’on admet la possibilité d’avoir une maison de détention commune à des condamnés de différentes catégories. Je crois qu’il faut, autant que possible, éviter cela. C’est ainsi (c’est un fait postérieur à la discussion de l’année dernière) qu’aujourd’hui il y a à Vilvorde, prison affectée aux individus condamnés à la réclusion, des individus condamnés à un emprisonnement correctionnel. Je sais que ce sont les plus mauvais, les récidifs, en un mot.
Il n’en est pas moins fâcheux que ces condamnés correctionnels soient (sauf quelques différences qui ne peuvent concerner que le salaire qu’ils peuvent gagner et qu’ils reçoivent) assimilés aux réclusionnaires. En effet, c’est d’après la maison de détention qu’on apprécie, en général, le genre de crimes ou délits commis par les condamnés. Si un individu est à Gand, on le suppose condamné à perpétuité. S’il est à Vilvorde, tout le monde le regarde comme condamné à la réclusion, c’est-à-dire à une peine infamante. S’il est à St-Bernard, il n’est considéré que comme condamné correctionnellement. Quand un condamné correctionnel se présente, comme sorti de la maison de Vilvorde, pour être ouvrier dans une fabrique, ou pour travailler à un état quelconque, on le regarde comme condamner à une peine infamante. Je crois que c’est un véritable préjudice pour ce condamné.
Si, dans l’état actuel des choses, on n’a pu faire autrement, je désire que, quand on régularisera le système pénitentiaire, on fasse cesser cette confusion, que je ne crains pas d’appeler un abus.
Les journaux ont appris à tout le monde dans le pays q’il a été question de la suppression de la prison de Saint-Bernard. Une instruction se fait. J’espère qu’elle déterminera le gouvernement à renoncer à la suppression de la prison de Saint-Bernard. Je le désire, parce que j’ai la conviction que cette prison peut être appropriée au nouveau système qu’il s’agit d’établir, c’est-à-dire au système d’isolement absolu.
Le nombre des individus détenus dans chaque prison devait diminuer dans ce système, peut-être devra-t-on établir une seconde prison correctionnelle.
Toutefois j’en doute, parce que je regarde comme certain que, quand on aura établi un système de détention convenable le nombre des détenus diminuera considérablement, par deux motifs : le premier, parce que le temps de la détention sera moins long ; car vous avez vu dans le projet que les condamnés qui subiront l’isolement verront, par là même, leur peine abrégée. Ainsi le nombre des détenus diminuera. Dans ma pensée, si le système est appliqué avec sagesse, cette diminution sera considérable.
Je bornerai là mes observations. J’espère que M. le ministre de la justice voudra bien nous promettre le travail que je lui ai demandé et auquel j’attache la plus grande importance.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, l’honorable préopinant vous a dit que le projet de loi que j’ai présenté à la chambre était incomplet ; il a ajouté que ce qui était surtout incomplet, c’était l’exposé des motifs.
L’honorable membre désirerait que je fisse un rapport sur le régime qui est appliqué dans les prisons, et que j’indiquasse quelles sont les prisons qui reçoivent les différentes catégories de condamnés.
Messieurs, je ne croyais pas qu’il fût nécessaire de rien signaler relativement à ces objets, qui se trouvent réglés par des arrêtés publiés depuis longtemps. Ces arrêtés déterminent la destination et le régime des prisons, et la différence existante entre les diverses catégories de condamnés.
Cette différence, messieurs, comme je l’ai déjà dit l’année dernière, lors (page 288) de la discussion du budget de la justice, n’a pu, dans le système actuel, consister que dans la hauteur plus ou moins grande des gratifications. Cette différence n’est pas suffisante, et c’est entres autres motifs pour faire cesser cet abus, pour établir dans les peines une gradation convenable, que j’a été amené à proposer le système que j’ai présenté, système qui permettra de graduer les peines suivant les degrés de criminalité.
L’exposé des motifs du projet de loi qui vous est présenté, aurait pu, messieurs, entrer dans de nombreux détails. Mais je n’ai pas pensé qu’il fallût suivre cette marche ; il m’a paru qu’il était préférable d’exposer nettement les questions qui se présentaient, de les discuter en principe et d’établir lequel des deux systèmes (car il n’y a que deux systèmes en présence) devait être suivi. J’ai bien pensé qu’à la section centrale des explications me seraient demandées ; et je me suis réservé de faire alors connaître les faits qui n’auraient pu trouver place dans un exposé de motifs, et de signaler en détail les inconvénients qu’entraîne le système actuel ; je suis en mesure de donner à cet égard tous les renseignements qui me seront demandés.
M. de Brouckere – Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – L’honorable membre, parlant du projet présenté, a signalé un article où il est fait mention de la réunion possible dans une même prison de condamnés de catégories différentes. Cet article, messieurs, n’est relatif qu’à la prison de Namur ; parce que cette prison, prison nouvelle dont la population ne se compose que d’environ 500 femmes qui ne sont pas soumises au régime cellulaire, doit continuer à renfermer les femmes condamnées à l’emprisonnement correctionnel, à la réclusion et aux travaux forcés. Mais, quant aux prisons destinées aux hommes (et le projet l’explique à l’art. 2), il y en aura pour chaque catégorie de condamnés.
L’honorable M. de Brouckere, en citant ces réunions de condamnés de catégories différentes, vous a dit qu’à Vilvorde, prison destinée aux condamnés à la réclusion, se trouvaient placés quelques individus condamnés seulement à des peines correctionnelles.cela est très-vrai, messieurs ; mais cela a été fait, l’honorable membre ne l’ignore pas, à cause de l’encombrement de Saint-Bernard. Saint-Bernard pouvait à peine contenir le nombre d’individus qui devaient y subir leur peine. Il y avait dans cette prison 13 à 1400 individus. Le nombre est réduit maintenant à 1,182, par suite de la mesure qui a été prise, et d’après laquelle les individus condamnés correctionnellement, mais qui avaient déjà subi une première condamnation, ont été transférés à Vilvorde. Cette mesure a été adoptée, je le répète, à cause des dangers que l’agglomération des détenus à Saint-Bernard faisait courir à la santé et à la moralité des détenus. J’ai pensé, dans cet état de choses, qu’il était opportun de faire une « classe à part » des condamnés correctionnellement dont une condamnation antérieure révélait les penchants vicieux et incorrigibles, et de ne pas les confondre avec les détenus condamnés pour une première faute.
Du reste, ces individus qui sont à Vilvorde, y sont astreints au régime suivi à saint-Bernard, et sont séparés des individus condamnés pour crimes.
Messieurs, l’honorable M. de Brouckere vous a parlé de la suppression de Saint-Bernard ; il vous a dit qu’une instruction se faisait à cet égard. Cette instruction n’est pas terminée. Cette instruction porte principalement sur la question de savoir si l’emplacement de Saint-Bernard n’est pas nuisible à la santé des détenus à cause du voisinage de l’Escaut, et d’autres circonstances de localité.
Dans tous les cas, je pense que lors même qu’on conserverait la prison de Saint-Bernard, il sera nécessaire d’en construire une autre, parce qu’il est reconnu que les prisons cellulaires ne peuvent être construites au maximum que pour 600 individus. Or la population de Saint-Bernard est aujourd’hui, comme je l’ai dit, de 1,182 individus, et elle serait de 1,300, si elle contenait tous ceux qui devraient s’y trouver et qui sont momentanément à Vilvorde.
J’admets sans doute que le nouveau projet diminue considérablement le nombre des crimes et délits, mais il me paraît difficile d’espérer que ce nombre soit réduit de telle sorte qu’il n’y ait plus que cinq à six cents individus pour lesquels une prison correctionnelle soit nécessaire. Il me semble donc, messieurs, que tout en conservant Saint-Bernard, la construction d’une autre prison sera indispensable.
M. Castiau – Ainsi que l’honorable M. de Brouckere, je remercie M. le ministre de la justice de s’être enfin décidé à nous présenter un projet de loi sur le système pénitentiaire. C’était là, vous vous le rappelez, le but de nos efforts, lors de la dernière discussion du budget de la justice. Alors M. le ministre semblait vouloir trancher seul cette question grave, sans la soumettre à l’examen de la chambre. J’ai combattu de toutes mes forces cette prétention, et j’ai été heureux de voir le gouvernement l’abandonner pour déférer la question au seul pouvoir qui pouvait la décider : le pouvoir parlementaire.
Mais, ainsi que l’honorable M. de Brouckere aussi, je ne puis m’empêcher de poursuivre de ma critique l’insuffisance du projet de loi sur le système pénitentiaire. L’exposé de motifs se résume en quelques lignes froides et sèches. Peu de questions plus importants furent soumises aux délibérations, et jamais on ne déplora un tel laconisme ; il semblerait qu’on ait voulu abandonner à elle-même cette difficile question, au risque de la faire échouer devant les résistances qu’elle doit inévitablement rencontrer.
Car la question n’est pas l’une de ces questions sur lesquelles il y a accord entre tous les esprits et toutes les opinions. C’est une question toute moderne, posée d’hier seulement et qui, comme toutes les idées nouvelles, soulève de nombreuses et vives résistances… Il y a quelques mois à peine que cette question était soumise à la chambre française, et vous vous le rappelez, elle y donnait lieu aux discussions les plus vives et les plus passionnées. Si le système nouveau y comptait de nombreux partisans, il y rencontrait aussi d’ardents adversaires. En dehors des chambre, le débat était plus vif encore. Des deux côtés, on invoquait des considérations également puissantes. C’est au point que ceux mêmes qui d’abord s’étaient le plus vivement passionnés pour le nouveau système, se trouvaient presque ébranlés dans leur conviction par le nombre de leurs adversaires et la gravité des arguments qu’ils invoquaient.
Tel est aussi l’état des esprits en Belgique. Partout encore résistances, doute et hésitation. L’innovation proposée y rencontrera inévitablement aussi de vives résistances. Jamais donc il ne fut plus nécessaire de s’adresser à l’opinion publique, d’éclairer les esprits, de dissiper les préventions qui peuvent les aveugler encore ! et il n’y a pas dans l’exposé des motifs un seul argument de quelque valeur pour justifier l’adoption du nouveau système.
Je ne puis donc que me réunir à la demande de l’honorable M. de Brouckere ; je demande avec lui, et avec un redoublement d’insistance, que M. le ministre de la justice nous présente d’abord un rapport sur l’état actuel de nos prisons ; car c’est là le point de départ !.. Il faut bien constater que nos prisons, dans l’état actuel des choses, sont des foyers de crimes et de sentines de démoralisation ; une fois que cette conviction aura frappé les esprits, alors évidemment nous serons tous d’accord sur la nécessité de proscrire le régime actuel et de recourir à un nouveau système de pénalité et de moralisation. Alors seulement commencera la tâche du gouvernement.
Il faudra que M. le ministre de la justice fasse accepter par l’opinion et dans cette chambre, l’idée nouvelle qu’il vient d’y introduire. Et pour y parvenir, pour désarmer les résistances qui l’attendent, il faudra qu’il arrive devant nous avec des documents, des preuves et des justifications de toute espèce. Il ne lui suffira pas, ainsi qu’on vient de le dire, qu’il attende les interpellations, et qu’il se décide alors seulement à apporter dans cette enceinte les faits et les preuves qui seraient de nature à renverser les objections nombreuses que rencontrera son système, il faut qu’il devance les interpellations qu’il ne s’adresse pas seulement aux membres de cette chambre, mais qu’il s’adresse encore à l’opinion publique, qui ne restera pas impassible en présence d’une telle question. Ne cessons de le répéter : c’est une idée nouvelle, une innovation radicale qu’il s’agit d’introduire dans nos moeurs, en même temps que dans nos lois ; l’opinion a besoin d’y être préparée, et l’on ne peut, quand il s’agit d’intérêts aussi graves que ceux qui touchent à des questions d’existence, environner les innovations de trop de précautions, de sollicitudes et de garanties.
Je demanderai donc que M. le ministre de la justice veuille bien compléter son travail et l’exposé des motifs qu’il nous a soumis ; je demanderai d’abord que M. le ministre joigne aux quelques lignes de son projet, un exposé complet de l’état de la question pénitentiaire. Cet exposé contiendrait les principaux arguments qui sont produits dans l’intérêt de l’une ou de l’autre opinion. Le but de cet exposé serait, s’il est possible, de dissiper et les répugnances et les préventions, si on le veut, que son système de réforme pénitentiaire pourrait encore rencontrer dans cette chambre et en dehors de cette enceinte.
Je demanderai ensuite que M. le ministre veuille bien joindre à cet exposé un rapport détaillé sur les différentes maisons pénitentiaires qui existent maintenant en Europe et en Amérique, et qu’il accompagne ce rapport de la statistique raisonnée de ces maisons pénitentiaires. Il convient que nous soyons, avant tout, éclairés sur les résultats que l’adoption du nouveau système pénitentiaire a réalisés chez les autres peuples qui en ont tenté l’application. Ce sera là un des principaux éléments de la discussion.
Ce n’est pas encore tout : pour faire adopter le système qu’il présente, il ne suffira pas que M. le ministre de la justice s’étaye de l’expérience des pays étrangers, il faudra encore que, dans cette circonstance, il ait recours aux lumières de la science. Dans le projet de loi présenté par M. le ministre de la justice, il ne s’agit pas seulement d’une question de réforme pénale, il s’agit encore de questions de science et d’hygiène sur lesquelles aussi les esprits sont en suspens. On a fait peser des accusations effrayantes sur le régime pénitentiaire et sur ses résultats. On a prétendu que, dans certains cas, l’application de ce système pouvait provoquer au suicide, pousser à la démence et décimer la population des prisons. Je suis loin de m’associer à ces accusations ; mais c’est précisément pour en faire justice et pour rassurer les esprits que je demande que le projet se présente ici environné de toutes les lumières de l’expérience, de toutes les ressources et de toutes les autorités de la science.
Je demanderai encore à M. le ministre qu’il veuille bien faire accompagner son travail d’un plan détaillé d’une prison pénitentiaire. En effet, cela est d’une haute importance, car c’est surtout le plan et la distribution des maisons pénitentiaires actuelles, qui ont été l’objet de vives critiques. Ainsi, pour des essais faits en France, on blâme amèrement la construction des cellules et des préaux ; l’on a été jusqu’à prétendre que les préaux et les cellules étaient en quelque sorte des catacombes vivantes, qu’il était impossible d’y respirer et d’y vivre. Eh bien, il faut connaître le plan que M. le ministre de la justice entend adopter, pour savoir s’il échappe à ces critiques ; il faut connaître la distribution complète de ces édifices nouveaux, l’étendue des cellules et des préaux, les moyens d’assainissements ; ce sont là toutes questions que se lient à la question principale et qui doivent être traitées en même temps que celle-ci. Car, avant d’adopter le nouveau système, il faut que nous le connaissions dans toutes ses parties.
(page 289) Je demanderai encore que M. le ministre de la justice nous communique les règlements généraux dont il est parlé dans un article du projet et qui doivent être le complément de la loi. Ces règlements généraux doivent être préparés en ce moment, puisqu’ils se lient à l’ensemble de la loi dont ils doivent assurer l’exécution. Or, il convient de connaître la limite où le gouvernement entend s’arrêter ; car, à l’aide de ces règlements généraux, il pourrait fausser et modifier la pénalité et renverser ainsi l’œuvre du pouvoir législatif ; et c’est ainsi surtout que des garanties sont à prendre pour que l’humanité n’ait pas à souffrir des abus du pouvoir et des excès de l’arbitraire.
Il est intéressant de connaître, dès à présent, ces règlements généraux qui doivent porter non-seulement sur le travail et l’instruction des détenus, mais encore sur la manière dont ils subiront la pénalité, sur la liberté dont ils pourront jouir, sur les promenades qu’ils pourront faire, sur la fréquentation des personnes qui pourront avoir accès auprès d’eux. De telles dispositions, il faut le reconnaître, touchent essentiellement à la pénalité elle-même ; elles la constituent tout entière en quelque sorte ; comment donc seraient-elles soustraites à notre appréciation ? J’insiste donc pour connaître les règlements spéciaux que le gouvernement entend appliquer dans les nouvelles maisons pénitentiaires. Ce n’est que lorsque nous aurons à notre disposition tous ces documents et toutes ces pièces que nous pourrons aborder, en connaissance de cause, la difficile et vaste question que M. le ministre a introduite dans cette enceinte.
Une dernière demande encore, et celle-là sans doute ne rencontrera pas de difficulté de la part de M. le ministre de la justice : c’est de vouloir faire imprimer et distribuer aux membres de la chambre non les discussions, ce serait trop long, mais le projet de loi, qui dans le cours de l’année a été adopté en France : les dispositions de ce projet nous serviront de point de comparaison, pour apprécier le système de notre ministère de la justice et les améliorations qu’il pourrait contenir.
Puisque j’ai la parole, je terminerai, messieurs, par l’accomplissement d’un devoir de justice et de vérité. Dans une de nos précédentes séances, il m’est arrivé d’attaquer, et d’attaquer avec quelque vivacité, non pas M. le ministre, mais les fonctionnaires du département de la justice. Je les ai attaqué en masse ; j’ai accusé leur zèle et leur capacité. Eh bien, mieux informe aujourd’hui, je dois dire que plusieurs de ces fonctionnaires, ceux surtout qui s’occupent de l’administration des prisons et des établissements de bienfaisance, déploient le zèle le plus louable et le plus actif. Il y a surtout parmi eux un homme qui n’a cessé de rendre les plus importants services à l’humanité qui a droit à la reconnaissance du pays. Le nom de cet homme a franchi nos frontières, et ses infatigables travaux l’ont fait connaître des savants de tous les pays. C’est à lui en partie, c’est à son influence que l’on doit de voir enfin introduire dans cette enceinte toutes les questions de progrès pénal et de réforme pénitentiaire. C’est donc avec empressement que je saisis l’occasion de réparer le mal que j’ai pu faire. Je le déclare hautement : loin d’avoir voulu l’attaquer lui et les hommes utiles qui s’associent à ses persévérants travaux, je rends au contraire l’hommage le plus complet à leur zèle, à leur dévouement et à leur capacité.
M. de Brouckere – Messieurs, les questions que soulèvera dans cette chambre l’introduction d’un nouveau système pénitentiaire sont d’une portée immense, cela est incontestable ; il ne faut pas se dissimuler non plus que l’adoption d’un nouveau système entraînera des dépenses considérables. Voilà deux faits qui seront avoués par tout le monde. Eh bien, je ne crains pas d’annoncer à M. le ministre de la justice que, s’il ne présente pas un rapport supplémentaire, son projet ne sera examiné par aucune section (C’est vrai !), parce qu’aucune section ne sera à même de se prononcer sur des questions de la plus haute importance, tant en ce qui concerne la sûreté de la société qu’en ce qui concerne les dépenses qui seront la conséquence de l’adoption du projet de loi.
M. le ministre de la justice répond qu’il est prêt à donner ces renseignements à la section centrale ; mais on ne constituera pas de section centrale, car, je le répète, pas une section ne voudra se prononcer sur le projet de loi de M. le ministre de la justice, sans avoir d’autres documents que l’exposé des motifs qui accompagne le projet.
M. le ministre de la justice a dit que des arrêtés réglaient quelques-uns des points dont j’ai parlé. Je le sais très-bien, mais devons-nous aller les chercher dans tous les recueils ? devons-nous nous assurer surtout quelles sont les dispositions de chaque arrêté, qui sont encore en vigueur aujourd’hui ? Car ils ont été modifiés successivement, quant à certaines dispositions. Il faut que nous sachions quels sont les arrêtés en vigueur, et surtout, quelles sont les dispositions de chacun de ces arrêtés, qui ont été successivement abrogés, soit par des arrêtés royaux, soit même par des dispositions ministérielles, comme cela est arrivé.
M. le ministre de la justice a raison ; son projet pose des questions, et il les pose très-nettement, et d’une manière qui me convient, à moi, parfaitement ; mais malheureusement l’exposé des motifs ne nous met pas à même de résoudre les questions.
Je ferai une dernière observation : c’est que l’on a fait à Gand un essai du système d’isolement complet. Il y a, je crois, une vingtaine de détenus qui sont soumis, à Gand, au système d’isolement. Eh bien, dans le rapport supplémentaire que M. le ministre de la justice nous présentera, j’en suis certain, je désire qu’on nous dise quels ont été les résultats de cet essai. L’essai fait à Gand, je le sais fort bien, a été incomplet, et d’autant plus incomplet, que plusieurs des individus, détenus dans les cellules, se trouvent dans une catégorie spéciale.
Du reste, M. le ministre de la justice doit reconnaître que, dans la demande que nous lui faisons, l’honorable M. Castiau et moi, nous manifestons uniquement le désir de l’aider dans l’entreprise qu’il a tentée et à laquelle nous avons, l’honorable M. Castiau et moi, donné tous les éloges qu’elle mérite.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, le cercle du rapport qui m’était d’abord demandé par l’honorable M. de Brouckere s’élargir considérablement : l’honorable membre n’avait parlé que d’un rapport à faire sur l’état des prisons en Belgique. L’honorable M. Castiau demande davantage, il m’a indiqué sept point sur lesquels il désire que je donne des éclaircissements à la chambre.
Je suis loin de me refuser à satisfaire aux demandes de ces honorables membres ; mais je ne puis dissimuler à la chambre, que le travail demandé est un travail de très-longue haleine et, d’après les bases que vient d’indiquer l’honorable M. Castiau, il reconnaîtra lui-même qu’il était impossible de les comprendre toutes dans un exposé des motifs. J’ai posé, dans mon premier travail, les points susceptibles de discussion, et j’ai indiqué les motifs de la solution que j’adoptais. L’honorable M. de Brouckere reconnaît que la question est bien posée. Je ne devais pas faire autre chose en présentant la loi. Je me réservais de donner à la section centrale des explications plus étendues si elles étaient jugées nécessaires. Ces honorables membres pensent qu’il est préférable que les explications soient données préalablement. Je ne vois aucun motif de m’opposer à cette demande.
Le rapport à faire devra contenir un exposé de l’état de la question pénitentiaire ; j’ai les éléments de ce travail, mais il faudra les coordonner, et cela retardera l’examen du projet de loi. Quant aux maisons pénitentiaires de l’étranger, je pourrai fournir tous les renseignements qui les concernent, au moins en ce qui concerne la France, où il existe, je pense, trois maisons pénitentiaires : celle de la Roquette, celle de Tours et celle de Bordeaux. J’ai le plan de celle de Tours, qui est, je crois, la plus remarquable. Quant à l’Angleterre, je suis en possession de tous les documents relatifs à la prison modèle de Pentonville. J’ai aussi des détails sur les prisons en Suisse ; j’en recueillerai sur celles que l’on construit dans les Pays-Bas.
En Amérique il y a, comme la chambre le sait, des prisons d’après différences systèmes. Cette diversité de systèmes et l’insuffisance de données statistiques, ne permettront peut-être pas de fournir des détails suffisants, et surtout d’en tirer des conséquences à l’abri de toute critique.
Quant aux plans des maisons pénitentiaires, je ne ferai pas difficulté de les faire connaître à la chambre ; le plan arrêté pour la prison de Liége pourra prochainement être mis sous vos yeux ; mais la chambre comprendra facilement que les plans doivent varier suivant les locaux qu’il s’agira d’approprier au nouveau système. On ne voudra dans doute pas construire partout des prisons entièrement neuves ; la question d’économie doit aussi nous préoccuper, et nous engager à conserver tous les bâtiments susceptibles de recevoir les changements convenables.
Un article du projet porte que les règlements d’administration publique devront être faits pour établir la manière dont la peine sera subie.
L’honorable membre aura remarqué dans la nomenclature des bases tracées par ces règlements, qu’elles sont de nature à donner pleine garantie, en mentionnant l’obligation d’accorder des promenades, de donner des soins hygiéniques, de procurer l’instruction morale et religieuse, etc. ; ces règlements ne sont pas encore minutés, mais ils existent en germe, si je puis parler ainsi, et lors de la discussion de la loi, je pourrai les faire connaître à la chambre.
L’honorable membre désire que le projet de loi adopté en France soit imprimé. Rien de plus facile ; je le joindrai aux pièces. Le système d’isolement existe déjà en partie, dit l’honorable M. de Brouckere, dans la prison de Gand. Il y a en effet 20 à 30 cellules. Mais on ne pourrait tirer aucune induction de leur emploi, car les individus qu’on y enferme y sont ou en punition ou volontairement, et n’y sont du reste pas assez longtemps pour qu’on puisse tirer aucune conséquence du séjour qu’ils y ont fait.
Le système pénitentiaire, introduit à Gand, est vicieux, et loin d’être complet, il n’est pas encore organisé d’une manière convenable. Je pense même que, pendant un hiver rigoureux, il serait impossible d’y laisser les détenus.
Mon rapport contiendra, au reste, des détails sur ce système pénitentiaire, et je ferai ce rapport aussi promptement que cela me sera possible.
En terminant, je dois remercier l’honorable M. Castiau de la justice qu’il vient de rendre aux fonctionnaires de mon département. Je n’attendais pas moins de sa franchise et de son impartialité.
M. de Villegas – Je n’ai pas demandé la parole pour attaquer ou pour défendre le projet de loi relatif au système pénitentiaire, que le gouvernement semble avoir adopté définitivement. Cette discussion serait anticipée, inopportune. Toutefois, je me joins aux observations qui vous ont été présentées par d’honorables préopinants, en tant qu’elles ont pour but de réclamer les renseignements propres à nous mettre à même d’examiner avec fruit le système pénitentiaire du gouvernement. Je désire que M. le ministre de la justice puisse faire publier et distribuer le travail supplémentaire qu’il a annoncé, avant l’examen en sections du projet de loi auquel il a été fait allusion.
Je n’ai demandé la parole que pour signaler une lacune qui se trouve dans la législation pénale. Il existe une loi portant la date du 7 octobre 1831, relative au dépôt d’armes et de munitions de guerre, qui porte, article 6 : « Il est défendu à toute personne de vendre ou d’acheter des armes de guerre ou des pièces faisant partie de ces armes, qui portent l’une des empreintes mentionnées à l’article précédent, et des effets d’habillement, (page 290) d’équipement ou d’armements militaires, à moins qu’ils ne portent les marques de rebus. »
La loi commine une peine assez forte contre ceux qui contreviendraient à cette disposition.
L’article final porte : « La présente loi n’aura force obligatoire que jusqu’à la paix. »
Je peux vous assurer que depuis 1839 les plaintes de l’autorité militaire, concernant la vente et l’achat des effets militaires, n’ont pas cessé, surtout dans les villes de garnison. En l’absence d’une disposition pénale, ces plaintes sont restées impoursuivies. Ne faudrait-il pas qu’une loi pût réprimer de pareils faits.
Puisque j’ai la parole, je ferai une autre observation que j’avais eu d’abord l’intention de présenter à la discussion des articles ; mais je crois qu’elle aura ici un caractère d’opportunité ; elle est relative à la circonscription cantonale. Pour ma part, je ne pense pas que la chambre soit décidée à aborder, dans la session actuelle, le travail important de l’organisation cantonale. D’une part, le travail peut ne pas être complet, et, d’un autre côté, il se rattache au système électoral des provinces. Vous vous rappellerez, messieurs, que dans le projet qui a été présenté en 1833 ou 1834 par M. le ministre de la justice, il se trouve un titre relatif au notariat. Le gouvernement avait l’intention d’abroger la distinction établie par l’art. 5 de la loi du 25 ventôse an XI entre les notaires de tribunaux de première instance et de justices de paix. D’après ce projet, tous les notaires pourraient exercer leurs fonctions dans toute l’étendue de l’arrondissement judiciaire du lieu de leur résidence.
Un rapport spécial a été présenté dans le temps sur le titre qui concerne le notariat. Quel inconvénient y aurait-il donc à soumettre à une discussion spéciale cet objet si important et qui intéresse autant le public que les notaires ? Il existe, à la vérité, une corrélation entre le projet de la circonscription cantonale et les dispositions qui concernent le notariat, mais je ne suis pas convaincu de l’impossibilité qu’il y aurait de distraire le titre relatif au notariat du restant du projet, d’autant plus qu’un rapport spécial vous a été présenté à cet égard.
Je pense que M. le ministre voudra bien prendre en considération les observations qui précèdent, et qu’il ne s’opposera pas à la discussion immédiate et spéciale du projet de loi qui concerne le notariat. Au surplus, si mes renseignements sont exacts, le département de la justice est prêt à aborder la discussion.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Il existe une loi de 1817, je pense, relative à la vente d’armes et d’objets militaires ; mais cette loi est incomplète, je le reconnais, et laisse une lacune depuis que la loi d’octobre 1831 n’est plus en vigueur. Cette lacune a été depuis longtemps signalée aux départements de la guerre et de la justice. Je puis annoncer que les deux départements sont à peu près d’accord sur le projet à présenter, et qu’il sera prochainement soumis à la chambre.
Quant au projet de loi sur le notariat, dont a parlé l’honorable M. de Villegas, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’il soit distrait du projet de loi sur la circonscription cantonale.
J’ai complété le projet de loi présenté en 1834, par l’honorable M. Lebeau, et j’en ai fait l’objet d’un projet spécial et nouveau, qui ne tardera pas à vous être présenté. Différentes modifications y sont introduites pour améliorer la loi de ventôse an XI et faire cesser les vices et lacunes que l’expérience a signalés.
M. Orts – Je me propose d’appeler, pendant quelques instants, l’attention de M. le ministre de la justice sur des économies à faire dans le budget de la justice.
Les améliorations apportées au sort de la magistrature étaient une dette, une dette de 5 à 6 cent milles francs. Il serait fort heureux que l’on pût trouver, dans des économies, des ressources avec lesquelles on ferait face à cette dépense concernant l’ordre judiciaire.
Je commencerai par les cours d’appel, et je prendrai plus spécialement pour texte de mes observations la cour d’appel de Bruxelles. Ce que je dirai pourra également s’appliquer en partie aux deux autres cours d’appel. Cette cour était accablée, il y a cinq ou six ans, d’un arriéré considérable ; le nombre de magistrats, fixé par la loi de 1832, était évidemment insuffisant. Une loi portée, il y a quelques années, augmenta de trois magistrats le personnel de la cour d’appel ; il n’y avait que deux chambres ; il en fut établie une troisième. L’arriéré est considérablement diminué. Tout annonce qu’à la fin du terme pour lequel a été prorogée la création de cette troisième chambre, terme qui expire, si je ne me trompe, dans deux ans, l’arriéré sera tellement diminué que sans inconvénient la troisième chambre pourra être supprimée.
Mais il me semble que, si dans deux ans, on doit supprimer trois magistrats de la cour d’appel, il conviendrait (j’appelle sur ce point l’attention de M. le ministre de la justice) de ne pas remplacer les conseillers qui viendraient à décéder ou à être promus à des fonctions plus élevées ; cela dût-il, dès à présent, être déclaré par une loi spéciale.
La cour d’appel se compose de 27 membres. Chaque conseiller a un traitement de 6,000 fr. ; rien que la retraite de trois conseillers nommés pour l’établissement d’une chambre temporaire produirait une somme de 18,00 fr.
Je crois même qu’un président a été nommé pour le service de la 3e chambre. Il y aurait encore une économie à faire sur ce point. Il y aurait également à supprimer l’office de l’avocat-général nommé pour le service de la 3e chambre. Ainsi, voilà trois conseillers, un président et un avocat-général qui pourraient être supprimés, sans aucun inconvénient pour le service public.
Puisque je suis sur ce point, lorsqu’il sera question d’organiser, par une loi nouvelle, ce qui concerne le personnel des cours d’appel, ne conviendrait-il pas de fixer une bonne fois son attention sur les cours d’assises ? Il y a là un luxe étonnant de personnel ; cela tient à la législation.
Comment ! à Bruxelles, où il y a 27 conseillers, il y en a cinq qui sont affectés, par trimestre, au service de la cour d’assises du Brabant ; deux autres président les assises en province. Ainsi voilà, tous les trois mois, 7 conseillers absorbés par les affaires criminelles. Et pourquoi ? est-ce pour juger le fond ? Non ; les jurés décident toutes les questions de fait ; les magistrats ne sont là que pour appliquer la peine. Je pense que non-seulement il suffirait d’un magistrat assisté de deux collègues assesseurs pour remplir ces fonctions, mais même qu’un seul magistrat pourrait suffire.
Il en est ainsi en Angleterre : on choisir un homme très-instruit, très-éclairé, très au fait de la législation criminelle. Dans ce système, la mission d’un tel magistrat se bornerait à la police de l’audience, à l’observation des formes de la procédure et à l’application de la loi pénale. S’il se trompe à cet égard, la cour de cassation est là pour annuler ses décisions et faire observer la loi.
Ainsi un magistrat remplirait aussi bien ces fonctions que cinq conseillers à Bruxelles, qu’un conseiller assisté de quatre juges de première instance dans un chef-lieu de province.
Notez qu’une session de cour d’assises se compose maintenant de 3 ou 4 séries de 15 jours chacune, avec 8 jours d’intervalle pour l’interrogatoire des accusés et les devoirs de l’instruction. Il se trouve donc que la cour est privée de 5 de ses membres souvent pendant deux ois ou deux mois et demi, par trimestre.
Est-ce que l’administration de la justice souffrirait des économies que je viens d’indiquer ? Je ne le crois pas. La loi est telle ; mais il y a urgence de la changer.
Dans l’état actuel des choses, le service des assises dans les villes, où sont établies les cours d’appel, comme celui des tribunaux de première instance des chefs-lieux de province, qui ne sont pas le siège d’une cour d’appel, est désorganisé pendant la durée des assises.
Dans ce moment, une chambre entière de la cour d’appel de Bruxelles chôme pour le besoin des assises. Il y avait deux manières de s’y prendre, ou de faire chômer une chambre civile, ou de prendre dans chaque chambre le nombre de conseillers nécessaires pour le service des assises. On a essayé de ces deux expédients, et l’on s‘est arrêté au premier, qui consiste à faire chômer une chambre. Ainsi, la première chambre, où il y a des affaires civiles au rôle, reste six semaines ou deux mois sans se réunir.
Après tout, ce moyen est peut-être meilleur que celui qui consisterait à prendre des conseillers des trois chambres ; car ainsi, on les désorganiserait toutes. Quoi qu’il en soit, l’un comme l’autre système présente des inconvénients. Dès lors, il est, je pense, urgent de changer cet ordre de choses.
Avec une nouvelle organisation des cours d’assises, à laquelle resteraient étrangers les magistrats des cours d’appel, vous n’auriez, à la rigueur, plus besoin à la cour d’appel que de 15 conseillers ; 5 pour chacune des deux chambres civiles et 5 pour la chambre des appels de police correctionnelle. Mais, comme l’on ne peut pas se borner au strict nécessaire, au lieu de 15 membres, on pourra en porter le nombre de 18 à 20.
A Bruxelles, la cour se compose de 24 membres, d’après la loi de 1832, et de 27, d’après la loi de 1834, qui augmente le personnel. Du système que je viens de présenter, pourrait résulter une économie notable sur le personnel des cours d’appel.
En fait d’instruction des affaires de première instance, je vois que les frais sont extrêmement élevés ; le chiffre porté au budget est de 679,000 fr. Ne serait-il pas possible de faire encore ici des économies ? Je conviens encore qu’il faudrait changer la législation existante.
La citation des témoins devant les tribunaux de première instance se fait ou devant le juge d’instruction ou directement à l’audience. Il est à désirer qu’en matière correctionnelle on use le moins possible de la faculté de citer devant le juge d’instruction.
Les citations directes à l’audience sont plus expéditives et donnent lieu à de frais moins considérables ; car, après que l’on entendu les témoins devant le juge d’instruction, il faut les entendre de nouveau à l’audience. Les frais des témoins devant le juge d’instruction sont énormes ; ces citations doivent être faites par huissier ou par un agent de la force publique, conformément au Code d’instruction criminelle.
Ne pourrait-on pas, pour les citations devant le juge d’instruction (je ne parle pas des citations directes à l’audience), appeler les témoins par lettre chargée à la poste. Le porteur de lettres aurait un registre pour les reçus que devraient signer les témoins assignés ; quand ils ne sauraient pas signer, ils mettraient une croix. Les témoins qui ne répondraient pas à cet appel seraient assignés par huissier. On ferait ainsi sur ce seul article une économie qui, d’après ce qui m’a été assuré, serait de 40,000 fr. au moins.
Les frais de citation devant le juge d’instruction sont énormes ; il faut chercher à les faire diminuer ; car les trois quarts du temps, lorsqu’il s’agit d’affaires correctionnelles, c’est un hors-d’œuvre. Ceux qui doivent comparaître, étant cités par huissier, comparaîtront lorsqu’ils seront cités par lettre chargée, et les frais seront considérablement diminués. Si les témoins ne comparaissent pas sur appel par lettre chargée, il faudrait les faire citer par huissier. S’ils ne viennent pas sur cette citation, il est évident qu’ils devront être condamnés à l’amende, puisque la loi dispose ainsi.
En diminuant autant que possible les citations en matière correctionnelle devant le juge d’instruction, en faisant citer directement les témoins à (page 291) l’audience, en citant au grand criminel par lettre chargée, au lieu de citer par huissier, on économiserait une somme énorme sur ces frais montant à fr. 679,000.
Messieurs, comme je m’occupe d’examiner un peu les vices du système en matière d’instruction, il en est un dont il faut que je relève également les inconvénients. Je veux parler de l’arrestation préventive.
La liberté provisoire sous caution ne s’accorde jamais en matière criminelle, et je rends hommage à ce principe. En matière de délits, lorsqu’il y a lieu à emprisonnement, elle s’accorde moyennant une caution, caution que ne peuvent souvent fournir les personnes qui ne sont pas dans l’aisance.
Je conviens, messieurs, qu’il ne faudrait pas laisser jouir de la liberté provisoire ceux qui ne présenteraient aucune espèce de garantie ; mais il est des cas bien déplorables, qui se rencontrent dans l’exécution de la loi ; je vais vous en citer un.
Un enfant âgé, si je ne me trompe, de douze à treize ans tout au plus, en dessous, par conséquent, de l’âge où la peine peut être appliquée sans qu’il soit fait acception de la question de discernement, avait été arrêté, il y a cinq ou six mois, pour un délit de fraude, entraînant, aux termes de notre dernière loi sur la répression de la fraude, la peine de la prison. Il fut emprisonné. Premier jugement, dans une de nos villes du ressort, qui le condamne à l’emprisonnement, en écartant la question de discernement, sous prétexte qu’elle n’était pas applicable en matière autre que celle régie par le Code pénal de 1810, que le principe de l’art. 66 de ce Code sur le discernement n’était pas applicable aux lois spéciales. Il fut donc condamné comme s’il avait eu plus de seize ans.
Appel à Bruxelles. La cour d’appel, par un arrêt fortement motivé, et qui a été inséré dans la Belgique judiciaire, réforme le jugement et décide que la question de discernement pouvait et devait être posée, même dans le cas spécial qui était régi par la loi répressive de la fraude en matière de douane.
L’enfant était toujours en prison. Il fut prononcé contre lui une peine moindre.
Pourvoi en cassation de la part du ministère public et de l’administration des douanes parce que celle-ci attache une grande importance à la décision du principe. L’affaire est aujourd’hui pendante devant la cour de cassation, et en attendant l’enfant reste emprisonné depuis six mois.
N’y a-t-il pas quelque chose de criant ? et lorsqu’il s’agit de délits aussi peu considérables, le pourvoi en cassation devrait-il retenir un homme en prison ?
Il en résulte que, par suite de ces arrestations préventives, préalable au jugement en première instance, continuées jusqu’à l’appel, et après l’appel jusqu’à ce que le pourvoi soit vidé, le prévenu reste quelquefois deux ou trois fois autant de temps en prison qu’il ne fût resté s’il n’eût pas été obligé de passer par toutes ces voies judiciaires. Et notez que dans l’espèce, ce n’est pas le condamné qui se pourvoit en cassation, c’est le ministère public, c’est l’administration des finances.
Il y a donc là quelque chose à faire, et je crois qu’en matière d’arrestations préventives, les art. 113 et 114 sont réellement trop rigoureux.
Ces rigueurs déployées en matière de justice répressive, se retrouvent également, et d’une manière plus fatale encore, dans le système de la contrainte par corps ; car là, il n’y a pas de délit, il n’y a pas même contravention, il y a le plus souvent du malheur.
Je signalerai encore une autre disposition du Code d’instruction criminelle, et qui, par l’inégalité, si je puis m’exprimer ainsi, de justice distributive qui y règne a, depuis de longues années, fait jeter les hauts cris. La question a paru douteuse, mais elle vient d’être décidée par la cour de cassation. Je regrette cette décision, mais enfin prenant texte de son arrêt, je demande qu’il soit apporté une réforme à l’état actuel des choses.
En matière de police correctionnelle, outre les délais ordinaires pour le pourvoi en degré d’appel contre un jugement de première instance, qui est de dix jours, il existe un délai énorme de deux mois accordé aux ministère public, près de la cour ou près du tribunal, jugeant en degré d’appel, pour se pourvoir contre le jugement portée en première instance. Je sais que, dans ce cas-là, le Code ne maintient pas l’arrestation ; si, dans les dix jours, le procureur du Roi n’a pas appelé, l’individu est libre ; mais il reste deux mois sous le coup de l’appel. Ceci n’est rien encore ; il faut qu’il attende deux mois pour voir s’il plaira au procureur général près de la cour d’appel d’user de son droit d’appeler. Mais on a soutenu que le prévenu qui, lui, n’avait pas appelé au principal, parce qu’il se tenait comme satisfait, ne pouvait pas appeler a minima, qu’il ne pouvait pas, dans le cas de l’art. 205 du Code d’instruction criminelle, remettre en question la chose jugée à son détriment par le tribunal de première instance. De manière que le ministère public peut aggraver sa position, peut, s’il n’a été condamné qu’à un mois, le faire condamner à un an ; mais lui ne peut plus remettre en question sa propre culpabilité ou la question d’applicabilité de la loi.
Est-ce là de la justice distributive ? Mais il est de principe élémentaire en matière ordinaire, que l’appel peut toujours être interjeté quand la partie adverse appelle au principal. La position doit toujours être égale de part et d’autre. Cependant la question a été décidée par la cour de cassation, dans ce sens que le ministère public a seul le droit de se pourvoir pendant deux mois, et ainsi de faire réformer le jugement et d’aggraver la position du condamné, même quand celui-ci est forclos du droit d’appeler a minima.
Je respecte la chose jugée. La cour de cassation a cru que l’art. 205 du Code d’instruction criminelle ne pouvait recevoir une autre interprétation. Cependant quelques cours avaient jugé le contraire. Mais enfin cette interprétation me semble consacrer une injustice, et je crois que si un jour on peut parvenir à la réforme de notre code d’instruction criminelle, cette tache doit disparaître de sa législation.
Je bornerai, messieurs, à ses observations générales, ce que j’ai à dire en ce moment, me réservant de prendre la parole éventuellement sur l’un ou l’autre article du budget.
M. de Garcia – Messieurs, je ne puis m’empêcher de dire quelques mots pour appuyer quelques-unes des observations qui viennent d’être présentées par l’honorable M. Orts, particulièrement en ce qui concerne l’organisation nouvelle de la justice criminelle.
Messieurs, comme vous l’a très-bien fait observer l’honorable préopinant, si nous avons fait des dépenses assez considérables pour payer convenablement la magistrature, nous devons saisir toutes les occasions de faire des économies, et la réorganisation de la justice criminelle, qui occupe frustratoirement une grande partie du temps de la magistrature, nous fournit matière pour en opérer. On appelle aux assises cinq magistrats pour appliquer la peine. Je ne puis partager l’opinion de l’honorable M. Orts, qu’un seul magistrat pourrait suffire pour faire cette application. Il n’est guère dans nos mœurs de voir un seul homme se charger de prononcer les peines les plus sévères, et souvent celle de mort.
D’ailleurs, messieurs, avec le système du jury, tel qu’il est établi dans notre pays, ce système est impossible. Vous savez que le jury se compose de 12 membres, et que, quand sept de ces membres prononcent la culpabilité et cinq l’innocente, il y a lieu d’appeler la magistrature à vider le partage. Si vous n’aviez qu’un magistrat pour appliquer la peine, il faudrait que cette disposition disparût. Cependant, je ne crois pas qu’elle soit mauvaise ; je ne crois pas que, lorsqu’il y a partage du jury comme je viens de le dire, il y ait inconvénient à appeler les magistrats à vider ce partage. Loin de là, je regarde cette mesure comme utile à une bonne justice dans les questions ardues et difficiles.
Je dois cependant critiquer la manière dont ces partages sont vidés dans l’état actuel des choses. Le système suivi jusqu’à ce jour présente une monstruosité en fait de législation. Qu’arrive-t-il aujourd’hui ? Je puis dire que, siégeant aux assises, j’ai vu le cas que je viens de vous signaler, dans lequel il s’agissait de la peine de mort. Sept jurés condamnaient, cinq acquittaient. Il y a lieu d’appeler la magistrature à déterminer une majorité. Trois juges déclarèrent l’innocence et se réunirent aux cinq jurés, cela fait huit. Deux juges se réunirent aux sept jurés qui avaient prononcé la culpabilité, et l’homme qui n’avait pu être condamné à sept voix contre cinq, fut condamné à neuf voix contre huit, par suite de la décision des magistrats.
Il faut nécessairement faire disparaître cette anomalie que déjà j’ai qualifiée de monstrueuse. Cependant, je ne voudrais pas qu’on la fît disparaître, de manière à ce que les magistrats ne fussent jamais appelés à vider le partage des voix, mais je voudrais que la majorité des magistrats composant la cour, fût toujours obligée de se réunir à la majorité du jury, pour aboutit à une condamnation. Dans tous les cas, messieurs, je pense que, sans aucun inconvénient, on peut réduire à trois magistrats la composition des cours d’assises, et que, par cette mesure, l’on économisera le temps de la magistrature pour les affaires ordinaires, et que, par suite, l’on pourra faire une des économies notables. Je pense que cela est incontestable ; je partage encore son opinion, au point de vue des économies qu’on peut réaliser, en supprimant l’envoi d’un conseiller pour présider les assises, dans les chefs-lieux de province : cette mesure a le grave inconvénient de détacher les conseillers présidents de leur siège pendant quine jours, trois semaines, un mois, et de mettre en souffrance le cours de la justice ordinaire devant les cours d’appel. Cinq magistrats siégeant à la cour d’assises présentent l’inconvénient non moins grave de paralyser souvent le service de la justice ordinaire, dans les cours d’appel et dans les tribunaux de chefs-lieux de province. L’on peut, je pense, sans nuire à une bonne justice, faire disparaître un ordre de choses que je considère comme frustratoire.
Si nous avons fait des dépenses pour payer la magistrature d’une manière convenable, un autre devoir nous incombe impérieusement : c’est de simplifier, sans nuire au service de la justice, les formes pour la rendre, c’est de nous conduire ainsi vers des économies à réaliser dans l’avenir.
L’honorable M. Orts voudrait opérer des économies sous un autre rapport ; ce serait en changeant le mode d’assignation des témoins dans les affaires correctionnelles ce serait de les assigner par lettres au moyen de la poste rurale établie dans tout le royaume.
Mais, messieurs, est-il possible de mettre à la place de l’assignation par huissier l’assignation par la poste ? Je ne le crois pas : lorsque le témoin assigné ne comparaît pas, il s’expose à une peine ; cette peine n’est pas prononcée aveuglément par le magistrat. Le « parlant à… » que doit contenir l’original de l’assignation, prouve souvent qu’il n’y a pas de mauvais vouloir de la part de l’assigné, et alors nulle peine ne lui est infligée. Comment replacer le « parlant à »dans les service de la poste ? J’avoue que je ne puis admettre que la mesure indiquée soit praticable. Je ne pense donc pas que le moyen proposé par l’honorable M. Orts puisse être adopté, mais je crois que, sous un autre rapport, on peut obtenir des économies dans les frais d’assignation, et j’inviterai M. le ministre de la justice à prescrire aux membres du parquet et aux juges d’instruction que les assignations soient données par les huissiers du canton, car il arrive que les assignations sont faites dans les différentes localités par un huissier du chef-lieu de l’arrondissement (page 292) ; il en résulte des frais de voyage qui élèvent le coût des assignations au double de ce qu’il serait si elles étaient faites par un huissier de canton.
Je ne toucherai pas aux autres questions qui ont été signalées par l’honorable M. Orts, telles que celle de l’arrestation préventive et de la contrainte par corps ; ce sont là des questions fort graves ; je crois que, dans l’intérêt de l’humanité comme dans l’intérêt du service, il y aurait des améliorations à introduire sous ce rapport, mais je crois aussi qu’il serait dangereux d’introduire des modifications radicales dans ce qui existe à cet égard. Quant à moi, depuis longtemps j’ai l’honneur d’appartenir à la magistrature, et depuis que j’en fais partie, j’ai toujours siégé dans les affaires criminelles ; et je dois dire que l’arrestation préventive a amené la découverte de presque tous les grands crimes dont j’ai eu à connaître.
M. Savart-Martel, rapporteur – Messieurs, les moyens qui viennent d’être indiqués par plusieurs honorables membres pour obtenir des économies, n’ont point échappé à la section centrale ; aussi elle a commencé par émettre le voeu que la plus sévère économie fût introduite dans l’administration de la justice. On a évalué, avec raison, à 40,000 francs l’économie que l’on pourrait faire sur les frais de l’instruction des affaires et surtout de celles qui sont portées devant les cours d’assises ; eh bien, messieurs, je viens vous indiquer le moyen de faire une économie qui ne l’élèveraient pas à moins de 100,000 fr Ce qui coûte beaucoup, ce n’est pas seulement l’assignation des témoins, c’est aussi le déplacement des témoins et des prévenus, ainsi que l’indemnité accordée au jury, indemnité qui est toujours insuffisante. Vous pourriez opérer, sous ce rapport, une grande économie ; vous avez augmenté notablement le traité des juges de paix, et vous l’avez fait sans doute pour qu’ils rendissent beaucoup de services au public, pour qu’ils jugeassent avec soin et régularité toutes les affaires qui leur sont soumises.
Eh bien, messieurs, il suffit d’avoir fréquenté pendant quelques temps les tribunaux correctionnels, pour savoir que les trois quarts des affaires sur lesquelles ils ont à prononcer concernent des objets d’une valeur moindre que 20 fr. ; je citerai, par exemple, les affaires des poids et mesures, les affaires de voirie, les délits de mendicité. Pourquoi ne pas attribuer aux juges de paix la connaissance de ces affaires ? pourquoi n’étendriez-vous pas la compétence des juges de paix jusqu’aux amendes de 25 florins, par exemple ? Non-seulement il en résulterait une très-grande économie, mais les affaires seraient souvent jugées plus vite et mieux.
Un autre inconvénient, messieurs, c’est que la plupart des verbalisants font, non pas des procès-verbaux, mais des rapports en trois ou quatre lignes, ce qui nécessite la comparution des verbalisants devant la justice ; il en résulte des retards et des frais extraordinaires.
Ces retards sont nuisibles non-seulement aux prévenus, ils diminuent encore l’efficacité de la peine, car il vaut mieux frapper immédiatement que longtemps après le délit qui a été commis. Si les affaires dont je viens de parler, étaient déférées aux juges de paix, ces retards n’auraient pas lieu ; on éviterait les frais de déplacement des contrevenants et des témoins ; les affaires seraient, je le répète, jugées mieux et surtout beaucoup plus vite par le juge de paix, qui est sur les lieux que par un tribunal qui est à dix lieues de là. D’ailleurs, messieurs, ce déplacement est très-onéreux pour le contrevenant lui-même ; il l’est à tel point que souvent, il vaut mieux payer l’amende sans se rendre au tribunal, que d’y aller dans l’espoir d’être acquitté.
M. de Garcia – Alors on fait défaut.
M. Savart-Martel – On fait défaut, en effet, d’autant plus que le juge, lorsqu’il sait que ce n’est pas par mépris de la justice qu’on fait défaut, prononce toujours, dans ce cas, le minimum de la peine.
Eh bien, messieurs, je ne crains pas de dire qu’en déférant ces affaires aux juges de paix, on économiserait au moins une somme de 100 mille fr. par an.
Quant aux citations, je ne vois pas pourquoi l’on ne voterait pas une loi d’après laquelle elles seraient envoyées par la poste ; on cite bien aujourd’hui les étrangers de cette manière. (Interruption.) D’après l’arrêté-loi du 1er avril 1814, les citations faites à des étrangers son envoyées par la poste.
M. de Garcia – Ils ne sont pas obligés de venir.
M. Savart-Martel – Lorsqu’ils ne viennent pas, ils sont condamnés par défaut. (Nouvelle interruption.)
Ensuite, messieurs, il serait peut-être possible de tenir les assises, de temps à autre au moins, au chef-lieu de l’arrondissement ; il résulterait encore de là une très-grande économie ; on pourrait peut-être même alors se dispenser de payer les jurés qui n’auraient plus à se transporter à 10, 15 ou 20 lieues de distance, comme ils doivent quelquefois le faire aujourd’hui.
Je sais, messieurs, qu’il n’est pas possible d’improviser des modifications comme celle que je viens d’indiquer ; aussi je me borne à les soumettre aux méditations du gouvernement. Je dois répéter aussi que la section centrale n’est pas entrée dans les détails que j’ai abordés, mais elle a au moins posé le principe sur lequel je me suis appuyé.
Quant à la contrainte par corps, il faut en convenir, messieurs, qu’il y a beaucoup à faire à cet égard, comme j’ai déjà eu l’honneur de le dire l’année dernière ; sans être d’avis qu’il faille supprimer entièrement la contrainte par corps, je pense qu’en matière de commerce et en matière civile, il faut la restreindre ; je pense qu’il faut également la restreindre en matière correctionnelle et empêcher surtout que la durée de la détention pour les frais excède, comme cela arrive souvent, la durée de la peine de l’emprisonnement proprement dit.
J’appelle sur ces divers points l’attention de M. le ministre de la justice ; je sais que les projets de loi qu’il nous a présentés ont dû l’occuper considérablement ; je sais aussi que différentes commissions ont été instituées pour examiner certains questions, mais le grand mal de ces commissions, c’est qu’elles étaient salariées ; je crois que de semblables commissions s’acquitteraient infiniment mieux de leur tâche si elles étaient composées d’hommes qui voulussent travailler par amour de la chose publique ; ceux qui travaillent par amour de la chose publique vont vite en besogne, mais il n’en est pas de même de ceux qui reçoivent une rétribution. Ceux-là ne font ordinairement pas les choses aussi vite ni aussi bien que des hommes de bonne volonté. Je sais bien que généralement il est difficile de commander à des volontaires, mais je crois que si M. le ministre de la justice voulait choisir les membres de ces commissions parmi des personnes auxquelles leur position sociale permet de travailler au bien du pays, sans nuire à leurs propres intérêts, il ne manquerait pas de trouver des hommes capables qui rempliraient avec zèle la mission dont ils seraient chargés.
Il est certain qu’on n’obtiendra jamais rien des commissions salariées, et je suis convaincu que, malgré les nombreux travaux dont M. le ministre de la justice s’est déjà occupé et ceux dont il s’occupe encore, il parviendrait encore mieux à résoudre ces questions à lui seul, qu’avec l’aide de commissions dont les membres sont rétribués. Lorsqu’on veut instituer des commissions utiles, il faut les composer d’hommes qui n’ont pas besoin de travailler comme des mercenaires.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – L’honorable M. Orts a parlé de la possibilité de diminuer le personnel des cours ; il vous a dit, messieurs, qu’un arriéré très-considérable existait, il y a quelques années encore, à la cour d’appel de Bruxelles, et que cet arriéré avait presque entièrement disparu.
Cela est parfaitement exact, et cela est dû au zèle extraordinaire que les membres de la cour d’appel de Bruxelles ont déployé dans l’exercice de leurs fonctions.
J’espère donc, avec l’honorable membre, qu’il ne sera pas nécessaire de renouveler la loi qui a permis d’augmenter temporairement le personnel de la cour d’appel de Bruxelles ; mais je pense que tant que la loi existera, je ne pourrai pas me refuser à nommer aux places qui deviendront vacantes et pour lesquelles il y aura présentation de la cour d’appel et du conseil provincial.
L’honorable M. Orts a signalé un autre moyen de diminuer le personnel des cours, c’est de leur enlever la tenue des assises, pour la remettre aux magistrats des tribunaux de première instance. L’honorable membre sait sans doute que la chambre est saisie d’un projet de loi relatif à cet objet ; c’est, si je ne me trompe, l’honorable M. Lebeau qui a présenté à la chambre le projet dont je parle, et d’après lequel les cours d’assises devront être composées de deux membres de tribunal de première instance, présidés par un conseiller.
Je pense que ce projet est très-convenable ; je désire vivement qu’il puisse être discuté ; il en résulterait, il est vrai, la nécessité d’augmenter le personnel de quelques tribunaux de première instance, notamment du tribunal de Bruxelles ; mais cette augmentation serait plus que compensée par la réduction du personnel des cours.
Je suis donc d’accord avec l’honorable M. Orts, quant à la convenance d’une loi qui établirait l’uniformité dans la tenue des assises et ferait cesser l’anomalie de voir la cour d’assises composée autrement, suivant qu’elle siège dans la ville où siège la cour d’appel, ou dans un autre chef-lieu de province.
En traitant cet objet, je dois répondre à l’honorable M. de Garcia. Je ne partage pas l’opinion de cet honorable membre qui voudrait enlever la présidence des assises aux conseillers des cours d’appel. Je crois qu’il est indispensable de laisser la présidence des assises à ces magistrats. Le premier président de la cour d’appel choisit le président des assises, et il le choisit parmi les conseillers de la cour qui ont les capacités et les qualités voulues pour remplir ces fonctions. Un président d’un tribunal de première instance peut être un excellent magistrat, un jurisconsulte profond, mais s’il est d’un âge avancé, s’il n’a pas l’énergie nécessaire, il pourra compromettre le sort des affaires les plus graves ; ce danger n’est pas à craindre avec un conseiller choisi par le premier président, qui ne confiera ces fonctions qu’au magistrat tout à fait en état de les remplir, et de diriger des débats souvent longs et difficiles.
L’honorable M. Orts pense qu’il serait possible de confier la tenue des assises à un seul magistrat. Je ne puis m’associer à cette opinion de l’honorable membre ; si les peines étaient indiquées sans maximum ni minimum, si la procédure criminelle n’était pas si compliquée, j’adopterais jusqu’à un certain point l’opinion de l’honorable M. Orts ; mais alors que, dans notre législation, l’échelle des peines varie de cinq ans à vingt ans de travaux forcés, il me semble impossible de remettre à un seul magistrat l’appréciation de la peine qui doit être prononcée. J’avoue que cela me paraîtrait effrayant. Le recours en cassation n’aurait ici aucune efficacité, car dès l’instant où les formalités auraient été observées, la peine subsisterait. Je pense donc que la tenue des assises doit être confiée à trois magistrats au moins, dont l’un serait conseiller de cours d’appel, et les deux autres membres du tribunal de première instance. Ce système, tout en, donnant des garanties suffisantes aux accusés, offrirait d’un autre côté, de grands avantages pour la prompte expédition des affaires.
L’honorable M. de Garcia a cité l’art 351 du Code d’instruction criminelle (page 293), qui présente, je dois l’avouer, une véritable monstruosité. Il est très-vrai que, d’après cet article, lorsqu’il y a eu déclaration de culpabilité prononcée par le jury à la majorité de 7 voix contre 5, si la majorité de trois membres de la cour se joint à la minorité du jury, l’individu est déclaré coupable, et doit, par suite, être condamné ; il est évident cependant que la présomption d’innocence a grandi par cette décision de la cour, puisque la majorité de la cour venant se joindre à la minorité du jury, doit augmenter le doute que la décision du jury a fait naître. En France, l’art. 351 du Code d’instruction criminelle a été changé, et un changement est également proposé dans le projet de 1834, dont j’ai parlé tout à l’heure.
La tenue des assises dans les chefs-lieux d’arrondissement est à peu près impraticable. Pour la tenue des assises, il faut des locaux spéciaux. Ce n’est pas comme si la cour d‘assises siégeait sans jurés ; mais on peut voir, notamment à Bruxelles, où l’on vient de construire un nouveau local pour les assises, qu’il faut un local spécial à cette fin.
Du reste, je crois qu’il y a avantage à ce que les assises se tiennent dans les chefs-lieux des provinces. Il pourrait quelquefois être nuisible à la bonne administration de la justice, que des jurés fussent appelés à se prononcer sur le sort d’individus appartenant à leur arrondissement. La plupart du temps, les jurés récusés devant les assises tenues aux chefs-lieux des provinces, appartiennent à l’arrondissement où est domicilié l’accusé.
Je dirai maintenant un mot des frais de justice. Ces frais s’élèvent, en effet, à la somme très-considérable de 679,000 fr. et les recouvrements, ne montent guère au-delà de 151,000 fr. Mais je doute que les moyens indiqués par l’honorable M. Orts soient de nature à faire diminuer considérablement les dépenses. Ce qui occasionne le plus de frais, ce sont les déplacement, et non les citations ; car, si je ne me trompe, le coût de la citation n’est que de 50 c. Il faudrait, d’après le système de l’honorable M. Orts, envoyer une lettre à chaque individu ; cela coûterait d’avantage, du moins pour certaines localités.
L’honorable M. Orts a critiqué l’art. 114 du Code d’instruction criminelle qui permet de refuser la mise en liberté provisoire. Je crois qu’en fait, cet article présente peu d’inconvénients ; les tribunaux n’hésitent pas à l’appliquer quand la nature du délit et les circonstances du fait ne s’y opposent pas ; pour les matières criminelles, l’honorable membre reconnaît lui-même qu’il serait dangereux d’accorder cette liberté. Il est possible qu’en matière de douane la faculté d’accorder la liberté provisoire n’existe pas pour les tribunaux ; mais l’administration des finances a, je pense, cette faculté ; elle en usera quand l’intérêt public le permettra. Dans tous les cas, il s’agit ici d’une loi spéciale qui a été votée en 1842, pour la répression de la fraude ; cette loi doit être rigoureusement appliquée ; il ne peut être question d’y toucher maintenant.
L’honorable M. Orts a parlé également de l’article 205 du Code d’instruction criminelle. Il a dit que le ministère public appelait a minima, après les deux mois qui suivent la date du jugement. Il faudrait que le condamné pût appeler, de son côté, de manière à remettre tout en question devant la cour qui est saisie de l’appel. Telle est, je crois, la jurisprudence de la cour d’appel de Bruxelles ; l’honorable M. Orts dit que la cour de cassation est d’un avis contraire ; mais l’opinion consacrée une première fois par la cour suprême fera-t-elle jurisprudence ?
Je terminerai, en disant un mot de la contrainte par corps. L’honorable M. Savart a appelé, l’année dernière, mon attention sur cet objet.
J’ai pris alors l’engagement de présenter un projet de loi sur une matière importante. L’honorable M. Savart avait annoncé que, si je ne prenais pas cet engagement, il réunirait les matériaux nécessaires pour présenter lui-même un projet de loi à la chambre.
Je puis renouveler l’assurance que j’ai donnée l’année dernière ; un projet de loi sur la contrainte par corps sera présenté pendant cette session. Il est presque entièrement terminé. Je devrai ce projet à une commission, mais à une commission qui a travaillé gratis, et qui aura, par conséquent, les sympathies de l’honorable membre.
M. le président – Il vient d’être parlé d’un projet de loi présenté en 1834 qui ne figure pas dans le tableau des travaux arriérés de la chambre ; il n’y a pas été compris, parce qu’il ne se trouvait pas sur les précédents tableaux des travaux arriérés. Si la chambre m’y autorise, je le ferai imprimer ; comme il a une certaine actualité, il pourrait être renvoyé soit à une commission, soit aux sections de novembre. C’est le projet de loi relatif à la composition des cours d’assises.
- La chambre ordonne l’impression du projet et le renvoie à l’examen d’une commission à nommer par le bureau.
M. Orts – Je reprends la parole pour expliquer ma pensée. Quand j’ai parlé du changement de système à adopter, je n’ai pas douté une instant que la conséquence nécessaire des changements que je proposais ne fût l’abrogation tant désirée par moi-même de la participation habituelle des juges ordinaires aux fonctions de juré. C’est une anomalie dans le système du jury, que d’admettre comme jurés chargés de vider le partage du jury ordinaire, les magistrats composant la cour d’assises. Quel est, en effet, le grand avantage de l’institution du jury pour l’accusé ? C’est d’être jugé par ses pairs, par des hommes qui ne tiennent pas leur nomination du pouvoir. C’est vicier l’institution que d’admettre que le magistrat descende de son siège pour devenir à son tour juré.
L’honorable M. de Garcia cous a signalé un inconvénient des plus graves, une chose monstrueuse ; ce n’est pas une hypothèse ; le cas s’est présenté. Quand il y a simple majorité du jury, cinq pour l’acquittement, sept pour la condamnation, la majorité de la cour se prononce pour l’acquittement et la minorité pour la condamnation ; cinq et trois font huit, sept et deux font neuf ; la minorité de la cour va décider du sort de l’accusé. Est-ce que cela est rationnel ? Ce seul inconvénient fait justice de cette partie de nos institutions en matière criminelle. Que mettrez-vous à la place ? dit-on. Je ne dis pas que si le jury, à la majorité de 7 contre 5, déclare la culpabilité, il faille condamner ; mais serait-il si difficile d’établir un autre système ? Il est des pays où il faut l’unanimité pour condamner. Je ne veux pas aller si loin, je sais à quels inconvénients ce système a donné lieu en Angleterre ; mais on pourrait exiger neuf voix peut-être, même huit voix, à la rigueur, pour la condamnation.
L’honorable ministre de la justice a fait une objection contre le projet de confier le jugement des affaires devant les cour d‘assises, à des juges sans l’intervention d’un conseiller. Il vous a signalé deux inconvénients. Il a dit que des questions fort délicates étaient soumises aux cours d’assises, et qu’un conseiller appartenant à une juridiction supérieure était censé mieux connaître l’instruction des affaires criminelles et le Code pénal. C’est une erreur ; en effet, dans l’institution actuelle des cours d’assises qui sont présidées par un conseiller, quels sont les assesseurs ? Les membres du tribunal de première instance du chef-lieu de province autre que celui où siège la cour d’appel.
Ces assesseurs, pris constamment parmi les membres du tribunal de première instance, ont autant l’expérience des affaires criminelles qu’un conseiller délégué temporairement pour présider les assises.
Il ne faut pas se faire un fantôme de ce qui est exigé d’un magistrat en cour d’assises. Toutes ses fonctions se bornent à deux choses : l’application de la loi pénale et l’observation des formes. Or, le Code pénal nous régit depuis 1810. N’a-t-on pas eu, pendant 34 ans, le temps de se familiariser avec toutes les formes de la procédure criminelle ? est-il possible qu’il faille encore déplacer un magistrat de cour supérieure pour qu’une cour d’assises soit capable de juger sans violation des formes, sans fausse application de la loi pénale ?
Dans tous les cas, comme je l’ai dit, la cour régulatrice, la cour de cassation serait là pour réformer, pour casser l’arrêt s’il avait été mal rendu. Notez qu’un condamné n’a pas besoin de se faire représenter par un avocat ni de produire un mémoire, il lui suffit de former un pourvoi. La cour de cassation d’office doit scruter avec soin toute la procédure, et s’il est prouvé qu’une formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité a été négligée, elle casse l’arrêt. C’est la plus belle justice, car le condamné l’obtient sans que cela lui coûte la moindre chose. Voilà l’état de notre législation en matière criminelle. On a objecté au système que j’avais présenté de placer un seul juge dans les cours d’assises pour appliquer la peine, qu’il serait dangereux de s’en référer à un seul homme pour l’application des peines dans l’échelle progressive de 5 à 20 ans pour la réclusion, et de 5 à 20 ans pour les travaux forcés.
Je crois qu’il n’est pas un seul magistrat qui soit porté à aggraver les peines. J’aurais autant de confiance dans un magistrat chargé d’appliquer la peine que dans trois. D’ailleurs la chose se pratique ainsi en Angleterre ; un seul grand juge est chargé de l’application de la peine. On ne s’en trouve pas plus mal. C’est ce magistrat qui est le protecteur de l’accusé, et qui lui indique les moyens qui peuvent le conduire à sa justification, si elle est possible.
Je ferai la même observation sur les questions délicates qui pourraient se présenter et qu’un seul magistrat, d’après ce qu’a dit M. le ministre de la justice, paraîtrait ne pouvoir résoudre aussi bien que s’il était assisté d’autres juges. Ce magistrat unique devrait être pris parmi les fonctionnaires qui se sont attachés à cette spécialité, ayant des connaissances et l’expérience des formalités et de l’application des peines en matière criminelle ; lui seul alors présenterait autant de garantie qu’on peut en espérer dans trois personnes.
J’avais cité un exemple à l’appui de ce que j’avais dit relativement à la liberté provisoire, dont le bénéfice n’est pas étendu à ceux qui n’ont pas le moyen de donner 500 fr. de caution ; M. le ministre de la justice m’a répondu qu’il était laissé à l’administration des finances la faculté de ne pas user de rigueur en matière d’emprisonnement. J’ai cité un cas relatif à un jeune homme de 11 à 12 ans ; M. le ministre des finances n’était pas présent dans ce moment, j’appellerai son attention sur cette affaire ; s’il peut faire quelque chose dans cette circonstance, je crois que ce serait le cas d’user d’indulgence.
M. de Garcia – Je commencerai par remercier M. le président d’avoir prévenu une demande que je voulais faire, de mettre à l’ordre du jour des sections un projet de loi qui a trait à la réorganisation de la justice criminelle.
Je dois maintenant un mot de réponse à M. le ministre de la justice sur la nécessité d’envoyer un conseiller pour présider les assises dans les chefs-lieux de province qui ne sont pas le siège d’une cour d’appel . Ici encore je dois remercie M. le ministre de la franchise avec laquelle il a abordé la question. Ce n’est pas la première fois que je la présente, et chaque fois on m’avait répondu en prétendant qu’on ne pouvait changer la matière existante sans désorganiser l’harmonie des dispositions de notre droit criminel. M. le ministre regarde comme chose nécessaire et indispensable qu’un conseiller, à désigner par les présidents des cour d’appel, aille présider les cours d’assises dans les chefs-lieux de province.
Quels sont les motifs qu’on invoque à l’appui de cette manière de voit ? L’un des motifs allégués serait que le premier président de la cour d’appel choisirait, pour présider les assises, les hommes qui ont l’habitude des affaires criminelles, et dont les connaissances spéciales garantissent une marche plus régulière dans l’instruction des affaires criminelles. Si ces principes (page 294), cette mesure, avaient ce but, peut-on dire qu’il en soit ainsi en fait ? Personne n’ignore que, pour ces missions, les conseillers sont pris à tour de rôle. Au surplus, cette mesure a pris naissance dans un ordre de choses qui n’existe plus, dans un ordre de choses qui réclamait des spécialités pour diriger les débats devant les cours criminelles.
Autrefois, et sous le régime de l’empire, lorsque le président des cours d’assises était chargé de faire le résumé de l’accusation, mission si difficile et si délicate, l’on conçoit la nécessité du choix d’une spécialité ; mais aujourd’hui où cette mission se borne à la police de l’audience et à la surveillance de l’observation des formes judiciaires, je ne puis reconnaître le besoin de détacher un membre de la cour pour présider les assises ; dans les débats, ces magistrats amènent-ils mieux la découverte de la vérité que ne le feraient les présidents des tribunaux de chefs-lieux de province ? Je ne puis m’expliquer pourquoi il devrait en être ainsi ; le contraire me semble devoir se présenter, et cela par une considération bien simple ; c’est que l’idiome du langage en Belgique varie dans toutes les localités, et que le moins familier avec le langage des témoins est souvent celui qui est envoyé pour présider et conduire les débats. Dès lors, je le demande, une semblable mesure doit-elle être considérée comme nécessaire et indispensable aux intérêts de la découverte de la vérité et aux intérêts de la justice ?
D’un autre côté, M. le ministre de la justice objecte que, dans les matières criminelles, les conseillers ont plus d’expérience que les magistrats des tribunaux des chefs-lieux de province. La chose est possible ; mais j’avoue que je ne puis encore concevoir pourquoi il devrait en être ainsi. Le contraire me semble devoir résulter de la force des choses. En effet, les magistrats appartenant à des sièges de justice des chefs-lieux de province sont sans cesse appelés à connaître des affaires criminelles, et ont quatre sessions au moins d’assises par année, tandis que souvent les conseillers qui sont envoyés pour le présider n’ont siégé que rarement, et de loin en loin, dans des cours d’assises. Or, messieurs, dans un ordre de chose semblable, où doivent se trouver l’expérience et l’habitude des affaires de cette nature ? Veuillez me dispenser de répondre à cette question ; elle ne peut souffrir de doute ?
Je ne puis donc admettre aucun des motifs allégués par M. le ministre de la justice, pour maintenir l’ordre de choses actuel.
Quand nous serons saisis du projet de loi qui va être distribué, j’aurai l’occasion de revenir sur cet objet. Par les considérations que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, je n’ai voulu que répondre à quelques considérations présentées par M. le ministre de la justice, et détruire autant que possible l’influence que ses paroles auraient pu exercer sur l’assemblée.
- La discussion est continuée à lundi.
La séance est levée à 4 heures.