(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 167) (Présidence de M. d’Hoffschmidt)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et un quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Le sieur Espérance-Isidore Leroy, brigadier des douanes, à Saint-Josse-ten-Noode, né à Mantes (France), demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Beys, ancien capitaine des volontaires, demande une indemnité, en attendant qu’il soit réintégré dans son grade ou mis à la pension. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du budget de la guerre.
« Plusieurs habitants de Verviers et des environs demandent que les grains du Limbourg puissent être importés par la Meuse. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les céréales.
« Plusieurs pharmaciens, établis dans la province de Luxembourg, demandent qu’il soit interdit aux médecins et chirurgiens du plat-pays de fournir les médicaments aux malades qu’ils traitent. »
« Le sieur Selderslaghs, blessé de septembre, décoré de la croix de Fer, demande qu’on lui accorde la pension dont jouissent ceux qui ont obtenu cette décoration. »
« Le sieur Vanbecke, ancien cuisinier d’hôpital, demande la révision de sa pension. »
« le sieur Peters, ancien géomètre, demande qu’une commission soit chargée de vérifier les plans d’alignement et de délimitation des chemins vicinaux dressés en vertu de la convention conclue entre le gouvernement et le sieur Heuschling. »
« M. de Marneffe, ancien commandant en chef des volontaires du Limbourg, demande une indemnité pour ses avances en 1830 et 1831, et prie la chambre de lui faire obtenir la pension accordée aux blessés de septembre. »
« Le sieur Henry, estropié et devenu incapable de subvenir à ses besoins, par suite d’une blessure qu’il a reçue en août 1830, demande une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Joseph-Barthélemy Caprès, brigadier des douanes à Kemme, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Quatre distillateurs agricoles des communes de Corbeek-Loo et Herent, se plaignent du retrait de la déduction accordée par l’art. 5 de la loi sur les distilleries, et en demandent la restitution.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, ceux qui prennent leur recours vers vous jouissaient des avantages de la déduction accordée aux distilleries agricoles par l’art. 5 de la loi du 27 juin 1842.
Jamais leurs appareils distillatoires n’avaient fait l’objet d’observations, lorsqu’au mois de mai 1843, l’administration signifia aux pétitionnaires que leurs appareils n’étaient pas dans les termes de la loi ; et peu après, on ne leur tint plus compte de la déduction.
Ce n’est qu’au mois de juin dernier qu’on les a informés que, moyennant une modification légère, ils jouiraient encore de la déduction.
Cette marche me semble peu paternelle ; elle me semble fiscale, de nature à rendre le gouvernement odieux, et c’est ce qu’il faut éviter.
Il fallait prévenir plus tôt les intéressés de ce qui leur manquait pour assurer le contrôle de l’administration, si tant est qu’il y manquât quelque chose, leur poser ensuite une époque, après laquelle la déduction leur serait retirée, s’ils ne s’étaient pas conformés aux instructions.
Je demande que la chambre accorde un prompt rapport.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport.
M. Eloy de Burdinne, obligé de s’absenter pour affaires de famille, demande un congé de cinq jours.
- Ce congé est accordé.
La chambre se forme en comité secret pour la discussion de son budget.
A deux heures, la séance est rendue publique.
L’article unique. « Chambre des représentants », du titre II du budget des dotations est mis aux voix et adopté avec le chiffre de 393,450 fr.
Le projet de loi de crédit supplémentaire de 65,000 fr. concernant le budget des dotations (article « Chambre des représentants »), est mis aux voix par appel nominal et adopté à l’unanimité des 62 membres présents.
Ce sont : MM. de Florisone, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorstel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, Donny, Dubus (Bernard), Dumont, Duvivier, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Lesoinne, Liedts, Lys, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Savart-Martel, Sigart, Simons, Smits, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Verhaegen, Verwilghen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Brabant, Castiau, Cogels, Coghen, d’Anethan, de Baillet, de Corswarem, Dedecker.
M. le président – La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet.
M. Osy – Je ne pense pas que l’art. 1er rencontre d’objections dans la chambre. Je crois que l’on gagnerait du temps en ayant une discussion séparée sur l’art. 1er et ensuite sur l’art. 2.
M. le président – Cette discussion aura lieu aux termes du règlement. Mais je ne puis refuser la parole aux membres inscrits dans la discussion générale.
La parole est à M. de Tornaco.
M. de Tornaco – Les années 1843 et 1844 ont été, comme chacun le sait, deux années d’abondance. On peut dire, je crois, sans trop s’aventurer que, depuis 1830, nous n’avons pas eu deux années consécutives aussi abondantes, en céréales, en produits de la terre de toute nature.
L’agriculture, quoiqu’elle soit excessivement peu encouragée par notre gouvernement, quoiqu’elle soit, au contraire, sans cesse entravée dans sa marche par les charges toujours croissantes qui pèsent sur elle, tantôt au profit de l’Etat, tantôt au profit des provinces et des communes, l’agriculture fait cependant quelques progrès dans notre pays. Chaque année, elle étend son domaine ; des défrichements ont lieu de toute part, la culture de notre sol s’agrandit sans cesse.
Tel est, sous ce rapport, le changement qui s’opère depuis peu d’années dans notre pays, qu’une dépréciation marquée s’est fait sentir dans les propriétés rurales et particulièrement dans les terres labourables. Le gouvernement lui-même a reconnu cette dépréciation, qui ne peut être attribuée qu’à l’abaissement du prix des céréales, à cause de leur grande multiplication.
En présence de ces faits dont l’exactitude, je l’espère, ne sera pas contestée dans cette enceinte, je crois qu’il ne serait ni convenable, ni même prudent, de laisser entrer dans le pays une grande quantité de céréales étrangères. Chacun comprendra quelle doit être l’influence de l’introduction des céréales étrangères sur les céréales de notre pays, et par conséquent sur la valeur des propriétés rurales.
On comprend aussi quelles peuvent être les conséquences d’une dépréciation continue des propriétés rurales. L’industrie manufacturière, aussi bien que l’industrie agricole et le trésor ne tarderaient pas à éprouver des atteintes profondes.
Une telle dépréciation me paraît d’autant plus à craindre qu’une manie de dépenses semble régner dans certaines régions, et que le ministère semble préparer des embarras financiers à ses successeurs.
Guidé par les considérations que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, je suis contraire à l’introduction des céréales étrangères. Cependant, je ne m’opposerai pas à l’art. 1er de la loi. Je dois dire que la culture de l’orge n’est pas considérée comme une des plus avantageuses. Il est d’ailleurs nécessaire que nous puissions, au besoin, avoir recours à l’orge étrangère pour alimenter nos brasseries. Pour ma part, je contribuerai toujours volontiers à encourager l’industrie de nos brasseurs et à mettre le plus possible ses produits à la portée de la classe ouvrière.
Je me montrerais volontiers plus difficile pour le seigle. Cette culture est une de celles qui méritent le plus d’être encouragées. Elle est favorable aux progrès de l’agriculture, particulièrement dans les contrées peu avancées. Il ne faut pas perdre de vue que cette culture convient particulièrement aux parties pauvres de notre sol. Telles sont les Ardennes et la Campine.
A ces divers titres, la culture du seigle mérite incontestablement notre protection.
Aussi, tout en donnant mon assentiment à l’art. 1er, j’engagerai le gouvernement à ne pas s’attacher à établir un rapport rigoureux entre le prix du seigle et celui du froment, à faire en sorte que, dans les dispositions qu’il prendra, il accorde toujours quelque avantage de protection au seigle sur le froment.
Là se borneront mes concessions, et, pour autant, toutefois, que l’art. 1er ne soit voté que pour cette année.
Je voterai contre l’art. 2 de la loi, parce que, aux considérations que je vous ai présentées en peu de mots viennent s’en joindre d’autres qui sont toutes particulières et qui ont été suffisantes pour déterminer mon vote négatif contre cet article.
(page 168) En vertu de la loi du 6 juin 1839, 6 millions de kilogrammes de grains de toute espèce peuvent être introduits du Limbourg abandonné dans l’arrondissement de Verviers. Il résulte de cette introduction une grande souffrance pour la plupart des cultivateurs qui avoisinent le marché d’Aubel. Ce marché est, en effet, une petite localité. Ce n’est pas un grand centre de consommation. Les cultivateurs, par conséquent, essuient directement, et d’une manière écrasante, la concurrence étrangère. Aussi, messieurs, se plaignent-ils avec amertume, et se regardent-ils, à juste titre, comme les victimes d’un régime exceptionnel.
Dans les circonstances présentes, l’introduction de six nouveaux millions de kilog. de froment leur porterait le dernier coup, parce que ces grains seraient livrés à vil prix dans notre pays. Il est, en effet, de notoriété publique, messieurs, que le Limbourg regorge de grains, que la ville de Maestricht en est surchargée, et que ces grains ne sont pas des grains du Limbourg, mais des grains du Nord.
M. Desmet – Je demande la parole.
M. Rodenbach – Je la demande aussi.
M. de Tornaco – Aussitôt que l’entrée du pays leur sera ouverte, ces grains arriveront avec une extrême abondance et envahiront nos marchés où les cultivateurs indigènes seront complètement écrasés.
Il est à remarquer, messieurs, que ces cultivateurs occupés jusqu’ici de la préparation de leurs terres, n’ont pu encore livrer leurs produits à la consommation. Ce sera donc au moment où ils seront sur le point de retirer quelque fruit de leur travail de l’année, que vous les mettrez aux prises avec la concurrence étrangère.
Encore, si les cultivateurs les plus exposés étaient d’une certains puissance, ils pourraient attendre que la bourrasque de la concurrence étrangère fût passée. Mais il n’en est pas ainsi. Ce sont de petits cultivateurs qui seront obligés de vendre leurs céréales aux prix courants, de subir, par conséquent, la concurrence dams toute sa force. Ils seront, en un mot, obligés de renoncer pour cette année au produit de leur travail.
Je n’hésite pas à le dire, messieurs, l’art. 2, s’il était adopté, ; consacrerait une injustice envers les cultivateurs auxquels je fais allusion. Et quels sont, messieurs, les motifs que l’on fait valoir à l’appui de cet article ?
M. le président – M. de Tornaco, jusqu’à présent vous vous êtes tenu dans la discussion générale. Maintenant, vous vous occupez directement et exclusivement de l’art. 2. Ne vaut-il pas mieux que vous réserviez vos observations pour le moment où nous en viendrons à la discussion de cet article ?
M. de Tornaco – M. le président, mes observations s’enchaînent ; d’ailleurs, je serai très-court.
M. le président – Continuez.
M. de Tornaco – Quels sont les motifs que l’on fait valoir en faveur de l’article 2 ? C’est en premier lieu une promesse ministérielle. Mais, messieurs, parce que le gouvernement a promis peut-être trop légèrement la ruine d’un certain nombre de cultivateurs, est-ce une raison pour la chambre d’y souscrire ? Quant à moi je n’y souscrirai pas.
On dit, avec une certaine ingénuité, que dès le 17 septembre, la quantité de grains qu’il était permis d’introduire en faveur de l’art. 8 de la loi du 6 juin 1839 était épuisée. Mais supposez qu’aujourd’hui, vous permettiez l’introduction dans l’arrondissement de Verviers de six autres millions de kilogrammes de froment, et que vous la limitiez à un mois : je pose en fait que d’ici à 15 jours la quantité serait déjà épuisée. Serait-ce une raison pour qu’après ces 15 jours le ministère vînt présenter un nouveau projet de loi ? Je ne le pense pas.
Messieurs, on est allé jusqu’à prétendre que les circonstances étaient les mêmes qu’en 1840. Je dois l’avouer, messieurs, l’appétit du privilège et l’appât du grain font aventurer de singulières assertions.
En 1840, le prix moyen du froment pour tout le royaume a été de 21 fr. 56 c. ; et depuis 1843, jusqu’à l’heure qu’il est, le froment n’a pas encore atteint ce prix de 21 fr. 56 c. par hectolitre. Durant un mois entier, il ne l’a atteint qu’une fois ou deux, et c’est sur le marché de Tournay.
L’arrondissement de Verviers, en faveur duquel la loi de 1839 et celle de 1840 avaient été portées, ne se trouvait aucunement alors dans la positon où il se trouve aujourd’hui.
En 1840, Verviers ne jouissait pas de tous les moyens de communication dont le district jouit aujourd’hui. Alors Verviers n’était pas traversée par le chemin de fer, qui a, en quelque sorte, confondu son marché avec celui de Liége. Verviers, messieurs, le district intéressant de Verviers, à la faveur de ces lois exceptionnelles, est bien loin de payer ses grains à un prix supérieur au prix moyen dans le royaume.
Il a, au contraire, l’insigne avantage de les payer souvent meilleur marché. Si j’en crois une note que M. le ministre de l'intérieur a bien voulu me communiquer, mais dans l’inspection de laquelle je pourrais m’être trompé, parce qu’elle a été très-rapide, l’arrondissement de Verviers a eu l’avantage de payer son froment depuis le mois de mai jusqu’aujourd’hui à un prix inférieur au prix courant dans le royaume.
En admettant toutefois que l’arrondissement de Verviers, auquel je suis loin de vouloir nuire, fût obligé de payer ses céréales un peu plus cher que ne les payent les localités avoisinantes, je dirais que l’arrondissement de Verviers ne ferait, en cela, que suivre la loi commune. Chaque localité doit subir les conditions de sa position. De même que tous les producteurs ne peuvent pas prétendre de vendre, ainsi que tous les consommateurs ne peuvent pas avoir la prétention d‘acheter au même prix. Mais je me plais à le répéter : le district de Verviers n’en est pas là ; il jouit d’un privilège. Je ne lui conteste pas ce privilège, mais je me refuse à l’étendre, dans les circonstances présentes surtout et d’une manière imprévue, d’une manière telle qu’elle occasionnerait la ruine d’un grand nombre de petits cultivateurs.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je regrette infiniment que l’on n’ait pas adopté la marche indiquée par l’honorable M. Osy et à laquelle cependant on peut arriver si aucun autre orateur ne prend la parole dans ce qu’on appelle la discussion générale.
M. Lys – Il est entendu qu’il y aura une discussion générale sur chaque article.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si donc la discussion générale est sur le point d’être close, j’attendrai pour prendre la parole, et pour répondre à la dernière partie du discours de l’honorable M. de Tornaco, que nous soyons arrivé à l’art. 2.
M. le président – M. Osy et M. Desmet sont inscrits pour la discussion générale.
M. Osy – Puisque ma proposition n’a pas été adoptée, je ne puis renoncer à la parole dans la discussion générale.
Je n’ai pas grand’chose à dire sur l’art. 1er J’approuve entièrement la proposition que fait le gouvernement d’admettre l’orge à raison de 4 fr. et de rendre le seigle libre de droit, lorsque le froment l’est également.
Mais, messieurs, j’ai des observations très-graves à faire sur l’article 2.
Vous vous rappellerez que, lors de la discussion de la loi sur les droits différentiels, le gouvernement est venu nous dire : Nous allons jouer cartes sur table, nous allons faire connaître toutes les négociations qui ont eu lieu. Cependant, je vois, dans l’exposé des motifs à l’appui du projet de loi, qu’on nous présente une phrase qui m’a entièrement étonné. M. le ministre de l'intérieur nous dit : « En faisant droit à cette réclamation, nous remplirons en même temps une « promesse » faite au gouvernement des Pays-Bas, etc. »
Messieurs, j’ai pris des renseignements à cet égard. Les commissaires à Anvers, qui ont conclu le traité de navigation, n’ont aucune connaissance de ces promesses qui auraient été faites par le gouvernement.
L’année dernière, lors de la discussion des droits différentiels, on est venu, pour nous effrayer, nous lire une note du gouvernement des Pays-Bas, où il disait que si les droits différentiels étaient contraires à ses intérêts, il prendrait des mesures contre nous. Mais le gouvernement aurait dû nous dire tout ce qu’il avait promis à la Hollande ; car ce n’est pas seulement pour les grains qu’on fait des promesses. On en a fait beaucoup d’autres et notamment celle pour les vins dont je vous ai déjà entretenus plusieurs fois. Vous n’oublierez pas que l’année dernière, j’ai réclamé contre une circulaire du ministère des finances par laquelle, au moyen d’une simple circulaire, on admettait les vins venant de la Hollande comme ceux venant de France ; tandis que nous ne pouvons introduire du vin en Hollande par nos eaux intérieures qu’au droit de 3 fl. 10 et que nous sommes obligés de les faire transporter par mer pour arriver dans le Brabant septentrional et dans la Flandre zélandaise, vis-à-vis d’Anvers.
M. le ministre des finances nous a dit alors qu’il négociait. Effectivement nous avons vu un arrêté du gouvernement hollandais qui peut-être est la suite de cette négociation, mais qui n’est qu’un véritable leurre pour nous. Car pour qu’un navire arrivant à Anvers avec du vin puisse être expédié en Hollande aux droits réduits, il faut que la cargaison soit entière et qu’elle soit accompagnée d’un certificat d’origine. Néanmoins, le gouvernement s’est lié vis-à-vis de la Hollande par une promesse, qui toutefois ne nous lie pas. Ce qui m’étonne, c’est qu’il ne nous ait pas donné connaissance de cette promesse. J’espère qu’avant la fin de la discussion, soit en comité secret, soit en séance publique, on nous fera connaître l’état exact de nos négociations avec la Hollande.
Vous sentez, messieurs, que si l’année dernière le gouvernement avait avoué franchement l’état de ces négociations, vous n’auriez peut-être pas accordé cette concession contre laquelle j’ai seul voté. Peut-être alors aurais-je eu la majorité. Car sachez bien que le sacrifice qu’on vous demande à faire en permettant l’entrée de 12 millions de kil. de grains, ne s’élève pas à moins de 400,000 fr.
Les 12 millions de kilog. de froment dont vous permettriez l’importation tant par la loi de 1839, qui est encore en vigueur, que par la loi de 1840, dont on demande la prorogation, ces 12 millions de kilog. enlèveraient au trésor une somme de près de 400,000 fr En effet, messieurs, le droit comptant 12 hectolitres par 1,000 kilog., revient à 3 fr. 13 centimes, ce qui fait, avec les 16 centimes additionnels, 3 fr. 63 centimes par hectolitre, et on vous propose d’admettre d’abord 6 millions de kilog. en franchise de tout droit, conformément à la loi de 1839, et 6 millions de kilog. à ¼ du droit, conformément à la loi de 1840 ; le droit étant, comme je viens de le dire, de 3 fr. 63 centimes, le quart serait de 90 centimes.
M. Lys – C’est le même droit qu’en 1839.
M. Osy – On demande de faire entrer 6 millions à ¼ du droit.
M. Lys – Un quart du droit établi par la loi de 1834.
M. Osy – Eh bien, ce droit est de 35 fr. 50 c., ce qui fait 3 fr 63 c.par hectolitre, en y comprenant les additionnels ; le quart ne serait donc que de 90 c. Or, messieurs, si les 12 millions de kilog. dont il s’agit étaient apportés par mer, ils payeraient près de 600,000 fr., et s’ils sont importés au quart du droit, il en résulte une différence de 475,000 fr. au préjudice du trésor. Voilà, messieurs, ce qu’on vous demande aujourd’hui ; je vous ai fait connaître les résultats par des chiffres, parce que je considère la chose comme extrêmement importante.
Je dis, messieurs, que si l’année dernière, le gouvernement nous avait déclaré franchement que telle ou telle négociation l’avait obligé de faire la (page 169) promesse dont il nous parle aujourd’hui, nous n’aurions pas fait à la Hollande la concession relative aux sept millions de kilogrammes de café ; cette concession nous impose encore un sacrifice de 416,000 fr., car le droit sur 7 millions de kilog. à raison de 5 fr. par 100 kilog. fait 350,000 fr., ce qui, avec les additionnels, s’élève bien à 416,000 fr. Voilà donc plus de 800,000 francs que, de ces deux chefs, nous sacrifions gratuitement à la Hollande.
Cependant, messieurs, lorsque le ministre a fait au gouvernement hollandais la promesse dont il vient maintenant vous demander l’accomplissement,t, il devait connaître le nouveau tarif qui est en ce moment soumis aux états-généraux. Si ce tarif est adopté tel qu’il est proposé, il aggravera encore fortement la position de nos industries. J’en appelle, à cet égard, au témoignage de l’honorable M. Coghen ; il pourra vous dire tout le mal que ce nouveau tarif doit faire à la Belgique.
M. Coghen – Je demande la parole.
M. Osy – Voilà, messieurs, comment on conduit les affaires du pays ; on vous cache tout, tout se fait d’une manière occulte, et lorsqu’on a besoin de votre vote pour l’exécution des promesses qui ont été faites, alors seulement on lâche le mot. Je le demande à la chambre, auriez-vous permis, messieurs, l’importation de 7 millions de kilogrammes de café si vous aviez connu la promesse dont il s’agit en ce moment ? Non, messieurs, vous ne l’auriez pas fait ; vous auriez tout voté avec moi contre cette proposition.
Je viens, messieurs, vous dire quelques mots sur la manière dont on a géré nos intérêts. J’aborde maintenant l’examen de la loi même de 1839. Lorsque nous eûmes abandonné nos frères du Limbourg et du Luxembourg, nous avons cru devoir leur accorder quelques avantages douaniers afin de ne pas rendre trop brusques les effets de la séparation. C’est ainsi que nous avons permis l’importation de 6 millions de kil. de froment pour le district de Verviers. Pendant les années 1840 et 1841, les grains ont été très-chers et alors cette importation n’a pas nui considérablement à nos cultivateurs, mais depuis un an la situation est bien changée ; vous savez, messieurs, que depuis quelques années le prix des propriétés a considérablement augmenté et que le prix des baux a augmenté dans la même proportion ; eh bien, les céréales sont tellement dépréciées aujourd’hui que je ne sais pas si les baux existants pourront être continués jusqu’à leur échéance. C’est cependant dans un tel état de choses qu’on vient nous proposer de laisser entre 12 millions de kil. de grains pour ainsi dire sans droits.
Et croyez-vous que cette proposition soit faite dans l’intérêt du district de Verviers ? Non, messieurs, le grain qui arrive à Aubel est bien destiné à Verviers mais une grande partie de ce grain est transportée à Liége, à Namur et plus loin encore. En 1839, messieurs, Verviers n’avait pas un chemin de fer pour faciliter les communications avec toutes les autres parties du pays, et aujourd’hui que ce chemin de fer existe, Verviers a-t-il encore besoin de l’exception établie par la loi de 1839 ? Est-ce que Verviers ne peut pas maintenant s’approvisionner à Tirlemont, à Louvain ? Mais ce sont là les marchés naturels de Liége, de Namur et de Verviers, et le transport coûte peut-être moins de Tirlemont à Verviers, que d’Aubel à la même ville.
Ce ne sont pas non plus nos anciens frères qui profitent de la loi de 1839 ; ce sont des marchands belges qui vont acheter des céréales dans le Limbourg et les importent en vertu de la loi de 1839, ce qui leur donne un bénéfice de 2 fr. 50 c. par hectolitre.
Voilà, messieurs, les résultats de la loi de 1839. Ils sont tels que je n’hésiterai pas à proposer l’abrogation de cette loi. Il me paraît qu’après cinq ans nous pouvons faire cesser une mesure que nous avons adoptée uniquement pour opérer une transition entre l’état de choses antérieur au traité avec la Hollande, et celui qui est résulté de l’exécution de ce traité. D’ailleurs, c’est aujourd’hui au gouvernement hollandais à soigner les intérêts des Limbourgeois comme le gouvernement belge devrait soigner les nôtres.
Il y a plus, messieurs : les grains importés par Aubel ne viennent pas, en grande partie, du Limbourg hollandais ; ce sont des grains du Nord, de beaux froments de Dantzig, qui arrivent de Rotterdam à Maestricht par la Meuse. Vous avez vu, messieurs, que sur les marchés du Nord les grains ont considérablement baissé parce que, les ports anglais étant fermés, la Baltique et la Pologne sont obligées de déverser leur trop plein sur les marchés où elles peuvent s’en défaire aux conditions les moins onéreuses. Vous aurez même vu qu’à Dantzig il existait une espèce de crise. Aussi depuis six semaines, il est arrivé à Anvers 38 navires venant du Nord, qui ont porté 75,000 hectolitres de froment ; on a payé pour cette importation environ les ¾ des droits ; de sorte que le trésor a reçu de ce chef une somme de 200,000 fr.
Dans la section centrale, messieurs, j’ai fortement combattu la proposition faite par le gouvernement d’autoriser pour un temps indéterminé l’importation de 12 millions de kilog. ; la section centrale a partagé mon avis de ne pas accorder cette autorisation pour un temps indéfini, et elle a limité les effets de la loi à un terme de deux années ; j’ai voté moi-même pour ce terme ; mais aujourd’hui, d’après la manière dont le gouvernement a conduit les négociations avec la Hollande, je n’adopterai plus la loi pour deux ans ; je crois même que nous ferions très-sagement de rapporter d’ici à six mois ou un an la loi de 1839.Cette loi a été votée dans l’intérêt de nos anciens frères ; mais aujourd’hui elle ne favorise plus guère que la spéculation et nous pouvons très bien la rapporter sans faire beaucoup de tort aux Limbourgeois.
Si vous examinez les mercuriales, vous verrez, messieurs, qu’au mois de novembre le prix du froment est à Liége de 18 fr. 4 c., tandis qu’à Louvain il est de 19 fr. 35 c. Or, vous savez bien qu’à Tirlemont et à Louvain le grain devrait être à meilleur marché qu’à Liége où il s’en produit peu, et vous comprendrez facilement que cette différence de prix n’est due qu’à l’importation faite par la frontière du Limbourg. Or, je le demande, faut-il continuer à autoriser cette importation, alors que la province de Liége a des communications si faciles avec les Flandres et le Brabant qui fournissent tant de grains ?
Voyez, messieurs, ce qui est arrivé à Aubel : le 1er octobre, on a importé à Aubel 90,000 kilog. de grains ; il y avait un tel encombrement sur la route que les haies, les clôtures, ont été détruites ; on se battait pour arriver le premier, et les choses ont été poussées à tel point que les douaniers et la gendarmerie ont dû intervenir. Si c’étaient en effet nos anciens frères, les fermiers limbourgeois qui approvisionnent le marché d’Aubel, ils arriveraient successivement à mesure que leurs moyens de transport le leur permettraient, et on ne se presserait pas ainsi sur la route ; mais la spéculation s’est emparée de l’exception que nous avons votée en 1839, et ce ne sont pas du tout les cultivateurs de la partie cédée du Limbourg qui en profitent.
Je dis donc que nous ferions chose sage, en n’adoptant pas l’art. 2 du projet de loi, et en fixant un terme fatal, 6 mois ou un an tout au plus, pour rapporter la loi de 1839. J’aurai l’honneur, avant la fin de la discussion, de proposer un amendement à ce sujet.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je pense que je ferai bien de m’attacher à l’art. 2 du projet de loi ; ce sera simplifier pour le moment la discussion ; j’attendrai qu’on fasse des objections contre l’art 1er…
M. Dumortier – Je demande la parole.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je dois d’abord repousser un reproche fait dans des termes extrêmement durs par l’honorable préopinant : c’est que nous aurions trompé la chambre et le pays, en celant un engagement pris par le gouvernement. Cette question toute spéciale, à laquelle je ne pensais pas qu’on pût attacher tant d’importance, n’était pas à l’ordre du jour ; nous attendions qu’elle vînt à l’ordre du jour, pour vous faire connaître, si la nécessité l’exigeait, pourquoi le gouvernement a pris l’engagement dont il s’agit.
Messieurs, les faits sont indiqués dans le rapport de la section centrale ; néanmoins, je crois devoir les reproduire ; je le dois, parce que vous verrez à l’instant que la question, au point de vue international, se présente tout autrement que ne l’a supposé l’honorable préopinant.
Les travaux de la commission d’Anvers étaient terminés, le règlement pour la navigation de la Meuse se trouvait signé, le gouvernement était appelé à le ratifier. Le transit par la Meuse était stipulé sans restrictions dans le règlement pour la navigation de ce fleuve. Le gouvernement a reconnu qu’il était indispensable de mettre quelques restrictions à ce transit. Il est inutile que j’entre ici dans le détail des différentes tentatives qui ont été faites pour étendre ces restrictions. Je ne m’attacherai qu’aux deux points qui forment l’objet de l’article additionnel qui a été signé.
Le gouvernement a reconnu qu’il était indispensable d’obtenir une première restriction au transit par la Meuse, parce qu’il faut que, vis-à-vis du gouvernement français, il exécute l’art. 6 de la convention du 16 juillet. Cet article est ainsi conçu :
« Chacune des deux parties contractantes convient de prohiber sur son territoire le transit des fils et tissus de lin ou de chanvre de provenance tierce et à destination du territoire de l’autre partie. »
Il est superflu que je fasse remarquer ici que le mot « territoire » s’étend aussi bien de ce qu’on peut appeler la terre ferme que du transit par eau.
Il fallait donc que, sous peine de ne pas exécuter l’art. 6 de la convention linière, conclue avec la France le 16 juillet, le gouvernement obtînt l’interdiction par la Meuse, du transit des fils et tissus de lin ou de chanvre vers la France.
Vous le savez, messieurs, nos relations les plus importantes avec la France reposent sur un triple système de zones ou de droits différentiels. Le système de zones ou de droits différentiels a été consacré, pour l’industrie linière par la convention du 16 juillet : nous venons de nous occuper de ce point. Il y a deux autres industries belges qui jouissent aussi, du côté de la France, d’un système de droits différentiels. Nous avons examiné si ces deux autres industries ne pouvaient pas se trouver compromises par la liberté absolue du transit par la Meuse.
L’une de ces industries est l’industrie des houilles. Nous avons reconnu, et vous reconnaîtrez avec nous, qu’il n’y a pas de danger à admettre la liberté du transit par la Meuse pour les houilles étrangères. Cet objet est tellement pondéreux qu’il n’est pas à supposer qu’on ait recours, pour les houilles étrangères, au transit par la Meuse, afin de tenter par cette voie l’introduction en France. Nous avons donc abandonné cet objet.
Mais l’autre industrie, l’industrie métallurgique, ne présente pas la même improbabilité d’introduction en transit par la Meuse. Les fontes sont soumises, à l’importation en France, d’un droit de 7 fr. par mer, et de 4 fr. par terre. On peut très-bien supposer qu’on tente l’introduction des fontes par la Meuse.
Nous avons donc cru qu’il était de l’intérêt du pays de mettre une restriction au transit des fontes par la Meuse ; nous n’avons pas demandé la prohibition absolue, nous avons demandé un droit différentiel qui, ajouté au droit établi par terre à l’entrée en France, donne un droit supérieur au droit par mer. Nous avons donc demandé que les fontes transitant par la Meuse fussent soumises au droit de cinq francs par 100 kilog., droit qui, ajouté à celui de 4 francs par terre, produit un droit de 9 francs et même (page 170) de 9 fr. 90 c. avec les additionnels, droit qui excède le droit de 7 fr. 70 c. établi à l’entrée par mer. Dès lors, les fabricants étrangers, producteurs de fontes, ne seront pas tentés de chercher à nous faire concurrence sur le marché français, parce que le droit de 9 fr. 90, qu’ils auraient à payer par ce circuit, est supérieur à celui qu’ils devraient payer, en se présentant directement à la frontière maritime.
Voici donc l’article que nous avons proposé au gouvernement des Pays-Bas.
« Les fontes de fer seront, au transit par la Meuse, à travers le territoire belge, assujetties au droit spécial de cinq francs par cent kilogrammes, aussi longtemps que le système des zones sera maintenu en France pour l’importation de ce produit.
« De plus, le transit par la même voie des fils et des tissus de chanvre reste prohibé. Toutefois, la disposition qui précède, relative aux fils et tissus de lin et de chanvre, cessera d’être en vigueur en même temps que la convention de commerce conclue avec la Belgique et la France le 16 juillet 1842. »
Le cabinet de La Haye n’a pas cru devoir accepter cet article, sans exiger, à son tour, une concession. Il y a mis un prix, et le gouvernement néerlandais ayant persisté à ne pas vouloir accorder gratuitement l’article additionnel, il a bien fallu acheter ce qu’on ne pouvait obtenir gratuitement.
On nous a demandé que la quantité de céréales qu’il est permis d’introduire du duché de Limbourg vers l’arrondissement de Verviers, fût doublée ; on a demandé, en second lieu, que les vins français, entrant en Belgique, du côté de Maestricht, fussent admis au bénéfice de la convention du 16 juillet.
Je ne sais si nous devons maintenant examiner le point spécial des vins ; j’attendrai le cours de la discussion pour voir jusqu’à quel point il est nécessaire d’aborder cet objet.
Messieurs, le gouvernement a-t-il méconnu les intérêts du pays, en prenant l’engagement de demander à la chambre que la quantité des céréales à introduire, à un prix de faveur, dans l’arrondissement de Verviers, fût doublée ? Vous voyez d’abord dans quelle position se trouvait le gouvernement. Pouvait-il s’exposer à commettre une infraction à la convention du 16 juillet ?
Il y avait donc nécessité pour lui d’obtenir des restrictions au transit par la Meuse, au moins en ce qui concerne les fils et tissus de lin ou de chanvre. Il le devait, sinon, il se serait trouvé dans l’impossibilité de maintenir, à l’égard de la France, l’art. 6 de la convention du 16 juillet ; il se serait gravement compromis vis-à-vis du gouvernement français.
Je suppose donc que l’article additionnel ne porte que sur un point, le seul transit des fils et tissus de lin ou de chanvre ; eh bien, en s’arrêtant à cet objet unique, la conduite du gouvernement se trouverait déjà justifiée. On y a ajouté un droit pour le transit des fontes de fer, droit tellement élevé, q’il est impossible qu’on tente l’introduction par terre.
On dira : Pourquoi le gouvernement néerlandais n’a-t-il pas voulu accorder gratuitement cet article additionnel ? Le gouvernement néerlandais a fait ce que font tous les gouvernements…
Un membre – Excepté nous.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Excepté nous !... Il faudrait avoir autre chose que de simples allégations, il faudrait citer des faits.
Ce qu’on vous demande aujourd’hui, ce n’est pas gratuitement qu’on l’accorde au gouvernement des Pays-Bas ; l’art. 8 de la loi du 6 juin 1839 était une concession gratuite ; il en est de même de la loi du 6 juin 1840. Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui change cette position ; ce qui était accordé gratuitement ne l’est plus ; le gouvernement obtient en retour la concession qui fait l’objet de l’article additionnel.
Ce n’est donc pas à ceux qui ont négocié l’article additionnel au règlement de la Meuse, qu’on doit adresser le reproche de faire une concession gratuite ; au contraire, c’est pour la première fois qu’en retour des concessions que nous faisons, nous obtenons des concessions.
Il était d’autant plus facile d’accéder à la demande du gouvernement des Pays-Bas que déjà une première fois, on avait doublé la quantité de céréales à importer du duché de Limbourg dans l’arrondissement de Verviers, et que, depuis l’expiration de la loi du 6 juin 1840, il s’était constamment produit des réclamations dans l’arrondissement de Verviers. Cet arrondissement, sous le rapport de la consommation, est, il faut bien le reconnaître, dans une position toute spéciale
Il y a, messieurs, dans toutes les question de ce genre deux intérêts en jeu : l’intérêt des consommateurs et celui des producteurs. Je n’hésite pas à dire que, dans l’arrondissement de Verviers, c’est l’intérêt du consommateur qui soit l’emporter.
On dit : Mais vous allez écraser les cultivateurs de l’arrondissement de Verriers. Je dis que ces cultivateurs trouveront encore dans l’arrondissement même un débouché suffisant pour le placement de leurs produits, car il y a disproportion entre le nombre de producteurs de céréales et celui des consommateurs dans cet arrondissement.
M. Lys – C’est très vrai ! Il y a disproportion bien grande.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous entendez M. Lys, personne mieux que lui n’est en état de le savoir. Aussi, voyez quel est le prix du grain à Verviers et à Aubel. Ces prix sont beaucoup plus élevés que ceux de Liége, par exemple. J’ai sous les yeux le tableau des prix du froment à Liége, à Aubel et à Verviers depuis le premier janvier de cette année ; il se trouve que les prix à Verviers sont toujours supérieurs aux prix de Liége.
L’honorable M. Osy a fait un singulier calcul pour évaluer les conséquences financières de cette introduction de 6 millions de kilogrammes de céréales. Il a supposé que si l’exception n’était pas faite, on recevrait dans le pays les 6 millions de kilogrammes qui manquent au droit total de la loi du 31 juillet 1834. Malheureusement c’est là une conjecture, une hypothèse démentie par tous les faits. Si vous receviez les quantités de céréales étrangères qui entrent dans le pays, au droit indiqué par la loi du 31 juillet 1834, le trésor public toucherait une somme énorme. Voyez, au contraire, quelle est la somme extrêmement faible, minime, que vous avez reçue, par exemple en 1843.
On paye très-rarement le droit de 37 fr. Excepté depuis trois semaines, dit derrière moi M. Osy. Je puis encore dire que les renseignements que l’honorable membre a donnés tout à l’heure ne sont pas confirmés par ceux que j’ai reçus officiellement. J’indique ceci, sans entendre le moins du monde blesser l’honorable membre. Nous aurons puisé à des sources différentes. Je mets cette réserve dans mes paroles, bien que l’honorable membre ne m’en donne pas toujours l’exemple.
On parle de la loi qui vous est soumise, comme s’il s’agissait de faire quelque chose d’exorbitant, comme si le pays ne demandait pas de céréales à l’étranger. Chacun aura pu prendre connaissance de la statistique commerciale de 1843, et voir que, dans le cours de cette année, on a importé 100 millions de kilogrammes de céréales de tout genre ; 42,001,352 kilog. de froment pour votre consommation ; 16,476,989 kilog. de seigle et 38,452,842 kilog d’orge. Vous avez reçu ces quantités à des droits qui ne sont pas les droits élevés. En 1843, les froments sont entrés presque toujours quand le prix de 20 fr. étant atteint, il y avait absence totale de droit.
M. Osy – Ceci est clair !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si cela est clair, votre supposition vient à tomber.
Que diriez-vous de quelqu’un qui vient prétendre, après avoir entendu l’honorable M. Osy, que de ce qu’il est entré 42 millions de kilogrammes de froment, vous avez dû recevoir, à raison du droit de 37 francs, une somme énorme ?
Savez-vous ce que le trésor public a touché ? il a touché 39,775 fr. Vous voyez qu’il est entré au droit de 37 francs une très-minime quantité. Il ne faut pas perdre de vue que, si au lieu de doubler la quantité dont l’introduction est autorisée par l’art. 8 de la loi du 6 juin 1839, on abolissait cet article, vous ne pouvez pas en conclure que vous toucheriez la somme indiquée par l’honorable M. Osy.
Les céréales qui vous manquent entreraient par les ports de mer, j’en conviens, mais comme sont entrées presque toutes les quantités introduites en 1843, c’est-à-dire sans droit.
On a dit, d’une part, qu’on écraserait les cultivateurs de l’arrondissement de Verviers, qu’on les sacrifieraient aux consommateurs. Nous avons déjà répondu à cette assertion. Mais, d’un autre côté, on a dit : Vous ne faites rien pour le duché du Limbourg, pour les habitants de ce pays qu’on a bien voulu et qu’on doit appeler nos anciens frères ; les céréales que vous recevez sont des céréales du Nord qui sont entrées par la Meuse.
Ce fait est contraire à tous les renseignements que nous avons recueillis ; ce sont des céréales cultivées dans le duché actuel du Limbourg. Aussi, messieurs, c’est pour ce motif que les habitants du duché du Limbourg se sont adressés au gouvernement des Pays-Bas pour obtenir que la loi du 6 juillet 1840 fût rétablie ; les deux populations, les producteurs du duché actuel de Limbourg et les consommateurs de l’arrondissement de Verviers se sont adressés à leur gouvernement respectif. Ces réclamations simultanées faites des deux côtés, ont un certain poids à mes yeux, et font tomber la conjecture purement gratuite que les céréales à introduire à un droit exceptionnel, dans l’arrondissement de Verviers, ne seraient que des céréales venus du Nord par la Meuse. S’il en était ainsi, quel serait l’intérêt des cultivateurs du Limbourg à s’adresser au gouvernement des Pays-Bas pour obtenir la concession dont il s’agit ?
Vous voyez donc, messieurs, que nous ne froissons aucun intérêt en doublant la quotité de céréales qu’on peut introduire dans l’arrondissement de Verviers, et nous donnons satisfaction aux consommateurs de l’arrondissement de Verviers, qui, par leur nombre, l’emporte évidemment sur celui des producteurs. D’un autre côté, il nous arrive, en faisant cette concession au gouvernement des Pays-Bas, d’obtenir en retour une concession de ce gouvernement, l’article additionnel que je vous ai fait connaître.
On nous dit : Pourquoi n’a-t-on pas ajouté à cet article la clause que la quotité portée dans la loi du 6 juin 1839 sera doublée aux termes de la loi du 6 juin 1840 ? Le gouvernement des Pays-Bas a bien voulu se contenter d’une déclaration qui lui a été remise. Il a eu assez de confiance dans le gouvernement belge pour penser que la concession qu’il demande en retour serait accordée, qu’il n’était pas nécessaire d’insérer dans l’article additionnel la compensation accordée par la Belgique.
Je ne crois pas devoir insister davantage sur la position extrêmement grave où se trouverait non pas le ministère actuel, mais le gouvernement du pays, si cet article additionnel était annulé. Vous compromettriez l’industrie métallurgique et l’industrie linière.
M. Osy – Messieurs, M. le ministre vient d’avouer qu’il y avait eu promesse de la part de la Belgique vis-à-vis de la Hollande. Ces promesses ne se font pas verbalement, mais par écrit, avec des considérants. Je demande la production de cet article secret du traité de navigation et des considérants.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je m’étonne que l’honorable membre n’ait pas demander l’introduction de ces pièces à la section centrale quand j’y ai été appelé. On ne peut pas demander lecture en public d’une simple lettre. Il suffit que le gouvernement déclare que l’engagement est pris. Le gouvernement belge serait dans une très-fausse position si l’engagement (page 171) n’était pas rempli, car le gouvernement des Pays-Bas pourrait se croire en droit de retirer l’article additionnel ajouté à la convention du 20 mai.
M. Osy – Nous devons être complètement éclairés sur ce point. Il ne suffit pas de dire qu’il y a promesse, il faut que nous ayons les considérants de la promesse ; ce n’est pas seulement pour les grains que l’engagement a été pris, il l’a été également pour les vins. M. le ministre a passé très-légèrement sur les vins. Nous avons adopté les traités sans en connaître les clauses secrètes. Je demande qu’on mette ma proposition aux voix. Si on ne veut faire la communication qu’en comité secret, soit ; mais qu’on la fasse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’ai mis beaucoup de réserve dans mes explications. Mais si la chambre était en comité secret, j’aurais d’autres explications à donner.
Je regrette déjà que cette discussion ait eu lieu publiquement.
M. Coghen – La proposition faite par l’honorable M. Osy me paraît avec beaucoup de gravité. Je ne conçois pas comment il serait possible de déposer sur le bureau de la chambre les documents secrets relatifs à un traité.
Si la chambre en désire la communication, il conviendrait, je crois, qu’elle se formât en comité secret. Il y aurait alors plus d’abandon dans les explications.
M. le président – M. Coghen propose de se former en comité secret.
M. Osy – Je m’y rallie.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le gouvernement ne s’y oppose pas.
- La chambre consultée se forme en comité secret à 3 heures.
A 4 heures et demie la séance est levée.