(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 103) (Présidence de M. Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et un quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. Huveners présente l’analyse de la pièce suivante :
« Le sieur Motus, légionnaire de l’Empire, demande les arriérés de sa pension depuis 1813 jusqu’en 1835. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Delfosse – M. le ministre de l'intérieur a promis, dans la session dernière, de fournir à la chambre des renseignements sur la position des légionnaires. La pétition dont on vient de faire l’analyse nous rappelle cette promesse ; je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s’il est sur le point de la tenir ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je me félicite de n’avoir pas eu besoin de cette pétition pour me souvenir de la promesse que j’avais faite. Je pense être à même de la remplir dans quelques jours ; ce matin même, je me suis assuré que le travail est à peu près préparé dans mes bureaux.
M. David demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, le Roi m’a chargé de présenter à la chambre un projet de loi qui lui a été soumis par les ministres de l’intérieur et des finances sur les entrepôts de commerce. Je ne donnerai pas à la chambre de longues explications sur le projet ; déjà un avant-projet a été publié ; sans doute beaucoup de membres de cette chambre en ont pris connaissance. Cependant je dirai que depuis lors il a subi des modifications. Le gouvernement a eu égard aux observations qui ont été faites par quelques chambres de commerce, et notamment par celles de Gand et de Bruges. Les attributions qui étaient déférées aux entrepôts de libre réexportation sont conservées dans le projet que j’ai l’honneur de présenter à la chambre ; il est fait droit, par là, à une réclamation sur laquelle ces chambres de commerce ont particulièrement insisté.
Le projet de loi a d’ailleurs pour objet d’augmenter les facilités des entrepôts publics actuellement existants, de supprimer des frais et des formalités qui n’étaient pas d’une nécessité rigoureuse. La loi a encore pour but de créer des entrepôts francs dans les villes d’Anvers et d’Ostende. Dans ces entrepôts, presque toutes les formalités actuelles des douanes sont supprimées. Le projet renferme, en outre, le principe d’une autre institution, comme en Angleterre, sous le nom de warrants. Elle consiste à délivrer aux personnes qui entreposent des marchandises des certificats de dépôt qui leur valent des titres facilement transmissibles. Par ce moyen, les capitaux du commerce pourront ne pas rester improductifs, alors même que les marchandises resteraient en entrepôt.
Je n’entrerai pas dans de plus longs détails ; le projet de loi est accompagné d’un exposé des motifs plus développé ; avec des explications sur chacun des articles du projet.
(page 104) M. le président – Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation du projet de loi dont il vient de faire l’analyse ; le projet et l’exposé des motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, le Roi, en ouvrant la session, vous a annoncé qu’il était devenu nécessaire d’apporter quelques modifications à la législation sur la milice ; je suis chargé de vous présenter le projet de loi qui indique ces modifications.
- Le projet sera imprimé et distribué. La chambre le renvoie aux sections.
Une voix – Et la garde civique ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le projet de loi sur la garde civique sera présenté dans quelques jours.
La discussion continue sur le paragraphe « Cours d’appel ». La parole est à M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, l’honorable M. Osy m’a hier interpellé de nouveau relativement au sens que le gouvernement donne à l’art. 103 de la constitution. Je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai déjà eu l’honneur de dire à la chambre dans une précédente séance.
Il me paraît impossible d’entendre l’art. 103 de la Constitution comme le fait l’honorable M. Osy. Il est évident, d’après moi, que des occupations temporaires auxquelles un magistrat consentirait à se livrer ne peuvent pas être considérées comme des fonctions. Ces occupations ne lui attribueraient pas la qualité de fonctionnaire, et dès lors elles ne sont pas des fonctions proprement dites. Il est donc impossible d’appliquer le texte de l’art. 103 de la Constitution à des travaux spéciaux et temporaires qui seraient confiés à des magistrats.
L’art. 103 parle de fonctions salariées : peut-on considérer comme un salaire, c’est-à-dire comme un traitement attaché à une fonctions permanente, l’indemnité de travail accordée au magistrat, et qui veut bien se charger d’une besogne extraordinaire… ?
M. Verhaegen – Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – J’ai déjà dit que l’interprétation de l’honorable M. Osy aurait des conséquences fâcheuses, qu’elle pourrait, dans plusieurs circonstances, enlever au gouvernement le concours éclairé des magistrats résidant dans les villes où le travail doit s’élaborer.
Et si l’on a en vue les intérêts du trésor, quel avantage en résultera-t-il ? On admet que les magistrats chargés d’un travail spécial doivent se déplacer ; ils pourront recevoir une indemnité de déplacement, indemnité nécessairement plus forte que la simple indemnité de travail, puisqu’elle les comprend tous deux.
Je pense donc, comme je le disais dans une séance précédente, que c’est une question à décider en fait plutôt qu’en droit ; que la solution dépend des circonstances et qu’il s’agit d’examiner, pour chaque cas spécial, si l’art. 103 de la Constitution doit ou non recevoir son application.
Cette question, d’ailleurs, ne peut pas être tranchée maintenant ; elle surgit d’une manière incidente, sans qu’un fait quelconque en appelle la solution.
L’honorable M. Osy a parlé de la manière dont je m’étais exprimé lorsque j’ai pris la première fois la parole dans cette discussion ; il a dit que l’interprétation que je donnais à l’art. 103 était contraire aux doctrines que j’avais avancées, et d’après lesquelles les magistrats devaient exclusivement s’occuper de leurs fonctions judiciaires ; en me servant de ces expressions, je n’ai pas voulu leur donner un sens tel, qu’il conduirait à l’absurde ; je n’ai pas entendu interdire aux fonctionnaires de l’ordre judiciaire toute occupation en dehors de leurs fonctions habituelles ; mes paroles avaient seulement pour but d’exprimer que des occupations étrangères aux fonctions judiciaires ne devaient pas être permises aux magistrats, si ces occupations étaient de nature à les détourner de leurs fonctions habituelles, et à les empêcher de les remplir d’une manière convenable.
Je ne pense donc pas que, par l’interprétation que j’ai donnée à l’art. 103 de la Constitution, je me sois mis en contradiction avec ce que j’ai avancé dans un premier discours.
Maintenant, je demanderai la permission à la chambre d’expliquer les motifs des divers amendements que j’ai présentés, quant au chiffre des traitements des membres des cours d’appel ; je demanderai aussi à expliquer pourquoi je désire remplacer le titre de substitut par celui d’avocat-général et pourquoi je n’ai pas adopté, quant aux greffiers, les chiffres proposés par la section centrale.
Je me suis rallié au chiffre de 6,000 fr., proposé par la section centrale pour les conseillers ; je pense que ce chiffre sera voté par la chambre, qui ne voudra pas maintenir un état de choses qui met les conseillers des cours d’appel dans une position moins bonne que celle qu’ils occupaient avant 1830. Le traitement de 6,000 fr. qu’on leur accordera sera à peine suffisant, je dois le dire ; mais je suis bien forcé de m’y rallier.
J’espère que le chiffre de 6,000 fr. trouvera peu d’opposition ; la chambre ne se rangera pas à l’opinion émise par l’honorable M. de Haerne. Cet honorable membre a appuyé une augmentation de traitement pour les tribunaux de première instance ; il a reconnu qu’il était important d’augmenter les traitements des membres de ces tribunaux, et cela par les motifs sur lesquels j’ai basé toutes mes propositions, à savoir la nécessité d’appeler vers les fonctions judiciaires le plus grand nombre de capacités possible. Mais l’honorable M. de Haerne croit que cette nécessité n’existe pas pour les cours d’appel ; il pense qu’il suffit d’attirer les capacités dans les rang de la magistrature inférieure, parce que, dit-il, les membres des tribunaux de première instance seront toujours désireux d’arriver aux cours d’appel , sans qu’il soit nécessaire d’augmenter le stimulant qui les y pousse. Cet argument n’est pas admissible. Les cours d’appel ne se recrutent pas seulement dans les tribunaux de première instance, des jurisconsultes y sont quelquefois appelés sans passer par la magistrature inférieure ; ainsi le motif invoqué pour l’augmentation des traitements des tribunaux de première instance existe aussi pour les cours d’appel.
Je dirai, en second lieu, qu’il ne faut pas isoler les tribunaux de première instance ; mais il faut considérer la carrière toute entière qui est ouverte à celui qui entre dans la magistrature. Or, cette carrière serait pour lui incomplète, s’il avait, en quelque sorte, son bâton de maréchal en arrivant au tribunal de première instance, si son passage à la cour ne présentait aucun avantage réel.
Il est très-important, messieurs, qu’il y ait une assez grande distance entre les traitements des juges des tribunaux de première instance et les traitements des membres des cours d’appel ; autrement il serait à craindre que toutes les provinces ne fussent pas représentées dans les cours d’appel vers lesquelles ne seraient attirés que les membres des tribunaux du siège même de la cour.
Je crois que ces considérations répondent à celle qu’a fait valoir l’honorable M. de Haerne, et qu’il reconnaîtra lui-même que le principe qu’il a admis pour les tribunaux de première instance milite également en faveur des cours d’appel.
Je passe au traitement des présidents de chambre. Les présidents de chambre ont toujours eu, depuis le décret du 30 janvier 1811, un quart en sus du traitement de conseiller. Ce quart en sus s’élèverait le traitement des présidents de chambre non pas à 7 mille francs, mais à 7,500 francs. Je ne vois aucun motif pour dévier de la règle établie par le décret de 1811 qui me semble devoir continuer à être observée ; elle fixe entre le traitement de président de chambre et celui de conseiller une différence justifiée par la différence des fonctions.
Le premier président de la cour d’appel a maintenant 9,000 francs ; les conseillers en ont 5,000. la section centrale propose de porter à 10,000 francs le traitement de premier président et à 6,000 fr. celui des conseillers. Je me rallie à cette proposition qui me paraît équitable. En effet, si l’on n’admettait pas le traitement des premiers présidents, si on ne le portait pas à 10,000 francs au moins, messieurs, il en résulterait que la proportion qui existe aujourd’hui entre le conseiller et le premier président serait détruite ; un conseiller seul obtiendrait une amélioration de position qui serait refusée pour le premier conseiller.
Je ne vois réellement aucun motif pour ne pas continuer à observer la proportion qui existe actuellement et qui a été établie par la loi de 1832.
L’honorable rapporteur de la section centrale m’a reproché de la préférence pour les chefs de corps, en m’accusant d’avoir négligé les autres membres des tribunaux. Il vous a dit également que les premiers présidents, les procureurs-généraux ne devaient pas représenter, qu’ils ne devaient pas faire plus de dépense qu’un conseiller ou qu’un avocat-général, que, par conséquent, il n’y avait pas lieu d’augmenter leurs appointements. Je demanderai à l’honorable rapporteur si avec 10 mille fr. par an un premier président, soit à Bruxelles, à Gand ou à Liége, pourrait représenter, dans toute l’étendue de ce mot. Aussi n’est-ce pas à titre de représentation proprement dite que j’ai demandé une augmentation de traitement pour les premiers présidents ; mais sans représenter, ils ont des devoirs de positions à remplir dans l’intérêt même du corps qu’ils président et de plus je me demande pour quel motif l’on abaisserait, au détriment des premiers présidents, l’échelle proportionnelle actuellement existante depuis 1832 ?
S’il s’agissait pour la première fois de régler les traitements, si nous n’avions pas la base établie par la loi de 1832, je concevrais l’observation de l’honorable M. Delehaye ; mais, dans l’état actuel des choses, pourquoi ne pas admettre la base de la loi de 1832 ? Pourquoi nous écarter des pratiques qui ont été suivies sans inconvénient depuis cette époque ?
Je ne comprends, du reste, par pour quel motif on se montre si fort opposé à cette position plus élevée qu’on veut faire aux chefs de corps dans la magistrature.
Cette position est d’abord bien éloignée de celle qui leur est assignée en France, et qui peut paraître hors de proportion avec celle des autres membres des corps judiciaires. A la cour de Bordeaux, par exemple, tandis qu’un conseiller a 4,200 fr. de traitement, le premier président en a 20,000. Chez nous, que proposons-nous ? 10 mille francs pour le premier président et 6 mille pour les conseillers. La proportion n’est pas exagérée. Ce n’est certes pas trop demander que le chef d’un corps aussi important qu’une cour d’appel, jouisse d’un traitement de 10 mille francs, dans des villes comme Bruxelles, Gand ou Liége ?
Ainsi, qui plus est, les premiers présidents, ne sont-ils pas les élus du corps auxquels ils appartiennent ? et dès lors comment craindre de donner une influence trop forte au gouvernement, puisqu’il doit rester entièrement étranger à ces nominations ?
Je crois devoir insister pour que le traitement des premiers présidents et des procureurs-généraux soit porté à 10 mille francs. C’est le moyen de conserver à ces magistrats la position qu’ils occupent maintenant à l’égard des conseillers et des avocats-généraux.
Messieurs, la section centrale avait proposé 7 mille francs pour les présidents de chambre et le premier avocat-général. La section centrale n’a accordé aux deuxièmes avocats-généraux que 6,500 fr. et aux substituts du procureur-général que 5,500 fr.
(page 105) Messieurs, j’ai pensé qu’il était inutile de maintenir la différence existant, quant au traitement, entre le premier avocat-général et les autres avocats-généraux ; dans les fonctions qu’ils exercent, il n’y a aucune espèce de différence. A la cour de cassation, il n’y a pas de premier avocat-général ayant un traitement plus élevé que ses collègues. En première instance, il n’y a pas de premier substitut, ou, du moins, le substitut le plus ancien n’a pas un traitement plus élevé que les autres. Dès lors, je ne vois pas pourquoi on maintiendrait dans les cours d’appel une différence qui n’existe pas dans les autres ordres judiciaires.
Il est vrai que le premier avocat-général doit remplir les fonctions de procureur-général quand celui-ci est empêché ou quand le siège est vacant ; mais, dans ce dernier cas, le premier avocat-général jouit du traitement alloué au chef du parquet, et alors il est sans doute suffisamment indemnisé du surcroît de besogne que cette circonstance lui occasionne. S’il s’agir d’une absence momentanée du procureur-général, le premier avocat-général qui prend la direction du parquet et signe la correspondance est remplacé à l’audience par un substitut ou un autre avocat-général ; il n’a pas alors plus de besogne que ses collègues. Pendant les vacances, chaque membre du parquet fait alternativement le service. Il n’y a pas non plus de surcroît de besogne pour le premier avocat-général.
Messieurs, le décret du 10 juillet 1810 a créé le titre de premier avocat-général, en l’attribuant à l’avocat-général le plus ancien ; mais le décret de 1810 ne lui donnait pas d’appointements plus élevés qu’à ses collègues. C’est le décret du 30 janvier 1811, qui a assimilé le premier avocat-général aux présidents de chambre. Jusque-là il se trouvait sur la même ligne que les autres avocats-généraux. Pourquoi maintenir une différence qui n’existe pas dans les autres parquets, qui n’existe ni pour les présidents de chambre ni pour les conseillers, le titre de doyen ne donnant aucun avantage à celui qui peut le porter ?
Maintenant j’arrive à la suppression du titre de substitut du procureur-général, que je propose de remplacer par celui d’avocat-général. Je dois le déclarer d’abord : il ne s’agit pas d’une innovation, il s’agit de déclarer dans la loi ce qui existe en fait depuis longtemps ; car, comme je vais l’établir, le reste de la loi à la main, les substituts du procureur-général sont en Belgique de véritables avocats-généraux.
Qu’il me soit permis de vous lire deux textes de lois pour établir ce que j’avance.
L’art. 44 du décret du mois de juillet 1810 porte : « Les avocats-généraux sont spécialement chargés de porter la parole au nom du procureur-général aux audiences civiles ou criminelles de la cour royale.
Art. 45. les substituts de service au parquet sont spécialement chargés, sous la surveillance du procureur-général d’examiner les pièces, de rédiger les actes d’accusation et d’assister le procureur-général, etc. »
Ainsi les substituts qu’a créés le décret de 1810 n’avaient qu’un service intérieur de parquet à faire sous la surveillance immédiate du procureur-général ; ils étaient chargés de rédiger les actes d’accusation, de dépouiller les dossiers criminels, d’examiner tout ce qui avait rapport à cette partie du service ; mais ils n’étaient chargés ni des audiences civiles, ni des audiences des appels correctionnels, ni des audiences de la cour d’assises.
En France, les substituts du procureur-général portent rarement encore la parole à la cour d’assises ; ils assistent quelquefois le procureur-général ou un avocat-général, lors d’une affaire longue et importante à la cour d’assises ; mais, d’après les relations que nous voyons des débats judiciaires, les substituts ne sont presque jamais chargés seuls de ce service.
Je répète donc que ce que je demande n’est pas une innovation, mais simplement la déclaration légale de ce qui existe en fait. Je demande qu’on en revienne à la loi d’avril 1810.
Cette loi porte :
« Les fonctions du ministère public sont exercées à la cour royale par un procureur-général.
« Les substituts nommés pour le service des cours royales porteront le titre d’avocats-généraux. »
Or, les substituts actuels font le service à la cour d’appel ; ils font le service à l’audience des appels de police correctionnelle, et concurremment avec les avocats-généraux, le service des cours d’assises. Ce sont, par conséquent, de véritables avocats-généraux.
Il me paraît donc qu’il est de toute justice de donner à ces fonctionnaires un titre et des appointements qui soient en rapport avec l’importance de leurs fonctions.
On m’a fait les deux objections suivantes :
La première consiste à dire qu’on substitue le principe de l’ancienneté à celui de la capacité. On dit qu’un jeune substitut du procureur-général qui serait reconnu peu capable, devrait nécessairement , par la force de l’ancienneté, passer avocat-général.
En deuxième lieu, on me dit que je propose un traitement inégal pour les avocats-généraux alors que je combats l’inégalité du traitement quant au premier avocat-général et aux autres avocats-généraux.
Ce sont là, je pense, les deux seules objections ; il me sera facile d’y répondre.
Certainement, si l’on maintenait les substituts du procureur-général, et surtout si l’on appelait à ces fonctions de jeunes magistrats sans expérience, cette objection serait très-fondée On aurait raison de dire qu’il est peu convenable de faire passer les substituts du procureur général, avocats généraux par droit d’ancienneté, puisqu’un changement favorable de position ne devrait leur être accordé que par le gouvernement, et s’ils s’en sont montrés dignes ; si ma proposition est admise, ces inconvénients n’existeront pas ; dans l’esprit de cette proposition, il ne faut appeler aux fonctions, non pas de substitut du procureur-général, puisqu’il n’y en aura pas, mais d’avocat-général, que des hommes d’expérience et de talent qui, avant d’y être appelés, aient déjà fait leurs preuves ; de manière que les avocats-généraux nommés les derniers aient, comme les plus anciens, les capacités et le talent nécessaires pour répondre à toutes les exigences du service.
La substitution que je propose n’a donc pas les inconvénients qui ont été signalés.
J’ajouterai, du reste, que je ne conçois pas pourquoi l’on exigerait moins de capacité d’un substitut du procureur-général ou de l’avocat-général, qui le remplacerait, que d’un avocat-général qui ne ferait que le service des audiences civiles.
L’honorable M. Orts disait dernièrement qu’il est important d’avoir dans les fonctions du ministère public des hommes de talent qui soient en état de soutenir le parallèle avec les avocats distingués. Mais si l’on exige ce talent, cette éloquence, en matière civile, alors que les intérêts des deux parties sont déjà défendus par des avocats habiles, alors qu’il s’agit uniquement d’intérêts privés, je me demande comment l’on n’exigerait pas à plus forte raison, des avocats-généraux, ce même talent en matière criminelle, où la lutte s’engage véritablement entre le ministère public et le barreau.
C’est là qu’il est important que, pour me servir des expressions de l’honorable M. Orts, la lutte soit égale, et que l’intérêt de la société, confié au ministère public, trouve un habile et éloquent défenseur. Pourquoi donc reléguer sur le deuxième plan ces fonctions importantes ? comment vouloir n’y appeler que des capacités médiocres, ou du moins des jeunes gens sans expérience suffisante pour donner pleine garantie à la société ?
Je crois que la mesure que je propose est juste et très-utile. Je suis d’avis que le service des assises et des chambres civiles doit être fait alternativement par tous les avocats-généraux. Je n’admets pas que l’avocat-général doive uniquement s’occuper du service des chambres civiles ; il doit prendre part à toutes les branches du service ; il aspire sans doute aux fonctions de procureur-général ; et, d’après moi, un procureur-général doit, quand l’intérêt public le demande, aller lui-même porter la parole devant la cour d’assises. Comment donc les avocats-généraux seraient-ils capables de remplacer les procureurs-généraux s’ils demeuraient étrangers au droit criminel et s’ils n’acquéraient, par la pratique, l’expérience nécessaire ?
Je soutiens que, dans l’intérêt du service, dans l’intérêt de la bonne composition des parquets, cette mesure est utile. En effet, il faut bien le reconnaître, ce titre de substitut du procureur-général effraye les procureurs du Roi des tribunaux de première instance. Plusieurs croiraient descendre en acceptant les fonctions de substitut, et ne les demandant pas, ils privent les parquets des cours d’appel de leur talent et de leur expérience, car il leur est plus difficile d’arriver à la place de procureur-général qui leur est disputée par les substituts du parquet. La substitution que je propose aurait donc les meilleurs résultats, en ce qu’elle assurerait aux parquets des cours d’appel, le concours de ces procureurs du Roi expérimentés.
La deuxième objection consiste à dire que je suis en contradiction avec moi-même en combattant l’augmentation de traitement pour le premier avocat-général, et en demandant une différence de traitement entre les avocats-généraux les plus anciens et les avocats-généraux les moins anciens. A ceux qui me reprochent cette contradiction, je pourrais adresser un reproche semblable, puisqu’ils veulent une différence pour le premier avocat-général, et qu’ils n’en veulent aucune entre les autres avocats-généraux ; mais il me paraît qu’il existera une différence entre les avocats-généraux actuels et ceux remplaçant les substituts, pour lesquels je demande ce titre, différence qui n’existe pas entre le premier avocat-général et les autres avocats-généraux actuels ; ceux-ci ont absolument la même besogne, tandis que les deux avocats-généraux les moins anciens continueront à faire, outre le service des assises, celui du parquet, de la chambre des mises en accusation, et qu’ainsi les fonctions de substitut seront toujours en partie remplies par eux. Ainsi, à Bruxelles, ils auront à traiter les affaires criminelles des provinces du Hainaut et d’Anvers.
Cette différence de fonctions peut donc justifier la différence d’appointements que je propose entre ces fonctionnaires quoiqu’ils aient le même titre.
Au reste, si j’avais pu espérer que la chambre eût voté un chiffre égal de 7,000 fr. pour tous les avocats-généraux, je l’aurais proposé. Mais comme la section centrale n’avait demandé pour les substituts que 5,500 fr., j’ai pensé qu’en demandant 6,000 fr. pour les substituts avec le titre d’avocat-général, j’avais plus de chance de faire adopter ce chiffre par la chambre. Voilà pourquoi j’ai fait cette proposition.
Je passe au greffier de la cour d’appel ; il a 4,000 fr. ; la section centrale propose d’élever ce traitement à 5,000 fr. ; je ne vois pas la raison de cette augmentation.
Les greffiers de cours d’appel ont des émoluments assez considérables qui augmentent beaucoup les appointements fixes dont ils jouissent.
Je ne pense pas, messieurs, qu’il soit convenable de donner au greffier des appointements tellement élevés qu’il puisse devenir désirable pour un magistrat d’accepter ces fonctions. Je pense que le traitement de 4,000 fr., avec les émoluments qui se trouvent attachés à cette place, est suffisant, relativement à l’importance des fonctions de greffier.
Du reste, messieurs, il y a une raison péremptoire, me paraît-il, pour ne pas admettre l’augmentation demandée ; c’est le chiffre que vous avez adopté pour le greffier de la cour de cassation. Le greffier de la cour de cassation a 5,000 fr. ; il est impossible de mettre sur le même rang le greffier de la cour d’appel.
(page 106) Il y a plus ; le greffier de cour d’appel a des émoluments plus considérables que le greffier de la cour de cassation.
M. Delehaye – Le greffier de la cour de cassation reçoit 1,000 fr.du département de la justice
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – C’est vrai, mais c’est pour une besogne spéciale. D’ailleurs, en ajoutant même ces 1,000 fr. à son traitement, le greffier de la cour de cassation n’a pas autant d’émoluments qu’un greffier de cour d’appel.
Je ne vois donc, messieurs, aucun motif pour augmenter le traitement des greffiers de cour d’appel. J’avoue que j’aurais peine à comprendre qu’alors que l’on veut s’opposer à un simple augmentation de 1,000 fr. pour le premier président et le procureur-général, on allât donner 1,000 fr. de plus au greffier.
L’honorable M. Delehaye vous a dit hier qu’il ne serait pas juste de ne pas rétribuer davantage les greffiers de cours d’appel, alors qu’on augmentait d’une manière si considérable la besogne dont ils étaient chargés. Je ne sais, messieurs, où l’honorable M. Delehaye a puisé ces renseignements ; mais j’aurai l’honneur de lui dire que la besogne des greffiers n’est en aucune manière augmentée.
Je ne sais pas si d’autres fonctionnaires que les procureurs-généraux, les présidents et le ministre de la justice, donnent des instructions au greffier. Quant à moi, je sais parfaitement les instructions que je leur donne, et je puis affirmer que leur besogne est plus diminuée qu’augmentée.
En 1835, on a envoyé des instructions pour recommander de tenir la main à l’exécution de l’art. 80 du décret du 30 mars 1808 relativement à des tableaux que des procureurs-généraux devaient envoyer et faire faire par les greffiers pour établir la statistique civile. On s’est borné à renouveler, en 1835, ce qui existait auparavant et ce qui avait été perdu de vue pendant quelques années.
Récemment, de nouvelles instructions ont été données, et ces instructions ont pour but de faciliter considérablement au greffier la besogne à faire. Je ne puis communiquer à la chambre des instructions qui comprennent une quantité de détails ; mais si l’honorable rapporteur le désire, je lui montrerai ces instructions, et il devra reconnaître que la besogne des greffiers est diminuée.
Mais quelle est la besogne qui a été augmentée ? Ce n’est pas celle des greffiers ; c’est celle des officiers du parquet, car un travail considérable leur est imposé pour recueillir et fournir des détails statistiques nécessaires pour former les tableaux que l’on publie maintenant. Ce sont les commis du parquet qui ont cette occupation, et ce sont eux pour lesquels peut-être il sera nécessaire de faire une demande lors de la discussion du budget de la justice.
Ainsi, je ne conçois pas, je le répète, pourquoi on augmenterait le traitement du greffier, traitement qui me paraît bien suffisant.
Les appointements des commis-greffiers sont portés par la section centrale de 2 ,500 à 3,000 fr. Je me rallier au chiffre de la section centrale, qui est le même que celui que le gouvernement avait d’abord proposé, parce que les commis-greffiers ont une besogne considérable et ne jouissent d’aucun émolument. Ainsi, le motif que j’ai fait valoir pour combattre l’augmentation demandée pour le greffier n’existe pas pour combattre l’augmentation demandée en faveur des commis-greffiers.
Messieurs, dans le même paragraphe se trouve comprise l’indemnité aux conseillers pour présider les assises dans les villes où ne siègent pas les cours d’appel. Je ne sais s’il est dans l’intention de la chambre d’examiner maintenant cette question.
Je pense que oui, puisqu’il s’agit d’un chiffre compris dans le paragraphe en discussion, et que ce chiffre a été attaqué par l’honorable M.de Garcia. Cet honorable membre avait même annoncé qu’il proposerait un amendement pour faire disparaître ce chiffre, supprimer l’indemnité et confier par suite la présidence des assises aux présidents des tribunaux de première instance des chefs-lieux de province.
Un membre – Ce serait une modification à la loi.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Je me bornerai à dire pour le moment que si un pareil amendement était présenté, je m’y opposerais de toutes mes forces, parce que ce serait une modification à la loi, modification qui pourrait avoir des conséquences très-fâcheuses.
M. Delfosse – Messieurs, je laisserai à mon honorable ami M. Verhaegen, qui a demandé la parole pour répondre à M. le ministre de la justice, le soin de faire ressortir tous les inconvénients de l’interprétation que M. le ministre de la justice vient de donner à l’article 103 de la Constitution. Cette interprétation est, sans doute, conforme à la lettre de la Constitution ; mais il est au moins douteux qu’elle soit conforme à son esprit.
Je n’ai demandé hier la parole que pour répondre à une observation de l’honorable M. Dolez, qui a paru faire quelque impression sur la chambre.
L’une des principales raisons que nous avions fait valoir contre l’augmentation des traitements des conseillers des cours d’appel et des juges de première instance, c’est que, lorsqu’une place est vacante, beaucoup de candidats de mérite se présente pour l’obtenir. L’honorable M. Dolez nous a répondu : Mais lorsqu’une place de juge de paix est vacante, il se présente aussi beaucoup de candidats pour l’obtenir, et parmi ces candidats il y en a qui ont du mérité.
Pourquoi donc, si par le motif qu’il se présente beaucoup de candidats pour la cour d’appel et les tribunaux de première instance, vous refusez d’augmenter les traitements des conseillers des cours d’appel et des juges de première instance ; pourquoi alors qu’il se présente également beaucoup de candidats pour les justices de paix, consentez-vous à augmenter les traitements des juges de paix ? L’honorable M. Dolez a fait ressortir, avec son habilité ordinaire, l’espèce de contradiction qu’il a cru trouver dans nos paroles. Mais, messieurs, une remarque bien simple vous fera voir que cette contradiction n’est qu’apparente. Il est vrai que, lorsqu’une place de juge de paix est vacante, il se présente aussi beaucoup de candidats, et que, parmi ces candidats, il y en a qui ne sont pas sans mérite. Mais, parmi les candidats de mérite qui sollicitent une place de juge de paix, si l’on excepte ceux qui ont des propriétés dans le canton et qui désirent s’y fixer, il en est bien peu qui voient dans ces fonctions autre chose qu’une espèce de marchepied pour arriver à une position plus élevée. Les hommes de mérite qui se présentent pour les fonctions de juges de paix, sont donc, en réalité, candidats pour d’autres fonctions.
C’est cet état de choses, messieurs, que nous voulons changer, en mettant les juges de paix à l’abri du besoin. Nous voulons que les hommes de quelque mérite qui obtiendront plus tard des fonctions de juge de paix, puissent s’en contenter et considérer ces fonctions comme définitives ; nous ne voulons pas qu’on regarde les fonctions de juge de paix comme un marchepied, nous ne voulons pas que l’on puisse faire des juges de paix des courtiers électoraux.
Puisque j’ai la parole, je donnerai quelques explications sur un passage de mon discours qui, m’a-t-on assuré, a été interprété, par quelques personnes, dans un sens entièrement contraire à ma pensée
J’avais dit que, dans cette circonstance, mon honorable ami Verhaegen aurait l’appui de la majorité, et j’avais ajouté qu’il y avait pour cela des raisons que je m’abstiendrais d’exposer pour ne pas être accusé de manquer aux convenances parlementaires.
Quelques personnes, à ce qu’on m’a dit, supposent que j’ai voulu insinuer que mon honorable ami aurait eu, pour proposer l’augmentation des traitements de l’ordre judiciaire, des raisons cachées qu’il n’avouait pas.
Cette interprétation, qui m’a fort surpris, me force à expliquer clairement ma pensée, et à sortir d’une réserve que j’avais cru devoir garder par un respect exagéré pour les convenances parlementaires.
Lorsque j’ai dit qu’il y avait des raisons pour que la majorité appuie cette fois les propositions de mon honorable ami, je n’ai pas entendu faire la moindre allusion aux intentions de l’honorable M. Verhaegen, intention que j’apprécie mieux que personne. J’ai voulu dire qu’il y a dans cette enceinte beaucoup de membres qui appartiennent à l’ordre judiciaire et qui exercent ici, non-seulement par leurs votes, mais par les sympathies qu’ils ont su inspirer à leurs collègues, une certaine influence.
Je respecte infiniment ces honorables membres. Je n’ai pas voulu mettre le moins du monde en doute leur loyauté et leur bonne foi. Mais je crains qu’ils sont dominés, à leur insu, par le désir, assez naturel du reste, qui porte la plupart des hommes à améliorer leur position, et peut-être aussi par l’esprit de corps qui les lie aux autres membres de la législature.
M. le président – M. Delfosse, vous ne pouvez insinuer que des membres qui siègent dans cette enceinte, se laissent guider dans leur vote par leur intérêt personnel.
M. Delfosse – Je n’accuse pas les intentions, M. le président. Je sais que le règlement le défend, et je respecte le règlement.
Je ne crois pas l’avoir violé en exprimant une opinion tellement naturelle, tellement accréditée dans les meilleurs esprits, qu’en 1840, lorsqu’on a voté sur la proposition de pensionner les ministres, les honorables membres qui se seraient trouvés dans le cas d’obtenir cette pension, ont cru, par délicatesse, devoir s’abstenir.
Je viens expliquer, messieurs, le sens de mes paroles ; ceux qui en ont donné une autre interprétation connaissent bien peu les sentiments d’estime qui m’attachent à l’honorable M. Verhaegen.
M. Dolez – La chambre voudra bien me permettre de répondre quelques mots aux dernières paroles qu’elle vient d’entendre.
C’est, je l’avoue, avec un sentiment pénible que j’ai entendu l’honorable député de Liége placer sous une sorte de suspicion quelques-uns des membres de cette chambre. S’il est vrai qu’un assez grand nombre de magistrats siègent parmi nous, nous devons tous avec la conviction qu’ils n’écouteront, au moment d’émettre leurs votes, d’autres inspirations que celles de l’intérêt public.
L’honorable membre y a-t-il pensé ? Est-il donc un seul des débats qui nous occupent dans lequel nous ne soyons plus ou moins directement intéressés ? Dans toutes les questions d’impôt, par exemple, est-ce que chacun de nous n’a point intérêt à voir prévaloir telle ou telle catégorie d’impôts sur telle ou telle autre ? Cependant la pensée de suspecter mutuellement notre désintéressement et notre indépendance a-t-elle jamais surgi parmi nous ?
J’aime à croire que les paroles de l’honorable M. Delfosse ont mal reflété sa pensée ; j’en ai pour garant la bienveillante franchise qui caractérise ses relations habituelles avec ses collègues.
Je pense, messieurs, que tous les magistrats qui siègent dans cette enceinte doivent conserver une sécurité parfaite au moment où ils auront à émettre leur vote ; personne ne s’avisera de croire qu’ils ont cédé à une pensée d’intérêt individuel lorsqu’ils se seront prononcés en faveur des dispositions qui nous sont soumises.
Je dois répondre à l’honorable député de Liége, sur une autre partie de son discours. Dans l’argumentation que j’ai eu l’honneur de soumettre hier à la chambre, j’avais signalé la contradiction dans laquelle tombaient suivant moi, les adversaires du principe de la loi quand, tout en combattant ce principe, ils se hâtaient de l’admettre en ce qui concernait les juges de (page 107) paix. J’avais dit que, pour les justices de paix comme pour les fonctions supérieures de la magistrature, les candidats abondaient et que, par conséquent, s’il fallait tirer de cette abondance la preuve que les positions qu’ils sollicitent sont suffisantes, il fallait admettre cette preuve d’une manière générale et repousser sans distinction toute amélioration du sort de la magistrature de tous les degrés. L’honorable M. Delfosse soutient que la contradiction que j’ai signalée n’existe pas ; les justices de paix ne sont point, suivant lui, demandées pour elles-mêmes ; les hommes de mérite qui les sollicitent, ne les demandent que comme une sorte de laissez-passer vers les fonctions supérieures.
Cette observation de l’honorable M. Delfosse, si elle était fondée, s’appliquerait à tous les degrés de la magistrature, et je pourrai dire, à mon tour, que les hommes de mérite qui demandent les fonctions de juge ne les sollicitent que comme une sorte de laissez-passer vers les cours d’appel, et que les hommes d’un mérite plus grand, qui demandent à entrer dans une cour d’appel ne considèrent ces fonctions que comme une sorte de laissez-passer vers la cour de cassation. Evidemment, messieurs, cet argument s’applique tout aussi bien aux juges et aux conseillers des cours d’appel, qu’aux juges de paix. Il reste vrai, comme j’ai eu l’honneur de le dire à la chambre, qu’il faut chercher ailleurs la cause du grand nombre de candidats qui se présentent pour toutes les fonctions judiciaires, comme il faut chercher ailleurs la cause du grand nombre de candidats qui se présentent pour les fonctions de l’ordre administratif. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai eu l’honneur de dire, à cet égard, dans la séance d’hier, et j’aborde immédiatement l’objet, pour lequel j’ai demandé la parole à la fin de la précédente séance. Je veux parler des propositions de M. le ministre de la justice en ce qui concerne la position des avocats-généraux et des substituts.
Je dois, à mon grand regret, combattre les propositions faites par M. le ministre relativement à ces fonctionnaires.
Je crois d’abord qu’il faut maintenir la position du premier avocat-général avec les avantages qui y sont attachés, et, pour le prouver, j’invoque un argument que faisait valoir tout à l’heure M. le ministre de la justice, c’est-à-dire la nécessité de ne point faire descendre certains membres de l’ordre judiciaire de la position qui leur est acquise dans l’état actuel des choses. A propos des présidents de chambre, M. le ministre vous disait tout à l’heure qu’il fallait maintenir, quant à eux, la position relative qui leur est acquise depuis un grand nombre d’années ; eh bien, messieurs, cette position relative, je demande qu’elle soit maintenue également à l’égard des membres du parquet.
Il y a, messieurs, entre le parquet et la magistrature assise une correspondance de hiérarchie qu’il importe de maintenir et de respecter. Le procureur-général marche l’égal du premier président ; les premiers avocats-généraux marchent les égaux des présidents de chambre ; le parquet doit tenir à avoir à sa tête l’égal des présidents de chambre. Cet état de choses a-t-il donc produit le moindre inconvénient qui rend sa modification nécessaire ? M. le ministre de la justice peut-il signaler un seul inconvénient à cet état de choses qui a près de 40 années de possession ? Je n’en ai entendu signaler aucun. M. le ministre de la justice a reconnu, au contraire, que les premiers avocats-généraux sont parfois appelés à des travaux d’une difficulté plus grande que ceux auxquels doivent se livrer les autres avocats-généraux. M. le ministre a dit, à la vérité, que, dans le cas d’intérim par suite de décès ou de démission, le premier avocat-général obtient une compensation, lorsqu’il jouit du traitement du chef qu’il remplace momentanément et en cas d’absence celui qui remplace le chef est remplacé lui-même à l’audience par l’avocat-général qui le suit immédiatement ; cela est vrai, messieurs ; mais n’y a-t-il pas d’autres hypothèses que celles qui ont été prévues par M. le ministre de la justice ? Le ministère public n’a pas seulement à s’occuper des affaires judiciaires ordinaires ; sa mission acquiert parfois un caractère politique lorsque des circonstances imprévues se présentent pendant l’absence momentanée du procureur-général, qui doit le remplacer, qui doit porter la responsabilité grave attachée à l’exercice de ces fonctions. Mais c’est le premier avocat-général, qui n’a droit, à ce titre, à aucune espèce de compensation. Est-ce donc trop, rien que pour cette seule éventualité, de lui conserver le faible avantage de la position où les institutions judiciaires l’ont placé depuis 1811 ? Car c’est depuis 1811 que le titre de premier avocat-général existe, avec les faibles avantages qui y sont attachés.
Je voterai donc pour le maintien de la position de premier avocat-général.
Quant aux substituts du procureur-général, si je me laissais guider par des sympathies individuelles, j’adopterais de grand coeur la proposition de M. le ministre de la justice ; car le hasard fait que, sur les six substituts des procureurs-généraux qu’il y a dans le pays, il en est cinq avec lesquels je suis uni par les souvenirs d’une ancienne amitié, soit par des liens de parenté ; mais je fais abstraction de tout sentiment personnel pour ne voir que l’intérêt de l’institution, l’intérêt de la chose publique, et je combats franchement la proposition de M. le ministre de la justice. Je reconnais avec lui qu’il importe qu’il y ait du talent chez les substituts des procureurs-généraux comme chez les avocats-généraux ; mais le talent doit-il avoir exactement le même caractère ? Je ne le pense pas. Je crois que le service de la cour d’assises, qui est attribué le plus ordinairement aux substituts du procureur-général, exige surtout cette éloquence vive, active, entraînante qui est l’attribut des jeunes magistrats, tandis que les fonctions d’avocat-général demandent, au contraire, l’éloquence de la maturité, de la réflexion. L’une des positions est donc faite pour de jeunes magistrats ; l’autre demande plus de maturité. Toute à l’heure, messieurs, le ministre mettait ces magistrats en regard des adversaires qu’ils ont à combattre, mais M. le ministre de la justice, qui a figuré avec honneur dans les rangs du parquet, ne peut point avoir oublié que ce que je viens de dire des affaires du ministère public s’applique également au barreau. Aux avocats mûris par la pratique et l’expérience, le soin des affaires civiles ; aux avocats plus jeunes, brillant par une éloquence vive et entraînante, le soin des causes criminelles.
Pour maintenir l’égalité entre le ministère public et ses adversaires, pour maintenir l’égalité des armes, il faut donc que le service des substituts soit dévolu aux plus jeunes magistrats ; l’intérêt de la chose publique le réclame.
Une autre considération à laquelle il me semble que l’on n’a point répondu et qui nous a été soumise dans la séance d’hier par l’honorable M. Orts, c’est l’inconvénient grave d’abandonner tout l’avancement dans le parquet de nos cours aux hasards de l’ancienneté. Non point, messieurs, que j’entente dénier aux hommes qui figurent au parquet de la cour un mérité remarquable ; je sais, au contraire, ce que valent, par le talent et par le caractère, les substituts des procureurs généraux ; mais entre des hommes de mérité il est encore des degrés. Eh bien, je ne veux point que le gouvernement, ayant devant lui deux candidats, l’un appartenant à un parquet de province, l’autre appartenant au parquet de la cour en qualité de substitut, ne puisse préférer le chef du parquet de province qui se distinguerait par un mérité éminent au substitut de la cour, dont le mérite serait moindre. Voila ce que je ne veux point, dans l’intérêt de la chose publique. Je ne veux pas non plus que le gouvernement aliène le moyen de légitime influence que lui donne sur les officiers du ministère public la faculté de donner au mérite et au dévouement éprouvé un avancement noblement mérité.
Encore une fois, messieurs, des inconvénients se sont-ils manifestés par suite de la classification actuelle ? Ces inconvénients, où sont-ils ? Pour mon compte, je ne les ai jamais vus. J’aime toujours, messieurs, à maintenir la stabilité la plus grande dans les institutions du pays ; ce n’est que quand il y a utilité marquée, utilité démontrée à les modifier, que je donne mon concours aux innovations. Or, cette utilité n’a été démontrée ni pour les premiers avocats-généraux que l’on entend supprimer, ni pour les substituts que l’on veut ériger en avocats-généraux.
J’ajouterai quelques mots en terminant, sur ce qu’a dit M. le ministre de la justice à l’appui de sa proposition pour les premiers présidents. Ici, messieurs, je suis heureux de pouvoir me joindre complètement aux idées exprimées par l’honorable chef du département de la justice ; lorsqu’on augmente le traitement des membres de nos cours d’appel, je pense qu’il importe de comprendre, dans cette augmentation, le chef de la cour lui-même. Il est vrai, messieurs, qu’un traitement de 9 ou 10,000 fr. ne permettra jamais au premier président de briller par une représentation bien grande, cela ne peut être contesté ; cependant le chef d’une cour a des obligations de représentation modeste dont l’accomplissement est nécessaire dans l’intérêt du corps lui-même, dans l’intérêt de la bonne harmonie, de la confraternité. Il importe qu’à certains moments, dans certaines occasions, le chef de la cour puisse réunir les membres du corps qu’il préside.
Un membre – Et s’il ne le fait pas !
M. Dolez – S’il ne le fait pas, il manque aux nécessités de sa position, et à mes yeux, le chef de nos cours n peut pas être suspecté sous ce rapport.
Je crois donc que les propositions de M. le ministre de la justice à cet égard doivent être accueillies par la chambre ; je pense également que les motifs que M. le ministre a fait valoir, quant aux présidents de chambre, sont péremptoires, et je n’hésiterai pas à lui donner, sous ce double rapport, le concours et l’appui de mon vote.
M. de Naeyer – Messieurs, j’ai attendu jusqu’à ce moment pour demander la parole, parce que les motifs que j’ai fait valoir dans une de vos précédentes séances contre le principe de l’augmentation des traitements de la magistrature, s’appliquent spécialement aux membres des cours d’appel qui nous occupent aujourd’hui. Je vais donc maintenant tâcher de réfuter les arguments que d’honorables contradicteurs m’ont opposés.
Je dois l’avouer, il m’a toujours semblé que l’augmentation demandée pour les membres de la cour de cassation n’était pas chose sérieuse ; je n’y voyais qu’un acte de savoir-vivre de la part du gouvernement. D’un autre côté, les discours qui ont été prononcés dans le cours des débats, ont quelque peu modifié mes opinions. Je ne tiens pas du tout à avoir des opinions absolues, inflexibles ; je tiens, au contraire, à m’éclairer par la discussion. C’est ainsi que je suis disposé maintenant à faire quelque chose pour les membres des tribunaux inférieurs ; je crois que je voterai pour la suppression des tribunaux de quatrième classe. Je serai encore disposé à faire quelque chose pour les membres de la magistrature active ; car les observations qu’on m’a faites en dehors de cette enceinte, au sujet des magistrats, ont exercé une grande influence sur mon esprit : ce sont eux qui supportent une bien grande partie du fardeau de la magistrature.
Dans mon premier discours, j’ai posé trois faits ; car c’est sur des faits et non sur des suppositions que j’ai raisonné ; nous faisons des lois pour des faits et non pour des hypothèses.
J’ai dit d’abord qu’avec les traitements accordés actuellement à la magistrature, la justice est très-bien administrée en Belgique, aussi bien et peut-être mieux que dans aucun autre pays du monde. Voilà le premier fait. Je défie à qui que ce soit de le révoquer en doute.
J’ai dit, en second lieu, que cet état de choses, pleinement satisfaisant au point de vue social, peut-être maintenu, sans qu’il soit nécessaire de voter une augmentation de traitements. Ce second fait, je l’appuie sur un troisième également incontestable ; c’est que chaque fois qu’un magistrat vient (page 108) à décéder ou à donner sa démission ; le gouvernement a toujours moyen de faire des choix excellents et de nommer un magistrat au moins aussi capable que son prédécesseur ; c’est ici le moment de réfuter une objection bien faible, mais qui a été répétée à satiété. Réduisez, nous dit-on, les traitements de moitié, vous aurez encore une foule de candidats ; mais jamais, je n’ai argumenté de la foule de candidats qui se présentaient pour chaque vacature, mais des bons choix que le gouvernement a toujours la faculté de faire, parce que les candidats ne sont pas seulement nombreux, mais réunissent toutes les conditions désirables pour remplir dignement les fonctions de la magistrature.
On a cherché à me mettre en contradiction avec moi-même, parce que, tout en refusant une augmentation de traitements pour la haute magistrature, je veux cependant améliorer la position des juges de paix, car lorsqu’une justice de paix est vacante, il se présente aussi une foule de candidats. Messieurs, ici également le nombre de postulants est considérable, mais le gouvernement est-il toujours à même de faire de bons choix ? Les postulants qui affluent de toutes parts réunissent-ils les conditions de capacité et de position sociales indispensables pour exercer avec fruit cette grande, cette belle mission de conciliation que la loi confie aux juges de paix, et qui forme leur principal caractère ?
Messieurs, je ne crains pas de le dire avec ma franchise habituelle : le personnel des justices de paix laisse à désirer ; c’est pourquoi je ne suis aucunement en contradiction avec moi-même, en votant en faveur de ces magistrats une augmentation de traitements. Je veux attirer vers cette carrière un plus grand nombre d’hommes capables et surtout d’hommes qui consentent à se vouer entièrement aux fonctions de juges de paix, fonctions modestes, mais qui contribuent si puissamment au bonheur de la société. Je le sais, il y a de bons juges, j’ai l’honneur d’en connaître plusieurs. Heureux les cantons qui les possèdent ! Là nous voyons se réaliser, ce qu’on a appelé quelquefois l’utopie de l’Assemblée constituante ; là, les procès se terminent à l’amiable ; là les parties se concilient ; là les haines et les dissensions sont bannies des familles ! Eh bien, je veux contribuer, autant qu’il est en mon pouvoir, à répandre partout cet immense bienfait. Il n’arrive que trop souvent que les juges de paix exercent en même temps la profession d’agent d’affaires ; c’est là un mal très-grave à mes yeux ; il arrive aussi souvent que les fonctions de juges de paix sont conférées à de jeunes avocats qui n’ont d’autre but que d’avoir comme on, dit, le pied dans l’étrier, qui ne font que des apparitions rares dans leur canton, qui ne cherchent pas à connaître les habitudes, les moeurs de leurs justiciables, l’esprit qui règne dans les familles, et qui sont ainsi sans influence pour remplir avec fruit cette grande et importante mission de juges conciliateurs. C’est encore un abus auquel je désire remédier en améliorant la position des juges de paix ; de manière que ce ne soit plus une position de passage, si je peux m’exprimer ainsi, mais une position définitive qui détermine ceux qui sont investis de cette magistrature domestique, comme on l’a appelée quelquefois, à se consacrer entièrement à l’accomplissement de leurs augustes devoirs. Voilà, messieurs, les motifs bien puissants d’utilité sociale qui me feront voter une augmentation de traitements pour les juges de paix, et qui ne sont aucunement applicables aux autres magistrats. La contradiction que l’on nous a reprochée assez souvent est donc purement chimérique.
J’en reviens maintenant aux membres inamovibles des cours d’appel, dont l’augmentation de traitements nous occupe en ce moment. Ainsi que j’ai eu l’honneur de le dire, c’est surtout et principalement à ces magistrats que s’appliquent les observations que j’ai présentées dans une de vos précédentes séances contre le principe de la loi qui nous est soumise. En effet, pour celui qui connaît le personnel de nos cours d’appel, n’est-il pas prouvé que cette magistrature est composée des hommes les plus distinguées, des hommes les plus éminents ? Aussi, il est peu de positions sociales qui soient aussi belles, qui soient environnées d’autant de respect et de considération. C’est bien ici le cas de dire : Otium cum dignitate, sans attacher toutefois à ces paroles le sens qu’il a plus à M. le ministre de la justice de leur donner : otium cum dignitate, c’est-à-dire une vie studieuse, une vie consacrée au travail du cabinet, mais éloignée du tumulte du Forum, éloignée de la lutte des passions politiques et autres, éloignée aussi de cette lutte acharnée que se livrent entre elles les industries et les professions exploitées par la libre concurrence. Et puis une position rehaussée par l’éclat d’une haute dignité, rehaussée par le respect, les hommages de l’opinion publique, ne sont-ce pas là, messieurs, les caractères propres à la magistrature inamovible de nos cours d’appel ? Or, il m’est impossible d’admettre qu’en Belgique un traitement de 5,000 francs serait trop peu élevé pour attirer vers des fonctions si belles, si indépendantes, si paisibles et si respectées, des hommes du plus haut mérité.
Aussi, quand une place de conseiller est vacante dans une cour d’appel, voyez quels sont les hommes qui se présentent pour l’obtenir ; quels sont les candidats présentés à la nomination du gouvernement par les cours et par les conseils provinciaux. Ces candidats ne sont-ils pas l’élite de la nation ? Et n’est-il pas vrai de dire que le gouvernement se trouve même dans l’impossibilité de faire de mauvais choix ? Pourquoi donc une augmentation de traitement ?
J’ai maintenant quelques mots de réponse à adresser à l’honorable M. Verhaegen.
L’honorable membre a parlé de mon puritanisme, mais il y trouve quelque chose à reprendre : mon puritanisme aurait plus de valeur à ses yeux, paraît-il, si je n’avais pas le malheur de toucher une indemnité mensuelle de 423 francs et quelques centimes. (Interruption.)
Pour être un vrai puritain, je devrais imiter l’exemple de l’honorable membre. Verhaegen qui ne touche pas une indemnité pour frais de déplacement attendu qu’étant établi à Bruxelles, il ne se déplace pas pour exercer ses fonctions législatives. Quant à moi, j’ai le malheur de devoir me déplacer, et il arrive ainsi que j’ai aussi le malheur de jouir d’une indemnité pour frais de déplacement. Sans cela l’honorable M. Verhaegen m’accorderait, paraît-il, la qualité de puritain sans restriction. Il faut donc que je renonce à cet honneur.
L’honorable M. Verhaegen avoue que les candidats pour les cours d’appel sont bons et même excellents, cependant il y trouve aussi quelque chose à redire. – Ce ne sont pas des prolétaires. (Interruption.) C’est bien là, je pense, le sens des paroles que l’honorable membre a prononcées. En outre, il arrive souvent que ce sont des propriétaires.
D’abord, je ne sais pas ce que l’honorable membre entend par cette absence de qualité de prolétaire. L’honorable membre veut-il dire que beaucoup de magistrats vivent dans le célibat ? mais le célibat est un état comme un autre. La religion catholique impose au ministre du culte l’obligation de vivre dans le célibat.
Quel est le but de cette loi ecclésiastique ? C’est de dégager le prêtre du soin d’élever une famille, afin qu’il puisse se dévouer complètement à l’accomplissement de ses augustes devoirs, vivre peu pour lui-même, beaucoup pour les autres, beaucoup pour l’humanité et surtout pour l’humanité souffrante. Eh bien, si le magistrat trouve convenable de suivre bien vaguement une règle de conduite analogue, si le magistrat qui, ainsi que le disait l’honorable M. Castiau, est aussi revêtu d’une espèce de sacerdoce, trouve bon de ne pas s’engager dans les liens du mariage, afin que, dégagé du soin d’élever une famille, il puisse vaquer plus librement à ces graves études de cabinet dont vous a parlé l’honorable membre de la justice, personne ne peut, ce me semble, trouver à y redire. Je ne vois ici aucun mal auquel il soit nécessaire de porter remède par une nouvelle dépense à la charge du trésor public. Si le magistrat reste célibataire, c’est alors qu’il le veut bien, car ce ne sont pas précisément les occasions qui manquent pour celui qui veut sortir de cet état, d’ailleurs très-respectable. (On rit.)
Non-seulement, selon l’honorable M. Verhaegen, les candidats pour la magistrature ont le tort de ne pas être prolétaires, ils ont encore celui d’être propriétaires. Mais encore une fois quel mal y a-t-il à cela ? Cela l’empêchera-t-il d’être juste envers tout le monde, de juger avec impartialité ceux qui sont propriétaires et ceux qui ne le sont pas ? Craint-il qu’ils n’aient de prédilection pour les justiciables qui ont avec eux de commun la qualité de propriétaires ? Certainement ce ne sont pas les intentions de l’honorable M. Verhaegen ? Il a des rapports trop fréquents avec la magistrature pour concevoir de semblables craintes.
Au reste, tous les magistrats ne sont pas propriétaires. Je connais plusieurs magistrats qui sont sortis de cette classe de prolétaires dont parle l’honorable M. Verhaegen, et qui sont heureux de leur position.
Ici, je me rappelle encore l’opinion développée par l’honorable M. Dolez ; c’est que souvent on se lance dans la magistrature, et une fois qu’on y est, on se repent d’avoir embrassé cette carrière. Il en est de même pour toutes les autres carrières, aussi bien la carrière industrielle que pour toutes celles des fonctions publiques. N’entend-on pas souvent des industriels dire : Si j’avais à faire mon chemin, je m’y prendrais autrement que je l’ai fait ? D’ailleurs, ainsi que l’honorable M. Delfosse l’a si bien démontré, avec la logique serrée qui le caractérise, un traitement de 5,000 francs, garanti pour toujours, peut suffire aux besoins d’un magistrat sans fortune qui n’a pas la qualité de propriétaire, pourvu qu’il suive ce genre de vie modeste, austère, si conforme au caractère dont il est revêtu et dont l’honorable membre vous a si bien tracé le tableau.
Mais, dit-on encore, il faut que la magistrature se recrute dans les sommités du barreau, c’est pour cela qu’il faut lui accorder une augmentation de traitement. L’honorable M. Savart nous a dit avec beaucoup d’esprit des choses très-positives sur l’administration de la justice, même en ce qui concerne les petits tribunaux. Cet honorable membre, fort de sa vieille expérience, vous a dit qu’une augmentation de traitement n’aurait pas pour résultat d’obtenir que le barreau devienne réellement la pépinière de la magistrature, parce que, ainsi que l’honorable membre l’a fait observer, la magistrature se recrutera toujours de préférence dans ses propres rangs. C’est ainsi qu’un des avocats de la Belgique le plus profondément versé dans la science du droit s’est présenté dans le temps pour entrer à la cour de cassation, et que la cour n’a pas jugé convenable d’admettre son pourvoi. De même il est arrivé que des avocats très-distingués se sont mis sur les rangs pour être présentés comme candidats par des cours d’appel, et que ces cours leur ont fait entendre qu’elles trouvaient moyen de se recruter dans les rangs de la magistrature ! Ainsi ce n’est pas précisément le barreau qui refuse d’accepter les fonctions de la magistrature, et sous ce rapport, encore, je ne vois pas la nécessité de voter une nouvelle dépense.
Mais comment voulez-vous que ces sommités du barreau entre dans la magistrature ? Croyez-vous que l’avocat qui s’est créé une carrière brillante, qui s’est fait un nom au barreau, acceptera une place de juge de première instance ? Je ne le pense pas ; vous voulez le faire entrer d’emblée à la cour d’appel ou à la cour de cassation. Je ne sais pas si les facilités augmenteront avec l’élévation du traitement, j’en doute.
Mais, dit-on, il faut rétribuer les fonctions judiciaires, de manière que l’article de la Constitution qui dit que tous les Belges sont égaux devant la loi et admissibles aux fonctions publiques, soit une réalité.
Je n’ai jamais pu comprendre cet article en ce sens que la société serait engagée à fournir à tous ses membres les moyens matériels et (page 109) pécuniaires de parvenir à tous les emplois. Ce n’est pas là le sens que l’assemblée constituante, le congrès, a donné à cette disposition. Autrement il faudrait établir une université, si pas dans chaque commune, au moins dans chaque canton, afin que tout le monde fût mis à même d’acquérir le connaissances nécessaires, indispensables pour occuper les fonctions et les emplois. Or, personne ne soutiendra, je pense, que telle ait été la volonté de notre congrès national.
Messieurs, une observation qui m’a paru assez étrange, c’est que depuis quelque temps l’on est pour ainsi dire tenté de donner l’épithète d’aristocrate à ceux qui veulent encore sérieusement le gouvernement à bon marché, et cela toujours en vertu de l’article de notre Constitution, dont je viens de parler.
C’est ainsi qu’on a prononcé le mot d’ « aristocratie », lorsque je me suis élevé contre ces pensions spéciales que l’on voulait accorder aux ministres. Dans la discussion actuelle, je crois avoir entendu retentir les mêmes paroles. Ils étaient donc aristocrates, ces hommes de la révolution, qui, en combattant glorieusement pour conquérir notre indépendance et fonder notre nationalité, inscrivaient sur leurs drapeaux : « Economie, gouvernement à bon marché » ? Car c’est ainsi que les choses se sont passées. L’honorable M. Dumortier vous l’a dit hier et il a le droit d’en parler, lui qui a pris une part si patriotique à notre régénération politique, et il faudrait dire aussi que le congrès national a bien mal rempli sa haute mission, puisque, par l’article dont il s’agit, il aurait rendu le gouvernement à bon marché impossible, alors que le peuple versait son sang pour atteindre ce but qui était dans les vœux du pays.
Messieurs, il me reste un petit compte à régler avec M. le ministre de la justice. Il a invoqué contre moi un axiome appartenant, me paraît-il, à la scolastique, que voici : Qui nimium probat, nihil probat. Il me semble que, quand on prouve trop, on prouve quelque chose. Si j’ai prouvé trop, le trop je l’abandonne ; pourvu qu’il en reste assez pour établir mon opinion, cela me suffit ; cependant j’admets bien gratuitement l’axiome dont il s’agit.
Qui prouve trop ne prouve rien, mais au moins il faudrait prouver que je prouve trop. Vous prétendez que je prouve trop, parce que j’aurais dit qu’une fonction est suffisamment rétribuée lorsqu’en cas de vacature il se présente un grand nombre de candidats. Or, diminuez les traitement de la magistrature, et les candidats ne vous manqueront pas. C’est évidemment prouver trop ; or, jamais je n’ai soutenu une semblable opinion, jamais je n’ai argumenté du nombre des candidats, mais bien de la capacité des candidats pour soutenir que la magistrature et notamment celle des cours d’appel, est suffisamment rétribuée. Ainsi ce n’est pas moi qui prouve trop mais M. le ministre qui va trop loin, en me prêtant une opinion assez singulière que je n’ai jamais énoncée.
M. le ministre s’associe volontiers à mes éloges pour la magistrature, mais quant à ma sympathie, ce n’est pas la même chose, il la trouve stérile. Je dois dire que cela m’a vivement peiné. Comment ! ma sympathie est stérile, et pourquoi cela ? parce qu’elle n’est pas appuyée d’un peu d’argent : mais c’est là une manière de voir qui frise au moins ce matérialisme dont M. Castiau vous parlait l’autre jour.
M. le président – Je dois interrompre l’orateur pour le prévenir qu’il doit s’adresser à la chambre ou au président.
M. de Naeyer – M. le président, ce n’est qu’une forme, et des membres plus anciens que moi me disent que cette forme est d’usage.
M. le président – Aux termes du règlement, les orateurs doivent s’adresser au président ou à la chambre.
M. Dumortier – Il n’y a rien de semblable dans le règlement.
M. de Naeyer – Je tâcherai d’observer le règlement, je remercie M. le président de son observation ; si je m’écarte du règlement, ce sera bien malgré moi
M. le président - J’en ai la conviction.
M. de Naeyer – Enfin j’ai trouvé qu’on qualifiait ma sympathie de stérile, parce qu’elle n’était pas appuyée d’écus, et je dois protester contre cette manière de voir. Eh quoi, les sentiments les plus généreux, les sentiments d’estime, de respect, de vénération, de sympathie, n’auront plus aucune valeur, seront stériles lorsqu’ils ne sont pas accompagnés d’espèces sonnantes, et quand mes paroles sont respectueuses, quand on n’y trouve rien à critiquer, on croira pouvoir remonter à mes intentions, fouiller en quelque sorte dans le sanctuaire de ma conscience, et là on ne trouvera que stérilité, parce que l’argent, le principe fécondant, n’y est pas. Mais ces écus dont vous vous prévalez pour établir la réalité de votre sympathie, où les puisez-vous donc si ce n’est dans la poche des contribuables ? Avouons que c’est là une ressource dont nous pourrions user avec la même facilité et que c’est acquérir à bon compte le droit de révoquer en doute la réalité des sentiments de ses adversaires.
M. Verhaegen – Je n’ai pas demandé la parole pour répondre à l’honorable M. de Naeyer ; aussi, je dois le dire, si dans son premier discours, que nous avons écouté avec beaucoup d’attention, il s’est trouvé plus d’un argument sérieux que nous avons combattu, je n’ai rien vu de sérieux dans sa réplique.
Mais j’ai demandé la parole quand M. le ministre de la justice combattait, il n’y a qu’un instant, l’opinion de mon honorable ami, M. Osy, au sujet de l’application de l’article 103 de la Constitution ; je l’ai demandé parce que, comme l’honorable M. Osy, je voulais protester de toutes mes forces contre l’interprétation que donne le gouvernement à l’article 103 de la Constitution.
J’ai trouvé le moment favorable, parce que ma protestation est un argument de plus pour renforcer tout ce que j’ai dit, dans la discussion générale, quant à l’importance de la magistrature belge.
Si, dans la discussion générale, j’ai élevé l’ordre judiciaire si haut, trop haut peut-être, d’après quelques-uns de mes honorables collègues, c’est que j’y étais engagé par la position qu’avait faite à cet ordre notre pacte fondamental. C’est en partant des art. 103 et 107 de la Constitution que j’arrivais aux conséquences que j’ai déduites.
Si j’ai pensé qu’il fallait augmenter les traitements de la magistrature, c’est que je voulais que la magistrature ne pût jamais rien toucher au-delà des émoluments qui lui sont assignés par la loi, et surtout qu’elle ne pût rien toucher des mains du pouvoir exécutif, à quelque titre que ce soit.
Je regrette, je dois le dire, que M. le ministre de la justice soit venu diminuer la force de nos arguments communs lorsqu’il a cherché à interpréter l’art. 103 de la Constitution dans un sens contraire à celui de mon honorable ami M. Osy.
Encore une fois la magistrature doit rester étrangère à toute spéculations industrielles ou commerciales ; le projet renferme une disposition spéciale sur ce point ; ensuite elle ne peut rien toucher au-delà des appointements qui lui sont assignés par la loi ; surtout elle ne peut rien toucher des mains du pouvoir.
Quant au texte de l’art. 103, je crois qu’il est tellement général qu’il s’applique indistinctement et aux traitements proprement dits, et aux indemnités, quelles qu’elles soient, et qui, en définitive, ne sont que des traitements déguisés ; l’esprit dans lequel cet article a été conçu confirme d’ailleurs ce texte ; car la Constitution a voulu que la magistrature qui doit être indépendante, non pas dans l’intérêt de ses membres, mais dans l’intérêt des justiciables et des principes constitutionnels, dût rester à l’abri de toute influence du pouvoir exécutif, qu’elle fût, en un mot, ce que la Constitution a voulu qu’elle fût, un pouvoir indépendant et inamovible, il faut établir en principe que les membres de ce pouvoir inamovible et indépendant ne peuvent jamais rien toucher à quelque titre que ce soit, des mains du pouvoir exécutif.
Et comment, d’ailleurs, pourrait-il en être autrement, lorsqu’à côté de l’art. 103 vient se placer l’art. 107 qui démontre toute l’importance de l’ordre judiciaire belge, importance que semblait lui dénier hier l’honorable M. Dumortier dans des termes plus ou moins inconvenants en jetant la confusion dans les pouvoirs et en établissant une véritable anarchie ? N’est-il pas évident que si les cours et les tribunaux n’appliquent par les arrêtés et les règlements généraux que quand ils les trouvent conformes à la loi ; que s’ils les écartent même et disposent sans y avoir égard, lorsqu’ils sont inconstitutionnels, n’est-il pas évident qu’ils agissent comme un pouvoir entièrement indépendant sur lequel le pouvoir exécutif ne peut exercer aucune influence ?
C’était par ces considérations importantes que j’étais mû, lorsque j’ai parlé des sympathies que j’avais pour la magistrature de mon pays, non pas dans l’intérêt de ses membres, mais dans l’intérêt des justiciables, dans l’intérêt des principes constitutionnels.
Le principe de l’art. 103 n’est que le corollaire d’un autre principe qui veut que les membres de cette chambre n’acceptent aucune fonction salariée sans être soumis à une réélection.
Si l’on entend le principe de la manière dont l’entend M. le ministre de la justice, les membres de l’ordre judiciaire, comme les membres de la chambre, seront à la merci du pouvoir exécutif ; car, sous le nom d’indemnités, on laissera à un membre de l’ordre judiciaire, ou à un représentant, la perspective d’une position meilleure, et au moyen de cette perspective, on pourra quelquefois arriver à des concessions qu’on n’obtiendrait pas sans cela. C’est ce que la constitution n’a pas voulu, c’est ce qu’elle a formellement proscrit.
Cette vérité est si palpable que certains honorables collègues, comprenant leur dignité comme elle mérite de l’être, ont même pensé que lorsque, comme avocats, ils prêtaient leur ministère au gouvernement, ils ne pouvaient pas accepter des honoraires sans se soumettre à une réélection. Honneur à ces collègues qui comprennent si bien leurs devoirs et savent faire abnégation de leurs intérêts privés !
Je n’en dirai pas davantage sur le fond de la question ; mais puisque j’ai la parole, je me permettrai de formuler en peu de mots mon opinion sur les différents chiffres concernant les membres des cours d’appel.
Par toutes les raisons données par mes honorables amis et développées par M. le ministre de la justice, j’appuie les chiffres quant au premier président et quant au procureur-général. Mais je ne puis partager l’opinion de M. le ministre de la justice, relativement aux officiers du parquet.
Ici je suis tout à fait de l’opinion de l’honorable M. Dolez : il faut dans les parquets la même hiérarchie que dans les cours et tribunaux. Cette hiérarchie, il la faut d’abord par toutes les raisons qui vous ont été déduites, et que je ne veux plus reproduire pour ne pas abuser de vos moments.
Mais il est une dernière raison qu’on semble avoir oubliée ; la voici : On disait naguère que les parquets étaient désertés, que les membres des parquets briguaient les fonctions de la magistrature inamovible, aussitôt qu’il y avait des vacatures, et on avait cité des exemples qui pouvaient donner quelque force à l’objection. Eh bien, c’est précisément pour faire cesser cette objection qu’il faut conserver au parquet la hiérarchie qui existe dans les cours et les tribunaux.
S’il n’y a que des places d’avocats-généraux, sans distinction aucune, quel sera l’avenir offert à ces divers fonctionnaires ? Je conçois que s’il y a des substituts du procureur-général, des avocats-généraux, un premier avocat-général, un procureur-général, il y aura émulation parmi les officiers du parquet ; il y aura perspective d’avancement, ce qui est toujours un grand mobile.
Pourquoi n’en serait-il pas dans les parquets comme dans les cours et les (page 110) tribunaux ? Il y a dans les cours un premier président, un doyen d’âge, auquel certains avantages honorifiques sont accordés, des présidents de chambre, des conseillers. Encore une fois, pourquoi ne pas conserver cette même hiérarchie dans les parquets ?
Il y aurait un procureur-général, un premier avocat-général, des avocats-généraux, un premier président, des présidents de chambre, des conseillers. Il y aurait, de plus, des substituts, aspirant à occuper le fauteuil d’avocat-général, lorsqu’ils auront rempli leurs fonctions avec zèle et distinction.
Mais non ; on détruit la hiérarchie ; on ne veut plus que les avocats-généraux. Mais c’est toucher à des positions acquises, c’est bouleverser toute une organisation !
D’ailleurs, aux considérations qui ont été déduites, j’en ajouterai une autre. Je ferai remarquer qu’il y a autant d’avocats-généraux que de chambres civiles. Ainsi, à Bruxelles, il y a trois chambres civiles. A Gand, il y a deux avocats-généraux et deux chambres civiles ; ainsi, un avocat-général par chambre civile. Voilà les choses comme elles doivent l’être, sauf au procureur-général à charger de ce service un avocat-général dans certaines circonstances.
En admettant la proposition de la section centrale, quant aux chiffres, je crois avoir atteint le but que nous voulons tous atteindre : une hiérarchie et les conséquences de cette hiérarchie. C’est sous ce point de vue que je me rallierai à ces chiffres.
Quant aux greffiers, messieurs, je ne vois pas pourquoi M. le ministre ne se rallie pas au chiffre de la section centrale. Les raisons données par cette section me paraissent péremptoires. Il faut d’ailleurs, une différence entre les greffiers des différentes cours et des tribunaux ; et en établissant le chiffre à 5,000 fr., je crois que la proportion est bonne.Les fonctions de greffier de cours d’appel ne sont pas de si peu d’importance. Ces ouvrages statistiques dont on vous a parlé et que l’on veut bien attribuer aux membres du parquet, sont en définitive l’œuvre des greffiers. MM. les membres des parquets y mettent leur nom ; mais la besogne matérielle est faite par les greffiers.
Il est de toute justice de payer chacun d’après ses œuvres, et je crois qu’en allouant aux greffiers le chiffre proposé par la section centrale, elle ne fera que leur rendre la justice qui leur est due.
Voilà, messieurs, ce que j’avais à dire sur les détails de l’article en discussion. Mais je ne terminerai pas sans dire quelques mots en réponse à l’honorable M. Delfosse.
Je remercie, en de tout cœur, l’honorable M. Delfosse de l’explication qu’il a cru devoir donner à la chambre. Pour moi, messieurs, elle n’était pas nécessaire, car nos relations politiques et d’amitié sont telles que j’étais d’avance convaincu qu’il n’y avait dans les paroles de l’honorable membre aucune allusion qui pût m’être défavorable ; il a cru cette explication utile pour le dehors ; je l’en remercie de nouveau.
Mais je regrette que, dans cette explication, mon honorable ami ait cru devoir déplacer l’allusion. Qu’on ne pense pas, car j’ai aussi à cet égard une conviction profonde, que l’intention de l’honorable M. Delfosse, ait été de suspecter aucun de ses collègues. Ses intentions sont trop bonnes et trop franches pour qu’on puisse les soupçonner en aucune manière ; il dira avec moi, je me plais à le croire, que non-seulement il n’y a pas d’inconvénient à ce que ceux de nos honorables collègues qui appartiennent à la magistrature, prennent part au vote, mais même que leur mandat les y oblige.
M. Vanden Eynde – Aussi, messieurs, malgré l’insinuation de l’honorable M. Delfosse, malgré son espèce de mercuriale, je n’hésite pas à me prononcer et à faire connaître mon opinion sur la loi en discussion, et je crois que je le ferai avec autant d’indépendance de caractère et de délicatesse que l’honorable M. Delfosse et que tout autre membre de cette assemblée.
Messieurs, j’ai principalement demandé la parole pour m’expliquer sur l’interprétation que veut donner à l’art. 103 de la Constitution l’honorable ministre de la justice. J’avais pensé qu’en réfléchissant avant de répondre à l’honorable M. Osy, M. le ministre de la justice n’aurait plus professé l’opinion qu’il avait émise dans une précédente séance.
Avant-hier, messieurs, j’ai eu l’honneur de vous exposer pour quels motifs et dans quel but le congrès national avait fait de l’ordre judiciaire l’un des grands pouvoirs de l’Etat. C’était pour le soustraire à toute influence quelconque de la part du gouvernement, et c’est aussi dans ce même but que le congrès national, par un article formel de la Constitution, a donné aux cours de cassation et d’appel le droit de nommer elles-mêmes leur président et leurs vice-présidents, afin que le gouvernement ne pût en aucune manière faire de ces fonctionnaires des hommes de pouvoir.
Ces diverses dispositions de la Constitution, qui sont relatives à l’organisation du pouvoir judiciaire renferment le principe de l’indépendance des magistrats et cette indépendance des magistrats doit, dans mon opinion, être poussée dans les limites les plus extrêmes. C’est pour cela que je crois, avec l’honorable M. Verhaegen, que le magistrat inamovible ne peut recevoir du gouvernement aucune indemnité pour faire partie d’une commission quelconque. J’ai eu l’honneur, il y a quelques mois, de m’expliquer encore à cet égard dans cette enceinte.
Je pense donc que M. le ministre de la justice est dans l’erreur, lorsqu’il émet une opinion contraire à celle qu’a énoncée l’honorable M. Verhaegen.
Un second point, messieurs, m’a décidé à prendre la parole dans cette discussion ; c’est l’insistance de M. le ministre de la justice à vouloir donner aux premiers présidents des cours d’appel un traitement de 10,000 fr.
Dans la séance d’hier, j’ai encore eu l’honneur de vous exposer les motifs pour lesquels je crois que la disproportion est trop grande entre le traitement du premier président et celui que la section centrale propose d’allouer aux conseillers des cours d’appel. Car c’est du traitement alloué aux conseillers qu’il faut partir pour fixer et celui des présidents de chambre et celui des premiers présidents.
Quant aux présidents de chambre, M. le ministre de la justice est d’avis qu’il faut suivre la règle qui a été admise par la loi du 27 ventôse an VIIII, et qui, par conséquent, a été suivie depuis quarante-cinq ans.
Je crois, messieurs, qu’il faut aussi appliquer le système admis par cette loi, au premier président. M. le ministre de la justice prétend que ce système ne peut être appliqué dans cette circonstance. Je ne comprends pas les motifs qui le déterminent ; d’autant plus qu’il déclare lui-même que le traitement du premier président des cours d’appel ne doit pas être élevé en considération d’une représentation. En effet, le premier président de la cour d’appel n’est pas l’homme du pouvoir, et partant il ne doit pas représenter. Je suis sur ce point parfaitement d’accord avec M. le ministre de la justice, et c’est aussi pour cette raison que je crois qu’en se conformant à la base de la loi du 27 ventôse an VIII, on rend pleine justice aux chefs des cours d’appel.
M. le ministre de la justice a dit, au commencement de cette séance, que si l’on n’élevait pas le traitement des premiers présidents des cours d’appel à 10,000 francs, les conseillers seuls obtiendraient un avantage. M. le ministre de la justice a oublié comment il se fit que, dans la loi de 1832, les premiers présidents des cours d’appel ont obtenu un traitement de 9,000 francs, tandis que les conseillers n’ont obtenu qu’un traitement de 5,000 fr.
Vous vous rappellerez, messieurs, qu’au premier vote de cette loi, la chambre des représentants avait fixé les traitements des membres des cours d’appel conformément au système établi par la loi du 27 ventôse an VIII, c’est-à-dire qu’elle avait décidé que le vice-président aurait le traitement de conseiller et un quart en sus, et le premier président, le traitement de conseiller et moitié en sus. Partant de cette base, la chambre avait fixé le traitement de conseiller à 6,000 francs et celui du premier président à 9,000 francs. Mais le sénat a refusé d’accorder aux conseillers le traitement de 6,000 francs et a cependant voté celui de 9,000 francs pour le premier président. Voilà pourquoi, dans la loi de 1832, il y a une si grande disparité entre le traitement du conseiller et celui du premier président de cours d’appel.
J’espère, messieurs, que vous observerez la hiérarchie en maintenant le traitement du premier président à 9,000 fr. et que vous rendrez justice aux conseillers de cours d’appel et que vous établirez une proportion hiérarchique entre eux et leur chef, en fixant leur traitement à 6,000 fr.
J’avais l’intention de dire quelques mots relativement aux changements que veut faire subir au parquet M. le ministre de la justice ; mais les honorables MM. Dolez et Verhaegen ont suffisamment déduit les motifs qui me détermineront à accepter les propositions de la section centrale. Je crois inutile d’ajouter de nouveaux arguments à ceux qu’ils ont présentés.
M. Dumortier – Messieurs, l’honorable M. Verhaegen me paraît ne pas m’avoir compris tout à l’heure. Il a cru que je trouvais mauvais que les tribunaux en Belgique examinassent les arrêtés du gouvernement, et il a fait remarquer qu’une disposition formelle de la Constitution, l’art 107 si je ne me trompe, leur donner ce pouvoir.
Loin de moi, messieurs, cette pensée. J’ai toujours prétendu, et je prétends encore que les tribunaux doivent examiner la légalité des arrêtés du gouvernement. Mais ce n’est nullement sur ce point qu’on porté les observations que j’ai présentées dans la séance dernière.
Sur quoi portaient mes observations ? Sur des jugements, sur des actes posés par des tribunaux, qui ne tendent à rien moins qu’à les poser en législateur, qu’à envahir sur le domaine du pouvoir législatif.
Ainsi nous décidons à dix reprises et dix années de suite qu’elle ne payera pas les « toelagen » et les traitements d’attente ; nous n’accordons que quelques subsides aux plus nécessiteux. Un vote est émané de la chambre, un vote est émané du sénat dans les lois de budgets ; ces lois sont sanctionnées par le pouvoir royal. Eh bien ! que font les tribunaux ? Ils condamnent la Belgique à payer toutes ces sommes que les chambres ont rejetées. Le pays, par l’organe de ses représentants, a beau dire : Je ne payerai pas ; la justice, par l’organe de ses magistrats, dit : Vous payerez.
Voilà ce que j’appelle de l’anarchie ; ce n’est plus là de la pondération entre les pouvoir sans laquelle il n’y a pas de division des pouvoirs ; c’est l’empiétement du pouvoir judiciaire sur le pouvoir législatif.
Pareille chose se passe dans l’affaire de la reprise des canaux et des rivières. Sur la proposition du gouvernement, la chambre décrète la reprise des canaux et des rivières dans certaines provinces ; le séant accepte cette résolution ; la disposition devient une loi de l’Etat. Cependant une province résiste, elle attaque l’Etat pour annuler l’effet de la loi portée par les chambres. Que font les tribunaux ? Ils se déclarent compétents pour examiner si les chambres ont bien fait ou mal fait.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Quels tribunaux ?
M. Dumortier – Peu importe. Cela est ainsi. Ils se sont déclarés compétents, et jugeant sur le fond, ils ont donné gain de cause au gouvernement ; mais se déclarant compétents, ils pouvaient aussi lui donner tort. C’est la déclaration de compétence qui est l’atteinte portée à la prérogative.
Voilà ce que je ne puis approuver. Je ne puis admettre que, dans cette hypothèse, le pouvoir judiciaire empiète sur le pouvoir législatif ; c’est, je le répète, une véritable anarchie.
(page 111) J’ai cité d’autres exemples, j’ai cité l’affaire des héritiers de Broglie. Comment ! en 1816, l’évêque de Gand, monseigneur de Broglie, est condamné par le roi Guillaume et exposé en effigie sur la place publique de Gand ; il quitte le sol du royaume des Pays-Bas et plus personne en Belgique ne songe à lui payer des fonctions qu’il ne pouvait plus remplir. Il meurt, et voilà quelques années, et ses héritiers viennent réclamer les arriérés de son traitement. Et où vont-ils les réclamer ? Est-ce à La Haye, auprès du fils du roi Guillaume ? Non, ils s’adressent à la Belgique, qui n’est pour rien dans cette affaire, et les tribunaux de la Belgique condamnent l’Etat belge, sorti de la révolution, révolution faite par suite des griefs que nous avons contre le roi Guillaume. (Mouvement.) L’affaire n’est pas terminée, mais déjà il y a eu une décision.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Une décision de compétence.
M. Dumortier – Eh bien, les tribunaux se déclarent compétents, pour examiner cette question qui n’est, après tout, qu’une question de haute politique, une question diplomatique, et ils s’attribuent le droit de venir condamner la Belgique à payer le prix des iniquités du roi Guillaume ! Voilà ce que nous ne pouvons admettre, voilà ce que je repousserai de toutes mes forces.
Parmi les personnes auxquelles le roi Guillaume avait accordé des pensions se trouvait un célèbre écrivain de l’Empire. A la suite de notre révolution, quel rôle accepte cet écrivain ? (C’était l’ancien archevêque de Malines, M. de Pradt.) Il se fait l’éditeur de brochures contre la révolution belge et cherche à avilir le glorieux drapeau de septembre. Que fait alors la chambre des représentants ? Elle déclare, par mon organe, qu’elle refusera le budget si la pension de M. de Pradt continue a être payée. (Mouvement.) La chambre a fait cette déclaration par mon organe, car je représentais toutes les sections, j’étais rapporteur de la section centrale.
Eh bien, que se passe-t-il aujourd’hui ? On vient attaquer la Belgique en payement de l’arriéré de la pension de M. de Pradt, et bientôt vous verrez encore les tribunaux se déclarer compétent pour décider si la chambre a bien fait en forçant le gouvernement à refuser cette pension. N’est-ce pas là une véritable anarchie ?
Je veux, messieurs, la distinction des pouvoirs, parce que, sans cette distinction, il n’est pas de pondération possible entre eux ; mais je le déclare de la manière la plus formelle, si un pouvoir devait empiéter sur les attributions de l’autre, j’aimerais cent fois mieux que ce fût le pouvoir législatif que le pouvoir judiciaire. En effet, messieurs, le pouvoir législatif est responsable devant les électeurs, tandis que le pouvoir judiciaire n’est responsable devant personne. Que feriez-vous, messieurs, si la magistrature irresponsable, inamovible, empiétait sur les attributions du pouvoir législatif ? Mais son inamovibilité mettrait un obstacle invincible à ce que vous la fissiez rentrer dans les limites que la Constitution lui a tracées.
Ces paroles peuvent ne pas plaire à certaines oreilles ; mais tout magistrat qui siège dans cette enceinte doit laisser son hermine à la porte, tout avocat qui vient prendre place sur ces bancs doit secouer la poussière de sa robe avant d’entrer dans ce noble édifice. Nous ne devons songer ici qu’à remplir le mandat que le peuple nous a donné, c’est-à-dire conserver intactes les libertés du pays, les prérogatives constitutionnelles de ses mandataires. Ce n’est point l’anarchie que je veux, messieurs ; ce que je veux, c’est que tous les pouvoirs se renferment dans leurs attributions, telles qu’elles ont été définies par la Constitution.
Messieurs, maintenant, je dirais quelques mots sur une autre question qui a été soulevée dans cette discussion. Je suis parfaitement d’accord avec l’honorable M. Verhaegen, qu’il est impossible d’admettre ce système d’après lequel il serait permis au gouvernement de donner des indemnités aux membres de l’ordre judiciaire. Le texte de la Constitution est trop clair, trop positif, pour qu’il puisse y avoir le moindre doute à cet égard. Si un membre de l’ordre judiciaire reçoit du peuple, dont nous sommes les représentants, un mandat à l’accomplissement duquel une indemnité est attachée, alors il est dans son droit lorsqu’il touche cette indemnité.
Ainsi, lorsque nous appelons un magistrat à faire partie du jury d’examen, ce magistrat peut toucher une indemnité, parce que, dans ce cas, il ne doit rien au pouvoir ; mais tout membre de l’ordre judiciaire qui reçoit du gouvernement une mission quelconque, ne peut accepter de ce chef aucun indemnité autre que le remboursement des frais qu’il a faits ; sous aucun prétexte il ne peut toucher une indemnité supérieure à ces frais, une indemnité qui n’est que trop souvent un traitement dissimulé. Voilà, messieurs, les vrais principes constitutionnels, et nous devons consacrer tous nos efforts à les faire respecter.
Je passe, messieurs, à l’article en discussion. Dans cet article, on vous demande une majoration pour les cours d’appel. Y a-t-il lieu d’accorder cette augmentation ? Encore une fois, messieurs, consultons ce qui se fait dans les pays voisins. Examinons les faits, et les fais nous répondront.
En France, messieurs, il y a seulement quatre cours, celles de Bordeaux, de Lyon, de Rouen, de Toulouse, où les conseillers touchent brut 4,200 fr. ; dans toutes les autres cours de l’empire français, le traitement alloué aux conseillers n’est que de 3,000 francs. Eh bien, messieurs, sur ces traitements, on déduit, à titre de retenue de guerre, 5 p.c. ; de sorte qu’il reste pour les premiers 3,990 francs, et pour les autres 2,850 francs.
Voilà, messieurs, les chiffres réels des traitements des cours d’appel en France. Dira-t-on qu’en France la magistrature n’est pas considérée, que la justice n’y est pas bien rendue ? Est-ce donc avec des augmentations de traitements que l’on fera considérer davantage la magistrature ? Mais on l’a déjà dit et répété cent fois, cela n’ajoutera rien à la considération, à l’indépendance des magistrats. Pourquoi donc chercher toujours à augmenter les dépenses et surtout des dépenses permanentes qui n’admettent jamais de réduction ? Je concevrais encore l’augmentation, si elle n’était demandée que pour la capitale, mais je ne comprends pas qu’on veuille l’étendre à toutes les cours de la Belgique. Cela est d’autant moins justifié qu’il y a des cours où le nombre d’affaires est aujourd’hui considérablement réduit. Je citerai l’exemple de la cour de Gand.
Un membre – Il y a un arriéré.
M. Dumortier – Eh bien, c’est un grand tort de ne pas faire disparaître cet arriéré. Il y avait la première année un arriéré considérable à la cour de Gand, et alors cette cour a rendu 150 arrêts dans les deux chambres ce qui fait 75 arrêts par chambre ou un arrêt et demi par semaine ; et aujourd’hui la cour ne rend plus que 100 à 120 arrêts par an, c’est-à-dire cinquante à soixante arrêts par chambre ou un peu plus d’un arrêt par semaine.
Je le demande, messieurs, est-il nécessaire, est-il convenable d’augmenter les traitements de fonctionnaires qui ont un travail si peu considérable, et qui se trouvent placés dans une position si élevée, dans une position entourée de tant de considération ? Mais comparez donc les traitements de la magistrature à ceux des autres fonctionnaires ; voyez donc quelle est la position des commissaires de district, par exemple, qui doivent s’occuper du matin au soir et dont quelques-uns ne touchent que 1,500 francs par an. Voyez quelle est la position des gouverneurs de province ; voyez quelle est la position de tous les fonctionnaires de l’ordre administratif, et dites-moi s’il est une seule classe de fonctionnaires qui soit traitée aussi favorablement que l’ordre judiciaire. Je ne conçois pas le motif des augmentations de traitements qui nous sont demandées. Je ne conçois pas que l’on cherche ainsi constamment à accroître les dépenses de l’Etat. Quant à moi, depuis la révolution, j’ai combattu toutes les augmentations de traitements, parce que je suis convaincu que les traitements, tels qu’ils sont fixés, suffisent aux besoins des fonctionnaires, qu’ils constituent une indemnité suffisante de leur travail. Et lorsque je pense que les traitements dont il s’agit en ce moment sont plus élevés que ceux des fonctionnaires du même rang dans les villes les plus importantes de l’empire français, alors, messieurs, je ne puis concevoir que l’on veuille encore augmenter ces traitements. Ne perdons pas de vue qu’une augmentation de traitements a toujours pour corollaire inévitable une augmentation d’impôts, et nous, qui sommes les représentants du peuple, qui sommes envoyés ici pour défendre ses droits et ses intérêts, nous devons empêcher que les impôts ne deviennent un jour tellement accablants, que la nation ne puisse plus les supporter.
Sans doute, messieurs, il me serait bien plus agréable d’appuyer aussi toutes les augmentations d’appointements que l’on ne cesse de vous proposer, et que j’ai toujours combattues depuis 14 années que je siège dans cette enceinte ; certes, ce n’est pas là le rôle le plus agréable, mais nous ne devons point reculer devant l’accomplissement de nos devoirs quelque pénibles qu’ils puissent être. Nous devons empêcher que les impôts n’aillent en augmentation, et dès lors nous devons commencer par combattre les augmentations de dépenses et dire avec un célèbre orateur romain : Magnum vestigal, parcimonia.
Plusieurs membres – La clôture ! la clôture !
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – Messieurs, je désire répondre un mot seulement à l’honorable M. Dumortier relativement aux attaques qu’il vient de renouveler contre la magistrature.
M. Dumortier – Je n’attaque pas la magistrature.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – L’honorable membre a attaqué la magistrature de la manière la plus violente, en disant qu’elle sort de ses attributions. Messieurs, si les tribunaux sortaient, en effet, de leurs attributions, s’ils s’arrogeaient le droit de contester la force obligatoire des lois de l’Etat, s’ils refusaient de les appliquer, certes les membres des tribunaux qui agiraient ainsi pourraient être accusés de forfaire à leurs devoirs, mais je ne conçois pas comment l’honorable préopinant peut articuler un semblable reproche à l’occasion des affaires dont il vient de parler. Quant à l’une de ces affaires, il a dit que le gouvernement avait été condamné, tandis qu’il n’y a pas encore de jugement au fond, et, quant à l’autre, je ne pense même pas qu’il y ait d’assignation en justice ; je veut parler de l’affaire des héritiers de M. de Pradt. Si l’affaire est déférée aux tribunaux, les tribunaux feront leur devoir comme ils le font dans toutes les causes qui leur sont soumises.
L’honorable M. Dumortier semble perdre complètement de vue l’art. 30 et l’art. 92 de la Constitution. En effet, le dernier de ces articles est ainsi conçu :
« Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. »
Maintenant, qui doit décider si les droits qui font l’objet de la contestation sont ou ne sont pas des droits civils ? Evidemment ce n’est pas la législature, mais ce sont les tribunaux. Eh bien, dès l’instant où les tribunaux décident que les droits réclamés sont des droits civils, il est évident qu’ils doivent se déclarer compétents.
Les tribunaux n’ont pas fait autre chose dans l’affaire de l’évêque de Broglie ; ils se sont déclarés compétents et je pense que les tribunaux ont bien fait. Attendons, quant au fond, que le pouvoir judiciaire prononce ; ayons pleine confiance dans la décision qui sera rendue : elle est confiée à cette magistrature dont d’honorables membres ont fait, à juste titre, un si bel éloge dans cette enceinte.
Je pense donc que ce que j’ai répondu, dans la séance d’hier, à l’honorable M. Dumortier, reste vrai, à savoir : que le pouvoir législatif empiéterait sur (page 112) les attributions du pouvoir législatif, s’il venait contester la force obligatoire des arrêts rendus par les cours et tribunaux.
M. Dumortier, pour un fait personnel – Messieurs, je suis vraiment surpris d’entendre le M. le ministre de la justice venir dire que j’attaque la magistrature de la manière la plus violente. Je me suis borné à vous signaler des faits ; j’ai rappelé les votes que la chambre a émis, et les arrêts qui étaient opposés à ces votes. Qu’y a –t-il là de si violent ? S’il y a quelque chose de violent, ce sont les arrêts opposés aux votes de la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – De quels votes parlez-vous ?
M. Dumortier – La chambre a rejeté les « toelagen » en 1833, 1834, 1835, et 1836, et celui qui en douterait n’a qu’à ouvrir le Moniteur de l’époque, et maintenant les tribunaux viennent condamner la chambre en décrétant que nous devons payer ce que nous avons rejeté !
Je dis, moi, que lorsque la chambre a pris une résolution et que cette résolution est devenue loi de l’Etat, elle est devenue souveraine, car elle émane de la souveraineté nationale ; il n’y a pas de pouvoir au monde qui ait le droit de la changer. On nous parle de l’art. 92 de la Constitution, relatif aux droits civils. Mais ne vous y trompez pas ; une pension, un traitement d’attende, un « toelage » n’est pas un droit civil. Depuis quand une faveur accordée par un gouvernement quelconque deviendrait-elle un droit civil ? Ouvrez le budget et vous verrez sous quel titre figurent les pensions : sous le titre des « Rémunérations ». Or, ce que vous accordez comme rémunération aujourd’hui, vous pourriez, au besoin, le retirer demain ; je ne désire pas que cela se fasse, je m’y opposerai même, mais je dis que la chambre aurait le droit de le faire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous n’avez pas le droit de retirer une pension.
M. Dumortier – La chambre pourrait le faire, car il n’y a pas de contrat obligatoire.
Et il est tellement vrai que la chambre a ce droit, que la Constitution même nous oblige de réviser la liste des pensions. Et pourquoi la Constitution nous a-t-elle imposé cette obligation ? Parce que sous l’ancien gouvernement, on avait accordé des pensions trop élevées. Ne dites donc pas que nous n’avons pas le droit de réviser les pensions ; nous pouvons les réviser et les réduire, s’il y a lieu.
Mais il y a plus : dans l’affaire des « toelagen » dont j’ai parlé, sur quoi vient-on discuter ? Sur un traité, sur un acte politique. Voilà donc la haute politique traduite à la barre des tribunaux ? Que deviennent les pouvoirs avec une telle anarchie ? Vous direz tant que vous voudrez qu’il y a violence dans mes prétendues attaques contre la magistrature, je réponds que la violence n’est nulle part, sinon dans l’empiétement du pouvoir judiciaire sur le pouvoir législatif, et sur la prérogative royale. Je suis très-surpris de voir les ministres, qui doivent être les serviteurs de la Couronne, ne pas défendre avant tout la prérogative royale. Les traités sont faits par le Roi, et sanctionnés par le pouvoir législatif, et nous ne devons pas souffrir que les tribunaux interviennent dans ces traités.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, je dois relever une inexactitude qui est échappée à l’honorable préopinant. L’honorable membre a dit que c’était pas suite de condamnations judiciaires qu’on payait actuellement les « toelagen ». Il n’en est pas ainsi : la chambre a voté au budget de 1840 les » toelagen », parce qu’elle a sanctionné antérieurement le traité du 19 avril 1839. Si précédemment la chambre n’a pas adopté l’intégralité du chiffre de ces « toelagen », c’est qu’elle n’était pas liée alors par un traité. Du reste, je ne veux pas discuter la question en ce moment ; il me suffit de rappeler que ce n’est pas par suite de condamnations judiciaires que le payement des « toelage »n a été effectué depuis 1830 ; c’est en vertu des lois de budget votées par les membres d’après la conclusion du traité du 19 avril 1839.
- La discussion est close.
M. le président – S’il n’y a pas d’opposition, je mets d’abord aux voix le chiffre de 6,000 francs proposé pour les conseillers.
- Plus de 5 membres demandent l’appel nominal.
Il y est procédé.
En voici le résultat :
73 membres prennent part au vote.
52 membres répondent oui.
20 répondent non.
1 membre (M. Fleussu) s’abstient.
En conséquence, la chambre adopte le chiffre de 6,000 francs pour le traitement des conseillers.
Ont répondu oui :
MM. Cogels, Coghen, Coppieters, d’Anethan, de Baillet, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de La Coste, Delehaye, de Nef, Deprey, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, de Terbecq, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dumont, Duvivier, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Lys, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Osy, Pirson, Savart-Martel, Sigart, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verhaegen, Vilain XIIII, Zoude et Liedts.
Ont répondu non : MM. Castiau, Dedecker, de Florisone, de Haerne, Delfosse, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer ; de Tornaco, Dumortier, Eloy de Burdinne, Lesoinne, Manilius, Pirmez, Rodenbach, Simons et Verwilghen.
M. le président – M. Fleussu, qui s’est abstenu, est invité, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de son abstention.
M. Fleussu – Messieurs, je me suis abstenu à raison de la position que j’occupe dans la magistrature ; on aurait pu penser que mon vote était dicté par mon intérêt personnel.
J’aurais pu cependant écarter ce soupçon en faisant observer qu’en 1832 j’ai été l’auteur d’une proposition favorable à la majoration du traitement des conseillers des cours d’appel ; en votant l’augmentation sur laquelle la chambre vient de se prononcer, j’aurais été conséquent avec mes votes précédents. Mais il m’importait qu’on ne prît point le change sur mon vote.
M. le président – Je mets aux voix le chiffre de 10,000 francs pour le premier président et pour le procureur-général.
- Le chiffre n’est pas adopté.
M. le président – Pour le traitement des présidents de chambre et de premier avocat-général, il y a deux propositions : le gouvernement sépare les présidents d’avec les avocats-généraux ; comme la chambre a l’habitude de commencer par les chiffres les plus élevés, je mettrai d’abord aux voix, par division, le traitement de président de chambre, c’est-à-dire le chiffre de 7,500 fr.
- Ce chiffre n’est pas adopté.
Le chiffre de 7 mille francs, proposé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.
M. le président – Nous passons aux deuxièmes avocats-généraux.
M. Verhaegen – Je demande la parole sur la position de la question.
Nous ne sommes pas d’accord sur la question de savoir si on conservera les deuxièmes avocats-généraux et les substituts du procureur-général. Nous avons soutenu qu’on devait conserver la hiérarchie qui existe aujourd’hui : le premier avocat-général, les deuxièmes avocats-généraux et les substituts du procureur-général. La question du premier avocat-général est décidée ; il reste à décider s’il continuera à y avoir et des seconds avocats-généraux et des substituts.
M. Vanden Eynde – Je crois que dans le vote que nous avons émis, il y a déjà un préjugé contre la proposition de M. le ministre. En effet, voici ce que porte le projet de la section centrale : « Président de chambre et premier avocat-général, 7 mille francs ». M. le ministre de la justice, dans son projet, supprimait le premier avocat-général et ne faisait de distinction entre les avocats-généraux qu’à l’égard de ceux qui remplacent les substituts ; la chambre n’ayant pas admis la suppression du premier avocat-général, il me semble qu’il y a préjugé en faveur du système de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) – J’avais proposé de supprimer le titre de premier avocat-général, de mettre sur la même ligne tous les avocats-généraux actuels et d’avoir, au lieu de deux substituts du procureur-général, deux nouveaux avocats-généraux. Le titre de premier avocat-général ayant été maintenu et la chambre lui ayant alloué un traitement de 7,000 fr., on pourrait avoir des deuxièmes avocats-généraux à 6,500 fr. et des avocats-généraux au lieu de substituts avec 6,000 fr., comme je l’ai proposé.
M. Delehaye – Ce que dit M. le ministre est en contradiction avec ce qu’il nous disait hier. Il voulait mettre tous les avocats-généraux sur la même ligne, et donner ensuite aux substituts le titre d’avocat-général. La chambre vient de décider qu’il y aura un premier avocat-général. Ce vote détruit le système de M. le ministre. Vous prendriez une décision en opposition avec celle que vous venez de prendre, si, après avoir déclaré qu’il y aura un premier avocat-général, vous décidiez que les avocats-généraux et les substituts du procureur général seront assimilés. M. le ministre doit avoir quelque égard pour sa propre opinion. Hier, il voulait assimiler avocats-généraux et substituts ; aujourd’hui que la chambre a décidé le contraire, il est inutile de mettre aux voix le reste de la proposition du ministre. Je demande qu’on s’en réfère à l’opinion de la section centrale.
M. le président – Comme il y a partage de voix sur la question de savoir si, en adoptant le chiffre de 7 mille francs pour le premier avocat-général, la chambre a implicitement rejeté la proposition du ministre relativement aux substituts du procureur-général, je mettrai aux voix la proposition de M. Verhaegen : Maintiendra-t-on les substituts du procureur-général ?
- La chambre, consultée, décide que les substituts du procureur-général seront maintenus.
« Deuxièmes avocats-généraux, 6,500 fr. » - Adopté.
« Substituts des procureurs-généraux, 5,500 fr. » - Adopté.
- Pour les greffiers, il y a deux propositions ; la section centrale propose de porter leur traitement à 5,000 fr.
Le gouvernement propose de maintenir le chiffre de 4,000 fr.
Le chiffre de 5,000 francs est mis aux voix, il n’est pas adopté.
M. le président – Le chiffre du gouvernement étant le maintien de ce qui existe, il est inutile de le mettre aux voix.
« Commis-greffiers, 3,000 fr. » - Adopté.
Je mets aux voix la fin du § 1er.
« L’indemnité aux conseillers pour présider les assises dans les tribunaux où ne siège pas de cour d’appel est fixée à 500 fr. » - Adopté.
M. le président – Nous passons au paragraphe relatif aux tribunaux de première instance.
Plusieurs voix – A lundi ! à lundi !
- La séance est levée à 3 heures et demie.