(Moniteur belge n°154, du 2 juin 1844)
(Présidence de M. d’Hoffschmidt.)
M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les fabricants de tabac de Poperinghe présentent des observations contre le projet de loi sur les tabacs. »
- Sur la proposition de M. Malou, dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi et insertion au Moniteur.
« Plusieurs médecins, dans l’arrondissement de Nivelles, demandent l’abolition de l’impôt patente auquel sont assujettis ceux qui exercent l’une des branches de l’art de guérir. »
- Sur la proposition de M. Rodenbach, renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les patentes.
« Plusieurs habitants de la province de Liège présentent des observations contre le projet de loi sur les céréales. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi.
Lettre de M. Eloy de Burdinne, faisant connaître qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance.
- Pris pour notification.
M. le président. - La discussion continue sur l’article du tarif relatif au riz pelé.
M. Osy. - M. le ministre de l’intérieur a demandé hier le retranchement des mots : « ou d’un port au-delà du détroit de Gibraltar ». D’après la conversation que j’ai eue avec lui, je me rallie à cette proposition.
Mais quant aux chiffres, je maintiens la proposition de la chambre de commerce d’Anvers. Il y a 3 ans, le riz payait 2 fr. 50 ; on a porté le droit à 5 fr. Le gouvernement propose de porter le droit à 8 fr. par pavillon national, et à 9 fr. 50 c. par pavillon étranger. C’est une augmentation de 3 fr. et de 4 fr. 50.
La chambre de commerce d’Anvers propose pour le riz des Indes orientales le maintien du droit actuel ; car nous payons 4 fr. par pavillon national, et 4 fr. 50 par pavillon étranger.
Nous payons de 2 à 3 fr. pour le riz de la Caroline et du Piémont. Nous proposons donc pour le trésor une grande augmentation.
Nous croyons que le droit proposé par le gouvernement est considérable, d’autant plus que le riz est une nourriture extrêmement saine, dont les petits bourgeois se servent beaucoup.
Je demande le maintien de la proposition du gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois persister dans la proposition qui vous est faite au nom du gouvernement. J’ai pour moi les votes précédents, les décisions d’hier et d’avant-hier.
Vous avez augmenté beaucoup d’articles de consommation naturelle ; vous avez cherché avec le gouvernement, dans ces augmentations, un dédommagement pour le trésor aux réductions considérables qui sont faites sur toutes les matières premières. Je crois que vous devez persister dans ce système de compensation ; vous devez voter une augmentation sur l’article Riz, comme vous en avez voté une sur l’article Fruits.
Je suis maintenant d’accord avec l’honorable membre sur la rédaction des différentes catégories que présente cet article. Je dirai cependant un mot à la chambre pour expliquer les distinctions que présente cet article. Il offre deux grandes distinctions :
1° Riz des Indes orientales.
(C’est du riz qui arrive de Java et des autres parties des Indes orientales. Ce riz est le moins cher ; c’est-à-dire qu’il présente le moins de valeur par 100 kilog.)
2° L’espèce désignée par le mot : autre, par opposition au riz des Indes orientales. C’est le riz des Etats-Unis et du Piémont, Ce riz présente une plus grande valeur aux 100 kilog., de sorte que si l’on avait tarifé indistinctement tous les riz aux 100 kilog., il se serait trouvé une inégalité réelle dans le tarif, tandis que, d’après la distinction que nous faisons, il se trouve qu’il y a un rapport convenable dans les deux classifications du tarif.
En un mot, 100 kilog. de riz des Indes orientales n’ont pas la valeur de 100 kilog. de riz de la Caroline. On peut estimer que celui-ci vaut environ 10 fr. de plus par 100 kilog. Voilà pourquoi il a fallu établir deux grandes catégories. (Interruption.)
On dit qu’il ne vient pas de riz du Piémont ; il en vient, mais peu directement ; il en vient par la France ; il est le plus souvent indiqué comme provenance française.
Pourquoi ne pourrions-nous pas prendre du riz dans le royaume de Sardaigne, puisque nous y prenons des fruits et d’autres articles encore ?
J’insiste pour l’adoption de l’augmentation proposée par le gouvernement. Nous y trouverons, comme dans celle que vous avez adoptée à l’article Fruits, une compensation pour le trésor.
Je savais qu’on s’appuierait sur un argument, invoqué hier et reproduit aujourd’hui, c’est que le riz sert à l’alimentation des classes inferieures de la société. Malheureusement il n’en est rien.
M. Osy. - Je n’ai pas dit : « des classes inférieures ; » j’ai dit : « des petits bourgeois. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois que ceux que vous appelez des petits bourgeois peuvent très bien supporter cette augmentation.
Je regarde le riz comme un objet de consommation pour la classe aisée. J’ajouterai que c’est malheureusement une friandise pour les classes inférieures.
M. Cogels. - Ce serait une erreur de croire que le riz soit une friandise pour la classe pauvre. Il est vrai que le riz des Etats-Unis, le riz de la Caroline peut être considéré comme une friandise pour la classe pauvre. Mais il y a les riz du Bengale, les riz des Indes qui sont d’un prix très modéré, et qui, surtout lorsqu’ils sont entachés le moins du monde d’avarie, ce qui n’en rend pas la consommation insalubre, se vendent extrêmement bon marché. Ils sont consommés par la classe pauvre, au moins dans la ville que j’habite. Je ne sais ce qui en est dans le reste du pays.
Il est vrai que, par suite des réductions que nous avons votées sur les matières premières, nous sommes obligés de trouver une compensation sur les objets de consommation ; mais je ne pense pas que ce doive être sur des objets de première nécessité, consommés, sinon par la classe pauvre, au moins par la classe moyenne.
Le droit actuel est uniforme ; il est de 5 fr. C’était un vice du système. Je crois l’avoir combattu dans le budget actuel. Je crois l’avoir combattu dans le budget de 1841, où ou l’a introduit.
Notez que vous avez sur le riz des Indes, d’après la proposition de la chambre de commerce d’Anvers, un droit de 4 fr. par pavillon national, de 6 fr. 50 c, par pavillon étranger. Ce sera des Indes orientales, par pavillon étranger que le riz arrivera. Vous aurez donc une augmentation de 1 fr. 50 c.
Pour le riz provenant des entrepôts d’Europe, le droit était de 8 fr., voilà qu’il est augmenté de 3 fr.
Quant au riz de la Caroline, vous auriez, d’après la chambre de commerce d’Anvers, un droit de 7 fr. pour les importations par pavillon belge ; ce qui équivaudra à un droit de 7 fr. par pavillon des Etats-Unis, si nous établissons la réciprocité. Voilà encore une augmentation de 40 p. c. sur le droit actuel. D’après la proposition au gouvernement, le droit serait de 8 fr. et de 9 fr. 50 c. Il y aurait donc une augmentation de 60 p. c. en moyenne.
Le chiffre du gouvernement pour les arrivages des entrepôts d’Europe serait de 11 francs, c’est-à-dire plus que double du droit actuel, tandis que, d’après la proposition de la chambre de commerce d’Anvers, le droit serait de 10 fr. ; ce qui, effectivement, serait le double du droit actuel.
Quant au riz du Piémont, il n’en arrive presque plus. Je ne crois pas que nous soyons dans le cas d’en recevoir. Depuis le régime impérial, ce riz n’est plus connu en Belgique. Je ne me rappelle pas qu’on en ait reçu à Anvers pour une quantité un peu importante, depuis 1825. En effet, nous trouvons dans la statistique une importation de 74 kilog. Cela se conçoit, parce que le riz du Piémont se consomme sur tout le littoral de la Méditerranée, où il est à portée et où il y a impossibilité de recevoir le riz des Indes. Ainsi, le riz du Piémont peut être mis hors de cause.
D’après ces considérations, j’engage la chambre à se rallier à la proposition de l’honorable M. Osy ; a admettre pour le riz les chiffres proposés par la chambre de commerce d’Anvers.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Dans l’intérêt du trésor, je demande que les chiffres du projet du gouvernement soient adoptés par la chambre. Je ferai remarquer que, dans l’intérêt d’une main-d’œuvre, nous avons proposé un droit plus faible pour le riz en paille, dont il est présumable qu’il arrivera une très grande quantité. Le trésor essuiera donc une forte diminution sur le droit actuel, qui est conformément fixé à 5 fr. par 100 kilog.
Par ces considérations et eu égard à ce que des réductions notables ont été admises sur plusieurs matières premières ainsi que je ai déjà dit hier, et attendu que notre situation actuelle présente un déficit qui remonte à plusieurs années, je dois insister pour que l’on ne néglige pas cette ressource.
Remarquez d’ailleurs, messieurs, que le riz rentre jusqu’à un certain point dans la catégorie des céréales, que c’est une denrée qui vient faire concurrence à nos produits agricoles, et que, sous ce rapport encore, il n’y a aucun motif pour réduire le droit propose par le gouvernement.
M. Osy. - Messieurs, la chambre de commerce d’Anvers propose également une grande protection pour le riz en paille, s’il nous en arrivait. Nous ne nous opposons pas à cette protection, mais je suis persuadé qu’il nous en arrivera très peu, parce que, sur les lieux de production, l’on sait peler le riz beaucoup mieux et à meilleur compte que nous ne pouvons le faire. Le trésor n’aura donc rien à perdre. M. le ministre des finances vient de dire que le trésor a déjà fait de grands sacrifices par les articles adoptés ; eh bien, il n’a fait de sacrifices que sur un seul article, sur le coton ; ce sacrifice est de 60,000 francs. Eh bien, la chambre de commerce propose sur le riz venant des Etats-Unis, une augmentation de 2 francs ; nous importons des Etats-Unis 2,400,000 kilogrammes de coton. Voilà donc de ce chef seul un revenu de 58,000 francs. Nous en importons de l’Angleterre 800,000 kilog., nous proposons une augmentation du double, c’est-à-dire 5 francs. Voilà encore 40,000 fr, Ainsi, la perte que nous faisons sur le coton sera largement compensée par le seul article riz. Le café donnera, en outre, une augmentation, de manière que je puis dire (et je le prouverai plus tard par des calculs) que les chiffres déjà adoptés donneront une augmentation notable de revenus au trésor.
Je m’oppose donc au tarif du gouvernement, et je maintiens celui de la chambre de commerce d’Anvers. Le riz est un aliment pour la classe moyenne, surtout le riz de l’Inde, et outre l’augmentation de 1841, on nous demande une nouvelle augmentation et je ne puis y consentir dans l’intérêt du consommateur. Le riz est une nourriture très saine, et je ne veux pas voir une diminution de consommation.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - M. le ministre de l’intérieur vous a déjà annoncé, messieurs, que dès que la loi sur les droits différentiels sera votée, le gouvernement portera un arrêté pour assimiler le pavillon des Etats-Unis au pavillon belge. Eh bien, messieurs, comme la plus grande partie des cotons bruts que nous recevons nous vient des Etats-Unis, et que le droit se réduit à un centime, le trésor ne recevra presque plus rien sur l’objet qui lui fournit aujourd’hui 110,000 fr. J’évalue la perte que le trésor subira sur le coton brut, à plus de 80,000 fr.
L’honorable membre suppose que nous ne recevrons pas de riz en paille. Eh bien, des industriels s’occupent en ce moment de monter des établissements pour le pelage du riz ; j’aime à croire qu’ils ne se trompent pas dans leurs calculs, et qu’on nous importera beaucoup de riz en paille. Si le trésor ne trouve pas quelque compensation dans un droit plus élevé sur le riz pelé, il est évident que l’article riz présentera lui-même une nouvelle perte, bien loin de fournir une augmentation de revenus.
- L’amendement de M. Osy est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
La proposition du gouvernement est ensuite mise aux voix et adoptée.
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Résineux.
« Directement des lieux de production, les 100 kil., par pavillon national, 1 c. ; par pavillon étranger, 85 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, les 100 kil,, par pavillon national, 1 fr. ; par pavillon étranger, 1fr. 50 c.
« Par terre, les 100 kil., 2 fr. »
« (Proposition du gouvernement) :
« Résines.
« (Brutes non spécialement tarifées.)
« Par mer, les 100 kil., par pavillon national ; 75 c. ; par pavillon étranger, 1 fr. 25 c. ; droit de sortie, 5 c.
« Autrement, les 100 kil, sans distinction de pavillon, 1 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c. »
- L’article du gouvernement est adopté.
M. le président. - La commission d’enquête ne fait aucune proposition.
Le gouvernement propose les chiffres suivants :
« Rotins.
« (Joncs, roseaux et bambous, exotiques bruis ou non apprêtés.)
« Par mer et directement des pays de production ou d’un port au delà du cap de Bonne-Espérance, les 100 kil., par pavillon national, 1 fr. ; par pavillon étranger, 2 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs ou autrement, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 3 fr. 50 c, ; droit de sortie, 5 c. »
- Cet article est adopté.
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Safran.
« Directement des lieux de production, le kil., par pavillon national, 25 c. ; par pavillon étranger, 75 c.
« D’ailleurs, et par canaux et rivières, le kil., par pavillon national, 1 fr. ; par pavillon étranger, 1 fr. 50 c.
« Par terre, le kil., 2 fr. »
- Le gouvernement propose la suppression de cet article ; elle est prononcée.
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Salpêtre brut.
« (Nitrate de potasse et de soude) directement des lieux de provenance, les 100 kil., par pavillon national, 5c. ; par pavillon étranger, 2 fr. 20 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, les 100 kil., par pavillon national, 3 fr. ; par pavillon étranger, 3 fr. 50 c.
« Par terre, les 100 kil., 4 fr. »
« (Proposition du gouvernement) :
« Salpêtre brut, savoir
« (Nitrate de potasse et de soude.),
Directement des pays de production ou d’un port au-delà des caps Horn et de Bonne-Esperance, les 100 kil., par pavillon national, 10 c. ; par pavillon étranger, 2 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 3 fr ; droit de sortie, 5 c.
« Salpêtre raffiné, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 10 fr. ; droit de sortie, 5 c. »
- L’article du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Savon dur.
« Directement des lieux de production, les 100 kil., par pavillon national, 14 fr. ; par pavillon étranger, 12 fr. 75 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières. les 100 kil., par pavillon national, 14 fr. ; par pavillon étranger, 17 fr.
« Par terre, les 100 kil., 18 fr. »
« (Proposition du gouvernement) :
« Savons durs.
« Par mer et directement d’un port situé au-delà du détroit de Gibraltar, les 100 kil., par pavillon national, 15 fr. : par pavillon étranger, 17 fr ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs ou autrement, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 19 fr. ; droit de sortie, 5 c. »
- L’article du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Soufre brut.
« Directement des lieux de production, les 100 kil., par pavillon national, 1 c. ; par pavillon étranger, 60 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, les 100 kil., par pavillon national, 1 fr. ; par pavillon étranger, 1 fr. 50 c.
« Par terre, les 100 kil., 2 fr. »
« (Proposition du gouvernement) :
« Soufre brut.
« Par mer et directement des pays de production ou d’un port au-delà du détroit de Gibraltar, les 100 kil., par pavillon national, 1 c. ; par pavillon étranger, 60 c. ; droit de sortie 5 c.
« D’ailleurs ou autrement, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 1 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c. »
- L’article du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Importé directement des lieux de production, les 100 kil., par pavillon national, 20 c. ; par pavillon étranger, 1 fr. 70 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., par pavillon national, 3 fr, ; par pavillon étranger, 4 fr. 25 c.
« Par canaux et rivières, les 100 kil,, par pavillon national, 5 fr. ; par pavillon étranger. 5 fr.
« Par terre, les 100 kil., prohibé. »
« (Proposition du gouvernement) :
« Sucres bruts en canne.
« Directement des pays de production ou d’un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, les 100 kil., par pavillon national, 1 c. ; par pavillon étranger, 1 fr. 70 ; droits de sortie, 5 c.
« De pays transatlantiques autres que ceux de production, les 100 kil., par pavillon national, 1 fr. 70 c. ; par pavillon étranger, 1 fr. 70 c. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, par mer, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 3 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« Par toute autre voie, prohibé ; droit de sortie, 5 c. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est par inadvertance qu’on n’a pas fait pour le cabotage une distinction entre le pavillon national et le pavillon étranger. Cette distinction, la commission d’enquête l’a faite. Elle propose 3 fr. et 4 fr. 25 c. Je propose 4 fr. 50 c. Il y aura donc une faveur pour notre cabotage, de 1 fr. 50 c. Notre cabotage paiera 3 fr. en allant chercher le sucre dans les entrepôts d’Europe. Le pavillon étranger payera 4 fr. 50 c. Aujourd’hui, le droit est de 4 fr 24 c. pour le pavillon étranger et de 21 centimes pour le pavillon belge.
Le tarif actuel est injustifiable, car le pavillon belge ne paie pas davantage en s’adressant aux entrepôts européens, qu’en se rendant aux lieux de production ; le cabotage est plus favorisé que la navigation de long cours.
M. Osy. - Je puis me rallier à la proposition du gouvernement, puisque l’importation du sucre brut des entrepôts d’Europe est assurée à notre cabotage. Le gouvernement avait proposé un droit de 3 fr. pour tous les pavillons indistinctement. Aujourd’hui, le pavillon étranger paie 4 fr. 24, et tout le sucre arrive par pavillon national.
Si la loi que nous avons votée l’an dernier ne nous avait pas démontré que l’on veut détruire l’industrie du sucre indigène, j’aurais proposé un amendement. Mais, dans la situation de cette industrie, je me rallie au droit de 1 fr. 70.
M. Delehaye. - Le gouvernement a adopté le principe de réduire le droit sur les matières premières. La chambre paraissait partager cette manière de voir. Le sucre est une matière première. Je suis donc étonné qu’on ait proposé une augmentation.
Il est extrêmement étrange, alors que cette industrie est souffrante, alors qu’elle décline chaque jour, il est étrange, dis-je, qu’on vienne demander une augmentation de droit sur la matière première employée par cette industrie.
Remarquez qu’il s’agit ici d’un droit de douane, droit que les raffineurs ne pourront acquitter autrement que par des écus. Cette augmentation pèsera entièrement sur la consommation intérieure. Je demande donc qu’on s’en tienne au statu quo, d’autant plus que le pavillon national est suffisamment protégé !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, ii faut toujours s’attacher aux faits, pour juger de la portée d’un tarif. Le chiffre de 4 fr. 50 c. que nous vous proposons, présente, il est vrai, une augmentation de 26 centimes, mais ce chiffre est purement nominal. Tout le cabotage se fait aujourd’hui et continuera de se faire par pavillon belge. Les 8 à 10 millions de kilog. de sucre, importés des entrepôts d’Europe, le sont exclusivement par le pavillon belge. Le régime sera modifié, et il deviendra moins exclusif contre le cabotage étranger. Mais néanmoins, le cabotage belge conservera, sans nul doute, une grande partie de ses avantages.
M. Delehaye. - Est-il nécessaire d’inscrire un droit nominal dans la loi ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. Delehaye me dit : Pourquoi inscrire dans la loi un droit nominal ? Il est nécessaire de l’y inscrire, parce qu’il est indispensable de maintenir au profit du pavillon belge la faveur différentielle. De fait, le pavillon belge a maintenant le monopole du cabotage ; eh bien, il faut tâcher de lui conserver ce monopole, en tant que le cabotage du sucre se maintienne.
M. Delehaye. - J’admets avec M. le ministre de l’intérieur que le pavillon belge a le monopole du cabotage européen ; mais il n’en est pas moins vrai que jusqu’ici on ne paie que 21 centimes sous pavillon national, et que le gouvernement propose de porter tout d’un coup ce droit à 3 francs. C’est contre cette proposition que les raffineurs de sucre exotique ont réclamé. Je vous le demande, messieurs, est-il juste, est-il prudent, dans l’état de souffrance où se trouve cette industrie, d’augmenter aussi considérablement le droit sur la matière première qu’emploie cette industrie ? Remarquez que cette augmentation pèsera exclusivement sur la consommation intérieure ; elle ne pourra pas être apurée par l’exportation, mais seulement par des paiements effectifs. La chambre a déclaré qu’elle ne voulait pas augmenter les droits sur les matières premières ; la chambre peut-elle raisonnablement faire une exception à cette règle alors qu’il s’agit d’une industrie qui est souffrante, de l’aveu de tout le monde, et qui décline de jour en jour ? Depuis un an, l’industrie du sucre exotique a perdu la moitié de sa main-d’œuvre, toutes les raffineries de Gand ont diminué d’un tiers le nombre de leurs ouvriers, et je ne crois pas exagérer, en disant que, dans 6 mois, ce nombre sera encore diminué de moitié. Dans cet état de choses, est-il juste, je le répète, de quintupler, de sextupler subitement le taux du droit actuel ?
Ne perdez pas de vue, messieurs, que votre pavillon ne pourra jamais se présenter au marché transatlantique parce que le commerce belge, pour faire avantageusement ces voyages, devrait pouvoir se procurer des cargaisons de sortie. Or quelles seraient ces cargaisons de sortie, puisque jusqu’ici nous ne sommes pas même en possession de notre propre marché, ce ne sera donc que lorsque vous aurez de quoi former vos cargaisons de sortie que vous pourrez espérer avec fondement que le pavillon national se présentera sur les lieux de production.
Il arrivera, sous l’empire de la nouvelle loi, ce qui se fait aujourd’hui, nos navires exporteront des écorces en Angleterre et en rapporteront du sel ou du sucre ; soyez persuadez, messieurs, que la loi n’aura d’effet, et que le chiffre proposé par le gouvernement n’aboutira qu’à la ruine complète de nos raffineries.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable membre fait remarquer, avec raison, qu’aujourd’hui le cabotage belge paye 21 c. et qu’il payera désormais 3 fr. ; mais il ne remarque pas que le nouveau tarif offre une très belle compensation. Voici cette compensation : c’est la réduction pour les provenances des lieux de production à un centime. Il nous faut annuellement environ 20 millions de kilogrammes de sucre. La moitié à peu près de ce sucre nous vient des entrepôts européens. Eh bien, ou il faut désespérer de la marine belge, ou il faut espérer que la marine belge ira chercher la majeure partie de ces dix millions aux lieux de production, au droit nouveau de un centime ; il pourra aussi y avoir assimilation du pavillon des pays de production au pavillon belge.
Je crois donc que l’industrie des raffineurs de sucre ne sera pas aggravé par le tarif nouveau que nous faisons. Il y a, il est vrai, augmentation pour le cabotage belge ; mais, d’un autre côté, il y a réduction à un simple droit de balance pour les provenances des lieux de production.
M. Donny. - Messieurs, dans la discussion générale, l’on vous a dit qu’il fallait établir des droits différentiels pour obtenir des retours ; l’on vous a dit aussi, et avec raison, que les sucres formeraient une des matières les plus propres à composer des retours. Il suit de là qu’il faut appliquer le système des droits différentiels aux sucres, si l’on veut atteindre le but qu’on se propose.
Du moment qu’on établit des droits différentiels sur les sucres qui nous viennent des contrées transatlantiques, il faut bien augmenter aussi le droit dont est frappé le sucre importé par cabotage. C’est là une conséquence naturelle de l’établissement du système des droits différentiels sur les sucres qui nous viennent des colonies.
Aujourd’hui, en ce qui concerne l’importation du sucre, le cabotage a pour concurrent la grande navigation étrangère et la grande navigation belge, mais il n’a pas, et dans l’état actuel des choses il ne saurait avoir pour concurrent le cabotage étranger, parce qu’il est protégé contre ce cabotage par un droit différentiel de 4 fr. 1 c., si l’on veut conserver au cabotage belge la position où il se trouve, et il me semble qu’on ne doit pas lui ôter cette position ; il faut qu’on fasse payer au cabotage étranger un droit différentiel assez élevé pour qu’il ne puisse pas venir faire concurrence au cabotage belge c’est ce que le gouvernement propose aujourd’hui ; je trouve cette proposition extrêmement raisonnable, et je crois que nous devons l’admettre.
Mais, dit l’honorable M. Delehaye, vous vous écartez de la règle que vous avez posée pour les matières premières. Veuillez remarquer, messieurs, que ce n’est pas la première exception que vous ferez ; vous en avez posé notamment une pour les bois : là, vous vous êtes écartés complètement et sous tous les rapports, des principes que vous avez admis à l’égard des matières premières. Eh bien, ici vous ferez une seconde exception ; et elle sera moins étendue et mieux justifiée.
L’honorable membre dit que c’est une augmentation de droit pour les raffineries de sucres. Mais déjà M. le ministre de l’intérieur a fait remarquer que l’industrie des raffineries trouvera une compensation dans la diminution des droits sur l’importation directe sous pavillon belge, et la preuve qu’on peut compter sur cette compensation, c’est qu’aujourd’hui , sous l’empire du tarif actuel, quoiqu’il y ait une différence d’un fr. 48 c. en défaveur du pavillon étranger venant des lieux de provenance, ce pavillon étranger vient cependant importer du sucre en Belgique ; on continuera, à plus forte raison, à l’importer, lorsqu’on pourra le faire, à raison d’un centime.
Dans tous les cas, la différence à établir entre le pavillon belge et le pavillon étranger, en ce qui concerne le cabotage, doit être maintenue dans la loi, sous peine de faire perdre au cabotage national un transport important.
M. Coghen. - Messieurs, à mon avis l’aggravation qu’on veut mettre à l’importation des sucres des entrepôts d’Europe, n’est pas de nature à amener des résultats bien graves. Le mal pour les raffineries c’est le changement de système. La loi que vous avez faite est avantageuse pour le trésor, elle a atteint le but qu’on se proposait ; mais elle est venue tarir l’activité d’une industrie qui finira par se borner à la consommation du pays. La différence qu’on propose doit rester pour protéger le pavillon national, car autrement le petit cabotage qui aura déjà à souffrir du dégrèvement accordé aux provenances directes perdrait un des grands éléments de son activité.
La réduction du droit de 20 centimes à 1, permet d’espérer qu’en nationalisant des navires, nous pourrons recevoir suffisamment de sucres des lieux de production. C’est à désirer pour notre industrie, qui trouvera par ce moyen, dans un avenir éloigné peut-être, l’écoulement des produits de ses fabriques.
M. Cogels. - La conséquence désirable de la tarification nouvelle sera d’augmenter les arrivages directs et de diminuer les arrivages des entrepôts d’Europe. C’est là le but de la tarification nouvelle, et c’est en ce sens que je l’approuve. C’est un sacrifice que l’on demande en faveur de la navigation et du commerce à une industrie dont la prospérité dépend entièrement de celle de cette même navigation et de ce commerce. Il était plus juste de le demander à cette industrie qu’à une autre qui n’aurait pas le même intérêt à voir le commerce et la navigation se développer.
C’est une erreur de croire, cependant, qu’il y a dans la réduction de droit à un centime, une véritable compensation à l’augmentation introduite d’autre part. Car, si les importations devaient rester telles qu’elles sont maintenant, voici quelle serait le résultat : la réduction serait de 19 mille francs et l’augmentation de 252 mille francs.
Voici mon calcul, si les chiffres restaient les mêmes. Il y a eu dix millions importés des lieux de production ; en les supposant tous introduits par pavillon belge, la réduction de 19 centimes par 100 kil. ferait 19 mille francs. D’un autre côté, il y a 2 fr. 80 d’augmentation sur 9 millions de kil., ce qui fait 252 mille fr.
Maintenant, il y a une autre considération qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que, par suite de la nouvelle modification introduite par le gouvernement, on aggrave effectivement le droit sur le pavillon belge. En supposant qu’il n’y eût pas eu de droit différentiel pour les entrepôts d’Europe, le pavillon étranger est payé 3 fr. et le pavillon belge 2 fr. 70 ; tandis que vous faites payer 3 fr. au pavillon belge et 4 fr. 50 au pavillon étranger Ce dernier chiffre ne sera que nominal, le véritable droit différentiel n’existe qu’en faveur des arrivages directs. Si vous ne voulez pas bouleverser votre système, si vous voulez des droits différentiels sur les articles les plus importants de vos importations, vous devez admettre les chiffres proposés par le gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regarde les calculs de l’honorable préopinant comme tout à fait invraisemblables. J’ai dit qu’on devrait raisonner d’après des probabilités. Vous venez effrayer par des calculs que j’appellerai, moi, imaginaires. La plupart des sucres dont vous avez besoin viendront des lieux de production, soit par pavillon belge, soit par pavillon étranger, assimilé ou non. Les arrivages tels qu’ils s’opèrent actuellement prouvent qu’une surtaxe de 15 à 16 fr. par tonneau n’est pas un obstacle aux importations sous pavillon étranger ; et, malgré un tarif vicieux, la moitié des sucres que nous consommons nous vient dès à présent des lieux transatlantiques. Si c’est par pavillon belge allant les prendre aux lieux de production, le droit sera de 1 centime ; si c’est par pavillon étranger non assimilé, le droit sera de 1 fr. 70, c’est-à-dire le droit actuel ; enfin si c’est par pavillon étranger assimilé, le droit sera de 1 centime. Voilà donc les trois faits probables, conséquences de votre tarif nouveau.
Je vais faire une concession. Je suppose qu’il n’y ait jamais assimilation de pavillon ; vous aurez deux sortes d’importation : les importations à un centime par pavillon belge, et les importations à 1 fr. 70 c. par pavillon étranger non assimilé. Maintenant, si vous allez prendre des sucres dans les ports d’Europe, c’est que vous pourrez les y trouver à des prix aussi avantageux qu’aux lieux de production ; votre industrie n’aura pas à se plaindre.
M. Delehaye. - Vous changez sa position.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On ne la change qu’en apparence. Il est évident que le tarif nouveau comportera un autre genre d’application que le tarif ancien ; mais ce changement ne préjudicie pas aux raffineurs, et les calculs de M. Cogels sont invraisemblables.
M. Cogels. - Je l’ai dit.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me félicite que l’honorable membre le reconnaisse lui-même. Je le dis au risque de donner de l’inquiétude à l’honorable député d’Ostende, M. Donny ; je prétends que les importations des entrepôts d’Europe diminueront notablement. C’est une chose à laquelle le cabotage doit se résigner. Ces importations seront des exceptions, la majeure partie des provenances sera désormais directe.
Voilà ce que doit amener le tarif nouveau, et, je le répète, ce sera au grand avantage de l’industrie ; car, dans l’ordre ordinaire et régulier des affaires, ce sont les arrivages directs qui sont les plus économiques. Donc le droit sur les provenances des entrepôts d’Europe restera bien modéré, puisqu’il ne sera que d’environ 4. p. c. sous pavillon national.
M. de Haerne. - Si le sucre brut n’était pas une matière première et que je ne craignisse pas, en élevant le droit auquel il est soumis, de faire tort à l’industrie qui le travaille, je proposerais une augmentation du droit différentiel pour les provenances directes ; je proposerais 2 fr. au lieu de 1,70. Mon but serait de nous mettre en mesure d’offrir à l’Espagne une compensation ; de vous créer un moyen de négocier avec ce pays. Mais je crains d’atteindre l’industrie sucrière. Je renoncerais, par cette raison, à mon projet. Cependant je pense qu’il y aurait moyen de satisfaire l’industrie sucrière et en même temps de négocier avec l’Espagne, dans l’intérêt de notre fabrication de toiles ; ce serait d’offrir à l’Espagne l’assimilation de son pavillon au nôtre pour les sucres de provenance directe de Cuba. A cette occasion, j’appellerai votre attention sur d’autres articles importants. Je vous prie de remarquer que le système différentiel vous donne un puissant moyen d’agir sur l’Espagne. Il y a d’abord l’article Fruits que vous avez voté hier et sur lequel un droit différentiel très important, de 6 fr., a été admis. J’ajouterai l’article Plomb qui est moins important à la vérité, mais il y a un autre objet qui se présentera un peu plus loin, c’est l’article Tabacs ; sur lequel je ne me prononce pas encore. Je pense que la chambre, pour rester conséquente avec la décision qu’elle a prise hier, sur la proposition de M. de Renesse, devra ajourner aussi cet article.
Quoique je n’admette pas les chiffres proposés, je ferai remarquer que le tabac nous fournirait un excellent moyen de négociation avec l’Espagne, C’est un objet très important pour le traité que nous devons conclure avec l’Espagne. Il en est d’autres encore que j’engage le gouvernement à faire peser dans la balance des négociations. Un projet de convention existe, qui a été arrêté avec M. Olozaga, mais ce projet semble abandonné. Depuis quelque temps, il est question, en Espagne, d’établir un tarif général réduit ; le tarif actuel ne produit rien à cause de son élévation excessive. Si nos informations sont exactes, l’Angleterre s’opposerait à la réduction de ce tarif, parce que l’Angleterre introduit ses toiles en Espagne par fraude et préfère pour cette raison le tarif prohibitif actuel qui ne peut l’atteindre, mais qui nous exclut.
En offrant à l’Espagne des compensations comme celles que je viens d’indiquer, il y aurait moyen de s’entendre avec elle et d’obtenir des réductions notables dans son tarif ou l’exécution de la convention conclue avec M. Olozaga ; de cette matière, nous pourrions espérer de renouer nos relations commerciales avec l’Espagne et avec Cuba. L’assimilation du pavillon espagnol pour l’objet dont il s’agit dans ce moment, serait également favorable à nos sucreries de canne.
M. de Brouckere. - Je regarde le chiffre proposé par le gouvernement comme ne devant porter aucun préjudice à l’industrie des raffineurs de sucre.
L’honorable M. Cogels a donné des calculs qui seraient fondés si les choses devaient, après la loi que nous discutons, rester dans l’état où elles sont aujourd’hui. Mais l’honorable membre a trop de bon sens pour n’avoir pas reconnu que les choses ne resteront pas dans l’état où elles sont, que les arrivages directs seront plus considérables et les arrivages d’entrepôts européens plus restreints.
Mais, dit l’honorable M. Delehaye, j’ai entendu répéter cette objection plusieurs fois ; vous allez changer la position des raffineurs de sucre ! Oui, en ce sens que nous les forçons d’aller prendre leurs sucres aux lieux de production, au lieu de les aller chercher dans les entrepôts d’Europe.
M. d’Elhoungne. - Le but de la loi est de favoriser les exportations.
M. de Brouckere. - Il y a un double but dans la loi, c’est de favoriser les exportations et de protéger la marine nationale. Pour arriver à ce double but, il faut favoriser les arrivages directs. Si vous ne voulez pas qu’on atteigne ce but, ne faites pas de loi, dites que vous voulez conserver les choses dans l’état où elles sont, que vous voulez laisser le petit cabotage tel qu’il est et négliger les arrivages directs.
Je dis donc, pour en revenir au point où j’étais quand j’ai été interrompu : Oui, vous allez changer la position des raffineurs de sucre, en ce sens qu’au lieu d’aller chercher une grande partie des sucres bruts dont ils ont besoin dans les entrepôts d’Europe, ils iront les chercher aux lieux de production. Mais leur causerez-vous par là un grand préjudice ? Je prétends que non.
Je conçois cependant, messieurs, qu’il y ait, de la part des raffineurs, quelques réclamations, parce qu’on renonce difficilement à ses habitudes. Les raffineurs de sucre ont leurs relations dans les entrepôts d’Europe ; il faudra qu’ils en établissent dans les pays transatlantiques. C’est une gêne, mais c’est une gêne momentanée qui, du reste, ne leur portera, pécuniairement parlant, aucune espèce de préjudice. Cela est d’autant plus vrai qu’on appliquera à cette partie du tarif la règle dont M. le ministre de l’intérieur nous a parle fréquemment, c’est que la majorité de droit ne sera payée que par moitié la première année. Or, je vous demande si l’on fait le moindre tort aux raffineurs de sucre lorsqu’on leur donne un an de faveur pour établir les nouvelles relations qu’il leur faudra entretenir par la suite et qu’il leur faudra entretenir dans l’intérêt bien entendu du pays.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j’en demande bien pardon à l’honorable préopinant, les raffineurs de sucre en changeront pas totalement leurs habitudes.
M. de Brouckere. - Je n’ai pas dit totalement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ils doivent déjà avoir quelques habitudes transatlantiques, si je puis parler ainsi (hilarité) ; vous recevez la moitié de vos sucres bruts des pays transatlantiques.
M. de Brouckere. - C’est de l’autre moitié dont je parle.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pourquoi, au lieu de recevoir 10 à 11 millions de kil. de sucre brut des contrées transatlantiques, n’en recevriez vous pas 15 à 20 millions ?
Pourquoi ne recevez-vous pas aujourd’hui 15 à 20 millions de kilog. ? Mais c’est parce que, d’un côté, le cabotage belge est trop favorisé, il ne paye que 21 centimes, et que de l’autre les voyages de long cours ne sont pas assez favorisés. C’est par suite de cette étrange tarification qui, pour le pavillon belge, traite tous les arrivages uniformément, que vous n’avez reçu des contrées transatlantiques que la moitié du sucre brut dont vous avez besoin. Il est évident qu’en changeant cette tarification, vous amènerez un autre résultat ; ceci est une conséquence inévitable, selon moi, du tarif nouveau.
Je suis si peu effrayé de ce tarif, que je partage entièrement la manière de voir de l’honorable M. de Haerne, et si, sous ma responsabilité, j’avais pu faire par arrêté une tarification nouvelle pour les sucres bruts, je n’aurais pas hésité à mettre un droit plus fort sur le pavillon étranger venant des lieux de production, que celui de 1 fr. 70 et, surtout un droit plus élevé pour le sucre arrivant des entrepôts d’Europe, que pour celui des lieux de production sous pavillon belge. Je suis convaincu que l’industrie du raffinage des sucres n’en aurait pas souffert. Je regrette que nous ayons dû respecter, même outre mesure, certains intérêts industriels, et que nous nous soyons enlevé par là certains moyens de négociations.
M. Donny. - Messieurs, à l’avenir, la règle générale sera l’importation du sucre par la grande navigation ; l’exception sera l’importation du sucre par le cabotage.
Quant à l’importation par la grande navigation, quels sont les droits aujourd’hui ? Il y en a de deux sortes : l’un de 1 fr. 79 sur le pavillon étranger, l’autre de 21 centimes sur le pavillon belge. Quels seront les droits à l’avenir ? Ils seront de 1 fr. 70 sur le pavillon étranger, et de 1 centime seulement sur le pavillon belge.
Ainsi, quant à la grande navigation qui fera la règle générale, il y a maintien de droit actuel pour le pavillon étranger, et il y a diminution du droit pour le pavillon belge. Le résultat est donc un avantage pour le raffineur.
Quant au cabotage qui formera l’exception, il y a en effet une différence assez grande entre le droit existant et celui qu’on veut établir ; mais ce ne sera que rarement qu’on payera le droit de 3 fr. au lieu de celui de 21 c. qu’on paye aujourd’hui seulement, comme vous l’a dit M. le ministre de l’intérieur, lorsque les raffineurs trouveront de l’avantage à aller chercher leur sucre dans les entrepôts européens.
Je trouve, messieurs, que la proposition du gouvernement est peut-être trop modérée, et si j’avais pu concevoir la moindre espérance de réussir, j’aurais proposé de frapper le pavillon belge, en cas d’importation par cabotage, d’un droit plus fort, j’aurais proposé 5 fr. et peut-être d’avantage ; mais n’ayant pas grand espoir de voir cette proposition adoptée, je me bornerai à appuyer celle du gouvernement.
M. Delehaye. - Messieurs, on a donc admis comme certain que si les choses restaient dans l’état où elles sont, la perte des raffineries serait considérable, puisqu’elles seraient frappées d’un droit nouveau de 250,000 fr.
Mais il n’en sera pas ainsi, dit-on : on ira chercher le sucre aux lieux de production. D’abord rien ne justifie cette prévision, car, pour supposer que vos navires iront aux lieux de production, il faut supposer aussi qu’ils auront des cargaisons de sortie de produits nationaux. Or, quelles sont les cargaisons de sortie de produits nationaux que vous supposez pouvoir former la charge de ces navires ?
Tout le monde sait que, dans le raffinage, il faut plus d’une espèce de sucre, il faut du sucre de Java, du sucre de Manille, du sucre du Brésil, du sucre de Havane. Vous devez donc supposer que vos navires nationaux iront chercher des sucres dans ces différentes contrées, et pour que l’opération se fasse avec avantage, il faut qu’ils aient des cargaisons de sortie pour chacun des quatre lieux que je viens de designer.
Je demande quels sont les produits qui pourront former ces cargaisons.
Messieurs, je le dis avec conviction, et on ne pourra me répondre sur ce point : il est impossible que votre pavillon aille chercher ces sucres aux lieux de production.
Qu’arrivera-t-il, messieurs ? Il arrivera ce qui se fait aujourd’hui : c’est que vos navires exporteront en Angleterre des écorces et quelques autres produits de notre sol, pour y prendre des sucres et du sel. Il est impossible, tant que vous n’avez pas les objets qui peuvent être exportés aux lieux de production, que vos navires y aillent. Vous supposez que tout à coup ils vont y chercher du sucre ; je répète que rien ne justifie cette hypothèse ; tout concourt, au contraire, à faire croire qu’elle ne se réalisera jamais.
M. Rogier. - Messieurs, le sucre, de même que le café, est une des bases essentielles de la loi des droits différentiels. Il faut donc bien se résoudre, quelque inconvénient passager ou permanent qui puisse en résulter pour cette importante industrie, si l’on veut une loi sérieuse, efficace, à établir ces droits sur les sucres.
Y aura-t-il, par suite de l’augmentation des droits sur les sucres provenant des entrepôts européens, élévation dans le prix des sucres bruts destines au raffinage ? C’est ce que je ne veux pas décider. Je conserve des doutes à cet égard. Je crois qu’il n’est pas impossible qu’il résulte de l’augmentation des droits sur les sucres provenant des entrepôts européens, un renchérissement de la matière première. Mais je dois faire une observation, c’est que si cette augmentation a lieu, si le sucre exotique est frappé d’une surtaxe qui pourrait s’élever, d’après les calculs de l’honorable M. Cogels, a une somme de 250,000 fr., l’équilibre que la loi a voulu établir entre le sucre colonial et le sucre de betterave sera rompu. Je dois donc faire une réserve : c’est que pour le cas où une augmentation dans le prix du sucre colonial serait le résultat de la loi sur les droits différentiels, nous aurions à revenir sur la loi des sucres et à augmenter d’autant l’impôt qui frappe le sucre de betterave. Car il importe que l’équilibre soit maintenu.
A cette occasion, je demanderai à M. le ministre des finances de nous dire s’il sera bientôt en mesure de nous faire un rapport sur les effets financiers et autres de la loi sur les sucres. C’est la seconde fois que j’adresse cette question à M. le ministre des finances, Il avait, je pense, promis de faire un rapport. J’attendrai ce rapport dans le plus bref délai possible.
Je fais cette question pour ne pas avoir à la renouveler lorsque nous en viendrons à la discussion de la loi sur les tabacs. Car, avant de savoir dans quelle proportion nous devons imposer les tabacs, il importe de savoir quelles sommes ont été produites par la loi les sucres. M. le ministre des finances doit être à même de nous faire connaître les résultats de cette loi au point de vue fiscal.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, l’honorable préopinant vient de s’appuyer sur les chiffres indiqués par l’honorable M. Cogels pour établir qu’il pourrait résulter de la loi des droits différentiels une aggravation dans la position du sucre exotique. Mais l’honorable M. Cogels a répété à différentes reprises qu’il s’agissait d’une hypothèse qui, dans son opinion, ne devait pas se réaliser. L’honorable M. Rogier doit sentir aussi bien que nous qu’il est impossible qu’elle se réalise.
M. Rogier. - J’ai des doutes.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Mais vos doutes ne sont pas fondés. En effet, si cette hypothèse devait se réaliser, ce serait la condamnation du système des droits différentiels, et je n’hésite pas à dire qu’il faudrait immédiatement y renoncer, parce qu’ils auraient été inopérants.
Le but des droits différentiels est, d’une part, d’encourager le pavillon national, et, d’autre part, de favoriser les importations directes des lieux d’entrepôt. Si ce double but n’était pas atteint, les droits différentiels devraient être supprimés.
Quant aux renseignements qui m’ont été demandés par l’honorable M. Rogier, j’ai déjà dit qu’aussitôt que je serais à même de les donner à la chambre, je m’empresserai de les lui fournir. Je ne puis pas encore juger la loi sur les sucres quant à ses effets industriels. Sous le point de vue financier, j’ai déclaré que, dans ma pensée, elle était jugée. Elle répond aux prévisions, c’est-à-dire qu’elle rapportera 3,200,000 fr., à une différence près peut-être d’une centaine de mille fr. en plus ou en moins.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, j’ai très peu d’observations à présenter sur l’article en discussion ; car, je croyais que l’examen de cet article serait remis au comité général. (Interruption.) J’ai cru comprendre que l’article Sucre, quant aux entrepôts européens, était réservé comme l’article Café.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable membre sera recevable à présenter une exception. Aujourd’hui on vote le tarif en principe ; si l’honorable membre croit qu’il faut faire une exception quant aux entrepôts hollandais, il pourra proposer cette exception. Tous les droits sont saufs à l’égard de cet article comme à l’égard de tous les autres,
M. d’Elhoungne. - J’applaudis à cette déclaration de M. le ministre de l’intérieur. Il est donc bien entendu que, quel que soit le chiffre qui sera adopté, nous pourrons toujours introduire dans le projet, quant aux entrepôts européens, toutes les exceptions que nous jugerons convenables.
Je demanderai maintenant s’il est également entendu que, dans l’opinion du gouvernement, l’introduction du nouveau tarif ne vient détruire en rien l’équilibre qu’on a voulu établir entre l’industrie du sucre exotique et l’industrie du sucre indigène. Si le nouveau droit faisait pencher la balance en faveur du sucre indigène, le gouvernement est-il dès à présent disposé à présenter à la législature les modifications nécessaires pour rétablir l’équilibre qui a été le vœu de la loi, qui a ôté le vœu des chambres.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je n’hésite pas à répondre affirmativement à la demande de l’honorable membre. Il y a actuellement un équilibre établi ; aussi longtemps que l’intention de la chambre n’aura pas été de modifier cet équilibre, il est évident que si, contre toute attente, la loi amenait quelque changement dans la position relative des deux espèces de sucre, il faudrait en tenir compte et la rétablir.
Ainsi, messieurs, notre intention n’est pas d’aggraver la position du sucre exotique, nous voulons maintenir celle qui existe maintenant pour les deux sucres et tel est aussi le résultat qui sera, selon nous, atteint par la loi.
M. Cogels. - Messieurs, j’avais eu soin de déclarer, en établissant mes calculs, que je les établissais sur l’état actuel des choses, et j’avais commencé par dite que le but de la loi était de changer cet état de choses, et que, par conséquent, s’il n’était pas changé, la loi était inefficace, Maintenant, si nous parvenons à créer en Belgique un marché, à engager nos raffineurs, non pas à s’adresser aux marchés coloniaux, ce qui serait les faire sortir de leur sphère, mais à s’adresser de préférence au marché belge ; si nous parvenons à faire en sorte qu’ils trouvent sur les marches belges ce qu’ils doivent aller chercher maintenant sur les marchés européens les plus voisins, alors effectivement il pourra s’établir une compensation. Cependant, il ne faut pas se le dissimuler, pour que la compensation fût complète, les importations des entrepôts d’Europe devraient se réduire notablement.
Quant à l’équilibre qu’il faut maintenir entre les deux industries, je vous avoue, messieurs, que je ne sais pas trop ce que l’on entend par cet équilibre. Un honorable député de Virton, qui se trouvait ici dernièrement, a dit que l’équilibre était parfait, puisque les deux industries étaient à la mort. Si c’est cet équilibre qu’on veut maintenir, je vous avoue que je serais enchanté de le voir détruit.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, l’expression équilibre peut ne pas être celle que j’aurais dû employer ; ce que nous voulons maintenir, c’est la situation relative actuelle des deux sucres. Voilà quelle est ma pensée.
M. de La Coste. - Je commencerai par faire observer, messieurs, que, de mon côté, j’aurais désiré que le droit ne fût pas augmenté dans une semblable proportion sur les sucres importés des entrepôts d’Europe. J’avais proposé comme principe, principe que la chambre n’a pas adopté, que le pavillon national important des entrepôts d’Europe ne serait pas plus chargé que le pavillon étranger important directement. Si ce principe avait été adopté, il aurait été fait droit en grande partie aux observations de MM. les députés de Gand, qui n’ont pas jugé à propos de l’appuyer.
Je pense, avec M. le ministre de l’intérieur, qu’il aurait été plus logique d’augmenter légèrement les droits sur les sucres importés directement sous pavillon étranger, tout en abolissant les vingt centimes sur les importations directes sous pavillon national ; mais, d’un autre côté, on eût dû s’abstenir, selon moi, d’élever autant les droits sur les importations des entrepôts d’Europe sous pavillon belge.
Cependant, messieurs, mon principe ayant été écarté, je considère ceci comme chose jugée. Seulement je ne voudrais pas que le gouvernement prît, à cette occasion, des engagements au préjudice de l’industrie du sucre indigène. Cette industrie est très souffrante, elle a été soumise à de très grands sacrifices en faveur du trésor ; je ne crois pas que ccs sacrifices puissent être portés plus loin. Si donc, le gouvernement n’a pas calculé parfaitement les résultats de ce qu’il propose, il n’est point certain qu’il ne charge pas outre mesure le sucre étranger, il me semble qu’il serait beaucoup plus simple qu’il s’arrêtât un seul instant, qu’il considérât mûrement ce qu’il va faire et qu’il s’abstînt de charger le sucre étranger plus qu’il ne l’est actuellement.
Ainsi, messieurs, je ferai des réserves en sens contraire à celles qu’a faites l’honorable M. Rogier. En d’autres termes, je crois que le sucre indigène est tout à fait étranger à la présente discussion, que c’est pour lui res inter alios acta, que c’est aux intérêts des ports à s’arranger entre eux, mais non pas aux dépens d’une partie tierce qui n’est point en cause.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable préopinant a supposé à tort que le gouvernement aurait des doutes sur la portée de la disposition qui nous occupe. Nous n’avons manifesté aucun doute semblable. C’est un membre de la chambre qui a posé l’hypothèse que l’une des deux industries concurrentes verrait sa position aggravée et cet honorable membre a demandé ce que le gouvernement ferait dans ce cas. Nous avons dû répondre que, comme notre intention n’est pas de nuire à la position de l’une ou de l’autre des deux industries, nous croirions, si cette hypothèse venait à se réaliser, devoir rétablir l’équilibre tel qu’il existe aujourd’hui.
M. Rogier. - Ainsi, messieurs, l’engagement hypothétique pris par M. le ministre des finances subsiste. Pour le cas où l’équilibre entre les deux sucres viendrait à être rompu, le gouvernement s’engage à aggraver la position du sucre de betterave dans la même proportion dans laquelle la position du sucre exotique aurait été aggravée.
M. le ministre n’a pas répondu à l’autre demande que je lui avais faite. Il a dit que, dans sa conviction, la loi aurait les effets qu’il en avait promis lors de la discussion.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Dans les prévisions du budget.
M. Rogier. - Eh bien, messieurs, je demande que M. le ministre veuille bien nous présenter un rapport, d’abord sur les effets financiers de la loi, et ensuite sur ses effets industriels et commerciaux. Cette loi a été qualifiée de loi d’essai. Or, je pense que lorsqu’il s’agit d’une semblable loi, et surtout d’une loi de cette importance, la chambre doit désirer qu’on lui soumette un rapport quelque peu détaillé sur les effets d’une telle loi. Je ne pense pas, d’un autre côté, que M. le ministre ait aucun motif de se refuser à la demande que je lui fais à cet égard.
Il importe, je le répète, que dans la discussion du projet de loi sur les tabacs, nous sachions à quoi nous en tenir sur les effets de la loi des sucres.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Rogier. - Il me semble que, dans toutes les opinions, on doit chercher à s’éclairer, on doit désirer connaître les effets d’une loi aussi importante.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable M. Rogier m’avait interpellé à ce sujet il y a, je crois, à peine quinze jours, et je lui ai répondu alors que je n’étais pas à même de faire connaître les effets de la loi ; qu’elle était mise à exécution depuis trop peu de temps, que ses effets ne se faisaient sentir que depuis le commencement de cette année, et que l’absence de faits suffisants s’opposait à une juste appréciation. Je pourrais dire ce que je présume de la loi, comme j’aurais pu le dire avant sa mise à exécution ; mais ce n’est pas là ce que l’honorable membre demande. Ce sont les effets industriels de la loi qu’il veut connaître ; et, je le répète, je ne puis parler d’après des faits qui ne sont pas encore connus.
Je n’ai aucun intérêt à ne pas faire à la chambre le rapport que l’honorable membre demande. Mais l’expérience n’étant pas acquise, je ne puis me procurer les documents nécessaires. L’honorable préopinant peut être persuadé qu’aussitôt qu’il me sera possible, je donnerai à la chambre des renseignements sur un objet d’un aussi grand intérêt ; mais maintenant je ne pourrais qu’exprimer une opinion personnelle et m’arrêter à des présomptions.
Sous le rapport financier, au contraire, les déclarations étant faites longtemps avant que les droits soient perçus, je pourrais donner des renseignements plus détaillés ; mais ce ne serait que la reproduction de ceux que j’ai donnés dans la discussion du budget, parce que ce que j’ai présumé alors devait se réaliser, et se réalisera en effet.
L’honorable M. Rogier, en finissant son premier discours, s’était borné à me demander des explications sous le point de vue financier ; du moins ai-je dû le comprendre ainsi ; car je suppose qu’il se rappelle la réponse que je lui ai faite il y a quinze jours, à savoir qu’il m’était impossible de présenter à la chambre des renseignements complets.
M. Dumortier. - Messieurs, il y a plusieurs manières d’envisager les effets d’une loi, et surtout d’une loi aussi compliquée que celle relative à l’impôt sur les sucres. Mais pour bien apprécier la manière d’envisager cette question, il faut voir d’abord ce qu’on a fait.
Qu’a-t-on fait, messieurs, pour la loi sur les sucres ? On a établi un impôt sur le sucre indigène, qui, jusqu’alors, n’avait payé aucune espèce d’impôt et qui ne demandait rien au trésor, et l’on s’est borné à réduire quelque peu la prime dont jouissait l’industrie du sucre exotique, qui prenait annuellement des millions au trésor. La fabrique du sucre indigène ne demandait pas plus de privilèges au trésor que n’en demandent et les grains et les tabacs, et tout ce que le sol produit. Elle ne demandait rien au trésor du pays.
M. Delehaye. - Deux mille francs par hectare.
M. Dumortier. - Tandis que, comme je viens de le dire, la fabrique de sucre exotique prenait annuellement des millions au trésor public. Et cela dans quel but ? Dans le but de voir très souvent exporter du sucre après le raffinage à meilleur compte qu’on ne le faisait entrer en Belgique. Cela a été démontré à satiété et à la dernière évidence dans la discussion.
Voilà les faits. Eh bien, partant de ces faits, quel a dû être le résultat de la loi ? Le résultat de la loi a été funeste pour la fabrique de sucre indigène ; et déjà plusieurs de ces fabriques ont cessé d’exister. Si, au contraire, en réduisant la prime que l’on payait aux raffineries de sucre exotique on a restreint leurs exportations, qui n’existaient que par suite d’un abus législatif, je dis, messieurs, qu’en cela nous n’avons rien à faire, puisque nous nous sommes bornés à faire rentrer au trésor une partie des sommes dont il n’aurait jamais dû être privé.
Je ne comprends donc pas, pour mon compte, que l’on veuille exiger du gouvernement un compte rendu sur les effets de la loi, en perdant de vue la question la plus importante, c’est-à-dire que le sucre indigène, qui ne demandait rien au trésor public, a été frappé d’un impôt, tandis que l’on n’a fait que retirer au sucre exotique une partie des 4 millions qu’il prélevait tous les ans sur le trésor, des 4 millions que les contribuables belges payaient à cette industrie pour lui permettre d’aller vendre à l’étranger le sucre raffiné à meilleur compte qu’elle n’importait le sucre brut dans le pays.
Dans cet état de choses, je ne comprends pas la portée de l’interpellation de l’honorable membre, à moins qu’elle ne tende à obtenir le rétablissement du système odieux de primes qui n’a existé que trop longtemps (Interruption.) Si l’interpellation n’a pas ce but, je dis que je ne la comprends pas ! s’il s’agissait de connaître la situation actuelle de l’industrie du sucre indigène, alors je dirais, moi le premier, que plusieurs fabriques de sucre indigène ont dû cesser leurs travaux et que, par conséquent, ceux qui ont voulu tuer cette industrie ont complètement réussi. (Interruption.)
Je dis que je ne comprends pas une motion qui tendrait à faire présenter les choses d’une manière inexacte. En effet , messieurs, l’honorable ministre des finances peut bien venir nous dire quelles sont les raffineries de sucre exotique et les fabriques de sucre indigène qui ont cessé de travailler, mais les raffineries de sucre exotique ont pu apprécier les conséquences de la loi dès le jour où elle a été promulguée ; ils ont pu reconnaître immédiatement jusqu’à quel point leurs exportations seraient restreintes dès qu’ils ne jouiraient plus de l’énorme prime qui leur était accordée auparavant ; il en est tout autrement pour les fabriques de sucre indigène ; il leur faut à elles des années pour apprécier les conséquences de la loi, et si, jusqu’à présent, une partie seulement de ces fabriques a cessé d’exister, rien ne nous garantit que d’ici à deux ans elles ne seront pas toutes anéanties.
Je dis donc que la proposition faite par l’honorable M. Rogier est une proposition qui ne peut amener aucun résultat.
M. Rogier. - Je remercie l’honorable M. Dumortier d’avoir, à certains égards, fourni à la chambre une partie des renseignements que je demandais à M. le ministre des finances. L’honorable M. Dumortier nous a fait connaître la position de quelques sucreries indigènes. Voilà un commencement de rapport. Je m’étonne que l’honorable membre s’oppose à ce que M. le ministre des finances complète, par la présentation d’un rapport officiel, l’espèce de rapport officieux qu’il vient, lui, de nous faire.
M. Dumortier. - Je voudrais que cela fût précisé.
M. Rogier. - Je m’étonne que l’honorable M. Dumortier, qui se pose si souvent comme un homme parlementaire par excellence, vienne s’opposer à une simple demande de renseignements sur les effets d’une loi. Je ne comprends rien à une pareille manière d’agir. Je déclare à l’honorable M. Dumortier que mon intention était d’arriver à des renseignements tout à fait impartiaux, que si les raffineries de sucre indigène souffrent de la loi, je le regrette, que si les raffineries de sucre exotique souffrent de la loi, je le regrette encore ; je porte un intérêt égal aux deux industries.
Nous avons soutenu que la loi serait funeste à l’une et à l’autre de ces industries. Il paraît que c’est ce qui est arrivé ; cependant jusqu’à présent nous ne savons rien de positif à cet égard. J’espère donc que l’honorable M. Dumortier ne s’opposera plus à ma demande de renseignements. M. le ministre des finances nous a promis de nous faire connaître les résultats financiers de la loi. C’est déjà beaucoup ; je l’engage à vouloir bien recueillir successivement tous les autres renseignements sur les effets industriels de la loi, tant en ce qui concerne l’intérêt du sucre exotique, qu’en ce qui concerne l’intérêt du sucre indigène, car je n’ai pas voulu la mort du sucre indigène comme on l’a dit. Si les honorables MM. Nothomb et Smits ont présenté une loi en faveur du sucre exotique, il était bien entendu que le sucre indigène recevrait une indemnité proportionnée aux pertes qu’elle aurait pu essuyer.
Voilà dans quel sens j’aurais pu voter une loi qui aurait détruit l’industrie du sucre indigène. Dans aucun cas on ne l’aurait détruite sans indemniser les intéressés.
Je bornerai là ma réponse à l’honorable M. Dumortier. J’espère que lorsqu’il y aura réfléchi, il ne s’opposera plus à ce que la chambre s’éclaire, à ce qu’elle obtienne les renseignements qui lui ont déjà été promis par M. le ministre des finances. Son opinion, comme la mienne, est intéressée à ce que ces renseignements soient fournis.
M. Dumortier. - Je suis loin de m’opposer à ce que la chambre s’éclaire. S’il ne s’agit que de lui fournir des renseignements, je suis le premier à demander que ces renseignements soient donnés, mais je trouve que la question n’est pas précisée. Il est difficile à un ministre de nous faire connaître les résultats industriels de la loi, alors que l’industrie du sucre indigène n’a pas encore pu faire l’expérience de cette loi, tandis que les raffineries de sucre exotique en connaissent depuis longtemps toute la portée. Dans ces circonstances le rapport qui pourrait être présenté serait tout à fait défavorable au sucre indigène ; on viendrait dire : « Tel nombre de raffineries de sucre exotique a cessé d’exister par suite de la loi, tandis qu’une partie assez considérable de fabriques de sucre indigène continuent d’exister, » et l’on perdrait de vue que ces dernières ne continuent d’exister qu’à titre d’essai, et que l’année prochaine peut-être elles seront anéanties.
Attendons, messieurs, les résultats de l’expérience ; voyons ce qui va arriver cette année. Jusqu’à présent il est impossible de dire quel a été le résultat de la loi quant aux sucreries indigènes.
- La proposition du gouvernement est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La commission d’enquête ne fait point de proposition pour cet article.
Le gouvernement fait la proposition suivante :
« (Ecorces, feuilles et brindilles.)
« Par mer et directement des pays de production ou d’un port au-delà du détroit de Gibraltar, les 100 kil., par pavillon national, 10 c. ; par pavillon étranger, 75 c. ; droits de sortie, 5 c.
« D’ailleurs ou autrement, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 1 fr. ; droit de sortie, 5 c. »
- Cette proposition est adoptée.
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Tabac.
« (D’Europe.)
« Directement des lieux de production, les 100 kil., par pavillon national, 10 fr. ; par pavillon étranger, 13 fr. 50 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, les 100 kil., par pavillon national, 15 fr. ; par pavillon étranger, 16 fr.
« Par terre, les 100 kil., 18 fr.
« (Vannas en feuilles ou en rouleaux.)
« Directement des lieux de production, les 100 kil., par pavillon national, 25 fr. ; par pavillon étranger, 27 fr. 50 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, les 100 kil., par pavillon national, 28 fr. ; par pavillon étranger, 29 fr.
« Par terre, les 100 kil., 30 fr.
« (Tout autre en feuilles ou en rouleaux.)
« Directement des lieux de production, les 100 kil., par pavillon national, 8 fr, ; par pavillon étranger, 10 fr. 50 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, les 100 kil., par pavillon national, 12 fr. ; par pavillon étranger, 13 fr,
« Par terre, les 100 kil., 14 fr.
« (Cigares.)
« Directement des lieux de production, par pavillon national, 15 p. c. par pavillon étranger, 20 p. c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, par pavillon national, 22 p.c. ; par pavillon étranger, 25 p. c.
« Par terre, 30 p. c.. »
« (Proposition du gouvernement) :
« Tabac.
« (En feuilles et en rouleaux.)
« D’Europe sans distinction, les 100 kil., 5 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« Varinas sans distinction de provenance, les 100 kil., 25 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« (De Porto-Rico, de Havane, de Colombie et d’Orénoque.)
« Directement des pays de production, les 100 kil., par pavillon national, 5 fr. ; par pavillon étranger, 6 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 7 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« (Autres de pays hors d’Europe).
« Directement des pays de production, les 100 kil., par pavillon national, 2 fr, 50 c. ; par pavillon étranger, 4 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 5 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« (Côtes de tabac.)
« Directement des pays de production, les 100 kil,, par pavillon national, 4 fr. ; par pavillon étranger, 5 fr. 50 c. droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 6 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« (Cigares.)
« Directement des pays hors d’Europe, les 100 kil., par pavillon national. 100 fr. ; par pavillon étranger, 180 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 200 fr. ; droit de sortie, 5 c.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois, messieurs, en vous soumettant quelques observations, prévenir une proposition d’ajournement.
Cet article préjuge-t-il d’une manière quelconque le sort de la loi spéciale qui nous est soumise ? Non, messieurs, cet article est tout à fait, si l’on veut, à côté de la loi dont il s’agit, c’est-à-dire que la loi subsiste. Si l’on excepte l’article Cigares, la disposition est tout à fait en dehors de la loi sur les tabacs. Je vais le prouver.
Je laisse donc de côté les cigares, qui subissent une augmentation ; je m’occupe du tabac non fabriqué. Vous remarquerez, messieurs, les subdivisions que présente l’article. Veuillez, s’il vous plaît, me laisser dans chacune de ces subdivisions et comparer avec moi le tarif proposé par le gouvernement, au tarif actuel ; vous verrez alors quelle est la véritable portée de la disposition :
1° Tabacs d’Europe (Ukraine et autres pays), ce tabac paye aujourd’hui 5 francs. Eh bien, nous maintenons indistinctement le droit de 5 francs ;
2° Tabacs dits Varinas, sans distinction de provenance, 25 fr. par 100 kilog. ; c’est encore le tarif actuel ;
3° Tabacs de Portorico, de Havane, de Colombie et d’Orénoque. Ce tabac paye maintenant 5 fr. Nous maintenons ce droit. Mais ici commence le système différentiel. Nous maintenons le droit de 5 fr. pour le pavillon national et procédons comme nous avons toujours procédé jusqu’à présent ; nous augmentons le droit actuel à l’égard du pavillon étranger. Ainsi ces tabacs payeront : importés directement des pays de production, par pavillon national, 5 fr. (droit actuel) ; par pavillon étranger, 6 fr. 50, différence un fr. 50.
C’est-à-dire que le droit différentiel en faveur du pavillon national ou la surtaxe contre le pavillon étranger sera de 1 fr. 50.
Dans tout système quelconque de tarification, admettez-vous une faveur différentielle d’un franc 50 c. pour le pavillon national ? Voilà la question. Eh bien, je dis que vous pouvez résoudre cette question, indépendamment du projet de loi qui vous est soumis sur les tabacs. Vous n’avez aujourd’hui qu’à vous prononcer sur ce point-ci : Y aura-t-il à l’avenir un système différentiel pour l’importation des tabacs ? Ce chiffre différentiel sera, par exemple, d’un franc 50 c. pour le tabac Porto-Rico, etc. Si vous décidez plus tard que le droit de douane sera augmenté, vous ajouterez cette augmentation au chiffre que vous aurez voté. Il n’y a là aucune opération compliquée. Je ne puis assez le répéter, je laisse de côté la question des cigares ; il ne s’agit pour le moment que du tabac en feuille et en rouleau ; nous prenons partout pour point de départ le tarif actuel, et nous créons un droit différentiel en l’ajoutant au chiffre du tarif actuel. Voila ce que nous faisons, nous ne préjugeons pas autre chose,
Je demande qu’on vote l’article par division.
M. Cogels. - Indépendamment de l’article Cigares, il y en aurait encore un autre à distraire, je veux parler des tabacs varinas. Ces tabacs sont frappés d’un droit très élevé de 25 fr., parce qu’ils se consomment pour ainsi dire sans fabrication. En admettant que la loi sur le tabac soit votée, il y aurait dès lors un droit de 60 fr. sur les varinas. Par conséquent, il faudrait ou bien modifier la loi, en ce qui concerne les varinas, ou modifier le tarif des douanes, car vous ne pourriez pas admettre un droit de 60 fr. sur ces tabacs.
Il y a un autre motif qui milite pour l’ajournement. Supposons que la chambre, n’admettant ni les propositions du gouvernement, ni celles de la section centrale, substitue au droit d’accise ou au droit de fabrication un simple droit de douane, mais un droit plus modéré, alors les chiffres différentiels qui vous sont proposés au tarif actuel suffiront-ils ? Si la chambre se prononce plus tard pour un droit de douane, vous renversez nécessairement l’article de la loi dont nous nous occupons.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ferai d’abord remarquer que, dans l’article que nous discutons, nous maintenons tous les chiffres du tarif actuel.
Le vote que la chambre va émettre sur cet article, laisse entièrement intactes toutes les questions que le projet de loi sur les tabacs peut soulever. Les honorables membres qui pensent qu’il est préférable d’établir un droit de douane, seront libres de faire une proposition dans ce sens, alors même que les chiffres que nous proposons sur l’article Tabacs, dans le projet de loi en discussion, auraient été adoptés par la chambre. Il ne faut donc pas se préoccuper, pour le moment, de la quotité du droit de douane. C’est ainsi que, pour le sucre, nous avons proposé une surtaxe d’un franc 69 c., et cependant il existe un droit de 45 fr. sur le sucre exotique. Que ce soit un droit d’accise ou de douane, peu nous importe ; nous nous sommes demandé quelle surtaxe est nécessaire pour encourager les provenances directes sous pavillon national, et nous nous sommes dit que cette surtaxe pour le sucre pouvait être d’un franc 70 c.
Nous avons procédé de la même manière en ce qui concerne le tableau. Nous proposons une surtaxe qui ne sera pas modifiée, par suite de l’augmentation que pourrait subir le taux du droit. Cette dernière question est donc entièrement réservée. Je ne sais pas pourquoi nous ne voterions pas l’article Tabacs, alors que nous nous occupons de droits différentiels. Il y a d’ailleurs un autre motif pour que cette discussion ait lieu maintenant, c’est que nous devons avoir un comité secret pour l’examen des exceptions. Des membres viendront peut-être proposer des exceptions à l’égard du tabac. S’il en est ainsi, ce seraient des discussions qui devraient se renouveler en comité secret, tandis que, dans notre système, toutes les questions qui se rapportent aux droits différentiels seraient préalablement vidées.
Je demande, en conséquence, que l’article Tabacs soit discuté maintenant et qu’on ne prolonge pas cet incident.
M. Osy. - La loi des tabacs doit venir après la loi que nous discutons maintenant. La section centrale propose un droit d’accise sur le tabac et le maintien du droit actuel de douane. Si la chambre venait à décider qu’il n’y aurait pas un droit d’accise, mais un droit de douane, tout ce que nous faisons aujourd’hui serait inutile. Je demande donc formellement l’ajournement de l’article Tabacs.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, s’il y a une chose qui doit nous étonner, c’est que l’ajournement soit demandé par les adversaires du projet de loi sur les tabacs. Il me semble que ces honorables membres entendraient mieux leur intérêt, en laissant voter l’article qui vous est soumis en ce moment. Il ne s’agit, dans cet article, que de poser un chiffre différentiel. Il n’entre sans doute dans l’intention de personne de réduire le tarif actuel. La question est simplement de savoir de quelle manière on l’augmentera, si on l’augmentera directement, en augmentant le droit de douane, ou si on l’augmentera indirectement, en créant un droit d’accise. Nous sommes donc saisis pour le moment d’une simple question de régime différentiel.
Je prends l’article Tabacs, tel qu’il est proposé par le gouvernement :
« D’Europe, sans distinction. 5 fr. »
C’est le droit actuel ;
« Varinas, sans distinction de provenance, 25 fr. »
C’est encore le tarif actuel.
L’honorable M. Cogels trouve ce chiffre trop élevé. Je ne pense pas qu’une réduction de droit offre la moindre chance d’adoption.
La première espèce soumise au droit différentiel est celle de Porto-Rico, de Havane, de Colombie et d’Orénoque, pour laquelle le droit est le 5 fr. par pavillon national ; c’est le droit actuel et 6 fr. 50 c. par pavillon étranger. Le droit différentiel est de 1 fr. 50 c. Je crois qu’on peut admettre cette proposition. Par la loi spéciale qui vous est soumise sur les tabacs, il y aura un droit d’accise ; vous l’ajouterez aux chiffres que vous votez maintenant, 5 fr. et 6 fr. 50 c. Si au lieu d’un droit d’accise, la chambre vote une augmentation du droit de douane, vous ajouterez à ces deux chiffres une augmentation. (Interruption). Vous ferez, ce que vous feriez dans l’hypothèse que j’ai posée pour le café ; la différence de 1 fr. 50 c. subsistera, comme le fait observer l’honorable M. Fleussu. Je ne conçois vraiment pas pourquoi on demande l’ajournement. Il y a d’autres articles auxquels on fait l’addition qu’il faudrait faire à celui-ci ; il y a des objets frappés de droits différentiels qui sont en même temps frappés de droits d’accise. Si nous n’avions pas eu notre traité avec la France, le vin se fût trouvé dans le tarif des droits différentiels maritimes ; on eût dit : l’importation par mer payera tant par pavillon national, tant par pavillon étranger, et le droit d’accise serait venu s’ajouter à chaque chiffre. C’est ce que nous ferons si la convention avec la France vient à cesser.
M. de Haerne. - Je viens appuyer la proposition d’ajournement. M. le ministre dit que les adversaires de la loi sur les tabacs ne comprennent pas leur intérêt en demandant l’ajournement ; pour moi, je ne comprends pas ce raisonnement. Peut être pourrait-on rétorquer l’argument contre le gouvernement, et dire qu’il y a un motif de s’y opposer dans l’intérêt de la loi qu’il a proposée. Peut-être quand on aura voté le droit différentiel, dira-t-on qu’il y a chose préjugée contre les membres qui voudraient qu’on établît un simple droit de douane.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On vous déclare qu’il n’y a rien de préjugé !
M. de Haerne. - Je ne vois en vérité pas pourquoi on s’oppose à l’ajournement. Il ne s’agit pas ici de plaider pour ou contre la loi sur les tabacs, mais de simplifier la position. M. le ministre a dit qu’on avait procédé de la même manière pour d’autres articles. Hier vous avez admis une exception sur la proposition de M. de Renesse qui a proposé d’ajourner l’article Avoine jusqu’après la discussion de la loi sur les céréales. Je ne vois pas pourquoi on n’appliquerait pas aujourd’hui aux tabacs le principe admis hier pour les céréales.
M. le ministre des finances vient de dire que dans le comité secret des membres auront peut-être à réclamer certaines exceptions en ce qui concerne les tabacs. Si des membres ont des réclamations à faire relativement au tabac, rien n’empêche, selon moi, qu’ils fassent ces réclamations en séance publique.
J’appuie l’ajournement de l’article Tabac.
M. Rodenbach. - Je me suis déjà prononcé contre l’adoption du projet de loi présenté sur le tabac, malgré cela, je m’oppose à l’ajournement et j’admets que nous décidions aujourd’hui le principe que le tabac importé par navire national, paiera 5 fr. de droit et celui importé par navire étranger, 6 fr. 50. J’adopte ce droit différentiel. Si plus tard, quand nous discuterons le projet de loi sur les tabacs, c’est un droit d’accise qui triomphe, on l’appliquera ; si comme plusieurs membres le demandent, on donne la préférence à un droit de douane, si on élève le droit à 14 ou 16 fr., on pourra alors ajouter à ce droit les chiffres différentiels.
J’ai l’intention, aussi bien que les députés d’Anvers et de Courtray, de combattre la loi sur les tabacs, mais je suis convaincu que le droit différentiel proposé ne préjuge pas la question.
M. Malou. - Je m’étonne de l’insistance que met le gouvernement à ne pas laisser joindre la discussion de cet article à celle de la loi sur les tabacs. Il s’agit de savoir si au lieu d’une discussion, on en aura deux, car la connexité ne peut pas être niée. M. le ministre a reconnu cette connexité pour les cigares. Pour les autres articles, comment essaie-t-on de la détruire ? On dit que, quel que soit le droit de douane, la différence doit être la même. C’est là une question que nous pourrons examiner, et qu’ici on tranche d’autorité.
Je dis que cette question n’est pas éclaircie et qu’elle se joint nécessairement à la discussion de la loi relative au tabac. Je ne vois pas d’autre motif pour s’opposer à cette réunion, que la beauté de la loi, le désir d’avoir une belle loi de droits différentiels, bien complète. Cependant, ce que nous devons chercher, c’est moins la beauté architecturale d’une loi que la simplification de nos discussions. Il est plus facile d’apprécier dans son ensemble la question des tabacs et de la résoudre en une seule loi que de la discuter en deux fois.
M. Coghen. - Comme nous nous occupons d’une loi de droits différentiels, il me semble qu’on peut y comprendre le tabac. Si un nouveau mode d’impôt est proposé, à la manière dont le projet est accueilli, il n’est pas à croire qu’il soit accepté, et si un autre système ne prévaut pas davantage, nous serons sans loi, par conséquent sans droit différentiel, dans le cas ou l’ajournement serait adopté. Quand pourrait-on s’en occuper ? A la session prochaine ? Un objet d’une très grande importance pour la navigation, resterait en dehors du nouveau système de droits différentiels. Je pense qu’on peut sans inconvénients voter ce que propose le gouvernement, sauf à le modifier selon que l’un ou l’autre système prévaudra lors de la discussion de la loi sur les tabacs.
M. Malou. - On propose de faire pour l’article Tabac ce qu’on a fait hier pour l’article Avoine.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si hier j’ai retiré l’article Avoine, c’est que j’avais changé le tarif actuel. Je ne le change pas quant au tabac.
- L’ajournement est mis aux voix, il n’est pas adopté.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition du gouvernement, moins ce qui concerne les cigares.
M. Rogier. - Il est entendu que rien n’est préjugé quant à la question du droit ; que nous ne votons que la surtaxe ; qu’on n’invoquera pas ce vote contre ceux qui demanderaient dans la loi sur le tabac une augmentation du droit de douane au lieu d’un droit d accise.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - La question reste entière.
- La proposition du gouvernement est mise aux voix et adoptée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vais faire une proposition qui concordera avec le vote que vient d’émettre la chambre. Il y avait inconséquence en ce qui concerne les cigares. Le droit actuel est de 100 fr. J’avais pense qu’on pourrait le porter à 160 fr. par pavillon belge de provenance hors d’Europe, à 180 fr par pavillon étranger de même provenance, et à 200 fr. d’ailleurs. Le droit différentiel était de 20 fr. Mais ne préjugeons rien quant à l’augmentation de droit, prenons le tarif actuel. Je propose 100 fr. par pavillon national, 120 fr, par pavillon étranger et 140 pour les entrepôts d’Europe. S’il est reconnu dans la discussion de la loi sur les tabacs que le droit doit être augmenté, nous ajouterons l’augmentation aux chiffres que nous aurons votés. Voilà comment nous restons conséquents sans nous lier pour l’avenir.
- La proposition de M. le ministre de l’intérieur, relative aux cigares, est mise aux voix et adoptée.
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Huiles de térébenthine.
« Directement des lieux de production, les 100 kil., par pavillon national, 25 c. ; par pavillon étranger, 2 fr. 12 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, les 100 kil., par pavillon national, 3 fr. ; par pavillon étranger, 4 fr.
« Par terre, les 100 kil., 5 fr. »
« (Proposition du gouvernement) :
« Huile de térébenthine.
« Par mer, les 100 kil., par pavillon national, 2 fr. ; par pavillon étranger, 3 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c.
« Autrement. les 100 kil., sans distinction de pavillon, 3 fr. 50 c. ; droit de sortie, 5 c. »
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Thés.
« De toute espèce, importé directement des lieux de production et des ports situés au-delà du cap de Bonne-Espérance et du cap Horn les 100 kil., par pavillon national, 25 fr. ; par pavillon étranger, 70 fr. (Ne sont pas considérées indirectes ni cargaisons rompues les importations de thé faites simultanément avec d’autres denrées ou marchandises venant directement des lieux de production ou des lieux situés au-delà du cap de Bonne-Espérance, lorsqu’il est constaté que les navires sont venus directement et n’ont point rompu charge depuis le lieu de leur départ jusqu’à celui de leur arrivée en Belgique).
« D’ailleurs et par cargaisons rompues, par canaux et rivières, les 100 kil., par pavillon national 100 fr. ; par pavillon étranger, 120 fr.
« Par terre, les 100 kil., 150 fr. »
« (Proposition du gouvernement) :
« Thés.
« Directement des pays de production ou d’un port au-delà du cap de Bonne-Espérance, les 100 kil., par pavillon national, 30 fr. ; par pavillon étranger, 60 fr. ; droit de sortie, 5 c.
« D’ailleurs, les 100 kil., sans distinction de pavillon, 100 fr. ; droit de sortie, 5 c. »
M. le président. - La commission d’enquête propose encore les dispositions suivantes :
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Vanille.
« Directement des lieux de production, le kil., par pavillon national, 50 c. ; par pavillon étranger, 2 fr. 75 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, le kil., par pavillon national, 3 fr. ; par pavillon étranger. 5 fr.
« Par terre, le kil.,7 fr. »
- Le gouvernement propose la suppression de cette disposition.
Cette suppression est adoptée.
« (Proposition de la commission d’enquête) :
« Vins.
« En cercles et en futailles, directement des lieux de provenance, 1 hect., par pavillon national, 2 fr. : par pavillon étranger, 3 fr. 50 c.
« D’ailleurs et par canaux et rivières, l’hect., par pavillon national, 3 fr. 75 c. ; par pavillon étranger, 4 fr.
« Par terre, l’hect., 4 fr. »
« Toutes autres denrées exotiques non spécialement tarifes dans la loi actuelle, directement des lieux de provenance, tarif actuel, par pavillon national, réduit de 20 p. c ; par pavillon étranger, tarif actuel.
« D’ailleurs, tarif actuel, par pavillon national, 20 p. c. ; par pavillon étranger, plus 40 p. c.
« Par terre, canaux et rivières, tarif actuel, par pavillon national, 50 p c. ; par pavillon étranger, 50 p. c. »
« Toutes autres matières premières non spécialement tarifées dans la loi actuelle, directement des lieux de production, tarif actuel, par pavillon national, réduit de 50 p. c. : par pavillon étranger, tarif actuel.
« D’ailleurs. tarif actuel, par pavillon national, plus 50 p. c. ; par pavillon étranger, 100 p.c.
« Par terre, canaux et rivières, tarif actuel, 125 p. c. »
- Le gouvernement propose la suppression de cette disposition.
Cette suppression est adoptée.
M. le président. - Nous sommes arrivés à la fin du tarif.
Plusieurs membres. - A lundi !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pourquoi cela ? Messieurs, il ne s’agit que d’un premier vote. Remarquez que j’ai remplacé par des articles distincts plusieurs des dispositions marginales, entre autres, du projet de la chambre de commerce d’Anvers. Je crois qu’on peut continuer à discuter ces articles. Déjà quelques dispositions sont préjugées par les questions de principes. (Interruption.)
J’entends parler de la question de la relâche de Cowes. Eh bien, on pourrait tenir le § 2 de l’article 2 en suspens. J’ai une proposition à faire quant au § 1er.
M. Osy. - Messieurs, je crois qu’il vaut mieux remettre la discussion de ces articles à lundi. Le § 2 de l’art. 2 est très important. L’heure est d’ailleurs déjà avancée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous avons encore une heure que nous pourrions utiliser.
Une voix. - On n’a pas les pièces.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je suppose que l’honorable membre qui m’interrompt, est nanti du tarif que nous venons de voter, et l’art. 2 se trouve à la suite du tarif. Je demande que la discussion continue. Si la question de la relâche à Cowes présente trop de difficultés, si l’honorable M. Osy n’est pas préparé, nous tiendrons le vote en suspens ; mais je prendrai la parole pour exposer les faits.
M. Osy. - Je suis bien préparé ; mais M. le ministre dit qu’il a un amendement à présenter. Je demande que cet amendement soit imprimé ; nous pourrons l’examiner d’ici à lundi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le changement que j’ai à proposer est connu de tout le monde. Au § 1er de l’art. 2, on stipule que la réduction de 10 p. c. continuera à être accordée aux importations par mer sous pavillon national, qui ne seront pas favorisées par une disposition spéciale du tarif.
J’ai appelé l’attention de la chambre sur un fait extrêmement important ; c’est que cette déduction est aujourd’hui accordée à l’importation d’objets fabriqués similaires aux nôtres. J’ai fait imprimer dans le Moniteur n°148 et 149, la liste des objets pour lesquels le gouvernement a accordé une remise de 145 à 148 fr., remise qui forme une véritable prime. Mon intention n’est pas de demander que tous ces articles soient exceptés ; il y en a qui peuvent ne pas l’être, mais voici comment le § 1er de l’art. 2 serait rédigé :
« § 1er. La déduction de 10 p. c. consacrée par l’art. 10 de la loi du 26 août 1822 (journal officiel, n° 39) ne sera plus accordée à l’importation des objets suivants :
« Acier ouvré,
« Bonneterie de toute espèce,
« Fonte en gueuses, fer en barres ou travaillé, ainsi que machines et mécaniques,
« Tissus de toute espèce et tapis.
« Continueront de jouir de cette déduction les autres importations par mer sous pavillon national qui ne seront pas favorisées par une disposition spéciale du tarif faisant l’objet de la présente loi. Cette déduction sera portée à 20 p. c. pour celles de ces importations qui se feront des lieux situés au-delà des caps Horn et de Bonne-Espérance. »
M. Osy. - Comment voulez-vous discuter cela aujourd’hui ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La question est connue de tout le monde.
M. le président. - Messieurs, le texte de l’article 1er n’a pas été voté. Il est ainsi conçu : « Art. 1er. Le tarif des droits de douanes sera modifié conformément au tableau ci-après. »
- Cet article est mis aux voix et adopté.
M. Osy. - Messieurs, l’honorable ministre de l’intérieur vient de vous faire une proposition : il est impossible de comprendre à une simple lecture, les articles qu’il veut excepter.
La proposition tendrait à ne plus accorder la remise de 10 p. c. sur les objets manufacturés qui nous viendraient d’Angleterre. Je reconnais que ce serait un avantage pour notre industrie.
Mais n’y aurait-il pas un autre moyen ? Ne pourrait-on, au lieu de réduire les droits, les augmenter de 10 p. c. pour les importations par navires étrangers ? Aujourd’hui les bateaux à vapeur anglais payent les mêmes droits sur les objets qu’ils importent que les bateaux belges. Je crois qu’en augmentant de 10 p. c. les droits sur les importations par navires étrangers, en même temps que vous favoriseriez l’industrie, vous favoriseriez aussi le cabotage.
Vous voyez que la question mérite d’être examinée, et dans un quart d’heure nous ne serons plus en nombre.
- La séance est levée à 3 1/2 heures.