(Moniteur belge n°146, du 25 mai 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et un quart.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Georges-Adam Reuss, à Bruxelles, né à Obersinn (Bavière), prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Les sieurs Vanden Bogaerde, Verschaeve et Tremery, distillateurs à Ypres, présentent des observations contre la pétition des distillateurs agricoles tendant à ce que des mesures soient prises pour empêcher l’exagération des droits d’octroi établis à l’entrée des villes, sur les produits de leur industrie. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Henot présente divers rapports sur les demandes en naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
La chambre fixera ultérieurement le jour de la prise en considération.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) (pour une motion d’ordre). - Messieurs, beaucoup de membres de la chambre m’ont exprimé le désir qu’il n’y eût pas de séance demain ni lundi ; je crois, en effet, que pour des motifs qui vous sont connus, il faudra remettre la discussion après la séance d’aujourd’hui, à mardi ; de sorte que dès à présent j’annonce que je fais cette motion.
Cependant, qu’il me soit permis d’y ajouter une réserve, je ne dis pas une condition. Le sénat, on peut le dire, attend le vote des crédits provisoires devenus indispensables pour le service de l’armée. Je pense donc que la chambre voudra bien consentir à voter aujourd’hui ces crédits provisoires. (Assentiment.)
Ce premier point ne rencontrera, je crois, pas de difficultés. Je désire être aussi heureux pour un second point que je viens vous soumettre. Vous êtes saisis depuis longtemps d’une demande de crédits supplémentaires pour le département de l’intérieur. Le rapport est fait, malheureusement il ne pourra être distribué que vers trois heures. Ne pourrait-on pas s’occuper aujourd’hui du vote de ces crédits supplémentaires ? Si la chambre n’admettait pas ma proposition, le sénat se séparant probablement aujourd’hui, ces crédits supplémentaires ne pourraient être votés que dans un mois.
On pourrait donner lecture du rapport de l’honorable M. Savart, sur ces crédits supplémentaires. Je tiens en main la première épreuve. Je déclare dès maintenant que je consens au retranchement que propose la section centrale à l’art. 4.
- La chambre consultée décide qu’elle passera immédiatement à la discussion du projet de loi accordant au département de l’intérieur divers crédits supplémentaires.
La discussion générale est ouverte.
M. le président donne lecture du rapport.
- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la discussion des articles.
« Art. 1er. L’article 2 du chap. XVII du budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1843 (frais des jurys d’examen pour les grades académiques) est majoré d’une somme de trente-neuf mille cent vingt-sept francs soixante seize centimes (39,127 fr. 76 c.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, la section centrale renouvelle, dans son rapport, la demande que le gouvernement s’occupe des moyens de réduire les indemnités qui sont accordées aux membres du jury universitaires. Je promets à la chambre de tenir compte de cette recommandation. Vous savez que c’est une loi, celle sur l’enseignement supérieur, qui a fixé les indemnités des jurys d’examen. Il faut donc une loi pour réduire ces indemnités. Elle vous sera présentée peut-être avant la fin de la session,
- L’art. 1er est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. L’article unique du chap. IX du budget du même département, pour l’exercice de 1842 (fonds d’agriculture) est majoré d’une somme de cent quatre-vingt-huit mille francs (188,000 fr.) »
M. Osy. - Messieurs, lors de la discussion du budget des voies et moyens, M. le ministre des finances nous annoncé qu’il comptait employer le million du fonds d’agriculture, qui nous est revenu par suite de la liquidation avec la Hollande, à l’extinction de la dette flottante. A cette occasion, j’ai demandé à M. le ministre de n’en rien faire, avant de nous avoir présenté un projet de loi. Vous voyez que la section centrale, en proposant d’allouer le crédit réclamé, demande encore aujourd’hui s’il ne serait pas convenable d’employer ce million à établir ce fonds d’agriculture.
Je demanderai à M. le ministre quelles sont ses intentions à cet égard ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’ai promis à la chambre de lui présenter un projet de loi sur la destination à donner à tous les fonds qui nous sont rentrés par suite de la liquidation avec le royaume des Pays-Bas. Ce projet vous sera présenté avant la clôture de la session. On pourra discuter alors la question spéciale dont parle l’honorable membre. Mais, quant à moi, je crois que la destination naturelle de ce fonds est de remplacer ceux qui ont été avancés par le trésor sur le fonds d’agriculture en attendant la liquidation.
Du reste, cela sera examiné ultérieurement.
- L’art. 2 est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Il est alloué au même département un premier crédit de trente mille francs pour subvenir aux frais de confection des tables décennales des actes de l’état-civil, pour la période de 1833 à 1842, en exécution du décret du 20 juillet 1807 et des articles 69 et 70 de la loi provinciale.
« Cette somme formera l’article unique du chap. XXI du budget de 1844.»
- Cet article est adopté.
« Art. 4. Il est ouvert au département susdit un crédit supplémentaire de vingt-neuf mille trois cent seize francs trente-huit centimes, pour l’acquit de diverses dépenses restant à liquider, et qui sont détaillées dans le tableau annexé à la présente loi.
« Cette allocation formera le chapitre XXII du même budget. »
La section centrale propose la rédaction suivante :
« Il est alloué au département de l’intérieur un crédit de 12,550 fr. pour frais de confection des médailles de la vaccine accordées pour l’exercice de 1840 ; et un crédit de 6,000 fr. pour payer la part due par le gouvernement dans l’expertise des musées acquis en 1842 de la ville de Bruxelles.
« Ces deux allocations, ensemble de 18,550, formeront le chapitre XXII du même budget. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) a déclaré se rallier à la rédaction de la section centrale.
M. Osy. - Ayant fait partie de la section centrale, je dirai, en l’absence de M. le rapporteur, que nous avons proposé une rédaction sur cet article, parce que nous avons cru qu’il était convenable que le gouvernement réunît, en un seul et même projet, toutes les créances qui se rapportent à des dépenses faites sous l’ancien gouvernement.
- L’article 4, tel que le propose la section centrale, est adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet ; il est adopté à l’unanimité des 63 membres présents.
Ces membres sont : MM. de Garcia, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Donny, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Manilius, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Dubus (aîné), Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Steen, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Brabant, Castiau, Cogels. Coghen, Coppieters, David, Dechamps, de Chimay, de Corswarem.
M. Pirson fait le rapport suivant - Messieurs, vous avez renvoyé à l’examen de la section centrale du budget de la guerre le projet de loi ayant pour objet d’ouvrir un nouveau crédit provisoire de 5,000,000 de francs, pour le service du département de la guerre.
Par les lois des 30 décembre 1843 et 18 février 1844, il a déjà été accordé au même département deux crédits provisoires montant ensemble à 9,000,000 de francs. Ces crédits sont épuisés.
Le but du nouveau crédit provisoire est d’assurer le service de l’armée jusqu’au 1er juillet prochain.
D’après les explications qui ont été données à la chambre, dans la séance du 21 mai dernier, quelque rapidité qu’il soit apportée à l’examen, en section centrale, de la loi de l’organisation de l’armée, dont la discussion, en vertu d’une décision de la chambre, doit précéder celle du budget de la guerre, il ne paraît pas que le rapport sur cette loi puisse être présente avant un mois. Dès lors la moitié de l’année se sera écoulée avant qu’on puisse espérer d’être en mesure de discuter la loi du budget. Rien n’ayant été décidé jusqu’ici sur la diminution proposée pour la solde du soldat, le ministre de la guerre a été interpelé sur la question de savoir si, sans opter cette réduction, et en attendant l’adoption de la loi d’organisation de l’armée, il pourrait, par d’autres économies, faire en sorte de ne pas dépasser le chiffre pour lequel son département figure au budget général de l’État. L’honorable général a répondu :
« Qu’il ne diminuerait pas la solde du soldat avant qu’une décision n’ait été prise à cet égard par la législature, mais que, sans avoir recours à ce moyen, il pourrait, cette année, réaliser des économies notables :
« 1° Sur les masses de pain, de vivres de campagne et des fourrages ; les adjudications de pain, de vivres de campagne et de fourrages ayant eu lieu à un prix inferieur à celui porte au budget ;
« 2° En retardant l’époque de l’achat des chevaux de remonte ;
« 3° En accordant un plus grand nombre de permissions aux officiers, sans toutefois nuire aux besoins du service, et qu’à moins de circonstances extraordinaires et imprévues, il pouvait dès maintenant donner l’assurance qu’il ne sortirait pas de la limite indiquée dans le budget qu’il avait présenté. »
En conséquence des diverses considérations qui précèdent, votre section centrale vous propose, à l’unanimité, l’adoption du projet de loi ouvrant un nouveau crédit provisoire de 5,000,000 de francs au département de la guerre, sous la réserve toujours que son adoption ne préjuge aucune des questions qui se rattachent à la loi de l’organisation de l’armée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Comme je l’ai proposé tout à l’heure, je demande que ce projet soit discuté immédiatement.
- Cette proposition est adoptée. En conséquence la discussion générale est ouverte.
M. Delfosse. - La chambre se souviendra que le capitaine Coulon lui avait adressé une pétition dans laquelle il se plaignait de n’avoir pas obtenu la pension à laquelle il prétendait avoir droit. Cette pétition a été renvoyée à M. le ministre de la guerre conformément aux conclusions de la commission qui étaient favorables au pétitionnaire sur deux points, la commission avait émis, à l’unanimité, l’opinion que l’on aurait dû tenir compte au capitaine Coulon des services civils qu’il invoquait et que l’année 1839 aurait dû lui être comptée.
Le capitaine Coulon m’écrit que M. le ministre de la guerre n’a donné aucune espèce de suite à la décision de la chambre. Je prie M. le ministre de la guerre de me dire pourquoi il n’a pas encore pris de résolution.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) - Messieurs, je ne suis pas muni des renseignements qui sont demandés, relativement à cette pétition. Il y a toutefois une question générale à résoudre : l’année 1839 sera-t-elle comptée comme campagne ? Ceci a été admis pour les années 1830, 1831, 1832 et 1833 ; mais c’est une loi, la loi sur les pensions militaires, qui porte cette disposition. Aucune loi n’a décidé la même chose l’année 1839 ; de sorte que nous n’avons cru pouvoir prendre aucune résolution à cet égard. Je crois quant à moi, que l’année 1839 pourrait être comptée comme campagne, de même que l’ont été les années 1830 à 1833 ; à l’occasion, le gouvernement pourrait en faire la proposition.
M. Delfosse. - Je ferai remarquer à M. le ministre de la guerre qu’il y a une loi qui porte qu’une année de campagne compte pour deux. La question de savoir si l’année 1839 doit compter pour deux est une question d’application de la loi qui me paraît rentrer dans le attributions du pouvoir exécutif.
Il y a un autre point dont M. le ministre de la guerre n’a pas parlé, c’est la question de savoir s’il faut tenir compte au capitaine Coulon des services qu’il invoque.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) - J’examinerai cette question.
M. de Garcia. - Messieurs, je connais aussi la pétition du capitaine Coulon, et je demanderai à M. le ministre de la guerre qu’il la prenne en sérieuse considération. Cependant je ne sais pas jusqu’à quel point le gouvernement pourrait décider que le rassemblement de troupes de 1839 constitue ce que dans les états de services militaires, on appelle une année de campagne, qui compte pour deux ans de service. Il est certain qu’on n’a jamais considéré comme année de campagne que celles où il avait eu feu, où il y avait eu combat contre l’ennemi. Toutefois si l’on propose une loi tendant à faire considérer l’année 1839 comme campagne, je ne m’y opposerai pas. Je sais que l’armée est très dévouée et elle trouvera toujours en moi un défenseur de ses droits. Je connais son patriotisme et je serais charmé de voir la chambre lui donner une marque de reconnaissance, en décidant que l’année 1839 comptera comme campagne, mais je ne voudrais pas laisser au gouvernement le droit de décider une question semblable. Je considérerais cela comme un antécédent dangereux. Au moindre événement politique qui nécessiterait un rassemblement d’armées et son envoi sur la frontière, le gouvernement pourrait dire : Dans telle circonstance la chambre a demandé que le gouvernement comptât telle mesure comme constituant une année de campagne ; il y a lieu de faire la même chose aujourd’hui.
Je ne puis pas admettre un pareil système, ni un précédent contraire à tous les principes reconnus et généralement admis.
- Personne ne demandant plus la parole sur l’ensemble du projet, la chambre passe à l’examen des articles.
Les deux articles du projet sont successivement adoptés sans discussion. Ils sont ainsi conçus
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre un crédit provisoire de cinq millions de francs (fr. 5,000,000), à valoir sur le budget des dépenses de l’exercice 1844. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du projet, qui est adopté à l’unanimité, par les 65 membres présents.
Ce sont MM. de Garcia, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Renesse, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, d’Hoffschmidt, Donny, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Henot, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Lys, Maertens, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Dubus (aîné), Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Smits, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Brabant, Castiau, Cogels. Coghen, David, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de Florisone, Liedts.
M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, vous avez chargé la commission des pétitions de vous faire rapport sur plusieurs pétitions de marchands de bois du Nord. La commission n’a trouvé dans ces pétitions que la répétition de motifs qui ont déjà été présentés plusieurs fois. Elle a l’honneur de vous proposer le dépôt des pétitions sur le bureau pendant la discussion des conclusions du rapport de la commission d’enquête.
M. Donny. - Messieurs, dernièrement il nous a été fait rapport sur une pétition conçue en sens contraire et vous avez ordonné l’insertion de cette pétition au Moniteur. Je demande qu’il soit procédé de la même manière aujourd’hui. En conséquence, je propose l’insertion au Moniteur indépendamment du dépôt sur le bureau proposé par la commission.
M. Zoude, rapporteur. - Je ferai remarquer à l’honorable préopinant, que les pétitions dont il s’agit ne renferment que des raisons qui ont déjà été exposées plus de dix fois à la chambre. Je ne vois pas la nécessité d’imprimer encore ce qui a déjà été imprimé si souvent.
M. Donny. - Je ne pense pas qu’on ait imprimé des pétitions conçues dans le sens de celles dont nous nous occupons. Quoi qu’il en soit, puisqu’il y a 5 pétitions et qu’elles renferment toutes à peu près les mêmes considérations, je demanderai qu’on en imprime une à designer par M. le rapporteur.
- Les conclusions de la commission et la proposition de M. Donny sont successivement mises aux voix et adoptées.
La chambre adopte ensuite la proposition faite au commencement de la séance, par M. le ministre de l’intérieur et tendant à ce qu’il n’y ait pas séance demain ni lundi prochain.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion des conclusions du rapport de la commission d’enquête parlementaire. Nous en sommes arrives à l’examen du tarif. Dans une séance précédente, la chambre a décidé que les propositions de la commission d’enquête seraient considérées comme propositions principales et que le projet du gouvernement, ainsi que les autres propositions, seraient envisagés comme amendements.
M. le président. - Le premier article du tableau concerne les baleines.
La commission d’enquête ne fait aucune proposition.
Le gouvernement propose la disposition suivante :
« Baleines (Fanons de) :
« De la pêche nationale. Pavillon national : Libre. Pavillon étranger : Libre. Droits de sortie : Libre
« De la pêche étrangère, directement des pays transatlantiques (100 kil.) : Pavillon national : 12,00. Pavillon étranger : 14,00 Droits de sortie : Libre.
« De la pêche étrangère, d’ailleurs (100 kil.) : Pavillon national : 25,000. Pavillon étranger : 25,00. Droits de sortie : 05 c.
« Coupés et apprêtés (100 kil.) : Pavillon national : 60,00. Pavillon étranger : 60,00. Droits de sortie : 05 c. »
M. Delfosse. - Il est bien entendu que tous les chiffres qu’on va adopter laissent intacte la question des entrepôts hollandais.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Certainement.
M. de Haerne. - Messieurs, à la fin de la séance d’hier j’ai eu l’honneur d’appeler votre attention sur une question qui me paraît très importante c’est celle de ce qu’on est convenu d’appeler les entrepôts flottants. M. le ministre de l’intérieur a fait remarquer que cette expression n’était pas juste. Je n’y tiendrai pas ; cependant je crois devoir dire qu’à mon avis c’est toujours un entrepôt, et d’autant plus un entrepôt, qu’à mes yeux, les arrivages directs, sous pavillon indirect, sont plus dangereux que ceux des entrepôts fixes.
Messieurs, depuis le commencement de cette discussion j’ai fait une réflexion. Nous avons appris que des réclamations ont été faites de la part d’une puissance voisine contre l’adoption du système différentiel en Belgique ; mais il ne paraît pas que d’autres puissances, et notamment l’Angleterre, se soient opposées à l’établissement de ce système. Ce silence de l’Angleterre m’avait frappé d’abord, mais je me suis rendu bien vite compte de l’indifférence qu’a montrée cette puissance, lorsque j’ai étudié le système différentiel, tel qu’il est proposé.
En effet, si les arrivages directs sous pavillon indirect sont assimilés au pavillon direct étranger, l’Angleterre trouvera amplement son compte. Ces arrivages directs sous pavillon indirect se feront au détriment du pavillon national, ainsi que des entrepôts proprement dits.
Messieurs, il est à remarquer que la navigation sous pavillon étranger et particulièrement sous pavillon indirect, a pris un grand accroissement depuis 1836. Ni les entrepôts fixes, ni les navires nationaux n’ont pu lutter contre ce qu’on appelle les entrepôts flottants.
Maintenant, si, d’après le projet du gouvernement et d’après celui de la chambre de commerce d’Anvers, on accorde une faveur aux arrivages directs par pavillon indirect sur les entrepôts proprement dits ; il me semble que ces entrepôts seront entièrement écrasés et si la lutte du pavillon national contre les entrepôts flottants a été impossible jusqu’à présent, elle deviendra d’autant plus impossible ; car cette concurrence des entrepôts fixes étant écartée, il est évident que le pavillon indirect aura d’autant plus de chances de succès.
L’entrepôt flottant et le pavillon étranger en général, dans l’état actuel des choses, sont moins bien traités que le pavillon national ; celui-ci est favorisé de 10 p. c. Malgré cet avantage, nous sommes allés toujours à reculons. Nous avons perdu, depuis 1836, 46 p. c. sur la navigation nationale.
Messieurs, la raison pour laquelle il y a un si grand avantage pour les arrivages directs sous pavillon indirect, relativement aux entrepôts fixes, c’est que les entrepôts flottants n’ont pas à supporter les frais que doivent subir les entrepôts fixes, je veux parler de frais de débarquement, de réembarquement, d’assurance, de correspondance, etc., frais qu’on peut porter de 25 à 40 p. c., d’après les différences qui existent sur ce point.
La faveur que le projet accorde aux entrepôts flottants, sur l’entrepôt fixe, est de 40 fr. par tonneau, pour le café, par exemple. C’est là une faveur énorme qui suffira pour détruire entièrement les arrivages d’entrepôts fixes.
Le gouvernement a proposé, il est vrai, de favoriser le pavillon belge, et la chambre de commerce d’Anvers fait une semblable proposition. Dans le projet du gouvernement, il est accordé au pavillon national un avantage de 15 fr. sur l’ancien système ; il y a 25 fr. par tonneau ; mais, comme il y avait 10 p. c. auparavant, cela fait une augmentation de 15 fr. D’après le projet de la chambre de commerce d’Anvers, il y aurait une amélioration de 5 francs seulement.
Je crois que cette faveur ne sera pas suffisante, surtout si l’on fait attention aux différences qui existent par rapport au fret. Je demande à la chambre de lui lire à cet égard un document qui se trouve dans l’Emancipation d’hier. C’est une lettre adressée au Journal des Débats sur la réduction du fret, par suite de la concurrence.
« Lettre adressée de Liverpool au Journal des Débats :
« La rapidité et la fréquence des communications ont annulé les distances, et elles ne sont jamais prises en considération. On ne demande pas combien de temps il faut pour aller en Chine, mais quel est le fret, et l’on trouve qu’il est meilleur marché que celui pour le Havre, parce que le Havre manque de retours : 20 schellings la tonne est le fret pour la Chine ; on demande 25 schellings par tonne pour le Havre. »
Voilà quelles sont les conséquences de la concurrence en matière du fret.
Je citerai encore une autorité qui est bien compétente en cette matière, et qui vient entièrement à l’appui de mon opinion. Cette autorité c’est la chambre de commerce d’Anvers. Je trouve le passage suivant dans le second appendice du rapport de la commission d’enquête à la page 48/18 :
« L’objection tirée d’un prétendu renchérissement des frets n’est pas plus fondée. En effet, c’est une erreur de croire que la prime résultant du droit différentiel soit entièrement absorbée au profit de l’armateur. Celui-ci trouve rarement à hausser son fret, en raison de la totalité de cette prime, mais on sacrifie presque toujours une partie en faveur des chargeurs, afin de s’assurer la préférence sur les navires étrangers qui se trouvent dans le port. Alors, l’étranger est forcé, à son tour, de baisser son fret pour soutenir la concurrence ; et ainsi une protection modérée du pavillon national produit, en définitive, une réduction sur le taux général des frets, et tend à l’avantage du consommateur lui-même.
« Ce fait semble paradoxal ; il est pourtant attesté par l’expérience.
« Ainsi, lorsque, par la majoration de tarif sur les huiles de baleine en 1841, la faveur différentielle de fr. 2-12 par tonneau de 1,000 litres qu’elle était auparavant, s’est trouvée portée à fr. 12-30, les navires belges, malgré cette faveur, n’ont pas majoré leur fret de New-York sur cet article, et par là le fret sur ces mêmes huiles par la navigation étrangère a baissé dans une proportion équivalente. Jamais ces frets n’ont été plus réduits qu’en 1842, à cause de la présence à New-York des navires belges qui s’y étaient rendus avec des charbons pour la British-Queen.
« La concurrence produite à Rio-Janeiro par l’encouragement donné au service régulier, y a fait réduire également les frets. Celui pour Anvers, par navire étranger, avait toujours été de liv. 3 à 4 ; la concurrence du service belge le fit tomber immédiatement à liv. 3, à liv. 2-15 sh. et jusqu’à liv. 2-10 sh. »
Eh bien, la concurrence de la navigation belge a opéré une réduction énorme dans le fret des navires en général. D’abord ce fret était de 100 fr. ; de 100 fr., il a été réduit à 75 fr ; de 75 fr. à 68 ; de 68 fr. à 62 1/2 ; ainsi de 100 à 62 1/2, il y a une réduction de 37 fr. 1/2. Or, avec une augmentation de 15 fr. seulement, je demande si vous pourrez lutter contre cette réduction du fret, si vous ne frappez pas l’entrepôt flottant ou les arrivages directs par pavillon indirect.
Après tout, comme les Anglais éprouvent un besoin indispensable de déverser le trop plein de leurs fabriques dans les parages transatlantiques, ils éprouvent un besoin tout aussi grand de prendre des produits transatlantiques dans ces pays et de les déverser sur le continent, et en conséquence, par la position forcée où ils sont placés, ils devront nécessairement faire des réductions immenses ; de manière que, selon moi, il faut une protection spéciale contre ces sortes d’arrivages.
Je sais qu’on objecte à cet égard qu’en développant la marine nationale, il faut songer à établir un grand marché de produits coloniaux, de matières premières.
Je suis aussi de cet avis : cependant, je crois qu’il faut, avant tout, encourager la marine nationale et les arrivages directs, et, au moyen de ces deux voies de navigation, on peut former aussi un marché national.
Il y a plus, lorsque le marché national se forme par la navigation étrangère, il s’y fait souvent un encombrement qui est au détriment de l’industrie du pays, parce que cet encombrement empêche de réaliser les mêmes bénéfices sur les retours de nos propres navires, et par conséquent entrave aussi nos exportations.
Je veux donc, autant que qui que ce soit, un grand marché ; mais je désire, avant tout, qu’il se forme par les relations directes, par la navigation appartenant aux pays de production, de même que par le développement de la marine nationale.
Je crois d’ailleurs qu’il serait moins onéreux pour nous que nos marchés se formassent au moyen des relations avec les entrepôts fixes qu’au moyen des relations par entrepôts flottants, parce que les entrepôts fixes, d’Europe, par exemple, donnent plus d’avantage à la marine nationale, en raison du surcroît de frais qu’entraînent les arrivages d’entrepôts fixes.
On dit aussi qu’il est à craindre que nous ne manquions de navires pour établir ces relations directes, surtout avec des pays de l’Amérique du Sud, où la marine n’est pas suffisamment développée. Je vous ferai remarquer, avant tout, que ce sera un grand encouragement donné à la marine nationale. D’après le projet de loi, il sera possible de nationaliser des navires étrangers.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Pas toujours.
M. de Haerne. - Soit : mais jusqu’à un certain point ; et les navires nationalisés augmenteront la marine employée aux relations directes. Ainsi il y aura moyen de fournir le marché et subvenir au défaut de navires belges. On exagère parfois ; en partant de ces pays de l’Amérique du Sud, on néglige l’état où se trouve ce pays.
D’après ce que j’ai appris, j’ai lieu de croire que le Brésil, par exemple, est en voie de progrès quant à la marine ; et quand le traité que le Brésil a conclu avec l’Angleterre viendra à expirer, ce qui aura lieu sous peu, ce pays donnera un nouveau développement à sa marine. On semble assimiler tous ces pays, et on semble croire que pour tous ces pays il faille un nombre considérable de navires. Je lis dans le rapport de la chambre de commerce d’Anvers, que deux navires suffisent pour faire le service de St-Domingue. On voit que tous les pays de la partie méridionale de l’Amérique ne se trouvent pas dans la même position.
Je ferai une autre observation à cet égard. C’est que si les frets se réduisent, comme j’ai eu l’honneur de le faire remarquer, il me semble qu’alors nous ne pourrons pas dire que les navires manqueront, car la réduction des frets étant si considérable, les navires ne manqueront pas, et alors même que nous placerions les arrivages directs sous pavillon indirect dans la catégorie des entrepôts fixes , nous serions loin d’atteindre le chiffre qui fait la différence de la réduction des frets, car cette réduction a été de 38 fr. à peu près, et pour le café, d’après le tarif du gouvernement, nous ferions payer 25 fr. à l’entrepôt flottant, si nous l’assimilions à l’entrepôt fixe ; ce chiffre serait plus élevé qu’il ne l’est à présent, mais il ne serait pas assez fort pour concourir contre les relations par entrepôt flottant. Et après tout, si l’augmentation que je propose ne suffisait pas encore pour nous donner un nombre suffisant de navires, voici ce qui arriverait : je suppose que la réduction des frets ne suffise pas pour amener les navires en nombre assez considérable, qu’en résulterait-il ? un petit renchérissement sur les denrées transatlantiques, et alors le marché serait ouvert à tous les navires du monde. Ce serait un inconvénient dans le commencement, mais cet inconvénient serait tout à l’avantage de la marine belge et des navires du pays de production. Il y aurait une tendance continuelle à sortir de cet état de choses, à mesure que la marine nationale prendrait plus d’extension et que les relations directes se multiplieraient.
Voilà les considérations que je crois devoir présenter à l’appui de l’opinion que j’ai déjà émise plusieurs fois. Je serais d’avis, quant à l’article 1er, d’assimiler les arrivages directs sous pavillon indirect aux entrepôts proprement dits.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne ferai que quelques observations, ne voulant pas rouvrir la discussion générale. Il me suffirait de m’emparer de quelques aveux faits par l’honorable préopinant pour détruire son système.
Si vous aviez vous-mêmes une véritable marine, ou bien si tous les Etats transatlantiques avaient une véritable marine, vous pourriez peut-être dès à présent adopter un système plus rigoureux, le système que j’appellerai le système anglais. Il consiste à n’accorder le bénéfice de la provenance directe qu’au pavillon anglais, ou bien, en cas de réciprocité, au pavillon national du lieu de production, Pourquoi ? Mais la raison en est palpable. S’il y a des Etats transatlantiques qui n’ont pas de véritable marine, l’Angleterre est là pour y suppléer avec sa propre marine marchande. Vous n’avez pas cette position et en attendant que vous l’ayez, vous ne pouvez pas aller plus loin qu’on ne vous propose aujourd’hui. Plus tard, si votre marine se développe, peut-être ferez-vous davantage, vous rapprocherez-vous davantage du système anglais.
Il a échappé à l’honorable préopinant de dire : Vous avez toujours le droit de nationaliser les navires étrangers.
M. de Haerne. - J’ai modifié mon idée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ce que nous ne demandons pas, c’est ce que vous ne nous accorderiez pas. Si nous avions toujours et sans limite le droit de nationaliser les navires étrangers, le problème serait résolu. Avec le droit indéfini de nationaliser les navires étrangers, vous pouvez en quelque sorte vous approprier toutes les marines étrangères.
L’honorable membre a modifié son expression, je le sais ; mais en corrigeant son assertion, il m’a prêté un argument nouveau contre lui. Nous demandons pour un an le droit de nationaliser les navires étrangers. Pensez-vous que, pendant cette année, il se présentera assez de navires et d’assez bonne qualité pour que vous ayez une véritable marine marchande toute formée et suffisante ? On ne peut pas assez le répéter : Vous avez aujourd’hui 130 navires. Je n’irai pas jusqu’à dire que ces 130 navires sont tous capables de faire le service transatlantique. Je ne veux pas dire combien peu il y a de navires belges en ce moment en état de faire des voyages de long cours.
On s’est attaché à faire ressortir les inconvénients de ce qu’on appelle improprement les entrepôts flottants, c’est-à-dire les arrivages directs des lieux de production par pavillon étranger.
On a dit que ces arrivages étaient beaucoup plus désavantageux que les arrivages des entrepôts européens. On a insisté sur ce fait que, depuis quelque temps, il y a eu un accroissement considérable d’arrivages directs des lieux de production par pavillon étranger. Mais pourquoi cela a-t-il eu lieu ? Parce que l’avantage assuré au pavillon belge est trop faible, parce que vous n’avez que la remise des 10 p. c. comme protection de votre pavillon, et que cette protection est absolument insignifiante. Quand cette protection sera augmentée, le pavillon belge qui apportera des fanons de baleine des Etats-Unis payera 12 fr., tandis que le pavillon anglais paierait 14 francs. Différence de 2 fr., ce qui fait 20 fr. par tonneau. D’ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que, tout en assurant une protection plus marquée au pavillon national, nous voulons des arrivages faciles et économiques dans l’intérêt de la formation d’un marché et de l’industrie elle-même.
Je regrette qu’au début de son discours, l’honorable membre ait insinué qu’il trouve dans ce système quelque chose d’exclusivement anglais. Ce que l’Angleterre peut faire, la Suède, le Danemark peuvent le faire.
Les pavillons danois, suédois pourront prendre aux lieux de production les fanons de baleine et les apporter directement en Belgique, au même titre, au même droit que le pavillon anglais. Ainsi le système n’est pas plus anglais que danois et suédois, que hollandais même, car la Hollande ne renonce pas à faire la navigation avec les Etats-Unis d’Amérique.
Mais je crois que le projet n’a aucun de ces caractères. Voici ce qui arrivera. Il faut toujours voir les faits et ne pas se livrer à des conjectures purement théoriques. Comment arrivera cet article qui nous occupe ? Il arrivera par deux pavillons : par le pavillon national belge et par le pavillon national américain que vous allez assimiler au vôtre. Dès lors, vous voyez que la concurrence de tout autre pavillon devient très improbable. La majeure partie des fanons de baleine, article intéressant dans nos rapports avec les Etats-Unis, arrivera à l’avenir par pavillon belge, ou par pavillon des Etats-Unis, assimilé au vôtre. C’est là, en effet, le but de la tarification proposée.
Voilà ce qui arrivera, et vous ne devez pas compter sur les autres pavillons ; ils ne vous apporteront rien, parce qu’ils vous apporteraient avec un trop grand désavantage, eu égard au pavillon belge et au pavillon américain assimilé. Le désavantage pour le pavillon anglais, danois et suédois, est dans ceci qu’il n’y a pas possibilité d’assimilation entre ces pavillons et le pavillon belge. Cette possibilité d’assimilation n’existe que pour le pavillon du lieu de production et le pavillon propre de la Belgique
Les arrivages directs présentent ce grand avantage que vous recevez les matières premières de première main, sans l’augmentation des frais dont ils sont généralement grevés après l’entreposage en Europe. Vous avez intérêt à créer à Anvers, dans vos ports, un marché pour votre industrie, un marché direct, en provenances directes, grevé d’aussi peu de frais que possible.
C’est ce qui vous est assuré avec le système que nous vous proposons.
Je ne partage donc aucune des craintes qui ont été exprimées au sujet des entrepôts flottants. Il ne faut pas confondre cette question avec la question spéciale de Cowes.
Il y a ici un genre d’entrepôts flottants, ou plutôt c’est là seulement ce qu’on peut appeler entrepôts flottants.
Voici une pratique généralement établie dans les rapports commerciaux avec l’Amérique, et qui a dû s’établir vis-à-vis de la Belgique. Le navire anglais se rend aux Etats-Unis ou au Brésil, par exemple, il revient avec des produits transatlantiques, il n’a pas de destination déterminée, ii a ordre de se rendre soit dans un port de la Manche, nommément à Cowes ; il y reçoit du correspondant de l’expéditeur sa direction ultérieure.
Ce correspondant a lui-même des correspondants dans les ports du continent et notamment en Belgique ; d’après les avis de ces correspondants et l’état des marchés, le navire reçoit l’ordre de se rendre sur tel ou tel point de l’Europe, à Anvers par exemple. Il a touché à un port anglais, où il a attendu une direction nouvelle. Toujours est-il qu’il n’y a pas là de véritable commerce direct entre la Belgique et l’Amérique. L’opération se fait par l’intermédiaire des maisons anglaises et américaines, et généralement la faculté donnée aux navires étrangers de toucher à Cowes ne peut que contribuer à faciliter le placement des retours du commerce anglais sur notre marché. C’est un grand inconvénient, parce que nous n’avons pas alors ces relations directes et suivies, que nous voulons établir entre les ports belges et les ports transatlantiques.
La France admet la faculté dont il s’agit, mais seulement pour les navires français.
Je ne veux pas discuter cette question. Je prie les honorables membres qui ne sont pas d’accord avec moi d’ajourner leurs observations jusqu’à l’examen du deuxième § de l’art. 2.
M. Donny. - Je n’avais demandé la parole que lorsque j’ai entendu l’honorable M. de Haerne parler des entrepôts flottants. Je voulais le prier d’ajourner ses observations, à cet égard, à la discussion de l’article dont vient de parler M. le ministre de l’intérieur.
M. de Haerne. - Bien volontiers.
M. Rogier. - Ne doit-on pas s’occuper, à cet article, de la note C émanée de la chambre de commerce d’Anvers ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette question est réservée.
La chambre de commerce d’Anvers a soulevé la question des cowes dans la note marginale qu’indique l’honorable M. Rogier. Au lieu d’une note, j’ai présenté une disposition qui forme le § 2 de l’article 2.
- L’article « fanon de baleine » est mis aux voix et adopté.
M. le président. - La chambre passe à l’article Bois.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’article « bois » est extrêmement important. Il est probable qu’il donnera lieu à une discussion très étendue. Plusieurs membres ont des observations à présenter sur les bois de teinture. Je désire que ces observations soient ajournées. Pour qu’il n’y ait pas de confusion dans la discussion, je propose que nous nous occupions aujourd’hui des « bois » formant la première partie de l’article. (Adhésion.)
M. le président. - L’article nouveau présenté par le gouvernement est ainsi conçu :
« Bois (pour les bois dont les droits sont fixés par tonneau, le gouvernement déterminera le mode de constatation des quantités)
« (a) Bois non sciés (Les droits seront doublés pour le bois scié de 5 centimètres et moins d’épaisseur) :
« Pins et sapins : Toute espèce de bois en grume ou non scié propre à la construction civile et navale, importés par mer (le tonneau de mer) : Pavillon national : 75 c. Pavillon étranger : 1,50 fr.. Droits de sortie : 05 c.
« Pins et sapins : Les mêmes importés autres (le tonneau de mer) : Pavillon national : 2,50 fr. Pavillon étranger : 2,50 fr. Droits de sortie : 05 c.
« Autres bois (le tonneau de mer) : Pavillon national et pavillon étranger : le double de ces droits. Droits de sortie : 05 c.
« Bois de chêne courbe en grume ou non scié propre à la construction navale (le tonneau de mer) : Pavillon national et pavillon étranger : 1,00 fr. Droits de sortie : 05 c.
« (b) Bois sciés :
« Pins et sapins : Planches, solives, poutres (Les poutres ne seront traitées comme bois sciés que lorsqu’elles seront entièrement sciées et à crues vives. Dans le cas contraire, elles seront traitées comme bois non scié), madriers et toute autre espèce de bois scié, entièrement coupé ou non, y compris les douves, par mer (le tonneau de mer) : Pavillon national : 6,00. Pavillon étranger : 8,50 fr. Droits de sortie : 05 c.
« Pins et sapins, importés autrement (le tonneau de mer) : Pavillon national et pavillon étranger : 9,50 fr. Droits de sortie : 05 c.
« Autres bois (le tonneau de mer) : Pavillon national et pavillon étranger : le double de ces droits. Droits de sortie : 05 c. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ferai une réflexion sur ce que j’appellerai le canevas de cette disposition.
Le projet nouveau établit une distinction entre les sapins d’un côté et les autres bois, c’est-à-dire, le chêne. C’est une distinction qui n’est pas dans le tarif actuel et qui n’était pas dans ma première rédaction.
Ensuite, il y a une distinction entre les bois sciés et les bois non sciés, distinction qui existe et dans le tarif actuel et dans le projet du gouvernement. Pour les bois sciés, l’amendement distingue également les sapins des autres espèces de bois.
Ces distinctions servent de base au projet de tarif que j’ai eu l’honneur de vous soumettre.
Un des vices de l’ancien tarif est surtout de confondre le sapin avec les autres bois, c’est-à-dire, le chêne. Un deuxième vice, c’est de ne pas faire une différence assez grande entre les bois sciés et les bois non sciés.
J’ajouterai qu’il y a une autre spécialité de bois : les bois de chêne courbe en grume ou non scié propre à la construction navale. Cette espèce sera mieux traitée qu’elle ne l’est maintenant. Le bois de chêne pour la construction navale payera 1 fr. par tonneau de mer. Le tonneau de mer est d’une valeur d’environ 150 fr. 1 fr. sur 150 fr., c’est un véritable droit de balance. Le tarif actuel a le grave inconvénient de soumettre ces courbes, qui nous viennent des bords du Rhin, à un droit de 6 p.c., c’est-à-dire, à un tarif plus élevé que le bois scié.
On a établi pour cette espèce de bois un droit minime, afin que le projet ne présentât pas la contradiction qu’on lui a cependant imputée, d’avoir, d’un côté pour fret général l’extension de la marine, et de l’autre, de frapper les bois nécessaires pour les constructions navales. (Interruption.) Je le répète.
Aujourd’hui, je le répète, cette qualité de bois paye 6 p. c. Elle ne payera plus qu’un fr. sur 150 fr. ou 2/3 p. c. ; ce n’est qu’un droit de balance. C’est dans le même esprit qu’on propose un droit très modéré sur les bois en grume en général, véritable matière première, tout en augmentant sensiblement les droits sur les bois sciés.
M. le président. - La parole est à M. Donny pour développer l’amendement qu’il a présenté à cet article.
M. Donny. - J’ai reçu de la chambre de commerce d’Ostende quelques observations imprimées qui portent principalement sur les bois dont nous allons nous occuper et sur les sucres. J’avais demandé qu’on en fît la distribution aux membres de la chambre ; mais d’après une disposition prise par MM. les questeurs, cela n’a pas été possible. Je crois pouvoir me permettre, dans l’intérêt de la discussion, de faire en ce moment même distribuer ces exemplaires à la chambre.
En ce qui concerne l’importation des bois étrangers, messieurs, le système des droits différentiels est un système purement théorique, sans application pratique possible, attendu que tous les bois étrangers, sauf quelques douves dont je ne veux pas m’occuper, est importé sous pavillon étranger et doit nécessairement continuer à l’être de cette manière. Ouvrez toutes les statistiques commerciales qui nous ont été distribuées et partout vous trouverez que les faits confirment cette assertion. Ainsi, il a été importé en Belgique, en 1842, environ 50,000 tonneaux de bois étrangers, et sur cette quantité combien notre marine en a-t-elle importé ? 19 tonneaux ; probablement quelques planches ou quelques poutres pour arrimages, quelques bois ronds pour vergues ou pour mâtures.
Cet état de choses, messieurs, est très facile à expliquer, D’abord le bois nous est importé par des navires qui n’ont pour ainsi dire pas d’autre destination, qui sont d’une construction extrêmement légère, et qui par suite coûtent fort peu. Vous concevez parfaitement qu’un navire qui doit transporter des matières pondéreuses, doit être construit avec beaucoup plus de solidité qu’un navire qui n’est destiné qu’à transporter du bois, matière flottable, matière qu’on pourrait en quelque sorte transporter sans navire s’il était possible de l’arrimer et de la diriger convenablement.
Ce n’est pas tout : ces navires, exclusivement destinés à transporter du bois, appartiennent en grande partie aux propriétaires forestiers, dans le Nord, les grands propriétaires forestiers font construire des navires au moyen de bois de leurs forêts, et ils les considèrent non pas comme un moyen de navigation qui doit leur procurer un fret, mats comme un moyen d’écouler les produits de leurs forêts. Il suit de là qu’étant à la fois propriétaires forestiers, expéditeurs et armateurs, ils peuvent négliger complètement le bénéfice à faire sur le fret, bénéfice dont doivent surtout s’occuper les autres armateurs.
En troisième lieu, messieurs, les marins du Nord se contentent de très peu de chose pour leur entretien, et par suite ils peuvent se contenter aussi et se contentent en effet de gages fort modiques.
Cette triple cause : la construction légère et peu coûteuse des bâtiments qui transportent le bois, la circonstance que les expéditeurs ne doivent pas gagner sur le fret, et enfin la dépense modique de l’équipage des navires, cette triple cause, dis-je, assure aux nations du Nord le monopole du transport des bois qui viennent de ces contrées, monopole contre lequel il n’est au pouvoir d’aucune nation maritime de lutter avec le moindre succès.
Cette considération, messieurs, est importante, parce qu’il en résulte que nous ne devons pas faire la moindre attention aux chiffres indiqués par le gouvernement pour le pavillon belge. Le pavillon belge est hors de cause dans cette navigation ; nous devons baser exclusivement nos calculs sur les chiffres dont sera frappé le pavillon étranger, parce que c’est le pavillon étranger seul qui importe et qui importera toujours le bois dont il s’agit.
J’ai, messieurs, une seconde observation vous faire ; elle porte sur la classification des bois.
Vous savez, messieurs, que le gouvernement nous a proposé, pour l’application du tarif, une classification en deux catégories de matières : en matières premières qui sont favorisées, et en matières de consommation qui le sont moins.
Le gouvernement a placé parmi les matières premières, le bois en grume, et il a eu parfaitement raison. S’il est un article qu’on puisse considérer comme matière première, c’est certainement le bois en grume. Mais il aurait dû faire un pas de plus ; il aurait également dû mettre dans la classe des matières premières une seconde espèce de bois, qui n’est plus bois en grume, mais qui cependant est encore une véritable matière première parce qu’on ne l’emploie pas dans la forme qu’il nous arrive : je veux parler des solives de trois pouces et de deux pouces et demi. Ces solives sont débitées en planches avant d’être employées, et elles le sont par une classe d’artisans qui mérite toute notre sollicitude ; elles ne le sont pas par les scieries à la vapeur, mais par l’ouvrier. C’est le travail manuel qui fait la conversion dont je viens de vous parler. Le bois en grume est la matière première des grandes scieries à la vapeur, et le bois de trois pouces et de deux pouces et demi, est la matière première de l’artisan.
Je vous fais cette observation, messieurs, non pas que j’aie l’intention de modifier la classification faite par le gouvernement, je sais trop bien la difficulté qu’il y a d’obtenir un grand nombre de modifications de détails ; je veux réduire mon amendement à sa plus simple expression ; mais je vous fais cette observation afin que vous ne puissiez pas croire que j’adopte et qu’il faut rationnellement adopter la classification telle qu’elle a été faite par le gouvernement.
Je vais maintenant, messieurs, aborder directement le projet du gouvernement et vous signaler les vues évidentes que j’y trouve.
Le gouvernement vous a proposé et vous avez voté hier à la presque unanimité le principe que, pour les matières premières, les droits actuels du tarif seraient appliqués au pavillon étranger et que l’on n’appliquerait pas au pavillon belge que ces droits plus ou moins diminués.
Pour appliquer ce principe aux bois, le gouvernement aurait dû vous proposer de frapper l’introduction des bois en grume par pavillon étranger d’un droit de 60 c. par tonneau, puisque 60 c. forment le droit actuel, et de frapper les importations par pavillon belge, puisqu’on veut parler du pavillon belge, de 50 ou de 40 c.
Au lieu de cela, que fait-il ? Il vous propose de frapper le pavillon belge non pas d’un droit inférieur au droit actuel, comme il l’aurait fallu d’après le principe, non pas même de le frapper du droit actuel, mais il veut lui faire payer le droit actuel majoré de 25 p. c. ; et quant au pavillon étranger, au lieu de lui appliquer le droit actuel, il lui applique le droit actuel majoré de 150 p. c.
Vous avez voté, messieurs, un second principe ; c’est que, quant aux matières de consommation, on ferait payer par le pavillon national le droit actuel et qu’on augmenterait ce droit pour le pavillon étranger.
D’après ce principe appliqué à la catégorie de bois qu’on ne considère pas comme matière première, au bois scié, on aurait dû frapper le pavillon national de 4 francs, droit actuel, et imposer le pavillon étranger de quelque chose de plus, de 5 fr., par exemple. Au lieu de cela, on frappe le pavillon national du droit actuel majoré de 50 p. c., et on frappe le pavillon étranger du droit actuel majoré du 112 1/2 pour cent.
Voila, messieurs, comment on applique le principe qu’on vous a proposé, qu’on a défendu avec insistance et qu’on vous a fait voter à la presqu’unanimité.
On me dira : mais vous n’avez voté qu’un principe, et quant au bois on fait une exception à ce principe. Messieurs, je conçois des exceptions à un principe ; et dans une loi comme celle-ci il faut en admettre. Mais je ne puis considérer comme exceptions, des modifications aussi essentielles, aussi fondamentales que celles qu’on propose. Si ce sont là des exceptions, ce sont des exceptions exagérées. Pour parler franchement, je dirai que je ne considère pas ces propositions comme une exception au principe. Je considère les majorations qu’on vous propose sur le bois, matière qui, de sa nature, n’est pas susceptible de droits différentiels, comme un moyen indirect d’augmenter les droits d’entrée et de donner satisfaction aux grands propriétaires forestiers.
M. de Garcia. - Il n’y a pas de mal.
M. Donny. - Il est possible que, dans l’intérêt de M. Garcia et de beaucoup d’autres membres... (Murmures.)
M. de Garcia. - Je n’ai aucun intérêt dans cette question.
M. Eloy de Burdinne. - Je demande la parole et je n’ai aucun intérêt en question.
M. Donny. - Si c’est le mot intérêt qui blesse les honorables membres, je me servirai d’une autre expression. J’ai dit que dans mon opinion, la proposition qui vous était faite, l’était moins pour soumettre le bois à un droit différentiel, droit dont il n’est pas susceptible, que dans le but d’amener une augmentation de droits d’entrée sur les bois. On m’a dit qu’il n’y avait pas de mal à cela. Il est possible que, dans l’opinion de quelques membres, il n’y ait pas de mal, mais alors on aurait dû faire directement la proposition ; on aurait dû dire, pour être franc, je vous demande une augmentation de droits d’entrée. (Murmures.)
M. Mast de Vries. - On la demandera.
M. Donny. - Je ne crois pas que personne puisse trouver quelque chose de désagréable pour qui que ce soit dans mes paroles, mais le mot but vous paraît encore trop fort, je dirai que ce sera là le résultat de la loi. Le résultat de la loi ne sera pas l’introduction d’un système différentiel sur l’article bois, qui n’en est pas susceptible, mais le résultat de la loi sera simplement et purement une augmentation sur l’entrée des bois. (C’est cela ! c’est cela !) je suis heureux d’avoir enfin rencontré une expression qui ne soulève plus de réclamations.
Eh bien, messieurs, je crois qu’on est allé trop loin, je crois qu’on a eu trop en vue de protéger les produits nationaux. Il faut protection aux produits nationaux, il faut protection pour tout le monde, protection pour tout le monde ou liberté pour tout le monde. Mais il ne faut pas que la protection soit exagérée et elle l’est dans la circonstance actuelle. Telle est du moins mon opinion.
Il est, messieurs, un autre vice dans la proposition du gouvernement. Lorsque nous avons discuté la loi actuellement en vigueur, le commerce s’est alarmé des difficultés qu’il prévoyait dans l’exécution de la loi, quant au cubage du bois. Il a cru que ce cubage allait lui susciter de grandes difficultés, de grandes discussions avec la douane, et allait le soumettre à des opérations coûteuses. Pour faire cesser ces craintes du commerce, la chambre a voulu que le cubage matériel du bois arrivant en Belgique, ne fût pas effectué. On a dit : pour que le commerce n’ait pas de discussion avec le fisc, pour qu’il n’y ait pas une opération matérielle coûteuse à faire, on prendra la capacité du navire telle qu’elle est déterminée pour la perception du droit de tonnage. Cela était fort rationnel, mais malheureusement cette disposition a été mise non pas dans la loi, mais dans une observation marginale...
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Qui fait partie de la loi.
M. Donny. - Oui, elle fait partie de la loi, mais la lettre de renvoi à la note marginale n’a pas été répétée à chaque article par une espèce d’oubli ou d’inattention : et voici ce qui est arrivé : la douane n’a pas voulu tenir compte de la résolution de la chambre ; la douane n’a respecté cette disposition que quand elle ne pouvait pas s’en dispenser, c’est-à-dire pour le bois en grume, parce que l’article relatif au bois en grume portait la lettre de renvoi à la note marginale ; mais il en a été autrement pour les bois sciés ; là, au lieu de prendre la capacité du navire, telle qu’elle est établie par le certificat de jauge, on a forcé les négociants à opérer le cubage matériel.
Aujourd’hui, messieurs, on vous demande pour la douane l’arbitraire le plus absolu ; au lieu de reproduire la disposition de la loi actuellement en vigueur, en ce qui concerne le mesurage du bois, on demande que le gouvernement puisse déterminer, comme il l’entend, ce mesurage. Cet arbitraire, messieurs, je n’en veux pas ; je veux, si je puis l’obtenir de la chambre, qu’elle maintienne la disposition prise en 1830 et que la douane soit obligée de s’y conformer,
Il me reste, messieurs, à vous donner quelques explications sur mon amendement, et ces explications seront très courtes ; elles ne seront que le résumé des observations que j’ai eu l’honneur de vous soumettre.
Pour le bois considéré comme matière première, pour le bois en grume, j’aurais pu vous demander l’application du système que vous avez voté hier ; j’aurais pu demander qu’on n’imposât le pavillon étranger que de 60 centimes et qu’on diminuât ce droit de quelque chose pour le pavillon national. Au lieu de cela, messieurs, je vous propose de traiter la matière première comme matière de consommation et d’imposer le pavillon national de 60 centimes, droit actuel, et le pavillon étranger, de 1 fr., c’est-à-dire de 66 p. c. de plus que le droit actuel.
Pour le bois qui n’est pas considéré comme matière première, je vous propose de suivre le système que vous avez adopté hier en principe, je vous propose de maintenir le droit actuel pour le pavillon national et d’augmenter ce droit de 25 p.c. pour le pavillon étranger.
Quant au bois importé autrement que par mer, j’ai maintenu le chiffre proposé par le gouvernement.
Quant aux autres bois, au bois de chêne, par exemple, pour lequel le gouvernement propose des droits doubles, je propose pour ces bois un droit triple de celui dont je frappe le bois de sapin ; cela revient à peu près au taux proposé par le gouvernement.
Afin de faire disparaître l’arbitraire et d’éviter des contestations relativement à la capacité des navires, j’ai reproduit la note marginale qui a été insérée dans la loi de 1830 et j’ai eu soin, cette fois-ci, de mettre la lettre de renvoi à tous les articles du tarif.
Messieurs, en terminant, j’ai une observation à faire et je pense que si M. le ministre de l’intérieur croit devoir combattre non amendement sur d’autres points, il me prêtera au moins son appui sur celui-ci. Depuis longtemps des ordres ont été envoyés dans la mer du Nord et dans la Baltique pour faire arriver des cargaisons de bois dans ce pays-ci ; je dois demander, dans l’intérêt des relations commerciales, et je le demande avec espoir de succès, puisque la chambre a déjà pris précédemment des décisions dans le même sens ; je dois demander que le système qui sera adopté pour le bois ne soit pas immédiatement mis à exécution : que tout au moins on l’applique seulement avec la progression de moitié, dont M. le ministre de l’intérieur a parlé dans une séance précédente. S’il était possible d’ajourner toute l’application du droit jusqu’à plus tard, ce serait plus juste, et je le préférerais ; mais à défaut d’une disposition de cette nature, j’espère qu’on m’accordera, au moins, la progression par moitié, que M. le ministre de l’intérieur propose d’appliquer a d’autres articles.
M. Dubus (aîné). - Je demanderai ce que devient le premier amendement du gouvernement.
M. le président. - Le gouvernement retire sa première proposition, et la remplace par celle qui est imprimée sous le n°347.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois avoir expliqué assez clairement tout à l’heure, que la proposition du gouvernement est maintenant celle qui forme le n°347 des pièces de la chambre, et que ma proposition primitive a disparu.
M. Dubus (aîné). - Je crois que la première proposition du gouvernement demeure en délibération.
Elle demeure en délibération parce que c’est la conclusion formelle d’une commission de la chambre, de la commission permanente d’industrie. Cette conclusion est du 7 mai, et à cette époque le gouvernement n’avait pas modifié sa proposition. La conclusion de la commission d’industrie subsiste, le gouvernement n’a pas pu la modifier en modifiant sa proposition première. Ainsi cette proposition demeure en délibération. Du reste, je déclare que les chiffres primitifs du gouvernement ne me paraissent pas encore suffisants pour protéger les produits du pays.
M. le président. - En effet, cette proposition demeure en délibération, non plus comme proposition du gouvernement, mais comme proposition de la commission d’industrie. Ainsi, il y a trois propositions en discussion : la proposition actuelle du gouvernement, la proposition de M. Donny et la proposition dont M. Zoude, an nom de la commission d’industrie, a proposé l’adoption.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y aura, comme le dit très bien, M. le président, le projet actuel du gouvernement, la proposition de la commission d’industrie, qui est un amendement, et puis l’amendement de l’honorable M. Donny. D’ici à mardi, on pourra imprimer ces trois propositions. Pour plus de clarté, on pourra les mettre en regard l’une de l’autre.
Je veux dire un mot d’une question qui a été touchée par l’honorable M. Donny et qui est, en effet, très importante : c’est la question du cubage. L’honorable M. Donny désire qu’on s’en tienne à la jauge légale du navire, à la capacité légale du navire.
Voici ce qui en résulte :
Il se présente un navire de 300 tonneaux ayant un chargement complet de bois ; eh bien, en s’en tenant à la capacité légale du navire, ce navire de 300 tonneaux n’importera pas seulement 300 tonneaux de bois, mais 340, 350 tonneaux peut-être. (Interruption, surprise.) Oui, cette manière de calculer le tonnage est tellement à l’avantage de l’importation, que sur un navire dont la capacité légale est de 300 tonneaux, il y a possibilité d’importer 350 tonneaux ; on profite d’abord de toutes les sinuosités du navire, parce que la capacité légale repose sur un système de calcul où il y a certaine perte ; et ensuite, on charge sur le pont. En un mot, le navire a un chargement réel supérieur à sa jauge ou capacité légale, et il en résulte qu’une partie des droits est éludée.
Le procédé que l’honorable M. Donny repousse comme vexatoire existe en France ; là, il y a un cubage du bois, c’est-à-dire que la douane constate quelle est la réalité de l’importation. Trouve-t-on que ceci soit vexatoire ? Eh bien, il y a un moyen d’y échapper ; ce n’est pas de dire que le navire chargé de bois, et ayant une capacité légale de 300 tonneaux, sera censé importer 300 tonneaux de bois ; mais c’est de prendre cette position-ci : donnez au navire l’alternative de se laisser cuber pour son importation, ou d’accepter 10 à 15 p. c. en sus de sa capacité légale. C’est un moyen de solution de la question.
Le navire important du bois aura opter ; on dira à l’importateur : voulez-vous accepter le système français qui consiste à cuber réellement ? Ou bien, voulez-vous déclarer que vous êtes censé importer, non pas seulement à raison de votre capacité légale, mais à raison de la capacité légale augmentée de tant p. c.
Il est juste, en effet, que le droit existant soit intégralement perçu. Il ne faut pas qu’il soit nominal.
M. le président. -Voici un amendement qui vient d’être déposé par M. de Corswarem. (Nous publierons cet amendement)
La parole est à M. de Corswarem pour développer son amendement.
M. de Corswarem. - Messieurs, répartir les charges publiques avec équité ; protéger une production nationale contre la concurrence d’une production étrangère ; arrêter la dépréciation de la valeur de notre territoire ; mettre un terme au déboisement du pays ; provoquer le défrichement des terrains incultes ; encourager la navigation nationale en même temps que la construction des navires nationaux et favoriser le travail des classes ouvrières en augmentant considérablement les revenus du trésor, est le noble but que vous atteindrez en élevant convenablement les droits d’entrée sur l’introduction du bois étranger.
Depuis longtemps, il est avéré que l’introduction de ce bois, sans payement d’un droit minime, cause les plus graves préjudices à nos forêts. Autant nous nous estimons heureux de voir le gouvernement reconnaître lui-même la trop grande faiblesse de ce droit, eu égard aux intérêts des propriétés boisées du pays, autant nous regrettons de ne pas lui voir proposer un remède efficace au mal. Par le projet de tarif, présenté primitivement, M. le ministre proposait sur toute espèce de bois en grume, sans distinction d’essence, un droit de fr. 1 50 par tonneau de mer importé sous le pavillon national et de fr. 3 par tonneau de mer importé sous pavillon étranger, équivalant à 1 2/3 p. c. sur le pavillon national et 3 1/3 p. c. sur le pavillon étranger. Il est incontestable qu’un tel droit, loin d’être un remède, n’était qu’un triste palliatif.
M. le ministre a cependant trouvé qu’il était allé trop loin et qu’il vous avait proposé un droit exagéré.
Il est revenu sur ses pas, et par sa rectification et modification ayant pour base la distinction entre le pin et le sapin et les autres bois, il propose d’abaisser de moitié ce droit déjà trop minime, en faveur du pin et sapin, c’est-à-dire justement en faveur de l’essence qui nous cause le préjudice le plus notable.
Si vous aviez le malheur d’adopter non seulement le droit réduit proposé en dernier lieu, mais même le droit proposé primitivement, il en serait bientôt fait à toujours de toutes les propriétés boisées de la Belgique, que par là vous immoleriez impitoyablement à celles de l’étranger. il ne faut pas de grands efforts pour se convaincre de la réalité de cette assertion.
La futaie, pour être mise en coupe, doit avoir moyennement 100 ans d’âge dans notre pays. En attendant, le propriétaire doit payer les contributions du terrain, tant au profit de l’Etat, qu’au profit de la province et de la commune ; il doit payer des frais considérables de surveillance et d’administration.
Si on pouvait calculer exactement le montant de toutes ces charges, augmenté de leurs intérêts composés, on serait bien surpris en voyant quelle partie du prix des arbres se trouve déjà au moment de leur vente dans les mains du trésor, des gardes et des ouvriers.
Lorsque le propriétaire fait vendre ses arbres, il doit, de nouveau, payer sur leur valeur effective, augmentée du montant des charges payées pendant un siècle des droits de timbre sur les affiches, déclarations préalables et procès-verbaux des ventes, plus un droit d’enregistrement de fr. 63 p. c., si les arbres sont encore sur pied, et de fr. 2 52 p. c. s’ils sont abattus. Ce n’est donc qu’en payant de nouveaux droits à l’Etat, que le vendeur rentre dans le montant des droits par lui avancés pendant un siècle à l’Etat même.
Il est évident que ces droits et charges imposés au bois indigène sont infiniment plus élevés que ceux proposés par le gouvernement sur l’importation des bois étrangers. Il est donc équitable que ces derniers soient frappés de droits plus forts que ceux proposés par le gouvernement et que ces droits soient approximativement proportionnés aux charges que supporte le bois du pays.
La majeure partie de ces bois viennent de la Russie et de la Norwége, où ils croissent sur des terrains non soumis à des contributions foncières et où l’immensité des forêts et le petit nombre d’habitants rendent tous frais de surveillance et d’administration inutiles.
Leur valeur n’est donc augmentée d’aucun droit payé à l’Etat : elle l’est seulement des frais de transport et de ceux d’une main-d’œuvre à vil prix, qui sont si peu élevés qu’il est impossible aux arbres de notre sol de soutenir, sans protection, la concurrence contre ceux de ces contrées étrangères.
Le bois du Nord scié, à cause du bas prix de la main-d’œuvre fournie par des ouvriers attaches à la glèbe vivant misérablement et exempts d’impôts publics, hormis de prestations corporelles, ne permet plus en Belgique le sciage des arbres par des ouvriers exigeant un salaire élevé, à cause de leurs besoins sociaux, des patentes et contributions qu’ils doivent payer à l’Etat, à la province et à la commune.
Cette circonstance a réduit notre bois de charpente en bois de chauffage et par là notre bois à brûler proprement dit est tombé à tel vil prix, que dans beaucoup de localités, il est devenu presque impossible de les vendre encore ; tandis que dans celles où il s’est le mieux soutenu, comme à Bruges et dans quelques localités de la Flandre, sa valeur a diminué de moitié depuis quelques années seulement.
L’abaissement du prix de notre bois entraîne l’abaissement de la valeur du sol, donc la valeur de notre territoire. L’abaissement de la valeur du territoire entraîne l’abaissement des contributions et de droits de mutations. Ainsi les propriétaires ne souffrent pas seuls des cet abaissement ; le trésor public en souffre aussi, et notre devoir est d’atténuer ces souffrances, en imposant les productions étrangères de manière à ce qu’elles ne puissent plus déprécier les produits et la valeur de notre territoire.
Aucun de nous n’ignore combien on se plaint du déboisement du pays et de la dénudation des côtes et collines.
La dépréciation du prix du bois fait déroder les forêts partout où le sol est susceptible d’être cultivé, elle fait négliger et délaisser les forêts partout où elles ne donnent qu’un produit faible, ainsi que partout où elles exigent des frais et des soins coûteux. Pour peu que l’état actuel continue, les forêts disparaîtront des terrains fertiles et seront abandonnées dans les terrains arides ; il n’en restera plus nulle part.
Nous serons alors tributaires de l’étranger pour un objet de grande consommation et Dieu sait ce que nous deviendrons dans le cas où les exigences des pays de provenance, aussi bien qu’une guerre maritime, arrêteraient les arrivages.
Les inondations causées par les crues subites de la Meuse sont déjà fort désastreuses, mais elles le seraient bien davantage si la dénudation des côtes et collines qui l’environnent, permettait aux eaux du ciel de s’y précipiter à la fois, au lieu d’y couler avec lenteur, comme aujourd’hui, constamment entravées dans leur cours par les branches, les arbres, les souches et les buissons.
Arrêtons donc le déboisement du pays et la dénudation des côtes et collines, en maintenant notre bois à un prix qui permette aux propriétaires de conserver et de soigner les forêts.
La question qui prédomine en ce moment l’esprit public est celle du défrichement de nos immenses landes et bruyères.
Il est certain que ces défrichements doivent commencer, en majeure partie, par la conversion des bruyères en bois et sapinières. Mais il est certain aussi que peu de familles engageront un capital considérable dans ces opérations et s’exposeront à payer, pendant de longues années, des contributions et des droits de mutation sur des terrains qui ne leur donneront, à une époque reculée, qu’un produit de peu de valeur.
Si donc vous voulez provoquer le défrichement des landes et bruyères, commencez par donner, à ceux qui voudront tenter cette entreprise, l’assurance que leurs produits ne seront pas écrasés, ou au moins avilis par des produits étrangers similaires : faites-leur entrevoir l’espérance d’un résultat fructueux de leurs travaux. Loin d’avoir cette espérance, ils auront la certitude, si vous n’imposez suffisamment les bois étrangers, que ces derniers viendront ruiner immédiatement les jeunes sapinières déjà existantes, dès que la canalisation sera achevée. Cette voie économique de transport amènera des masses de sapins du Nord, au cœur même de la Campine, dont les produits, obtenus à grands frais, ne pourront jamais être vendus au même prix que ceux des pays étrangers, sans ruiner infailliblement ceux qui auront eu l’imprudence de défricher des bruyères. Alors la canalisation, au lieu d’être un bienfait, ne sera qu’une véritable calamité pour la Campine.
Prévenons cette calamité, en maintenant le prix de nos sapins à un taux qui en permette la culture.
En 1842, il a été importé pour au-delà de fr. 3,300,000 de bois étrangers. Le transport de cette marchandise est donc important pour la marine ; mais malheureusement elle ne l’est pas pour la nôtre, car elle n’en a transporté que pour fr. 1,609, c’est-à-dire un peu moins que 1/2000.
Il est à remarquer que ces bois proviennent de cinq pays : la Russie, la Suède et Norwège, la Prusse, les Pays-Bas et le Grand-Duché, qui, dans cette même année, ont importé en Belgique des marchandises pour fr. 32,656,551 fr. de plus qu’ils n’en ont exporté.
L’importation du bois contribue donc puissamment à faire pencher la balance commerciale en leur faveur. Si nous ne pouvons faire changer des opérations dans leur résultat, tâchons du moins de les faire tourner, en partie, au profit de notre marine, en accordant au pavillon national une protection suffisante pour espérer que désormais il fera une partie de ces transports.
Dans cette intention, nous proposerons, en sa faveur, une différence de droits de 2 p. c. sur tous les bois quelconques. Nous proposons une différence aussi forte, dans l’espoir surtout qu’une partie de ces transports étant effectuée par notre pavillon, il exportera une plus grande quantité de nos produits vers les contrées du Nord, car il est prouvé qu’il ne s’en exporte guère sous pavillon étranger.
Pour conserver la main-d’œuvre du bois que nous consommons dans le pays et donner de l’ouvrage à nos nombreux ouvriers nous proposons d’élever efficacement le droit d’entrée sur le bois scié. Afin d’atteindre ce but, la majoration du droit doit être assez forte, parce que la main-d’œuvre des ouvriers serfs des pays du Nord est tellement minime, qu’elle n’augmente guère la valeur de la marchandise, ainsi que l’honorable M. Zoude nous l’a fait remarquer dans son rapport présenté le 7 de ce mois.
En vue d’encourager la construction de navires nationaux, nous avons aussi l’honneur de vous proposer, de vouloir accorder la restitution des 9/10 du droit payé aux bois qui seront employés à la construction navale, Ce bois ne sera alors frappé que des droits suivants :
1 fr. 30 p. c. s’il a été importé eu grume par pavillon national ;
1 fr. 50 p. c. s’il a été importé en grume par pavillon étranger ;
2 fr. 30 p.c. s’il a été importé scié par pavillon national,
et 2 fr. 50 pour cent s’il été importe scié par pavillon étranger.
Nous pensons que le mode de restitution du droit est préférable à celui de l’abaissement au tarif, parce qu’il ne laisse aucune prise à la fraude ; tandis qu’avec un abaissement de droit à l’entrée du bois importé comme devant servir à la construction navale, ce bois peut frauduleusement être détourné de cette destination et employé à toute autre chose.
Pour éviter toute exagération, nous ne proposons de porter le droit qu’en dessous du minimum de celui réclamé en 1835 et 1836 par le sénat et la commission d’industrie.
Nous ne proposons un droit modéré qu’afin de ne pas heurter l’usage déjà trop malheureusement et trop généralement pris, d’employer du bois étranger, usage dont nous ne voulons restreindre que l’excès, en n’imposant au bois étranger qu’un droit qui en permettra toujours l’emploi même en dehors des circonstances exceptionnelles où les dimensions requises ne se trouveraient pas facilement dans le pays. Ce droit n’élèvera pas le prix du bois exotique au taux qu’avait ci-devant le bois indigène, et jamais l’élévation du prix de ce dernier n’a été signalée comme un inconvénient : jamais elle n’a retardé une restauration : jamais elle n’a entravé une construction.
En disant que nous ne voulons restreindre que l’excès dans l’emploi du bois étranger, nous ne disons qu’une vérité ; car cet emploi est poussé tous les jours de plus en plus vers les dernières limites de l’excès.
Les intéressés usent de tous les moyens imaginables pour y parvenir : les modes ordinaires de vente ne suffisant plus pour les débarrasser de leur trop plein, ils mettent en œuvre des voyageurs en bois qui parcourent le pays dans tous les sens, à la recherche des acheteurs et offrent leur marchandise, à des prix vraiment incroyables au cœur même de nos cantons les plus boisés.
Aucun de vous ne disconviendra certainement qu’il est au moins urgent de restreindre cet excès, s’il n’est pas urgent de le réprimer.
L’augmentation du droit n’aura pas les seuls effets que nous venons d’indiquer ; elle procurera aussi au trésor une augmentation importante de recettes que la situation actuelle de nos finances rend très nécessaires. Cette augmentation de recettes est d’autant plus assurée que le bois est une marchandise dont l’introduction frauduleuse est impossible, à cause de son volume et de son poids.
La majoration du droit n’est qu’équitable en présence des charges élevées qui grèvent notre sol et une foule de ses productions.
La base de l’impôt est juste, parce qu’il ne sera payé que par ceux auxquels une position favorable de fortune permettra d’élever des constructions nouvelles et qu’ils ne le payeront même que volontairement, puisqu’ils n’ont qu’à employer du bois indigène pour s’en affranchir.
S’ils ne veulent pas s’en affranchir, le droit sur le bois étranger contribuera de nouveau, dans cette circonstance, à la répartition plus équitable des impôts publics, en le faisant peser, quoique bien légèrement, sur une classe qui en a été exempte jusqu’à présent, quoiqu’elle soit une de celles qui peuvent le mieux les supporter. Cette classe est composée de ceux qui augmentent ou consolident leur fortune au moyen de constructions. L’augmentation et la consolidation de fortune, au moyen d’acquisitions ou de placements sur hypothèque, sont frappées de droits élevés de timbre, d’enregistrement et d’hypothèque, tandis qu’au moyen de constructions elles sont exemptes de tout droit quelconque. Il n’y a donc que justice leur en faire payer un sur le bois étranger employé sans nécessité plausible.
Nous pensons que le tonneau de mer et même le mètre cube sont des bases fautives pour établir l’assiette du droit, parce qu’elles frappent d’un droit égal des bois ayant des valeurs très différentes. Par exemple, elles frappent du même droit un tonneau de sapin de la couronne de Riga de première qualité et un tonneau de sapin déraciné de Memel qui n’en vaut pas la moitié. Elles frappent du même droit un tonneau de gros chênes en grume, coupés dans la bonne saison, et un tonneau de mauvais petits chênes écorcés, coupés en sève, qui n’en vaut pas le quart ; et ainsi de même pour presque toutes les qualités de bois.
Nous vous proposons donc de prendre la valeur pour base des droits, tout comme M. le ministre vous propose de prendre la valeur pour base du droit sur les pierres et le marbre, qui tout, aussi bien que le bois, se vendent au mètre pour la consommation.
Le mode de calculer le droit sur le bois à la valeur n’est pas nouveau ; il a été employé jusqu’aujourd’hui pour certaines qualités de bois en grume, pour les douves et les bois d’ébénisterie.
En imposant le droit à la valeur, chacun en connaît l’importance, tandis que fort peu de personnes peuvent se rendre exactement compte d’un droit établi par tonneau dont elles ne connaissent qu’imparfaitement la quantité et la valeur, et que cette appréciation est d’autant plus incertaine pour le moment, que M. le ministre dit lui-même, dans sa rectification, que le gouvernement doit encore déterminer le mode de constatation des quantités.
L’idée de faire payer un droit plus élevé au bois de 5 centimètres et moins d’épaisseur, est très heureuse, parce que ce bois ayant reçu une grande main-d’œuvre, enlève beaucoup d’ouvrage à nos ouvriers. Nous pensons, cependant, qu’il y aurait exagération à le frapper d’un droit égal à deux fois celui que nous proposons sur le bois scié de plus de 5 centimètres d’épaisseur.
Nous ne pouvons admettre avec M. le ministre que les poutres ne seront traitées comme bois sciés que lorsqu’elles seront entièrement sciées et à arêtes vives. Nous pensons qu’on ne peut traiter comme bois non scié que celui en grume, c’est-à-dire couvert de son écorce et celui simplement écorcé. Dès qu’il a été équarri et dégagé de son aubier, soit à la scie, soit à la hache, même grossièrement, il n’est plus matière première, il a acquis un moindre volume, une plus grande valeur et une main-d’œuvre a été enlevée à nos ouvriers ; il ne peut dès lors plus être considéré comme bois en grume et doit, pour trois raisons, être traite comme bois scié.
Afin d’atteindre ces différents buts, nous avons l’honneur de proposer les droits d’entrée suivants par 100 fr. de valeur :
« Bois en grume ou simplement écorcés, non sciés, ni équarris, importés par mer : Pavillon national : 13,00 fr. Pavillon étranger : 15,00 fr. Droits de sortie : 05 c.
« Les mêmes importés autrement : Pavillon national : 16 c. Pavillon étranger : 50,00 fr.. Droits de sortie : 05 c.
« Bois sciés ou équarris, entièrement coupés ou non, ayant plus de 5 centimètres d’épaisseur importés par mer : Pavillon national : 23,00 fr. Pavillon étranger : 25,00 fr.. Droits de sortie : 05 c.
« Les même importés autrement : Pavillon national : 27 c. Pavillon étranger : 50,00 fr. Droits de sortie : 05 c.
« Bois sciés de 5 centimètres et moins d’épaisseur, importés par mer, Pavillon national : 30,00 fr. Pavillon étranger : 32,00 fr.. Droits de sortie : 05 c.
« Les mêmes importés autrement : Pavillon national : 35 c. Pavillon étranger : 20,00 fr. Droits de sortie : 05 c.
M. de Renesse. - Messieurs, le principe d’étendre les droits différentiels à l’entrée de certains produits étrangers ayant été décrété par la chambre, je crois devoir présenter quelques observations à l’égard des nombreuses réclamations adressées depuis plusieurs années par un grand nombre de propriétaires de bois, de marchands de bois indigènes, par des propriétaires de moulins à scier, et par des scieurs de long qui demandent des droits plus protecteurs en faveur des produits boisés du pays, contre la rude concurrence des bois étrangers, dont les importations augmentent d’année en année, et suivront toujours une progression croissante, si les droits insignifiants de douane ne doivent pas subir des modifications assez importantes.
Le droit actuel de 60 cent. par tonneau de mer, établi par la loi du 30 avril 1840 sur le bois soit en grume, soit non sciés, soit en poutre, propres à la construction civile et navale, etc , n’est qu’un véritable droit de balance, et quant à tout autre espèce de bois, autre que ce bois de construction, le droit équivaut environ à une moyenne de 3 p. c. de la valeur importée ; même souvent, il n’atteint pas ce taux, par suite de déclaration au-dessous de la valeur réelle ; c’est donc un véritable privilège dont jouit l’industrie étrangère, au détriment de celle du pays.
Il est incontestable que nos forêts ont des charges considérables à supporter ; elles payent de 20 a 25 p.c. d’impôts de toute nature, non compris les frais d’administration et de culture ; elles procurent, en outre, les moyens d’existence à une nombreuse population ouvrière qui vit de la culture et de l’exploitation des bois ; c’est donc avec quelque droit, que l’on peut réclamer une protection plus efficace pour la propriété forestière ; elle s’étend d’ailleurs sur la cinquième partie du territoire de la Belgique, et son revenu imposable, d’après le cadastre, s’élève à plus de dix millions de francs ; en y ajoutant les frais d’enregistrement, de succession, d’hypothèque, et toutes les autres charges qui grèvent indirectement nos forêts, elles rapportent annuellement à l’Etat plus de 2 millions, soit environ le cinquième de leur revenu imposable.
Depuis 1836, les importations des bois étrangers ont fortement augmenté ; néanmoins, le trésor n’a perçu en 1841, où ces importations ont été portées à la valeur de 3,883,949 fr. que la minime somme de 185,924 francs ; il convient d’ailleurs, dans l’intérêt de l’augmentation de nos ressources financières, de faire concourir les bois étrangers pour une plus large part dans les voies et moyens destinés à mettre nos recettes au niveau de nos dépenses, et en augmentant leurs droits d’entrée, de manière à assurer une sage protection à des produits boisés, l’on pourrait facilement en retirer un revenu annuel de douane de 5 a 600,000 fr.
Si l’industrie forestière doit continuer à subir la concurrence ruineuse des bois étrangers, il est à prévoir que les propriétaires qui n’ont actuellement qu’un très faible intérêt de leurs bois et des charges assez considérables à supporter, dont les produits boisés de l’étranger sont affranchis dans ce pays-ci, continueront le déboisement de leurs forêts dans toutes les localités où cela pourrait avoir lieu avec un certain bénéfice. La culture des bois n’offrant plus qu’un fardeau ruineux, ne sera plus soignée, et, dans un avenir rapproché, nous deviendrons les tributaires de l’étranger ; les terres et bruyères, qui ne seraient guère susceptibles d’autres cultures qu’en bois, resteraient stériles, et la Campine surtout, qui forme environ la sixième partie de la superficie du royaume, dont plusieurs parties ne peuvent être fertilisées que par les sapinières, demeurera en partie en friche.
Il est impossible que nos bois puissent soutenir la concurrence des produits boisés de l’étranger, actuellement transportés par le chemin de fer, vers toutes les localités du pays ; dans leur pays d’origine ces bois sont presque sans valeur, ne payent presque pas de charges, ont l’avantage d’une main-d’œuvre moins élevée, que celle de ce pays-ci ; en outre, pour arriver par mer à Anvers, leur fret n’est tout au plus de 40 fr, par 1,000 kilog., tandis que nos bois, pour être transportés de nos forêts du Midi vers l’intérieur, ont à supporter une charge de 60 à 70 fr., après avoir déjà payé de 20 à 25 p. c. de leur valeur en impôts à l’Etat, aux provinces et aux communes ; et il est aussi à observer que nous recevons en grande partie ces bois des contrées du Nord qui jusqu’ici refusent d’admettre nos produits, ou les repoussent par des droits tout à fait prohibitifs ; nous n’avons ainsi aucun intérêt à les ménager.
Les justes réclamations des propriétaires forestiers, des marchands de bois indigènes, et des autres intéressés au maintien de nos forêts, méritent d’être prises en considération ; ils peuvent réclamer avec droit une protection équitable, pour les propriétés boisées du pays, puisque l’Etat accorde cette protection à presque tous les autres produits nationaux ; l’intérêt même de la nombreuse classe ouvrière qui vit de la culture et de l’exploitation des forêts, demande impérieusement que surtout des droits plus élevés soient établis à l’entrée des bois sciés de l’étranger.
Depuis 1839, l’importation des bois sciés a pris un plus grand développement ; en 1841, cette importation s’est élevée à la valeur de 2,691,375 fr., et elle augmentera encore, au grand détriment de nos moulins à scier et de nos scieries de long, si les droits actuels, qui varient de 5 à 9 p. c., et ne sont en réalité que d’environ 5 p. c., par la fausse déclaration de leur valeur, ne subissent pas une augmentation assez notable.
Sous le gouvernement des Pays-Bas, peu de temps avant notre révolution, il avait été question, dans l’intérêt du travail national, de fixer un droit de 30 p. c. à l’entrée des bois sciés, et pareillement un droit plus élevé que celui existant alors, devait frapper les bois bruts. Si, dans ce pays-ci, le gouvernement veut actuellement donner suite au défrichement des bruyères ; si l’on cherche à provoquer la culture des bois, les semis et plantations des sapins dans la Campine et dans les Ardennes, il est de toute nécessité que les droits à l’entrée des bois étrangers soient modifiés de manière à encourager les propriétaires, les communes, à s’occuper plus activement du boisement des terrains vagues, jusqu’ici incultes et d’aucune valeur.
J’eusse préféré qu’en modifiant les droits à l’octroi des bois étrangers l’on eût établi, au lieu des droits différentiels, des droits de douane, combinés de manière à accorder à l’industrie forestière du pays la protection à laquelle elle a droit de prétendre, car les droits différentiels proposés par les amendements de M. le ministre de l’intérieur pour toute espèce de bois en grume ou non scié propre à la construction civile et navale ne sont que des droits illusoires pour protéger nos propriétés boisées, et ne compensent nullement les charges qui pèsent sur elles ; ces droits devraient, pour le moins, être fixés pour cette catégorie des bois à 15 p.c. de leur valeur ; l’on pourrait, toutefois, faire une exception en faveur des bois uniquement propres à la construction navale, soit en fixant les droits au taux proposé par M. le ministre de l’intérieur ou en remboursant une partie des droits payés, si ces bois sont réellement employés pour la construction navale de notre marine de l’Etat ou commerciale ; et quant aux droits différentiels présentés pour les bois sciés importés de l’étranger, ils sont pareillement insignifiants ; ils n’empêcheront pas à ces produits travaillés ayant déjà acquis à l’étranger une plus-value de 15 à 20 p. c. de continuer leur rude concurrence à notre industrie des scieries de bois ; il est donc indispensable, pour assurer la préférence au travail national, pour empêcher la trop grande introduction de ces bois sciés et travaillés à l’étranger, de fixer la hauteur des droits à l’entrée de 25 à 30 p. c. de leur valeur. J’appuierai la proposition faite par la commission d’industrie de la chambre ou toute autre qui tendrait à donner une protection suffisante et non fictive à nos produits boisés.
M. Rogier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, qu’il y ait lieu d’augmenter le tarif pour les bois du pays, c’est une question que je ne veux pas examiner pour le moment ; je crois qu’il y a lieu d’augmenter le tarif en ce qui concerne les bois du Nord ; mais l’instant est-il venu d’aborder cette discussion ? Il a été convenu que la question industrielle serait réservée, et viendrait après la question commerciale. Or d’après la tournure que prennent les débats, il me semble qu’on va traiter ici d’un droit d’entrée, et non plus d’un droit différentiel.
En principe, je pense qu’il y a quelque choie à faire en faveur du bois national ; mais faut-il le faire à propos des droits différentiels ou ne faut-il pas ajourner cette question jusqu’à ce qu’on discute la question industrielle ?
La commission d’enquête n’a rien proposé, quant aux bois du Nord ; elle conserve le statu quo, en ajournant sans doute l’examen du tarif relatif aux bois du Nord, jusqu’au moment où l’on s’occupera de la question industrielle.
Déjà la section centrale qui a été chargée de l’examen du projet de loi sur les droits d’entrée, avait fait son rapport et présenté un tarif. Je demanderai si ce tarif est maintenu ou s’il est remplacé par le nouveau tarif que propose la commission d’industrie.
Quant aux droits différentiels, ils sont absolument pour rien dans la question. Quelle que soit la faveur que vous accordiez au pavillon national pour l’importation des bois du Nord, il sera impossible au pavillon national de lutter contre le pavillon de la Suède, de la Norwège, du Danemarck et de la Russie. Ce que le pavillon anglais ne peut pas faire, ce que le pavillon français ne fait pas, le pavillon belge ne pourra le faire non plus. Ce sera toujours sous le pavillon du Nord que nous arriveront les bois du Nord.
Ainsi donc, la question maritime est tout à fait hors de cause, et c’est pour cela que la commission d’enquête n’avait pas admis le bois du Nord dans ses tarifs.
Reste donc la question du droit d’entrée. Eh bien, celle-là, il me semble qu’elle doit être traitée en même temps que les autres questions relatives au droit d’entrée, et qui ont été ajournées.
Je prie la chambre d’être persuadée que je ne veux pas un ajournement indéfini ; je crois qu’il est temps d’examiner jusqu’à quel point il y a lieu d’augmenter notre tarif, en ce qui concerne les bois du Nord ; mais je demanderai que cette question vienne immédiatement après celle des droits différentiels ; sinon, je crois que nous perdrons encore trois ou quatre jours à discuter cette question.
Je ferai une autre observation qui n’aura rien de désobligeant pour le ministre de l’intérieur, ces débats qui durent bientôt depuis cinq semaines doivent le fatiguer beaucoup ; M. le ministre y déploie une ardeur, dont il serait à craindre jusqu’à certain point que sa santé ne se ressentît. (On rit.)
Messieurs, ce que je dis n’est pas risible. (Non ! non !) Certainement, M. le ministre de l’intérieur fait preuve, dans ce débat, d’une ardeur bien louable ; je lui rends volontiers cette justice ; c’est donc dans l’intérêt même de M. le ministre que je désire que cette discussion ne soit pas prolongée outre mesure.
M. de Garcia. - Je dois convenir avec l’honorable M. Rogier, que l’article dont nous nous occupons maintenant a réellement plus trait à une protection des bois du pays qu’aux droits différentiels. Mais puisque nous en sommes saisis et que cet article a subi toute l’instruction dont il est susceptible, je ne vois pas pourquoi vous voulez le renvoyer à la discussion du tarif en général. On peut l’écarter sans inconvénient pour la discussion qui nous occupe ; mais il y aura à cela l’inconvénient de laisser longtemps encore sans protection cette partie qui en a cependant un grand besoin.
Je suis persuadé que le revenu de la propriété boisée ne couvre pas, dans l’état actuel des choses, quatre fois la contribution, et que cette nature de propriété ne rapporte, année commune, par hectare, que 12 à 15 fr. Cela vient évidemment de ce que vous recevez le bois étranger sans droits d’entrée ou avec des droits insignifiants. Impossible pourtant de ne pas reconnaître la justesse de l’observation de l’honorable M. Rogier ; il faut convenir que ce qui nous occupe est un tarif pour protéger les forêts nationales. Mais cet objet nous étant soumis, étant instruit, pourquoi ne pas vous en occuper ? Vous êtes, dit-on, saisis d’un projet établissant un tarif nouveau sur l’entrée des bois. C’est vrai ; mais si ce qu’on nous présente aujourd’hui est suffisant pour protéger les propriétés boisées, ce tarif disparaîtra par la force des choses. Je n’en dirai pas davantage sur la motion d’ordre,
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dois un mot d’explication pour justifier la conduite du gouvernement qui a cru indispensable de rattacher la question du bois au projet de loi qui vous est soumis.
Il existe un droit différentiel très singulier sur l’importation des bois. Le tarif fait la distinction suivante : Veuillez prendre les explications détaillées que j’ai données n°290, vous allez voir quel étrange système existe actuellement.
« Toute espèce de bois, soit en grume, soit non sciée, soit en poutres propre à la construction civile et navale arrivant de Norwége, de Baltique, de Suède, de Russie, par cargaison complète, 60 centimes. »
C’est le droit le plus bas.
Voyez la seconde disposition :
« Toute espèce de bois, soit en grume, soit non scié, autre que les bois de construction civile et navale compris à l’article précédent à l’exception des merrains, mâts, espars et rames, 6 pour cent à la valeur. »
Le bois en grume, quand il vient de la Norwège, de la Baltique, de la Suède ou de la Russie, est donc soumis à un droit de 60 centimes seulement par tonneau ; quand il vient d’autres pays, quand il vient, par exemple, de la mer Noire, des pays transatlantiques avec lesquels nous avons le plus grand intérêt à étendre nos relations, quand enfin il vient du Rhin dont nous avons indispensablement besoin de tirer les courbes pour la marine, le bois est soumis au droit de 6 p. c.
Vous voyez que le tarif actuel consacre un droit différentiel très étrange sur l’introduction des bois, un droit qui assure le monopole du commerce et du transport des bois que nous consommons à certains Etats et aux navires du Nord, parages où nous pouvons, en général, le moins espérer de voir s’étendre notre commerce d’exportation et notre navigation. Il m’a semblé que cette question arriverait inévitablement, j’ai préféré l’introduire moi-même ; je désire qu’elle ne s’élargisse pas outre mesure, qu’elle ne prenne pas un caractère trop industriel et foncier. Je ne vois pas ce qu’on gagnerait à la discussion, puisque la nouvelle discussion viendrait immédiatement après la loi actuelle. Les discussions se suivraient de si près l’une de l’autre, qu’elles se toucheraient et se confondraient. Et puis c’est un article qui se lie étroitement au commerce maritime et qui présente à ce point de vue aussi un grand et véritable intérêt.
M. Cogels. - J’avais demandé la parole pour donner quelques explications sur les motifs qui avaient engagé la commission d’enquête à ne pas comprendre le bois dans son travail. Elle avait en vue les droits différentiels et les provenances directes. Or les bois du Nord venant par pavillon étranger et ne pouvant guère venir autrement, la commission d’enquête a jugé convenable de ne pas établir de droit différentiel sur un article où il n’aurait pas été réel, mais nominal, comme l’a expliqué l’honorable M. Donny, au commencement de cette discussion.
- M. Rogier abandonnant sa motion, la discussion sur le fond continue.
M. Zoude. - Pour m’opposer au tarif du gouvernement en ce qui concerne les bois, je n’invoquerai pas les motifs que la commission d’industrie a fait valoir en diverses circonstances, ainsi que la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur les droits d’entrée.
Je ne répéterai pas davantage les plaintes des propriétaires de sapinières lorsqu’ils vous ont dit que les magasins étaient tellement encombrés de bois du Nord, qu’ils ne trouvaient plus d’acheteurs même au rabais de 1/3 sur les prix anciens, qu’il résultait de cet état de choses que, loin d’établir de nouvelles sapinières, ils devaient déjà négliger les anciennes, et que, par suite, des milliers de bonniers de bruyères se trouveront condamnés à rester incultes.
Je n invoquerai pas davantage le droit incontestable de la propriété forestière à jouir de la protection que la loi accorde à tous les produits agricoles et industriels.
Je ne dirai pas que les importations qui n’avaient lieu d’abord que pour les bois en grume, avaient fait élever beaucoup de scieries qui donnaient de l’emploi à un grand nombre de bras et que ces établissements créés à grands frais sont abandonnés, aujourd’hui que la loi a favorisé l’entrée des bois sciés.
Je me bornerai à constater ce qu’un arbre de la capacité d’un tonneau de mer, c’est à dire de 1/2 mètre cube a coûté à son propriétaire en contribution foncière seulement et aux frais de gardiennat.
Un arbre d’un tonneau de mer est de telle force qu’il doit avoir au moins 50 ans d’âge et qu’il est peu de forêts, si même il en est, qui puissent compter 40 de ces arbres par hectare.
Or, dans une localité comme celle que j’habite et dans beaucoup d’autres sans doute, la contribution foncière par hectare d’un bois de haute futaie est de fr. 3 45 ; ainsi, pour 50 ans, de 172 fr. 50, ce qui, avec les intérêts composés à 4 p. c. représente un capital de 547 fr ; les frais de gardiennat, à raison de 2 fr. au minimum par hectare ou 100 fr. pour 50 ans, représentent, avec les intérêts composés, un capital de 317 fr.
Total pour 40 arbres : 864 fr. ou pour chacun 21 fr. 60.
Je ne parlerai pas des frais d’entretien, amélioration, repeuplement, etc., je négligerai de même l’intérêt et la valeur du fonds et supposerai bien gratuitement que les intérêts et frais sont couverts par le prix de la raspe ; je sais que j’exagère beaucoup la valeur de cette raspe.
Eh bien, c’est lorsqu’un arbre a coûté 21 fr. 60, dont près de 14 en contribution foncière, qu’on propose à l’un la protection de 75 c. et à l’autre celle de 1 fr. 50.
Je sais qu’on nous dira que les bois sont une matière première dont il faut favoriser l’importation ; mais le grain est la matière première du pain, et cependant vous en protégez la culture, quelquefois même par des droits assez élevés.
Le fer et la houille sont le pain et la matière première de toutes les industries ; cependant vous frappez le fer et la houille étrangers de droits prohibitifs.
Cependant, si vous croyez utile à l’Etat d’exproprier les propriétaires de bois, que ce soit au moins par une indemnité, vous ne pouvez exiger qu’une partie sacrifie ses intérêts au profit de tous, autrement vous violeriez les principes de l’éternelle justice et il en arriverait que vous forceriez à déboiser tous les terrains qui présenteront quelque ressource à l’agriculteur, et c’est alors seulement que la rareté du bois dont vous vous plaignez, rareté que nous contestons, deviendra réelle, et vous serez à toujours tributaires de l’étranger.
Que dirai-je maintenant du bois scié ?
Il y a quelques jours a peine que le droit proposé sur toute espèce de bois scié était de 7 fr. 50, aujourd’hui pour le sapin il est réduit à 6 fr.
La planche de sapin est déclarée en douane à la valeur de 75 fr. le tonneau, ce qui élève le droit à 8 p. c. Mais il est connu, et l’échelle du prix des planches le démontre, que le sciage est du huitième de leur valeur, soit de 12 1//2 p. c. ; vous créez donc un privilège en faveur de la main-d’œuvre étrangère.
Mais quand je dis que le prix du sciage est de 12 1/2 p. c, je ne vous parle pas du bois de Norwège, dont le prix est tellement bas à cause de sa mauvaise qualité, que le sciage s’élève à 20 p. c. de sa valeur.
Mais en général, nous ne recevons des planches que de médiocre qualité ; les première et seconde sont expédiées par l’Angleterre, la France et la Hollande. M. le ministre vous a dit lui-même que ces bois sont également de mauvaise qualité (page 9 du document n°290).
Maintenant il est une explication que je demanderai à M. le ministre : au tarif proposé (page 8 du document, n°290), il est dit : Planches, solives et toute autre espèce de bois scié, entièrement ou non, sont soumis au droit de 7 fr. 50 ; mais dans les amendements (page 6 du document, n°347) on trouve sous le litt. C une disposition particulière ainsi conçue : Les poutres ne seront traitées comme bois sciés que lorsqu’elles seront entièrement sciées et à arêtes vives.
Quoique ce renvoi soit fait à l’article Sapin, je le crois applicable à tout bois quelconque ; mais je ferai remarquer à M. le ministre, que généralement, lorsque le bois est scié à mince épaisseur, telle que 5 centimètres, il est d’usage, pour faciliter le chargement, ainsi que pour empêcher que les planches d’aussi mince dimension ne se déjettent, qu’on ne les sépare pas entièrement ; elles tiennent ensemble par le bout. Je demande si des planches ainsi jointes pourront être traitées comme bois en grume ; faute d’explication précise, il pourrait y avoir doute.
Il est une observation encore à laquelle je prie de faire attention, c’est qu’en autorisant l’entrée du bois scié, vous nuisez non seulement à la main-d’œuvre nationale, mais encore à la navigation ; car la perte qu’éprouve le bois par le sciage est du sixième de son volume ; c’est donc autant de diminution dans le transport des bois en grume.
Dans le projet nouveau, il y a amélioration pour les bois sciés autres que pin et sapin ; le droit serait de 12 fr., par tonneau ; mais ceci est applicable aux chênes du Nord, et là, s’il n’y a pas protection pour le bois indigène, au moins il y en a pour le travail national ; on croit toutefois devoir faire remarquer que le chêne du nord est généralement de si mauvaise qualité, que le gouvernement hollandais en défend l’emploi dans toutes les constructions qui se font pour compte de l’Etat, et que dans les cahiers des charges dont l’extrait m’a été communiqué, il y a quelques jours, il est stipulé que la fourniture sera faite en chêne de Belgique.
Me résumant, je propose, avec la commission d’industrie, qu’il soit établi sur tout bois scié, par tonneau de mer, un droit de 25 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je donnerai plus tard les explications demandées par l’honorable M. Zoude.
M. Cogels. - Il y a dans cette question deux points essentiels à examiner. Je m’adresse principalement aux honorables membres qui réclament une augmentation de droits sur l’introduction des bois étrangers. Je leur demanderai : Est-ce dans l’intérêt du revenu du trésor, ou dans l’intérêt de la propriété foncière que vous faites cette demande ? Si c’est dans l’intérêt du trésor, je prouverai que ce n’est pas à l’article bois qu’il faudrait s’adresser de préférence, si vous voulez être conséquents avec vous-mêmes. Si c’est dans l’intérêt de la propriété foncière que vous demandez la protection, je dirai que l’honorable M. de Corswarem ne va pas assez loin ; la protection serait, comme elle est aujourd’hui, à peu près illusoire.
On réclame en faveur de l’industrie nationale ou de l’agriculture une protection pour les produits similaires. Je m’appesantis principalement sur les mots produits similaires. Ici il ne s agit pas de produits similaires, mais d’un objet que notre pays ne produit pas, ne produira jamais, ne pourra jamais produire. Nos bois de sapin, pour les constructions, n’auront jamais aucune analogie avec les bois du Nord.
Ici je m’appuie sur la mesure prise par le gouvernement, et prise fort sagement dans l’intérêt du trésor et de la sécurité publique, c’est d’exiger que dans les constructions on n’emploie que du bois du Nord et non du sapin du pays, parce que avec le sapin du pays vous vous exposeriez à avoir des bâtiments qui dureraient de 15 à 20 ans, et s’écrouleraient.
Un membre. - C’est une erreur !
M. Cogels. - Non, ce n’est pas une erreur, vous ne trouveriez pas dans nos forêts de sapin du bois pour une grosse charpente, peut-être pas même des poutres avec lesquelles vous pourriez établir un grand bâtiment. Vous n’emploieriez certainement pas ces bois pour les constructions navales, car vous auriez des navires qui feraient naufrage au troisième voyage.
L’honorable M. de Corswaren en présentant son amendement vous a parlé de la dépréciation territoriale qu’on voit en Belgique. Je vous avoue que ceci m’étonne, car la dépréciation territoriale, je ne la vois nulle part. Je vois au contraire toute la propriété territoriale augmenter considérablement.
M. de Garcia. - Et à Postel.
M. Cogels. - Je remercie M. de Garcia d’avoir cité Postel, car Postel qu’on aurait pu avoir il y a 14 ans pour 500 mille francs, vient d’être adjugé pour 1,400 mille francs.
Y a-t-il là dépréciation ? Je laisse à la chambre à en juger.
M. Mast de Vries. - C’est l’effet du canal de la Campine.
M. Cogels. - L’honorable M. de Corswarem nous a dit encore que l’ont voit disparaître les forêts dans toutes les terres fertiles. C’est une chose toute naturelle. Cela se voit dans tous les pays où il y a accroissement de population, parce que le propriétaire qui sait calculer, prend ordinairement ce qui lui donne le plus d’intérêt. Lorsqu’il a un sol fertile couvert d’une forêt qui ne lui donne qu’un faible revenu, qu’en défrichant la forêt il peut réaliser un grand capital par la superficie, et louer le sol à un prix bien plus élevé que ne rapportait la forêt, vous comprenez qu’il dérode. C’est ce que vous avez vu en Angleterre, c’est ce que vous voyez en France. Cela se voit et se verra dans tous les pays où la prospérité et la population augmentent, où, par conséquent, les céréales, la nourriture du peuple, deviendrons chères, et feront augmenter la valeur du sol. Alors les forêts ne resteront que dans les terres qui ne peuvent être livrées à la culture.
L’honorable M. de Corswarem nous a parlé aussi des sapinières ; mais les propriétaires qui défrichent des bruyères, qui créent des sapinières n’ont aucunement l’intention d’attendre cent ans pour voir leurs arbres grandir. Leur seule intention, c’est de donner à la terre une culture préalable, c’est de couper leurs sapins en perches, en fagots, de jouir le plus tôt possible ; car nous n’aimons plus à attendre cent ans (je le déplore) ; nous n’aimons plus à travailler pour nos arrière-petits-neveux. Ces sapinières sont destinées à former non pas des arbres, mais des perches et des fagots. Ainsi nos forêts, nos sapinières, sont ici hors de cause.
Je disais que si l’on veut absolument accorder une protection efficace aux propriétaires de bois, l’honorable M. de Corswarem ne va pas assez loin. Ici je m’appuie sur la pétition des marchands de bois de Chimay et sur le rapport de l’honorable M. Zoude. Voici ce que nous lisons dans son rapport sur cette pétition :
« A leur tour les propriétaires de nos autres forêts vous ont répété que leurs propriétés chargées de contributions, qui vont en augmentant chaque année par les centimes additionnels que les besoins de l’Etat, des provinces et des communes ajoutent au principal, ne peuvent lutter davantage contre les produits des pays où il n’existe presque pas de charge publique, où l’ouvrier en servage doit se contenter du salaire le plus minime, et d’où la marchandise, transportée par la voie maritime, coûte moins rendue à pied d’œuvre, que le charriage de nos arbres depuis la forêt jusqu’au marché le plus voisin. »
Ainsi, vous voyez que si vous imposez les bois du Nord à cent pour cent de leur valeur, ce ne sera que la compensation du charriage depuis la forêt jusqu’au marché le plus voisin. Restent ensuite les contributions, l’intérêt des capitaux, etc. S’il faut un droit de cent pour cent pour mettre les bois étrangers et les bois du pays à peu près de niveau, vous conviendrez qu’un droit de 10 à 15 p. c n’améliorera par la situation des propriétaires de forêts, que, malgré ce droit, ils ne pourront vendre leurs bois dans les provinces de l’Ouest et du Nord, où les bois de construction nous manquent.
Maintenant voyons l’intérêt du trésor, voyons s’il est utile de renchérir cette matière première qui sert d’abord à vos constructions maritimes, et en bien plus grande partie à former votre capital industriel ; et surtout voyons comment, dans des circonstances beaucoup plus difficiles sous le rapport financier que celle où se trouve la Belgique, on a agi dans d’autres pays.
Vous savez tous qu’en 1842 la situation financière de l’Angleterre était réellement déplorable, que les difficultés s’accumulaient, et qu’on avait signalé sur l’exercice clos le 5 janvier 1842, un déficit de 4 à 5 millions sterling. C’est à la suite de cette situation que sir Robert Peel présenta au mois de mars 1842 tout à la fois, son projet d’income-taxe, et son tarif général de douanes modifié. Vous connaissez tous le résultat de l’income-taxe, il a produit un peu au-delà de cent millions. Je ne viens pas vous le proposer.
Mais, en compensation, qu’a fait sir Robert Peel ? Il y avait déficit ; a-t-il cherché de nouvelles ressources sur les articles de première nécessité ? Non. En outre, pour les bois étrangers (ce dont nous nous occupons), qu’a-t-il fait ? Il a réduit le droit très considérablement ; il a proposé une réduction qui a amené dans le trésor une diminution de plus de 600,000 liv. st., c’est-à-dire, plus de quinze millions de francs. Voulez-vous savoir sur quoi il s’est fondé ? En annonçant la mesure qu’il allait proposer, il a dit : « Je crois devoir vous prévenir en premier lieu que la conséquence de la mesure sera une réduction notable de nos revenus, mais s’il est une réduction utile qu’un pays doit apporter dans l’intérêt de l’industrie, dans l’intérêt de la richesse nationale, c’est sur les bois de construction qu’il faut l’établir de préférence ? »
Vous vous plaignez de la situation déplorable de votre industrie, de votre marine, et vous voulez renchérir ce qui doit servir principalement à composer votre capital industriel, votre capital maritime !
Vous avez des droits distincts sur le bois en poutres et en grume et sur le bois scié. Je ne m’oppose pas à une augmentation de droit sur le bois scié. Je dois cependant ici signaler à la chambre une circonstance dont plusieurs membres n’ont pas connaissance, c’est qu’il y a des bois du Nord qui ne peuvent venir en grume ; ils ne peuvent venir que sciés, parce qu’il est impossible de les transporter de la forêt jusqu’au port, parce que les moyens de communication manquent vers les ports. Ainsi, établir des droits très élevés sur les bois sciés, ce ne sera pas procurer de l’ouvrage à vos scieries, ce sera renchérir des bois dont vous avez besoin. Les bois de Wiborg et d’Helsingford ne viennent jamais en poutres ; ils viennent en planches, tandis que vous recevrez toujours en poutres et eu grume des bois de Riga, Dantzick, Memel, etc.
Je crois avoir suffisamment prouvé que le projet d’augmentation tel qu’il est formulé, dans ses proportions même les plus exagérées, ne doit pas accorder aux propriétaires de forêts la satisfaction qu’ils demandent. Cela n’aurait d’autre résultat qu’un accroissement de revenus, accroissement qui ne serait pas aussi notable qu’on pourrait le croire.
D’un autre côté, vous renchéririez un objet de première nécessité pour une très grande partie du pays et que certaines provinces ne peuvent se procurer ailleurs
L’honorable M. Zoude lui-même a fait voir qu’il était impossible de donner aux propriétaires la satisfaction qu’ils demandent : il a calculé que les frais de gardiennage et l’impôt foncier représentent par tonneau de mer une somme de 21 fr. 60 c. Il faudrait donc un droit de 21 fr. 60 c. et le transport gratuit jusqu’aux provinces qui manquent de bois pour mettre au même niveau les bois étrangers et les bois du pays, abstraction fait du revenu de la propriété.
M. Eloy de Burdinne. - Je vous avoue que je regrette de ne pas être propriétaire de bois. Je pourrais m’abstenir de parler, d’après l’opinion de l’honorable M. Donny. Mais je ne possède que très peu de broussailles. Je me permettrai donc de soutenir la protection en faveur des bois ; nous leur devons cette protection comme à toutes les autres productions du pays.
Est-il bien rationnel, dans un moment où l’on encourage les défrichements, de vouloir déprécier les bois, de vouloir l’effet, sans vouloir les moyens ?
On vous a dit que le bois est une matière première. Mais le lin est une matière première ; le fil est aussi une matière première ; car avec le fil on fait de la toile, avec de la toile on fait des chemises ; la toile est donc aussi une matière première.
Voilà encore une matière première, car la chemise usée sert à faire du papier. Mais d’après ce principe tout est matière première ; le papier lui-même est une matière première, car il sert à différents usages.
Il ne faut pas de protection exagérée, nous a dit l’honorable M. Donny. Selon le commerce, messieurs, il faut des protections qui n’en soient pas, des protections insignifiantes. Car établir des droits très minimes, autant vaut ne pas en établir, parce que l’étranger qui a un excédant de produits, le déverse toujours dans le pays où les droits sont les plus minimes. Vous n’affranchirez donc les produits du pays contre les produits similaires de l’étranger qu’en établissant des droits égaux à ceux de vos voisins. Un droit minime n’est pas un droit de protection.
Les partisans de la navigation, messieurs, ne voient que la navigation ; il faut la protéger, quand même. Il faut, avant tout, que la navigation marche bien ; c’est la richesse du pays. Voila ce que j’ai presque toujours entendu dire par les hommes intéressés dans la navigation. C’est ainsi que je les ai entendus nous dire à plusieurs reprises : Mais pourquoi produire telle ou telle chose, qui coûte beaucoup plus cher en Belgique qu’ailleurs ? Laissez à la navigation le soin de vous les procurer. C’est ce qu’on vous a dit de la houille, des grains, et il est étonnant qu’on ne l’ait pas dit du fer, car l’Angleterre peut nous en procurer à meilleur marché que nous ne pouvons en produire.
Mais, je le demande, où marchons-nous avec ce système ? Prenez-y garde, MM. les commerçants, lorsque le pays se sera ruiné, à qui vendrez-vous les denrées exotiques ? A dire vrai, le marchand me répondra : J’appartiens à tous les pays, ma patrie est là où je gagne de l’argent. Et lorsqu’il n’aura plus d’argent à gagner en Belgique, il ira s’établir ailleurs.
L’honorable M. Zoude, messieurs, vous a prouvé que lorsqu’un propriétaire de bois vend un chêne, il a payé à l’Etat une contribution considérable sur ce chêne, souvent même le quart de sa valeur, par suite de l’impôt qu’il a payé pour la partie de terrain que cet arbre occupait. Et vous voulez traiter le producteur de sapin étranger mieux que vos propres concitoyens ! vous voulez le frapper de droits insignifiants ! Nous avons une singulière qualité : nous ne savons que protéger l’étranger ; nous nous occupons fort peu de nos concitoyens, lorsqu’il s’agit d’une protection à leur accorder.
L’honorable M. Cogels nous a dit que la protection qu’on réclamait produirait de très minces résultats ; qu’elle serait presque insignifiante pour les propriétaires, et qu’elle rapporterait peu de chose au trésor. Je ferai remarquer à l’honorable membre que les propriétaires de bois ont réclamé une protection, et qu’ils y ont droit tout comme les autres industriels, tout comme les propriétaires de navires. Je dirai aussi que nous ne devons pas oublier les besoins du trésor, et que malgré la majoration des droits, on introduira toujours des bois en Belgique, si vous ne les frappez pas du maximum des droits établis en France. Mais ces bois apporteront au trésor un tribut qui pourra remplacer la contribution foncière que paient les propriétaires belges.
L’honorable M. Cogels nous a dit aussi que le sapin de ce pays ne convenait pas pour les constructions. Je suppose que l’honorable M. Cogels aura fait usage de sapin qui n’était pas parvenu à sa maturité. Il est vrai que, quand on coupe le sapin avant sa maturité, il est sujet à se détruire promptement, et il en est de même du chêne. D’ailleurs, messieurs, la culture du mélèze est déjà implantée en Belgique ; protégez-la, encouragez le défrichement des bruyères, et vous aurez, non pas aujourd’hui ni demain, mais dans l’avenir, un bois qui pourra remplacer le sapin et même le chêne, et qui ne vous coûtera pas plus cher que les bois étrangers.
Je terminerai là mes observations.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois aller au-devant des intentions de la chambre en demandant la réimpression des questions de principe, telles qu’elles ont été adoptées.
M. le président. - Ces questions seront imprimées et distribuées.
- La séance est levée à 4 heures et demie.