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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 mai 1844

(Moniteur belge n°135, du 14 mai 1844)

(Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.

M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance précédente la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Deroubaix, blanchisseur de cire à Bruxelles, prie la chambre de ne prendre aucune décision sur la pétition du sieur Quanone, avant que les fabricants de cire aient pu lui présenter leurs observations. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport.


« Le sieur Jean Bleis, vitrier à Dudelange, né à Rodemack (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Proost, désirant soumettre un plan pour la conservation des anciens registres de l’état-civil, demande qu’on lui confie les registres de l’une ou l’autre commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Un grand nombre d’industriels et commerçants à Liége, prient la chambre de rejeter le projet de droits différentiels. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des conclusions de la commission d’enquête parlementaire.

M. Lesoinne. - Je demande la lecture de cette pétition et l’insertion au Moniteur.

- Cette proposition est adoptée.

M. de Renesse, secrétaire, donne lecture de la pétition, qui est ainsi conçue : (note du webmaster : le texte de cette pétition, insérée au Moniteur, n’est pas repris dans cette version numérisée.)

« La chambre de commerce et des fabriques de Bruxelles déclare se rallier au projet de loi de droits différentiels proposé par le gouvernement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des conclusions de la commission d’enquête parlementaire et insertion au Moniteur.


M. le ministre de la justice transmet, avec les renseignements relatifs à chacune d’elles, deux demandes en naturalisation.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. Lys. - Messieurs, je suis chargé, par mon honorable ami M. David, de vous faire part d’un événement déplorable qui vient d’accabler sa famille et qui l’empêche d’assister à vos séances. Une mort subite venant de frapper son frère, M. David-Kelleter, il devra donner quelques soins aux affaires commerciales du défunt, aujourd’hui de sa veuve et de sa jeune famille. C’est pourquoi, messieurs, il demande à la chambre un congé indéfini.

- La chambre, consultée, accorde le congé.

Commission d'enquête parlementaire sur la situation du commerce extérieur

Discussion générale sur les conclusions

M. le président demande d’abord si l’amendement quia été présenté et développé, dans la dernière séance, par M. Dumortier, est appuyé.

- L’amendement est appuyé ; il fera partie de la discussion.

M. le président. - La parole est à M. Lesoinne et ensuite à M. Meeus.

M. Lesoinne. - Messieurs, j’ai écoulé tout ce qui s’est dit dans cette discussion avec la plus grande attention ; j’ai relu tous les discours qui ont été prononcés en faveur du système proposé et je dois dire que je n’ai rien vu ni entendu qui pût nous faire espérer que, par l’adoption des droits différentiels, nous verrions augmenter nos exportations vers les marchés transatlantiques. Tout ce qu’on a pu dire, c’est que le pavillon national présentait plus de chances de probabilité pour l’exportation de nos produits, que le pavillon étranger mais tout s’est borné à cela. On a bien cité quelques-uns de nos articles que, selon M. le ministre de l’intérieur, nous fabriquions mieux que les autres nations, et que, malgré cela, nous n’exportions pas. Nous examinerons tantôt quelles sont les causes qui s’opposent à ce que ces produits s’exportent.

Comme c’est principalement dans le but de favoriser l’exportation de nos produits vers les marchés transatlantiques, qu’a été instituée l’enquête commerciale, je me trouve obligé de vous parler de nouveau de ces marchés.

Mon honorable ami, M. Delfosse, vous a cité une lettre d’une personne qui me paraît avoir une grande connaissance pratique des marchés d’outre-mer, et il vous a dit que le plus souvent il n’existait pas de corrélation entre les importations et les exportations. L’honorable ministre des travaux publics a cru pouvoir prouver l’existence de cette corrélation en invoquant l’autorité de l’enquête commerciale faite en Angleterre en 1840. Le passage cité par M. le ministre et qui regarde le Brésil, tend plus, selon moi, à prouver que, lorsqu’on refuse les produits d’un autre pays, on doit nécessairement voir ses exportations y diminuer de plus en plus, que la corrélation directe des importations et des exportations.

Aux Etats-Unis, par exemple, les expéditions se soldent généralement par des traités sur l’Europe, et l’on conçoit que le fabricant préfère ce mode de transaction aux retours en marchandises. En effet, un retour en marchandises ne pourrait que compliquer son opération et en compromettre le succès ; car, s’il ne réalise pas son retour aussitôt après l’arrivée. Les frais de magasinage, commission, etc., peuvent lui enlever tout son bénéfice.

C’est ici, je pense, le moment d’examiner les causes qui s’opposent ce que les articles cites par M. le ministre de l’intérieur trouvent à s’écouler sur les marchés transatlantiques.

J’ai dit que les maisons d’Europe qui sont en relations suivies avec ces marchés y avaient des succursales qui recueillaient les commandes, et soignaient la rentrée des factures. On connaît quel avantage ont ces maisons sur les expéditeurs d’Europe, qui n’emploient pas les mêmes moyens qu’elles. Lorsque ces derniers arrivent sur les marchés d’outre-mer, ils trouvent les besoins de ces marchés satisfaits, et même de la manière qui convient le mieux au goût des commettants de ces pays. Voilà, je pense, la cause principale qui s’oppose à ce que plusieurs de nos articles trouvent à s’écouler sur plusieurs marchés transatlantiques, et le système proposé ne la fera pas disparaître. Car, pour les Etats-Unis, par exemple, les droits différentiels sont pour ainsi dire hors cause, puisque les retours ne se font pas généralement en marchandises.

On m’a dit encore autre chose : c’est que les industriels du pays, pour ce qui regarde les toiles n’avaient pas voulu fabriquer conformément aux échantillons venus de ce marché, parce que, disaient-ils, ils compromettraient la réputation de leurs toiles.

J’ai peine à croire cela de la part des industriels. Nous ne devons pas être assez fiers pour refuser de fabriquer selon les ordres qu’on nous transmet. Si cela était, les industriels ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes, s’ils n’exportent pas...

M. Rodenbach. - Je demande la parole.

M. Lesoinne. - L’honorable M. Donny nous a indiqué trois manières d’exporter avec succès vers les pays transatlantiques. Le premier de ces moyens est celui que j’avais signalé. Je maintiens qu’il faut avoir une maison permanente, et je crois que c’est le seul moyen de faire des affaires avec les marchés transatlantiques.

Le second moyen consiste dans les achats que l’armateur fait pour son propre compte.

Jusqu’au présent ce second moyen a présenté bien peu de chances de succès pour nos armateurs, car les exportations faites par eux se réduisent à bien peu de chose.

« Mais il est un troisième mode, nous dit l’honorable membre, qui est pratiqué par d’autres pays avec le plus grand succès, et je pense que c’est à ce mode qu’a fait allusion l’honorable M. David, lorsqu’il a fait un appel à unie entente cordiale entre le fabricant et l’armateur. »

Ce troisième mode est l’opération de compte à demi. Quant à moi, je pense que, lorsque nos fabricants auront fait l’essai de ce genre d’opération, ils se lasseront bientôt d’opérer de cette manière, car généralement les chances sont contre eux.

L’opération de compte à demi se fait de cette manière. Supposons une affaire de 10,000 fr. L’armateur donne, je suppose, 5,000 fr., et le fabricant 5,000. L’armateur prend son fret sur le tout. Il y a donc déjà à un bénéfice pour lui. Si le navire ramène des retours, c’est un second bénéfice. S’il se trouve chargé de la vente, comme il n’y a pas de doute, puisqu’il est intéressé dans l’opération, il prélèvera ses frais de commission sur le produit de la vente. Il est donc bien évident que les chances sont plutôt contre le fabricant que contre l’armateur.

L’honorable M. Donny a fait une opération, comme on en fait dans une école de commerce. L’armateur a conduit l’affaire à bonne fin, il est arrivé au point de destination, il a réalisé de suite ; il a trouvé moyen de ramener son retour ; grâce à l’honorable M. Donny, l’armateur et le fabricant réalisent chacun un bénéfice de 100 fr. Mais malheureusement, en réalité, les choses ne se passent pas de cette manière.

On ne réalise pas dès l’arrivée ; et je vous en donnerai pour preuve ce que nous avons appris par nous-même relativement à un des marchés vers lesquels s’exportent les plus grandes masses de produits, précisément mentionnés par l’honorable M. Donny.

« Les arrivages du 1er janvier au 30 novembre 1842, se montaient à 13,300 quintaux et 1,200 quintaux étaient encore attendus de l’Angleterre. 500 barils de clous, arrivés le 1er décembre par navire espagnol, se trouvaient encore invendus ; ce qui prouve que, malgré un avantage de 3 fr. que donne le pavillon espagnol, on ne pouvait encore réaliser le prix coûtant. » Ceci prouve, messieurs, que, quand on est arrivé au lieu de destination, on ne réalise pas tout de suite. On doit attendre une occasion favorable, et jusque-là on a à payer des frais de magasinage. Cette opération présente peu de chances de bénéfices. S’il arrive des retours, l’armateur qui a fait l’opération de compte à demi, se fait payer la commission et ses frais de magasinage. Messieurs, ce qui a lieu pour l’article dont je viens de parler, a également lieu pour d’autres articles.

On se trouve tous aujourd’hui à peu près à égale distance des marchés transatlantiques. Voilà la cause de l’encombrement général des produits européens sur ces marchés. Je vous ai dit tout ce que je savais à cet égard, j’en appelé au témoignage de tous les hommes qui sont en relation avec ces pays. Qu’ils disent s’il y a exagération dans les faits que j’ai avancés.

Je le répète ici, une augmentation de droits sur les objets que nous pouvons prendre en retour de la Hollande, peut nous mettre hors d’état de soutenir la concurrence dans ce pays avec les houilles anglaises. Devons-nous compromettre ces relations pour nous en créer d’autres qui présentent si peu de chance de succès ? en un mot, devons-nous lâcher la proie pour l’ombre ? Les transactions avec ces pays ne sont pas à la portée de nos petits industriels, et quant à nos grands industriels, ils sont assez sages pour savoir par eux-mêmes comment ils doivent s’y prendre pour écouler leurs produits ; ce n’est pas le gouvernement qui le leur apprendra.

Ce que le gouvernement peut faire en faveur de l’industrie, c’est de créer des voies de communication faciles et économiques ; de diminuer autant que possible les frais de transports et de faire tous ses efforts pour tâcher de faciliter nos relations avec les nations étrangères. On nous propose, comme moyen d’arriver à ce but, d’élever notre tarif, afin de pouvoir faire des concessions après. C’est une déclaration de guerre de tarif. Si le gouvernement a le courage de soutenir cette guerre jusqu’au bout, cela devra nécessairement amener une perturbation fatale dans le commerce et l’industrie du pays, et s’il n’a pas le courage de la soutenir, cela ne fera qu’encourager les nations étrangères à adopter des mesures plus restrictives encore à notre égard.

M. le président. - Je demanderai à M. Meeus si c’est contre, pour ou sur le projet qu’il est dans l’intention de parler.

M. Meeus. - Je parlerai pour, contre et sur. (On rit.)

M. le président. - Je vous fais cette demande, parce que conformément au règlement, la chambre doit entendre successivement un orateur pour et contre ; si on parle sur, aux termes du règlement, l’orateur doit présenter un amendement.

M. Meeus. - Je parlerai sur ; je proposerai un amendement que je ne connais pas encore. (On rit.)

M. le président. - Vous avez la parole.

M. Meeus. - Messieurs, l’interpellation que vient de me faire l’honorable président sera réellement le début du discours que je me permettrai de prononcer, discours pour lequel je réclame d’autant plus d’indulgence qu’en réalité je n’ai pas encore d’idées arrêtées. Si je n’ai pu dire à M. le président si je parlerai pour ou contre ou sur, c’est qu’en réalité, quelque longue qu’ait été la discussion, je dois vous le déclarer consciencieusement, je n’ai pas d’opinion arrêtée, et je croirais imprudent d’en arrêter une aujourd’hui.

Messieurs, si la discussion amène tout à l’heure le vote des articles ou un vote définitif, et si l’on ne parvient pas à m’éclairer plus que je ne le suis, je dois le déclarer, je serai obligé de m’abstenir.

En principe le système de l’honorable abbé de Foere est un système auquel je suis prêt sous beaucoup de rapports à donner mon assentiment. En effet, je me suis fait cette simple question : si la Belgique consomme pour 60 à 70 millions de produits coloniaux, si ces produits coloniaux importés en Belgique par l’étranger lui coûtent cette somme, quelle est la différence entre le prix d’achat et le prix de vente en Belgique ? Si cette somme de 60 millions de sucre, de riz, de café, amenés en Belgique par navires anglais, américains, ne coûtent, par exemple, au lieu de provenance, que 40 millions, il est certain que le commerce et la marine marchande des autres nations ont gagné, à notre détriment, les 20 millions de différence. N’est-il pas assez simple que la Belgique vienne revendiquer ce bénéfice ? N’est-il pas assez simple que la Belgique dise : J’irai moi-même chercher, au lieu de provenance, avec un capital de 40 millions ces produits, qui, en Belgique, valent 60 ou 70 millions. Il restera acquis au pays le bénéfice du fret, de la construction des bâtiments, et de toute cette population qui aura vécu sur l’eau et qui aura vécu au bénéfice de la Belgique.

La question que j’ai cru simplifier ainsi m’a paru facile à résoudre. Je me suis dit : si la question se présentait de cette manière, pourrais-je lui refuser mon approbation, mon adhésion ? Je ne le pense pas. Mais, messieurs, la discussion telle qu’on l’a engagée, a établi une confusion telle que l’industrie se trouve mêlée à une question où l’industrie n’a, d’après moi, presque rien à faire pour le moment. Ainsi, je vous le déclare, je suis du nombre de ceux qui croient qu’il n’y a pas de corrélation directe entre les importations et les exportations des produits de notre industrie, je suis du nombre de ceux qui croient que l’adoption dans ce moment présent, du système des droits différentiels, peut avoir de graves inconvénients pour l’industrie ; je suis du nombre de ceux qui croient qu’il ne faut surtout pas, pour créer de nouvelles fortunes, nuire à celles qui existent ; je suis du nombre de ceux qui croient qu’un gouvernement sage, des chambres prudentes doivent s’attacher surtout à ne pas déplacer les intérêts. La voie du progrès doit être la voie où nous marchons constamment pour les intérêts moraux comme pour les intérêts matériels, mais il faut marcher avec prudence, de manière à ne pas faire tourner le progrès contre le progrès même, c’est-à-dire contre le maintien de ce que vous avez déjà obtenu à l’aide du progrès.

Messieurs, pour ne pas m’étendre trop sur ces considérations générales, je vais aborder tout d’abord la question de corrélation qu’on a cherche à établir entre les importations et les exportations des produits belges. L’honorable M. Delfosse est venu lire à la chambre une lettre anonyme dont j’ai écouté la lecture avec une scrupuleuse attention, et, je dois vous le déclarer, quand l’honorable ministre des travaux publics dans un discours remarquable, est venu opposer à cette lettre une autorité d’après lui plus imposante, l’enquête d’Angleterre, j’ai trouvé très imposants les raisonnements que contenait cette lettre et très peu concluantes les raisons contenues dans la partie de l’enquête anglaise qu’il a citée. Ce n est pas parce qu’une enquête a eu lieu en Angleterre, et que des Anglais sont venus répondre d’une certaine façon, que j’attacherai une plus grande importance aux motifs donnés par ces Anglais qu’à ceux qui seraient donnés par des Belges. Ce qu’il faut rechercher avant tout, c’est le poids de la raison et le poids de la logique. Je déclare franchement que je ne l’ai nullement trouvé dans l’interrogatoire de M. Mac Gregor et celui du négociant de Liverpool ; et j’ai trouvé très peu fondées les déductions qu’en a cru pouvoir tirer l’honorable ministre des travaux publics. Comme je pense que vous avez tous présent à la mémoire le discours de l’honorable M. Dechamps, je ne lirai pas les passages de son discours, mais je les toucherai de telle manière que vous les reconnaîtrez facilement. Il vous a dit en substance :

La France et l’Angleterre livrent au Brésil des produits de leur industrie pour des capitaux énormes, par centaines de millions ; cependant l’Angleterre ne reçoit pas chez elle les produits du Brésil. Eh bien, si cela est ainsi, j’en tire un argument contre la corrélation qu’on a voulu établir ; car, que font la France et l’Angleterre ? Elles vont vendre leurs produits au Brésil ; elles en retirent, quoi ? du café, du sucre, qu’elles viennent vendre en Allemagne et en Belgique. Il n’y a donc pas échange dans le sens indiqué entre l’Angleterre ou la France et le Brésil.

L’Angleterre et la France se sont payés au Brésil en café, en sucre, parce qu’elles pouvaient vendre à la Belgique et à l’Allemagne ces cafés, ces sucres, et recevoir en Belgique et en Allemagne les écus qu’elles auraient reçus au Brésil. Est-ce là un échange ? Non, dans le sens que vous lui donnez. Il est certain qu’il y a eu échange dans l’acception générale du mot, mais non échange tel que vous voulez en établir par le système des droits différentiels. C’est là la question c’est-à-dire que si la Belgique reçoit du sucre et du café du Brésil, le Brésil recevra en échange des produits de l’industrie belge. Vous voyez ce qui se passe en Angleterre. L’Angleterre fabricant mieux qu’aucun autre pays, vend ses produits et prend en payement des sucres, des cafés, des cuirs, non pour elle, mais pour les autres nations. (Interruption.)

Je ne m’étonne pas de la rumeur que j’entends. C’est une question fort délicate ; si je me trompe, je désire être éclairé ; car j’ai une conviction profonde qu’on est, sur ce point, dans la plus grande erreur.

Dans l’enquête anglaise, c’est sur ce point qu’a insisté l’honorable ministre des travaux publics. On a dit et démontré que, dans les pays transatlantiques, le papier-monnaie, par rapport à la piastre, présentait 50 à 60 p. c. de perte, et l’on a pu dire que, pour cette raison, on avait dû prendre du café !

Le négociant anglais a dit une très grande niaiserie. C’est une niaiserie dans toutes les langues du monde ; que ce soit consigné dans l’enquête anglaise ou ailleurs, c’est contraire à la logique, contraire à la raison, contraire à la pratique. Dans tous les pays du monde, la valeur de l’argent, la valeur du change a une corrélation directe avec celle des marchandises, des fabricats du pays. Croyez-vous que, lorsque, sous l’Empire, la livre sterling, qui aujourd’hui est coté 25-60, se négociait à 15 fr., croyez-vous que les marchandises ne suivaient pas la baisse du change, croyez-vous que les marchandises ne se calculaient pas à raison de la valeur du change ? Il n’est pas de négociant, d’homme ayant étudié quelque peu ce qui se passe entre les pays qui font le commerce, qui ne sache qu’il y a là un équilibre non pas absolument exact, mais un certain équilibre qu’on ne peut pas rompre. Pourquoi le négociant anglais a-t-il pris du café au lieu de prendre des traites sur le continent ? Il a voulu gagner un fret, il a voulu spéculer sur le continent. Après avoir placé ses produits au Brésil, à Rio Janeiro, il s’est dit : Je dois retourner, je vais prendre du café : ce qui peut m’arriver de plus fâcheux, c’est de le vendre en Allemagne ou en Belgique au prix auquel je l’ai acheté.

C’est, permettez-moi cette comparaison, comme un voiturier qui, ayant conduit quelqu’un à sa destination et n’ayant personne à reconduire et devant retourner, baisse ses prix de moitié et finit par laisser entrer presque pour rien dans sa voiture ; il n’y perd pas, parce qu’il devrait revenir à vide.

Il en est de même (passez-moi cette comparaison triviale) pour le négociant anglais qui arrive en Belgique avec des marchandises des colonies. Il revient avec un chargement ; c’est un bénéfice éventuel ; il vendra ce chargement en Belgique ou en Allemagne ; il a des chances de gain. C’est là le motif de son opération. Qu’il ne dise pas que c’est le cours du change qui l’a forcé à prendre un chargement de sucre ou de café, car c’est là une véritable niaiserie.

Ici je m’arrête ; car encore une fois, on viendra me dire : vous combattez les droits différentiels, et tout à l’heure vous vous en déclariez partisan. Mais je ne les combats pas. Pour bien dégager les questions qui ont été agitées, je veux simplifier la discussion. Je dis qu’il n’y a pas de corrélation entre la question industrielle et la question des droits différentiels.

M. Cogels. - Je demande la parole.

M. Meeus. - Je dis qu’il n’y a pas de corrélation directe. Je comprends sur quel terrain veut m’amener l’honorable membre qui demande la parole. Je l’aborderai tout à l’heure.

Il faut voir la question des droits différentiels en elle-même. En elle-même, telle quelle a été présentée dès le début par l’honorable M. de Foere, en 1834, je crois, elle offre des avantages réels. J’y vois un moyen de créer, en Belgique, une marine marchande, puisque la Belgique consomme beaucoup de produits coloniaux.

J’y vois un moyen de réaliser un bénéfice de 15 ou 20 millions, par supposition que l’étranger bénéficie en Belgique, en lui important les produits des colonies qu’elle consomme.

Mais je dis que la question des droits différentiels est indépendante de la question industrielle, Il est possible que je me trompe. Mais, dans cette discussion, où mon esprit n’est égaré, j’ai dû tâcher de simplifier les questions.

Ayant ainsi séparé la question industrielle de celle des droits différentiels, il nous reste à examiner ce qu’il convient de faire dans l’intérêt du commerce et de l’industrie.

Mais avant d’arriver là, je dois dire de nouveau que, si je nie une corrélation directe entre les importations et les exportations, je ne conteste pas une corrélation indirecte. En effet, il faut voir les choses comme elles se passent. Il est hors de doute que des Belges, ayant un commerce direct avec le Brésil, seraient de meilleurs agents pour amener l’exportation de nos produits que des Anglais et des Américains. Sous ce rapport, les droits différentiels, non pas dans un an, mais dans dix ou vingt-cinq ans, pourront amener des résultats favorables.

Je suis aussi de ceux qui croient qu’avec plus d’activité et d’intelligence, la Belgique pourrait vendre pour des sommes plus élevées qu’elle ne vend aujourd’hui dans les pays transatlantiques. Ainsi, je reconnais qu’il y a corrélation indirecte, résultant de la position du commerce maritime belge, vis-à-vis de l’industrie. Sous ce rapport, je reconnais que ce résultat s’obtiendra à la longue, mais non pas immédiatement, et de sorte qu’on puisse dire que les droits différentiels soient un moyen assuré, immédiat de donner à l’industrie des débouchés, parce que, quand on importera en Belgique par navire belge des cafés du Brésil, il faudra nécessairement envoyer au Brésil des produits belges. Cela n’est pas exact. C’est une opinion tout à fait erronée.

Je vous disais tout à l’heure que, lorsqu’il fallait créer une industrie nouvelle, lorsqu’il fallait créer un intérêt nouveau, on devait avoir grand soin de ne pas blesser les intérêts existants. Or, aujourd’hui que se passe-t-il en Belgique ? Sont-ce les industriels qui ont réclamé les droits différentiels ? Est-ce Liége, Mons, Gand ou Charleroy ? Je ne le pense pas. On a voulu, pour donner de l’importance aux droits différentiels, y rattacher la question industrielle, parce que cette question, depuis plusieurs années, était à l’ordre du jour. En effet, le rapport remarquable de l’honorable ministre de l’intérieur vous a fait voir que toujours les négociations ont tendu : à quoi ? à créer des rapports maritimes avec les autres puissances ? Certainement non. Les efforts constants du gouvernement ont tendu à créer des débouchés aux différentes industries du pays. C’est là malheureusement que le gouvernement a échoué. Ces industries, ces localités industrielles, pour lesquelles on a pris tant de peine, ont-elles réclamé des droits différentiels ? Je ne le pense pas. Lorsque je vois réclamer ces mêmes droits, en invoquant l’intérêt de l’industrie, je crains que l’on ne nuise à l’industrie, en voulant la protéger.

S’il m’était démontré que le nouveau système va procurer à certaines industries un bénéfice de 15 ou 20 millions, et causer à d’autres industries un préjudice de 3 ou 4 millions, je n’hésiterais pas. Je dirais qu’il faut attendre, parce que, entre créer des fortunes et déplacer des fortunes, ruiner des industries, il y a pour moi une différence immense, sous le rapport de la moralité même et à raison de la différence des positions.

Dans le commerce, les capitaux, employés pour la marine marchande sont presque toujours des capitaux mobiles, réalisables. Dans l’industrie, au contraire, ce sont des capitaux immobilisés. Le jour où vous frappez l’industrie, les plus beaux établissements du pays cessent d’exister ; vous causez une perte immense. Les armateurs d’Anvers auront laissé dans le commerce maritime 15 ou 20 millions. Ces millions consistent en sucre, en café, riz, et le reste en bâtiments qui peuvent diminuer de valeur. Les sept huitièmes des capitaux, le jour où le commerce est atteint, peuvent entrer dans les coffres-forts des capitalistes. Il y a donc une différence immense sur laquelle j’appelle l’attention du gouvernement et des chambres. En effet, diminuez le revenu industriel de 5 millions, vous entraînerez la ruine de 80 ou 100 millions de capitaux immobilisés.

Dans cette position, je dois vous déclarer que ce qui me semblerait le plus sage, ce serait de se borner à quelques essais. Je suis prêt à voter le principe des droits différentiels, mais à une condition : c’est que, quant à son application, elle sera laissée à la sagesse du gouvernement, à moins encore qu’on ne veuille en ajourner l’application à une époque assez reculée, pour que le pays tout entier ait le temps de réfléchir sur les grandes questions qui ont été agitées ici. Ce retard nous permettra d’examiner à loisir les nombreux documents qui nous ont été distribués ; et quelque intelligence que nous puissions avoir, cet examen ne sera pas inutile.

Ainsi nous agirons sans précipitation. Ainsi tous les intéressés pourront réclamer. On arriverait ainsi à un résultat qui entre entièrement dans les principes de l’honorable M. de Foere, et qui cependant mettrait les industries à l’abri d’événements que je n’aime pas à supposer, mais que la prudence commande de ne pas provoquer.

Je pourrais m’étendre très longuement sur cette question, en m’occupant des discours qui ont été prononcés, et que j’ai sous les yeux. Mais je le ferais, je crois, sans utilité. Il m’a suffi de vous faire connaître mon opinion, c’est-à-dire, que je ne conçois pas la corrélation directe entre la question industrielle et la question des droits différentiels, que le principe des droits différentiels est bon en lui-même, parce qu’il peut faire rentrer dans le pays, en lui procurant le commerce direct, une partie des capitaux que l’étranger prélève à son préjudice.

J’ajoute en terminant que si l’industrie devait, ainsi que je l’ai dit, éprouver par l’adoption des droits différentiels, un dommage considérable, il faudrait nécessairement ajourner cette question, l’ajourner indéfiniment, jusqu’à ce que ces obstacles fussent levés, jusqu’à ce que l’industrie se fût relevée du marasme où elle est tombée.

Et ici, messieurs, je dois le déclarer, je ne suis pas du nombre de ceux qui croient si mal de l’industrie belge. Je crois que l’industrie belge, quoi qu’on en ait dit, n’est pas aux abois et que quand elle se renfermera dans les limites dans lesquelles elle se trouve circonscrite, elle pourra prospérer. Je crois, de plus, qu’il y a des industries naturelles qui iront toujours en s’étendant : ainsi, l’industrie charbonnière, ainsi l’industrie métallurgique, ainsi d’autres industries que je pourrais citer, ont bien certainement un avenir devant elles, quelques crises qu’elles aient eu à passer.

Je partage, messieurs, l’opinion de l’honorable M. Delfosse. J’ai voté en faveur de l’industrie métallurgique une augmentation de droits sur les fontes étrangères. Mais quand le moment sera venu où la bourrasque, qui a existé en Angleterre, sera passée, je serai le premier à donner mon assentiment à une réduction de droits. Car il n’est pas dans ma nature d’aimer la prohibition. Et j’adresse ces paroles à l’honorable M. Castiau. Il est, au contraire, de ma nature de vouloir la liberté illimitée. Mais la vouloir seul, c’est ce que je ne peux admettre ; parce que avant le principe, ou au moins à côté du principe, je vois la pratique. Or, lorsque l’Angleterre a des crises industrielles, nous le savons tous, il n y a plus de prix qui règle la marchandise ; il n’y a plus qu’un mouvement : c’est d’inonder le continent. Les banqueroutes se succèdent, les établissements chôment ; peu importe ; il faut à tout prix vider ses magasins. Et dans ce moment-là, vous laisseriez périr le travail national ? Vous ne viendriez pas au secours de ces ouvriers que l’honorable M. Castiau défend avec tant de chaleur en vertu d’autres principes ? Mais ce serait tomber dans la contradiction la plus frappante. Il faut protéger votre travail ; il faut le protéger comme le font d’autres nations.

Je veux bien que la Belgique, qui est très avancée sur tous les points, donne l’exemple de la modération en fait de protection. Mais c’est à une condition, c’est que cette protection soit établie, non pas précisément pour donner momentanément à tel ou tel fabricant des bénéfices perçus sur les consommateurs du pays, mais pour maintenir le travail national sur le pied où il se trouve.

Et puis, ne comprimez jamais, encore une fois, des intérêts existants. Si vous allez appliquer témérairement des principes illimités de liberté commerciale, à l’instant vous verrez le pays ruiné, vous verrez deux cent mille travailleurs livrés à la mendicité. Ces principes, je voudrais certainement les voir adopter par toutes les nations ; mais adoptés par la Belgique seule, ils ne seraient qu’une duperie.

Toutefois je donnerai toujours mon assentiment à toute proposition de la part du gouvernement qui tendra à tenir dans de justes limites la protection accordée aux industries, c’est-à-dire que, dans mon opinion, il n’est pas vrai qu’elle doive toujours être la même. Le gouvernement, sentinelle avancée des intérêts généraux du pays, doit veiller à ce qui convient dans telle ou telle occurrence, à telle ou telle époque ; et si, dans quelque temps, comme cela est probable, le prix des fontes anglaises remontait, de manière à ce que la protection votée dernièrement, fût illusoire, je louerais le gouvernement de venir à l’instant même, pour exciter le travail national et non pas pour le surexciter, proposer de revenir sur la loi adoptée, et encore une fois je l’appuierais.

Messieurs, si je pouvais donc faire une proposition, je demanderais que l’on votât le principe des droits différentiels, et qu’on laissât au gouvernement le soin de mûrir le travail projeté, et de nous apporter à la session prochaine, un projet qui convînt mieux à tous les intérêts, et qui surtout ne mît pas en émoi ces industries que l’on veut, semble-t-il, protéger, et qui craignent de vos droits différentiels des événements fâcheux.

M. le président. - Faites-vous une proposition formelle ?

M. Meeus. - Oui, M. le président.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne m’attacherai qu’à un seul point : la corrélation qui existe, dans le système qui régit actuellement la navigation maritime, entre les importations au-delà des mers et 1es exportations d’outre-mer.

Pour établir cette corrélation, messieurs, nous avons cité à plusieurs reprises la manière dont se fait le commerce entre l’Angleterre et le Brésil. L’honorable préopinant a vu, au contraire, dans ce fait, une objection contre notre allégation ; il vous a dit : L’Angleterre ne consomme pas ce qu’elle importe de l’Amérique méridionale et dès lors la corrélation que vous invoquez n’existe pas.

Nous n’avons jamais dit qu’il fallait qu’il y eût corrélation entre les exportations que l’on fait en Amérique et la consommation intérieure des produits qui en viennent. Si nous l’avons dit, nous aurions raisonné en dehors des faits.

Commençons, messieurs, par rétablir les faits. D’abord, remarquez avant d’aller plus loin, que c’est par erreur que l’on suppose que l’Angleterre n’admet à la consommation intérieure aucun des produits de l’Amérique méridionale. L’Angleterre exclut de fait, par son tarif prohibitif, de la consommation intérieure, tous les produits de l’Amérique méridionale qui sont similaires de produits de se colonies et que celles-ci produisent en quantité suffisante. Elle n’exclut donc pas, par son tarif, les cuirs, par exemple. Les cuirs, quel que soit le pays de provenance, sont soumis en Angleterre au même droit.

Le café et le sucre sont soumis, au contraire, à un droit différentiel. Le droit sur ces denrées est très élevé, même lorsqu’elles viennent des colonies anglaises. Mais le sucre et le café étranger, et l’Angleterre appelle ainsi le sucre et le café qui ne viennent pas de ses colonies, sont soumis au double du droit, et celui-ci étant très élevé, il se trouve qu’en le doublant, on le rend prohibitif.

Voici donc, messieurs, les faits.

Arrêtons-nous à trois objets, ils suffisent pour expliquer ce qui se passe : le cuir est soumis un droit uniforme, quel que soit le pays de provenance ; le café et le sucre qui ne viennent pas des colonies anglaises, sont soumis à un droit différentiel tellement exorbitant qu’il y a impossibilité de fait de les livrer à la consommation intérieure de l’Angleterre.

Un navire se rend dans un des ports de l’Amérique méridionale et y porte des objets manufacturés de Manchester et de Birmingham. Il prend en retour du cuir, du café et du sucre. Que fait-il de ces retours ? Pour le cuir, il n’éprouve aucune difficulté, il le livre à la consommation intérieure. Mais il n’en est pas de même du sucre et du café ; il est forcé de les placer sur le continent, en Allemagne, en Belgique.

Faisons une hypothèse : supposons que l’Allemagne, que la Belgique aient une marine, et qu’il existe dans ces pays des droits différentiels ; supposons encore que l’Allemagne, que la Belgique aient fait un traité avec la Hollande, qu’ils aient chargé en quelque sorte celle-ci de fournir au marché allemand et an marché belge le café et le sucre ; en un mot, faisons une supposition quelconque qui place l’Angleterre dans l’impossibilité de livrer au continent, à moins de faire des pertes énormes, le café et le sucre de l’Amérique méridionale. Quelle sera la position du commerce de l’Angleterre ? Le navire dont je vous ai parlé tout à l’heure revient avec du café et du sucre. Impossibilité à la fois de livrer ce café et ce sucre à la consommation intérieure de l’Angleterre, parce que le droit sur ces denrées est prohibitif ; impossibilité également de les livrer à la consommation du continent, parce que l’Allemagne et la Belgique se trouvent avoir adopté un système qui exclut de leur consommation ce sucre et ce café importés par pavillon britannique. Dès lors, messieurs, il y aura impossibilité pour ce navire anglais de prendre du café et du sucre en retour, car il ne saurait qu’en faire.

Une voix. - Il prendra dès lors de l’argent au Brésil.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je sais ce qu’on va me répondre : Il prendra de l’argent. Mais voici quelle sera sa position : le fret augmentera, parce qu’il n’y aura plus l’avantage du retour. En second lieu, en prenant de l’argent, il fera toutes les pertes de change que nécessitent les remises qu’il aura reçues en payement.

J’avoue que je suis étonné que l’honorable préopinant ait traité avec une espèce de dédain l’enquête faite en 1840 en Angleterre. Mais cette enquête a amené un événement extrêmement important en Angleterre. Cette enquête a précédé la chute du ministère Melbourne....

M. Meeus. - Je n’ai pas attaqué l’enquête ; j’en ai attaqué un passage.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je puis citer des passages beaucoup plus significatifs encore.

Le ministère Melbourne a été tellement frappé de l’embarras dans lequel se trouve placé le commerce britannique par rapport à l’Amérique méridionale, qu’il a songé à réduire les droits sur les cafés et les sucres étrangers, c’est-à-dire, non produits dans les colonies anglaises. Mais que seraient devenues les colonies anglaises ? Voilà l’objection que l’on adressait au ministère Melbourne et contre laquelle il est encore venu se briser.

Quant à moi, messieurs, je considère comme établie de la manière la plus évidente la corrélation entre les importations de l’Angleterre dans les Etats de l’Amérique méridionale, des produits manufacturés en Angleterre, et les exportations de ces Etats en Angleterre. Cette corrélation existe, et ce qui la rend possible, quoique la plupart des objets importés de l’Amérique méridionale dans les ports anglais soient de fait exclus de la consommation britannique, c’est que la Belgique et l’Allemagne admettent ces objets dans leur consommation. Ainsi, messieurs, si l’Angleterre continue à pouvoir placer sur les marchés de l’Amérique méridionale ses produits qui, la plupart, sont similaires aux nôtres, si elle peut nous exclure des marches américains, c’est parce que nous consommons les objets qu’elle a importés en retour et qui se trouvent exclus de fait de la consommation britannique. Voilà, messieurs, comment les choses se passent ; il m’est impossible de les voir autrement.

Si l’honorable préopinant a méconnu cette corrélation, c’est qu’il a confondu deux choses ; il a pensé que la corrélation n’existait qu’en tant que les objets importés en retour fussent consommés dans le pays qui les importe. C’est ce que nous n’avons jamais dit et ce qu’il y a de beau pour l’Angleterre, c’est que la corrélation existe sans qu’elle consomme les produits importés en retour. L’Angleterre compte sur la consommation que lui offrent bénévolement la Belgique et l’Allemagne.

M. Rodenbach. - Messieurs, j’avais demandé la parole pour répondre à l’honorable député de Liége, mais je commencerai par faire quelques observations sur ce qui a été dit par l’honorable député de Bruxelles.

L’honorable M. Meeus a dit que les industriels ne demandaient pas les droits différentiels. Mais, messieurs, les industriels demandent des débouchés, et tout le monde doit convenir qu’il y a pléthore, qu’il y a exubérance de produits. On fabrique trop en Belgique et nous n’avons pas de débouchés. Voilà le grand vice de notre situation.

Un membre. - Nous n’avons pas le marché intérieur.

M. Rodenbach. - Certainement, nous devons assurer le marché intérieur à notre industrie, et je serai le premier à appuyer toutes les mesures qui tendront vers ce but ; mais le marché intérieur ne suffit pas, il nous faut en outre des débouchés à l’extérieur, car, je le répète, il y a exubérance de production.

Ainsi, messieurs, si les industriels ne demandent pas les droits différentiels, ils demandent des débouchés, et c’est au gouvernement et à la chambre de rechercher les moyens d’obtenir ces débouchés.

Or, messieurs, quels sont ces moyens ? L’exemple de la France et de l’Angleterre prouve que ce sont les droits différentiels. Les droits différentiels engageraient nos armateurs et nos négociants à exporter vos produits.

L’honorable député de Bruxelles a dit encore que notre industrie n’est pas aux abois, mais un instant auparavant il avait dit qu’elle était dans le marasme. Il me semble que c’est là une contradiction manifeste.

L’honorable député de Liège a avancé que certains de nos produits ne sont pas confectionnés selon les goûts des consommateurs d’outre-mer. C’est surtout aux toiles qu’il a voulu faire allusion. Eh bien, messieurs, je dirai que cela n’est pas exact. Lorsque le consul du Brésil, dont on a parlé, est venu dans les Flandres, il été en contact avec les négociants, il leur a fait connaître les besoins des consommateurs américains, mais il voulait que les exportations se fissent aux risques des fabricants. C’est ce qui n’est pas d’usage, et pour des motifs faciles à comprendre, c’est que ces fabricants ne jouissent pas de capitaux assez vastes pour risquer de pareilles expéditions.

Certainement les industriels ont profilé des renseignèrent que ce consul leur a donnés.

Depuis plusieurs années on tisse en Belgique, et notamment dans le district de Roulers, toutes espèces de toiles. Plusieurs de nos tisserands ont adopté la navette volante et les autres améliorations qui ont été introduites dans la fabrication chez d’autres peuples. Ce qui prouve d’ailleurs que notre défaut d’exportation tient aux vices de notre législation, c’est que la France elle-même exporte nos toiles. Malgré les mesures restrictives que la France a adoptées à notre égard, nous importons encore chez elle pour 16 à 18 millions de toiles par an ; de ces toiles la France en exporte pour des sommes assez considérables aux Etats-Unis, tandis que nous n’exportons dans ce pays que pour une centaine de mille francs.

Je dis donc, messieurs, qu’il y a beaucoup à faire pour procurer des débouchés à notre industrie. Ces débouchés, nous les obtiendrons au moyen d’un système de droits différentiels, efficace et bien combiné.

Je pense que le système présenté par le gouvernement n’accorde pas une protection suffisante à la marine nationale. Pour le café, par exemple, la différence du droit n’est que de 1 centime et 1/4 par livre. Je dis qu’il faut une protection plus forte.

Pour prouver que ce n’est pas à cause d’une fabrication peu avancée que nous n’exportons pas dans les pays lointains, je citerai encore les armes de Liége. Certes, personne ne dira que nous n’avons pas atteint, sous ce rapport, à un très haut degré de perfection. Eh bien ! les armes de Liége, nous ne pouvons guère les exporter vers les pays d’outre-mer que par l’intermédiaire de la France. C’est par le Havre, en grande partie, que les armes de Liège sont expédiées aux Etats-Unis

Nous devons donc chercher à combiner un système qui favorise nos exportations.

Nous sommes jeunes encore en fait de commerce, mais nous pouvons profiter de l’expérience des autres. La France et l’Angleterre ont trouvé le moyen de donner des débouchés à leur industrie, ce moyen, nous devons le trouver aussi. J’ai dit.

M. Lys. - Messieurs, le discours que vient de prononcer l’honorable comte Meeus, a jeté de vives lumières sur la question. Cet honorable membre vous a démontré, on ne peut plus clairement, qu’il n’y a pour l’industrie aucune amélioration immédiate à attendre de l’établissement des droits différentiels. Il vous a démontré, au contraire, que les droits différentiels pourraient être une cause de ruine pour un grand nombre de nos industries. Je crois que le discours de cet honorable collègue faite entièrement tomber l’argumentation de M. le ministre de l’intérieur, qui a constamment soutenu que les droits différentiels seraient un moyen de venir au secours de l’industrie.

Je suis intimement convaincu que si la chose leur avait été bien expliquée, les industriels ne nous auraient pas donné leurs avis tels qu’ils vous les ont transmis. Ils auraient dit que les droits différentiels étaient évidemment contraires aux intérêts de l’industrie. Mais lorsque l’on consultait les chambres de commerce on ne laissait pas ignorer que les droits différentiels étaient pour ainsi dire le seul secours que l’industrie pouvait attendre pour sortir de l’état de malaise dans lequel elle se trouvait. La position des questions dans l’enquête tend évidemment à amener ce résultat.

Après le discours qui a été prononcé par l’honorable comte Meeus, il me reste peu de chose à dire. Je dois cependant répondre à M. le ministre des travaux publics, qui m’a reproché que mon opinion actuelle ne cadrait pas avec celle que j’ai émise en 1840.

Il ne me sera pas difficile de démontrer que la question actuelle et celle de 1840 sont tout à fait différentes. De quoi s’agissait-il en 1840 ? Il s’agissait simplement d’accorder un subside pour l’établissement de navires à vapeur, destinés à créer des communications régulières entre Anvers et New-York. J’ai donc trouvé alors que c’était là une chose très avantageuse au commerce. En effet, jusque-là, nous avions été forcés d’employer l’intermédiaire du Havre pour faire parvenir en Amérique nos marchandises, nos draps et nos armes, par exemple, qui doivent arriver dans un temps fixe, à peine d’être rebutés et laissés pour compte du fabricant, ce qui causerait une perte énorme. Nous les envoyions par le Havre, parce que là nous trouvions des départs réguliers que nous ne trouvions pas dans les ports belges.

Depuis que nous avons établi une ligne de navigation à la vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis, ligne qui est maintenant desservie par des navires à voiles, avec les mêmes avantages pour le commerce, depuis lors nous avons des communications régulières avec les pays transatlantiques, c’est-à-dire tout ce que le commerçant sollicitait à cet égard.

La loi de 1840 établissait donc une chose favorable aux exportations, tandis que le projet dont il s’agit aujourd’hui ne présente absolument rien de favorable aux exportations ; ce projet ne favorise que les importations.

Voilà donc la différence qui existe entre mon vote actuel et celui que j’ai émis en 1840.

M. le ministre des travaux publics nous a dit aussi qu’en 1840 nous soutenions que les draps de Verviers pourraient lutter avec les draps anglais, les draps français.

Eh bien, ce que nous soutenions alors, nous le soutenons encore ; nous soutenons que nos draps peuvent lutter avec les draps étrangers dans les pays transatlantiques ; mais, qu’est-ce à dire ? si nous trouvons des moyens d’écoulement plus faciles, si nous avons plus d’avantage à commercer avec les pays voisins, est-il extraordinaire que nous préférions ce dernier mode de nous défaire de nos fabricats ? Nous n’avons pas alors à courir les chances défavorables qui se présentent dans les pays éloignés.

Qu’a dit, en effet, la chambre de commerce d’Anvers, pour soutenir que les armateurs ne pouvaient pas faire le commerce pour eux-mêmes ? Elle a invoqué la difficulté de réaliser le prix de nos fabricats dans les pays transatlantiques ; elle vous a dit qu’il faudrait souvent trois ou quatre voyages, avant de réaliser l’import d’une première expédition.

Eh bien, je vous le demande, messieurs, si un armateur doit faire trois ou quatre voyages, avant de réaliser le prix des marchandises, comment voulez-vous qu’un fabricant puisse attendre pendant plusieurs années que ses marchandises soient réalisées ? Il est donc tout simple que le fabricant ne transportera dans ces pays éloignés que lorsqu’il ne pourra pas exporter dans les pays voisins.

On reproche encore aux fabricants de n’être pas assez entreprenants.

Mas nous pourrions demander à notre tour : Le commerce d’Anvers qui sollicite en ce moment les droits différentiels, est-il plus entreprenant que nos fabricants ? N’avons-nous pas fait des essais ? N’avons-nous pas envoyé une masse de fabricants dans les régions transatlantiques à nos risques et dépens ? Avons-nous jamais trouvé à Anvers ou à Ostende des négociants qui aient voulu entreprendre, pour leur compte particulier, des exportations vers les pays transatlantiques, c’est-à- dire, d’acheter la cargaison ? Nous n’en avons jamais rencontré. En voici une preuve bien irrécusable : lorsque le gouvernement a garanti 10 p c. à l’industrie cotonnière de Gand, ceux qui ont accepté ces 10 p. c. sont allés à Anvers offrir d’abandonner les 10 p. c. aux commerçants qui voudraient se charger de l’entreprise. Ces fabricants ont même été plus loin : ils ont offert 10 autres p. c. et l’on n’a trouvé personne qui ait voulu se charger de l’opération. Vous savez le résultat de cette affaire ; personne n’ignore que les fabricants qui ont eu le malheur d’y prendre pari, ont perdu, non pas seulement les 10 p. c., mais encore 50 p. c. en sus, en confiant leurs marchandises à une compagnie qui s’est chargée de l’expédition comme simple commissionnaire. Ainsi, vous remarquerez que le commerce d’Anvers, qui vous demande des droits différentiels, prétendument pour favoriser l’industrie, est beaucoup plus en arrière que les fabricants. Vous ne trouvez à Anvers et à Ostende que des commissionnaires et des armateurs qui louent leurs navires.

On nous reproche, comme je viens de le dire, de n’être pas assez entreprenants. Mais l’honorable M. Cogels lui-même ne vous a-t-il pas appris que les trois quarts des maisons d’Amérique avaient été constituées en faillite ? L’honorable M. Cogels ne nous a-t-il pas dit que souvent on a fait des exportations, et qu’on n’a rien eu en retour ? Ainsi, loin de faire un reproche aux fabricants de n’être pas assez entreprenants, il faut, au contraire, les louer de leur prudence.

Et, en ce qui concerne les droits différentiels, quand nous remarquons les discours des partisans de ce système, quand nous voyons des hommes instruits et compétents, tels que MM. Cogels et de Brouckere, douter que les droits différentiels puissent être favorables à l’industrie, nous ne sommes plus étonnés de ce que, dans cette circonstance, l’honorable abbé de Foere et M. le ministre de l’intérieur demeurent seuls sur la brèche pour défendre le projet.

Nos communications avec les contrées transatlantiques sont extrêmement chanceuses, eu égard à la difficulté des réalisations. Les marchés sont souvent surchargés. On rencontre des gens de mauvaise foi. Il est difficile de défendre ses intérêts dans des pays aussi éloignés, et la législation commerciale nous y est tout à fait contraire, car, dans ces pays, la contrainte par corps n’existe pas. Un négociant y fait faillite, et le lendemain de sa déconfiture, il peut impunément se remettre à la tête de ses affaires sous un prête-nom.

L’honorable M. Donny nous a cité jusqu’à deux cargaisons qui avaient été complétées par les soins de l’armateur ; il nous a dit que l’opération avait été avantageuse. Je n’en doute nullement ; mais, à mon tour, j’aurais pu vous apporter la preuve d’une masse d’expéditions, qui ont été faites par le commerce de Verviers, et qui, presque toutes ont été malheureuses. C’est pourquoi il est nécessaire que, dans ces pays éloignés, il s’établisse des comptoirs, des factoreries ; mais on voudrait les voir établir au frais de l’industrie, et, à cette condition-là, vous ne parviendrez jamais votre but.

Il faudrait, avant tout, qu’avec l’appui du gouvernement, des sociétés de commerce fussent créées ; que ces sociétés nouassent des relations avec les pays lointains ; qu’elles se chargeassent du placement de nos marchandises à leurs frais.

L’honorable M. Donny a fait le calcul d’une opération tentée en commun par un armateur et par un fabricant ; il a supposé une réussite complète ; c’est là une pure supposition, et, comme vient de le dire mon honorable ami M. Lesoinne, ce sont de ces calculs qui se font dans les écoles de commerce.

L’honorable M. Donny a ensuite, et toujours dans son cabinet, supposé le cas d’un négociant qui achète à un fabricant, et qui charge ses marchandises sur un navire pour les Indes. Mais c’est là précisaient ce que nous demandons et ce qui n’existe pas.

M. Donny- - Cela ne peut pas exister.

M. Lys. - Vous ne voulez donc pas qu’il y ait un commerce particulier qui achète à l’industrie : c’est précisément là ce que nous cherchons à réaliser. C’est ce qui existe en France et en Angleterre.

L’honorable M. Dumortier nous a fait aussi un calcul sur la balance commerciale, et il a cherché à établir qu’il y avait, pour la Belgique, une perte de 60 millions par an.

Nous remarquons que 60 millions par an donnent pour 14 années 840 millions de perte, sans parler des intérêts. Ce résultat est tout à fait impossible. D’ailleurs, mon honorable ami, M. David, vous en a démontré l’impossibilité.

L’honorable M. Dumortier a dit encore que la rareté du numéraire en Belgique allait toujours croissant.

Je ne puis partager cette opinion. Il n’est pas exact de dire que le numéraire soit rare en Belgique, et la preuve du contraire, je la puise dans le taux de l’escompte. A combien aujourd’hui négociez-vous les bons du trésor ? Comment avez-vous fait la conversion de votre emprunt ? En présence de tous ces faits, peut-on dire que le numéraire soit rare en Belgique ?

Je ne suis pas de ceux qui prétendent que la marine marchande ne doit pas jouir d’une protection. Nous avons déjà démontré que dans ce moment la marine marchande jouit déjà d’une protection très importante. Nous avons dit que dans les circonstances présentes la loi qui nous était présentée pouvait être dangereuse, et elle est d’autant plus dangereuse, qu’on a prouvé à l’évidence qu’elle n’était, et ne pouvait nullement être avantageuse à l’industrie. Donc, en faveur de la marine marchande, vous voulez allez à la recherche de marchés étrangers, et vous allez mettre en doute la continuation de vos relations avec les puissances qui vous avoisinent.

L’honorable ministre des travaux publics a soutenu que, de la manière dont la loi serait établie, aucune puissance n’aurait à se plaindre Mais, messieurs, la même chose existait en 1822, et cependant la Hollande a pris une mesure qui était tout à fait contraire aux intérêts de la France.

On dit : Vous ne savez pas ce que fera la Hollande. Mais, messieurs, nous ne le savons que trop. La Hollande étant la seule puissance qui ait réclamé contre le projet de loi.

On ajoute : Nous prendrons des mesures contre la Hollande.

Mais, en attendant, que deviendront nos établissements et ceux que leur inactivité laissera sans moyens d’existence ?

Si je m’en rapporte aux paroles de M. le ministre des travaux publics, il me semble que les droits différentiels ne seront que l’exception. En effet, l’honorable ministre nous a dit que d’abord les navires américains seront assimilés aux navires belges. Que vous restera-t-il alors ? Car ce sont les navires américains qui nous apportent le plus de marchandises transatlantiques.

Aussi, vous le voyez, messieurs, les droits différentiels seront l’exception. On ne peut mieux prouver que ne l’a fait M. le ministre, combien ils sont inutiles, car ils ne produiront alors aucun avantage quelconque.

D’après toutes ces considérations, je pense qu’il y a lieu de suspendre cette discussion, jusqu’à ce qu’il ait été pris des dispositions sur le résultat de l’enquête commerciale.

M. le président. - M. Meeus vient de déposer la proposition suivante :

« Je propose de voter le principe des droits différentiels et de remettre à la prochaine session son application. »

M. Manilius s’est-il fait inscrire pour, contre, ou sur ?

M. Manilius. - Je me suis fait inscrire sur ; je suis dans la même position que l’honorable M. Meeus, j’ai attendu que la liste des orateurs fût épuisée pour me faire inscrire.

M. Castiau. - Je commencerai par remercier l’honorable M. Meeus, de l’obligeance avec laquelle il m’a cédé son tour de parole. C’est pour lui répondre que je l’avais demandée, car je ne comptais pas prendre part à ce débat. Mais, après avoir été pris à partie et interpellé directement par l’honorable membre, il est d’autant plus convenable que je lui réponde, qu’il s’agit de rectifier une opinion qu’il m’a prêtée et qui est loin d’avoir le radicalisme qu’il a supposé.

Avant de présenter cette rectification, je donnerai ma pleine adhésion à la proposition qu’il nous a présentée. Il vous a demandé l’ajournement du projet de loi à la prochaine session. Cet ajournement, je l’appuie de toutes mes forces. J’avais été plus loin sans doute, en en demandant le rejet dans le comité secret ; mais n’osant espérer aujourd’hui ce rejet, je me rattache au parti proposé par M. Meeus, parti de prudence et de réserve. Toutes les opinions devraient se réunir pour l’adopter, car partout il y a doute, incertitude et conflit. Vingt systèmes sont produits, et il est impossible de les concilier ; et à la suite de ces incertitudes et, de ses conflits se présentent les conséquences de l’adoption du projet de loi, conséquences dont personne ici ne peut mesurer la gravité et le danger. Partout ici nous marchons vers l’imprévu et l’inconnu. J’avais cru que le gouvernement aurait senti tout le premier la nécessité de s’arrêter ; mais puisqu’il persiste, c’est à la majorité à faire son devoir, en adoptant un ajournement qui, au milieu des hésitations de l’opinion et des résistances qui éclatent de toutes parts, n’est qu’un appel à un nouvel examen et à des méditations plus approfondies.

J’arrive maintenant à la rectification pour laquelle j’avais uniquement réclamé la parole.

J’ai, il est vrai, défendu dans cette enceinte le principe de la liberté commerciale ; j’ai prétendu que tout y poussait aujourd’hui, les intérêts comme les idées, et que l’émancipation politique des peuples amènerait l’émancipation commerciale ; mais je n’ai pas été jusqu’à réclamer immédiatement et pour la Belgique seule, l’application de ce principe. L’honorable député de Bruxelles l’a supposé, et en cela il a exagéré mes paroles et défiguré ma pensée A cet égard, messieurs, je ne puis qu’en appeler à vos souvenirs. Quelque partisan que je sois de la liberté commerciale, je suis le premier à reconnaître, à proclamer que l’adoption immédiate de ce principe amènerait dans ce pays une effrayante perturbation industrielle. Si la théorie doit céder parfois à la pratique, c’est quand il s’agit de la conservation de notre industrie, et surtout du travail et de l’existence des masses ouvrières. Le système protecteur est un mal, mais quand une fois il a été admis dans un pays, il faut bien l’accepter comme un fait accompli, il faut bien épargner les industries qui ont compté sur cette protection. Aussi n’y a-t-il eu rien dans ma pensée et dans mes paroles qui fût de nature à faire croire que je demandasse la suppression de nos douanes et de nos tarifs, au risque d’écraser toutes nos industries, et de livrer aux horreurs de la faim et du désespoir les classes ouvrières qui en vivent. Une telle opinion aurait été aussi absurde que cruelle, et j’ai besoin de protester de toutes mes forces contre toute supposition qui tendrait à me l’attribuer.

Qu’ai-je donc demandé ? Qu’ai-je prétendu dans les observations que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre dans son comité secret ? J’ai prétendu qu’au moment où les peuples tendent à confondre et leurs intérêts et leurs idées, c’était un véritable contre-sens de vouloir se renfermer dans un système d’isolement et d’exclusion. J’ai combattu de toutes mes forces cette tendance à l’exagération des tarifs, qui paraît animer le gouvernement et la majorité de cette chambre ; j’ai prétendu que cette exagération amènerait l’adoption du régime prohibitif, et que ce régime était tout ce qu’on pouvait imaginer de plus fatal et pour l’industrie et pour le pays tout entier.

C’est au nom des majorités, au nom des consommateurs, au nom de toutes les classes de la société, que je me suis élevé contre ces pensées de privilège et de monopole qui paraissent dominer maintenant tous nos industriels, Car enfin cette exploitation absolue du marché intérieur, n’est-ce pas le sacrifice de tous les consommateurs aux intérêts privilégiés de quelques grands industriels ?

Je ne reviendrai pas sur tous les inconvénients d’un système qui arrête le progrès industriel, qui pèse sur la consommation, qui introduit dans un pays des industries factices et impuissantes, qui détourne les capitaux et le travail de leur emploi le plus fructueux, et tout cela pour donner aux peuples l’avantage de se nuire mutuellement en se suicidant.

Je me bornerai seulement à faire ressortir de nouveau le principal danger de ce système de protection exagérée qu’on paraît vouloir adopter aujourd’hui. C’est l’excitation exagérée et fiévreuse qu’il donne à l’industrie. Il la jette en dehors de ses conditions normales et amène cet encombrement de produits qui est la principale cause de ces souffrances industrielles qui ont trouvé de si nombreux interprètes dans cette assemblée. La protection surexcite la production, et les misères de l’industrie retombent alors sur les classes ouvrières, qui en sont les victimes. C’est un enchaînement fatal et qui se retrouve dans tous les pays qui ont adopté le régime prohibitif. Partout l’industrialisme a séduit les classes ouvrières ; il les a arrachés à la plus morale et à la plus féconde des industries, l’agriculture, pour les appeler dans les villes, pour les entasser dans ces ateliers qu’on a appelés des bagnes manufacturiers, et les jeter ensuite, à chaque crise, sur le pavé des rues, sans ressources et sans moyens d’existence.

Ceci n’est pas de la théorie, car c’est le grand mot qu’on oppose à tous nos arguments ; c’est de la pratique, c’est de l’expérience et de l’expérience la plus douloureuse.

On prétend que le régime prohibitif est une sorte de panacée universelle. Mais ce sont précisément les pays qui l’ont adopté, qui souffrent le plus. C’est là que l’encombrement des produits est le plus grand ; c’est là encore que la misère est poussée à ses dernières limites ; c’est là que le paupérisme étend partout ses plaies saignantes ; c’est là qu’on voit des hommes mourir de faim au milieu d’une société civilisée ; c’est là, enfin, que la misère des classes ouvrières dépasse enfin tout ce que l’imagination peut concevoir.

Et voilà le merveilleux système dont on veut doter la Belgique ! Le mot, je le sais, vous a fait peur. Vous ne voulez pas, dites-vous, du régime prohibitif, vous ne défendez que le régime protecteur. Mais n’est-ce pas là un véritable jeu de mots ? Vous voulez la protection pour nous assurer la possession exclusive du marché intérieur. N’est-ce pas là, en réalité, de la prohibition et la prohibition la plus rigoureuse ? Eh bien, si ce vœu pouvait s’accomplir, c’est alors qu’on verrait se déployer avec une activité effrayante cette fièvre de l’industrialisme qui n’a fait déjà que trop de victimes dans ce pays. Avant quelques années, nous arriverions à des crises et à des catastrophes bien plus terribles que toutes celles que nous avons traversées jusqu’ici.

Je sais, messieurs, qu’on éprouve le besoin de colorer de prétextes spécieux ces prétentions exagérées. On invoque à satiété les grands mots de marché intérieur et de travail national. On prétend être repoussé de tous les marchés de l’Europe ; on invoque contre tous les peuples qui nous environnent la loi des représailles ; on fait ainsi appel à toutes les passions de l’industrialisme et l’on espère par là donner le change à l’opinion et séduire ceux qui ne vont pas au fond des choses et se paient de mots.

On veut des représailles : soit ; mais alors qu’elles retombent sur les seules nations dont nous avons à nous plaindre. On a cité l’Angleterre, l’Angleterre la principale victime du système qu’on veut importer dans ce pays ; on nous a dit que l’Angleterre, dans ses jours de crise, nous inondait de ses produits et qu’il fallait opposer des barrières à cette invasion des produits anglais. Ici, du moins, vous êtes dans le vrai. L’Angleterre nous écrase de ses produits et ne reçoit de nous que d’insignifiants échanges et la matière première nécessaire à ses fabriques. Eh bien, si l’on en a le courage, qu’on frappe l’Angleterre ; là, du moins nos attaques pourront se justifier par cette loi des représailles qu’on veut placer aujourd’hui en tête du code des nations.

Mais en est-il de même de la France ? en est-il de même de la Hollande ? quelle est notre position industrielle vis-à-vis ces peuples ? Nous inondent-ils aussi de leurs produits ? Mais la Hollande reçoit de nous dix fois plus d’objets manufacturés qu’elle ne nous en expédie ? Et la France ? La France, qui est notre principal marché, nous paye chaque année plus de vingt millions, résultat en notre faveur de la balance commerciale si souvent invoquée dans nos discussions. Et c’est surtout contre ces deux peuples qu’on voudrait aujourd’hui diriger des représailles !

Qu’on cesse donc de faire entendre ces doléances sans fin sur l’égoïsme des peuples qui nous environnent. Qu’on cesse de dire et de répéter chaque jour qu’on nous repousse de tous les côtés, qu’on nous traite comme des parias industriels et qu’à cette guerre industrielle qu’on nous déclare de toutes parts, il faut répondre par de nouvelles hostilités. Toutes ces déclamations manquent d’exactitude et de vérité, pour certains pays, du moins.

Avant tout, il faut être juste puisqu’on en est à parler de représailles, qu’on les applique avec discernement et avec équité. Frappez, si vous le voulez, les peuples qui nous repoussent ; mais épargnez les nations au sein desquelles vous écoulez vos principaux produits et qui, répondant à vos attaques, pourraient vous faire expier cruellement l’imprudence que vous auriez commise en prenant contre elles l’initiative des hostilités.

Je m’arrête ; car, encore une fois, je n’ai pris la parole que pour rectifier l’opinion et les pensées qu’on m’avait attribuées à tort. Liberté commerciale sans doute, mais liberté graduelle et progressive ! Liberté avec la réciprocité pour sanction ! Liberté avec le respect des faits accomplis et surtout avec l’amélioration du sort des classes ouvrières ! Je proteste donc, je proteste une dernière fois et de toutes mes forces, contre la pensée que j’aurais voulu, dans l’intérêt d’un principe, sacrifier toutes nos industries à l’existence des classes qui en vivent. Certes, tout ce que j’ai dit et fait dans cette enceinte, depuis que j‘y siège, en leur faveur, aurait dû m’épargner le désagrément de me voir prêter gratuitement une opinion aussi déraisonnable que cruelle et d’être obligé de la réfuter en ce moment.

M. de Foere. - L’honorable député de Bruxelles n’a pas su s’il devait parler pour, contre ou sur le principe de la question qui est en discussion. Après avoir entendu son discours, je n’ai point été étonné de l’hésitation de son esprit. Il a confondu des notions essentiellement distinctes et établi des distinctions où il n’en existait pas.

Dans la supposition que sur 60 millions de produits coloniaux, importés en Belgique, la différence entre le prix d’achat et de vente fût de 40, l’honorable membre n’hésiterait pas de voter pour la proposition, car 40 millions seraient conquis sur les importations du commerce étranger et acquis au commerce belge. Mais l’honorable membre croit que cette conquête serait nuisible à l’industrie belge. Il craint le déplacement des fortunes. Il pense que quelques fortunes nouvelles s’élèveraient sur la ruine de quelques autres. C’est ce qui jette particulièrement de l’anxiété dans son esprit.

A moins que l’honorable membre n’ait voulu faire allusion à notre situation envers la Hollande, je dois le dire, je n’ai pas compris la connexité entre la cause et l’effet qu’il a signalés. Je ne comprends pas que l’élévation d’une fortune maritime puisse être la cause de la ruine d’une fortune industrielle.

Je ne discuterai pas la question politique relative à la Hollande ; elle ne m’effraye pas, alors même que la Hollande prendrait des représailles ; j’en ai dit les motifs dans le comité secret. Mais, en dehors de cette question ou en restreignant la discussion à l’état normal des choses, le commerce maritime ne peut, dans aucun cas, être nuisible à aucune industrie du pays. Le commerce avec les trois autres parties du monde est tout à fait indépendant du commerce international européen. Non seulement l’un n’exclut pas l’autre, mais ils s’exercent sur des articles complètement différents. C’est ainsi que toujours, et dans tous les pays, il s’est constamment développé. Ce sont des échanges entre des articles que chaque pays de notre continent produit contre des articles tropicaux que l’Europe ne produit pas et ne peut produire.

Le commerce maritime ne peut donc, dans tous les cas, qu’être avantageux aux industries, et, dans aucun, il ne peut lui être nuisible. Quant au commerce avec nos voisins, il conserve sa position. Il n’est pas altéré par le commerce maritime. Il s’exerce sur des articles qui ne sont pas les éléments du commerce maritime. Il est fondé sur des besoins mutuels. C’est la raison pour laquelle, contrairement à l’opinion de l’honorable M. Castiau, notre balance commerciale avec la France ne sera pas ébranlée, si nous développons notre commerce maritime. Elle ne sera pas même ébranlée avec la Hollande, si tant est que ce pays n’ait pas recours aux représailles et prenne, comme je le pense, la voie des négociations.

L’erreur de l’honorable membre provient de ce qu’il a confondu cette partie de notre industrie qui s’exporte en Europe avec celle qui se place dans les trois autres parties du monde. Le commerce maritime qui s’exerce sur cette dernière partie de noire industrie laisse l’autre parfaitement intacte ; celle-ci n’en est en rien affectée, elle conserve sa position, tandis que le commerce lointain (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) ne fait qu’accroître nos exportations dans les contrées d’outre-mer.

L’honorable député de Bruxelles ne découvre pas la connexité entre les exportations industrielles que fait le commerce maritime dans les contrées d’outre-mer et entre les retours en marchandises qu’il ramène de ces contrées.

En premier lieu il n’accepte pas le motif qui a été développé dans l’enquête anglaise relativement à la perte que fait souvent l’expéditeur aux colonies sur le change, lorsqu’il se fait solder par des traités. Il pense que le taux du change représente toujours la valeur de la marchandise, ou, ce qui est la même chose, que la vente de la marchandise est calculée sur le taux du change. Cependant, il a admis que cet équilibre est quelquefois rompu. Contester les assertions de l’enquête anglaise est une entreprise assez hardie.

M. Meeus. - Je n’ai contesté que cette partie de l’enquête.

M. de Foere. - C’est de cette partie que je parle en ce moment. J’arriverai tantôt au principe qui a dirigé cette enquête.

J’abandonnerai la question de savoir si réellement ces pertes sur le change sont ou non éprouvées et, à cet égard, je fais une concession gratuite. Mais l’honorable membre n’a pas remarqué que les retours en marchandises coloniales donnent des bénéfices de vente aux négociants armateurs belges, lorsque la législation du pays protège ces retours contre les importations du commerce étranger, et que, sans cette protection, ces bénéfices sont abandonnés à ce dernier commerce. Ensuite, il n’a pas remarqué que si nos négociants-armateurs exportent sans pouvoir faire des retours, tout le fret pèse sur la sortie et rend la concurrence plus difficile sur le marché extérieur. En outre, ils perdent un fret de retour qui est gratuitement concédé au commerce étranger qui importe des mêmes contrées dans nos ports. La connexité de notre industrie, considérée sous ces rapports, avec les retours, me paraît évidente.

En deuxième lieu, l’honorable membre n’admet pas une corrélation directe entre les exportations et les importations, en ce sens qu’une importation ne détermine pas immédiatement (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) une nouvelle exportation. Il veut bien admettre une corrélation indirecte en ce sens que les importations favorisent les exportations d’une manière lente et progressive. Il n’y a, à cet égard, pas de divergence d’opinion entre nous. Nous n’avons jamais soutenu qu’une importation amène toujours et immédiatement une exportation. Nous avons établi la corrélation entre les sorties et les retours dans le sens dans lequel l’honorable membre l’admet lui-même, c’est-à-dire, en ce sens que (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) les importations avantageuses protègent et favorisant les exportations.

C’est aussi dans ce sens que l’enquête anglaise a envisagé cette question. L’Angleterre, dans l’intérêt de son industrie et de son commerce, attache à cette corrélation une importance considérable. Elle porte aujourd’hui cette importance au point de sacrifier ses intérêts coloniaux. Après avoir diminué une première fois les droits qui pesaient sur les denrées des colonies étrangères, sir Robert Peel propose aujourd’hui de les diminuer de la moitié du taux actuel, afin que le commerce anglais puisse faire des retours en consommation intérieure en cafés et en sucres qui ne sont pas les produits des colonies anglaises. Ce résultat a été amené par l’enquête. C’est même cette nécessité de faire des retours en faveur de l’exportation de l’industrie anglaise, qui a présidé à toute la partie de l’enquête, qui a pour objet le commerce anglais avec les contrées lointaines. Il a été affirmé deux fois dans l’enquête, sans que l’assertion ait été contredite, que le commerce anglais aurait exporté le double de la valeur de ses exportations au Brésil, s’il avait pu ramener de ce pays des sucres et des cafés en consommation intérieure ; cependant, il exportait déjà dans ce pays pour une valeur moyenne de cent millions. Toutefois, pour le succès de ses opérations, il faisait des retours du Brésil, mais il était forcé, soit de les entreposer chez lui, soit de les jeter dans les entrepôts d’Europe, soit enfin, de les vendre à Cowes. Il échangeait ainsi les produits du pays contre des produits coloniaux qu’il nous vendait en partie. M. le ministre de l’intérieur vient de vous expliquer combien ces placements chez nous nous contrarient nos propres exportations, en nous enlevant des éléments nécessaires à nos propres échanges.

Le cabinet whig avait été renversé en partie parce qu’il voulait modifier la législation coloniale de l’Angleterre dans l’intérêt de ses exportations. Le cabinet tory, converti à la nécessité de retours, admet aujourd’hui la corrélation dans le même but.

L’honorable M. Lesoinne a très bien exposé la nécessité d’établir des comptoirs belges sur les principaux centres de commerce des autres parties du monde, afin que les relations directes, les échanges, les opérations de solde et d’achats soient possibles. Nous n’en possédons pas actuellement, parce que nos relations, nos exportations et (erratum Moniteur belge n°136, du 15 mai 1844 :) nos échanges sont trop peu développées. Ils n’auraient pu supporter les frais d’un comptoir. Lorsque, par la différence des droits d’importation, ces différents intérêts auront pris plus d’extension, les subsides du gouvernement viendront à l’aide pour établir ces agences commerciales.

L’honorable M. Meeus a proposé d’admettre seulement aujourd’hui le principe et de reculer l’application à la session prochaine. Je ne puis admettre cette proposition. Dans six mois, dans un an, le pays se trouvera dans la même situation envers la Hollande, et l’industrie ne changera pas de position à l’intérieur. Depuis dix ans, la question traîne à travers la chambre et le pays. Si elle n’est pas comprise, ce n’est pas faute de temps et de documents. J’ai dit.

M. Pirmez. - C’est la petite discussion qui a eu lieu entre l’honorable M. Meeus et l’honorable ministre de l’intérieur qui me détermine à prendre la parole. Je crois que ces deux honorables membres sont parfaitement d’accord sur la manière dont les choses se passent, dont les denrées coloniales sont introduites dans le pays.

L’honorable ministre a pris un exemple ; il a dit que l’Angleterre exporte des produits manufacturés au Brésil, que là elle prend des denrées coloniales et que, ne pouvant les consommer chez elle, elle les déverse sur notre marché. Il en est resté là de sa démonstration. Nous voyons bien là ce que reçoivent les Brésiliens, ce que reçoivent les Anglais qui ensuite vendent ces produits aux Belges ; mais nous ne voyons pas en quoi paient les Belges.

Plusieurs membres. - Mais en écus !

M. Pirmez. - Comment se procurent-ils ces écus ? Qu’ils payent en écus ou en produits, c’est fort indifférent. Pour avoir des écus, il vous faut bien vendre des produits, puisque vous n’avez ni mines d’or, ni mines d’argent. Ce sont donc nos produits, ou leur prix, que nous donnons en partie aux Anglais, en partie aux autres peuples qui se chargent de payer les Anglais, pour les denrées coloniales que nous recevons du Brésil indirectement. C’est ainsi que nous fournissons du lin aux Anglais, de la houille, du fer et d’autres produits encore aux Français, aux Hollandais. Nous soldons ainsi les denrées que nous envoie le Brésil ; car certainement vous ne prétendez pas qu’il nous donne ses denrées pour rien ; il faut bien les solder.

Si l’on prétend qu’il n’en est pas ainsi, je voudrais bien que l’on discutât là-dessus ; ce point est important, ii vaut bien la peine qu’on le discute.

Si vous faites venir directement du Brésil pour 50 millions de denrées coloniales et que vous les payiez directement au Brésil, vous ne pourrez plus payer ces 50 millions en produits que vous payez maintenant à la France, à la Hollande, à l’Allemagne et autres puissances de l’Europe. Le résultat de votre système sera donc une perturbation dans la nature de votre production.

L’honorable M. Meeus a dit que l’on gagnerait 20 millions sur le transport du café. Je crois que ce n’est qu’une supposition. (M. Meeus fait un signe affirmatif.) Autrement, cette assertion demanderait une démonstration.

Notre commerce ne sera donc pas sauf et entier avec les puissances du continent, ainsi que l’a dit l’honorable M. de Foere. S’il y a payement direct avec nos produits au Brésil, il n’y a plus payement indirect, par nos produits, aux autres nations. Si vous payez d’une manière, vous ne payez pas d’une autre manière.

D’ailleurs, il est à remarquer que la consommation de certains produits est bornée. On a cité l’Angleterre. Si l’Angleterre introduit chez elle une certaine quantité de denrées coloniales du Brésil, elle n’importera plus la même quantité de produits de ses propres colonies. Elle ne peut pas plus que nous consommer du café.

On a parlé beaucoup des avantages que retirent les peuples qui nous sont étrangers d’un système qui n’est pas le nôtre. On vous a vanté la France qui fait bien plus d’importation en pays étranger que vous n’en faites. Cela prouve-t-il que la France fait un plus grand bénéfice que vous ? Vous pouvez certainement retirer un bénéfice du commerce, que vous nommez indirect, plus considérable que d’un commerce direct. Ces opérations dépendent de notre position géographique, de la nature de notre sol, de notre production et de nos mœurs. On a répété souvent que nous étions de grands consommateurs, bien plus grands consommateurs que nos voisins les Français. Cet énoncé ne fait pas la critique du système actuel ; car, pour consommer les choses utiles ou agréables, il faut les posséder et on ne se les procure pas avec une législation commerciale et industrielle déraisonnable.

On a dit que nos exportations en Europe diminuent. Je crois qu’il n’en est rien. J’ai la conviction que nos exportations en Europe augmentent.

Je pense qu’il conviendrait d’attendre que l’on fût mieux éclairé, avant d’établir le nouveau système. Le temps et la réflexion démontreraient qu’il sera nuisible.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si l’objection qui a servi de point de départ à l’honorable préopinant était fondée, il ne faudrait pas même chercher à donner de l’extension à nos relations transatlantiques. Les denrées coloniales que nous recevons, nous les payons, t-il dit, par la vente de certains produits qu’il a indiqués. Mais avons-nous vendu ces produits à ceux qui nous fournissent ces denrées coloniales, soit à ceux qui les produisent, soit à ceux qui les importent ? Non ; et pourquoi ne le faisons-nous pas ? Je demanderai pourquoi nous ne pourrions pas vendre des armes et des tissus de lin et de coton en Europe et en Amérique. Est-ce que la vente en Europe exclut la vente en Amérique ? Ne pourrions-nous pas subvenir à cette double vente ? Ne produisons-nous pas assez ?

Nous vous indiquons le moyen, non pas de nous passer de la vente de nos armes, de nos tissus en Europe, mais d’ajouter à cette vente la vente des mêmes articles en Amérique Le moyen, c’est d’avantager les retours que nous demanderons par nous-mêmes à l’Amérique.

M. Pirmez. - Avec quoi nous payera-t-on ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On nous payera avec les retours que nous placerons nous-mêmes en Europe, que nous consommerons nous-mêmes, au lieu d’aller les demander au commerce anglais, par exemple, lequel ne nous demande rien. Voilà toute la question que l’honorable préopinant ne veut pas voir.

C’est la question de l’extension de nos relations directes avec l’Amérique. C’est un point que l’honorable membre met en doute, et ici il se sépare même de l’honorable M. Meeus. L’honorable M. Meeus ne met pas le développement de nos relations transatlantiques en doute, il désire que nos relations avec l’Amérique puissent prendre de l’extension ; mais, ce qui l’effraie, c’est le moyen qu’on propose en ce moment ; l’honorable M. Pirmez va beaucoup plus loin, il met en doute l’utilité du but qu’on veut atteindre.

Voilà les seules observations que je voulais faire pour le moment, l’heure étant trop avancée.

- La chambre remet à demain la suite de la discussion.

La séance est levée à 4 heures et demie.