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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 mars 1844

(Moniteur belge n°73, du 13 mars 1844)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à 1 heure.

M. de Renesse lit le procès-verbal de la séance précédente, la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Rowet, ancien préposé des douanes de première classe, demande une augmentation de pension ou sa commission pour faire de nouveau son service dans la douane. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Marchand prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à ce que l’église à construire à Bauffe soit bâtie sur l’emplacement de l’ancienne église ou sur un terrain communal. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Dewael, Vermoelen et Schram, agents de la Société de commerce des Pays-Bas en liquidation, réclame contre la décision de la commission de liquidation qui a rejeté leur demande en indemnité du chef des pertes essuyées par suite de l’incendie de l’entrepôt d’Anvers. »

- Même renvoi.


M. Zoude informe la chambre qu’il est obligé de se rendre chez lui par suite de l’indisposition de son épouse, et qu’il ne peut assister aux travaux de la chambre.

- Pris pour information.

Motion d"ordre

Mise à l'ordre du jour des conclusions de la commission d'enquête parlementaire sur la situation du commerce extérieur

M. Rogier. - Messieurs, nous aurons à discuter, à la rentrée des vacances de Pâques, le système commercial et industriel du pays. Un des documents les plus importants pour cette discussion, ce serait, messieurs, le tarif belge et surtout le tarif belge comparé aux tarifs d’autres pays. Depuis 1833, on n’a plus imprimé la collection des tarifs. A cette époque, j’avais fait distribuer à la chambre les tarifs belges, prussiens et français comparés. Mais depuis lors ces tarifs ont subi beaucoup de modifications, de sorte que, lorsqu’on a des recherches à faire, on s’expose à rencontrer des documents inexacts, parce qu’on n’a pas sous les yeux toutes les modifications qui ont eu lieu dans ces trois pays.

Je demanderai si la chambre ne jugerait pas utile d’inviter M. le ministre de l’intérieur, qui pourrait s’entendre, au besoin, avec le bureau, à faire réimprimer ces trois tarifs et à y joindre le tarif anglais, le tarif américain et le tarif hollandais.

Les chambres et les administrations trouveraient dans un pareil document les renseignements les plus intéressants. Chacun de nous se trouve souvent arrêté quand s’agite une question commerciale et industrielle, faute de documents complets et officiels. Un pareil recueil pourrait servir à toutes les discussions relatives à ces grands intérêts. Bien entendu que chaque année, le gouvernement ou la chambre aurait soin de faire imprimer sur feuilles supplémentaires les modifications introduites soit dans le tarif belge, soit dans les tarifs étrangers.

Si le budget de l’intérieur ne pouvait suffire à la dépense, la chambre pourrait y concourir. Je m’en rapporterai d’ailleurs volontiers aux soins de M. le ministre de l’intérieur, très expert en ces matières, pour obtenir un recueil aussi complet que possible.

Je regarde ce document comme indispensable pour la discussion que le pays attend de nous. Si les frais d’impression étaient trop considérables, on pourrait, pour les diminuer, autoriser l’imprimeur à mettre ce recueil en vente.

Je fais donc la proposition que le ministre de l’intérieur, d’accord avec le bureau, fasse imprimer les tarifs comparés des divers pays, en y joignant les principales dispositions de leur législation commerciale. Comme le travail sera d’assez longue haleine, j’en fais la proposition un mois d’avance.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regrette que la proposition de M. Rogier n’ait pas été faite depuis longtemps ; car je crains que le mois qui nous sépare du jour de la discussion ne suffise pas. Il y a ici deux questions ; la question d’argent d’abord ; je pense qu’il faudrait que l’impression se fît aux frais de la chambre, d’autant plus qu’il y aurait aussi des frais extraordinaires de rédaction.

Il me serait impossible de faire faire ce travail sans avoir recours à des employés que je n’ai pas au ministère de l’intérieur, sans faire venir, par exemple, quelques personnes d’Anvers.

Je dis donc qu’il y a une deuxième question, celle de rédaction. Il faut que ce travail se fasse promptement et j’ai même des doutes sur la question de savoir si cette rédaction et cette impression pourra être achevée dans le délai d’un mois.

Du reste, si la chambre exprime le désir d’avoir ce recueil, je m’entendrai avec la questure et je ne négligerai rien pour satisfaire au vœu de l’assemblée.

M. de Foere. - Je n’ai pas bien compris le but pour lequel l’honorable M. Rogier a demandé l’impression des tarifs étrangers. Je dois prévenir la chambre que ces tarifs n’entrent pour rien dans le fonds de la question maritime. Il suffit, pour que la chambre puisse être éclairée, que le gouvernement produise le système maritime que les différentes nations suivent.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est ce que je ferai.

M. de Foere. - Le gouvernement est depuis longtemps en possession de la plupart de ces documents ; ils ont été envoyés aux chambres de commerce.

Quant aux tarifs et aux droits de protection des industries de chaque pays, ils n’entrent pour rien dans la question maritime.

M. Rogier. - Il ne s’agit pas seulement de la question maritime ; il s’agit aussi de la question industrielle. L’honorable M. de Foere nous a cité constamment la législation de tous les pays.

M. de Foere. - L’honorable M. Rogier a parlé de la discussion du système des droits différentiels et il a demandé l’impression des tarifs étrangers ; et c’est sur cette base que j’ai fondé mon observation. Je le répète, ces tarifs n’ont aucun rapport avec la question dont la chambre doit s’occuper à la première séance après les vacances de Pâques.

M. Cogels. - Messieurs, il est vrai que, pour discuter le système commercial, les tarifs ne sont pas inutiles ; c’est-à-dire que si ces tarifs ne nous sont pas nécessaires pour la discussion du principe, ils nous seront indispensables pour l’application. Car lorsqu’une fois nous aurons consacré le principe, il faut bien espérer que nous ne ferons pas un travail incomplet ; que nous établirons un système général qui pourra avoir quelque chance de durée, et que nous ne serons pas obligés, comme nous le sommes maintenant, de faire des modifications annuelles qui jettent l’incertitude dans le commerce et empêchent les relations commerciales de prendre les développements que nous voudrions leur voir obtenir. Je trouve donc que, sous ce rapport, la motion de l’honorable M. Rogier est très utile, et que la production des documents qu’il demande est indispensable, si nous voulons faire un travail complet, un travail qui ne soit pas imparfait.

M. Rogier. - Je ne pense pas que l’honorable M. de Foere veuille s’opposer à ce qu’on donne à la chambre connaissance des tarifs des pays étrangers. Je crois que cette publication nous sera utile en tout état de choses.

D’ailleurs les documents que je demande pourront aussi nous aider dans la discussion de la question maritime, puisque j’ai prié M. le ministre de l’intérieur de joindre aux tarifs un extrait de la législation commerciale des différents pays. Mais il a été entendu que l’on ne s’occuperait pas seulement de la question maritime, que l’on examinerait aussi la question commerciale et industrielle, et c’est surtout pour la législation industrielle que la connaissance des tarifs, tels qu’ils existent aujourd’hui, nous est nécessaire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je suis très disposé, si la chambre en exprime le désir, à faire ce que demande l’honorable M. Rogier.

Quant au système maritime, mon intention est d’exposer, au début de la discussion, le système maritime des différents pays. Je ne puis faire imprimer cet exposé à l’avance.

Je demande, messieurs, qu’on ne statue pas aujourd’hui, quant aux tarifs des douanes. Je dirai dans quelques, jours de quelle manière je conçois que ce travail peut être exécuté. Je ne puis m’engager à une chose impossible. Je prie l’honorable M. Rogier d’être bien convaincu que je sens comme lui qu’il faut aux membres de la chambre un recueil des tarifs comparés. Il ne s’agit pas ici de réimprimer les tarifs des pays étrangers, le volume serait énorme, et pour manier ce volume, il faudrait une étude toute particulière. Le tarif de l’Angleterre seul forme plusieurs volumes.

Il faudrait donc réduire les divers tarifs en une espèce de manuel en prenant pour base, quant à la classification, celui de Belgique. Je ne pourrai dire à la chambre que dans quelques jours, peut-être après-demain, de quelle manière je pense que l’exécution de ce travail est possible.

M. de Foere. - S’il s’agit d’étendre la discussion actuelle aux droits de protection de notre industrie intérieure, et si la chambre a l’intention de s’en occuper immédiatement après la question maritime, je conçois qu’on demande l’impression des tarifs des autres pays ; mais, je dois le répéter pour la question maritime, cette impression n’est pas nécessaire ; car tous les articles qui font l’objet de la discussion de la question maritime, sont des articles exotiques.

Ce qui m’a porté à présenter mes observations, c’est que j’ai craint que la discussion ne fût encore reculée par suite de l’impression qu’on demande. Il s’agit, en effet, d’un travail immense qui occuperait plusieurs volumes et pourrait fort bien réclamer plusieurs mois.

M. Rogier. - L’honorable M. de Foere a donné à entendre que je voulais ajourner la discussion des conclusions de l’enquête commerciale.

M. de Foere. - Pardonnez-moi.

M. Rogier. - Je m’y suis pris un mois d’avance précisément pour que la discussion ne soit pas ajournée.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je pense qu’à Anvers, il y a un libraire qui a un tarif belge qui est ce qu’on appelle cliché. On pourrait peut-être s’entendre avec lui pour ajouter quelques colonnes. Je verrai de quelle manière le travail peut être exécuté. Dans deux ou trois jours je dirai à la chambre ce qu’il est possible de faire.

Projet de loi sur le domicile de secours

Rapport de la section centrale

M. Thyrion présente le rapport de la section centrale qui a été chargée d’examiner le projet de loi sur le domicile de secours.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion du projet.

Projet de loi qui autorise le gouvernement à ouvrir un emprunt de 84,656,000 francs

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à contracter un emprunt pour le rachat d’une partie de la dette, mise à la charge de la Belgique par le traité conclu avec la Hollande. Nous en sommes arrivés à l’art. 2, qui est ainsi conçu :

« Art. 2. L’amortissement, qui sera établi en vertu de la présente loi, se fera par le gouvernement, à Bruxelles ou à Anvers.

« Son action sera suspendue lorsque les obligations seront cotées au-dessus du pair aux bourses de ces deux villes.

« Les fonds de la dotation de cet amortissement, qui, par suite de la disposition qui précède, seront restés sans emploi, serviront à la réduction de la dette flottante jusqu’à son entière extinction, et ultérieurement à telle autre destination qui sera déterminée par la loi.

« Le payement des intérêts aura lieu en Belgique. »

- Cet article est adopté sans discussion.

Articles 3 et 4

« Art. 3. Les nouveaux titres à créer seront, préalablement à leur émission, soumis au visa de la cour des comptes. »


« Art. 4. Un crédit de soixante-dix mille francs (70.000) est ouvert au département des finances pour couvrir les frais de matériel et de confection des titres qui seront créés en vertu des dispositions de la présente loi. »

- Ces articles sont également adoptés sans discussion.

Article 5

« Art. 5. Le ministre des finances rendra aux chambres un compte détaillé de l’exécution des dispositions de la présente loi. »

M. Delehaye. - Je n’ai pas demandé la parole, messieurs, pour combattre le projet de loi en discussion. Le règlement s’oppose à ce que je rentre dans la discussion générale. J’ai à faire une observation que j’aurais à présenter dans la discussion de l’art. 1er, mais il m’a été impossible d’assister à la séance d’hier, et par conséquent de prendre part à cette discussion.

Par le traité du 5 novembre 1842, le gouvernement hollandais a contracté l’obligation de ne plus faire servir le canal de Terneuzen qu’à la navigation, et de faire exécuter certains travaux pour faciliter l’écoulement des eaux qui a eu lieu jusqu’à présent par ce canal. C’est cette disposition qui a engagé beaucoup de députés des Flandres à adopter le traité. Eh bien messieurs, je regrette de devoir le dire, jusqu’à présent la Hollande n’a rien fait qui puisse faire croire qu’elle a l’intention d’exécuter la disposition que je viens de rappeler. J’appelle sur ce point l’attention du gouvernement, et j’espère bien qu’il n’entrera pas en négociation avec la Hollande, pour le rachat de la dette, avant d’avoir acquis la certitude que le gouvernement hollandais remplira fidèlement les obligations que le traité lui impose.

M. Rogier. - Je regrette, messieurs, que l’art. 2 ait été voté avec tant de promptitude et sans observations. Cet article est en quelque en contradiction avec l’art 7 de la loi sur la conversion dans lequel l’amendement de M. d’Huart a introduit un système autre que celui qui est consacre par l’art. 2 du projet en discussion. Je n’ai pas approuvé l’amendement de M. d’Huart, je préfère la proposition du gouvernement qui est reproduite dans l’art 2, mais je dois faire observer à la chambre qu’il y a quelque chose de bizarre à adopter deux principes différents dans deux lois de même nature, faites à deux jours d’intervalle. Je ne sais pas s’il ne serait pas désirable que l’on pût revenir sur l’art. 7 de la loi sur la conversion.

M. le président. - M. Rogier fait-il la motion de revenir sur l’art. 7 de la loi relative à la conversion ?

M. Rogier. - Je n’en fais pas la proposition, mais j’appelle l’attention de la chambre sur cette espèce de bigarrure que présentera l’art. 7 de la loi sur la conversion rapproché de l’art. 2 du projet qui nous occupe.

M. le président. - Si vous ne faites pas de proposition formelle, nous devons en revenir à la discussion de l’art. 5.

M. Delehaye. - Je demanderai si le gouvernement n’a rien à dire sur l’observation que j’ai eu l’honneur de faire. Il s’agit d’une affaire de la plus haute importance. Je désire que rien ne soit fait relativement au rachat de la dette, avant qu’on ait acquis la certitude que la Hollande remplira les obligations, notamment en ce qui concerne les travaux à exécuter pour faciliter l’écoulement des eaux des Flandres.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regrette que mon collègue des affaires étrangères ne soit pas présent ; il pourrait donner des explications à l’honorable membre. Quant à moi, je ne sache pas que le gouvernement hollandais ait refusé en quoi que ce soit de remplir les obligations que lui impose le traité. Du reste, le gouvernement veillera ce que toutes les stipulations du traité reçoivent leur exécution. Je le répète, je regrette l’absence de M. le ministre des affaires étrangères ; il connaît les faits dont il s’agit, et qui sont inconnus des autres membres du cabinet. Toutefois, j’ai lieu de croire que le gouvernement hollandais se gardera bien de ne pas exécuter les travaux signalés par l’honorable M. Delehaye, car il y a certaines sommes qui ne seront payées qu’après l’exécution de ces travaux. Je n’ai pas sous les yeux le traité du 5 novembre, mais je me rappelle fort bien que le payement de certaines sommes est subordonné à l’exécution des travaux dont il s’agit et dès lors le gouvernement hollandais a le plus grand intérêt à remplir sous ce rapport ses obligations. Dans tous les cas, nous veillerons à ce que le traité soit fidèlement exécuté.

M. Delehaye. - Je tiens de personnes qui ont été sur les lieux que jusqu’à présent les travaux à faire par la Hollande n’ont pas encore le moindre commencement d’exécution ; cependant ces travaux doivent être achevés dans huit mois. Cet objet, je le répète, est de la plus haute importance pour la Belgique. On dit que nous devons payer à la Hollande certaines sommes que nous pourrons retenir aussi longtemps qu’elle n’aura pas satisfait à ses obligations. Mais, messieurs, comme nous l’avons fait observer dans la discussion, la Hollande s’est réservé tous les avantages certains et immédiats, tandis qu’il ne nous a été accordé que des avantages dont la réalisation doit se faire attendre. Les bénéfices que le traité assure à la Hollande sont tellement considérables que, pour le dispenser de faire les travaux dont j’ai parlé, elle consentira volontiers à perdre non seulement les 400,000 florins auxquels M. le ministre de l’intérieur a fait allusion, mais encore les 80 millions qui resteront à racheter après l’opération dont nous nous occupons en ce moment. Si donc vous faites cette opération, vous n’aurez plus des moyens suffisants pour contraindre la Hollande à remplir ses obligations.

M. Cogels, rapporteur. - Messieurs, la question soulevée par l’honorable M. Delehaye est sans doute très intéressante, mais je crois qu’elle est complètement étrangère à l’objet qui nous occupe. Elle aurait peut-être pu trouver sa place dans la discussion de l’article 1er où il s’agissait du principe de la capitalisation ; mais si la chambre a adopté cet article à l’unanimité (car il n’y a eu aucune objection), c’est précisément parce qu’elle a jugé que toutes les stipulations relatives à la dette étaient si formellement exprimées, qu’elles ne pouvaient plus exercer aucune influence sur l’exécution du traité avec la Hollande, car on a fait là une distinction complète entre la rente de 400,000 florins et le surplus de la rente de cinq millions de florins qui pouvait être transféré par la Hollande, et qui, une fois transféré, ne la concernait plus ; en effet, une fois le transfert fait, la Belgique n’aura plus de recours contre la Hollande ; elle ne pourrait l’exercer non plus contre les nouveaux titulaires.

Je pense que cet objet est étranger à celui qui nous occupe. Mais, puisqu’on est rentré dans une espèce de discussion générale, je demanderai à faire une communication propre à rassurer la chambre sur la seule disposition de la loi qui n’a pas été adoptée à une très forte majorité, celle relative au paiement des intérêts à Paris. On a craint que cela n’exerçât une influence fâcheuse à Paris. Pas du tout ; depuis que le vote de la loi est connu, nos fonds ont monté. Avant ce vote, ils étaient à 104 1/2, hier, ils ont monté à 105 1/4. Cela est propre à rassurer les honorables membres sur l’effet que cette loi devait produire sur les rentiers français.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai maintenant sous les yeux le traité du 5 novembre. Je demanderai à la chambre la permission de lui donner lecture de l’article qui est dénoncé comme n’étant pas exécuté de la part de la Hollande.

L’article 20 porte :

« B. Le gouvernement des Pays-Bas fera exécuter, par ses soins et à ses frais, les travaux nécessaires pour obtenir le résultat ci-dessus et créer de nouveaux écoulements à toutes les eaux qui se jettent actuellement dans la partie inférieure du canal de Gand à Terneuzen, et venant, soit de la Belgique, soit des Pays-Bas, à l’exception de celles dont il a été parlé au § a ci-dessus.

« Pendant les deux années qu’exigera l’exécution des susdits travaux, les ouvrages d’art, établis sur le canal de Gand à Terneuzen, seront manœuvrés dans l’intérêt des deux pays, et de la même manière que la chose avait lieu avant 1830. »

Voilà l’obligation imposée à la Hollande.

L’article 23 porte :

« Art. 23. En considération des dépenses que les Pays-Bas supporteront de ce chef et du chef des travaux désignés dans le paragraphe b de l’art. 20, la Belgique s’oblige à payer aux Pays-Bas une somme annuelle fixée à 25,000 fl. pendant le temps qui s’écoulera entre la date du présent traité et le moment où tous les ouvrages mentionnés dans le paragraphe b de l’art. 20 seront complètement en état de satisfaire à leur destination, et à 50,000 fl. à partir de cette époque. »

Vous voyez donc qu’à partir du jour où le traité deviendra exécutoire nous avons dû payer à la Hollande une rente de 25 mille florins par an. A partir de l’époque où les travaux seront achevés, la rente sera portée à 50 mille florins.

Aussi, comme je le disais tout à l’heure, la Hollande a un grand intérêt à exécuter les travaux. (Interruption.) Je sais bien que les travaux seront plus coûteux, mais outre l’intérêt que je viens de signaler, il y a une obligation imposée à la Hollande, et cette obligation, certes elle l’a remplira. D’ailleurs cette stipulation est placée sous la garantie d’une autre clause, qui est le paiement des 400,000 florins.

M. Delehaye. - Messieurs, je regrette vivement de n’avoir pu assister à la séance d’hier dans laquelle on a voté l’art. 1er du projet de loi actuellement en discussion ; j’ai été retenu à Gand par la cérémonie qui y a eu lieu hier.

Messieurs, il n’est pas exact de dire que l’objet dont je viens d’entretenir la chambre est étranger à l’objet actuel de la délibération ; mon interpellation y est tellement inhérente, que M. le ministre des finances ne pourrait s’empêcher de répondre affirmativement à la question que je vais lui adresser.

Dans la supposition que le gouvernement hollandais vînt dire aujourd’hui à la Belgique : « Je n’entends pas me soumettre aux stipulations de la convention que j’ai faite avec vous, » le gouvernement belge ne se refuserait-il pas, non seulement à payer les 400,000 fr. mais encore à inscrire à notre grand-livre les deux millions de florins ?

Vous voyez donc que mon observation n’était pas étrangère au projet de loi en discussion ; j’étais donc dans mon droit, en demandant la parole sur l’article ; mais ce qui m’a un peu étonné, c’est d’avoir été rappelé à la question par l’honorable M. Cogels qui, immédiatement après est venu nous parler de ce qui s’est passé à Paris, relativement à un objet qui se rattache à une loi votée il y a quelques jours. Je ne fais pas un reproche à l’honorable membre d’avoir entretenu la chambre de cette question étrangère au débat, mais je tenais à relever l’espèce d’inconséquence dans laquelle est tombé l’honorable membre, en me faisant à tort un reproche auquel lui-même donnait lieu avec plus de raison à l’instant même.

M. Cogels, rapporteur. - Je ne vous fais aucun reproche.

M. Delehaye. - Je demanderai donc au gouvernement si, avant de sanctionner le projet de loi, il n’exigera pas de la Hollande qu’elle fasse exécuter les travaux qui sont à sa charge, en vertu de la convention.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je ne répondrai pas à l’interpellation de l’honorable M. Delehaye : M. le ministre de l’intérieur doit l’avoir satisfait sur ce point ; mais je ne puis laisser sans observation quelques paroles de l’honorable membre. Il pense que nous pourrions nous dispenser de l’inscription des 2 millions de florins, et que la loi actuelle peut avoir pour effet de sanctionner le payement des 2 millions.

L’honorable membre est complètement dans l’erreur : le transfert de ces 2 millions à notre grand-livre est effectué ; rien ne peut nous dispenser du payement de cette rente.

Le projet de loi en discussion tend seulement à autoriser le gouvernement à user de la faculté réservée par les dispositions de l’art. 63 du traité, c’est à dire de capitaliser à notre profit l’inscription des 2 millions de florins ; mais que le projet de loi soit ou non voté, notre position sous le point de vue indiqué par l’honorable membre reste absolument la même.

M. Rogier. - L’honorable rapporteur de la section centrale n’a pas rencontré l’observation que j’ai faite, sur l’inconséquence que nous allions commettre dans la loi en discussion. Je demanderai à l’honorable membre s’il ne trouve pas un remède à la bigarrure que j’ai signalée.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je n’ai pas répondu tout à l’heure à l’observation de l’honorable M. Rogier, parce que j’ai pensé qu’il était inutile de prolonger la discussion. Je rappellerai à l’honorable membre que si je me suis rallié à l’amendement de l’honorable M. d’Huart, c’est que ses conséquences seront à peu près les mêmes que celles qui devaient découler de la disposition primitive du projet de loi. L’amendement ne différait pas essentiellement de cette disposition, car, ainsi que je l’ai fait remarquer, il donnera lieu à une diminution de bons du trésor dans la proportion des capitaux qui s’accumuleront dans la caisse de l’Etat.

Si après les huit années pendant lesquelles les obligations à 4 1/2 p. c. ne pourront être remboursées au pair, une somme de six millions, par exemple, se trouve accumulée ; il est vrai que ces six millions, d’après l’amendement adopté, devront être portés en déduction du capital de l’emprunt, mais s’il reste un découvert de même somme, rien n’empêchera que la chambre n’autorise de le convertir en dette consolidée. Le résultat sera donc le même que si la réduction primitive avait été conservée. La question soulevée par l’honorable membre est donc sans importance.

M. Cogels, rapporteur. - Je n’ai pas demandé la parole sur l’article deux, parce que je voyais qu’il ne rencontrait aucune opposition, et que cette bigarrure, qui a été signalée par l’honorable M. Rogier, ne peut exister dans le fait, car la question n’est pas la même. Dans l’art. 7 du projet de loi qui a été voté samedi, il s’agissait de déshériter de leur amortissement deux fonds pour lesquels il y avait eu une affectation spéciale. Ici, au contraire, il s’agit de la capitalisation d’une rente qui n’est dotée d’aucun amortissement.

D’après les explications qui ont été données par M. le ministre des finances, il ne se propose pas d’affecter à l’emprunt une dotation d’un p. c. ; dès lors, en tout cas, la dotation sera moindre. La suppression de l’amortissement de cet emprunt ne présenterait pas non plus les mêmes inconvénients qu’avait signalés l’honorable M. d’Huart pour les autres emprunts.

En effet, ce serait seulement maintenir vis-à-vis de cette partie de la dette le statu quo, c’est-à-dire la création d’un fonds nouveau sans amortissement en remplacement d’un fonds existant actuellement sans amortissement.

Vous voyez donc, messieurs, qu’il n’y a pas, dans le fait, bigarrure, et qu’on pourra très bien s’expliquer la différence de rédaction. Nous pouvons dès lors, sans inconvénient, laisser subsister les dispositions de l’art. 2 du projet de loi actuellement en discussion,

M. Rogier. - Dans les deux projets de la section centrale, la rédaction était la même.

M. Cogels, rapporteur. - Elle était la même, parce que nous avions pris les mêmes dispositions pour les deux projets, mais la chambre a cru voir dans le projet de loi précédent des inconvénients qui n’existent pas pour celui que nous discutons. Et si l’on avait proposé à la section centrale, dès le principe, de rédiger l’art. 2 du projet actuel de la même manière qu’a été formulé, en dernier lieu, l’art. 7 du projet précédent, nous aurions examiné la question et probablement n’aurions-nous pas suivi littéralement la même rédaction.

M. Coghen. - La remarque qu’on vient de faire à la chambre est très fondée. Nous avons rejeté samedi la rédaction de la section centrale, et nous avons adopté la rédaction proposée par l’honorable M. d’Huart. J’ai fait observer alors qu’il n’y avait pas une différence bien essentielle, et, qu’en définitive, le résultat serait à peu près le même ; mais il n’en est pas moins vrai que l’article que nous avons rejeté samedi dernier, en le remplaçant par un autre, nous l’avons accepté aujourd’hui, au milieu des causeries. Il doit effectivement en résulter une espèce de bigarrure.

- Personne ne demandant plus la parole, l’art. 5 est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi.

60 membres répondent à l’appel ;

52 répondent oui ;

3 répondent non ;

5 s’abstiennent.

En conséquence la chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis au sénat.

Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à énoncer les motifs de leur abstention.

M. de Garcia. - Je me suis abstenu parce que je n’ai pas pu me rendre à la séance d’hier.

M. Desmet. - Dans les circonstances actuelles le rachat par la capitalisation d’une partie de la dette hollandaise peut avoir un avantage pécuniaire pour l’Etat, mais je crains que cela nous prive d’une garantie de l’exécution fidèle du traité avec la Hollande. D’un autre côté, pour autoriser un emprunt, j’aurais voulu avoir la garantie de la concurrence et de la publicité ou de la souscription publique.

M. d’Elhoungne. - Je me suis abstenu parce qu’il m’est impossible de donner mon assentiment à l’interprétation donnée par M. le ministre des finances, au traité fait avec la Hollande le 5 novembre 1842. En effet, M. le ministre vous a dit que, selon lui, un véritable transfert avait déjà eu lieu a raison des quatre-vingt millions de florins dont la conversion vient d’être votée ; qu’ainsi une véritable novation avait eu lieu ; et qu’il s’ensuivait que, quelque fût l’inexactitude de la Hollande à remplir les obligations résultant pour elle du traité, la Belgique n’aurait aucun moyen de l’y contraindre en se refusant, de son côté, soit au payement des quatre-vingt millions de florins en capital, soit au service de la rente.

Je pense que M. le ministre, loin de donner une pareille interprétation au traité, aurait dû mûrement l’examiner, s’exprimer avec réserve ; et qu’alors même qu’un doute aurait pu s’élever sur cette interprétation, M. le ministre n’aurait pas dû trancher ce doute contre le pays et en faveur de l’étranger. Messieurs, si cette question avait été soulevée hier, sans doute que plusieurs d’entre nous n’auraient pas voté pour le projet de loi ; quant à moi, j’ai trop à cœur de ne pas désarmer le gouvernement vis-à-vis du mauvais vouloir possible de la Hollande, pour approuver, par le vote de la loi de conversion, l’opinion émise par M. le ministre des finances. Je dois donc m’abstenir.

M. Eloy de Burdinne. - Je me suis abstenu par les motifs énoncés par M. Desmet et j’adhère à ceux exprimés par M. d’Elhoungne.

M. Wallaert. - Je me suis abstenu parce que je n’ai pas pu assister à la discussion.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) - Je pense que l’honorable M. d’Elhoungne a entendu parler des travaux à faire, au canal de Terneuzen pour concilier les intérêts de la navigation et du dessèchement du pays. Je puis déclarer que le gouvernement hollandais s’occupe très activement des projets relatifs à ces travaux et qu’on ne tardera pas à mettre ces derniers en adjudication. J’en ai reçu avis du ministre des Pays-Bas.

Ont répondu oui : MM. de Chimay, de Florisone, de Foere, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Muelenaere, Deprey, de Renesse, de Saegher, de Sécus, de Tornaco, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, Donny, Duvivier, Fleussu, Henot, Huveners, Jadot, Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Lys, Malou, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Sigart, Situons, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, d’Anethan, Verwilghen, Vilain XIIII, de Haerne, Cogels, Coghen, Coppieters et Liedts.

Ont répondu non : MM. Delehaye, Verhaegen et Castiau.

Projet de loi sur les pensions civiles et ecclésiastiques

Discussion générale

M. de Garcia. - Messieurs, avant d’ouvrir cette discussion, je pense qu’il serait utile de savoir si le gouvernement se rallie au projet de la section centrale ou s’il maintient son projet primitif, car la discussion ne peut avoir lieu utilement qu’autant que le gouvernement s’exprime à cet égard.

M. le président. - Je comptais, après la discussion générale, demander à M. le ministre s’il se rallie au projet de la section centrale.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, je désire ne devoir me prononcer que lors de la discussion de chaque article. Il y a des amendements auxquels je puis me rallier ; mais il en est d’autres que je ne puis pas admettre ; je ne serai à même de me prononcer que dans le cours de la discussion et au fur et à mesure de l’examen de chaque article.

M. de Garcia. - Messieurs, la loi qui est soumise à vos délibérations repose sur deux grands principes généraux. Le premier est de mettre à charge du trésor les pensions de tous les fonctionnaires de l’Etat. Le deuxième principe formant aussi une des bases principales de la loi actuelle, de n’accorder une pension aux fonctionnaires de l’Etat, que pour le cas où ils auraient rendu de longs services et où leurs infirmités, ou leur grand âge ne leur permettent plus de continuer leurs fonctions,

Quant au principe qui tend à mettre à charge de l’Etat d’une manière absolue les pensions des anciens fonctionnaires, il me paraît une source de ruine pour le trésor public. Nous ne devons pas perdre de vue que, dans l’état actuel des choses, une masse de fonctionnaires seront aptes à jouir de la pension. Vous avez des administrations toutes jeunes qui comptent un nombre considérable de fonctionnaires, tels que le chemin de fer, la reprise des canaux, qui seraient une source de pensions pour l’avenir. Quand on pose un principe aussi absolu que de dire dans une loi que toutes les pensions des fonctionnaires publics sont à charge de l’Etat, je trouve qu’on ouvre un abîme pour les finances du pays. Je ne pourrais jamais donner mon assentiment à une disposition aussi absolue.

Je suis intimement convaincu que l’avenir justifiera mes prévisions si la législature adopte le principe absolu que je combats : au surplus je m’explique difficilement la marche du gouvernement en cette circonstance. Naguère j’ai cherché à saisir la chambre d’un projet de loi qui avait pour objet de donner un traitement convenable à des magistrats qui n’ont pas de quoi subvenir à leurs besoins, je veux parler des juges de paix ; on a rejeté ma demande par le motif que vous n’avez pas vos finances en assez bon état, et vous allez porter une loi qui met d’une manière absolue à charge du trésor les pensions d’une masse de fonctionnaires !

Je conçois que le système qui tendrait à ne pas mettre à la charge de l’Etat les pensions des fonctionnaires aurait quelque chose de neuf. Cependant, nous avons des exemples du contraire. Jusqu’en 1830, les fonctionnaires des finances, de l’administration des postes et de différentes autres administrations étaient pensionnés au moyen d’une retenue qu’ils subissaient, et cette retenue, jusqu’en 1830, avait presque suffi pour faire face aux pensions qui s’étaient ouvertes. Je voudrais qu’on prît un système moyen, que l’Etat intervînt pour une partie, mais je ne voudrais pas que ce fût le contribuable qui fût appelé à former d’une manière absolue la dotation des pensions des fonctionnaires publics. Par le principe que vous avez posé, vous allez encore augmenter les charges de la nation, et ces charges, n’en doutez pas, seront énormes dans la suite et beaucoup plus considérables qu’on ne se l’imagine actuellement. Je voudrais que les fonctionnaires eux-mêmes fissent une partie des fonds nécessaires pour pensionner ceux à qui l’âge ou des infirmités ne permettent plus de remplir leurs fonctions. Il ne faut pas, je le répète, que toute cette charge retombe directement sur les contribuables.

Les fonctionnaires rendent des services, mais ils sont bien payés pour les services qu’ils rendent. Je ne vois pas d’obstacle a ce qu’on leur fasse une retenue, pour créer une ressource destinée à couvrir la dépense de leurs pensions. Pourquoi le gouvernement ne se conformerait-il pas aux règles de prudence qu’il prescrit aux autres ?

Il ne se fait aucun établissement sous la protection du gouvernement, sans une caisse de retenues pour assurer aux ouvriers infirmes ou âgés le pain nécessaire à leur existence qu’ils ne peuvent plus gagner. Le gouvernement impose à ces établissements l’obligation de faire une retenue sur le salaire des ouvriers, de gens qui ont besoin de tout ce qu’ils gagnent pour vivre ; et quand il impose cette obligation aux établissements particuliers, le gouvernement ne veut pas donner l’exemple.

Quand on impose une mesure semblable à des établissements, on doit commencer par se l’imposer à soi-même. Je voudrais donc que la pension fût assurée pour une partie par une retenue sur les fonctionnaires de l’Etat.

Une légère indisposition ne me permet pas de me livrer à de plus longs détails sur ces questions.

Un autre principe inséré dans la loi porte que les fonctionnaires qui, par suite d’infirmité ou d’accidents survenues dans l’exercice de leurs fonctions ne peuvent plus servir l’Etat, ont droit a la pension. Ce principe me paraît juste, je ne trouve mauvaises que les dispositions qui dérogent à ce principe. Comme M. le ministre ne s’est pas expliqué sur la question de savoir s’il se ralliait au système de la section centrale, je ne puis pas combattre maintenant les exceptions à ce principe que contient le projet du gouvernement. Par exemple quand le principe général de la loi est qu’on n’a droit à la pension que pour autant qu’on soit infirme ou que l’on ait rendu de longs services, vous faites une exception en faveur des ministres qui, après avoir été quelque temps au banc ministériel, auraient droit à une pension, quoiqu’ils ne soient pas infirmes et qu’aucun accident ne leur soit arrivé. Je ne vois pas pourquoi on déroge à ce principe à propos des ministres.

Ce principe est celui de toutes les lois de pensions, c’est que nul ne peut y avoir droit qu’autant qu’il soit dans l’impossibilité de continuer ses services à l’Etat.

Une autre exception que je ne m’explique pas davantage, c’est celle en faveur des membres des députations permanentes, des membres de la cour des comptes. Pour avoir été élus par le peuple ou par la chambre, je ne vois pas que ces fonctionnaires doivent être mis hors de la ligne générale. Je voudrais qu’à moins d’être dans un âge avancé, ou dans un état d’infirmité, ils ne puissent avoir de pension.

Je n’insisterai sur ces observations que pour autant que M. le ministre des finances maintiendrait sur ce point le projet du gouvernement, S’il en est ainsi, je développerai, quand nous serons arrivés à cet article, les motifs péremptoires qui me font penser que ces fonctionnaires ne peuvent avoir droit à la pension qu’aux mêmes conditions que les autres employés de l’Etat.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je ne rencontrerai que l’observation générale de l’honorable préopinant. Selon lui, nous aurions introduit dans la loi un nouveau principe, celui que tout fonctionnaire, rétribué par l’Etat, a droit a une pension sous certaines conditions.

L’honorable membre fait observer que, s’il en est ainsi, beaucoup de nouveaux fonctionnaires, entre autres ceux du département de travaux publics, ont droit à une pension.

Je crois devoir faire remarquer que ce principe n’est pas nouveau ; en effet, il avait été adopté en 1841, dans le projet de loi des pensions, et il existe dans notre législation, puisque, d’après l’arrêté-loi de 1814 et les lois antérieures, tous les fonctionnaires publics, à un certain âge, et après un certain nombre d’années de service, ont droit à la pension.

J’ai cru devoir faire cette observation, pour que la discussion ne s’égare pas. Il ne s’agit pas de poser un nouveau principe, mais seulement de consacrer celui qui existe déjà.

M. de Garcia. - J’aurai l’honneur de faire observer à M. le ministre des finances que je n’ai pas dit que la loi consacrât un principe nouveau, mas j’ai seulement observé qu’une masse de fonctionnaires nouveaux tomberaient sous l’application de la loi projetée, que cette circonstance ferait de la loi un gouffre où s’engloutiraient les finances du pays. J’ai cité l’administration du chemin de fer, qui forme une espèce d’armée. Je vois là quelque chose d’alarmant pour le trésor public.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - L’honorable membre veut sans doute élever une objection contre le principe de la loi. Or les fonctionnaires dont il parle, ont, dès aujourd’hui, droit à la pension. Ce n’est donc pas la loi en discussion qui imposera à cet égard des charges à l’Etat, car, ainsi que je l’ai déjà dit, tous les fonctionnaires du département des travaux publics, aux termes de l’arrêté-loi de 1814, ont droit à la pension.

(Moniteur belge n°74, du 14 mars 1844) M. Savart-Martel. - Le projet de loi qui vous est soumis a une haute portée. Il doit grever le budget même dans son état normal, de nombreuses pensions qui ne s’éteindront jamais, puisque par la force des choses, les unes succéderont pour ainsi dire aux autres.

Dans l’état actuel de nos finances surtout, le projet mérite un sérieux examen, et un examen d’autant plus sévère, que nous ne pouvons doter qui que ce soit d’un écu qu’en l’enlevant au contribuable, en l’arrachant au travailleur, forcé de s’imposer des privations qui ne frappent que trop souvent sur le nécessaire.

Disons-le cependant, il n’est point absolument introductif d’un droit nouveau ; il a pour but de régulariser ce qui existe déjà un grande partie ; il a pour but de parer à des abus et d’amener, à la longue, une économie, dit-on, sur laquelle, quant à moi, je suis loin de compter. Je serais heureux que la discussion puisse prouver cette économie.

Que l’Etat étende sa sollicitude sur des fonctionnaires publics que l’âge ou des infirmités graves empêchent de continuer leurs services et qu’à titre de secours l’Etat leur laisse une portion plus ou moins forte de leurs traitements. C’est un principe que je n’entends point contester. La plupart des fonctionnaires ont d’ailleurs un droit acquit dans l’arrêté-loi du 14 septembre 1814.

Les corps universitaires trouvent leurs droits dans l’arrêté royal du 25 septembre 1816, maintenu par l’art. 70 de la loi du 27 septembre 1835. Les employés de l’administration des finances et des postes ont un droit acquis dans le règlement de 1829 ; enfin l’art 117 de la constitution porte littéralement que les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l’Etat.

Le principe me paraît donc au-dessus de toute atteinte.

Qu’on proclame même dans notre législation, comme l’avait fait l’assemblée constituante en 1790, la rémunération de services extraordinaires rendus à l’Etat ; c’est encore un acte de justice, un acte de dignité nationale qui, de ma part, ne peut éprouver de contradiction. C’est sur l’extension, sur l’abus que j’appelle votre attention.

Et si les modifications que j’ai en vue ne peuvent atteindre les fonctionnaires qui ont obtenu leur nomination sous des lois qui leur assuraient une indemnité en cas de retraite, au moins pourront-elles frapper le futur.

Je pense, messieurs, que la pension de retraite ne devrait point être allouée au citoyen qui, doté d’une fortune privée, se trouve notoirement dans l’aisance. J’aime à croire qu’en pareil cas on rencontrerait le désintéressement ; mais il serait bien de déclarer ce principe. Le peuple qui paie, le peuple qu’on grève de plus en plus chaque année, saurait au moins que le denier qu’on lui arrache est un acte de justice et de nécessité. Il serait convaincu qu’en s’acquittant de charge que lui impose la loi, ce ne sera point pour satisfaire au luxe ou augmenter l’aisance des pensionnaires de l’Etat. Qu’on ne dise point que ce principe conduirait à des recherches et une indagation toujours déplorable.

A l’exemple de ce qui s’est pratiqué longtemps dans un Etat voisin, on s’en rapporterait à la déclaration du pensionnaire qui devrait être contenue annuellement dans sa quittance : et, j’augure trop bien des mœurs belges pour croire à la fraude, surtout quand on remarque que chaque année la liste des pensionnaires de l’Etat doit être soumise à la chambre.

Au surplus, mon principe ne devrait pas non plus être porté à l’extrême. La loi pourrait fixer un chiffre normal de huit à dix mille francs qui serait reconnu le taux de l’aisance.

Sans doute on me répondra que l’aisance est une chose relative ; que tel a du surplus avec une fortune de dix mille francs, tandis qu’un autre n’en a pas avec 20 mille francs ; mais rappelons-nous, qu’à proprement parler, la pension est un secours, ou, si vous le voulez, une rémunération qui doit être prise sur des contribuables d’ordinaire plus malheureux que le pensionnaire. Si vous voulez ne point peser cette circonstance, et n’admettre que des arguments auquel on ne puisse faire aucune réponse, toute discussion sera inutile.

Si vous voulez que la loi ne soit pas accueillie défavorablement, démontrez-en la nécessité, démontrez qu’il y a justice de prendre au malheureux père de famille pour augmenter l’aisance et parfois le luxe des pensionnaires de l’Etat. Je m’abstiendrai, messieurs, de développer plus amplement mon opinion à ce sujet, tous vous me comprenez, et comme je ne suis point ici pour chercher une vaine popularité, tous vous comprendrez facilement qu’il doit suffire d’avoir appelé votre attention à ce sujet.

En vain, messieurs, fera-t-on valoir l’équité, la nécessité de rémunérer de longs et honorables services. Votre loi prouve contre le principe, elle prouve au moins qu’autre chose que le principe a guidé les auteurs de la loi.

En effet, pour obtenir la rémunération, il suffit d’avoir été rétribué par l’Etat pendant un temps plus ou moins long. Quant à celui qui aurait servi gratuitement, peu importe le nombre et l’importance de ses services, il ne lui est dû aucune récompense. Pour être conséquent c’est la proposition inverse qu’il aurait fallu consacrer. Que l’Etat soit reconnaissant envers le citoyen généreux qui a sacrifié gratuitement une partie de sa vie à la prospérité publique, cela se conçoit ; mais qu’il soit privé de la reconnaissance par cela seul qu’il ne prenait point part au budget, c’est, je le répète, une grande inconséquence ; si, comme on le dit, la rémunération de longs et honorables services a été le principe de la loi.

Entre le fonctionnaire salarié et l’Etat, il existe une espèce de contrat bilatéral, que nous pourrions appeler locatio operarum. Le fonctionnaire rétribué, qui remplit longtemps et honorablement ses fonctions, ne fait que son devoir ; il ne lui est rien dû quand son travail a cessé, mais si dans certaine circonstance l’Etat lui doit aide et protection, ce ne peut être vraiment qu’eu égard à ses besoins ; j’appelle donc abus de principe, non pas la pension dévolue à tous les fonctionnaires publics, mais le principe absolu qui tend à doter d’une pension ceux qui seraient notoirement dans un état d’aisance. Et remarquez, messieurs, que je consens à n’appliquer la modification que pour le futur.

Peut-être aurait-il été convenable de régler par une bonne loi le sort de la magistrature, et de laisser aux employés de l’administration le soin de s’assurer, réciproquement, à peu près comme ils le faisaient autrefois, dût-on leur allouer annuellement une faible somme à titre de subside.

Satisfaisons aux dotations qui ont été promises ; à celles sous la foi desquelles ont été nommés nos concitoyens, actuellement en fonctions, mais n’allons au-delà qu’avec une grande circonspection.

La disposition de l’art. 38, qui force tous les fonctionnaires publics à souffrir la retenue de 5 p. c. sur leur traitement, pour l’institution d’une caisse que fera le gouvernement au profit de leur veuve et orphelins, ne me paraît point acceptable. Il me semble que l’alimentation de cette caisse pourrait se faire à l’aide d’une retenue de simple faculté.

Tous les fonctionnaires publics ne sont point mariés ; d’autres n’ont point d’enfants.

J’ajouterai que nous ne devons point supposer que ceux qui sont chargés de diriger les autres n’auraient point la prévoyance nécessaire pour leur famille. Il y a dans notre pays des caisses de prévoyance à suffisance pour garantir le sort des femmes et des enfants de ceux qui voudraient avoir recours à cette voie salutaire.

Vous le savez, messieurs, la plupart des fonctionnaires de l’ordre administratif et judiciaire n’ont que de modiques traitements, tellement insuffisants qu’il ne s’écoule une seule session où on ne se promette d’améliorer leur position.

Les forcer à laisser 1/20 de leurs traitements pour des besoins éventuels qui, pour plusieurs d’entre eux n’existeront jamais, c’est en fait diminuer leur traitement. La chose ne pourrait être envisagée de même si la prise d’intérêt, dans les caisses de prévoyance, était facultative.

Il ne s’agit point ici d’une de ces classes de la société dont nous devons administrer les intérêts pour leur propre bonheur, il s’agit d’hommes qui doivent jouir de la plus entière liberté dons l’administration de leurs affaires.

Si, sous prétexte d’insouciance on d’imprévoyance, nous nous permettons de prendre une partie de leur fortune pour la gérer nous-mêmes, je ne vois point où nous pourrions nous arrêter.

Si encore il y avait avantage évident dans cette œuvre forcée, on pourrait excuser peut-être cette espèce d’empiétement sur la liberté qu’à chacun de gérer ses affaires comme bon lui semble, mais cet avantage, je suis loin de le reconnaître.

D’abord, c’est une perte irréparable pour ceux qui ne sont point engagés dans les liens du mariage ; c’est une perte presque certaine pour ceux qui n’ont point d’enfants ; pour ceux dont les enfants approchent de la majorité ; et, suivant les règles des probabilités, pour les trois quarts des fonctionnaires. Mais pour les autres le marché est-il avantageux ? Je ne le pense pas !

Pour qu’on ne puisse me taxer d’exagération, je prendrai l’exemple le plus fréquent, je raisonnerai sur un traitement de 3,000 fr. qui est à peu près le terme moyen du traitement des fonctionnaires de l’ordre administratif et judiciaire.

L’entrée ordinaire dans la magistrature est de 25 à 30 ans. Je suppose donc un homme investi à 30 ans. Arrivé à l’âge de 60 à 65 ans, il obtient sa retraite ; sa pension d’après la loi proposée sera de 1,500 francs. S’il vient à mourir, vous ne donnerez guère à la veuve que la moitié de ce qu’avait le mari, 750 fr. ; et cependant, pendant les 30 années d’exercice soutenues, il vous aura fourni un capital de 10 mille cinq cents francs et plus avec les intérêts composés. Ce n’est pas tout, la loi le frappe encore au profit de cette caisse.

En pareil cas mieux vaudrait qu’il s’assurât lui-même dans une des sociétés du royaume.

Mais ce n’est pas tout, lors de sa retraite, il aura dû continuer la subvention ; et tout cela pour un événement fort incertain, contre lequel il a pu se précautionner lui-même.

En vain dira-t-on que, dans le système du gouvernement, il existe une espèce de tontine, où celui qui se trouve dans le cas prévu, profite de la part versée par ceux dont la position n’est point la même. En théorie, c’est bien ; mais en pratique c’est autre chose, plusieurs autres retenues des désavantages que je n’ai pas besoin de vous détailler, contrebalancent singulièrement ces illusions.

N’oublions pas que l’Etat n’intervient plus pour doter cette caisse qui, dans tous événements, devra se suffire à elle-même ; que cette caisse supportera à ses propres risques et périls, les vicissitudes, et que d’ailleurs elle ne sera point probablement administrée gratuitement. Ces caisses auront leurs administrateurs, leurs contrôleurs, vérificateurs et inspecteurs, etc., etc.

Aussi et avec une prudence que je suis loin de blâmer, le gouvernement se gardera bien de nous donner aucune valeur menue approximative de la hauteur de ces pensions nouvelles. Le fait certain, c’est la retenue qu’auront à souffrir les fonctionnaires pour un prétendu avantage très éventuel ; le fait incertain, c’est la hauteur et les conditions de ces pensions.

Convenons-en, messieurs, il règne, à cet égard, un vague déplorable. Le mieux serait peut-être d’ajourner, pour le moment, le titre entier qui traite de pension de veuves et orphelins ; ou si l’on tient à l’institution d’une caisse, à cette fin, de laisser à chaque fonctionnaire le droit d’y prendre part ou de s’en abstenir.

(Moniteur belge n°73, du 13 mars 1844) M. Desmet. - S’il est vrai, messieurs, qu’en tout temps on accorde des pensions à des fonctionnaires, il est vrai aussi que c’est la première fois qu’il aura été établi en Belgique une loi de principe à ce sujet, et qui statue sur des bases aussi larges, aussi étendues, je dirai même aussi vicieuses que celui qu’on veut nous faire consacrer. D’après ce principe, tout fonctionnaire aurait droit à une pension, et à une pension proportionnée au chiffre de son traitement, de manière que celui qui aura reçu le plus de l’Etat aurait aussi droit à la pension la plus forte ; ce seront donc les faveurs récompensées par des faveurs. On ne dit pas ceux qui auraient mérité de la patrie, qui lui auraient rendu des services, mais ceux qui auraient joui de traitements. C’est, comme je dis, un nouveau régime de dépenses que nous allons consacrer et de dépenses en grande partie gratuites.

Avant le régime français, messieurs, on ne connaissait en Belgique que des pensions accordées à certains fonctionnaires qui avaient servi leur patrie et qui se trouvaient dans le besoin. Sous le régime provincial, vous ne trouverez aucune loi qui consacre le principe des pensions par catégories ; les pensions étaient individuelles ; pour recevoir une pension, il fallait, je le répète, avoir rendu des services réels au pays et se trouver dans le besoin. Le même principe a été consacré en France par l’assemblée constituante. Voyez le considérant que la constituante, je veux dire l’assemblée nationale, a mis en tête de sa loi de principe pour les pensions ; la loi du 22 août 1790 porte ce considérant-ci ;

« Quand on a rendu des services éminents à la nation, on doit avoir droit à une pension ; mais s’il est juste que, dans l’âge des infirmités, la patrie vienne au secours de celui qui lui a consacré ses talents et ses forces, lorsque sa fortune lui permet de se contenter de grades honorifiques, elles doivent lui tenir lieu de toute récompense. »

C’est donc le même principe.

Je ne sais pas, messieurs, si vous connaissez l’origine de l’arrêté-loi de 1814 ; cet arrêté a etc pris par celui qui gouvernait alors la Belgique, dans le seul but de contenter ou au moins de faire taire les anciens fonctionnaires qui avaient servi sous le régime provincial, sous le gouvernement autrichien, et que l’on ne pouvait déplacer. Eh bien, aucun de ces fonctionnaires n’a voulu profiter de l’arrêté-loi dont il s’agit ; ce n’était pas l’usage de recevoir des pensions, et l’on n’osait pas même en demander. Je puis le dire, parce que, dans ma famille, le cas s’est présenté plusieurs fois.

Vous savez, messieurs, combien l’ancien gouvernement a abusé de cet arrêté-loi ; vous savez combien de pensions il a accordées dans le seul but de se faire des créatures. On nous a, à différentes reprises, signalé des personnes qui avaient joui de pension et qui n’en avaient aucun droit, et même des personnes qui étaient dans une grande aisance, je pourrais même dire des personnes riches. Mais quoique de si grands abus ont eu lieu sous le gouvernement néerlandais en vertu de l’arrêté-loi sur les pensions, encore on ne peut pas dire que tel acte consacrait un principe contraire à celui qui avait existe auparavant à l’égard des pensions ; non du tout, il établissait absolument le même système, il ne voulait non plus favoriser de pension que des fonctionnaires infirmes et qui en avaient besoin pour l’existence de leur famille ; voyez le considérant de l’arrêté-loi de 1814, il porte ceci : « qu’il est de la justice du gouvernement de récompenser de longs et fidèles services, de fournir un soutien à des hommes qui ont consacré leur vie au service de l’Etat, et auxquels leur âge et leur force ne permettent plus de servir activement. »

Ceci est bien clairement expliqué ; on pensionne pour le soutien et quand vous n’êtes plus en état de servir activement.

Quand la question a été examinée au congrès, une masse d’abus a été signalée, et je pense que beaucoup d’honorables membres n’ont voté la disposition relative aux pensions que parce qu’ils ont pensé, comme moi, que chaque pension ferait l’objet d’une loi. C’est ainsi que les choses se pratiquent en Angleterre ; il nous semble que, quand on doit craindre le retour des abus et même sur une plus grande échelle, il faut prendre des précautions pour les éviter, et ne donner des pensions qu’à ceux qui, à cause des infirmités ou de l’âge, ne sont plus en état de servir le pays et qui ont besoin d’un soutien de l’Etat ; eh bien, la législature pourra en juger et quand elle verra le besoin de pensionner, elle le fera facilement. Je crois, messieurs, que nous devons admettre ce système car sans cela il y aura toujours de grands abus ; si vous permettez d’accorder des pensions autrement que par une loi, vous en verrez donner à des personnes qui n’auront rien fait pour les mériter, vous en verrez donner à des personnes qui auront de la fortune et cela aux dépens des prolétaires, des travailleurs qui ne sont pas représentés ici. C’est nous, en grande partie, fonctionnaires publics, qui nous donnons des pensions à nous-mêmes.

Je le déclare, messieurs, s’il n’est pas dérogé au principe si large qui fait la base de la loi, je serai forcé d’émettre un vote négatif. Je ne puis voter une loi sur les pensions qu’à la condition que la pension ne soit accordée qu’à celui qui l’a réellement méritée et qui en a besoin. Je sais que cela est difficile à constater, mais c’est précisément pour ce motif qu’il devrait y avoir une loi spéciale pour chaque position.

L’objet, messieurs, est important, pesez toute la portée du projet de loi, et vous devrez reconnaître qu’il sera une immense charge pour l’Etat ; et nous consacrons un tel principe, quand les recettes ne sont pas en état de balancer les dépenses. Nous devons sérieusement y penser avant de voter une telle loi.

M. Pirmez. - Je viens d’entendre dire, messieurs, qu’il existe déjà un principe, un droit, et je crains que de semblables assertions n’aient quelque influence sur votre décision. Je pense, moi, qu’il n’existe aucun principe, aucun droit en ce qui concerne les pensions. D’après une loi antérieure à la première révolution française, les services éclatants rendus au pays devaient être rémunérés par l’Etat ; c’est là un principe admis par toutes les nations, mais lorsqu’il s’agit d’appliquer ce principe au fait, une loi particulière est nécessaire.

On a parlé de l’arrêté-loi de 1814, source de toutes les pensions qui ont été accordées depuis cette époque ; eh bien, messieurs, examinez cet arrêté-loi, et vous verrez qu’en réalité il ne confère aucun droit. Le souverain y déclare que ceux qui sont dans telle ou telle condition, pourront demander à être rémunérés de telle manière, mais il se réserve d’accorder lui-même cette rémunération, ou de la refuser ; l’arrêté-loi de 1814 ne donne donc aucun droit aux fonctionnaires.

Je sais bien que cet arrêté-loi a été interprété d’une autre manière ; mais par qui l’a-t-il été ? Par les fonctionnaires eux-mêmes, et dès lors il n’est pas étonnant qu’il en soit résulté de si grands abus, qu’il ait été accordé un si grand nombre de pensions, et des pensions d’un chiffre si élevé.

Ainsi, messieurs, relativement à la loi que vous allez voter, vous n’êtes lié par aucun droit acquis, vous pouvez agir comme bon vous semblera.

Vous ne perdrez pas de vue, messieurs, quelle tendance il y a à demander des places, combien de places nous avons créées pour mettre le gouvernement à même de faire ce qui dans les autres pays se fait par les particuliers.

Dans tous les états de la société il existe un combat perpétuel entre les diverses professions, c’est ce combat que l’on appelle la concurrence et c’est un grand avantage pour un homme lorsque la nation le met à même de pouvoir exister sans prendre part à cette concurrence, à ce combat cruel que se livrent sans cesse les diverses professions de la société. Souvent, messieurs, les mots induisent en erreur : on parle de services rendus à l’Etat ; mais j’entends les services rendus à l’Etat comme les entendait sans doute la loi citée par l’honorable M. Savart ; il faut qu’il y ait un service extraordinaire, un service qu’un autre n’aurait pas pu rendre aussi bien que celui qui l’a rendu, mais en vérité, lorsqu’il se présente un millier de personnes pour remplir une place, peut-on dire que celui qui reçoit cette place rend un service à l’Etat ? Evidemment non c’est lui, au contraire, qui reçoit un service. Par exemple, on dit qu’il y a bien 20,000 personnes qui demandent des places au chemin de fer ; or, vous en donnerez peut-être 20 ; croyez-vous que les 20 personnes qui auront reçu ces places rendront services aux 19,980 qui auront essuyé un refus ? Evidemment non, ce sont ces dernières personnes qui rendent service aux autres. En réalité, lorsque vous donnez de ces places, que tout le monde peut remplir, ce ne sont pas ceux à qui vous donnez ces places qui rendent des services ; c’est l’Etat, au contraire, qui leur rend service.

Voilà, messieurs, les considérations que j’avais à présenter dans la discussion générale, je me réserve de prendre de nouveau la parole si quelqu’un soutient de nouveau qu’il existe une loi, soit celle de 1790, soit celle de 1814, qui donne aux fonctionnaires un droit à la pension.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, l’arrêté-loi de 1814 a toujours été applique dans le sens que lui donne encore aujourd’hui le gouvernement ; il a été appliqué dans ce sens, non pas par les fonctionnaires, comme l’a dit l’honorable préopinant, mais par le chef de l’Etat. Il a toujours été reconnu que cet arrêté-loi donne aux fonctionnaires le droit d’obtenir une pension après un certain nombre d’années de services. Du reste les considérants de l’arrêté-loi font assez connaître l’intention de son auteur. Voici, messieurs, comment ce considérant est conçu :

(M. le ministre en donne lecture.)

Voilà comment a été consacré en 1814 le droit des fonctionnaires à obtenir, dans des conditions déterminées, une pension en récompense de longs et loyaux services.

L’honorable préopinant a émis des opinions qui seraient véritablement subversives de toute bonne administration. En général, les fonctionnaires publics sont peu rétribués, on en convient ; si, dans cette position déjà bien défavorable, vous leur ôtez encore la pensée qui les soutient et qui les fait agir avez zèle dans l’intérêt de l’Etat, si chaque jour vous venez leur déclarer que quelque peine qu’ils se donnent, ils sont toujours les obligés de l’Etat, vous rendez toute bonne administration impossible. Pour ma part, je repousse de pareils principes. Dans ma conviction, il faut tenir compte aux employés de leur zèle et du temps qu’ils consacrent au service de l’Etat.

On n’a pas seulement invoqué l’arrêté-loi de 1814, on s’est encore appuyé sur la loi du 22 août 1790.

L’article 1er de cette loi porte : « Que l’Etat doit récompenser les services rendus au corps social, quand leur importance et leur durée méritent ce témoignage de reconnaissance. » C’est ce principe qui est maintenu dans le projet que nous discutons, et il y est posé dans des termes mêmes qui ne sont pas très absolus, puisque l’article 1er porte : « Que les magistrats, fonctionnaires et employés faisant partie de l’administration générale et rétribués sur le trésor public, pourront être admis à la pension à 60 ans d’âge et après 30 années de services. »

Le gouvernement restera donc encore juge de la question de savoir s’il y a lieu d’admettre à la pension le fonctionnaire public qui demande sa retraite.

M. de Garcia. - Messieurs, j’ai critiqué le principe général de la loi qui met d’une manière absolue à la charge du trésor les pensions des fonctionnaires de l’Etat. Je maintiens tout ce que j’ai dit à cet égard.

On m’a répondu : ce principe n’est pas nouveau, et ce principe existait dans les lois antérieures.

Quoique le principe ait été contesté, et qu’il soit au moins contestable, lorsqu’on le pose d’une manière générale, je veux bien consentir à le reconnaître comme existant dans nos annales passées, mais parce qu’un principe a été posé antérieurement, faut-il, religieux observateur du passé, renoncer à faire des reformes et à porter des améliorations au système général de nos lois ? S’il pouvait en être ainsi, ce serait proscrire toute idée de perfectionnement dans nos institutions civiles et politiques.

Or, le système qui met exclusivement à la charge du trésor public toutes les pensions des fonctionnaires de l’Etat, est-il juste ? est-il rationnel ? Est-il prudent ? Je crois avoir démontré qu’il n’est ni prudent, ni rationnel, ni juste.

Comme l’a fait observer judicieusement l’honorable M. Pirmez, l’Etat a repris une grande quantité de travaux qui ont réclamé un grand nombre de fonctionnaires nouveaux. Dans un avenir plus ou moins éloigné, cet immense personnel d’employés nécessitera des pensions considérables à charge du trésor. Qu’on le sache bien, et je n’hésite pas à le dire, si l’on admet d’une manière absolue le principe posé dans la loi actuelle, on ouvre pour l’avenir un abîme où ne peuvent manquer de venir s’engloutir les finances et les ressources du pays.

On a dit encore : Les fonctionnaires publics ont des droits acquis ; je le veux bien, quoique la solidité de ce principe soit encore contestable ; mais j’admets que les fonctionnaires ont des droits acquis ; résultera-t-il de là que les fonctionnaires ne puissent être appelés à concourir par une retenue sur leurs traitements, à la formation du fonds des dotations des pensions ? Je le demande, est-il un seul motif plausible qui s’oppose à ce que l’Etat fasse une retenue sur les traitements des fonctionnaires publics, pour constituer le fonds sur lequel on leur accordera des pensions ? Comme nous avons le droit d’augmenter les traitements des fonctionnaires publics, nous avons également celui de les diminuer. Les choses et les principes sont incontestables. Quant à moi, je ne consentirai jamais à ce que les contribuables seuls d’une manière générale et absolue soient condamnés à alimenter le fond de dotation des pensions. Je voudrais que cette classe de citoyens qui vit de fonctions publiques, qui vit de l’Etat, intervînt, au moins pour une part à l’effet d’assurer son sort et son existence lorsqu’elle est frappée par la vieillesse ou par les infirmités.

Je voudrais donc que les fonctionnaires publics fussent astreints à une retenue qui serait versée dans les caisses du trésor public. Ce n’est pas le moment de perdre de vue l’état de nos finances, nos voies et moyens sont en déficit, et l’on s’ingénie en vain pour les mettre au niveau de nos dépenses ; les fonds manquent aujourd’hui, non seulement pour faire face aux pensions que nous allons créer, mais même pour pourvoir aux besoins du service courant de l’Etat.

Je persiste donc dans l’opinion qu’il faut astreindre les fonctionnaires publics à une retenue, pour former au moins une partie de la dotation des pensions à leur accorder.

Qu’il me suffise, messieurs, d’avoir déduit les principes généraux qui me dirigeront dans l’examen de la loi actuelle. Lorsqu’on en sera venu à la discussion des articles, je me propose de formuler un amendement par lequel les fonctionnaires publics seront soumis à la retenue d’un tantième à déterminer. Je me réserve de présenter un amendement dans ce sens.

M. Pirmez. - L’honorable ministre des finances dit que mes idées étaient subversives de toute administration.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’ai dit de toute bonne administration.

M. Pirmez. - Mais, si je ne me trompe, avant la loi de 1790, et l’arrêté-loi de 1814, il existait des Etats où une semblable législation ne se rencontrait pas, et cependant l’administration n’y a pas été impossible. D’ailleurs, que M. le ministre des finances veuille bien le remarquer, je n’ai pas combattu le système des pensions. J’ai dit seulement qu’on ne pouvait pas argumenter de droits acquis, en vertu de la loi de 1790 ou de l’arrêté-loi de 1814, et que nous restions entièrement libres de proclamer, en matière de pensions, tels principes qui nous sembleraient convenables.

Un ministre, par un simple arrêté, peut créer un nombre infini de plans ; et parce qu’un trait de plume aura été donné, vous n’assurez pas seulement un état aux personnes qui obtiennent ces plans, mais vous leur garantissez même une pension ; il y a plus, votre sollicitude s’étend jusqu’aux veuves et orphelins. Voilà la portée du principe fondamental du projet de loi. Je fais cette observation pour prouver à la chambre que cette loi doit être examinée avec la plus grande attention.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, c’est une erreur de croire qu’en vertu d’un simple arrêté ministériel on puisse créer un nombre infini de places. Il faut, pour rétribuer des employés, une allocation votée par la législature ; une création extraordinaire d’employés ne serait donc possible qu’autant que les chambres auraient accordé les fonds nécessaires pour les salarier.

Il y aurait bien un moyen de ne pas accorder de pension. Ce serait de conserver en place les fonctionnaires publics, alors même qu’ils ne seraient plus capables de rendre des services : ce qui inévitablement arriverait, car quel ministre aurait le courage de renvoyer, sans aucun moyen d’existence, de vieux fonctionnaires publics, infirmes et sans fortune ? Voilà ce qui a eu lieu sans doute à l’époque dont a parlé l’honorable M. Pirmez. Il faudrait ne pas connaître le cœur humain pour croire que l’on pût se résoudre à abandonner ainsi un fonctionnaire, vieilli au service de l’Etat, et qui n’aurait aucune ressource personnelle. Nous aurions donc une mauvaise administration, par cela seule qu’une grande partie des employés chargés de telle ou telle fonction, ne pourraient plus les remplir convenablement.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, il semblerait qu’il s’agit d’une innovation à introduire dans nos lois, d’une innovation très grave, et dont les conséquences doivent être mûrement pesées.

Je ne puis, messieurs, me placer à ce point de vue, parce qu’il n’est exact, ni historiquement dans le passé, ni pour l’avenir.

Supposons un instant que la loi dont nous entamons la discussion soit rejetée. Qu’arriverait-il à l’avenir ? On continuerait d’accorder à tous les fonctionnaires de l’Etat déjà existant aujourd’hui, et qui seraient nommés à l’avenir, des pensions, soit d’après l’arrêté-loi de 1814, soit, pour la classe la plus nombreuse, les fonctionnaires de l’administration des finances, d’après le règlement de 1822, et pour les ministres du culte, l’on resterait dans le provisoire qui n’a déjà malheureusement que trop duré.

Pour discuter cette loi, il faut donc voir si elle n’introduit pas des améliorations notables dans la législation actuelle.

On a dit avec beaucoup de raison qu’il ne s’agit pas de principes nouveaux, il s’agit d’un principe qui a toujours existé et qui est nécessaire. Pour démontrer cette nécessité, il suffit de citer la législation de tous les peuples. Croyez-vous qu’une économie, du chef de l’allocation des pensions, ne se serait réalisée nulle part, s’il n’y avait pas eu une sorte de nécessité administrative qui est généralement sentie, de rémunérer de longs et loyaux services rendus à l’Etat.

La lui nouvelle rend-elle impossibles les abus dont on s’est plaint dans le passé ? Rend-elle plus sévères les conditions d’admissibilité à la pension ?

Ce sont là les véritables questions qu’il faut examiner, Or, la solution de ces questions ne me paraît ni difficile, ni douteuse.

Le projet détermine d’une manière plus rigoureuse les conditions auxquelles on sera admis à la pension ; pour la classe qui est la plus nombreuse, il coupe à sa racine, si je puis m’exprimer ainsi, l’un des abus, à la suite desquels la caisse de retraite du département des finances s’est trouvée obérée.

L’on a également établi des garanties plus fortes pour le contrôle des chambres sur la collation des pensions.

Les fonctionnaires publics ont-ils ou n’ont-ils pas des droits acquis ? Là n’est pas la véritable question. Personne, je crois, ne peut admettre que les fonctionnaires actuellement en exercice, et ceux qui seront nommés à l’avenir, aient en dehors de la loi, indépendamment de la loi, et contre la loi, un droit préexistant. Mais je le répète, la question n’est pas là ; la question est de savoir s’il est de l’intérêt public de maintenir ce principe, qu’après une longue carrière consacrée au service de l’Etat, l’Etat doit, en exécution d’une obligation morale, accorder une récompense à de longs et loyaux services. Là est toute la question. Je m’éloigne donc beaucoup du point de vue de certains préopinants qui paraissent considérer le fonctionnaire comme un être parasite vivant aux dépens d’autrui ; évidemment le fonctionnaire n’est point dans cette position.

Un fonctionnaire rend des services à l’Etat, il lui consacre son existence, il remplit presque toujours, avec zèle et dévouement de pénibles devoirs. C’est ce zèle, ce dévouement, ces longs services que le gouvernement doit rémunérer dans son propre intérêt comme dans l’intérêt du fonctionnaire lui-même.

Est-il possible d’admettre une distinction entre les personnes qui ont le bonheur d’avoir dix mille livres de rentes et celles qui n’ont pas ce bonheur ? Je pense qu’en fait cette distinction est entièrement impossible. Nos lois n’admettent pas une inquisition dans la fortune privée. Je ne crois pas non plus que ce principe ait été admis par aucune législation autre que celle de l’assemblée constituante, législation qui n’a pas eu grande durée. En France, aujourd’hui, je dois en faire l’observation à l’honorable M. Savart, les pensions sont accordées sans que l’on exige aucune déclaration de fortune personnelle.

De quel droit d’ailleurs, au point de vue où le législateur doit se placer établirait-on cette distinction ? pourquoi accordez-vous la pension ? parce que le fonctionnaire a consacré tout ou du moins une grande partie de sa carrière au service de l’État : qu’il ait dix ou neuf mille livres de rentes, il me paraît que ce fait déterminant de la pension n’en existe pas moins dans l’un et dans l’autre cas.

Un honorable préopinant a désiré qu’on établît un système différent, que les pensions des fonctionnaires ne fussent pas mises tout entières la charge de l’Etat, mais qu’une retenue fut imposée aux fonctionnaires pour le service de leurs pensions.

Il me paraît que cette idée est incomplète. Je ne sais s’il entendrait exclure tout système de prévoyance en faveur des veuves et des orphelins. S’il n’en est pas ainsi, il faudrait pour pourvoir aux besoins des pensions des fonctionnaires et faire face aux charges des pensions des veuves et des orphelins, même dans le système de tontine absolue, faire des retenues telles qu’on se trouverait conduit à la nécessité d’augmenter considérablement les traitements. L’expérience faite en France démontre à la dernière évidence que vous ne pouvez pas demander aux fonctionnaires des retenues suffisantes pour couvrir, même avec un subside de l’Etat, les pensions des fonctionnaires et celles des veuves et des orphelins.

Il me semble que la première conséquence de l’opinion de l’honorable député de Namur serait d’exclure le système de prévoyance en faveur des veuves et des orphelins, système auquel j’attache un grand prix.

Je suis ainsi amené à dire un mot de la deuxième partie de la loi, de celle qui concerne la création de caisses pour les veuves et les orphelins. Je ferai remarquer d’abord que cette idée d’assurer au moyen de légers sacrifices des fonctionnaires eux-mêmes, le sort de leurs veuves et de leurs orphelins, a gagné beaucoup de terrain ; de nombreuses applications en ont été faites dans nos administrations et même par certaines classes de la population. Pourquoi s’est-on engagé dans ce système ? C’est parce que l’on a vu que la prévoyance était d’autant moins en usage qu’elle était plus nécessaire. Supposé que la loi ne fasse absolument rien pour les veuves et les orphelins, qu’on reste sous le régime de l’arrêté du 1814, qu’on se borne à la rémunération directe des fonctionnaires en laissant à chacun le droit d’entrer dans telle ou telle association particulière qui lui conviendra, est-il possible de croire que la classe la plus nombreuse, celle qui touche les plus petits traitements usera de prévoyance ? L’expérience répond d’une manière très claire que ces fonctionnaires, à raison de la modicité de leur traitement se laisseront aller à l’imprévoyance qui d’ailleurs, est le propre des classes inférieures de la société, qu’ils ne feront aucune économie pour assurer le sort de leurs veuves et de leurs orphelins. Aussi l’Etat se trouve-t-il en présence de demandes incessantes de secours et se voit-il obligé de faire ce dont il serait affranchi par le système de création de caisses de prévoyance. Je ne pense pas qu’il y ait la moindre injustice dans ce système, car les fonctionnaires n’ont pas de droits antérieurs à la loi ; la loi peut donc subordonner la rémunération qu’elle leur accorde à la condition de subir dans l’intérêt de leur veuve et de leurs enfants une modique retenue.

L’honorable M. Savart a fait à ce sujet un calcul qui ne me paraît pas entièrement exact. Le fonctionnaire ne subira pas le maximum de la retenue ; en effet, dans la première année, quelles seront les charges des caisses ? Le jour où elles seront fondées, elles n’auront aucune pension à servir. Ce n’est qu’après un certain nombre d’années qu’elles seront arrivées au taux normal, c’est-à-dire que les extinctions de pensions seront égales aux pensions nouvelles. Si on portait la retenue au maximum, on irait beaucoup au-delà des besoins du présent et même de l’avenir. Je citerai l’expérience de la caisse de retraite du ministère des finances. Pendant très longtemps, sauf un subside peu élevé, cette caisse a suffi au payement des pensions des fonctionnaires, dans des conditions très mauvaises et au payement des pensions des veuves et orphelins moyennant une retenue de 2 p. c. seulement.

Ce n’est qu’à la suite des événements de 1830, époque à laquelle des pensions nombreuses ont été crées que la caisse s’est trouvée de plus en plus obérée. Il ne faut donc pas croire que dès les premières années les fonctionnaires actuellement en exercice subiront une retenue de 5 p. c. Ces sacrifices seront nécessairement légers, ils auront cet effet, pour le fonctionnaire, d’assurer à sa veuve et à ses orphelins une existence après le décès du fonctionnaire.

Je ne m’arrêterai pas, à l’idée émise par l’honorable membre de faire accorder chaque pension par une loi. Il me paraît évident que dans notre organisation administrative, il y a là une impossibilité absolue.

Nous avons, je pense, environ 10 mille fonctionnaires. Que ferait la chambre si l’on venait lui présenter des états de service de fonctionnaires ou employés de tous grades, et même de simples douaniers (c’est la classe la plus nombreuse), pour juger s’il y a lieu d’accorder des pensions ? La législature a d’autres devoirs à remplir, et le temps qu’elle peut y consacrer, Dieu merci, n’est pas long. Il faut avoir la garantie du contrôle de la chambre, c’est là le point essentiel ; mais la collation directe des pensions par elle est impossible sous l’empire de nos institutions.

M. Delehaye. - Les observations que vient de faire l’honorable rapporteur de la section centrale ont rendu ma tâche très facile.

Je bornerai maintenant mes observations à un point sur lequel je présenterai quelques considérations que je voudrais voir appuyer par le ministre des finances.

Le projet de la section centrale a écarté du projet présenté par le gouvernement plusieurs dispositions qui avaient motivé le rejet de la loi de 1840. Sous ce rapport, j’en félicite la section centrale, parce que si, cette fois, une loi des pensions est adoptée, cela tiendra à la manière dont elle aura été présentée par la section centrale qui en a écarté des dispositions que la chambre ne pouvait pas admettre.

Cependant je trouve dans ce projet quelques dispositions qui donneraient à la loi un effet rétroactif ; la rétroactivité est un principe que le législateur ne devrait jamais consacrer.

Je m’étonne que M. le ministre des finances ne se soit pas attaché à défendre les employés de son administration qui déjà antérieurement avaient des droits acquis. Vous savez que les fonctionnaires des finances font eux-mêmes une caisse destinée à faire les fonds pour payer les pensions de ceux qui sont mis à la retraite. Des fonctionnaires qui ont subi une réduction de traitement ont continué à verser à la caisse à raison d’un traitement qu’ils ne touchent plus pour avoir leur pension liquidée sur le pied de leur ancien traitement, C’est ainsi que je connais dans la Flandre orientale plusieurs fonctionnaires dont le traitement a été réduit et qui, de l’assentiment du gouvernement ont continué à contribuer à la caisse sur le pied des anciens traitements et qui vont être assimilés à ceux qui n’ont contribué qu’à raison du traitement réduit. C’est là une véritable injustice.

Un fonctionnaire qui recevait un traitement de 6 mille francs qui a été réduit à 5 mille a continué à s’imposer une retenue sur le pied de 6 mille francs ; celui qui n’a contribué qu’à raison de 5 mille fr. va se trouver sur la même ligne que lui. C’est là une injustice criante. Je ne comprends pas que le chef de ce département qui devrait défendre ses subordonnés…

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Personne n’en a parlé.

M. Delehaye. - M. le ministre n’a-t-il pas adhéré aux propositions de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je n’y ai pas adhéré.

M. Delehaye. - Je suis bien aise que M. le ministre partage mon opinion à cet égard. Quand nous en serons à l’art. 59, je renouvellerai mes observations à cet égard, mais je remercie M. le ministre des finances dans l’intérêt des fonctionnaires de son département de la déclaration qu’il vient de faire.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’ai été fort étonné d’entendre l’observation de l’honorable M. Delehaye. D’abord, comme il n’avait pas été question d’une catégorie spéciale de fonctionnaires, je n’avais pas eu à m’expliquer à cet égard. Quant à la disposition qu’il réclame elle se trouve dans le projet de loi. Jusqu’ici, je ne me suis pas rallié à la proposition de la section centrale qui, du reste, maintient cette disposition, sans une seule restriction.

M. Savart-Martel. - Messieurs, quand j’ai dit que le projet faisait sur chaque traitement une retenue forcée de 5 p. c. pour la caisse des veuves, je ne me suis point trompé, car l’art. 38, art. 1er, déclare positivement que la retenue s’élèvera à ce taux. C’est donc une véritable diminution de traitement. Mais ce n’est pas tout, les n°3, 4, 5, 6 et 7 augmentent encore cette charge.

L’honorable rapporteur est donc dans une erreur manifeste.

D’autre part, je l’avoue, je suis épouvanté de l’énorme quantité de pensions qui doivent dériver de l’article premier.

(Moniteur belge n°74, du 14 mars 1844) M. Verhaegen. - Jusqu’à présent, il me semble que nous sommes dans le vague et il nous sera bien difficile d’en sortir, à moins de poser quelques questions de principe.

Dans la discussion du budget des finances, je me suis occupé de l’exorbitance de certains traitements et de l’insuffisance de certains autres ; j’ai parlé des traitements variables, des indemnités, des suppléments de traitements, et des charges énormes qui de ce chef pèsent sur le trésor public, et j’ai exprimé le désir qu’il fût apporté, par la législature, un terme à ces abus. Lors de la discussion du budget des travaux publics j’ai pris l’engagement de présenter un projet de loi, et dans quelques jours cet engagement sera rempli.

La pension, dans l’opinion de la section centrale, est considérée comme un corollaire du traitement ; quoi qu’il en soit, c’est une charge de plus dont on grève l’Etat et dont on a fait depuis quelque temps un scandaleux usage. Naguère, messieurs, j’ai eu l’honneur de vous citer des faits graves et ces faits sont de notoriété publique.

Au budget des dotations, on voit figurer comme subside, à la caisse des pensions, la somme énorme de neuf cent quarante-quatre mille francs, et cependant aujourd’hui les retenues sont doubles de ce qu’elles étaient autrefois. Je me suis demandé comment nous étions arrivés à ce résultat, et les faits sont venus me répondre d’une manière décisive. Des fonctionnaires qui étaient encore très capables de rendre des services à l’Etat, ont été mis à la pension, avec les trois quarts de leur traitement, par la seule raison que l’oisiveté leur convenait mieux que le travail. Des hommes à la fleur de l’âge ont été remplacés par des hommes infirmes que bientôt on a été forcé de mettre à la retraite, toujours avec des trois quarts d’appointements ! Quel scandale !

Il y a donc une première question à examiner et qui est capitale, révisera-t-on toutes les pensions ?

Sur cette question le projet de loi ne me donne pas les apaisements nécessaires. Je vois bien dans l’art. 63 que « les pensions inscrites actuellement à la charge de la caisse de retraite du ministère des finances et de l’administration des postes, seront acquittées par le trésor public à dater du 1er jour du mois qui suivra la promulgation de la présente loi, qu’elles seront sujettes à révision. » Mais cet article, selon moi, n’est pas assez général ; il y a d’autres pensions encore que celles inscrites à la caisse de retraite du ministère des finances et de l’administration des postes ; quel sort réserve-t-on à ces pensions, si elles ont été accordées depuis 1830 ? Pour faire acte de justice envers tout le monde il faut une révision générale, et voici entre autres comment j’entends cette révision :

Un fonctionnaire a sollicité et obtenu sa pension depuis 1830, quoique son âge et sa santé lui permissent encore de rendre des services à l’Etat ; les motifs qu’il a allégués seront de nouveau examinés, et s’ils sont reconnus non fondés, il sera remis en activité de service, et sa pension viendra à cesser du jour de sa rentrée en fonctions.

Si l’on ne donne pas cette extension à l’art. 63 du projet, la révision sera illusoire et le subside d’environ un million, dont est grevé le budget des dotations, devra encore être augmenté d’année en année.

Messieurs, comme je vous le disais en commençant, il serait bon de mettre un terme au vague qui règne dans la discussion, et avant de nous occuper des détails, il faudrait nous fixer sur quelques questions de principe.

D’un côté, on a soutenu qu’aucune pension n’était due par l’Etat, et on a soutenu que des retenues devaient être opérées sur les traitements de tous les fonctionnaires sans exception, et que de cette manière, l’Etat n’aurait aucune obligation.

L’honorable M. Pirmez est allé trop loin, au moins en théorie. Le système qu’il a développé est trop absolu ; d’après lui, aucune pension ne serait due par l’Etat, parce que, dit-il, ce n’est pas le fonctionnaire public qui rend des services à l’Etat, mais bien l’Etat qui rend des services au fonctionnaire public.

Un autre honorable membre a développé un système diamétralement opposé. Entre ces deux systèmes il en est un qui vient prendre le milieu c’est celui de l’honorable M. Savart.

L’honorable M. Savart veut bien accorder des pensions à des fonctionnaires publics qui en ont besoin, mais il ne veut pas en accorder à ceux qui sont dans l’aisance. Ce dernier système mérite un examen sérieux.

Messieurs, ce qui a surtout fixé mon attention, c’est le préambule de l’arrêté de 1814 que vient de lire M. le ministre des finances en répondant à l’honorable M. Pirmez. Ce préambule, dans mon opinion, confirme l’opinion de l’honorable M. Savart.

« Considérant, y est-il dit, qu’il est de la justice du gouvernement de récompenser de longs et fidèles services et de fournir un soutien à des hommes qui ont consacré leur vie au service de l’Etat, etc. »

Ainsi, messieurs, deux conditions sont requises pour avoir droit à une pension : il faut d’abord que le fonctionnaire ait rendu des services, et en second lieu qu’il ait besoin de soutien, c’est-à-dire qu’il ne soit pas dans l’aisance.

Le préambule de l’arrêté de 1814, loin donc de combattre le système de l’honorable M. Savart, ne fait que le confirmer. C’est du reste une question à l’égard de laquelle je ne fais que vous soumettre des observations que m’a suggérées l’argumentation même de M. le ministre des finances, sans que je veuille jusqu’à présent prendre une détermination quelconque.

Messieurs, je serais disposé à m’opposer à tout extrême je ne voudrais pas qu’un fonctionnaire public pût dire dans tous les cas, en remplissant mes fonctions j’ai rendu des services à l’Etat et j’ai droit à telle ou telle somme annuelle, à titre de pension ; mais je ne voudrais pas non plus qu’on pût le repousser par la seule considération que ce n’est pas lui qui a rendu des services à l’Etat, mais bien l’Etat qui lui a été utile ; il y a entre ces deux propositions, une troisième qui est vraie, c’est que le fonctionnaire public qui remplit bien et dignement ses fonctions, est utile au pays comme le pays est utile au fonctionnaire public, en récompensant ses services ; il y a là une parfaite réciprocité qui seule peut servit de base à l’argumentation de ceux qui appuient le système des pensions à payer par l’Etat, au moins dans certains cas.

Il peut y avoir des raisons pour récompenser des fonctionnaires publics zélés, en leur accordant une pension, mais il serait dangereux d’énoncer une opinion absolue en cette matière.

La question qu’a soulevée le discours de l’honorable M. Savart mérite donc d’être examinée. Ne paraît-il pas extraordinaire au premier coup d’œil qu’un homme qui jouirait d’une fortune de 40 à 50 mille livres de rente vînt toucher à charge du trésor public une pension de quelques mille francs, alors que nos finances sont loin d’être prospères, et que des fonctionnaires en activité de service manquent du strict nécessaire ?

Un autre système, et c’est celui défendu par l’honorable M. de Garcia, consisterait à opérer des retenues, dans tous les cas, sur les appointements des fonctionnaires. Ce principe me paraît exorbitant. Je trouve que le principe tel qu’il est posé dans la loi est déjà trop rigoureux, et tout d’abord, je ne le déclare, je ne sanctionnerai pas mon vote, quant à la magistrature de l’ordre judiciaire, aussi longtemps au moins qu’on n’aura pas amélioré sa position.

Il est très facile de dire qu’il faut être prévoyant dans l’intérêt de la famille du magistrat, qu’il faut donner à sa veuve et à ses enfants des moyens de subsistance. Mais avant de penser à ceux qui viendront après lui, qu’on commence donc à penser à lui-même et à lui donner ce qu’il a besoin pour sa propre subsistance !

On fait de la théorie ; mais à côté de la théorie il faut la pratique. On veut retrancher 5 p. c. de leurs traitements aux membres de l’ordre judiciaire, et depuis longtemps ils réclament une amélioration dans leur position. C’est-à-dire qu’au lieu de rendre leur position meilleure, on veut la rendre plus mauvaise.

D’ailleurs à cet égard, il y a encore beaucoup à dire sur les détails. Ainsi quelle sera la pension des magistrats très avancés en âge ? Si la disposition proposée est accueillie, eux aussi, seront-ils forcés de faire des versements de 3 p.c. et que recueilleront alors leurs veuves ? Pourront-ils jouir des avantages de la loi en opérant des versements pour les années antérieures, ou les obligea-t-on à ajouter les intérêts composés de ces sommes ?

Ce sont là toutes questions que le projet ne résoud pas et sur lesquelles il est nécessaire cependant que nous soyons fixes.

Voilà, messieurs, les observations générales que j’avais à vous soumettre. Je termine en vous priant de les méditer ayant de vous occuper des détails.

(Moniteur belge n°73, du 13 mars 1844) M. le président. - Je prie l’honorable M. Verhaegen de vouloir remettre au bureau ces questions de principe.

M. Verhaegen. - J’attendrai la suite de la discussion.

Plusieurs membres. - A demain !

M. de Garcia. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Messieurs, nous sommes saisis de deux projets de loi qui concernent les pensions de la magistrature : c’est d’abord celui sur lequel l’honorable M. Delehaye a fait rapport, et en second lieu celui dont nous nous occupons.

Je désirerais savoir si le gouvernement abandonne le premier de ces projets.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, le projet de loi générale sur les pensions s’appliquera à la magistrature comme à tous les autres fonctionnaires.

Dans le projet qui concerne les traitements de l’ordre judiciaire se trouvent aussi des règles spéciales pour la liquidation des pensions, mais seulement dans le cas où le magistrat est mis forcément à la retraite.

La section centrale chargée de l’examen de la loi sur les pensions, n’avait pas à s’occuper des dispositions spéciales qui pouvaient être prises à raison de l’inamovibilité, lorsque le magistrat était forcément mis à la retraite, c’est-à-dire dans le cas prévu par le projet sur lequel l’honorable M. Delehaye a fait rapport.

La question soulevée par l’honorable M. de Garcia est donc celle-ci : l’adoption des règles générales emporterait-elle le retrait des règles spéciales. Je ne pense pas qu’il puisse en être ainsi. Les dispositions particulières motivées par le principe de l’inamovibilité de la magistrature coexisteront et se concilieront aisément avec les règles générales.

M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, par suite des observations qui ont été faites à mon collègue M. le ministre de l’intérieur, nous avons, d’un commun accord, jugé utile de présenter à la chambre une nouvelle rédaction de l’art. 21 du projet de loi concernant les membres du corps enseignant.

Je dépose ces nouveaux articles sur le bureau et j’y joints deux mémoires, l’un de l’université de Liége et l’autre du conseil académique de l’université de Gand.

M. de Villegas. - Je demande le renvoi de ces amendements à la section centrale.

M. le président. - Je proposerai d’abord de faire imprimer et distribuer ces amendements, sauf à statuer ensuite sur leur renvoi.

- Cette dernière proposition est adoptée.

La séance est levée à 4 heures et demie.