(Moniteur belge n°49, du 18 février 1844)
(Présidence de M. Liedts.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dedecker lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les négociants, propriétaires, fabricants et cultivateurs de Peruwelz présentent des observations contre le projet de loi sur les tabacs. »
« Mêmes observations des habitants de Momicourt. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi.
« Le sieur Heusmans, maître de poste à Cortemberg, prie la chambre de s’occuper du projet de loi sur la poste aux chevaux. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
M. le président. - La discussion continue sur l’ensemble de ce budget.
M. Sigart. - On a fait à cette discussion générale le reproche de s’écarter de son caractère et de dégénérer en une espèce de discussion d’articles. Je ne crains pas qu’on adresse un pareil reproche aux observations que je vais avoir l’honneur de vous soumettre. Mais je pourrais craindre peut-être qu’on ne leur adressât un reproche contraire ; en effet, elles pourraient s’appliquer aux autres budgets. Seulement, je pense qu’elles trouvent une application plus convenable au budget des travaux publics.
Les lois sur la comptabilité de l’Etat et sur l’organisation de la cour des comptes doivent mettre un terme à de nombreux abus ; mais en attendant ces remèdes efficaces, je pense que nous ne devons pas négliger les palliatifs.
Je demanderai à M. le ministre des travaux publics comment il se fait que, dans son département, les dépenses autorisées à charge de rendre compte ne soient justifiées qu’au bout de 8 ou 10 ans. Je pense qu’il devrait donner des ordres sévères aux fonctionnaires sous ses ordres pour qu’ils eussent à fournir promptement les justifications arriérées.
Je ne sais s’il est utile d’expliquer à la chambre les inconvénients de cet état de choses ; ils se reconnaissent assez d’eux-mêmes. Des fonctionnaires, sans cautionnement, peuvent se faire un fonds de roulement pour leurs affaires particulières ; si les sommes sortent avant le temps des caisses publiques, il y a nécessité d’augmenter les bons du trésor.
Si l’abus ne se présentait pas sur une aussi grande échelle, cet effet serait fort peu important ; mais une foule d’ingénieurs, de secrétaires généraux usent de la faculté qui leur est accordée. Cela se fait dans tous les départements ; cela doit faire un vide considérable dans les caisses publiques.
La cour des comptes, quand elle vérifie la justification de la dépense, se trouve en présence d’un fait accompli. Que peut-elle faire quand il s’agit dune dépense faite depuis dix ans ? Elle fait ses observations ; elle ouvre une correspondance ; mais, en définitive, elle doit régulariser la dépense.
Les membres de la chambre se présentent à la cour des comptes pour connaître l’emploi de certains crédits ; on leur répond qu’il n’en a pas encore été rendu compte. Ils demandent alors l’emploi du crédit de même nature pendant l’année précédente. On leur répond de même. Ils sont ainsi renvoyés d’année en année.
Tous ces inconvénients, je le répète, ne peuvent complètement disparaître que par l’adoption des lois indiquées, je n’en ai pas moins cru devoir faire ces observations, afin que l’on remédie autant que possible, pour le moment, aux abus qui existent.
M. d’Hoffschmidt. - J’avais demandé hier la parole pour dire quelques mots en réponse à l’honorable M. Cogels, qui a prétendu qu’il était inutile de discuter le projet de loi qui pose le principe de la garantie du minimum d’intérêt, puisque, a-t-il dit, ce principe se trouve posé de fait dans l’état actuel des choses.
Ce principe est posé ! Mais, depuis douze ans, quelle proposition vous a été faite pour l’appliquer ? Jusqu’à présent le gouvernement n’a pas cru convenable d’en faire usage, et ce principe n’a porté aucun fruit.
Dans le rapport de l’honorable M. Dechamps sur la proposition dont il s’agit, cette question de l’utilité d’une loi de principe a été examinée. Je ne reproduirai pas les raisons qui ont été développées pour qu’on adopte ce projet de loi. Vous avez tous pris connaissance du rapport, tous vous l’avez lu attentivement. Ainsi il serait superflu de rappeler les motifs qui ont été apportés à l’appui de l’opinion favorable une loi de principe.
Le projet de loi aurait, en second lieu, pour effet, comme le démontre le même rapport, de réveiller l’esprit d’association, qui languit maintenant en Belgique.
Du reste, dans le projet tel qu’il est formulé par la commission qui l’a examiné, il ne s’agit pas seulement de poser un principe, il s’agit de l’organiser, de l’entourer de toutes les précautions nécessaires, afin d’établir les conditions que devraient remplir les sociétés, pour obtenir la faveur de la garantie d’un minimum d’intérêt ; ce serait, en un mot, le complément nécessaire de notre loi sur les concessions de péages. En effet, cette loi, qui date de 1832, est bonne sans doute pour les routes ordinaires ; mais elle est insuffisante pour les grandes voies de communication, telles que les chemins de fer et les canaux. Cependant on a déjà appliqué cette loi à une grande voie de communication, au chemin de fer entre Gand et Anvers. Mais je crois qu’il y a dans cet acte de concession plusieurs lacunes qu’on pourrait signaler.
Dans la loi sur les péages, il y a, entre autres articles, l’article qui n’est réellement pas susceptible d’être appliqué aux chemins de fer. Cet article prescrit de fixer les péages pour toute la durée de la concession. Or, je vous demande s’il est possible, pour une ligne de chemin de fer de déterminer des péages qui ne seraient pas modifiés pendant 90 ans, lorsque le gouvernement lui-même, pour le chemin de fer de l’Etat, modifie les péages presque chaque année.
Voilà donc une disposition qui ne peut s’appliquer rationnellement à des concessions telles qu’une grande ligne de chemin de fer, ou des voies de navigation.
La condition même de l’adjudication est ici en quelque sorte illusoire, parce que pour des travaux de cette importance, il ne se présente presque jamais de concurrent sérieux.
Ainsi, il serait peut-être utile d’examiner s’il ne conviendrait pas de réviser cette loi sur les concessions de péages, loi qui, comme vous le savez, est prorogée tous les deux ans. Je crois, quant à moi, qu’il serait avantageux d’y introduire des dispositions sur les concessions relatives aux voies navigables et aux lignes de chemin de fer destinées à former le complément du grand système établi par l’Etat.
La question de savoir s’il ne convient pas de déterminer les conditions nécessaires pour obtenir la garantie d’un minimum d’intérêt, trouveront tout naturellement leur place dans la discussion de cette loi nouvelle sur les péages.
Remarquez que, pour les travaux qui restent à faire pour compléter nos voies de communications, il faudra toujours recourir soit à 1’exécution directe par l’Etat, soit à l’exécution avec le concours de l’industrie privée ou en combinant ces deux modes suivant les circonstances.
Or, je ne pense pas que ce soit un moyen d’économie que de faire exécuter tous nos travaux par l’Etat seul. Je ne pense pas qu’on veuille répudier les concours des compagnies, ni qu’on veuille considérer les concessions comme aggravant plus la situation du trésor, que l’exécution directe par l’Etat.
Ainsi, si l’on veut faire usage du principe de la garantie, il convient de discuter le projet qui vous a été soumis ; car si vous laissez ce principe sans l’insérer dans une loi générale avec toutes les dispositions nécessaires pour l’entourer des précautions désirables, pour fixer les conditions d’admission, qu’arrivera-t-il ? ce qui est arrivé jusqu’à présent, c’est que ce principe ne portera aucun fruit.
Je m’arrêterai ici, ne voulant pas abuser des moments de la chambre en m’étendant sur un des points secondaires que soulève la discussion générale du budget des travaux publics.
M. Peeters. - Messieurs, ayant dû m’absenter pendant plusieurs jours par suite d’une indisposition, j’ai appris par les journaux que des crédits avaient été demandés par le gouvernement, tant pour l’endiguement du poldre de Lillo que pour continuer les ouvrages du canal de Zelzaete, mais j’ai remarqué avec peine qu’aucun nouveau subside n’était demandé pour continuer le travail le plus utile qui ait jamais été décrété ; vous sentez, messieurs, que je veux parler de la canalisation de la Campine.
Une espèce de fatalité paraît poursuivre ce malheureux pays, les députés de la Campine, et j’en sais quelque chose pour ma part, ont dû faire bien des efforts pour obtenir cette canalisation. Oui, messieurs, pour obtenir un travail si utile et qui rapportera tant à l’Etat, nous avons pour ainsi dire dû traîner le gouvernement à la remorque ; vous vous rappelez encore tous que c’est la chambre elle-même qui a pris l’initiative de cet intéressant projet, cette canalisation a été décrétée par un amendement introduit par la chambre dans une loi d’emprunt ; c’est au sentiment d’équité qui dirige la majorité de cette chambre que nous devons ce résultat, et je saisis de nouveau cette occasion pour témoigner ma reconnaissance la plus sincère à tous les honorables collègues qui m’ont assisté si puissamment dans la discussion de ce projet.
La manière d’agir du gouvernement envers la Campine, me paraît d’autant plus étrange, qu’il s’occupe en ce moment d’un projet de loi pour favoriser le défrichement des bruyères et terres incultes ; je vous le demande, messieurs, que peut-on faire de plus utile pour le défrichement de nos bruyères, que la canalisation de la Campine, qui traverse nos immenses plaines de bruyère, depuis Boucholt jusqu’à Herenthals et depuis Hasselt jusqu’à St.-Job-in’t-Goor. J’ajouterai que, sans cette canalisation, le défrichement des bruyères est impossible, et toute loi qu’on pourrait présenter à ce sujet devient inutile et n’aura aucun effet.
Chose singulière, le gouvernement, qui se montre si peu généreux pour les routes et les canaux, vous demande des millions comme s’il en pleuvait, lorsqu’il s’agit du chemin de fer. L’on a dépensé près de deux millions pour un pont sur la Meuse (remarquez que cette somme aurait suffi pour faire vingt lieues de routes pavées) ; oui, messieurs, l’on a dépensé, peut-être, vingt millions pour des travaux d’art dans les vallons de la Vesdre ; avec cette somme l’on aurait fait deux cents lieues de routes pavées. Et, cependant, à en croire l’honorable M. David, qui me paraît très compétent dans la matière, toutes ces dépenses n’auront aucun résultat pour le commerce d’Anvers, de Liége et de Verviers, à moins qu’on ne transporte les marchandises à peu près gratuitement.
J’ai dit que le gouvernement se montrait peu généreux lorsqu’il s’agissait des routes et des canaux ; l’on a augmenté, il est vrai, de la modique somme de cent mille francs, si je ne me trompe, le crédit ordinaire pour les routes, mais j’ai remarqué en même temps, avec regret, qu’on avait diminué de la moitié le crédit ordinaire demandé pour l’amélioration des voies navigables de second ordre, où avec une somme très minime l’on obtient souvent de grands résultats.
M. le ministre, en répliquant avec chaleur à l’honorable M. David, (car le chemin de fer avait été attaqué), a voulu établir des comparaisons entre le produit du chemin de fer, et le produit des routes et des canaux.
Je ferai remarquer à l’honorable ministre que cette comparaison n’est pas heureuse, et je vais tâcher de le prouver.
M. le ministre a oublié de remarquer, que presque tous nos chemins de fer ont été construits longeant les plus beaux canaux et les plus belles routes du pays, dont ils ont considérablement diminué les revenus, qu’ils n’ont donné aucune valeur de plus aux propriétés riveraines, dont, au contraire, ils ont diminué la valeur ; car, comme l’a très bien dit l’honorable M. Desmet, les locomotives ne laissent sur leur passage qu’un peu de fumée et un peu de cendres.
L’on peut donc, à bon droit, appeler les chemins de fer, des chemins de luxe, qui ont aussi un grand avantage, je l’avoue : c’est l’économie du temps, ce qui est sans doute d’une grande importance tant pour les voyageurs que pour la célérité des transports des marchandises, mais c’est là aussi que se borne toute son utilité ; tandis que les routes et les canaux ont toujours pour résultat de doubler la valeur du sol des pays qu’ils parcourent, et de tirer du néant une masse de bruyères et terres vagues, qui, sans ces constructions, resteraient infertiles, et de ce chef seul ils produisent au gouvernement jusqu’à 10 p. c. de l’argent employé.
Oui, messieurs, dans une autre discussion j’ai prouvé par des chiffres authentiques, et que personne n’a contestés, que la canalisation de la Petite-Nèthe jusqu’à Herenthals, qui a coûté environ un million à la province d’Anvers, a fait augmenter les recettes d’enregistrement du bureau de Herenthals et de Gheel, de cinquante mille francs par année, ce qui fait déjà 5 p. c. de l’argent employé par la province à ce sujet.
Si un résultat si avantageux a lieu pour la canalisation d’une rivière dans un pays déjà cultivé, on peut prédire sans exagération que la canalisation de la Campine, qui doit parcourir des pays non cultivés, où le sol décuplera de valeur, rapportera au moins 10 p. c. à l’Etat des sommes qu’on pourrait y employer ; ce canal donnera lieu à une masse de mutations de propriété, et est destiné à augmenter au moins de cinq cent mille francs par année le produit d’enregistrement dans ces localités.
Pour se convaincre de la vérité de ce que j’avance, j’engage beaucoup M. le ministre à se rendre sur les lieux, et aller voir par lui-même cet intéressant travail ; toutes ces grandes et belles fêtes d’inauguration du chemin de fer qui coûtent encore beaucoup d’argent à l’Etat, étant passées maintenant, M. le ministre, j’espère, trouvera bien le temps d’aller voir un pays actuellement pauvre, il est vrai, mais qui contient beaucoup de ressources pour l’avenir, et qui mérite toute son attention. J’ai assez de confiance dans les intentions équitables de M. le ministre pour oser prédire que, lorsque M. le ministre aura vu les localités, il s’empressera de faire droit à mes demandes, et qu’il prendra lui-même l’initiative de ce projet.
La province d’Anvers, qui possède le moins de routes de toutes les provinces du pays, et qui a dépensé un million à canaliser la Petite-Nèthe sans subside de l’Etat, à des droits à la sollicitude du gouvernement. Aussi j’ai remarqué avec regret qu’elle ne figure que pour la modique somme de quatre-vingt-dix mille francs dans les quinze cent vingt mille francs pour laquelle les ministres ont pris des engagements, d’après le tableau sur l’emploi des fonds de routes annexé au rapport du budget des travaux publics.
Mais ici, je dois le reconnaître, M. le ministre des travaux publics montre de très bonnes dispositions pour la province d’Anvers ; mais une nouvelle fatalité se présente. M. le ministre des travaux publics est à chaque instant arrêté par un génie, que dans la Campine l’on commence à appeler le mauvais génie, je veux parler du génie militaire, et puisque nous avons un officier distingué de ce corps au banc des ministres, je prie cet honorable membre de vouloir bien me dire combien d’heures il croit qu’une armée devrait employer de plus pour passer de Poppel à Turnhout (distance de deux lieues et demie) à travers le chemin de terre qui y existe aujourd’hui, que si ce chemin était pavé ; car l’honorable officier sait parfaitement bien que, dans aucune saison, ces chemins sablonneux ne peuvent empêcher le passage d’une armée ; les alliés y sont passes en plein hiver, avec une artillerie considérable. La ville d’Anvers était bloquée à cette époque.
Quoi qu’il en soit, je désire que le gouvernement prenne une décision définitive à cet égard au plus tôt, si le génie militaire persiste, à tort selon moi, à s’opposer à la construction de la route de Turnhout à Poppel vers Tilbourg, il est du devoir du gouvernement de proposer au plus tôt un crédit pour l’embranchement du canal de la Pierre-Bleue par Turnhout vers St-Job-in’t-Goor, que mon honorable ami M. de Nef et l’administration communale de la ville de Turnhout vous demandent avec tant d’instance, et qui peut se faire avec une dépense très peu considérable ; car remarquez, messieurs, que, d’après le dernier nivellement des ingénieurs sur tout cet embranchement qui parcoure une distance de plus de huit lieues , il n’y aura pas une seule écluse.
Je dis qu’il est urgent de discuter cet embranchement, car jusqu’ici vous n’avez rien fait pour la ville de Turnhout, ville de quinze mille habitants, ville qui, quoique, matériellement parlant, elle ait perdu par la révolution, a toujours montré beaucoup de patriotisme et qui, par conséquent, a des titres à votre sollicitude et à votre bienveillance.
Je recommande également à M. le ministre pour un subside équitable, la route provinciale de Gheel à Moll avec un embranchement sur Meerhout, en un mot, de faire pour la province d’Anvers tout ce qui est possible, et de la lier enfin par une bonne communication à la province du Limbourg, avec laquelle elle n’a jusqu’ici aucune bonne voie de communication. En finissant, je recommande surtout à M. le ministre de ne pas oublier le principe de concours établi pour la canalisation de la Campine, lorsqu’il s’agira de décréter de nouveaux canaux ou d’améliorer les rivières, dans d’autres provinces. Je ne m’oppose pas à ce qu’on dépose des sommes considérables pour améliorer la navigation de la Mense et autres rivières mais il faut absolument que les riverains et les communes les plus intéressés contribuent dans la dépense le principe de concours établi pour la Campine, doit s’étendre pour tout le pays. Le gouvernement ne peut pas avoir deux poids et deux mesures.
L’honorable M. de Theux ayant interpellé M. le ministre des finances sur ses intentions relatives à la vente de nos forêts, que nous avons discutée l’année passée, j’aurai l’honneur d’ajouter que j’espère que M. le ministre des finances fera coïncider ce projet avec un impôt sur l’entrée des bois étrangers. Il y aurait pour lui un double avantage, il augmenterait ainsi les recettes des douanes, et il pourrait faire augmenter la valeur des bois qu’il devra vendre, de manière que si le gouvernement s’y prend bien, il trouvera peut-être les dix millions dans la suppression des forêts qu’il a l’intention de vendre, et pourra ainsi conserver le sol à l’Etat, de manière que les domaines ne seront pas diminues.
M. Verhaegen. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour vous soumettre quelques observations sur une opinion qui s’est fait jour hier dans cette enceinte.
On vous a beaucoup parlé de concessions pour des embranchements du chemin de fer et on a engagé le gouvernement à encourager les demandes de particuliers et de sociétés.
Autrefois plusieurs honorables collègues venaient demander au gouvernement de ne pas oublier leurs localités alors qu’il s’agissait encore de faire aux frais de l’Etat des embranchements nouveaux. Aujourd’hui que l’on a pris la résolution de s’arrêter et que les ressources du trésor ne permettent plus de faire de nouvelles dépenses, de toutes parts on engage le gouvernement à encourager les concessions là où il reste quelque chose à faire.
Je me suis demandé, à l’occasion de cette insistance, s’il peut bien appartenir au gouvernement d’accorder des concessions pour des embranchements des chemins de fer ou pour des chemins de fer nouveaux, et je fixe sur ce point toute votre attention.
Le grand réseau des chemins de fer a été créé par la loi ; nous avons fait pour cette création des frais considérables ; les uns regrettent les sommes énormes qu’on a dépensées ; d’autres pensent qu’on en retirera plus tard des avantages importants. Je n’entrerai pas dans l’examen de ces questions. Mais je me demande de nouveau si, après avoir fait ces dépenses, et si tout ce qui concerne ce chemin de fer a été réglé par la loi, il peut appartenir au gouvernement de détruire cet ensemble au moyen de concessions particulières.
Vous comprenez, messieurs, que cette question est fort grave, car s’il pouvait appartenir au gouvernement d’accorder des concessions, il en résulterait qu’induit en erreur par des spéculateurs, par l’avidité des concessionnaires, un ministre pourrait porter préjudice au système général de nos chemins de fer.
Si mes informations sont exactes, une compagnie doit avoir récemment demandé au gouvernement une concession pour un chemin de fer de Namur à Liége par la vallée de la Meuse. Le gouvernement se croit-il en droit de l’accorder ?
La législature abandonnera-t-elle au gouvernement le droit de concession en tout ou en partie ?
Messieurs, je n’examinerai pas la loi sur les péages dans laquelle le gouvernement a puisé naguère son prétendu droit de concession, je n’examinerai pas non plus la loi de 1832, qui déjà a restreint ce droit, car, pour éviter tout doute, je me propose, alors que nous serons arrivés au chapitre particulier des chemins de fer, de vous proposer un article additionnel d’après lequel aucune concession de chemin de fer ne pourra avoir lieu qu’en vertu d’une loi.
M. d’Hoffschmidt. - Cela existe.
M. Verhaegen. - On dit que cela existe ; mais la loi à laquelle on fait allusion est insuffisante.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il y a une loi spéciale.
M. Verhaegen. - Je désire que M. le ministre des travaux publics nous donne des explications catégoriques et nous fasse connaître ses intentions.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, je répondrai immédiatement aux observations faites par l’honorable M. Verhaegen.
La loi sur les concessions des péages est du 19 juillet 1832. Elle n’avait force et vigueur que pour une année, mais elle a été successivement prorogée d’année en année jusqu’en 1842, et à partir de cette époque, elle a été prorogée pour deux ans.
Dans la loi primitive une exception avait été formulée en ce qui concerne la canalisation des rivières navigables.
Par la dernière loi de prorogation du 19 juillet 1842 une exception a aussi été formulée en ce qui concerne les concessions de chemins de fer. Voici comment est conçu l’article unique de la loi :
« La loi de 1832 sur les concessions de péage est prorogée ; néanmoins aucune ligne de chemin de fer destinée au transport des voyageurs et des marchandises, et d’une étendue de plus de 10 kilomètres, ne pourra être concédée qu’en vertu d’une loi. »
Cette exception a été formulée, si mes souvenirs sont exacts, précisément à cause de la concession accordée pour le chemin de fer de Gand à Anvers par Saint-Nicolas.
L’honorable membre avait donc perdu de vue les dispositions de la loi des péages, qui renferme ce que M. Verhaegen voulait y mettre.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. Lys. - On a fait, messieurs, des promesses au nom du chemin de fer, qu’il ne devait pas tenir, parce qu’elles étaient exorbitantes. Quoi ! vous empruntiez de l’argent à haut intérêt, et en donnant des commissions extraordinaires, et vous voudriez que le chemin de fer produisît de manière à couvrir, non seulement cette dépense, mais encore à amortir le capital.
Contentez-vous, messieurs, du résultat actuel, tout en conservant l’espoir d’un avenir plus heureux ; et, en effet, les recettes sont loin d’avoir atteint leur maximum, car c’est d’hier, à peine, que vous avez réalisé la jonction des lignes belge et rhénane, et vous avez beaucoup à attendre de la construction du railway de Paris à Valenciennes et Lille.
Nous sommes heureux que le chemin de fer laisse dès aujourd’hui un excédant de 3 p. c. du capital engagé.
Et en effet, pourquoi tant nous plaindre que les prévisions premières sont si différentes du résultat, lorsque la somme immense qui a été employée donne un intérêt qui approche de très près, s’il ne le surpasse pas, le revenu ordinaire qu’un particulier retire de l’emploi de ses fonds en immeubles ?
Remarquez, messieurs, que les routes, avant que les chemins de fer ne fussent décrétés, ne rapportaient que 3/4 p. c. d’intérêt, et personne n’a jusqu’à présent songé à présenter leur construction comme une chose fâcheuse pour le pays. Loin de là, chaque localité aspire après le moment de poursuivre, aux mêmes conditions, les routes projetées, tout le monde sait que l’ouverture de toute nouvelle voie de communication augmente la richesse du pays.
Le chemin de fera a ouvert des relations économiques ; l’état des fortunes exige une grande modicité dans les prix pour exciter le déplacement des personnes : les besoins du commerce et de l’industrie réclament aussi des tarifs très bas pour le transport des marchandises. Ne sait-on pas, en effet, que la prospérité de l’industrie d’un pays dépend souvent de la facilité des communications ? Une différence dans les frais de transport d’une matière première empêche vos voisins de concourir avec vous par le seul fait des frais considérables qu’ils doivent faire pour la transporter au lieu de fabrication.
Convenons, messieurs, qu’outre l’économie dut temps, qui est la plus précieuse, le chemin de fer a procuré, à la plupart des contrée qu’il traverse, de nouveaux marchés et facilité l’écoulement de leurs produits.
Il reste donc incontestable, messieurs, que la construction des chemins de fer, qui vont bientôt couvrir les vastes territoires de la France et de l’Allemagne entière, établiront des relations intimes et établiront une véritable fusion des peuples ; les industriels de tous les pays apprendront à mieux se connaître, et par suite à mieux apprécier leurs ressources ; on pourra dès lors espérer de voir affaiblir leur résistance aux arrangements commerciaux.
Après avoir parlé des avantages que le chemin de fer procurera au pays, je suis loin de reconnaître, messieurs que l’on ait, dans sa construction, toujours suivi les règles d’une sage économie.
Une des grandes bases d’économie résidera toujours dans l’ordre, c’est-à-dire dans une comptabilité parfaite.
La cour des comptes n’a cessé de la réclamer auprès de l’administration du chemin de fer, et elle n’a jamais pu l’obtenir.
C’est ainsi que, jusqu’en 1843, les travaux exécutés sans adjudication publique ont pris un nouvel accroissement et que des fournitures de plus en plus importantes se sont effectuées au moyen de contrats de la main à la main et même sur simple autorisation ministérielle, sans l’intervention d’un contrat quelconque ; qu’il n’a été tenu en maintes circonstances aucun compte de la teneur des conventions, et que l’interprétation qui souvent y a été donnée, tendait à rendre illusoires les charges imposées aux entrepreneurs ; de là des travaux imprévus, supplémentaires, extraordinaires, de force majeure, de parachèvement et de tout genre et sans nombre.
Voilà, messieurs, le langage de la cour des comptes, et elle cite pour exemple la dépense de la section de Chênée à Pepinster, adjugée pour 4,008,000 fr., à laquelle on a exécuté des travaux imprévus et extraordinaires pour 4,002,951 fr, 89 c.
Elle cite encore des fournitures et des travaux exécutés sans contrat ou au moyen de contrats de la main à la main et sans rabais, pour une somme de 2,676,676 fr. 60 c., et remarquez qu’elle néglige les travaux au dessous de 7,000 fr.
L’on me dira, messieurs, ce sont là des faits accomplis, nos constructions sont peu près terminées. Mais si vous agissez toujours ainsi, vous ne parviendrez jamais à introduire de l’ordre dans la gestion des affaires de l’Etat ; vous ne ferez jamais d’économies, qui vous sont aujourd’hui indispensables, car vous ne parviendrez pas à couvrir le déficit existant par de nouvelles lois d’impôt. L’essai que le ministère a voulu en faire l’avertit assez que le pays veut des économies et nullement de nouveaux impôts.
Le département des travaux publics, tel qu’il est organisé aujourd’hui, n’est pas seulement chargé de l’exécution des grands travaux nationaux, de leur surveillance et de leur entretien, le département des travaux publics est encore une fraction du ministère des finances. En effet, messieurs, il comprend le service de la poste aux lettres et les péages du chemin de fer.
Le département des travaux publics a une administration de recette tout à fait indépendante du ministère des finances.
Cette organisation est aussi contraire au principe de l’unité d’attributions ministérielles, qu’à la régularité de la comptabilité de l’Etat.
Toutes les branches d’administration qui passent à l’état de produit, doivent nécessairement entrer dans les attributions du département des finances, du moins pour tout ce qu’elles ont de financier.
Que deviendrait le principe de l’unité en matière d’administration si tout ce qui concerne les revenus publics et la comptabilité de l’Etat n’était pas exclusivement surveillé et dirigé par le ministère des finances.
La poste aux lettres constitue un revenu de l’Etat ; le chemin de fer doit être envisagé comme propriété et comme revenu domanial, et, sous ce rapport, il doit être administré par le département des finances.
L’attribution d’une même chose, envisagée sous des rapports différents, à deux départements ministériels, n’est pas une innovation. Il est facile de citer une foule d’exemples de cette division d’attributions.
Le département des travaux publics a la création, l’entretien et la police des routes et des canaux de l’Etat, mais la perception des produits de ces routes et canaux c’est-à-dire, les droits de barrière et ceux de navigation, tombent dans les attributions du département des finances, comme revenus du domaine public.
Le ministre de la guerre dispose des terrains et des eaux des fortifications, mais il ne fait pas le recouvrement des revenus que ces objets produisent.
Le ministre de la justice n’est pas appelé à faire rentrer dans le trésor le montant des amendes et des frais judiciaires.
Aussi, messieurs, la cour des comptes n’a-t-elle pas hésité à proclamer, dès 1835, la nécessité d’attribuer au ministère des finances la perception des péages du chemin de fer, parce que le département des finances, devant rendre compte de toutes les recettes publiques, doit nécessairement en avoir la haute direction et l’administration.
La simplification des rouages financiers amène l’économie du temps, l’économie d’employés et nécessairement l’économie d’argent.
Le gouvernement s’est donc engagé dans une fausse voie, en attribuant au ministre des travaux publics la perception des recettes du chemin de fer.
Ce système a nécessité un personnel beaucoup plus considérable, car si la partie financière du chemin de fer avait été donnée au département des finances, il eût été facile de réaliser une économie considérable. Je citerai d’abord les frais d’administration centrale ; tout ce qui y figure comme frais de comptabilité devenait inutile ; on rétribue aujourd’hui des fonctionnaires dont l’emploi n’aurait pas été nécessaire par le département des finances, qui possède, sous ce rapport, un cadre complet d’employés, qui auraient pu très convenablement se charger de ce service.
Ce n’est pas tout, messieurs comment expliquer, même en faisant la part des circonstances, la grande disproportion qui existe entre le nombre des agents employés dans les deux administrations et le montant des traitements.
L’administration centrale du chemin de fer compte 162 employés dont les traitements importent une somme de 261,705 fr., et le produit des péages du chemin de fer est de 10,600,000 fr. Si nous comparons ces chiffres à ceux que nous fournit le budget des finances, nous trouvons que l’administration centrale de ce département pour les domaines et les forêts, les contributions directes, accises, etc., ne compte que 86 employés dont les traitements montent à 224,000 fr., et ces 86 employés administrent d’abord l’enregistrement et les domaines qui donnent 29,032,500 fr. et ensuite les contributions directes, accises, etc., qui donnent 62,951,107 fr. ; en total 92,903,607 fr.
A quelles causes faut-il donc attribuer ces différences ?
Un département qui ne produit que le neuvième des revenus du département des finances, possède beaucoup plus d’employés pour son administration centrale que le département des finances, et ces employés nécessitent une dépense qui dépasse la somme qui est attribuée au département des finances pour le service de deux de ses branches de recettes, si difficiles et si compliquées.
Pourquoi porter les salaires des agents du département des travaux publics à un taux supérieur au chiffre des traitements attribués aux agents d’autres administrations, qui souvent n’ont acquis leur position qu’après un long surnumérariat ?
Je citerai à cette occasion les inspecteurs de l’enregistrement ; ceux de troisième classe ont un traitement de 5,000 fr. ; de deuxième classe 6,000 fr., de première classe 6,500 fr. ; ils n’ont droit ni à frais de route, ni à indemnité de voyage.
Nous voyons trois inspecteurs du chemin de fer, qui ont les moyens de transport gratis, jouir de 7,000, 8,000 et 10,000 fr. de traitement.
Il n’y a donc aucune proportion gardée entre les traitements attribués aux uns et les traitements attribués aux autres.
Pour mettre de l’ordre et de la régularité dans nos finances, pour réaliser des économes, en évitant au pays des dépenses inutiles, il faut que la partie des péages du chemin de fer rentre au département des finances. Aucune manutention des deniers de l’Etat ne peut être exercée, aucune caisse publique ne peut être gérée, que par un agent placé sous les ordres du ministre des finances, nommé par lui, responsable envers lui de sa gestion, et justiciable de la cour des comptes.
L’art. 115 de la constitution charge le ministre des finances de balancer les recettes et les dépenses de chaque exercice ; c’est à ce ministre qu’incombe par suite l’obligation de réaliser les ressources nécessaires pour suffire aux besoins de l’Etat, et dès lors, il doit nécessairement avoir la gestion de tout ce qui est une branche de revenu.
La part du département des travaux publics sera encore assez belle malgré la distraction de la partie financière du chemin de fer ; il continuera à avoir le service de l’entretien et de la construction du railway et des grands travaux nationaux, il continuera à avoir le service de la locomotion et de l’entretien du matériel.
Il est, ce nous semble, inutile d’insister sur un point qui nous paraît être de la plus complète évidence. Pour maintenir l’organisation actuelle, il faudrait aller jusqu’à prétendre que la complication dans les rouages de l’administration publique est chose utile au pays ; que bon nombre d’employés qui font deux fois la même chose, d’abord au département des travaux publics, et ensuite aux finances, est une conception destinée à réaliser les économies dont tout le monde sent l’urgence et le besoin.
Passant à un autre ordre d’idées, j’ajouterai aux observations concernant divers traitements, que vous a développés hier mon honorable collègue, M. le baron Osy, qu’il règne au département des travaux publics des différences dans les traitements des employés, dont je ne comprends pas la cause.
Les troisièmes commis à Bruxelles, au bureau des bagages, reçoivent un traitement de 900 fr. (105).
Un commis à l’essai à Ostende reçoit 1,200 fr. (108).
A Braine-le-Comte, mille francs, (109).
A Namur, 1,200 fr. (110).
Un troisième commis à Mons, 1,000 fr. (109).
Je remarque une autre anomalie. Les peseurs qui n’ont aucune responsabilité jouissent généralement d’un traitement de 960 francs.
Ainsi un simple ouvrier à 60 francs de plus que son chef qui est comptable, responsable de la recette, et fournit caution.
Je pourrais, messieurs, beaucoup étendre mes remarques, mais il me suffit d’avoir signalé à M. le ministre des travaux publics, qu’il y a nécessité d’établir une règle fixe en matière de traitements.
Il me reste, messieurs, à attirer votre attention sur deux autres points, qui me paraissent dignes de vos méditations.
L’Etat a établi des ateliers de construction pour les diligences, les chars-à-bancs et les waggons ; il a aussi établi des fours à coak, pour la préparation du combustible nécessaire.
Nous pensons, messieurs, que des réformes importantes doivent être introduites dans ces deux parties du service des chemins de fer. Pourquoi l’Etat se fait-il constructeur de voitures pour l’exploitation du chemin de fer ?
Je ne crois pas qu’on puisse en donner un motif plausible.
Il serait de l’intérêt général de mettre la fourniture de ces voitures en adjudication publique, c’est le moyen le plus sûr d’être bien fourni et à bon marché.
L’Etat ne peut se faire producteur qu’à la condition de dépenser beaucoup plus que l’industrie particulière. La surveillance des ateliers de l’Etat n’étant pas dirigée par l’intérêt personnel, il en résulte que les travaux nécessitent beaucoup plus de dépenses, qu’il n’est indispensable de faire pour arriver aux mêmes résultats. Ensuite il faut organiser une organisation supérieure, un état-major, si je puis m’exprimer ainsi, qui fait que le prix de revient des voitures construites par l’Etat est de beaucoup supérieur à celui que l’on paierait au commerce.
Le gouvernement ne doit se transformer en producteur que dans un seul cas, c’est lorsque l’industrie particulière ne peut pas lui fournir les objets dont il a besoin. Dans cette hypothèse, il y a alors nécessité d’organiser des établissements nationaux, pour la production des objets dont le pays a besoin dans l’une des branches du service public. Personne ne prétendra que l’industrie belge ne pourrait fournir des diligences, des chars-à-bancs et des waggons. On ne soutiendra point que les voitures que fournirait l’industrie seraient de qualité inférieure à celles qui sont construites dans les ateliers du gouvernement. Le commerce fournit des locomotives, il n’y a pas de raison pour qu’il ne fournisse pas également les voitures. L’Etat doit donc se borner à conserver des ateliers de réparation, et rien de plus. L’intérêt du trésor public exige impérieusement que l’Etat cesse d’être producteur d’objets que l’industrie privée peu, à coup sûr, fournir à plus bas prix et d’une aussi bonne qualité.
Une économie, aussi minime qu’on puisse la supposer, quand elle est souvent répétée, produit à la fin une somme très forte, et je reste convaincu par les faits qu’il serait long trop de vous rapporter, qu’il y aura de ce chef une économie considérable.
J’arrive à la fabrication du coke ; les motifs que je viens de déduire vous font déjà pressentir que je ne suis pas favorable à ce genre d’établissements.
Nous avons cinq établissements de ce genre, savoir à Malines, Gand, Ans, Hal et Ostende.
D’abord, messieurs, le placement de tous ces fours à coke est-il parfaitement bien choisi ? Il est permis d’en douter.
Quels sont les charbonnages qui environnent Malines, Gand, Ostende et Hal ?
Vous conviendrez, messieurs, qu’on ne pouvait plus mal choisir, et que la position des fours à coke devait être rapprochée des lieux d’extraction de la houille.
Aujourd’hui on transporte le coke de Gand à Tournay et Courtray, deux endroits où il pourrait être livré à 15 p. c en dessous du prix de revient à Gand.
Comment expliquer la marche de l’administration du chemin de fer, qui fait transporter des houilles jusqu’à Ostende pour y fabriquer du coke ? Sans doute en plaçant un four à Ostende, on comptait brûler de la houille anglaise. Comment se fait-il que le bon sens seul ne l’ait pas guidé lors de la création des fours à coke et ne les lui ait pas fait fixer au centre des extractions de la houille, dans les bassins de Mons, Charleroy et Liége ? Et, en effet, le transport de l’objet fabriqué ne se faisait-il pas plus facilement que la matière première ?
Nous avons en Belgique des fabriques particulières de coak, près desquelles les compagnies françaises viennent se pourvoir. Ce coak est d’excellente qualité.
Pourquoi l’administration du chemin de fer ne se pourvoirait-elle pas à la même source ?
Que l’on ne me réponde pas que l’Etat doit fabriquer lui-même le combustible, pour être sûr d’en avoir de bonne qualité et en temps utile car, si ce raisonnement était fondé, le gouvernement devrait se faire fabricant de draps pour habiller la troupe ; il devrait se faire fabricant de rails, de locomotives etc.
Cette objection n’a donc pas la moindre valeur.
L’Etat ne manquera jamais de coak de bonne qualité, bien qu’il en abandonnerait la fabrication, pas plus qu’il ne manque de charbons, quoi qu’il n’exploite pas de houille par lui-même.
Que si l’on craint que la qualité ne réponde point aux conditions requises, le cautionnement que l’administration devra exiger garantit l’Etat contre toute éventualité, ainsi que contre toutes mauvaises fournitures.
Je ne puis donc, messieurs, donner mon assentiment à une fabrication qui entraîne l’Etat dans des pertes énormes, et qui nuit, en définitive, à l’industrie.
L’avenir du chemin de fer, l’intérêt du commerce et la nécessité de diminuer les dépenses que nécessite cette belle voie de communication, nous font un devoir, messieurs, de chercher partout des économies, qui, comme celles que j’indique, ne peuvent nuire à l’intérêt du service, le système actuel ne pouvant continuer qu’au grand détriment du trésor.
Tous nous voulons de pareilles économies ; il faut pour cela porter la hache dans toutes les institutions qui ne peuvent exister, qu’en causant des pertes sans compensation aucune.
Un gouvernement ne peut jamais se faire producteur qu’au prix de sacrifices considérables. Je ne doute donc pas, messieurs, que M. le ministre reconnaîtra, une bonne fois, que l’administration du chemin de fer doit se pourvoir par voie d’adjudication publique, de tout ce dont elle a besoin pour son exploitation.
J’aurai quelques observations à faire en ce qui concerne les roules dont on demande la construction dans le district de Verviers, mais j’attendrai la discussion particulière. J’ai aussi à vous entretenir de nos quatre mille actions dans le chemin de fer rhénan, mais j’attendrai pour cet objet qu’il soit question spécialement du chemin de fer.
M. de Mérode. - La discussion générale du budget des travaux publics est devenue, depuis l’immense création de nos chemins de fer, exécutés par l’Etat, une des plus importantes que nous puissions aborder. Il serait toutefois inutile de louer ou de blâmer cette entreprise, si l’on ne poussait le pays à la développer encore ; mais loin de là, de nouveaux projets surgissent sans cesse, et, après avoir épuisé notre crédit par des emprunts directs, on cherche à le surcharger par des moyens indirects, c’est-à-dire par des garanties d’un minimum d’intérêt. Les gouvernements qui ont consenti à les donner exceptionnellement, n’avaient rien produit par eux-mêmes. On peut s’engager d’une manière avec certaine raison, mais l’imprudence serait de se lier par tous les bouts.
Dans tout ce que nous a dit hier M. le ministre des travaux publics, il y a du vrai, j’en conviens. Ainsi, j’admets volontiers que les dépenses de nos chemins de fer ne sont pas exagérées comparativement à d’autres. Cependant le gouvernement, c’est-à-dire tous les ministères qui se sont succédé, sont très répréhensibles d’avoir précipité les travaux, pour satisfaire à un empressement mal entendu de jouissance. Certes, si les ministres avaient montré sincèrement aux chambres et au public les inconvénients, l’excès de dépense qui en résulteraient, on aurait compris l’avantage d’une exécution mieux conduite, plus réfléchie ; mais chaque ministre, au contraire, voulait avoir l’honneur du plus grand nombre d’inaugurations réitérées ; c’est-à-dire, de vaines parades passibles, parades dont il ne reste rien en définitive ; car maintenant, qui peut se glorifier de dire que l’ouverture du chemin de fer d’Ans, de Mons, s’est faite six mois plus tôt, que six mois plus tard. Et ici, messieurs, je ne récrimine pas, je viens conclure d’un entraînement passé, soutenu, contre un entraînement futur ; j’attaque dans la gloriole passée la gloriole à venir, afin que les ministres sachent que leur véritable honneur est dans un dévouement sérieux à la chose publique, et que là seulement se trouvera pour eux le gage d’une estime durable.
J’ai surtout remarqué la comparaison qu’a établie, hier, M. Dechamps entre les chemins de fer et les routes ordinaires, comparaison qui n’appartient pas à lui seul. Il a dit que les routes ordinaires payaient moins encore que les chemins, les intérêts du capital employés à leur construction. Mais les routes ordinaires ont-elles été créées à coups d’emprunts énormes en quelques années ? Non ! les routes ordinaires sont le fruit du travail lent et successif d’un siècle et demi, et les routes ordinaires ont une bien autre utilité que les routes en fer, elles ont coûté à peu près la même quantité de millions, et cependant supprimez les unes ou les autres, et vous verriez laquelle des deux mesures portera le plus grand préjudice à la société. Certes, l’agriculture est un bien autre élément de vitalité pour une nation que le transport des marchandises. Or, les routes ordinaires rendent à l’agriculture d’immenses services. Chaque propriétaire regarde la traversée des campagnes qui lui appartiennent par un chemin de fer, comme un embarras, tandis qu’une route empierrée ou pavée n’est, pour les mêmes campagnes, qu’un grand bienfait. Je connais des villages dont les chemins de défruitement sont empierrés et les communes peu riches, ont vu augmenter leur sol d’une valeur de quatre et cinq cent mille francs par des chemins qui en coûtent soixante ou quatre-vingt.
Je n’hésite pas à dire que si nous avions employé en petite routes ordinaires les 175 millions employés dans les voies de fer, le pays vaudrait en productions agricoles un capital de 300 millions de plus. J’en dis autant pour les petits canaux de la Campine et celui des Ardennes : la richesse qu’ils créeraient ne serait pas à la merci de la concurrence étrangère comme le chemin de fer vers le Rhin, que la Hollande ferait de grands efforts pour annuler plus ou moins, et ce au grand profit de l’Allemagne, qui se contente d’une seule voie entre notre frontière et Cologne. Cette richesse n’aurait pas causé, comme les chemins de fer, la ruine d’une foule d’individus. Et, je le répète encre une fois, ce n’est pas ici une récrimination obstinée de ma part contre des actes accompli, c’est un avertissement contre l’engouement dangereux qu’il faut combattre, en reportant les vues du pays sur des moyens de prospérité plus modestes, plus sûrs, moyens que les spéculateurs n’apprécient pas en proportion de leurs intérêts. Il n’y a là, en effet, que des bénéfices repartis sur le grand nombre et non de ces lucres énormes que les habiles savent recueillir, tandis que le peuple ébahi regarde des merveilles qui ne lui procurent, l’expérience le prouve, ni vêtements ni pain longtemps assuré comme par l’agriculture, et ne tendent qu’à augmenter le nombre des ouvriers de fabriques pour l’intérieur, c’est-à-dire la classe la plus exposée à la misère par les vicissitudes du commerce et du débit à l’étranger ; car celui-ci, ne l’oubliez pas, messieurs, ne laissera jamais, à moins d’union douanière complète, envahir ses marchés par nos produits,
Quand le gouvernement belge aurait épuisé ses finances pour les transporter quasi-gratis, le voisin augmenterait en proportion ses droits d’entrée, soyez-en sûrs, lorsqu’il vous verrait trop favorisé aux dépens de ses industriels indigènes. Mais si notre sol devient plus fécond, ceux qui l’exploitent fourniront toujours des consommateurs plus à même d acquérir les produits des fabriques du pays, fabriques auxquelles vous devez autant que possible le marché intérieur, dans mon opinion. D’autres membres de cette chambre vous ont parlé de la nécessité de fixer légalement les tarifs, de ne pas maintenir à un taux élevé les traitements d’emplois qui n’exigent point les études, les connaissances du magistrat, et sont cependant plus rétribués que la plupart des fonctions judiciaires, et ce, tandis qu’il se présente cinquante concurrents pour une place, parmi lesquels dix au moins sont en état de la bien remplir. Ma conclusion est de se contenter pour cette année de l’exécution des canaux de la Campine et de Zelzaete, de l’achèvement des chemins de fer commencés, avec réserve très grande à l’égard des doubles voies et d’appliquer plutôt nos ressources bien restreintes aux voies ordinaires de communication, aux petits canaux et routes pavées.
M. David. - Hier, messieurs, je ne pus trouver place dans la discussion pour me justifier des allégations parties des bancs de M. le ministre, et de l’honorable rapporteur, M. Mast de Vries.
La lecture du il aura, j’espère, suffi, messieurs, pour vous prouver que j’avais été bien mal compris, car ces deux honorables orateurs ont réellement dénaturé, sans intention sans doute, mes intentions et mes paroles.
Je n’ai pas besoin de venir le proclamer de nouveau dans cette enceinte ; je suis un des plus chauds partisans des chemins de fer, et ce n’est point le découragement, comme l’a dit M. le ministre des travaux publics, que je veux semer sur cette institution, mais bien une autre graine à laquelle il faut malheureusement trop de temps pour germer. Je suis un des plus ardents défenseurs du principe des tarifs modérés ; mes opinions sur ce point sont connues, elles sont invariables, j’en ai inondé la chambre les années précédentes, ma polémique s’est même étendue jusqu’aux journaux de la capitale.
Tout ce que j’ai dit hier, remarquez-le bien, ne tend qu’à prouver que c’est aux bas prix que nous devons les résultats de la Vesdre. Je ne parlerai donc plus de tarifs, j’y ai fait mon stage. Je reconnais l’inutilité de présenter des chiffres : il n’est malheureusement que trop vrai qu’ils n’ont pas l’attrait de la politique et leur aridité fait que la chambre y est peu sensible. Indifférent à tout ce que j’ai pu dire et écrire sur l’abaissement des tarifs dans le but de hâter l’heure de la prospérité du chemin de fer belge, j’engage les vrais amis du pays, non pas à revoir mes avis, à rechercher mes idées, mais à lire, entre autres choses, avec attention, une brochure qui renferme d’excellentes choses sur la matière. Je veux parler de l’opuscule de M. l’ingénieur Delaveleye qu’il a eu la gracieuseté de nous faire distribuer dernièrement et dans laquelle j’ai rencontre une conformité de vues qui m’a frappé et flatté tout à la fois. Seulement je n’admets pas certaines conclusions de l’auteur qui, après avoir été l’apologiste des bas tarifs, finit par adopter des prix sous le régime desquels, je crois, le chemin de fer ne saurait encore prospérer. Il faut qu’on les abaisse encore, si son œuvre doit porter fruit.
L’honorable M. Mast de Vries m’a adressé hier un reproche assez vif, celui de ne pas lui avoir fait en section les observations sur les résultats de la jonction du chemin de fer rhénan et belge que je viens de présenter. Messieurs, il y aurait effectivement eu une espèce de perfidie à en agir ainsi, si surtout je l’avais fait dans l’intention de mettre en contradiction avec les faits l’honorable rapport ; or, mais il n’en est rien. Mes calculs, mes rapprochements d’hier ne pouvaient naître que de l’examen des derniers tableaux que M. le ministre des travaux publics ne nous a fait distribuer qu’après la fin de notre réunion à la section centrale. D’ailleurs je ne vois pas qu’il soit écrit qu’à la chambre, on doive se circonscrire dans les limites de la discussion de la section centrale ; je ne vois pas que quelques idées nouvelles ne puissent surgir après ses délibérations, surtout lorsque des documents nouveaux viennent les provoquer.
L’honorable rapporteur, qui probablement ne connaît pas aussi bien les ressources des transports dans la vallée de la Vesdre que moi qui l’habite, n’est pas revenu de son opinion de l’année dernière, où je me rappelle avoir encore eu l’honneur de rompre une lance avec lui a ce sujet. J’avais fait remarquer en section centrale et j’aurais fini par le dire à la chambre, qu’il était pénible de voir passer tous les jours, sous ses yeux, presque l’entièreté des convois en retour de la Prusse, sur cette belle route dont la descente demande des freins plutôt que de la vapeur, de voir passer, dis-je, tant de convois vides, tandis que les établissements du zinc à Liége et sur la route, tandis que les hauts-fourneaux de Liège tirent tant de minerais qui sont encore transportés par les anciens moyens ; tout cela faute d’abaisser convenablement les tarifs, faute d’agir avec le grossier instinct d’un voiturier, qui prend à 50 p. c de diminution la charge en retour, quand il a le bonheur de la rencontrer.
Le temps encore et de bons tarifs démontreront, j’espère, à mon honorable contradicteur qu’il s’est trouvé dans ses calculs sur les transports de la Vesdre.
Une autre erreur de l’honorable rapporteur, c’est de dire que j’ai un intérêt particulier à plaider la cause du bon marché du transport des minerais en descente de la Vesdre. Je proteste contre ces paroles et je dis à la face de la chambre que je ne fais pas passer un kilog. de minerais quelconque sur la Vesdre. J’ai donc parlé pour d’autres intérêts que les miens. J’ai surtout parlé dans l’intérêt du chemin de fer. Ah ! si je voulais, à cette occasion, parler dans mon intérêt, j’élèverais la voix en faveur le l’ancien système de locomotion ! Je ne chercherais pas à supprimer les transports par l’ancienne route de la Vesdre, dont je suis un des forts actionnaires, route qui nous a coûte de 16 à 17 cent mille francs et dont la concurrence de la vapeur a considérablement réduit les revenus, et qui finira par les anéantir tout à fait. Voilà, M. le rapporteur, si j’étais homme intéressé, si j’étais à la chambre pour défendre des intérêts particuliers, ce que je ferais.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messiers, je répondrai d’abord quelques mots à l’honorable comte de Mérode. Hier, en défendant le chemin de fer contre les idées de réaction à laquelle quelques-uns cèdent trop facilement, je n’ai pas prétendu méconnaître l’importance des routes ordinaires et des canaux. Je sais parfaitement que chacun de ces moyens de communication présente des avantages qui lui sont propres. Il ne faut pas avoir, en cette matière, une opinion absolue. Les routes ont surtout un grand intérêt agricole, les canaux ont un intérêt à la fois industriel, commercial et agricole ; mais le chemin de fer, qui a décuplé les transports des voyageurs et qui doit décupler les transports de marchandises, ne répond-il donc à aucun de ces intérêts ?
Tout a été dit sur ce point, et pour faire une démonstration, je devrais tomber dans des banalités.
Si l’on évaluait quel est pour les trois millions de voyageurs qui parcourent le chemin de fer, le bénéfice de temps et d’argent qui résulte pour eux de cette voie de communication, en comparant les frais de ce genre qu’il entraîne avec ceux facilement évaluables aussi, qu’entraîneraient les voyages sur les routes ordinaires, ces bénéfices paraîtraient une exagération.
J’ai fait cette évaluation, et voici quel en est le résultat ; la différence entre les frais de déplacement par le chemin de fer et les frais de déplacement par les routes ordinaires peut être portée à plus de un francs par lieue parcourue. Or, le nombre des voyageurs est de trois millions, et toute la distance parcourue équivaut à 22,500 voyageurs à une lieue. L’économie obtenue par ces trois millions de voyages, économie de temps et des frais de voyages, s’élève donc à une somme de plus de 22 millions de francs.
Un calcul du même genre peut être fait pour les 360,000 tonnes de marchandise qui ont été transportées par le railway, et l’économie s’élève, de ce chef, à plus de trois millions. Cette dépense considérable, économisée par les populations qui ont profite des avantages du chemin de fer (et qui n’en profite pas ?), cette dépense économisée, n’est-elle donc pas une augmentation de la richesse nationale ? Le chemin de fer appartient au pays entier, chaque Belge est actionnaire dans cette grande compagnie, et si le revenu direct n’est que de 3 p.c., le revenu que chaque actionnaire en retire et que nous avons évalué à 25 millions, vous ne le comptez donc pas ?
Ce serait une erreur de croire, messieurs, que le chemin de fer n’a aucune importance agricole. Vous savez tous que depuis 1830 une augmentation considérable a eu lieu dans la valeur foncière, Or, personne ne niera que le chemin de fer a eu une certaine influence sur cette augmentation, et, quelque petite que vous la fassiez, cette influence équivaut à bien des millions. Une preuve de cette influence, c’est que, quand on a décrété la construction des diverses lignes du chemin de fer, l’augmentation a eu lieu immédiatement pour les emprises de terrains qu’il a fallu faire. C’est la une des causes qui ont amené, pour certaines lignes, des mécomptes dans les prévisions.
Messieurs, le chemin de fer produit aussi un autre résultat agricole, c’est d’avoir agrandi le marché des grains, par la facilité qu’il a donnée aux transports à grande distance, et surtout d’avoir régularisé le marché des grains. Je conviens que le chemin de fer a surtout un grand intérêt industriel et commercial, et je vous ai déjà entretenus hier de cet intérêt. On l’a compris : dès le lendemain de la révolution, le chemin de fer était destiné à nous faire soutenir la lutte commerciale contre la Hollande, et je vous ai démontré hier que cette lutte se trouve dans des conditions telles que maintenant la Belgique ne doit plus douter des résultats. Sous le rapport industriel, messieurs, les bienfaits sont évidents. Je vous ai dit hier que le chemin de fer, en facilitant le transport de 20 ou 25 millions de kilog. de fonte en Allemagne, a sinon fait cesser, au moins soulagé d’une manière notable la crise de l’industrie métallurgique.
L’on s’est beaucoup occupé d’une diminution si désirable de tarifs à l’entrée des fontes belges en France et en Allemagne. Eh bien, messieurs, le résultat du chemin de fer n’est-il pas pour cette industrie une véritable réduction douanière, et ne peut-on pas espérer qu’une partie du marché des provinces rhénanes va s’ouvrir pour elle ?
Je vous ai dit aussi hier, messieurs, que, pour la draperie, la construction du chemin de fer vaut une diminution de 60 p. c. sur le prix du combustible. Pendant l’hiver actuel, le chemin de fer, en facilitant le transport des pierres et des pavés, a donné du travail à un grand nombre d’ouvriers qui en auraient manqué sans cela. N’oubliez pas non plus, messieurs, que le chemin de fer est un immense atelier, pour lequel travaillent les houillères, les forges, la charonnerie et tant d’autres industries.
Messieurs, on a traité la question des tarifs, et bien que ce ne soit pas le moment de la discuter, vous me permettrez de faire quelques observations, Il est vrai que les tarifs exercent une grande influence sur les revenus du chemin de fer et sur les transports, mais après avoir étudié l’action des tarifs, on acquiert la conviction que l’influence des tarifs n’est pas aussi considérable que quelques-uns le pensent. Un fait, messieurs, m’a frappé, c’est que depuis 1835, il y a une diminution graduelle dans les recettes, des voyageurs, et que cette diminution a été à peu près égale sous tous les tarifs. Pour les marchandises, au contraire, il y a eu augmentation graduelle, et aucun tarif n’a hâté beaucoup ou retardé ce mouvement ascensionnel.
Une autre remarque que vous aurez tous faite, c’est que pendant la même année, sous l’empire des mêmes tarifs, vous voyez le mouvement des transports varier de mois en mois d’une manière notable. Vous voyez donc, messieurs, qu’il existe d’autres influences plus puissantes même que les tarifs qui agissent et sur la quantité des transports et sur le montant des recettes.
Je suis loin de méconnaître l’action des tarifs, mais toute la question de l’exploitation ne réside pas là. Vous le savez tous, le tarif belge est moins élevé que tous les tarifs de chemin de fer qui existent. Je reconnais que la Belgique où la classe moyenne domine, se trouve dans des considérations telles que des tarifs modérés lui sont seuls applicables.
Plusieurs personnes pensent que l’on pourrait, sans inconvénient élever peut-être le tarif des voyageurs, parce que, pour les voyageurs, les habitudes sont maintenant créées et que, dans l’opinion de ces personnes, quelques centimes de plus par lieue n’empêcheront pas le nombre de voyageurs ne se maintenir. Mais pour les marchandises, messieurs, la question est autre ; il y a un intérêt industriel et commercial en cause ; il faut que les transports soient faciles et peu coûteux, si l’on veut les multiplier ; il faut que le tarif de marchandises soit modéré, si vous voulez que le chemin de fer rende des services. L’honorable comte de Theux vous a dit hier que le transport des marchandises qui s’est cependant élevé dans l’année actuelle, de 194,000 tonnes à 350,000, que ce transport est encore insignifiant, eu égard à l’étendue de nos lignes. Je partage complètement l’avis de l’honorable M. de Theux, je pense aussi que le transport des marchandises par le chemin de fer est encore véritablement à l’état d’essai et dans sa période d’enfance ; mais, messieurs, ces transports nombreux, il faudra bien les obtenir, car le chemin de fer coûtant beaucoup il faut l’utiliser beaucoup pour obtenir des recettes considérables. Eh bien, pour que le transport des marchandises devienne considérable, il faudra nécessairement que le chemin de fer ait, sur certaines lignes, une double voie ; sans cela, les grands transports seront réellement impossibles.
Ainsi, messieurs, il y a à examiner si on ne pourrait pas augmenter les tarifs des voyageurs, mais il faut prendre garde de toucher légèrement aux tarifs des marchandises dans le sens de l’élévation des prix. L’honorable M. David nous a parlé de la nécessité de réduire les tarifs des marchandises, mais l’honorable membre conviendra que le tarif actuel est déjà descendu à un taux très infime. Une chose que l’on n’a pas assez aperçue, c’est que le tarif actuel et peut-être en somme plus bas que le tarif du 10 avril de l’honorable M. Rogier, tarif que défendent cependant les partisans des tarifs réduits, parmi lesquels l’honorable M. David figure.
Messieurs, vous savez que des modérations nombreuses de tarifs ont été introduites pour l’exportation, pour l’importation de certaines matières premières, pour favoriser les charges complètes et les grandes distances. Ces modérations sont telles que les prix pour la première classe des marchandises, les marchandises de roulage, varient de 35, 40, 45 et 50 centimes.
Messieurs, j’ai la conviction profonde que la question est moins dans la tarification que dans le système même de l’exploitation.
L’honorable M. de Theux vous a dit hier, et ce fait depuis longtemps m’a frappé, il vous a dit que le chemin de fer avait amené une grave perturbation dans les autres transports généraux du royaume.
La chose est évidente. Il est vrai de dire que maintenant les relais de poste n’existent plus sur les lignes parallèles au railway ; que les services de messageries subissent une transformation complète ; les services sur les grandes lignes parallèles au chemin de, fer s’éteignent. Quelques services s’organisent sur les lignes transversales ; mais ils n’ont souvent qu’une existence de quelques mois, et leur exploitation est boiteuse ou mauvaise. Le roulage même à mesure que le chemin de fer s’étend, recule et se trouve détruit. Eh bien, mon attention spéciale a été, dès mon entrée au ministère, portée sur ce point. J’ai la conviction que, pour augmenter les produits du chemin de fer le moyen le plus efficace, c’est de lui créer des affluents et des correspondants, en y rattachant toutes les localités du pays par la réorganisation des services de transport, en mettant ces services en corrélation régulière avec le chemin de fer. J’espère être bientôt en mesure de vous présenter un projet dans ce sens.
L’honorable M. Rodenbach m’a fait une interpellation relativement à un projet d’exploitation qui a été proposé par un ingénieur civil. L’honorable M. David veut aussi de parler de ce projet. J’ai examiné ce travail avec soin, et il mérite d’être étudié ; mais, je dois le dire, M. l’ingénieur Delaveleye n’obtint de tarifs modérés qu’à la condition de rendre l’exploitation presque impossible au point de vue commercial. Ainsi, cet ingénieur veut des tarifs modérés, à la condition de n’appliquer les moins élevés qu’aux marchandises pour le chargement desquelles l’administration aurait un temps plus ou moins long ; un mois pour la première classe, huit jours pour la seconde, augmentant le tarif à mesure que les transports se feraient d’une manière plus régulière et plus rapide.
Eh bien, déjà maintenant dans le tarif actuel, une clause semblable existe : l’administration a la faculté d’attendre pendant trois jours pour parfaire les chargements. Eh bien, je dois déclarer que de nombreux inconvénients ont été constatés, et pour moi, la question est de savoir si l’exécution de cette mesure doit être prolongée.
La faculté dont je parle cause un grand préjudice au commerce qui le regarde comme une entrave. Ainsi, les tarifs modères de l’ingénieur qu’on a cité ne sont obtenus que pour une exploitation que je regarde comme impossible.
L’honorable M. de Theux nous a parlé hier de l’utilité qu’il y aurait à instituer au département des travaux publics une commission permanente pour surveiller l’exploitation du chemin de fer.
Messieurs, ce projet a déjà attiré toute mon attention ; sans doute, certains avantages sont attachés à l’exécution de ce projet, mais il faut reconnaître aussi que cette mesure donnerait lieu à des inconvénients.
Messieurs, par un arrêté de date récente, j’ai organisé la surveillance de la commission des inspecteurs sur les travaux du chemin de fer, et j’attends de très heureux résultats de l’organisation de cette surveillance.
D’un autre côté, M. le ministre des finances et moi sommes d’accord maintenant sur les principes d’un arrêté qui accorderait au département des finances un contrôle sur la comptabilité et les recettes du chemin de fer, contrôle qui se circonscrirait dans certaines limites, et qui ne pourrait, en aucune manière, être une entrave pour l’exploitation elle-même.
Eh bien, messieurs, ce double contrôle, contrôle de la commission des inspecteurs, contrôle du département des finances sur la comptabilité et les recettes du chemin de fer, forme une véritable enquête permanente. Par cette combinaison je crois que l’on atteindrait le but que l’honorable M. de Theux avait principalement en vue.
Messieurs, veuillez ne pas oublier que, sous ce rapport, aucune administration n’est entourée d’autant de garanties que l’administration du chemin de fer.
La direction du chemin de fer est une véritable commission au premier degré. Je viens de vous parler d’une commission au deuxième degré, la commission des inspecteurs et des fonctionnaires du département des finances. Pour les dépenses, vous avez le contrôle de la cour des comptes, et l’action supérieure du ministre.
L’avantage du système proposé par l’honorable M. de Theux serait, j’en conviens, d’avoir au chemin de fer une administration permanente. Je reconnais que, pour une administration de cette importance, il y a certains inconvénients dans les fluctuations ministérielles, inévitables dans notre régime constitutionnel. Il est clair que les ministres des travaux publics qui se succèdent n’ont pas toujours les mêmes convictions, la même manière de voir relativement au mode d’exploitation du chemin de fer, je comprends combien il est fâcheux de soumettre le chemin de fer à des expérimentations successives et périlleuses ; à ce point de vue, il y aurait un grand avantage à avoir une espèce de conseil d’Etat permanent du chemin de fer, qui conserverait de traditions constantes d’administration et qui les ferait prévaloir. Mais il faut le dire, cette combinaison améliorerait complètement l’action ministérielle.
A quelle impulsion obéirait l’administration du chemin de fer ? A l’impulsion du ministre, pouvoir temporaire, ou à l’impulsion de la commission, pouvoir permanent ? Evidemment, la direction du chemin de fer obéirait au pouvoir permanent. Ce serait une source de conflits constants, et la responsabilité ministérielle serait considérablement amoindrie.
Le ministre, dont les vues ne seraient pas en rapport avec celles de la commission, qu’il trouverait installée, changeait la commission ; à chaque changement ministériel, on formerait une commission permanente différente ; cette permanence dès lors n’existerait plus, et les avantages d’expérience manqueraient. Voila l’objection fondamentale que, selon moi, on peut faire au projet de l’honorable M. de Theux. Cependant je suis loin de repousser ce projet ; je conviens qu’il mérite d’être examiné, et j’ai l’intention d’en faire étude et profit.
J’aborde maintenant une question très grave qui a été soulevée par l’honorable M. Lys.
D’après l’honorable M. Lys, il y aurait intérêt pour l’Etat à ce que la perception des recettes du chemin de fer fût attribuée au département des finances.
L’honorable membre nous a dit qu’un système analogue avait été adopté pour les routes, les rivières et les canaux ; que la construction de ces voies de communication appartenait au département des travaux publics, et que cependant les péages étaient perçus par les agents de l’administration des finances. Pourquoi, a demandé l’honorable M. Lys, n’en serait-il pas de même pour l’administration du chemin de fer ?
Messieurs, la raison en est très simple, c’est que le chemin de fer se trouve dans des conditions tellement exceptionnelles que nul autre service public ne peut lui être comparé. L’Etat entretient les routes et les canaux, mais il n’exploite pas les transports sur ces voies. Je conviens que si les transports sur le chemin de fer étaient livrés à l’industrie privée, si l’Etat ne faisait qu’imposer un péage sur les chemins de fer, le mode indiqué par l’honorable M. Lys pourraient être suivi sans de grands inconvénients ; mais ici l’Etat exploite lui-même les transports. Voilà où gît la différence radicale.
Il saute aux yeux de ceux qui ont examiné le chemin de fer de près que le service de perception et le service des transports se confondent sur le chemin de fer. L’agent, par exemple, qui délivre des coupons pour les voyageurs, pour les bagages et pour les marchandises et qui doit constater dès lors le nombre des voyageurs et les quantités de marchandises à transporter ; cet agent comptable ne peut pas rester étranger à l’organisation des convois, au chargement et au déchargement des marchandises, à la fixation des heures de départ, à la remise des coupons aux gares-convoi, en un mot à tout ce qui tient au contrôle et à la comptabilité du chemin de fer. Cela est tellement vrai, que dans la commission mixte, qui a été instituée pour examiner cette question, les délégués du département des finances en sont convenus.
D’après les propositions faites primitivement, l’agent des finances devait intervenir dans les ordres à donner pour organiser les convois de voyageurs et de marchandises, parce que lui seul pouvait constater le nombre des voyageurs et les quantités de marchandises à transporter, et donner le signal de départ ; le département des finances aurait dû intervenir dans la fixation des heures de départ des convois. Eh bien, pour la fixation des heures de départ dans laquelle interviennent déjà l’office des postes, l’administration française et l’administration rhénane, si une cinquième administration avait dû y concourir, cette fixation deviendrait impossible. Les employés préposés au chargement et au déchargement des convois, les gardes-convois les préposés aux bagages auraient dus, d’après les propositions faites, être soumis aux ordres directs ou indirects des agents comptables du département des finances. Ainsi dans ce système, il ne s’agissait pas seulement de donner la perception des recettes au département des finances, mais de lui donner le service entier des transports, et il faut ajouter une partie du service de la locomotion qui y est attaché.
Ainsi, le département des finances aurait eu la perception des recettes, le service des transports et de plus une influence dans le service de la locomotion ; il serait resté au département des travaux publics, l’entretien des routes et une partie du service de locomotion. Mais dès lors, la fixation du tarif aurait dû revenir au ministère des finances et être enlevée au département des travaux publics qui n’avait plus dans ses attributions que l’entretien des routes et le service de la locomotion.
Mats, messieurs, la fixation des tarifs des transports, celle des heures de départ, l’organisation des convois, le chargement et le déchargement des marchandises, n’est-ce pas là l’exploitation tout entière ? Pourquoi, dans ce système, diviser le service, pour en laisser une partie accessoire au département des travaux publics ? Mieux vaudrait cent fois dans l’intérêt du service qui demande une grande unité administrative, au lieu de diviser, remettre l’exploitation tout entière au département des finances. Messieurs, dans ma conviction, ce système serait pire que celui créé en 1828 par la remise des routes et canaux au syndicat d’amortissement ; au fond, c’est la même idée, mais ici l’effet de son application serait plus déplorable. Le système de la division de l’administration en deux parties distinctes et indépendantes l’une de l’autre, est selon moi, radicalement vicieux et impossible, parce qu’il y a une corrélation entière entre le service des transports et celui de la locomotion.
En effet, à qui obéirait le chef du convoi ? au receveur qui prétendrait organiser les convois d’après le nombre des voyageurs et les quantités de marchandises qu’il aurait constatés, ou bien au chef de la station qui prétendrait les organiser d’après le nombre de voitures qu’il a à sa disposition et les ordres qu’il peut avoir reçus de l’administration du chemin de fer ? A qui obéiraient les gardes-convoi et les ouvriers préposés au chargement et au déchargement des marchandises ? La même difficulté se présenterait, et les mêmes conflits surgiraient.
Vous le savez, messieurs une expérience du même genre a été faite avant 1838. Ce système avait moins d’inconvénients alors, parce que les deux branches du service organisé ressortissaient à une direction unique et au même département. Malgré cela, on en a reconnu les inconvénients ; des conflits s’élevaient sans cesse, ou a dû y renoncer. L’arrêté d’organisation de 1838 a été considère comme un bienfait. Il a consacré l’unité de l’administration pour le chemin de fer, unité que je considère comme compromise, si le système proposé par M. Lys était adopté. J’ai démontré que ce système était impossible au point de vue de l’exploitation, j’ajouterai qu’il ne serait pas économique, comme l’a cru l’honorable député de Verviers.
En effet, les dépenses pour l’administration du chemin de fer ne seraient guère diminuées. La différence entre ces deux systèmes consiste à faire opérer par un agent des finances les recettes qui sont faites aujourd’hui par le chef de la station. Mais le chef de station a un double service ; il a la surveillance de tout de qui est d’administration, dans la station, du service de la locomotion et de l’entretien de la station. Vous ne seriez pas dispensés, par ce système, d’avoir un chef de station ; vous auriez deux chefs de station, au lieu d’un ; un pour la recette et un pour l’entretien de la locomotion. Vous arriverez à une dépense plus grande et à un système d’exploitation condamné par l’expérience et la raison.
Messieurs, on a parlé de l’élévation des traitements des employés et des fonctionnaires du chemin de fer. Je ferai d’abord une remarque, c’est que l’arrête du 8 avril 1843, pris par mon honorable prédécesseur, a fixé définitivement les cadres du personnel et les traitements des fonctionnaires. Cet arrêté du 8 avril est l’arrêté organique de l’administration du chemin de fer. Ceux qui se sont donné la peine d’examiner les cadres du personnel et les traitements correspondants conviendront que ces traitements ne sont pas exagérés. Ils sont en général conformes à ceux qui ont été fixés par l’arrêté de 1831 organique du corps des ponts et chaussées. Il y a eu assimilation entre les traitements partout où il a été possible de l’introduire.
Messieurs, pour les employés inférieurs, et ce sont les plus nombreux, vous pouvez vous convaincre, par la lecture de l’arrêté du 8 avril, que les traitements pour les commis varient de 600 à 1,800 fr. ; ils sont inférieurs à ceux de même nature qui existent dans les autres départements ministériels, et même dans les administrations provinciales.
Les observations qui ont été faites portent principalement sur les traitements des employés supérieurs. Eh bien, ces traitements des employés supérieurs, à deux exceptions près, sont en dessous du taux fixé dans l’arrêté.
Un article important de cet arrêté stipule que, pour tous les traitements supérieurs aux traitements normaux fixés, la différence en plus sera considérée comme traitement supplémentaire, et ne forme pas un fait acquis pour l’avenir. Deux traitements ont été considérés comme personnels ; c’est d’abord celui de l’ingénieur Cabri, dont le traitement est relativement élevé. Mais cet ingénieur est étranger. On a attaché une grande importance, et on a eu raison, à le faire venir d’Angleterre pour profiter de l’expérience et de la capacité dont il a fait preuve. C’est d’ailleurs un contrat particulier. Chacun de vous sait que, par les perfectionnements que cet ingénieur a apportés au système de nos locomotives, il a contribué aux grandes économies que nous sommes parvenus à faire dans le combustible. Nous ne devons donc pas nous repentir d’avoir accordé à cet ingénieur un traitement exceptionnel qui peut paraître élevé, mais qui ne l’est pas quand on songe à qui il est alloué. Un autre ingénieur a aussi un traitement exceptionnel et personnel. Les motifs en ont été énoncés dans l’arrête de nomination qui a été pris par l’honorable M. Rogier. Ce fonctionnaire capable avait dit abandonner une position acquise. Cette considération a porté l’honorable M. Rogier à lui accorder, à ce titre, un traitement exceptionnel. En dehors de ces deux traitements, je ne crois pas qu’on puisse citer des traitements qui soient exagérés.
Relativement aux indemnités variables, le principe est que le traitement fixe représente le travail intrinsèque. Mais lorsque ce travail nécessite des déplacements, il est toujours accordé des frais extraordinaires sans lesquels l’employé devrait prélever ces dépenses sur son modique traitement.
Dans le corps des ponts et chaussées et dans l’administration des mines, les ingénieurs ont des indemnités variables pour frais de déplacement. Lorsqu’on a accordé des traitements variables, c’est qu’on avait reconnu l’abus du système précédemment admis, et qui consistait à faire effectuer des déclarations de frais de route et de séjour, qui montaient quelquefois à la totalité du traitement même.
Du reste, je crois avoir justifié ce qui existe sous ce rapport dans les explications fournies à la section centrale. En tout état de choses, mon attention restera fixée sur les économies à opérer sur le personnel du chemin de fer.
On a traité assez longuement la question de l’intervention des compagnies dans l’exécution des travaux publics ; on a parlé surtout du système de la garantie d’un minimum d’intérêt. Mon opinion individuelle est connue, et depuis que je suis à la tête du département des travaux publics, j’ai continué à étudier mûrement cette question. Quelques-uns m’ont prêté une opinion trop absolue sur ce point. Ainsi, je crois que, pour certains travaux publics, qui ne demandent pas des capitaux considérables, le système de la garantie n’est pas le meilleur, et qu’il faut recourir au système des subsides ordinaires. Mais je pense que, pour les travaux qui exigent des dépenses considérables, le système de la garantie du minimum d’intérêt est celui qui donne le plus de sécurité au trésor et le plus de confiance aux capitaux.
Pour les chemins de fer, il y a un fait très remarquable, c’est que l’Allemagne, qui a adopté ce système, est parvenue à construire plus de deux cents lieues de chemin de fer, par le moyen de la garantie d’un minimum d’intérêt, et que jusqu’à présent cette garantie n’a pas été invoquée par les concessionnaires ; de sorte que l’Allemagne est dotée d’un réseau de chemins de fer, sans que l’Etat soit intervenu pour un centime dans cette dépense.
On m’a interpellé sur la question de savoir si une proposition ne m’a pas été faite par des capitalistes, pour exécuter des canaux ou des chemins de fer, avec la condition d’un minimum d’intérêt. Oui, des offres m’ont été faites ; mais elles n’ont pas revêtu jusqu’ici un caractère assez définitif pour que je puisse en saisir la chambre.
Du reste, cette question, dans notre situation financière actuelle, doit être mûrement examinée. Je ne veux prendre à cet égard aucune espèce d’engagement, mais le gouvernement accueille favorablement, les capitaux qui se présentent.
Je finirai, en répondant quelques mots aux observations faites par les honorables MM. Peeters et de Nef, relativement aux travaux de canalisation de la Campine.
L’honorable M. Peeters m’a demandé pourquoi le gouvernement, qui a demandé des fonds nécessaires pour l’achèvement du canal de Zelzaete, n’a pas demandé aussi les fonds nécessaires pour la construction de la seconde section du canal de la Campine, de la Pierre- Bleue à Herenthals ; mais, il y a une différence à faire, c’est que la dépense pour le canal de Zelzaete était, pour ainsi dire, déjà engagée dans des travaux d’urgence, l’écluse à la mer était nécessaire, afin de faciliter le creusement du lit du canal. C’est une mesure d’utilité et d’urgence. Il fallait que le gouvernement se hâtât de demander les fonds à la législature.
Pour le canal de la Campine, la construction de la première section ne sera achevée qu’en juillet prochain. Les raisons d’urgence qu’il avait pour le canal de Zelzaete, n’existaient donc pas au même degré pour le canal de la Campine. Mais ce n’est pas à une fin de non-recevoir. Mon intention est certainement de soumettre dans un bref délai, à la chambre, une demande de crédit pour la construction du canal de la Campine, qui a été décrétée.
L’honorable membre a agité la question de savoir si le gouvernement ne devrait pas demander la somme nécessaire pour la construction simultanée de la deuxième section décrétée, et de la branche qui se dirige vers Turnhout. Les honorables membres savent que cette branche vers Turnhout n’est pas décrétée. Mais mon honorable prédécesseur a pris vis-à-vis des chambres et du sénat l’engagement de faire étudier avec soin cette branche dont l’importance est connue. Ces études, je les ai fait faire. Elles sont maintenant achevées. D’après les calculs des ingénieurs, les dépenses d’exécution de cet embranchement, qui comprend une longueur de 32,400 mètres, s’élèvent à la somme de 1,840,000 fr. Le concours des communes et des propriétés intéressées dans la dépense d’exécution de ce canal, conformément au principe de la loi du 10 février 1843, s’élèverait à la somme de 1,288,935 fr. La différence serait donc de 530,000 francs environ.
Je conviens que cette dépense ne serait pas considérable, et j’examinerai si, en demandant les fonds nécessaires pour la deuxième section, je n’y comprendrai pas aussi ceux nécessaires pour l’exécution de cet embranchement.
Mais une question préalable se présente, celle de savoir si une concession ne serait pas possible. Les avis sont très partagés sur ce point. Avant de saisir la chambre d’une demande de crédit, je dois, avant tout, avoir l’assurance qu’une concession ne serait pas possible.
Je bornerai là, pour le moment, mes observations.
M. d’Hoffschmidt, vice-président, remplace M. Liedts au fauteuil.
M. Verhaegen. - J’avais l’honneur de fixer tantôt votre attention sur une faculté que s’est réservée le gouvernement d’accorder des concessions pour des embranchements du chemin de fer. Je m’étais permis de faire cette observation, parce que, dans la séance d’hier des exigences avaient paru surgir à cet égard. L’année dernière, on demandait la construction aux frais du trésor d’embranchements du chemin de fer pour les localités qui n’en avaient pas encore. Aujourd’hui, on engage le gouvernement à être large dans les concessions pour ces embranchements. J’ai signalé tantôt le danger de laisser au gouvernement la faculté d’accorder ces concessions. On a reconnu ce danger. Mais on a prétendu que la loi de 1842 avait restreint la faculté du gouvernement à une étendue de 10 kilomètres.
Quoi qu’il en soit de cette restriction, j’appellerai, messieurs, votre attention sur le danger qu’il y aurait à donner un droit quelconque au gouvernement. En effet, convient-il, dans les circonstances actuelles, de laisser au gouvernement la faculté de concéder des chemins de fer d’une étendue de 10 kilomètres (deux lieues) plutôt que des chemins de fer d’une étendue plus grande ? Le danger que j’ai signalé n’est-il pas le même, aujourd’hui surtout que les grandes lignes sont achevées ?
Si le gouvernement cédait à des demandes d’entrepreneurs, s’il allait accorder des concessions pour des raccordements importants, mais qui n’auraient pas une étendue de deux lieues, il pourrait contrarier le système général. Je crois que ce serait laisser au gouvernement une trop grande latitude.
Je ne vous citerai, messieurs, que quelques localités qui pourront vous faire apprécier la portée de mes observations : là où il n’y aura que peu de dépenses à faire, vous trouverez des amateurs en grand nombre ; vous verrez surgir les exigences locales et l’esprit de spéculation des entrepreneurs. Ce ne sera que quand cette ressource sera épuisée qu’on demandera des concessions avec garantie d’un minimum d’intérêt.
Si l’on demandait un jour la concession d’une route de Deynze à Audenaerde, qui n’aurait que l’étendue limitée par la loi de 1842, que ferait le gouvernement ? que ferait-il si plusieurs personnes faisaient des demandes successives et séparées pour une étendue plus grande ?
Le gouvernement pourrait-il sans consulter la chambre, porter préjudice au système général du chemin de fer par des concessions qu’il accorderait de cette manière ?
La chambre veut-elle abandonner à cet égard sa prérogative ? Je ne me rappelle pas toutes les localités qu’on pourrait exploiter avec avantage ; mais je vous parlais tout à l’heure du chemin de fer d’Anvers à Gand, qui forme en quelque sorte une ligne parallèle avec celle de Termonde à Gand.
Si l’on venait un jour demander au gouvernement un embranchement qui réunirait le chemin du fer d’Anvers à Gand, à celui de Termonde à Gand, le gouvernement pourrait-il l’accorder, et en l’accordant ne porterait-il pas un grand préjudice à notre chemin de fer en général ? La chambre, encore une fois, veut-elle laisser au gouvernement cette prérogative, alors que tout ce qui concerne le chemin de fer a été réglé par la loi ?
Messieurs, l’exception qu’on a indiquée comme résultant de la loi de 1842 n’est pas suffisante ; je signale à votre attention les inconvénients qui peuvent résulter de l’état de choses actuel, afin que, lorsque nous arriverons au chapitre du chemin de fer, on voie s’il n’y a pas lieu de faire plus que ce qui a été fait en 1842. Quant à moi, je voudrais qu’aucune concession de chemins de fer, de quelqu’étendue que ce fut, ne pût être accordée que par la loi.
Il résulterait d’une pareille disposition un double avantage : D’abord vous examineriez, par vous-même, si la concession que l’on demande n’est pas de nature à porter préjudice à votre système général de chemins de fer. Ensuite il y aurait un autre avantage qui n’est pas à dédaigner. Vous avez pris la résolution, il est vrai, de ne plus faire de nouveaux travaux ; mais il pourrait arriver que lorsqu’une concession d’un embranchement serait demandée, vous trouverez de grands avantages à le construire aux frais de l’Etat et à faire exception au principe que vous avez adopté. Je suppose qu’on vous demande une concession pour un chemin de fer d’Alost à Audeghem, Après avoir étudié cette demande, vous acquerrez la conviction que cet embranchement, sans donner lieu à de grandes dépenses, peut produire de bons et beaux résultats pour le trésor. Ne serait-il pas possible que, dans ce cas, quelle que soit la résolution que vous avez prise, naguère, vous consentiez encore à faire un nouveau sacrifice ?
Maintenant que les grandes lignés sont exécutées, qu’il va être question d’embranchements, je crois qu’il faut aller plus loin qu’on est allé en 1842 et que la chambre doit se réserver le droit d’examiner toutes les demandes de concessions du chemin de fer, sans exception.
Voilà, messieurs, les courtes observations que je voulais vous soumettre, en vous priant de les prendre en mûre considération. Mon but est de vous mettre à même d’examiner s’il n’y aurait pas matière à formuler une proposition en ce sens, lorsque nous serons arrivés à la discussion des articles.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je commence par déclarer que j’adhère complètement à ce que vient de vous dire l’honorable comte de Mérode.
J’aurai l’honneur de faire remarquer à la chambre que depuis l’établissement du chemin de fer, je n’ai pas voté pour le budget des travaux publics. Quelquefois je me suis abstenu ; j’ai cru devoir d’autres fois voter contre. Cette fois encore je ne pourrai y donner un vote favorable, car, s’il renferme plusieurs dépenses que je puis admettre, il en est d’autres auxquelles je ne puis donner mon assentiment.
L’honorable ministre des travaux publics vous a dit, en répondant à l’honorable comte de Mérode, que les routes empierrées ne supportaient pas l’intérêt du capital, qu’elles rapportaient bien moins que le chemin de fer. Mais je lui ferai remarquer que lors même que les routes empierrées ne rapporteraient pas même de quoi fournir à leur entretien, le gouvernement en retirerait encore un très grand avantage ; car les propriétés contiguës aux routes qu’il crée acquièrent une grande valeur, et dans les mutations il perçoit des droits considérables. En outre, il s’établit sur les routes des auberges, des négociants qui paient des patentes, la contribution personnelle. Par suite de la grande circulation sur les routes empierrées il se consomme beaucoup d’objets sujets à l’accise, ce qui donne encore à l’Etat un revenu considérable.
Messieurs, je vous avoue que j’avais toujours cru qu’il serait impossible de faire payer au chemin de fer sa rente. Je suis heureux que l’honorable ministre des travaux publics nous ait suggéré un moyen de parvenir non seulement à lui faire produire l’intérêt de son capital, mais encore à en retirer des revenus considérables.
D’après les calculs de M. le ministre, les voyageurs, par suite de l’établissement du chemin de fer, ont un avantage de 24,800,000 fr.
Mais, messieurs, nous aurions bien tort de ne pas partager cet avantage avec les voyageurs. Partageons en frères ; laissons leur 12 millions 400,000 fr et prenons la même somme.
L’honorable ministre nous a dit que les marchandises et notamment les houilles qui sont transportées par le chemin de fer, donnaient au producteur un bénéfice sur les frais de transport ordinaires, de 60 p. c. Ici je ne pourrais fixer le chiffre à revenir à l’Etat en partageant encore en frères avec ceux qui transportent ces marchandises ; mais en leur laissant 30 p. c. du bénéfice, vous conviendrez que nous leur offrons encore un beau cadeau. Augmentons donc les péages de manière à faire obtenir à l’Etat sa part du bénéfice.
De cette manière, messieurs, plus de crainte sur l’avenir du chemin de fer ; nous pourrons combler le déficit de 4 millions que présentent maintenant nos finances et obtenir en outre un beau fonds d’amortissement.
Je ferai remarquer que ce n’est pas seulement le Belge qui voyage sur nos chemins le fer, que l’étranger y voyage aussi beaucoup. Il me paraît aussi qu’il n’est pas juste de faire payer un contingent à celui pour qui le chemin de fer n’est d’aucune utilité, afin de faire voyager à bon marché ceux qui en font usage, Nous payons 15 p. c. additionnels à la contribution foncière, qui servent en partie à couvrir le déficit. Les cultivateurs, messieurs, qui sont principalement ceux qui paient ces 15 centimes additionnels, voyagent bien peu sur les chemins de fer ; mais ils paient pour faire voyager à bon marché le commerçant, l’industriel, l’homme opulent même et pour leur faite faire de grandes économies, d’après ce que nous a dit M. le ministre.
Messieurs, l’agriculteur, comme vous l’a fort bien dit l’honorable comte de Mérode, n’a aucun intérêt à la construction des chemins de fer ; mais il a le plus grand intérêt à la construction des routes empierrées.
Remarquez que par suite de l’établissement du chemin de fer, il se vendra à l’avenir beaucoup moins de chevaux que produit l’agriculteur. Je sais que l’on dira que depuis l’établissement des chemins de fer le prix des chevaux n’a pas diminué, mais il est certain qu’il n’a pas augmenté non plus ; et s’il ne faut plus de chevaux pour le roulage et pour les diligences, ce doit être au détriment de l’agriculteur.
Quant à la facilité du transport des grains sur les marchés, croyez-vous que l’agriculteur en profite ? Mais non. Pendant l’hiver le cultivateur conduit lui-même, par les routes empierrées, les grains en ville, et en ramène des engrais, tels que cendres de Hollande et autres. Tout ce qui résulte du nouvel état de choses, c’est que des marchands de grains se sont établis dans les campagnes et qu’ils font conduire les grains qu’ils achètent dans les stations mais cela ne profite nullement à l’agriculteur.
Mais il est un danger qui résulte de l’établissement des chemins de fer, surtout en présence de la funeste loi sur les céréales qui vous est proposée : c’est que vous donnez à l’étranger beaucoup de facilité pour introduire les grains.
Si l’honorable ministre des travaux publics avait dit que l’horticulteur obtenait un avantage de l’établissement des chemins de fer, j’aurais reconnu le fait. En effet, au moyen du chemin de fer, les habitants de Bruxelles ont l’avantage de recevoir tout frais des petits pois de Louvain, des fraises de Liége. (Hilarité.) On nous avait même fait espérer, lors de la discussion sur l’établissement des chemins de fer, que nous recevrions à Liége et à Bruxelles du lait de la Hesbaye.
Messieurs, ce n’est pas quelques centimes de plus par voyageur, quelques centimes de plus, par tonneau de marchandise qui circule sur nos chemins de fer, que vous devez exiger ; mais il faut faire en sorte que les recettes couvrent les dépenses.
En quel état sont nos finances aujourd’hui ? Nous nous trouvons en présence d’un déficit de 4 millions. On espère que plus tard le chemin de fer produira davantage et que nous pourrons équilibrer nos recettes avec nos dépenses.
A la vérité, on nous a donné hier un moyen, c’est d’établir des paquebots à vapeur pour mettre notre chemin de fer en communication avec un pays étranger ; il est probable que, sous peu, on nous demandera des fonds pour établir aussi une communication avec Guatemala ; on pourra dire alors que le chemin de fer s’étend jusqu’à Guatemala.
Messieurs, le chemin de fer ne donne à l’Etat que des pertes ; il produit des pertes sur les barrières des routes parallèles à la voie ferrée, des pertes sur les péages des canaux rachetés par l’Etat, et parallèles au chemin de fer : il produit une diminution sur la patente des aubergistes des routes, dont je viens de parler, une diminution dans la consommation des objets soumis à l’accise, une diminution dans le produit de la contribution personnelle et dans la valeur des propriétés foncières, qui, en cas de mutation, rapportent ainsi moins au trésor, une diminution dans la valeur locative, et, par conséquent, dans le produit de l’impôt, dont elle est frappée, une diminution dans la patente des entrepreneurs de diligences et dans la patente du roulage.
Un autre inconvénient, messieurs, c’est que le chemin de fer transporte directement à Cologne, par exemple, les étrangers qui auparavant séjournaient à Bruxelles, à Liège et dans d’autres villes ; aussi tous les hôteliers crient haro sur notre chemin de fer.
Il y a autre chose encore. L’un de ces jours, on viendra nous demander des fonds pour indemniser les maîtres de postes. C’est encore l’un des fruits de notre chemin de fer.
Récapitulez tout cela, messieurs, et au lieu d’un déficit de 3 ou 4 millions, vous verrez que le chemin de fer vous fait faire une perte annuelle de plus de 8 millions.
Il n’y a qu’un moyen d’arrêter ce mal, c’est de faire payer les voyageurs et les marchandises de manière à laisser encore des avantages au commerce mais à ne plus lui abandonner un bénéfice de 24,800,000 fr.
Messieurs, puisque j’ai la parole, j’en profiterai pour faire une demande à M. le ministre des travaux publics, je lui demanderai si l’on prendra, oui ou non, une résolution quant à la route de Hannut vers St-Trond, qui s’arrête à une lieue et demie environ de cette dernière ville. Je lui demanderai également quelles sont ses intentions relativement à la route réclamée de Huy à Waremme. J’ai une troisième question à faire à M. le ministre, il s’agit d’une question de droit ; je ne dirai pas que c’est en même temps une question d’argent, car nous faisons tant de dépenses que les questions d’argent semblent être devenues insignifiantes. Depuis deux ans les actionnaires de la route de Huy à Tirlemont, ont cédé non seulement leur droit de propriété sur cette route, mais encore les nombreux avantages qui leur avaient été accordés par la province et par l’Etat ; ils ont fait cette cession à la condition qu’on leur laisserait percevoir les droits de barrière jusqu’à ce qu’ils soient remboursés.
Eh bien, messieurs, il y a deux ans qu’ils réclament et leurs réclamations restent sans effet. Je ne crois pas que M. le ministre veuille se faire poursuivre devant les tribunaux, pour se faire condamner ; s’il en était ainsi on viendrait encore demander un crédit supplémentaire pour payer les frais du procès. Or, tout cela n’enrichit pas le pays.
Je bornerai là pour le moment mes observations. Quand nous en serons aux articles, j’aurai encore quelques remarques à présenter.
M. de Mérode. - M. le ministre des finances vient de vous présenter un singulier calcul sur le bénéfice que vaut au pays le transport économique des voyageurs. Il porte ce bénéfice à 22 millions, 22 millions de valeurs en fugues rapides dans toutes les directions, sur le chemin de fer ! Il nous faudrait vraiment bien des millions pareils pour payer notre dette à la Hollande.
Chaque concert qu’on donne a une valeur aussi, car ordinairement on ne fait pas jouer gratis de très bons musiciens ; si l’on inventait donc un moyen de produire d’excellente musique multipliée à si bon compte, que tous les soirs chacun recevrait gratis une sérénade, on créerait des valeurs musicales par millions. Et qu’on ne me dise pas que ma comparaison manque de justesse : car si la musique est une cause de plaisir, combien de voyages en chemin de fer n’ont lieu que pour l’agrément de ceux qui les entreprennent et non pour leur bénéfice ? Souvent une lettre suffirait pour remplacer ces voyages, mais leur grande facilité détermine une promenade au lieu d’une missive. D’après les calculs de M. le ministre des travaux publics, l’établissement des vigilantes enrichit beaucoup le pays ; en effet depuis qu’elles existent, les courses en fiacres sont au moins quintuplées à Bruxelles ; or chaque course vaut 50 centimes de moins qu’à l’époque où les fiacres, exclusivement à 2 chevaux, coûtaient 1 franc 50 centimes. Ainsi chaque roulade d’une vigilante procure dans les rues de Bruxelles une valeur d’un demi-franc pour ceux qui les prennent et les totaux qui en résultent sont des bénéfices pour le pays qu’il faut joindre aux 22 millions de M. Dechamps. Mais, d’autre part, l’usure des bottes et souliers est beaucoup moindre, et j’ai ouï dire qu’un assez grand nombre d’ouvriers cordonniers étaient maintenant sans travail. Ceux-là donc ne gagnent point par le va et vient continuel des vigilantes comme les aubergistes des grandes routes devenues solitaires ne gagnent rien depuis le va et vient des locomotives.
Du reste, je l’ai dit suffisamment, j’accepte ce qui est fait ; il serait absurde de s’élever contre des travaux accomplis, mais je demande que l’on s’arrête dans ces magnificences, je demande qu’on s’arrête, provisoirement du moins, à des œuvres plus simples, et, selon moi, plus utiles, et je vois avec peine que M. le ministre des travaux publics défend même les dépenses abusives indiquées par notre collègue M. Lys, qui certainement ne s’est pas trompé dans toutes ses observations économiques
Le tort ordinaire des ministres est malheureusement de ne s’occuper que des intérêts de leur administration et de ne pas songer suffisamment aux intérêts divers, aux intérêts généraux de l’Etat.
M. Rodenbach. - J’ai demandé la parole, messieurs, pour répondre quelques mots à ce qui a été dit par M. le ministre des travaux publics relativement au transport des marchandises. M. le ministre a dit que le transport des marchandises est considérable, qu’il est étonnant. Lorsqu’on examine ce mouvement, on ne peut pas le trouver si extraordinaire. Quel est donc ce mouvement de marchandises ? Il est pour l’année de 40,000 tonnes par lieue de 5,000 mètres ; ce qui rapporte 32,000 fr. Or, comme il y a 112 lieues de chemins de fer, c’est 12 fois 32,000 fr., c’est-à-dire environ 3 millions et 1/2 que rapporte le transport des marchandises.
Il me semble qu’avec un personnel aussi considérable, avec un matériel aussi immense, il faudrait pouvoir transporter infiniment plus. Je crois donc que M. le ministre a eu parfaitement raison de dire que le transport des marchandises est encore à l’état d’enfance.
Ainsi, messieurs, il me reste beaucoup à faire. J’ai été toujours un grand partisan du chemin de fer, mais j’ai toujours demandé aussi qu’il couvrît ses frais et l’intérêt des sommes qu’il nous coûtées. C est là le but qu’il faut atteindre.
Nous avons dépensé pour le chemin de fer 154 millions, et si vous ajoutez à cette somme le montant des déficits qu’il présente, vous arrivez au chiffre de 172 millions, tandis que, dans le principe, il n’était question que de 58 millions, même avec la ligne des Flandres. La dépense faite s’élève donc trois fois aussi haut que les prévisions.
M. le ministre des travaux publics vous a dit que les routes pavées ne rapportent même pas 1 p. c. Mais messieurs, les routes pavées n’ont pas été construites par le gouvernement, elles ont été construites par les provinces et les communes ; le gouvernement en est maintenant propriétaire par suite de conventions et non pas pour les avoir construites ; d ailleurs il a fallu plusieurs siècles pour les faire, tandis que maintenant nous vouions tout faire en quelques années. Pour le chemin de fer on n’accorde pas seulement un subside comme on le fait pour les routes ordinaires ; le gouvernement fait tout à lui seul, tandis que lorsqu’il s’agit d’une route ordinaire, il ne fait que le tiers de la dépense.
On dit que le chemin le fer rapporte 3 p. c. Eh bien, messieurs, c’est là un intérêt très faible, puisque l’argent que vous avez emprunté pour construire le railway vous coûte 6 p. c. En effet, l’emprunt Rothschild vous coûte, avec les faux frais, 6 p. c. Ainsi vous ne retirez que la moitié de ce que vous avez dépensé, et vous perdez ainsi la moitié des 172 millions que vous coûte le chemin de fer.
Eh bien, messieurs, je ne veux pas que le chemin de fer continue à être une charge pour le peuple ; le chemin de fer doit faire ses frais. J’engage de tout mon pouvoir le gouvernement à s’occuper d améliorer les produits du chemin de fer ; sans cela il finira par être une lèpre pour l’Etat, par ruiner les contribuables et le pays.
M. de Theux. - Messieurs, lorsque j’ai parlé hier de l’institution d’une commission chargée d’examiner ce qu’il y aurait à faire pour améliorer l’exploitation du chemin de fer, je n’ai en aucune manière entendu parler d’une commission permanente. J’approuve la mesure que M. le ministre a prise en chargeant des inspecteurs de la surveillance du chemin de fer ; j’approuve également le contrôle qu’il a donné à des employés du département des finances, en ce qui concerne les recettes. Je pense qu’il faut respecter l’ordre hiérarchique, qu’il faut éviter toute espèce de confusion et laisser à chacun sa responsabilité. Ce que j’ai demandé, c’est la nomination d’une commission composée d’hommes spéciaux, ayant une mission temporaire et qui s’occuperaient d’examiner particulièrement tous les documents que le département des travaux publics a publiés sur le chemin de fer, ainsi que tous ceux qui ont été publiés à l’étranger relativement à l’exploitation des chemins de fer. En examinant ces divers documents et en vérifiant ce qui se passe dans les différentes stations la commission pourrait se mettre à même de proposer à M. le ministre toutes les améliorations donc l’exploitation du chemin de fer est susceptible, soit sous le rapport des économies, soit sous le rapport de l’extension des transports. Je pense que cette commission serait très facile à composer. Je pense aussi que, malgré tout le zèle et les bonnes intentions qui peuvent animer les divers employés du ministère, il leur est très difficile de méditer suffisamment tous les documents et de proposer au gouvernement les améliorations qui peuvent être introduites dans l’exploitation du chemin de fer. Leur attention est trop absorbée par les soins de l’administration journalière. Il faut quelques personnes qui s’occupent exclusivement d’économie et d’amélioration de l’exploitation pendant un certain nombre de mois, et, alors du moins, on peut espérer d’obtenir les améliorations dont le chemin de fer est susceptible.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, je suis parfaitement de l’avis de l’honorable M. Cogels, en ce qui touche la garantie du minimum d’intérêt pour les entreprises d’utilité publique. Je crois, comme mon honorable collègue, que la chambre, sans admettre en principe le système de garantie, doit se réserver d’accorder le genre d’appui, sous telle ou telle forme, à telle ou telle entreprise dont l’utilité serait bien démontrée, et dans le cas surtout où les compagnies, demanderesses en concession, offriraient de suffisantes certitudes d’exécution.
A ce sujet, je prendrai la liberté de demander à l’honorable ministre des travaux publics, s’il persiste dans les bonnes intentions qu’il a manifestées au sujet du chemin de fer d’entre Sambre et Meuse, et si, dans le cas où une compagnie se présenterait pour l’exécuter, et offrirait avec un cautionnement, s’il était nécessaire, une certitude d’exécution, il serait disposé à demander une garantie de minimum d’intérêt à la législature ?
Je fais cette question parce qu’une compagnie anglaise, unie, dit-on, à des capitalistes de Mons, se forme en ce moment pour cet important objet, et a déjà terminer toutes les études préliminaires.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, je ne rentrerai pas dans la discussion générale sur les avantages du chemin de fer ; tout a été dit sur cette question et je pense que chacun de vous restera avec sa conviction particulière, je veux seulement compléter quelques explications.
L’honorable M. Lys m’a demandé comment il se faisait qu’on fabriquait du coak à Ostende ; il pense qu’il est préférable de transporter du coak à Ostende, au lieu d’y transporter du charbon même.
Messieurs, cette observation est spécieuse, mais elle n’est pas fondée.
D’abord, le transport du coak sur le chemin de fer est très onéreux, et cela par une raison bien simple, c’est que le poids spécifique du coak est très faible, relativement à son volume, et que le coak doit être transporté dans des paniers, afin qu’il ne se brise pas.
En second lieu, le coak se détériore considérablement par le transport sur le chemin dé fer ; quelques précautions que l’on prenne, le coak se brise, et vous savez qu’il est impossible de se servir du menu coak.
D’un autre côté, le charbon en destination des fours à coak d’Ostende est transporté par la voie navigable de Mons à Ostende. Or, les frais de transport sont à peu près les mêmes de Mons à Gand et de Mons à Ostende, à cause de la modicité des frais de transports entre Gand et Ostende. L’administration s’est livrée à des calculs, desquels il est résulté qu’il y avait économie pour le chemin de fer de fabriquer le coak à Ostende plutôt que de l’y transporter.
L’honorable M. Lys pense qu’il serait plus avantageux d’acheter directement le coak aux entrepreneurs.
Lorsque je suis entré au département des travaux publics, j’avais aussi cette conviction, et je persiste à croire que l’administration ne doit pas adopter un système absolu en cette matière ; je pense que l’administration doit fabriquer le coak et combiner cette fabrication avec des achats directs aux fournisseurs.
C’est ainsi que nous avons procédé. L’administration du chemin de fer achète le coak directement à Mons, à Charleroi et à Ans, tout en conservant ses fonds de fabrication. Et en effet, l’administration du chemin de fer ne doit pas, pour la fourniture du coak, se mettre sous la dépendance, en quelque sorte, des entrepreneurs de coak, ce qui aurait lieu, si des fours n’appartenaient pas à l’administration même.
L’honorable M. Eloy de Burdinne m’a interpellé relativement aux intentions du gouvernement, pour la construction de la route de Hannut à St-Trond.
Messieurs, cette question est pendante depuis longtemps. Deux directions existent et ont été étudiées, l’une de Hannut à St-Trond, l’autre de Hannut vers Landen ; le chemin de fer formait le prolongement de cette dernière route vers St-Trond.
Vous savez, messieurs, que depuis la construction du chemin de fer l’administration tâche toujours de donner la préférence aux routes affluentes au chemin de fer, et la raison en est trop simple pour qu’il soit nécessaire d’en faire ici la démonstration. Or la route directe de Hannut à St.-Trond, route à laquelle on a donné la préférence dans les enquêtes, court constamment, sur la moitié du tracé, dans la direction du chemin de fer de Landen à St-Trond, tandis que la route de Hannut à Landen n’aurait pas ce désavantage.
D’un autre côté, l’exécution de la ligne directe, de Hannut à Saint-Trond est évaluée à 522,000 fr., tandis que la dépense de la route qui se dirigerait de Hannut à Landen ne s’élèverait qu’à 184,0000 fr. Les souscriptions qu’on est parvenu à recueillir en faveur de la ligne de St-Trond ne se montent qu’à 40,250 fr. ; en admettant que les trois provinces intéressées à intervenir dans la dépense, chacune pour un quart, soit 130,500 fr., il resterait encore à fournir par l’Etat, une somme considérable.
Messieurs, ce qui m’a fait hésiter à adopter l’avis de la commission d’enquête et celui des ponts et chaussées, c’est que d’après ce dernier avis, la construction de la route d’Hannut vers St-Trond ne nous dispenserait pas de construire plus tard la route de Hannut à Landen, de manière qu’après avoir fait une dépensé de 522,000 fr., il faudrait en faire une nouvelle de 184,000 fr. J’avoue, qu’eu égard à la situation financière du trésor et à la modicité des fonds dont le département des travaux publics dispose pour construction de routes, je n’ai pas cru pouvoir me rallier à l’avis du conseil des ponts et chaussées et des commissions d’enquête.
L’honorable M. Eloy de Burdinne a parlé de la route de Huy vers Waremme. L’ingénieur en chef de la province a été chargé de l’étude de cette route, mais les pièces ne sont pas encore parvenues à l’administration.
Je saisis cette occasion pour répondre aussi à une interpellation faite par les honorables MM. de Nef et Peeters, relativement à quelques routes de la province d’Anvers. L’honorable M. Peeters m’a déjà prévenu dans l’observation que j’ai à faire moi-même, c’est que l’exécution de plusieurs routes, importantes au point de vue provincial ou local, est restée en suspens, à cause de l’opposition du génie militaire.
M. Eloy de Burdinne. - M. le ministre des travaux publics a oublié de répondre à l’une des interpellations que je lui ai faites. J’ai demandé si l’on terminerait bientôt la discussion pendante entre le gouvernement et les actionnaires de la route de Tirlemont à Hannut.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - J’avais oublié de répondre à une interpellation qui m’avait été adressée. Voici les faits : le département des travaux publics avait transmis au département des finances toutes les pièces comptables pour procéder à la liquidation. Le département des finances très récemment m’a renvoyé ces pièces, en me faisant l’observation qu’il y avait une différence entre le décompte du receveur de l’enregistrement et des domaines et celui de l’ingénieur. J’ai dû transmettre cette demande d’explications à M. le gouverneur de la province de Liége ; j’attends la réponse, et j’espère qu’elle fera cesser toute espèce d’obstacle à ce que la liquidation soit terminée, car c’est à cette seule circonstance qu’on doit attribuer le retard qu’elle a éprouvé.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je désire ajourner à la discussion du chapitre spécial des chemins de fer mes observations sur cet important service, je n’ai donc demandé la parole que pour demander un renseignement au gouvernement.
Nous nous rappelons tous les mesures assez sévères dont ont été l’objet les officiers étrangers qui sont venus nous aider à organiser notre armée ; le but de ces mesures était de favoriser les habitants du pays, et ces mesures avaient quelque fondement ; mais pendant que des mesures semblables étaient prises pour écarter les étrangers de notre armée, on m’assure que de nombreux étrangers ont été admis dans les divers grades de l’administration de nos chemins de fer, et que ce nombre est tellement considérable qu’il soulève beaucoup de réclamations ; j’ai ouï dire qu’il y avait plus de 25 surveillants sur la ligne de Bruxelles à Quiévrain ; je demanderai donc à M. le ministre quelques renseignements à cet égard, et qu’il veuille nous dire quel est le nombre des étrangers qui ont été admis dans l’administration ; s’il ne peut nous les donner immédiatement, il pourra se les procurer et nous les donner lors de la discussion du chapitre spécial des chemins.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Je suis charmé de pouvoir donner immédiatement une explication à l’interpellation de M. de Man. Il y a exagération dans les renseignements qu’on a pu lui donner. Parmi le personnel nombreux du chemin de fer, il y a 55 étrangers, étrangers en ce sens qu’ils sont nés à l’étranger, car une grande partie sont naturalisés ; il y a 9 Allemands, 9 Anglais, 1 Italien, 22 Français, 13 Hollandais et 1 Polonais, en tout 55, y compris les machinistes, chauffeurs et chefs d’ateliers et cela sur 1024 employés de même grade. Vous voyez que le nombre est loin d’être aussi élevé qu’on semblait le croire. Je vous prie de ne pas perdre de vue cette circonstance que la plupart sont naturalisés. Vous savez qu’au début de l’exploitation, l’administration a eu besoin de faire venir quelques ouvriers chauffeurs, machinistes, afin de profiter de l’expérience qu’ils avaient acquise ailleurs.
Plusieurs voix. - La clôture ! La clôture !
M. Lys. - J’aurais eu quelques observations à faire, mais je me réserve de les présenter quand nous en serons au chapitre du chemin de fer.
- La clôture de la discussion générale est prononcée.
M. le président. - J’ai à communiquer à la chambre une lettre qui nous fait part de la mort l’un des membres les plus distingués du sénat, M. le comte Duval de Beaulieu.
Le bureau répondra à la famille de M. le comte Duval de Beaulieu.
- La séance est levée à 4 1/2 heures.