(Moniteur belge n°342, du 8 décembre 1843)
(Présidence de M. Liedts)
M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Huveners communique les pièces de la correspondance.
« Le sieur François Verbruggen, journalier à Caggevinne-Assent, né à Utrecht (Pays-Bas), demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les sieurs Van Humbeek et d’Abremont, entrepreneurs d’omnibus, à Bruxelles, présentent des observations contre le projet de loi relatif aux moyens publics de transport et la poste aux chevaux.»
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Marchal, avocat à Bruxelles, demande une indemnité pour le préjudice que lui a causé la suppression du tribunal de St-Hubert, prés duquel il exerçait en qualité d’avoué. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du budget de la justice.
« Le sieur Van Boie, saunier à Bornhem, présente des observations contre le projet de loi sur le sel. »
- Renvoi à la section centrale qui a examiné le projet.
« Le sieur Delem, entrepreneur des lits militaires de la ville de Liége, réclame l’intervention de la chambre pour qu’il soit donné suite à ses observations concernant le contrat passé entre le gouvernement et la Société Legrand et comp., pour le couchage des troupes. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le budget de la guerre.
« La dame Smets, veuve Legrand, demande que son fils aîné, soldat au 3ème régiment de chasseurs à pied, soit libéré du service militaire. »
Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame Lebeau, veuve Detilloux, demande que son second fils, qui seul pourvoit à ses besoins et à ceux de ses autres enfants, soit exempté du service militaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Severin demande que le ministre de la justice soit invité à faire son rapport sur une pétition adressée en 1836, à son département, et qui tendait à faire réduire au taux légal l’intérêt de l’argent prêté par les monts-de-piété. »
- Même renvoi.
« Les cultivateurs de la commune de Neuve-Eglise demandent l’annulation de l’arrêté royal qui autorise le libre transit des bestiaux par Anvers et par le chemin de fer vers la France. »
M. Delehaye. - Messieurs, lors de la discussion de l’adresse, j’ai appelé l’attention de M. le ministre des finances sur l’arrêté relatif au transit du bétail. Les pétitionnaires, qui sont nombreux et appartiennent à la Flandre occidentale vous signalent les dommages qui résultent pour eux de cet arrêté. Je demande, pour que l’instruction sur cette mesure ne traîne pas en longueur, que la commission des pétitions soit invitée à nous faire un prompt rapport sur la pétition dont on vient de vous faire l’analyse.
M. Malou. - Je voulais faire la même demande.
Je rappellerai que, lorsque cette question a été discutée, M. le ministre des finances nous a promis de prendre des renseignements sur la question et de les communiquer à la chambre.
Je me réunis à l’honorable M. Delehaye pour demander un prompt rapport.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je n’ai aucunement perdu cet objet de vue ; tous les huit jours des rapports parviennent au ministère des finances sur le transit du bétail qui s’effectue par le port d’Anvers. Jusqu’à présent, il est peu considérable. Néanmoins, j’ai demandé également des renseignements en France, pour savoir quelles ont été, l’année dernière, par le port de Dunkerque, les importations de bétail venant des Pays-Bas.
Si ces importations sont à peu près les mêmes, ou sont les mêmes que celles qui se font aujourd’hui par Anvers, je pense que la mesure n’aura nui en rien à la Belgique, mais qu’elle aura même été utile.
Du reste, jusqu’à présent, ces renseignements ne sont pas complets, mais je dois répéter que le transit est peu considérable.
M. Rodenbach. - Messieurs, j’ai eu aussi des renseignements, et je pense que bientôt M. le ministre des finances viendra nous déclarer que l’année dernière on importait plus de bétail par Dunkerque que cette année.
Un fait avéré, c’est que nous n’avons plus le marché de Lille, et que les Hollandais nous font une vive concurrence. Ainsi, pour donner quelques produits de plus au chemin de fer, on nous fait perdre un marché très important pour nos éleveurs de la Flandre orientale, et qu’ils conservaient depuis des siècles.
M. de Brouckere. - Il me paraît que cette question est tout à fait prématurée. Je demande qu’elle soit renvoyée à celle du rapport de la commission des pétitions, sur la requête dont il vient d’être fait l’analyse.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je demande à ajouter quelques mots.
Dans une précédente séance, il a aussi été question de la fraude qui se serait pratiquée à l’occasion de ce transit du bétail. L’honorable M. Rodenbach m’avait même remis une note à cet égard. J’ai pris des informations, et il en résulte que cette fraude est réellement impossible. Tout le bétail de la Hollande qui passe en transit est marqué d’une lettre à la corne. Or, cette lettre est désignée dans les documents. En outre, un plomb est apposé à ce bétail, et il est impossible que la substitution dont a parlé l’honorable M. Rodenbach puisse avoir lieu. Ces fausses allégations proviennent uniquement de l’exagération que l’on apporte à la manière d’envisager ce transit. Je ne veux pas parler de l’honorable membre, mais des personnes avec qui il a été en rapport.
M. Rodenbach. - Je reconnais que j’ai été induit en erreur. Mais depuis, on m’a dit que nous avions perdu le marché de Lille pour le bétail, et ce marché était, je le répète, fort important pour nous.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.
La section centrale de statistique transmet à la chambre 97 exemplaires du 1er volume de son bulletin.
- Distributions à MM. les membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. Zoude. - J’ai l’honneur de présenter à la chambre le rapport sur les amendements présentés par M. le ministre des finances au projet de loi sur le sel.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué.
A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion ?
M. Zoude. - Je demanderai qu’on veuille bien la fixer après celle du budget des voies et moyens. Ce projet de loi est destiné à apporter au trésor une augmentation de ressources.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - J’appuie la motion de l’honorable M. Zoude, parce qu’une fois le projet de loi sur le sel voté, il y aura parfait équilibre entre les recettes et les dépenses de l’Etat.
M. Malou. - Mais, messieurs, si le rapport sur le budget de la dette publique et des dotations était présente lorsque le budget des voies et moyens sera voté, ne faudrait-il pas lui accorder la priorité sur le projet de loi sur le sel ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je crois que le projet de loi sur le sel, tel qu’il est maintenant présenté, ne donnera pas lieu à de longues discussions. Il serait désirable, puisqu’on a tant insisté sur la nécessité d’avoir un équilibre entre les recettes et les dépenses, alors que la différence n’était que de quelques centaines de mille francs, que l’on discutât ce projet qui satisferait les honorables membres qui ont émis ce vœu, je demande donc que l’on donne la priorité au projet de loi sur le sel.
- La chambre fixe la discussion du projet de loi sur le sel après celle du budget des voies et moyens.
M. le président. - L’ordre du jour appelle la discussion du budget des voies et moyens.
La discussion générale est ouverte.
M. Lys. - Le pays entier éprouve depuis longtemps le besoin d’un bien-être matériel, qui corresponde aux progrès que la civilisation a pu faire à l’ombre de nos institutions libérales : jusqu’à présent la législature n’a rien fait pour satisfaire un besoin qui devient tous les jours et plus pressant et plus sérieux ; il est donc temps que l’on s’occupe de rechercher des moyens, qui puissent assurer et développer la prospérité des individus, et, par une suite nécessaire, celle de l’Etat.
Les mots d’économie, de réductions dans les dépenses publiques sont dans toutes les bouches ; ils sont inscrits sur tous les drapeaux. Mais avant de parler sérieusement d’économies à effectuer, avant de parler sérieusement de réduire les dépenses publiques, il faut commencer par mettre de l’ordre et de la régularité dans les finances de l’Etat. Sans ordre, sans régularité dans le maniement des deniers publics, sans principes régulateurs pour opérer les dépenses que nécessite le service public, les projets d’économie, les réductions dans les dépenses ne sont que des mots vides de sens : Le vote du budget par la législature est un mensonge ; en effet, messieurs, tant et si longtemps qu’il y a possibilité à défaut d’allocation sur le budget, d’assigner des mandats à l’insu de la cour des comptes, sur des caisses particulières, dans le but de solder des dépenses, que le budget n’a point autorisées, il n’y a plus de contrôle réel possible, et il n’y a plus, ni confiance, ni sécurité, dans la manière dont les finances de l’Etat sont administrées. Il y a alors violation de l’article 116 de la constitution, qui a voulu asseoir notre crédit public sur des bases stables et à l’abri des fluctuations politiques, suites inséparables de notre forme de gouvernement.
La constitution a voulu qu’aucun article des dépenses du budget ne fût dépassé et qu’aucun transfert n’eût lieu. Or, n’avons-nous pas la preuve, ainsi que la cour des comptes le fait judicieusement observer, n’avons-nous pas la preuve que, dans l’état actuel de la comptabilité, les chefs des départements ministériels peuvent délivrer des mandats soit sur des caisses particulières, soit sur la caisse même de l’Etat, à l’insu de la cour des comptes, et consommer ainsi des dépenses non autorisées ? N’est-ce pas ainsi qu’a été effectué l’achat de la British-Queen ? Si MM. les ministres avaient eu besoin du visa de la cour des comptes pour se procurer les fonds nécessaires pour cette acquisition, elle n’aurait pu avoir lieu, et l’Etat ne se verrait pas frustré aujourd’hui d’une somme de plus de deux millions de ce seul chef, en allant puiser les fonds à la caisse des consignations ? N’est-ce pas ainsi qu’ont été effectuées d’autres dépenses que la législature n’a eu qu’à enregistrer, forcée qu’elle a été, de ratifier des faits consommés ?
La cour des comptes ne peut donc rester plus longtemps étrangère à la comptabilité et au mouvement annuel des caisses des comptables ; car aussi longtemps que cette lacune existera dans l’organisation de la comptabilité générale de l’Etat, la volonté de l’art. 116 de la constitution ne sera respectée qu’autant que le voudront bien ceux à qui est confiée la disposition des deniers publics.
Il est indispensable, messieurs, qu’une loi fixe donc manière définitive l’organisation de la cour des comptes et régie la comptabilité de l’Etat. M. le ministre des finances a promis cette loi, j’ai foi dans ses promesses, et j’espère que, dans cette session, nous pourrons doter le pays d’un système complet de législation sur la partie la plus importante du service public.
Cette loi est d’autant plus urgente, que les finances de l’Etat sont toujours destinées à payer les libéralités et les fautes que peuvent commettre les agents du pouvoir, qui, étant sujets à être fréquemment déplacés, ne peuvent pas toujours mûrir tous leurs actes, avec tout l’esprit de suite si désirable dans les affaires. Pour parer à cet inconvénient inséparable de notre organisation politique, il faut que les règles sur la comptabilité soient fortement tracées et que la cour des comptes puisse ainsi prémunir la nation contre les dangers résultant de la présence aux affaires d’une administration passagère.
Aussi, messieurs, voyez combien sont graves les abus que vous signale la cour des comptes ; les transferts ont formellement interdits par la loi constitutionnelle, et cependant, malgré cette défense, on a osé imputer les traitements des fonctionnaires faisant partie de l’administration centrale, sur des allocations votées pour d’autres services spéciaux, alors cependant qu’il existe au budget de chaque département ministériel un article particulier pour ces traitements. Ainsi, messieurs, les traitements des conducteurs des ponts et chaussées, les traitements des ingénieurs employés à des services spéciaux, sont imputés sur les crédits votés pour les divers travaux auxquels ces employés sont attachés, et rien n’est plus irrégulier que ce mode d’imputation, car, avec cette manière d’agir, le vote de la législature devient un vote incomplet et impossible à apprécier, car le chiffre voté pour les traitements des fonctionnaires ne représente plus la dépense réelle qui a lieu de ce chef, puisque, par l’imputation de ces traitements sur des fonds votés pour des travaux spéciaux, le ministre réussit à éluder la volonté de la législature et à enfler le chiffre accordé par les représentants du pays, comme étant l’expression des besoins du service.
En présence de ces résultats que la cour des comptes, gardienne de l’ordre et de la régularité dans les finances de l’Etat, signale à votre attention, il est impossible de ne pas concevoir des craintes sérieuses pour l’avenir et pour notre crédit public !
Dans ce moment encore, nous venons de voir un ministre prendre possession de l’un des palais cédés à l’Etat par le traité avec la Hollande, et l’on y a fait des réparations et de nouvelles constructions. La législature a-t-elle été appelée à émettre son vœu sur pareille destination ? Sur quelle allocation au budget de l’année courante va-t-on prendre les fonds nécessaires pour l’exécution de ces travaux ? Sur la nécessité ou sur l’utilité de quels travaux vous n’avez pas été consultés ! Je veux bien admettre, messieurs, qu’un palais pour le ministère des travaux publics est nécessaire, que le palais de la Place Royale aura ainsi une bonne destination, je veux bien croire que les travaux sont utiles, mais cela n’empêche pas que les principes, je dirai même que les convenances exigeaient, que cette destination fût sanctionnée par la législature, avant qu’on ne mît la main à l’œuvre.
D’un autre côté, le palais du prince d’Orange est pour le moment transformé en un bazar destiné à procurer du soulagement aux pauvres de Bruxelles. Je demanderai, messieurs, si le gouvernement est en droit de disposer d’un édifice national pour une destination d’intérêt local !
Ne croyez pas, messieurs, que je sois hostile à une œuvre philanthropique ; j’applaudirai toujours à tous les projets destinés à secourir l’infortune ; mais si, comme individu, je suis le partisan de tout ce qui peut alléger les misères de la classe souffrante, je ne puis, comrne député, permettre que l’on fasse ainsi de la philanthropie locale, car le résultat de la destination provisoire de ce palais, c’est que l’on viendra plus tard nous demander des fonds pour réparer les dégradations qui auront été commises.
Si le cas particulier, dont je vous entretiens, devait rester unique dans les fastes de l’administration, je n’élèverais pas la voix dans cette enceinte ; mais, messieurs, ce qu’il importe le plus d’éviter, c’est l’autorité d’un précédent, car ordinairement tous les abus ont leur source dans des actes antérieurs, que l’on a eu la faiblesse de ne pas réprimer.
C’est ainsi que le gouvernement a encore disposé du bâtiment dit les écuries du Roi et du terrain ou plaine contiguë au jardin du Palais.
Il y a dans ces procédés, que je me vois forcé de critiquer, un tel manque d’égard envers les chambres, que je n’ai pu me dispenser d’appeler votre attention sur cette conduite du gouvernement, qui, s’il voulait respecter les convenances, devait nous apporter un projet de loi tendant à réunir à la liste civile les propriétés dont s’agit.
Je vous ai parlé, messieurs, des travaux entrepris sans votre intervention préalable, mais ce n’est là que pure bagatelle en présence de ce qui s’est passé pour le chemin de fer. C’est encore la cour des comptes qui vous dénonce des méfaits si extraordinaires et si graves.
Des travaux importants ont été exécutés sans adjudication publique, des fournitures considérables ont été effectuées, au moyen de contrats de la main à la main et même sur simple autorisation ministérielle, sans l’intervention d’aucune convention. On a fait plus encore, il n’a été tenu, dans maintes circonstances, aucun compte de la teneur des conventions, et l’interprétation qui y est souvent donnée, tend, de l’aveu de la cour des comptes, à rendre illusoires les charges imposées aux entrepreneurs, et de là, messieurs, des travaux imprévus de tout genres et de toute nature.
Comment exécute-t-on ces travaux extraordinaires ou supplémentaires, de force majeure ou de parachèvement ? A-t-on recours à la voie des enchères publiques au rabais ? Non, messieurs, ordinairement il n’y a pas d’adjudication, et des travaux imprévus ont souvent été exécutés sans devis préalable et même sans autorisation ministérielle. Et savez-vous comment on procède ? La cour des comptes vous l’apprend dans son cahier d’observations. Les travaux dits imprévus se font d’après les ordres de l’ingénieur dirigeant les travaux et dans les proportions qu’il juge convenables ; après l’exécution des travaux un devis estimatif est rédigé, et l’entrepreneur, de concert avec l’ingénieur, fait sa soumission, qui est présentée au chef de l’administration générale. Alors seulement, et ce n’est souvent que deux ou trois mois après l’achèvement des travaux, un arrêté est porté, approuvant tout à la fois le devis estimatif ; la soumission, ainsi que l’état de réception. Inutile, messieurs, de s’appesantir sur les conséquences désastreuses d’une marche qui a pour résultat inévitable de causer des pertes énormes au trésor public.
Vous voyez, messieurs, quelle est l’urgence d’avoir une loi sur la comptabilité générale de l’Etat, combien il est indispensable que cette loi soumette au contrôle de la cour des comptes toutes les caisses et toutes les institutions qui sont, comme la caisse des retraites, subventionnées par l’Etat. Cette loi devra encore consacrer l’institution d’une commission qui serait chargée de surveiller l’emploi de tous fonds de dépôt et les fonds d’amortissement de la dette publique. Tel est le vœu unanime de votre section centrale.
Aujourd’hui, messieurs, ces caisses ne présentent ni sûreté, ni garantie ; en effet, les versements qui se font chez le caissier-général de l’Etat et chez ses agents, se font sans aucune espèce d’imputation. Le caissier ne tient qu’une comptabilité de caisse et non la comptabilité de chaque catégorie de produit. Ainsi, lorsque le caissier reçoit, il ignore à quel titre et pourquoi le versement s’opère, il ignore si le versement est fait pour le compte de l’Etat, pour le compte des provinces, ou pour le fond des dépôts. La trésorerie ne peut pas non plus donner à ses versements la destination qu’ils doivent avoir, à moins que ceux qui ont fait les versements ne lui fassent connaître directement l’imputation qu’ils veulent donner aux versements effectués par eux. Dans cet état des choses, les dépôts faits à la caisse des consignations sont livrés à des hasards qu’il importe de faire disparaître dans l’intérêt de la sécurité publique : il faut que les fonds déposés soient toujours distincts des autres deniers ; il faut que l’administration des fonds déposés soit distincte de celle à qui est confiée la gestion des deniers dont l’Etat est propriétaire ; rien n’est plus dangereux que de confondre, dans une même caisse, les fonds dont l’Etat n’est que dépositaire avec ceux qui lui appartiennent. Insister plus longtemps sur la nécessité d’apporter un prompt remède à l’état actuel des choses, ce serait faire injure au bon sens de la chambre.
Maintenant j’ai démontré que le premier principe pour réussir à faire des économies sérieuses, est d’établir de l’ordre et de la régularité dans le ménage financier de l’Etat ; qu’il me soit permis de dire un mot sur les ressources dont le pays peut disposer pour faire face à ses dépenses.
Nous possédons encore des forêts considérables. Vous savez comme moi, messieurs, quel est leur produit net ; il est tout au plus de un p.c., et, en effet, nous en avons pour 46 millions qui produisent à peine 400,000 francs. Les finances de l’Etat seraient scrupuleusement améliorées si chaque année on procédait à des aliénations, les défrichements s’opéreraient, ces terrains seraient soumis aux divers droits de mutation, ce qui augmenterait progressivement les revenus de l’Etat, qui, en fît-il même un abandon gratuit, serait encore une excellente affaire, tellement l’aliénation serait avantageuse.
Le droit sur les successions mérite aussi une attention sérieuse. Le produit de cet impôt n’est pas ce qu’il devrait être, et la suppression du serment, qui était prescrit par la loi primitive, me parait avoir nui essentiellement à la production de cet impôt, et, en effet, bien des personnes se laissent aller à des réticences et auraient reculé devant la religion du serment. Aussi la section centrale a-t-elle engagé le gouvernement à proposer promptement des mesures propres à assurer la perception des droits de succession.
Le gouvernement paraît peu disposé, messieurs, à frapper des impôts sur les objets de luxe. Depuis longtemps nous avons indiqué les équipages, les armoiries, les livrées, comme choses très imposables. Il y aurait aussi lieu d’imposer un droit sur la collation des titres de noblesse, un droit d’enregistrement pour les actes de naturalisation, pour les décorations étrangères, pour les nominations d’avoué, notaire, courtier, agent de change ; une privation de traitement pour le premier mois lors de l’entrée en exercice de tout fonctionnaire de l’Etat.
Enfin, pourquoi ne pas rétablir par une loi le droit de 4 p. c. par an sur le revenu de tous les biens qui passent en mainmorte ; par un pareil droit, même de 5 p. c., ils ne paieraient pas encore un impôt équivalent à ceux auxquels sont soumis les autres biens.
Ce serait, messieurs, des impôts tout à fait volontaires, ils ne frapperaient que l’homme fortuné ou obtenant une faveur, et pareils impôts sont nécessairement d’une facile rentrée, et à l’abri de toute critique fondée.
J’appellerai encore l’attention du gouvernement sur les compagnies d’assurances ayant leur siège à l’étranger et qui pullulent en Belgique. Les compagnies d’assurances nationales doivent produire leurs comptes au fisc et verser, dans la caisse de l’Etat, telle quotité de leur bénéfice, à titre de droit de patente. Il est hors de doute et de contestation que les compagnies étrangères ne peuvent pas être traitées plus favorablement que les compagnies belges ; elles devront dès lors être astreintes à produire leurs livres pour constater leurs bénéfices et payer par suite une quotité d’impôt au moins égale à celle qui est payée par les compagnies belges. Nul ne pourrait se plaindre d’une mesure qui aurait dû être adoptée depuis longtemps, et si on trouvait qu’il y aurait trop de difficulté de constater leurs bénéfices, on pourrait frapper sur chacune d’elles une taxe calculée sur la moyenne de ce que payent au trésor public les compagnies belges. La troisième section a aussi appelé l’attention de M. le ministre des finances sur ce point.
Nous regrettons, messieurs, que M. le ministre des finances ne se soit pas occupé de la question soulevée l’année dernière par l’honorable M. Rogier, relative aux caisses d’épargne. Ce dernier, ainsi que M. le ministre, ont fait observer que toute innovation ne pourrait être introduite qu’avec une extrême circonspection. Mais tout en partageant cette manière de voir, il n’en est pas moins vrai qu’il est de l’intérêt général de ne pas la laisser trop longtemps indécise, car la responsabilité est grave, elle est immense, et, s’il est vrai, comme l’a dit l’honorable M. Rogier, que le gouvernement, aux yeux du public, soit responsable de la caisse d’épargne, et que, le cas échéant, il doive en répondre, le gouvernement ne peut plus tarder de couvrir une pareille responsabilité, en prenant une mesure qui le mettrait à même de faire en peu de temps et avec beaucoup de facilité le rachat de ces emprunts.
Je suis forcé de vous parler encore de la comptabilité de l’Etat, quoiqu’on pourrait me dire que cela devient inutile, puisque M. le ministre des finances a promis de nous présenter les lois y relatives. J’ai foi en ses promesses, mais j’avais aussi confiance dans les promesses de son prédécesseur, qui nous disait de même, il y a un an, que la loi de comptabilité et la loi sur la cour des comptes étaient rédigées, qu’elles étaient soumises à l’examen de ses collègues, et que, sous très peu de temps, elles vous seraient soumises.
Il est d’ailleurs de mon devoir de vous soumettre quelques observations qui vous prouveront que la chambre a été induite en erreur par le ministère, lors de la discussion du budget des voies et moyens pour l’année courante.
Dans cette discussion, vous avez appris pour la première fois que le gouvernement, sans autorisation préalable des chambres, avait prêté un cinquième million à la banque de Belgique sans intérêt. Ce million a été pris sur les fonds généraux qui sont ainsi au pouvoir des départements ministériels sans aucun contrôle de la cour des comptes. Le ministre des finances y puise à volonté.
On vous a aussi annoncé dans cette discussion qu’il ne s’agissait plus, ainsi que je le prétendais avec mon honorable ami M. Delehaye, de reporter à 5 p. c. l’intérêt dû par la banque de Belgique sur le capital de 4 millions, parce qu’il y avait eu remboursement de ces 4 millions, que dés lors vous ne pouviez plus fixer le taux des intérêts ; nous avons cru, disait M. le ministre des finances, devoir laisser les fonds au taux auquel la banque en prend en compte courant. Nous pouvons en disposer quand nous voulons.
M. Zoude. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. le président. - Continuez, M. Lys ; une motion d’ordre n’interrompt pas un discours.
M. Lys. - Mes honorables collègues, MM. Cogels et de Garcia, mus par la considération qu’il était libre à la banque de Belgique de rembourser à volonté les 4 millions empruntés, soutinrent que l’opération de M. le ministre des finances était tout à fait dans l’intérêt de l’Etat, c’était un encaisse, disait l’un, l’erreur de M. Lys provient de ce qu’il considère comme un prêt ce qui n’est qu’un encaisse ; le gouvernement peut reprendre à volonté et chaque jour son capital, disait l’autre ; et M. le ministre des finances, attestant cet état de choses, la chambre sanctionna l’opération.
Cette discussion avait lieu au commencement de décembre 1842 et c’était au 15 janvier précédent que remontait la convention du ministre avec la banque de Belgique, réduisant l’intérêt de 5 à 2 p. c. dans un moment où il empruntait à 5 p. c., et tandis qu’au budget qu’il avait présenté lui-même quelques jours auparavant, ce capital figurait aux voies et moyens au taux de 5 p. c.
M. le ministre des finances a donc fait cette conversion, ou, comme il l’a soutenu, il a reçu le 15 janvier 1842 le remboursement du capital de 4 millions qui portait intérêt à 5 p. c.
Vous ne doutez point, messieurs, j’en suis convaincu, que, si la banque de Belgique privait l’Etat de l’intérêt du capital de 4 millions, en le lui remboursant, M. le ministre des finances avait soin de faire rembourser en même temps le capital d’un million prêté sans intérêt et sans autorisation du 31 décembre 1839 au 15 janvier 1840.
Il aura fait, me direz-vous, la même conversion pour le capital d’un million que pour celui de 4 millions, il l’aura aussi versé à la caisse de la banque de Belgique, en compte courant, à intérêt de 2 p. c., pour servir d’encaisse et pour en disposer chaque jour à sa volonté.
Détrompez-vous, messieurs, le prêt d’un million n’a pas subi de transformation, il est resté non productif d’intérêt, et ce n’est qu’au 27 septembre 1842 qu’il est rentré dans les caisses de l’Etat.
J’ajouterai, messieurs, que l’erreur dans laquelle me supposaient l’année dernière mes honorables collègues, MM. Cogels et de Garcia, erreur qui a empêché la chambre de reporter l’intérêt du capital de 4 millions à 5 p. c., n’en était pas une ; ce sont, au contraire, ces deux collègues qui ont versé dans une erreur préjudiciable pour le trésor, en supposant que le capital dû par la banque n’était plus un prêt, mais un encaisse, qu’on pouvait réaliser du jour au lendemain.
Nous avons eu communication de ce contrat de reprise en compte courant, et voici ce qui en est :
Le gouvernement ne peut en disposer que par somme de 10 mille francs, à la fin de chaque mois, avec préavis de 15 jours.
L’intérêt cesse de courir sur toute somme redemandée, à dater du jour du préavis.
La banque s’engagerait à un remboursement total dans les quinze jours qui suivraient la demande, moyennant une indemnité de 2 p. c., depuis la date du remboursement effectif jusqu’aux époques où il aurait dû se faire, en disposant à raison de 300 mille francs par mois.
Vous voyez, messieurs, que la conversion en compte courant, d’un capital alors exigible, de l’aveu du ministère, est une opération faite dans l’intérêt d’un établissement au détriment de 1’Etat. M. le ministre des finances ne pouvait pas dire qu’il pouvait disposer de ce capital quand il voulait, car il était lié par un engagement de près de deux années.
La chambre a été induite en erreur, et chacun de nous doit le reconnaître. Concluons donc que nous ne sommes jamais rassurés sur la réalité de l’encaisse, car nous ignorons s’il n’existe point dans les caisses des comptables des mandats ayant servi à acquitter des dépenses encore inconnues, et la preuve en est que nous n’avons appris qu’à la fin de 1842 le prêt opéré de 1839 à 1840, sans l’intervention des chambres, et au moment où elles étaient réunies.
Mais là ne doivent pas se borner les faveurs projetées en faveur de la banque de Belgique. Le gouvernement a autorisé l’enregistrement en débet des contrats constitutifs d’hypothèque que cet établissement a fait consentir par ses débiteurs, et cette perception suspendue jusqu’à ce jour, et qu’on vous a laissé ignorer, s’élève à une somme de 129,406 fr.
Le ministre a ainsi suspendu l’exécution de la loi, en faveur d’une société anonyme, qui mérite sans doute toute la protection du gouvernement, dans l’intention de favoriser les débiteurs de cette banque et de faciliter les traites, afin de lui faire obtenir des garanties de ces derniers. Mais remarquez, messieurs, que c’est là un privilège concédé à un établissement, et qu’il y aurait par suite iniquité d’exiger les droits d’enregistrement, de toutes les sociétés, de tous les particuliers, qui se trouvaient alors ou qui se trouveraient à l’avenir dans une semblable position, car, remarquez-le bien, messieurs, il est impossible, dans quelques cas que ce soit, d’avantager par le trésor public un industriel sans en accabler un autre. L’un se soutient au moyen de votre protection, et l’autre croule par le défaut de cette protection dont il se trouve privé.
Il y a eu abus de pouvoir en suspendant l’exécution de la loi ; cet abus doit cesser ; la perception des droits dus à l’Etat doit être effectuée immédiatement ; il suffira, pensons-nous, d’avoir attiré sur ce point l’attention de M. le ministre des finances actuel. Nous regretterions de voir la chambre saisie d’une question, qui, sérieusement ne peut pas en être une.
Il me suffit, messieurs, d’avoir démontré qu’il existe des griefs réels ; il me suffit d’avoir démontré que le gouvernement est sorti de la légalité. J’attends donc avec impatience la présentation des lois sur la comptabilité ; comme les abus pourraient continuer à exister à défaut de ces lois, le défaut de présentation pourrait m’engager à refuser mon vote approbatif ; lorsqu’il s’agira des dépenses de l’Etat.
Quant au budget actuel, je lui donnerai ce vote, parce que j’ai reconnu que M. le ministre des finances persistait dans la marche suivie par lui en 1841 ; et parce que je trouve ses prévisions modérées. J’ai dit.
M. Smits. - J’ai demandé la parole pour repousser le reproche qui vient de m’être fait d’avoir induit la chambre en erreur. J’ai dit l’année dernière et je soutiens encore aujourd’hui, que les 4 millions prêtés en vertu d’une loi à la banque de Belgique sont disponibles ; et la preuve, la meilleure que je puisse en apporter, c’est que, aussitôt que M. le ministre des finances a prévenu la banque de Belgique qu’il disposerait mensuellement de 150,000 francs, elle a pris spontanément la résolution de rembourser immédiatement le capital en entier.
Si je suis bien informé, M. le ministre des finances doit avoir reçu communication de cette résolution.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je répondrai à l’interpellation de l’honorable M. Smits, que j’ai été informé par un honorable membre qu’une telle lettre était déjà écrite pour m’être adressée. Je ne l’ai pas encore reçue, mais je suis convaincu que la chose existe.
M. Zoude. - J’avais demandé la parole pour une motion d’ordre, et j’aurais voulu qu’il me fût permis d’interrompre l’orateur, pour annoncer que la banque de Belgique m’a autorise à déclarer à la chambre que le prêt que lui avait fait le gouvernement était dès aujourd’hui mis en entier à sa disposition. J’aurais désiré, par cette déclaration, prévenir des discussions inutiles et toujours pénibles.
Si la chambre voulait me continuer la parole, je désirerais dire quelques mots sur l’origine du prêt, les motifs pour lesquels, dans l’intérêt de l’industrie, le gouvernement avait cru ne pas devoir en réclamer le remboursement.
Un avenir très prochain fera apprécier, par les établissements industriels, les conséquences du remboursement.
M. le président. - Je ferai observer à l’honorable membre que ceci n’aurait plus aucun rapport avec la motion d’ordre, il aura son tour de parole dans l’ordre d’inscription.
M. de Garcia. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Les explications qui viennent d’être données par l’honorable M. Smits me justifient déjà de l’erreur dans laquelle l’honorable M. Lys prétendait que j’étais tombé l’an dernier. Selon moi, d’après l’engagement pris par le gouvernement avec la banque de Belgique, celle-ci était obligée au remboursement des millions qu’elle devait au gouvernement, dans les cas prévus par la convention. Cette convention n’était peut-être pas conforme aux règles d’une vigoureuse comptabilité ; mais a-t-elle été un acte de bonne administration ? Messieurs, j’ai déjà reconnu...
M. le président. - Je vous ferai remarquer que c’est pour un fait personnel que vous avez la parole.
M. de Garcia. - J’ai été attaqué, M. le président on a dit que j’avais annonce des erreurs ; je désire rectifier cette assertion.
M. le président. - Vous pourrez avoir votre tour de parole.
M. de Garcia. — Messieurs, mon habitude n’est pas de faire perdre du temps à la chambre. Je renonce volontiers à la parole, à raison d’un fait qui n’a qu’une portée personnelle, dans l’état actuel de la discussion.
M. Delfosse. - Messieurs, M. le ministre des finances, dans le discours qui contient l’expose des motifs du budget des recettes et des dépenses pour l’exercice 1844, assure que, si nous savons faire quelques légers sacrifices, la Belgique sera bientôt renommée par l’état florissant de ses finances, et qu’elle puisera dans cette situation prospère un nouvel élément de force politique qui nous permettra d’occuper un rang distingué parmi les nations européennes.
Je ne demanderai pas mieux, messieurs, que de pouvoir partager sur ce point les espérances du gouvernement. Malheureusement j’ai l’habitude de croire aux faits plutôt qu’aux paroles, et il me paraît démontré par les faits que notre situation financière bien loin d’être rassurante, est au contraire de nature à inspirer de sérieuses inquiétudes et que notre avenir sera gravement compromis si la chambre et le gouvernement ne prennent la ferme résolution, je ne dirai pas de persévérer, (je ne veux pas, comme M. le ministre des finances, les flatter à ce point), mais d’entrer une bonne fois, sans hésitation, avec courage, dans la voie des économies, la seule voie de salut pour le pays.
Depuis que j’ai l’honneur de siéger dans cette enceinte, j’ai vu le produit des impôts s’augmenter chaque jour, soit par l’effet de lois nouvelles, soit par suite du développement des relations sociales.
L’augmentation a été, dans l’espace de quatre ans seulement, de 7,256,938 ; elle se répartit comme suit :
Impôt foncier, 516,985
Personnel, 373,358
Douanes, 2,037,000
Boissons distillées, 65,009
Accises, 1,883,000
Recettes diverses, 131,000
Enregistrement, 2,645,000
J’ai pris ces chiffres dans la comparaison que j’ai faite entre le budget de 1840 et le projet de budget pour 1844. Il y a quelques diminutions sur d’autres articles ; mais j’en ai tenu compte dans les résultats que je viens d’indiquer, le résultat net est une augmentation d’impôt de 7,256,958 fr. dans l’espace de quatre années seulement.
Dans le même espace de temps nous avons dépensé une somme de 8,692,000 fr. provenant de l’aliénation d’une partie de nos domaines, et, si je ne me trompe, une somme de 1,020,000 fr. provenant des capitaux du fonds de l’industrie.
Si nous avions eu un gouvernement sage, économe, bien décidé à mettre un terme aux dilapidations financières, il eût, certes, été facile, à l’aide d’une augmentation d’impôt aussi forte, jointe aux ressources extraordinaires dont je viens de parler, (erratum Moniteur belge n°343, du 9 décembre 1844) d’éteindre peu à peu le déficit, et de nous préparer cet avenir brillant dont M. le ministre des finances nous annonce la réalisation prochaine.
Mais hélas ! le déficit, au lieu de s’éteindre, a été croissant.
Au 1er octobre 1840, il était de 18,455,806 fr. 72
Au 1er septembre 1841, de 18,587,639 fr. 67
Au 1er septembre 1842, de 21,492,685 fr. 47
Au 1er septembre 1843, de 37,364,914 fr. 17
Et encore ce chiffre énorme n’est-il que le chiffre avoué par le gouvernement ; il y a tout lieu de craindre que le déficit ne soit en définitive plus élevé.
Nous n’avons que trop appris par l’expérience que MM. les ministres des finances sont fort habiles à grouper les chiffres, quelquefois même à les dissimuler, semblables en cela à ces médecins qui, dans la crainte de trop effrayer le malade, prennent toutes sortes de précautions pour lui cacher la gravité du mal.
C’est ainsi que l’honorable M. Smits, n’évaluait, l’année dernière le déficit qu’à 21,492,685 fr.47 c.
M. Smits. - Où cela ?
M. Delfosse. - J’ai pris ce chiffre dans l’exposé de la situation du trésor au 1er septembre 1842, c’était votre évaluation à cette époque.
L’honorable membre, alors ministre des finances ne tenait aucun compte, ne disait mot, d’une foule de créances arriérées pour lesquelles on vient aujourd’hui nous demander un crédit de 5,644,914 fr. 17 c.
M. Smits. - Je ne les connaissais pas.
M. Delfosse. - Vous auriez dû les connaître, au moins en grande partie.
M. Smits. - Ces crédits concernent d’autres départements que celui des finances.
M. Delfosse. - Qui nous répond que M. le ministre des finances, imitant la réserve de son prédécesseur, ne juge pas à propos de taire aussi une partie de la vérité ? Qui nous répond que le déficit ne se grossira pas l’an prochain de quelques millions dont on ne parle pas pour le moment ? C’est surtout de M. les ministres des finances que l’on peut dire : Ab uno disce omnes (on rit). Le désir de maintenir le crédit public, la crainte de jeter trop de mécontentement dans le pays, d’autres causes encore et surtout l’idée que les chambres ont un grand fonds d’indulgence pour les peccadilles du passé, les engagent tous invariablement à ne présenter, de la situation financière, que ce qui convient à leurs vues.
Mais je veux bien admettre que M. le ministre des finances soit plus sincère ou mieux informé que son prédécesseur, je veux bien admettre qu’il présente la situation telle qu’elle est réellement. Ce n’est pas une raison pour croire qu’il n’y aura rien à ajouter plus tard au chiffre de 37 millions 364 mille 914 fr. 17 c., auquel il évalue le déficit. En effet, dans ce chiffre sont compris les résultats des exercices 1841, 1842 et 1843 qui ne sont pas encore clos. L’expérience est là pour démontrer que les résultats d’un exercice varient jusqu’au moment de la clôture, et que ces variations sont rarement à l’avantage du trésor public. Je prouverai tantôt, quand je me livrerai à l’examen des prévisions de M. le ministre des finances pour l’exercice 1844, que les recettes restent presque toujours en-dessous des prévisions, et que des demandes considérables de crédits supplémentaires viennent constamment accroitre l’excédant des dépenses.
On peut, sans exagération, porter le déficit à 40 millions, toujours dans la supposition que M. le ministre des finances nous dise toute la vérité sur le passé ; car s’il nous cachait quelque chose, commue l’honorable M. Smits l’a fait, le déficit pourrait être bien plus considérable.
Ainsi voilà, en résumé, quelle est la situation. Une augmentation d’impôt se levant annuellement à 7,256,938 fr., jointe à fr. 9,712,000 de ressources extraordinaires qui ont été absorbées, ont amené, en 4 années seulement, un accroissement de déficit que M. le ministre des finances évalue à environ 19 millions, mais qu’on peut porter à 22 millions.
C’est un système qui a produit des résultats aussi désastreux que M. le ministre des finances qualifie de système fondé sur les principes d’une sage économie. C’est dans un tel système qu’il engage les chambres et le gouvernement à persévérer. Je dis, moi, messieurs, qu’un tel système est fatal, je dis qu’il faut se hâter d’entrer dans une autre voie, sous peine de ruine et de banqueroute.
Nous pouvons aujourd’hui échapper à une partie de nos embarras financiers, grâce aux valeurs que les arrangements conclus avec la Hollande nous ont procurées ; mais n’oublions pas que ces valeurs ne sont pas de nature à se reproduire, et qu’après les avoir épuisées nous resterons encore sous le poids d’une dette flottante que M. le ministre des finances évalue à 10 millions, mais qui, d’après les probabilités, sera de 13.
Et encore cette réduction du déficit ne sera-t-elle obtenue qu’après un grand nombre d’années ; car toutes les valeurs dont je viens de parler n’étant pas actuellement disponibles, il nous faudra provisoirement subir une dette flottante de 21 à 24 millions ; il n’est pas même certain que l’on pourra employer à la réduction du déficit toutes les valeurs énumérées par M. le ministre des finances. Parmi ces valeurs, n’en est-il pas qui devront recevoir une autre destination ? N’en est-il pas dont la rentrée est douteuse ?
Je citerai, entre autres, la somme de 285,000 florins des Pays-Bas que l’on prétend due par les provinces de Limbourg et de Liége. Ces provinces ont réclamé et réclameront encore énergiquement contre la résolution qu’on semble avoir prise d’exiger d’elles le remboursement de cette somme. Il y a de fortes considérations que nous ferons valoir en temps utile et qui militent pour que ce remboursement n’ait pas lieu. M. le ministre des finances lui-même ne paraît pas avoir des idées bien arrêtées sur le montant des valeurs qui sont ou pourront être disponibles pour la réduction du déficit, puisque le montant de ces valeurs, qui est porté dans l’exposé des motifs du budget à 28,093,877 fr. 3 c., n’est, d’après l’exposé de la situation du trésor, que de 26,959,485 fr. 54 c.
Je vous le demande, messieurs, l’existence d’un découvert de 21 à 24 millions qui ne pourra être réduit à 10 ou 13 millions que dans un grand nombre d’années, qui ne sera peut-être pas réduit autant que M. le ministre des finances l’espère, l’existence d’un tel déficit n’est-elle pas un obstacle à ce que nous partagions la sécurité du gouvernement ? N’est-elle pas de nature à faire naître de vives appréhensions ?
C’est surtout M. le ministre des finances qui devrait se préoccuper de cet état de choses, lui qui déclarait, en 1840, qu’un pays ne peut, dans les temps ordinaires, avoir, sans le plus grand danger, une dette flottante de 8 à 10 millions.
Si M. le ministre des finances a encore aujourd’hui l’opinion qu’il émettait en 1840, son devoir serait, je le dis hautement, de présenter de suite des mesures efficaces pour nous tirer d’une situation qu’il doit trouver si périlleuse.
Mais ce n’est pas là ce que M. le ministre des finances se propose de faire ; il se borne à nous annoncer des mesures destinées, non à réduire actuellement le découvert, mais à l’empêcher de s’étendre, et vous allez voir messieurs, que ces mesures seront loin d’atteindre le but.
Le budget proposé pour 1844 présente un déficit de 500,000 fr. environ, qui pourra être plus tard porté à 3 millions, par suite de diverses causes que M. le ministre des finances énumère.
Pour combler ce déficit, M. le ministre des finances aura recours, non aux économies, mais à de nouveaux impôts. Les impôts qui ont déjà été augmentés, depuis quatre ans, de 7,256,938 fr. subiront une nouvelle augmentation de 3 millions ; l’augmentation aura été de plus de 10 millions en cinq ans.
Mais, messieurs, cette augmentation sera loin d’être suffisante, je l’ai dit tantôt, l’expérience est là pour démontrer que les recettes d’un exercice restent presque toujours en-dessous des évaluations, et que de nombreuses demandes de crédits supplémentaires viennent constamment accroître les excédants des dépenses : C’est ce qu’il sera facile de prouver par quelques exemples.
Au 1er octobre 1839, on présumait qu’il y aurait pour l’exercice 1839 un excédant de dépense de 5,976,696 fr. 23 c. ; l’excédant de dépense a été, en définitive, de 8,359,079 fr.54 c., soit 2,382,383 fr. 31 c. de plus qu’on ne l’avait présumé.
Au 1er septembre 1842, on présumait que l’exercice 1840 (c’était l’année de l’emprunt) offrirait, lors de sa clôture, un excédant de ressources de 5,416,993 fr. 71 c., l’excédant de ressources n’a été, en définitive, que de 3,461,557 fr. 47 c., soit 1,955,456 fr. 24 c.de moins qu’on ne l’avait espéré.
Le budget des recettes et des dépenses de l’exercice de 1841 a été ouvert avec un excédant de dépenses de 2,527,378 fr. 58 c. Au 1er septembre dernier, l’excédant de dépenses était présumé devoir s’élever à 14,625,689 fr. 64 c., et l’exercice 1842, qui avait été ouvert avec un excédant de ressources de 333,649 fr. 19c., présentait, au contraire, au 1er septembre dernier, un excédant de dépenses de 2,701,840 fr. 47 c.
Il y a eu, d’une part, comme pour l’exercice 1841, un grand nombre de crédits supplémentaires, et d’autre part, les recouvrements sont présumés devoir rester en-dessous des évaluations d’une somme de 1,628,403 fr. 76.
Ce résultat, pour le dire en passant, n’est guère conforme aux promesses que l’honorable M. Smits nous avait faites. Cet honorable membre, alors ministre des finances, se croyait tellement sûr que ses prévisions de recette, se réaliseraient, qu’il ne parlait de rien moins que de les garantir sur sa fortune personnelle. Si nous l’avions pris au mot, cela lui aurait coûte la légère somme de 1,628,403 fr. 26 c. (Hilarité).
Le même ministre a été encore plus malheureux dans ses prévisions pour 1843. L’exercice 1843, ouvert avec un excédant de recettes de 3,594,680 fr. 99 c., présente déjà aujourd’hui une insuffisance de ressources de 2,945,796 fr. 75 c., soit 6,510,177 fr. 74 c. de moins pour le trésor, insuffisance provenant, d’une part, de nombreux crédits supplémentaires ; et, de l’autre, de ce que les recettes resteront en-dessous des évaluations d’une somme de 4,178,618 fr.
On peut affirmer, messieurs, sans craindre d’être dans l’erreur, que les résultats des exercices 1842 et 1843 s’aggraveront par suite des demandes de crédits supplémentaires qui nous seront encore faites pour les deux exercices. Sur 14 crédits supplémentaires accordés pour l’exercice 1841, il y en a eu 9 votés en 1842 et 1843 ; il est donc permis de croire qu’on demandera encore, en 1844, des crédits supplémentaires pour l’exercice 1842, et en 1844 et 1845 des crédits supplémentaires pour l’exercice 1843.
Si nous ne tenons aucun compte de cette aggravation, qui est cependant fort probable, la différence entre les prévisions des exercices 1841, 1842 et 1843 et les résultats réels, sera au préjudice du trésor de 21,844,277 fr. 36 c., soit une moyenne par année de 7,281,425 fr. 78 c.
En appliquant cette moyenne à l’exercice 1844, on est conduit à penser que cet exercice présentera un déficit de plus de sept millions, nonobstant les nouveaux impôts annoncés par M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances me dira que ses prévisions sont mieux établies que celles de son prédécesseur. C’est là un langage auquel nous sommes accoutumés et que l’événement vient presque toujours démentir.
Je reconnais que, sur beaucoup de points, les prévisions pour l’exercice 1844 ne s’écartent guère des probabilités. Il est cependant des chiffres qui sont et peuvent être contestés.
On porte pour le produit des droits d’entrée 10,500,000 francs, 1 million de plus qu’au budget de 1843. Il est vrai que ce chiffre est, à peu de chose près égal au produit perçu dans les trois derniers mois de 1842 et les 9 premiers mois de 1843. Mais l’augmentation qui a eu lieu alors et qui est due à des circonstances extraordinaires se maintiendra-t-elle ? C’est ce dont il est permis de douter : la moindre stagnation dans les affaires ferait, au contraire, fléchir considérablement ce chiffre.
Le produit de l’accise sur le sucre est évalué à 3,200,000 fr. Cette évaluation est basée sur la supposition d’un rendement de 5 p. c. pour le sucre de betterave. Il y a des personnes qui soutiennent que le rendement est de 7 p. c. ; ne fût-il que de 6 p. c., il y aurait encore à rabattre de l’évaluation faite par M. le ministre des finances.
Le produit des droits de succession est porté à 4,400,000 fr,, bien qu’on n’ait perçu, dans les trois derniers mois de 1842 et les9 premiers de 1843, que 4,103,000 fr. (environ 300,000 fr. de moins).
Jusqu’à présent, les recettes du chemin de fer ont été de beaucoup inférieures aux évaluations. Serons-nous plus heureux en 1844 ? Le chiffre de 10,600,000 fr. sera-t-il atteint ? Je le désire aussi vivement que M. le ministre des finances, mais je crois que cela est tout au moins fort problématique.
Messieurs, je ne veux pas insister sur ce point, mais je vous prie de remarquer que les différences entre les prévisions d’un exercice, et les résultats réels, sont bien plus souvent dues à de nombreuses demandes de crédits supplémentaires qu’à toute autre circonstance. Comment M. le ministre des finances pourrait-il nous garantir que l’exercice 1844 sera moins chargé de crédits supplémentaires que les exercices antérieurs ? En appliquant à cet exercice la moyenne des résultats connus pour les aunées précédentes, on s’expose moins à s’écarter de la vérité qu’en se flattant d’améliorations chimériques que rien ne fait pressentir.
Vous voyez, messieurs, que l’avenir n’est pas plus rassurant que le passé. (erratum Moniteur belge n°343, du 9 décembre 1844) Nous aurons été frappés d’une augmentation annuelle d’impôt de plus de 10 millions de francs ; et néanmoins le déficit, d’après toutes les probabilités, s’accroîtra encore, chaque année, de 7 millions de francs.
Je me trompe, messieurs, l’accroissement sera beaucoup plus considérable. Nous n’avons pas encore achevé tous les travaux du chemin de fer. Nous avons des canaux et des rivières à améliorer. Je ne pense pas être dans l’exagération en portant cette dépense à 50 millions ; elle sera peut-être de plus de 100 millions.
Quelles sont, messieurs, les causes de la situation déplorable dans laquelle nous nous trouvons ? il n’est pas bien difficile de les connaître. Je les indiquerai, telles que je les entrevois, avec ma franchise habituelle.
Une première cause, c’est que nous avons la prétention, comme l’a dit M. le ministre des finances, d’occuper un rang distingué parmi les nations européennes. Nous voulons briller, non seulement par notre industrie, ce qui est bien, ce qui est digne ; mais aussi par notre luxe, par notre diplomatie, par notre armée, ce qui est une folie.
MM. les ministres, fort petits en général, sont logés dans des palais fastueusement meublés. Si l’on récapitulait toutes les sommes qui ont été dépensées pour cet objet, vous seriez, messieurs, effrayés du chiffre.
Nous avons des diplomates qui reçoivent 40, 60 et même 80,000 fr. par an, non compris les frais de voyages. Quels services quelques-uns d’entre eux rendent-ils ? On serait très embarrassé de nous le dire.
Jusqu’à présent, nous avons dépensé annuellement pour l’armée plus de 30 millions de francs. On persiste à nous demander 28 millions pour l’avenir. De quelle utilité peut être une armée aussi forte, aussi coûteuse dans un pays petit comme le nôtre, à une époque surtout où la guerre n’est plus dans les mœurs, et où les gouvernements la redoutent, an moins autant que les peuples.
Il nous faut une marine et des colonies créées à grands frais, que nous n’avons pas les moyens de protéger, qu’on nous enlèverait le lendemain du jour où elles deviendraient productives.
Nous avions besoin d’un navire pour établir des relations avec les Etats-Unis, nous avons été faire choix du navire le plus colossal qui ait pu se trouver, croyant bonnement, sur la foi de notre envoyé à Londres, que cela nous donnerait une grande supériorité sur l’Angleterre. Le colosse est aujourd’hui dans le bassin d’Anvers, et Dieu sait s’il en sortira jamais.
Sachons, messieurs, être plus sages ; jouons un peu moins le rôle de la grenouille qui veut se faire bœuf ; nous nous en trouverons mieux.
Une autre cause de la situation, c’est que nous avons eu des ministres qui ont fait les affaires d’un parti, au lieu de faire celles du pays ; qui ont cherché à obtenir des lois de réaction, plutôt qu’à mettre l’ordre dans les finances : Quand des ministres se décident à braver ouvertement le vœu du pays, ils doivent se créer une majorité factice par toutes sortes d’expédients ruineux ; les abus se multiplient, les faits les plus scandaleux se passent ; les lois mêmes ne sont plus respectées ; l’honorable M. Lys vous a entretenu tout à l’heure d’un fait grave. Un ministre des finances, actionnaire d’une banque, a prêté à cet établissement environ 4 millions appartenant à l’Etat, et n’a exigé qu’un intérêt de 2 p.c., alors qu’il émettait des bons du trésor à 4 p. c.
Jusqu’à présent, les conditions de cet arrangement étaient restées ignorées, elles ont été communiquées à votre section centrale sur sa demande. M. Lys vient de vous les faire connaître ; je n’hésite pas à le dire ; elles sont scandaleuses.
D’autres faits non moins graves, dont l’un vous a aussi été signalé par M. Lys, se sont passés. Une loi (la loi du 22 frimaire an 7, art. 9), porte : « qu’aucune autorité publique, ni la régie, ni ses préposé ne peuvent accorder de remise ou modération des droits établis et des peines encourues, ni en suspendre ou en faire suspendre le recouvrement, sans en devenir personnellement responsables. » Il est un article de la constitution qui déclare qu’il ne peut être établi de privilège en matière d’impôt. Eh bien, au mépris de cette loi, au mépris de la constitution, on a autorisé l’enregistrement en débet de plusieurs actes passés entre la banque de Belgique et ses débiteurs, et les droits qui auraient dû être payés du chef de ces actes, et qui s’élèvent à 129 mille francs, sont encore dus.
Si les renseignements qu’on m’a donnés sont exacts, et j’ai tout lieu de les croire tels, on a également autorisé l’enregistrement en débet de l’acte de vente de la forêt de Chiny, acte passé, m’a-t-on dit, sous le précédent ministère.
Cette forêt s’étant vendue environ deux millions, c’est 140,000 fr. que le trésor public aurait dû toucher, il y a longtemps, et qu’il n’a pas encore perçus à l’heure qu’il est ; cette fois encore, la loi du 22 frimaire an VII et la constitution ont été indignement violées.
Voilà, messieurs, comment les ministres de l’année dernière faisaient les affaires du pays. Voila comment ils avaient à cœur les intérêts du trésor.
Ils se sont évanouis à l’approche des élections. Celui qui passait pour le chef du cabinet a senti le besoin d’abriter son impopularité derrière de nouveaux collègues. Comme je l’ai dit en très peu de mots dans la discussion de l’adresse, cette impopularité a rejailli en partie sur eux ; on ne s’associe pas à un homme, ou ne devient pas son collègue sans accepter quelque chose de son passé.
« Le temps avait marché, nous a dit M. le ministre des affaires étrangères, il avait emporté bien des questions. » Oui, messieurs, le temps a marché, il a été porté bien des questions, mais ce qu’il n’a pas emporté, ce qu’il n’emportera pas, c’est le juste ressentiment de l’opinion libérale pour les injures qu’elle a souffertes pour les libertés qu’on lui a enlevées.
Si vous veniez pour lui donner une satisfaction, pour lui rendre quelques-unes des libertés qu’on lui a ravies, oh, alors vous seriez les bienvenus ! Mais, je le sais, ce n’est pas là votre mission, tout que vous pouvez nous promettre, c’est une halte dans la voie des réactions. Ne soyez donc pas surpris de la froideur de notre accueil, des défiances que nous laissons apparaître !
Vos paroles sont belles ; mais M. Nothomb, en 1841, avait aussi de belles paroles ; vos promesses sont les mêmes que celles de la fameuse circulaire aux gouverneurs. Que sont devenues ces dernières promesses ? Vous le savez, et cependant M. Nothomb est encore ministre, M. Nothomb est votre collègue.
Je vois en outre parmi vous un homme qui a voté toutes les lois de réaction, qui s’est hautement prononcé en faveur d’une proposition qu’il a fallu retirer, tant elle était impopulaire ! Cet homme parle aujourd’hui de conciliation, mais il tenait un tout autre langage avant que son ambition fût satisfaite. Un autre a été pris dans nos rangs ; j’aime à croire, pour son honneur, qu’il est resté des nôtres, que ses convictions n’ont pas changé ; mais pourquoi n’a-t-il pas encore répondu aux interpellations qui lui ont été adressées ?
Je crois volontiers que M. le ministre des affaires étrangères est animé d’un esprit de conciliation sincère, mais que nous fera, je vous prie, l’esprit de conciliation de M. le ministre des affaires étrangères ? ce n’est pas dans les relations au dehors, c’est dans les relations intérieures, qui sont encore sous la main de M. Nothomb, que le gouvernement est accusé de manquer d’esprit de conciliation.
Je crois aussi aux bonnes intentions de MM. les ministres de la guerre et de la justice, mais ils n’ont pas, ils ne peuvent avoir dans les conseils de la couronne l’influence qu’une position parlementaire peut seule donner !
Pourquoi n’a-t-on pu compléter le ministère au sein des chambres ? car c’est d’abord là qu’on a dû chercher ; pourquoi pas un membre du sénat n’en fait-il partie ? Pourquoi, messieurs ? La réponse est facile : c’est que personne ne voulait s’associer à l’impopularité de M. Nothomb, c’est que chacun voyait en lui un obstacle permanent à la conciliation ! si M. Nothomb s’était retiré, la position pouvait être nette ; elle est et restera fausse aussi longtemps qu’il sera au pouvoir.
M. Smits (pour un fait personnel). - L’honorable M. Delfosse vient de m’attribuer trois actes auxquels je suis complètement étranger. L’honorable membre a dit que j’avais prêté à la banque de Belgique 4 millions de francs, tandis que ce prêt a été fait en vertu de la loi du 1er janvier 1839.
Le deuxième fait que l’honorable membre m’impute, c’est d’avoir fait enregistrer en débet les cédules hypothécaires prises sur les immeubles des sociétés créées sous le patronage de la banque de Belgique. Cet enregistrement en débet a eu lieu sous l’administration de mon prédécesseur.
Le troisième fait qui m’est imputé par l’honorable M. Delfosse c’est d’avoir fait enregistrer en débet l’acte de vente de la forêt de Chiny. Je n’ai pas eu connaissance de ce fait ; mais, ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas eu lieu sous mon administration.
Quant à la mesure que j’ai prise relativement au prêt fait la banque de Belgique, je le considère encore aujourd’hui comme un acte de bonne administration ; c’est à la suite de cette mesure que nous rentrons en possession des fonds que nous avions avancés, et la résolution que la banque vient de prendre à cet égard est, dans cette circonstance, ma plus belle justification.
M. Delfosse. - Je n’ai pas cité M. Smits comme l’auteur de la mesure par laquelle on a autorisé l’enregistrement en débet des actes passés entre la banque de Belgique et ses débiteurs, je me suis borné. à dire que cette mesure a été prise par un membre de l’ancien ministère, et j’ai été dans le vrai, ce membre doit être M. Desmaisières.
Je reconnais que M. Smits n’est pas responsable de ce fait, mais la responsabilité qui pèse sur lui pour le prêt fait à la banque de Belgique est assez grande. L’honorable membre nous dit que ce prêt a eu lieu en vertu d’une loi. Oui, le prêt primitif a été fait en vertu d’une loi ; mais vous n’étiez plus dans les termes de cette loi, vous ne pouviez plus l’invoquer lorsque vous avez réduit le taux de l’intérêt à 2 p. c., lorsque vous avez admis des conditions qui, je le répète, sont scandaleuses.
M. Smits se défend aussi d’avoir pris part à la mesure relative à la forêt de Chiny ; je ne puis rien affirmer à cet égard, j’ai reçu des renseignements d’une personne que je dois croire bien informée, je les ai communiqués tels que je les ai reçus, c’est à M. le ministre des finances à nous faire connaître ce qui s’est passé ; je demande qu’il nous donne des éclaircissements dans une autre séance, s’il ne peut les donner aujourd’hui.
M. Desmaisières. - Messieurs, quoique des imputations plus ou moins vagues aient souvent été dirigées contre moi par certains orateurs, dans cette chambre, j’ai toujours cru qu’il était de mon devoir de ne pas prendre la parole pour y répondre, parce que toutes ces discussions ne peuvent jamais faire que le plus grand tort au crédit public, auquel je crois qu’il est avant tout de mon devoir, surtout comme ancien ministre des finances, de ne pas porter la moindre atteinte.
Oui, messieurs, c’est sous mon administration qu’un million a été, non pas prête à la banque de Belgique, mais déposé dans les caisses de cette banque, au lieu de rester dans celles de la Société générale. Voici, messieurs, dans quelles circonstances ce fait a eu lieu.
Ce fait a eu lieu, comme on l’a rappelé, à la fin de décembre 1839. Personne de nous n’ignore quelle crise épouvantable a été amenée par la suspension des payements de la banque de Belgique, à la fin de l’année 1838. Personne de vous n’ignore qu’il s’en est suivi une crise financière, industrielle et commerciale, qui a pesé longtemps et qui pèse encore sur le pays. A la fin de décembre 1839, je fus prévenu par les commissaires du gouvernement (je pense pouvoir le dire maintenant), je fus prévenu, dis-je, par les commissaires du gouvernement qu’une nouvelle crise pouvait éclater. Nous avions alors en émission une dette flottante, qu’en raison des travaux du chemin de fer, il avait fallu porter à un chiffre en quelque sorte effrayant ; notre crédit public était tout à fait mal assis ; notre 3 p. c. était coté, je crois, à quelque peu au-delà de 60, et cependant nous devions faire un emprunt et un emprunt considérable ; le temps pressait même pour le faire. Fallait-il, dans cet état de choses, permettre à une recrudescence de crise de se faire sentir et d’amoindrir encore le crédit public ? Je pris donc le parti de soumettre la question au conseil des ministres, et le conseil des ministres fut unanime pour décider qu’il y avait nécessité, pour le bien du pays, de déposer momentanément ce million dans les caisses de la banque de Belgique.
Maintenant ce dépôt eut-il lieu sans garanties ? Loin de là, messieurs, nous reçûmes des garanties infiniment plus considérables que celles que donne le caissier de l’Etat lui-même, car chez le caissier de [‘Etat vous avez une garantie sans doute très bonne, sans doute tout à fait rassurante, qui consiste dans la solvabilité de l’établissement, mais vous n’avez que celle-là, vu que vous n’avez pas même le droit d’aller vérifier sa caisse. Eh bien, messieurs, pour obtenir ce million dans ses caisses, la banque de Belgique fut obligée de déposer dans les caisses du ministère des finances des valeurs presque immédiatement réalisables pour plus du double.
En outre le million fut déposé dans une caisse à deux clefs dont une fut remise entre les mains d’un des commissaires du gouvernement. La banque ne pouvait disposer de tout ou partie de ce million sans le concours des commissaires du gouvernement. Vous voyez d’ailleurs par l’état où le crédit est parvenu ensuite, que les faits ont donné raison au ministère d’alors qui, à l’unanimité, a cru devoir poser cet acte dans l’intérêt du crédit public ; car le 3 p. c. qui était, en décembre 1839 à un peu au-delà de 60, s’est élevé, malgré l’emprunt de 95 millions proposé par M. Mercier, en mai et juin 1840, au taux de 79, taux qu’il n’avait jamais atteint auparavant et qui, sans l’événement fatal du traité du 15 juillet, eût permis de contracter l’emprunt au taux de 75 au moins en 3 p. c.
Vous voyez donc que le ministère a eu raison de prendre cette résolution sous sa responsabilité. Il ne pouvait pas vous la faire connaître, parce qu’alors elle n’aurait pas produit l’effet qu’on voulait obtenir.
Quant à l’enregistrement en débet, lorsque le prêt de quatre millions a eu lieu, il a été entendu par la chambre et d’une manière tout à fait formelle et positive par la commission de la chambre, que l’on imposerait à la banque de Belgique l’obligation d’user de ménagement envers les sociétés industrielles. Eh bien, la banque de Belgique a accepté cette obligation ; et, il faut le dire, les premiers fonds qu’elle a obtenus, elle les a employés à tirer d’embarras quelques sociétés industrielles. Maintenant le ministère qui a fait le prêt, ayant exigé que la banque de Belgique accorde à ces sociétés un atermoiement pour le paiement de leurs dettes envers elle, il a bien fallu que la banque se fît délivrer par ces sociétés des cédules hypothécaires.
Les commissaires du gouvernement qui furent nommés immédiatement après le prêt effectué, et l’un d’eux qui remplissait en même temps les fonctions de secrétaire général au département des finances, ont fait connaître qu’il avait été convenu que provisoirement on enregistrerait seulement en débet ces cédules hypothécaires qui, je le répète, avaient été imposées, en quelque sorte à la banque en faveur des sociétés industrielles et principalement, des sociétés de deux provinces, de la province de Liége et de la province du Hainaut, que cette obligation imposée à la banque de Belgique dans l’intérêt des sociétés industrielles, on ne pouvait pas cependant soumettre ces sociétés à une nouvelle charge ; mais, comme il n’était pas possible d’entretenir de nouveau les chambres de cet objet, dans les circonstances où se trouvait alors le pays, il fut décidé conformément à ce qui avait été convenu précédemment, que provisoirement ces cédules hypothécaires seraient enregistrés en débet. Elles le furent successivement au fur et à mesure qu’elles furent créées. Mais l’intention positive de tous les ministres qui se sont occupés de cette affaire était de demander aux chambres, aussitôt que les circonstances le permettraient, une loi pour exempter ces sociétés industrielles ; car, encore une fois, veuillez bien le remarquer, messieurs, ce n’est pas la banque, mais les sociétés industrielles qui auraient dû payer, pour exempter, dis-je, ces sociétés du payement de tout ou partie de ces droits. Mais les droits de l’Etat étaient toujours entièrement conservés. Voilà, messieurs, les seules explications que je crois devoir donner.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Messieurs, un honorable membre, celui qui a parlé le premier dans cette discussion, est revenu sur quelques faits qui avaient déjà occupé la chambre plusieurs fois. Je ne le suivrai pas sur ce terrain. Il me suffira de déclarer de nouveau que la loi de comptabilité générale sera présentée incessamment. Je remercie l’honorable orateur d’avoir déclaré que, quant à lui, il croyait à la sincérité de mes paroles.
Cet honorable membre a parlé également des fonds d’amortissement et de cautionnement. Je lui dirai qu’un travail a été commencé sur cet objet en 1840, et que déjà j’ai insisté auprès de plusieurs membres de la commission qui s’en était occupée, pour qu’elle se réunît de nouveau. L’absence de quelques-uns d’entre eux a empêché jusqu’à présent cette réunion ; mais la convocation du sénat pour une époque très prochaine devant amener ces honorables membres à Bruxelles, le travail pourra être repris, et l’objet être prochainement régularisé.
L’honorable orateur a parlé aussi de l’aliénation de nos domaines. Pour commencer l’exécution de la loi que la chambre a votée sur cette matière, je soumettrai à la législature un projet de loi tendant à autoriser l’aliénation des biens domaniaux de la valeur d’un dixième de la somme à laquelle il a été décidé que cette mesure serait appliquée dans l’espace de 10 ans.
Je vais répondre maintenant au second orateur que vous avez entendu. Cet honorable membre voit notre avenir financier sons des couleurs bien sombre. Jugeant, dit-il, l’avenir par le passé, il suppose que le découvert que nous annonçons n’est point réel, que bientôt le déficit s’accroîtra de plus en plus.
Cet honorable orateur s’est livré, sans doute, à beaucoup de recherches, et il a prouvé, je le reconnais, qu’il a examiné notre passé financier et nos budgets actuels avec attention. Mais, s’il s’était livré à d’autres investigations, il en aurait quelque foi, j’aime à le croire, dans l’exposé que j’ai présenté, et dans l’exactitude des chiffres que j’ai posés. Si l’idée lui était venue de revoir et de vérifier ce que j’ai dit en 1840, et qu’il se fût rappelé que j’avais évalué alors notre découvert à 24,500,000 francs, il aurait reconnu que ce calcul était exact, et il se serait convaincu que j’avais justement apprécié la véritable situation du trésor ; il aurait, sans doute, été amené à reconnaître que je suis aujourd’hui la même règle de conduite, et en parlant du chiffre de 37 millions, il n’aurait pas dit que c’était là le chiffré avoué ; mais il l’aurait accepté comme présentant le découvert réel, et tel que j’ai l’intime conviction qu’il existe. Je n’affirmerai pas toutefois que ce chiffre ne pourra souffrir aucune modification : l’avenir n’est pas en notre pouvoir. L’honorable orateur a cité lui-même un chiffre de recette qui peut encore présenter quelque doute, celui de 285,000 fr. à recouvrer à charge des provinces de Liége et de Limbourg. Sans doute une transaction sur ce point litigieux peut intervenir ; mais je ne pouvais faire figurer ce chiffre autrement que je ne l’ai fait dans le compte de la situation générale du trésor.
Puisqu’il est reconnu que, dans l’appréciation de notre situation financière en 1840, j’ai mis la plus scrupuleuse exactitude, l’honorable membre doit bien admettre que mes évaluations de 1843 ont été faites avec la même bonne foi, et la même ponctualité, franche et consciencieuse.
Avant de fixer le découvert à 37 millions, j’ai eu soin de consulter tous mes collègues pour savoir s’ils ne prévoyaient pas de nouvelles dépenses à faire dans leurs départements respectifs. C’est après avoir reçu tous les matériaux nécessaires que j’ai fixé le découvert.
Dans l’énumération des chiffres dont l’honorable membre vous a parlé, il y a beaucoup d’avances et de payements faits ou à faire. C’est ainsi que 4,116,000 fr. à payer pour le canal de Charleroy figuraient dans le découvert, tandis que l’on ne peut considérer cette somme comme un des éléments du déficit.
J’affirme, du reste, comme je l’ai déjà fait, qu’après un examen approfondi, après les recherches les plus minutieuses, je n’ai trouvé que 37,384,000 fr. de découvert, et je ne prévois pas qu’aucune dépense de quelque importance vienne augmenter ce chiffe.
Après avoir parlé de la situation actuelle, l’honorable orateur est arrivé au budget des voies et moyens. Il conserve aussi quelques doutes sur les prévisions de 1844, tout en avouant qu’il n’y a pas trouvé une grande exagération ; et il cite toutefois les droits d’entrée comme pouvant rester au-dessous de mes évaluations qu’il suppose basées sur des circonstances extraordinaires. Il a sans doute voulu faire allusion aux déclarations considérables faites sur le café en raison des augmentations de droits dans les derniers mois de 1842. En prenant, dit-il,, pour base des prévisions le dernier trimestre de 1842, et les neuf premiers mois de 1843, il doit y avoir erreur, parce que ce dernier trimestre de 1842 a présenté des produits beaucoup plus élevés à cause de la majoration du droit. Mes calculs, messieurs, n’ont été faits qu’après les recherches les plus propres à les justifier. J’ai tenu compte des recettes opérées sur le café et pendant le dernier trimestre de 1842, et pendant les neuf derniers mois de 1843, et j’ai trouve qu’en prenant la moyenne de la consommation, de 1835 à 1842 inclusivement, l’évaluation de 1844 était un peu inférieure à la recette qui sera faite en appliquant les droits qui existent aujourd’hui sur cette consommation. Ainsi la circonstance invoquée par l’honorable membre aurait dû motiver plutôt une augmentation qu’une diminution.
J’aurais pu encore compter sur d’autres augmentations de recettes à résulter de certaines majorations de droits. Je citerai, entre autres, celle concernant les tissus de laine dont les droits d’entrée présenteront un chiffre plus élevé de 300,000 à 400,000 francs dans l’hypothèse probable et désirable d’une diminution dans les quantités importées, et cependant je n’ai pas eu égard à cette présomption d’augmentation ; je n’ai fait entrer dans mes évaluations que l’influence de la majoration des droits pendant deux mois, tandis qu’en la prenant en considération, j’aurais pu porter mes prévisions à un chiffre plus élevé. Je pourrais citer encore le projet de loi sur les céréales, dont la mise à exécution serait de fournir aussi un revenu au trésor.
L’honorable membre a aussi parlé de l’accise sur le sucre. Comme il s’agit ici d’une nouvelle loi, on reconnaîtra que je ne puis parler avec la même confiance qu’à l’égard des autres prévisions que j’ai établies. Je dirai cependant que les premières évaluations faites par des hommes très compétents, portaient cette accise à 3,800,000 fr. et que, sur mes observations, ils l’ont réduite à 3,500,000 fr., et qu’enfin, préoccupé que j’étais de la crainte d’aller au-delà du produit réel, je ne l’ai évalué qu’à 3,200,000 fr.
Quant au droit de succession, je ferai une remarque essentielle : C’est que l’honorable orateur a pris pour base le produit de la dernière année, tandis que j’ai admis une moyenne, et c’est ainsi qu’il faut procéder. S’il ne faut pas prendre pour point de départ une année d’un produit extraordinaire, on verserait dans une erreur contraire en établissant ses prévisions d’après une année à un produit au-dessous de la moyenne. J’ai évité ce double écueil et j’ai même admis une moyenne inférieure au chiffre qui m’était proposé.
Mais, a prétendu l’honorable orateur, c’est par des économies plutôt que par des augmentations de recettes qu’il fallait chercher à équilibrer nos recettes et nos dépenses. Si de nouvelles économies étaient possibles, je n’hésiterais pas un instant à me rallier à cette opinion ; mais j’ai l’intime conviction que cette possibilité n’existe pas, du moins au point d’exercer une notable influence sur notre situation ; et, pour parler de notre armée, que l’honorable membre a eu en vue, je dirai que, dans mon opinion, la Belgique doit avoir une armée respectable pour protéger sou indépendance contre toute éventualité, et que le gouvernement ne peut pas admettre sur ce département une plus forte économie que celle qui a été opérée.
Je suis également convaincu, je le répète, que, pour les autres départements, il ne sera pas possible d’en réaliser non plus de quelque importance.
En partant des augmentations successives de l’impôt, l’honorable orateur ne s’est sans doute pas rappelé que déjà, en 1840, j’ai présagé de nouveaux besoins que j’évaluais à environ 10 millions. Il vient donc confirmer l’exactitude de mes prévisions d’alors, et rendre justice à la rigoureuse exactitude que j’ai toujours apportée à apprécier les besoins du trésor.
Abandonnant le champ des calculs, l’honorable orateur a demandé pourquoi je n’ai pas répondu à des interpellations qui m’ont été adressées sous le point de vue politique. Si je n’ai pas répondu à ces interpellations, c’est que cette réponse a été donnée, comme il avait été convenu, par M. le ministre des affaires étrangères, au nom du cabinet ; ce sont de belles paroles, s’est écrié l’honorable orateur, mais les promesses qu’elles renferment seront-elles tenues ? Ma réponse sera courte et précise : Aussi longtemps que j’aurai l’honneur de siéger sur ce banc, les promesses faites par M. le ministre des affaires étrangères seront fidèlement observées.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, avant d’aborder la discussion des articles du budget des voies et moyens, j’ai un devoir à remplir ; je viens vous signaler de nouveau tout ce qu’il y a de défectueux dans notre système financier.
Les faits parlent plus haut que ma faible voix, je pourrais les invoquer, et vous montrer l’élasticité progressive de nos budgets, insuffisante à combler un déficit qui grossit sans cesse malgré l’émission constante d’emprunts qui dévorent l’avenir sans fournir complètement aux besoins du présent, malgré l’augmentation périodique des impôts qui écrasent le pays.
Mais à quoi bon sonder la profondeur de nos plaies ? il s’agit de les guérir !
Pour cela que faut-il ?
Réviser notre système financier, et surtout nos lois de douanes.
En matière de douane, nous subissons, messieurs, les conséquences d’une combinaison bâtarde, à moitié dictées par des traditions qui nous sont étrangères, et sans rapport avec nos intérêts, nos ressources, nos mœurs, nos besoins actuels.
D’un côté, sur l’entrée de certains produits étrangers, nous percevons des droits tellement modiques, qu’ils se rapprochent de la liberté commerciale tant vantée et si peu pratiquée par les économistes anglais et français.
D’un autre côté, nous frappons des droits protecteurs l’entrée de divers produits étrangers. Cette anomalie m’autorise à qualifier de combinaison bâtarde la législation douanière qui régit la Belgique.
En ce qui touche à la liberté commerciale par la modicité de nos droits de douane, nous nous ressentons encore de nos 15 ans de mariage forcé avec la Hollande.
Le congrès de Vienne ne nous avait nullement consultés pour ce mariage, et à son tour le gouvernement hollandais ne consultait nullement les intérêts de notre agriculture, de notre industrie manufacturière, de notre travail intérieur. Le royaume des Pays-Bas se préoccupait exclusivement des souvenirs des anciennes provinces unies, de la résurrection de leur passé, de la prospérité de leurs vastes possessions coloniales, du réveil de leur marine et des sympathies séculaires d’un peuple de navigateurs et de marchands accoutumés a se considérer comme les courtiers des deux mondes.
De 1815 à 1830 toutes les faveurs des hommes d’Etat qui dirigeaient les destinées de la Belgique et de la Hollande furent constamment réservées pour la navigation, pour les commissionnaires, les armateurs, en un mot pour tous ceux qui, de loin ou de près, secondaient l’essor du commerce maritime.
Aujourd’hui que la Belgique, par son divorce avec la Hollande, s’est enfin constituée une existence indépendante, une nationalité que tant de siècles lui refusèrent, aujourd’hui elle doit avoir des lois de douanes appropriées à ses intérêts. La situation critique de nos différentes industries l’exige. Nos embarras financiers nous le commandent. Nos établissements manufacturiers, la plupart de nos industries qui languissent et meurent faute de débouchés, l’invasion toujours croissante du paupérisme par suite de la crise qui frappe nos fileurs ct nos tisserands, tout réclame des traités de commerce avec les pays étrangers.
Un traité de commerce n’est au fond qu’une convention également avantageuse aux deux parties contractantes, arrivant par de mutuelles concessions à l’écoulement le plus favorable, j’allais presque dire d’échange de leurs produits respectifs.
Mais de ces concessions se trouvent naturellement exceptés tous les produits similaires, qui, importés par l’étranger, viendraient faire sur le marché national une concurrence funeste à l’industrie indigène,
Comme on le voit, tout dépend de la faculté réciproque de concessions à faire.
Je le demande : quelle concession pourrons-nous accorder, nous dont le tarif de douane est si modéré qu’il n’existe presque pas, comparé à celui des autres nations ?
Aussi, toutes nos négociations pour conclure des traités de commerce aboutissent à des déceptions. Les étrangers ne prennent chez nous que les objets dont ils ne peuvent se passer.
Si nous voulons obtenir des conditions avantageuses, révisons notre tarif de douanes ; le trésor y trouvera de précieuses ressources ; frappons les produits étrangers de droits bien supérieurs à ceux qui existent, alors nous aurons à donner pour recevoir.
Que la détresse financière d’un royaume voisin nous serve de leçon.
Imitons aussi la France et l’Angleterre, dont les tarifs de douanes sont hérissés de chiffres et de prohibitions.
L’Angleterre perçoit annuellement 550 millions de francs de droit de douanes, le sucre seul produit un revenu annuel de 120 millions de francs pour les populations de l’Angleterre et de l’Ecosse sans presque y comprendre les Irlandais qui luttent contre la faim. Cent vingt millions de francs perçus pour la consommation de sucre de 17 millions d’habitants ! Comparez avec ce qui se passe en Belgique,
On m’objectera peut-être qu’en frappant de droits plus élevés l’entrée des produits étrangers, on en diminuera la consommation.
Ce serait un résultat désirable, un résultat qui tournerait au profit de la Belgique.
Avant tout, messieurs, sécurité et protection au travail national. Je comprends fort bien la religion de l’humanité, mais professons d’abord le culte de la patrie et si, dans tous les hommes, je chéris des frères, mes premières sympathies appartiennent de droit à ceux qui sont nés sur le même sol, qui obéissent aux mêmes lois, qui vivent de la même existence.
Tous les gouvernements s’efforcent d’établir l’équilibre entre les exportations et les importations ; c’est le meilleur moyen de mettre en harmonie les recettes et les dépenses, car le revenu d’un pays se compose de la valeur des produits indigènes qu’il expédie à l’étranger ; et sa dépense, du montant des produits exotiques qu’il consomme.
Interrogeons notre statistique commerciale pour voir, comment la Belgique comprend cet équilibre, cette harmonie, cette balance.
En 1841, il a été importé en Belgique des produits étrangers pour une somme supérieure de 65 millions de francs au montant de nos exportations.
En 1842, la différence à notre préjudice est encore plus considérable ; les importations dépassent de 86 millions nos exportations. Voilà pour 1841 et 1842 une moyenne de 76 millions, c’est-à-dire une augmentation annuelle de 26 millions, comparativement aux années antérieures de la période de 1835 à 1840, dont la moyenne était de 50 millions.
Une différence aussi énorme pour un pays qui ne compte guère plus de quatre millions d’habitants, conduit forcément à une ruine certaine.
Impossible de persister dans cette voie déplorable. Tout s’en ressent à la fois.
Comment caractériser, par exemple, cette mesure qui nous fait sacrifier chaque année 800,000 francs, en remboursement de péages sur 1’Escaut, dans le but de favoriser l’arrivée de produits étrangers qui, pour la plupart, seraient fort bien remplacés par nos produits indigènes.
Je concevrais encore que l’on remboursât les péages aux navires qui retournent avec chargement ; il y aurait là un encouragement donné à la production nationale ; mais il n’en est pas ainsi. Que le navire parte sur lest ou avec chargement, le péage est remboursé,
En vérité, je le répète, quel économiste essaiera de justifier une faveur faite aux commissionnaires d’une seule cité, et cela au détriment de toutes nos industries, au préjudice du trésor.
Sans m’arrêter plus longtemps sur la nécessité, sur l’urgence des modifications à apporter à notre système de douanes, j’arrive à nos droits de consommation qui doivent aussi être révisés.
J’obéis toujours aux mêmes principes. Avant tout, la protection la plus large, la plus éclairée à nos intérêts nationaux, une protection qui assure à nos producteurs la jouissance du marché belge.
Quand j’examine ces intérêts essentiellement solidaires du producteur et du consommateur belges, que vois-je d’abord ?
Les droits sur la bière rendent annuellement 6,300,000 fr
La consommation du vin produit au trésor 1,950,000 fr.
La bière faite sur notre sol avec des produits de ce même sol, dont la fabrication est doublement utile à l’agriculture par les matières qu’elle lui emprunte, par les résidus qu’elle lui rend, la bière, après avoir occupé des milliers de bras à sa fabrication, est la boisson des classes moyennes, et surtout des classes laborieuses. Eh bien, elle paie un triple impôt.
Le vin, au contraire, nous est expédié de l’étranger ; et il n’est consommé que par les classes riches ou aisées.
Je vous laisse, messieurs, le soin d’achever la parallèle.
Et que dire de l’impôt qui frappe le sel, de cet impôt qui pèse si lourdement sur le cultivateur, sur l’ouvrier et qui rend chaque année en Belgique 4 millions de francs, tandis que le sucre, objet de luxe et de fantaisie, ne produit que 3,200,000 fr. ? Encore n’est-ce que depuis hier, depuis que nous avons modifié la loi sur les sucres, auparavant cet impôt ne s’élevait pas à un million par année.
Encore a-t-il fallu que la Belgique produisît une matière similaire à celle que nous importait l’étranger pour donner au gouvernement l’idée de réviser la loi sur les sucres. Et pour cette loi, l’industrie nationale a été de nouveau sacrifiée. Toujours les mêmes préoccupations, toujours la même manie de singer ou de continuer les traditions du gouvernement hollandais, favorisant constamment le commerce maritime.
Quant au sel, il constitue l’unique assaisonnement de la nourriture du pauvre qui en consomme deux fois plus que l’homme opulent. Le sel est indispensable dans nos fermes, dans nos métairies pour la sante et la prospérité du bétail : « Faute de sel, disait Buffon, les hommes et les animaux ne vivent et ne multiplient qu’à demi. »
Et cette substance, on l’accable de droits ; on la rend presque inabordable au malheureux ouvrier qui s’en sert pour aiguiser son appétit et faciliter sa digestion.
Ce n’est pas tout, messieurs, remarquez l’étrange partialité de notre législation :
Dans nos ports de mer, le pêcheur qui sale du poisson est affranchi de tout droit sur le sel.
Dans nos campagnes le cultivateur paie un droit énorme sur le sel avec lequel il sale de la viande, du beurre, des fromages.
Que devient cette égalité de droits, de devoirs et de charges inscrite dans notre constitution, que devient cette égalité en présence des rigueurs spéciales de cette loi que Buffon appelait une loi de malheur, une sentence de mort contre les générations à venir ?
Si les souffrances et les misères de tant de Belges exigent la révision de nos lois de finances, l’article 139 de la constitution nous en fait un devoir.
Les lois, adoptées à une époque où les intérêts du haut commerce étaient la seule pensée du gouvernement néerlandais, ces lois, le congrès national l’a reconnu, ne pouvaient plus convenir à la Belgique régénérée, à la Belgique libre, indépendante.
Sous l’influence de cette conviction a été voté l’article 139 de la constitution ; et certes, après douze ans écoulés depuis ce vote, on ne nous accusera pas de précipitation, d’irréflexions, si nous le réalisons enfin !
J’appellerai donc l’attention spéciale du gouvernement et de la chambre :
1° sur l’accise relativement aux bières ;
2° sur le sel ;
3° sur le sucre ;
4° sur l’ensemble et les détails de notre système de douanes ;
5° sur les ressources nouvelles que pourraient nous assurer l’augmentation des droits d’entrée sur les vins, et la création d’un droit sur les tabacs étrangers.
En traçant ce tableau rapide de notre situation, et en formulant quelques vœux qui se rapportent au bien-être de nos populations, j’ai voulu provoquer des mesures qui puissent prévenir de grands malheurs.
L’horizon est déjà assez sombre, assez menaçant. Les questions d’argent touchent à tous les ressorts de notre existence, collective et individuelle, il leur faut une solution.
Si les prévisions de M. le ministre des finances se réalisent, les recettes couvriront les dépenses nécessaires aux services de nos divers départements ministériels.
En d’autres termes, nos dépenses ne dépasseront pas nos recettes : telles sont les espérances dont M. le ministre des finances a accompagné la présentation du budget général pour l’exercice de 1844.
Mais, pour cela, il faut que les impôts répondent par leur rentrée aux prévisions ministérielles ; il faut que les douanes rapportent plus de 11 millions ; que les accises atteignent 21 millions ; que l’enregistrement, les domaines et les forêts produisent aussi 21 millions, et que le chemin de fer rende 10,600,000 francs.
En sera-t-il ainsi ?
Malgré la sincérité de mes désirs, je ne puis le croire.
Depuis 1830, messieurs, les impôts ont augmenté d’année en année ; les prévisions ont été presque toujours dépassées. Pourtant les recettes se sont trouvées en progression constante ; mais nous touchons au moment où ces recettes vont diminuer. Ce fait ne peut manquer de s’accomplir durant l’exercice de 1844.
Ne vous y trompez pas, messieurs, avec le tarif actuel, il y aura un déficit sur le chiffre des droits de douanes.
Attendons-nous également à une forte réduction sur les recettes des accises et de l’enregistrement.
L’augmentation de recettes qui a eu lieu sur ces deux grandes branches du revenu public, cette augmentation provenait de causes qui n’existent plus.
En supprimant les causes, l’effet se trouve détruit.
Dans un laps de quelques années, des centaines de millions ont été dépensés pour la création et l’exécution de nos chemins de fer.
Aujourd’hui ces chemins de fer sont terminés.
La surexcitation fébrile, imprimée à nos diverses industries par l’esprit d’agiotage et d’entreprise, a fait place à une atonie générale, dont souffrent nos établissements manufacturiers et qui réagit sur les capitalistes.
Nos illusions relatives à des relations transatlantiques que l’on fondait sut la British-Queen, considérée comme un pont mobile, jeté entre Anvers et les Etats-Unis, ces illusions se sont changées en déceptions.
Après quelques voyages onéreux, la paquebot la British-Queen, pourrit dans les bassins d’Anvers, et son repos est encore une charge pour le trésor.
Nos espérances d’avenir douanier avec la France, avec l’Allemagne nous échappent tour à tour malgré les sacrifices que nous avons prodigués sur la foi de ces espérances.
En attendant, nos ateliers chôment, nos hauts-fourneaux s’éteignent l’un après l’autre, les propriétaires de houillères réduisent leurs travaux d’extraction ; le commerce languit, et la crise de l’industrie linière condamne à tendre la main une partie de notre population.
Au milieu de tant de désastres, l’agriculture seule est encore prospère.
Mais cette prospérité résistera-t-elle aux charges qui pèsent sur le sol et sur ses produits ? Toutes les fois que le gouvernement a besoin d’argent, c’est au sol qu’il s’adresse ; n’avons-nous pas vu, dans la session de l’année dernière, un projet de loi, heureusement retiré aujourd’hui, qui frappait le cultivateur d’un surcroit d’impôt en grevant son bétail ?
Qu’arriverait-il si, au lieu de diminuer, les impôts qui accablent l’agriculture subissaient encore de nouvelles augmentations ?
Vous le devinez, messieurs, la valeur du sol diminuerait ; les transactions se ralentiraient ; les recettes de l’enregistrement baisseraient, et l’Etat ne pourrait plus venir au secours des classes laborieuses dont la misère deviendrait plus cruelle, l’agriculture cessant d’être dans un état de prospérité.
Voilà plusieurs années que j’entrevois cette sombre perspective ; voilà plusieurs années que je signale l’écueil, et que j’indique les moyens de l’éviter ; mais ma voix se perd au bruit des illusions de l’optimisme. Laisserons-nous, messieurs, aux événements, aux catastrophes, le soin d’apporter à mes paroles leur terrible commentaire ?
Il en est temps encore. La prévoyance, que Dieu a donnée aux peuples comme aux individus isolés, la prévoyance qui sauve les empires et les familles, en s’appuyant sur les austères leçons du passé peut faire servir les difficultés du moment actuel au bonheur des jours futurs.
Préparons-nous d’avance à des recettes inférieures aux prévisions du budget. Si nos craintes de se réalisent pas, nous serons heureux de trouver un excédent qui nous permettra de réduire les bons du trésor, cette calamité publique.
N’y a-t-il pas d’ailleurs à employer cet excédent pour l’extinction du paupérisme ? L’Etat ne doit-il pas à tous ceux qui souffrent, du travail et du pain ?
Vivre au jour le jour, est-ce un rôle digne du gouvernement, ce tuteur de la nation ?
Je ne parle pas des prodigalités, des dissipations, épuisant les ressources du présent et anticipant même sur l’avenir.
Je vous rappellerai seulement, messieurs, que la prudence, la modération, la persistance, l’ordre et l’économie constituent le caractère belge ; ces vertus de nos pères, les avons-nous abdiquées, depuis que nous avons conquis notre indépendance et fondé notre nationalité ?
Le premier résultat des institutions libres, c’est de rendre les peuples meilleurs et plus heureux.
Ce but sacré, je le poursuivrai, tant qu’il me restera un souffle de vie.
Une longue carrière utilement employée, quarante années passées dans l’exercice de fonctions administratives, et les mandats successifs dont m’ont honoré mes concitoyens en m’envoyant à la chambre depuis 1833, me donnent le droit de faire entendre les conseils de l’expérience.
A mon âge, messieurs, on renonce pour tout ce qui nous est personnel, au long espoir, aux vastes pensées ; mais d’une affection plus vive que jamais on s’attache à sa patrie, à ses concitoyens ; et je n’aurai plus rien à demander à Dieu si, lorsqu’il me rappellera dans son sein, je laissais la Belgique le plus heureux pays de l’Europe comme elle en est le plus libre.
Messieurs, j’ai un extrait de la statistique financière qui appuient les chiffres que renferme mon discours, je pourrais vous en donner communication, mais je crois que la chambre les appréciera mieux par la lecture, je le ferai insérer au Moniteur, à la suite de mon discours si la chambre m’y autorise. (Adhésion.)
(Note du webmaster : Le Moniteur contient effectivement à la suite du discours d’Eloy de Burdinne cet extrait statistique, qui n’est pas repris dans la présente version numérisée. Le discours se poursuit comme suit : )
J’ai un mot à ajouter : je vous avoue que si vous n’entrez pas dans une voie qui assure un parfait équilibre entre les recettes et les dépenses, si nous restons dans l’ornière où nous sommes depuis nombre d’années, je ne pourrai, en acquit de ma conscience, donner mon assentiment à toutes les dépenses proposées pour les divers départements. Nous devons absolument faire cadrer les recettes et les dépenses, il nous faut même, pour parer aux éventualités, un excédent des recettes sur les dépenses. Oserions-nous donc continuer de marcher de déficit en déficit ? Mais qu’il survienne une guerre, que des dépenses extraordinaires que nous ne prévoyons pas viennent à notre charge, où puiserons-nous les fonds nécessaires pour y faire face ? Les emprunts, dira-t-on ? Mais on ne peut toujours emprunter. A la fin on sera tellement compromis qu’on ne saura de quel bois faire flèche.
Remarquez que, si jusqu’à présent nous avons un état assez satisfaisant, nous le devons à la prospérité de l’agriculture ; mais je crois qu’elle est à son terme, et avec cette prospérité, celle du commerce et de l’industrie cesseront également. Cherchons donc à modérer nos dépenses ; il en est temps encore ; cherchons à améliorer nos recettes. Que ces améliorations portent, comme je l’ai proposé, sur les douanes, les objets de luxe, les tabacs, le sucre. Le sucre seul, rapporte en Angleterre, 120 millions pour 17 millions d’habitants ; car je ne parle pas de la population de l’Irlande, qui ne mange pas de sucre, ayant à peine du pain et des pommes de terre.
M. Donny. - La discussion des budgets est une occasion consacrée par les habitudes parlementaires à la présentation de tous les griefs.
Représentant unique d’une localité dont les plaintes sont aussi nombreuses que bien fondées, il est de mon devoir de profiter de cette occasion pour appeler sur ces plaintes l’attention du gouvernement et de la chambre.
Nous n’avons, messieurs, que deux ports maritimes ouverts au commerce dans toutes les saisons, dans toutes les circonstances, le cas de blocus maritime seul excepté. A ce titre, le sort du principal de ces ports ne saurait être indifférent à la chambre et au pays.
Le port d’Ostende, messieurs, est non seulement un des meilleurs ports de seconde classe que possède le continent, maïs il présente au commerce maritime des avantages précieux qu’on trouve bien rarement réunis.
D’une part, à une seule marée, les navires que l’on n’aperçoit pas encore à l’horizon, arrivent en rade, entrent dans le port et se rendent eu sûreté dans les bassins.
D’une autre part, le port d’Ostende communique avec l’intérieur du pays par trois voies différentes : par de bonnes chaussées, par un canal dont le pareil se rencontre rarement, et enfin par un chemin de fer.
Tous ces avantages devraient faire croire que le port d’Ostende est appelé à prendre une large part dans le mouvement de navigation du pays ; on devait croire que, quand ce mouvement s’accroît, le port d’Ostende participe au progrès. Malheureusement, messieurs, il n’en est pas ainsi, et tandis que dans tous les autres ports de la Belgique il y a accroissement et accroissement considérable, dans le port d’Ostende il y a décroissement de la navigation ; c’est ce dont je vais vous donner la preuve officielle.
Le gouvernement nous a fait distribuer des tableaux statistiques qui indiquent quel a été en 1842, le tonnage des navires déclarés tant à l’entrée qu’à la sortie, dans les ports d’Anvers, d’Ostende, de Gand et de Nieuport. Ces tableaux nous indiquent de plus la moyenne de ce tonnage pour une période de cinq années, de 1837 à 1841 inclusivement. Lorsqu’on étudie ces diverses données, on arrive aux résultats suivants : pour les ports d’Anvers, de Gand et de Nieuport, le tonnage de 1842 a excédé la moyenne du tonnage des années précédentes, de 29,439 tonneaux, et dans le port d’Ostende, le tonnage de 1842, non seulement n’a pas dépassé la moyenne du tonnage des années précédentes, mais il lui est resté inférieur de 1,349 tonneaux.
Si l’accroissement qui s’est fait remarquer dans les autres ports s’était aussi manifesté d’une manière proportionnelle dans le port d’Ostende, celui-ci aurait eu, en 1842, 8,686 tonneaux de plus qu’il n’a eu.
Ainsi le port d’Ostende se trouve, comparativement aux autres ports de la Belgique, dans un état de déclin, ou, si l’on veut, dans un état d’infériorité qu’on peut représenter par 8 à 9 mille tonneaux par an. C’est là un résultat fâcheux pour le pays, déplorable pour la localité qui en est la victime.
Mais quelles peuvent être les causes de cet état de choses ? Je vais, messieurs, vous indiquer celles qui me sont connues. Elles sont au nombre de deux : la première résulte de ce que l’on a favorisé la navigation dans une autre direction que celle d’Ostende tandis qu’en même temps l’on a augmenté tel charges de la navigation intérieure entre Ostende et Gand ; la seconde provient du taux trop élevé des charges maritimes qui pèsent sur le port d’Ostende.
La ville de Gand communique à la mer par deux lignes navigables : l’une est formée par le port d’Ostende, le canal d’Ostende à Bruges et le canal de Bruges à Gand. Cette ligne se trouve d’un bout à l’autre sur le territoire belge, et toutes les dépenses que la navigation occasionne sur cette ligne, tournent au profit de la Belgique. Je nommerai cette ligne, et à juste titre, je pense, ligne de navigation belge.
L’autre ligne est formée par l’Escaut et le canal de Terneuzen ; elle traverse le territoire étranger, sur la plus grande partie de son parcours et la navigation ne peut en faire usage sans occasionner aucune recette au profil du trésor néerlandais. Je crois donc pouvoir appeler cette ligne, ligne néerlandaise.
Avant la révolution, le commerce devait acquitter des péages, soit qu’il fît usage de la ligne néerlandaise, soit qu’il suivît la ligne belge. Depuis lors, on a supprimé, d’abord en partie, et ensuite en totalité, les charges qui pesaient sur le commerce lorsqu’il choisissait la ligne néerlandaise (les péages sur le canal de Terneuzen ont été complètement supprimés), et, dans le même temps, ainsi que je vous l’ai dit, il y s un instant, on a trouvé convenable d’augmenter les péages sur le canal d’Ostende à Gand. L’équilibre a été rompu entre les deux lignes ; la ligne néerlandaise a été suivie de préférence à la ligne belge, et les navires qui autrefois entraient au port d’Ostende avec un chargement destiné pour Gand, ont abandonné ce port et se rendent aujourd’hui à leur destination par le canal de Terneuzen.
Je ne fais, messieurs, que citer les faits ; je me réserve de revenir sur cet objet, lorsque j’aurai fixé mon opinion sur les remèdes possibles à cet état de choses. Le problème que j’ai à résoudre n’est pas des plus faciles, il s’agit de conserver au commerce de Gand toute la liberté dont il jouit à présent, de ne lui imposer aucune charge nouvelle, de lui procurer, si c’est possible, un avantage, et eu même temps de rétablir l’équilibre entre les deux ligues dont je viens de parler. J’espère y parvenir, et lorsque mon opinion sera fixée, j’aurai l’honneur de vous la communiquer.
La deuxième cause du déclin du port d’Ostende résulte du taux trop élevé des charges maritimes de ce port ; charges qui consistent dans un droit de fanal, dans un droit de pilotage et dans un droit de tonnage.
Je parlerai d’abord du droit de fanal.
Dans le courant du siècle dernier, la ville d’Ostende a fait construire le phare qui se trouve à l’embouchure de son port, et qui a été élevé aux dépens de la caisse communale. Lorsque la construction de ce phare fut achevée, il fallait faire face aux dépenses d’éclairage ; il fallait assurer à la caisse communale l’intérêt du capital qu’elle avait avancé, il fallait se créer un revenu nouveau susceptible d’être donné en hypothèque pour les emprunts qu’on faisait alors et qui étaient destines à des ouvrages d’utilité publique. Pour satisfaire à cette triple exigence, la ville a établi un droit de fanal de trois sous par last ; et ce droit, impôt originellement et essentiellement communal, est celui que les navires qui fréquentent le port d’Ostende, paient encore aujourd’hui, mais ils le paient au gouvernement ; et comme cet impôt comprenait dès l’origine autre chose que les dépenses d’éclairage, il s’en suit que les navires qui fréquentent le port d’Ostende paient beaucoup plus qu’ils ne le devraient réellement. Le gouvernement emploie cet excédant à l’éclairage du port de Nieuport, au fanal de Blankenberghe, en un mot, à l’éclairage du littoral tout entier.
Ainsi, par la seule raison que la ville d’Ostende a fait le sacrifice d’élever un phare, le commerce de cette ville est obligé de payer un impôt qu’on ne perçoit dans aucune autre localité belge, et par la seule raison que la ville a dû comprendre dans cet impôt autre chose que ce qui était nécessaire pour faire face aux dépenses d’éclairage, le commerce qui fréquente ce port est obligé de payer les frais de l’éclairage du littoral tout entier.
C’est là quelque chose d’injuste, quelque chose de révoltant, quelque chose qui a duré beaucoup trop longtemps et que le gouvernement aurait dû faire cesser plus tôt. J’espère y mettre un terme aujourd’hui au moyen d’un amendement que j’aurai l’honneur de vous présenter, lorsqu’on en viendra à la discussion des articles.
La seconde charge maritime qu’on perçoit au port d’Ostende, c’est un droit de pilotage.
Je commencerai, messieurs, par vous faire remarquer que le droit de pilotage n’est pas un impôt, mais une véritable rémunération pour prestation de services.
La preuve que ce droit n’est pas un impôt, je la trouve dans cette circonstance que jamais, ni en Angleterre, ni en France, ni en Hollande, ni en Belgique sous le régime précédent, les recettes du pilotage n’ont fait partie du revenu public. Toujours le pilotage y a été administré, non pour le compte de l’Etat, mais pour le compte des sociétés particulières ou d’institutions entièrement séparées de l’Etat.
S’il en est ainsi, si le pilotage n’est autre chose que la rémunération d’une prestation de service, tout tarif qui fait payer au commerce maritime des sommes plus élevées que celles que nécessite ce service, est un tarif exorbitant, un tarif vexatoire pour le commerce. Or, tel est le cas pour le tarif qui est aujourd’hui en vigueur au port d’Ostende.
Ce tarif, messieurs, a été introduit par l’administration hollandaise, et il est malheureusement conçu dans un esprit peu bienveillant pour l’industrie belge.
D’abord l’assiette de l’impôt est basée sur le tirant d’eau. Or, les navires construits en Belgique ont généralement un tirant d’eau beaucoup plus fort que les navires construits en Hollande, par la raison très simple que tous les bâtiments de cabotage qu’on construit en Hollande, étant destinés à entrer dans des endroits où il y a peu d’eau, sont, par cette raison, construits avec des fonds bien plus plats que ceux qu’on construit en Belgique.
Ensuite, le taux du tarif a été, sans qu’on en voie la raison, porté à un chiffre bien plus élevé que n’était à cette époque le tarif de Flessingue.
Il résulte de cette double circonstance que le droit de pilotage a produit à Ostende bien au-delà de ce qu’il devait rapporter pour faire face aux dépenses nécessaires. Cela est si vrai, messieurs, que malgré la construction de corvettes nouvelles, malgré l’érection d’un local destiné au service du pilotage, malgré l’ensablement du chenal d’Ostende et l’abandon de ce port qui en a été la suite, le pilotage a produit annuellement au-delà de 10,000 francs d’excédants, excédants qui ont été inscrits au grand-livre de la dette publique à Amsterdam où il existait à l’époque de la révolution une inscription de 204,000 florins au profit du pilotage d’Ostende. Cette inscription a été transférée et figure aujourd’hui sur le grand-livre belge.
Je sais que la chambre de commerce d’Ostende s’occupe en ce moment d’un travail sur le pilotage. Lorsque ce travail me sera parvenu, je me réserve de prendre une détermination convenable pour faire cesser, s’il est possible, l’état de choses dont je me plains.
Une troisième charge maritime qu’on perçoit au port d’Ostende, c’est le tonnage. En principe le droit de tonnage est uniforme dans tous les ports de la Belgique. Mais il paraît que, pour celui d’Ostende, il y a bien loin du principe à son application. Si je suis bien informé la capacité des bateaux à vapeur est jaugée à Anvers d’une manière entièrement différente de celle qu’on suit à Ostende. Il en résulte qu’il y a, au détriment du commerce ostendais, une différence de 40 p. c. ; c’est-à-dire que les bateaux à vapeur de même capacité paient au port d’Anvers, pour droit de tonnage, 40 p. c. de moins qu’ils ne paient au port d’Ostende.
Je n’ai pas été même de vérifier personnellement ces calculs. Les éléments de la question ne m’ont pas été mis sous les yeux ; mais j’ai tout lieu de croire que l’on a calculé cette différence avec exactitude. Et s’il en est ainsi, vous conviendrez qu’il y a encore là une injustice révoltante, une injustice que M. le ministre des finances ne peut pas laisser subsister un seul instant de plus,
Je viens de terminer l’énumération des causes auxquelles j’attribue, en partie du moins, le déclin du port d’Ostende ; mais je n’ai pas encore terminé l’énumération de nos griefs ; il en reste encore deux.
Lorsque l’on a discuté la loi d’établissement du chemin de fer, on a eu principalement en vue le transit on a voulu attirer en Belgique une partie du transit qui se faisait par la Hollande, et l’on a voulu que ce transit pût passer à la fois et par le port d’Anvers et par le port d’Ostende.
Pour atteindre ce double but, pour rendre possible le transit par Anvers, il fallait rembourser le péage de l’Escaut, et pour le rendre possible par le port d’Ostende, il fallait égaliser les distances entre le port d’Anvers et celui d’Ostende ; il fallait faire abstraction dans le tarif, d’une différence de 911 kilomètres, qui existe entre ces distances.
Aujourd’hui que la voie ferrée est achevée, aujourd’hui que le transit est possible ; qu’il s’établit en effet et qu’il prend déjà des développements, on rembourse le péage de l’Escaut pour que le transit puisse prendre la voie d’Anvers ; on fait dans cette vue un sacrifice annuel de 800,000 fr. Et l’on ne fait rien pour que le transit puisse aussi prendre la voie d’Ostende ; on ne veut pas même égaliser la petite différence de 96 kilomètres qui existe entre les deux ports.
Il est, messieurs, un dernier grief dont je dois vous entretenir. Dans un état de déclin, quant à la navigation, dans un état d’exclusion quant au transit, le port d’Ostende ne conserve plus que l’industrie de la pêche. A cette industrie, le chemin de fer devait procurer la destinée la plus brillante ; le chemin de fer devait transporter comme par enchantement, sur un marché nouveau, sur un marché immense, les produits du littoral des Flandres, produits qui, transportés au loin, n’ont d’autre valeur que celle que leur donne la rapidité du transport.
Qu’a-t-on fait pour réaliser ces brillantes espérances ? On a arrangé les heures de départ de telle manière, que le poisson du littoral des Flandres, n’est transporté en Allemagne, qu’au bout de deux jours, tandis que celui du port d’Anvers y arrive en un seul jour ; on a de plus arrangé le tarif de telle façon, que le poisson transporté du port d’Anvers, paie 40 p. c. de moins que celui qui est transporté d Ostende. Aussi, quand au port d’Ostende, les résultats obtenus jusqu’ici du chemin, de fer pour le transport du poisson, ont été bien peu considérables.
Je m’arrête, quant à ce dernier grief, parce que je sais que M. le ministre des travaux publics, est saisi d’une pétition des armateurs d’Ostende ; aussi longtemps que ce haut fonctionnaire n’a pas disposé sur cette pétition, il serait inconvenant de ma part de lui adresser des récriminations ou même des observations. Je dois me borner à le prier de bien vouloir fixer son attention sérieuse sur la demande des pétitionnaires et de prendre une résolution aussi bienveillante que possible à l’égard de leur demande.
M. Osy. - Messieurs, je dois rendre justice à la franchise que met M. le ministre des finances, dans l’exposé de notre situation financière, mais je ne puis approuver la marche qu’il paraît vouloir suivre pour régulariser notre comptabilité.
M. le ministre nous donne le chiffre exact de nos déficits antérieurs à 1844 et qui se montent à la somme de 37,300,000 fr., et pour le combler, son intention serait d’appliquer tous les fonds provenant de nos arrangements avec les Pays-Bas et la Société générale.
Je partage son opinion que la plus grande partie des capitaux reçus doivent servir à combler nos déficits antérieurs, mais il faut que cela se fasse par une loi et en attendant, on aurait dû porter en recette tous les capitaux reçus, et les intérêts que nous produisent les fonds inscrits devraient également figurer au budget des voies et moyens, et on aurait dû porter en recette les sommes déjà payées par la Hollande et alors nous verrions exactement notre situation, la cour des comptes connaîtrait les sommes à enregistrer, et lorsque votre commission des finances aura à arrêter les comptes, elle aurait des données exactes et prescrites par une loi. Je ne pourrai donner mon vote approbatif au budget des voies et moyens, que pour autant que M. le ministre des finances s’engage formellement de nous présenter sous très peu de temps un budget supplémentaire, ne fut-ce que pour ordre, comprenant toutes les sommes reçues de la Hollande et de la Société générale, et en dépenses, les sommes déjà payées à la Hollande.
Si on ne trouvait convenable de présenter un budget supplémentaire, il faudrait au moins un projet de loi pour ratifier les décomptes faits avec la Hollande et qui comprendraient comme recettes et dépenses, toutes les sommes payées et reçues en vertu du traité, de la convention avec la société Générale et par suite de celle de la commission mixte d’Utrecht.
C’est aussi par une loi et par une proposition à nous faire, que nous devons régler ce qu’il aura à faire avec les 13,458 obligations 4 p. c. représentant l’encaisse de 12,172,285 fr. ainsi que de 207,300 francs 3 1/2 reçus de la Société générale et 157,900 francs los renten reçus pour payement des domaines depuis le 31 décembre 1838.
Je ne puis donc pas approuver le transfert fait sans loi, de 2,264 obligations 4 p. c. à la caisse d’amortissement, d’autant plus qu’il faudra décider d’avance ce qu’on fera de l’encaisse et ensuite lors de la discussion du budget de la dette publique, il faudra prendre un parti pour les fonds de la caisse d’amortissement restés oisifs depuis la conclusion des emprunts de 1840 et 1842 et si votre décision sera conforme à mon opinion, que ce fonds doit porter intérêt au profit de l’amortissement, je pense que nous pourrons vous démontrer qu’il faudra employer ces fonds en valeurs réalisables, comme bons du trésor et non en obligations 4 p. c.qui éprouveraient naturellement une grande baisse si l’amortissement devait opérer, car vous savez que l’amortissement n’est suspendu pendant 6 ans, aussi longtemps que vos fonds sont au-dessus du pair ; si donc le 5 p.c., par l’un ou l’autre événement, devait venir tomber au-dessous du pair et que vous deviez faire agir l’amortissement, la baisse des 5 p. c. entraînerait les 4 p. c. et vous auriez en caisse des valeurs non réalisables. Je ne puis donc que désapprouver le transfert fait des 2,264 obligations et jusqu’à ce que nous ayons tout réglé par une loi, il faut que l’encaisse reste intacte et il faut porter aux voies et moyens les intérêts de l’encaisse ; je ne pourrai donc pas approuver la recette que vous propose la section centrale, de 90,560 fr. pour produit des 2,264 obligations ; mais il faudra majorer la somme de 446,960 fr. proposée pour l’intérêt de 11,174 obligations, de cette somme de 90,560 fr.,de manière que nous dirons : « Intérêts de 13,438 obligations de l’emprunt de 30 millions 4 p. c. provenant de l’encaisse, 537,520 fr. » Je me réserve de proposer cet amendement lors de la discussion des articles.
Vous voyez, messieurs, que le résultat pour le budget est de même, mais tout restera intact jusqu’à ce que vous décidiez par une loi, ce que l’on compte faire de l’encaisse, ainsi que de la manière qu’il faudra régler, et employer les fonds de l’amortissement, impossible que cela puisse se décider à la volonté du ministère, et par suite du discours qu’a prononcé M. le ministre des finances, lors de la présentation des budgets.
M. le ministre propose aussi de réaliser, dans un temps donné et à l’extinction de nos arriérés, le produit du capital de un million 2 1/2 provenant du fonds d’agriculture. Il me paraît, qu’avant de prendre cette résolution, il faudra examiner si on ne trouverait pas convenable de rétablir la caisse pour l’agriculture et de la doter de ce que nous avons reçu en restitution de la Hollande ; car cette somme provient de centimes additionnels, avait une destination spéciale, et nous ne pouvons légèrement détourner à combler nos déficits.
Je dois encore déplorer que notre session ait été ouverte si tard, il est a craindre que pour plusieurs départements nous aurons des crédits provisoires à ouvrir, et je voudrais que finalement, on non présentât dans la même session les budgets de deux exercices, de manière, qu’au lieu de commencer nos travaux par les lois financières, nous ferions comme en France, nous terminerions par là, et ainsi nous aurions toujours travaillé un an d’avance. C’est un vœu souvent exprimé, et j’espère que, finalement, le gouvernement se décidera à adopter cette marche. Ce sera d’autant plus facile que nos différends avec la Hollande sont terminés, et que, lorsque nous aurons voté une organisation pour l’armée, nous pourrons avoir un budget de la guerre normal.
Voilà pendant deux ans qu’on nous a promis une loi de comptabilité, j’espère que les promesses de M. le ministre actuel, seront sous peu des réalités, et qu’il ne négligera pas de proposer par la même loi une commission de surveillance pour les fonds d’amortissement, de consignations, de dépôt et de pensions, et que, finalement, toute notre administration financière puisse être contrôlée par la cour des comptes, car en lisant avec attention son cahier d’observations, ses attributions, qui devraient être étendues, et être une sauvegarde des deniers publics, on dirait vraiment que cette institution, si éminemment utile, n’a aucun pouvoir, et lorsque nous serons au budget des travaux publics, nous aurons un compte sévère à demander pour les nombreux abus de ce département. J’espère aussi que dans cette session on nous remettra le compte de dépenses détaillé du coût de nos chemins de fer, pour que la cour des comptes puisse arrêter la gestion de tous les comptables.
Je recommande aussi particulièrement à M. le ministre de nous proposer des moyens de ne pouvoir toucher aucune somme, sous quelque prétexte que ce soit, sans le visa préalable de cour de comptes, nous serons au moins certains alors, qu’on ne pourra pas dépasser les sommes votées au budget. Ce qui s’est passé il y a deux ans, pour une acquisition bien malheureuse et que je regarde presque à fond perdu, doit vous engager messieurs, à prendre les plus grandes précautions.
Il est vrai que si nous allons arrêter nos budgets tels qu’ils sont présentés, avec un nouveau déficit d’un demi-million, auquel il faudra ajouter les dépenses pour réparer les derniers malheurs de la révolution (pour l’indignement de Lillo) et ce qu’il faudra pour le canal de Zelzaete, et si vous y ajoutez des recettes comme vente de domaines et rentes qui ne se reproduiront plus, notre déficit pour 1844 sera de nouveau de près de 3 millions. Mais j’espère que par une bonne organisation de l’armée pour les besoins de la tranquillité du pays, et en ayant le plus grand égard aux positions acquises et en faisant un sort juste aux officiers que nous avons de trop, nous trouverons facilement 3 à 4 millions à économiser sur ce département, mais il nous faut de la fermeté et savoir imiter ce qui se fait autour de nous. Sans entrer dans aucun détail, que je me réserve pour la discussion de la loi d’organisation, je vous dirai messieurs, que j’ai devant moi, le budget du royaume de Bavière. Ce pays a 4,300,000 habitants, il est beaucoup plus étendu que le nôtre et a des provinces limitrophes de la France, bien éloignées de sa capitale ; il touche ainsi à trois grandes puissances, l’Autriche, la Prusse et la France, et cependant il n’a qu’une armée de 56,000 hommes dont, en moyenne, 35,000 hommes en congé ; ses dépenses pour la guerre, avec les pensions militaires ne se montent qu’à 7,500,000 florins, ainsi moins de 16 millions de francs, et on nous demande, avec les pensions au-delà de 30 millions. Cet Etat n’est pas soutenable, et j’ai trouvé notre position si analogue à celle de la Bavière que je compte remettre à la section centrale ce budget très détaillé et où on pourra puiser d’utiles renseignements et qui l’engagera de nous proposer de notables économies et si nous les adoptons, nous pourrons nous passer de rechercher de nouvelles impositions, d’autant plus qu’un bon système commercial que finalement j’espère voir discuter, nous amènera de nouvelles recettes pour les droits d’entrée sans devoir recourir à des augmentations d’impôts.
Je répète donc ; abordons sans hésitation la discussion pour l’organisation de l’armée, et celui de l’enquête commerciale, et nous trouverons moyen de combler le déficit de 1844 et celui qui nous restera des années antérieures, après y avoir appliqué plusieurs des, capitaux reçus de la Hollande et de la société générale.
Je remarque dans le rapport de la section centrale, que presque toutes les lois financières de l’ancien ministère seront retirées, sauf pour les patentes Je crois effectivement que cette loi doit être révisée, et dans ce cas je recommanderai M. le ministre de trouver un moyen de faire payer, comme en Prusse et en Hollande, les agents des maisons de commerce de l’étranger, qui sont un véritable fléau pour le commerce du pays.
Il faudrait aussi atteindre les compagnies d’assurance de l’étranger, qui ont ici leur agents et qui ne paient pas, comme les compagnies nationales, une forte patente sur leurs bénéfices, et qui seront, par là, obligées de remettre leurs comptes au gouvernement.
C’est dans la section dont je faisais partie qu’il a été proposé de rétablir le serment pour les successions ; on me dira que c’est mettre l’homme entre son intérêt et sa conscience, mais aujourd’hui on doit se borner à signer comme véritables les déclarations, et on fait plus facilement une fausse déclaration, qu’un faux serment. Aujourd’hui qu’une partie des fortunes sont composées de fonds publics au porteur, ceux-ci ne figurent presque jamais dans les inventaires et ne payent pas de droits de succession, il faut cependant trouver un moyen de les atteindre et je n’en connais pas d autre que de rétablir le serment, qu’on a, d’après moi, aboli beaucoup trop légèrement au commencement de la révolution
Il me reste, à vous parler de la loi des sucres. Ici je pense que les prévisions de M. le ministre seraient en défaut, et que les recettes iront tout au plus à 2 millions et demi au lieu de 3,200,000 fr.
Je suis bien persuadé que le sucre indigène ne payera pas 665,000 fr. parce que le rendement dépasse de beaucoup les 5 p. c. et approche d’avantage de 7 p. c. ; de ce chef, il aura un déficit d’au moins 150,000 fr., et ensuite les raffineries de sucre exotique sont dans un tel état de souffrance, à cause de la mévente dans l’intérieur , et par la concurrence des deux sucres, que nos raffineurs devront cesser de travailler ou ralentir considérablement leurs travaux. Je suis persuadé qu’avant un an, M. le ministre sera obligé de faire réviser la loi et prendre un parti final entre la canne et le betterave ; il faudra sacrifier l’une ou l’autre et peser ce qui peut donner le plus d’avantage au pays ; soit la culture de 1,900 hectares de terres ou une importation considérable de sucre étranger et qui vous amène beaucoup d’exportations. Pour moi je fais des vœux qu’à la session prochaine, nous prenions un parti définitif, et plus de ces termes moyens, qui ne satisfont personne, et qui paralysent une grande industrie, qui peut en alimenter tant d’autres.
M. le ministre des finances (M. Mercier) - Je commencerai par adresser des remerciements à l’honorable orateur qui a bien voulu reconnaître que la franchise a présidé à la rédaction de l’exposé que j’ai fait de la situation financière du pays ; ses connaissances spéciales sur cette matière me font attacher beaucoup de prix à son témoignage.
Cet honorable membre pense que les sommes rentrées en la possession de la Belgique par suite de l’arrangement de nos différends avec la Hollande, auraient dû être portées en recette au budget ; mais qu’il veuille bien remarquer que ce n’est pas au budget de 1844 qu’il fallait les comprendre ; car il est de principe, en bonne comptabilité, que toute recette doit figurer au budget l’année pendant le cours de laquelle elle est opérée. Ce serait donc au compte 1843 qu’il serait régulier de porter les recettes auxquelles il a été fait allusion, ainsi que toutes celles extraordinaires qui seraient effectuées pendant cet exercice.
Au surplus, il n’est jamais entré dans mes intentions de ne pas soumettre ces recettes au contrôle la cour des comptes.. L’ancien encaisse lui sera également présenté, j en ai déjà indiqué le chiffre. Bien qu’il ne puisse pas encore être rigoureusement fixé, j’ai la persuasion qu’il différera très peu, si toutefois il y a différence, de celui que j’a consigné dans l’exposé de la situation du trésor ; sous peu de jours, je le répète, il pourra être soumis au contrôle de la cour de comptes avec les pièces qui doivent le constater.
Conformément au vœu, que l’honorable orateur vient d’exprimer et qui l’avait déjà été par la section centrale, mon intention est de présenter un rapport général sur l’exécution du traité du 5 novembre 1842 en ce qui concerne la partie financière. C’est alors que la chambre pourra se prononcer sur la destination à donner à quelques-unes des sommes déjà rentrées dans les caisses de l’Etat, et je pense que cette destination sera celle que je leur ai provisoirement donnée.
L’honorable membre a aussi parle du fonds d’agriculture ; si je l’ai fait figurer comme une recette devant réduire le découvert du trésor, c’est que des avances très considérables avaient été faites pendant plusieurs années pour l’agriculture, et qu’elles ne l’ont été qu’avec la pensée qu’elles seraient remboursées sur ce fonds. Quant à la loi de comptabilité générale, je répète qu’il sera satisfait sur ce rapport au désir de l’honorable membre. Je dirai, toutefois, que le projet qui sera soumis aux chambres ne contiendra point la disposition dont l’honorable orateur a parlé.
En ce qui concerne le fonds d’amortissement et des cautionnements, cela fait partie d’un travail spécial. Au surplus, je prendrai en sérieuse considération plusieurs des observations faites par l’honorable orateur pour la création de nouvelles ressources. Il n’est, en effet, que trop vrai, messieurs, qu’une longue expérience est venue démontrer l’impuissance de l’administration à déjouer les fraudes que beaucoup de personnes, encouragées par l’impunité, commettent en signant de fausses déclarations en matière de succession ; elles détournent à leur profit des droits qui appartiennent à l’Etat et augmentent ainsi le fardeau des charges que doivent supporter leurs concitoyens plus scrupuleux et plus loyaux.
C’est pour empêcher ces fraudes, que j’ai préparé le projet de loi sur les successions, que j’aurai prochainement l’honneur de soumettre à la chambre. Il renferme en outre quelques autres dispositions également destinées à augmenter nos ressources jusqu’à concurrence d’environ 1,400,000 francs.
Si je ne me suis pas expliqué sur plusieurs autres projets de loi que je compte aussi présenter prochainement à la législature, la raison en est simple : d’abord je n’ai pas voulu en faire l’objet d’une discussion immédiate, et faire perdre un temps précieux à la chambre ; c’est ensuite parce que chaque fois que des projets de loi tendant à établir de nouveaux droits ou à majorer ceux qui existent, sont connus trop longtemps d’avance, les intéressés trouvent toujours, comme vous savez, messieurs, le moyen de soustraire à leur profit une partie des ressources que ces projets sont destinés à procurer au trésor public.
J’espère donc que la chambre comprendra pourquoi je ne lui ai pas soumis ni même indiqué ces projets dans un moment où je savais qu’elle ne pourrait pas s’en occuper immédiatement ; j’aime à croire qu’elle approuvera ma réserve et qu’elle me saura gré de la circonspection avec laquelle j’ai cru devoir agir.
- La séance est levée à 4 heures.