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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22 mars 1843

(Moniteur belge n°82, du 23 mars 1843)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à 11 heures et 1/2.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn communique l’analyse des pièces de la correspondance.

« Le sieur Jacques-Frédéric Andringa, adjoint-directeur à l’hôpital militaire de Liège, né à Franeker (Pays-Bas), demande la naturalisation. »

Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Claise, disciplinaire au corps de discipline, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir son congé du service militaire. »

« Les habitants du faubourg de Charleroy demandent que ce faubourg soit séparé de la ville et qu’il soit érigé en une commune distincte. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le chevalier Lelièvre de Staumont demande qu’on introduise dans le projet de loi relatif à la loi électorale une disposition pénale contre les électeurs qui ne se rendent pas aux élections. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


M. de Florisone demande un congé de quelques jours.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la marine

Rapport de la section centrale

M. de La Coste, au nom de la section centrale qui a été chargée de l’examen du budget de la marine, présente le rapport sur le projet de loi tendant à allouer au département de la marine un crédit de 30,000 fr. pour les dépenses de la police maritime.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Il sera discuté entre les deux votes du projet de loi relatif aux fraudes électorales.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget des dotations (budget de la chambre)

Rapport de la section centrale

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, j’ai l’honneur de vous présenter le rapport de votre commission de comptabilité sur une demande faite par messieurs les questeurs d’un crédit supplémentaire de 9,100 fr. au budget de la chambre de l’exercice 1842

La chambre, messieurs, a voté un crédit supplémentaire de cent mille fr. à la fin de l’exercice dernier ; et elle l’a voté immédiatement. Celui-ci n’est que de 9,100 fr. ; et comme il y a un précédent, peut-être la chambre pourrait-elle passer immédiatement au vote.

Plusieurs membres. - Lisez le rapport.

M. de Garcia. - Je ne vois rien d’urgent à discuter ce projet. On peut s’en occuper entre les deux votes du projet en discussion. D’ici là nous pourrons avoir communication du rapport. Il est certain que si on vote immédiatement, et sur une simple lecture du rapport, je ne pourrais quant à moi, voter en connaissance de cause.

M. d’Hoffschmidt. - J’aurai l’honneur de faire observer que l’on ne serait nullement forcé de décider en non-connaissance de cause. Je donnerais lecture du rapport, et j’y joindrais toutes les explications que l’on pourrait désirer. Du reste, puisqu’il y a opposition, je n’insisterai pas sur ma proposition.

- La chambré décide qu’elle discutera cette proposition entre les deux votes.

Rapport sur une pétition

M. Mast de Vries. - Messieurs, l’année dernière, les anciens officiers d’ambulance se sont adressés à la chambre afin d’obtenir un secours. La chambre a voté un crédit de 10,000 fr. Mais comme elle ne l’a voté que pour l’année dernière, ils se présentent dans la même position et demandent que le secours qui leur a été accordé l’année dernière leur soit continué. La section centrale qui a été chargée de l’examen de cette pétition, vous en propose le renvoi à M. le ministre de la guerre, qui fera une proposition, s’il le croit convenable.

M. de Behr. - Je demanderai que le renvoi ait lieu avec demande d’explications.

M. de Garcia. - Je demanderai aussi que la pétition reste déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre. Si ma mémoire ne me trompe pas, il y a au budget un article dans lequel pourrait rentrer la demande dont il s’agit. Cet article alloue un fond destiné aux anciens officiers, et je crois que la section centrale a proposé d’appliquer ce fonds non seulement en secours aux anciens officiers, mais à tous les employés de l’armée. De sorte que la question se présentera naturellement lors de la discussion du budget de la guerre.

- La chambre adopte le renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre, avec demande d’explications, et le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la guerre.

Projet de loi ayant pour but d'assurer l'exécution régulière et uniforme de la loi électorale du 3 mars 1831

M. Savart-Martel (pour une motion d'ordre). - Hier on a rejeté un de mes amendements comme s’il avait été discuté ; je dois croire à cette discussion puisqu’une majorité compacte l’a ainsi décidé ; peut-être avais-je été magnétisé, car je n’en ai aucun souvenir, je ne réclame point à cet égard, sauf à en faire une question médicale.

Messieurs, d’honorables amis ont demandé une loi pour la répression des fraudes en matière électorale, on nous a fourni un projet, dont l’effet sera d’éloigner de véritables électeurs et de récompenser le mensonge.

De bonne foi et sans aucune arrière-pensée, j’ai soumis quelques amendements inoffensifs à l’opinion même qui n’est pas la mienne. D’après les rejets qui ont eu lieu jusqu’ici, je ne puis espérer un meilleur accueil pour les miens ; je viens donc les retirer tous ; je ne prendrai plus aucune part à la discussion, sauf à rencontrer des faits personnels, s’il en advenait, étant bien décidé, dès ce moment, à voter contre une loi qui portera les fruits les plus amers.

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - La chambre a décidé hier que la parole serait accordée à M. de Foere pour un fait personnel.

M. de Foere. - Messieurs, la chambre désire en finir avec cette discussion. Quelques membres m’ont exprimé le désir que je fisse insérer ma réponse au discours de l’honorable M. Lebeau dans le Moniteur. Si la majorité de l’assemblée s’associe à ce désir je m’y rendrai volontiers. Je puis, du reste, assurer à 1’honorable M. Lebeau qu’il n’y aura rien de blessant pour lui dans ma réponse.

M. Lebeau. - J’apprécie les motifs qui engagent l’honorable M. de Foere à renoncer à la parole ; mais je déclare que s’il avait insisté, je me serais joint à lui pour que la chambre lui permît de parler. Personne n’a été plus directement engagé que l’honorable membre dans cette discussion par plusieurs membres et spécialement par moi. Personne n’avait plus que lui le droit de réclamer la parole pour un fait personnel. Cependant, puisqu’il y renonce, je ne puis être plus exigeant que lui-même.

Quant à la déclaration faite par lui, qu’il n’y aura rien d’injurieux pour moi, ni pour aucun de mes collègues, dans son discours, elle était superflue. Je connais trop les habitudes de l’honorable membre pour croire qu’il puisse s’écarter des convenances parlementaires qu’il observe toujours avec une louable exactitude.

M. le président. - M. de Foere renonçant à la parole, nous reprenons la discussion des articles.

(La réponse de l’abbé de Foere est reprise à la fin de cette séance)

Article 3

« Art. 3. L’art. 5 de la loi du 3 mars 1831 est remplacé par la disposition suivante :

« Ne peuvent être électeurs, ni en exercer les droits, les condamnés à des peines afflictives ou infamantes ; ceux qui sont en état de faillite déclarée ou d’interdiction judiciaire, ou qui ont fait cession de leurs biens, aussi longtemps qu’ils n’ont pas payé intégralement leurs créanciers ; les condamnés pour vol, escroquerie, abus de confiance ou attentat aux mœurs ; les individus notoirement connus comme tenant maison de débauche et de prostitution. »

- Cet article est adopté.

Article 4

« Art. 4. L’art. 7 de la loi électorale du 3 mars 1831 est abrogé et remplace ainsi qu’il suit :

« Les collèges des bourgmestre et échevins feront, tous les ans, du 1er au 15 avril, la révision des listes des citoyens de leurs communes qui, d’après la présente loi, réunissent les conditions requises pour être électeurs.

« Un double des rôles, certifié conforme par le receveur et vérifié par le contrôleur des contributions directes, sera remis, à cet effet, avant le 1er avril, aux collèges des bourgmestre et échevins ; ce double sera délivré sans frais. »

M. Delfosse. - Je n’ai pas d’objection à présenter contre l’art. 4. Je ne vois pas d’inconvénient à confier la révision des listes au collège des bourgmestre et échevins, mais j’en vois un à lui confier l’examen des réclamations ; c’est pourquoi je me propose de reprendre l’un des amendements que l’honorable M. Savart vient le retirer ; je demanderai, lorsque l’art. 5 sera en discussion, que l’examen des réclamations soit confié au conseil communal.

Que faut-il entendre par les mots administration communale ? Une circulaire émanée du précédent ministre de l’intérieur a décidé qu’il faut entendre par ces mots le collège des bourgmestre et échevins. Je ne puis partager cet avis. L’auteur de la constitution, le congrès, est aussi celui qui a fait la loi électorale ; on doit supposer qu’il a donné aux mots administration communale, qui se trouvent dans la loi électorale, le sens qu’ils ont dans la constitution elle-même.

L’art. 108 de la constitution est ainsi conçu :

« Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois.

« Ces lois consacrent l’application des principes suivants :

« 1° L’élection directe sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs des administrations communales, etc..»

Il est évident que dans cet article de la constitution le mot administration communale doit s’entendre du conseil communal tout entier.

Les administrations communales, c’est-à-dire les conseils communaux, doivent être le produit de l’élection directe ; il ne peut être fait d’exception à ce principe que pour les chefs, tel est le sens de l’art. 108 de la constitution.

Il n’est pas moins évident que les mots administrations locales, qui se trouvent dans l’art. 10 de la loi électorale, doivent s’entendre aussi du conseil communal tout entier. « Les commissaires de district veilleront à ce que les chefs des administrations locales, etc. » On voit qu’il y a ici une distinction entre les chefs des administrations locales et les administrations locales elles-mêmes.

Je pourrais citer d’autres dispositions de la loi où les mots administration communale, administration locale, doivent sans aucun doute s’entendre du conseil communal, et non du collège des bourgmestre et échevins.

Pourquoi donc ces mots-là auraient-ils un autre sens dans les articles 7 et 8 de la loi électorale que dans l’art. 108 de la constitution, que dans l’art. 10 de la loi électorale elle-même, et que dans d’autres dispositions de la loi ?

Du reste, je le répète, je ne m’oppose pas à l’adoption de l’art. 4 ; mes observations portent plutôt sur l’art. 5, mais je n’ai pas voulu que l’on pût conclure de mon silence sur l’art. 4 que j’admets le sens donné aux mots administrations communales par la circulaire de M. Liedts.

Je ne veux pas terminer sans soumettre une observation à M. le ministre de l’intérieur ; M. le ministre de l’intérieur nous a dit dans une séance précédente qu’il suffit que la loi puisse être exécutoire le 8 avril, parce que les administrations communales ont jusqu’au 15 pour réviser les listes ; je ne puis être de cet avis, je pense qu’il est essentiel que la loi soit exécutoire avant le 1er avril.

Jusqu’ici, la révision des listes électorales a donné peu de travail, il suffisait de prendre les listes de l’année antérieure, de biffer quelques noms et d’insérer quelques nouveaux électeurs ; par suite de la loi nouvelle, le travail sera beaucoup plus considérable : il faudra faire des recherches dans les rôles de trois années, ce sera là un travail très long ; il y aura aussi, du moins dans ma province, beaucoup plus de noms à rayer que par le passé, à cause de l’exclusion des centimes additionnels provinciaux et communaux.

Lorsque le travail était peu considérable, les administrations communales avaient un délai de quinze jours ; il est impossible qu’un délai moindre, qu’un délai de huit jours, comme le dit M. le ministre de l’intérieur, suffise aujourd’hui que le travail sera immense.

Je conjure donc M. le ministre de l’intérieur de faire tout ce qui dépend de lui pour que la loi soit exécutoire le plus tôt possible, c’est dans ce but que j’avais demandé la disjonction, c’est encore dans ce but que je tâcherai d’être court chaque fois que je croirai devoir prendre la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai, messieurs, cru devoir prendre une autre précaution. J’ai adressé une circulaire aux gouverneurs, afin qu’ils appellent dès à présent l’attention des autorités locales sur l’adoption possible de la loi. Je crois qu’une circulaire semblable ne renferme aucun manque d’égard pour les chambres.

M. Delfosse. - M. le ministre des finances devrait prendre la même mesure en ce qui concerne les receveurs.

M. Lebeau. - Je soumettrai à la chambre et au gouvernement lui-même un amendement qui doit avoir pour résultat de rendre plus facile et plus efficace le contrôle des parties intéressées et même des fonctionnaires que le projet appelle à intervenir dans l’examen des listes. Aujourd’hui, je pense que les listes électorales indiquent le montant des contributions payées par chaque électeur, mais globalement et sans distinction des éléments dont ces contributions se composent. Cette distinction devient maintenant indispensable, puisque, d’après le projet que nous discutons, il suffira d’avoir payé certains impôts pendant deux ans, tandis que d’autres impôts devront avoir été payés pendant trois ans. Voici l’amendement que je soumets à la chambre et sur lequel j’appelle l’attention de M. le ministre de l'intérieur :

« Les listes électorales contiendront, outre les indications prescrites par la loi du 3 mars 1831, la désignation en trois catégories distinctes des impôts payes par chaque électeur ; savoir 1° à litre de contribution foncière ; 2° à titre de contribution personnelle ; 3° à titre de patente.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je proposerai l’impression de cet amendement, et je demanderai à ne me prononcer à cet égard que demain ; je me concerterai avec mon collègue le ministre des finances, nous verrons ce qui se fait aujourd’hui, et si ce que M. Lebeau propose ne se fait pas, nous examinerons jusqu’à quel point on peut l’adopter sans inconvénient.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, il me semble que si l’amendement de l’honorable M. Lebeau était admis, sa place serait au dernier § de l’art. 5 du projet de la section centrale ; ce § 5 porte :

« La liste contiendra, en regard du nom de chaque individu inscrit, la date de sa naissance et l’indication du lieu où il paie des contributions jusqu’à concurrence du cens électoral. »

Il suffirait d’ajouter « la nature de ces contributions », selon les distinctions indiquées tout à l’heure par l’honorable membre. Je ferai une autre observation. La loi communale exige aussi l’indication du lieu de naissance de l’électeur, il serait utile d’exiger la même indication dans les listes dressées pour les élections générales.

M. Lebeau. - Je reproduirai mon amendement à l’art. 5.

M. Vandenbossche. - Je ne veux pas, messieurs, m’opposer au § 1er de cet article, mais je crois que le 2ème § est inutile et qu’il est d’ailleurs de nature à effrayer les percepteurs qu’il oblige à confectionner et à délivrer sans frais des double des rôles. Je me permettrai de lire à la chambre une note qui m’a été remise, à cet égard, par un percepteur. Voici ce que porte cette note :

« Il serait difficile de concevoir l’utilité de la disposition de l’art. 4 du projet de loi sur les fraudes électorales, qui porte qu’un double des rôles sera délivré aux administrations communales. Cette délivrance doit avoir lieu sans frais.

« L’exécution de cette mesure, envisagée sous le rapport de la dépense, sera, ou onéreux pour l’Etat ou des plus préjudiciables et, pour ainsi dire, impraticable pour les receveurs.

« Pour se former une idée de la portée de cette mesure sous le rapport du travail et des frais, que l’on considère que, terme moyen, chaque recette de campagne est composée de quatre communes, que pour chacune, il y a un rôle foncier, un rôle primitif de la contribution personnelle et un rôle de patentes, et ordinairement un rôle supplétif pour chacune de ces deux dernières contributions. Voilà, donc 20 rôles, dont plusieurs sont des gros volumes et dont l’ensemble présentera le plus souvent au delà de 5,000 articles.

« Si c’est l’Etat qui en supportera les frais, il sera grevé d’une dépense considérable, mais elle ne blessera pas d’intérêts particuliers.

« Les receveurs peuvent craindre que la confection de ces doubles leur incombera, et nulle part ils ne voient l’assurance que ce travail leur sera payé.

« Un antécédent leur laisse cependant cet espoir. Par une circulaire du ministre des finances du 15 mars 1838, il leur est alloué à charge des communes qui auront requis des extraits des rôles, six centimes par article, ils peuvent espérer que si la loi à intervenir affranchit les communes de cette charge, l’Etat la prendra sur lui, et ils trouveraient ainsi quelque dédommagement pour un travail pénible auquel ils devront sacrifier leurs veilles, parce que le délai entre l’époque que ces rôles viennent entre leurs mains, et celle que les doubles devront être remis pour arriver à temps utile, sera très court, le plus souvent et malgré la plus grande assiduité et toute leur aptitude, ils seront dans la nécessité d’employer des mains étrangères salariées.

« Pour atteindre le but, il faudra probablement que la première délivrance consiste dans les copies des rôles personnels et patentes de 1843, et des deux années antérieures. Cela deviendra, pour ainsi dire, impraticable.

« Si la moyenne des articles des divers rôles par recette est de 5,000 et que l’on rétribue sur la base actuelle, ce sera une dépense de 300 francs par an, et encore le salaire ici ne sera-t-il pas hors dé mesure avec le travail et les frais d’impression.

« Les traitements des receveurs de campagne sont si exigus, que les priver de cette indemnité serait compromettre leur existence.

« L’utilité répondra-t-elle à une pareille dépense ? Il est permis de croire que non. Décomposons le nombre de 5,000 articles par recette de quatre communes pour en appliquer 1250 à chacune d’elles et ne perdons pas de vue que sur ce nombre 250 seulement concerneront des électeurs et que, de ces électeurs, il s’en trouvera 150 qui exerceront leurs droits ailleurs et 100 seulement qui auront rapport à des électeurs de la commune.

« Ce ne sont que ces derniers que l’autorité communale a intérêt de connaître pour former ses listes, car ce ne sont que ceux-là qui doivent y figurer. Les autres qui sont électeurs du chef de contributions qu’ils paient ailleurs que dans les communes qu’ils habitent doivent eux-mêmes faire valoir leurs droits.

« En définitive, le nombre d’électeurs par commune rurale descend quelquefois de 5 à 6. Il arrive même qu’il est en dessous, et rarement il excède 30 à 35. Que l’on compare l’étendue du travail avec l’intérêt de la recherche, et on reculera devant les frais et les peines qui doivent en résulter. »

Tell était la note qui m’a été remise par un percepteur.

Mais ne pourrait-on pas ordonner de faire ce qui se pratique dans certaines localités, que l’on dépose au secrétariat de la commune les rôles originaux ? Dans ce cas on éviterait un travail pénible et inutile et de grands frais aux communes, si jamais on fait payer les percepteurs pour cette perception. Pour ce motif je proposerai de retirer le second paragraphe.

M. Malou, rapporteur. - Le 2ème paragraphe de l’article que nous discutons a été ajouté pour que les administrations communales, et ensuite le commissaire de district, lorsqu’il est saisi de l’appel, puissent juger si toutes les inscriptions ont été dûment faites, et s’il n’y a pas eu d’omissions indues. On fait remettre aux administrations communales un double des rôles, parce que les agents de l’administration des finances ne peuvent s’en dessaisir pour un temps aussi long que celui qu’exigent la formation et la révision des listes.

Le renvoi de ces rôles doit se faire sans frais ; toutefois, dans quelques sections et au sein de la section centrale, l’on a reconnu qu’il serait juste d’accorder une indemnité de ce chef aux agents de l’administration des finances. Mais l’on a reconnu aussi qu’il n’est pas possible de fixer en ce moment le taux et le mode de répartition de cette indemnité, qu’il faut renvoyer cette question au prochain budget.

M. Mercier. - Je voulais faire à peu près les mêmes observations que l’honorable rapporteur de la section centrale. Dans la section dont je faisais partie, il a été question d’une indemnité légitimement due aux fonctionnaires chargés de faire le double des rôles, c’est un travail fort considérable, et je crains bien que l’on n’éprouve beaucoup de peine à exécuter cette mesure en temps opportun. Du reste, c’est au gouvernement à prendre les mesures nécessaires ; seulement je recommande à sa sollicitude les personnes qui seront chargées de ce travail, qu’elles ne pourront pas faire elles-mêmes et qu’elles devront faire faire par des employés particuliers.

M. Vandenbossche. - Le percepteur qui m’a donné cette note m’a dit qu’il n’y avait aucune difficulté, ni aucun inconvénient à remettre les rôles originaux au secrétariat de la commune. C’est un percepteur des contributions qui me l’a dit. On dit que cela peut servir aux commissaires de district ; en effet, messieurs, le commissaire de district pourra s’en servir ; mais, messieurs, comme je l’ai déjà dit dans une séance précédente, il est impossible que pendant le temps qu’on accorde aux commissaires de district pour vérifier les listes, et pour faire des réclamations, s’il y a lieu, il est impossible, dis-je, qu’il puisse examiner les pièces, les rôles qu’on voudrait lui envoyer. De là je conclus que le commissaire de district ne pourra jamais faire de son propre mouvement une réclamation quelconque ; c’est ce qui m’engagera aussi à voter contre l’article qui autorise le commissaire de district à réclamer et à interjeter appel ; après le temps révolu où on pourrait en appeler devant le conseil.

M. d’Huart. - Je crois, messieurs, que, tout au moins pour cette année, il sera impossible que les receveurs exécutent la loi qui vous est proposée ; il sera impossible de faire copier les rôles avant le 1er avril ; quand même les receveurs devraient commencer dès maintenant ils n’auraient pas fini pour le premier avril ; ce qu’a dit l’honorable M. Vandenbossche à cet égard est de toute vérité, la confection des rôles est un travail immense qui exige plusieurs mois. C’est ainsi que, tous les ans, l’administration communale fait confectionner les rôles, ce qui demande plusieurs mois, et on emploie à cette besogne, dans les provinces, une foule de personnes que l’on paie par article. Tous ceux qui ont été dans l’administration des finances pourront vous dire que c’est là un travail immense dont les receveurs ne pourront pas sortir cette année. Il faudrait donc adopter, pour l’exercice courant, une disposition transitoire.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je regarde la disposition comme indispensable ; elle est une des bases de la loi. Mais je reconnais avec l’honorable préopinant que l’application de l’article est impossible cette année. Je proposerai plus tard une disposition transitoire.

M. de Muelenaere. - Je pense que dans le système de la loi nouvelle, la confection d’un double des rôles est devenue une nécessité. Je conçois que, dans quelques circonstances, on pourra déplacer l’original des rôles ; mais il y aurait un grave inconvénient à admettre en principe que l’original des rôles sera envoyé non seulement aux administrations communales, mais encore au commissaire d’arrondissement, et en cas d’appel de la part de celui-ci à la députation permanente, car celle-ci n’aura pas d’autre moyen de former sa conviction que par l’examen du rôle lui-même.

Je crois cependant, avec l’honorable M. d’Huart, que pour l’exercice courant il sera presque impossible de faire un double des rôles. C’est un travail considérable. Il serait peut-être convenable dès lors d’adopter une mesure transitoire pour l’exercice courant.

M. Desmet. - Je dois faire observer à un honorable préopinant qu’il ne s’agit pas de confectionner, mais seulement de copier les rôles. Ce n’est donc pas un travail si considérable, comme on vient de le dire ; le déplacement des originaux pourrait donner lieu à des inconvénients. Ces originaux pourraient se perdre.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, lorsque la disposition a été adoptée par la section centrale, il n’était guère possible de prévoir que la discussion serait aussi longue ; l’on pouvait espérer que, sinon dans toutes les communes, au moins dans la plupart, les rôles pourraient être remis, en copie, cette année même, aux administrations communales. Je reconnais que dans les communes où les rôles sont volumineux, cette copie ne pourrait pas être faite en temps utile ; je crois aussi qu’une disposition transitoire pourrait être adoptée. Toutefois, cette disposition devrait concerner exclusivement les rôles de l’année courante ; car le déplacement des rôles originaux des années antérieures ne peut pas donner lieu à des inconvénients.

M. Mercier. - Est-il entendu que la copie devra reproduire tous les détails du rôle ? Cette reproduction serait au moins inutile pour les rôles des contributions personnelle et de patente. Ces rôles renferment 15 où 18 colonnes ; et je crois que le seul but qu’on recherche ici, c’est de connaître les noms et les sommes.

M. d’Huart. - Je pense que les rôles doivent être copiés en entier ; car en cas de réclamation à l’égard des listes électorales, il faut que les autorités publiques prennent connaissance de tous les éléments dont se composent les rôles. Si vous vous borniez à transcrire les noms et les sommes, vous n’auriez pas des moyens suffisants de vérification. Il faut donc une copie entière des rôles, et comme je l’ai déjà dit cette copie donne lieu à un travail considérable.

Il est donc dès lors indispensable pour cette année d’adopter une disposition transitoire que M. le ministre de l’intérieur a annoncé vouloir présenter. Quant aux années suivantes, le gouvernement verra comment il devra régler ces objets. Pour moi, je pense que ce qu’il y a de mieux à faire, c’est de confectionner deux ou mêmes trois rôles, si l’on juge que le commissaire d’arrondissement et la députation permanente aient besoin chacun d’une expédition. Je ne m’oppose pas non plus à ce qu’une expédition du rôle soit remise aux administrations communales.

M. Mercier. - S’il s’agissait de former une enquête, il faudrait que le gouvernement prît connaissance de toutes les bases de l’impôt, pour savoir si on fait encore des déclarations frauduleuses pour posséder le cens électoral. Mais, messieurs, en vertu de la loi, le commissaire d’arrondissement, pas plus que la commune, ne doit rechercher s’il y a encore des fraudes électorales par suite de fausses déclarations ; la besogne consistera à vérifier si l’impôt est suffisant et s’il est bien appliqué par tels ou tels individus. Je pense donc qu’il serait inutile de faire faire une copie des rôles entiers dans chaque recette.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je crois que tous les rôles sont indispensables. Nous instituons une espèce d’enquête permanente ; je vais plus loin s’il était prouvé, à l’aide de cette enquête, que, dans une infinité de cas, les bases n’existent pas réellement, il y aurait lieu de proposer d’autres mesures à la législature.

M. de Muelenaere. - Messieurs, en supposant même que l’on se bornât à indiquer dans la copie les noms et les sommes, ce serait encore un travail très considérable.

On a dit que, dans les communes, la moyenne des côtes est de 5000 ; il n’en est pas de même dans les villes : le nombre des côtes y est beaucoup plus considérable, et il sera presqu’impossible d’y confectionner ces rôles d’ici au 1er avril.

Je crois que dans tous les cas il faut adopter une disposition transitoire pour cette année.

M. Vandenbossche. - Je demande qu’on sursoie au vote du § 2 de l’article.

- Le § 1er est mis aux voix et adopté.

L’ajournement du §2, proposé par M. Vandenbossche est mis aux voix et n’est pas adopté.

Ce § est ensuite mis aux voix et adopté.

La chambre adopte ensuite l’ensemble de l’article.

Article 5 (nouveau)

« Art. 5 (nouveau). L’art. 8 de la loi électorale du 3 mars 1831 est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :

« Lesdits collèges arrêteront les listes et les feront afficher pour le premier dimanche suivant. Elles resteront affichées pendant dix jours et contiendront invitation aux citoyens qui croiraient avoir des réclamations à former, de s’adresser, à cet effet, au collège des bourgmestre et échevins, dans le délai de quinze jours, à partir de la date de l’affiche qui devra indiquer le jour où ce délai expire.

« La liste contiendra, en regard du nom de chaque individu inscrit, la date de sa naissance et l’indication du lieu où il paie des contributions jusqu’à concurrence du cens électoral. S’il y a des réclamations auxquelles le collège des bourgmestre et échevins refuse de faire droit, les réclamants pourront se pourvoir à la députation permanente du conseil provincial. »

M. le président. - Ici viendrait l’amendement annoncé par M. Lebeau.

M. Delfosse. - J’ai prouvé tantôt que les mots administration communale doivent s’entendre du conseil communal et non pas du collège des bourgmestre et échevins ; on pourrait donc soutenir, s’il s’agissait d’interpréter l’art 8 de la loi électorale, que c’est le conseil et non le collège qui doit statuer sur les réclamations en matière électorale.

Mais il ne s’agit pas en ce moment d’interpréter l’art. 8, il s’agit d’introduire dans la loi une disposition nouvelle ; nous avons à examiner, en principe, ce qu’il convient de faire.

Messieurs, c’est un principe qui ne peut être contesté, que le gouvernement doit être, autant que possible, tenu en dehors des opérations électorales ; il ne faut pas qu’il y intervienne par lui-même ou par ses agents, il ne faut pas surtout qu’il intervienne dans l’examen des réclamations ; le gouvernement est partie dans les élections, il ne faut pas qu’il soit en même temps juge.

Depuis que vous avez donné au gouvernement le droit de choisir les bourgmestres, même en dehors du conseil, et le droit de les révoquer, les bourgmestres sont devenus des agents du gouvernement.

Si vous appelez le collège des bourgmestre et échevins à statuer sur les réclamations en matière électorale, il y aura, dans la plupart des communes, une voix sur trois, acquise au gouvernement, et pour peu que le gouvernement ait trouvé dans le conseil un homme de son opinion ou un homme assez faible pour céder à l’influence du bourgmestre, la majorité lui sera favorable.

Je ne dis pas que le gouvernement cherchera à exercer une influence directe sur les décisions que les collèges des bourgmestre et échevins seraient appelés à prendre en matière électorale ; je ne dis pas non plus que cette tentative, si elle était faite, ne rencontrerait pas beaucoup d’opposition ; je sais qu’il y a beaucoup de bourgmestres et d’échevins qui ne se laissent influencer par personne, mais je soutiens qu’en règle générale, les collèges des bourgmestre et échevins, tels qu’ils sont aujourd’hui composés, ne sont pas assez indépendants du pouvoir, ne présentent pas des garanties d’impartialité suffisantes pour qu’on puisse, sans danger, leur confier l’examen des réclamations en matière électorale.

On m’a objecté dans la section centrale que le danger n’est pas très grand, parce que la députation permanente est là pour redresser les erreurs que les collèges des bourgmestre et échevins pourraient commettre ; c’est là une objection qui n’est pas sérieuse.

Ce n’est pas seulement dans le choix des juges d’appel, c’est aussi dans le choix des juges du premier degré, que l’on doit chercher des garanties d’impartialité. Il arrive très souvent qu’on laisse écouler les délais d’appel, ou bien que l’appel est déclaré non recevable par suite de l’inobservation des formalités prescrites ; dans ces cas l’erreur des premiers juges devient irréparable. N’est-il pas aussi à désirer que les appels soient rares ? Les députations permanentes n’ont-elles pas assez d’affaires pour qu’on n’en augmente pas inutilement le nombre ? et le meilleur moyen d’atteindre ce but, n’est-ce pas de confier l’examen des réclamations à des hommes tout à fait indépendants ?

Si l’on veut sincèrement que les décisions soient impartiales on adoptera mon amendement, on consentira à substituer le conseil communal au collège des bourgmestre et échevins. Remarquez, messieurs, que je ne repousse pas, d’une manière absolue l’intervention du collège des bourgmestres et échevins ; les membres qui le composent prendront part aux délibérations du conseil, ils y exerceront une influence mais du moins elle ne sera pas absorbante.

M. Devaux. - Messieurs, l’article qui vous est soumis propose deux changements. Le premier est celui donc vous a entretenus l’honorable M. Delfosse. Voici le second : L’art. 8 disait, en parlant des listes primitives, que ces listes seraient affichées pendant 10 jours et que cette affiche contiendrait invitation aux citoyens qui paient le cens requis dans d’autres communes, d’en justifier à l’autorité locale dans le délai de 15 jours, etc.

Au lieu de cela, on dit : Les listes resteront affichées pendant dix jours et contiendront invitation aux citoyens qui croiraient avoir des réclamations à former, de s’adresser à cet effet au collège des bourgmestre et échevins, etc.

On ne se borne plus aux citoyens qui croient avoir le droit de se faire inscrire, on admet devant les administrations communales les réclamations en radiation d’électeurs inscrits, réclamations que la loi de 1831 n’admettait que devant la députation.

Ce changement a une assez grande portée. Je prie la chambre de m’accorder un moment d’attention, je crois que dans cet article et dans d’autres on change toute la marche des réclamations. Que se passe-t-il aujourd’hui ? L’administration communale dresse la liste primitive avec invitation aux citoyens qui croiraient devoir être portés sur cette liste et ne le sont pas, d’adresser leur réclamation à l’autorité locale. Quand des réclamations lui sont adressées, celle-ci fait une liste supplémentaire et envoie l’une et l’autre au commissaire de district. L’administration communale, une fois sa liste dressée, n’efface aucun nom qu’elle a porté sur sa liste primitive. Une fois qu’elle a porté un nom, elle ne le retranche plus. Elle peut ajouter à sa liste, si elle trouve la réclamation fondée, mais elle ne peut pas retrancher. Si on veut faire effacer un nom qui ne doit pas figurer sur la liste, il faut s’adresser à la députation permanente, C’est la députation permanente qui, en vertu du deuxième § de l’art. 12, prononce la radiation.

« Tout individu jouissant des droits civils et politiques pourra réclamer contre chaque inscription indue. Dans ce cas, le réclamant joindra à sa réclamation la preuve qu’elle a été par lui notifiée à la partie intéressée, laquelle aura 10 jours pour y répondre, à partir de celui de la notification. »

Et l’article suivant porte :

« La députation permanente du conseil provincial statuera sur ces demandes dans les cinq jours après leur réception. »

Ainsi, toute demande en radiation doit être faite primitivement à la députation permanente. Ce n’est pas le conseil communal qui efface un nom de la liste, une fois qu’elle a été publiée. D’après les changements proposés, l’administration communale pourra, en cas de réclamation, effacer un nom qu’elle aurait porté sur la liste primitive.

On me dit qu’il en est ainsi dans la loi provinciale. Je répondrai que nous sommes dans la loi électorale des chambres. Mais on ne se borne pas à modifier la loi de 1831, en ce qui concerne les radiations. Je vous prouverai ensuite qu’il y a aussi modification en matière d’inscriptions nouvelles.

Voici le danger. Vous êtes électeur, vous êtes inscrit sur la liste de votre commune, vous vous reposez sur cette inscription et ne vous en occupez plus, mais il se trouve que l’administration communale reçoit une réclamation contre votre inscription. Vous n’en savez rien. L’administration communale n’est pas tenue de vous notifier la réclamation, non plus que celui qui l’a faite ; vous êtes donc rayé sans le savoir, vous reposant sur les listes primitives. Si on avait réclamé auprès de la députation permanente, en vertu de l’art. 4, on est obligé de vous notifier la réclamation. L’art. 12 le prescrit.

Vous voyez donc, messieurs, que ce n’est que quand vous réclamez auprès de la députation, qu’il peut y avoir notification à la partie intéressée.

Mais, si vous admettez que l’administration communale peut effacer un nom qu’elle a porté une première fois sur la liste, vous admettez qu’un électeur peut se trouver effacé, sans connaître sa radiation.

M. de Theux. - J’engage l’honorable M. Devaux à lire l’article 2 de la loi du 25 juillet 1834.

M. Devaux. - Si cette loi, que je n’ai pas sous les yeux, modifie la loi de 1831, c’est différent.

M. de Theux. - Les observations présentées par l’honorable M. Devaux sont justes, sous le système de la loi de 1831, mais sous le système de la loi de 1834, ces inconvénients n’existent plus. L’article 1er porte :

« Lorsqu’en exécution de l’art. 7 de la loi du 3 mars 1831, les administrations communales, en procédant la révision des listes électorales, rayeront les noms d’électeurs portés sur les listes de l’année précédente, elles seront tenues d’en avertir ces électeurs, par écrit et à domicile, au plus tard dans les 48 heures, à compter du jour où les listes auront été affichées, en les informant des motifs de cette radiation ou omission. »

L’art. 2 porte :

« Le même avertissement sera donné, dans les 48 heures de la date de la clôture définitive de la liste, aux personnes portées sur la liste affichée, et dont les noms seront rayés par les administrations communales lors de cette clôture définitive. »

Vous voyez donc, messieurs, qu’il est entièrement pourvu à l’inconvénient signalé par l’honorable préopinant. Inconvénient qui eût été très grave. L’article 3 ajoute : « Les modifications seront faites sans frais, etc. » Je pense donc qu’il a été pourvu à tous les inconvénients.

M. Devaux. - Je vois en effet que d’après cette modification à la loi électorale de 1831, les personnes intéressées seront au moins prévenues.

Mais je ferai remarquer qu’un autre changement a été introduit dans le projet de loi, et je ne pense pas que la loi de 1834 remédie à l’inconvénient que j’y trouve ; il concerne non les radiations, mais les inscriptions.

D’après la loi de 1831, tout individu, pour être inscrit, doit d’abord commencer par s’adresser à l’administration communale, et la députation ne pouvait l’inscrire que lorsque l’administration communale s’était occupée de la réclamation. Ainsi l’article 12 disait :

« Tout individu, indûment inscrit, omis, rayé, ou autrement lésé, dont la réclamation n’aurait pas été admise par l’administration communale, pourra s’adresser à la députation permanente du conseil provincial, en joignant les pièces à l’appui de sa réclamation. »

Ainsi, pour être inscrit, il fallait nécessairement avoir passé par la juridiction de l’administration communale. D’après la loi qu’on vous propose, la députation, si je ne me trompe, pourra inscrire d’office ; on dit :

« Le commissaire de district pourra, d’office, dans les 10 jours de la réception de la liste, interjeter appel auprès de la députation permanente contre toute inscription, omission ou radiation indue, enjoignant les pièces à l’appui de l’appel. »

Le mot d’appel semble dire que le commissaire s’adresse à la députation en seconde instance ; mais, quand c’est un appel contre une omission, la députation, en réalité, arrive en première instance. Ainsi la députation pourra inscrire des individus qui n’auront pas été contrôlés en quelque sorte. Quand l’individu pour être inscrit doit s’adresser d’abord à l’administration communale, sa demande a de la publicité ; on sait que tel individu s’est adressé à l’administration communale et que cette administration l’a refusé ; l’affaire arrive à la députation en deuxième instance. Mais d’après l’article actuellement en discussion, le commissaire de district peut dire à la députation : On a oublié de porter sur la liste tel individu, il faut le porter en vertu de tel titre. Il pourrait ainsi arriver qu’au dernier moment un grand nombre d’individus se trouvassent portés de cette manière sur la liste, sans que personne en fût instruit, sans qu’aucun contrôle ait lieu de la part des autres électeurs.

On change donc le système de réclamation, en ce sens qu’on permet à la députation permanente d’agir en première instance pour les inscriptions, et il me semble qu’elle ne devait agir qu’en appel. Si l’on admet la disposition relative au commissaire de district, contre laquelle je me propose de m’élever, supposez un commissaire de district (les lois sont faites en défiance des hommes), supposez un commissaire de district d’accord avec une députation ou ayant affaire à une députation négligente qui s’en rapporte à ses allégations, et on pourra faire, au dernier moment, dans l’ombre, une fournée d’électeurs qui viendront emporter la balance d’un côté. On pourrait ainsi réserver pour le dernier moment les électeurs suspects, et les soustraire ainsi au contrôle du pays.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, la rédaction de la loi de 1831 a été changée, parce que nous avons reconnu qu’elle était le fruit d’une erreur ; qu’en restreignant l’avertissement aux personnes qui avaient payé des contributions dans d’autres communes, on n’avait pas assez fait, et que, dans la loi électorale elle-même, il y a des dispositions qui supposent que les bourgmestres et échevins sont appelés à juger des réclamations ; c’est ce qui résulte de la loi de l834, qui a été citée.

Il est très vrai que le commissaire de district pourra placer de plano ces questions devant la députation. Mais il y a un moyen de contrôle, un moyen de publicité dans l’amendement de l’honorable M. Mercier ; et, en second lieu, toute personne jouissant des droits civils et politiques aura le même droit. Ainsi, des personnes qui agiront dans leur intérêt devront, pour pouvoir s’adresser à la députation permanente, s’être adressées d’abord à l’autorité communale. Les personnes qui exerceront l’action publique et les commissaires d’arrondissement qui, si la disposition est admise, seront appelés à l’exercer aussi, pourront en appeler à la députation permanente sans avoir réclamé auprès du collège des bourgmestre et échevins. Mais il n’y a là aucun danger, parce que, d’après l’amendement de l’honorable M. Mercier, au principe duquel j’adhère très volontiers et qui étend les dispositions de la loi de 1834, il y aura publicité et contrôle.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, j’ai demandé la parole, pour présenter d’abord quelques observations sur l’amendement proposé par l’honorable M. Delfosse et ensuite pour ajouter quelques mots sur ce que vous a dit tout à l’heure l’honorable M. Devaux.

Messieurs, il existe des anomalies choquantes entre la loi électorale et la loi communale, et il conviendrait, puisque l’occasion s’en présente, d’examiner s’il n’y aurait pas lieu de faire disparaître ces anomalies. Elles consistent en ce que, pour les réclamations formées contre les listes électorales quand il s’agit des élections générales, c’est le collège des bourgmestre et échevins qui prononce, et que, quand il s’agit des listes pour les élections communales, c’est le conseil tout entier qui juge les réclamations.

Je crois, messieurs, qu’il importe de faire disparaître autant que possible des anomalies semblables de notre législation électorale. Car ces lois doivent être appliquées par les administrations communales qui, dans les communes rurales, sont loin d’être composées de légistes ; et, par conséquent, il est important qu’elles soient le plus claires, le plus faciles à appliquer possible.

Il y a eu une interprétation donnée en 1840, et, ensuite par un arrêt de la cour de cassation, des dispositions de la loi électorale, en ce qui concerne le corps qui doit juger des réclamations. Je ne prétends nullement critiquer cette interprétation, mais au moins on peut dire que la question était fort douteuse, et la preuve, messieurs, c’est que jusqu’en 1840, dans plusieurs provinces et notamment dans celles de Liége, de Namur et de Luxembourg, c’étaient les conseils communaux qui prononçaient sur les réclamations en matière de listes électorales, tandis que pour les autres provinces, dans certaines localités, c’étaient les collèges des bourgmestre et échevins, et dans d’autres c’étaient les conseils communaux.

Dans mon opinion, messieurs, ces décisions rentrent bien plutôt dans le cercle des attributions des conseils que dans le cercle des attributions des collèges. En effet, quelle est la différence entre le collège et le conseil ? Le collège exécute, le conseil délibère. Or, il s’agit ici d’une délibération. Par conséquent, il me semble que c’est plutôt au conseil qu’elle appartient.

Il faut bien distinguer deux choses dans la formation des listes. Il y a d’abord une opération toute matérielle ; c’est celle qui s’exécute du 1er au 15 avril. Cette opération appartient nécessairement au collège échevinal. Il s’agit là de l’exécution ; il s’agit de rassembler les éléments d’un travail préparatoire.

Mais après que les listes ont été affichées, on entre dans un autre ordre de choses. Il s’agit du jugement à prononcer sur les droits des citoyens. Eh bien ! ce jugement rentre bien plutôt dans les attributions du conseil communal que dans celles du conseil échevinal. Je crois que dans les attributions des bourgmestres et échevins on chercherait vainement un cas où ils prononcent des décisions de l’espèce.

D’un autre côté, il y a quelque chose d’étrange à attribuer aux corps qui forment les listes le droit de juger leurs propres actes. Dans les communes rurales surtout, c’est souvent le bourgmestre seul, ou assisté de son secrétaire qui rédige les listes. Ensuite, si l’on forme une réclamation contre ces mêmes listes, c’est encore le bourgmestre, assisté d’un échevin, si vous voulez, qui prononce sur la question de savoir si les listes ont été bien formées. Dans beaucoup de cas, autant vaudrait dire qu’on supprime le premier degré de juridiction en matière d’appel.

Dans le projet de loi qui vous est proposé on a introduit la faculté d’appel en faveur des commissaires d’arrondissement. Pourquoi veut-on introduire cette faculté ? C’est évidemment parce qu’on se défie de la manière dont les listes sont faites par les administrations locales. Si l’on ne s’en défiait pas, on n’introduirait pas cette innovation, ce droit nouveau. Eh bien, dans le conseil communal, vous trouvez une grande garantie, à cet égard. Le conseil communal exercera un contrôle sur les opérations du collège. Quand le collège sait que s’il y a des réclamations, ce sera lui qui les jugera, il peut se permettre des négligences, de la partialité même. Mais quand il saurait que c’est le conseil communal qui doit prononcer, il mettrait naturellement plus de précautions, de soin et d’impartialité. Je ne connais, quant à moi, aucun cas où ces abus pourraient être signalés ; si j’en parle, c’est que dans les lois électorales on peut se permettre la défiance.

Dans la section centrale il a été question de cette disposition. On y a opposé ceci : c’est qu’il y aurait bien moins de célérité dans les opérations du conseil communal que dans celles du collège. Mais à cela on peut répondre, que pendant dix années les conseils communaux de plusieurs provinces ont jugé en matière d’appel, et qu’on n’a pas remarqué qu’il y ait eu de longs retards. D’ailleurs, les listes pour les élections communales et pour les élections générales se forment en même temps ; lorsque les conseils communaux jugeraient en matière d’appel pour les listes communales, ils pourraient en même temps décider pour les autres listes. Il n’y aurait donc pas de retards.

Il peut se présenter des contradictions frappantes dans l’ordre de choses actuel entre les décisions du collège et celles du conseil. Tandis que le collège échevinal aura admis un individu, le conseil communal l’aura peut-être repoussé. Ainsi quelqu’un demandera à être inscrit sur les listes générales, il sera admis par le collège. Il devra ensuite s’adresser au conseil pour être électeur communal, et le conseil rejettera peut-être sa réclamation. Il en sera de même pour les inscriptions indues. Le conseil reconnaîtra qu’une inscription est indue, le collège pourra décider le contraire. Voilà des contradictions qui doivent naître du peu de concordance entre nos lois électorales.

Je ne vois pas, dans tous les cas, quel intérêt d’opinion on peut avoir à ce que ce soit le collège échevinal, et non le conseil communal, qui juge des réclamations. Je pense, quant à moi, qu’on ne saurait signaler aucun inconvénient à donner ce droit au conseil tandis qu’on y trouve, d’une autre part, plus de garanties.

Messieurs, l’honorable M. Devaux a appelé, tout à l’heure, votre attention sur une disposition d’un article auquel nous ne sommes pas encore parvenus, mais qui mérite cependant d’être signalé à l’attention de la chambre.

D’après cette disposition, on supprime un degré de juridiction. C’est là une chose très importante, sur laquelle la chambre doit, me semble-t-il, bien réfléchir. En matière d’appel, avec la législation actuelle, il y a deux degrés de juridiction. Lorsqu’un citoyen réclame le droit d’être porte sur les listes, il doit s’adresser d’abord au collège des bourgmestre et échevins. Si le collège repousse sa demande, il s’adresse à la députation permanente. Il y a jurisprudence formelle ; la députation ne peut, d’après un arrêt de la cour de cassation, juger qu’en degré d’appel ; il faut qu’il y ait décision d’abord de la part du conseil communal ou du collège des bourgmestre et échevins, Eh bien, il n’y aura plus maintenant qu’un degré de juridiction. Car si le commissaire d’arrondissement et tous les individus peuvent s’adresser directement à la députation permanente, je ne vois pas à quoi leur servirait de s’adresser d’abord au conseil. Ainsi, un individu qui est porté sur la liste ne peut maintenant en être rayé que par suite de deux décisions : la décision du collège des bourgmestre et échevins ou du conseil communal, suivant la nature des listes, et la décision de la députation. Avec le projet, au contraire, lorsqu’un individu ou le commissaire réclamera contre une inscription qu’il prétendra indue, il suffira d’une décision de la députation permanente pour rayer un citoyen possédant peut-être les droits d’être électeur.

Voilà donc une garantie très importante qui manquera maintenant à tout citoyen jouissant des droits électoraux,

M. de Garcia. - Messieurs, un amendement est présenté à l’article en discussion ; il a pour objet de conférer au conseil communal un droit que le projet de loi accorde au collège des bourgmestre et échevins. Messieurs, les motifs que l’on a fait valoir pour soutenir cet amendement ne me paraissent fondés ni en droit ni en raison.

On a invoqué la constitution pour prétendre que la connaissance des réclamations dont il est question devait être conférée au conseil communal. Quant à moi, messieurs, je n’ai jamais compris la constitution ni l’article que l’on invoque dans ce sens ; et je crois que la législature l’a interprété tout autrement lorsqu’elle a fait la loi communale. Il me suffit, pour prouver ce que j’avance, de lire l’article 90 de la loi communale. IL est conçu de la manière suivante :

« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé de l’exécution des lois, arrêtés et ordonnances de l’administration générale ou provinciale. »

Messieurs, dans l’opération dont il est question, s’agit-il d’autre chose que d’assurer l’exécution d’une loi générale ?

On a parlé de jugement, et je veux bien accepter ce mot, c’est peut-être un jugement que prononce l’autorité communale ; mais c’est un jugement de jurés ; c’est-à-dire qu’elle n’apprécie que des faits, et je dis que conférer l’appréciation de ces faits à l’autorité communale proprement dite, c’est-à-dire au conseil communal, ce serait entraver les opérations administratives sans utilité aucune, et que conférer ce droit aux collèges des bourgmestre et échevins ne porte en aucune manière atteinte à aucun principe constitutionnel.

Je prétends que l’article 90, qui contient une véritable interprétation de la constitution, ou qui, tout au moins, n’est pas inconstitutionnel, que cet article, en conférant au collège des bourgmestre et échevins l’exécution des lois générales, a nécessairement dû lui conférer aussi l’appréciation et l’application des dispositions de loi qui règlent la validité de la qualité d’électeur.

Messieurs, si l’on se rendait bien compte des rouages des administrations communales, on verrait que conférer au conseil tout entier la connaissance des réclamations dont il s’agit, ce serait entraver, rendre presque impossible toute décision sur ces réclamations. Pour prouver cela, je rappellerai quelques articles de la loi communale. Je ferai d’abord remarquer qu’aux termes de la loi en discussion, le délai dans lequel on peut faire des réclamations est fort court, qu’il n’est que de 15 jours. Voici en effet comment la loi est rédigée :

« Lesdits collèges arrêteront les listes et les feront afficher pour le premier dimanche suivant. Elles resteront affichées pendant dix jours, et contiendront invitation aux citoyens qui croiraient avoir des réclamations à former, de s’adresser, à cet effet, au collège des bourgmestre et échevins, dans le délai de quinze jours, à partir de la date de l’affiche qui devra indiquer le jour où ce délai expire. »

Messieurs, il y a 15 jours, à partir de la date de l’affiche. Or, d’après les dispositions de la loi communale, la réunion des conseils communaux ne peut avoir lieu qu’à la suite d’une convocation faite deux jours francs à l’avance. On m’objectera peut-être que l’on peut déclarer l’urgence et convoquer, en conséquence, dans un délai plus court ; à cette dernière objection je répondrai d’abord que l’urgence doit être déclarée par le conseil, et qu’à défait de s’assembler, il pourra se faire que l’urgence ne pourra être déclarée. Quiconque connaît les administrations communales, sait que souvent il faut faire trois convocations successives pour avoir une réunion, je dis trois convocations, parce que, après cette formalité, les membres présents peuvent statuer sur tous les objets qui leur sont soumis. Ces trois convocations supposent un délai de 7 à 8 jours au moins. Voyez combien de temps vous allez perdre ; il restera 7 à 8 jours ou plus pour faire tout le travail prescrit par la loi, et si, comme cela arrive presque toujours, surtout dans les campagnes, où, je suis fâché de le dire, on préfère généralement s’occuper de ses intérêts particuliers que des intérêts généraux, si, dis-je, il faut convoquer le conseil communal trois fois de suite, il sera presque impossible d’avoir le temps de statuer sur les réclamations dont il s’agit. Je dis qu’il faudra souvent faire trois convocations de suite, et cela comme je l’ai déjà dit, parce que ce n’est qu’après la troisième convocation que la loi autorise le collège des bourgmestre et échevins à prendre une résolution, quel que soit le nombre des membres du conseil communal présents.

Vous voyez, messieurs, que lorsqu’on apprécie l’état des rouages de l’administration communale, on doit reconnaître qu’il est presque impossible de conférer au conseil communal la connaissance des réclamations dont il s’agit, attendu qu’il sera très difficile d’obtenir une décision, tandis que si vous attribuez la connaissance de ces réclamations au collège des bourgmestre et échevins, une décision interviendra toujours, puisque ce sont là des fonctionnaires que le gouvernement peut faire marcher, des fonctionnaires qui sont nommés par lui et qu’il peut destituer lorsqu’ils ne remplissent pas leur devoir.

Cette action du gouvernement, je l’approuve, messieurs, c’est ainsi que j’entends les libertés communales ; je veux que le gouvernement puisse ramener les autorités communales dans la ligne de leurs devoirs, lorsqu’elles s’en écartent, ou qu’elles refusent de remplir leurs devoirs et de satisfaire aux besoins publics.

M. de Theux. - Messieurs, je dirai comme l’honorable M. d’Hoffschmidt qu’il n’y a ici aucune espèce d’intérêt à conférer le jugement sur les réclamations qui concernent la formation des listes électorales plutôt au collège des bourgmestre et échevins qu’au conseil communal ; pour moi, il me serait tout à fait indifférent que ce jugement fut conféré aux conseils communaux, si la chose était possible, mais il me sera très facile de démontrer qu’il y a impossibilité complète de le faire, en ce qui concerne les listes pour les élections générales. On s’est prévalu de la disposition de la loi communale qui confère aux conseils communaux le jugement des réclamations relatives aux listes électorales. Je ferai remarquer en passant que cela était nécessaire, puisque les élections communales sont d’un intérêt exclusivement local ; ici la mesure ne présentait d’ailleurs aucune espèce d’inconvénient, puisque les listes pour les élections communales sont préparées au mois d’avril et que les élections n’ont lieu qu’au mois d’octobre. On pourrait dès lors accorder des délais suffisants pour que le conseil communal fût mis à même de prononcer en connaissance de cause. En effet, la loi communale a accordé au conseil un délai de 10 jours. Eh bien, messieurs, en ce qui concerne les élections générales, il est impossible d’accorder un semblable délai : les élections se font au mois de juin, s’il s’agit des chambres, et au mois de mai s’il s’agit des conseils provinciaux. Dès lors les listes doivent être arrêtées d’urgence par le collège des bourgmestre et échevins pour que les réclamations en appel puissent être jugées par la députation et pour qu’il soit possible de former un recours en cassation. Aussi la loi du 3 mars 1831 a-t-elle statué que le collège des bourgmestre et échevins doit juger immédiatement et sans désemparer, aussitôt le délai expiré, sur les réclamations qui lui sont adressées et arrêter immédiatement les listes. Si, au lieu d’ordonner au collège des bourgmestre et échevins de juger immédiatement ces réclamations, on en déferait le jugement au conseil communal, en lui accordant un délai de 10 jours, délai qui serait indispensable, ce seraient 10 jours de perdus pour l’instance d’appel auprès de la députation et pour le recours en cassation. De cette manière, les listes, soit pour les conseils provinciaux, soit même pour les chambres, ne pourraient pas avoir subi en temps utile les trois degrés de juridiction.

L’honorable M. d’Hoffschmidt dit que, pendant le délai de dix jours et en s’occupant des listes communales, les conseils communaux pourraient s’occuper en même temps des listes générales. J’ai déjà fait remarquer que ce délai de dix jours rendrait impossible le recours en appel et en cassation ; mais c’est précisément parce qu’ils sont occupés à cette époque de réclamations concernant les listes relatives aux élections communales, qu’ils pourraient d’autant moins se livrer à l’examen des réclamations formées contre les listes générales.

Vous voyez donc, messieurs, qu’il a impossibilité absolue de conférer la connaissance des réclamations dont il s’agit aux conseils communaux, à moins de changer l’époque de la formation des listes électorales. D’ailleurs la constitution laisse au pouvoir législatif la faculté d’attribuer le jugement de ces réclamations au collège des bourgmestre et échevins ; l’art. 93 de la constitution prévoit une juridiction spéciale en matière électorale, et cette juridiction peut être organisée par la loi. Nous sommes donc entièrement libres de conférer cette juridiction soit au collège des bourgmestre et échevins, soit au conseil communal.

Maintenant y a-t-il danger à laisser subsister l’état actuel des choses ? Je dis laisser subsister l’état actuel des choses, car depuis la circulaire adressée aux autorités communales par l’honorable M. Liedts, il n’y a plus de difficulté sut ce point, ce sont partout les collèges des bourgmestre et échevins qui statuent sur ces sortes de réclamations. Eh bien, messieurs, je pense qu’il n’y a aucune espèce de danger à laisser subsister ce système. Je pense aussi qu’il n’y a pas la moindre utilité à déférer la connaissance des réclamations dont il s’agit aux conseils communaux, puisque vous avez un deuxième degré d’instance auprès de la députation permanente. Ceux qui ont moins de confiance dans le collège des bourgmestre et échevins que dans le conseil communal trouveront dans l’appel devant la députation permanente des garanties, qui sont considérablement augmentées par le nouveau projet, puisque tout individu jouissant des droits civils et politiques peut intenter cet appel.

Il n’y a donc aucune espèce de motif pour changer l’ordre actuel, et il y a impossibilité de le faire, car vous ne pouvez pas rapprocher l’époque de la formation des listes à cause de l’impossibilité où l’on serait de reconnaître quelles contributions chacun paie, à cause de l’impossibilité où l’on serait de se procurer les documents nécessaires pour justifier que, dans l’année courante, on payera le cens électoral. Vous ne pouvez pas non plus accorder aux conseils communaux un délai suffisant pour qu’ils puissent examiner les réclamations dont il s’agit, et conséquemment force vous est de maintenir l’ordre actuel.

J’arrive, messieurs, à l’observation faite par l’honorable M. Devaux. Je voudrais qu’il fût possible au collège des bourgmestre et échevins de statuer en première instance sur les réclamations faites par le commissaire d’arrondissement ou par les citoyens, mais ici encore, il y a impossibilité, parce que le temps manque. D’ailleurs, rien ne prouve encore une fois la nécessité d’un semblable mode de procéder. Le commissaire d’arrondissement, le plus communément, ne fera de réclamation auprès de la députation permanente que lorsqu’il résultera de l’inspection des rôles de contribution qu’il y a eu omission ou inscription indue. Ce sera là le cas le plus ordinaire. Veuillez remarquer, messieurs, qu’aux termes de la loi de 1831, les listes sont préparées par les administrations communales, sans aucun document officiel, car on remet simplement une feuille volante sur laquelle se trouvent les noms des personnes portées sur les rôles des contributions pour une somme égale au cens électoral, et cette liste n’est pas même certifiée par le receveur ; elle n’est signée par personne. Aujourd’hui, il devra être remis un double des rôles entiers, signé par le receveur et certifié véritable par le contrôleur. C’est là une grande garantie introduite dans la loi. Eh bien, ce double du rôle devra être communiqué également à la députation permanente qui pourra, d’après l’examen de ce document, former son jugement sur les divers appels qui pourront lui être adressées, si les appels sont fondés sur d’autres documents, sur des titres de propriété, par exemple ; dans ce cas, ce sera encore un titre et un titre officiel sur lequel la députation aura à statuer.

On pourrait, messieurs, satisfaire à l’observation de l’honorable M. Devaux en indiquant à l’art. 7 quelle sera la nature des documents dont l’appel formé, soit par le commissaire d’arrondissement, soit par toute autre personne, devra être accompagné, lorsqu’il s’agira de personnes omises sur la liste. On pourrait stipuler, par exemple, que le nom de l’individu omis sera immédiatement adressé aux autorités communales du lieu de sa résidence et des diverses localités où il paie les contributions du chef desquelles on veut le faire inscrire, avec invitation aux autorités communales de faire parvenir immédiatement à la députation les observations qu’elles auraient à présenter. J’indique ces moyens, messieurs, parce que je les crois préférables à ceux qui seraient prescrits par l’amendement de l’honorable M. Mercier, contre lequel je n’ai, du reste, aucune objection à faire, si ce n’est qu’il me semble offrir moins de garanties que les mesures que je viens d’indiquer et que, d’un autre côté, il entraînerait encore une perte de temps trop considérable pour qu’on puisse exercer le recours en cassation et qu’il puisse être statué par une autre députation à laquelle la cour de cassation aurait renvoyé l’affaire.

Je me réserve donc, messieurs, lorsque cet article sera adopté, de présenter quelques dispositions additionnelles, si M. le ministre ou M. le rapporteur de la section centrale ne fait pas une proposition dans le sens de celles que je viens d’indiquer et qui me semblent de nature à offrir toute garantie. De cette manière disparaîtront les inconvénients que l’on a cru devoir résulter de l’élargissement du cercle d’appel, élargissement qui est évidemment. dans l’intérêt public, puisqu’il importe que tous les citoyens remplissant les conditions voulues par la loi, soient portés sur les listes électorales, afin que les élections soient l’expression véritable de l’opinion du pays.

M. le président. - Voici un amendement qui a été déposé par M. Malou :

« Remplacer la première partie du deuxième paragraphe de l’article 5, par la disposition suivante :

« La liste contiendra, en regard du nom de chaque individu inscrit, le lieu et la date de sa naissance, la date de sa naturalisation, s’il y a lieu, l’indication du lieu où il paie des contributions jusqu’à concurrence du cens électoral, et de la nature de ces contributions en les distinguant en trois catégories, savoir : 1° la contribution foncière ; 2° la contribution personnelle ; 3° les patentes. »

Cet amendement rentre dans celui de M. Lebeau.

M. Lebeau. - Je m’y rallierai.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je m’étais réservé, messieurs, de me prononcer sur l’amendement de l’honorable M. Lebeau ; je ne m’opposerai pas à ce qu’on l’adopte maintenant dans la forme que M. le rapporteur vient de lui donner, Il doit y avoir un second vote, et nous verrons d’ici là, si cet amendement, dans le cas où il serait adopté aujourd’hui, devrait être maintenu.

M. Delfosse. - Messieurs, l’honorable M. de Garcia et l’honorable M. de Theux sont d’accord pour combattre mon amendement. L’honorable M. de Garcia s’est fondé sur l’art. 90 de la loi communale, qui porte que « le collège des bourgmestre et échevins est chargé dans la commune, de l’exécution des lois d’intérêt général. »

Je reconnais, avec l’honorable M. de Garcia, que la loi électorale est une loi d’intérêt général ; mais il est évident que l’art. 90 de la loi communale ne peut pas être un obstacle à ce que le législateur fasse, s’il le trouve bon, intervenir le conseil communal dans l’exécution de quelques lois. Il est évident, que si le législateur trouve qu’il y a un motif suffisant pour faire intervenir le conseil communal dans l’exécution d’une loi, il ne doit pas être arrêté par la considération qu’il aurait confié, en règle générale, l’exécution des lois au collège des bourgmestre et échevins ; celui qui a posé la règle peut poser l’exception des mesures analogues sont prises pour les administrations provinciales. Il y a une disposition de la loi provinciale qui porte que le gouverneur est chargé, dans la province, de l’exécution des lois d’intérêt général. Cela n’empêche pas que d’autres dispositions ne confient à la députation permanente l’exécution de diverses lois très importantes ; c’est ainsi que la députation est appelée à intervenir dans l’examen des réclamations en matière de contributions et en matière de milice, on a voulu, dans ces cas, donner des garanties aux particuliers contre l’influence du pouvoir, je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas faire intervenir le conseil communal dans l’examen des réclamations en matière électorale ; c’est surtout en cette matière qu’on doit donner aux citoyens des garanties contre le pouvoir.

L’honorable M. de Garcia a fait encore une autre objection qui a été reproduite par l’honorable M. de Theux. L’honorable M. de Garcia nous a dit : « Il y a un grand inconvénient pratique ; le conseil communal ne peut pas se réunir aussi facilement et aussi souvent que le collège des bourgmestre et échevins, et le gouvernement peut imprimer aux travaux du collège des bourgmestre et échevins une grande célérité ; le gouvernement peut faire marcher ces collèges. »

C’est précisément parce que le gouvernement peut faire marcher ces collèges, que je repousse leur intervention ; je n’aime pas à confier l’examen des réclamations, en matière électorale, à des corps que, de l’aveu de l’honorable M. de Garcia, le gouvernement peut faire marcher.

Il y a, dit l’honorable M. de Theux, une impossibilité absolue dans la pratique. J’avoue que cette observation m’étonne de la part d’un homme qui été ministre de l’intérieur, et qui, en cette qualité, a pu s’assurer par lui-même qu’il n’y avait pas la moindre impossibilité pratique.

En effet, avant la circulaire émanée de l’honorable M. Liedts, les conseils communaux étaient appelés dans beaucoup de provinces à statuer sur les réclamations en matière électorale ; même après la circulaire, il ya des conseils communaux, et, entre autres, le conseil communal de Liége, qui ont persisté à intervenir. Il a fallu un arrêté royal pour empêcher l’intervention du conseil communal de Liège.

L’honorable M. de Theux encore présenté une objection à laquelle j’avais déjà répondu. Il a dit : mais si le collège des bourgmestre et échevins ne présentait pas assez de garanties d’impartialité, la députation permanente n’est-elle pas là pour redresser les erreurs. J’avais répondu d’avance à cette objection, j’avais dit qu’il importe que les juges de première instance présentent les mêmes garanties que les juges d’appel. M. de Theux n’a pas répondu un mot aux considérations que j’avais fait valoir sur ce point.

Messieurs, prenez-y garde, vous avez conféré au gouvernement le droit de nommer les bourgmestres en dehors du conseil ; n’aggravez pas le mal en donnant aux bourgmestres trop d’attributions et surtout trop d’influence sur les élections.

M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, un honorable préopinant a dit qu’il y aurait impossibilité de confier aux conseils communaux le droit de statuer sur les réclamations en matière électorale. Déjà l’honorable M. Delfosse a démontré que cette impossibilité n’existe pas. En effet, ce droit a été exercé pendant 10 années par les conseils communaux dans presque toutes les provinces.

Voici ce que l’on trouve dans la circulaire de l’honorable M. Liedts, datée du 20 août 1840 et qui est annexée au rapport de la section centrale :

1° Que dans trois provinces, celles de Liège, Luxembourg et Namur, ce sont les conseils communaux seuls qui statuent sur les réclamations de l’espèce ;

2° Qu’il en est de même, généralement, dans la province de Limbourg ;

3° Que dans les provinces d’Anvers, de Brabant, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale et du Hainaut, la loi est diversement exécutée ; que dans une partie des villes et des communes rurales, les réclamations sont déférées au conseil ; qu’ailleurs elles sont jugées par le collège des bourgmestre et échevins.

Ainsi, pendant dix ans, dans la plupart des communes du royaume, les conseils communaux ont prononcé sur ces réclamations.

L’honorable M. de Garcia a dit que quand on a quelque connaissance des rouages administratifs, on peut apprécier les retards que les décisions de l’espèce éprouvent. Or, j’ai été pendant 6 années membre de la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg ; l’honorable M. Delfosse a fait aussi partie de la députation permanente d’une province où les conseils communaux ont connu de ces réclamations, et jamais nous n’avons eu connaissance de retards préjudiciables dans ces sortes de décisions.

D’un autre côté, cette impossibilité n’existe pas pour les décisions en matière de listes pour les élections communales. Or, les listes pour les élections communales sont quatre fois aussi considérables que les listes pour les élections générales.

L’honorable M. de Theux répond à cela que les élections pour les communes ont lieu en octobre. Cela est vrai ; mais la loi communale, dans son article 15, n’en dit pas moins que le conseil communal doit se prononcer dans les dix jours sur ces réclamations, comme pour celles qui concernent les listes générales.

D’ailleurs la liste pour les élections générales sert pour former la liste pour les élections communales ; elle y est comprise tout entière. Ainsi les réclamations qui sont faites contre la liste des électeurs pour la chambre doivent être aussi formées pour les listes relatives aux élections communales ; car si l’on prétend qu’un électeur n’a pas le droit de figurer sur la liste destinée aux élections générales, à plus forte raison doit-on réclamer relativement à son inscription sur la liste des électeurs communaux.

D’un autre côté, ces retards ne doivent pas vous effrayer, car presque toutes les décisions en cette matière ne demandent pas une longue délibération. Il peut certainement se présenter quelques cas difficiles, en matière de naturalisation, par exemple ; mais quand il s’agit de questions concernant le cens ou l’âge du réclamant, il ne faut pas beaucoup de temps pour se prononcer à cet égard.

Ainsi, l’impossibilité qu’on a signalée n’existe pas.

Maintenant y aurait-il avantage à établir de l’harmonie entre la loi électorale et la loi communale, sur cette matière ? C’est ce qui n’est point douteux, car cela éviterait des contradictions dans les décisions et cela ferait disparaître une anomalie que rien ne justifie.

M. de Garcia. - Messieurs, pour soutenir qu’il n’y avait rien d’inconstitutionnel à ce qu’on conférât au collège des bourgmestre et échevins la connaissance des réclamations dont nous nous occupons, j’ai cité l’art. 90 de la loi communale, mais je n’ai pas prétendu inférer de là que la législature ne pouvait pas attribuer au conseil communal le droit de connaître de ces réclamations, j’ai seulement voulu démontrer par la généralité de ces articles qu’il n’y avait rien d’inconstitutionnel dans la disposition présentée par le gouvernement. La disposition absolue de la loi communale justifie que de toute inconstitutionnalité le principe de la loi qui vous est soumise.

Ainsi, à ce point de vue, je suis d’accord avec l’honorable M. Delfosse, mais à un autre point de vue, je ne suis pas d’accord avec lui, au moins jusqu’ici.

Je prétends que le gouvernement peut faire marcher le collège des bourgmestre et échevins, et l’obliger à statuer sur les réclamations ; mais je n’entends pas par là que le gouvernement puisse forcer ce collège de juger dans tel ou tel sens ; je dis seulement que le gouvernement ne ferait pas son devoir, s’il n’obligeait pas cette partie de l’administration publique à juger les cas qui lui sont soumis. Ainsi, après cette explication, je pense que je serai encore tout à fait d’accord avec l’honorable M. Delfosse sur ce point.

Messieurs, j’ai fait ressortir les difficultés qu’il y avait à faire marcher les conseils communaux, s’ils montraient de la mauvaise volonté. En effet, si une administration communale ne voulait pas s’occuper des réclamations, quel moyen y aurait-il de l’y contraindre ? Je défie d’en citer un seul.

A la vérité, l’honorable M. d’Hoffschmidt, invoquant son expérience ainsi que celle de l’honorable M. Delfosse, a dit que les conseils communaux avaient connu de ces réclamations par le passé, et qu’il n’était résulté de là aucun inconvénient. Mais, messieurs, on ne peut pas se le dissimuler, ces opérations qui, jusqu’à ce jour, ont eu lieu presque sans réclamation, présentent des résultats tout différents.

Depuis que des fraudes ont été signalées, que la susceptibilité et l’attention de tous les citoyens ont été réveillées, les réclamations peuvent se multiplier à l’infini. Il ne faut se faire illusion sur ce point ; la loi que nous faisons a surtout pour objet de mettre tous les citoyens dans la position la plus facile de faire valoir leurs justes réclamations. Les citoyens sont aussi devenus plus jaloux de la jouissance de leurs droits politiques. Il y aura évidemment plus de réclamations que par le passé. Ainsi, le passé ne prouve rien pour moi. Je veux que la loi puisse recevoir son exécution pleine et entière dans tous les cas donnés.

L’honorable M. d’Hoffschmidt voudrait qu’on établît de l’harmonie entre les dispositions relatives aux élections générales et les dispositions concernant les élections communales. Dans ces dispositions différentes, l’honorable membre voit une anomalie dans nos lois.

Quant à moi, je ne vois pas d’anomalie entre ces dispositions, parce que les matières sont différentes. Je conçois que, dans une commune, le conseil communal ne se refuse pas à s’assembler, pour faire droit aux réclamations qui seraient faites à l’égard de la liste des électeurs communaux. Ici l’intérêt est direct, et je suis convaincu qu’un conseil communal, à peine de n’être pas réélu, ne pourrait pas se permettre de ne pas juger les réclamations qui sont faites dans la commune. Il y a donc ici des circonstances déterminantes, des circonstances qui ne permettent pas de supposer que le conseil communal se mette au-dessus de ses devoirs. Or il faut faire toujours la part des circonstances ; elles exercent une influence immense sur les actions des hommes ; mais ces raisons déterminantes n’existent pas, quant aux élections générales. Je suis convaincu qu’un conseil communal qui résisterait aux invitations du gouvernement, ne le ferait que sûr de l’appui des électeurs communaux, encouragé dans sa résistance par la commune.

Ainsi, je pense qu’il n’y a pas lieu de mettre de l’harmonie entre deux dispositions qui n’ont pas de corrélation entre elles. Dès lors, je crois qu’on doit abandonner au collège des bourgmestre et échevins la connaissance des réclamations qui ont lieu à l’égard des listes électorales pour les chambres, et que cette connaissance doit être réservée aux conseils communaux, en ce qui concerne les élections communales.

M. de Theux. - L’honorable M. de Garcia a fait les observations que je me proposais de présenter. J’ajouterai que si dans certains cas les conseils communaux ont pu juger les réclamations dont les listes électorales étaient l’objet, il est évident que dans une infinité de cas elles ne pourraient pas être jugées immédiatement ; qu’on aurait besoin d’un délai de quelques jours pour assembler le conseil et examiner les réclamations. Il suffit que, dans certains cas, il y ait impossibilité d’exécuter la loi pour que je repousse les amendements.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Delfosse.

M. Lebeau. - Je n’ai pas bien saisi le sens de l’amendement de M. Delfosse. S’il s’agit de substituer, dans la première partie de l’article, le conseil communal au collège des bourgmestre et échevins, il peut y avoir divergence d’opinion.

M. Delfosse. - C’est à la seconde partie du paragraphe que se rapporte mon amendement. Je demande que les réclamations soient adressées au conseil communal, au lieu du collège des bourgmestres et échevins. (Aux voix ! aux voix ! l’appel nominal !)

- L’appel nominal étant demandé par plus de cinq membres, il est procédé à cette opération. En voici le résultat :

76 membres répondent à l’appel.

21 membres répondent oui ;

55 membres répondent non.

En conséquence, l’amendement n’est pas adopté.

Ont répondu oui : MM. Delehaye, Delfosse, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dumont, Fleussu, Jadot, Lange, Lebeau, Lys, Manilius, Mercier, Orts, Osy, Puissant, Rogier, Savart-Martel, Sigart, Vandenbossche, Verhaegen.

Ont répondu non : MM Cogels, Coppieters, de Behr, Dechamps, de Foere, de Garcia de la Vega, de La Coste, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Potter, Deprey, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Huart, Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Hye-Hoys, Kervyn, Lejeune, Liedts, Maertens, Malou, Mast de Vries, Morel-Danheel, Nothomb, Peeters, Pirmez, Rodenbach, Scheyven, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Van Hoobrouck, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et Raikem,

L’amendement proposé par M. Malou est adopté.

L’article ainsi amendé est également adopté.

Article 6

« Art. 6 (M. le ministre s’est rallié à la rédaction de la section centrale). L’art. 9 de la loi électorale est abrogé et remplacé ainsi qu’il suit :

« Après l’expiration du délai fixé pour les réclamations, les listes, le double des rôles certifié par les receveurs et vérifiés par le contrôleurs, ainsi que toutes les pièces au moyen desquelles les personnes inscrites auront justifié de leurs droits, ou par suite desquelles des radiations auront été opérées, seront envoyées, dans les vingt-quatre heures, au commissariat du district.

« Un double de la liste sera retenu au secrétariat de la commune.

« Chacun pourra prendre inspection des listes, tant au secrétariat de la commune qu’au commissariat du district.

« § 3 (nouveau). Chacun pourra aussi prendre inspection du double des rôles et des autres pièces mentionnées ci-dessus.

« § 4. Le commissaire du district fera la répartition des électeurs en sections, s’il y a lieu, conformément à l’art. 19 de la présente loi. »

- Cet article est adopté.

Article 7

« Art. 7 (M. le ministre s’est rallié aux amendements proposés cet article par la section centrale). Il est ainsi conçu :

« Sont ajoutées à l’art. 12 de la loi électorale du 3 mars 1831, les dispositions suivantes :

« Le § 2 de l’art. 12 de la loi électorale est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :

« Tout individu jouissant des droits civils et politiques pourra, dans les dix jours à partir de l’expiration du délai fixé pour les réclamations par l’art. 8 de la présente loi, réclamer auprès de la députation permanente contre chaque inscription, omission ou radiation indue ; il joindra à sa réclamation la preuve qu’elle a été par lui notifiée à la partie intéressée, laquelle aura 10 jours pour y répondre a partir de celui de la notification.

« Le commissaire du district pourra d’office, dans les dix jours de la réception de la liste, interjeter appel auprès de la députation permanente, contre toute inscription, omission ou radiation indue, en joignant les pièces à l’appui de l’appel.

« Cet appel sera notifié à la partie intéressée qui aura 10 jours pour y répondre, à partir de la notification,

« L’exploit de notification sera, dans ce cas, dispensé du droit de timbre et enregistré gratis, et les salaires des huissiers seront fixés d’après l’art. 71, n° 1 et 2 du décret du 18 juin 1841. »

M. Mercier a proposé à cet article un amendement ainsi conçu :

« 1° Je propose d’ajouter à cet article les paragraphes suivants :

« Dans tous les cas où l’appel sera formé du chef d’omission ou de radiation indue, l’appelant fera déposer au secrétariat de la commune où l’intimé a son domicile, et dans les vingt-quatre heures à partir de la notification, une expédition des pièces relatives à l’appel.

« L’administration communale fera immédiatement afficher, dans la forme prescrite par l’art. 8 de la loi du 3 mars 1831 et par le § 2 de l’art. 4 de la loi du 25 juillet 1834, n° 604, et, en outre, publier dans un journal du district, ou, s’il n’en existe pas, dans un journal de la province, les noms des intimés du chef d’omission ou de radiation indues ; les noms resteront affichés pendant huit jours.

« Chacun pourra prendre inspection des pièces relatives à l’appel, au secrétariat de la commune.

« Tout individu jouissant des droits civils et politiques pourra, dans les huit jours, à dater de l’affiche des noms, intervenir dans l’instance d’appel. L’intervention sera notifiée aux intéressés.

« 2° de modifier les §§ 2 et 3 de cet article de la manière suivante :

« Le commissaire de district pourra, d’office, dans les 10 jours de la réception de la liste, interjeter appel auprès de la députation permanente, contre toute inscription, omission ou radiation indues, en joignant les pièces à l’appui, ainsi que la preuve qu’il a été notifié à la partie intéressée, laquelle aura 10 jours pour y répondre, à partir de la notification. »

M. Mercier. - L’art. 6 du projet du gouvernement est un de ceux qui ont provoqué le plus d’opposition. Il conférait au commissaire de district le droit d’appel contre toute inscription, omission ou radiation indues, tandis qu’il n’accordait pas la même faculté aux autres citoyens. La section centrale a amélioré cet article en y ajoutant une disposition qui place tout individu jouissant des droits civils et politiques sur la même ligne que l’agent du gouvernement. C’est une amélioration ; mais elle est insuffisante. Un caractère essentiel de la loi électoral, c’est la publicité. Ainsi l’article 8 de la loi de 1831 exige que les listes électorales soient publiées et affichées pendant dix jours. Cette loi n’avait pas prévu, ce qui devait se faire alors, qu’au moment de clore les listes électorales des individus étaient reconnus posséder les conditions voulues pour être électeur, et étaient en conséquence portés sur une liste supplémentaire. La loi du 2 juillet 1834 a pourvu à cette lacune et ordonné la publication de la liste supplémentaire. C’est l’art. 4 de la loi du 25 juillet 1834 qui renferme cette disposition qui est ainsi conçue :

« Les noms des électeurs qui auront été admis par les administrations communales, lors de la clôture définitive de la liste, sans avoir été portés sur la liste affichée, seront publiés par de nouvelles affiches, dans le même délai de 48 heures, à dater de cette clôture. »

Ainsi partout, messieurs, lorsqu’il s’agit de conférer le droit électorat, il y a publicité. Ici, au contraire, lorsque les listes auront été modifiées par suite de l’appel, il n’y aurait pas eu de publicité dans le cas d’omission et de radiation indues. L’amendement que je propose a pour but de donner cette publicité, d’abord en exigeant que la copie de l’appel ainsi que des pièces à l’appui soient transmises à l’administration communale, en astreignant celle-ci à publier les noms des individus à l’égard desquels le droit d’appel a été exercé, et ensuite en laissant à chaque particulier la faculté d’intervenir dans l’appel je me suis, du reste, attaché à ne pas prolonger les délais. Huit jours seulement sont accordés aux individus qui voudraient user du droit d’intervention pour adresser leur réclamation à la députation permanente. Je pense donc que mon amendement ne peut être soumis à aucune critique fondée sur ce que les délais seraient trop prolongés.

Il me paraît que le projet de la section centrale doit recevoir une autre modification. La proposition de conférer le droit d’appel aux individus qui jouissent de leurs droits civils et politiques exige non seulement que notification en soit faite aux intéressés, mais que la preuve de cette notification soit jointe à la réclamation ; cette dernière condition n’est pas requise du commissaire de district ; j’ai cru qu’on devait lui imposer la même obligation qu’aux particuliers. C’est ce qui fait l’objet du n° 2 de l’amendement que j’ai proposé. Tels sont les motifs que j’ai cru devoir donner à l’appui de mes propositions, motifs que d’ailleurs j’avais déjà indiqués dans le discours que j’ai prononcé pendant la discussion générale.

M. le président. - L’amendement de M. Mercier est-il appuyé par cinq membres ?

- L’amendement est appuyé.

M. Mercier. - Je demande à ajouter deux mots :

On m’a fait observer que la loi que nous discutons est censée devoir être insérée dans la loi électorale de 1834 ; on ne doit donc pas citer la date de cette loi, il est préférable de se référer, à ses dispositions. Ainsi, au lieu de mots : « par l’article 8 de la loi du 3 mars 1831, etc., » je propose ceux : « Dans la forme prescrite pour les publications des listes ordinaires et des listes supplémentaires. » Ce n’est qu’un simple changement de rédaction.

J’ajouterai que l’administration communale pourrait quelquefois éprouver des difficultés à faire publier en temps opportun, soit dans un journal du district, soit dans un journal de la province, les noms des individus que l’appel intéresse ; il serait donc préférable de charger le gouvernement de ce soin ; et ce sera nécessairement le commissaire de district qui, selon les instructions du ministre, fera faire cette publication.

Je ferai donc un changement à mon amendement.

Je supprimerai les mots : « et en outre publier dans un journal du district ou, s’il n’en existe pas, dans un journal de la province, » et les remplacerai, à la fin du § dans lequel ils se trouvent, par ceux « Ils seront en outre publiés, par les soins du gouvernement, dans un journal du district ou, s’il n’en existe pas, dans un journal de la province. »

M. le président. - Voici deux amendements proposés par M. Delfosse.

Substituer au 2ème § de l’art. 7 aux mots : à partir de l’expiration des délais, ceux-ci : à partir de la réception de la liste du commissariat de district.

Ajouter le paragraphe suivant :

« La réception de la liste sera constatée par un récépissé qui sera remis dans les 24 heures à l’administration communale ; une copie de ce récépissé sera transmise, dans le même délai, à la députation permanente.

« Il en sera fait immédiatement mention dans un registre spécial, coté et paraphé par un membre de la députation permanente. »

M. Delfosse. - Je repousse le principe de l’intervention des commissaires d’arrondissement. Cette intervention est une des mesures qui ont fait dire avec raison que l’on met la répression de la fraude à un prix excessivement élevé.

Jusqu’à ce jour, les deux opinions qui se trouvent en présence ont pu combattre à armes égales. Chacun ayant le droit de réclamer auprès de la députation permanente, les deux opinions avaient les mêmes démarches et les mêmes dépenses à faire pour obtenir l’épuration des listes. Le projet de loi fait disparaître cette égalité. Dorénavant les partisans des candidats ministériels pourront se croiser les bras, le commissaire d’arrondissement réclamera pour eux. Les partisans des candidats de l’opposition devront au contraire continuer à faire, pour obtenir l’épuration des listes, les mêmes démarches et les mêmes frais que par le passé. On a dit que les réclamations en matière électorale n’occasionnent aucune dépense ; c’est une erreur. Lorsqu’on réclame contre une inscription indue, on doit le notifier à l’intéressé et cette notification entraîne des frais.

On a eu l’air de nous accorder une compensation en donnant à tout individu, jouissant des droits civils et politiques, le même droit qu’au commissaire d’arrondissement ; cette compensation n’est qu’apparente. Il y aura toujours cette différence, que le commissaire d’arrondissement n’aura aucun frais à supporter, c’est le gouvernement qui payera pour lui. Il n’en sera pas de même de l’individu qui usera du droit d’appel. Il y a encore une autre différence. Le délai pour le commissaire d’arrondissement ne court qu’à partir de la réception des listes, pour les particuliers il court à partir du délai fixé pour les réclamations par l’art. 8. Cette différence ne sera pas très sensible si les administrations communales observent strictement la disposition de la loi qui leur prescrit d’envoyer les listes dans les 24 heures ; dans ce cas, le délai sera à peu près le même pour le commissaire d’arrondissement et pour les particuliers ; mais si cet envoi se fait plus tard, le délai sera prorogé pour le commissaire d’arrondissement seul.

Messieurs, il est nécessaire que dans ce cas le délai soit prorogé pour tous. Si l’on veut que le droit d’appel conféré aux particuliers ne soit pas illusoire, il faut qu’on leur donne le temps d’examiner les listes, et comment auraient-ils ce temps, si le délai de dix jours commençait à courir avant la réception des listes au commissariat d’arrondissement . Il pourrait arriver que les listes n’arriveraient qu’après l’expiration du délai.

On ne dira pas, sans doute, qu’il y a moyen de prendre communication des listes au secrétariat de la commune ; on ne peut pas exiger des citoyens qu’ils aillent de commune en commune vérifier ce qui se passe ; c’est même pour leur éviter toutes ces courses qu’on les autorise à prendre communication des listes chez le commissaire d’arrondissement ; mais à quoi, je le demande de nouveau, leur servirait ce droit, si les listes n’arrivaient qu’après l’expiration du délai d’appel ?

Il y a encore un autre vice dans l’article que nous discutons. Le commissaire d’arrondissement doit appeler dans les dix jours de la réception des listes. Mais aucune précaution n’est prise pour constater le jour de cette réception ; il dépend en quelque sorte du commissaire d’arrondissement de proroger le délai à son gré ; si le commissaire d’arrondissement déclare qu’il a reçu les listes plus tard qu’il ne les a reçues réellement, qui lui donnera un démenti ? sera-ce le bourgmestre ? Mais le bourgmestre est aujourd’hui un fonctionnaire révocable, et il hésitera avant de donner un démenti à son chef ; il est essentiel que la réception des listes soit constatée d’une manière certaine, d’une manière officielle.

J’espère, messieurs, en avoir assez dit pour justifier les deux amendements que j’ai présentés. M. le ministre de l’intérieur a promis, l’autre jour, d’accepter les amendements qui seraient de nature à améliorer la loi. J’avoue que je ne me fie pas trop à cette promesse ; j’ai présenté à la section centrale plusieurs amendements qui étaient bien certainement de nature à améliorer la loi. Ils ont été impitoyablement écartés ; la chambre elle-même, d’accord avec M. le ministre de l'intérieur, a repoussé tous les amendements qui lui ont été soumis jusqu’à présent. Cependant, comme les deux amendements que je propose sont extrêmement raisonnables, je crois pouvoir compter sur la coopération de M. le ministre de l’intérieur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je suis heureux, messieurs, de pouvoir accorder ce que l’honorable préopinant a bien voulu appeler ma coopération au deuxième amendement qu’il a proposé. Le but que nous avons est le même. J’avais même indiqué à la section centrale ces propositions ; seulement on avait pensé qu’on pouvait en faire l’objet d’une instruction ministérielle. Mais comme il s’agit ici de prévoir des cas de déchéance, peut-être est-il bon d’insérer dans la loi même les délais qui emportent déchéance,

Je suis forcé néanmoins de faire un changement de rédaction au deuxième amendement proposé par l’honorable M. Delfosse. Je vais d’abord donner lecture du premier paragraphe :

« La réception de la liste sera constatée par un récépissé qui sera remis dans les 24 heures à l’administration communale. Une copie de ce récépissé sera transmise dans le même délai à la députation permanente. »

Ainsi la réception de la liste sera constatée par un récépissé qui sera donné et transmis dans les 24 heures à l’administration communale. En outre, l’honorable M. Delfosse exige qu’une copie de ce récépissé soit transmise à la députation permanente. Je pense, messieurs, que ceci n’est pas nécessaire, que c’est une précaution surabondante. Et, en effet, voyons comment les choses se passeront.

Les listes arrivent au commissariat ; récépissé en est donné dans les 24 heures, et il est transmis à l’administration communale. Que peut-on craindre ? Que l’on puisse ultérieurement venir changer la date du récépissé ? Mais cela est devenu impossible. Il faudrait supposer une connivence extrêmement coupable entre l’administration communale et le commissaire d’arrondissement.

L’honorable M. Delfosse ajoute :

« Il en sera immédiatement fait mention dans un registre spécial, coté et paraphé par un membre de la députation permanente. »

J’ignore pourquoi il faut nécessairement que ce registre soit paraphé par un membre de la députation permanente. Je vois là de nouveau un système de défiance auquel je ne puis m’associer. Je maintiens le registre ; j’avais moi-même indiqué ce moyen ; mais je propose de dire que le registre sera coté et paraphé par le gouverneur ou par un membre de la députation permanente à ce délégué ; de sorte que l’amendement serait rédigé comme suit :

« La réception de la liste sera constatée par un récépissé. Ce récépissé sera transmis à l’administration communale dans les 24 heures de l’arrivée de la liste au commissariat.

« Il en sera immédiatement fait mention dans un registre spécial coté et paraphé par le gouverneur ou par un membre de la députation permanente. »

Je dis, messieurs, que ma rédaction atteint le même but. Je crois que l’honorable préopinant a indiqué des précautions surabondantes. La députation permanente qui est appelée à statuer en appel, se fera remettre ce registre où le commissaire d’arrondissement aura été tenu d’inscrire immédiatement, sans intercalation, sans rature, les différents récépissés. Car c’est là une instruction que le gouvernement donnera ; il faut que ce registre ne présente aucune intercalation, aucune rature. Si la députation permanente, après se l’être fait produire, a le moindre doute, elle se fera remettre le récépissé qui aura été transmis à l’administration communale. Car le gouvernement aura encore d’autres instructions à donner. Il exigera que chaque administration communale ait aussi un indicateur et qu’elle conserve le récépissé. Il est inutile d’énoncer tout ceci dans la loi, mais, je le déclare, j’irai plus loin dans l’exécution que l’honorable M. Delfosse. Il faudra faire mention de ce récépissé dans l’indicateur, qui doit être tenu par chaque commune. Je ne sais s’il se tient partout, mais c’est encore une chose à régulariser.

Je pense que l’honorable M. Delfosse regardera mon amendement comme l’équivalent du sien.

M. de La Coste. - Messieurs, quand je considère le texte et la lettre de l’article en discussion, j’y trouve deux dispositions conçues à peu près dans les mêmes termes et, pour ainsi dire, parallèles. Je vois d’un côté que tout individu jouissant des droits civils et politiques pourra, dans un délai donné, interjeter appel auprès de la députation permanente. Je vois également que le commissaire de district pourra, d’office, dans les dix jours de la réception de la liste, interjeter un semblable appel.

Messieurs, ces deux dispositions conçues, comme je viens de le dire, à peu près dans les mêmes termes, ont à mes yeux aussi le même but : c’est de rendre les listes aussi sincères, aussi complètes que possible.

Cependant lorsque je ne m’attache pas à la lettre de l’article, mais à son esprit et aux développements dans lesquels est entrée la section centrale, je trouve entre ces deux dispositions une différence bien sensible et bien essentielle. La position dans les deux cas est très différente.

Tout citoyen peut réclamer, c’est un droit, c’est une faculté qui lui est accordée, c’est une faculté dont on peut légitimement faire usage dans un intérêt particulier et même, peut-on dire, dans un intérêt de parti.

Mais la faculté qui est accordée à un agent de l’autorité n’a pas, à mes yeux, la même nature. Ce n’est plus, à proprement parler, une faculté, un droit, c’est un devoir. Du moment que vous accordez une faculté à l’autorité, elle devient un devoir, et dans l’accomplissement d’un devoir, il n’est plus question de parti. Si ce devoir était méconnu, si la faculté accordée devenait un instrument de parti, il y aurait encore au-dessus la responsabilité du gouvernement qui tolérerait cet abus déplorable.

Je pense, messieurs, que même l’individu qui a le droit de réclamer, soit dans son intérêt, soit dans un intérêt de parti, pourrait, au lieu de se pourvoir directement auprès de la députation permanente, présenter ses observations au commissaire de district ; qu’à la vérité celui-ci ne serait pas obligé d’adopter le point de vue du réclamant, que s’il trouvait la réclamation vexatoire et sans motifs, il ne devrait pas s’y arrêter, mais que si on lui signalait réellement un abus, il serait obligé d’interjeter appel ; que s’il ne le faisait pas, il y aurait prévarication. Le ministre, qui ne réprimerait pas cette prévarication encourrait, à mes yeux, une très grave responsabilité.

Ainsi, je pense, messieurs, qu’il aurait été préférable que la deuxième partie de l’article n’eût pas été conçu en termes facultatifs, mais en termes impératifs ; cependant, pour ne pas fatiguer la chambre d’amendements et comme déjà la section centrale s’est expliquée dans le même sens que moi, si M. le ministre déclare que c’est aussi dans ce sens qu’il entend la disposition, je n’insisterai pas davantage sur mon observation.

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, je parlerai d’abord des amendements de l’honorable M. Delfosse. La première proposition a pour objet de faire courir le délai pour les particuliers du même point de départ que le délai fixé pour le commissaire d’arrondissement. Cette question, comme l’honorable membre l’a dit, s’est déjà présentée dans la section centrale, et je crois me rappeler qu’il n’a pas été fait de proposition formelle, parce que l’on a reconnu qu’il ne s’agissait, en réalité, que d’un délai de 24 heures, et qu’en obligeant les administrations communales à envoyer les listes immédiatement, la position serait égale pour tous.

Il serait difficile, messieurs, de se placer à un autre point de vue ; la loi ne peut guère supposer elle-même son inexécution, et ce serait réellement ce qui arriverait ici.

L’autre amendement concerne les formalités requises pour constater la réception des listes. Il en a été également question dans la section centrale ; mais, comme M. le ministre l’a dit tout a l’heure, on a pensé qu’une inscription suffirait à cet effet. Je n’ai, du reste, aucune objection à faire contre l’insertion de cette disposition dans la loi.

L’amendement de l’honorable M. Mercier complète la pensée de la loi ; il donne plus d’étendue à l’action des particuliers, il ajoute, si cela était nécessaire, un contrepoids à l’action du commissaire d’arrondissement, Je ferai néanmoins remarquer qu’il introduit, pour un cas spécial, une publicité qui n’existe pour aucun autre. Toute la publicité, en matière électorale, consiste dans l’affiche des noms.

Ici, pour le cas d’appel formé, du chef d’omission ou de radiation indues, vous exigeriez l’insertion dans les journaux ; je ne vois aucun motif de faire cette différence. L’honorable membre entend sans doute que les frais de cette insertion seront supportés par le gouvernement.

Déjà précédemment j’ai dit, messieurs, dans quel sens me paraissaient devoir être entendus les termes du § 1er du projet du gouvernement, auquel la section centrale a adhéré ; l’action que l’on accorde au commissaire d’arrondissement doit s’exercer d’office, et dans l’intérêt public, pour que les listes soient entièrement régulières ; le commissaire d’arrondissement, en exerçant cette action, ne peut fait aucune acception de parti ou d’opinion ; lorsque la loi impose un devoir un fonctionnaire, le corollaire en est la responsabilité de ce fonctionnaire, et j’ai déjà eu l’honneur de dire qu’ici la responsabilité ne pourrait être illusoire, puisque la plus grande publicité entourera tous les actes du commissaire d’arrondissement.

M. Dumortier. - Messieurs, j’appuie l’amendement de l’honorable M. Mercier. Je ne pense pas que l’on puisse s’arrêter à l’observation que vient de présenter l’honorable rapporteur relativement à la publicité donnée aux actes dont il s’agit, par la voie de la presse ; une chose qu’il faut remarquer, c’est que l’époque de la formation des listes primitives est fixée par la loi ; chacun sait dès lors qu’il peut aller examiner si son nom figure ou non sur la liste, qu’il peut aller examiner s’il ne se trouve pas sur cette liste des personnes qui ne doivent pas y figurer. Ici, au contraire, il s’agit d’une liste supplémentaire dont on peut ignorer l’existence, et dès lors il n’est pas mauvais qu’il y ait publication par la voie de la presse. Ce n’est pas là d’ailleurs une mesure nouvelle : la loi sur la garde civique, par exemple, a ordonné que les comptes de la garde civique fussent déposés au secrétariat de la commune et qu’il en fût donné avis par la presse. Eh bien, cette disposition s’exécute, et, il n’en résulte aucune espèce d’inconvénient.

Quant à l’article en discussion, j’ai une observation à faire sur le 1er §.

« Le commissaire du district pourra, d’office, dans les 10 jours de la réception de la liste, interjeter appel auprès de la députation permanente, contre toute inscription, omission ou radiation indues, en joignant les pièces à l’appui de l’appel. »

C’est là, messieurs, un grand pouvoir donné au commissaire de district. J’avoue qu’il me paraît nécessaire qu’une autorité quelconque soit investie du droit d’examiner les listes formées par les autorités communales et de former au besoin appel contre ces listes. En effet, il est constant que dans beaucoup de localités les listes électorales ne sont faites que par le secrétaire communal ou par l’un ou l’autre des échevins et qu’il arrive assez souvent que des erreurs sont commises. Ainsi, aux dernières élections on a signalé qu’un individu âgé de 22 ans seulement avait été porté sur la liste électorale ; ainsi encore on a vu qu’une personne qui avait été portée sur la liste primitive, avait été, par une faute d’impression ou par une erreur de copiste, omise sur une liste subséquente. Il est donc nécessaire qu’une autorité intervienne, car nous voulons tous la sincérité des élections. Mais faut-il pour cela permettre aux commissaires de district d’interjeter d’office appel contre les omissions ? S’il s’agissait de radiations indues, je le concevrais, mais contre les omissions, c’est ce qui ne me paraît pas admissible. Est-ce que le commissaire de district va pouvoir dire :

« Telle personne ne réclame point, nul ne réclame pour elle, mais moi je réclame. » Il me semble, messieurs, que ce serait aller trop loin, alors surtout que l’on n’a pas voulu admettre la loi que j’avais proposée dans le temps, et d’après laquelle un commissaire d’arrondissement n’aurait pas pu être élu dans son propre district. Le commissaire de district pouvant se porter lui-même candidat, et ayant ainsi un intérêt très actif à faire prévaloir, il serait à craindre qu’il n’abusât de l’influence considérable que la disposition en discussion lui accorderait. Je veux bien que, comme citoyen, le commissaire d’arrondissement ait le même droit que les autres citoyens, mais je ne veux pas lui donner, en raison de ses fonctions, le droit de faire porter sur les listes électorales les personnes qui auraient été omises. J’admets, je le répète, qu’il puisse réclamer contre les inscriptions indues ; contre les radiations indues, mais je crois qu’il est inutile et dangereux de lui donner le droit de réclamer contre l’omission d’une personne qui ne réclame pas et pour laquelle d’autres ne réclament pas.

M. Devaux. - Je ne m’occuperai pas, messieurs, des amendements présentés. Tous ces amendements me paraissent des palliatifs à un détestable principe ; je ne veux pas que la discussion de ces amendements fasse perdre de vue le fond de l’article, c’est du principe de l’article que je vais parler. Cet article est un de ceux qui décèlent toute la partialité de la loi, qui auront pour résultat de donner des avantages très grands à une seule opinion et un désavantage très grand à l’autre opinion.

M. Dumortier. - Avantage pour l’opinion du gouvernement.

M. Devaux. - Oui pour l’opinion du gouvernement, quelle qu’elle soit, pour l’opinion du commissaire de district. Veut-on dire que ce n’est pas une faveur pour une seule opinion, toujours la même à tout jamais, que dans les élections prochaines la faveur sera pour telle opinion, mais aux élections suivantes elle pourra être pour l’autre opinion.

Un membre. - C’est de l’impartialité.

M. Devaux. - Je ne veux pas de cette impartialité qui agit aujourd’hui au profit de telle opinion et demain au profit de telle autre, mais toujours au profit d’une seule et au détriment d’une autre. Ce n’est pas là de l’impartialité ; c’est de la partialité qui change de couleur, mais c’est toujours de la partialité.

La disposition qui nous occupe renverse le principe que l’on a eu en vue lorsqu’on a rédigé la première loi électorale ; dans la loi électorale qui nous régit aujourd’hui, on a eu le plus grand soin d’écarter toute intervention officielle des agents du gouvernement. Les listes doivent être proposées par les administrations communales ; on n’a pas même voulu décider que ce serait par les chefs des administrations communales. A la différence de ce que l’on fait dans les autres pays, on n’a pas même voulu que les bureaux provisoires fussent formés par les agents du gouvernement. Qui a-t-on pris ? Les conseillers communaux fonctionnaires électifs et, en second lieu, les membres de l’ordre judiciaire, c’est-à-dire, ce qu’on a pu trouver de plus indépendant dans le pays. Une vérité qui a toujours été reconnue dans la chambre, par toutes les opinions, par tout le monde, c’est que les élections doivent être vraies ; c’est qu’il ne faut pas donner au gouvernement par la loi le moyen de les fausser. On peut être partagé d’avis sur le rôle que le gouvernement peut jouer dans les élections, comme influence, comme représentant d’une opinion ou d’un parti, mais on a toujours généralement voulu que les élections se fissent au dehors de l’action officielle du gouvernement. Jamais on n’a voulu que la loi elle-même donnât à ses agents des armes pour y faire triompher une opinion.

Eh bien, ce qu’on propose aujourd’hui, c’est tout le contraire de ce que chacun avait voulu jusqu’à présent ; on demande qu’un agent du gouvernement intervienne officiellement dans les élections, dans la formation des listes, c’est-à-dire dans la base des élections.

Et cet agent, c’est le commissaire d’arrondissement ; or, il n’y a pas dans le pays de fonctionnaire plus politique que le commissaire d’arrondissement ; si, agissant comme parti, comme opinion, le gouvernement a un agent électoral, c’est bien certainement le commissaire d’arrondissement ; le gouvernement n’a pas dans les districts d’agent qui ait un caractère aussi politique. S’il en fallait une preuve, il n’y aurait qu’à voir la couleur des nominations de commissaires d’arrondissement qui ont été faites depuis un certain nombre d’années ; il n’y a pas de nomination administrative où la couleur du ministère se réfléchisse plus fidèlement que dans les nominations de commissaires d’arrondissement.

Il y a dans cet article une double partialité ; l’une est l’œuvre du gouvernement, l’autre est celle que la section centrale veut consacrer par le § 1er.

Pour la vérification des listes, il y a dans notre législation une grande difficulté : c’est que les délais sont trop courts ; notre système électoral, en ce qui concerne la vérification des listes, est réellement défectueux, à cause de la brièveté des délais ; quand on voudra arriver à un système électoral vrai, il faudra qu’on prolonge les délais ; ce n’est pas un délai d’un mois, mais de 4 ou 5 mois, qui est nécessaire.

Cette brièveté des délais augmente beaucoup, pour les particuliers, les difficultés de la vérification des listes. Quelles démarches, quelles recherches ne faut-il pas en effet pour parvenir à un contrôle des listes électorales. Aussi, nos listes n’ont-elles jamais été très soigneusement vérifiées.

L’on veut charger de cette vérification un agent du gouvernement qui a toutes les pièces sous les yeux, qui peut s’occuper de cette tâche pendant toute l’année, qui est en relations avec tous les bourgmestres, qui a, en un mot, des moyens immenses à sa disposition, et qui peut faire, en huit jours de temps, après la publication des listes, ce que les particuliers ne peuvent pas faire en trois mois.

J’ai remarqué, dans le discours prononcé par M. de Theux, dans la discussion générale, combien cet honorable membre attache d’importance à cette disposition, dont il a fait ressortir les effets. Il nous a fait remarquer que les particuliers doivent se donner beaucoup de peine pour vérifier les listes ; qu’il y a pour eux des frais à faire ; qu’en outre, il y a toujours un grand désagrément pour un particulier à se poser le dénonciateur d’un citoyen inscrit sur les listes.

Ces obstacles n’existent point au même degré pour un fonctionnaire du gouvernement, auquel la loi impose le devoir de vérifier les listes, et qui est forcé d’agir sous l’impulsion du ministère.

On me dit : Ce n’est qu’une intervention, une réclamation ; c’est la députation permanente qui décide.

Cette réponse ne détruit rien. Je suppose une députation permanente aussi impartiale que possible, et je dis que le résultat de l’intervention du commissaire du district pourra être une très grande partialité ; pourquoi ? Parce que la députation ne décide que sur les réclamations qui lui sont adressées par le commissaire d’arrondissement ; la députation pourra décider avec beaucoup de justice qu’une centaine d’électeurs présentés par le commissaire d’arrondissement doivent être inscrits sur la liste, et qu’une centaine d’autres, contre lesquels il réclame, doivent en être biffés. Ce ne sera pas la députation qui sera partiale, mais le commissaire de district qui se sera borné à faire inscrire cent électeurs d’une couleur, tandis qu’il y en avait encore cent autres d’une autre couleur à inscrire ; qui n’aura fait biffer que ceux qui lui déplaisent, tandis qu’il se sera abstenu de dénoncer ceux qui n’ont pas plus de droit de figurer sur la liste, mais qui sont de son opinion.

Quelle sera la position d’un commissaire d’arrondissement ? Je suppose qu’il se mette lui-même sur les rangs. A moins qu’on ne veuille que ce soit un ange descendu du ciel, cet homme pourra-t-il mettre le même zèle à faire rayer de la liste électorale des citoyens qui y sont portés indûment et qui sont disposés à lui donner leurs voix, qu’à en faire disparaître ses adversaires ?

Je suppose encore qu’un ministre se mette sur les rangs ; son élection dépendra du vote d’une vingtaine d’électeurs qui n’ont pas droit de figurer sur la liste ; le commissaire d’arrondissement le saura, mais viendra-t-il proposer à la députation de rayer ces 20 électeurs du vote desquels dépend l’élection du ministre ? Vous trouverez des commissaires d’arrondissement de cette trempe ; mais sera-ce la règle générale ?

N’avons-nous pas des faits récents pour nous apprendre ce qui arrivera sous l’empire d’une disposition semblable ? Voyez l’enquête faite par le gouverneur de la province de Liége : des fraudes ont été commises dans le district de Liége ; tout le monde le sait ; sont-elles dénoncées par le gouverneur de Liége ? Oui, elles sont dénoncées quand il s’agit de fraudes commises par des personnes qui ne sont pas de son opinion ; mais les fraudes de cette année, les dénonce-t-il dans l’enquête ? Non, messieurs, et ce rapport du gouverneur est probablement fait d’après un rapport du commissaire de l’arrondissement. Je vous le demande, quand il s’agira de réclamations à porter devant la députation permanente, ces fonctionnaires seront-ils plus impartiaux qu’ils ne l’ont été devant le gouvernement et la chambre ?

Dans beaucoup de localités, personne n’en peut douter, les commissaires d’arrondissement n’oseront pas dénoncer certaines fraudes, et n’en signaleront que lorsqu’elles seront le fait d’une certaine opinion.

Comme je le disais tout à l’heure, j’admets que les listes n’ont jamais été bien vérifiées, qu’il y a probablement depuis longtemps des inexactitudes, mais vous admettrez avec moi que la plupart de ces erreurs sont le résultat de la négligence administrative. Aussi n’ont-elles pas été faites au profit d’une opinion. Maintenant placez en face de ces listes un commissaire d’arrondissement dévoué à une seule opinion, il arrivera qu’on en retranchera tous ceux qui y ont été portés par erreur et qui sont d’une opinion contraire à celle du commissaire d’arrondissement, mais qu’on laissera subsister les noms de la couleur du commissaire de district. Et la même partialité se reproduira pour les inscriptions nouvelles que ce fonctionnaire réclamera. Remarquez de plus qu’une fois que la députation aura prononcé sur les réquisitions du commissaire d’arrondissement, fût-il démontré clair comme le jour qu’elle a laissé surprendre sa religion, personne ne pourra plus réclamer auprès d’elle, les délais étant expirés.

En France, les agents de l’autorité exercent une certaine intervention dans la formation des listes, mais après eux il reste toujours le recours aux tribunaux ; rien n’est fait définitivement, tant que les tribunaux n’ont pas prononcé. D’ailleurs, j’ajoute ici en passant, qu’en France, les préfets et les sous-préfets sont exclus de la chambre.

Il est donc évident que le projet de loi introduit dans la formation des listes une grande partialité en faveur d’une opinion. On lui constitue un avocat payé, qui agit sans frais à son profit et qui a à sa disposition des moyens que les particuliers n’ont pas.

D’un autre côté, que fait le paragraphe premier ajouté par la section centrale ? comme si ce n’était pas assez de cette partialité, le paragraphe premier vient diminuer encore le peu de facilités qu’avaient les particuliers pour réclamer. D’après la loi actuelle, il n’est fixé aucun délai aux particuliers pour réclamer auprès de la députation. Malgré cela, ainsi que je vous le disais tout à l’heure, les élections sont si rapprochées de l’époque de la formation des listes, que le temps leur manque pour les vérifications. Mais que fait la section centrale ? Elle ne donne plus aux particuliers qu’un délai de 10 jours pour réclamer auprès de la députation ; mais c’est une dérision qu’un délai de 10 jours pour vérifier les listes dans tout un arrondissement électoral, Il est impossible que les particuliers, sans aucun des moyens dont dispose le commissaire d’arrondissement, puissent faire cette vérification en aussi peu de temps. Ainsi, l’on se montre partial en faveur d’une opinion en augmentant considérablement les moyens de contrôle, et de l’autre, on ôte à l’opinion contraire les moyens de contrôle qu’elle possède.

Le commissaire d’arrondissement pourra consulter d’avance les rôles de contribution ; il peut les avoir dès qu’ils sont confectionnés dans les bureaux des receveurs qui les lui communiqueront. Il est en rapport constant avec les bourgmestres ; il ne devra pas attendre que les listes lui soient transmises, il a tous les éléments, il connaît les individus, mais les particuliers ne connaissent pas les électeurs d’un district entier ; et il est à remarquer que la liste sur laquelle doivent porter les investigations des particuliers, n’est pas même publiée, elle repose dans le bureau du commissaire d’arrondissement ; et vous ne donnez pas même 10 jours pour examiner la liste. Je vais le prouver.

La section centrale ne fait pas partir le délai du jour où la liste est communiquée au commissaire d’arrondissement, mais de la veille.

Avant que le particulier puisse examiner la liste, il faut cependant qu’elle soit chez le commissaire de district. Il faut pour cela au moins 24 heures ; des 10 jours il ne vous en reste que neuf. En vertu de la loi de 1834, qu’on m’a rappelée tout à l’heure, et que je viens d’examiner, les notifications pour radiations opérées par l’administration communale ne sont faites aux intéressés que 48 heures après la clôture du délai. Voilà encore deux jours à ôter. Il faut aller copier la liste des électeurs chez le commissaire d’arrondissement, une liste de plusieurs milliers d’électeurs. Cette liste sera-t-elle toujours accessible ? Un électeur, deux électeurs d’une opinion contraire pourront se trouver en possession de la liste, occupés à la copier, et prolonger leur travail ; que ferez-vous ? Vous n’avez plus que sept ou huit jours pour réclamer. Est-ce en sept jours que vous pourrez faire toutes les recherches pour découvrir les irrégularités et vous procurer les pièces qui les établissent ? En vérité, dites dans votre loi que le gouvernement fera les listes électorales comme il voudra, et que personne n’aura plus le droit de réclamer ; ce sera plus franc.

En France, ce n’est pas pendant dix jours, pendant un mois, c’est pendant toute l’année qu’on a le droit de réclamer devant les tribunaux. A tel jour, tel mois de l’année que l’on s’adresse aux tribunaux, on obtient justice des erreurs que peuvent présenter les listes.

Vous dites que vous décidez la permanence des listes et c’est avec de pareilles garanties !

En France, les listes sont déclarées permanentes aussi, cela n’empêche pas les décisions des tribunaux d’intervenir. Si vous voulez des listes permanentes, prenez des mesures pour que leur confection soit impartiale, et donnez aux citoyens des moyens réels de vérification. Par les dispositions de votre loi, le commissaire de district seul pourra réellement vérifier. On dit que si on donne plus de temps aux citoyens pour les vérifications, le recours en cassation sera sans effet. C’est sans doute une chose très fâcheuse que l’opinion de la cour de cassation ne puisse quelquefois arriver qu’après les élections. Mais faut-il, pour avoir un recours en cassation, empêcher les électeurs de réclamer ? Est-ce là un moyen de leur rendre justice ? A la vérité, vous leur donnez des juges de plus, mais vous leur empêcher les moyens de plaider.

Je rejette donc le § 1er, aussi bien que le reste de l’article, il est tout aussi exorbitant et ne fait qu’y ajouter une partialité de plus.

M. de Theux. - Je ne reproduirai pas les observations que j’ai présentées dans la discussion générale pour justifier la faculté donnée aux commissaires de district de former appel auprès de la députation permanente. Je me bornerai à rencontrer quelques-unes des objections qui viennent d’être faites par l’honorable préopinant. D’abord il convient que les listes électorales sont imparfaites. Cet aveu est important. Il suffira de reproduire ici le fait que j’ai avancé dans la discussion générale, et qui a été confirmé dans la séance d’hier par l’honorable M. Lejeune, que trois communes dans un seul arrondissement avaient indûment porté sur la liste électorale plus de cent individus, et cela sur une liste de 192 noms. Ce seul fait en dit plus que tout espèce de raisonnement qu’on pourrait produire. Aussi l’honorable M. Lejeune avait-il dit, dans la discussion incidente qui a amené la présentation du projet dont la chambre est saisie, qu’il conviendrait que le commissaire d’arrondissement pût former appel contre les irrégularités des listes électorales. L’opinion de M. Lejeune, je vous prie de le remarquer, est ici complètement désintéressée ; car s’il fait partie de cette chambre, il n’est pas élu par l’arrondissement où il exerce ses fonctions de commissaire d’arrondissement.

M. Rogier. - Il pourrait l’être.

M. de Theux. - Oui, mais il ne l’est pas, il est donc complètement désintéressé dans cette question.

L’honorable préopinant a fait ressortir l’importance que j’ai attachée dans la discussion générale à l’admission du principe nouveau consacré par le projet de loi. Les difficultés qu’il y a à faire compléter les listes ou rayer les individus n’ayant pas le droit d’y être portés, les frais et les désagréments d’une action à intenter la plupart du temps à des habitants d’une même commune, pour les faire rayer de la liste sur laquelle ils sont indûment portés ; ce sont ces motifs qui me font persister à soutenir que l’intervention du commissaire de district est très utile, et qu’elle est même nécessaire, au moins quant aux radiations. Je ne la considère pas comme devant être exercée d’une manière arbitraire. Je considère la loi comme imposant un devoir au commissaire de district. C’est sous ce point de vue que j’en défends le système, à tel point que, dans mon opinion, un commissaire de district qui ne ferait rayer que les électeurs indûment inscrits d’une opinion et maintiendrait sur la liste des électeurs également indûment inscrits d’une opinion favorable à la sienne, et agirait de la même façon pour l’inscription des individus amis, manquerait gravement à ses devoirs et encourrait une grave responsabilité. Voilà ma manière de voir, je la proclame, je ne veux de la partialité des fonctionnaires publics au profit de quelque opinion que ce soit. Peu importe entre les mains de qui se trouve le gouvernement, ainsi qu’on l’a dit, c’est une chose variable dans un régime constitutionnel, l’intervention du commissaire d’arrondissement doit être une action sincère, vraie, nullement arbitraire.

Mais, messieurs, comment se pratiquera l’intervention du commissaire d’arrondissement, car il faut avant tout examiner l’application de la loi ? L’intervention du commissaire d’arrondissement aura lieu surtout, et je dirai presque exclusivement, du chef des documents fournis par les agents du département des finances ; c’est-à-dire que la plupart du temps, son appel sera basé sur la discordance des listes dressées par l’administration communale avec les renseignements contenus dans les rôles fournis par le receveur des contributions, et certifiés conformes par le contrôleur. Ces rôles seront envoyés à la députation permanente, corps électif qui exercera un contrôle sur l’action du commissaire d’arrondissement, et verra bientôt s’il apporte un esprit de parti dans l’exercice de ses fonctions.

Si les commissaires d’arrondissement interjettent appel, du chef de renseignements particuliers qu’ils auront obtenus, ils ne peuvent le faire qu’en joignant à l’appel les pièces justificatives qui leur auraient été remises, car la députation ne va pas rectifier des listes sans preuve ; il faut que l’appel soit accompagné de preuves. Cette preuve sera le résultat des rôles ou d’autres documents écrits qui contiendront la preuve qu’il y a omission ou inscription indue sur la liste dressée par l’autorité communale.

Mais, messieurs, quelle que soit l’opinion d’un citoyen qui désire que l’appel soit formé par l’intermédiaire du commissaire d’arrondissement, il lui suffira de s’adresser à ce commissaire et de lui fournir les pièces constatant qu’il a un droit à être porté sur la liste ou qu’un autre n’a pas le droit de l’être, pour qu’il intervienne, Il y a donc égalité de position. Mais, dit-on, il peut arriver que le commissaire soit candidat aux élections dans son propre arrondissement, il aura le plus grand intérêt à maintenir les inscriptions indues de ceux qui lui sont favorables et à ne pas suppléer aux omissions faites par l’autorité communale de ceux qui lui seraient contraires. Mais le commissaire sera dans tous les cas obligé de confronter les rôles avec les listes, qu’il s’agisse ou non de son élection. S’il s’agissait de son élection et qu’il n’eût pas tiré parti des renseignements contenus dans les rôles, pour infirmer les listes dressées par l’autorité communale, ce commissaire aurait forfait à son devoir, il devrait s’attendre aux conséquences qu’il se serait justement attirées.

Mais, messieurs, le commissaire d’arrondissement n’a-t-il pas, sous l’empire de la loi actuelle, au moins indirectement, les facilités que la loi nouvelle lui donne ? Sil s’agissait de son propre intérêt, c’est sur ce fait qu’on a insisté, je dis que le commissaire serait dans une position plus favorable sous la loi actuelle que sous la loi nouvelle, car, par la loi nouvelle, il sera obligé d’intervenir alors que son intervention aurait des conséquences fâcheuses pour son élection, tandis que, dans la loi actuelle, il ne doit intervenir en aucune manière. Il n’aurait qu’à s’entendre avec un de ses administrés jouissant de ses droits civils et politiques et le charger de faire des réclamations contre ceux qu’il désire voir écarter des listes. Cet argument qu’on a présenté comme décisif ne l’est nullement, il justifie au contraire la disposition.

Ce que je viens de dire d’un commissaire de district agissant dans son intérêt s’applique, à plus forte raison, à un commissaire agissant dans l’intérêt d’un candidat de son opinion.

D’ailleurs, messieurs, il y aura toujours une publicité quelconque, touchant l’action des commissaires d’arrondissement. Cette publicité existera par le fait seul de l’envoi des documents à la députation.

On a fait une seconde objection. On a dit : le projet actuel à l’amendement de la section centrale diminue la facilité que les particuliers ont, sous l’empire de la loi actuelle, de former des réclamations ; on a dit : Le projet fixe un délai pour les particuliers, et sous l’empire de la loi de 1831, il n’y avait pas de délai. C’est une erreur capitale, c’est précisément le contraire ; sous l’empire de la loi de 1831, aux termes de l’art. 8, le particulier qui veut faire rayer un individu indûment porté sur la liste qui est affichée, ou une personne omise qui veut s’y faire inscrire, n’a que quinze jours à dater de l’affiche ; mais ce délai, le projet ne l’ôte, en aucune manière, au particulier ; la disposition de l’art. 8 demeure, subsistera dans sa pleine vigueur. Mais voici ce que le projet accorde au particulier ; c’est pour le cas où il n’aurait pas pu ou voulu adresser sa réclamation directement à l’autorité communale dans le délai de 15 jours à dater de l’affiche, on lui accorde un nouveau délai de 10 jours, et cette fois-ci il peut porter directement sa réclamation devant la députation permanente, sans passer par l’autorité communale.

Mais aux termes de la loi de 1831, pour être recevable à former appel auprès de la députation, il fallait avoir, dans le premier délai de quinze jours, adressé une réclamation à l’autorité communale. Vous voyez donc que le projet actuel facilite au contraire l’action des particuliers.

Seconde observation. La loi de 1831 n’accorde une intervention aux particuliers que dans le cas d’une inscription indue ; mais s’il s’agit d’une omission, l’intéressé a seul le droit de réclamer. La loi actuelle donne à tous le droit d’intervenir, du chef d’une omission, de même qu’au commissaire d’arrondissement. Vous voyez donc que les positions sont égales entre les citoyens exerçant leurs droits civils et les commissaires d’arrondissement.

Je pense, messieurs, avoir brièvement rencontré toutes les observations. Je dirai maintenant quelques mots sur l’amendement de M. Mercier.

Le paragraphe premier porte :

« Dans tous les cas où l’appel sera formé du chef d’omission ou de radiation indues, l’appelant fera déposer au secrétariat de la commune où l’intimé a son domicile, et dans les vingt-quatre heures à partir de la notification, une expédition des pièces relatives à l’appel. »

Messieurs, je pense que cet amendement peut être utile, si l’appel est dirigé contre une omission ; mais qu’il est inutile s’il s’agit de radiations indues. En effet, lorsqu’il s’agit d’une radiation indue les noms ont déjà été portés sur la liste qui a été affichée par l’administration communale ; et ce n’est que par suite de réclamations que l’administration communale a rayé ces noms. L’action de l’administration communale est épuisée, et il est inutile, en cas d’appel contre sa décision de faire une nouvelle notification et de procéder à une nouvelle affiche.

L’amendement ne peut avoir d’utilité qu’en cas d’omission, car l’autorité communale n’a pas eu à statuer une première fois sur l’inscription omise. Il suffirait donc de mettre :

« Dans tous les cas où l’appel sera formé du chef d’omission sur la liste affichée, conformément aux dispositions de l’art. 5 de la loi du 3 mars 1831, l’appelant fera déposer au secrétariat de la commune, etc. »

J’appelle votre attention sur cette observation. Il y aurait double emploi en ce qui concerne les radiations ; il est inutile de communiquer les pièces à l’administration communale, pièces sur lesquelles elle a déjà statué.

Un membre. - Mais pour les électeurs ?

M. de Theux. - Mais la loi actuelle n’exige pas, lorsqu’il s’agit de l’appel contre une décision de l’administration communale, la publicité des pièces ; on n’a jamais reconnu qu’il y eût d’inconvénients aux dispositions existantes, en ce qui concerne les appels pour radiation.

Le § 2 porte :

« L’administration communale fera immédiatement afficher, dans la forme prescrite par l’art. 8 de la loi du 3 mars 1831 et par le § 2 de l’art, 4 de la loi du 25 juillet 1834, n° 604, et, en outre, publier dans un journal du district, ou, s’il n’en existe pas, dans un journal de la province, les noms des intimés du chef d’omission ou de radiation indues ; les noms resteront affichés pendant huit jours. »

Je demande également la suppression des mots : ou de radiation indue.

Je fais remarquer en outre que, d’après tels articles, il y aurait cumul de publicité, publicité par voie d’affiche et publicité par voie des journaux. Ce cumul est inutile : il n’est pas exigé par les lois actuelles ; l’affiche est le seul moyen de publicité exigé, soit qu’il s’agisse de la liste principale, soit qu’il s’agisse de la liste supplémentaire.

Peu m’importe, du reste, le moyen de publicité que l’on emploie, soit l’affiche, soit la voie des journaux ; mais, je le répète, le cumul est inutile.

Le § 3 porte :

« Chacun pourra prendre inspection des pièces relatives à l’appel, au secrétariat de la commune. »

Je n’ai pas d’objection à faire à ce paragraphe.

« § 4. Tout individu jouissant des droits civils est politique pourra, dans les huit jours, à dater de l’affiche des noms, intervenir dans l’instance d’appel. L’intervention sera notifiée aux intéressés. »

Je ne vois pourquoi l’intervention d’un particulier dans un appel formé auprès de la députation permanente. Le but qu’on doit obtenir, c’est que chacun puisse faire connaître ses observations à l’autorité communale qui en fera part à la députation permanente, ou qui lui adressera d’office des observations, s’il y a lieu.

Je ne vois aucune espèce de nécessité à cette disposition.

« § 5. Le commissaire de district pourra, d’office, dans les 10 jours de la réception de la liste, interjeter appel auprès de la députation permanente, contre toute inscription, omission ou radiation indues, en joignant les pièces à l’appui, ainsi que la preuve qu’il a été notifié à la partie intéressée, laquelle aura 10 jours pour y répondre, à partir de la notification. »

Messieurs, ce n’est pas seulement le commissaire d’arrondissement qui doit renvoyer à la députation les pièces justificatives de son appel mais il faut que la même obligation soit imposée à tout individu qui formera un appel en son nom, il ne faut pas de privilège pour un particulier qui interjetterait un appel à la légère ; il faut qu’il joigne les pièces justificatives de l’appel pour que la députation puisse juger sur pièces écrites ; il ne faut donc pas établir de distinction.

M. Malou, rapporteur. - Le numéro 2 de l’amendement de M. Mercier est le paragraphe proposé par le gouvernement. En accordant l’appel aux commissaires d’arrondissement, comme aux particuliers, il faut qu’ils joignent à cet appel la preuve qu’il a été notifié.

M. de Theux. - Il faut dans tous les cas les pièces justificatives de l’appel. La députation doit pouvoir juger sur pièces, et non pas sur une simple assertion.

L’honorable M. Dumortier a demandé pourquoi les commissaires interviendront dans les omissions ; il voudrait que leur intervention se bornât aux cas d’inscriptions ou de radiations indues.

L’intervention des commissaires d’arrondissement n’est pas plus dangereuse dans un cas que dans l’autre, puisque dans tous les cas leur action pourra être contrôlée.

Je n’en dirai pas davantage pour le moment sur cet amendement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j’ai déjà dit à la chambre par quelle série d’idées j’avais été amené à vous proposer de consacrer une sorte d’intervention en faveur de l’autorité publique dans la révision des listes électorales. Plusieurs fois l’impuissance du gouvernement avait été signalée, plusieurs fois on avait même semblé exprimer des regrets au sujet de cette impuissance. Je vous propose aujourd’hui de la faire cesser.

Cette intervention accordée à l’autorité publique, il ne faut pas l’exagérer ; et je crois qu’on l’exagère singulièrement. Cette intervention se fait par voie de réquisition ; c’est à quoi elle se borne.

Vous voyez donc que supposer que les commissaires de district vont établir une espèce de fabrique d’électeurs, c’est réellement ne pas avoir lu le texte de la loi.

Les commissaires de district agissent par voie de réquisition devant la députation permanente ; leur appel doit être appuyé de pièces.

De deux choses l’une, messieurs, la députation permanente, statuant sur l’appel, donnera gain de cause au commissaire de district appelant, ou bien statuera dans un sens opposé à celui qui a engagé le commissaire de district à agir.

Si la députation permanente décide que oui, c’est-à-dire dans le sens du commissaire d’arrondissement, de quoi se plaint-on ? Il se trouve que le commissaire d’arrondissement a eu raison d’interjeter appel. Si la députation permanente statue que non, et si une décision de ce genre n’est prise qu’une fois, le commissaire de district ne sera pas suspect pour s’être trompé une fois. Mais si un commissaire de district éprouvait cette espèce d’échec un grand nombre de fois devant la députation permanente, je dis que ce fonctionnaire public se compromettrait gravement. Je pense, quant à moi, que tous les commissaires d’arrondissement y réfléchiront avant d’interjeter appel légèrement.

Un membre. - Si c’est le ministre qui le pousse ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Si c’est le ministre qui le pousse, la responsabilité retombera sur le ministre.

J’entends dire : Vous êtes à côté de la question. Je dis que ceux qui ont raisonné devant vous comme s’il s’agissait d’une inscription d’office par le commissaire d’arrondissement, sont à côté de la question.

Messieurs, il n’y a pas ici d’inscription d’office ; il n’y a pas de fabrique d’électeurs. Il ne faut pas supposer qu’au dernier moment un commissaire de district pourra introduire, en quelque sorte furtivement, un grand nombre d’électeurs qui lui seraient favorables, ou qui seraient favorables à une opinion. Il ne le peut pas. Il s’adresse à la députation permanente. Et c’est elle qui statue.

Je dis, comme plusieurs honorables préopinants, que l’on vient en réalité au secours de l’action individuelle inerte. On vient au secours de l’action individuelle inerte, en ce sens que si un citoyen se présentait devant un commissaire d’arrondissement, muni des pièces constatant qu’un tel est indûment inscrit, ce commissaire d’arrondissement interjetterait appel ; il devrait le faire. S’il ne le fait pas, le citoyen qui s’est présenté avec les pièces, pourra le faire. Et c’est pour cela que je désire, avec l’honorable M. Delfosse, que le délai accordé au commissaire d’arrondissement pour interjeter appel, soit également accordé au citoyen. Je désire que le citoyen qui est muni des pièces nécessaires pour constater, par exemple, une inscription indue, se présentant chez le commissaire d’arrondissement, puisse en quelque sorte le mettre en demeure, lui dire : Voici les pièces ; agissez ; si vous n’agissez pas, vous n’échapperez pas à l’appel ; l’opinion que vous favorisez n’échappera pas à l’appel ; je le ferai moi-même ; car je suis dans le délai. C’est pour que le citoyen puisse prendre cette position vis-à-vis de l’autorité publique, que j’appuie l’adoption de l’amendement de l’honorable M. Delfosse. Si cet amendement n’était pas adopté, alors véritablement le citoyen muni des pièces nécessaires ne pourrait prendre cette attitude vis-à-vis le commissaire d’arrondissement. Il arriverait peut-être au moment où le délai pour le citoyen serait écoulé ; et alors le commissaire d’arrondissement pourrait dire : je n’interjetterai pas appel, malgré l’évidence résultant des pièces que vous produisez ; et je puis vous braver impunément, parce que vous ne pouvez plus interjeter appel ; les délais sont expirés, quant à vous. Eh bien ! je ne veux pas qu’un commissaire d’arrondissement puisse prendre cette position vis-à-vis d’un citoyen qui lui produirait les pièces nécessaires.

Je me suis déjà, messieurs, expliqué sur l’amendement proposé par l’honorable M. Mercier.

L’honorable M. de Theux voit un double emploi dans l’affiche exigée dans la commune et de plus la publication dans un journal. J’en conviens, il y a ici deux moyens de publicité. Le premier moyen de publicité, l’affiche, n’existe que dans les cas ordinaires. Mais n’y a-t-il pas ici un cas extraordinaire qui justifie l’espèce de double emploi, le deuxième moyen de publicité ? L’affiche est sans doute un moyen de publicité ; mais c’est, je dois le dire, un moyen de publicité tout à fait local, un moyen de publicité un peu obscur, je dois le dire, quoique ces deux mots doivent être étonnés de se trouver ensemble.

Le moyen de publicité par la voie du journal est un moyen bien plus étendu et bien plus certain ; je pense donc que nous pouvons adopter le second moyen de publicité, que la publicité par les journaux sera une espèce de frein pour l’autorité publique. Et j’admets qu’il faut des freins aux agents de l’autorité publique.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ainsi, pour ma part, je persiste à adopter cette partie de l’amendement de l’honorable M. Mercier.

Je propose aussi d’adopter le premier amendement de l’honorable M. Delfosse, quant aux délais.

Messieurs, je ne puis assez le répéter : que l’on ne perde pas de vue qu’il ne s’agit pas ici de donner aux commissaires d’arrondissement le droit d’inscription d’office ou de radiation. Il s’agit de lui donner une intervention par voie de réquisition, rien de plus. Sa conduite sera définitivement jugée, elle sera appréciée par le résultat des décisions de la députation permanente. De deux choses l’une : ou la députation statuera en lui donnant raison, et dès lors, de quoi se plaint-on ? Où la députation statuera en lui donnant tort, et dès lors, je n’hésite pas à dire que si un commissaire de district éprouvait souvent des échecs de ce genre, il serait gravement compromis et devant le pays, et devant le gouvernement lui-même.

M. Verhaegen. - Messieurs, voilà donc le prix auquel nous devons payer la disposition, inefficace d’après moi, de l’art. 2 que nous avons voté hier. Je me trompe, ce n’est encore qu’une partie du prix, mais cette partie déjà est énorme.

Je le dis sans détour, si la disposition actuellement en discussion passe, certaine opinion est maîtresse du terrain électoral :

Messieurs, ce qu’on nous demande, c’est de donner les mains à un véritable coup d’Etat, c’est de substituer le fait au droit ce qu’on nous propose, c’est une violation de la constitution.

J’ai toujours pensé que les trois pouvoirs devaient être indépendants ; j’ai toujours cru que les sources de ces pouvoirs devaient rester pures et qu’elles ne pouvaient pas se confondre. Eh bien, on aura beau prendre des précautions oratoires, ce que l’on veut, c’est de corrompre les sources du pouvoir législatif et d’amener ainsi une confusion entre ce pouvoir et le pouvoir exécutif. Si le pouvoir exécutif intervient dans les élections, il concourt nécessairement à la formation du pouvoir législatif, et dès lors ce dernier pouvoir ne conserve plus dans sa source l’indépendance que lui assure la constitution.

En vain, M. le ministre de l’intérieur nous dit-il que l’on n’accorde au pouvoir exécutif dans la personne de commissaires de district qu’un droit de réquisition. Mais ce droit de réquisition amène à sa suite le droit de décision. Il emporte avec lui les conséquences les plus graves, surtout dans les cas d’omissions sur les listes électorales.

L’honorable M. de Theux a fait valoir, comme un argument à l’appui de son opinion, ce que nous avait dit, dans une séance précédente, l’honorable M. Lejeune ; d’après lui, une foule d’individus qui ne payent pas le cens figurent sur les listes électorales et y ont été portés d’office ; d’où la nécessité de faire intervenir le commissaire de district.

Mais, messieurs, l’observation de l’honorable M. de Theux en nécessite une autre de ma part ; et quand on se pénétrera bien de l’esprit de la loi que nous discutons, on aura la conviction que tout, dans les élections, sera laissé à l’arbitraire du pouvoir exécutif.

Les listes sont formées par le collège des bourgmestre et échevins. Mais si un bourgmestre porte sur une liste des individus qui n’ont pas le droit d’y être, quelle sera sa position ? On ne pourra lui appliquer aucune peine, car la loi n’en prononce point contre une pareille infraction, et cependant celui qui porte sur une liste électorale un individu qui ne paie pas le cens, ne peut pas se disculper en invoquant une erreur, car il se trouve dans une position toute différente de celle où il se serait trouvé s’il avait oublié de porter sur la liste un homme qui paie le cens et qui a le droit d’y être. Une affirmation et une négation ne peuvent pas être mises sur la même ligne.

Ainsi un bourgmestre, sans s’exposer à aucune peine, fera figurer sur les listes électorales des individus ne payant point le cens, et le commissaire de district, agent du gouvernement, ayant connaissance de ces inscriptions indues, appellera ou n’appellera pas, suivant que cette fraude aura été commise au profit de telle ou de telle opinion, car telle opinion est aujourd’hui au pouvoir, telle autre y sera demain, et dans ces différentes positions, le commissaire de district fera pour les uns ce qu’il ne fera pas pour les autres.

Cette intervention ne présente aucun danger, dit-on, parce qu’elle se borne à une simple réquisition. Mais, messieurs, il ne faut pas tant fixer votre attention sur le cas où le commissaire de district appellera, que sur celui où il n’appellera pas. Le danger consiste en ce qu’il appellera dans tel cas et n’appellera pas dans tel autre.

« Mais, ajoute-on, le commissaire de district connaîtra son devoir, et si le commissaire de district se permettait de faire des appels téméraires, ou s’il négligeait d’appeler quand les circonstances l’exigent, alors le gouvernement, qui aurait connaissance de sa négligence ou de sa partialité, lui ferait d’abord des injonctions, et si elles restaient sans effet, il emploierait d’autres moyens pour faire cesser l’abus. » Mais, messieurs, le gouvernement qui aurait intérêt à ce que le commissaire de district agît dans tel ou tel sens, se garderait certes bien de le réprimander ; au contraire, il lui saurait gré de son dévouement, et la conduite de l’honorable M. Nothomb nous en a fourni plus d’une preuve.

Le gouvernement sévirait ou ne sévirait pas, suivant les circonstances ; il sévirait dans le cas où le commissaire de district, en ne remplissant pas son devoir, aurait contrarié les intérêts du ministère, il ne sévirait pas au contraire lorsque sa négligence ou son abstention lui aurait été utile.

« Mais il faut avoir confiance dans les commissaires de district, » et c’est l’honorable M. de Theux qui nous tient ce langage ! Messieurs, nous avons, dans cette enceinte, des collègues commissaires de district, qui sont dignes de notre estime.

Aussi n’est-ce pas à eux que je veux faire allusion ; mais je vous avoue qu’il en est d’autres dans lesquels je n’ai pas la même confiance ; pour ne vous en donner qu’un exemple, je vous dirai que l’honorable M. de Theux, quelques jours avant sa retraite, a nommé aux fonctions de commissaire de district un homme flétri par la justice, et cet homme est encore en fonctions. Je ne citerai pas de nom propre, je n’indiquerai même pas la province, mais tout le monde sait de qui je veux parler, et l’honorable M. de Theux surtout ne pourra pas se méprendre sur mes paroles ; et ce serait de pareils hommes qu’il faudrait faire intervenir dans la formation des listes électorales ? Où donc allons-nous ?

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. Verhaegen. - Ensuite la presse vous a appris, il n’y a pas bien longtemps, quelle est l’impartialité de certains commissaires de district ; il en est un, entre autres, qui a si bien compris ses devoirs, qui a si bien apprécié la dignité du pouvoir civil, qui a montre tant d’impartialité pour les partis, que relativement à la nomination d’un bourgmestre, il est allé consulter officiellement le curé du village. La lettre qui mérite d’être lue se trouve dans les journaux d’hier, et le gouvernement gardera-t-il le silence à cet égard ? Et l’on veut que nous ayons confiance dans les commissaires de district, que nous nous en rapportions à leur impartialité !

Disons-le franchement, messieurs, la disposition dont nous nous occupons est faite pour rendre certain parti maître, complètement maître des élections prochaines.

Je ne me fais pas illusion sur ce point, et personne, ne pourra prendre le change.

Deux de mes honorables amis vous ont présenté des amendements, mais j’ai l’entière conviction qu’ils ne l’ont fait que très subsidiairement, et qu’ils ne veulent ni l’un ni l’autre de l’intervention du pouvoir exécutif dans les élections. L’honorable M. Delfosse s’en est expliqué formellement, et je suis persuadé que l’honorable M. Mercier partage la même opinion.

Je crois que si ce principe était admis, ce serait pour eux, comme pour moi, une raison suffisante pour voter contre la loi, indépendamment de tous les autres motifs que nous avons déjà fait valoir.

L’honorable M. Delfosse nous a signalé un grand inconvénient. Comme il nous l’a dit, le commissaire de district aura tout le temps nécessaire, ce sera l’avocat banal qui agira dans l’intérêt du ministère, il agira sans frais, et il aura toutes les facilités, tandis que les particuliers, eussent-ils même un délai de 10 jours francs, ne pourront pas atteindre le but qu’ils doivent se proposer, dépourvus qu’ils sont des moyens que possède l’agent du gouvernement. L’honorable M. Delfosse nous a démontré ensuite que dans certaines circonstances il pourra se faire que le délai soit expiré avant même que les pièces n’arrivent au commissariat de district. Il vous a présenté à cet égard un amendement, et comment le combat-on ? En parlant des devoirs imposés aux bourgmestres. On vous a dit qu’il faut présumer que les bourgmestres rempliront ces devoirs, et on a ajouté que s’ils ne les remplissent pas, ils seront destitués ; mais, messieurs, en supposant qu’il en fût ainsi, l’élection, que deviendrait-elle ?

Un membre. - On l’annulerait.

M. Verhaegen. - Resterait à voir ce qui arriverait avec l’omnipotence de la chambre.

Croyez-vous, messieurs, que les bourgmestres, surtout les bourgmestres des campagnes, remplissent leurs devoirs avec tant d’exactitude et de célérité ; qu’ils se rendent immédiatement aux ordres du gouvernement ? Mais il suffit d’interroger ceux de nos honorables collègues qui remplissent les fonctions de commissaires de district ; ils vous diront combien de fois ils sont obligés d’envoyer des commissaires spéciaux dans les communes, combien de fois ils sont obligés de faire chercher les dépêches que les administrations communales auraient dû leur envoyer depuis longtemps ? Et vous croyez que du jour au lendemain vous aurez les listes électorales !

Maintenant, je vous le demande, messieurs, quelle garantie donne-t-on aux électeurs en les renvoyant à des présomptions si trompeuses, aux devoirs des bourgmestres, aux devoirs des commissaires de district ! L’homme d’ailleurs se trouve dans une fausse position lorsqu’il est placé entre son devoir et son intérêt. Le devoir deviendra bientôt chez les agents du pouvoir exécutif, une chose bien fragile lorsque leur intérêt, lié à l’intérêt du gouvernement, sera en opposition avec ce devoir.

Il y aurait, messieurs (et ceci sert de réponse à la partie principale du discours de l’honorable M. de Theux), il y aurait une garantie à donner contre l’inscription sur les listes électorales d’individus qui ne paient pas le cens ; si on ne craignait pas de mettre l’homme entre sa conscience et son intérêt, pourquoi n’exigerait-on pas de chaque personne qui vient déposer son bulletin dans l’urne le serment qu’elle est réellement électeur, qu’elle possède les bases du cens ?

M. Malou, rapporteur. - Je demande la parole.

M. Verhaegen. - Il paraît que cela ne vous convient guère, messieurs. Il me semble cependant que l’homme sincère, l’homme qui a des principes, quelles que soient d’ailleurs ses croyances religieuses, ne fait pas un faux serment, ne forfait pas à l’honneur.

Je soumets ces réflexions à vos méditations. Je crains qu’elles ne reçoivent pas un appui favorable ; cependant ceux qui veulent la sincérité des élections devraient vouloir cette garantie, qui pour moi serait plus forte que les devoirs présumés des bourgmestres et les devoirs présumés des commissaires de district.

Je n’ai rien entendu, messieurs, qui puisse servir de réponse aux arguments donnés à l’appui de l’amendement de l’honorable M. Delfosse ; il m’est donc permis de dire que dans plusieurs circonstances, et lorsqu’on le voudra, les délais seront expirés avant que les citoyens ne puissent interjeter appel.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’accepte l’amendement.

M. Verhaegen. - Il y en a d’autres qui n’en veulent point.

Je crois, messieurs, qu’il est inutile de vous en dire davantage. Il me semble que la majorité est décidée à repousser tous les amendements que nous pourrions vous proposer ; quoiqu’il en soit, j’ai rempli mon devoir et je termine comme j’ai commencé, en disant que je considère la disposition qu’on nous présente comme un véritable coup d’Etat au moyen duquel on veut s’emparer des élections prochaines.

M. Dubus (aîné). - Messieurs, et moi aussi, je suis de l’opinion que la disposition dont nous nous occupons est très importante ; je pense qu’à défaut d’une disposition semblable, vous vous exposez à voir corrompre la source du pouvoir législatif (pour me servir d’une expression de l’honorable préopinant). A mes yeux, du vote qui sera donné sur l’article en discussion, dépendra la question de savoir si l’on veut sincèrement, oui ou non, réprimer les fraudes électorales, et je dis les fraudes électorales les plus scandaleuses ; fraudes qui ne violent pas seulement la loi électorale, mais aussi la constitution elle-même.

Aujourd’hui, messieurs, la constitution est violée, et elle est impunément violée, et l’on ne veut pas donner le moyen de la faire respecter !

Voilà en deux mots toute la question, tout le débat.

Les faits qui nous ont été révélés nous apprennent que dans certaines communes un grand nombre d’électeurs, la majorité des électeurs inscrits sur les listes, sont de faux électeurs, sans que le moyen prévu par la loi électorale, je veux parler de l’action populaire, ait amené l’élimination de ces faux électeurs.

Ces faits accusent donc tout à la fois et le mal et l’inefficacité du remède qui est prévu par la loi. Il faut donc recourir à un autre remède. Eh bien, cet autre remède, on le repousse de toutes ses forces ; on n’indique, d’ailleurs, aucun moyen d’y suppléer ; par conséquent, ou veut maintenir les abus, on ne veut pas réprimer les véritables fraudes.

Quoi ! dans trois communes seulement, sur 182 électeurs, il en est 102 qui ne paient pas le cens, et l’on ne serait pas effrayé de pareils abus ! On ne dira pas qu’à tout prix il faut trouver un moyen de les faire cesser !

On me dit que les citoyens étaient là, que l’action populaire était ouverte. Mais cette action populaire, qu’a-t-elle produit ? Rien, absolument rien, puisqu’aucune réclamation n’a eu lieu contre l’inscription de ces faux électeurs, qu’ils ont été conservés sur la liste électorale. Vous ne pouvez pas répondre à ce fait ; il existe, il est là….

M. de Garcia. - Je demande la parole.

M. Dubus (aîné). - Ainsi, il ne s’agit pas ici d’électeurs qui seraient portés sur les rôles des contributions en vertu de déclarations reposant sur des bases qu’ils ne possèderaient pas, fait qui a donné lieu à tant de réclamations ; mais il s’agit d’individus qui ne paient réellement pas le cens, dont plusieurs ne paient pas même le minimum établi par l’art. 47 de la constitution, et qui cependant sont inscrits sur la liste électorale.

Ainsi, comme je l’ai dit, non seulement la loi électorale, mais la constitution elle-même est violée, et elle est violée impunément.

Maintenant vous ne voulez pas qu’il y ait un agent quelconque qui soit chargé de veiller, dans l’intérêt général, à ce que la constitution s’exécute, à ce qu’il ne lui soit pas porté de semblables atteintes, à ce que, soit par négligence, soit par connivence, les villes ne soient pas composées, en grande partie, de faux électeurs ? Apparemment que ce n’est pas là un objet d’intérêt général, c’est une chose dont on doit prendre peu de souci !

L’action populaire est là ; mais remarquez que cette action populaire ne s’exerce que par les individus et dans un intérêt individuel ou de parti. Mais qui représentera l’intérêt général ? Qui agira dans l’intérêt général ? Qu’on réponde ; qu’on indique un fonctionnaire qui sera chargé de ce soin ; mais on s’en garde bien, on n’en indique aucun, on s’attache seulement à repousser celui qui est indiqué par le projet du gouvernement. Le but est évident, c’est qu’on ne veut pas la répression des abus.

Messieurs, j’ai écouté avec beaucoup de patience toutes les déclamations passionnées qui ont été produites dans cette enceinte sur les fraudes électorales ; eh bien, il n’y a rien de comparable aux faits de fraude qui ont été signalés par l’honorable M. Lejeune, et cependant on demeure impassible devant de pareils faits !

Là cependant, il y avait matière à plus que des déclamations. Il semble, en vérité, qu’il y ait des abus dont on profite et dont, pour ce motif, on ne veut pas la répression ; mais il faut être impartial, et pour cela il faut vouloir la répression de tous les abus. Or, la loi que nous discutons tend précisément à ce but ; le gouvernement nous a annoncé que le but de la loi est de réprimer tous les abus en matière électorale, et non pas seulement tels ou tels abus qui ont pu être signalés par telle ou telle opinion dans son intérêt exclusif.

Selon moi, messieurs, d’après les faits dénoncés, il est évident qu’il faut un contrôle de la formation des listes ; le gouvernement nous propose ce contrôle dans l’article eu discussion, en donnant au commissaire d’arrondissement le droit de vérifier les listes, et lorsqu’il constatera des abus de la nature de ceux qui ont existé, de les dénoncer à la députation permanente, qui, après les avoir vérifiés, les réprimera.

Voilà toute la loi. Il semble véritablement, messieurs, qu’il n’y ait pas d’objection sérieuse à faire contre une semblable proposition.

Mais, dit-on, vous chargez de ce soin un agent du gouvernement. Mais, messieurs, dans toute autre matière, où il est question d’agir dans l’intérêt général pour faire réprimer les abus, pour faire respecter les lois, il me semble que c’est toujours un agent du gouvernement qui prend l’initiative. Pourquoi voulez-vous faire une exception au cas actuel ? Mais, dit-on, il s’agit de la formation des listes, de la source même du pouvoir législatif. Eh bien, n’est-ce pas une raison pour désirer que ces listes soient épurées, que si elles contiennent les noms de faux électeurs, on les en fasse disparaître. L’objection même que vous faites tourne donc contre vous.

Mais on répond : Le commissaire de district ne fera pas tout ce qu’il doit faire ; il ne sera pas impartial ; parce que c’est un agent du gouvernement, il sera nécessairement partial, et parce qu’il sera partial, il voudra exclure certains noms, et il s’abstiendra de provoquer l’exclusion de certains autres.

Il y a plus, dit-on, cet agent sera peut-être un candidat aux élections et alors son intérêt particulier se joindra à l’intérêt du gouvernement lui-même, pour le déterminer à cette partialité.

Messieurs, on vous a déjà fait, sur ce point, une réponse tout à fait péremptoire. Le commissaire qui préférerait son intérêt à son devoir, qui serait partial, qui agirait, dans le sens qu’on a supposé, n’aurait pas besoin de l’attribution nouvelle qui lui est faite par le projet de loi et dont l’usage ne peut que compromettre sa responsabilité de commissaire d’arrondissement, puisqu’en mettant de côté cette responsabilité, il peut déjà faire ce que vous ne voulez pas qu’il fasse. Car, agissant en son nom privé, il peut déjà choisir sur la liste les faux électeurs dont il voudrait l’exclusion, et négliger ceux qu’il désirera conserver. Et en cela vous n’auriez aucun reproche à lui adresser, puisque tout individu, lorsqu’il agit comme individu, agit dans son intérêt individuel et n’a pas de compte à rendre de ses préférences ni de ses motifs.

S’il ne veut pas même mettre son nom en jeu, il peut aisément trouver un autre individu, jouissant de ses droits civils et politiques, auquel il fournira les éléments nécessaires pour intenter les actions.

Vous voyez donc que cette seule considération fait évanouir complètement toute l’objection. La faculté dont on veut vous faire un fantôme existe déjà, et elle existe sans aucune garantie, sans que la responsabilité du fonctionnaire soit engagée ; sans qu’il ait un compte à rendre, tandis que la proposition du gouvernement lui faisait un devoir d’examiner la liste, de la contrôler, et de demander la radiation de tous les noms qui doivent être rayés. Ce n’est plus ici l’individu qui est en jeu, c’est le fonctionnaire en sa qualité de fonctionnaire, et sa responsabilité de fonctionnaire se trouverait compromise, s’il manquait à son devoir.

Ainsi, bien loin que la proposition ait les conséquences qu’on vous a présentées, vous voyez qu’elle offre des garanties qui n’existent pas aujourd’hui.

Quant à la responsabilité de ce fonctionnaire, il y a un contrôle établi dans la publicité et dans le droit de tout individu jouissant de ses droits civils et politiques, de se livrer au même travail d’épuration et de vérification des listes, qui est imposé au commissaire d’arrondissement.

Et ce n’est pas là une garantie dérisoire. Si réellement un commissaire d’arrondissement avait mis, dans l’exercice de ses fonctions, la partialité qu’on a supposée, et si la députation, saisie des appels du commissaire d’arrondissement, recevait d’autres individus des réclamations fondées et justifiées par la comparaison même des pièces que le commissaire d’arrondissement adressera à la députation, et que le commissaire d’arrondissement aurait négligé de former dans un intérêt de parti, n’est-il pas manifeste que sa partialité serait mise à découvert précisément par l’exercice de ce contrôle qu’établit la loi en discussion ?

Ainsi, alors qu’il serait porté à négliger ainsi de signaler les faux électeurs utiles à son parti, car vous le supposez d’un parti, il doit penser que d’autres les signaleront et que, par suite, sa partialité serait mise en évidence, ce à quoi il ne voudra pas s’exposer. Vous le voyez donc, vous ne devez pas craindre cette partialité, d’autant moins qu’aujourd’hui, en son nom privé, par lui-même, au moyen d’autres individus jouissant de leurs droits civils et politiques, il peut déjà provoquer les rectifications qu’il désire et faire un choix dans les radiations à opérer sur les listes.

Mais, a-t-on dit, cette action populaire n’est pas un contrôle suffisant, car comment voulez-vous qu’un individu puisse, dans un délai aussi court que celui assigné au commissaire de district, examiner toutes les listes d’un district, tous les rôles et intenter toutes les réclamations dont cet examen peut faire reconnaître la nécessité ou l’utilité ? Ce n’est pas un individu qui est autorisé à faire ce contrôle, ce sont remarquez-le bien, tous les individus jouissant de leurs droits civils et politiques, c’est un grand nombre, ce sont des milliers d’individus.

Il me semble que dans ce grand nombre de personnes, il s’en trouvera assez pour examiner en peu de temps toutes ces listes.

Elles sont publiées dans toutes les communes avant d’arriver au commissariat de district, elles peuvent être examinées dans toutes ces communes. J’ai même à faire remarquer, d’après une publication récente, qu’une opinion a pris ses mesures pour que ces listes soient examinées dans toutes les communes, que déjà on s’occupe du travail de l’examen des listes de l’an dernier, de sorte que quand, les listes de cette année seront publiées, déjà un travail de vérification très considérable aura été fait sur les listes précédentes.

L’honorable membre qui a parlé de l’impossibilité de cet examen sait mieux que moi, sans doute, qu’il est déjà fort avancé.

Il me semble que ces observations suffisent pour justifier mon vote, qui sera favorable à l’article en discussion. (A demain ! à demain !)

M. Delfosse dépose un amendement ayant pour but de décider qu’en cas de partage de la députation, l’électeur dont le droit est contesté sera maintenu où inscrit sur la liste électorale. »

- Cet amendement sera imprimé.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.


Réponse de l’abbé de Foere, insérée dans le Moniteur belge n°82, du 23 mars 1843

M. de Foere (pour un fait personnel). - Messieurs, afin de bien comprendre toute l’injustice des attaques qui ont été dirigées contre moi dans la séance de samedi dernier, il est nécessaire de constater préalablement les faits qui les ont provoquées. Je vous ai promis que je ne jetterai pas de nouvelles irritations dans cette discussion. Sans manquer de fermeté dans mes moyens de justification, je tâcherai de mettre dans ma parole toute la dignité exigée par les convenances parlementaires et par les justes égards que les membres de la chambre se doivent les uns aux autres.

Pans la séance du 15 décembre dernier, plusieurs membres de la chambre avaient qualifié de fraude électorale le paiement indu du cens électoral, dans le but d’acquérir la qualité d’électeur. Quelques membres voulaient aussi que le gouvernement réprimât ces actes par voie administrative.

Je soutenais, dans cette même séance, que, d’après la législation actuelle sur la matière, ces faits ne constituaient pas de fraudes illégales. J’en déduisais la conséquence que le gouvernement n’était armé d’aucun pouvoir légal pour les réprimer et que les recherches et les répressions gouvernementales auraient été arbitraires et vexatoires et auraient constitué un véritable abus de pouvoir.

Je basai cette opinion sur le texte même de la loi électorale. En effet, l’art. 1er de cette loi statue que, pour être électeur, il faut verser au trésor de l’Etat la quotité de contributions directes, patentes comprises, déterminée dans le tableau annexé à la présente loi.

L’art. 4 de cette loi établit les diverses formes par lesquelles cette quotité de contributions peut être constatée pour être électeur. Le cens électoral, y est-il dit, sera justifié, soit par un extrait des rôles des contributions, soit par les quittances de l’année courante, soit par les avertissements du receveur des contributions.

Voilà tout ce que le texte de la loi électorale prescrit pour être électeur. Je ne reproduirai pas les autres motifs sur lesquels j’ai fondé mon opinion. Ils sont consignés dans le discours qui a été l’objet des attaques. Ils ont été plusieurs fois répétés par mes amis politiques dans la discussion du mois de décembre et dans celle-ci. Les efforts que l’opposition a faits pour soutenir l’illégalité des fraudes sont tombés sous le poids de leur propre impuissance. Nos adversaires ont abandonné la lutte placée sur ce terrain. Seulement je dirai que, dans cette circonstance comme dans beaucoup d’autres, ce fut le parti accusé de tendances contraires aux libertés publiques, qui seul défendit ces libertés basées, en grande partie, sur le texte clair et positif de la loi. En effet, si on abandonnait cette base, et que, dans l’exécution et dans l’application des lois politiques, on lui substituât l’intention de ces lois, on ouvrirait une issue continuelle à des vexations et à des oppressions déplorables. Je ne connais que l’honorable M. Delfosse qui, dès le principe, s’associa ouvertement et franchement à notre opinion.

Dans la même séance du 15 décembre dernier, quelques membres avaient aussi taxé d’immoralité le paiement du cens électoral sans justifier de sa base. J’examinai aussi cette question sous le rapport moral. Considérée sous ce point de vue, elle se présentait à mon esprit d’une nature très délicate. La question avait été brusquement soulevée dans la même séance par l’honorable M. Mercier. Nous n’avions pas eu le temps de l’examiner avec toute la maturité que sa gravité exigeait. Avant que j’eusse pris la parole, la discussion avait été enveloppée dans une grande confusion d’idées ; elle n’avait répandu aucune lumière propre à guider les opinions. C’est dans cette même séance que j’exprimai des doutes formels sur la moralité du cens électoral payé sans justifier de sa base et dans le but d’acquérir la qualité légale d’électeur.

Voici les motifs de nies hésitations. D’un côté, je fis remarquer que la loi accorde au contribuable le droit d’évaluer lui-même les bases de la plupart de ses contributions qui forment le cens électoral. Dans la première partie de mon discours, j’avais invoqué deux principes reconnus et pratiqués par les jurisconsultes de tous les pays gouvernés par de vraies institutions libérales. Le premier de ces principes était : inclusio unius est exclusio alterius. La loi électorale avait défini et énuméré les fraudes. Celles que la loi avait prévues pouvaient seules, de droit, être taxées de fraudes illégales. L’antre principe était que, relativement à l’obéissance aux lois politiques, tout citoyen accomplit ses devoirs envers l’Etat en se conformant aux prescriptions textuelles de ces lois et que l’intention de ces mêmes lois n’entrait, en aucune manière, quant à leur accomplissement, dans les attributions du pouvoir civil. Je soutenais comme je l’ai déjà dit, qu’admettre le principe contraire, c’était ouvrir la voie à des erreurs, à des abus et à des oppressions interminables. Je savais que ce principe était admis, même sous le rapport moral, en Angleterre par la jurisprudence parlementaire et politique; j’appuyai, dans l’espèce, cette opinion sur l’admission incontestée au parlement du célèbre Canning , au moyen de titres fictifs, et, par conséquent, contre les intentions et les principes de la loi anglaise, qui demande des garanties à la possession. J’avais aussi l’intime conviction que les sept huitièmes de la population de tous les pays n’ont ni le temps, ni la capacité de se rendre compte des intentions des lois, et que, pour eux, la seule règle qu’ils aient pour accomplir leurs devoirs civils et politiques, c’est le texte ad la loi. Combien faut-il payer de contributions pour être électeur? Autant ; tel est le langage pur et simple, et presque général.

D’un autre côté je ne me faisais pas illusion sur les intentions et le but de la loi électorale, ni sur le respect et l’obéissance dus à l’esprit et au but de toute loi; mais j’étais dans la ferme persuasion que, si des déclarations fictives avaient eu lieu, elles avaient pu être faites de bonne foi par les motifs que je viens d’alléguer.

Telle était la situation de mon esprit, lorsque j’exprimai, en décembre, mes doutes sur la moralité de la question. Dans l’intérêt du fond de cette question, comme dans celui des absents qui furent virulemment attaqués, je croyais avoir porté la probité parlementaire jusqu’à ses dernières limites de délicatesse.

Je ne fus pas jugé ainsi par l’honorable M. Lebeau, dans la séance de samedi dernier. Selon lui, mes doutes n’étaient qu’une précaution oratoire, peu conciliable avec les théories que j’avais exposées.

Telle est la première accusation acerbe et peu parlementaire dirigée contre moi et contre laquelle je dois à ma probité et à mon honneur de me défendre. Je vous ai promis, messieurs, que je ne jetterais pas de nouveaux brandons d’irritation dans cette assemblée. Je n’entrerai dans aucune récrimination. J’ai toujours suivi et je suivrai encore dans la vie parlementaire le principe d’abandonner chaque membre à sa propre conscience, en fait de moralité parlementaire et publique. Mais je demanderai à l’assemblée de quel droit M. Lebeau est-il venu suspecter la sincérité de mes doutes ? Y a-t-il aucun antécédent dans ma vie parlementaire qui ait pu l’autoriser à cette injuste interprétation ?

Avais-je jamais reculé, même dans les circonstances les plus délicates, devant l’expression franche et entière de mes principes et de mes opinions ?

Avais-je jamais professé des opinions de circonstance pour les appliquer dans des situations contraires à des intérêts politiques et ambitieux? La jurisprudence de la chambre, écrite dans son règlement, les principes de moralité, les égards que nous nous devons les uns aux autres, les convenances parlementaires et sociales ne s’opposent-ils pas ouvertement à l’expression d’opinions qui blessent l’honneur de son prochain ?

Je demanderai encore à l’assemblée par quelle étrange préoccupation d’esprit j’ai été, aux yeux de M. Lebeau, le seul coupable, alors que , dans la discussion de décembre dernier , d’honorables membres même qui appartiennent transitoirement à sa ligne de politique, avaient exprimé les mêmes doutes? Voici les paroles de l’honorable M. Savart : « La loi électorale laisse beaucoup à désirer, et il y a souvent beaucoup de questions à l’égard desquelles on ne sait pas comment la loi doit être entendue; mais, dans le moment actuel, il ne s’agit pas des doutes que la loi peut soulever, il s’agit uniquement de réprimer la fraude électorale. »

L’honorable M. Fleussu s’exprima en ces termes: « C’est une question très grave que celle de savoir si, par cela seul qu’on verse au trésor la somme fixée par la loi électorale, on a qualité pour être électeur. » L’honorable député de Liége émet ensuite l’opinion que, pour être électeur, il faut posséder la base du cens électoral, puis il ajoute : « Telle est mon opinion, opinion que j’émets peut-être un peu à la légère, puisque je ne m’attendais pas cette discussion. »

Vous !e voyez, messieurs, argumentant, comme moi, mais de son côté exclusivement, du texte de la loi électorale, l’honorable M. Fleussu qualifiait de question, et de question très grave, le principe qui nous divisait, et il doutait de l’obligation que cette loi imposait.

Un autre député de Liége ne douta pas. L’honorable M. Delfosse exprima son opinion dans un langage qui borde la plus entière conviction. « Messieurs, dit-il, je suis du nombre de ceux qui pensent que, sous la législation actuelle, il suffit, pour être électeur, de payer la somme à laquelle le cens électoral est fixé et qu’il n’est nullement nécessaire de justifier de l’existence des bases de l’impôt. Les paroles qu’un honorable ministre des finances a prononcées dans cette enceinte, l’adhésion qu’elles ont paru rencontrer sur tous les bancs, et il faut bien le dire aussi, te texte même de la loi, tout donne à cette opinion un caractère de vérité auquel il est difficile de ne pas se rendre. »

Ainsi l’honorable M. Delfosse, en fondant aussi en partie son opinion sur la législation actuelle, alla plus loin. Il exprima une quasi conviction. Moi, je n’avais exprimé que des doutes sur le devoir que la loi électorale imposait aux électeurs, Il me sera donc permis d’exprimer tout mon étonnement à l’égard de l’inconcevable exception dont j’ai été l’objet. Une même opinion, appliquée aux uns, ne peut être vraie, et fausse, appliquée aux autres.

Maintenant, je mettrai l’honorable M. Lebeau à l’aise, relativement à mes doutes. Lorsqu’en décembre dernier, je prononçai le discours qui à été si amèrement attaqué, j’ignorai un fait, et un autre n’était pas présent à ma mémoire. J’ignorai que dans le but d’avoir qualité d’être électeur, de nombreuses déclarations fictives avaient été faites impunément par un parti antérieurement à celles contre lesquelles le même parti, sans songer à l’odieux monopole auquel il prétendait indirectement, réclamait avec tant de violence, La discussion de 1836 sur la loi communale m’était aussi échappée. Dans cette discussion, l’honorable M. Pirmez avait soulevé la question de savoir s’il suffisait de payer le cens électoral pour la commune, sans devoir justifier de sa base. Un court débat s’éleva sur cette question. L’honorable M. d’Huart, alors ministre des finances, répondit affirmativement à cette question. Il fut mis un terme à ce débat pas cette conclusion de M. Pirmez : « Ainsi, dit l’honorable membre, le paiement du cens suffit; il ne faut pas justifier de la possession des bases. »

Si j’avais connu le premier fait et que l’autre eût été présent à ma mémoire, je ne me serais pas renfermé dans des formes dubitatives relativement à la moralité de la question; mais j’aurais adopté franchement la forme plus positive de M. Delfosse, pour défendre la bonne foi des prétendus coupables des deux partis, sans néanmoins renoncer au regret que les conditions de la loi n’eussent point été religieusement accomplies.

Mais l’honorable M. Lebeau éprouvait le besoin de transformer mes doutes consciencieux en assertions positives, pour articuler contre moi, d’une manière formelle, sa deuxième accusation. Voici les conséquences qu’il a tirées de mes doutes: J’aurais admis une distinction fatale entre la moralité politique et la moralité privée ! J’aurais soutenu que non seulement la loi, mais la morale permet le mensonge aux citoyens; j’aurais légitimé le mensonge en politique; j’aurais enfin insinué que ce qui est immoral dans la vie privée n’est pas également immoral dans la vie politique.

Tirer des conséquences justes des paroles de son adversaire n’est pas de la portée de tout agresseur parlementaire. Aussi cette logique n’entre souvent pas dans les besoins du moment. Arranger des prémisses à sa convenance, en dénaturant les paroles, en prenant des doutes pour des assertions positives, en transportant la justification d’actes déjà accomplis de bonne foi sur le terrain des principes immuables, est un sophisme très vieux auquel on ne doit pas l’honneur d’une discussion sérieuse.

C’est, en effet, très commode de créer une thèse pareille à celle-ci : Il n’y a pas de distinction entre la moralité politique et la moralité privée, entre le mensonge politique et le mensonge privé. Ma réponse à la première accusation a déjà démontré la fausseté de cette position. A quel propos l’honorable M. Lebeau s’y est-il placé? Le mérite d’un debater parlementaire, comme les Anglais appellent leurs grands orateurs, consiste dans la vérité des farts qui ont donné lieu au débat. Un peu de logique ne gâte pas la dignité parlementaire. Mais quelle est cette logique qui pose ses propres conséquences en prémisses et en accuse son adversaire?

Ensuite, lorsqu’on prend la parole comme accusateur, ne devrait-on pas sentir le besoin de définir les termes sévères dont on accable le coupable. Si M. Lebeau avait cru devoir nous donner la définition du mensonge, avant de l’appliquer ensuite au fait qu’il a dénoncé comme tel, il eût été curieux de le voir, comme tireur de conséquences, se débattre dans ses embarras logiques.

J’ignore si M. Lebeau a éprouvé le besoin d’appuyer de son éloquence à lui, les aménités dont l’occasion des discussions du mois de décembre, sur les fraudes électorales, certaine Revue a gratifié le parti parlementaire qu’elle affecte tant, et pour cause, d’appeler catholique, un prêtre à la tête. Quoique l’identité du langage puisse, en quelque sorte, légitimer cette supposition, il me répugne de le croire. Cependant M. Lebeau a prononcé, dans le même discours de samedi dernier, les paroles suivantes, que je m’abstiendrai de qualifier :

« N’est-il pas avéré que des ecclésiastiques ont souillé leur soutane en allant mentir dans le bureau du receveur de l’Etat ? Et quand ils revenaient ensuite recommander du haut de la chaire le respect de la vérité, ne s’exposaient-ils pas à ce qu’en les interrompe pour leur dire : Vous qui recommandez l’observance de la vérité, hier sous avez menti devant le receveur de l’impôt. »

Et dans ladite Revue on lit cette autre fabrication de mensonge :

« Avec quelle autorité pourra-t-il (le clergé belge), dans les remontrances du confessionnal, dans les allocutions de la chaire de vérité, recommander la probité, le respect des lois, l’horreur du mensonge, la pureté de l’âme, lorsque le plus obscur paysan pourra lui dire : Vous qui me parlez ce langage, tel jour, telle heure, au su de toute ta commune, au su du pays tout entier, vous avez sciemment menti. »

Sont-ce là de simples réminiscences, ou sont-ce de déplorables nécessités de l’esprit de parti, qui, au prix de tous les principes de probité, s’acharne à découvrir partout des adversaires qui en ont sciemment menti, pour les dénoncer comme tels à l’animadversion et au mépris du public? Je ne puis le croire. Je préfère attribuer des accusations aussi odieuses à l’aveuglement des passions politiques et aux violents préjugés que trop souvent elles impriment profondément dans l’esprit de ceux qui en subissent le joug.

Détournons nos regards de ces scènes affligeantes pour toute âme probe et honnête. Je finirai ma réponse au deuxième reproche amer dont j’ai été l’objet, en faisant remarquer que si M. Lebeau avait considéré, avec maturité et sans préoccupation d’esprit, le principe de l’alliance éternelle entre la moralité politique cl la moralité prisée, et l’indispensable nécessité de cette alliance pour le bonheur des peuples, et s’il avait examiné avec impartialité l’encyclique, il n’aurait pas trouvé dans ce document le sens faux et odieux qu’il lui a attribué. Mais quand on ne voit qu’à travers le milieu de ses préjugés ou de ses intérêts politiques, on croit voir tout ce qu’ils aiment, tout ce qui les flatte, tout ceux qui leur promettent.

Enfin, les conséquences immorales qui appartiennent exclusivement à M. Lebeau, mais qu’il a identifiées avec mes paroles, sont parties de la bouche d’un prêtre ! En effet, quel scandale parlementaire ! L’orateur aura-t-il tenté de produire quelque scène théâtrale ? La raison d’un parlement est si calme, si froide; sa logique est si impassible, et elle saisit le ridicule et le burlesque avec tant de justesse et de promptitude ! Et de quel droit l’homme si sensible à la plus légère inconstitutionnalité, si respectueux envers les droits que notre loi fondamentale confère à tout citoyen et surtout envers les prérogatives des membres de la chambre, de quel droit, disons-nous, est-il venu attaquer un députe en sa qualité de prêtre, alors surtout que les débats s’établissaient sur les fraudes électorales , alors encore qu’il lui imputait des accusations si fausses et si odieuses? L’art. 6 de la constitution est-il aboli au profit d’un parti ? Y a-t-il encore des distinctions d’ordres ? Les Belges ne sont-ils plus égaux devant la loi ? Les députés de la nation siègent-ils dans la représentation nationale en leur qualité de gouverneurs, de procureurs du Roi, de bourgmestres, d’avocats, de prêtres ? M. Lebeau semble avoir compris lui-même l’inconvenance et l’inconstitutionnalité de ses attaques personnelles; il a compris qu’il n’avait pas le droit de s’enquérir dans cette assemblée de mon caractère de prêtre, ou du corps auquel j’appartiens et dont je m’honore de faire membre; il n’a pas reproduit textuellement dans le Moniteur cette dernière offense faite à mon caractère ; seulement il l’a maintenue derrière le voile transparent d’une précaution oratoire. Cependant, je dois l’avouer, il a rendu hommage à mon intégrité, et si, sous quelque rapport que se soit, je pus m’associer à un faux système parlementaire de bascule, ou à la singulière manie de blesser d’abord pour exercer ensuite l’art de guérir, je devrais lui adresser mes remerciements. Mais je ne descendrai pas à ce degré de faiblesse.