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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 18 mars 1843

(Moniteur belge n°79, du 20 mars 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à 11 heures et 1/2.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.


M. le président procède au tirage au sort des sections.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn communique l’analyse des pièces de la correspondance.

« Le sieur P. Aubert, secrétaire communal à Philippeville, prie la chambre de revenir sur la décision qu’elle a prise relativement à sa demande en naturalisation. »

Renvoi à la commission des naturalisations.


« Plusieurs habitants de Gand présentent des observations sur l’ordonnance française qui proscrit l’emploi des toiles étrangères dans la confection des habillements des troupes. »

Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi ayant pour but d'assurer l'exécution régulière et uniforme de la loi électorale du 3 mars 1831

Discussion générale

M. Lebeau. - Messieurs, la loi actuelle a été jusqu’ici moins le texte d’une discussion spéciale que l’occasion, pour les orateurs de toutes les opinions, de se livrer à un examen approfondi de la situation politique du pays. Je suivrai nos adversaires et mes amis politiques sur ce terrain. Je parlerai de la loi, mais je parlerai plus encore des questions qui, à l’occasion de la loi, ont été traitées sur les divers bancs de cette chambre.

Je ne redoute pas les luttes politiques ; elles n’ont pas pour moi un attrait qui dégénère en manie. Mais je suis l’ennemi d’un système qui a été, dans cette enceinte préconisé à diverses reprises et présenté avec un caractère trop absolu. Depuis quelque temps, messieurs, une théorie nouvelle s’est fait jour. Il semble que la politique doive être bannie de nos discussions parlementaires. C’est M. le ministre de l’intérieur qui s’est chargé d’inaugurer ce système nouveau. Vous le savez, messieurs, à une époque peu éloignée encore, toutes les questions d’affaires avaient revêtu un caractère politique ; depuis, on voudrait transformer toute la politique en questions d’affaire on voudrait, en quelque sorte, matérialiser toutes nos discussions. C’est là un système contre lequel je dois m’élever avec la même énergie que j’apporterais à combattre l’abus du système contraire.

Je connais comme un autre le prix des affaires. Je sais ce que doivent inspirer de sollicitude les intérêts matériels d’un pays, et mon concours, soit au banc ministériel, soit sur les bancs de l’opposition, n’a jamais fait défaut à de tels intérêts. Mais il y a autre chose dans la vie d’une nation, et surtout d’une jeune nation, que des questions d’affaires. Une jeune nation doit se former, doit trouver sa force et ses moyens de développement dans la discussion parfois renouvelée de ses intérêts moraux et politiques. C’est, messieurs, presque toujours sous l’influence d’institutions libres qui permettent la diversité et le choc des opinions ; c’est à la faveur de ces discussions et des progrès qu’elles impriment au caractère national que les jeunes peuples font des progrès dans l’ordre politique.

Messieurs, il y avait en 1830 un pays dans lequel le commerce, l’industrie, le crédit public semblaient avoir atteint à leur apogée ; ce pays, c’était la France ; et la France a fait une révolution en 1830. Il y avait en 1830 un pays où, malgré les plaintes qui ne cessent jamais de se produire à aucune époque sur l’état de l’industrie et du commerce, un pays où les intérêts matériels avaient atteint à un haut degré de développement et de prospérité. Ce pays, c’était la Belgique, et la Belgique a fait une révolution en septembre 1830.

Il y a donc pour un pays autre chose que ce qu’on appelle les affaires, autre chose que des intérêts matériels. Jamais, peut-être, l’histoire ne nous a offert l’exemple de populations s’émouvant, s’agitant, se soulevant pour de tels mobiles. Ce qui les a souvent émues, agitées, ce qui les a parfois appelées à renverser un gouvernement, ce sont les intérêts moraux ; c’est lorsque celui-ci manquait à ses devoirs, avait violé leurs droits ; ce sont les intérêts politiques, ce sont les intérêts moraux, c’est la violation du droit, c’est l’énergique besoin d’eu obtenir la réparation, souvent sur les ruines mêmes de l’intérêt matériel, qui seuls ont toujours eu la puissance de remuer les peuples.

Ne craignons pas trop, messieurs, les luttes politiques ; elles ne constituent pas une crise, elles sont l’état normal des gouvernements libres. Si ailleurs les opinions ne se produisent pas au dehors, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas diversité d’opinions, mais parce que les opinions sont enchaînées.

Dans tout pays où, à la faveur d’institutions libres, la diversité, le choc d’opinions a pu se produire, le caractère national s’est toujours montré plus fortement trempé qu’ailleurs. N’est-ce pas dans la puissance des traditions d’indépendance et de liberté, que quelques pâtres de la Suisse ont puisé le courage de se délivrer du joug oppresseur de la colossale maison d’Autriche ? N’est-ce pas à la faveur d’institutions libres et du développement d’énergie qu’elles impriment au caractère national, que la jeune Hollande, à peine échappée à la domination de Philippe II, luttait seule contre les forces combinées de Charles II et de Louis XIV ? N’est-ce pas à la faveur d’institutions libres et de la virilité qu’elles apportent au caractère national, que l’Angleterre, l’Angleterre seule, alors que l’Europe s’inclinait sous le sceptre du moderne Charlemagne, osait encore résister au colosse et savait revendiquer pour l’Europe entière l’indépendance et des libertés ?

L’air de la liberté, les luttes qui se développent dans une atmosphère de liberté, exercent donc un puissant et salutaire empire sur le caractère national ; et si la Belgique, comme je le crois, comme je l’espère, est appelée à s’attacher chaque jour davantage à sa nationalité, si la Belgique est appelée un jour à de belles destinées, ce sera surtout par le développement du caractère national, à la faveur de ses libres institutions, qu’elle y parviendra.

Avant d’entrer en matière, j’ai quelques mots à répondre à un honorable orateur que vous avez entendu dans la séance d’hier, à l’honorable M. Dechamps.

L’honorable député d’Ath a montré hier une vive tendresse pour les majorités parlementaires. Il s’est montré épris d’une passion toute nouvelle, et j’ajoute très désintéressée, pour les majorités ; je dis très désintéressée, parce que l’honorable membre, depuis l’origine de sa carrière politique, a longtemps, à peu d’exceptions près, appartenu aux minorités. (On rit.) Lorsque la majorité du congrès national votait la monarchie, l’honorable membre faisait des brochures en faveur de la république. Assurément alors il était dans la minorité. Lorsque l’honorable membre fut entré dans cette chambre, il fit presque constamment partie de la minorité. Dans la discussion de nos lois d’organisation administrative, dans la discussion de la loi provinciale et dans celle de la loi communale, l’honorable membre vota presque toujours avec la minorité. Dans les transactions diplomatiques et notamment dans celle qui, en 1839, a clos nos différends avec la Hollande, l’honorable membre était de la minorité. Je concilie difficilement, dès lors, l’éloge qu’il faisait hier du système de paix, l’aversion qu’il témoigne pour la guerre, avec la conduite qu’il tint lors de la discussion du traité de 1839.

L’honorable membre ne s’est pas contenté de faire l’éloge des majorités au sein desquelles il paraît vouloir désormais se ranger. Il prêche le calme et l’union ; ceci est encore une transformation. L’honorable membre veut l’union, il veut le calme ; et, en 1841, mon honorable collègue M. Dolez le lui a déjà dit, c’est lui qui semait la discorde et la tempête. L’honorable membre qualifie aujourd’hui l’opposition, la minorité, en termes sévères. L’opposition, je l’ai dit, l’honorable membre s’y connaît, il en fut presque toujours. Quel changement s’est donc opéré en lui ? Ah ! je comprends. L’honorable membre, dans le silence et le recueillement de sa nouvelle retraite, a pu contempler d’un œil plus froid, plus philosophique, nos débats parlementaires. Peut-être, et jusqu’à certain point, l’air rafraîchissant des Ardennes a-t-il pu aussi contribuer à calmer l’ardeur qui poussa si souvent, et naguère encore, l’honorable préopinant aux combats politiques. (Hilarité.)

J’arrive maintenant à la loi en discussion. Vous en connaissez l’origine. Des fraudes électorales avaient été signalées par la clameur publique longtemps avant qu’elles ne retentissent dans cette chambre. Un de mes honorables amis en fit la dénonciation devant cette chambre. Jusque-là le gouvernement avait gardé le silence le plus absolu. Pourquoi le gouvernement gardait-il ce silence ? N’avait-il aucune connaissance des faits dénoncés par l’honorable Mercier ? Mais le ministre de l’intérieur, répondant à la motion de l’honorable membre, n’a-t-il pas déclaré qu’ils étaient parvenus à sa connaissance et à celle de son collègue des finances, et que et leurs renseignements concordaient, jusqu’à certain point, avec les déclarations de l’honorable M. Mercier ? Et M. le ministre gardait le silence et restait dans l’inaction ! Pourquoi en était-il ainsi ? Parce qu’il craignait, voyez la justification, parce qu’il craignait qu’on ne l’accusât de saisir cette occasion pour introduire des modifications à la loi électorale. Comment ! vous saviez qu’il y avait des manœuvres frauduleuses ; les renseignements de vos subordonnés vous en avaient instruit, et vous gardiez le silence, et vous restiez dans l’inaction, devant cette crainte que l’on ne vînt calomnier vos intentions. Et vous êtes un gouvernement, et vous attendez pour agir, lorsque des abus graves vous sont signalés officiellement, qu’une dénonciation soit portée à la tribune par un membre de l’opposition ! Messieurs, j’ai quelque lieu de croire que si l’opposition avait gardé le silence sur les manœuvres frauduleuses portées à la connaissance du gouvernement par ses subordonnés, nous ne serions pas encore, à l’heure qu’il est, saisis d’un projet de loi uniquement destiné à la répression de ces manœuvres.

Enfin on se décide à présenter un projet de loi ; j’avoue que je m’attendais à toute autre chose qu’à un projet en seize articles, qui est un remaniement presqu’intégral de la loi électorale de 1831. Mon premier mouvement, à la vue de ce projet, ce fut, messieurs, de croire que la disjonction des mesures d’urgence et purement transitoires d’avec celles qui étaient permanentes, devait être demandée, et que le gouvernement ne pourrait pas s’y refuser. Eh bien, messieurs, cette proposition de disjonction a été portée devant la section centrale, et savez-vous pourquoi la section centrale ne l’a même pas examinée ? C’est parce que M. le ministre de l’intérieur s’y est formellement opposé. Je dois croire, au reste, messieurs, que cette opposition du ministre rentrait parfaitement dans les vues de la section centrale, car jusqu’à présent, et notamment dans une loi que nous venons à peine de voter, la section centrale ne nous a pas habitués à une pareille déférence envers les ministres. C’est donc d’accord avec M. le ministre que la section centrale s’oppose à la disjonction des articles de la loi qui ont un caractère de permanence de ceux qui n’ont qu’un caractère d’urgence, qui ne concernent que la répression de la fraude. Savez-vous ce que cela veut dire ? De la part de M. le ministre et de la part de la section centrale, cela veut dire à une partie de cette chambre : Vous prendrez notre loi ou vous subirez la fraude.

Mais, messieurs, sur la répression de la fraude, il ne peut y avoir, semble-t-il, la moindre divergence d’opinions. S’il y en avait, on n’oserait l’avouer, chacun protesterait contre la supposition qu’il pût ne pas faire partie de l’unanimité. Mais un point sur lequel il peut y avoir divergence d’opinions, c’est un projet de réforme de la loi électorale que vous venez accoler à la répression de la fraude. De votre propre aveu, votre loi est transitoire, quant à la fraude ; vous reconnaissez vous-mêmes qu’elle ne pourvoit au mal que pour les élections de 1843, et que, sous l’empire de votre loi, la fraude serait encore possible en 1844 et en 1845. C’est une loi transitoire, une loi de circonstance, et vous nous forcez à accepter, à côté d’une loi de circonstance, sur laquelle les opinions sont unanimes, un projet de quasi-réforme électorale ; vous nous dites : Vous aurez tout ou rien.

Messieurs, je ne pense pas qu’il y ait une opinion qui puisse accepter dans cette chambre la supposition que la répression de la fraude lui donne des droits à une indemnité. Je crois que la répression de la fraude doit convenir à toutes les opinions, qu’elle doit satisfaire toutes les consciences. Mais en vérité, à voir avec quelle ténacité le gouvernement et la section centrale se sont opposés à une disjonction de la loi, alors que vous avez fractionné une réforme de la loi communale en six projets distincts, on serait presque tenté de croire que l’on cherche dans la loi la compensation d’un sacrifice, une sorte d’indemnité pour expropriation.

L’honorable M. de Man se récriait hier énergiquement contre la supposition que les fraudes trouveraient, sinon des apologistes, au moins de l’indulgence dans une partie de cette chambre. Eh bien nous serions presqu’en droit d’aller jusque-là ; comment et pourquoi ? En nous emparant de vos propres paroles. Comment, messieurs, les faux électeurs ont-ils été qualifiés hier par l’honorable M. de Man ? Ce ne sont pas des électeurs frauduleux, mais des électeurs fictifs. L’expression est des plus atténuantes.

Que nous a dit, à son tour, l’honorable rapporteur de la section centrale ?

« Il faut s’abstenir de considérer indistinctement comme frauduleuses toutes les déclarations indues faites avant les récentes discussions. »

Ainsi, avant ces récentes discussions, les déclarations indues n’étaient pas frauduleuses ; elles ne le sont devenues que depuis ; c’est-à-dire qu’il a fallu nos récentes discussions pour apprendre à nos populations, à ceux qui sont chargés de les moraliser, que le mensonge est permis quand la loi le tolère ! Voilà le sens des paroles que je viens de reproduire ; je ne dis pas que telle en soit l’intention. Dites après cela si l’on ne serait pas tenté de croire que la fraude est envisagée avec moins de sévérité dans une partie de cette chambre que dans l’autre, lorsque, dans vos paroles et vos écrits, nous en trouvons l’excuse, sinon l’apologie ?

Que disait l’honorable M. de Foere dans la séance du 15 décembre 1842, lorsque, pour la première fois, on entretint la chambre des abus que la loi actuelle a pour but de réprimer et de prévenir ? Ecoutons

« Quant à moi, et je pense que c’est aussi l’opinion de beaucoup de membres de cette chambre, je ne puis admettre, dans le sens légal et parlementaire, comme fraudes électorales plusieurs faits qui ont été signalés comme tels. Nous ne sommes pas d’accord sur la qualification de ces faits ; dès lors nous ne sommes pas d’accord sur le fond même de la question…

« J’ai une conviction contraire à cet égard. Je pense que légalement et parlementairement parlant, plusieurs pratiques que l’on a fait connaître ne sont pas des fraudes électorales. Tout à l’heure j’exprimerai mes doutes sur la moralité même de la question…

« Maintenant j’envisagerai la question dans son sens moral ou intentionnel, dans lequel il ne tombe en aucune manière sous les attributions du pouvoir exécutif. A cet égard, j’exprimerai mes doutes. Je considère l’élection comme une faveur ou comme un droit légal. Les conditions de la jouissance de cette faveur ou de l’exercice de ce droit sont déterminées par la loi électorale…

« La loi vous dit : Vous serez électeurs, si vous payez telle quotité dans les contributions. La loi vous laisse en même temps le droit d’évaluer la valeur de vos meubles ; je vous demande si le contribuable n’a pas en même temps le droit de surévaluer son mobilier, dans le but même d’atteindre le cens électoral que jusqu’alors il ne paye pas. Un autre, dans le même but, prend momentanément un domestique ou un cheval pour lequel il paye les contributions imposées par la loi. J’irai plus loin ; il déclare même un cheval qu’il ne possède pas, mais il paye : il remplit les conditions requises par la loi, attendu que la loi l’autorise même à faire ses propres déclarations. Ajoutez à cela que la loi ne prescrit que l’accomplissement des actes extérieurs. Je vous l’ai dit, j’exprime à cet égard mes doutes. »

J’ai déjà eu l’occasion de faire remarquer que ces mots : mes doutes n’étaient qu’une précaution oratoire, très peu conciliable avec les théories exposées par l’honorable membre.

Ainsi (et au dehors, messieurs, le caractère de l’honorable orateur dont je n’ai pas à m’enquérir ici, donne une puissante autorité à ses paroles), ainsi non seulement la loi, mais la morale permet le mensonge aux citoyens : on peut déclarer, et c’est du haut de cette tribune que de semblables paroles sont descendues dans le pays, et vous savez de quelle bouche elles sortaient, on peut déclarer qu’on est possesseur d’un cheval, alors qu’on n’en possède aucun ; on peut déclarer aussi que l’on a une valeur mobilière double de celle que l’on possède ; on peut, sans doute aussi, dire que l’on a trois domestiques, quoique l’on n’en ait qu’un seul ; la loi le permet, la morale ne le défend pas. Je le répète, vous savez de quelle bouche sont parties ces paroles ; et vous nous reprochez de croire que, dans les rangs de certaine opinion, il y a des consciences qui ne repoussent pas aussi énergiquement que nous les fraudes en matière électorale !

Eh quoi, messieurs, nos mœurs politiques auraient-elles fait assez peu de progrès pour admettre encore cette singulière distinction entre la moralité politique et la moralité privée. Des hommes d’une intégrité à toute épreuve, des hommes que l’on pourrait constituer sans crainte arbitres de la fortune et de l’honneur des citoyens dans une contestation privée, des hommes incapables de manquer aux lois de la plus austère probité, viennent absoudre et légitimer le mensonge en politique ! Distinction fatale ! Ce qui est immoral dans la vie privée n’est-il pas également immoral dans la vie politique ? le mensonge est-il plus permis pour devenir acteur que pour se soustraire à des obligations privées ?

Que dirai-je maintenant de ce refus de toute publicité même, pour les communes témoins de la fraude, de la part du gouvernement ? Ah ! si les fraudes avaient été, comme on l’a insinué, pratiquées dans l’intérêt des deux opinions qui divisent cette chambre, est-il bien sûr que l’on se fût arrêté devant les considérations que l’on a exposées pour laisser ces frauduleuses manœuvres dans un impénétrable nuage ?

D’ailleurs, messieurs, n’y a-t-il pas quelques personnages devenus tristement célèbres dans cet affligeant épisode de nos luttes politiques ? Ces personnages, je ne veux pas les nommer, mais on le sait, ils n’appartiennent pas à l’opinion qui siège sur nos bancs.

Que dirai-je maintenant du projet de loi considéré en lui-même ? Mon honorable ami, M. Devaux, l’a déjà qualifié ; quant à moi, je le déclare franchement, j’éprouve pour les dispositions de ce projet et pour l’esprit qui les a conçues, plus de dédain que de colère. Ce projet, messieurs, pèche plus par ses tendances, il pèche plus par l’esprit de mauvais vouloir dont il est pénétré, que par ses dispositions textuelles, je le reconnais. C’est une espèce de guerre dans laquelle ceux qui la déclarent craignent le bruit du canon et veulent avoir raison de leurs adversaires par des chausse-trappes et des chevaux de frise. (On rit.)

Messieurs, parmi les premières modifications que nous avons à examiner se trouve d’abord l’appel, comme scrutateurs, des bourgmestres, des échevins et des conseillers. Lisez des bourgmestres. Car on vous l’a prouvé, chiffres en main, les échevins et surtout les conseillers sont là uniquement pour la forme. Les échevins seront rarement appelés, les conseillers presque jamais, sauf peut-être, par exception, dans quelques grandes localités.

Je ne sais pas si, à une autre époque, et en admettant l’opportunité de toucher à la loi de 1831, on aurait admis comme scrutateurs les bourgmestres. Mais enfin on aurait pu le faire alors avec des raisons qui manquent aujourd’hui. Pourquoi, messieurs ? Parce que les bourgmestres n’étaient pas les agents directs du gouvernement. Remarquez bien que la position des bourgmestres n’a pas été modifiée seulement par la faculté donnée au gouvernement de les prendre en dehors du conseil. Il y a messieurs, une modification plus grave, plus générale apportée à la situation des bourgmestres, des bourgmestres sans exception. C’est la faculté de destitution que vous avez accordée au gouvernement.

Autrefois, les bourgmestres ne pouvaient être destitués que par le gouverneur, sur l’avis conforme de la députation permanente. Aujourd’hui le bourgmestre peut être révoqué par le gouvernement sans l’intervention de la députation permanente. C’est là une disposition qui modifie profondément la position des bourgmestres.

Encore, messieurs, si les choix en dehors du conseil avaient eu un caractère purement administratif, jusqu’à un certain point on pourrait soutenir que les fonctions de scrutateurs peuvent être convenablement remplies par les bourgmestres. L’honorable M. Nothomb avait voulu leur donner, semblait du moins avoir voulu leur donner ce caractère ; l’honorable M. Nothomb avait présenté comme ayant un caractère purement administratif, la faculté pour le gouvernement de choisir le bourgmestre en dehors du conseil ; mais ces projets sont restés à l’état d’intention. Et M. le ministre qui, dans une séance précédente, se récriait avec énergie contre la supposition qu’il subit le joug d’une des deux opinions qui siègent dans cette chambre, nous en donne presque la preuve par les concessions qu’il a faites dans la discussion de la loi modificative des institutions communales.

Voici, messieurs, quel était le texte de la proposition de M. le ministre de l’intérieur : « Le Roi pourra, pour des motifs graves, nommer le bourgmestre hors du conseil communal, parmi les électeurs de la commune, la députation permanente du conseil provincial entendue. »

Vous le voyez, messieurs, pour des motifs graves, la députation permanente du conseil provincial entendue. C’était bien vague. ; l’avis de la députation permanente n’obligeait pas d’ailleurs le gouvernement. Il avait une entière liberté d’action ; il pouvait en user sous sa responsabilité. C’était bien peu, mais c’était encore trop.

L’honorable M. de Theux, dont l’opinion dominait en section centrale, exigea que les mots : pour des motifs graves fussent biffés du projet ministériel. Ils le furent avec une docilité qui ne s’est pas démentie dans le cours de cette malheureuse discussion.

« La section centrale, dit M. le rapporteur, propose la suppression des mots : pour des motifs graves, attendu qu’ils ne donnent aucune garantie et que le choix ainsi motivé pourrait être blessant pour les conseils communaux. »

Ainsi par un choix motivé sur des nécessités administratives, c’est-à-dire dans ces cas exceptionnels où l’on n’aurait pas trouvé peut-être, dans le conseil, un homme disposé à remplir les fonctions, de bourgmestre, ce qui s’est vu plusieurs fois, on aurait insulté le conseil en déclarant pourquoi l’on prenait le bourgmestre hors de son sein !

Mais qu’il y eût ou non l’insertion des mots : pour des motifs graves dans la loi, chaque fois que vous faites un choix hors du conseil, n’est-ce pas déclarer que celui-ci ne présente pas des sujets convenables ? L’affront, s’il y en a, est-il moins infligé ? Pourquoi donc cette suppression ? La raison, la voici, messieurs : par le maintien de ces mots, on conservait à la disposition le caractère exceptionnel, purement administratif, que M. le ministre de l’intérieur semblait d’abord avoir voulu lui donner. Mais cela ne pouvait convenir à ceux qui, en soutenant, peut-être en inspirant cette loi, avaient une arrière-pensée électorale.

Ce n’est pas tout. La section centrale ne se contenta pas de cette première concession du ministre. Il avait inséré dans son texte les mots suivants : la députation permanente du conseil provincial entendue. La section centrale n’en veut pas : immédiatement, nouvelle concession du ministre ; abandon de cette garantie.

Voici comment on motive cette suppression :

« Les motifs de cette suppression, dit M. le rapporteur, sont que la députation permanente ne pourrait écouter un avis qu’après avoir pris connaissance des questions personnelles que soulèveraient la composition du conseil communal et le nom des individus sur lesquels devrait porter le choix du gouvernement ; que ces questions ne peuvent être convenablement examinées par un collège, et que la responsabilité de la nomination des bourgmestres doit être laissée exclusivement au ministre. »

Mais, messieurs, il semble que le texte de la loi, en conservant ces mots : la députation permanente du conseil provincial entendue, ne portait pas la moindre atteinte à la liberté d’action et à la responsabilité du ministre. Seulement ils donnaient une certaine garantie que la disposition conserverait le caractère exclusivement administratif qu’on affectait de vouloir lui donner.

Quant aux inconvénients que l’honorable M. de Theux trouve à l’intervention de la députation permanente dans les questions du personnel communal, ce ne peut être qu’un prétexte ; ou bien, il fallait modifier plus encore la loi communale. Car dans vingt questions différentes, la députation a conservé le droit d’intervenir dans les questions personnelles qui appartiennent à la sphère communale.

Ainsi, la députation permanente donnera encore son avis conforme dès qu’il s’agira de la part des gouverneurs de suspendre un bourgmestre. La députation permanente interviendra encore dans la révocation des échevins ; elle intervient dans la nomination, la suspension, la révocation des secrétaires ; elle intervient dans la nomination, la suspension, la révocation des receveurs. Si un conseil communal révoque un garde-champêtre, il faut, pour que cette révocation sorte son effet, qu’elle ait reçu son approbation de la députation permanente.

Ainsi, messieurs, cette députation permanente que l’on écarte du projet ministériel, parce qu’on ne veut pas qu’elle intervienne dans les questions de personnes, y intervient, aux termes de la loi générale, dans une foule d occasions. Je laisse, messieurs, à la chambre et au pays le soin d’apprécier la sincérité des motifs qui ont animé la section centrale en répudiant l’intervention de l’autorité provinciale.

Je me suis appesanti sur ces détails rétrospectifs, qu’on pourrait trouver minutieux et inopportuns, messieurs, parce qu’ils expliquent l’esprit de la loi actuelle et pourquoi les bourgmestres sont appelés aux fonctions de scrutateurs ; parce que, rapprochés de la loi actuelle, ils expliquent le but des modifications à la loi communale et l’arrière-pensée électorale qui les a imposées au pouvoir ; parce qu’ils justifient pleinement l’opposition que j’ai faite à ces modifications dont, dès lors, je soupçonnais les tendances et dont l’esprit ressort si clairement aujourd’hui de l’usage qu’on en a fait. Cette suspicion si bien justifiée eût dicté mon vote négatif, alors même que le principe de la stabilité législative ne m’eût point suffi.

C’est une chose étrange, messieurs, que ce retour subit d’opinion dans un parti. Il me souvient que lorsque nous avons discuté la loi provinciale et la loi communale, mes honorables amis et moi avons fait beaucoup d’efforts pour attribuer à la couronne la faculté de dissoudre les conseils, la faculté de prononcer la révocation et la suspension des bourgmestres. Il y avait alors une défiance telle à l’égard du pouvoir royal, qu’on ne voulait rien lui accorder. Aujourd’hui la défiance a changé d’objet. On se défie des conseils communaux, on les fractionne ; on se défie des députations permanentes, on leur enlève leurs prérogatives ; et on n’a plus de confiance que dans ce pouvoir central dont on avait si peur auparavant, qu’on ne pouvait assez désarmer ; et l’on nous parle de palinodies !

M. le ministre de l’intérieur, nous l’avons vu, accepte tout ; et pour couronner l’œuvre, pour achever la démonstration de son indépendance, il accepte la loi du fractionnement contre laquelle il n’avait dissimulé à personne ses répugnances et ses antipathies.

Et M. le ministre, après avoir fait usage de ces lois nouvelles, après avoir fait de nombreuses nominations en vertu de ces lois, trouve sa politique si difficile à justifier qu’à vos interpellations, messieurs, il oppose le refus le plus persévérant de répondre.

Il s’exprimait pourtant ainsi dans la séance du 3 juin :

« Le gouvernement est d’ailleurs responsable ; il sera tenu, à la moindre interpellation devant cette chambre, de dire pourquoi tel ou tel bourgmestre a été choisi hors du conseil. »

« Il sera tenu, à la moindre interpellation ! » Ah ! M. le ministre, si ces paroles étaient sincères, elles étaient bien imprudentes ; et si elles n’étaient pas sincères, que voulez-vous que nous en pensions ? Ne pouvons-nous pas y voir un artifice au moyen duquel vous vouliez diminuer l’opposition que la loi rencontrait sur nos bancs ? L’opinion de M. le ministre, quant à la publicité de ses actes, n’est pas moins étrange : il veut bien nous donner des chiffres, mais quant à la partie morale de son administration, quant à la partie politique de ses actes, c’est un secret impénétrable ; si nous voulons avoir des détails il faut que nous parcourions les bureaux ministériels ou que nous parcourions les localités où, soit des mutations, soit des nominations exceptionnelles, ont eu lieu. Singulière façon pour un ministre d’entendre sa responsabilité et la dignité des chambres législatives.

Un autre vice de la loi, messieurs, c’est l’intervention du commissaire d’arrondissement, et du gouverneur. Il y a là de grands dangers pour le pouvoir lui-même qui, jusqu’à présent, était resté neutre dans les questions électorales. Il y a là de grands dangers pour les agents même du pouvoir, parce qu’ils sont naturellement suspects dans l’opinion, toujours si ombrageuse en matière d’élection. Je veux bien, messieurs, que cette suspicion soit une injustice ; mais il est impossible, quand deux opinions politiques sont en présence et que l’une de ces opinions est représentée par le gouvernement, il est impossible que cette suspicion ne remonte pas vers les différents dépositaires du pouvoir administratif. Que sera-ce, messieurs, si le gouverneur, si le commissaire d’arrondissement, sont eux-mêmes candidats ? Fussent-ils les hommes les plus intègres, fussent-ils, comme l’a dit spirituellement l’honorable M. d’Hoffschmidt, fussent-ils des Aristide, il est impossible que le soupçon de partialité ne les atteigne point.

Le système actuel, messieurs, consacre la neutralité la plus absolue, en matière électorale, de la part des agents du pouvoir. Ce système est le meilleur ; il est le meilleur pour la liberté du citoyen, il le meilleur pour la considération des fonctionnaires publics. Si cette neutralité, nous l’avons établie en 1831, à combien plus forte raison devons-nous la maintenir à cette époque, où la vie politique a fait des progrès. Chaque opinion a aujourd’hui le sentiment de ses droits à un tel point, que vous pouvez vous reposer sur chacune d’elles du soin de compléter les listes électorales.

On a comparé la position des commissaires d’arrondissement et des gouverneurs à celle du ministère public devant les tribunaux. Mais, messieurs, cette comparaison manque tout à fait de fondement ; devant les tribunaux le ministère public n’est point partie. Jamais il n’est politiquement, personnellement intéressé. Si le ministère public avait un intérêt direct, un intérêt d’opinion, surtout un intérêt personnel, certainement on ne lui permettrait pas d’intervenir. Il n’y a donc pas la moindre analogie à établir entre les officiers du ministère public et le commissaire d’arrondissement et le gouverneur.

Je me hâte, messieurs de quitter ces détails pour arriver à des inculpations extrêmement graves dirigées contre l’opinion à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir.

A en croire certains membres qui siègent à droite de cette chambre, notre but serait de discréditer le clergé belge. Notre but serait de discréditer le clergé belge ! et nous comptons dans nos rangs des hommes que l’opinion catholique a portés sur les bancs de cette chambre ! Vous avez entendu le langage si énergique, si salutaire, si on l’écoutait, de l’honorable M. Osy dans cette circonstance et dans une circonstance non moins solennelle. Plût à Dieu, dans l’intérêt même de votre opinion, que sa voix eût trouvé plus d’écho dans vos rangs ! Quant à moi, messieurs, je n’hésite pas à réitérer ici ma profession de foi. Je l’ai dit ; dans toutes les circonstances, j’ai un profond respect pour le clergé ; j’ai dit, et je professe encore cette opinion, qu’un seul curé de village, lorsqu’il se renferme dans sa sainte mission, fait plus pour la paix publique, pour l’union dans la commune, que toute une brigade de gendarmerie ; j’ai fait, à diverses reprises, l’éloge du clergé belge, et si je l’ai fait, ce n’est point par une précaution oratoire, c’est parce que j’ai appris à connaître le clergé, parce que ma carrière administrative m’a mis en rapport avec lui, parce que j’ai pu constater, pour ma propre expérience, l’austérité de ses mœurs, sa bienfaisance, ses lumières ; car, lui aussi a profité, dans une certaine mesure, des lumières que le temps et les gigantesques événements accomplis depuis un demi-siècle ont versées sur le monde. Mais ce que j’ai signalé depuis quelque temps, et sont des tendances sincères, je le veux, honorables peut-être dans leur but, mais, à coup sûr, dangereuses dans leurs conséquences. Ces tendances, je les ai trouvées dans certaines doctrines professées naguère sur l’enseignement public ; ces tendances, je les ai trouvées dans cette phrase fameuse qu’on reproduisait hier, dans ces expressions échappées à un homme que je crois sincère, que j’ai toujours connu honorable, mais que je crois animé aujourd’hui d’une ardeur aussi aveugle qu’imprudente : « Il faut vaincre les libéraux en masse. » Ces expressions, dues non à un homme jeune, léger, mais à un homme grave, vieilli dans les luttes de la presse catholique, ont été désavouées hier ; je crois à la sincérité de ce désaveu, mais j’y aurais cru davantage encore, s’il avait été moins tardif. (On rit.)

(Erratum Moniteur belge n°81, du 22 mars 1843 :) Il est d’autres causes de nos défiances sur les tendances du clergé ; ces causes, je vais vous les signaler : Un document fameux et qui fit en Belgique une profonde sensation a été en quelque sorte rajeuni par une publication due à la plume d’un de nos plus éminents publicistes, d’un des chefs de l’opinion catholique. Je veux parler de l’encyclique du 15 août. Voici, messieurs, comment elle est analysée dans l’ouvrage de M. de Gerlache :

« Au mois de septembre 1832 fut publiée en Belgique la lettre encyclique du saint père, en date du 15 août. Cette pièce fit grande sensation parmi les catholiques, et opéra une sorte de revirement dans beaucoup d’esprits, Nous croyons devoir en dire quelques mots comme de l’un des événements les plus mémorables de cette époque

« De cette source infecte de l’indifférentisme découle cette maxime absurde et erronée, ou plutôt ce délire, qu’il faut assurer à tous la liberté de conscience On prépare la voie de cette pernicieuse erreur par la liberté d’opinion pleine et sans bornes qui se répand au loin pour le malheur de la société religieuse et civile, quelques-uns répétant avec une extrême impudence qu’il en résulte quelque avantage pour la religion.

« Là se rapporte cette liberté funeste, et dont on ne peut avoir assez d’horreur, la liberté de la presse pour publier quelque écrit que ce soit, liberté que quelques-uns osent solliciter et détendre avec tant de bruit et d’ardeur. Nous sommes épouvantés, vénérables frères, en considérant de quelles doctrines ou plutôt de quelles erreurs nous sommes accablés, et en voyant qu’elles se propagent au loin par une multitude de livres. Il en est cependant qui soutiennent opiniâtrement que le déluge d’erreurs qui sort de là est assez bien compensé par un livre qui, au milieu de ce déchaînement, paraîtrait pour défendre la vérité. Or, c’est certainement une chose illicite et contraire à toutes les notions de l’équité, de faire de dessein prémédité, un mal certain et plus grand, parce qu’il y a espérance qu’il en résultera quelque bien. Quel homme en son bon sens, dira qu’il faut laisser librement se répandre des poisons, les vendre et transporter publiquement, les boire même, parce qu’il y a un remède tel que ceux qui en usent échappent quelquefois à la mort… ?

« Nous ajouterons que nous n’aurions rien à présager que de malheureux pour la religion et pour les gouvernements, en suivant les vœux de ceux qui veulent que l’Eglise soit séparée de l’Etat, et que la concorde mutuelle de l’empire avec le sacerdoce soit rompue. Car il est certain que cette concorde, qui fut toujours si favorable et si salutaire aux intérêts de la religion et à ceux de l’autorité civile, est redoutée par les partisans d’une liberté effrénée... Que nos très chers fils en Jésus-Christ, les princes, favorisent donc par leur concours et leur autorité les vœux que nous formons pour le salut de la religion et de l’Etat. Qu’ils considèrent que leur autorité leur a été donnée non seulement pour le gouvernement temporel, mais surtout pour défendre l’Eglise, et que tout ce qui se fait pour l’avantage de l’Eglise, se fait aussi pour leur puissance et pour leur repos… Placés comme père et tuteurs de leurs peuples, ils leur procureront une paix et une tranquillité véritables, constantes et prospères, s’ils mettent tous leurs soins à maintenir intacte la religion… »

Voilà, messieurs, le langage rapporté par l’honorable M. de Gerlache. Si c’est là une pure doctrine théologique, nous n’avons rien à y voir ; mais si c’est de la politique, quelle que soit l’autorité sous le patronage de laquelle elle se place, nous avons le droit de l’examiner, Or, voici comment l’honorable M. de Gerlache qui écrit, non en théologien, mais en publiciste, la juge et se l’approprie. On ne désavouera pas au moins le langage d’un personnage si éminent dans l’histoire de la nationalité belge :

« Quant à la séparation de l’ordre civil et de l’ordre religieux, telle que la désireraient les indifférentistes, c’est encore une dangereuse et impraticable théorie. La religion tombe, si elle n’est placée à son rang ; elle tombe si elle n’est la première de toutes les lois ; celle qui donne la sanction aux autres, celle qui les consacre, qui les fait observer, qui leur sert de bouclier. Evidemment le pouvoir civil séparé, c’est-à-dire destitué du pouvoir religieux, et un édifice sans fondement. Le christianisme et quelques grands hommes, animés de son esprit et armé d’un grand pouvoir, ont tout organisé en Europe, et même la liberté. La société ébranlée par des doctrines irréligieuses et anarchiques ne peut être raffermie que par les mêmes moyens qui l’ont fondée, quand il plaira à Dieu de susciter des hommes capables de bien comprendre sa cause, et assez puissant pour le défendre. »

Ainsi, messieurs, la confusion des pouvoirs, c’est la doctrine soutenue par un des hommes les plus éminents de l’opinion que nous combattons ; ainsi, messieurs, la séparation du pouvoir civil et du pouvoir religieux, cette séparation que tous les publicistes s’accordent à présenter comme la seule sauvegarde de la liberté religieuse et de la liberté civile, cette séparation est niée par un de nos plus grands publicistes.

Mais ignore-t-on que c’est par suite de cette confusion des pouvoirs que les catholiques de l’Irlande ont si longtemps gémi sous l’oppression religieuse ? Ignore-t-on que c’est par suite de cette confusion de pouvoirs qu’une partie des sujets de l’empereur de Russie est aujourd’hui sous le joug de l’oppression religieuse ? Ignore-t-on que c’est par suite de cette espèce de confusion de pouvoirs que l’on a pu, dans un pays voisin, arracher de son siège un vénérable archevêque ?

Voilà quelques-uns des dangers de la doctrine de la confusion du pouvoir religieux et du pouvoir civil.

Ce n’est pas seulement en dehors de cette chambre qu’on professe de telles doctrines ; le principe de la confusion du pouvoir religieux et du pouvoir civil a été préconisé jusque dans le sein de la législature.

Voilà ce que l’honorable M. Dedecker disait dans la séance du 28 mai 1842 :

« C’est surtout entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel que nos principes ont creusé un abîme. Cette division profonde entre ces deux autorités, cette séparation radicale de leurs intérêts essentiels a été pour nos modernes sociétés une source de difficultés et de dangers. A défaut de conviction de la nécessité de leur alliance intime, à défaut de sympathie véritable, comment le seul instinct de conservation n’a-t-il pas établi entre ces deux autorités une communauté de vues et d’efforts, puisqu’elles ont le même but à atteindre, les mêmes ennemis à combattre ? Oh ! n’en doutons pas, messieurs, voilà l’origine et la vraie cause de la décadence de l’autorité.

« On me dira, je n’en pas douter, que la constitution a proclamé la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Je n’ai pas à examiner ici ce dogme politique de la liberté de conscience ; mais il m’est permis, je pense, d’en indiquer les résultats sur la constitution des pouvoirs et la conservation de l’autorité Ces résultats ne sont aujourd’hui que trop bien constates.

« L’impiété s’est acharnée contre les préceptes et les ministres de la religion ; le pouvoir a laissé faire et a dû laisser faire. L’immoralité s’est étalée dans nos cités ; par les enseignements du théâtre et de la presse, elle s’est glissée dans les familles : pas un mot ne tombe d’en haut pour rassurer les consciences alarmées, pour protester au nom des principes constitutifs de toute société. »

Voilà les paroles d’un de nos honorables collègues. Je vous le demande, a est-ce pas la négation de la séparation du pouvoir civil et du pouvoir religieux, qui constitue la base de la constitution de 1831 ?

Je conçois ces convictions au point de vue moral, au point de vue philosophique ; je reconnais qu’elles partent d’une âme honnête, que le spectacle des écarts de la liberté afflige profondément ; mais au point de vue purement politique, qu’attestent ces regrets, hautement exprimés dans cette enceinte ? Une nouvelle preuve des tendances que nous avons indiquées tout à l’heure, et ces tendances, nous les croyons d’autant plus dangereuses que les convictions d’où elles émanent, sont plus ardentes et plus sincères.

Ainsi, messieurs, ce qu’on veut, c’est la confusion des deux pouvoirs, et, en réalité, la suprématie de l’un d’eux ; c’est ce que veut l’honorable M. de Gerlache, c’est ce que doit vouloir, pour être conséquent, l’honorable M. Dedecker. Et bien, je dirai sur ce point toute ma pensée.

Je crois que le concours des deux pouvoirs est éminemment utile à l’ordre social, mais ce que je regarde comme dangereux, c’est leur alliance dans la politique pratique, si je puis ainsi parler. Chacun doit concourir, mais dans la sphère de son indépendance et d’après le caractère même de sa mission.

Quant à l’intervention directe du clergé dans les débats politiques, je n’ai presque rien à dire, après ce que vous a exposé sur ce point mon honorable ami M. Rogier.

La confusion du pouvoir civil et du pouvoir religieux a toujours été funeste à la religion elle-même, au pouvoir civil, aux populations. Je vous ai déjà dit que des populations entières ont gémi longtemps sous le poids de l’intolérance religieuse, uniquement parce qu’il y avait confusion des deux pouvoirs. Comment l’Angleterre accomplit-elle sa révolution de 1688 ? Elle se fit aux cris : A bas le papisme ! et ce fut à cette époque que s’est établie dans la Grande-Bretagne un gouvernement fondé sur le principe, jusque-là contesté, de la souveraineté parlementaire.

La coalition de quelques prêtres de l’Eglise romaine avec le dernier des Stuarts, dans un but exclusivement politique, dans le but d’établir la légitimité de la couronne, la suprématie royale, sauf à partir de là pour exclure le culte anglican : voilà ce qui à amené la chute de Jacques Il, et peut-être retardé d’un siècle l’émancipation des catholiques de l’Irlande.

Un autre grand fait historique, tout moderne, c’est la coalition patente du haut clergé français avec le gouvernement de la restauration dans un intérêt exclusivement politique, dans un intérêt de parti. Elle a eu d’abord pour résultat de susciter dans toute la France une réaction philosophique qu’on ne croyait plus possible de nos jours ; le voltairianisme renaquit de ses cendres, les éditions de livres que la jeunesse ne lisait plus guère furent multipliées et vendues à vil prix sur tous les points de la France et relues avec avidité. Bientôt le cataclysme de 1830 vint faire justice d un pouvoir caduc qui ne connaissait plus son époque, et vint en même temps frapper de la foudre le clergé qui avait prêté à ses doctrines de légitimité et de suprématie un si imprudent appui ; le dogme de la souveraineté nationale remplaça les doctrines qui perdaient les Bourbons, après avoir inutilement, pour l’instruction de ceux-ci, perdu par des causes analogues, la dynastie des Stuarts. Mais du même coup qui frappa le clergé, le voltairianisme reçut une profonde atteinte, et le clergé, séparé violemment du pouvoir civil, ne tarda pas à recouvrer ainsi que la religion, une estime, une sympathie, un respect qui auparavant leur échappaient chaque jour davantage.

Qu’on ne nie pas cette cause de la chute de la branche aînée ; qu’on ne vienne pas, comme l’a fait M. Dechamps, parler des effets de la haine de l’étranger ; qu’on ne vienne pas surtout parler de la comédie de quinze ans, forfanterie de quelques cerveaux brûlés, que personne en France n’a pris au sérieux.

La France acceptait sincèrement les Bourbons avec la charte loyalement observée. J’étais à Paris du temps du ministère Martignac, et j’affirme que ces sentiments étaient exprimés par tout le monde.

Nuls rires d’incrédulité ne doivent accueillir mes paroles, c’est de l’histoire contemporaine.

Oui, messieurs, le clergé français, précisément parce que, sans être hostile au pouvoir politique, il est profondément séparé de l’action gouvernementale proprement dite, a reconquis aujourd’hui toute l’estime, tout le respect dont il s’était vu peu à peu privé, au grand préjudice de la religion elle-même.

Aujourd’hui on peut fonder en France, aux applaudissements de toutes les populations, des écoles chrétiennes dans les chefs-lieux d’arrondissement, dans les chefs-lieux de canton, dans les communes populeuses. Il y a concours empressé de la part de l’Etat, des départements et des communes pour propager ces utiles institutions. Sous la restauration, alors qu’on regardait le pouvoir civil comme asservi au pouvoir religieux, nulle part on n’eût accueilli ces écoles ; aujourd’hui elles y sont réclamées par une foule de localités, les grandes villes en tête.

Voilà l’esprit de l’époque. Malheur à qui le méconnaît.

Ces faits sont notoires ; je le répète, c’est de l’histoire contemporaine ; si la chambre veut bien me le permettre, je lui rendrai compte, à cette occasion, d’un entretien que j’eus naguère avec un de nos plus respectables ecclésiastiques, qui, par ses lumières, la sagesse de ses opinions, la modération de son caractère, jouit à un haut degré de la considération publique. Cet ecclésiastique, dont je m’honore de posséder l’amitié, et qui m’en a donné un précieux témoignage au moment même où j’étais l’objet des plus vives et des plus injustes attaques, est venu à Bruxelles dans l’intention de m’exprimer ses craintes sur les dangers de la rupture de l’ancienne union et pour me témoigner son désir de la renouer. Nous eûmes plusieurs conférences.

Je lui répondis avec franchise que la reconstitution de l’ancienne union me paraissait impossible, que j’étais sur ce point de l’avis d’un écrivain catholique très distingué, de M. Kersten, qui la déclarait chose absurde, attendu que l’union, qui avait été formée sous le gouvernement des Pays-Bas, avait sa raison d’existence et son but dans la nécessité de lutter contre un ennemi commun, contre un gouvernement qui avait donné aux deux opinions des griefs considérables.

J’ajoutai que les principes de l’union seuls subsistaient, que mes amis et moi ne nous en départirions jamais, et que ces principes avaient fait beaucoup de progrès dans le pays. Mais que si l’on ne voulait pas arrêter ce mouvement et susciter en Belgique des réactions philosophiques que de récents événements commençaient à provoquer ; que si l’on ne voulait pas donner une nouvelle recrudescence à l’esprit voltairien, il fallait que le clergé belge se hâtât de rompre avec les traditions que le clergé français nous avait léguées, il fallait que le clergé cessât complètement d intervenir dans les débats politiques. Je rencontrai, je dois le dire, une vive répugnance à accepter ces propositions. Les craintes qu’on m’exprima me parurent réelles, sincères, quoique, à mon avis, dénuées de fondement. Aux yeux de certaine opinion, aux yeux du mon honorable interlocuteur, si le pays venait à être livré à lui-même (et ces considérations on été exposées avec un remarquable talent par l’honorable M. Cools), une population de philosophes, de réactionnaires antireligieux, se ruerait un jour sur les libertés religieuse, et plus tard sur le clergé et sur les temples.

Erreurs déplorables ! Nous ne croyons pas qu’il en soit de plus funeste aujourd’hui aux vrais intérêts de la religion et aux intérêts des ministres du culte. Mon honorable ami, M. Rogier, a dit hier tout ce que le clergé avait à perdre dans ces luttes politiques qui s’engagent dans nos villes et dans nos campagnes, et qui se poursuivent jusqu’au scrutin électoral. On nous a parlé des scènes d’Ath ; ces scènes, nous les déplorons tous, nous devrions les déplorer plus vivement que vous, car elles peuvent nous faire plus de mal qu’à vous. Mais ces scènes, qu’attestent-elles ? Elles attestent le danger qu’il y a pour le prêtre de descendre de l’autel pour entrer dans les comices électoraux.

Je pense qu’il y a pour le prêtre un immense danger à se faire homme de parti et à venir lutter au scrutin électoral avec la moitié peut-être de ses ouailles.

Ce que le clergé perdrait en intervention matérielle serait peu de chose ; il le regagnerait inévitablement en influence morale. Sa mission moralisante en serait certainement beaucoup facilitée. Le prêtre, en agissant dans sa sphère, peut, je l’ai toujours reconnu, rendre les plus grands services à l’ordre social ; mais c’est à la condition de rester neutre, impartial, conciliateur entre les hommes de tous les partis, à ne jamais se faire l’allié ou l’auxiliaire des passions politiques d’un camp, car elles soulèvent nécessairement les passions politiques d’un autre camp, dont il devient ainsi l’ennemi, au grand préjudice de sa mission.

Dans le combat qui se livre depuis quelques années, il est quelque chose de plus dangereux peut-être que le combat lui-même, quelque chose qu’on devrait redouter plus que le dénouement, c’est la prolongation de la lutte.

Voyez ce qu’elle a déjà coûté de considération et d’influence au clergé. Si vous saviez comme déjà, dans nos campagnes, l’influence du prêtre est affaiblie ; si vous saviez comme les ouailles parlent déjà du pasteur. La nécessité d’une prompte solution, mais ne se trouve-t-elle pas dans cette dernière aberration des passions politiques auxquelles on associe le clergé, dans les fraudes électorales elles-mêmes ? Je ne veux livrer ici aucun nom à la publicité ; mais n’est-il pas avéré que des ecclésiastiques ont souille leur soutane en allant mentir dans le bureau du receveur de l’Etat ? Et quand ils revenaient ensuite recommander du haut de la chaire le respect de la vérité, ne s’exposent-ils pas à ce qu’on les interrompe pour leur dire : vous qui recommandez l’observance de la vérité, hier vous avez menti chez le receveur de l’impôt ?

On croit toujours, messieurs, que si le parti libéral venait aux affaires, c’en serait fait des libertés religieuses, que des atteintes seraient portées à cette grande conquête du libéralisme, à l’indépendance du clergé dans ses fonctions, du citoyen dans ses croyances. Mais qu’avez-vous donc fait quand vous avez décrété la constitution ? Quelles garanties ne vous offre-t-elle pas ? Outre que le libéralisme, par ses antécédents, ne justifie pas ces craintes, n’avez-vous pas la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement, la liberté d’association. Eh ! mon Dieu, quand en Angleterre un parti vient aux affaires remplacer le parti qui occupait le banc ministériel, est-ce que le parti momentanément évincé se croit exposé à la violation de tous les droits qu’il tient de la charte ? Est-ce que quand les whigs arrivent au pouvoir, les tories s’écrient que tout est perdu, que le pays va être saccagé par une nouvelle secte de fanatiques ? Quand ce sont les conservateurs, les tories, qui viennent aux affaires, voit-on les whigs crier que l’Angleterre est sur le bord de l’abîme ? Mais en Angleterre on a moins de peur des hommes, on a plus de foi dans les sentiments, dans les institutions du pays. C’est cette foi dans les sentiments nationaux et dans les institutions qui vous manque. Je le dis avec franchise, votre méfiance vient de ce que vous ne croyez pas assez à l’efficacité de nos institutions.

Si le libéralisme était assez insensé pour avoir les intentions que vous lui supposez, vous trouveriez dans nos institutions et dans le sentiment de l’immense majorité du pays, cette puissance irrésistible au moyen de laquelle vous seriez parvenu, même par les voies légales, à faire justice des atteintes portées à vos droits par le roi Guillaume lui-même.

Mais le libéralisme a-t-il dans ses antécédents de quoi justifier de pareilles défiances ? Je citerai encore un passage du livre de l’honorable M. de Gerlache.. Vous verrez ce que faisait le libéralisme, alors qu’il n’avait aucun ménagement à garder envers le clergé, quand on portait atteinte aux libertés religieuses. Voici ce que M. de Gerlache rapporte de la conduite de l’Observateur belge lors des persécutions dont fut victime l’évêque de Gand, prince de Broglie

« M. l’évêque de Gand, dit M. de Gerlache, trouva alors un vigoureux défenseur dans l’Observateur belge, seul journal indépendant qui fût demeuré debout ; l’Observateur se montra d’autant plus généreux, qu’il avait toujours témoigné peu de penchant pour les opinions catholiques. Mais il voulait franchement la liberté. On eût certainement pris pour un insensé, dit ce journal (en parlant de l’arrêt de la cour de Bruxelles et de l’exécution qu’il avait reçue), on eût peut-être persécuté comme un scélérat, celui qui, après le 18 brumaire ou à l’époque du concordat, mais surtout en 1814 et au commencement de 1816, eût cru possible qu’avant 1818, un évêque que serait condamné en Belgique sous un prince non catholique et par un tribunal séculier, à une peine criminelle, infâmante pour avoir souscrit avec tous ses coordinaires et rendu public un jugement doctrinal sur la question de la licéité ou de l’illicéité d’un serment ; écrit deux lettres au Saint-Père relativement aux prières publiques que le prince pourrait demander ; reçu une réponse conforme au vœu du gouvernement ; donné immédiatement de la publicité à cette réponse, avec le double avantage de tranquilliser par là tous les esprits et de justifier la demande que le gouvernement avait faite, et l’acte public et solennel par lequel il y déférait…»

« Bien moins encore eût-on pu croire que sans nécessité, sans utilité, contre toute raison,… on eût exécuté de la condamnation ce qu’elle pouvait emporter de plus ignominieux pour la personne du condamné, de plus outrageux pour la religion dont il est le ministre, et de plus insultant pour la nation restée fidèle au culte de ses pères. »

Voilà comment s’exprimait l’organe de l’opinion libérale a une époque, je le répète, où il n’avait aucun ménagement à garder envers les catholiques, à une époque où faire du voltairianisme, c’était faire sa cour au pouvoir ; voila comment il défendait les droits de l’opinion catholique. Ce n’est pas seulement dans la presse, mais encore devant les tribunaux que le libéralisme défendit l’évêque de Gand. C’est un de nos amis politiques, l’honorable M. Verhaegen qui lui prêta le secours de sa parole puissante et sincère. Dans une occasion analogue, on le retrouverait encore sur la brèche, j’ose m’en porter garant.

Non content de présenter l’opinion libérale comme hostile au clergé, on la dit incapable de gouverner, hétérogène, indisciplinée. C’est M. le ministre de l’intérieur qui nous adresse ce langage. Mais cette opinion que vous dites incapable, indisciplinée, n’a-t-elle pas prêté naguère à l’ancien cabinet le concours le plus loyal, le plus continu, le plus désintéressé ? Cette opinion n’était-elle pas alors la majorité ministérielle ? L’honorable M. Nothomb n’en faisait-il pas partie ? Mais l’honorable M. Nothomb a passé depuis de l’autre côté ! Si ce ministère se trompait, si cette majorité se trompait, pourquoi donc restiez-vous dans ses rangs ? Pourquoi n’avez-vous pas cherché à l’éclairer ? Pourquoi ne passiez-vous pas sur d’autres bancs pour combattre ce ministère et cette opinion incapables de gouverner ? Vous l’eussiez fait, vous pouviez le faire d’une manière honorable. Vous savez que le célèbre Burke rompit un jour avec Fox, avec tous ses amis politiques ; mais il eut soin de déclarer pourquoi il rompait, il fit connaître les motifs de son dissentiment ; surtout il ne se sépara pas d’eux, après s’être placé à leur suite, lorsqu’ils arrivèrent au pouvoir avec ce même programme que vous déclarez aujourd’hui imprudent, irréalisable ; il ne se séparait pas d’eux après avoir émis en leur faveur un vote de confiance, un vote sur la question de cabinet ; il se sépara d’eux avant leur chute, et non uniquement pour devenir ministre.

Certainement l’opinion libérale se compose de fractions diverses. Mais toutes les opinions présentent ce caractère. N’avons-nous pas vu l’opinion catholique, dans une foule de questions d’intérêt matériel comme d’intérêt politique, se fractionner en deux camps ? N’avons-nous pas vu cela notamment dans les discussions diplomatiques jusqu’à la conclusion du traité de 1839 ? Ne l’avons-nous pas vue, dans presque toutes les lois organiques, se fractionner en deux camps ? l’un portant secours au pouvoir central, l’autre ne le croyant jamais assez désarmé ? Ne l’avons-nous pas vue dans l’instruction primaire se fractionner en deux parties, l’une restant fidèle aux doctrines de M. Brabant, l’autre les répudiant ? Dans les questions matérielles, nous l’avons vue également se partager en deux parties, l’une adoptant un système modéré de la liberté de commerce, l’autre une protection exagéré ? Jusque dans la question du sucre de canne et du sucre de betterave, n’avons-nous pas vu ceux des députés d’Anvers et de Gand qui appartiennent à l’opinion catholique, voter avec une partie des membres de l’opinion libérale, voter pour la canne, tandis que l’autre partie de l’opinion catholique votait avec de membres de l’opinion libérale pour la betterave ? Jusque dans les questions de cabinet, sur lesquelles on a voulu susciter un dissentiment entre quelques membres de l’opinion libérait, n’avons-nous pas vu deux camps se former au sein de l’opinion catholique, dans l’affaire Vandersmissen ? n’avons-nous pas vu alors dans l’opinion catholique ce fractionnement que le ministre de l’intérieur n’a pas craint de nous reprocher comme le caractère distinctif de l’opinion libérale ?

Si le libéralisme présente plusieurs nuances, c’est parce qu’il est jeune et vivace, parce qu’un arbre, jeune et vigoureux, pousse toujours de nombreux rameaux ; mais si dans telle nuance on veut un peu plus de liberté, dans telle autre, plus de pouvoir et de hiérarchie, au fond, toutes veulent sincèrement les grands principes de la constitution de 1831. Il en est ainsi de toutes les nouvelles écoles. En définitive, le libéralisme, c’est la patrie de M. le ministre de l’intérieur, c’est sa religion politique, et s’il la renie par ses actes, il la confesse par ses paroles. Hier encore, il la confessait en répudiant le titre de chef de l’opinion catholique avec une énergie qui paraissait, sur certains bancs de cette chambre, produire une assez fâcheuse impression.

Et M. le ministre se plaint de nos attaques ; et M. le ministre trouve que ses amis sont injustes envers lui. Non, M. Nothomb, nous ne croyons pas être injustes envers vous. On a beaucoup parlé dans cette discussion de votre talent. Personne n’en fut jamais plus sincère appréciateur que moi. Mais souffrez, comme ancien ami, que je vous dise sur ce point toute ma pensée. Ce talent, je l’ai vu se développer ; j’en ai été longtemps heureux et fier. Cette défense contre une attaque dont j’étais l’objet, je ne l’ai pas oubliée non plus, elle fut à la fois pour moi un nouveau et précieux témoignage et une preuve éclatante de la progression de votre talent parlementaire.

Croyez-le bien ; mon opposition contre vous m’a toujours coûté ; mon opposition contre un ancien ami est pour moi une chose cruelle mon opposition au pouvoir est une sorte de violence à mes propres penchants, car par mes principes, par mes études, par mes instincts, je suis l’ami du pouvoir. Je ne crains pas, en définitive, pour les libertés du pays. Des institutions trop fortes, un caractère national déjà trop développé me rassurent à cet égard. Mais je l’avoue, après les tempêtes de 1830, j’ai longtemps craint pour l’ordre ; certain que la liberté ne saurait périr dans mon pays, mes préoccupations sont toujours pour l’ordre ; c’est vous dire assez qu’il y aura toujours pour moi, quels que soient les hommes assis au banc des ministres, des questions où je pourrai encore appuyer le pouvoir.

Votre talent, à l’époque à laquelle je fais allusion, avait une marche ascendante ; il s’élevait avec une rapidité qui faisait le bonheur de vos amis ; mais aujourd’hui ce talent, soufflez que je vous le dise, et croyez que ma position n’altère en rien mon impartialité, ce talent a baissé ; vous faisiez alors de la grande politique, de la politique généreuse et de conviction ; vous faites aujourd’hui de la petite politique, de la politique de calcul et d’expédients ; vous montriez alors du talent ; vous montrez aujourd’hui moins de talent, mais plus de savoir-faire ; vous étiez éloquent, aujourd’hui vous êtes souvent sophistique et argumentateur subtil. Vous aviez de l’ambition ; vous faisiez bien d’en avoir ; j’en ai aussi, moi qui vous parle. (Interruption. Rires.)

M. de Man d’Attenrode. - C’est l’ambition qui vous fait parler.

M. Lebeau. - Mais l’ambition, messieurs, entendons-nous bien sur ce point, et nous verrons si vos rires prouvent votre intelligence, savez-vous ce que c’est ? L’ambition, c’est une des premières qualités de l’homme politique. C’est celle sans laquelle il ne faut jamais aspirer à l’honneur d’être un homme d’Etat ; c’est une vertu de l’homme de cœur ; c’est celle de l’homme pour qui le pouvoir n’est jamais un but, mais toujours un moyen ; c’est celle de l’homme qui s’assied alternativement sur les bancs ministériels et sur les bancs de l’opposition pour rester fidèle à ses convictions, à ses principes. Mais à côté de l’ambition politique il y a autre chose, il y a une infirmité dont ne sont pas toujours exempts des hommes d’intelligence, il y a une infirmité qui est fille de l’égoïsme et de la sécheresse de cœur. On l’appelle la vanité. La vanité pour laquelle le pouvoir n’est plus un moyen mais un but, la vanité pour laquelle on sacrifie avec un empressement puéril, ses principes à des jouissances d’amour-propre ; c’est peut-être dans cette manière d’envisager le pouvoir qu’est la cause de notre dissentiment avec M. le ministre de l’intérieur ? Deux fois déjà, malgré son incontestable intelligence, il a pris le pouvoir trop tôt, il n’a pas su assez l’attendre, il a eu tort, grand tort pour sa cause et pour lui-même. Le pouvoir ne lui aurait pas manqué, car le pouvoir appartient de droit dans les gouvernements libres aux capacités, et sous ce rapport, M. Nothomb, vous n’aviez pas à vous décourager.

Lorsque dans un homme politique le caractère ne se maintient pas à la hauteur de l’intelligence, quand la vanité vient usurper, chez un homme de talent, la place qu’il devrait n’accorder qu’à l’ambition, ses facultés s’abaissent au lien de s’élever, car au fond de sa conscience il y a une voix qui lui crie quelquefois encore qu’il fait mal, qui au moins y laisse pénétrer de temps en temps de pénibles doutes et qui lui dit de plus, qu’il y a tel rôle où l’on s’expose à perdre l’estime et la confiance de ses anciens amis sans acquérir ni l’estime ni la confiance de ses nouveaux alliés.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, dans la crise qui m’a porté à cette place, j’ai perdu mes amis, mais je n’ai pas perdu mes principes. Ce sont mes amis qui ont abandonné le terrain commun où nous nous sommes trouvés ensemble pendant dix ans.

L’honorable préopinant a été trois fois aux affaires.

La première fois, de mars à juillet 1831, il s’est appuyé sur cette majorité mixte que je vous ai tant de fois signalée, et qui l’a aidé à accomplir les grands actes de cette première partie de sa vie politique, courte et glorieuse période, si pleine de dangers, souvenir commun, souvent présent à ma mémoire, comme une consolation et non comme un regret.

La deuxième fois qu’il s’est trouvé aux affaires, d’octobre 1832 an mois d’août 1834, il s’est de nouveau appuyé sur cette majorité mixte que j’ai voulu conserver, et à l’aide de cette majorité il a résolu de grandes questions extérieures et de grandes questions intérieures.

Il est revenu en avril 1840 une troisième fois aux affaires ; cette majorité mixte, dont il avait été si longtemps l’un des plus puissants organes, cette majorité mixte s’est retirée devant lui. Quel est l’événement qui avait subitement séparé l’honorable membre de la majorité mixte qui lui avait été si fidèle, si dévouée pendant ses deux premiers ministères ?

Que s’était-il donc passé ? L’honorable M. Devaux vous l’a dit avant-hier, c’est que le pays, selon l’honorable membre, devait être considéré comme dans une nouvelle phase ; la majorité mixte avait pu suffire à la première phase, où dominait la question extérieure ; il fallait, pour la seconde phase, une autre majorité ; il ne fallait plus une majorité mixte, mais une majorité exclusivement libérale.

Ce que me reproche l’honorable député de Bruges, c’est de ne pas avoir compris la marche des événements ; Je me suis trompé sur les changements qui s’opéraient dans le pays. La question est nettement posée, je m’en félicite, et le désaccord est bien connu. Y a-t-il quelque chose de déshonorant pour moi à ne pas avoir voulu suivre mes amis dans la nouvelle voie où ils entraient, où ils réclamaient une majorité autre que celle à laquelle je m’étais associé avec eux dans la première phase de la révolution ? Je vous ai abandonnés ! Non, je suis resté sur le terrain commun ; c’est vous qui l’avez déserté, et de quel droit prétendez-vous que je vous suive dans toutes les transformations de votre génie politique ? Vous avez parlé d’égoïsme ; n’y a-t-il pas dans cette prétention beaucoup d’égoïsme ? Je puis m’être trompé, mais aucun motif vil, honteux, comme vous le supposez, n’a pu m’engager à rester sur cet ancien terrain commun, où nous étions depuis dix ans ; accusez mon intelligence, si vous voulez, mais n’accusez pas ma conscience. (Très bien.)

Vous aimez à citer les grands noms politiques ; vous venez de rappeler le célèbre dissentiment qui, en présence de la révolution française de 1789, a éclaté entre deux hommes d’Etat de l’Angleterre, unis par une amitié de vingt ans ; effrayé de ce spectacle qu’offrait la France, Burke s’est jeté dans le système de la résistance ; Fox est resté dans le système de la liberté ; leurs solennels adieux ont ému la chambre des communes ; sans vouloir nous comparer à ces hommes d’Etat, je vous dirai : Fox n’a jamais accusé la conscience de Bulke ; Il disait son intelligence est coupable, mais sa conscience, non. (Très bien, très bien.)

Pour répondre à tous les adversaires qui se sont levés si nombreux depuis ces cinq jours, je suis forcé de faire une distinction. Les uns rejettent le programme du ministère ; les autres l’admettent, mais prétendent qu’il n’a pas été fidèlement exécuté.

L’honorable M. Devaux n’admet pas le programme du ministère, programme que je résume en peu de mots : Conservation de l’ancienne majorité, direction du gouvernement du pays dans la nouvelle phase où il est entré, par la même majorité mixte qui l’avait dirigé dans la première. Ce programme, l’honorable député de Bruges ne l’adopte pas ; l’ancienne majorité a fait son temps, dit-il, et moi j’ai méconnu l’époque précise où, selon lui, cette majorité mixte devait cesser d’exister. C’est là une grande faute, mon crime si on veut.

Le programme du ministère, l’honorable M. Dolez l’admet. Il réclame, en faveur de l’opinion libérale, une juste influence dans le gouvernement du pays ; il le réclame, et avec raison, mais il ne réclame pas pour elle la domination. Ce que l’honorable M. Dolez reproche au ministère, ce n’est pas le programme, c’est l’inexécution de ce programme. Je dois donc défendre contre l’honorable M. Devaux le programme du ministère, et contre l’honorable M. Dolez l’exécution de ce programme.

Pour l’honorable M. Devaux, ce programme est impossible ; c’est une utopie, une niaiserie. La majorité mixte a suffi à la première période de la révolution, il en faut une autre pour la seconde période ou nous sommes entrés. Et cependant que vient de vous dire l’honorable M. Lebeau ? Isolant mes paroles, il m’accuse d’avoir prétendu que l’opinion libérale était incapable, indisciplinée. J’ai dit que l’opinion libérale était, à elle seule, incapable de diriger les affaires du pays. L’opinion libérale se fractionne comme l’opinion catholique. L’honorable préopinant le reconnaît ; mais c’est précisément ce que j’ai soutenu, j’ai dit que chaque fois qu’une question spéciale se présente, la grande classification du pays en parti catholique et en parti libéral vient à disparaître, et deux partis nouveaux se produisent, deux partis formés de fractions des deux grands partis.

Comment, messieurs, concilier cet aveu de l’honorable membre avec la déclaration qu’il ne veut pas de majorité mixte ? Mais la nécessité d’une majorité mixte résulte précisément de ce fait, que vous admettez avec moi, qu’il est impossible d’aborder une question spéciale sans voir les deux partis se rompre pour faire place à une majorité nouvelle.

L’honorable M. Devaux vous dit que, dans la première phase de la révolution, les questions extérieures étaient dominantes. Cependant l’honorable M. Rogier a rappelé avec raison que, pendant cette première période, on a résolu de grandes questions intérieures : on a fait la loi provinciale, la loi communale, la loi du chemin de fer. Dans toutes ces lois on n’a compté, non sur la classification en parti catholique et en parti libéral, mais on a obtenu chaque fois cette majorité mixte, modérée, qu’on a voulu proscrire en avril 1841.

Notre mission a été de chercher à conserver en avril 1841 cette majorité mixte modérée qui, selon nous, suffit au gouvernement du pays.

Cette majorité mixte a été tout à coup condamnée, elle a été tout à coup proscrite, nous n’hésitons pas à le dire, elle a été proscrite au nom du ministère. (Interruption.) Elle l’a été par l’honorable M. Devaux, et ses paroles n’ont pas été désavouées. Là était le mal. Il fallait dire que l’on voulait continuer à gouverner avec cette même majorité mixte ; il fallait désavouer celui qui invoquait une autre majorité. (Nouvelle interruption.) Ou vous étiez d’accord avec l’honorable M. Devaux, ou vous étiez en désaccord. Si vous étiez en désaccord, il fallait le désavouer ; si vous étiez d’accord avec lui, et votre refus de le désavouer le suppose, je suis autorisé à dire que cette majorité mixte était proscrite par vous, comme elle l’était par lui, et d’ailleurs la fatalité des circonstances vous a portés à cette proscription. (Rumeurs diverses.)

Une classification nouvelle s’est tout à coup produite dans cette chambre ; ce fut pour le vote du 2 mars 1841. Cette classification fut un malheur ; mais il ne fallait pas la provoquer ; cela n’était pas nécessaire. Cette classification vous a mis dans la nécessité de proscrire la nouvelle minorité ; c’est-à-dire, de proscrire ceux de l’opinion catholique qui avaient cru devoir se séparer de vous. Selon moi, il n’aurait pas fallu provoquer ce vote ; il ne vous était pas nécessaire. (Interruption.)

J’ai voté avec vous dans la séance du 2 mars. Mais ne s’est-il rien passé depuis ?

Non content d’avoir provoqué la classification en parti catholique et en parti libéral dans cette chambre, vous avez provoqué la même classification au sénat. Vous pouviez l’éviter au sénat, comme vous auriez pu l’éviter à la chambre des représentants. Vous ne l’avez pas évitée au sénat, vous ne l’avez pas voulu, vous avez demande au sénat un acte que, moi, j’aurais évité. Vous avez provoqué et laissé voter une adresse par le sénat, c’est-à-dire que vous avez laissé introduire dans nos usages parlementaires un précédent qui n’existe pas même en France. Dans les deux chambres françaises, on n’a pas encore admis pour principe qu’il pût y avoir une autre adresse contre le ministère, que la première adresse qui se fait en réponse au discours du Trône ; on veut que toute autre question de cabinet soit posée à propos d’une proposition de loi. (Interruption.)

Vous n’avez pas décliné par une fin de non-recevoir l’adresse du sénat ; vous le pouviez. Je l’aurais déclinée de la part du sénat comme de la part de la chambre des représentants, et je mets les deux chambres sur la même ligne. Vous avez provoqué le sénat sans nécessité ; quelques explications simples, données le premier jour, auraient suffi et eussent été acceptées ; il vous fallait une lutte ; vous avez même laissé tomber des paroles imprudentes, des paroles de tribun ; vous avez été jusqu’à faire une sorte d’appel aux classes inférieures contre les classes supérieures de la société.

Le sénat vous a renversé comme la chambre des représentants vous aurait renversé si, à propos de la question des sucres, nous avions imprudemment posé une question de cabinet : autre précédent que vous nous avez conseillé.

Ainsi, sans nécessité, vous avez pris dans cette chambre une position violente qui a amené la classification du 2 mars, classification qui ne pouvait pas être permanente, et que cependant vous étiez forcé par les circonstances à rendre permanente.

Vous avez pris de même une position violente à l’égard du sénat, que vous avez entraîné vous-même sur un terrain menaçant, et vous avez amené sans nécessité la même classification ; classification qui eût été inutile pour les affaires ; classification que, de votre propre aveu, chaque question spéciale serait venue détruire dans l’avenir ; classification que, par l’empire des circonstances que vous avez fait naître, vous étiez cependant forcé de perpétuer.

Indépendamment du vote du sénat, un autre événement est survenu dans le pays : le pétitionnement communal. Vous ne l’avez pas repoussé. Je ne vous accuse pas de l’avoir provoqué, mais je dis que vous auriez pu le blâmer, et peut-être l’arrêter... Cette démarche est un fait d’une extrême gravité ; les communes se sont interposées entre la royauté et le ministère.

Dans cette situation extraordinaire, vous avez demandé la dissolution des deux chambres, ou au moins de l’une d’elles, le sénat, que vous aviez vous-même entraîné sur un terrain nouveau.

Consultés par la Couronne, mes honorables collègues et moi, nous avons pensé que la dissolution n’était pas nécessaire pour amener la majorité dont on a besoin pour diriger les affaires du pays. Nous l’avons pensé ; le pensant, nous avons dû le déclarer au monarque ; et l’ayant déclaré, nous avons dû, en homme d’honneur, subir les conséquences de cette déclaration.

Nous avons pensé qu’il ne fallait pas de dissolution, parce qu’encore une fois nous ne voulions pas, comme classification permanente, la classification qui s’était produite dans cette chambre par le vote du 2 mars, la classification qui s’était produite au sénat par le vote de l’adresse du 17 mars. Nous avons dit que l’ancienne majorité, dans la phase nouvelle, suffisait à la direction des affaires du pays, comme elle a suffi dans la première phase. Nous l’avons dit, et les événements ne nous ont pas démentis depuis deux ans. (C’est cela ! c’est cela !)

M. Lebeau. - Témoin le fractionnement, qui n’était pas dans votre programme.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Mon honorable collègue, je vous demanderai un peu de patience. Ne m’interrompez pas ; mon discours n’est point écrit. Je le répète donc, nous n’avions pas à considérer la question par rapport aux personnes ; nous ne devions la considérer que par rapport au pays.

Je reproduis ma pensée.

La Couronne nous a demandé si, selon nous, pour faire les affaires du pays, il fallait la dissolution des deux chambres, ou au moins de l’une d’elles. Nous avons dit que non. Dans la nouvelle phase où nous nous trouvions, en supposant même que les questions de politique intérieure dussent dominer exclusivement, nous avons dit que ces questions pouvaient être résolues par l’ancienne majorité, et, nous le répétons, les événements depuis deux ans ont justifié nos prévisions. (Nouvel assentiment.)

Chose étrange ! messieurs, on voit des hommes d’Etat provoquer des dissolutions lorsque la majorité gouvernementale, nécessaire pour la direction des affaires du pays, vient à manquer. Mais je ne connais pas d’exemple d’hommes d’Etat provoquant la dissolution pour amener ce qui existe, pour demander au pays ce que le pays a déjà donné.

La majorité gouvernementale existait, capable comme elle l’était auparavant, intelligente et patriote, selon nous, comme elle l’était auparavant, à même, en un mot, de diriger les affaires du pays. Et dès lors un appel au pays était parfaitement inutile ; c’était lui demander ce qui existait.

Vous avez deux fois demandé la dissolution. Vous l’avez une première fois obtenue. C’était en avril 1833. La seconde fois, elle vous a été refusée par la Couronne, et ce refus, nous en prenons la responsabilité ; ce refus, nous l’avons conseillé.

La première fois, contre qui demandiez-vous la dissolution ? Vous la demandiez principalement contre les libéraux.

La seconde fois, contre qui la demandiez-vous ? Vous la demandiez principalement contre les catholiques. (Oui ! oui !)

Proscrivant ainsi, pour me servir d’un mot prodigué à mon égard, proscrivant ainsi tour à tour, en 1841, ceux que vous aviez appelés en 1833 ; en 1833, ceux que vous deviez appeler en 1841.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous niez le fait. Eh bien, consultons les élections de 1833.

Une voix. - Ils ne peuvent le nier.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Consultons les élections de 1833. Dressons les états mortuaires de 1833 ; comparons les deux tables de proscription qui devaient être faites pour 1841.

A Waremme, en 1833, quel est le candidat du gouvernement ? C’est l’honorable M. Eloy de Burdinne, proscrit en 1841. Quel est le candidat qu’on repousse ? C’est l’honorable M. Fleussu, le candidat de 1841.

A Dinant, le candidat que l’on repousse, c’est l’honorable M. Pirson ; le candidat que le gouvernement accepte et qui échoue, c’est l’honorable M. de Garcia.

A Nivelles, les candidats du gouvernement sont les honorables MM. Cools, Milcamps et de Mérode ; les candidats auxquels le ministère s’oppose sont, entre autres, l’honorable M. Jonet.

Je ne dois pas oublier les élections de Liége. Celles-là surtout sont caractéristiques. Les candidats qui réussissent, ce sont MM. Raikem et de Behr, acceptés par le gouvernement ; MM. Ernst et Fleussu, repoussés par le gouvernement ; et les candidats qui échouent, ce sont MM. Tielemans et Delfosse, que le gouvernement repousse.

Je n’ai pas trouvé ces noms propres dans le Moniteur ; le journal officiel ne donne que les noms des élus, omettant, je ne sais par quelle prévoyance, les noms des concurrents. Il paraît que le Moniteur aimait encore moins qu’aujourd’hui les noms propres (On rit.)

Vous avez, l’époque de ces élections, révoqué subitement deux commissaires de district catholiques. Mais, avant cette époque vous aviez déplacé le commissaire de l’arrondissement de Liége, libéral que la révolution avait porté à cette place, et qui a été remplacé par le titulaire actuel, nomination dont on semble me faire un crime aujourd’hui.

Vous avez fait dans la séance d’hier, un appel à ma conscience, vous m’avez livré à mes remords. Il paraît que vos victimes de 1833 ne vous ont pas causé de grands remords, et dès lors, moi-même je puis être sans inquiétude. Vous comptez sur les élections de juin prochain. Une majorité toute libérale doit envahir cette chambre et y prendre le gouvernement du pays. Je n’hésite point à vous dire que quand cette majorité libérale, que vous appelez, se trouvera dans cette chambre, vous aurez des comptes à régler avec elle, vous aurez des souvenirs à effacer, vous aurez des torts à réparer, vous aurez des gages à donner. A Liége, peut-être, parce que les circonstances l’exigeront, vous remplacerez le commissaire de district catholique, que vous avez nommé en 1833, par l’ancien titulaire ou par un commissaire de district libéral nouveau. Et pourquoi ne le feriez-vous pas ? En 1834, à la suite de démarches que je ne veux pas faire connaître dans tous leurs détails, vous aviez nommé secrétaire-général d’un ministère, un homme important dans le parti catholique, mais dont on a cependant singulièrement exagéré l’influence. C’était une concession que vous faisiez aux catholiques ; vous aviez besoin d’eux. Vous êtes revenus aux affaires en avril 1841, et ce catholique, vous en avez exigé le sacrifice ; c’était une concession que vous faisiez aux libéraux ; vous n’aviez plus besoin des catholiques, vous aviez besoin des libéraux.

« Mais, me direz-vous, la question extérieure était dominante, aucune question intérieure ne divisait la chambre ; les défiances des libéraux se rattachaient à la question extérieure, et non aux questions intérieures. » Je prévois l’objection, et je vais y répondre en citant des faits.

La position où le cabinet actuel s’est si souvent trouvé depuis deux ans, cette position n’est pas nouvelle. Vous-mêmes, vous vous êtes trouvés dans cette position ; vous avez excité les mêmes défiances, vous avez été l’objet des mêmes attaques ; c’était précisément au sujet de l’instruction publique.

Il s’agissait du budget définitif de 1833.

Le ministre de l’intérieur, M. Rogier, demandait au chapitre de l’instruction publique, plusieurs crédits nouveaux, et notamment l’augmentation des subsides destinés aux collèges et aux athénées.

La section centrale proposa le rejet de cette augmentation.

Une discussion très vive s’éleva ; elle remplit 5 séances, du 17 au 21 septembre 1833.

La chambre se partagea en deux camps, libéraux et catholiques ; classification qui se produisait pour la première fois depuis la révolution, et que nous avons vu une seconde fois se reproduire le 2 mars 1841, à l’occasion des mêmes allocations ; M. Rogier se garda bien, en 1833, de vouloir rendre cette classification permanente.

Le ministre fut attaqué des deux parts : les uns lui reprochèrent d’être indifférent à l’instruction publique, et d’être dans la dépendance du clergé ; les autres lui attribuèrent l’intention de ne pas vouloir franchement la liberté de l’enseignement.

Pendant la première partie de la discussion, le ministre garda le silence ; sommé par l’honorable M. de Brouckere de s’expliquer, le ministre de l’intérieur prit la parole à la fin de la 2ème séance :

« L’honorable orateur, disait M. Rogier, a reproché au ministère l’espèce d’indifférence avec laquelle il assistait à la discussion, qui a commencé à la séance d’hier… A la vérité, nous ne nous étions pas attendu à ce qu’un débat aussi grave, et même aussi passionné s’agiterait dans cette enceinte au sujet de faits qui ne se présentent pas pour la première fois à nos délibérations. Nous avions cru que la plupart des questions délicates qui ont été abordées trouveraient mieux leur place dans la discussion de la loi de l’instruction publique dont le projet vous a été annoncé il y a déjà un an, et qui n’a pu encore vous être soumis. »

Qu’il me soit permis, messieurs, de faire remarquer avec quelle prudence, M. le ministre de l’intérieur d’alors refusait toute discussion anticipée ; il voulait attendre la loi ; il m’est arrivé de répondre avec la même réserve à M. Devaux, par exemple, et j’ai été accusé de manquer de sincérité et de courage.

La discussion continue ; l’on continue à signaler la position prétendue équivoque du cabinet ; c’est alors que M. Rogier prononça, dans la séance du 19 septembre, ces paroles :

« N’avons-nous pas été accusés par les uns d’abandonner honteusement l’instruction publique ? Ne sommes-nous pas condamnés par les autres pour vouloir mettre traîtreusement la main sur elle ? Par bonheur, la vérité est ailleurs que dans ces reproches exagérés et contradictoires. Le gouvernement, fidèle à sa devise, continuera à marcher entre les deux extrêmes ; que cela s’appelle de la doctrine ou du juste-milieu, il accepte ces qualifications ; mais il persistera dans cette voie qui est celle où se tient, nous pouvons le dire, la très grande majorité du pays. Oui, messieurs, il faut bien qu’on le sache, la majorité du pays se compose d’hommes éclairés, modérés, tolérants, qui apprécient les difficultés de la position du gouvernement, et savent lui tenir compte de ses intentions. C’est dans cette opinion modérée qu’il espère trouver force et confiance, bien plus que dans les exagérations de l’un on de l’autre parti auquel, quoi qu’on fasse, on ne pourra jamais la rattacher. »

Dans la même séance, M. le ministre de la justice, M. Lebeau, prit la parole ; l’année précédente, M. de Theux, ministre de l’intérieur, avait demandé et obtenu des subsides nouveaux pour l’enseignement primaire ; M. Lebeau s’étonna de l’opposition que rencontrait la demande du même genre faite pour l’instruction secondaire. « C’est donc aujourd’hui, s’écria-t-il, une question de ministère ? C’est donc là que se résume toute la discussion ? Eh bien, soit, nous ne nous en plaindrons pas. La confiance dans une matière aussi délicate que l’emploi de subsides pour l’instruction publique est nécessaire. Cet emploi exige un ministère qui ait votre confiance. Ainsi, j’adjure hautement la chambre de se prononcer ; ne sacrifiez pas l’enseignement, cet intérêt si cher, à votre défiance des ministres ; sacrifiez plutôt, sans hésiter, les ministres à l’intérêt de l’enseignement. »

Après avoir caractérisé les deux partis, M. Lebeau termine par ces remarquables paroles. ;

« Croyez bien qu’il est des ultras dans toutes les opinions.

« Quant à moi, c’est au centre que j’ai planté ma bannière, c’est là que je resterai, dût-on me qualifier de doctrinaire, de juste-milieu et d’autres graves anathèmes, inintelligibles pour ceux-là même qui les prodiguent. »

Vous voyez que la politique des drapeaux est ancienne

Quel était ce drapeau que M. Lebeau plantait alors au milieu des deux camps ?

M. Lebeau. - Le drapeau du libéralisme ; je l’ai expliqué.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous vous trompez. Ce n’était le drapeau ni de l’un ni de l’autre camp ; il eût été absurde de le prétendre ; on ne pouvait planter au centre le drapeau de l’un des deux camps ; au centre, l’un et l’autre de ces drapeaux se fussent trouvés déplacés. Et si vous vous étiez emparé du drapeau du libéralisme pour le planter au centre, que devenait le camp libéral, désormais sans drapeau ?

Aussi l’opposition libérale, tout en sachant que le ministère voterait avec elle, refusa-t-elle de voir dans le drapeau du centre celui du libéralisme ; un honorable député de Bruges, ce n’était pas M. Devaux, c’était feu M. Jullien, traita le programme de juste-milieu de M. Lebeau de chimère ; M. Lebeau dirait aujourd’hui un mensonge. La langue a fait des progrès.

Les subsides nouveaux furent rejetés ; heureusement que malgré son appel à la confiance de la chambre, M. Lebeau n’avait pas fait de la question une question de cabinet.

L’époque où l’on pouvait résoudre la question de l’enseignement primaire, non par la classification de la chambre en deux partis, mais par une majorité mixte, cette époque n’était pas encore arrivée.

L’honorable M. Rogier se résigna, et il fit bien. L’opposition libérale prétendit que la conduite du gouvernement dans cette occasion était petite, mesquine, sans dignité ; le ministère ne tint aucun compte de ces accusations. Les subsides ordinaires furent accordés sans augmentation ; ces subsides furent répartis, et je puis ajouter qu’ils le furent sans condition aucune dans l’arrêté qui les allouait ; ce ne fut que l’année suivante, que l’honorable M. de Theux, se retrouvant au ministère de l’intérieur, obtint une augmentation de subsides pour l’instruction moyenne, augmentation qui depuis est allée successivement en s’accroissant.

Voilà, messieurs, un épisode du ministère mixte de 1833. Vous voyez que bien des incidents politiques qui ont surgi dans cette chambre ont pu ne pas m’émouvoir grandement. J’étais instruit par l’expérience, associé, je puis le dire, messieurs, associé alors à la pensée intime de mes amis ; j’ai appris à juger froidement ces sortes d’événements.

La position d’un ministère mixte est, par sa nature difficile, laborieuse ; ne satisfaisant complètement à aucun des deux partis, il est exposé à être accusé par tous les deux ; chaque parti ne voit les choses qu’à son point de vue et croit avoir à se plaindre. Un ministère de parti aurait l’avantage d’avoir pour lui tout son parti, mais il aurait soutenir une lutte acharnée avec l’autre parti, lutte qui troublerait profondément le pays.

Voyons pourquoi le ministère actuel est accusé par le parti libéral d’avoir manqué à ce programme que M. Devaux répudie, mais que M. Dolez accepte. Le parti catholique se tait, mais, croyez-le bien, il a aussi ses griefs.

Le ministère actuel a manqué à son programme par la part qu’il est accusé d’avoir prise aux élections de juin 1841. Dans la circulaire qui lui servait de programme, il avait déclaré qu’il acceptait tous les députés sortants. Il l’avait déclaré sincèrement, il avait ajouté qu’il espérait que l’exclusion n’amènerait pas l’exclusion, mais qu’en tout cas l’initiative de l’exclusion ne viendrait pas de lui. L’a-t-on mis à même de remplir son engagement ? Qui donc, à Gand, a contesté l’élection de M. Desmaisières, devenu ministre des travaux publics ? Qui donc a consenti à ce qu’à Anvers le nom de M. Smits fût efface de la liste électorale ? Et ici, à Bruxelles, qui donc a été porté sur la liste d’où l’on excluait avec tant d’énergie le ministre de la justice, M. Van Volxem ? L’initiative de ces exclusions est venue des adversaires du ministère, et l’exclusion a malheureusement appelé l’exclusion. Ces exclusions réciproques, je les ai déplorées, profondément déplorées ; j’ai fait mon possible pour les éviter, et lorsqu’elles étaient devenues inévitables, je puis dire que le ministère est à peu prés resté neutre.

Une voix. - Ce ne devait pas être son rôle.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dis qu’il n’y a point de ministère qui, dans ces grandes crises des élections, ne se soit vu souvent réduit à l’abstention, en présence des passions déchaînées ou d’intérêts locaux tout puissants.

Le ministère devait se présenter devant les chambres ; la session n’a été ouverte qu’à l’époque strictement voulue par la constitution. Ce retard, on en a fait un reproche au ministère, on a supposé qu’il craignait les chambres, et l’on a dit : « Dès qu’il paraîtra devant les chambres il tombera. » Il s’est présenté devant les chambres et il n’est pas tombé. Pourquoi croyait-on qu’il tomberait inévitablement ? Parce qu’on considérait le vote du 2 mars, qui n’était qu’un accident, qu’on le considérait comme un fait destiné à être permanent. On voulait perpétuer la classification fatale du 2 mars. Fort heureusement l’ancienne majorité s’est reproduite subitement et comme spontanément, et la classification du 2 mars n’a plus été dès lors qu’un épisode.

Voilà donc le ministère devant les chambres : Que lui a-t-on dit ? « La chambre ne vous repousse pas, mais à la seule condition que vous ne fassiez rien. Vous ne ferez rien ; vous n’aborderez aucune question. » Le discours du Trône avait énuméré un grand nombre de questions ; ce discours fut également qualifié de chimère, je ne veux point me servir d’un mot plus fort dont on s’est servi. On a dit : « Vous vivrez, ou plutôt vous végéterez ; vous n’aborderez aucune des questions que vous avez annoncées, ou si vous en abordez, vous devez savoir d’avance que vous ne les résoudrez pas. » L’honorable M. Rogier, à propos de la loi sur l’instruction primaire, disait qu’il me défiait de la faire mettre à l’ordre du jour.

M. Rogier. - Je n’ai pas dit cela.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous me portiez le défi de la faire mettre à l’ordre du jour. Je puis citer la date de vos paroles. C’était à l’occasion du budget de l’intérieur (le 17 décembre 1841), vous avez dit :

« J’attends cette majorité au moment où nous aurons à discuter la loi d’enseignement moyen et primaire ; je ne l’attends pas à la discussion même de la loi (je doute fort qu’on parvienne à la discuter cette année) ; mais je l’attends à la discussion de l’ordre du jour. » (Interruption.)

Je reviendrai en détail sur la discussion et le vote de la loi de l’instruction primaire ; voyons d’abord l’ensemble des travaux de la session.

Le ministère, qui avait fui les chambres parce qu’il ne les avait pas convoquées avant l’époque strictement requise, ce ministère est resté en présence des chambres pendant onze mois, et toutes les questions indiquées dans le discours du trône ont été abordées et résolues. Ces questions vous sont trop connues pour que je les rappelle. Mais il en était une, celle précisément qui caractérisait la nouvelle phase dans laquelle le pays était entré, une pour laquelle précisément cette majorité mixte que l’on avait proscrite, était frappée d’incapacité. Cette question, on l’a abordée, ou l’a résolue, on l’a résolue avec le concours des membres libéraux de cette chambre. Mais ce concours est toujours entré dans nos prévisions. Le ministère n’aurait jamais dit qu’il voulait cette loi comme une loi catholique, qu’il voulait qu’elle fût votée par une majorité catholique. Mais si elle avait été l’œuvre d’une majorité catholique, c’eût été un échec pour le ministère ; il n’eût plus été dans son programme.

Mais avant de caractériser la discussion de la loi de l’instruction primaire, je dois m’arrêter à une autre loi dont la chambre a été saisie, je veux parler de la révision de la loi communale.

Le ministère a accepté une proposition due à l’initiative d’un membre de cette chambre qui appartient à l’opinion catholique. Je n’ai pas regardé cette proposition comme nécessaire ; si je l’avais considéré comme nécessaire, je l’aurais proposée moi-même ; mais je l’ai considérée comme juste, comme utile ; je crois qu’on a exagéré la portée de cette proposition, je crois que l’avenir en fera ressortir les côtés utiles restés inaperçus jusqu’ici. Cependant je veux être franc : il est regrettable que le ministère lui-même n’ait pas fait cette proposition ; il est regrettable qu’au moins le principe n’en ait pas été posé par lui.

Après cet aveu, il me sera sans doute permis de caractériser à mon tour la position que mes adversaires, que mes anciens amis ont prise dans la discussion relative à la loi communale. Me plaçant dans ces idées gouvernementales qu’ils affectionnent, je demandais la nomination des bourgmestres par le Roi hors du conseil. Cette demande, je ne la faisais pas spontanément, je la faisais pour faire droit à une circulaire de mon honorable prédécesseur, M. Liedts, circulaire que je considérais comme l’œuvre du ministère précédent, comme l’œuvre de ministère tout entier...

M. Lebeau. - C’est une erreur.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous me dites que c’est une erreur, mais vous avez tant de fois professé dans cette chambre la doctrine de l’homogénéité la plus absolue des membres d’un cabinet, que mon erreur était sans doute bien excusable ! (Marques d’assentiment.) La présomption était pour moi : cela me suffit.

Et je vous le dirai sincèrement : j’aurais cru, en ne faisant pas droit à cette circulaire du ministère précédent ; j’aurais cru m’exposer à un reproche de la part des anciens ministres, j’aurais cru que tôt ou tard ils viendraient me demander compte de l’enquête administrative, ordonnée par le ministère précédent. (Rumeurs diverses.)

J’avais encore autre chose que la circulaire de l’honorable M. Liedts qui devait me rassurer : j’avais les opinions de mes anciens amis, opinions consacrées même par des votes de la chambre. J’étais sans crainte. Je me disais : l’ancienne majorité mixte se reformera. Les engagements existent, les lois provinciale et communale n’ont même été votées que sous une espèce de réserve par beaucoup de membres, entre autres au sénat, les modifications qui seront demandées seront accordées sans difficultés.

Il y a dans le parti libéral une fraction qui a des tendances démocratiques, des tendances à l’omnipotence communale. Les conseils communaux ont réclamé contre le projet de loi. Une grave question a dû être posée au parti libéral ; la fraction démocratique l’a emporté ; la fraction gouvernementale, sur laquelle j’avais compté, sur laquelle je devais compter, s’est associée à ce que je puis appeler la fraction démocratique, sans manquer à personne. Dès lors, messieurs, tous les calculs du ministère sur les chances que devait offrir la discussion sont venus à être déjoués ; la tentative qu’on avait voulu faire, de fractionner de nouveau la chambre en catholiques et libéraux, à propos d’une question purement gouvernementale, cette tentative a réussi.

L’honorable M. de Theux a fait sa proposition ; la croyant utile et juste, nous l’avons acceptée, et c’est alors que le parti libéral tout entier, qui s’était opposé d’abord à tout changement quelconque à la loi communale, est venu m’offrir une chose tardive, inacceptable, après que tous les engagements étaient pris, après que la majorité était formée ; il est venu m’offrir le premier projet contre lequel il avait organisé un pétitionnement dans le pays.

M. Delfosse. - Je ne vous ai offert rien de semblable.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je le reconnais, je dois vous excepter ; vous n’avez voulu aucun changement ; j’aurai encore occasion tout a l’heure de rendre hommage à votre franchise.

La circulaire de l’honorable M. Liedts a été désavouée ; l’ancienne opinion, qui avait été exprimée au nom du pouvoir fort, pour avoir la nomination des bourgmestres en dehors du conseil, cette opinion a été abandonnée. Comment a-t-on justifié cet abandon ? Par une fin de non-recevoir. Dans un discours qui, je l’avoue, ne manque pas de profondeur, dans un discours prononcé par l’honorable M. Devaux, on vous a exposé le grand principe de l’inviolabilité des lois organiques.

Mais qu’est devenu quelque temps après ce grand principe de l’inviolabilité des lois organiques ? Qu’est devenue cette fin de non-recevoir ? Je vais vous le dire.

Je suis ramené ici à la loi de l’instruction primaire. Lorsque j’examinai la loi de l’instruction primaire, je me demandai s’il ne fallait pas réclamer pour le gouvernement une part dans la nomination des instituteurs : c’était une atteinte portée à la loi communale.

Je fis une proposition formelle à la section centrale ; la proposition fut même agréée par elle et insérée dans le projet de loi. Je me ravisai. Je me dis : Nous allons avoir la répétition de ce que nous avons vu pour la loi communale ; cherchons d’autres garanties ; laissons la loi communale intacte ; conservons aux conseils communaux la nomination des instituteurs sans restrictions ; tâchons, par des garanties indirectes, d’atteindre le même résultat.

La proposition faite par moi et déjà acceptée par la section centrale fut, de commun accord, retirée.

J’arrivai devant cette chambre, et ce fut l’honorable M. Devaux qui avait invoqué le principe de l’inviolabilité des lois organiques contre le projet de nomination des bourgmestres hors du conseil ; ce fut l’honorable M. Devaux qui me convia à porter de nouveau la main sur la loi communale. ; je me rendis à cet appel, parce que j’avais mes propres antécédents pour moi ; je n’avais jamais professé le principe qu’on a exagéré, le principe de l’inviolabilité absolue des lois organiques.

L’honorable M. Delfosse, conséquent avec lui-même, reprocha amèrement à l’honorable M. Devaux cette contradiction ; il lui dit :

« C’est vous qui ouvrez cette fois la brèche à M. le ministre de l’intérieur, il va s’y précipiter.»

On voulait renouveler la tentative de couper la chambre en deux à propos de la loi de l’instruction primaire, de faire voter la loi par une majorité purement catholique. Cette tentative ne réussit pas. Une expérience était faite ; je me tins, non pas d’une manière hautaine, ce n’est pas dans mes habitudes, mais d’une manière ferme et décidée sur un terrain que j’avais bien étudié, que j’avais nettement défini.

La loi de l’instruction primaire fut votée comme je l’avais espéré, elle le fut par une majorité qui dépassait mon attente, elle le fut à l’unanimité moins trois voix. L’honorable M. Devaux avait proposé un grand nombre d’amendements, pas un seul ne fut adopté ; l’honorable M. Devaux et ses deux amis avaient déclaré, à plusieurs reprises, que si tel article était adopté, que si tel amendement proposé par eux était rejeté, ils voteraient contre la loi. A ma grande surprise, mais aussi à ma grande satisfaction, lorsque le jour du vote arriva, ces honorables membres s’associèrent à la majorité. (Interruption.)

L’honorable M. Devaux me dit qu’il n’a jamais fait les déclarations que je viens de rappeler, je me borné à le renvoyer au Moniteur. D’ailleurs les débats sont assez récents pour que chacun de vous puisse se rappeler l’attitude que nous avons eue respectivement dans cette discussion.

Cette loi, l’honorable M. Rogier ne me l’envie pas. Je le sais, l’honorable M. Rogier n’a pas besoin de m’envier cet acte ; quand on a contresigné la loi du 1er mai 1834, on n’a plus rien à envier à personne. (Mouvement d’approbation.) Il me laisse la loi sur l’instruction primaire comme une consolation, je ne l’accepte pas comme une consolation ; mais je l’accepte comme un démenti donné à ceux qui avaient déclaré la majorité ancienne incapable de résoudre lés questions antérieures à l’ordre du jour, pour ainsi dire, dans la nouvelle phase où le pays est entré, depuis que la question extérieure a cessé d’être dominante ; c’est en cela que ce vote est mémorable. C’est un démenti donné à toutes ces prévisions, et comme je l’ai dit dans une précédente séance, la majorité, quel que soit le tort qui lui est réservé, aura prouvé, depuis deux ans, qu’elle avait encore l’intelligence des affaires du pays, qu’elle était capable d’y suffire.

Messieurs, je vous ai entretenus des griefs anciens, j’arrive aux deux griefs qui sont en quelque sorte actuels : l’un, la nomination des bourgmestres, l’autre, la loi qui vous est soumise.

La nomination des bourgmestres... J’ai, dit-on, rendu imparfaitement compte de cet acte de mon administration ; j’ai caché ce que je ne dois pas cacher ; j’aurais dû en quelque sorte publier la biographie de chaque bourgmestre et probablement de chaque échevin, et y joindre même la notice biographique des bourgmestres et des échevins non maintenus.

Je dis que ce n’est pas sérieusement que mes honorables anciens amis m’adressent cette réclamation. Ils l’auraient à ce banc aussi énergiquement repoussée que je la repousse aujourd’hui. Cependant, à défaut des principes, l’honorable M. Lebeau s’empare d’une phrase que j’ai prononcée, et par laquelle il lui semble que j’ai pris l’engagement absolu de rendre compte de chaque nomination de bourgmestre, au moins quand il était pris en dehors du conseil. Ah, mon honorable ancien ami, vous, plus que personne vous devez déplorer l’usage qu’on fait des phrases isolées et tronquées. On a fait si souvent contre vous usage de certaine de vos paroles qu’on isolait perfidement, ne venez pas, en isolant deux lignes, justifier la conduite de ceux qui abusent de certaines phrases qui ont pu tomber un jour de votre bouche.

Si cette phrase n’était pas sincère, avez-vous dit, au moins elle était imprudente. Si pour l’expier il fallait reconnaître qu’elle a été quelque peu imprudente, serait-ce un grand grief qu’on aurait à me reprocher ? Rapprochez-la de l’ensemble de la discussion, tenez compte des principes qu’aucun de nous ne doit méconnaître, sur les limites des pouvoirs, tenez compte de mes devoirs, des bienséances sociales, dès lors je ne sais plus si, vous emparant de cette phrase, vous pourrez encore exiger des détails que je ne puis vous donner.

Le tableau statistique que j’ai inséré au Moniteur suffit pour faire apprécier cet acte politique. On a été moins exigeant en 1836. Cependant on était allé plus loin dans plusieurs provinces. La situation, me dira-t-on, n’était pas la même. Cependant la circonstance que c’était la première fois que les bourgmestres étaient nommés par le gouvernement se présentait d’une manière particulière ; jusque-là les bourgmestres étaient les élus du peuple. Il était à supposer que les bourgmestres réélus conseillers seraient tous, ou presque tous, maintenus par le gouvernement. Ils n’ont pas été tous maintenus. De grandes éliminations ont été faites. C’est ainsi que sur les propositions strictement admises sans changement du gouverneur de la province de Namur, mon honorable prédécesseur, M. de Theux, ne continua pas dans leurs fonctions de bourgmestre trente-quatre bourgmestres réélus conseillers. Il y eut exclusion, pour employer l’expression dont on se sert à mon égard, il y eut exclusion de trente-quatre bourgmestres, bien que ces trente-quatre bourgmestres, nommés en 1830 par le vœu populaire eussent été réélus, conseillers en 1836. Qu’aurait-on dit si quelqu’un était venu signaler ces actes comme des énormités, si quelqu’un était venu dire : il faut justifier nom par nom ces trente-quatre nominations nouvelles que vous avez faites, a l’exclusion des trente-quatre titulaires réélus ? On aurait repoussé à l’unanimité, on aurait énergiquement repoussé cette prétention.

Il y a dans la province de Namur 343 communes. 34 bourgmestres nouveaux sont nommés, quoique les anciens aient été réélus. 34 sur 343, c’est 10 pour cent.

Prenez le tableau que je vous ai soumis. Sur 2,497 communes dont se compose le pays, je suis loin d’avoir fait 250 nominations nouvelles, à l’exclusion des anciens titulaires réélus. Je n’ai fait que 111 nominations nouvelles, les anciens bourgmestres étant réélus. Je suis donc loin d’avoir atteint le chiffre de 10 p. c.

Qu’il me soit permis de faire un rapprochement qui vous aura peut-être déjà frappé.

Naguère, l’honorable M. Lebeau invoquait en faveur du ministère une sorte de dictature devant la chambre. Il préconisait l’omnipotence ministérielle subalternisant la chambre. Le ministère se trouve en présence des conseils communaux, c’est maintenant le ministère qu’on subalternise, c’est l’omnipotence des conseils communaux qu’on consacre. Je dirai : ni si haut ni si bas. Ni si-haut en présence du parlement qu’il faut respecter, ni si bas en présence des conseils communaux que vous voulez rendre omnipotents.

J’ai dit que peut-être quelques erreurs avaient été commises. Pourquoi n’aurais-je pas fait cet aveu ? J’ai omis de vous dire quelle était l’excuse qui se présentait pour le pouvoir exécutif dans certaines de ces erreurs. Si elles existent, aucune de ces erreurs n’a pu être signalée pour des bourgmestres pris hors du conseil. Si on a nommé bourgmestres des hommes qui ont été destitués avant 1830 pour faits de concussion non jugés par les tribunaux, mais constatés seulement d’une manière administrative, s’il y a des bourgmestres à qui on peut faire cette imputation, ce sont des bourgmestres choisis dans le conseil, ce sont donc des bourgmestres qui se présentent avec l’auréole de l’élection populaire. Si le gouvernement a été trompé, les électeurs en faveur desquels M. Delfosse invoquait hier une espèce d’infaillibilité, les électeurs ont contribué à induire le gouvernement en erreur.

M. Delfosse. - Les électeurs ne relèvent de personne.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - M. Delfosse dit que les électeurs ne relèvent de personne. Il voudra cependant bien reconnaître que quand le gouvernement choisir un bourgmestre dans le conseil, le titulaire se présente avec la présomption que donne le choix de ses concitoyens.

Le fait de concussion qui le rend indigne du choix du gouvernement ne l’ayant pas fait juger indigne du choix de ceux au milieu desquels il vit, au milieu desquels il se trouve quotidiennement, comment voulez-vous que le gouvernement devine cette cause d’indignité, lui qui ne se trouve pas sur les lieux.

Du reste, je n’admets pas cette infaillibilité de l’élection communale ; il est de mon devoir de protester contre l’opinion émise par l’honorable M. Delfosse, opinion d’après laquelle le conseil communal de Liége, condamné par le gouvernement, condamné par la législature, pouvait appeler du gouvernement et de la législature à une simple élection communale C’est une exagération. Si l’honorable membre y avait bien réfléchi, je crois qu’il n’aurait pas à ce point proclamé l’infaillibilité de l’élection communale.

Le deuxième grief, vous disais-je, c’est la loi actuelle. D’abord ce grief se subdivise en je ne sais combien de griefs. L’honorable préopinant en a découvert un nouveau, qui doit être le premier de tous ; c’est que le gouvernement aurait dû spontanément faire l’enquête. Il a avoué que les faits lui étaient suffisamment connus. C’est un aveu que le gouvernement n’a pas fait et qu’il ne pouvait pas faire.

Dans la séance du 14 décembre, l’honorable M. Mercier adressa une interpellation au ministère. Voici ce que j’eus l’honneur de lui répondre :

« Je me joins à l’honorable préopinant, pour flétrir les mauvais moyens, de quelque côté qu’ils viennent. Les faits que l’honorable préopinant a signalés ne sont pas parvenus officiellement à la connaissance du gouvernement. Je dois dire cependant, que M. le ministre des finances a été instruit d’un fait de ce genre, il y a quelques jours, par un directeur de province ; il s’en expliquera probablement tout à l’heure. Quant à moi, je n’ai reçu aucune information officielle, mais je crois que le gouvernement doit faire une enquête sévère sur ce qui se passe. Nous savions par les journaux que depuis longtemps, dans différentes circonstances, on avait supposé qu’à la veille des élections on avait augmenté le nombre des électeurs, entre autres au moyen des patentes. Ce fait a été signalé non pas officiellement, mais par la rumeur publique, aux différents ministres qui se sont succédé. »

Ainsi le gouvernement n’avait encore aucune connaissance officielle des faits. Un seul fait avait été signalé officiellement ; c’était une lettre du directeur des contributions de la province du Hainaut à M. le ministre des finances. Si l’honorable M. Mercier avait tardé à faire sa motion, peut-être le gouvernement aurait-il ordonné l’enquête.

Le deuxième grief, c’est que l’enquête n’a pas été faite sérieusement, c’est en quelque sorte une fraude nouvelle. J’hésite à jeter tant de discrédit sur les honorables fonctionnaires publics appartenant a tous les rangs, qui ont été associés à cette enquête, j’hésite, et je crois que si l’honorable préopinant avait réfléchi, il aurait éprouvé la même hésitation Comment suspecter une enquête faite par un aussi grand nombre de fonctionnaires publics ? C’est supposer la chose la plus invraisemblable, c’est supposer une connivence impossible entre des milliers de fonctionnaires, à partir du porteur de contraintes jusqu’au directeur, et du garde-champêtre jusqu’au gouverneur de province.

Troisième grief : on ne publie pas les noms. Toujours la publication des noms ! Mais que vous apprendraient donc les noms ? Ce qu’il vous appartient, à vous législateurs, de savoir, ce sont les faits. Que vous importe à quels noms se rapportent le faits ? Ce n’est pas le nom, c’est le fait qui constate la nécessité de la répression de la fraude.

M. Devaux. - Le nom fait le fait.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le nom ne fait pas le fait ; c’est la fraude constatée qui exige la mesure répressive, de quelque part que vienne la fraude.

Le véritable grief contre le ministère, je vous l’ai déjà dit, le voici : On a voulu faire croire au pays qu’on avait organisé systématiquement une espèce de conspiration pour détruire les bases de notre système électoral ; on l’avait supposé ; c’est là ce qu’on désirait, et le gouvernement ne s’est pas associé à cette imputation. Désormais, il est constaté pour tout homme impartial, qu’il n’y a eu que tentatives partielles, locales.

Ces tentatives ne sont pas moins blâmables ; je les ai blâmées lorsque l’honorable M. Mercier vous les a signalées. Ces tentatives, elles sont dues à toutes les opinions, et je n’hésite pas à dire que les 393 déclarations pour les patentes sur le total de 635 déclarations suspectes, sont dues en majeure partie à l’opinion que l’on voudrait vous présenter comme complètement hors de cause.

De l’enquête, je passe au projet de loi qui en a été le résultat. Le premier grief, en dehors du projet de loi considéré en lui-même, est que ce projet a été imposé au gouvernement par le pouvoir occulte auquel il obéit. Le gouvernement, dit-on, a surpris tout le monde lorsqu’il est venu présenter ce projet, il a été bien au-delà de la pensée qu’il vous avait exprimée, dans la séance du 16 décembre. Voyons comment cette assertion peut se maintenir devant les faits.

A la séance du 14 décembre 1842 je réponds immédiatement à l’interpellation de l’honorable M. Mercier, j’énumère divers genres de fraudes, et j’ajoute :

« Vous voyez donc, messieurs, que la loi contre les fraudes électorales, si elle est présentée, ne peut pas porter sur l’espèce unique de faits très graves qui a été signalée aujourd’hui, mais qu’elle doit porter sur tous les genres de fraude que l’on peut employer, non seulement pour créer de faux électeurs, mais encore pour calomnier les candidats, pour égarer les électeurs. »

Je ne me suis pas borné à cette déclaration générale ; j’ai annoncé que je demanderais en faveur du gouvernement une intervention réelle dans la formation et dans la révision des listes électorales, je l’ai annoncé de la manière la plus positive dans la séance du 17 décembre.

« Comment, messieurs, se dressent les listes électorales ? Car on perd trop de vue que l’intervention du gouvernement est à peu près nulle dans les opérations relatives à la formation dès listes électorales. C’est l’administration communale qui fait dresser ces listes. C’est donc là un premier degré de juridiction. On peut interjeter appel à la députation, mais qui ? « Tout individu qui est indûment inscrit, omis, rayé ou autrement lésé. » C’est ce que porte l’art. 12 de la loi électorale. Le gouvernement n’a donc pas le droit d’interjeter appel près de la députation, qui est le deuxième degré de juridiction.

« Reste le recours en cassation ; le ministère public peut toujours recourir en cassation dans l’intérêt de la loi, mais c’est là que se borne toute l’intervention du gouvernement.

« Un membre. - Cela n’empêche pas l’électeur indûment inscrit de voter.

« M. le ministre de l’intérieur - En effet cela est inopérant sur l’élection, car le recours n’a lieu que dans l’intérêt de la loi. »

J’avais donc annoncé que je réclamerais une intervention réelle en faveur du gouvernement. J’ai encore été plus loin, j’ai indiqué quelques-unes des mesures de police que je me proposais de demander ; dans la séance du 16 décembre je disais :

« Il y a plus d un an que j’ai songé à soumettre aux délibérations de la législature une loi sur les fraudes électorales. »

(M. Nothomb s’arrête dans sa lecture et dit :)

L’honorable M. Devaux m’a fait l’honneur de me dire : Je ne suppose pas que cette loi existât déjà, le 16 décembre, dans l’esprit de M. le ministre. Je le prie de faire au contraire cette supposition. La loi existait déjà en majeure partie dans ma pensée, et je l’ai annoncé.

(M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) reprend sa lecture :

« Je me félicite de nouveau de cette discussion ; les esprits sont préparés, et je ferai mon possible pour que la chambre soit saisie de cette loi dans le plus bref délai.

« L’action du gouvernement, je ne puis assez le répéter, est extrêmement restreinte en matière d’élection. Voici, par exemple, des choses qui ont été signalées au gouvernement ; il s’introduit dans les bureaux des personnes qui ne sont pas électeurs ; eh bien, le gouvernement a engagé ceux qui président les bureaux électoraux à prendre les mesures nécessaires pour que les personnes qui ne sont pas électeurs ne s’introduisent pas dans les bureaux. Le gouvernement, encore une fois, ne peut procéder que par voie de conseil.

« Voici encore un autre fait qui a été signalé : Dans une ville où il y a plusieurs milliers d’électeurs, on réunit tous les électeurs, quoique partagés en plusieurs bureaux, au même hôtel-de-ville, par exemple, d’où il résulte un encombrement de monde et un véritable désordre. Le gouvernement a engagé les autorités qui président les élections à répartir les électeurs dans les différents locaux qui peuvent exister dans cette ville et à faire en sorte d’éviter une agglomération d’électeurs. »

Vous voyez, messieurs, que je n’avais pas seulement annoncé le principe de la loi, mais que j’en avais annoncé les principales dispositions ; et si le projet n’a pas été présenté plus tôt, c’est parce que j’attendais et je devais attendre le résultat des deux enquêtes faites par le gouvernement et par l’administration des finances, deux enquêtes qui servent en quelque sorte de preuve l’une à l’autre.

J’arrive maintenant aux griefs articulés contre le ministère, quand on considère la loi en elle-même.

Cette loi, dit-on, est faite dans l’intérêt d’un parti. Les dispositions auxquelles ce reproche peut s’adresser ne peuvent être celles qui concernent la répression de la fraude relativement au cens. Mes honorables adversaires considèrent le parti catholique comme le seul coupable, mais alors je frappe donc le parti catholique seul, ce n’est donc pas dans son intérêt que j’ai proposé l’article 2. Cette disposition, dit-on est imparfaite, la mesure est mauvaise, mais je n’en connais pas d’autre ; proposez une autre mesure qui soit acceptable, et surtout immédiatement efficace ; vous me trouverez disposé à l’adopter ; mais à défaut d’autres mesures, force m’est bien de me tenir à la disposition de l’article 2 article par lequel je frappe le parti catholique seul, parce que, selon vous, c’est ce parti seul qui a pratiqué les fraudes.

Ainsi, messieurs, le grief de l’influence catholique ne peut pas s’adresser à cette disposition.

L’article 1 même, qui faisait cesser tous les doutes, dès lors que les centimes additionnels communaux et provinciaux, permanents même, ne seront plus comptés pour la formation du cens, ne peut être considéré comme favorable au parti catholique ; c’est dans les campagnes surtout que ces centimes servaient d’appoint pour parfaire le cens, or, vous regardez l’opinion catholique comme dominante dans les campagnes.

Passons aux autres dispositions principales.

Il s’agit, par les articles 7 et 8 de consacrer l’intervention du gouvernement dans la révision des listes, en accordant aux commissaires d’arrondissement le droit d appel près de la députation, au gouverneur le pourvoi en cassation contre la décision de la députation.

Le principe nouveau de cette intervention, par l’appel et par le pourvoi en cassation, peut-il être considéré comme exclusivement introduit en faveur d’un parti ? Cette disposition sera permanente et vous qui comptez sur l’arrivée prochaine du parti libéral au pouvoir, cette intervention ne doit pas vous effrayer ; vous en userez.

Règle générale : quand est réclamée pour le gouvernement une arme nouvelle, c’est au fond dans l’intérêt du gouvernement seul que l’on agit ; on doit seulement considérer jusqu’à quel point on peut donner cette arme au gouvernement sans compromettre les libertés publiques. Voilà le seul terrain sur lequel ou doit examiner le projet.

Supposer que ces dispositions aient été demandées en faveur d’un parti, c’est supposer que le gouvernement manquerait à tous ses devoirs ; dans cette supposition, il faut complètement désavouer le gouvernement ; il faut non pas lui refuser l’attribution nouvelle, mais encore lui retirer toutes ses attributions.

L’appel de la part des commissaires d’arrondissement, et le pourvoi en cassation de la part du gouvernement, ce n’est là qu’une intervention passive.

Comme je vous l’ai dit, cet appel des commissaires sera jugé par la députation permanente, corps électif ; le pourvoi des gouverneurs sera jugé par la cour suprême, par la cour de cassation et si les commissaires d’arrondissement ou les gouverneurs, dans un intérêt de parti, ou dans des vues personnelles, se permettaient des recours irréfléchis ou même coupables, leur conduite serait promptement signalée au pays par la décision des députations permanentes, ou par les arrêts de la cour de cassation

Cette intervention, elle a été signalée comme désirable, non par moi seul, mais par les divers ministres qui se sont succédé sur ces bancs ; elle a été signalée comme désirable et a été indiquée dans toutes les discussions où il s’est agi de vérification de pouvoirs ou de fraudes électorales.

L’honorable M. Mercier a pensé que l’appel attribué aux commissaires d’arrondissement exigeait certaines garanties, et, entre autre, la notification et la publication de cet appel dans la commune à laquelle appartient l’électeur au sujet duquel le recours est formé, Je ne m’oppose nullement à cette addition, c’est une véritable amélioration de la loi ; la publicité dans cette matière est désirable, et je me suis même demandé s’il n’y avait pas lieu d’annoncer ces sortes de recours par la voie du il.

Le pourvoi en cassation a semblé étrange à l’honorable M. Fleussu : un gouverneur qui a siégé avec les autres membres de la députation, comment veut-on, a-t-il dit, qu’il puisse se pourvoir en cassation, il doit donc se pourvoir dans une question où il aura été non pas ministère public, mais juge.

Mais, messieurs, il en est de même aujourd’hui. Les lois communale et provinciale ont admis le pourvoi des gouverneurs près du gouvernement central. Il y a des exemples où un gouverneur a interjeté un appel, non pas en faveur de son opinion, mais contre sa propre opinion. Le gouvernement sachant qu’une décision contraire avait été prise dans un grand nombre d’autres provinces, le gouverneur fut invité à se pourvoir, il le fit sans s’en sentir aucunement humilié.

Ainsi, il n’est pas déraisonnable d’attribuer le pourvoi aux gouverneurs ; il existe aujourd’hui ; il y a plus : un gouverneur peut être amené à se pourvoir contre une décision à laquelle il a pris part d’une manière contraire à l’avis du ministère.

Je passe à un autre article, celui qui concerne la composition des bureaux ; cette disposition continue à être signalée comme un épouvantail ; nous avons dit pourquoi nous demandions cette disposition, c’est parce qu’il est désirable que les bureaux soient entièrement et à l’avance composés par la loi même. Nous avons ajouté que nous ne tenions pas au mode ; j’ai même déclaré que j’étais disposé à appeler les bourgmestres et conseillers communaux indistinctement, d’après la modification déjà indiquée par un membre de la section centrale.

Et cependant malgré cette déclaration, on est sans cesse revenu sur cette disposition qui peut dès à présent être considérée comme n’existant plus dans sa rédaction primitive.

« Cet article est une niaiserie, à dit l’honorable M. Devaux, et après lui l’honorable M. Lebeau ; c’est une niaiserie ou un acte d’hypocrisie ; il est impossible que jamais cet article reçoive son application en ce qui concerne les conseillers communaux. » Ces honorables membres se trompent. Dans les grandes villes où il y a plusieurs sections intra muros, et il y a des villes de ce genre, cette disposition recevrait son application aux conseillers communaux. A Bruxelles, par exemple, il y a des sections intra muros, ou bien des sections où il n’y a adjonction que de l’un ou de l’autre faubourg. Pour ces sections on devrait évidemment descendre jusqu’aux conseillers. Vous voyez donc qu’il n’y a ici ni niaiserie, ni hypocrisie.

Du reste, messieurs, j’ai annoncé que le gouvernement acceptait la modification proposée. Dès lors je ne comprends pas cette persistance qu’on a mise à s’attacher à la rédaction première.

J’ai également déclaré que l’art. 11 laissait quelque chose à désirer, en ce qui concerne les signes de ralliement. J’ai déclaré que dans le cours de la discussion ou pourrait, tout en conservant la pensée de l’article, y apporter une modification, en préciser le sens.

L’honorable M. Dolez signale, comme extrêmement défectueuse, la disposition qui interdit l’entrée des sections et la circulation d’une section à l’autre, non seulement aux étrangers, mais même aux électeurs qui ne font pas partie des sections dont il s’agit. C’est là encore une question à examiner ; l’article qui exige que pas plus de trois sections ne se réunissent dans le même local, étant adopté, je ne verrais pas grand inconvénient à borner l’exclusion aux étrangers.

J’ai annoncé dans l’exposé des motifs, sans résoudre la question, que l’art. 24 présentait de graves difficultés, je me suis expliqué depuis sur cet art. 24 ; j’ai fait une proposition formelle. L’honorable M. Dolez, dans la séance d’hier, a reconnu qu’en effet cet article présentait de graves difficultés, de grands inconvénients ; cet article qui exige que dans la même journée on fasse successivement l’élection pour le sénat et l’élection pour la chambre des représentants. Ce qui l’effraie seulement, ce sont les moyens proposés pour remédier à cet inconvénient. Ces moyens, nous les examinerons ; et peut-être en trouvera-t-on un qui n’expose pas aux abus ou aux méprises que l’on semble redouter. C’est encore une question à examiner quand nous arriverons enfin aux détails de la loi.

Vous voyez donc, messieurs, à quoi se réduisent les griefs que l’on adresse au ministère au sujet de cette loi, quand on veut bien en considérer impartialement les dispositions en elles-mêmes.

Je n’hésite pas à dire que toutes les dispositions de la loi, sans en excepter une seule, et sans exclure les modifications raisonnables, doivent convenir à tous les partis, parce que, à mes yeux, tous les partis sont amis de l’ordre, parce que, à mes yeux, tous les partis doivent accepter les moyens qui rendent possible pour tous l’exercice de l’électorat. En réclamant la simultanéité des élections du sénat et de la chambre, nous ne croyons pas prendre le parti des campagnes contre les villes ; d’abord il y a d’autres villes que celles qui sont chef-lieu de districts électoraux. Est-ce que Diest et Tirlemont ne sont pas des villes ? Est-ce que Wavre n’est pas une ville ? Et puis quel est celui qui, dans cette chambre, oserait dire qu’il n’est que l’élu de la ville chef-lieu ?

J’ai admis la possibilité d’amendements. Est-ce reculer ? Est-ce manquer de dignité. On le dira. Il me suffit, à moi, que la pensée du projet soit respectée, que le but soit atteint ; je crois ne pas m’humilier en transigeant peut-être sur les moyens. D’ailleurs tous les cabinets l’ont fait, et, remarquez-le bien, cette faculté conservée d’admettre certaines modifications prouve bien que je ne suis lié par aucun engagement secret.

Laissons là le projet de loi et attendons la discussion des articles.

Malgré l’étendue de ces explications, je ne puis passer sans silence un reproche fort extraordinaire que l’honorable M. Rogier nous a fait, en énumérant les actes du ministère ; il nous a sérieusement reproché de n’avoir pas résolu toutes les questions de finance et de commerce. Mais nous n’avons pas la prétention d’épuiser le programme parlementaire pour la génération présente. (On rit). La chambre a siégé onze mois l’année dernière ; mais pouvions- nous la faire siéger le douzième mois ?

M. Rogier. - Et cette session-ci ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette session-ci ! Mais cette session-ci, n’avons-nous rien fait ? N’avons-nous pas examiné et adopté le traité final conclu avec la Hollande, traité que vous avez oublié dans l’énumération que vous avez faite hier.

M. Rogier. - Il n’y a pas de quoi se féliciter.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce traité n’est pas l’œuvre du ministère seul ; ce n’est pas pour diminuer notre responsabilité que je le dis, c’est pour ne pas être accusé d’injustice ; trois cabinets ont concouru à la solution de ces questions ; le gouvernement a été secondé par des commissions ; et j’aime à reconnaître le concours de l’honorable M. Rogier, comme gouverneur de la province d’Anvers, président de la commission de navigation. Il n’y a pas de quoi se féliciter de ce résultat, dites-vous ; pour l’apprécier, j’en appelle à l’opinion publique en Hollande.

Cet acte, messieurs, est venu placer la Belgique dans une situation normale ; cet acte sera d’une grande importance pour le pays dans toutes les relations commerciales qu’il aura à établir avec les Etats voisins ; cet acte a prouvé aux cabinets étrangers que la Belgique sait faire ses affaires par elle-même ; cet acte honore les deux peuples naguère unis et aujourd’hui séparés et réconciliés ; cet acte a été la consolation, dans ses derniers jours, de l’homme d’Etat éminent que la Hollande vient de perdre et que les deux parties de l’ancien royaume regretteront également ; homme d’Etat qui a été étrangement méconnu par l’honorable M. Devaux, à son arrivée parmi nous. Ce traité est aussi venu ôter à ceux qui ont persisté à ne pas se rattacher à la nationalité belge, le dernier prétexte qu’ils pussent donner à leur persistance.

Et ceci m’offre l’occasion de témoigner mon étonnement de la manière étrange dont on a défiguré quelques paroles que j’ai prononcées il y a trois jours. Les orangistes qui se sont ralliés ne sont plus pour moi des orangistes, ce sont des citoyens que je confonds avec tous les autres citoyens. Les orangistes, pour moi, c’est cette poignée d’hommes qui protestent contre le traité de Londres et contre le traité de La Haye ; les orangistes dont j’ai voulu parlé, ce sont ceux qui sont plus orangistes que la maison d’Orange, qui regardent, comme non avenues, et l’abdication de Guillaume Ier, et la reconnaissance nouvelle de Guillaume Il. Ce sont là les orangistes dont j’ai entendu parler ; ce sont ceux qui protestent tous les jours contre la nationalité belge, nos institutions, notre dynastie.

A Dieu ne plaise que j’aie voulu jeter le moindre blâme sur les hommes honorables que la reconnaissance, que des hautes fonctions politiques ont pu forcer à rester dans une position expectante. Je n’ai qu’un regret, c’est que le sentiment des devoirs qu’ils avaient à remplir, des convenances qu’ils avaient à garder, devoirs et convenances que je ne méconnais pas, les ait mis dans l’impossibilité morale de se rattacher plus tôt à notre cause. (Assentiment.)

L’honorable préopinant a bien voulu s’adresser directement à celui qui vous a longtemps, trop longtemps peut-être entretenu. Il a bien voulu me donner des conseils.

Je n’ai rien à expier, rien à rétracter. Je suis resté ce que j’étais ; je me suis maintenu sur le terrain commun où nous avons été pendant dix ans, terrain que mes anciens amis ont quitté. Ce n’est pas moi qui les ai abandonnés, Ce sont eux qui se sont retirés de la voie que je croyais être pour nous à jamais commune.

Mes anciens amis, vous avez aujourd’hui pour vous tous ceux qui étaient contre vous en 1833 ; j’ai aujourd’hui pour moi ceux qui étaient pour vous en 1833 ; j’ai aujourd’hui pour moi cette même majorité sur laquelle vous vous êtes appuyé pour tous les grands actes de votre carrière.

C’est en s’appuyant sur cette majorité que l’honorable M. Lebeau a pu poser tous les actes qui font sa gloire comme homme politique.

C’est sur cette majorité qu’il s’appuyait lorsqu’il a attaché son nom à la fondation de la royauté belge.

C’est sur cette majorité qu’il s’appuyait lorsqu’il à obtenu du congrès le vote des 18 articles.

C’est sur cette majorité qu’il s’appuyait lorsqu’il a obtenu des chambres la ratification indirecte de la convention du 24 mai.

C’est sur cette majorité mixte que s’appuyait aussi l’honorable M. Rogier lorsqu’il a obtenu la loi des chemins de fer, loi qui est son titre de gloire. (Mouvement général.)

Avec cette majorité vous avez non seulement pu poser tous les grands actes de votre carrière politique, mais c’est en vous appuyant, mon honorable ancien ami, sur cette majorité, que vous avez pu échapper aux écueils contre lesquels, pour se venger de vous, on voulait vous briser.

Lorsqu’à la suite de nos désastres militaires du mois d’août 1831, les extrêmes coalisés ont voulu accumuler sur votre tête la responsabilité de ces malheurs, en instituant une commission d’enquête pour rechercher les causes de la non-organisation de l’armée, c’est cette majorité mixte proscrite en avril 1841 par M. Devaux, c’est cette majorité mixte qui vous a sauvé. (Mouvement.)

Lorsqu’à la suite des excès qui sont venus si douloureusement surprendre la capitale et le pays en 1834, après l’existence de deux années d’un gouvernement régulier, les extrêmes coalisés ont voulu vous rendre responsable de ces désordres, c’est cette majorité mixte proscrite en avril 1841 par M. Devaux, c’est cette majorité mixte qui vous a sauvé. (Nouveau mouvement.)

Et lorsque désespérant de vous vaincre sur les grandes questions politiques, le chef de l’opposition libérale d’alors, a voulu, en août 1833, flétrir votre nom par une mise en accusation, à propos d’une peccadille de police, c’est cette majorité mixte proscrite en avril 1841 par M. Devaux, déclarée indigne par vous ou en votre nom de faire les affaires du pays dans l’avenir, c’est cette majorité mixte qui, encore une fois, vous a sauvé. (Très bien ! Très bien !)

Il y a dans la vie des jours douloureux ; mais l’homme politique doit les accepter ; c’est le jour où Fox et Burke se séparent. C’est le jour où les conflits s’élèvent entre les grandes missions politiques et les amitiés privées ; les amitiés privées viennent quelquefois à se briser. Mais ne se forme-t-il pas aussi de grandes amitiés politiques, en quelque sorte, entre les hommes d’Etat et les assemblées délibérantes ? N’était-ce pas une grande amitié politique que cette alliance qui a si longtemps existé entre vous et la majorité mixte, devenue tout à coup, en avril 1841, l’objet de votre proscription ? N’avez-vous rien éprouvé ce jour-là ? N’avez- vous pas hésité lorsqu’il s’est agi de quitter le terrain commun où nous étions depuis dix ans et de rompre avec cette vieille majorité, en la jetant comme une proie aux passions du pays ? (Interruption.)

Vous avez aujourd’hui pour vous l’opposition libérale de 1833, qui vous poursuivait avec tant d’injustice et d’acharnement ; vous avez aujourd’hui pour vous en dehors de cette enceinte ce qu’un grand orateur français a appelé les forces vives du pays.

Vous arriverez peut-être, mais, qu’il me soit permis de le dire, en ce moment solennel pour vous et moi, vous arriverez au nom de certaines passions, et revenu au pouvoir, vous ne pourrez pas vous y maintenir en présence des passions qui vous y auront porté. Vous serez venu par les passions et vous périrez par les passions. Quant à moi, je n’ai pas manqué à ma mission d’homme politique. Cette mission, je le déplore, elle m’a coûté une amitié dont je m’honorais, qui m’était chère, mais elle ne m’a pas coûté mes principes ; il s’agissait pour moi de les sauver. Ce n’est pas l’impatience de parvenir qui m’a fait accepter cette tâche ; je l’ai acceptée parce que je croyais, comme je le crois encore, continuer l’œuvre que nous avons abandonnée par la fatalité des circonstances. (Très bien, très bien ; agitation prolongée.)

M. Delfosse (pour un fait personnel). - M. le ministre de l’intérieur a bien voulu rendre justice à ma franchise, comme je rends justice à son talent ; je l’en remercie d’autant plus que ma franchise a quelquefois été un peu rude pour lui.

J’ai demandé la parole pour rectifier deux erreurs, dans lesquelles M. le ministre de l’intérieur est tombé à mon égard ; je n’ai jamais proclamé le dogme de l’infaillibilité des électeurs ; je sais aussi bien que M. le ministre de l’intérieur que les électeurs peuvent se tromper. Cc que j’ai dit, c’est qu’ils ne relèvent de personne, c’est, qu’à la différence des ministres, ils ne doivent compte de leurs actes à personne. Je pense que M. le ministre de l’intérieur ne soutiendra pas le contraire.

M. le ministre de l’intérieur a dit que j’avais avoué, hier, que la régence de Liége a été, en 1834, condamnée par les deux chambres, Je n’ai jamais fait un tel aveu. J’ai dit qu’en 1834 la régence de Liège avait contre elle la chambre des représentants et le sénat : mais il n’y a jamais eu de condamnation prononcée ni par l’une ni par l’autre chambre ; il y a eu des opinions exprimées à la tribune, il n’y a pas eu de loi faite. C’est en l’absence d’une loi, c’est dans l’état incomplet où la législation était alors, que nous avons cru que la régence n’avait d’autres juges que les électeurs. Si une loi avait été faite dans les termes de la constitution, j’aurais été le premier à m’y soumettre. Je serai toujours le premier à donner l’exemple du respect pour la loi.

M. Rogier. (pour un fait personnel). - Messieurs, j’ai été nommé à plusieurs reprises par le ministre de l’intérieur. Il m’a attribué des faits tout à fait personnels. Je demande à la chambre la permission de répondre. Je dois cependant la prévenir que ma réponse sortira probablement un peu des limites ordinaires assignées aux faits personnels.

M. de Mérode. - On peut demander la parole pour un fait personnel quand il s’agit de dire quelques mots, mais on ne peut pas intervertir l’ordre des orateurs inscrits, pour parler longuement, à propos des faits personnels.

M. le président. - J’engagerai l’orateur à se renfermer, autant que possible, dans le fait personnel.

M. Rogier. - On vient, messieurs, de vous parler dans un très beau langage, je l’avoue, de ce que je considère comme une intervention dont tout l’honneur revient à M. le Ministre de l’intérieur. M. le ministre, à tous les griefs articulés contre son administration, a une réponse triomphante, et toujours la même : « La majorité mixte ; je veux gouverner comme on l’a fait pendant dix ans, avec une majorité mixte. » Et la majorité d’applaudir à ces paroles.

Eh bien, messieurs, cette réponse peut être fort utile dans une position fausse et injustifiable, il ne lui manque qu’une chose, c’est la vérité, c’est la réalité. M. le ministre de l’intérieur et ses collègues ne sont pas appuyés par cette majorité mixte et modérée dont il évoque le souvenir ; M. le ministre de l’intérieur est appuyé par une majorité de parti, exclusivement de parti. (Réclamations.) Je veux vous le démontrer. On ne me répondra pas.

Des membres. - Ce n’est pas un fait personnel.

M. Rogier. - Cela vous gêne, messieurs ; vous serez beaucoup plus gênés encore tout à l’heure. De manière que si vous voulez m’ôter la parole, vous ferez bien de me l’ôter tout de suite. Je croyais cependant que la chambre m’avait autorisé à parler. (Interruption).

La majorité mixte d’autrefois était une majorité modérée ; elle permettait aux membres de la minorité de s’expliquer. Je ne sais pas si l’honorable M. de Man en faisait partie, mais enfin elle était modérée et tolérante ; elle a beaucoup changé depuis...

M. de Man d’Attenrode. - Nous ne demandons que l’exécution du règlement.

M. Rogier. - La chambre m’a accordé la parole, alors que je l’avais prévenue que je devrais m’étendre plus qu’on ne le fait ordinairement pour répondre à un fait personnel.

M. le président. - M. Rogier a demandé la parole pour répondre à un fait personnel, mais il a annoncé en même temps qu’il devrait donner une certaine étendue à sa réponse. C’est dans ce sens que la parole lui a été accordée.

M. Rogier. - On aura seulement gagné à ces interruptions, de déranger un peu le cours de mes idées. Je demande donc de ce chef un peu d’indulgence.

M. Dolez. - Parlez ! parlez !

M. Rogier. - Je reprends et je dis que la majorité mixte est une invention de M. le ministre de l’intérieur pour le sauver d’une position tout à fait fausse et injustifiable. Vous vous dites appuyé par la majorité mixte qui a fait les affaires du pays pendant dix ans. Mais mon Dieu ! si je faisais le dénombrement de votre majorité d’aujourd’hui et l’histoire de chacun de ses membres, j’exciterais le rire d’un côté et la colère de l’autre.

Dans cette majorité qui vous appuie aujourd’hui, vous comptez, MM. Dubus (aîné), Brabant, Dumortier, Desmet, de Meer, Dechamps, Desmaisières, votre collègue ; mais tous ces hommes, que je respecte, tous ces hommes ont constamment combattu le gouvernement. Mais si l’honorable M. Dumortier, par exemple, se pose aujourd’hui l’homme de la conservation par excellence, il a été pendant dix ans l’homme dissolvant par excellence. Vous le savez, vous le savez mieux que nous, vous qui avez eu avec l’honorable M. Dumortier tant et de si vives altercations politiques. Quant à moi, j’espère que ces honorables collègues, fidèles à leurs antécédents, car ce sont pour la plupart des hommes de principes, fermes et stables ; j’espère que ces honorables collègues protesteront contre les inductions de M. le ministre de l’intérieur et qu’ils ne voudront pas renier leur passé d’opposition.

Je m’attends à ce que M. le ministre, forcé de reculer sur le terrain des personnes, vienne nous dire : « Je passe condamnation sur les personnes. » Il ne s’en agit plus ; il s’agit des principes ; ce sont les principes modérés qui doivent présider à la direction des affaires, c’est avec les principes modérés que je veux gouverner. Mais de quel droit accuseriez-vous l’administration précédente d’avoir voulu gouverner avec des principes qui ne fussent pas modérés ? les principes modérés n’étaient-ils pas le fond de sa politique, les principes modérés n’ont-ils pas triomphé pendant tout le temps où cette administration a dirigé les affaires du pays ? Y a-t-elle renoncé un seul jour ?

Quoi ! nous n’aurions point gouverné avec des principes modérés, et dans un acte d’accusation qui a duré tout un mois, qui était préparé de longue main, et dont peut-être l’inspiration venait d’ailleurs encore que de la chambre, pas une reproche n’a pu être articulé contre cette administration, pas un grief sérieux n’a pu lui être imputé. Elle était condamnée, condamnée par l’esprit de parti, par les passions, et non point par la raison. Et la vérité, messieurs, n’a pas tardé à se faire jour, la vérité, qui finit toujours par triompher, a arraché dans cette enceinte, dans cette discussion même, de mémorables aveux à des membres de l’opposition d’alors.

L’honorable M. Dumortier, et je rends justice à sa loyauté, l’honorable M. Dumortier vous a dit avant-hier que le renversement de l’ancienne administration a été une faute. Et l’honorable M. Dechamps, le promoteur principal de la chute de l’ancien cabinet, celui qui était chargé de mettre le feu aux poudres, que nous a-t-il dit dans la séance d’hier ? « Le renversement de l’ancien cabinet a été une faute. » Je ne sais pas si le Moniteur reproduira cet aveu, mais certes il était trop frappant pour ne pas avoir été retenu sur tous les bancs de cette chambre.

Enfin que vous a dit M. le ministre de l’intérieur lui-même dans la séance d’aujourd’hui ? Il ne l’a point dit d’une manière aussi explicite, mais d’après ses paroles on peut conclure qu’il considère la chute de l’ancien cabinet comme une faute.

La chambre voudra bien me pardonner de faire revenir souvent dans cette discussion les mots « ancienne administration. » Je vous prie, je vous supplie de séparer ici la question de personnes de la question de principes. Ce sont les principes que nous défendons. Faites avec nous abstraction des personnes.

Je dis que M. le ministre de l’intérieur a blâmé lui-même aujourd’hui le renversement de l’ancienne administration.

La chute de l’ancien cabinet a été provoquée par l’acte du sénat ; or, M. le ministre de l’intérieur vient de blâmer cet acte.

Si le sénat a posé un acte indépendant, contraire à l’esprit du régime constitutionnel, pourquoi donc ne le blâmiez-vous pas alors ? Pourquoi ne concouriez-vous pas avec vos amis politiques à réprimer cet acte que je ne qualifierai pas plus sérieusement que vous ? Vous n’avez pas conseillé la dissolution du sénat, et pour quel motif ? Si ce n’est parce que vous cédiez à votre insu, peut-être, à ce grand empressement de reprendre une place au banc ministériel, place qui ne pouvait vous manquer, attendu que votre talent devait tôt ou tard vous appeler dans une combinaison ou dans une autre.

Quoi ! vous blâmez l’acte du sénat, et M. le ministre des affaires étrangères est à côté de vous ! et il ne prend pas la parole pour dire à son collègue de l’intérieur : « Mais cet acte que vous blâmez, j’en suis un des auteurs principaux, j’en ai recueilli les fruits avec vous !... »

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Je vous répondrai tout à l’heure.

M. Rogier. - Les principes modérés, nous les avons professés, pratiqués, et nous étions heureux de les faire partager à une portion considérable de cette chambre. Avez-vous apporté aux affaires d’autres principes ? Non, pourquoi donc êtes-vous venu aux affaires ? Je ne vous demande pas avec qui vous y êtes venu ; mais je demande dans quel but vous y êtes venu.

Est-ce pour y faire dominer une autre politique, d’autres principes que ceux qui étaient alors professés, pratiqués ? Répondez. Il ne suffit pas de venir déclarer à la chambre que, dans l’état de nos affaires, il faut gouverner avec une majorité mixte, il s’agit de savoir quel a été le but de votre avènement, quel est l’esprit qui dirige votre administration, en quoi elle devait au fond différer de l’administration précédente ? Moi, je vous le dirai tout à l’heure.

Un de mes honorables amis a osé constater (et il a eu raison) la classification des partis dans un recueil qui a fait un grand bruit. O malheur ! ô crime !... et nous ne l’avons pas désavoué ! et M. le ministre de l’intérieur nous connaît assez peu pour croire que nous aurions pu désavouer une solidarité politique de 20 années ; messieurs, nous ne l’avons pas désavoué, et nous ne le désavouons pas ; nous ne le désavouerons pas, pas plus aujourd’hui que nous ne l’avons fait dans des circonstances où ce désaveu aurait pu être utile à notre position personnelle ; nous ne connaissons pas encore ce genre de transaction, et ce n’est pas M. le ministre de l’intérieur qui nous entraînera à sa suite sur ce terrain.

La classification des partis ! Est-ce donc une chose si nouvelle et si grave ! Comment un ministre qui passe pour avoir quelque portée politique peut-il blâmer la classification des partis dans un gouvernement constitutionnel ; mais s’il n’y avait pas dans ceci un côté très sérieux, on serait tenté de s’écrier avec le poète anglais : risible ! risible ! risible !

Depuis dix ans, il y a eu en Belgique des progrès dans les choses et dans les hommes. La nation est en marche ; les partis d’aujourd’hui, dans quelques années se seront peut-être transformés, et, pour ma part, je le désire.

Je crois que les divisions actuelles, avec le caractère religieux qu’elles revêtent, doivent cesser d’exister dans un avenir plus ou moins rapproché ; je crois qu’aussitôt que le clergé aura cessé de teindre de la couleur de sa robe la classification des partis, il se fera une transformation que j’appelle de tous mes vœux ; j’appelle l’époque où les partis se diviseront sur d’autres bases. Comme il faut à une nation du mouvement et du repos, et que tout le monde est conservateur en Belgique, je désire voir arriver le jour où nous pourrons nous diviser en conservateurs progressives et en conservateurs stationnaires. Mais malheureusement ce jour est encore éloigné de nous, et s’il s’est éloigné de nous, le ministère actuel aura à en rendre compte ; mais quelque habile historien qu’on soit, il y a des faits, des actes sur lesquels ou ne parviendra jamais à innocenter.

Mais si cette classification des partis, révélée par un honorable et respectable ami, était une si grande faute, si elle conduisait le pays à l’abîme, pourquoi vous, M. Nothomb, êtes-vous resté muet ? vous étiez encore à cette époque notre ami politique et particulier ; il fallait nous en avertir.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vous l’ai dit.

M. Rogier. - Il fallait nous en avertir, non pas dans quelque entretien particulier, où l’on jette quelques mots à la légère ; il fallait nous avertir dans cette enceinte ; il fallait que cette voix influente pût nous dire : « Prenez garde, vous marchez vers l’abîme, vous conduisez le pays à sa perte ; je ne puis pas vous suivre jusque-là. » Mais non, vous entreteniez notre erreur, vous preniez plaisir à notre aveuglement ; vous votiez alors pour notre système ; vous étiez alors de la majorité qui soutenait le ministère, sans vous inquiéter si cette majorité était mixte ou homogène. Voilà la conduite que vous teniez, vous étiez alors de la majorité, pourquoi en êtes-vous sorti ?

Etes-vous venu peut-être pour opérer ce déclassement des opinions, pour les fondre... Non, non, vous n’êtes pas venu pour fondre en une seule nuance l’opinion libérale, l’opinion catholique ? Vous n’êtes pas venu pour déclasser les opinions, vous êtes venu pour faire triompher l’une, pour décimer l’autre, et vous n’y avez pas réussi.

Dans votre fameux programme préparé 15 jours d’avance, vous aviez annoncé que vous respecteriez toutes les opinions. Arrivent les élections ; voilà le moment de mettre à exécution ce programme conciliateur. Eh bien, d’un côté, qu’on ait été radical, orangiste, modéré, passionné, pourvu qu’on soit catholique, respect complet pour les positions ; d’un autre côté, qu’on ait été parmi les plus modérés, les plus inoffensifs, ainsi qu’on ait été le moins du monde entaché de libéralisme ou suspect d’avoir eu quelque sympathie pour l’ancien cabinet, oh ! alors condamné, condamné sans distinction ni pitié.

Mais, dit-on, on a pris l’initiative dans le camp libéral. C’est parce que les libéraux ont repoussé les catholiques que moi, gouvernement conciliateur qui devait maintenir la paix entre les deux partis, j’ai repoussé les libéraux.

A Anvers je me suis mis, a-t-on dit, à la tête de l’opposition, pour combattre la réélection de l’honorable M. Smits.

Je sais d’où est venue l’initiative des exclusions à Anvers ; et je suis convaincu qu’on n’aurait pas permis au ministre de l’intérieur de maintenir le nom de M. Rogier sur la liste ; que, l’eût-il voulu, il ne l’eût pas osé. Je nie d’ailleurs que les libéraux d’Anvers aient pris l’initiative des exclusions. Une grande partie des électeurs de cette opinion a maintenu la candidature de l’honorable M. Smits ; je me suis prononcé pour ce candidat, et ceux de vos amis qui lui étaient contraires le savaient.

Mais il y a eu des élections ailleurs encore qu’à Anvers ; il y a eu des élections dans le district des honorables MM. Angillis et Van Cutsem. Qui donc a pris là l’initiative des exclusions ? Ce n’étaient certes pas les députés en fonctions qui s’excluaient eux-mêmes. Qui donc opposait à M. Angillis, M. l’abbé de Haerne qui siégeait au congrès non pas parmi les plus modérés ? et quels pouvaient être les motifs d’exclusion contre les honorables MM. Angiilis et Van Cutsem ? N’était-ce pas des députés d’une modération suffisante ?

Fallait-il quelque chose de plus modéré encore ? Non, messieurs, le ministre de l’intérieur voulait quelque chose de plus coloré, de cette couleur qui forme aujourd’hui la soi-disant majorité mixte.

A Malines, il y avait aussi un député d’une telle modération qu’on était embarrassé de lui donner une couleur, de lui donner une position dans le classement. Eh bien, celui-là même n’a pas trouvé grâce devant l’impartialité de M. le ministre de l’intérieur. Elle sera longue la liste de tous les actes de cette impartialité.

M. le ministre de l’intérieur a bien voulu me mettre sous les yeux le tableau de ce qu’il a appelé nos victimes de 1833. Dix années se sont passées depuis lors ; je pourrais, dans l’histoire de ces dix années, évoquer de terribles souvenirs pour beaucoup de membres de la prétendue majorité mixte d’aujourd’hui ; je ne le ferai pas.

Je ne veux pas non plus continuer la liste des victimes de M. le ministre de l’intérieur dans les élections de 1841, ni établir de parallèle entre les deux époques si distinctes. Mais il y a cette différence entre 1833 et 1841, qu’en 1833 je défie M. le ministre, en dépit de toutes les recherches qu’il a faites et fait faire, de trouver une intervention active de la part de l’administration dans les élections, Je défie qu’il trouve de nombreuses promesses faites à tel ou tel électeur, à tel ou tel district, dans le but des élections ; qu’il trouve beaucoup de déplacements de fonctionnaires ou de récompenses accordées à des fonctionnaires pour prix, soit de leur complaisance, soit du zèle qu’ils ont montré contre leur ancien chef dans les élections. Non, les principes modérés qui gouvernaient en 1833, qui étaient encore aux affaires en 1841, ces principes modérés, on ne les a pas respectés dans les élections dernières, on ne les respectera pas encore aux prochaines élections.

Si M. le ministre de l’intérieur pense qu’il peut maintenir, aux élections prochaines, les libéraux en présence des catholiques, qu’il le dise. Mais d’après les antécédents, cela ne se fera pas, ou si cela se fait, je crains pour le sort de la majorité mixte ; elle sera à la veille d’être traitée comme cette majorité de 1841 avec laquelle ou votait un jour et qu’on abandonnait le lendemain pour la décimer ensuite

Il y a une grande différence entre les deux systèmes que vous avez eu l’imprudence de mettre en présence. Il y a une radicale différence entre nous ; nous étions un pouvoir indépendant des partis ; voilà comment nous étions un pouvoir juste milieu. Vous êtes le pouvoir dépendant d’un seul parti ; voilà comment vous êtes un pouvoir extrême.

En 1833, dans les élections, nous nous sommes montrés des hommes de modération, nous avons appuyé les candidatures de tous les députés modérés, quelle que fût leur nuance. Nous avions une grande question extérieure à terminer ; il se manifestait des répugnances de la part d’honorables membres à terminer les affaires extérieures par la paix, par la diplomatie, comme nous pensions que l’intérêt du pays l’exigeait ; force nous fut de faire un appel au pays. Nous le fîmes dans des termes que je serais encore prêt à signer aujourd’hui. Nous le fîmes par des moyens que je suis encore prêt à avouer, à pratiquer aujourd’hui. Nous ne demandions pas à un candidat : Etes-vous catholique ou êtes-vous libérai, mais êtes-vous modéré ? Vous, vous ne demanderez pas : êtes-vous modéré, mais êtes-vous catholique ? Si vous n’êtes pas catholique, je vous condamne. Voilà ce que vous demandez aux élections de 1841, ce que vous demanderez aux élections de 1843.

On est descendu, et on n’a pu trouver que cela, jusqu’à nous reprocher une nomination de commissaire de district faite en 1833 dans l’arrondissement de Liége. Que prouve-t-elle ? Elle prouve notre indépendance, notre impartialité. Le commissaire nommé alors appartenait à l’opinion catholique. Il remplaçait un fonctionnaire libéral ; preuve que nous n’obéissions pas au parti libéral. Ailleurs, nous remplacions un commissaire catholique par un commissaire libéral, preuve que nous ne subissions pas le joug de l’opinion catholique, preuve que nous gouvernions avec indépendance, avec dignité.

Vous vous êtes écrié hier que vous n’étiez pas le chef de l’opinion catholique ! Et nous, nous en doutions. Mais si vous n’êtes pas le chef de l’opinion catholique, qu’êtes-vous donc ?

Chef ou esclave ! Choisissez (Mouvement.)

J’aurais, messieurs, encore beaucoup de choses à dire, mais je ne veux pas abuser de la complaisante indulgence le la chambre.

J’espère que M. le ministre de l’intérieur voudra bien honorer ma réplique d’une nouvelle réponse. Je l’engage cependant à faire un peu abstraction du passé, à se placer dans le présent et à nous dire quelle est, suivant lui, sa situation d’aujourd’hui, et quels sont ses projets dans l’avenir ; et enfin de répondre particulièrement à cette dernière question : quel sera le rôle du gouvernement dans les élections prochaines, de quel côté se rangera-t-il ? à mérite égal, à qui donnera-t-il la préférence ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Messieurs, j’espérais, je dois le dire, pouvoir me dispenser de prendre la parole dans un débat auquel une indisposition récente et de tristes préoccupations ne n’auront pas permis peut-être de porter l’attention sérieuse et continue qu’il réclame. Mais dans les proportions que d’honorables membres lui ont fait prendre et après les attaques dirigées contre nous, le silence devient impossible et j’apporterai mon contingent en cherchant à garder cette mesure dont on s’efforce de nous faire sortir et en demandant à la chambre une indulgence qui m’est plus que jamais nécessaire.

Ce silence, au reste, qui surprend M. Rogier et dont d’honorables orateurs étendaient le reproche et au banc ministériel et la droite tout entière, nous ne devons pas regretter de l’avoir gardé ; nous ne devons pas nous reprocher de n’être descendu que les derniers et comme à regret, dans une arène où l’on nous a violemment jeté le gant et où l’on vient si imprudemment risquer le repos du pays. Vous vous étonnez que nous ayons longtemps reculé devant une semblable responsabilité ! et moi, monsieur, votre étonnement me surprend à mon tour. Nous n’avons pas cru, nous, qu’à la veille d’élections pour le parlement, on dû imprimer à la discussion un caractère aussi violent et que l’on pût tenter sans hésitation et sans crainte une semblable expérience sur la nation comme in anima vili. Nous nous sommes tu parce que nous voulons, avant tout, la vérité dans les élections, et que ce n’est que dans le calme des passions qu’elles peuvent être une vérité et l’expression certaine de la volonté des électeurs.

Nous craignons cette expression, dites-vous, tandis que vous l’attendez avec confiance. Alors, il faut le reconnaître, nous allons tous contre notre but et nous semblons avoir changé de rôle ; vous, en excitant des passions qui ne peuvent qu’altérer la vérité du résultat dont vous semblez être sûrs ; nous, en nous efforçant de conserver à ce grand acte national, le calme et la liberté de volonté qui peuvent seuls le faire accepter sans réserve par toutes les opinions. De ce singulier contraste entre les positions réciproques et les intérêts, il peut au moins sortir pour le pays un grand enseignement. Il saura quels hommes auront donné l’exemple de l’amour de l’ordre, du calme et de la vérité. Il sera au moins constaté que cette majorité qui doit, à ce que vous pensez, disparaître aux élections prochaines, a voulu leur laisser ce caractère de calme qui doit l’anéantir et que vous, vous avez tenté de leur faire perdre.

Voilà le secret de notre silence, voilà le secret, sans doute, de l’abandon inexplicable dont, selon vous, la droite reconnaît le dévouement absolu du ministère.

Mais, dit-on, l’initiative et la faute appartiennent au gouvernement qui a présenté le projet de loi. Ce reproche, messieurs, le gouvernement ne peut l’accepter, et vous décharger ainsi d’une responsabilité qui deviendra lourde pour les antécédents de modération de plusieurs. Vous avez réclamé avec vivacité, avec insistance un projet de loi pour la répression de la fraude. Le ministre s’est engagé. Il vous a expliqué comment il entendait cette répression, et nul de vous n’a réclamé. Il vous a parlé de l’éventualité de modifications devenues nécessaires, il faut le reconnaître, par l’insuffisance de la loi, la marche du temps et de l’esprit public, et vous n’avez rien dit ; et lorsqu’en vertu de l’axiome : qui veut la fin veut les moyens, le ministre vient vous présenter ces modifications maintes fois annoncées, vous vous irritez ! vous l’accueillez avec toute la violence d’une première surprise !

Ces modifications méritent-elles cette violence ? c’est ce que d’autres ont examiné déjà de manière à rendre inutile un nouveau retour sur chacune des dispositions. Mais ce que l’on ne peut nier, c’est que les griefs principaux se résument dans ces deux prémisses posées : 1° la simultanéité du vote, et 2° l’appel et le pourvoi des agents du gouvernement.

Eh bien, on reconnaîtra de même, sinon de bouche, au moins de conscience, qu’un changement à l’art. 24 de la loi électorale était indispensable ; que dans sa teneur actuelle et avec la marche des esprits, cet article pourrait bien facilement fausser la vérité de l’élection, en ce qui regarde la nomination des représentants, et établir une inégalité injuste au préjudice de l’électeur des campagnes, en l’obligeant à revenir à la ville pour un scrutin de ballottage.

Ceci admis, on reconnaîtra de même que la simultanéité des votes, quel que soit le moyen qu’on emploie, sera l’expression la plus vraie de la volonté des électeurs, le moyen le plus simple d’arriver à connaître cette expression et que les imperfections de ce mode se représentent dans tous les systèmes mis en avant.

Quant à l’appel du commissaire de district et l’ingérence des agents du gouvernement dans l’élection, sans revenir sur les arguments qui viennent de réduire ce grief à sa juste valeur, qu’il me soit permis de dire et de croire qu’avec notre constitution ce danger n’est pas à craindre, et que nul, dans cette enceinte, ne redoute bien vivement l’envahissement du pouvoir central sur l’élément populaire et la prépondérance de son action sur le principe opposé .

Je suis donc fondé à dire, et je répète ici, que rien dans le projet qui vous est soumis n’était de nature à soulever la violence de langage dont nous sommes les témoins et dont on est ainsi logiquement amené à chercher ailleurs l’explication.

Cette supposition est d’autant plus permise que chacun comprend qu’il a fallu des motifs bien puissants et l’appât d’un succès bien grand et bien désiré, pour amener des hommes qui ont manié les affaires et qui ne doivent pas avoir renoncé à y revenir, à se faire eux-mêmes et les premiers les instruments du discrédit du pouvoir, chercher à l’envi l’un de l’autre, à le déconsidérer dans l’esprit du peuple, à le dépecer avec tant d’acharnement qu’ils n’en voudront plus eux-mêmes, s’ils sont jamais appelés à le reprendre ; sorti de leurs mains, ils veulent le tuer dans celles des autres, sans songer qu’ils ne l’accepteront plus lorsqu’ils en auront fait un cadavre. Si ce n’est l’amour du pays, leur intérêt au moins leur commande la modération.

Leur intérêt peut-être devrait encore leur faire une loi de ne pas revenir si souvent et avec tant de complaisance sur les événements qui ont marqué la fin de leur ministère, sur les éternels griefs contre la majorité des deux chambres, sur ces accusations contre le sénat, si souvent apportées, si souvent réfutées dans l’enceinte des deux assemblées, que l’on se sent découragé d’être obligé d’y revenir.

Pourquoi attribuer votre chute à de ténébreuses intrigues, à des trames ourdies dans l’ombre ? Comme ces généraux qui crient à la trahison après la défaite, vous allez chercher bien loin le secret d’une catastrophe qui n’est due qu’à vous. Une grande faute a été commise, dites-vous, et cette faute ne vient pas de vous. Eh bien, répéterai-je après vous, oui, une grande faute a été commise, mais cette faute vous appartient tout entière, et nul autre que vous n’en doit porter la responsabilité. Oui, une grande faute a été commise, une faute que nous payons à présent par la scission profonde qui partage le pays et que vous élargissez chaque jour ; mais cette faute, elle n’a pas été commise à la chute de votre ministère, elle a présidé à sa naissance, et elle a porté, d’abord contre ses auteurs et ensuite contre le pays, les fruits amers dont se paie toute grande faute politique.

Comment ! un ministère venait de tomber sur une question malheureuse, que j’appellerai de conscience, avec les regrets et la sympathie de la majorité qui l’avait soutenu jusque-là, et qu’un fait sans portée sur les affaires ne pouvait déplacer ou dissoudre ; et il s’est trouvé à côté de ce ministère des hommes qui se sont dit : nous allons former un cabinet dans la minorité, nous exclurons du pouvoir toute participation des membres de la majorité, et (erratum Moniteur belge n°80, du 21 mars 1843 :) nous gouvernerons le parlement avec lui et contre lui ! Messieurs, je ne crains pas de le dire, une semblable faute ne peut trouver, ni son excuse, ni sa pareille. On en chercherait vainement l’exemple dans les annales parlementaires de nos maîtres en régime représentatif ; en Angleterre, en France, un semblable ministère n’aurait pas duré un mois, et la première question de confiance, le premier vote peut-être, l’aurait fait disparaître.

Il n’en fut pas ainsi ; la majorité méconnue et dédaignée s’abstint ; elle fit plus, malgré le principe d’exclusivité admis par le cabinet à sa naissance, elle lui apporta son concours. Elle se dit qu’il était impossible qu’un cabinet forme sur des bases aussi étroites, aussi exclusives, ne sentit pas la nécessité de venir à elle, même dans l’intérêt de son existence ; elle pensa que ce n’était, après tout, qu’une question de personnes et pourvu que le système fut impartial et bon, peu lui importaient les personnes. Elle fit comme toujours bon marché de ses prétentions sur ce point. Elle compta le repos du pays pour beaucoup, les individus pour peu de choses : elle attendit.

Comment a-t-on reconnu la longanimité de cette attente ? La position cependant devenait facile ; accepter et rendre le concours que l’on offrait, s’appuyer sur la majorité, enfin se continuer, en quelque sorte soi-même cela eût suffi sans doute. Mais il n’en fut pas ainsi. Un organe connu des sentiments du cabinet, parqua la majorité tout entière dans la classe des minorités présentes et futures, reconnut l’élément libéral comme seul dispensateur et unique pépinière du pouvoir, et lorsque, quelques mois plus tard, le cabinet fut interpellé sur la solidarité de ses doctrines avec celles du publiciste auquel je fais allusion, il eut au moins, et je l’en estime, bien que je le déplore, le triste courage de ne pas la décliner.

Et à présent il vient sa plaindre ! il s’étonne de sa chute ! Il s’en prend à tout le monde ! à la majorité de cette chambre à laquelle il reproche une opposition tracassière ! à la majorité du sénat, qu’il a mise, en quelque sorte malgré elle, en demeure de se prononcer, du sénat qui n’a fait qu’obéir, comme il le devait, à sa mission conservatrice en se bornant à constater un fait, c’est que l’influence et l’administration du cabinet était frappée de mort dans cette enceinte, et qu’il était impuissant à faire les affaires du pays ; il s’en prend à M. le ministre de l’intérieur, qui a rempli le devoir d’un bon citoyen, en répondant à un appel auguste dans un moment aussi critique, à nous, enfin, qui sentions, croyez-le bien, aussi vivement que personne la gravité des circonstances et la faiblesse de notre concours, mais qui voulions prouver, comme l’eût fait sans doute le dernier des citoyens, que l’on trouvera toujours en Belgique des hommes qui ne reculeront pas devant les conséquences des actes qu’ils auront posés ni devant toute contrainte morale dont on prétendrait enlacer l’exercice de la prérogative d’un des grands pouvoirs de l’Etat.

Nous pouvons revenir sur notre passé sans honte et sans regret, et renvoyer à leurs auteurs le blâme et les conséquences des fautes qu’ils ont commises ; elles suffisent à elle seules, elles ont fait assez de mal au pays pour ne lui laisser sur le cœur d’autres sentiments qu’une impression douloureuse de ce qui se passa alors, et d’autres souvenirs que celui d’une lutte malheureuse et maladroite contre la force des choses et contre la conséquence naturelle et méritée d’une immense faute politique.

Qu’il me soit permis à présent d’aborder un autre ordre de faits et de répondre ici à quelques accusations, je ne dirai pas personnelles, car celles-là, il est bien rare que j’y réponde, je ne suis pas à ce banc pour cela, mais à des accusations regardant le département à la tête duquel j’ai l’honneur d’être placé.

Je ne me disculperai pas longuement (la chose ne le mérite guère) du cadeau d’une tabatière fait à un haut personnage. M. Verhaegen, qui a soulevé cet incident, sait, comme nous tous, que de semblables cadeaux diplomatiques se sont faits avant moi, comme il se feront après, et peuvent d’autant plus facilement se placer dans les exigences d’un budget, qu’ils ont en diplomatie, comme décorations, un rang assigné, une classification reconnue de tout temps parmi les distinctions honorifiques qui s’échangent entre les souverains des grands Etats.

Mais on m’a fait un reproche plus grave. Vous vous êtes donnés pour des hommes d’affaires nous dit-on, et vous n’avez rien fait. Sous le point de vue commercial ou diplomatique, quel fait, quel acte avez-vous posé ?

Mais vous-même, ai-je le droit de dire avant de répondre, quel fait de ce genre avez-vous posé pendant votre dernier séjour aux affaires (car je ne remonterai pas plus haut, je n’abuserai pas de cet avantage) ? Quelle politique commerciale suiviez-vous ?

Vous aviez pris le pouvoir après le grand acte qui consacrait l’indépendance de la Belgique et lui donnait rang en Europe. L’occasion était belle et le terrain bien préparé.

Au Midi, par le fait d’un arrangement arrête avec la France par votre prédécesseur, certains de nos produits y étaient reçus avec faveur, nos toiles, la plus importante de nos industries, y trouvaient un débouché assuré. Nos fers s’y plaçaient à un droit spécial de 4 francs, faveur qui n’était partagée par aucune industrie rivale, et nous assurait sinon de grands bénéfices, au moins un écoulement régulier. A votre sortie du ministère, pendant lequel de bien favorables éventualités s’étaient présentées, vous nous avez laissé le legs de la loi française du 6 mai 1841, qui est venue arrêter une grande partie de l’importation de nos toiles, et avant cette sortie vous aviez vu étendre à toute la frontière de terre ce droit de 4 fr. sur les fontes, dont l’exception faisait au moins vivre notre industrie. Voilà l’état dans lequel nous avons trouvé nos relations commerciales avec la France. Maintenant ce que nous avons fait, je vais le rappeler.

L’énormité des importations anglaises obligeait la France à doubler le droit sur les toiles et fils de provenance étrangère. Nous avons obtenu, non pas seulement l’exception, non pas seulement la moitié du droit imposé aux autres nations, mais la stipulation écrite, expresse et non réciproque, que la Belgique conserverait pendant six ans l’avantage d’une réduction des deux cinquièmes, au moins, sur les droits qui pourraient être imposés à d’autres peuples.

M. Rogier. - Oui, mais au prix de quels sacrifices ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. de Briey) - Des sacrifices, nous en avons fait sans doute, mais, en définitive, vous demanderai-je à mon tour, au profit de qui les avons-nous faits, ces sacrifices ? est-ce au profit de la France ou du consommateur belge ? La question n’est, je crois, douteuse pour personne.

Irai-je plus au Midi ? Parlerai-je de l’Espagne, avec laquelle nous avions de si anciennes et si fructueuses relations de l’Espagne dont la position particulière fait en ce moment et doit faire longtemps encore pour l’industrie européenne un des débouchés les plus précieux. A votre arrivée au pouvoir, nos toiles s’y introduisaient avec avantage, à votre départ les cortès votaient l’établissement d’un tarif de douanes qui rendait impossible l’importation de toute toile belge sur le sol espagnol. Vous nous avez encore laissé le soin de rouvrir ce débouché, de recréer ces relations ; nous y sommes parvenus.

Irai-je au Nord ? Je ne parlerai pas de la Hollande, M. le ministre de l’intérieur vient de rendre cette tâche inutile, et vous ne tiendrez pas sans doute à ce que j’établisse sur ce chapitre de comparaison, entre ce que vous auriez pu faire et ce que nous avons fait. Mais j’irai plus loin, et je dirai que vous n’aviez pu obtenir dans les rares traités que vous avez signés, qu’il nous fût tenu compte des sacrifices que le pays s’impose pour rembourser le droit sur l’Escaut, et qu’il nous fut accordé dans les transactions internationales quelque compensation en dédommagement. Ce que vous n’aviez pas fait, le cabinet actuel l’a obtenu. Il l’a obtenu dans un traité avec le Hanovre qui encore accorde, en outre, des avantages spéciaux à quelques-uns de nos produits et qui baisse pour eux ce droit de stade qui paraît si lourd a de plus grands peuples que nous. Il l’avait obtenu déjà dans le traité conclu avec le Danemark.

Quant à la Prusse, à laquelle on nous a plus d’une fois accusé d’avoir fait des concessions sans compensation, il ne m’est pas permis de m’expliquer ici sur le succès de négociations qui ne sont pas abandonnées. Je m’en abstiendrai donc, et le silence sur ce point m’est d’autant plus facile à garder que dans quelques jours, peut-être, le pays acquerra la preuve que ces prétendues avances de notre part n’ont pas été toutes gratuites Mais enfin, de ce côte, nous n’avions pas non plus, ce me semble, de parallèle à craindre, et nous pouvons le soutenir sans désavantage ; (erratum Moniteur belge n°80, du 21 mars 1843 :) nous avons agi, en matière de commerce, autant qu’il était prudent de le faire dans la position où nous plaçait l’absence de système commercial et la discussion prochaine de l’enquête parlementaire.

Que conclurai-je de tout ceci ? Dirai-je que vous n’avez rien fait de ce que vous eussiez pu faire ? Dirai-je même que nous avons fait plus et mieux que vous ? Non, vos actes, nous ne les jugeons pas, et quant aux nôtres, nous les abandonnons en silence comme nous l’avons fait jusqu’à présent, et trop fait, peut-être, à l’appréciation des hommes qui ne se laissent pas conduire par de vaines paroles Nous avons foi dans la raison du pays ; qu’elle nous juge ! Nos intentions ont été pures, notre conduite loyale. Nos œuvres sont là et nous en appelons, sans crainte des passions d’aujourd’hui, au jugement de demain.

M. Dumortier. - Il est une chose sur laquelle les hommes politiques ont toujours une certaine susceptibilité, c’est leur consistance politique. Je ne puis donc laisser sans réponse les paroles échappées à l’honorable orateur qui a précédé M. le ministre des affaires étrangères. En ce qui me concerne, je ne puis admettre la position qu’à voulu me faire cet honorable membre, car je ne puis admettre qu’homme de la conservation aujourd’hui, j’aurais été dans ce parlement l’homme de la dissolution. Je ne puis admettre que, dans aucune position de ma vie, j’aie à renier mon passé. Renier son passé pour un homme politique, c’est une apostasie.

Pour bien expliquer ma conduite et celle de mes amis depuis la révolution, j’aurai peu de mots à dire. Depuis la révolution, trois ordres de questions se sont présentées : La question extérieure, la question d’organisation intérieure et celle du régime de liberté civile et religieuse. Dans la question extérieure, sans doute, je me suis trouvé avec des honorables amis qui partageaient ma conviction, de la minorité. Est-ce à dire que nous étions des dissolvants ? Non, messieurs, le pays entier a pensé comme nous, il a déploré la cession d’une partie du Limbourg et du Luxembourg ; tous nos efforts ont toujours eu pour but de constituer une Belgique forte, pleine d’honneur et de dignité vis-à-vis de l’étranger. Nous avons toujours pensé que renier une partie de nos frères, c’était nous renier nous-mêmes.

Dans la question des lois organiques nous avions encore un mandat à remplir, celui de défendre les principes de la constitution ; avons-nous failli à ce mandat ? étions-nous alors des dissolvants ?

Non, messieurs, nous ne voulions qu’une seule chose, nous voulions que la constitution fût une vérité, comme le congrès l’avait écrite, comme il l’avait pensée.

Maintenant il y avait un troisième ordre de questions, celles des libertés civiles et religieuses, et ici toujours nous nous sommes trouvés de la majorité ; nous étions de ceux qui ont voulu pour l’opinion religieuse la plus grande liberté, et je rends hommage à l’honorable préopinant, c’est un de ses titres de gloire, ii nous a toujours secondés dans cette pensée.

Voilà, messieurs, l’histoire de nos débats de dix ans ; depuis lors comment les choses se sont-elles passées ? Le temps avait marché, la question extérieure n’existait plus, les questions intérieures étaient liquidées, nos institutions étaient fondées, et si on avait voulu y toucher, nous serions monté sur la brèche pour les défendre. Il y restait une seule question, celle de la grande liberté civile et religieuse ; dans cette question qui devient aujourd’hui la question principale, par la position qu’ont prise les partis, nous n’avons rien à renier de notre passé.

Messieurs, pouvions-nous rester muets, lorsque nous entendions professer des doctrines subversives de l’ordre social en Belgique, lorsqu’on venait accuser le clergé de vouloir rétablir la dîme et la mainmorte, auxquelles personne n’avait songé ? Pouvions-nous garder le silence quand nous entendions vanter des hommes qui avaient voulu traquer les prêtres comme des bêtes fauves, et qu’on appelait bourgmestre modèle un homme qui les avait poursuivis comme de loups cerviers car c’est là l’expression dont on s’est servi.

M. Verhaegen. - C’est l’évêque de Namur qui l’a dit.

M. Dumortier. - Je n’en crois rien. J’ai dit qu’en prenant la parole pour défendre la liberté pour tous, nous n’avons pas trahi notre mandat, nous sommes ce que nous étions, nous sommes restés les mêmes.

Messieurs, ce qui me touche, pour mon compte, dans la situation actuelle du pays, je dois le dire avec franchise, c’est la violence de certaines exagérations ; c’est que je suis convaincu qu’elles ne peuvent servir à constituer le pays ; et comme je veux tout sacrifier sur l’autel de la patrie, je le déclare ici, tous mes efforts seront pour la conservation des libertés civiles et religieuses. C’est dans ce but que j’ai proclamé la nécessité d’un parti conservateur. L’honorable préopinant lui-même, j’en suis persuadé, viendra se ranger sous cette bannière ; celui qui a attaché son nom à notre indépendance, en étant l’un des fondateurs de l’union avant 1830, en figurant d’une manière si honorable parmi les membres du gouvernement provisoire, celui qui a défendu avec autant de courage nos libertés, celui-là ne nous trahira jamais dans les libertés civiles et religieuses pour lesquelles la révolution s’est faite et sur lesquelles reposent la tranquillité du pays.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs l’honorable M. Rogier m’a adressé une interpellation.....

M. Rogier. - Je vous en ai adressé plusieurs.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous avez tenu à ce que je répondisse dès aujourd’hui à la dernière ; vous seriez bien exigeant si vous demandiez que je les rencontrasse toutes maintenant, je me sens exténué.

L’honorable préopinant a terminé par une interpellation à laquelle il a désire que je fisse une réponse immédiate. Prenez l’engagement, dit-il, de maintenir aux élections prochaines tous les députés libéraux modérés ; vous ne l’oserez pas.

Messieurs, je ne sais jusqu’à quel point un gouvernement doit déclarer publiquement qu’il entend intervenir dans les élections, jusqu’à quel point il doit faire cette déclaration, jusqu’à quel point il doit intervenir. Il me permettra donc de répondre plutôt par un vœu. Je désire que tous les députés modérés, je désire même que tous nous puissions nous retrouver ici ; mais, à mon tour, me sera-t-il permis de poser une question à l’honorable préopinant ; les engagements doivent être réciproques. Tout député libéral modéré on autre qui sera porté sur la même liste avec un député catholique, consentira-t-il à se faire inscrire sur cette liste et à ne pas se faire porter, sur une autre liste exclusive ? Je désire qu’il puisse prendre cet engagement.

M. Rogier. - Je n’ai pas mission de prendre aucun engagement au nom du corps électoral ; comme simple député, je n’ai pas de rôle à jouer dans les élections, mais comme gouvernement, M. le ministre se propose d’en jouer un. Je lui ai demandé quel serait ce rôle, il ne m’a pas répondu ; je m’y attendais.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai répondu à votre interpellation. Il ne s’agit pas ici d’une déclaration absolue dont on puisse prendre acte. Mais j’irai plus loin : Tout député qui consentira à figurer sur la même liste avec un député catholique, s’il prend l’engagement de ne pas se faire porter sur une autre liste exclusive, peut compter sur l’appui du gouvernement ; je l’accepte ; mais, je le répète, c’est à la condition que, de sa part, il n’y aura pas d’exclusion ; il ne faut pas de duperie.

M. le président. - La parole est à M. de Mérode.

Plusieurs membres. - A lundi ! à lundi !

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande que l’on ait une séance demain. (Appuyé.)

M. Verhaegen. - Mais, messieurs, nous avons eu des séances très fatigantes toute la semaine ; le dimanche est un jour de repos. Je ne conçois pas une séance le dimanche, et surtout un dimanche de carême. (On rit.)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je sais parfaitement que le dimanche est un jour de repos, et si quelqu’un doit désirer un jour de repos, c’est bien moi. Cependant je dois reconnaître l’urgence des circonstances. Je rappellerai qu’il n’y a pas longtemps nous avons eu une séance le dimanche ; pourquoi n’en aurions-nous pas une demain, depuis une heure jusqu’à quatre heures ?

M. Malou. - Si l’on veut que la loi soit votée en temps utile, il est indispensable d’avoir une séance demain, pour clore la discussion générale. Il est urgent de terminer pour mardi ou pour mercredi, et cela sera impossible si nous n’avons pas une séance demain.

M. de Theux. - Je proposerai d accorder encore la parole à un orateur pour et à un orateur contre, et de prononcer ensuite la clôture de la discussion générale. Si cette proposition est admise, rien n’empêchera de remettre la séance à lundi, à 11 heures, et on abordera la discussion des articles. Tout a été dit dans la discussion générale, et j’invite les orateurs qui sont inscrits pour parler à se concerter entre eux ; de cette manière, on pourra prendre quelque repos demain, et lundi on abordera la discussion des articles ; cela vaudra beaucoup mieux que de perdre encore la journée de demain à la discussion générale.

M. Verhaegen. - Messieurs, quand j’ai demandé la parole c’est que je voulais répondre à une attaque que M. Dumortier a faite d’une manière très inconvenante contre l’opinion à laquelle j’appartiens, Je n’ai pas voulu demander la parole pour un fait personnel, je comptais lui répondre à mon tour ; je désire pouvoir le faire ; je ne puis laisser passer sous silence ce qu’il a avancé. Je m’opposerai donc à la clôture, à moins qu’en clôturant on ne décide qu’il me sera permis, à l’occasion de l’art. 2, de revenir sur ce point. (Oui, oui.) En ce cas, je ne m’oppose plus à la clôture.

M. de Mérode. - On a interverti l’ordre de la discussion ; j’ai réclamé la parole, et la fin de la séance est arrivée sans que, ayant mon tour de parole, j’aie pu exprimer ce que j’avais à dire. C’est une manière, avec tous ces faits personnels, de manquer au règlement de la chambre. Il est possible que les autres n’aient plus rien à dire, mais j’avais, moi, quelques observations à présenter.

M. le président. - Je vais mettre aux voix, s’il y aura une séance demain.

- Une double épreuve étant douteuse, il est procédé à l’appel nominal.

52 membres répondent à l’appel nominal.

24 votent pour.

27 votent contre.

1 s’abstient.

La chambre rejette.

Ont répondu oui : MM. de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, Desmaisières, d’Huart, Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Duvivier, Eloy de Burdinne, Hye-Hoys, Kervyn, Malou, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Raikem, Rodenbach, Vandensteen, Van Hoobrouck, Van Volxem, Vilain XIIII, Wallaert et Zoude.

Ont répondu non : MM. Coghen, Cools, de Behr, de Florisone, Demonceau, de Nef, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dotez, Dumont, Dumortier, Jonet, Lange, Lebeau, Lys, Maertens, Puissant, Rogier, Savart-Martel, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Verhaegen.

M. de Muelenaere, qui s’est abstenu, est invité à faire connaître les motifs de son abstention.

M. de Muelenaere. - Je me suis abstenu, parce que je crois que la question a été mal posée par le bureau. Je pense que tout le monde est unanime sur la nécessité de terminer le plus tôt possible cette discussion générale ; mais il me semble que le meilleur moyen d’arriver à ce résultat était d’adopter la proposition de l’honorable M. de Theux.

M. le président. - J’ai dû d’abord mettre aux voix la question de savoir s’il y aurait séance demain, parce que c’était une question d’ordre du jour qui devait avoir la priorité sur les autres, aux termes du règlement.

M. de Theux. - M. le président, je demande que la séance de lundi soit fixée à 11 heures ; qu’on entende encore un orateur pour le projet et un orateur contre, et qu’ensuite la discussion générale soit close.

M. Verhaegen. - Il est bien entendu que je pourrai répondre à l’honorable M. Dumortier, lors de la discussion de l’art. 2.

M. Malou, rapporteur. - Je réclame la parole comme rapporteur. Aujourd’hui on a encore parlé de la section centrale et je désire répondre.

M. Devaux. - Je crois que tout le monde sent que nous ne pouvons indéfiniment prolonger cette discussion. Cependant nous ne pouvons non plus décider à l’avance la clôture, sans savoir quels sont les discours que nous entendrons. Il est très possible que l’honorable M. de Theux lui-même, ou ses amis, voudront répondre à ces discours.

M. d’Huart. - Eh bien ! clôturons maintenant. (Oui ! oui !)

M. de Theux. - Je déclare que si la chambre est prête à clore la discussion, je retirerai ma motion.

Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. Malou, rapporteur. - Messieurs, d’après les antécédents de la chambre, le rapporteur doit être entendu ; je ne demande qu’une demi-heure pour répondre aux observations qui ont été faites contre le projet, je ne rentrerai pas dans la discussion politique.

M. Verhaegen. - Si l’on veut faire droit à l’observation de l’honorable M. Malou, je ne m’y oppose pas ; mais cela veut dire qu’il ne faut pas clore la discussion générale.

M. Mercier. - Il est d’usage que le rapporteur prenne la parole le dernier. On pourrait donc entendre l’honorable M. Malou et clore ensuite la discussion générale.

M. Dubus (aîné). - Je rappellerai qu’en maintes circonstances la chambre a prononcé la clôture en réservant la parole au rapporteur.

M. Devaux. - Quand cela s’est fait, ç’a été d’un consentement unanime. Mais cela ne s’est jamais fait dans des discussions politiques, parce que, dans de pareilles discussions, il est tel discours qui nécessite une réponse. On ne peut décider d’avance qu’on clora la discussion générale après un discours.

M. de Theux. - Je pense que M. le rapporteur a déjà déclaré qu’il n’entendait nullement occuper la chambre de la question politique, mais seulement résumer très brièvement la discussion générale, en ce qui concerne la loi en discussion. De cette manière il ne donnera ouverture à aucune réponse.

- La clôture de la discussion générale, sauf à entendre M. le rapporteur est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi relatif à la poste aux chevaux

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) présente à la chambre le projet de loi sur la poste aux chevaux.

Ce projet est renvoyé à l’examen des sections.

La séance est levée à 5 heures.