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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 mars 1843

(Moniteur belge n°76, du 17 mars 1843)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à midi et 1/2.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Frédéric-Alexandre Collart renouvelle sa demande tendant à obtenir la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les avocats de l’arrondissement de Louvain demandent que le privilège de plaider devant les tribunaux soit réservé aux avocats, à l’exclusion des avoués. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Il est fait hommage à la chambre, par M. Havard, d’un exemplaire de la constitution belge expliquée par ses motifs, par des exemples et par les décisions administratives et judiciaires.

- Dépôt à la bibliothèque.

Rapports sur des pétitions

M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, il a été demandé à la commission des pétitions un prompt rapport sur deux pétitions des vinaigriers artificiels, qui se plaignent d’un arrêté pris par M. le ministre des finances ; des circonstances indépendantes de ma volonté m’ont empêché de vous faire plus tôt ce rapport.

Messieurs, votre commission, dans les divers rapports quelle a déjà eu l’honneur de vous présenter sur les pétitions des fabricants de vinaigre artificiel, a toujours émis l’opinion qu’on exigeait d’eux un droit aussi exorbitant qu’illégal ;

Que la loi de 1822, qu’ou invoquait, ne pouvait être applicable à une industrie née longtemps après, dont l’idée n’existait pas et n’avait pu être prévue par la législature d’alors.

Faire du vinaigre avec du genièvre est en effet une industrie toute nouvelle, qui s’exerce sur une matière qui a déjà été soumise à un impôt plus élevé que celui qui frappe le vinaigre de bière et doit dès lors n’être assujettie qu’à un droit de patente.

C’est ainsi qu’on en agit envers les liquoristes et envers les marchands de vin, desquels on n’exige pas un droit d’accise pour les vins mousseux et ceux d’autre qualité, qu’ils fabriquent avec le vin indigène ou étranger, ou bien avec toute autre matière.

C’est un arrêté royal, dit-on, qui a soumis cette fabrication à un droit d’accise, mais un arrêté de cette nature ne peut être porté qu’en exécution d’une loi ; or, dans l’opinion de votre commission, la loi invoquée ne peut recevoir ici d’application. Aussi M. le ministre eu a-t-il déjà modifié quelques-unes des dispositions les plus exorbitantes. Nonobstant, ces vinaigriers ont déféré cette question aux tribunaux, et nous prions à cet égard le ministre de vouloir se rappeler les observations que font, tous les ans, les sections du budget des finances, que les contestations judiciaires sont toujours chose très fâcheuse, qu’elles altèrent la confiance des citoyens dans la justice du gouvernement, qu’elles sont onéreuses au trésor et ruineuses pour les parties.

D’ailleurs, M. le ministre semble avoir déjà préjugé la question, lorsque dans l’exposé des motifs du projet de loi sur les bières, il dit, page 7, § 7, « ce résultat permettant de faire droit aux réclamations élevées par les fabricants de vinaigre artificiel, nous proposons de supprimer l’accise établie sur leurs produits au moyen des matières déjà soumises à l’impôt. »

Il nous paraît que ces expressions contiennent l’aveu que le droit exigé en vertu de l’arrêté royal est un double emploi, dès lors, qu’il y a lieu de faire accueil aux pétitions qui réclament le remboursement de ce droit, comme cela se fait assez souvent en matière d’enregistrement pour erreur de perception.

Messieurs, l’objet de ces pétitions n’est pas de ceux sur lesquels le gouvernement peut tarder sans inconvénient à prendre une détermination, il s’agit ici de prononcer sur l’anéantissement ou le maintien d’une industrie qui nous a affranchis d’un tribut assez élevé payé à l’étranger, il s’agit d’un revenu notable à conserver ou à faire perdre au trésor. Vous en apprécierez l’importance en apprenant qu’un seul de ces fabricants a versé en 1842 une somme de 9,450 fr. pour le droit sur l’eau-de-vie qu’il a employée dans sa fabrication.

Cependant cet industriel, comme beaucoup de ses confrères ont déjà dû faire, a cessé aujourd’hui l’exploitation d’un établissement bien important, qui, sous l’empire de l’arrêté en vigueur, ne peut que le constituer en perte et le conduire à une ruine certaine.

Votre commission réclame toute la sollicitude du ministre des finances à l’égard de la pétition, et vous en propose le renvoi à son département.

M. Rodenbach. - Messieurs, j’appuierai les conclusions de la commission des pétitions. L’industrie du vinaigre artificiel, par suite du double droit qu’on en exige, a dû cesser ses travaux ; elle est complètement anéantie. C’était cependant une industrie nouvelle qui méritait à ce titre la protection et les encouragements du gouvernement.

Une autre considération qui aurait dû la faire épargner, c’est qu’elle paie des droits assez élevés pour la récolte qu’elle employait dans sa fabrication. Une seule fabrique a payé jusqu’à 10 mille francs d’impôts. L’anéantissement de cette industrie va encore entraîner une perte pour le trésor.

Je prierai donc M. le ministre des finances de bien vouloir s’occuper d’urgence de cette affaire, et de nous proposer immédiatement un projet, pour empêcher l’entier anéantissement d’une industrie qui, je le répète, mérite la protection du pays

M. David. - Je viens joindre ma voix à celle de l’honorable rapporteur et à celle de l’honorable M. Rodenbach. L’industrie dont on vient de parler est une des plus étrangement maltraitées par la loi, que l’on puisse citer. Messieurs, il ne s’agit pas ici de coexistence en fait d’industrie ; la loi répressive serait donc extrêmement facile à faire.

L’industrie du vinaigre artificiel peut marcher seule ; elle peut marcher au grand bénéfice du trésor, au grand bénéfice dé la richesse publique.

Messieurs, il ne faut pas perdre de vue que nous allons porter notre or à l’étranger pour nous procurer des vinaigres ; or, nos industriels peuvent fabriquer aussi bien que la France, les vinaigres que nous allons chercher dans ce pays.

Je demande donc qu’il soit fait immédiatement justice aux vinaigriers réclamants, dont l’industrie n’est pas seulement menacée, mais est presque complètement anéantie aujourd’hui. Messieurs, cette industrie peut prospérer ; elle ne demande qu’une réforme, et c’est cette réforme que j’appelle pour elle de tous mes vœux.

M. Vanden Eynde. - Messieurs, je n’entrerai pas dans des explications qui vous ont été données par les deux honorables membres qui viennent de prendre la parole. Mais je demanderai qu’outre le renvoi à M. le ministre des finances, il soit demandé à celui-ci qu’il veuille bien donner des explications sur les requêtes dont il s’agit.

M. Delfosse. - Je voulais faire la même proposition que l’honorable préopinant. Je dois faire remarquer à la chambre que les fabricants de vinaigre artificiel lui ont déjà adressé un grand nombre de pétitions. Elles ont toutes été renvoyées à M. le ministre des finances ; mais je ne pense pas que, jusqu’à présent, il y ait donné suite. Il est nécessaire de faire quelque chose de plus aujourd’hui. Si l’on porte quelqu’intérêt à cette branche importante d’industrie, on ne doit plus se borner à un simple renvoi, comme par le passé, mais demander des explications, comme vient de le proposer l’honorable M. Vanden Eynde.

- La chambre décide que les pétitions sont renvoyées à M. le ministre des finances, avec demande d’explications.


M. David. - Messieurs, à la fin de la séance de lundi dernier, M. le ministre de l’intérieur n’étant plus présent, l’honorable M. Zoude, rapporteur des pétitions, a fait un rapport sur une nouvelle pétition des pharmaciens des campagnes. A cette occasion, l’honorable M. Vandensteen et moi, nous demandâmes à quel point en était parvenue l’étude ou l’élaboration du projet sur la police médicale, qui doit avoir été confié à l’académie de médecine, et quand ce projet pourrait être présenté à la chambre. M. le ministre de l’intérieur, n’étant plus présent, n’a pu répondre à notre interpellation ; mais il fut décide par la chambre qu’on lui demanderait ces renseignements à la première occasion. Je désirerais que M. le ministre de l’intérieur voulût bien nous les donner aujourd’hui.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je pense que l’honorable M. David veut parler du projet de loi sur l’exercice de l’art de guérir.

M. David. - De la modification de l’ancienne loi sur les pharmaciens.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cela se rattache à la même question. J’en ai saisi l’académie de médecine ; je ne saurais dire où en est le travail, ni quand je pourrai présenter le projet à la chambre. Mais je me demande de quel intérêt il serait de saisir maintenant la chambre de ce projet ; je crois que c’est une affaire forcément renvoyée à la session prochaine. Du reste, c’est une question qui a attiré mon attention, puisque j’en ai saisi l’académie de médecine.

M. David. - Je ne veux que faire ressortir qu’il y a un véritable déni de justice envers les pharmaciens des campagnes, et que je désire qu’enfin M. le ministre de l’intérieur nous présente un projet qui est depuis si longtemps attendu.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ferai remarquer qu’il s’agit d’une loi extrêmement étendue.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Delehaye. - J’ai l’honneur de déposer un rapport sur une demande en naturalisation.

Ce rapport sera imprimé et distribué.


M. de Garcia. - Messieurs, j’avais une interpellation à adresser à M. le ministre des travaux publics ; mais je m’aperçois qu’il n’est pas présent. Bien que ce sera à regret que j’interromprai la discussion, je demanderai à la chambre de me donner un moment lorsque M. le ministre sera arrivé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous pourrez faire votre interpellation à la fin de la séance.

Projet de loi ayant pour but d'assurer l'exécution régulière et uniforme de la loi électorale du 3 mars 1831

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Savart.

M. de Theux (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Il me semble que dans une discussion aussi importante que celle-ci, il convient de laisser prendre part à la discussion un plus grand nombre d’orateurs possibles. Je demanderai donc que ceux qui ont déjà exprimé leur opinion ne puissent parler que lorsque la liste des orateurs inscrits aura été épuisée. C’est d’ailleurs la marche que la chambre suit ordinairement, et je pense qu’ici particulièrement elle doit être observée.

M. Savart-Martel. - Messieurs, j’ai demandé et obtenu la parole pendant que M. le ministre de l’intérieur répondait à moi-même et à M. Cools.

J’ai des répliques péremptoires à fournir, et je tiens d’autant plus à m’expliquer qu’on m’a imputé une hostilité à tous les agents du pouvoir, tandis que ma conduite parlementaire prouve le contraire.

Mais comme il est juste que toutes les opinions puissent être présentées successivement, j’attendrai les contradicteurs.

(Moniteur belge n°77, du 18 mars 1843) M. de Muelenaere. - Messieurs, depuis quelques jours, on fait au gouvernement et plus particulièrement à M. le ministre de l’intérieur, en qui l’on semble vouloir personnifier toute l’administration, un véritable procès de tendance. Sous ce point de vue, on scrute, on critique tous ses actes avec la plus grande amertume.

Les adversaires les plus prononces de M. Nothomb veulent bien lui reconnaître un talent transcendant ; ils reconnaissent que M. le ministre de l’intérieur, à ce talent d’un ordre tout à fait supérieur, joint une prodigieuse activité. Je ne reproduis ici que les paroles dont ils se sont servis

Mais on l’accuse de se placer sous l’influence d’un parti, de n’avoir aucune volonté propre, de recevoir la loi et de subir, dans toutes les circonstances, les exigences d’une opinion exclusive.

Ces accusations sont graves sans aucun doute. J’espère toutefois que M. le ministre de l’intérieur saura ne pas s’en émouvoir. Le gouvernement représentatif est un combat, une lutte sans cesse renaissante. La lutte est en quelque sorte inhérente à la forme de ce gouvernement.

Mais recueillons un instant nos souvenirs et portons nos regards quelque peu en arrière. Ceux qui ont suivi nos débats se rappelleront que dès le commencement de 1831, cette lutte a commencé, que dès cette époque, les partis dans le parlement (et ce mot n’a rien d’injurieux, il est parlementaire, quand on désigne par là les opinions qui divisent une chambre) ; ils se rappelleront, dis-je, que, dès cette époque, les partis dans le parlement se renvoyaient mutuellement ces sortes d’accusation. C’est une balle qui a été successivement lancée contre tous les cabinets depuis notre émancipation politique.

Je pourrais, messieurs, par des exemples frappants, par des paroles encore présentes à la mémoire de la plupart d’entre vous, prouver toute la vérité de cette assertion. Mais je craindrais que mes paroles ne pussent causer quelque irritation dans cette enceinte ; j’aime mieux contribuer autant qu’il est en moi, à ramener le calme dans vos délibérations, et, pour le moment, je m’abstiens de toute observation ultérieure à cet égard.

Je me permettrai cependant de vous faire observer que j’ai éprouvé un sentiment fort pénible en m’apercevant qu’on témoignait très peu de respect pour un des grands pouvoirs de l’Etat, créés par notre pacte fondamental. Lorsque ce pouvoir se meut dans le cercle de ses attributions constitutionnelles, il me semble qu’il a droit à tous nos égards et que ces égards on ne devrait jamais les oublier.

On ne devrait jamais oublier non plus que dans les gouvernements représentatifs l’opposition, de sa nature, doit tendre à devenir majorité et gouvernement, que dès lors il est souverainement dangereux qu’elle pose des précédents qui puissent devenir plus tard compromettants pour elle.

Je me suis demandé, messieurs, si ces accusations générales qui ont été dirigées contre le cabinet trouvent une cause ou même un prétexte dans le projet de loi qui nous est actuellement soumis. J’ai pensé que le meilleur moyen de répondre à cette question était de jeter un coup d’œil rapide sur les diverses dispositions de ce projet. C’est ce que je me propose de faire.

Les faits qui ont donné naissance à ce projet sont généralement connus. Nous voulons tous, messieurs, atteindre le même but : la sincérité dans les élections, la vérité dans le système électoral ; nous ne pouvons donc varier que sur la marche à suivre pour arriver à ce résultat. Il est naturel que dans une assemblée plus ou moins nombreuse, lors même qu’on veut parvenir au même but, on ne soit pas toujours de prime abord du même avis sur les moyens d’atteindre ce but ; mais si véritablement nous voulons tous assurer la sincérité des élections, il me semble que, moyennant quelques concessions réciproques nous finirons bientôt par tomber d’accord sur les mesures d’exécution.

Voyons, messieurs, si les récriminations de nos adversaires ont une cause fondée. Je ne dirai rien sur l’art 1er, qui ne semble plus trouver aucune objection. (Si ! si !) On dit qu’il rencontre encore de l’opposition, dès lors je me permettrai de présenter quelques observations. L’art. 1er porte que les centimes additionnels aux contributions directes, perçus au profit de la province et de la commune, ne seront point comptés pour former le cens électoral. Quel est le but de cette disposition ? C’est de rendre l’exécution de la loi uniforme dans tout le pays. Or, messieurs, quelle était l’interprétation qu’on devait adopter dans la loi nouvelle ? Le § 3 de l’art. 1er de la loi du 31 mars 1831 ne s’expliquait pas formellement sur les centimes additionnels, il n’en était pas fait une mention expresse, mais la cour de cassation, par un arrêt longuement motivé, dont tous les considérants sont puisés dans le texte et l’esprit de la loi de 1831, avait décidé en principe que les centimes additionnels, aux termes du § 3 de l’art. 1er de cette loi, ne devaient pas être pris en compte pour former le cens électoral. Le gouvernement lui-même professait la même opinion ; cette opinion était partagée par huit députations de province sur neuf ; un seul de ces collèges avait embrassé et maintenu une opinion contraire.

Il me serait difficile de croire, en présence de l’opinion du gouvernement sur la question, opinion basée sur le texte et l’esprit de la loi et sur les discussions qui avaient précédé l’adoption de l’article, en présence d’un arrêt formel de la cour de cassation, en présence de l’opinion de toutes les autres députations du royaume, il me serait difficile de croire, dis-je, que la seule députation qui faisait exception eût raison contre tous. Eh bien, messieurs, c’est pour faire cesser tout doute à cet égard, c’est pour assurer l’exécution uniforme de la loi de 183l dans toutes les provinces du royaume, que dans la loi nouvelle on a inséré une disposition positive d’après laquelle les centimes additionnels perçus au profit des provinces et des communes ne seront point comptées pour former le cens électoral.

D après l’art. 2, les impôts à bases fixes ne compteront à l’électeur qu’autant qu’il les ait payés pendant l’année antérieure à celle dans laquelle l’élection a lieu ; les impôts à bases variables ne compteront pour former le cens, qu’autant que l’électeur les ait payés pendant chacune des deux années antérieures à l’élection. Une disposition analogue avait été indiquée par M. le ministre de l’intérieur lorsque pour la première fois et inopinément on souleva dans cette enceinte la question des fraudes électorales ; elle semblait alors trouver de l’écho, de la faveur dans la chambre, pourquoi n’en serait-il plus de même aujourd’hui ? L’électeur, a dit un honorable membre, doit, aux yeux de la loi, avoir intérêt au maintien de l’ordre ; le payement du cens pendant une ou plusieurs années ne constitue qu’une présomption de la capacité électorale ; l’intérêt au maintien de l’ordre ne résulte que de la possession réelle des bases de l’impôt. Bien qu’en s’en rapportant au texte de la loi de 1831 et aux discussions qui ont précédé le vote de la loi communale de 1831, on ait pu croire de très bonne foi peut-être qu’il suffisait qu’un individu versât au trésor de l’État la quotité d’impôts déterminé par la loi, pour que cet individu devînt électeur légal ; pour ma part je me hâte de dire, que j’admets entièrement et sans restriction la doctrine que c’est dans la possession réelle des bases de l’impôt que résident principalement les garanties que le législateur de 1831 s’est proposées.

La section centrale professe la même opinion ; elle pense aussi que la justification des bases de l’impôt préviendrait mieux que tout autre moyen (ce sont ses expressions) les déclarations indues et frauduleuses ; mais la section centrale explique les raisons pour lesquelles elle a cru que ce système était impraticable dans les circonstances actuelles. Les développements de ces raisons se trouvent sous vos yeux, ils sont consignés dans le rapport et ils me paraissent péremptoires. Si quelqu’un a conçu et combine un système de la vérification des bases de l’impôt, si quelqu’un a formulé un projet d’application de ce système, qu’il dépose ce projet sur le bureau et je crois que s’il renferme réellement ces moyens pratiques d’exécution, il aura en sa faveur une grande majorité dans cette chambre.

Après cela, messieurs, je vous le demande, peut-on dire à la quelque vérité que la loi actuelle, loin de chercher à réprimer la fraude, la couvre en quelque sorte de son manteau et la consacre en principe. Mais vous n’avez donc pas lu le rapport de la section centrale ? Permettez-moi de vous citer une seule phrase de ce rapport :

« Dans ces discussions, dit le rapport, l’on a été unanime pour reconnaître que si la qualité d’électeur pouvait être acquise par le seul fait du paiement du cens, nos institutions constitutionnelles seraient faussées, et que l’on pourrait voir se former, à l’abri de la légalité même, des majorités qui ne seraient point la représentation sincère du pays ; mais, il faut bien le dire, les moyens pratiques de conjurer ce danger n’ont été indiqués, ni d’une manière complète, ni d’une voix unanime. »

Comment flétrir la fraude en termes plus énergiques ; la section centrale pouvait-elle sur ce point exprimer son opinion d’une manière plus positive, plus catégorique : Est-ce là légaliser la fraude ? Est-ce là accréditer dans le pays l’idée que, pour être électeur, il suffit de payer le cens, alors même qu’on ne possède point les bases de l’impôt ? La section centrale ne s’est trouvée arrêtée que par une seule difficulté grave en effet ; le temps lui a manqué pour combiner un système nouveau, système qui érigerait la révision d’une foule de dispositions de la loi électorale de 1831, car la justification de la possession des bases de l’impôt est impossible avec tout le système de procédure administrative établi dans la loi prerappelée, dès lors une révision complète serait en quelque sorte nécessaire ; le système nouveau devrait être mis en harmonie avec la loi ancienne, et la section centrale et le gouvernement lui-même en ont-ils eu le loisir ? La chambre elle-même aurait-elle le temps de discuter un pareil projet de loi avant les élections, avant les opérations relatives à la formation et à la révision des listes électorales, qui doivent commencer le premier avril prochain ?

Dès lors, messieurs, la proposition faite par la section centrale est un moyen de remédier à des abus qui ont été signales ; ce n’est pas le seul, ce n’est pas même le plus complet : on pouvait en tirer d’autres, mais il faut du temps pour les examiner, pour les rédiger et surtout pour les discuter et les faire adopter par la chambre. Vous voyez donc que l’art. est à l’abri de tout reproche fondé, et qu’au fond, la section centrale n’est pas loin de se trouver d’accord avec la plupart des orateurs qui ont attaqué cet article.

L’art. 3 n’a donné lieu à aucune observation ; il tend, comme on l’a dit, à faire cesser ces anomalies fort singulières qui existaient entre la loi électorale de 1831 et la loi communale de 1836.

En effet, il résulte de la combinaison de ces deux lois que l’individu frappé par la loi de 1831 d’incapacité pour les élections communales, peut cependant, d’après la loi de 1836, concourir aux élections provinciales et générales. C’était là un oubli, c’était une erreur ; cette erreur se trouvé réparée par la disposition de l’art. 3.

Un orateur qui a parlé dans la séance d’hier, s’est attaché à critiquer fortement les art. 4 et 5 du projet de la section centrale ; il a cru y trouver une grave innovation et une atteinte portée au principe de la loi de 1831.

Il n’en est rien. Je ne parle pas ici de la disposition qui prescrit de remettre à l’administration communale un double des rôles ; cette prescription se lie à un article suivant. Mais sous l’empire de la loi de 1831, on a agité la question de savoir si le droit de juger les réclamations relatives à la formation et à la révision des listes électorales, rentrait dans les attributions des collèges des bourgmestre et échevins, ou dans celles des conseils communaux.

Cette question a été résolue par le cabinet précédent. Dans une circulaire du 20 août 1840, M. le ministre de l’intérieur a décidé que le droit de juger toutes ces contestations appartenait, non pas aux conseils communaux, mais aux collèges des bourgmestre et échevins.

Les motifs de cette circulaire sont puisés dans une saine interprétation de la loi ; ils sont aussi fondés sur les inconvénients pratiques qui résulteraient d’un autre mode de procéder.

Ce n’est pas, messieurs, la seule autorité qu’on puisse invoquer ici : la cour de cassation a été également saisie de cette question, et par un arrêt, savamment motivé du 12 juillet 1842, la cour de cassation a décidé, à son tour, que, d’après le texte et l’esprit de la loi de 1831, le droit de juger les contestations appartenait aux collèges des bourgmestre et échevins. Cet arrêt a donc pleinement confirmé la doctrine ministérielle.

La plupart des administrations avaient déjà même adopté cette opinion avant la circulaire ministérielle de 1840 ; mais surtout depuis cette circulaire et depuis l’arrêt de la cour de cassation, la question paraissait, aux yeux du gouvernement, si bien résolue, qu’il n’avait pas cru devoir en faire l’objet d’une disposition particulière. Ce n’est que sur l’observation unanime d’une de vos sections que la section centrale s’est décidée à substituer les mots : collège des bourgmestre et échevins, aux mots : administrations communales, qui se trouvent dans la loi de 1831.

Dès lors, il n’y a la aucune innovation, il n’y a là aucuns changement à la loi de 1831, il n’y a qu’une interprétation conforme à celle qui a été adoptée par le gouvernement, par la cour de cassation et par le plus grand nombre des autorités communales du royaume.

Les art. 6 et 7 sont devenus un objet de virulentes attaques. Ces articles, dit-on, consacrent le principe de l’intervention directe des agents du pouvoir dans les élections. La loi de 1831, loi si large, si généreuse, vous la convertissez en une loi de suspicion et de défiance ; vous faussez la grande pensée qui a présidé à la rédaction de cette loi.

Examinons, messieurs, ces objections, et voyons à quoi elles se réduisent.

Je ferai observer, en premier lieu, qu’il ne s’agit pas encore ici de l’élection proprement dite ; il n’est question que de la formation et de la révision des listes.

Je ne me dissimule pas la haute importance de ces opérations préliminaires, je ne me dissimule pas non plus l’influence que ces actes peuvent exercer sur le résultat final.

Mais, d’autre part, il ne faut pas non plus perdre de vue que ce sont là des actes qui se passent au grand jour, que ce sont des actes qui sont rendus publics, que ce sont des actes qui peuvent être contrôlés, non seulement par les électeurs eux-mêmes, mais aussi par tout individu jouissant de ses droits civils et politiques.

Cette publicité et ce contrôle offrent déjà une puissante garantie qu’on ne saurait méconnaître.

Mais, indépendamment de cela, quelle est l’attribution que la loi nouvelle confère au commissaire d’arrondissement ? Ce magistrat est-il appelé par la loi à exercer un droit réel d’intervention dans la formation ou dans la révision des listes électorales ? Prend-il, d’après la loi, une part quelconque à la décision des contestations qui peuvent s’élever ? Nullement. Son rôle se borne à examiner les pièces qu’il reçoit de la part des administrations communales ; son rôle se borne, s’il découvre des abus, à requérir et à saisir le juge compétent ; et, en définitive, qui prononce sur ces réquisitions ? Une autorité complètement indépendante, une autorité élective. Comment, d’ailleurs, le commissaire d’arrondissement exercera-t-il son droit d’appel ? Mais évidemment le commissaire d’arrondissement ne pourra exercer son droit d’appel qu’autant qu’il trouve la preuve d’un abus ou d’une fraude dans les pièces qui lui sont transmises par les administrations communales, et, à l’appui de son appel, il devra joindre tous ces documents.

Ainsi, de bonne foi, y a-t-il là un moyen quelconque de fausser les élections, un moyen quelconque d’exercer une influence qui peut être dangereuse sur la formation et la révision des listes ? Quant à moi, je le déclare franchement, je n’y vois qu’une garantie dans l’intérêt de toutes les opinions.

Les art. 8 et 9 du projet n’ont provoqué aucune observation. Il n’en a pas été de même de l’art. 10. L’art. 10 a été vivement critiqué. On a trouvé que la rédaction de cet article était vague, indéfinie et présentait à l’esprit un arbitraire effrayant.

Un honorable membre s’est écrié : « Est-ce l’intimidation que vous voulez empêcher ? Est-ce toute influence illicite, toute contrainte morale que vous voulez prévenir ? S’il en est ainsi, dites-le, nous sommes d’accord avec vous. »

Eh bien, à mon tour, je réponds à l’honorable membre que je suis d’accord avec lui. Oui, c’est l’intimidation que nous voulons réprimer. Ce sont les influences illicites, la contrainte morale que nous voulons proscrire, c’est la liberté, la spontanéité du vote que nous voulons garantir à l’électeur. Proposez une rédaction en ce sens, et je m’y rallie de tout cœur.

L’art. 11 a provoqué de singuliers reproches. On a attribué au gouvernement les intentions les plus opposées. Aux yeux des uns, les bourgmestres, entièrement dévoués au pouvoir, ne sont appelés dans les bureaux secondaires que pour y contrôler au nom du gouvernement les opérations électorales. Aux yeux des autres, les bourgmestres sont hommes de l’opinion libérale, sont placés dans ces bureaux en quelque sorte en charte privée dans l’espoir qu’on a de livrer ainsi l’électeur à d’autres influences.

Le seul but de la loi, c’est de prévenir des lenteurs, d’éviter des retards dans la formation des bureaux secondaires et en ce point encore, nous sommes d’accord avec la loi de 1831, nous sommes d’accord avec le congrès, auteur de cette loi.

En effet, messieurs, vous vous rappellerez qu’à cette époque on avait proposé la formation de bureaux provisoires, comme ils existent dans un pays voisin, et que le congrès a repoussé cette idée par le seul motif que la formation des bureaux provisoires arrêterait les opérations électorales, les entraverait, les traînerait en longueur.

Eh bien, c’est, je le répète, pour éviter des longueurs, pour prévenir de retards inutiles, que l’on vous propose aujourd’hui de former avant le jour de l’élection même, les bureaux secondaires. Le projet prescrit trois listes, et je pense que ces trois listes sont le meilleur moyen d’arriver à ce but. Si toutefois on préfère une seule liste, pourvu qu’on ne fasse aucune exclusion injurieuse, je crois qu’on parviendra à peu près au même résultat ; et pour ma part, je n’y vois aucun inconvénient. Je me rallierai volontiers à une proposition dans ce sens. Dans ce cas, les bourgmestres ne seront appelés que bien rarement à faire partie des bureaux secondaires, car les bourgmestres ne seront pas souvent les plus jeunes des conseillers.

Je m’aperçois avec plaisir que cette observation que je viens de faire semble trouver quelque faveur ; il paraît qu’elle satisfait à beaucoup de scrupules ; eh bien, je pense qu’il en sera du même à peu près de tous les autres articles du projet.

Quand nous arriverons à la discussion de ces articles, puisque nous n’avons tous qu’un seul et même but, celui d’assurer la sincérité des élections, nous parviendrons aisément à nous mettre d’accord sur les moyens d’exécution.

Les autres articles du projet primitif du gouvernement n’ont donné lieu à aucune observation. J’ai parcouru successivement toutes les dispositions du projet qui nous a été présenté, et je me demande sérieusement s’il y a dans ces articles une seule disposition qui puisse motiver les accusations qui ont été dirigées contre le gouvernement ?

M. Delfosse. - Et l’art. 14 ?

M. de Muelenaere. - Je n’ai pris aucune note sur cet article mais je rechercherai dans le Moniteur les observations dont il a été l’objet.

Messieurs, la section centrale a ajoute au projet du gouvernement deux dispositions nouvelles, sur des points qui avaient été traités par M. le ministre de l’intérieur dans l’exposé des motifs. Dans cet exposé M. le ministre avait dit :

« Le même collège peut être appelé à élire des sénateurs et des représentants ; d’après la loi de 1831, les élections se font successivement ; l’on s’est demandé si le bureau ne pourrait pas en même temps recevoir les deux bulletins eu présentant à l’électeur deux urnes différentes.

L’enquête atteste que presque partout la plus importante de nos garanties électorales, le secret du vote, semble compromise, différents signes étant employés pour faire reconnaître les bulletins ; l’on s’est demandé s’il ne faudrait pas charger les administrations locales et les bureaux de délivrer des bulletins uniformes, pliés de la même manière, et marqués d’un timbre.

La section centrale ayant eu à délibérer sur les observations faites par quelques sections relativement à ces deux points, a rédigé deux articles nouveaux ; ce sont les articles 16 et 18.

Je ne parlerai pas de l’art. 18 ; ce n’est là qu’un moyen d’exécution ; c’est surtout lorsque nous serons arrives à la discussion des articles, que l’on pourra voir quel est le meilleur moyen pratique d’exécution, si l’on adopte l’idée principale de la section centrale ; d’après l’article 16, lorsqu’à l’avenir un collège aura à élire le même jour des sénateurs et des représentants, les suffrages seront donnés aux uns et aux autres par un seul bulletin ; il en sera de mène au deuxième scrutin, s’il y a lieu.

Messieurs, j’ai déjà eu l’honneur de vous dire que le congrès, auteur de la loi de 1831, avait été dominé par une grande pensée ; c’était de rendre aussi rapides que possible les élections. Il devait en être ainsi, parce que le congrès n’avait exigé qu’un cens très bas, et qu’aujourd’hui encore la plupart des électeurs ne paient qu’un cens de 20 à 35 florins, comme l’a dit la section centrale.

Les élections doivent être vraies. L’élection doit être la manifestation de l’opinion du plus grand nombre d’électeurs, dès lors il faut procurer nécessairement à ces électeurs toutes les facilités dont ils ont besoin pour pouvoir prendre part à cette importante opération. Vous voyez, d’après cela, combien la pensée de la section centrale a été libérale et morale tout à la fois, parce que son but est d’arriver à ce résultat que le plus grand nombre d’ayants-droits puisse concourir aux élections. L’expérience a démontré que trop souvent les élections traînent en longueur ; et cela serait surtout vrai, lorsque la même année on devrait procéder à l’élection des sénateurs et des membres de la chambre des représentants, dans la même localité et dans le même bureau. Si vous n’activez pas les opérations, vous forcez la plupart des électeurs de perdre un temps précieux, de séjourner hors de chez eux et de faire des frais plus ou moins considérables. C’est un abus, un abus grave que la législature doit faire cesser, si elle le peut.

Dans l’état actuel des choses, et pour ne parler que des localités que je connais, il y a des électeurs qui, pour exercer leur droit électoral, sont obligés de faire plus de douze lieues, aller et retour compris.

M. Eloy de Burdinne. - Plus de 20 lieues.

M. de Muelenaere. - Je ne parle que des localités que je connais. J’apprends que dans la vôtre les électeurs sont obligés à un trajet de plus de vingt lieues. Vous devez tenir compte à l’électeur de son éloignement du chef-lieu, des embarras de sa position. Si, au contraire, vous le forcez en outre à prolonger son séjour dans la ville où se fait l’élection, si vous ajoutez encore des frais de séjour aux frais de déplacement, vous le placez dans l’impossibilité de remplir un devoir civique. J’ai entendu dire que ce serait créer un privilège en faveur et au profit des électeurs des campagnes. D’abord, je ne sais pas pourquoi les électeurs des campagnes n’auraient pas droit à toute notre sollicitude autant que les électeurs des villes ; mais où donc voit-on ce privilège, cette faveur ? L’électeur des villes, où siège le collège électoral, est-il soumis aux mêmes frais, doit-il parcourir la même distance, doit-il, pour pouvoir déposer son vote, s’imposer les mêmes sacrifices que l’électeur des campagnes ? Dans toutes les hypothèses la faveur, le privilège ne restera-t-il pas tout entier au profit de l’électeur des villes ?

Quels sont les inconvénients que l’on reproche à cette disposition. On a fait deux objections. La première, c’est que le vote simultané pourrait donner lieu à des erreurs ; mais, messieurs, c’est encore là un moyen d’exécution, et il serait vraiment étrange que l’on ne parvînt pas à éviter ces erreurs que l’on semble redouter. Une autre objection que l’on a faite, c’est que l’électeur doit demeurer libre de donner son vote à un citoyen pour le sénat, et s’il n’est pas nommé au sénat, de lui réserver son vote pour la chambre des représentants. Dans la séance d’hier et dans une séance précédente, on a déjà répondu à cette objection ; et la meilleure réponse a été donnée par la section centrale, c’est que dès à présent même cela est impossible dans la pratique. Les candidats sont connus d’avance, les électeurs sont à l’avance déterminés à voter sur telle ou telle personne pour le sénat, et sur telle ou telle autre pour la chambre des représentants, et il serait impossible de changer les bulletins après que le résultat du scrutin pour le sénat est connu, d’une manière assez unanime pour reporter sur un membre qui a échoué au sénat, le nombre de voix nécessaire pour qu’il fût nommé à la chambre des représentants.

La section centrale a dit, que l’on me cite un seul exemple, et on n’a pu citer aucun exempte dans le passé. Cela n’est jamais arrivé, qu’un citoyen qui n’avait pas été élu pour le sénat, ait été le jour même élu à la chambre des représentants.

Et vous le savez, tous, messieurs, dans la pratique cela est réellement impossible, celui qui voudrait tenter ce moyen, serait presque sûr d’échouer.

Je pense avec la section centrale, que l’art. 16 nouveau ne présente aucun inconvénient et qu’il est fort utile pour les électeurs des campagnes ; c’est un moyen de rendre plus rapides et d’activer convenablement les opérations électorales.

M. Devaux. - Je demande la parole.

M. de Muelenaere. - Je crois qu’aucune opinion n’a droit de se plaindre, parce que de cette manière nous arriverons à ce résultat que le plus grand nombre possible d’ayants-droit, le plus grand nombre possible d’électeurs, le pauvre en quelque sorte comme le riche, pourront prendre part aux opérations du scrutin. Telle doit être la pensée du législateur ; tel doit être le vœu de la loi.

C’est pour ce motif, qu’à moins qu’on ne nous signale d’autres inconvénients, que ceux sur lesquels l’on a insisté jusqu’à présent, je voterai pour la disposition de la section centrale d’après laquelle ii sera procédé simultanément au vote pour les membres de la chambre des représentants et pour les membres du sénat,

(Moniteur belge n°76, du 17 mars 1843) M. Osy. - Messieurs, l’année passée, à l’occasion des changements à introduire aux nominations des bourgmestres, un membre de la chambre avait fait la proposition de fractionner le collège électoral des communes, et je vous disais à cette occasion que j’étais effrayé de voir le pouvoir donner la main à une pareille proposition, et que certainement une pareille demande n’aurait pas mon vote approbatif, parce qu’au lieu de calmer le pays, j’étais persuadé qu’il serait encore beaucoup plus agité ; et nous devons tous nous rappeler les élections d’octobre 1842, et personne de nous ne pourra se dissimuler que jamais les partis ont été plus en présence, car cette loi de fractionnement ayant été si mal vue par tout le pays, elle n’a aidé qu’à soulever les passions politiques, et plus que jamais les deux camps ont été plus désunis. Je vous parlerai seulement d’Anvers, où certainement jusqu’à présent, on pouvait dire que c’était la ville la plus calme, et où il n’y avait pas une grande dissension pour opinion politique ; et au lieu de voir faire les élections communales, comme en 1836, de la manière la plus calme et avec un petit nombre d’électeurs, tout le monde s’est rendu à son bureau, et on voyait visiblement que les changements introduits à la loi électorale avaient mécontenté, et on faisait des efforts pour pouvoir protester contre cette tendance d’innovations.

J’ai regretté dans le temps que le ministère s’était si facilement laissé entraîner, et qu’il ne pensait plus à son programme de 1841, d’être neutre entre tous les partis, pour tâcher de ramener une réconciliation si désirée pour le bien du pays ; et je vous avoue que, lorsque j’ai vu l’exécution de la loi du fractionnement, je croyais que M. le ministre de l’intérieur avait vu la faute qu’il avait commise, et que, par la suite, il serait plus ferme et ne se laisserait plus entraîner, et ferait ses efforts pour donner de la consistance à nos jeunes institutions, auxquelles il ne faut toucher que lorsque, par la suite, on en verra une nécessité absolue.

Lorsqu’on nous a dénoncé, au mois de décembre, les fraudes électorales, j’ai été affligé et je croyais qu’il y avait plus de moralité et qu’on n’aurait jamais eu recours à de pareils moyens pour faire dominer un parti ; mais au moins je voyais avec plaisir, de tous les côtés de la chambre qu’on flétrissait ces manœuvres, qu’en demandant au ministre un remède au mal, je croyais et me flattais que les propositions qu’on nous ferait se seraient bornées à déjouer et punir de si coupables fraudes. Car il est prouvé maintenant que celui qui a le plus d’argent doit triompher ; et vos chambres, vos provinces et vos communes ne peuvent plus représenter la véritable expression du pays, et j’avoue que le moyen proposé par le gouvernement à l’art. 2 ne me paraît qu’un palliatif et ne peut avoir d’effet que pour les élections de cette année ; mais pour la suite, la seule différence qu’il y aura, c’est que les faux électeurs ou leurs complices auront un peu plus d’argent à débourser. Et ainsi je conviens que la proposition du gouvernement n’est pas ingénieuse et qu’il aurait mieux fait de faire un rapport consciencieux et dire franchement qu’il n’y avait pas d’autre remède au mal, mais qu’il promettait de donner les ordres les plus sévères pour la formation des listes et faire rayer les faux électeurs, et comme on sait bien trouver le moyen de mettre à l’amende ceux qui ne déclarent pas tous leurs domestiques, chevaux, foyers et ne prennent pas une patente assez élevée, il me paraît qu’il ne doit pas être difficile de connaître ceux qui font de fausses déclarations en trop, et s’il y avait une amende pour l’un comme dans l’autre cas, on remédierait beaucoup au mal.

M. le ministre nous a dit positivement qu’il résisterait à tout autre changement de la loi électorale que celui d’atteindre les fausses déclarations, et l’honorable M. de Theux, prenant de suite la parole, nous a dit qu’il partageait la même opinion, et je vous avoue que ces déclarations m’ont beaucoup rassuré, car, comme je vous le disais, l’année passée, nous devons tâcher de calmer le pays, tandis que, touchant aux lois organiques, nous ne faisons qu’irriter et mécontenter.

J’ai donc un regret que le ministre, en présentant le projet de loi maintenant en discussion, a bien vite oublié ses promesses et que la section centrale a encore été plus loin. Je ne pourrai donc pas donner mon assentiment à la loi, et je voterai seulement l’explication nécessaire pour les centimes additionnels et l’article qui remédie, cette année, aux fausses déclarations ; mais j’espère que, pour la suite, on trouvera un remède plus efficace, pour éviter que celui qui a le plus d’argent finisse par triompher et fausser par là toutes les élections.

Je ne consentirai pas aux changements proposés pour la formation des listes et des bureaux ; la loi de 1831 étant très sage, gardons-nous d’y toucher, car jusqu’à présent, nous n’avons reçu aucune réclamation à ce sujet, et l’expérience des 12 dernières années prouvait que nous pouvons nous contenter des garanties de la loi organique.

Je conviens que dans les élections où j’ai assisté, j’ai souvent vu des étrangers et des personnes qui ne sont pas électeurs, mais il est inutile de changer l’art. 22 de la loi de 1831 ; il faut seulement que le gouvernement fasse une circulaire aux présidents des collèges, pour l’exécution stricte de cet article, car le président ayant seul la police et ne pouvant admettre que les électeurs, c’est à lui à prendre des précautions pour éloigner les personnes qui n’ont pas qualité d’assister aux élections.

Quand vous aurez éloigné ceux-ci par une disposition de police, je ne trouve pas d’inconvénient que les électeurs aillent dans d’autres bureaux, pour voir ce qui s’y passe, car chacun de nous a intérêt d’être persuadé que tout se passe régulièrement.

Déjà, dans ma section, je me suis opposé aux changements à l’article 24 et ses conséquences ; il n’y a qu’une seule raison pour admettre de voter pour les sénateurs et représentants sur le même bulletin, et ce qui est encore plus mauvais, de voter simultanément par deux billets déposés dans des boîtes différentes.

Cette raison, c’est que les opérations pourraient se prolonger un peu plus longtemps, mais ces doubles élections ne se reproduisent que tous les huit ans, et je suis persuadé qu’on est assez ami de nos institutions pour que chaque électeur veuille, pour des cas aussi rares, se déranger, d’autant plus que les élections se font pendant les plus longs jours de l’année et que bien rarement on sera obligé de revenir le lendemain. En France, les élections se prolongent souvent pendant trois jours, mais jamais moins de deux, comme le premier jour, on ne forme que les bureaux.

L’inconvénient de voter comme le veut la loi de 1831, ne peut donc pas être grand, mais de voter par un seul bulletin pour le sénat et la chambre a des inconvénients constitutionnels, parce qu’on borne le choix des personnes à envoyer à la représentation nationale, puisque je ne puis plus nommer un membre distingué comme représentant s’il échoue pour le sénat. On me dira : vous pouvez nommer la même personne pour les deux chambres, mais dans ce cas, j’abdique une partie de mon droit électoral.

M. le ministre propose de voter par des bulletins séparés, mais simultanément par deux boîtes. Par ce moyen, l’inconvénient que je viens de vous signaler n’est pas seulement levé, mais on s’expose a de graves erreurs, car, comme souvent les électeurs ne savent ni lire ni écrire, vous sentez qu’il y aura des erreurs nombreuses et beaucoup de voix perdues.

Je déplore donc que M. le ministre se soit de nouveau laisser entraîner au-delà du but qu’il nous avait exposé au mois de décembre, et comme je ne veux pas donner la main à agiter de nouveau le pays et de voir éloigné le moment de conciliation de tous les partis, je ne donnerai mon assentiment à la loi et je ne pourrai voter que l’art. 2 ; et pour ce qui est de la police, on peut, par circulaire aux présidents des bureaux principaux, ordonner la stricte exécution de l’art. 22 de la loi de 1831, et je fais des vœux pour que nous n’allions pas plus loin, car sans cela je crains que vos élections du mois de juin seront encore plus agitées que celles d’octobre 1842, et les divers partis politiques seront plus désunis que jamais.

Le mauvais résultat des changements à la loi communale devrait tous nous retenir cette année ; en donnant l’exemple de la modération et du calme, nous aurions pu nous flatter que les électeurs suivraient notre exemple, mais notre tendance d’innovations doit aigrir, et les partis plus que jamais seront en présence, et il est donc à craindre, au lieu d’avoir des députés modérés, pour renforcer la majorité du gouvernement, comme nous l’a expliqué hier M. le ministre de l’intérieur, vous avez à craindre de voir arriver des députés extrêmes de l’un ou l’autre parti, et ce sera le gouvernement qui en sera cause.

Bornons-nous à trouver un moyen de réprimer ce qui est immoral, mais ne cherchons pas des innovations inutiles et qui peuvent faire dominer l’un ou l’autre parti.

Nos intérêts matériels ont assez souffert depuis 10 ans pour que nous nous en occupions plus sérieusement, et attendons des moments plus tranquilles avant de toucher à nos lois organiques, qui certainement ne sont pas parfaites, mais les remèdes proposés sont inutiles et peut-être funestes.

Je ne puis pas finir sans dire que M. le ministre de l’intérieur n’a pas été adroit hier en parlant d’alliance monstrueuse des libéraux et des orangistes. J’habite une ville où, jusqu’en 1839, beaucoup de personnes ont regretté l’ancien ordre des choses, qui nous avait été si avantageux ; mais la paix faite, tout le monde s’est résigne, et l’orangisme n’existait plus, et les salons de nos autorités en donnaient la preuve. Le gouvernement devrait mieux connaître l’esprit du pays, et en parlant d’une manière aussi dédaigneuse, le ministre aura réveillé bien des susceptibilités, et surtout lui qui a reçu de notre ancien gouvernement une marque très distinguée d’estime, pour avoir amené la fin de nos démêlés diplomatiques, aurait dû être plus réservé et ne pas parler avec tant de dédain d’une partie aussi notable de la nation qui, tout en déplorant le passé, s’est montrée très réservée en se conformant au nouvel ordre de choses, car le seul procès politique que vous ayez eu n’était composé que de personnes que vous aviez mécontentées et qui toutes avaient servi la révolution, et pas un véritable orangiste n’y avait donné la main.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je prends la parole pour quelques moments, d’abord pour rectifier un fait. L’honorable préopinant a supposé que dans le projet de loi que j’ai présenté à la chambre, j‘avais été bien au-delà de la pensée que j’avais primitivement exprimée. J’ai déjà rectifié ce fait ; je tiens à le rectifier encore, parce que c’est sur ce fait qu’on fonde tout un système d’accusation.

C’est dans la séance du 16 décembre dernier que l’honorable M. Mercier, pour la première fois, est venu signaler certaines fraudes électorales relatives au cens. J’ai annoncé immédiatement que les mêmes faits étaient parvenus à ma connaissance et que je recherchais le remède. Mais en même temps j’ai annoncé que je m’occupais de mesures de police. J’ai fait plus. J’ai signalé l’impuissance du gouvernement dans la formation et la révision des listes, et j’ai dit que probablement je demanderais qu’une intervention plus large fût accordée au gouvernement. Je n’ai donc rien présenté que je n’eusse à l’avance spontanément et complètement annoncé. Voilà un fait que l’honorable préopinant a complètement perdu de vue. Je le prie de relire la séance du 16 décembre dernier, il verra qu’il s’est complètement trompé.

L’honorable membre m’a fait le reproche d’avoir méconnu un parti considérable qui s’est complètement et franchement rallié à la révolution depuis qu’aucun lien ne nous rattache plus à la Hollande et à l’ancienne dynastie, et il a cité la ville d’Anvers.

Je félicite le pays et l’honorable membre de ce que la ville d’Anvers offre un aspect aussi paisible, aussi rassurant. Ce n’est pas, quant à moi, de la ville d’Anvers que j’ai voulu parler. Je dirai simplement qu’aussi longtemps que le Messager de Gand existera, je ne regarderai pas l’orangisme comme partout mort en Belgique.

M. Osy. - L’honorable ministre de l’intérieur, en me répondant, a dit qu’aussi longtemps que le Messager de Gand existerait, il ne regarderait pas le parti orangiste comme éteint. Je crois que le parti orangiste, qui a eu beaucoup à déplorer à la révolution, on n’a aucun reproche à lui faire, car il s’est toujours conduit de la manière la plus calme, et depuis que la paix est faite, il s’est rallié à la révolution. Ce n’est pas parce qu’il y a un journal orangiste à Gand qu’il faut appeler monstrueuse l’alliance du libéralisme et de l’orangisme.

M. Dumortier. - Messieurs, lorsqu’au mois de décembre dernier on signala l’existence de fraudes électorales, nous avions lieu de croire que dans la Belgique entière on aurait découvert un nombre infini de ces cas de fraude prétendue. Il semblait qu’un vaste système était développé dans le pays. Cependant une enquête vous a été présentée, et vous avez vu que toutes ces grandes discussions, ces grandes clameurs se réduisaient à très peu de choses. M. le ministre a pris alors l’engagement de présenter à la chambre un projet de loi ayant pour but de porter remède à ces fraudes.

Aujourd’hui on représente ce projet de loi comme un privilège accordé à certaine opinion, comme un privilège accordé aux catholiques.

Pour mon compte, je vous le déclare, je n’ai pas pu voir dans le projet de loi ce privilège ; car, à mes yeux, aussi longtemps qu’une loi accorde à tous les citoyens des droits égaux, il n’y a pas de privilège pour personne. Jusqu’ici je n’ai vu dans le projet de loi qui vous est présenté que des droits égaux pour tous les citoyens. J’attendrai la discussion des articles et l’examen successif des diverses dispositions proposées, pour me prononcer sur chacune d’elles.

En ce moment, messieurs, ce n’est pas de cette question que je veux vous occuper. Je veux répondre à un appel imprudent peut-être qui m’a été adressé ici, et je croirais manquer à mon devoir si je me taisais dans cette circonstance.

On a dit que la loi dont il s’agit, la simultanéité du vote avait été inventée pour atteindre un but. Eh bien, moi, je dirai que la plupart des discours que nous avons entendus depuis trois jours ont été prononcés uniquement pour atteindre un but tout autre que celui qu’on indiquait. C’est aussi pour atteindre un but, pour éclairer le pays sur ce qu’on ne cesse de débiter contre une partie de l’assemblée nationale qui depuis 1830 a constitué la majorité, que je me lève pour prendre la parole.

Messieurs, le discours de l’honorable député de Bruxelles auquel je fais allusion, repose sur deux erreurs fondamentales. La première est que le gouvernement serait sous l’influence du clergé ; la seconde, qu’il existerait chez le clergé un vaste système tendant à tyranniser le pays. A mes yeux, ces deux assertions, sur lesquelles repose tout le discours auquel je réponds, ainsi que celui de l’honorable député de St-Nicolas et de l’honorable député de Liége ; ces deux assertions sont absolument contraires à la vérité.

Le gouvernement est sous l’influence du clergé ! Si cette influence existe, pourquoi vous bornez-vous à un procès de tendance ? Quand on a fait au précédent ministère un procès de tendance, vous l’avez blâmé, vous l’avez combattu ; et quand vous faites aujourd’hui un procès de tendance, dans des termes semblables à ceux dans lesquels on vous en a fait un, vous méritez les mêmes reproches. Pourquoi faire un procès de tendance que vous ne pouvez pas motiver ?

M. Delfosse. - Nous avons cité des faits.

M. Dumortier. - Si vous avez cité des faits, je dis que les faits auxquels vous avez fait allusion sont des actes ministériels auxquels le clergé belge, aussi bien que le clergé protestant ou israélite, est complètement étranger, et que vous avez tort d’en conclure que le gouvernement, en les posant, était sous l’influence du clergé. En effet, si j’en juge par ce qui s’est passé dans la localité que j’habite, il y a peu de jours encore, M. le ministre de l’intérieur a publié dans un seul numéro du il trois nominations ; or ces trois nominations appartiennent à l’opinion libérale ; et on vient dire que le cabinet est sous l’influence du clergé ! Je dis, au contraire, que par peur il se place sous l’influence opposée.

Remarquez-le bien, dans les trois nominations dont il s’agit, il en est une qui a été publiée en même temps que l’arrêté de démission, ce qui est complètement insolite dans notre pays. Si je suis bien informé, M. le ministre de l’intérieur a eu la naïveté de dire, à ce sujet, à une personne qui lui en faisait l’observation, que s’il avait posé cette nomination insolite, c’était pour ne pas être soumis aux obsessions du parti catholique. Vous le voyez donc, quand on vient dire que le gouvernement est sous l’influence catholique, on dit une contre-vérité des plus palpable,

La seconde erreur de l’honorable député de Bruxelles, c’est que le clergé montrerait une tendance à vouloir dominer le pays. Messieurs, il n’est personne dans cette chambre qui veuille mettre le pouvoir civil sous l’influence du clergé ; personne dans le pays ne veut d’un système semblable. Et je suis profondément convaincu que tous, tant que nous sommes, nous n’avons qu’une seule pensée, et que s’il s’agissait de mettre le pouvoir civil sous le contrôle, sous l’influence, sous l’action du pouvoir religieux, il n’est pas un seul membre qui ne s’empressât de se lever pour protester contre une pareille prétention. Ce que nous voulons, et ce que nous avons le droit de vouloir, c’est que le pouvoir civil et le pouvoir religieux ne soient pas continuellement en désaccord, mais marchent parallèlement, marchent d’accord ; c’est la bonne harmonie entre ces deux pouvoirs que nous sommes désireux de voir, et ce que d’autres voient peut-être avec regret. Quant à nous, nous la voulons, cette bonne harmonie, parce que l’intérêt du pays l’exige, parce que, bien qu’il ait fait des fautes, le pouvoir religieux est en définitive le seul pouvoir civilisateur, le seul pouvoir moralisant qui existe en Belgique.

Il tend, dit-on, à dominer le pays. Le clergé veut, dit-on, le retour d’un autre temps qui n’existe plus. Mais ce sont là des allégations sans preuve, des accusations de tendance. Ces accusations vous les avez flétries sous le cabinet précédent, quand elles vous étaient adressées, et vous avez mauvaise grâce à les reproduire contre vos adversaires. Quand vous reproduisez vous-mêmes un système que vous avez si chaudement combattu, faites-y attention, vous donnez gain de cause à ceux que vous combattiez autrefois.

Messieurs, j’ai toujours pris la défense du clergé ; quand mes droits ont été attaqués je les ai soutenus.

Un membre. - Et nous aussi !

M. Dumortier. - Vous avez fait ce que vous avez cru devoir faire ; pour moi, j’ai toujours défendu le clergé, quand il était injustement attaqué ; j’ai donc acquis le droit d’exprimer franchement mon opinion sur la marche des événements depuis 1830. Je le ferai sans ambages ; nous n’avons qu’à gagner à l’exposition franche, sincère et nette de la vérité. Cette exposition ne peut que nous être favorable. Sans doute, le clergé a fait des fautes, je le déclare, il n’y qu’une seule chose qui puisse surprendre, c’est que le clergé libre, exempt de toute influence, n’en ait pas commis davantage. Le clergé est humain, et tout ce qui est humain doit commettre des fautes. Voyons les fautes principales que le clergé a commises, ou du moins que l’on lui reproche d’avoir commises. A mes yeux, je crois que ce fut une faute, au point de vue politique, d’autoriser le rétablissement des ordres mendiants. Il valait mieux comprendre le pays, tel qu’il est, et de pareilles institutions ne vont pas du tout à l’allure de notre époque. Ce qu’il faut à notre époque, ce sont les congrégations qui rendent des services à la société. Il fallait donc éviter d’en créer d’autres. Il fallait accepter l’époque telle qu’elle est sortie de la révolution française, et ne pas retourner à un ancien état de choses. Toutefois, le clergé était dans son droit, et si des personnes veulent prendre des costumes devenus ridicules pour notre pays, libre à elles. C’est un droit dont elles peuvent user ; nous n’avons qu’à les protéger comme citoyens ; pour moi, je n’userai jamais d’un tel droit, mais je n’ai pas non plus le droit d’empêcher les autres de le faire.

Il n’y avait d’ailleurs dans ceci rien qui fût contraire à la liberté du citoyen. La constitution avait donné au clergé les droits dont il a usé, et comme nous n’avons ici à examiner que les questions de violation des droits, nous n’avons pas de reproche à lui faire de ce chef.

Une autre faute que l’on a reprochée au clergé, c’est sa lettre relative aux francs-maçons. Je crois que ce fut là encore une faute, au point de vue politique. Et en effet la confrérie maçonnique était sur le point de s’éteindre, lorsque cette lettre est intervenue ; et elle a eu un grand pouvoir, celui de ressusciter un corps mort. Je pense donc qu’on eût beaucoup mieux fait de ne pas s’occuper de cette affaire.

Mais ici encore le clergé a-t-il été dans son droit, oui ou non ? On ne peut le contester, il était libre de prendre, au point de vue du pouvoir religieux, les mesures qui lui convenaient. Libre ensuite à chaque citoyen d’accepter ou de ne pas accepter les conditions de la communion catholique.

Messieurs, il est encore une autre faute, et une faute très grave qui a été commise, et celle-là je la regarde comme une faute capitale. C’est d’avoir vu un journal réputé catholique, et qui exerçait une certaine influence dans le pays, venir dire qu’il fallait écraser le libéralisme. C’était là, à, mes yeux, une faute fondamentale, une faute radicale. C’était plus que cela, c’était une stupidité.

On s’est beaucoup plaint de cet article ; on l’a souvent répété, on en a souvent pris prétexte pour déclamer contre le parti catholique. Mais qu’était-ce que cet article ? C’était l’œuvre d’un individu qui avait fait une sottise, qui avait fait une stupidité.

Mais que diriez-vous si l’on venait vous attribuer toutes les sottises, toutes les fautes des feuilles qui représentent plus ou moins votre opinion ? Que diriez-vous si l’on venait vous attribuer, par exemple, ces phrases si virulentes dans lesquelles on disait dernièrement encore : Belges, chassez les prêtres ; Belges, chassez les nobles ; vendez leurs biens, et vous vous enrichirez. Je ne pense pas qu’une personne sensée impute ces aberrations au libéralisme ; on ne peut voir là que l’aberration d’un seul individu. Eh bien, pour être conséquent, il fallait en agir de même vis-à-vis l’aberration d’un individu d’une opinion opposée.

On a reproché, en troisième lieu, la chute du ministère précédent. Pour mon compte, je pense que cette mesure a été une faute, en ce sens que si l’on avait des reproches à faire à ce ministère, on devait les articuler ; en ce sens que si l’on n’avait pas de reproches à lui faire, il eût été plus sage d’attendre sa chute.

Mais, encore une fois, c’est là une appréciation politique comme il s’en présente tous les jours, appréciation politique semblable à celle qui est aujourd’hui sur le tapis, lorsqu’on vient représenter le clergé et ceux qui l’ont défendu comme des ennemis de la chose publique.

Dans toutes ces choses que je viens d’énumérer, et je les ai énumérées sincèrement, il y a en sans doute des fautes commises au point de vue politique. Mais quelle a été leur portée ? ces abus ont toujours eu lieu dans l’exercice du droit, et non dans la violation des droits des citoyens. Jamais le droit du citoyen n’a été violé ; et nous verrons tout à l’heure, lorsque nous analyserons les abus d’un autre côté, si le droit du citoyen n’a pas été violé. Je le répète, le clergé, même dans ses fautes politiques, n’a jamais violé les droits du peuple. Libre à vous de soutenir ou de ne pas suivre la doctrine catholique ; si vous voulez être regardé comme un enfant de l’Eglise, acceptez cette doctrine comme elle vous est donnée par les chefs naturels ; mais si cette doctrine ne vous convient pas vous avez une marche très facile : il y a le protestantisme, il y a le judaïsme, il y a le mahométisme ; vous avez beaucoup d’autres religions, rien ne vous force à rester attaché à la religion catholique.

Messieurs, la cause catholique, la cause de la religion est manifestement en dehors de ces questions politiques qui se débattent dans cette enceinte ; vouloir les confondre, vouloir attribuer à ce qu’on appelle le parti catholique ces actes-là, lui en faire des crimes, des griefs au point de vue politique, mais c’est une confusion d’idées inqualifiable.

Les mesures qui ont été prises étaient des mesures exclusivement religieuses. Vous reprochez au clergé de se mêler de politique. Eh bien ! je crois, moi, qu’il serait bien plus sage, s’il s’en mêlait un peu plus. Car s’il s’était mêlé un peu plus de politique, il n’aurait pas commis les fautes dont j’ai parlé ; il aurait compris qu’elles n’étaient plus de notre époque ; voilà, par conséquent, comment je renvoie le reproche que vous lui adressez.

Nous venons de voir quels sont les reproches que l’on adresse au clergé, à ce clergé que l’on cherche tant à décrier, et dont on cherche à écarter les amis de cette enceinte. Voyons maintenant les fautes qui ont été commises d’un autre côté, et nous tirerons de là une grande conséquence pour l’avenir du pays.

Messieurs, il y a en Belgique deux partis, ou du moins on est convenu en Belgique de considérer les choses comme se présentant sous deux points de vue, expressions de deux partis : l’un s’appelle le parti catholique, l’autre s’appelle le parti libéral. Je ne connais rien au monde, messieurs, de plus faux que ces dénominations : parti catholique ! et il me semble que nous sommes tous de la religion catholique ; parti libéral ! mais je pense que, parmi les catholiques, il en est beaucoup qui défendent mieux les vrais principes du libéralisme que quelques hommes exagérés qui se qualifient de seuls libéraux. Ainsi le mot de parti catholique est une absurdité, le mot de parti libéral est le plus souvent un mensonge.

Mais, comme je vous le disais, nous venons de voir ce qu’on reproche au parti catholique ; voyons maintenant ce qu’on reproche, d’un autre côté, au parti libéral.

Messieurs, j’ai le droit, comme tout à l’heure, de dire toute la vérité ; car j’ai assez défendu les vrais principes du libéralisme depuis 12 ans pour pouvoir m’exprimer avec franchise et sévérité sur le compte de l’un comme de l’autre. Avant la révolution, messieurs, j’ai contribué, par la plume, à faire cesser la tyrannie ; pendant les jours du combat, j’ai contribué à établir l’indépendance nationale par l’épée ; depuis la révolution, je contribue à assurer la liberté par ma parole. J’ai donc acquis le droit de dire la vérité, et de la dire comme un homme qui n’a pas failli au libéralisme vrai et sincère.

Je dirai donc que les reproches que l’on adresse au soi-disant libéralisme me paraissent extrêmement graves, et que lorsqu’on fait aussi bon marché de la majorité, il importe de voir si celle-ci n’a pas eu quelques raisons de ne pas approuver tous les actes du libéralisme.

Et ici, messieurs, je dirai que par libéralisme j’entends ce que quelques personnes appellent le libéralisme pur, c’est-à-dire le libéralisme qui approuve les abus que je vais vous signaler et qui prétend justifier les actes les plus monstrueux quand ils sont contre le clergé ou les catholiques sincères.

Un des premiers actes qui a amené une division dans le congrès, c’est la grande discussion de l’art. 12 de la constitution. Il s’agissait d’accorder au clergé les libertés pour lesquelles il avait combattu, combattu à sa manière, par un pétitionnement qui avait amené la révolution, et qui lui avaient été promises par le gouvernement provisoire. Eh bien ! dans le sein du congrès, un nombre assez considérable de personnes, qui représentaient ce libéralisme exagéré, s’opposèrent, par tous les moyens imaginables, à ce que le clergé jouît aussi pour son compte de la liberté qu’il avait conquise avec nous, et qu’il acceptait franchement pour les autres.

Cependant, pendant les premières années qui ont suivi notre révolution, il n’y avait plus de partis dans les chambres ; il y avait des patriotes, il y avait des ministériels, mais de parti catholique, mais de parti libéral, il n’en existait plus dans le parlement.

Mais en dehors du parlement la lutte a commencé à s’organiser dans les provinces ; elle a commencé à s’organiser par quelques personnes qui poussaient fort loin ces principes de prétendu libéralisme.

Un des premiers actes que ma mémoire me fournit, c’est l’affaire de Liége, c’est l’expulsion de M. Dejaer.

M. Delfosse. - Je demande la parole.

M. Dumortier. - Vous le savez, messieurs, à la suite de la révolution, le peuple belge avait laissé aux électeurs le droit de choisir ses bourgmestres et ses échevins, et ce droit, nous avons cherché à le soutenir tant qu’il nous a été possible.

Au nombre des échevins nommés dans la ville de Liége, se trouvait un citoyen que, pour mon compte, je ne connais pas, que je ne connais que par son nom, mais un homme que l’on dit très honorable ; et d’ailleurs le peuple ne l’aurait pas nommé, s’il n’avait été un homme très honorable. A quelque temps de là, en 1833, la régence de Liège voulut établir la publicité de ses séances. Cette publicité ne parut pas à M. Dejaer dans l’ordre des lois et de la constitution ; et le rapport fait à la chambre, et le vote unanime de celle-ci font voir que M. Dejaer avait bien jugé la question. M. Dejaer ayant combattu ce système de la publicité des séances, et ce système ayant été admis par la régence, il refusa d’assister à la séance du conseil communal à laquelle il était convoqué ; dans tous les cas, ses fonctions d’échevin, if voulait les remplir, d’autant que la mesure de publicité ne les atteignait pas. Comment les choses se passèrent-elles ? lI se trouva une personne, un échevin, qui vint proposer l’expulsion de son collègue M. Dejaer

Cet échevin, renouvelant la scène de Labourdonnaye, lorsqu’il proposa l’expulsion de Manuel en France, proposa de frapper son collègue d’ostracisme. M. Dejaer protesta contre cette demande, mais la majorité du conseil ne l’en expulsa pas moins, et du collège échevinal et du conseil communal. Ainsi l’on vit des hommes qui tenaient leur mandat du peuple, au même titre que M. Dejaer, expulser ce citoyen des fonctions qu’il occupait, comme eux, en vertu de l’élection populaire. Evidemment c’était là le renouvellement de l’affaire si scandaleuse qui avait irrité toute la France, de l’expulsion de Manuel.

Jusqu’ici, messieurs, nous avons vu l’abus de la force, tout à l’heure nous verrons l’emploi de la ruse : le collège convoque les électeurs, à l’effet de pourvoir au remplacement de M. Dejaer ; en attendant, le conseil se réunit et décide que l’élection n’aura pas lieu ; eh bien, le bourgmestre et l’échevin, auteur de la proposition, sortent du conseil et, méprisant la résolution qui vient d’être prise, ils vont violant ainsi et la loi et la résolution du conseil, et les droits les plus sacrés du citoyen, procéder aux élections et exécuter la sentence d’ostracisme dont M. Dejaer avait été frappé. Voilà, messieurs, un acte qu’on ne saurait assez flétrir ; et pourquoi cet acte a-t-il eu lieu, parce que M. Dejaer appartenait à une opinion qu’aujourd’hui encore on veut frapper d’ostracisme. Ce ne sont plus là, messieurs, des fautes commises dans l’exercice d’un droit, c’est une violation du droit d’autrui, car le droit de M. Dejaer était aussi sacré que le droit de ceux qui l’expulsaient.

On a fait allusion à une autre affaire, à l’affaire de Tilff ; on a présenté le bourgmestre de Tilff comme un bourgmestre modèle, et j’appelle, messieurs, sur cette qualification toute votre attention, car elle vous apprend ce que l’on exigerait des agents du pouvoir, le jour où l’on aurait établi en Belgique le système qu’on veut lui imposer. Vous savez comme moi, messieurs, quel est l’acte pour lequel on a décerné au bourgmestre de Tilff le titre de bourgmestre modèle ; vous savez que c’est pour avoir expulsé de la commune des missionnaires qui venaient y prêcher ; pour les avoir expulsés comme n’ayant point de passeports. Comme n’ayant point de passeports ! Mais, messieurs, il n’en est pas un seul d’entre nous qui ne fût expulsé de cette enceinte si l’on s’avisait de nous demander nos passeports. (On rit.) Eh bien, l’on n’a point reculé devant un moyen aussi odieux !

M. Delfosse. - C’étaient des étrangers.

M. Dumortier. - Peu importe, c’étaient des hommes, et l’humanité s’opposait à ce qu’on agît de la sorte à leur égard. D’ailleurs, il n’est pas du tout prouvé que ce fussent des étrangers, plusieurs certainement étaient des Belges.

Eh bien, messieurs, voilà ce qu’on appelle un bourgmestre modèle. Ainsi, pour que les magistrats soient des magistrats modèles, il faudra qu’ils fassent la chasse aux prêtres, voilà où l’on veut conduire le pays, et l’on prétend constituer une Belgique, une nationalité sur de pareils éléments ; je dis, moi, qu’avec le triomphe de ceux qui approuvent des actes semblables, il n’est point de Belgique possible, qu’un pareil système ne peut mener qu’à des bouleversements, à des catastrophes, à la destruction de notre nationalité.

Nous avons vu, messieurs, d’autres scandales encore ; nous avons vu, dans plusieurs localités, des hommes masqués envahir des temples ; dans une ville que je pourrais citer, des confessionnaux ont été couverts d’immondices ; et tout cela s’est fait contre le clergé que l’on cherche à peindre sous d’aussi noires couleurs.

Eh bien, messieurs, je dis qu’avec de pareilles énormités vous ne pouvez point constituer une Belgique. Quant à moi, je ne saurais assez flétrir des actes de cette nature, et il est déplorable que des faits semblables à ceux que j’ai rappelés trouvent de l’appui dans cette enceinte ; il est déplorable que l’on ose donner ici le titre d’hommes modèles à ceux se permettent des attentats comme ceux que j’ai signalés.

Comme ces moyens ne suffisaient pas pour rendre le clergé odieux, on a cru devoir en chercher d’autres, et c’est alors qu’on a inventé la dîme et la mainmorte. La dîme ! mais, messieurs, il n’en a jamais été question que dans le cerveau de ceux qui l’ont imaginée ; il n’en a pas même été question dans leur cerveau ! car je pense que ceux mêmes qui ont fait tant de bruit de la dîme ont bien ri sous cape de ce qu’ils faisaient croire de semblables choses au peuple. Mais la mainmorte ! Eh bien ; la mainmorte, messieurs, c’est une absurdité ; une proposition a été faite, tendant à constituer l’université de Louvain en personne civile, et c’est là ce qu’on a appelé la mainmorte ! Je n’ai point à examiner ici la convenance, l’opportunité de cette proposition, elle a été loyalement retirée ; mais je dis que c’était tromper le pays que de prétendre qu’elle tendait au rétablissement de la mainmorte. Vous savez tous, messieurs, ce que c’est que la mainmorte.

C’est le droit que l’on avait anciennement de venir enlever, après la mort d’une personne, une partie de son mobilier. Voilà ce que c’était que la mainmorte, qui n’avait aucune ressemblance avec les établissements constitués en mainmorte ; c’étaient là deux choses qui n’avaient aucune similitude entre elles. Je dis donc que lorsqu’on est venu dire aux électeurs : « Si vous continuez les membres de la majorité dans leur mandat, vous allez voir rétablir la dîme et la mainmorte ; » je dis qu’alors on a trompé le peuple et qu’on l’a trompé sciemment et indignement. De tels moyens sont déloyaux, et je ne puis assez les flétrir.

Maintenant, messieurs, que ces moyens sont usés, quel système a-t-on adopté ? Le système du dénigrement, le système des procès de tendance, que l’on a flétri avec justice et avec raison lorsqu’il a été suivi contre l’ancien ministère ; eh bien, ceux qui ont flétri si vivement alors ce système, viennent maintenant le protéger contre leurs adversaires ; ils les accusent de tendances, ils ne cessent de les dénigrer !

Je dirai, messieurs, avec l’honorable M. de Muelenaere, qu’il est de ces choses que, dans tous les pays du monde, on respecte ; une de ces choses, c’est le pouvoir religieux, ce pouvoir qui seul peut moraliser et civiliser le peuple. Partout le parlement l’entoure de son respect.

Eh bien, il est affligeant de voir que dans un parlement belge, dans ce pays si éminemment catholique, on vienne chercher incessamment à déverser le blâme, le discrédit, la déconsidération sur un corps aussi respectable que le clergé de notre pays, sur un corps qui a tant fait pour la nationalité de la Belgique et qui est si fortement attaché à cette nationalité, dont il est l’un des plus fermes soutiens.

On ne s’est point borné là, messieurs, pour rendre la majorité odieuse, on est venu lui donner les épithètes les plus injurieuses, on est venu l’appeler parti rétrograde, parti clérical, et tout cela s’est fait dans cette enceinte. Rétrograde ! mais, messieurs, il y a deux manières de rétrograder : on peut rétrograder vers 89, mais on peut aussi rétrograder vers 93 ; et quant à moi, je le déclare, je ne veux pas rétrograder vers 89, mais je veux encore bien moins rétrograder vers 93. Mais ne semble-t-il pas, messieurs, que les membres de la chambre qui ne veulent point opprimer le clergé soient des hommes vendus, corps et âme, à l’autorité ecclésiastique, des hommes soumis à toutes les exigences du dernier curé de village ? Que diriez-vous donc si, prenant dans votre parti quelques extrêmes, nous venions vous qualifier de parti jacobin, de parti bonnet-rouge ? Evidemment vous ne seriez point satisfaits ; eh bien alors vos adversaires ont le droit aussi de ne pas être satisfaits des épithètes que vous leur prodiguez.

Dans tout cela, messieurs, on a eu un but, et un but constant c’est de chercher à égarer les populations, à les perdre ; je dis : à les perdre ; car, encore une fois, il n’est point de Belgique possible avec ce système de dénigrement des choses religieuses, qui sont le plus solide appui des Etats.

Où marchons-nous donc, messieurs, avec le prétendu libéralisme que je viens de signaler et que quelques hommes veulent faire triompher ? Remarquez bien que je ne confonds pas ici les libéraux les uns avec les autres, je ne parle pas des vrais libéraux qui veulent sincèrement la liberté pour tous, pour les prêtres comme pour les autres, je parle des libéraux exagérés dont j’ai flétri les actes.

Eh bien, interrogez l’étranger ; la France, l’Angleterre, l’Espagne vous répondront : l’Espagne vous répondra qu’avec ce prétendu libéralisme elle en est venue aux coups de fusil ; l’Angleterre vous répondra que chez elle aussi avec son radicalisme, on en est venu aux coups de fusil, la France vous fera la même réponse. Voilà où l’on en vient avec de semblables principes d’intolérance et de fanatisme : le désordre dans le pays, des révolutions qui se succèdent périodiquement, et au bout de tout cela le bombardement de Barcelone.

Que si vous consultez l’histoire, je vous demanderai encore ce qu’allègue le philosophisme voltairien, celui sur lequel on veut asseoir notre jeune nationalité ? Quelles ont été les suites de ces doctrines intolérables ? En 1789, elles ont amené la révolution brabançonne ; toujours des bouleversements, toujours des révolutions. Eh bien, le pays ne veut plus de révolutions ; nous en avons fait une, elle a été heureuse ; tâchons d’en recueillir les fruits et ne venons pas troubler le pays, ne venons pas lui enlever le repos dont il jouit et sans lequel il ne peut prospérer.

Le système que j’attaque en ce moment, messieurs, se résume en ces mots, qu’il faut persécuter les prêtres pour être vrai libéral. (Dénégations.) Ce n’est pas à l’honorable membre qui m’interrompt que j’adresse ce reproche ; celui qui a attaché son nom à notre révolution ne professera jamais de telles doctrines ; je réponds au discours qui a été prononcé. Ce qui prouve la vérité de ce que j’avance, c’est qu’on a présenté dans cette enceinte comme le type des bourgmestres, comme un bourgmestre modèle, un homme dont tout le mérite consiste à avoir expulsé des prêtres de sa commune, à les avoir traqués comme des bêtes fauves. Et vous appelez cela du libéralisme ! Ah ! vous oubliez que la première maxime du libéralisme vrai, c’est la tolérance, la tolérance du prêtre comme de tout citoyen. Votre libéralisme à vous, c’est l’intolérance et la persécution !

Voilà donc, messieurs, le système qu’on veut faire peser sur le pays. Mais qu’a amené ce système en France ? Ouvrez l’histoire de la convention nationale, et vous verrez ce que ces doctrines ont produit en France ; là aussi, on a commencé par représenter le clergé comme un pouvoir qui voulait détruire la France. On est parvenu à le rendre odieux, et lorsqu’on l’eut rendu odieux, qu’est-il arrivé ? On a vu surgir tous les excès les plus déplorables de la révolution française.

Je dis que ceux qui cherchent à rendre le clergé odieux en Belgique amèneront nécessairement un semblable résultat. C’est, messieurs, lorsqu’on est parvenu à tendre le clergé odieux que les masses, qui sont moins intelligentes que vous, se ruent sur le clergé pour le traquer. Ainsi, dans l’élection d’Ath, quand on a fait accroire au peuple que si l’on nommait mon honorable ami M. Dechamps, chaque ouvrier aurait à payer la dîme de son travail, que s’il gagnait 10 sous, il serait tenu d’en donner un à son curé, ce bruit, une fois accrédité dans le peuple, vous savez, messieurs, quelles en ont été les déplorables conséquences ? Des prêtres ont été poursuivis, assommés, menacés de mort. Ces faits sont maintenant justifiés juridiquement. Quels étaient ici les principaux coupables ? Je n’hésite pas à le déclarer, c’étaient les auteurs de ces indignes accusations.

Je dis donc que de pareilles doctrines sont perverses pour le pays, qu’elles ne peuvent amener qu’une chose, le renouvellement des abus qui ont eu lieu chez d’autres nations, il est donc manifeste qu’avec ces doctrines on ne peut constituer la nationalité ; il est manifeste qu’il n’y a pas de gouvernement possible, tant que de pareilles doctrines se feront jour dans cette enceinte, et qu’elles ne seront pas combattues.

Messieurs, j’ai dit les fautes des uns et des autres. J’ai dit que le clergé avait eu le tort de ne pas accepter les conséquences de la révolution française dont nous ne pouvons assez blâmer les abus, mais dont il faut accepter les suites ; mais, qu’en posant les actes que j’ai rappelés, il n’a violé aucun droit. J’ai dit qu’il était surprenant qu’un pouvoir, abandonné à lui-même, n’ait pas commis plus de fautes qu’il n’en a commis. J’ai fait voir, d’un autre côté, les fautes de nos adversaires, fautes qu’on cherche à préconiser comme des actes modèles.

Eh bien, messieurs, je dis qu’en présence de pareils faits, il est important que le pays sache s’il veut ou s’il ne veut pas exister. Etre ou n’être pas, voilà aujourd’hui la question. Les dénominations de parti catholique, de parti libéral, sont des choses qui n’ont pas de sens. Ce qu’il faut à la Belgique, c’est un parti conservateur, qui conserve les libertés civiles et religieuses que la révolution nous a données…

Des membres. - C’est cela !

M. Dumortier. - Parce que cette constitution a été faite en l’absence de tout pouvoir, qu’elle a été faite par la libre volonté des citoyens, et que nous devons par conséquent transmettre intact ce dépôt précieux à nos descendants. Ce qu’il faut à la Belgique, c’est un parti conservateur qui maintienne l’honneur et la dignité de la Belgique au dehors, l’ordre et la liberté pour tous les citoyens au dedans.

Mais ce qui est plus remarquable, c’est que la plupart de ceux qui, depuis deux ou trois ans, cherchent à soulever le peuple contre une partie notable des citoyens, n’ont pris aucune part a notre révolution, à notre émancipation. A cette époque, leur couleur n’était pas du tout tricolore. Et pourquoi ne l’était- elle pas ? Parce que le congrès écrivait dans la constitution les principes de liberté religieuse qu’eux repoussaient.

Et aujourd’hui un grand nombre de ces hommes, qui semblent s’être ralliés, font tous leurs efforts pour introduire dans le code du libéralisme les mêmes doctrines exagérées qu’ils n’ont jamais abandonnées, doctrines pour lesquelles ils se sont séparés de la révolution, doctrines qui ont cependant provoqué la révolution elle-même et qui ne pourraient qu’amener de nouveaux troubles et de nouveaux désordres dans le pays, si elles pouvaient triompher.

Messieurs, on veut faire expulser de cette enceinte les hommes modérés de toutes les opinions ; on veut les remplacer par des libéraux pur sang (on rit) car remarquez qu’il y en aura bien peu tout à l’heure dans cette enceinte ; on appliquera les principes d ostracisme qu’on a vu s’exécuter ailleurs…

M. Rogier. - Dans les dernières élections.

M. Dumortier. - C’est un grand tort qu’on a eu ; mais un tort n’en justifie pas un autre.

Messieurs, on veut donc expulser de cette enceinte les hommes modérés de toutes les opinions ; et c’est dans ce but qu’on vient chercher à rendre odieux, au moyen du clergé, les hommes consciencieux qui se sont voués à sa défense toutes les fois qu’il était injustement attaqué.

Et que sont ces hommes qu’on veut frapper d’ostracisme ? vous les voyez autour de vous ; ces hommes qu’on attaque, sont aujourd’hui ce qu’ils étaient en 1830. Ont-ils eu en partage les places, les honneurs, les titres, les positions lucratives ? se sont-ils emparés de tous les emplois en Belgique ? Non, sans doute ; un honorable député l’a dit et écrit : Depuis la révolution presque tous les emplois ont été donnés aux libéraux.. Se sont-ils emparés de tous les honneurs ? Mais non. Depuis la révolution, 30 personnes environ ont été honorées de la qualité de ministre ; eh bien, dans ces trente personnes, combien y en a-t-il en qui appartinssent à ce qu’on appelle l’opinion catholique ? quatre ou cinq, les autres appartiennent à l’opinion exclusivement libérale. Et pourtant, étrange aberration de l’esprit de parti bientôt, au moyen des doctrines que je combats, il suffira d’appartenir à l’opinion religieuse, être sincèrement attaché au culte de ses pères, pour être frappé d’ostracisme, d’ilotisme sur le sol natal, pour être réduit en Belgique à la condition de paria !

Nous avions pensé jusqu’ici qu’il n’y avait plus d’esclavage, qu’il n’y avait plus d’ilotes ; et l’on veut renouveler l’esclavage, l’ilotisme ; l’on veut substituer l’aristocratie de la peau des républiques de l’Amérique, l’aristocratie de l’indifférentisme, pour opprimer ceux qui ne veulent pas faire bon marché des croyances religieuses qu’ils tiennent à conserver.

On parle toujours de l’envahissement de l’opinion catholique ; mais, je le répète, voyez les emplois. Les emplois sont-ils aux mains de l’opinion que vous appelez catholique, qui, dites-vous, domine le gouvernement depuis tant d’années, qui fait faire au gouvernement tout ce qu’elle veut. Partout on ne voit dans les emplois que des hommes appartenant à l’opinion libérale ; je n’attaque pas ces hommes, mais le drapeau sous lequel ils sont rangés prouve que ce prétendu système d’envahissement dont on cherche à vous effrayer est une chimère, prouve qu’on se crée un fantôme pour avoir le plaisir de le combattre, et que l’intolérance dont on nous accuse, n’existe que dans l’intolérance de nos détracteurs !

On parle, messieurs, des députés du parti catholique, on nous accuse de vouloir perdre le pays ; eh bien, je rappellerai le vote solennel et fatal qui nous a ravi une partie notable de nos frères ; n’est-il pas constant que presque tous les orateurs qui se sont opposés à cet odieux morcellement, que je voudrais, au prix de mon sang, pouvoir effacer de notre histoire, appartiennent à l’opinion que l’on attaque si injustement. Quels sont les membres qui se sont opposés avec le plus d’énergie à l’exécution du traité des vingt-quatre articles ? Ce sont MM. de Mérode, Dechamps, Dubus, Brabant, etc. ; dans le camp de ceux qui ont fait bon marché du Limbourg et du Luxembourg, figuraient MM. Verhaegen, Devaux, Lebeau, etc. Voilà cependant l’acte libéral par excellence, puisqu’il se rattachait à l’honneur, à la dignité nationale, aux lois les plus saintes de l’humanité. Il est vrai, et je me hâte de le dire, mon cœur en éprouve du bien-être, nous avons eu avec nous un homme dont j’honore le talent et le caractère, et dont je regretterai toujours l’absence, je veux parler de mon illustre ami M. Gendebien ; mais parmi les députés libéraux, étrangers aux provinces cédées, il n’y en a que six qui se soient joints à nous pour combattre le traité.

Messieurs, quand je vois de pareils faits, je me demanderais volontiers ce qu’on entend en Belgique par le libéralisme. Ce qu’on entend en Belgique par le libéralisme, est vraiment une chose difficile à définir. Pour moi, après avoir examiné attentivement les faits, après avoir examiné les votes de chacun, après avoir vu que les gens fort libéraux sont tous chamarrés de décorations depuis les pieds jusqu’à la tête, acceptant, reniant tour à tour des idées généreuses, tandis que ceux qu’on veut traquer comme catholiques sont restés ce qu’ils sont, pour se sacrifier à la cause de leurs convictions, je suis tenté de dire que le libéralisme, comme l’entendent certains hommes, c’est le charlatanisme des uns et la duperie d’un grand nombre d’âmes honnêtes.

Et l’on veut constituer la Belgique sur ces éléments ! Eh bien, pour mon compte, je ne vois pas de possibilité à organiser la Belgique sur de semblables bases. C’est maintenant de la modération qu’il faut à la Belgique ; nous avons combattu assez longtemps pour organiser la liberté dans le pays : nous sommes parvenus à ce but ; notre Belgique jouit de plus de liberté qu’aucun pays du monde. Conservons cette liberté, sachons en profiter, mais ne la compromettons pas. D’après ce que je viens de vous dire et que je vous devais, vous comprendrez, messieurs, pourquoi, depuis plusieurs années, vous ne m’avez plus vu faire au gouvernement une opposition aussi vive que dans le passé. Je n’ai pas fait d’opposition contre le ministère précédent, je n’en fais pas contre le ministère actuel, et je n’en ferai probablement pas contre le ministère qui lui succédera.

Le motif de ma conduite est très simple ; c’est qu’à la suite des vives secousses que nous avons essuyées, à la suite des tiraillements sans nombre que nous avons éprouvés, aujourd’hui que nous avons fait nos lois organiques, la chose qu’à mon avis nous devons désirer tous avec ardeur, c’est la consolidation du pays, et cette consolidation ne peut s’obtenir qu’à un seul prix, c’est que tous nous fassions, sur l’autel de la patrie, abnégation de notre ambition personnelle, pour nous rallier tous autour du drapeau de la nationalité. (Très bien ! très bien !)

M. David. - Messieurs, je n’eusse pas pris la parole, je voue l’assure, dans ces débats, si je n’avais vu la discussion écrier et prendre une marche que je ne crois pas tout à fait en rapport avec la loi qui vous est soumise.

Un fait sans exemple dans notre histoire, et qui doit avoir inspiré, à tous tant que nous sommes ici, une profonde indignation, vous a été naguère dénoncé. Des hommes jouissant d’une grande influence dans certaines de nos communes, aidés de leur propre fortune ou de subsides secrets, craignant de voir en danger les intérêts de leur parti, sont venus dénaturer notre corps électoral, en y introduisant un grand nombre de faux électeurs. Ces hommes s’attendaient à ce que leurs tentatives restassent dans l’ombre, mais depuis qu’elles ont été découvertes, ils se refugient derrière la lettre de la loi électorale, qui, selon eux, ne demande qu’une chose, le cens, sans se préoccuper de la possession de l’objet imposé. Or, il n’est pas possible que le législateur ait voulu conférer le droit sans le baser sur le fait.

Je dis que cela n’est pas possible, et je le prouve, car cela ne mettrait pas seulement le pays entre les mains de tel ou tel parti qui serait le plus enclin aux sacrifices pécuniaires, mais cela nous jetterait aux bras de l’étranger, le jour où il le voudrait. Il n’est point de puissance, parmi toutes celles qui puissent nous convoiter, qui ne donnerait dix fois ce qu’il faut pour faire une chambre belge qui lui fût dévouée.

Avec quelques millions, l’étranger aurait infailliblement la majorité nécessaire pour nous trahir et pour nous livrer. La pensée du législateur n’a donc pas pu être un instant douteuse : elle a voulu fonder la faculté civique d’élire des députés sur un gage, et ce gage c’est la possession.

Ceux donc qui ont tenté de corrompre ont fait une détestable spéculation : ils ont fondé une mauvaise action sur une mauvaise raison. Mais cette révolte contre l’esprit de nos mœurs politiques, et, pour l’honneur du pays, j’ajoute de nos mœurs privées, cette infraction audacieuse, révélée à cette tribune, a vivement ému le pays. La presse s’en est emparée : elle a fait son enquête, qui m’a paru un peu plus sérieuse que celle tentée par certains fonctionnaires. Elle a été à la recherche du mal et, en passant, elle a trouvé ses causes. Elle a cité les délinquants et leurs instigateurs ; elle les a accusés, elle les a nommés, elle les a flétris. Et moi aussi, je dirai, comme M. le ministre de l’intérieur, je l’en remercie.

Il était donc impossible que le gouvernement restât sourd au cri universel, qui tombait à la fois de la tribune dans le pays et dans la presse, et qui fut si bien justifié par des faits notoires. Je ne veux rien citer ici, ni noms, ni faits ; car, pour ma part, je voudrais ôter tout caractère d’irritation à ce débat, quoique je n’espère point réussir.

Vous le savez, messieurs, je n’ai jamais eu de sympathies pour ces dénominations qui depuis très longtemps parcourent sourdement nos rangs. Je dirai plus, je n’étais point, proprement dit, d’un parti politique dans cette chambre. Ami sincère et dévoué de l’ordre et de nos libertés, respectueux envers la religion et les hommes qui ont mission de l’enseigner et de la répandre, j’étais de ceux qui croyaient qu’un loyal représentant doit être avant tout dans la vérité politique, c’est-à-dire avec les hommes qui, selon sa conscience, comprennent le mieux les intérêts moraux et matériels du pays, sans se préoccuper d’autre chose. Car je n’admets pas la perfide insinuation que vient de lancer à l’instant l’honorable M. Dumortier que pour être libéral il faille persécuter les prêtres. C’est une exagération à laquelle nous n’aurons pas à répondre : et dont la Belgique entière fera justice. C’est une exagération que nous repoussons de toutes nos forces.

M. Dumortier. - Je n’ai pas dit cela.

M. David. - Nous l’avons tous entendu, On ne renie pas ainsi ses paroles. Vous l’avez dit à l’instant.

Mes mandants ont si bien compris que tel serait mon rôle à la chambre, que j’ai été l’élu des hommes modérés de toutes les opinions. Je ne veux donc pas me passionner, car je ne voudrais être ingrat envers personne. Mais si, depuis tantôt deux années, je me suis presque toujours rangé du côte de l’opposition, c’est parce que je n’ai trouvé la modération dans les actes qu’au milieu des amis qui m’entourent ; c’est parce que j’ai cru voir que dans différentes lois de circonstance, la majorité de la chambre et le ministère qu’elle avait adopté sortaient de cette sagesse politique que je m’étais imposé de soutenir et de défendre sur ces bancs.

Déjà, messieurs, dans de précédentes discussions, je vous ai entretenus des craintes qui m’assiégeaient alors, et je dois le dire à mon grand regret, aujourd’hui, je n’ai rien à en rabattre, à chaque nouvelle circonstance, au contraire, mon opinion se fortifie.

Car, messieurs, que faisons-nous en ce moment ou plutôt que devrions-nous faire ? Une chose, une seule chose, empêcher les faux électeurs de voter.

Que fallait-il pour cela ? Contraindre ceux que les fonctionnaires publics ou la presse ont désignés hautement par noms, prénoms et domicile, de se justifier de l’accusation de fraude lancée contre eux.

La loi électorale est formelle ; si parmi nous il y a un seul membre assez mal avisé pour soutenir que moyennant 30 florins, il est permis au premier venu de faire un électeur en Belgique, concourons tous à lui prouver qu’il se trompe et ne nous arrêtons pas dans notre œuvre morale et nationale.

En faisant donc un projet de loi à peu près ainsi conçu :

« Tout électeur dénoncé comme faux électeur, soit dans l’enquête du gouvernement, soit dans les feuilles publiques, doit justifier de la possession de l’objet imposé. S’il a menti, il sera rayé de la liste, et pour cette fois la loi lui pardonne. »

M. Demonceau. - Et si le journal a calomnié ?

M. David. - Mais n’avez-vous donc pas l’enquête ? Mais c’est précisément alors que l’enquête du gouvernement sera utile.

Ou je me trompe fort, messieurs, ou en moins d’un jour les agents du gouvernement pourront découvrir la vérité que, du reste, lis connaissent déjà.

Rien n’est donc plus facile, si les fonctionnaires publics veulent concourir loyalement au but que nous nous proposons que de frapper les coupables, sans pour cela torturer le moins du monde une de nos lois constitutives.

Or, au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? Je vais vous le dire : On a présenté un projet qui fait de la reforme électorale, tout en repoussant la réforme électorale ; un projet qui légalise une fraude patente, pourvu qu’elle persévère, et qui fraude ou anéantit un droit, en repoussant, pour 1843, des électeurs loyalement arrivés au cens. J’appuie sur ce double fait, que j’appellerai une monstruosité, un projet qui est un contresens avec l’esprit de l’œuvre du congrès, qui a laissé la loi électorale ouverte aux législatures à venir, dans le but évident de l’élargir et non de l’étriquer, de l’amoindrir ;

Un projet qui contient une pensée mesquine de défiance et de suspicion, qui condamne au huis-clos le jugement électoral, c’est-à-dire, l’acte politique le plus souverain ;

Un projet qui va froidement à l’encontre de nos sentiments, de nos idées modernes ; où tout semble posé, calculé, prévu contre le corps électoral tout entier, comme si c’était lui qui fût coupable, comme si c’était lui qui vînt traîtreusement exercer le plus saint et le plus précieux de ses droits.

Non, messieurs, il n’est point possible que la chambre puisse adopter ce projet ; elle ne peut point accidentellement refaire l’œuvre de ses prédécesseurs. Elle ne peut pas amnistier les faussaires, alors qu’ils paieraient une année de plus un cens imaginaire. Elle ferait ainsi une loi pour les faux électeurs et non contre eux. La chambre ne peut pas anéantir un droit loyal et légal qui appartient de fait aux électeurs nouveaux. Elle ne peut pas dire au pays électoral tout entier : Je me méfie de vous.

D’ailleurs la chambre oserait faire tout cela, j’en ai l’intime conviction, qu’elle n’obtiendrait qu’un effet contraire à celui qu’elle en espérerait.

Au lieu d’élections calmes, messieurs, vous auriez des élections passionnées ; au lieu de modération, vous auriez de la violence ; au lieu d’oubli pour certains faux électeurs, que certainement je ne désignerai pas ici, vous verriez éclater une exaspération excusable et, en définitive, une agitation bien autrement dangereuse que si vous donniez une juste satisfaction aux exigences de l’opinion publique.

J’achève, messieurs, en exprimant à M. le ministre de l’intérieur mon plus douloureux regret de ce que ce soit encore lui qui nous ait présente une telle loi. Je le déplore profondément. Personne plus que moi dans cette chambre n’avait de sympathies vives pour l’honorable M. Nothomb ; personne plus que moi ne désirait sa présence au pouvoir, et 1839 est là pour le prouver abondamment. Aujourd’hui encore, tout en me rendant à l’évidence des faits, j’hésite à l’accuser avec la même sévérité que beaucoup de mes honorables amis et collègues qui m’entourent ; mais je dois l’avouer avec franchise, presque tous les reproches qui lui sont adressés sont plus que légitimés par des apparences, par des actes patents.

Si M. le ministre de l’intérieur croit, dans sa conscience, être resté dans le rôle de milieu, qu’il disait avoir accepté en venant prendre possession du siège ministériel, ses préoccupations obscurcissent un peu sa haute raison. Les jours sont rares où je l’ai vu tenir la balance d’une main ferme et impartiale.

Tout ce qui s’est fait dans cette enceinte en faveur d’une seule opinion ne peut pas être un pur effet du hasard, ou le hasard a été singulièrement persévérant et logique.

Si donc M. le ministre de l’intérieur n’a jamais pu corriger les événements en faveur de la très grande et très vivace opinion libérale, je regrette alors de devoir être aussi sobre d’éloges que je l’ai été de reproches. Mais je dois le dire, le talent gouvernemental de l’honorable M. Nothomb a reçu des atteintes de ce que j’appellerai son caractère négatif, pour ne pas dire sa faiblesse.

M. Eloy de Burdinne. - Je vous avoue, messieurs, que j’étais loin de m’attendre à devoir prendre la parole dans cette discussion, et je ne l’aurais pas fait, si des honorables membres n’étaient venus jeter dans ce débat du blâme, des craintes même sur l’influence des campagnards dans les élections. Comment a-t-on traité l’art. 11 du projet de loi qui nous est soumis ? En le discutant, un honorable membre appartenant à une grande ville, est venu vous dire, de crainte de dénaturer ses paroles, je vais vous les lire : « Je vous demande si vous aurez plus de garantie et s’il sera bien édifiant pour les électeurs des villes de voir leurs opérations contrôlées par des bourgmestres des campagnes. »

Quelle insulte ! voir des campagnards contrôler les opérations des électeurs des villes l Je vous prie de remarquer que les électeurs campagnards représentent trois millions d’habitants de la Belgique, et que les électeurs des villes n’en représentent qu’un million. Si dans un gouvernement représentatif ce sont les majorités qui doivent gouverner, vous accorderez une certaine confiance, même une certaine importance aux électeurs des campagnes, représentant une population trois fois aussi nombreuse que la population des villes.

Ces trois millions de campagnards sont loin d’être dans le cas d’influencer les villes. C’est le contraire qui a lieu sous l’empire de la loi électorale qui nous régit. C’est un million d’habitants des villes qui asservit trois millions de campagnards.

Il y a quelques années, les conseils communaux des villes de Bruxelles, de Liége et de Gand ont adressé des réclamations à la chambre pour demander la révision de la loi électorale. J’avais cru dès le début que leur intention était de donner à toute la nation le même droit de concourir à la nomination de la représentation nationale. Mais loin de là était leur pensée ; au contraire, ils voulaient encore diminuer l’influence des campagnes dans la nomination des membres de la représentation nationale.

Messieurs, je crois que, pour parvenir à ce que le pays soit convenablement représenté, c’est le système de la division, du fractionnement du pays en autant de collèges électoraux qu’il y a de députés à nommer, qu’il faut adopter. Je sais qu’on va m’objecter que ce n’est pas du libéralisme. Eh bien, je vous citerai l’opinion d’un homme qui, j’aime à le croire, est considéré par vous aussi bien que par moi comme vraiment libéral, de l’honorable M. Gendebien qui, dans cette enceinte, en a fait la proposition, proposition que j’ai appuyée.

Je vous demande s’il est juste de faire voyager des citoyens pour exercer leur droit politique, de leur faire faire 20 lieues. Je citerai la commune de Stavelot, dont les électeurs doivent venir à Huy pour exercer leur droit politique. Il faut dix lieues pour venir et dix lieues pour retourner, ce qui fait bien 20 lieues. Dans le district de Nivelles, il y a des communes dont les électeurs doivent faire le même trajet. Chaque élection leur nécessite trois ou quatre jours d’absence. Qu’en résulte-t-il ? Qu’une grande partie des électeurs de ces localités ne prennent pas part aux élections. La localité où l’élection se fait a un véritable privilège, car le plus souvent c’est elle qui nomme le représentant à la chambre. Et vous appelez cela du libéralisme ! Moi, j’entends le libéralisme autrement. Vous avez vu souvent que les électeurs des localités éloignées partaient avant le dépouillement du scrutin, et quand il y avait ballottage. C’était le chef-lieu électoral qui nommait le député. J’espère que vous n’appellerez pas cela le député de la nation, mais le député du chef-lieu électoral.

On ne veut ni du fractionnement des collèges, ni d’aucune autre modification à la loi électorale. Moi aussi, j’étais autrefois contraire à toute modification, mais, aujourd’hui, je serai le premier à en provoquer. Je regrette beaucoup que M. le ministre de l’intérieur ne veuille pas entrer dans cette manière de voir et chercher à faire une loi électorale qui soit une vérité, en un mot faire en sorte que chaque localité soit représentée à la chambre. On se fait un fantôme de ce système. Nous avons cependant une province tout entière qui est fractionnée de cette manière. La province de Luxembourg a autant de districts électoraux que de députés à nommer. Je ne vois pas pourquoi les prétendus libéraux s’opposent à l’établissement de ce système dans les autres provinces. On ne peut pas cependant reprocher à cette province de ne pas faite de nominations libérales.

Enfin, pour éviter les fraudes électorales dont on nous a tant parlé, il ne s’agirait que de former dans le pays autant de districts électoraux qu’il y a de députes à élire et de décider que les plus imposés, à raison de tant, sur une population de … à fixer, seront électeurs. Alors se renfermant dans la constitution de manière à ne pas outrepasser 100 florins et ne pas descendre au-dessous de 20 fl. on aurait un moyen de faire représenter convenablement toutes les localités et on éviterait ce qu’on appelle des fraudes électorales.

En outre, en adoptant un système semblable, ne déplaçant pas les électeurs, la représentation serait une vérité, et non pas un mensonge, comme cela arrive très souvent. Dans l’arrondissement de Bruxelles, dont les électeurs sont au nombre de deux mille, vous avez vu faire un député avec 500 ou 600 électeurs. Dira-t-on que c’est là le députe de l’arrondissement de Bruxelles ? Non, c’est le député du quart environ de la population de l’arrondissement de Bruxelles.

La loi que nous faisons remédiera à quelques abus. Nous sommes loin de parvenir à les reformer tous.

On vous a signalé des fraudes électorales ; s’il m’était permis d’entier dans des détails, je pourrais vous en signaler, de la part d’une opinion opposée à celle qu’on accuse, de plus nombreuses que celles qu’on vous a dénoncées. Je m’en abstiendrai afin de terminer une discussion qui, selon moi, a déjà été trop longue.

En terminant, je déclare m’opposer à la domination d’un parti quelconque, je ne reconnais de domination que celle de la loi. C’est elle qui doit nous gouverner, nous diriger. C’est cette influence que je veux, et je n’en veux pas d’autre.

M. le président. - La parole est à M. de Theux.

M. Delfosse. - Je crois qu’on devrait entendre un orateur pour le projet et un orateur contre.

M. de Theux. - Si ou veut adopter cet ordre, je ne m’y oppose pas.

(Moniteur belge n°77, du 18 mars 1843) M. Devaux. - Messieurs, j’ai tardé à prendre la parole, la discussion jusqu’ici ressemblait quelque peu un monologue. Aujourd’hui des orateurs ont enfin pris la défense du ministère. Je conçois qu’on s’y soit décidé avec quelque peine. La politique du cabinet est de celles qu’il est plus facile d’appuyer par des votes silencieux ou par des murmures collectifs que par des discours, et la loi actuelle réfléchit fidèlement la politique du cabinet ; elle nous donne la mesure de son indépendance, de sa hardiesse, de sa franchise, elle nous donne aussi la couleur de ses sympathies.

Dans une séance du mois de décembre, car nous sommes déjà à trois mois de là, un honorable membre vint dévoiler à la chambre les fraudes, au moyen desquelles on espérait fausser la majorité électorale au mois de juin prochain. Surpris par la brusque dénonciation de pareils faits, sommé de s’expliquer, M. le ministre de l’intérieur se lève et laisse échapper de ses lèvres la promesse d’une enquête, la promesse d’un projet de loi pour réprimer ces abus.

M. le ministre avait-il déjà en vue dans ce moment un projet de loi semblable à celui qu’il vous a présenté ? Je lui fais cette justice de croire que non. Une demi-heure s’écoula, et déjà M. le ministre avait quelque peu changé d’opinion ; déjà il commençait à reconnaître qu’il avait été un peu loin, et la seconde fois qu’il prit la parole, on vit qu’il songeait à contenter une autre partie de la chambre ; l’illusion de M. le ministre était détruite ; il s’était cru libre un instant, mais à peine remis sur son banc, il ressentait déjà le poids du joug auquel il est soumis ; ce joug, il ne l’a plus oublié depuis, son projet de loi en fait foi.

Pour M. le ministre de l’intérieur, le problème à résoudre était celui-ci : Etant donné les fraudes électorales, la publicité qu’elles avaient reçue, l’effet fâcheux qu’elles avaient produit ; étant donnée en même temps, la promesse faite par M. le ministre, trouver un projet de loi qui, en ayant l’air de réprimer les fraudes électorales, donne en réalité des avantages nouveaux au parti qu’on accuse de les avoir commis au détriment de celui qui en a demandé la répression.

La justice qu’il était impossible de refuser à l’opinion libérale, on résolut non de la lui donner, mais de la lui vendre. D’abord il fallait arranger les choses de manière à rendre l’enquête illusoire, on avait dit d’avance au gouvernement quels étaient les documents qui devaient constater ces fraudes ; ils n’étaient pas nombreux, c’était la comparaison, commune par commune, des déclarations de patentes et de contributions personnelles faites pendant le dernier semestre de 1842 avec celles qui avaient été faites pendant le second semestre de 1841. Le projet de loi fut présenté, il fut renvoyé en sections, et aucun document de ce genre ne nous fut communiqué. Ce ne fut que sur les instances des sections qu’une partie des documents demandés nous fut fournie, et on nous les communiqua le jour même de l’ouverture de la discussion. On avait essayé d’abord de nous contenter avec les rapports des gouverneurs et des commissaires de districts. Ces fonctionnaires avaient eu mission de s’adresser, à qui ? Aux administrations communales pour s’enquérir, sans doute, des bruits publics. Qu’est-il arrivé ? C’est qu’à peu de chose près on s’est borné à répéter les mêmes faits que les journaux avaient dévoilés, et qu’on ne pouvait cacher. Un gouverneur convient très franchement que l’enquête, telle qu’elle était faite, ne pouvait faire découvrir toute la vérité.

Un fait que je ne veux pas passer sous silence, c’est qu’il est tel de ces rapports où un fonctionnaire du gouvernement se refuse véritablement à dire la vente ; il répond à la circulaire du ministre par une équivoque ; et de pareilles pièces ont été soumises à la chambre comme des documents sérieux ! Quand on a demandé ce qui s’est passé dans la second semestre de 1842, on répond en rapportant ce qui s’était passé dans le second semestre de 1841, et la réponse est tellement embrouillée, que la presse même du pays y a été trompée pendant près d’un mois ; elle ne s’est pas imaginé qu’il y avait là un équivoque. Et de pareils rapports, M. le ministre ne les a pas renvoyés à ses subordonnés, il ne leur a pas dit que c’était se jouer de la chambre et du gouvernement que de répondre ainsi aux demandes qu’il avait faites. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Parce qu’il est des localités où les subordonnés de M. le ministre sont plus forts que lui ; ce n’est pas lui qui leur fait exécuter des ordres qui leur déplaisent, ce sont eux qui trop souvent lui imposent leurs propres volontés. Si le ministre leur prescrit une enquête, il est obligé d’accepter la forme et les délais qui leur conviennent ; comme lorsqu’il s’agit des fonctionnaires communaux, il est obligé de nommer les candidats qu’ils lui désignent. Dans ces localités ses subordonnés sont plus forts que lui, parce qu’ils inspirent plus de confiance que lui au parti, au pouvoir occulte dont lui-même dépend. (Interruption.) Oui messieurs, il est des localités où le gouverneur et le commissaire de district sont plus forts que le ministre, où ils imposent leurs mesures et leurs hommes au gouvernement trop faible pour leur résister.

On a fini cependant par nous communiquer quelques chiffres, mais on a attendu pour cela l’ouverture de la discussion. On les avait fait précéder d’un résumé où on nous donne, quoi ? les opinions des percepteurs des contributions sur les fraudes commises, sur les déclarations suspectes. Ce qu’il nous faut, ce ne sont des opinions de fonctionnaires qu’on tient en ce moment sous certaines impressions, sous certaines craintes qui ont été avouées par un gouverneur dans son enquête : ce sont des faits.

Dans la note qui précède on avait commencé par nous dire que les fraudes n’existaient dans telle province que dans cinquante communes, dans telle autre, que dans trente communes ; est-ce donc si peu de chose qu’une fraude qui dans une province s’étend à cinquante communes ? Messieurs, j’ai voulu, autant que cela était possible avec des renseignements aussi incomplets, voir les chiffres ; je me suis demandé si réellement le chiffre excluait la possibilité de fraudes un peu considérables, et voici le résultat auquel je suis arrivé.

Si on prend le chiffre des déclarations supplétives de la contribution personnelle du deuxième semestre de 1842, et qu’on le compare avec les déclarations supplétives du deuxième semestre de l’année antérieure, on trouve que, pour le pays tout entier, il y a diminution. Mais ne nous hâtons pas d’en conclure qu’il n’y a pas eu de déclarations frauduleuses. Au lieu de prendre le chiffre global pour le pays tout entier, bornons-nous aux provinces, qui vont élire au mois de juin 1841, et la scène va quelque peu changer. Faites pour ces quatre provinces la comparaison entre les déclarations supplétives de 1842 et celle des deux années antérieures, voici ce que vous trouverez : dans le 2ème semestre 1840 il y a en pour 6,000 francs de déclarations supplétives ; dans le second semestre 1841, pour 7,000 fr. ; et dans le 2ème semestre 1842, pour 14,000 fr. Ainsi pour la contribution personnelle, la valeur a tout simplement doublé dans les provinces qui vont élire. Ainsi la différence est du double. Avec cette différence on peut compléter le cens d’au moins 500 électeurs ; et avec 500 électeurs je mets en fait qu’on peut, si on a la faculté de les répartir dans tel collège qu’on juge convenable, décider de la majorité électorale et de la majorité parlementaire du pays ; car la majorité parlementaire peut dépendre d’un ou de deux collèges ; et les élections se font-elles à de très grandes majorités ? Rappelez-vous ce qui s’est passé il y a deux ans ; dans combien d’arrondissements les élections n’ont-elles pas eu lieu à 40 voix, 30 voix, 20 voix et même 10 voix de majorité. Je n’ai qu’à vous rappeler celles de Bruxelles, d’Anvers, de Nivelles, de Bruges, de Fumes, de Dixmude, etc. ; ainsi, messieurs, 500 faux électeurs, et les documents qui nous sont fournis nous attestent la possibilité de leur existence, pourraient décider de la majorité électorale du pays. Mais je n’ai parlé que de la contribution personnelle ; passons aux patentes.

Les déclarations supplétives du dernier semestre de 1841 et de 184’2, offrent ce résultat : pour le pays tout entier, il y a eu augmentation de 110,000 fr. pour l’année 1842.

L’augmentation pour les seules provinces qui doivent élire cette année s’élève à 77,000 fr. et notez que d’ordinaire ces provinces ne figurent dans le produit général des patentes que pour la moitié du pays tout entier ou très peu plus. Je demande si ce fait n’est pas de quelque importance, et si on peut dire que les documents fournis constatent que les fraudes sont peu nombreuses et peu graves, ainsi que l’a avoué M. le ministre de l’intérieur.

On répondra que ce sont les nouvelles patentes des marchands ambulants qui forment cette différence ; et je vois l’honorable M. Dechamps faire un signe affirmatif. Messieurs, les patentes devraient agir également et dans les provinces qui vont élire, et dans celles qui n’éliront pas cette année. Si vous prenez les renseignements donnés par M. le ministre des finances, vous verrez que la somme des patentes pour les marchands ambulants est égale dans ces deux divisions du pays. Ce n’est donc pas là ce qui peut constituer la différence. En effet, si vous retranchez ce qui provient des marchands ambulants, vous trouverez encore une différence de 38,000 fr. pour les provinces qui vont élire.

Il y a eu dans ces provinces pour 38,000 fr. de déclarations de patentes de plus dans le second semestre de 1842, que dans le second semestre de 1811. Or, messieurs, 38,000 fr. ont pu constituer le cens, ou au moins compléter le cens de 1,000 de 2,000, peut-être de 3,000 électeurs. Voilà ce que nous apprend le document financier. Je ne dis certainement pas que ce document constate qu’un aussi grand nombre de fraudes ont été commises ; mais je dis qu’il en consiste la possibilité, et que loin de détruire la possibilité de la fraude sur une échelle un peu étendue, il en rend l’existence très vraisemblable.

L’enquête amoindrie, il fallait ensuite que la loi ménageât autant que possible les auteurs des fraudes commises. Déjà on les avait représentés ici comme dignes de nos ménagements ; dernièrement encore on n’a pas même voulu leur faire l’injure de traiter leurs déclarations de frauduleuses ; on a fait une distinction et on ne les a plus appelées que des déclarations indues.

C’est ce que fait l’art. 2. Il est plein de ménagement pour les fraudeurs. Lisez-le ; il est impossible de dire si la fraude est une bonne ou une mauvaise chose ; si c’est une chose morale ou immorale, licite ou non licite.

M. de Foere. - Je demande la parole.

M. Devaux. - Quelques orateurs ont prétendu que cet article légitimait la fraude ; je n’irai pas jusque là ; je ne dirai pas qu’il légitime la fraude, mais qu’il laisse la question dans un doute, une obscurité fort étrange, aujourd’hui qu’elle a été soulevée.

Mais, dit-on, il y avait urgence. Il y avait urgence !, On ne pouvait nous présenter un système complet, un système définitif, et l’on a mis deux mois à nous présenter la loi. C’eût été prolonger la discussion ! Et on ne craint pas de la prolonger en ajoutant 16 ou 17 articles nouveaux qui n’avaient aucun trait à la fraude dénoncée. Messieurs, tout le reste de la loi, il est impossible de se le dissimuler, est rédigé à l’avantage d’une seule opinion. Je le demande, aurait-on jamais pensé aux articles qui suivent celui dont je viens de parler, aurait-on jamais présenté un projet de loi à la chambre s’il ne s’était agi des fraudes électorales ? Ainsi, il faut que cette circonstance des fraudes électorales vienne profiter précisément à ceux qu’on en accuse.

Messieurs, je ne suivrai pas l’honorable orateur, membre du conseil des ministres qui parlait quand j’ai demandé la parole ; je ne le suivrai pas aujourd’hui dans la discussion des articles. Nous en sommes à l’appréciation de l’esprit général de la loi. Quand nous en viendrons aux articles, nous ne ferons pas défaut à la discussion, et je crois que la discussion publique fera voir tout ce que contiennent ces articles. Il en est que je prévoyais d’avance ne pas pouvoir être soutenus publiquement par le gouvernement, une fois que leur portée aurait été dévoilée. J’étais sûr que l’art. 11 sur la composition des bureaux des scrutateurs, une fois que la discussion aurait fait voir ce qu’il contenait, ne pourrait être soutenu. Il en est d’autres peut-être de ce genre ; j’attendrai, pour m’en expliquer, la discussion des articles. Il y a dans plusieurs ou bien une telle imprévoyance, ou bien des artifices si grossiers, des petits pièges que je dirai si niais, que réellement on croirait que plusieurs de ces dispositions ont été rédigées par des marguilliers de village. (On rit.)

Vous vous récriez, eh bien ! je vais vous en donner un seul exemple, pour le moment.

Je prends l’art. 11 relatif à la composition des bureaux des scrutateurs. Cet article dit que, pour composer les bureaux des scrutateurs, on prendra d’abord les bourgmestres ; 2° les échevins ; 3° les conseillers communaux.

Eh bien, je dis que cet article est une hypocrisie. Jamais il ne s’agira de conseillers communaux. Il faut dans un bureau quatre scrutateurs. Dans un district électoral, il y a 40, 50 ou 100 communes, par conséquent, 100 bourgmestres. Vous aurez donc toujours 4, 5, 6, 7 fois plus de bourgmestres qu’il ne vous en faut pour constituer les bureaux de scrutateurs, et dix fois plus d’échevins qu’il ne vous en faut. Ainsi pourquoi les conseillers communaux figurent-ils là ? C’est pour masquer le but du projet, qui est de donner les fonctions de scrutateurs aux bourgmestres, désignés, comme la discussion des articles vous le fera voir, désignés par le commissaire de district. Voilà ce que c’est que l’article 11, et voilà ce qui fait qu’on ne pourra en soutenir la discussion ; il aurait fallu, pour que cet article passât, que la discussion s’abstînt de dissiper le vague dans lequel il est rédigé ; mais du moment que le voile était déchiré, il devait disparaître.

M. le ministre de l’intérieur vous a dit : ce que j’ai voulu dans cet article, c’est que les bureaux fussent nommés d’avance ; je n’en veux pas davantage. Mais était-il besoin d’une disposition si compliquée pour que les bureaux fussent nommés d’avance ? Rien n’était plus simple. Aujourd’hui c’est le bureau principal qui nomme les scrutateurs des bureaux secondaires. Que ne vous borniez-vous à dire que cette désignation se ferait dix jours à l’avance ? Qu’était-il besoin de ces listes de bourgmestres ? En quoi les bureaux se trouveront-ils composés plus tôt si des bourgmestres ont seuls droit d’en faire partie ?

Je ne dis ceci que parce qu’on m’a interrompu ; ces explications et d’autres de ce genre, nous les réservons pour la discussion des articles.

Avant-hier, et hier encore, j’ai entendu M. le ministre de l’intérieur se plaindre amèrement de ce qu’il appelle système de suspicion et de défiance dirigé contre lui. M. le ministre est surpris, à ce qu’il semble, qu’il puisse exciter de la défiance contre lui dans cette chambre. Oh ! injustice des hommes ! De la défiance contre une politique empreinte de tant de franchise, d’une candeur si virginale ! De la défiance ! Vous vous plaignez qu’on ait de la défiance à votre égard, et il s’agit d’élections ! Et c’est vous qui êtes venu confesser à cette chambre que vous étiez arrivé au pouvoir pour empêcher les électeurs d’être consultés, pour empêcher un appel au pays ! Votre système, votre existence ministérielle repose sur la défiance que le pays électoral vous inspire.

De la défiance ! messieurs, et le lendemain de la nomination du ministère on refusait de se soumettre au vote des électeurs auquel la loi astreint les ministres nouvellement élus.

Un programme avait été envoyé aux gouverneurs, les élections arrivent, et ce programme est mis en pièce. Le rôle électoral du gouvernement est le contre-pied de sa promesse. Et vous vous étonnez de la défiance contre vous en matière électorale !

Quand vous êtes venu demander de changer l’institution communale, quand vous avez fait voter la loi sur les bourgmestres, la loi du fractionnement, sur quoi vous appuyiez-vous ? Mais sur la défiance que vous inspirent les électeurs. C’était parce que vous vous défiiez des électeurs, que vous vouliez la nomination des bourgmestres ; c’était parce que vous vous défiiez de la majorité électorale, que vous vouliez la fractionner en divers collèges.

Et votre enquête, cette enquête avec ses lacunes, et ses indignes équivoques, n’autorise-t-elle pas la défiance ?

Récemment, quand nous vous avons demandé de faire connaître vos actes, que nous avez-vous répondu ? Que vous ne vouliez pas les publier. Un des principaux actes qu’un ministre de l’intérieur puisse accomplir, a été accompli depuis peu de mois : la réorganisation de toutes les administrations communales. Il s’agit de la nomination de six à sept mille fonctionnaires. Et quand on demande à M. le ministre de l’intérieur de nous donner les moyens de connaître les actes qu’il a posés, il s’y refuse ; il ne consent qu’à publier un tableau, où il est impossible de trouver les éléments d’une appréciation quelconque. Après un calcul fort compliqué, j’ai trouvé que M. le ministre de l’intérieur vient de nommer cette année cinq cents bourgmestres nouveaux, qu’il a placé à la tête des communes cinq cents personnes qui antérieurement n’avaient pas cette position. Et quand on demande à M. le ministre de l’intérieur d’indiquer quelles sont ces personnes, quelles sont les cinq cents localités où il a nommé des bourgmestres nouveaux (je ne parle pas des échevins, le calcul n’en a pas été fait, tous les éléments manquent), il s’y refuse. Et vous voulez qu’on n’ait pas de défiance ! Vous voulez acquérir la confiance par le secret de vos actes !

Et quelle est votre réponse ? C’est que la chambre veut faire de l’administration. Si la chambre voulait faire de l’administration, je saurais combattre cette tendance comme vous. Mais faire de l’administration, c’est se mêler des actes avant qu’ils soient accomplis ; demander au contraire à connaître les actes, lorsqu’ils sont accomplis, lorsque par leur nature ils comportent si peu le secret, c’est tout simplement réclamer l’exécution des conditions les plus simples du gouvernement représentatif.

Quoi ! n’êtes-vous plus responsables, responsables je ne dirai pas même légalement, mais au moins moralement de vos actes ? ! a-t-il une responsabilité sans la publicité ? Un des faits principaux de votre administration, la nomination des bourgmestres, est-elle une œuvre qui doive échapper à cette responsabilité morale ? Si vous ne le croyez pas, si la promesse que vous avez faite formellement à la chambre n’est pas sans valeur, pourquoi l’éludez-vous ?

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement, que M. le ministre de l’intérieur élude ainsi ses promesses, je puis dire, manque formellement à ses promesses. Dans la discussion de la loi communale, il s’était engagé de la manière la plus formelle (je n’examine pas s’il a eu tort ou raison) pour obtenir cette loi, de rendre compte des motifs qui lui feraient nommer les bourgmestres hors du conseil ; rend-il compte aujourd’hui des motifs qui lui ont fait nommer des bourgmestres en dehors du conseil ? Ne s’y refuse-t-il pas, au contraire, en termes aussi formels, que la promesse même ? Voici un autre exemple de cette même sincérité : Dans la discussion de la loi sur l’instruction primaire, M. le ministre de l’intérieur a fait à une partie de cette chambre cette déclaration, que les principes de la loi sur l’enseignement primaire devaient se renfermer, quant à leur application, dans l’enseignement primaire, que la loi ne devait pas être un précédent qui pût être invoqué pour l’instruction moyenne ou pour l’instruction supérieure ; c’est cette déclaration plusieurs fois répétée par le ministre, confirmée par le rapporteur de la section centrale, qui porta plusieurs membres de la chambre à adopter cette loi. Eh bien, messieurs, deux mois après, M. le ministre imposa ces mêmes principes à un collège, et lorsqu’on lui a demandé des explications à cet égard il a refusé d’en donner.

De la défiance ! Mais le bruit ne court-il pas déjà que vous empêcherez les chambres de revenir après les vacances de Pâques ? Pourquoi ? Parce que les élections prochaines réclament tout notre temps ; parce que votre campagne électorale est déjà commencée et qu’elle réclame toute votre activité. De la défiance ! Mais cette défiance ce n’est pas seulement sur nos bancs qu’elle existe ; elle est tout autour de nous ; de tous les côtés de la chambre on se défie de vous, les uns parce que vous avez abandonné leurs rangs, les autres parce qu’ils craignent que vous n’abandonniez les leurs. Hier, vous avez émis ici des vœux bien solennels en faveur du succès électoral du parti qui vous soutient, mais vous avez oublié, pour lui ôter toute défiance, de lui faire la promesse que, s’il succombait, vous succomberiez avec lui.

Après les discours qui avaient été prononcés dans cette enceinte, je m attendais à une justification nouvelle du ministère ; il s’était jusqu’aujourd’hui si peu défendu sur le terrain politique, qu’il était temps de ne plus en laisser passer l’occasion. Quelle a été sa défense ? celle que nous avons déjà entendue est réfutée une fois : qu’il est venu au pouvoir pour reconstituer l’ancienne majorité de 1831 ou de 1832 (je ne sais pas bien la date). Quand on entend un ministre tenir sérieusement ce langage, on est tenté de se demander avec un personnage de la comédie : « mais qui donc trompe-t-on ici, tout le monde est dans le secret ? » Vous reconstituez l’ancienne majorité ; votre majorité c’est l’ancienne majorité et un honorable membre, l’honorable M. Dumortier, vient de défendre à son tour l’ancienne majorité ; il n’y a qu’une chose qui m’embarrasse ici, c’est que cette ancienne majorité l’honorable M. Dumortier n’en était pas, que lorsqu’elle existait il était, lui, de la minorité contre elle et ne trouvait souvent pas de paroles assez amères pour la combattre.

L’ancienne majorité, où donc est-elle aujourd’hui ? Le plus ardents partisans de l’ancienne minorité sont dans votre camp, ce sont eux qui vous appuient avec le plus de zèle ; une grande partie de ceux qui faisaient partie de l’ancienne majorité sont dans le camp opposé. Et dans les dernières élections, était-ce aux membres de l’ancienne majorité que vous étiez favorable ? Et pour les élections prochaines, est-ce en faveur des membres de l’ancienne majorité que vous déplacez les commissaires de district ; seront-ce les membres de l’ancienne majorité que vous appuierez ?

« Si ce ne sont les mêmes hommes, direz-vous, ce sont les mêmes principes. » Et quels principes ? Ne s’est-il rien passé depuis douze ans, dans le pays, dans les partis ? Sur quoi portaient la dissidence des opinions entre l’ancienne majorité et l’ancienne minorité ? En premier lieu, sur la politique extérieure ; en second lieu, sur les limites des prérogatives du pouvoir. La politique extérieure : cette question n’existe plus, elle a été terminée en 1839, et c’est avec l’opposition d’aujourd’hui, comme l’honorable M. Dumortier l’a rappelé tout à l’heure, c’est avec les hommes que vous combattez aujourd’hui que vous avez amené l’adoption du traité de paix ; c’est contre une grande partie des membres de la majorité actuelle que la paix a été obtenue.

Les prérogatives du pouvoir, où sont-elles combattues, de quel côté de la chambre sont-elles le plus contestées ? Quel est donc le parti dans cette chambre, qui comprend le mieux la dignité, l’indépendance du pouvoir, les droits du pouvoir ? Mais les deux côtés de la chambre ont été ministériels, les deux côtés de la chambre ont successivement soutenu l’un ou l’autre ministère. Quelle est donc la partie de la chambre qui défend, sous ce rapport, à l’exclusion de l’autre, les doctrines de l’ancienne majorité ? Je le répète encore une fois, ceux qui jadis ont le plus violemment attaqué les prérogatives du pouvoir sont dans notre camp et précisément ce qui nous sépare aujourd’hui, c’est que nous croyons mieux comprendre la dignité du pouvoir que vous ne représentez pas, mais que vous humiliez, c’est que nous croyons mieux comprendre l’indépendance du pouvoir que vous sacrifiez, les prérogatives du pouvoir que vous abandonnez.

Ainsi, vous n’avez pas le courage de vous prononcer entre les partis actuels, mais vous avez celui de vous prononcer entre les partis qui n’existent plus. Vous avez le courage de dire : « Je suis pour l’ancienne majorité ; je suis l’adversaire de l’ancienne minorité, » parce que l’ancienne minorité, vous ne l’apercevez plus, je crois vraiment que vous auriez le courage de vous déclarer antirépublicain. Vous en avez un autre : Hier vous aviez le courage de vous déclarer anti-orangiste, au moment où l’orangisme a déclaré qu’il n’existait plus à l’état de parti.

Ainsi vous, homme de conciliation, dans la séance d’hier vous avez fait tout ce que vous avez pu pour raviver d’anciens dissentiments qui s’éteignent, vous avez fait tout ce que vous avez pu pour exciter les passions contre ce que vous avez appelé l’orangisme de Gand, et, je dois le dire, j’ai vu avec peine l’approbation que vos paroles ont trouvé dans une partie de la chambre, qui se dit si attachée à votre politique conciliatrice.

Messieurs, le cabinet n’a pas toujours été aussi difficile, je ne veux rien dire de désobligeant pour aucun de mes collègues, mais en 1841 il y avait aussi des hommes accusés d’orangisme, ou accusés d’être d’anciens orangistes, qui sont entrés dans cette enceinte. Ces hommes ont fait serment à nos institutions actuelles, et certainement je les regarde comme aussi sincères dans leurs opinions que nous le sommes tous ; mais, qu’on me permette de le demander, sont-ils arrivés ici avec l’appui de l’opinion libérale, que vous accusez d’être entrée dans une alliance monstrueuse, de s’être prêtée à un accouplement monstrueux ? Cet accouplement, vous ne le regardiez pas comme monstrueux en 1841 ; est-ce que votre intervention l’avait légitimé et béni ?

Je ne sais pas si cette année même, vous seriez aussi difficile, si vous parveniez à trouver certain accès auprès de cette alliance monstrueuse de Gand ; je ne sais pas si tous les ministres qui siègent sur ces bancs, partagent sous ce rapport les grandes répugnances de l’honorable N. Nothomb ; je ne sais pas si un de ses honorables collègues serait très flatté qu’on se rappelât à Gand les paroles de M. le ministre de l’intérieur ; je ne sais pas si lui-même serait disposé à en accepter la solidarité.

Vous vous plaignez de ce qu’une ancienne opinion hostile, qui déclare ne plus être à l’état de parti, se rallie autour de l’opinion libérale dans les élections ; mais, comme on vous le disait tout à l’heure, n’est-ce donc que ceux qui ont reçu le grand cordon du roi Guillaume qui ont le droit de parler de pardon et d’oubli ? Ne s’est-il rien passé encore une fois depuis 12 ans ? Messieurs, si le fait dont a parlé M. le ministre est réel, nous devons nous en réjouir ; c’est un fait heureux pour le pays qui devait rentrer définitivement dans le cercle légal et constitutionnel des partis, une opinion qui s’en était tenue éloignée. C’est là un grand fait que le gouvernement aurait dû chercher à accomplir ; mais il a été impuissant pour le faire, et si l’opinion libérale y a réussi, à son défaut, ce sera un grand honneur pour elle.

Pourquoi, messieurs, le gouvernement a-t-il été impuissant pour amener ce résultat ? C’est en grande partie à cause du parti qui le domine ; au fond de l’orangisme il y avait autre chose que de l’attachement à une dynastie ; il y avait un intérêt matériel et la crainte de la domination exclusive du clergé.

L’honorable M. Nothomb, dans la séance d’hier, s’est glorifié du résultat du vote de la loi sur l’instruction primaire, il a considéré ce vote comme répondant à tous les reproches de l’opposition. Son langage est beaucoup plus fier aujourd’hui qu’il ne l’était dans la discussion de cette loi « Là, dit-il aujourd’hui à l’opposition, vous m’avez fait l’hommage de votre vote. » Messieurs, rappelons-nous les faits et nous verrons qu’alors l’attitude de M. le ministre était moins superbe ; rappelez-vous l’important article 21 ; rappelez-vous que le premier jour, M. le ministre est venu déclarer que cet article lui était indispensable, et rappelez-vous qu’après avoir rencontré sous ce rapport une vive opposition, il est venu modifier l’article, faire amende honorable et démentir son premier discours, Vous dites que l’opposition vous a fait l’hommage de son vote ; convenez au moins que vous lui avez fait l’hommage de vos palinodies.

Nous avons adopté votre loi sur l’instruction primaire ; oui, mais ce n’est pas sans réserve, la discussion est là pour le prouver. La discussion prouve que nous n’avons pas tout approuvé dans cette loi ; qu’elle renferme, au contraire, des dispositions que nous condamnions hautement. « Mais l’opposition, à un petit nombre de voix près, a adopté la loi. » Oui, messieurs, mais pourquoi ? Pour plusieurs raisons : Les uns l’ont adoptée parce qu’ils y ont vu une énigme que le temps devait débrouiller et dont le sens véritable dépendait de l’exécution que la loi recevrait ; les autres l’ont adoptée parce qu’ils n’ont pas voulu, dans une question que l’on déclarait être d’un intérêt social et non politique, s’exposer aux calomnies que l’on n’aurait pas manqué d’élever contre eux ; s’ils l’avaient rejetée, on n’aurait pas manqué de les traiter, comme on l’a encore fait tout à l’heure, de voltairiens et d’impies. D’autres se disaient : Pendant 8 ans un parti a relégué le projet de loi dans les cartons de la chambre ; pendant 8 ans, l’instruction primaire a été livrée à une espèce d’anarchie ; si la loi est rejetée, qu’aurons-nous à la place : la prolongation indéfinie d’un état de choses qui a déjà si longtemps pesé sur le pays.

Je reviens à la loi qui vous est soumise ; messieurs, le ministre de l’intérieur a laissé échapper quelques paroles dont j’ai pris acte dans la séance d’hier ; il a dit : La loi électorale, telle qu’elle existe aujourd’hui, est une déception pour les campagnes, je veux que ce soit une vérité.

Nous n’ayons pas cru jusqu’ici que ce fussent les campagnes qui eussent à se plaindre de la loi électorale. Il était donné à M. le ministre de l’intérieur de faire cette découverte.

Quoi qu’il en soit, ce que je vois dans ces paroles, c’est qu’aux yeux de M. le ministre de l’intérieur le projet de loi a une importance extrême pour les campagnes ; car à l’aide de cette nouvelle disposition, la loi électorale, de déception qu’elle était, devient une réalité pour cette classe d’électeurs. Le projet de loi consacre donc, on l’avoue, un changement considérable en faveur de l’opinion qui est dominante dans les campagnes ; or, si la loi a pour elle une telle importance, c’est une réforme électorale déguisée. Car peu importera les moyens qu’on emploie pour amener une réforme ; j’appelle réforme toute disposition qui a pour but de changer la majorité électorale. Vous convenez que la loi change complètement la position des électeurs campagnards ; de fiction, elle devient pour eux une réalité. A ce titre je combats la loi, à ce titre je repousse les dispositions dont vous parlez, parce que, en matière électorale, je veux le maintien, le respect de ce qui existe, et rien de plus. Si je demande la répression de la fraude, c’est que je veux que la loi soit exécutée, mais je ne puis accepter des changements à la loi favorables seulement à un parti.

Messieurs, au congrès, j’ai été contraire à la loi électorale de 1831. Cette loi, je l’ai considérée et je la considère encore comme défectueuse. Mais depuis qu’elle existe, j’ai toujours demandé son maintien, je ne veux pas jouer aux réformes électorales. Ce n’est pas seulement à une reforme avancée que je me suis opposé depuis douze ans, mais à toute mesure qui paraissait avoir pour effet de changer la majorité, de jeter un poids dans la balance en faveur de l’un ou l’autre parti ; c’est ainsi que lorsqu’on a établi un impôt sur les débits des boissons distillées, j’ai consenti à ce que cet impôt ne fît pas partie du cens électoral, parce que cette mesure eût pu changer considérablement, sans cela, les forces respectives de parti, telles qu’elles étaient résultées de l’application de la loi de 1831.

Si vous désirez introduire dans la loi électorale un changement quelconque en faveur d’un parti, vous devez aussi y admettre des changements favorables à l’autre opinion. Vous dites que la loi est une déception pour les campagnards ; il est d’autres dispositions de la loi qui sont regardées comme des déceptions par les villes. Il est des dispositions dont le législateur n’a pas prévu, n’a pas voulu peut-être prévoir les conséquences, car je ne sais si le législateur a eu en vue de placer les villes dans la position où elles sont aujourd’hui.

Si vous vous rendez à des plaintes qui s’élèvent aujourd’hui pour la première fois, vous serez bien forcés d’entendre se renouveler des plaintes dans un autre sens, dont le pays a retenti depuis plusieurs années.

Je sais bien que les réclamations en faveur des villes seraient éconduites aujourd’hui, mais l’année prochaine, dans deux ans, dans trois ans, serez-vous toujours aussi forts ? Une fois que vous aurez modifié la loi électorale dans un sens, que vous aurez ouvert la porte aux réformes, l’une encouragera et facilitera l’autre, l’exemple d’une majorité ne sera pas perdu pour une autre majorité.

Messieurs, je veux donc la loi électorale telle qu’elle est, sans changements ni pour l’une, ni pour l’autre opinion ; je demande seulement au gouvernement de la faire respecter, de réprimer les fraudes. Je ne veux pas changer la majorité électorale ; la loi électorale existe depuis douze ans ; je ne me suis pas plaint de ses résultats, quoiqu’ils n’aient pas toujours été conformes à mon opinion ; je les ai subis ; que ceux que ces résultats contrarient maintenant, usent de la même réserve et de la même prudence. Il y a quelque chose de supérieur aux intérêts momentanés des partis : C’est la stabilité d’une loi censée importante. La constitution peut aussi nous contrarier quelquefois, tous les partis peuvent tour à tour y trouver des entraves, des obstacles, mais la stabilité de la constitution est un intérêt supérieur à de pareils inconvénients.

D’ailleurs, croyez-le bien, il y a dans les esprits de ces tendances, que toutes les réformes, toutes les armes législatives qui veulent en triompher, ne font que rendre plus vives et plus générales. La loi du fractionnement avait aussi pour but de changer la majorité électorale par la loi, vous en savez les résultats. La loi actuelle est de la même famille, son but est aussi de déplacer la majorité électorale par la loi, de conférer à l’un des deux partis un avantage qu’il ne possédait pas. C’est parce que la loi a ce caractère que je la combats dans la plupart de ses dispositions.

(Moniteur belge n°76, du 17 mars 1843) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, vous serez étonnés de m’entendre dire que je me félicite de cette discussion. J’aurais désiré peut-être que l’honorable préopinant se fût abstenu de certaines expressions qui me semblaient indignes de son caractère. Le débat pouvait conserver toute sa valeur, sans ces insinuations, et je dirai sans ces sarcasmes ; une autre forme n’aurait pas nui au fond.

J’ai dit que la mission acceptée par le ministère actuel avait été de conserver la majorité mixte, modérée, qui avait dirige les affaires depuis 1830.

L’honorable préopinant me demande s’il ne s’est rien passé depuis 1830. Il me dit : « Une phase est fermée, une autre phase est ouverte ; la première phase où nous avons eu besoin de cette majorité, c’était celle où la question extérieure était dominante. »

Je le sais, la première phase où la question extérieure était dominante, est fermée. Lui et moi, nous étions pendant cette phase constamment associés, nous avons contribué à diriger les affaires avec cette majorité mixte que j’invoque encore. La différence entre l’honorable préopinant et moi, la voici : c’est que je soutiens que pendant la deuxième phase, qui est ouverte depuis la solution de la question extérieure, il faut la même majorité mixte modérée pour diriger le politique intérieure, pour résoudre les questions intérieures que le temps a amenées. Voilà la question bien nettement posée.

Je n’ai pas besoin de recourir à des conjectures, je n’ai pas besoin de m’aventurer dans les prédictions, genre qu’affectionne l’honorable préopinant et qui ne lui porte pas toujours bonheur ; je n’ai qu’à citer ce qui s’est fait depuis vingt mois.

Une nouvelle phase était ouverte. Dans cette nouvelle phase se présentait une question redoutée de tout le monde, une question pour laquelle il fallait ces grandes batailles que l’honorable préopinant demandait au pays ; je parle de la question de l’enseignement primaire.

Cette question, selon la prévision de l’honorable membre, n’était pas susceptible d’une solution immédiate, elle était hors de la portée, hors de la mission de la chambre actuelle ; pour cette question, il fallait une autre majorité, une autre chambre.

C’était la question qui caractérisait avant tout la nouvelle phase où nous venions d’entrer ; eh bien, cette question a été abordée ; elle a été résolue, et elle l’a été, grâce à cette même majorité mixte modérée qui avait résolu la question extérieure pendant la première phase de la révolution.

L’honorable préopinant a cru que, pour cette nouvelle phase il fallait une autre majorité dirigeante. Il l’a demandé à un seul parti, il l’a demandé au parti libéral auquel il s’est tout à coup alloué exclusivement.

Me sera-t-il permis de rechercher, non par des conjectures, ni par des prophéties, mais en consultant les faits ; me sera-t-il permis de rechercher quelle est la valeur de ce que l’honorable préopinant appelle le parti libéral, lorsqu’on s’attache aux affaires ?

li y a, à mes yeux, deux politiques : la politique de raison et la politique des passions ! Il y a deux partis dans le pays, mais ces partis ne sont séparés, inconciliables que lorsqu’il s’agit des passions ; mais placez-vous sur le terrain des affaires, des questions spéciales, et ces deux partis si exclusifs, si inconciliables, se fractionnent à l’instant et cessent d’exister ; sur le terrain des affaites, d’autres partis se forment ; une majorité mixte se produit par la force de la raison, par l’influence, quelquefois plus puissante, des intérêts.

En faut-il des preuves ? Voyons ce qui a été fait pendant la session dernière ; voyons même ce qui s’est passé pendant la présente session.

Vous voulez avec le parti libéral seul constituer un parti gouvernemental, une majorité dirigeante... Dès l’ouverture de la session dernière, une question bien secondaire s’est présentée : la police des étrangers. Il fallait renouveler pour la 2ème ou 3ème fois la loi qui accorde au gouvernement le droit d’expulsion. Avec quelle majorité avons-nous obtenu le renouvellement de cette loi ? L’auriez-vous obtenu si le parti libéral seul avait dû constituer la majorité ? Je ne le crois pas. Certains hommes appartenant au parti libéral n’auraient pas, à votre profit, donné l’exemple des palinodies, pas plus que lorsqu’il s’est agi pour eux de la question de l’instruction primaire.

Nous avons eu des questions d’intérêt matériel ; retrouvons-nous sur ces questions cette division en parti catholique et en parti libéral ? De grandes questions de ce genre restent encore à résoudre ; des idées opposées les dominent. Admettra-t-on le système protecteur, ou le système aux tendances de liberté commerciale ? Posez aux deux partis une question semblable, et à l’instant même les deux partis se fractionnent pour faire place à deux partis nouveaux.

La question des sucres nous en a fourni récemment un mémorable exemple. Cette question est venue de nouveau détruire votre grande classification : la betterave et la canne ont eu des amis dans l’un et l’autre camp. (Hilarité.)

Ce n’est pas tout, quand on remonte plus haut, quand on s’élève aux hautes théories gouvernementales, quand on vient, par exemple, exposer devant vous la théorie des questions de cabinet, une nouvelle classification de partis s’opère : le parti libéral se fractionne, il n’existe plus ; il proteste contre nous.

Ces faits, messieurs, me suffisent pour m’engager à persister dans la conviction profonde qui m’anime et me soutient dans l’accomplissement des devoirs que j’ai consenti à accepter, il y a deux ans ; ces faits sont désormais acquis ; ils sont acquis à une carrière politique, on ne la détruira pas.

Ces faits me suffisent pour me prouver que je ne me suis pas trompé ; je n’ai rien à regretter, rien à rétracter.

Quand je parle, messieurs, d’une majorité mixte, je vois, non pas précisément les personnes, mais les principes ; je n’hésite pas à dire que si l’honorable préopinant se trouvait comme ministre à ce banc, il rechercherait dans l’avenir, pour la solution des questions intérieures, cette majorité modérée mixte qu’il semble méconnaître aujourd’hui. Il ne trouverait pas dans le parti libéral, auquel il s’associe exclusivement, une majorité suffisante ; il aurait besoin de demander un appoint et un fort appoint, à cette partie de la chambre qu’il semble répudier en ce moment, il chercherait à conserver ou à faire renaître cette majorité modérée mixte avec laquelle on a fait les affaires du pays depuis 1830.

Je l’avoue donc : il y a un dissentiment profond entre l’honorable préopinant et moi. Ce dissentiment n’est ni un caprice ni un calcul, c’est le résultat de toutes mes réflexions, de toute mon expérience politique depuis 1830. Ce qui m’étonne, c’est d’être en désaccord avec l’honorable préopinant, car il a compris avant beaucoup d’entre nous la nécessité de cette majorité mixte, que je veux conserver.

J’abandonne, messieurs, ces considérations générales pour m’occuper du projet qui vous est soumis et de la position qu’on veut à toute force assigner au ministère dans cette discussion. L’honorable préopinant n’est pas satisfait de l’enquête. Si j’osais procéder à mon tour par insinuation, je lui dirais que je ne m’étonne pas qu’il ne soit pas satisfait de cette enquête. Il avait supposé tout autre chose ; il fallait trouver une espèce de complot ourdi dans le pays pour fausser les bases électorales ; ce complot, on n’a pas pu le découvrir : on voulait donner un brevet d’immoralité à tout un parti. (Mouvement.)

Je n’ai pas voulu m’associer à cette imputation. (Interruption.) Je suis loin de penser que tel était le dessein de l’honorable préopinant, mais en dehors de cette chambre on avait conçu cette pensée. On avait supposé que les chefs d’un parti s’étaient réunis, avaient formé une vaste souscription et résolu, à l’aide de cette souscription, de créer une million de faux électeurs. Il est constaté par la double enquête que cette espèce de complot n’a été qu’un rêve. Il y a eu des tentatives partielles, individuelles que je blâme, que j’ai été le premier à blâmer, mais ces tentatives ne vous autorisent pas à lancer des accusations collectives contre tout un parti, quel qu’il soit.

Il y a une double enquête. L’enquête des gouverneurs, dites-vous, ne prouve rien ; mais à l’appui de l’enquête des gouverneurs est venue l’enquête de l’administration des finances. Des faits assez graves ont été constatés, mais ces faits n’ont pas le caractère systématique que voudraient leur assigner ceux qui veulent accuser tout un parti. C’est en quoi le pays a été détrompé ; de là les regrets qu’on exprime, l’incrédulité que l’on montre.

Immédiatement après l’avoir reçu, j’ai présenté à la chambre le résultat de l’enquête des gouverneurs. Je n’ai fait qu’effacer les noms propres, je pourrais citer les dates des rapports ; à peine avais-je eu le temps de les lire, tellement j’étais harcelé par ceux qui demandaient la présentation du projet de loi. Il y a des rapports qui sont du 14 février, et le 15 j’ai présenté le projet de loi. Qu’aurait-on dit si j’avais renvoyé ces rapports, en disant que, selon moi, des faits plus graves et plus nombreux s’étaient passés et qu’il me fallait des rapports plus complets.

Le ministère a hésité, dit-on, à présenter le résultat de l’enquête de l’administration des finances. Mon collègue m’a communiqué les pièces qu’il avait recueillies. J’en ai pris connaissance, et nous avons pris immédiatement la résolution d’en communiquer le résultat à la chambre. Nous avons pris cette résolution spontanément dès que l’ensemble des renseignements s’est trouvé réuni au département des finances, c’est-à-dire samedi au soir.

Le caractère définitif de l’enquête, le voici donc : il y a eu des tentatives partielles, individuelles, de fraude, mais il n’y a pas eu un ensemble systématique ; il n’y a pas eu une sorte de complot tramé au nom d’un parti quelconque, pour fausser les bases de la loi électorale. Je me félicite pour l’honneur de mon pays que l’enquête puisse se réduire à ces proportions.

L’honorable préopinant a exposé un grand nombre de griefs ; je ne puis aujourd’hui le suivre dans tous ces détails. Il s’est, surtout attaché à la nomination des bourgmestres. D’abord, selon lui, je ne voulais faire aucune publication. Cependant aussitôt qu’une interpellation m’a été adressée, j’ai indiqué la marche que je me proposais de suivre, j’ai dit que je n’entendais pas faire la publication de ces nominations partiellement, mais province par province et, autant que possible, quand tout le travail serait fait. J’ai dit pourquoi je ne croyais pas devoir faire de publication partielle ; il fallait que je pusse m’assurer de l’acceptation de ceux qui étaient nommés.

Enfin, cet acte de mon administration ne pouvant être apprécié que dans son ensemble, je voulais que l’ensemble fût connu pour pouvoir être compris. (Interruption.) Mais on veut des publications par catégories et par noms propres. C’est ce qu’on n’a pas le droit de me demander, c’est ce que je ne dois pas faire, J’ai publié un tableau statistique qui suffit pour apprécier ma conduite politique ; la preuve, c’est que l’honorable préopinant y a trouvé des indices suffisants pour m’inculper. En veut-il davantage, veut-il des noms propres ?

Il m’est impossible de les lui donner. Il lui sera du reste facile de se les procurer, Il lui suffira de comparer la liste des anciennes nominations avec celle des nominations nouvelles. Je ne pense pas que l’honorable préopinant, qui me donne si souvent des leçons de dignité gouvernementale, qui se présente comme l’homme gouvernemental par excellence, puisse sérieusement exiger que des détails de ce genre soient donnés à la chambre. (Interruption.) Je dis que la publication des actes du gouvernement ne peut pas être poussée à ce point ; si vous entrez dans cette voie, vous ne vous arrêterez pas ; vous appliquerez le même système à toutes les nominations.

M. Lebeau. - Nous avons le droit de le demander.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pense pas qu’on en ait le droit. Je ne pense pas que jamais comme ministre vous ayez admis ce droit.

Pour apprécier l’acte, il ne faut pas seulement connaître le nom de celui qui a été nommé, mais encore les noms des personnes qui ont été exclues ; vous irez jusqu’à demander non seulement le nom de l’homme nommé, mais vous demanderez pourquoi un tel n’a pas été nommé, et l’on s’écriera : Celui-là, à mon sens, méritait la préférence ! Vous appliquerez le même système aux nominations judiciaires et à toutes les nominations quelconques. Il faut en arriver là. C’est une pente dangereuse sur laquelle vous vous placez, et pour vous y suivre il faudra que la chambre m’y force.

Vous invoquez, à défaut des principes, mes paroles. Mais ces paroles, ne les isolez ni de l’ensemble de la discussion, ni des principes. J’ai dit que je ne ferais usage du droit de nommer les bourgmestres hors du conseil que par exception. J’ai dit qu’interpellé sur des nominations de ce genre, je donnerais des explications. Mais ces paroles ne peuvent être prises d’une manière absolue, il faut admettre les restrictions qu’apporte nécessairement la force des circonstances. Il est telle nomination que je justifierais publiquement avec la plus grande facilité. Mais on a conçu le projet de ranger dans des catégories à part les bourgmestres nouveaux que le gouvernement a honorés de sa confiance ; on veut un à un les traduire à cette barre, les accuser, les signaler à la haine ou à la risée du pays. Je ne puis y consentir. (Interruption.)

Une voix. - Vous l’avez promis.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Mes paroles, je le répète, doivent être interprétées en tenant compte de l’ensemble de la discussion, en tenant compte des principes, et j’ajouterai de mes devoirs.

Je crois donc que pour cet acte très grave, dont je n’ai jamais méconnu l’importance, ni la responsabilité, j’ai fait tout ce que la chambre peut exiger de moi, tout ce qu’on peut exiger en respectant les limites des pouvoirs, et je dirai les convenances sociales ; mais encore ici on avait besoin de m’accuser ; il fallait alléguer que j’avais manqué à mes engagements, que j’étais exclusivement sous le joug d’un parti.

Si je pouvais entrer dans des détails, je prouverais que, pour bien des nominations, je n’ai pas accepté le joug de ce parti, puisqu’on a parlé de joug. Si ce parti pouvait prendre position devant vous, il pourrait m’adresser des accusations tout opposées. Néanmoins, on persistera à dire que le grand remaniement municipal, devenu nécessaire à la suite des élections du mois d’octobre 1842, a été exclusivement fait par moi au profit d’un parti. Je ne pouvais échapper à l’accusation, je n’y ai point échappé. On la maintiendra. En vain publierais-je les nominations avec tous les noms propres et tous les détails imaginables, l’accusation serait maintenue parce qu’on a besoin de cette accusation.

Un grand nombre de voix. - A demain ! à demain.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je proposerai de fixer demain la séance à 11 heures.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à 4 heures 3/4.