(Moniteur belge n°356, du 22 décembre 1842)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 1 heure et quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de Souverain-Wandre prient la chambre de régler la demande de séparation de ce hameau, de la commune de Wandre. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs habitants d’Anvers présentent des observations contre le projet de loi relatif au droit de consommation sur les boissons distillées. »
M. Cogels, - Je demanderai le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet auquel elle se rapporte, et en outre, l’insertion au Moniteur.
- Cette double proposition est adoptée.
« Les commis-greffiers du tribunal d’Anvers prient la chambre de majorer de 200 fr. l’augmentation de traitement proposé par le gouvernement, pour les commis-greffiers des tribunaux de première classe. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l’ordre judiciaire.
« Les négociants et fabricants de tabac de Mons déclarent adhérer à la pétition des négociants et fabricants d’Anvers, relative au droit d’entrée sur le tabac. »
« Même adhésion de la part des négociants et fabricants de tabac de Beaumont. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les droits d’entrée.
« Plusieurs brasseurs du canton de Pâturages présentent des observations contre le projet de loi tendant à modifier les bases de l’impôt sur les bières. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi sur la matière.
« Le sieur de Crampagna, avocat à la cour de cassation, réclame l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement d’une créance à la charge du département des finances. »
M. Orts. - Je propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances, avec demande d’explication.
M. le ministre des finances (M. Smits) - Quel est l’objet de la pétition ?
M. Verhaegen. - Le pétitionnaire ne réclame que l’exécution d’un jugement passé en force de chose jugée. Il n’est pas nécessaire de renvoyer la requête à la commission des pétitions. M. le ministre des finances, que la chose concerne, comprendra la nécessité d’obéir aux décrets de la justice.
M. le président. - Je ferai observer que, conformément aux antécédents de la chambre, la chambre renvoie les pétitions soit à la commission des pétitions, soit à toute autre commission, avec demande, s’il y a lieu, d’un prompt rapport. Si dans cette circonstance on demande qu’il soit dérogé aux antécédents, je consulterai la chambre.
M. Orts et M. Verhaegen déclarent se borner à demander le renvoi de la pétition à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Des entrepreneurs de roulage demandent une révision générale des lois sur le roulage, sur les barrières. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.
« Les fabricants de Mouscron demandent une protection prompte et efficace contre l’importation, par l’Angleterre, des vêtements confectionnés. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet sur les droits d’entrée.
M. le ministre de la guerre transmet des explications sur la pétition du capitaine Coulon.
- Pris pour notification.
M. Delehaye et M. Mast de Vries déposent des rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
M. le président. - Dans la séance d’hier, la chambre a ajourné à la séance de ce jour le chapitre XIV. Dotation de la Légion d’honneur, etc.
Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il est d’intention de s’occuper de cette partie du budget dans le moment actuel.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On pourrait d’abord achever le budget.
M. le président. - Ainsi, s’il n’y a pas d’opposition, la chambre discutera d’abord les derniers chapitres du budget, sauf à revenir ensuite au chap. XIV. (Oui ! oui !)
Nous étions parvenus au chap. XVI.
« Art. 1er. Litt. A. Achat de machines et de métiers perfectionnés, voyages et missions à l’étranger ; subsides pour introduction d’industries nouvelles ; frais d’enquêtes et de publications ; expertises de machines introduites par application de la loi du 29 mars 1841 ; frais d’inspection des établissements dangereux et insalubres : fr. 30,000
« Litt. B. Subsides à des écoles d’arts et métiers, ateliers d’apprentissage et de perfectionnement, distribution de métiers : fr. 20,000
« Litt. C. Subsides en faveur de l’industrie linière et de la classe des tisserands et des fileuses, exécution de diverses mesures proposées par la commission d’enquête : fr. 85,000
« Litt. D. Frais d’enquêtes industrielles, impression des travaux des commissions (22,000 fr.) : Mémoire.
« Ensemble : fr. 135,000 »
M. Van Cutsem. - Messieurs, la section centrale croit que la filature à la main sera remplacée dans un avenir prochain par la filature à la mécanique et, imbue de cette idée, elle engage le gouvernement à encourager surtout le tissage : en exprimant de pareilles pensées, la section centrale va plus loin que ne l’ont fait jusqu’aujourd’hui les plus zélés partisans de l’industrie nouvelle ; elle croit que l’ancienne industrie ne peut plus lutter et exister avec la nouvelle, tandis que les premiers avaient déclaré que l’une et l’autre pouvaient marcher ensemble, que les deux industries fourniraient des fabricats de deux espèces, qui devraient approvisionner des consommateurs placés dans des positions différentes, que l’une servirait au riche, que l’autre, étant à plus bas prix, serait à l’usage de l’homme moins fortuné, en d’autres termes, qu’il y aurait toujours entre ces fabricats la distinction qui existe entre les cachemires et les foulards des Indes et les produits qui n’en sont que l’imitation grossière, et la distinction que l’on doit faire entre le tulle et la dentelle. Pourquoi la section centrale pense-t-elle ainsi ? Parce que, dit-elle, le temps apportera infailliblement à la filature mécanique du lin et des étoupes, des perfectionnements ; mais la section ne sait-elle pas que toutes ces améliorations ne mettront jamais sur la même ligne les fabricats nouveaux et les fabricats anciens ; la section ignore-t-elle que jamais on ne trouvera dans la filature à la mécanique à remplacer ce ciment, la salive qui donne à la filature à la main cette solidité qui doit, en tous temps, faire des produits de la filature à la mécanique et de la filature à la main des fabricats différents ?
Si la section centrale avait su qu’à l’exception du marché d’Alost, toutes les toiles qui sont vendues aux différents marchés du pays sont tissés avec du fil fait à la main, et que ces toiles sont presque toutes achetées pour la consommation de la France, je suis convaincu qu’elle n’aurait pas condamné la filature à la main à une courte existence. Le marché d’Alost est envahi par ces produits mécaniques, nous en convenons, mais ceux qui se rendent à ce marché ont-ils toujours à se louer d’avoir exposé leurs produits en vente dans cette localité ? Je ne le pense pas, à en juger de ce qui a eu lieu au marché du 26 novembre dernier : 900 pièces de toile furent déposées au marché de ce jour, 300 furent vendues et les 600 pièces rebutées étaient en tout ou en partie de fil mécanique.
Si la section centrale avait jeté un coup d’œil sur les volumineux documents de l’enquête de l’industrie linière, que nous aurions dû avoir la prudence de ne pas faire imprimer pour empêcher nos concurrents de connaître notre industrie, elle aurait vu que le fil à la main, malgré sa supériorité, peut s’obtenir à aussi bon compte que le fil à la mécanique ; si la section centrale s’était mise au courant des progrès de la filature à la main, elle aurait appris que des filatures à la main peuvent donner certains numéros de fils à la main à l5 et 20 p. c. moins chers que les mêmes numéros à la mécanique, et que par suite il n’y avait aucune raison pour lui donner la préférence, puisqu’il est moins solide.
La section centrale n’a pas su non plus que sur 20,300 pièces de toiles blanchis en 1841, à Courtray, 20 mille pièces étaient faites avec du fil à la main, 300 pièces avec du fil à la mécanique, fait qui pour tout homme impartial sera loin de démontrer que l’ancienne industrie doit faire place à la nouvelle, que l’ancienne industrie va cesser d’être. S’il en est ainsi, me diront peut-être les honorables membres de la section centrale, pourquoi ne fabrique-t-on pas toutes les toiles en fil à la main, et ils croiront peut-être, en m’adressant une pareille observation, que j’aurai longtemps à méditer avant de pouvoir leur répondre ; qu’ils se détrompent. Je leur dirai qu’on ne fait pas toutes les toiles avec du fil à la main, parce qu’il n’y en a pas assez, et parce que, jusqu’aujourd’hui, on a négligé de numéroter le fil à la main. En effet, si le numérotage était appliqué à notre fil à la main, comme il l’est à celui d’Allemagne, nul doute qu’il serait généralement préféré, ce numérotage est recommandé au gouvernement par la commission d’enquête ; les fileuses qui jusqu’à présent n’ont pas numéroté leurs fils, doivent y être engagées par quelques récompenses et c’est à ces rémunérations qu’une partie du subside doit être employée et non pas à donner l’aumône à d’honnêtes artisans, comme le dit la section centrale ; d’aumône, ces honnêtes gens n’en voudraient pas ; nous la repousserons en leur nom, nous voulons du travail parce que le travail élève l’homme, le détourne de la mendicité, qu’il ajoute aux ressources industrielles du pays et enfin parce qu’il donne des gages à la morale, comme à l’ordre public. Mais nous ne voulons pas l’aumône ; une autre raison pour laquelle les tisserands recourent, dans quelques localités, au fil mécanique, c’est parce qu’ils l’obtiennent à crédit, et que là où il n’y a pas de magasins publics de fil à la main, on ne peut pas leur offrir celui-ci de la même manière ; c’est donc pour faire des magasins de fils à la main que nous demandons un subside au pays, magasins qui devront mettre nos fils à la main sur la même ligne que le fil mécanique pour la vente et non pas pour alimenter momentanément des populations affamées.
On nous dira peut-être dans cette enceinte ce que l’on a déjà reproché ailleurs aux partisans de notre opinion, que nous rendons un mauvais service aux personnes qui jusqu’à ce jour se sont occupées de l’ancienne filature en leur disant que cette industrie existera toujours, parce que nous serons cause qu’elles seront prises au dépourvu, lorsque l’industrie nouvelle aura triomphé ; en énonçant ses idées, on ne tient pas compte de la position dans laquelle se trouve la nouvelle industrie, et on oublie que les deux industries rivales sont soumises à des causes semblables de décadence et de progrès, En 1838, la fabrication à la mécanique a pris une grande extension, et celle qui s’exerce a la main, malgré les pertes qu’elle avait déjà essuyées, a également augmenté. Si en 1839, la fabrication à la main a perdu du terrain, nous avons dû, à la même époque venir au secours de la nouvelle industrie par des lois de protection contre les fabricats anglais.
Pénétré de cette vérité, je ne puis qu’engager les partisans des deux industries à ne pas condamner l’une industrie au profit de l’autre, et à se conduire de telle manière que, quelle que soit l’industrie qui doive l’emporter sur l’autre, la lutte ait lieu à l’intérieur, pour qu’en tous cas les triomphateurs soient Belges.
Si la section avait su que depuis le traité conclu le 26 juillet dernier, entre la France et la Belgique, tous les marchands français demandent des toiles faites avec du fil à la main, aurait-elle annoncé la fin de la filature à la main ? Evidemment non. Nous ne livrons plus à la France ce que nous lui vendions il y a dix ans, et cela pour un très bon motif, c’est que le consommateur confond encore les deux espèces de produits et parce qu’en ce moment, il y a encombrement de produits anglais en France. L’expérience fera revenir à nous ; l’encombrement des fabricats anglais cessera aussi, parce les fabricats anglais ne pourront continuer à vendre à perte. Les Anglais ont rempli la France de toiles faites avec du fil à la mécanique, la France en fabrique tous les jours elle-même, et la section centrale conseille la fabrication du fil à la mécanique pour approvisionner la France ! Avec un peu de réflexion, ne voit-on pas que c’est pousser les fabricants à une perte certaine ?
La France est inondée de toiles mécaniques, l’Espagne en abonde, et on veut nous faire fabriquer des toiles mécaniques pour augmenter encore ce trop plein, lorsque toutes les lettres de commerce de ces pays nous disent de n’envoyer chez eux que de la toile faite avec le fil à la main !
Croyez-moi, messieurs, les seules chances d’exportation qui nous restent se rapportent à la qualité de nos produits à la main pour lesquels le goût revient. En agissant ainsi, si nous n’approvisionnons plus à nous seuls le monde, nous lui donnerons les meilleurs tissus que l’homme aisé préférera toujours aux nouveaux ; ce que dis à cet égard est tellement vrai que je n’aurai pas de peine à établir que les familles aisées elles-mêmes, en Angleterre, lui donnent la préférence ; oui, les riches dans ce pays ne portent que la toile faite avec du fil à la main, et c’est en présence de pareils faits qu’on condamnerait notre industrie ancienne à une fin prochaine ; cela n’est pas possible.
Que le gouvernement ne restreigne donc pas, par suite de l’avis de conseillers mal informés, la fabrication à la main, qu’il nous aide par des moyens énergiques, en suivant les conseils de nos sommités commerciales des Flandres, qui ont consacre cinquante années de leur existence à l’étude de cette industrie, et de la commission d’enquête linière, et l’ancienne industrie sera conservée à la Belgique ; pour la maintenir dans ce pays, il faut lui donner le temps de profiler des traités que l’on a faits en sa faveur, il ne faut pas vouloir que les avantages qu’elle doit en retirer existent du jour même de leur conclusion, quand il y a des motifs qui doivent les retarder ; pour que l’ancienne industrie ne périsse pas, il faut aussi empêcher qu’on porte des entraves à l’exécution franche et loyale des traités, telles que celles que le comité de l’industrie linière a dénoncées dernièrement au gouvernement ; le comité de l’industrie linière a fait connaître à M. le ministre que la douane française avait trouvé un nouveau moyen de paralyser l’importation de nos fils ; ce moyen est le suivant : la douane ne se borne plus au bureau de Lille à peser les fils importés par ballots ou par paquets ; elle défait les paquets et pèse les écheveaux, occasionne par cette manipulation un grand dommage à la marchandise, et comme il est encore impossible que les écheveaux aient toujours régulièrement le poids requis, ils mettent des obstacles à l’introduction de ces fabricats sons le prétexte de fraude ; et font ainsi perdre un temps précieux au négociant, toujours désireux de livrer sa marchandise dans le plus court délai pour rentrer dans ses fonds. Je demanderai à M. le ministre si le gouvernement a déjà fait des démarches pour faire cesser cet état de choses et quel en a été le résultat.
Je ne dirai rien du traité conclu avec l’Espagne ; il n’est pas encore ratifié. Et sous le prétexte de l’existence de ce traité, des membres de cette chambre ont cru que l’industrie linière ne devait plus avoir de subside ; c’est vouloir marcher bien vite. Mais je pense qu’il suffira de leur avoir dit que le traité n’est pas encore ratifié pour leur prouver que, ne pouvant produire encore aucun effet, on ne peut l’invoquer contre nous pour nous enlever un subside auquel nous avons des droits incontestables et pour lequel je voterai, comme devant contribuer à maintenir la plus belle comme la plus ancienne de nos industries.
M. Dedecker, rapporteur. - Messieurs, d’un côté, je félicite la section centrale d’avoir fourni à l’honorable préopinant l’occasion de montrer son zèle pour la défense des intérêts de son district ; d’un autre côté, cependant, je regrette qu’il n’ait pu déployer ce zèle qu’aux dépens de la section centrale, en se méprenant complètement sur la portée des observations qu’elle a consignées dans son rapport.
Je crois inutile, messieurs, de justifier les intentions de la section centrale. Vous avez dû remarquer que parmi les membres dont se compose la section centrale, trois appartiennent aux Flandres ; c’est vous dire assez que, dans l’intention de la section centrale, aucune pensée hostile n’a présidé aux observations qu’elle a jugé à propos de vous soumettre.
En effet, messieurs, la section centrale veut-elle, comme l’a plus d’une fois insinué l’honorable préopinant, condamner définitivement le filage à la main ? Evidemment non : ce serait d’abord impossible, et ensuite souverainement impolitique. C’est au temps seul qu’il appartient de décider à laquelle des deux industries doit rester la victoire, si tant est que l’une d’elles doit succomber ; ce que pour ma part je ne crois pas. Je pense encore, avec la section centrale du budget de l’année dernière, qu’il y a des pays où l’on exige avant tout l’apprêt et le bon marché, qu’il en est d’autres où l’on recherche principalement la solidité et le long usage.
Messieurs, la section centrale, en allouant le subside de 85,000 fr. pour l’industrie linière, a recommandé au gouvernement de consacrer ce subside à l’achat d’ustensiles et métiers. Remarquez, messieurs, ce mot ustensiles. Ce mot s’applique aussi au filage à la main. La section centrale a donc voulu dire que, tout en insistant sur les encouragements à donner au tissage, il y a aussi quelque chose à faire pour le filage à la main.
Vous connaissez, messieurs, les causes de l’infériorité actuelle de ce dernier filage. Aujourd’hui on achète ce fil par petites quantités sur le marché. Quelques parties de ce fil sont beaucoup plus tordues que d’autres ; les couleurs du lin varient plus ou moins ; le fil est inégal d’après le degré d’aptitude des fileuses qui ont fait le fil. Mais la grande cause de l’infériorité du fil fait à la main consiste dans l’emploi des anciens dévidoirs qui ne sont plus en rapport avec les progrès que l’industrie a réalisés dans d’autres pays. Il faudrait, dans l’intérêt de l’ancien filage du lin, parvenir à numéroter le fil à la main comme l’est le fil mécanique, et à cet effet, introduire l’emploi des dévidoirs métriques.
Mais la section centrale insiste, il est vrai, pour qu’on encourage surtout le tissage ; et ici, la section centrale a émis une opinion, que je crois, pour ma part, essentiellement favorable aux classes nombreuses qui s’occupent de la fabrication de toiles. En effet, on ne cesse de se plaindre de ce que beaucoup de tisserands vont chercher du travail en France. Ce fait qui condamne le système actuellement en vigueur ; ce fait, qui est déplorable au point de vue national, ne se présenterait plus, si nous pouvions cumuler les bénéfices des deux industries linières au moyen du tissage perfectionné, qui donnerait de l’occupation à tous nos tisserands.
Sans entendre, en aucune façon, condamner l’ancienne industrie linière, qui possède, à mon avis, des moyens de vitalité, on pourrait, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, mettre deux cordes à son arc ; on pourrait, tout en exploitant l’ancienne industrie, faire en sorte de créer ici un marché pour les toiles faites avec du fil à la mécanique. Pourquoi la Belgique, placée, sous le rapport de la matière première et de la main-d’œuvre, dans une condition plus favorable que l’Angleterre, ne pourrait-elle pas desservir les immenses marchés où celle-ci expédie aujourd’hui ses toiles ? Pourquoi la Belgique, s’obstinant dans la routine, irait-elle, de gaieté de cœur, renoncer au bénéfice du tissage du fil à la mécanique ?
Ainsi, messieurs, vous voyez que l’opinion de la section centrale n’est nullement hostile à l’antique et respectable industrie des Flandres.
Je sais qu’on a exprimé depuis longtemps la crainte que le mouvement parallèle des diverses industries n’amène la confusion sur nos marchés, et ne nuise à la réputation de nos toiles à l’étranger. Si cette confusion est réellement à redouter, ou pourrait adopter le moyen proposé par l’association linière : ce serait d’établir une espèce d’estampille et de déterminer sur nos marchés un lieu spécial pour la vente des toiles à la mécanique, et un autre pour les toiles à la main qui seraient munis de l’estampille. Par ce moyen, nos anciennes toiles ne seraient pas discréditées.
Messieurs, l’opinion de la section centrale est si peu hostile à l’ancienne industrie des Flandres, que le subside de 25,000 francs que le gouvernement a accordé à l’administration provinciale de la Flandre orientale, a été entièrement consacré à l’établissement d’un atelier provincial de tissage. Voici, messieurs, ce qu’on dit à cet égard dans l’Exposé administratif de la Flandre orientale pour l’année 1842 :
« Depuis la fondation de cet atelier, environ cinq cents tisserands, que les communes de la province peuvent y envoyer à tour de rôle, ont appris à tisser à la navette volante, sous la surveillance d’habiles contremaîtres qui les initient aux progrès apportés de nos jours dans la confection des toiles. L’administration provinciale ne s’est pas bornée à fournir ainsi aux ouvriers une occasion gratuite de s’instruire dans leur métier, elle a encore distribué dans les communes, des ustensiles et métiers pour une somme d’environ 10,000 francs. »
Cet exposé renferme ensuite d’autres considérations trop longues à énumérer et qui tendent à justifier pleinement la création de cet atelier.
Ainsi l’administration de l’une de nos provinces les plus intéressées à la conservation de l’ancienne industrie linière, a déjà mis en pratique les idées qui ont été émises par la section centrale. Je vais plus loin, et je dirai que même dans la Flandre occidentale, dont l’honorable préopinant représente un district, ces doctrines se font également jour. En dépit de toutes les illusions, il y a là un instinct de conservation qui avertit que l’avenir n’est plus exclusivement à l’ancien mode de filer, dans toutes les écoles d’apprentissage qu’on établit dans la Flandre occidentale, avec l’intervention pécuniaire du gouvernement, on n’enseigne plus aux enfants à filer à la main ; on leur enseigne presque partout et exclusivement à faire de la dentelle. Tant il est vrai que ceux qui se chargent d’organiser ces ateliers, comprennent eux-mêmes que désormais il faudra insensiblement adopter le système nouveau, sans toutefois renoncer complètement aux bénéfices que nous pouvons longtemps encore obtenir de l’ancienne industrie linière. J’ai dit.
M. Delehaye. - Messieurs, je pense, comme M. le rapporteur de la section centrale, que l’ancienne et la nouvelle industrie linière ne se font pas nécessairement une concurrence telle que l’une ou l’autre doive cesser d’exister. Si le gouvernement accorde à l’une et à l’autre la protection qu’elles sont en droit d’attendre de lui, la Belgique retirera longtemps encore de grands bénéfices de l’un et de l’autre. L’ancienne industrie linière, qui a fait pendant si longtemps la prospérité des deux Flandres, conserve encore sa réputation, car partout ce sont encore ses produits qui obtiennent la préférence.
Quand on a examiné le traité avec l’Espagne, j’ai entendu dire par beaucoup de négociants qui ont conservé des relations avec ce pays, que l’on continuait à y donner la préférence aux tissus faits avec le fil à la main. La cause de cette préférence est la plus grande solidité qu’on trouve dans ces tissus. C’est donc avec raison que M. Van Cutsem, et M. le rapporteur de la section centrale, ont défendu les intérêts de cette industrie. Je pense cependant qu’il ne faut pas donner cours à ces opinions erronées qu’on a mises en avant à ce sujet. Il ne faut pas laisser accréditer l’idée que c’est la salive seule employée dans le filage à la main, qui fait la force du fil. Je n’ai jamais partagé cette opinion ; et quand je l’entends émettre par des hommes haut placés, dont la parole a une certaine importance, je me trouve dans la nécessité de la combattre. Non, la salive ne peut pas faire que le fil travaillé à la main soit plus solide. Cette solidité tient au plus grand soin avec lequel il est fait, à la longueur du filament que la machine ne rompt pas, l’emploi de la salive n’est donc pas la seule cause.
Le gouvernement a employé les 85 mille francs mis à sa disposition pour encourager l’importation d’ustensiles mieux perfectionnés. Cet emploi a mon assentiment. Le gouvernement a parfaitement fait d’encourager l’introduction des meilleures machines, car c’est en adoptant ce que nous trouvons de plus parfait chez l’étranger en fait de procédés de fabrication, que nous parviendrons à lutter contre les produits. Nous avons d’ailleurs d’autres avantages que n’ont pas les étrangers, la main-d’œuvre qui est à meilleur marché chez nous qu’ailleurs, et la facilité de nous procurer la matière première, le lin. Cependant, à l’égard du lin, je dois exprimer le regret que nos lois ne soient pas faites de manière à protéger notre industrie. Quand le traité avec l’Espagne nous a été soumis, nous avons émis notre opinion sur l’exportation du lin. Nous ne demandons pas qu’on le prohibe.
Mais si les étrangers ont un avantage dans la perfection de leurs mécaniques et dans leur navigation, ne ferions-nous pas bien sagement de conserver sur le lin des avantages égaux en obligeant l’étranger à acheter la matière première à un prix plus élevé que maintenant ? En permettant aux étrangers de venir s’approvisionner de matière première sur nos marchés aux mêmes conditions que les industriels du pays, nous empêchons ceux-ci de s’en procurer. J’ai dit que j’avais eu occasion de voir quelques marchands de toile des Flandres qui m’ont appris qu’ils avaient reçu des commandes assez importantes qu’ils n’avaient pas pu exécuter parce que les toiles ne se trouvaient pas sur les marchés, par suite de l’impossibilité où l’on est de se procurer le lin nécessaire à la fabrication du fil.
M. le rapporteur d’alors, qui est aujourd’hui rapporteur de la section centrale pour le budget de l’intérieur, m’a répondu qu’on ne demandait guère des toiles de qualité très fine. Il avait raison, ce ne sont pas des qualités très fines qu’on demande. Mais mon observation s’appliquait à des toiles de qualité inférieure, il s’agissait de toiles de 12 à 18 fils, qualité qu’on ne trouve presque plus, parce que le lin est enlevé par les industriels étrangers, au détriment de la classe ouvrière. Je voudrais que la législation accordât à l’industrie du pays la protection dont elle a besoin pour balancer d’autres avantages que possèdent nos rivaux.
Je crois que si nous avons le bon esprit d’établir un droit sur la sortie du lin, l’agriculture aussi bien que l’industrie y trouvera son avantage.
Je vois qu’une somme de 10,700 fr. a été accordée au comité de l’industrie linière. Je pense que ce subside a été accordé à bon droit et au grand avantage de l’industrie. Mais je désirerais que le gouvernement donnât plus de publicité aux travaux de cette commission.
Si ma mémoire est fidèle, l’association de l’industrie linière avait proposé des prix pour le meilleur mémoire sur la fabrication de la toile et du fil. Je sais que des mémoires ont été envoyés à cette association, entre autres un qui m’a été communiqué et qui est écrit avec lucidité et un talent vraiment remarquable. Je sais qu’il n’a pas eu le prix : peut-être d’autres mémoires ont-ils été écrits avec plus de talent encore et ont-ils présenté des vues plus utiles. J’aurais voulu que ces mémoires fussent publiés. Je suis convaincu que cette publication rendrait de grands services au pays. Elle aurait au moins pour résultat de faire bien apprécier la position de l’industrie. On détruirait toutes ces idées erronées qui n’améliorent pas la position de l’industrie linière, qui, selon moi, ne sont pas pour rien dans la supériorité de ce mode de filage. Je voudrais donc que le gouvernement fît publier ces mémoires. Je suis persuadé que le comité de l’industrie linière se prêterait à cette publication ; je voudrais même que la plus grande publicité fût donnée à tous les travaux de ce comité. Comme elle n’agit que dans l’intérêt de l’industrie le pays ne pourrait que gagner à ces publications.
Messieurs, tous les ans on accorde un prix à celui qui apporte les toiles les mieux fabriquées. Cet usage peut être excellent en principe, mais il ne produit pas dans la pratique les avantages qu’on en attendait ; car le prix est souvent donné à ceux qui ne tissent pas du tout. Je sais que plusieurs individus ont remporté des prix sans avoir jamais contribué à l’amélioration de la tisseranderie ou de la filature. Quels sont ceux qui se bornent à la fabrication de la toile pour obtenir le prix ? Des fils de fermier qui travaillent à leur aise, et qui, quand une pièce est gâtée, en recommencent une autre, et peuvent passer à cela tout le temps nécessaire, parce qu’ils ne doivent pas en vivre. Mais le tisserand qui doit se hâter de finir sa pièce pour la vendre afin de pouvoir acheter les objets de première nécessité pour l’entretien de sa famille, ne peut pas concourir pour le prix de fabrication. Ceux qui travaillent pour le prix ne font donc rien pour la fabrication. Depuis cinq ou six ans la tisseranderie n’a pas fait de progrès. Les prix accordés ne sont pas considérables, La dépense n’est pas grande, il ne faut donc pas s’acharner à vouloir la faire cesser.
Cependant mon opinion est que, si on veut encourager l’industrie, il faut le faire par des moyens efficaces et non s’arrêter à de petits moyens comme ceux-là ; car, pour moi, je ne vois aucune efficacité dans la récompense donnée à celui qui fabrique la meilleure pièce de toile.
D’après ces observations, je me rallie aux conclusions de la section centrale, qui vous propose d’accorder l’allocation demandée.
J’espère que l’année prochaine l’industrie linière sera dans une meilleure position. Nous comptons pour cela sur les effets des traités conclus avec la France et avec l’Espagne.
M. Desmet. - Les observations faites par un honorable membre sur le passage du rapport de la section centrale sur le nouveau et l’ancien système de filage, m’avaient fait croire qu’on avait mal compris son rapport. Mais quand il a dit que, dans la Flandre occidentale, on prévoyait la fin de l’ancien système de filage, du filage à la main, et qu’on se livrait à la fabrication de la dentelle, que dans les écoles des communes on se préparait à ce changement au moment où on ne filerait plus le lin à la main pour la fabrication des toiles, j’ai vu que cet honorable membre avait raison ; ce que dit M. le rapporteur n’est pas exact. Aujourd’hui, dans toutes les communes de la Flandre occidentale, j’en appelle au témoignage de M. le gouverneur de la province ici présent, on fait tout ce qu’on peut pour encourager le filage à la main. Ce n’est pas seulement dans la Flandre occidentale, mais encore dans la Flandre orientale que ce filage est encouragé. Je citerai mon district et celui de l’honorable député de Termonde, et entre autres la commune de Masseminne, où l’on fait tout ce qu’on peut pour augmenter le filage à la main. C’est pour relever cette erreur de M. le rapporteur qui est contraire au sens attaché par la section centrale au passage du rapport dont il est question que j’ai demandé la parole.
Comme j’ai la parole, j’en profiterai pour dire que M. le ministre de l’intérieur a compris les besoins de l’industrie linière. Il a dit que le fonds est destiné à concourir à l’entretien de magasins de prévoyance. C’est une imitation de ce qu’on a fait dans la Flandre occidentale, dont il a pu apprécier les grands avantages. Ces magasins sont établis afin de pouvoir livrer aux fileuses le lin dont elles ont besoin. Au lieu de conclure de l’établissement de ces magasins, qu’on désespère du filage à la main, on devrait, au contraire, conclure qu’on a le plus grand espoir de le relever. Je pourrais citer telle commune qui a trouvé un tel avantage dans l’établissement de ces magasins, que son bureau de bienfaisance a économisé de sept à huit cents francs pendant l’année. Quand la classe des fileuses travaille, elle ne mendie pas. C’est ce qui explique cette économie. Le gouvernement a donné un subside à la commune et la commune continue à acheter du lin, ce qui lui permet d’assurer du travail aux fileuses.
Je crois inutile de revenir sur l’influence de la salive sur le filage ; c’est un fait certain ; il a été prouvé que cet ingrédient est une partie essentielle de la bonté du filage à main. Je bornerai ici mes observations et je voterai la somme demandée.
M. de Muelenaere. - Jusqu’à présent je ne comprends pas trop le but de cette discussion. Le chiffre proposé par le gouvernement et la section centrale n’a été attaqué jusqu’à présent par aucun membre de cette assemblée, J’aime à croire que la chambre sentira la nécessité de voter encore ce chiffre, pour l’exercice 1843 ; c’est le seul moyen d’atteindre un grand but, de maintenir l’industrie linière, telle qu’elle existe depuis des siècles dans le pays. Toutefois, comme j’ai été en quelque sorte interpellé par un honorable membre, je me permettrai de dire seulement deux mots.
Loin d’abandonner, dans les Flandres et notamment dans la Flandre occidentale, l’ancien mode de filer, nous avons fait depuis plusieurs années et nous faisons encore les plus grands efforts pour continuer ce mode de filer, et pour y introduire tous les perfectionnements dont il est susceptible.
Quant à moi, je ne pense pas que cette ancienne industrie soit destinée à périr. Je crois qu’un bel avenir lui est réservé. Mais pour cela il faut de la persévérance ; avec le secours du gouvernement, je crois que l’ancienne industrie linière conservera la supériorité dont elle n’a pas cessé de jouir jusqu’à présent. Je désire que des industries nouvelles prospèrent concurremment avec l’ancienne industrie linière. Quant à celle-ci, j’ai la plus haute confiance dans son avenir.
Nous avons besoin du secours du gouvernement et des chambres, parce que cette industrie s’est trouvée pendant quelque temps dans une position extrêmement précaire ; son avenir était en quelque sorte menacé. Mais par suite des conventions récemment faites avec la France et l’Espagne, j’aime à croire que cet avenir commence à se présenter sous de meilleurs auspices, et que l’industrie linière reprendra l’éclat dont elle a toujours joui dans notre pays.
- L’art. 1er du chap. XVI est mis aux voix et adopté.
«Art. 2. Musée de l’industrie nationale : fr. 40,000 »
« Art. 3. Primes et encouragements aux arts mécaniques et à l’industrie, aux termes de la loi du 25 janvier 1817, n°6, sur les fonds provenant des droits de brevets, et tous frais d’administration et de délivrance des brevets (personnel et matériel) : fr. 33,000 »
- Ces deux articles sont adoptés.
La chambre passe au chapitre XVII. Instruction publique.
M. Pirson. - Je crois que l’instruction publique, dans son ensemble, mérite bien une discussion générale, et je la demande.
J’ai déjà, dans une occasion, développé tout mon système sur cette matière, qui exige de grands développements. Mais je vais vous donner une preuve de la pauvreté de mon langage puisque je vous prie de me permettre de lire tout simplement ce que j’ai écrit sur cette matière.
J’assistais alors à la reddition des prix au collège de Dinant, à côté de Mgr. l’évêque de Namur.
Votre jugement vous fera retrancher les quelques mots applicables à la circonstance du moment où ils ont été prononcés.
« Messieurs, au milieu du pêle-mêle des opinions politiques et religieuses, dans lequel nous nous trouvons malheureusement en Belgique, je crois devoir donner au public réuni ici à l’occasion de la reddition des prix au collège de cette ville, des explications sur sa récente réorganisation. Elles seront précédées et suivies d’observations qui me sont dictées pas la plus franche impartialité et le désir ardent de pousser à la conciliation autour de nous ; je dis autour de nous, parce que dans la localité dinantaise, tous les esprits sont parfaitement d’accord sous le rapport politique. Quant à l’instruction primaire et moyenne confiée à des membres du clergé, il y a bien eu quelque dissidence, mais les bons résultats obtenus des nouveaux établissements, surtout du collège, ont ramené les plus opposants. Toutefois, il faut convenir que l’opinion repoussait avec raison les anciennes méthodes et la perte de temps que l’on faisait éprouver ci-devant aux élèves. Mais aujourd’hui l’on donne dans nos établissements toutes les leçons que réclament les besoins de la société.
« Dans le pays, deux partis sont en présence, les libéraux et les catholiques ; or, il n’y a, j’espère, que malentendu entre eux, et ils finiront par s’entendre ; s’il en était autrement, c’est qu’il y aurait de la mauvaise foi quelque part.
« Les vrais libéraux et les catholiques purs ne doivent-ils pas former un seul et même faisceau ? ils ont conquis ensemble, ils défendront ensemble toutes les libertés civiles et religieuses ; ils les ont inscrites dans une constitution qu’ils ont juré d’observer. Cette constitution consacre l’indépendance du pouvoir religieux et sa séparation du pouvoir politique. Chacun doit agit dans sa sphère d’activité. Celui-ci (le pouvoir politique) a en mains tous les moyens coercitifs et matériels pour étayer sa puissance ; celui-là (le pouvoir religieux) n’a que des moyens moraux, de confiance et de persuasion pour faire respecter la sienne. Et cependant avant la reconnaissance du principe de séparation, le pouvoir religieux, ou plutôt l’abus possible de ce pouvoir, avait toujours inspiré des craintes au pouvoir politique. Sous tous les gouvernements et en tous pays, celui-ci a toujours exercé sur le premier une surveillance active et scrupuleuse. La Belgique seule fait aujourd’hui l’essai d’un principe nouveau dont la proclamation fera époque dans l’histoire.
« Quand, après un long esclavage, on récupère tout à coup la liberté, il est possible qu’on se trouve dans une sorte d’ivresse, qui empêche d’abord de jouir de cette liberté avec toute la modération désirable. Quelques catholiques me paraissent dans ce cas, en voulant pousser leur mainmise exclusive sur les élections et nominations de tous les fonctionnaires civils et politiques, sur toutes les parties de l’instruction publique, sans exception.
« Qu’ils y prennent garde, il n’y aura pas, comme quelqu’un a voulu le faire entendre, une troisième révolution en leur faveur, mais il pourrait surgir une réaction qui détruirait la belle position du clergé.
« Je ne dirai qu’un mot sur les tentatives patentes d’influence du pouvoir religieux, à l’occasion des nominations de l’ordre civil, c’est que s’il prétend intervenir, sous prétexte des intérêts de la religion, le pouvoir politique, gêné dans ses mouvements, pourra, à son tour, revenir sur un ordre de choses dans lequel l’équilibre serait rompu et convoquer une assemblée constituante pour le rétablir ; alors l’indépendance du pouvoir religieux serait de nouveau compromise.
« Mais ce n’est point de ces hautes questions qu’il s’agit ici.
« J’en viens à l’article de l’enseignement, pour lequel nous sommes réunis aujourd’hui. Des membres du clergé prétendent qu’ils ont mission divine pour enseigner les peuples. Soit : ils ont mission pour l’enseignement religieux, c’est incontestable. Mais la lecture, l’écriture, le calcul ; mais les sciences exactes, naturelles, militaires, nautiques, l’astronomie, la chimie, le droit, la médecine, les langues anciennes et vivantes, tout cela est-il compris dans le mandat divin ? Assurément non, ce serait impossible, ce serait absurde. Les premières notions religieuses, l’idée de Dieu, sont données aux enfants par les pères et mères, pour peu qu’ils soient religieux et civilisés.
« Vient le moment d’entrer aux écoles gardiennes, puis aux écoles primaires, ensuite aux collèges. Partout l’enseignement religieux doit suivre et se fortifier à mesure que les jeunes gens avancent en âge et en instruction de choses indispensables à l’état ou profession qu’ils choisiront un jour.
« Le prêtre doit diriger et surveiller l’instruction religieuse ; le magistrat l’instruction sociale. Si le même instituteur est chargé de ces deux parties distinctes d’enseignement, il faut bien alors que les deux pouvoirs, religieux et civil, s’entendent pour le choix de cet instituteur. Si l’un des deux pouvoirs veut écarter l’autre, il y a empiétement. S’il s’entête, il y a lacune dans l’un ou dans l’autre enseignement. Tout le mal retombe sur la jeunesse. Tel est le résultat des prétentions exagérées qui se sont produites dans une province voisine.
« Nous avons été plus heureux ici. Il y a huit mois, notre collège était en dissolution complète, nous avons approché le digne prélat qui nous gouverne sous le rapport religieux. Nous lui avons dit quelle devait être la destination de notre collège : mettre les élèves a même, en sortant, de prendre un état ou profession laïque, selon leur vocation et leur fortune. Nous avons indiqué d’après nos opinions, les différentes parties de l’enseignement qu’il devrait renfermer ; nos ressources pour former et soutenir cet établissement ; nous l’avons prié d’en prendre la haute direction, il a accepté notre proposition avec la bienveillance qui le caractérise. De part et d’autre il y avait confiance réciproque et entière, mais les hommes passent pour assurer le maintien de l’ordre de choses établi ; toutes les conditions auxquelles les parties se sont soumises sont écrites, entre autres celle de pouvoir résilier, moyennant avertissement six mois avant l’expiration de l’année scolaire ; cette garantie simple comprend toutes les garanties possibles : aussi les plus méfiants s’y sont-ils ralliés.
« J’ai déjà dit un mot des bons résultats obtenus. J’ajouterai que les professeurs sont parfaitement contents de leurs élèves. Je n’ai point interrogé tous ceux-ci ; mais, s’ils se trouvaient mal, ne seraient-ils pas tentés de désobliger leurs maîtres ! n’y aurait-il pas quelque désordre ? Il n’en est rien... Quant aux parents, je n’ai entendu dans leur bouche que les plus grands éloges sur la bonne tenue et la surveillance des élèves. Nous n’avons donc, monseigneur l’évêque et nous, qu’à nous féliciter d’une opération qui aura, j’espère, ses continuateurs.
« Vous le voyez, messieurs, dans mon opinion, je veux que l’élément religieux accompagne l’instruction sociale, sans discontinuité, depuis la plus tendre enfance jusqu’au sortie du collège. Je l’admettrais même jusqu’à la philosophie inclusivement, mais après cela l’élève devient homme, il doit commencer à faire usage, en toute liberté, des principes et des connaissances qu’il a acquises. Comme le commun des hommes, il est rappelé au souvenir de sa religion par les ministres préposés à cet effet.
« Nous arrivons à l’université. Nous en avons quatre, deux appartenant à l’Etat, une aux catholiques, une aux libéraux. Il faut convenir que c’est trop, comparativement à la population de la Belgique. Il me semble qu’il y aurait possibilité de remaniement du tout. D’abord, je reconnais qu’en fait de haut enseignement, il y a quelque chose à faire pour le clergé catholique. En effet, si dans l’ordre civil, administratif, judiciaire, économique, sanitaire, industriel, scientifique, commercial et militaire, tous les citoyens, selon leur vocation, trouvent aux frais de l’Etat, des établissements où ils peuvent s’instruire et se perfectionner, il est juste que, de leur côté, les aspirants à la prêtrise aient un établissement dans lequel ils puissent acquérir toutes les connaissances nécessaires à leur état et à leur position sociale. Les principes d’égalité que consacre notre constitution, ne permettent pas de se refuser à cet acte de justice distributive. Et d’ailleurs, existe-il une seule nation plus ou moins civilisée, qui ne reconnaisse la nécessité et l’utilité d’une religion ? Point de religion sans ministres. Il faut donc pourvoir à leur existence, et les mettre au niveau de la bonne société. En conséquence, j’admets une université catholique aux frais de l’Etat, mais dans cette université il ne devrait point être question, selon moi, des cours de sciences, de médecine, de droit civil et politique, cela regarde l’Etat, elle doit se contenter (l’université catholique) des cours de philosophie, de théologie et de droit canon.
« L’organisation et la direction de cette université, sous le rapport de l’instruction et de l’administration, doit appartenir exclusivement au chef de l’église ; seulement l’autorité civile et l’autorité religieuse doivent s’entendre pour régler le montant du subside nécessaire, en coordonnant le tout avec la dépense que déjà occasionnent les séminaires
« Je suis conséquent avec moi-même. Je vous ai dit que j’admettais l’élément religieux jusqu’à la philosophie inclusivement. Eh bien ! le cours de philosophie à mon université catholique pourrait être fréquenté par tous les jeunes gens indistinctement, et pour les cours subséquents ceux qui n’aspireraient point à la prêtrise, se rendraient aux universités de l’Etat. Il est bien entendu que les cours de philosophie et lettres ne seraient point supprimés dans celles-ci. Le choix de l’une ou de l’autre appartiendrait aux élèves ou à leurs parents.
« Cette transaction satisferait, je pense, toutes les opinions. Le clergé réduit aujourd’hui à faire sur ses membres une retenue proportionnelle au traitement de chacun, et à faire appel à la charité ou à la générosité des fidèles, moyen bien incertain de stabilité, s’assurerait ainsi sans effort toute la part d’instruction à laquelle il a droit.
« Si pareille transaction avait lieu, plus de rivalité compromettante, plus de dénigrement, plus de lutte possible.
« Il serait même possible que l’université libérale s’abstînt et se confondît dans les universités de l’Etat, dont les cours pourraient être répartis entre les deux villes dans lesquelles sont établies aujourd’hui nos deux universités de l’Etat, qui n’en feraient plus qu’une. Alors le subside à l’université catholique ne serait point un surcroît de dépense.
« L’idée que je jette en avant exigerait des développements qui ne peuvent trouver place ici. J’y reviendrai en temps et lieu. En attendant, si elle pénètre dans le champ de la discussion publique, elle sera peut-être utilement élaborée.
« Messieurs, vous venez d’entendre les paroles d’un libéral qui n’a point varié depuis 1790. A cette époque je me trouvais à Paris avec les auteurs de la constitution civile du clergé français. Pour abréger leur tâche, je leur conseillais l’émancipation absolue du pouvoir religieux avec une bonne loi de répression en cas d’abus. Le temps n’était point encore venu de proclamer ce grand principe. Je l’ai soutenu au congrès national en 1830, il a été adopté, et j’espère que je n’en aurai point de regret. La liberté civile et la liberté religieuse sont deux sœurs désormais inséparables. Il y aura peut-être bien entre elles quelques mouvements irréguliers, quelques oscillations produites par un sol tant soit peu mouvant encore, mais elles prendront définitivement une assiette fixe, et serviront de point de mire aux hommes éclairés de tous les pays. »
Je ne fais pas de proposition, j’énonce des idées qui pourront être élaborées et dont chacun pourra faire son profit, s’il le juge utile.
M. Verhaegen. - Je ne puis me dispenser de dire encore quelques mots sur l’instruction primaire, et le discours de l’honorable M. Pirson, dont on vient de vous donner lecture en son nom, m’y aurait engagé d’ailleurs, si je n’en avais conçu le projet depuis longtemps.
Je faisais partie de cette petite minorité qui a voté contre la loi sur l’instruction primaire, et de nouveau je me félicite. Tout ce que j’ai dit au mois de septembre dernier, je le maintiens, et je doute fort que l’exécution de la loi, quoi qu’on en ait dit, réponde à l’attente du gouvernement. Ce que j’avais prévu lors de la discussion, quant à l’extension qu’on donnerait aux principes qui régissent l’instruction primaire s’est réalisé.
L’honorable M. Pirson est allé même beaucoup plus loin ; car il voudrait étendre ces principes jusqu’à l’instruction supérieure, ou plutôt jusqu’à la philosophie. A M. Pirson, je n’ai qu’un seul mot à répondre, c’est que l’opinion qu’il a émise aujourd’hui n’est pas son opinion d’autrefois. Quant à M. le ministre de l’intérieur, il nous a donné la preuve que les principes qui ont été adoptés relativement à l’instruction primaire ne tarderont pas avec sou concours à être adoptés pour l’instruction moyenne.
J’ai dans une autre occasion (je pense que c’était dans la discussion sur le budget des voies et moyens) signalé un fait, qui, selon moi, prouve cette tendance ; j’ai parlé du collège d’Ath, et M. le ministre de l’intérieur m’a promis des explications lors de la discussion de son budget. J’attendrai ces explications, et je me réserve de les rencontrer. Jusque-là je maintiens la gravité des faits que j’ai signalés. Dans la discussion de la loi sur l’instruction primaire, j’ai présenté plusieurs observations qui étaient de nature à faire ressortir les inconvénients que devait entraîner l’abandon par le gouvernement de la plus belle de ses prérogatives. Moi aussi voulais un enseignement moral et religieux. Je le voulais sincèrement. Mais en même temps je voulais que le gouvernement conservât son indépendance, et usât de tous ses moyens pour qu’une autorité, comme on veut bien la qualifier et se présente toujours comme rivale, ne dépassât pas les justes limites, et surtout n’empiétât sur ses prérogatives.
Mon principe à moi (et je ne recule pas devant les conséquences) était qu’il fallait donner à la jeunesse un enseignement religieux et moral, mais dans les églises et par les ministres du culte, et que, dans les écoles du gouvernement, il fallait se borner à enseigner ce qui concerne l’instruction proprement dite, en soumettant toutefois cet enseignement à un contrôle qui pût satisfaire à toutes les exigences.
Quant aux inspecteurs, nous ne voulions pas les répudier. Mais nous voulions que chacun restât à sa place. Du moment que, contrairement à mon opinion, on avait admis le principe que l’enseignement religieux et moral devait être donné, non pas dans l’église, mais dans l’école même, il fallait, je le conçois, des inspecteurs du clergé ; il fallait aussi, mais la discussion a prouvé que ce n’était que pour la forme, des inspecteurs civils.
Nous nous sommes occupés alors de ces inspecteurs des deux catégories, et nous avons faut à cet égard plus d’une réflexion qui pourrait encore être utile aujourd’hui. Nous avons, entre autres, demandé à M. le ministre de l’intérieur ce que feraient les inspecteurs civils dans le cas où ils seraient en désaccord avec les inspecteurs du clergé. Nous avons demandé quel serait la mission d’un inspecteur civil alors que, sous le prétexte d’enseigner la morale, il y aurait enseignement de certains principes qui ne s’accorderaient pas avec les principes gouvernementaux. On nous a dit qu’il fallait à cet égard s’en rapporter à la loyauté du clergé, et la majorité s’est contentée de cette observation ! Dieu veuille que cette détermination ne lui laisse pas des regrets !
J’avais encore demandé, lors de la discussion, qui enseignerait à la jeunesse les devoirs de citoyen, quels seraient ceux qui contrôleraient cet enseignement. Ces observations sont restées sans réponse, et aujourd’hui je crois de mon devoir de les renouveler.
Vous avez crée des inspecteurs civils, et leurs fonctions, quoi qu’on en ait dit, ne sont pas bien décrétés dans la loi. Tout ce que je vois, c’est qu’on leur donne des appointements. Il y avait encore des orateurs qui prétendaient que leur besogne ne serait pas très considérable, qu’elle ne devait pas l’être, qu’il fallait la réduire le plus que possible, et pour cause.
Vous avez admis, ou plutôt toléré, des inspecteurs ecclésiastiques ; et ceux-là, ne vous y trompez pas, mettront dans l’exercice de leurs fonctions beaucoup de zèle et beaucoup d’activité. A ceux-là on ne dira pas que leurs places constituent des sinécures ; on leur recommandera l’assiduité, la vigilance. Ils viendront contrôler tout ce que vous faites dans vos écoles, et vous, vous n’aurez pas le droit de contrôler ce que feront d’autres à côté de vous.
On vous l’a dit tout haut, loin de s’en cacher ; vos inspecteurs civils n’auront rien à contrôler en ce qui concerne l’enseignement de la morale et de la religion. En vain feront-ils une objection, une observation, en vain prendront-ils la liberté grande de dire : « Mais votre enseignement n’est pas conforme aux principes constitutifs de l’Etat ; » On leur répondra : « Cela ne vous regarde pas ; vous n’avez pas à nous contrôler, nous sommes indépendants. »
Et ces hommes qui s’exprimeront ainsi, si j’en crois les renseignements de la section centrale, le gouvernement les payera. Oui, le gouvernement les payera ; car dans la somme portée au budget se trouve comprise certaine somme pour rétribuer les inspecteurs ecclésiastiques. On ne nous parlait pas, il est vrai, de traitements lors de la discussion de la loi ; et on s’en serait bien gardé à cette époque, parce qu’on aurait craint de rencontrer plus d’un argument à combattre la loi que vous avez votée est exclusive d’appointements pour les inspecteurs ecclésiastiques. Car il y a un titre tout particulier qui s’occupe des appointements des inspecteurs civils. La loi tolère l’inspection ecclésiastique, mais elle ne fait rien de plus pompeux ; nulle part elle ne leur a donné des appointements. Je ne serais pas fâché que M. le ministre de l’intérieur voulût bien nous donner son opinion à cet égard, et la coordonner avec la loi.
Je sais bien, messieurs, et à cet égard je me pose sur le véritable terrain, je sais bien que qui veut la fin, veut les moyens : Je sais bien qu’on va me dire : Vous qui avez admis des inspecteurs ecclésiastiques, vous devez aussi admettre la nécessité de les rétribuer.
Lorsque nous discutions la loi, je me rappelle qu’on parlait beaucoup sur certains bancs d’abnégation de la part du clergé, de tout intérêt matériel. Mais quelque temps s’est écoulé depuis : l’opinion d’alors n’est plus l’opinion d’aujourd’hui.
Me dira-t-on que toute peine mérite salaire ? Mais alors ce ne sera plus l’intérêt moral, ce sera l’intérêt matériel qu’on devra invoquer à l’appui de la demande d’allocation. Quoi qu’il en soit, pour formuler une opinion définitive, j’attendrai les explications de M. le ministre.
Mais s’il faut rétribuer ou non les inspecteurs ecclésiastiques, toujours est-il, et le moment est arrivé de s’en expliquer, que le gouvernement, dans l’exécution de la loi, prenne toutes les précautions possibles, pour abandonner le moins possible de l’autorité qui peut encore lui rester.
Vous voulez une instruction donnée aux frais de l’Etat, vous devez en vouloir les conséquences. Vous avez admis une intervention dont plus tard vous reconnaîtrez les inconvénients ; c’est un fait accompli, mais n’agrandissez pas encore l’influence du clergé. Ne l’agrandissez pas d’abord par des nominations irréfléchies et de complaisance, ne l’agrandissez pas surtout en abandonnant ce seul moyen qui vous reste pour parer à ce que moi je ne cesserai d’appeler des inconvénients et des abus.
L’honorable M. Pirson vous disait tantôt que dans nos écoles on donne toutes les leçons que réclament les besoins du moment. Je ne suis pas d’accord avec lui.
M. Pirson. - J’ai dit : Dans les écoles de Dinant.
M. Verhaegen. - Vous avez dit dans les écoles de Dinant ? Les écoles de Dinant feraient donc exception à la règle ? Vous allez juger, mon honorable collègue, si les écoles de Dinant méritent d’être placées dans l’exception.
Vous avez ensuite parlé de l’indépendance des pouvoirs. Sur ce point vous êtes d’accord avec moi. Vous avez dit que chacun de ces pouvoirs devait rester dans sa sphère : Nous sommes encore d’accord. Il ne s’agit que de savoir si ce principe, si bon en théorie, reçoit et recevra son application. L’instruction donnée aux frais de l’Etat a des exigences spéciales qui résultent de la nature même de cette instruction.
Il est incontestable que l’enseignement de la morale dans le sens absolu du mot, et de la morale religieuse dans le sens relatif du mot, doit être d’une certaine utilité pour l’Etat ; mais cette utilité n’est qu’indirecte. En formant des hommes religieux et moraux, l’Etat espère faire de bons citoyens, mais le moyen qu’il emploie à cette fin n’est qu’indirect.
Or, il existe un moyen direct de donner aux citoyens l’instruction spécialement nécessaire pour qu’ils puissent remplir légalement leurs devoirs de citoyens et exercer légalement leurs droits. Ce moyen direct est complètement négligé, tandis que les deux moyens indirects sont employés avec avidité et complètement abandonnés au clergé, sans que le gouvernement puisse même exercer aucun contrôle.
Le moyen direct, c’est l’enseignement proportionnel dans les écoles de l’Etat des principes de morale civique, politique et civile.
Nous voulons parler d’un catéchisme légal, à l’usage des écoles primaires, d’un catéchisme plus développé, à l’usage des écoles moyennes, et plus développé encore à l’usage des écoles supérieures qui n’ont pas le droit pour objet.
C’est un préjugé du moyen âge de faire de la science du droit un arcane pour tout le monde, excepté pour les adeptes. Tout le monde apprend les éléments de la religion, tout le monde reçoit les éléments de morale, personne n’apprend, personne ne sait les éléments de ses devoirs et de ses droits de citoyen. L’homme du peuple ne sait point ce qu’il doit à sa patrie, ce qu’il doit au chef de l’Etat, il ignore ce que c’est qu’une constitution, un gouvernement constitutionnel, etc., il ignore ce que la loi impute à crime et à délit, et souvent il est dupe de son ignorance.
Le catéchisme religieux enseigne ce que la religion et la morale permettent ou condamnent, mais il ne fait pas connaître ce que permettent, défendent les lois positives. L’homme du peuple, le jeune homme, l’enfant même, sont punis pour des délits qu’ils ne savent point exister comme tels ! Vous punissez l’ignorance comme si elle était un crime, et cette ignorance vous n’avez rien fait pour la prévenir ou la dissiper !
Le droit est une atmosphère dans laquelle tout le monde vit ; l’Etat dans ses écoles primaires et moyennes enseigne l’arithmétique, la lecture, les langues anciennes ; il fait des savants, et il ne songe point à inculquer aux jeunes gens les éléments de connaissances pratiques indispensables pour se mettre en rapport avec le premier venu, pour vendre, acheter, louer et faire le moindre acte intéressant les personnes et les propriétés ; il ne lui inculque pas même les connaissances pratiques nécessaires pour éviter le délit et la contravention qui deviennent ainsi des espèces de guet-apens tendus à la pauvreté et à l’ignorance. Quant aux principes qui tiennent à l’existence de tout gouvernement, il en abandonne le développement, sous le nom de morale, aux ministres du culte.
L’Etat enseigne : c’est un fait ; l’Etat fait enseigner, c’est absolument la même chose. Or, il fait enseigner tout, excepté ce qui l’intéresse comme Etat. Il agit comme un père qui ferait apprendre à son enfant tout ce qu’il peut humainement savoir, excepté ce qui sera nécessaire, indispensable à la profession qu’il destine à cet enfant ! La contradiction est choquante. Elle provient, messieurs, de ce que les hommes d’Etat souvent ne méritent point leur nom. Ils sont hommes de parti, et non hommes d’Etat.
Ce n’est pas que nous croyions, comme Bentham, qu’il faut faire de tous les jeunes gens de 18 ans de profonds jurisconsultes, mais nous pensons qu’il faut en faire de bons citoyens, capables de connaître la portée et les conséquences des actes qu’ils posent, capables d’être bons patriotes, bons pères de famille, bons fils, bons propriétaires, bons locataires, bons ouvriers, bons négociants. Nous ne voulons pas qu’on enseigne dans les écoles primaires et moyennes la science du droit ; nous voudrions trouver un autre nom pour rendre notre idée ; ce sont les éléments légaux appropriés à l’intelligence des élèves que nous voulons enseigner. Vous communiquez à l’enfance les grands mystères et la grande morale de la religion, vous avez trouvé pour cela des termes à l’effet de vous faire comprendre, et vous argumenteriez de l’impossibilité d’un catéchisme légal, tandis que vous avez un catéchisme religieux ! Il ne s’agit point de justifier ou d’expliquer les lois : il s’agit de faire connaître, en termes appropriés à l’intelligence des enfants et des jeunes gens, les dispositions générales et principales des lois politiques et civiles. Rien ne serait plus facile que de rédiger deux catéchismes légaux, l’un pour les écoles primaires, l’autre pour les écoles moyennes, et dans tous les cas, je suis bien sûr qu’on ne révoquera pas en doute la possibilité de l’exécution de cette loi.
Cette exécution n’est pas seulement un devoir pour l’Etat, c’est une espèce de droit pour le pauvre. Vous faites des lois pénales fort rigoureuses, vous voulez avertir, avant de frapper. Le pauvre qui envoie ses enfants à l’école primaire n’a-t-il pas le droit de vous demander que vous avertissiez les enfants par l’instruction ?
Vous n’avez aucun contrôle sur l’enseignement du clergé, qui, sous le prétexte de la morale, peut, dans le sens absolu du mot, toucher aux principes constitutifs du gouvernement, et vous laissez échapper le seul moyen qui se présente tout naturellement, et qui seul est de nature à parer aux abus !
Mais, direz-vous, les maîtres ne sont pas capables d’enseigner le catholicisme légal ; comment donc enseignent-ils la religion et la morale ? que les maîtres s’instruisent, que les inspecteurs civils soient bons à quelque chose, les inspecteurs du clergé sauront bien remplir leur mission, ils la rempliront sans contrôle du gouvernement et aux frais de l’Etat ! que le maître se fasse élève pour devenir meilleur maître, et puis le catéchisme sera tellement simple qu’il n’aura guère besoin d’explications, si ce n’est sur la valeur des termes qui seront, autant que possible, vulgarisés à l’usage de l’enfance et de la jeunesse.
La dépense pour l’Etat de cette innovation est nulle.
Vous, avez des maîtres, il s’agit de les utiliser ; vous avez des inspecteurs, qu’ils remplissent consciencieusement leur mission, et que leurs places ne soient point des sinécures ; vous avez tous les locaux nécessaires, il ne s’agit que de faire rédiger et d’approuver (M. le ministre s’entend) deux livres, et d’ordonner une branche spéciale d’enseignement et de tenir avec rigueur à l’exécution.
Si cette idée était pratiquée, il serait paré à plus d’un inconvénient, à plus d’un abus. Or, il n’y aurait plus de faux électeurs, car le plus lourd manant saurait alors que le paiement d’un cens n’est qu’une présomption, et qu’on ne peut vicier cette présomption par la fraude.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, mon intention n’est pas de renouveler la discussion de la loi de l’instruction primaire : la chambre ne me le permettrait pas. La loi est votée ; elle recevra son exécution,
Je pourrai donc m’attacher au seul point véritablement en discussion, à savoir les indemnités demandées pour l’inspection ecclésiastique. Quand nous arriverons à cette division du chapitre, il me sera extrêmement facile de démontrer que l’inspection ecclésiastique n’est possible que si on alloue certaine indemnité. Qui veut la fin veut les moyens. La loi a admise une inspection ecclésiastique ; elle ne l’a pas admise par tolérance, comme vous l’a dit l’honorable préopinant ; elle l’a admise comme une partie intégrante, comme une partie nécessaire de l’organisation de l’instruction primaire. Nous reviendrons plus tard sur ce point. (Interruption.)
L’honorable préopinant a fait le procès à la loi de l’instruction primaire. Je puis me borner à lui répondre que c’est là un fait accompli. Je respecte toutes les opinions ; je respecte celle de l’honorable préopinant ; mais la loi existe aujourd’hui et il doit à son tour respecter les décisions de la majorité.
Il a critiqué le programme de l’instruction primaire, car la dernière partie de son discours se borne à dire que ce programme n’est pas assez étendu, qu’il faudrait y ajouter une espèce de cours de droit public et même de droit criminel car il a été jusqu’à parler du code pénal ; ce ne serait pas là, messieurs, une innovation ; la chose a été tentée en d’autres temps et l’on a abandonné cette tentative pour en revenir pour l’enseignement primaire, au catéchisme ordinaire.
J’ai eu l’honneur, messieurs, il y a environ un an, de vous présenter un rapport sur l’instruction primaire, rapport où il était rendu compte de toute la législation, depuis 1830 et même du régime antérieur à 1830 ; je m’occupe d’un travail du même genre sur l’instruction moyenne, et j’espère que ce rapport pourra vous être présenté très prochainement. Il vous fera connaître le véritable état de l’instruction moyenne. Il vous fera également apprécier une tentative qui a été faite récemment dans une ville du Hainaut.
Beaucoup d’établissements, messieurs, avaient fait des arrangements avec le clergé, arrangements d’après lesquels le clergé avait les nominations et la direction exclusive de l’enseignement dans ces établissements. Dans la ville dont je viens de parler, on a fait une tentative d’un autre genre, tentative qui, selon moi, est digne de toute notre attention. Dans cette ville on a admis certaines bases de la loi sur l’instruction primaire, on s’est demandé « Ne pourrait-on pas appliquer au collège dont il s’agit, la double inspection, c’est-à-dire avoir l’inspection civile exercée au nom de l’autorité civile et l’inspection ecclésiastique exercée au nom du clergé ? » C’est là, messieurs la première base qui a été adoptée. En deuxième lieu, on a admis que la morale et la religion seraient enseignées par un ecclésiastique attaché à l’établissement.
Voilà, messieurs, les deux nouvelles bases d’après lesquelles on s tenté un arrangement dans cette ville. Je pourrais dire que l’on va peut-être moins loin que dans beaucoup d’arrangements de ce genre, par lesquels les établissements tout entiers, direction et nomination, se livraient au clergé. Je regrette que le rapport sur l’instruction moyenne ne soit pas encore prêt à être déposé sur le bureau ; il le sera sous peu de jours et je désire beaucoup que l’on examine avec toute l’attention nécessaire cette dernière tentative qui peut-être aura une phase toute nouvelle, qui peut-être nous fournira la solution de la question de l’enseignement moyen.
Je crois, messieurs, ne pas avoir besoin d’aller plus loin, n’ayant pas le droit, à moins que la chambre l’exige, de renouveler la discussion de la loi sur l’instruction primaire.
M. Verhaegen. - Je sais bien, messieurs, qu’une loi votée est un fait accompli et il est loin de moi de contester cette vérité mais il m’est permis d’exprimer des regrets ; il m’est permis à moi, qui n’ai pas partagé l’opinion de la majorité, de représenter quelques-unes des considérations que j’ai fait valoir dans la discussion de la loi dont il s’agit, pour en argumenter dans l’espèce dont nous nous occupons aujourd’hui. Je n’ai fait que cela ; je ne suis pas sorti de ces limites. Je n’en dirai pas davantage sur ce point.
J’ai fait, messieurs, quelques observations sur une branche d’enseignement qui n’est pas nouvelle, qui se trouverait naturellement comprise dans une des branches qui ont été admises ; j’ai fait à cet égard des réflexions que je croyais assez importantes pour être communiquées à la chambre et j’avais espéré qu’elles n’auraient pas été l’objet du dédain du gouvernement. D’après la manière dont mes observations ont été accueillies, il semblerait, messieurs, qu’il s’agit d’une utopie. Ces observations je les ai livrées à l’appréciation de la chambre, on les jugera ; mais qu’on soit convaincu que mes intentions étaient bonnes. Qu’est-ce que je veux ? Je veux que l’on mettre les enfants et les jeunes gens en état d’arriver à des connaissances plus étendues sous le rapport du droit et sous le rapport de la politique ; mais n’allez pas croire (et c’est là une apostrophe qui m’a été faite tout à l’heure d’un des bancs du milieu et qui a été reproduite par M. le ministre de l'intérieur), n’allez pas croire que je veuille faire donner dans les écoles primaires un cours de droit public et un cours de droit criminel. Ce serait là une véritable utopie, j’en conviens ; mais tel n’est pas mon système ; je veux que l’on fasse pour cette science-là que j’appellerai si vous le voulez : « Science sociale » qu’on fasse pour cette science ce que l’on fait pour d’autres, c’est-à-dire qu’on en jette les bases dans l’instruction primaire, pour arriver plus loin graduellement jusqu’à l’instruction supérieure.
Ne voyez-vous pas, messieurs, que les objections que vous me faites sont dénuées de fondement et qu’elles tournent contre vous- même ? Parce que dans un catéchisme auquel j’ai donné un nom, que vous changerez si vous le voulez, parce que dans un catéchisme je veux que l’on enseigne aux enfants, ce qu’il faut entendre par patrie, ce que l’homme doit à sa patrie, ce que l’homme doit au chef de l’Etat, je ne veux pas pour cela instituer un cours de droit public.
On dirait aux enfants : « Celui qui tue autrui est puni dans certains cas de la peine de mort et dans certains autres cas de travaux perpétuels. » Et si vous faisiez connaître quelles sont sous le rapport du droit positif, les conséquences d’un fait que la religion et la morale réprouvent aussi bien que les lois civiles, vous auriez déjà beaucoup fait. Le catéchisme religieux que vous enseignez, dit aussi que l’on ne peut pas tuer son prochain ; cependant en faisant apprendre ce catéchisme aux enfants, vous ne leur faites pas suivre un cours de théologie, mais vous jetez des bases pour arriver plus loin.
Eh bien ! pourquoi ne permettriez-vous pas aussi que dans cet autre catéchisme dont je vous parle, on dît aux enfants : « Si vous tuez votre semblable, non seulement vous faites mal d’après la religion et la morale, mais vous faites encore mal d’après la loi positive, et vous pourrez être puni de mort ? » Evidemment, messieurs, en enseignant cela aux enfants, vous ne leur donneriez pas un cours de droit criminel.
M. de Foere. - On enseigne cela.
M. Verhaegen. - Oui, on l’enseigne ; mais je veux que tout le monde reste à sa place. Ce sera le clergé qui enseignera cela, et c’est le gouvernement qui doit l’enseigner. Il s’agit précisément ici de cette indépendance des pouvoirs dont l’honorable M. Pirson a parlé, et dont vous ne voulez pas. C’est cette indépendance que je n’ai cessé de demander. Enseignez dans votre catéchisme que celui qui tue son prochain pèche contre la religion et la morale, et qu’il encourra des peines dans l’autre vie, c’est là votre office, mais que le gouvernement fasse enseigner de son côté que celui qui tue sera puni de certaines peines dans la vie présente, qu’il encourt les peines comminées par les lois. Le gouvernement n’enseignera pas plus par là le droit politique ou le droit criminel que vous n’enseignez la théologie en faisant apprendre aux enfants le catéchisme.
Puisque nous en sommes arrivés maintenant aux faits accomplis, il faut en subir les conséquences. Vous avez admis, nous gouvernement, l’inspection ecclésiastique dans vos écoles, vous avez admis cette inspection, sur laquelle vous ne pouvez exercer aucun contrôle ; subissez les conséquences de ce fait, mais n’abandonnez pas le terrain qui vous reste, faites enseigner à l’enfance ce qu’il vous importe que l’enfance sache ; faites respecter par l’enfant le chef de l’Etat et les lois du pays, et il vous sera plus facile alors de les faire respecter par le jeune homme et par l’homme mûr ; apprenez à l’enfant ce que c’est que la patrie, ce que l’homme doit à sa patrie, et en jetant ces bases, vous parviendrez à bâtir un bon édifice ; car l’instruction, messieurs, comme toute autre chose, doit avoir une base sérieuse. Si vous voulez la base de l’instruction religieuse, ayez au moins aussi la base de l’instruction civile et politique.
Voilà, messieurs, mes observations et je pense qu’elles ne méritent pas le dédain avec lequel elles semblent avoir été accueillies par le gouvernement. J’ai rempli ma tâche et je laisse au gouvernement le soin de remplir la sienne.
M. le ministre nous a parlé, messieurs, de ce qui s’était passé au sujet du collège d’Ath. Je lui avais demandé des explications à cet égard dans la discussion du budget des voies et moyens. J’ai renouvelé ma demande aujourd’hui et j’espérais obtenir des explications catégoriques. Celles que j’ai obtenues ne sont pas nettes elles ne sont pas franches ; qu’avais-je dit ? J’avais dit que dans la conduite de M. le ministre au sujet de certain collège, je voyais une tentative à faire appliquer de fait en attendant la discussion d’une loi sur la matière, à faire appliquer de fait à l’instruction moyenne, les principes adoptés pour l’instruction primaire. Lors de la discussion du budget des voies et moyens j’avais parlé de certaines conférences qui avaient eu lieu entre M. le ministre de l’intérieur et les conseillers communaux de la ville d’Ath. On a voulu faire un arrangement, et l’on voudrait, dit M. le ministre, qu’un pareil arrangement pût se faire dans d’autres localités ; eh bien ! messieurs, voici en quoi consiste cet arrangement : On a donné au clergé l’inspection, on lui a donné la censure de tous les livres, on lui a donné la nomination des professeurs et comment est-on parvenu à faire cet arrangement ? C’est, messieurs, en menaçant le conseil communal de la ville d’Ath de retirer le subside que le gouvernement accorde au collège. Voilà comment on est parvenu à faire cet arrangement que la majorité du conseil paraît avoir accueilli parce que, privé du subside du gouvernement, le collège n’aurait pu se soutenir.
Si le gouvernement agit partout de la même manière, il ne faudra pas de loi sur l’instruction primaire ; je prédis dès aujourd’hui que, grâce à de semblables arrangements, tout l’enseignement moyen sera remis directement aux mains du clergé, et le signe affirmatif que me fait mon honorable collègue M. Cogels me prouve que j’ai raison. Placés sous le coup de la menace du retrait du subside, tous les collèges subventionnés devront partout passer par les exigences auxquelles on les soumettra. Ainsi, par exemple, il n’y aura point de subside, si l’évêque n’obtient pas dans le collège la censure des livres.
M. Cogels. - Je ne sais où l’honorable M. Verhaegen a pu voir de ma part un signe affirmatif, lorsqu’il a dit que l’on voulait faire passer l’instruction moyenne exclusivement dans les mains du clergé ; une semblable adhésion n’est pas entrée dans ma pensée. Je ne suis pas fâché d’avoir fourni à l’honorable député de Bruxelles une occasion d’embellir un peu son discours ; mais je le prie de ne pas se tromper sur mes intentions.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je n’ai pas accueilli avec dédain les observations qui ont été présentées par l’honorable M. Verhaegen. Je me suis borné à dire que l’idée d’un catéchisme légal n’était pas une idée originale et neuve. C’est une ancienne idée qui a été longtemps accréditée et qui est aujourd’hui abandonnée.
Donnera-t-on une extension au programme de l’instruction primaire ? Je J’ignore. Pour ma part, je le désire ; cela arrivera peut-être un jour ; nous amènerons peut-être jusque-là l’amélioration intellectuelle et matérielle des classes inférieures de la société.
L’honorable M. Verhaegen est revenu sur le fait qui s’est passé à Ath. Il me reproche d’avoir menace le conseil communal d Ath de retirer le subside. Il n’en est rien, messieurs, je puis hautement avouer ce qui s’est passé dans cette circonstance.
L’autorité communale d’Ath et le clergé sont en présence depuis plus de 10 ans ; le clergé a ses prétentions, l’autorité communale a les siennes. Le gouvernement, malgré ce désaccord, a maintenu le subside. Le conseil communal d’Ath a compris qu’il était avantageux pour son collège d’obtenir le concours du clergé. On s est adressé à moi, car ce n’est pas de moi qu’est venue la première idée ; on m’a dit : Ne pourrait-on pas appliquer, non pas tous les principes de la loi de l’enseignement primaire, mais certains principes de cette loi au collège d’Ath ? Voilà le terrain sur lequel ou s’est placé, terrain sur lequel j’ai consenti à suivre ceux qui s’adressaient à moi.
On a admis deux bases : d’abord la double inspection, et en second lieu, l’enseignement de la morale et de la religion par un ecclésiastique attaché à l’établissement et que le conseil communal charge même des fonctions de principal.
La question de nomination a dès lors été abandonnée parce qu’on entrait dans une voie nouvelle ; j’engage à mon tour l’honorable M. Verhaegen à ne pas dédaigner cette tentative ; elle nous ouvre peut-être une phase nouvelle.
Qu’aurait dit l’honorable préopinant, si j’avais accepté un arrangement par lequel, dérogeant jusqu’à un certain point à la loi communale, on eût déféré au clergé toutes les nominations ; c’est alors que l’honorable député m’aurait accusé. Il est très vrai que si un arrangement intervient entre le clergé et le conseil communal d’Ath, s’il est définitivement sanctionné, le gouvernement devra promettre sa médiation, et dans certains cas, il sera tenu de retirer le subside ; mais il n’est pas exact de dire que j’ai commencé par faire des menaces.
Ce n’est pas la première fois, messieurs, que j’interviens dans des arrangements de ce genre. Beaucoup de villes se sont adressées à moi pour que je consentisse à intervenir entre le clergé et les autorités locales. Des arrangements ont été conclus ; ces arrangements ne sont que provisoires. J’ignore quelle sera l’organisation définitive de l’enseignement moyen. Le rapport qui sera présenté à la chambre lui fera connaître tous les arrangements qui sont intervenus depuis le vote de la loi communale ; vous remarquerez que la loi communale a été exécutée sous ce rapport, non pas uniformément, mais de diverses manières ; on l’a interprétée tantôt dans un sens, tantôt dans un autre.
Il y a des conseils communaux qui ont cru qu’ils pouvaient aliéner complètement leurs droits, d’autres ont eu recours à d’autres moyens pour arriver à un arrangement avec le clergé. Un dernier moyen nous a été suggéré au sujet du collège d’Ath, et je crois que ce moyen-là est beaucoup plus à l’abri du reproche d’illégalité que tous les autres moyens qu’on a employés, et qui, cependant, n’ont donne lieu jusqu’à présent à aucune réclamation, au moins dans cette chambre, Au reste, les faits ne sont pas assez connus, ils ne peuvent l’être que par le rapport qui sera très prochainement présenté.
M. Rodenbach. - Messieurs, l’honorable député de Bruxelles, a témoigné le désir qu’on enseignât dans les écoles primaires le catéchisme légal. Je répondrai à cet honorable membre que dans plusieurs collèges de la Flandre occidentale, on a enseigné et on enseigne très probablement encore la constitution Ce fait est à ma connaissance. Si l’honorable préopinant désirait qu’une semblable présomption fût écrite dans la loi, il aurait dû en fait la proposition, lors de la discussion de cette loi. Au reste, la loi de l’instruction primaire prescrit l’enseignement de la morale ; or, il me semble que dans cet enseignement, on expose aux enfants l’obéissance due aux lois et les devoirs de l’honnête homme. Ainsi, il est satisfait au désir exprimé par l’honorable député de Bruxelles, car je suis persuadé qu’il n’a pas voulu qu’on enseignât dans le catéchisme légal, comme en 93, les droits de l’homme, la liberté et égalité ou la mort ; il veut sans doute, comme nous, un catéchisme légal de niveau avec notre civilisation.
Quant au traitement des inspecteurs ecclésiastiques, je dirai à l’honorable député que, d’après la constitution, lorsque le clergé exerce une fonction, il doit être payé. Nous en avons un exemple dans les prisons : Qui paie les aumôniers dans les prisons ? C’est l’administration des prisons. Ainsi, il est de toute justice que l’Etat rétribue les inspecteurs ecclésiastiques.
- Personne ne demandant plus la parole, la chambre passé au vote.
« Art. 1er. Litt. A. Traitements des fonctionnaires employés des deux universités : fr. 470,000
« Litt. B. Bourses et médailles : fr. 36,800
« Litt. C. Subside pour le matériel des deux universités : fr. 100,000 »
« Art. 2. Frais des jurys d’examen pour les grades académiques : fr. 79,100 »
Ces articles sont successivement adoptés.
« Art. 3. Frais d’inspection des athénées et collèges : fr. 7,300 »
- Cet article est adopté.
La chambré passe à l’art. 4.
« Art. 4. Litt. A. Subsides annuels aux établissements d’enseignement moyen : fr. 136,600
« Litt. B. Subsides annuels aux établissements d’enseignement industriel (écoles de Gand et de Verviers), autres que les écoles d’arts et métiers et ateliers d’apprentissage : fr. 30.500 »
M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur a demandé et obtenu, l’année dernière, une majoration de l’allocation destinée à l’enseignement moyen. Dans le discours qu’il a prononcé à l’appui de cette majoration, il était dit qu’elle servirait en partie à augmenter le subside accordé au collège de Liége ; l’administration communale de Liége, se fiant aux paroles de M. le ministre de l’intérieur, a créé deux nouvelles places de professeurs, et promis d’augmenter quelques traitements qu’elle considère comme trop faibles mais jusqu’a ce jour la promesse de M. le ministre n’a pas été tenue, le subside accordé au collège de Liége est resté le même ; je prie M. le ministre de vouloir bien nous donner quelques explications sur ce point.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pense pas avoir pris un engagement formel. J’ai indiqué plusieurs établissements qui avaient demandé une augmentation de subside. Parmi ces établissements, se trouvait, il est vrai, le collège de Liége mais je dois dire que cette demande est encore en instruction, et je pense que la ville de Liége pourra recevoir une augmentation de subside. Je ne puis pas du reste me prononcer encore d’une manière définitive sur ce point.
M. Delfosse. - M. le ministre de l’intérieur a peut-être raison, lorsqu’il dit qu’il n’a pas fait de promesse formelle ; mais la promesse résultait implicitement des paroles qu’il a prononcées, et que j’ai recueillies au Moniteur ; les voici : Si le chiffre de 20.000 francs n’est pas voté, il y aura impossibilité d’accorder une majoration au collège de Liége. Evidemment, cela voulait dire que, si le chiffre était voté, le collège de Liége obtiendrait une majoration. J’apprends du reste avec plaisir que M. le ministre de l’intérieur n’a pas entièrement disposé de la majoration votée l’année dernière, et que le collège de Liége peut encore compter sur l’exécution de la promesse qui, je le répète, résultait implicitement des paroles que je viens de citer ; j’engage fortement M. le ministre à ne pas les perdre de vue.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les subsides de l’Etat ont été augmentés en faveur de plusieurs établissements de la province de Liége. Je fais cette réponse pour qu’on ne puisse pas conclure du retard apporté à l’instruction dont j’ai parlé, qu’il y a parti pris de ne rien faire pour le collège de Liége.
M. d’Huart. - J’entends parler de l’intention d’augmenter les subsides accordés à certains collèges ; j’espère que cette augmentation n’aura pas lieu au détriment d’autres collèges, et que, jusqu’à la discussion de la loi sur l’enseignement moyen, les établissements existants conserveront les subsides dont ils ont joui jusqu’à présent.
Je suppose que c’est ainsi que l’on doit entendre l’application de l’allocation que nous discutons. Les observations de M. Delfosse, du reste, ne sont pas contraires à cette application, car il ne s’agit que de la répartition de l’augmentation d’allocation votée l’année dernière.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui.
M. d’Huart. - Je vois avec plaisir que M. le ministre est d’accord avec moi.
- L’allocation est adoptée.
« Art. 5. Indemnités aux professeurs démissionnés des athénées et collèges : fr. 5,000 »
- Adopté.
« Art. 6. Litt. A. Frais d’inspection en vertu de la loi du 23 septembre 1842 : fr. 80,000
« Litt. B. Traitements des instituteurs dans les neuf provinces (encouragements) : fr. 250,000
« Litt. C. Subsides pour constructions, réparations, location, ameublement des maisons d’école : fr. 75,000
« Litt. D. Secours à accorder à des instituteurs nécessiteux sans emploi, et à des veuves d’instituteurs : fr. 10,000
« Ensemble : fr. 415,000 »
M. le président. - M. le ministre de l’intérieur propose d’ajouter après les mots : neuf provinces ceux-ci : écoles primaires supérieures et écoles normales (premier établissement).
M. Dedecker propose à cet article l’addition suivante
« Inspections ecclésiastiques du premier degré. Indemnité fixe, 1,800 fr. par diocèse.
« Abonnement pour frais de route et de tournée pour trois diocèses correspondant à deux provinces, 800 fr. ; pour trois diocèses correspondant à une province, 600 fr. par diocèse. »
M. Dedecker. - La première question à décider pour la fixation de l’indemnité due aux inspecteurs ecclésiastiques est celle de savoir si cette indemnité sera accordée par province ou par diocèse ; si nous aurons autant d’inspecteurs ecclésiastiques du premier degré qu’il y a de provinces ou seulement autant que nous avons de diocèses. A part la question d’économie qu’il y aurait à nommer un inspecteur par diocèse plutôt que par province, il n’y aurait pas le moindre inconvénient à n’avoir autant d’inspecteurs ecclésiastiques que de diocèses, de même qu’il n’y en a pas dans le nombre actuel d’évêques, pour les rapports qu’ils peuvent avoir avec les gouverneurs. Comme ces inspecteurs relèvent de l’autorité ecclésiastique, c est, ce me semble, simplifier la question que de nommer autant d’inspecteurs ecclésiastiques qu’il y a d’évêques en Belgique.
La deuxième question est celle de savoir s’il faut que l’indemnité soit uniforme ou ne le soit pas, c’est-à-dire s’il faut accorder une indemnité fixe plus forte dans les diocèses correspondants à deux provinces, au lieu d’accorder à chaque inspecteur de province, n’importe le nombre, la même indemnité fixe et uniforme. Je pense, contrairement à ce qu’a proposé M. le ministre, qu’il faudrait accorder un traitement uniforme. C’est ce qui a lieu pour les indemnités accordées aux autorités ecclésiastiques. Tous les évêques, que leur diocèse corresponde à une ou à deux provinces, reçoivent la même indemnité de l’Etat. Il n’est fait d’exception que pour le cardinal-archevêque de Malines, à qui il a fallu faire naturellement une position plus élevée.
Tous les évêques reçoivent 14,700 fr. et les vicaires-généraux 3,200 fr. Pour être conséquent avec ce qui le trouve déjà dans nos budgets, il vaudrait donc mieux adopter un traitement uniforme pour tous les inspecteurs.
La troisième question est celle de savoir à quelle somme il convient de porter cette indemnité. M. le ministre propose pour trois diocèses qui correspondent à deux provinces, une indemnité fixe de 2,000 fr., et pour trois diocèses correspondant à une seule province, une indemnité fixe de 1,500 fr. Je propose de rendre ce traitement uniforme et de le fixer à 1,800 fr. ; ces inspecteurs devront être des hommes qui ont vieilli dans les études, dignes de considération et tenus à une certaine représentation, devant se trouver en rapport avec les autorités les plus respectables du pays. De plus, ils seront obligés d’habiter les grandes villes où les loyers et tous les frais de ménage sont très élevés. L’indemnité fixe que je propose ne sera donc pas trop forte.
Restent les frais de tournée. M. le ministre propose deux abonnements différents pour les diocèses correspondant à deux provinces et les diocèses correspondant à une seule province. Pour les diocèses correspondant à deux provinces, il propose de fixer les frais de route et de tournée à 600 fr et pour les diocèses correspondant à une seule province, de fixer ces frais à 400 fr. Je crois qu’ici on ne peut pas établir de chiffre uniforme, parce que les frais de route et de tournée seront plus considérables dans les diocèses comprenant deux provinces que dans les autres. Les frais de bureaux seront aussi plus grands dans les premiers diocèses, parce que les inspecteurs auront à correspondre avec deux gouverneurs, avec deux inspecteurs civils et un plus grand nombre d’inspecteurs cantonaux. J’ai proposé d’élever les chiffres de ces frais, celui de 400 à 600 et celui de 600 à 800 fr. parce que les chiffres de 4 et de 600 fr. ne me paraissent pas pouvoir suffire aux frais de route et de tournée.
Vous savez que les inspections doivent se faire pendant les mois d’hiver, que les correspondances sont difficiles et qu’il n’est pas possible de faire des tournées à pied. Il en résultera donc des frais que, selon moi, il sera encore difficile de couvrir au moyen du faible abonnement que je propose.
Voilà les observations que j’avais à présenter à l’appui de l’amendement que je propose, non comme rapporteur, mais en mon nom personnel.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je crois qu’il y malentendu entre l’honorable M. Dedecker et moi. Quel peut le but de la proposition qu’il fait ? C’est de prouver que le chiffre de 80 mille francs que je demande est insuffisant, que les indemnités telles qu’elles sont indiquées par moi, ne se pas assez élevées, que dès lors, il y a lieu d’augmenter l’allocation. Je pense pas qu’il entre dans ses intentions d’insérer dans la loi, la formule qu’il a déposée sur le bureau. Son but ne peut être autre que de démontrer l’insuffisance du chiffre de 80 mille francs et la nécessité de l’augmenter dans une certaine proportion. Vous voyez que dans le libellé du texte législatif, je me borne à dire : frais d’inspection. J’ai donné des explications à la section centrale et sur ma demande, elle a inséré ces explications dans son rapport.
Je l’ai demandé, parce que je ne voulais pas qu’il y eût de surprise. Il pouvait y avoir un doute sur la question de savoir s’il y avait lieu d’indemniser les inspecteurs ecclésiastiques. J’ai voulu que le doute fût levé, qu’il le fût franchement, publiquement.
Les calculs de cette note ne sont qu’approximatifs. Je crois que les indemnités que j’indique sont suffisantes. S’il m’était prouvé qu’elles ne le sont pas, l’arrêté royal qui les fixera pourra les porter à un taux plus élevé. Je ne puis pas me prononcer maintenant. Ce qu’il importe de décider au moins implicitement, c’est le principe de l’indemnité pour les inspecteurs ecclésiastiques. La quotité est une question à abandonner au gouvernement.
J’ignore, quant aux inspecteurs ecclésiastiques du 1er degré, si on en nommera un par province ou seulement un par diocèse. Si la proposition de M. Dedecker passait dans la loi, elle trancherait la question dans ce dernier sens ; je n’ai pas voulu la trancher.
Depuis la publication du rapport de la section centrale, j’ai reçu quelques communications qui me font croire que la note que j’ai remise est encore provisoire sous d’autres rapports. J’ai lieu de croire que les consistoires israélites et évangéliques espèrent avoir des inspecteurs pour leurs écoles, un par culte pour le royaume. Il sera juste d’allouer également une indemnité.
Cette indemnité sera prise sur l’allocation générale de l’instruction primaire. Un arrêté royal interviendra ; il est impossible que cet arrêté royal ne soit pas précédé d’une espèce d’arrangement entre le clergé et le gouvernement. Les négociations qui doivent être ouvertes sur ce point le seront, lorsque le chiffre sera alloué et le principe de l’indemnité ainsi reconnu. Il ne faut donc pas se préoccuper aujourd’hui de la quotité ; c’est plutôt du principe qu’il faut se préoccuper.
M. Verhaegen. - Je vois que nous allons bien loin, que les exigences grandissent de moment en moment. Je demandais tantôt comment, d’après la loi que nous avons votée, il peut y avoir des traitements pour les inspecteurs ecclésiastiques ; et j’espérais que M. le ministre de l’intérieur m’aurait à cet égard donné une réponse catégorique, il se borne à dire que cela doit être. Mais si cela devait être, on devait le dire dans la loi ; on devait éviter surtout que la loi ne dît le contraire. Moi, je dis que, d’après la loi, ce n’est pas possible.
Si l’on veut présenter une disposition nouvelle, on examinera la question. Mais on porte une somme au budget ; et ici je remercie M. le ministre de l’intérieur d’avoir fait remarquer à la section centrale qu’il y avait une somme pour les inspecteurs ecclésiastiques. Cela me fournit l’occasion d’émettre mon opinion. Je ne pense pas qu’il y ait lieu à accorder des traitements. Moi-même, j’ai formulé des doutes, sur la question de savoir s’il y aurait convenance d’appliquer aux inspecteurs ecclésiastiques les principes admis pour les inspecteurs civils. Mais autre chose est de savoir s’il y a convenance à faire une chose, ou de constater un fait accompli.
Je disais que les exigences vont en grandissant. Je vois, d’après l’opinion de l’honorable M. Dedecker, que les inspecteurs ecclésiastiques auraient la préséance sur les inspecteurs civils.
Je m’explique :
Celui qui inspecte une plus grande étendue est certainement considéré comme ayant plus de pouvoir et de considération que celui qui inspecte une étendue moindre. Vous voulez un inspecteur par diocèse. Il est évident pour moi que l’inspecteur diocésain devra l’emporter en considération et en autorité sur l’inspecteur provincial. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est que l’honorable M. Dedecker, pour justifier les frais de voyage et autres dépenses, me dit que l’inspecteur diocésain aura à correspondre avec deux gouverneurs, avec deux inspecteurs provinciaux, et avec un plus grand nombre d’inspecteurs cantonaux.
Ce sont les expressions de cet honorable collègue. Je dis dès lors, dans la hiérarchie, il sera au-dessus de l’inspecteur provincial. (Dénégations de la part de M. Dedecker.) Je puis croire que les intentions de l’honorable M. Dedecker sont autres. Mais d’après ce qu’il a dit, je dois maintenir mes observations.
Quant à la question de savoir s’il y a lieu de porter des traitements au budget, elle dépend nécessairement de ce point : La loi accorde-t-elle des appointements aux inspecteurs ecclésiastiques ? car je ne pense pas que, dans le silence de la loi, vous puissiez décider cette question incidemment au budget ; en effet le budget est une loi d’application.
S’il n’y a pas une loi qui prescrive de porter ces traitements au budget, vous ne pouvez les y porter. Vous vous rappelez tous les dispositions de la loi sur l’instruction primaire ; elles allouent des traitements et indemnités aux inspecteurs civils, mais non aux inspecteurs ecclésiastiques, je ne conçois donc pas comment il leur en serait accordé aux frais de l’Etat.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce sont de simples indemnités pour frais de routes.
M. Verhaegen. - Enfin cette indemnité serait aux frais de l’Etat. Mais il n’y a plus là la moindre analogie. Les inspecteurs cantonaux civils sont payés par les provinces. Voilà maintenant que les inspecteurs cantonaux ecclésiastiques seront payés par l’Etat. Je vous avoue que je ne conçois pas ce système. Pour sortir de ce dédale il fallait s’en tenir à la loi, qui, je le répète, alloue des traitements et indemnités aux inspecteurs civils et n’en alloue pas aux inspecteurs ecclésiastiques.
Si l’on veut examiner sur ce point la question de convenance, je ne m’y oppose pas. Moi-même j’ai manifesté des doutes sur ce point. Remarquez que je ne tranche pas la question. Mais maintenant il ne s’agit pas de la résoudre. Il s’agit seulement de savoir si vous pouvez porter une somme au budget, alors qu’aucune loi ne le prescrit. Je ne le pense pas ; et c’est sur ce terrain que je voudrais voir porter la discussion.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable préopinant soulève une question de droit ; je veux bien l’aborder.
Voici ce qu’il dit : La loi a fixé le traitement des inspecteurs primaires civils ; elle garde le silence à l’égard des inspecteurs ecclésiastiques, Il en résulte que les inspecteurs ne peuvent recevoir ni traitement, ni indemnité. Il faut une loi spéciale. C’est un argument a contrario. Est-il admissible ? Je suppose que la loi ait gardé le silence sur toutes les indemnités quelconques. Dans ce cas, dans le silence général de la loi, c’est un arrêté royal qui aurait fixé les divers traitements, les diverses indemnités.
Qu’a fait la loi ? Elle a fait une exception en ce qui concerne certains traitements. Elle a fixé le traitement des inspecteurs provinciaux civils ; elle aurait pu ne pas le faire. Dans le silence de la loi, on se serait conformé au principe général, d’après lequel, pour ces sortes de cas, c’est un arrêté d’administration générale qui fixe le traitement. Ainsi la loi, en fixant le traitement des inspecteurs provinciaux civils, n’a pas posé un principe, elle n’a fait qu’une exception. Le principe, c’est la fixation des traitements et indemnités par arrêté royal. L’exception, c’est la fixation des traitements et indemnités par la loi. Mais la loi a épuisé l’exception ; elle aurait pu aller plus loin ; elle ne l’a pas fait. Voilà les véritables principes de droit. Cela est tellement vrai que la loi renferme d’autres dispositions du même genre ; elle a fixé un minimum pour le traitement des instituteurs des écoles primaires proprement dites. Mais elle a gardé le silence le plus absolu sur le traitement des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles primaires supérieures et des écoles normales. Est-ce à dire qu’il faille une loi pour fixer leur traitement ?
Non. Ici le principe général, d’après lequel c’est un arrêté royal qui fixe les traitements, reçoit de nouveau son exécution. Ainsi la question de droit que pose l’honorable M. Verhaegen, je la résous dans un sens contraire à l’opinion qu’il vous a développée, et je crois être dans les véritables principes. C’est par exception que la loi a fixé certains traitements. Cette exception ne s’applique qu’au cas déterminé par la loi. Pour tous les autres cas il y aura des arrêtés royaux.
Il est dit, messieurs, dans un des premiers articles de la loi, l’art 7, paragraphe dernier, que le clergé fera connaître (et ici on entend par clergé non seulement le clergé catholique, mais les ministres des cultes des différentes religions qui existent dans le pays), que le clergé fera connaître l’organisation de l’inspection ecclésiastique. La loi n’a pas voulu aller plus loin ; elle a simplement pesé un principe il y aura une inspection ecclésiastique ; le clergé en fera connaître le personnel, l’organisation. La loi s’est arrêtée là ; elle n’a pas voulu s’occuper des indemnités, et elle a bien fait, parce que la question des indemnités est subordonnée à des questions qui ne sont pas encore résolues.
Pour les consistoires évangélique et israélite, il ne peut être question que d’un seul inspecteur pour chacune de ces religions, en ce qui concerne le royaume tout entier. Pour les établissements catholiques la question est de savoir s’il y aura neuf inspecteurs, ou seulement six inspecteurs, c’est-à-dire un par diocèse.
L’honorable M. Verhaegen trouve des inconvénients à ce qu’il n’y ait qu’un inspecteur par diocèse ; il craint qu’il n’en résulte une infériorité pour l’inspecteur civil purement provincial. Il pense que l’on jugera de l’importance des inspecteurs d’après le ressort territorial en quelque sorte. Mais, messieurs, s’il en était ainsi, il faudrait aller jusqu’à dire que l’importance de l’inspecteur israélite, que l’importance de l’inspecteur évangélique, qui auront le royaume tout entier, sera bien plus grande.
Je crois que l’honorable M. Verhaegen est trop absolu.
Du reste, l’opinion du clergé sur ce point ne m’est pas encore définitivement connue. Tout ce que je demande à la chambre aujourd’hui, c’est, par le vote du budget, de faire cesser le doute qui pourrait exister. Pour moi, il n’y a pas de doute, mais j’aurais pu en rencontrer, entre autres, dans la liquidation avec la cour des comptes. Eh bien, je veux que le doute n’existe pas ; je veux qu’il n’y ait pas de difficulté pour l’exécution de l’arrêté royal qui devra intervenir. (Interruption.)
Il y aura un arrêté qui fixera les indemnités pour les inspecteurs ecclésiastiques des différentes religions ; cet arrêté recevra son exécution sans difficulté de la part de la cour des comptes, du moment qu’il est entendu par les développements du budget qui se trouvent consignés dans le rapport de la section centrale ainsi que par la discussion publique, que le législateur a admis le principe des indemnités en faveur des inspecteurs religieux.
Il faut donc, messieurs, se préoccuper aujourd’hui plutôt du principe que de la quotité. Le gouvernement ne se regarde pas, ne peut pas se regarder comme définitivement lié par les indications qui se trouvent à la page 27 du rapport. Le budget étant voté, il entrera en correspondance avec le clergé des différents cultes et, je répète, un arrêté royal interviendra.
M. Dedecker, rapporteur. - Messieurs, si j’ai cru devoir proposer mon amendement, c’est que je pensais que les chiffres indiqués à la section centrale par M. le ministre de l’intérieur étaient des chiffres par lesquels il se croyait lui-même définitivement lié. Mais puisque M. le ministre vient de déclarer qu’il ne s’agit que de décider la question de principe d une indemnité pour les inspecteurs ecclésiastiques, et que la question de la quotité de ces indemnités et des frais de tournée et de route ne sera définitivement fixée que plus tard, par arrêté royal, je retire mon amendement.
M. Dumortier. - Je suis charmé que mon honorable collègue et ami ait retiré son amendement. Car je partage l’opinion de l’honorable M. Verhaegen qu’il est nécessaire qu’il y ait autant d’inspecteurs ecclésiastiques que d’inspecteurs civils, que chaque province doit avoir le sien.
Maintenant, messieurs, je ne puis croire que jamais il soit entré dans la pensée d’aucun de nous de vouloir que les inspecteurs ecclésiastiques ne soient pas rétribués. Car qui veut la fin, veut les moyens ; nous avons voulu par la loi une inspection ecclésiastique ; par conséquent nous avons voulu que cette inspection pût se faire. Or, si l’Etat ne le payait pas, qui donc le payerait ? J’en appelle à vos souvenirs : Quand nous avons vote la loi, tout le monde a compris qu’il fallait que cette inspection fût payée, qu’elle le fût au même titre que l’inspection civile.
Il me paraît donc que c’est sans motif que l’on prétend que l’inspection ecclésiastique ne doit pas être payée ; car ce serait dire que l’on ne veut pas de cette inspection.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Verhaegen. - Je n’ai que quelques mots à répondre à une observation de M. le ministre de l’intérieur ; j’espère que la chambre me permettra de le dire.
M. le ministre de l'intérieur prétend que mes observations se réduisent à un argument a contrario. J’ai dit : La loi a prévu des appointements pour les inspecteurs civils, donc il n’y a point d’appointements pour les inspecteurs ecclésiastiques. C’est un argument a contrario, dit M. le ministre ; et il ne vaut rien, parce qu’il y a un principe général d’après lequel les fonctionnaires doivent être rétribués, et cette rétribution est fixée, aussi d’après un principe général, par un arrêté royal. Voilà bien le raisonnement de M. le ministre.
Mais il m’est très facile de répondre à cette argumentation. S’il s’agissait de fonctionnaires que vous nommeriez, vous pourriez avoir raison ; vous devriez les rétribuer. Mais les inspecteurs ecclésiastiques sont-ils des fonctionnaires publics dans le sens de la loi ? Evidemment non. Dès lors votre argumentation s’écroule et la mienne subsiste.
Un membre. - Et les curés ?
M. Verhaegen. - C’est tout autre chose. Il s’agit là d’une dotation qui est comme l’équivalent d’autre chose. Il y a à cet égard des principes spéciaux, des raisons toutes spéciales.
Les inspecteurs ecclésiastiques ne sont pas nommés par le gouvernement ; le gouvernement n’a rien à faire avec eux, n’a pas même le droit de leur faire aucune observation. Il paraîtra fort extraordinaire et il n’a pas d’exagération là-dedans, qu’un gouvernement qui n’a rien à dire à l’inspecteur, sera obligé de le payer.
Vous dites que qui veut la fin, veut les moyens. Mais pourquoi ne vous êtes-vous pas expliqué lors de la discussion de la loi ? Vous avez voulu des inspecteurs ecclésiastiques ; nous avons beaucoup raisonné là-dessus, je ne renouvellerai pas mes observations, parce que, comme on vous l’a dit, la loi est un fait accompli ; mais nous étions loin d’être d’accord sur ce point. La majorité a triomphé et vous avez eu des inspecteurs ecclésiastiques. L’opinion qui en voulait, a été satisfaite ; je n’en voulais pas, moi. Si l’instruction religieuse et morale avait été doublée dans les églises, à coup sûr il n’aurait pas fallu d’inspecteurs ecclésiastiques. Eh bien ! Vous n’avez pas demandé alors des appointements pour vos inspecteurs. Et je crois que vous aviez vos raisons pour ne pas en demander ; cela passait plus facilement. Mais maintenant que vous avez obtenu cette satisfaction, maintenant qu’on vous a donné des inspecteurs tels que vous les demandiez, vous venez nous dire : Qui veut la fin veut les moyens ; il faut payer ces inspecteurs.
Eh bien ! je prie mes amis d’y faire attention ; ce sera peut-être un jalon pour autre chose. On commencera par faire payer les inspecteurs ecclésiastiques ; puis on voudra faire payer ceux qui enseignent la morale et la religion. Ou va déjà jusqu’à faire payer les inspecteurs ecclésiastiques cantonaux sur la caisse de l’Etat, alors que les inspecteurs civils cantonaux sont payés par les provinces.
Messieurs, me nous y trompons pas, si vous aviez voulu que les inspecteurs ecclésiastiques fussent payés sur le trésor, vous deviez le dire dans la loi et faire justement le contraire de ce que vous avez fait. Vous n’aviez pas besoin de fixer dans la loi les traitements pour les inspecteurs civils ; d’après les principes généraux qu’a invoqués M. le ministre de l’intérieur, il s’agissait là de fonctionnaires publics aux gages de l’Etat. Mais si vous vouliez des appointements pour les inspecteurs ecclésiastiques, vous deviez en faire l’objet d’une disposition dans la loi, Vous voyez donc que je rétorque les arguments de M. le ministre contre lui-même.
Le gouvernement doit pourvoir aux traitements des fonctionnaires publics, c’est-à-dire des hommes qui rendent des services à l’Etat, qui sont nommés par lui. Voilà le principe. Or, il ne nomme pas les inspecteurs ecclésiastiques ; ceux ci ne doivent pas même lui être agréables. On nommerait l’homme le plus contraire au gouvernement, que celui-ci n’aurait pas le droit de dire : cet homme ne m’est pas agréable ; il faut que le gouvernement se taise, le tolère et de plus qu’il le paie.
Je vous avoue que je n’ai pas le courage de continuer sur cette matière ; la chose est trop positive pour que j’en dise davantage. La majorité peut donner l’allocation, mais reste à apprécier la question comme elle doit l’être.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne puis laisser sans réponse un reproche que l’honorable préopinant nous a adressé. Pourquoi, dit-il, avez-vous gardé le silence lors de la discussion sur la loi d’instruction primaire ? Moi, je déclare qu’il est toujours entré dans ma pensée que les inspecteurs ecclésiastiques recevraient, non pas un traitement véritable, mais des indemnités à fixer par le gouvernement.
Si l’honorable préopinant m’avait interpellé, je le lui aurais franchement déclaré. Je regrette qu’il n’y ait pas pensé.
M. Dechamps. - Messieurs, l’honorable M. Verhaegen nous demande pourquoi l’indemnité dont il s’agit maintenant n’a pas été fixée par la loi même, pourquoi l’on veut la fixer par le budget. Cette question a été soulevée dans la section centrale, et nous avons été unanimes pour reconnaître que la loi ne pouvait pas parler des traitements des inspecteurs ecclésiastiques, et que c’était là une question de budget. Il ne faut pas, en effet, réfléchir longtemps pour se rallier à cette opinion. Veuillez bien remarquer, messieurs, que nous n’avons pas créé par la loi les inspecteurs ecclésiastiques, nous n’en avions nullement le droit ; nous avons seulement autorisé les évêques, pour le cas où ils se rallieraient à la loi, à organiser l’inspection ecclésiastique en faisant connaître au gouvernement l’organisation et le personnel de cette inspection. Avant de fixer les traitements des inspecteurs ecclésiastiques, il fallait connaître si le clergé se serait rallié à la loi, si le clergé aurait accepté la loi. Eh bien, l’acceptation de la loi par le clergé résultera précisément de l’organisation par les évêques de l’inspection ecclésiastique ; c’est par ce fait que le gouvernement reconnaîtra si véritablement la loi a été, oui ou non, acceptée par le clergé. Nous ne pouvions donc pas déterminer par la loi le traitement de fonctions dont l’existence était encore problématique ; mais maintenant que vous discutez le budget de l’intérieur et que, comme le dit M. le ministre de l’intérieur, un arrangement devra intervenir entre le gouvernement et les évêques pour l’organisation de l’inspection dont il s’agit, il est clair que vous devez munir le gouvernement de sommes suffisantes pour rendre l’inspection ecclésiastique possible. Car il ne faut pas équivoquer ; toute la question est de savoir si vous voulez rendre la loi possible, exécutable sous ce point de vue. Nous avons tous reconnu, non pas la majorité, mais la presque unanimité de la chambre, que l’inspection ecclésiastique est un élément essentiel, fondamental de la loi.
Or, vous reconnaîtrez également, messieurs, qu’il est impossible que les inspecteurs ecclésiastiques diocésains remplissent en même temps d’autres fonctions que celle-là. La loi sur l’instruction primaire étant acceptée par le clergé, il résultera évidemment, du fait même de la loi, de nouvelles fonctions ecclésiastiques qui tombent naturellement à la charge de l’Etat, comme l’indemnité de tous les autres ministres des cultes.
L’honorable M. Verhaegen nous a toujours demandé : « Mais comment se fait-il que l’Etat doive rétribuer des fonctionnaires qui ne sont pas des fonctionnaires civils, des fonctionnaires sur lesquels le gouvernement n’exercera aucune espèce d’influence ? » C’est précisément là le cas, messieurs, où le gouvernement se trouve à l’égard de tous les autres ministres des cultes ; le gouverneraient n’a aucune influence sur la nomination des curés, des desservants, des chapelains, des évêques ; cependant le congrès, se plaçant à un point de vue social, n’a-t-il pas reconnu que l’indemnité des ministres des cultes était à la charge de l’Etat ? Or, je ne vois pas pourquoi l’on ferait une exception à l’égard des fonctions ecclésiastiques importantes que nous avons créées par la loi sur l’instruction primaire.
Ainsi, messieurs, en résumé, ce n’était pas par la loi que nous pouvions déterminer l’indemnité des inspecteurs ecclésiastiques ; cela était radicalement impossible, parce qu’alors l’acceptation de la loi par le clergé, et par conséquent l’existence de ces fonctions était encore hypothétique ; c’est donc une véritable question de budget comme celle des indemnités accordées aux autres ministres des cultes en vertu de la constitution. D’un autre côté, refuser au gouvernement le crédit qu’il demande pour cette indemnité, ce serait vouloir rendre impossibles des fonctions que vous avez créées vous-mêmes lorsque vous avez voté la loi sur l’instruction primaire.
(Moniteur belge n°357, du 23 décembre 1842) M. Rogier. - Chacun de nous, messieurs, a compris que du moment où l’inspection ecclésiastique était consacrée par la loi sur l’instruction primaire, il fallait que, sous le rapport financier, les inspecteurs ecclésiastiques fussent placés dans une position analogue à celle des inspecteurs civils. Il n’eût pas été raisonnable de demander à l’autorité religieuse son concours et de rendre en quelque sorte ce concours impossible en lui refusant les moyens que l’on accorde à l’inspection civile. Sous ce rapport je crois que ceux qui ont voté contre l’inspection religieuse aussi bien que ceux qui ont voté pour cette inspection, doivent être d’accord pour lui assurer les moyens d’exercer les attributions que lui confère la loi. Là donc, je ne vois pour mon compte aucune difficulté, mais voici où la difficulté commence. Il y a une lacune dans la loi sur l’instruction primaire ; cette loi aurait dû fixer les traitements des inspecteurs religieux provinciaux et les indemnités des inspecteurs religieux cantonaux. Elle l’eût fait éventuellement de la même manière qu’elle a établi les fonctions elles-mêmes, chose beaucoup plus importante, sans s’enquérir du consentement du clergé. Il est évident que si la loi pouvait créer les fonctions, elle pouvait aussi, quoi qu’on en dise, en fixer le traitement. Mais aussi la loi ne l’ayant pas fait, et un traitement étant indispensable, il faut bien combler cette lacune d’une autre manière.
Il me paraît, messieurs, qu’à cet égard nous sommes un peu dans le vague ; le budget indique une somme de 80 mille francs pour les frais de l’inspection établie en vertu de la loi de 1842 ; mais quelle sera la répartition de ce subside ? D’après une note jointe au rapport de la section centrale, l’on accorderait aux inspecteurs ecclésiastiques du premier degré (ce sont sans doute les inspecteurs diocésains)...
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ou provinciaux.
M. Rogier. - On leur accorderait une indemnité fixe de l,500 fr., puis un abonnement de 400 fr., en tout 1,900 fr. Voilà ce qui résulte de la répartition qui se trouve au bas de la page 27 du rapport de la section centrale ; mais d’après une autre indication qui se trouve à la même page, les inspecteurs diocésains ayant deux provinces dans leur ressort, auraient, non pas 1,900 fr., mais 2,600 fr. La note qui termine la page n’est donc pas en rapport avec l’indication qui précède.
Une observation, messieurs, que je dois renouveler, d’après l’honorable M. Verhaegen, c’est qu’il semble extraordinaire que les inspecteurs cantonaux soient payés sur les budgets des provinces, tandis que les inspecteurs cantonaux religieux seront payés sur les budgets de l’Etat ; il me semble qu’il faudrait mettre les deux catégories d’inspecteurs sur la même ligne, que si les inspecteurs civils sont payés sur les budgets provinciaux, il faudrait également payer les inspecteurs religieux sur ces budgets. Il résulterait de là une économie assez forte pour le budget de l’Etat, car, d’après une répartition qui n’est pas encore définitive il est vrai, mais qui a été indiquée par M. le ministre de l’intérieur, il y aurait pour l’inspection cantonale ecclésiastique une somme de 26,900 fr. imputée sur le budget de l’Etat ; je crois que si nous pouvions mettre cette somme à la charge des provinces, ce serait une chose tout à fait utile et régulière. Je sais, messieurs, qu’il y a une difficulté pratique à mettre cette dépense à la charge des budgets provinciaux ; il faudrait peut-être une loi nouvelle, attendu que la loi sur l’instruction publique se tait à cet égard, mais cette difficulté n’est pas insurmontable ; rien ne serait plus simple que d’imposer par une loi aux provinces les frais de l’inspection cantonale religieuse. Je crains que le budget de l’instruction primaire ne paraisse l’année prochaine trop élevé, si d’un autre côté nous ne cherchons pas à le dégrever. Je remarque qu’il n’est rien porté au budget de cette année pour une institution dont cependant la loi a ordonné la création immédiate ; je veux parler des écoles normales...
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’ai proposé un changement au libellé.
M. Rogier. - Mais y a-t-il augmentation de crédit ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Non.
M. Rogier. - De manière que le chiffre de l’instruction primaire reste tel qu’il était les années précédentes. Il faudrait donc enlever à d’autres écoles primaires les subsides dont elles jouissent pour affecter ces subsides aux écoles normales. Or, je crois que lorsque la loi a décrété l’établissement de deux écoles normales, elle n’a pas voulu que ces écoles fussent créées au détriment d’autres écoles primaires. Je pense que l’on a toujours compris qu’il y aurait de ce chef une augmentation au budget de l’intérieur. On l’a si bien compris que l’on a voulu en borner le nombre pour ne pas entraîner, disait-on, l’Etat dans des dépenses trop fortes. Ainsi, messieurs, il y aura probablement l’année prochaine une augmentation de crédit pour les écoles normales primaires ; et je regrette même que cette augmentation ne soit pas demandée cette année, car cela fait voir que l’on ajournera jusqu’à l’année prochaine l’établissement d’écoles dont la loi a voulu l’organisation immédiate.
Je ferai une autre observation ; si l’on s’en tient à la répartition indiquée par M. le ministre de l’intérieur, l’inspection payée sur le budget de l’Etat coûterait, en ce qui concerne les inspecteurs civils, seulement 36,000 fr., tandis que la somme portée du chef des inspections religieuses s’élèverait à 44,000 fr. Eh bien, messieurs, je crois qu’il y a un inconvénient moral à ce que les inspecteurs religieux reçoivent sur le budget de l’Etat plus que les inspecteurs civils.
M. d’Huart. - Ceux-là sont payés par les provinces.
M. Rogier. - Il faudrait que les inspecteurs cantonaux religieux fussent également payés par les provinces.
Messieurs, Je ne suis pas contraire à ce que les inspecteurs religieux aient deux provinces dans leur inspection, cependant je crois que si l’on veut maintenir une espèce d’égalité, qui est extrêmement désirable, entre les deux catégories d’inspecteurs, il serait mieux d’établir un inspecteur religieux par province. Mais voici en quel sens surtout je serais contraire à une seule inspection par diocèse : il ne faudrait pas que le traitement et les indemnités accordés à un inspecteur ayant deux provinces dans son ressort, fussent supérieurs au traitement et à l’indemnité accordés à un inspecteur civil n’ayant qu’une province.
Je consentirai, jusqu’à un certain point, à ce que les inspecteurs ecclésiastiques aient un plus grand ressort, mais je ne consentirai pas à ce qu’ils aient, dans aucun cas, un traitement plus élevé que les inspecteurs civils.
Du reste, je le répète, je ne m’oppose pas à ce qu’on accorde un traitement et des indemnités aux inspecteurs ecclésiastiques. Puisque cette institution a été consacrée par la loi, il faut bien qu’on donne à MM. les évêques le moyen de payer leurs inspecteurs.
J’insiste aussi sur une observation relative aux écoles normales. Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur sur quel crédit il compte imputer les frais d’établissement des écoles normales ?
(Moniteur belge n°356, du 22 décembre 1842) M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, dans les additions aux développements de mon budget, j’avais annoncé à la chambre que le libellé était incomplet, qu’il fallait y intercaler les mots : Ecoles primaires supérieures et écoles normales (premier établissement).
Vous vous rappellerez, messieurs, que de nouvelles charges ont été imposées aux communes et aux provinces par la loi organique de l’instruction primaire. En vertu de cette loi, le gouvernement aura le droit d’exiger que les communes participent aux frais de l’instruction primaire à raison de 2 p. c. de leurs contributions. Il aura le droit d’exiger le même contingent des provinces. Il en résultera, je n’en doute pas, un dégrèvement pour le budget de l’Etat. Si mes souvenirs sont exacts, l’honorable M. Rogier a été également de cet avis ; il a même pensé qu’on allait peut-être trop loin.
Les sommes que la législature alloue au budget ont été jusqu’à présent réparties entre les communes et les provinces sans règle fixe, d’une manière discrétionnaire ; la répartition était laissée à l’arbitraire du gouvernement.
Armé de la loi du 25 septembre, le gouvernement aura le droit de dire aux communes et aux provinces : Vous devez intervenir dans les frais de l’instruction primaire, à raison de 2 p. c. de vos contributions. C’est là une position toute nouvelle, et j’espère qu’il en résultera un dégrèvement au profit du budget de l’Etat.
C est sur ces économies, qui ne sont que probables, je l’avoue, que nous imputerons une partie des dépenses des nouvelles écoles primaires supérieures et des deux écoles normales. J’ai donc pensé que sans trop m’aventurer et en voulant sincèrement l’exécution de la loi de l’instruction primaire, je pouvais, pour l’année 1843, me borner à demander une somme nouvelle pour les frais d’inspection, tant civile qu’ecclésiastique, et maintenir l’ancien crédit de l’instruction primaire, en rédigeant le libellé de manière à permettre au gouvernement de prélever sur ce crédit au moins les frais d’établissement des nouvelles écoles primaires supérieures et des deux écoles normales.
Il ne s’agit, comme on voit, que des frais de premier établissement. En effet, on comprendra que la loi de l’instruction primaire ayant été votée à une époque très avancée de l’année, le gouvernement se trouve dans l’impossibilité de prendre immédiatement les arrangements nécessaires pour l’établissement des écoles primaires supérieures et des deux écoles normales. Le gouvernement a reçu un grand nombre de propositions, quant aux écoles primaires supérieures ; pour ce qui concerne les deux écoles normales, un certain nombre de villes ont offert au gouvernement les locaux nécessaires dont elles prendraient même les frais d’entretien à leur charge. Je suis en quelque sorte en négociation avec les administrations de ces diverses localités, et j’espère arriver prochainement à un résultat ; mais je ne pense pas que le choix du siège de chacune des deux écoles normales puisse être fait avant plusieurs mois.
Il ne s’agira donc, je le répète, que des frais de premier établissement. Je ne vais pas jusqu’à dire que je pourrai subvenir en totalité à ces frais au moyen des économies qui seront réalisées au budget par suite du dégrèvement qui sera le résultat des nouvelles charges imposées aux communes et aux provinces ; mais je dis qu’en tous cas, il y aura des économies.
Ainsi, l’honorable M. Rogier ne peut pas douter de mon sincère désir d’exécuter la loi de l’instruction primaire, notamment en ce qui concerne l’établissement des écoles normales.
Il y a quelque chose de bizarre, a-t-on dit à diverses reprises, à mettre à charge des provinces les indemnités des inspecteurs cantonaux civils, et à mettre à charge de l’Etat les indemnités des inspecteurs cantonaux ecclésiastiques. J’en conviens, ceci peut paraître bizarre jusqu’à un certain point ; je ne pense cependant pas que cette bizarrerie présente de grands inconvénients, surtout quand chacun de nous doit avoir conservé la conviction que la loi de l’instruction primaire impose déjà de nouvelles charges aux provinces et aux communes. Faut-il y ajouter une nouvelle charge, en reportant au budget provincial les indemnités des inspecteurs cantonaux ecclésiastiques ? Je ne le pense pas. Les provinces croiraient peut-être avoir le droit de se plaindre. C’est là la principale raison qui m’engage à passer sur l’espèce de bizarrerie qu’on a signalée.
Il me reste à répondre à une autre observation de l’honorable M. Rogier. Il trouve qu’il n’y a pas de concordance entre le tableau qui se trouve à la page 27 du budget et la répartition des inspecteurs ecclésiastiques, telle qu’elle est indiquée dans la note. C’est, messieurs, parce qu’on a indiqué deux hypothèses dans la note : la division par diocèses et la division par provinces. Le tableau se rapporte à la division par provinces, et pour ce cas le tableau est exact. Il en serait autrement, si le tableau s’appliquait à la division par diocèses. Du reste, ce ne sont là que des indications approximatives ; il interviendra sur cette matière un arrêté royal qui sera inséré au Moniteur et qui fixera définitivement les indemnités de tout genre.
M. de Theux. - Messieurs, je n’ai qu’une seule observation à présenter.
Tout ce qui résulte du silence de la loi, quant aux traitements et aux indemnités des inspecteurs ecclésiastiques, c’est qu’à cet égard, les inspecteurs ecclésiastiques sont dans une position moins favorable que les inspecteurs civils ; mais il n’en résulte pas qu’aucun traitement ou indemnité ne peut être alloué par le budget. L’honorable député de Bruxelles aurait dû se contenter de s’applaudir de ce qu’on avait laissé par la loi de l’instruction primaire une indépendance réelle au clergé, en lui abandonnant le soin de fixer des traitements et des indemnités ; à son point de vue, il aurait dû s’abstenir de critiquer la loi.
En ce qui concerne la charge que l’honorable M. Rogier voudrait imposer aux provinces, je ferai remarquer que le principe des traitements ecclésiastiques a été adopté par la chambre, que ces traitements sont à la charge du budget de l’Etat. Dès lors, on est conséquent avec les précédents de la chambre, en reportant les traitements et les indemnités dont il s’agit au budget de l’Etat.
Je ferai maintenant observer que les provinces sont déjà grevées, et qu’elles peuvent moins varier leur choix dans les impositions. Les provinces n’ont d’autre ressource que les centimes additionnels ; l’Etat, au contraire, peut pourvoir au déficit du trésor par diverses autres ressources.
Je crois donc que par ces diverses considérations, il n’y a aucune difficulté à ce que la chambre admette le principe du traitement et de l’indemnité de l’inspecteur ecclésiastique, et de porter cette dépense au budget de l’Etat.
M. d’Huart déclare renoncer à la parole.
(Moniteur belge n°357, du 23 décembre 1842) M. Rogier. - Messieurs, je n’ai pas proposé formellement de porter au budget des provinces l’indemnité des inspecteurs cantonaux ecclésiastiques ; j’ai simplement fait remarquer le manque d’analogie qui se rencontrait dans la manière de traiter les inspecteurs civils et les inspecteurs religieux ; si l’on indemnisait les inspecteurs cantonaux civils sur le budget de l’Etat, je n’aurais aucune objection à faire contre l’imputation, sur ce budget, des indemnités des inspecteurs cantonaux ecclésiastiques. J’ai seulement constaté l’inégalité qui existe à cet égard entre les deux catégories d’inspecteurs. J’ai ajouté qu’il résultait de ce mode de paiement que les inspecteurs ecclésiastiques figuraient au budget de l’Etat pour une somme supérieure à celle qui y est portée pour les inspecteurs civils, et qu’il y avait là une espèce d’inconvenance.
(Moniteur belge n°356, du 22 décembre 1842) - Personne ne demandant plus la parole, l’art. 6 est mis aux voix et adopté dans les termes suivants :
« Art. 6. Frais d’inspection. Traitements des instituteurs dans les neuf provinces ; écoles primaires supérieures et écoles normales (premier établissement). - Encouragements, subsides et secours : fr. 415,000 »
La chambre passe à l’art. 7.
« Art. 7. subsides pour l’enseignement à donner aux sourds-muets et aux aveugles, : fr. 20,000 »
M. d’Huart. - Messieurs, je crois que cette allocation ne devrait pas se trouver dans le budget du département de l’intérieur, mais dans celui du département de la justice. Il ya déjà en effet dans ce dernier budget une allocation dont une partie sert à payer les frais de l’instruction des sourds-muets et des aveugles. Je ne pense pas qu’on puisse scinder cette branche du service ; un seul département (et c’est, selon moi, le département de la justice) doit intervenir dans l’éducation de cette classe de malheureux. Conserver cette attribution dans deux départements différents, peut donner lieu à des conflits, à des difficultés entre ces deux départements.
Selon moi, cet article ne peut pas être rangé sous la rubrique de l’instruction primaire ; ce n’est pas une instruction primaire proprement dite qu’on donne à ces malheureux, c’est une instruction toute spéciale. Je crois donc qu’il y aurait lieu de transférer ce crédit au budget du département de la justice, si les allocations de ce budget sont insuffisantes sous ce rapport. Je n’en fais pas la proposition formelle. Je reconnais que j’aurais dû faire ces observations, lors de la discussion du budget du département de la justice. J’engage M. le ministre de l’intérieur à réfléchir à cet objet, et à y avoir égard au budget de l’année prochaine.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je dois dire que cette question a fait l’objet d’une longue correspondance entre le département de la justice et le département de l’intérieur J’ai cru qu’on devait conserver dans mes attributions la répartition du crédit de 20,000 francs, attendu que les subsides qui sont prélevés sur ce crédit sont d’une toute autre nature que ceux qu’alloue le département de la justice. Il n’y a pas ici double emploi. Je crois que l’état actuel des choses doit être maintenu.
M. Rodenbach. - Messieurs, le département de la justice est chargé de payer une pension très faible, lorsque la province et la commune interviennent, pour que les malheureux aveugles et les sourds-muets puissent entrer dans des établissements consacrés à cette classe d’infortunés.
Ainsi les fonds dont dispose le département de la justice sont destinés à payer une partie de la pension alimentaire de ces enfants. Cette partie se borne au tiers tout au plus de la dépense faite pour donner un état et de l’instruction aux infortunés aveugles et muets. M. le ministre de l’intérieur est chargé de tout ce qui concerne le matériel de l’achat des caractères de plomb, des cartes, enfin de tout ce qui est nécessaire pour donner l’instruction. Voilà pourquoi les deux départements ont dû contribuer pour cet objet. L’heure étant avancée, je ne crois pas devoir entrer dans plus de détails. Je dirai seulement que la Belgique est le pays où l’on fait le moins de sacrifices pour ces infortunés. Dans les autres pays, eu égard à la population, on fait vingt fois plus.
- Le chiffre est adopté.
« Litt. A. Encouragements, souscriptions, achats : fr. 44,000
« Litt. B. Académie royale des sciences et belles-lettres : fr. 30,000
« Lift. C. Observatoire royal de Bruxelles : fr. 22,000
« Litt. D. Bibliothèque royale : fr. 65,000
« Litt. E. Publications des chroniques belges inédites : fr. 44,000
« Litt. F. Exécution et publication de la carte géologique du royaume : fr. 6,000
« Ensemble : fr. 181,000 »
- La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 5 heures.