(Moniteur belge n°352, du 18 décembre 1842)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure et demie.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les habitants de la section de Gouvy, commune de Limerlé, demandent que cette section soit séparée de Limerlé et érigée en commune distincte. »
« Le sieur Ronse, porteur de contraintes de la division de Furnes, demande qu’on l’indemnise de la diminution qu’il a subie dans ses honoraires depuis 1830. »
« Le sieur Reith, commissionnaire à Gand, se plaint de ce que le département de la guerre ne lui a point adjugé la fourniture des grains destinés à la boulangerie militaire de la place de Gand pendant 1843, tandis qu’il avait fait la soumission la moins élevée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Delehaye. - M. le président vient de vous proposer le renvoi de la pétition dont il vous est fait l’analyse à la commission des pétitions.
Le pétitionnaire, messieurs, signale un fait très grave, de nature à compromettre les intérêts du trésor. Je crois qu’il serait bon d’envoyer sa requête à la section centrale chargée d’examiner le budget de la guerre ; on atteindrait ainsi immédiatement le but que l’on se propose. Si toutefois la chambre croyait devoir adopter le renvoi la commission des pétitions, proposé par M. le président, je demanderais que cette commission fût invitée à nous faire un prompt rapport, qui nous serait soumis avant la discussion du budget de la guerre.
- Le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport, est adopté.
« Des propriétaires et cultivateurs d’Exaerde demandent que l’on soumette à un droit d’entrée les osiers venant des Pays-Bas et les rotins étrangers. »
« Même demande des propriétaires et cultivateurs de Tamise. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les droits d’entrée.
« Les sieurs Delathuy et Valériane, sauniers à Gembloux, présentent des observations contre la disposition du projet de loi sur le sel, qui permet le libre usage de l’eau de mer employée dans la fabrication du sel. »
Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur le sel.
« Les brasseurs de la ville d’Alost présentent des observations contre le projet de loi tendant à modifier les bases de l’impôt sur les bières. »
« Mêmes observations des brasseurs de Bruges. »
M. Desmet. - Messieurs, la pétition des brasseurs d’Alost contient une réclamation contre le projet de loi sur les modifications à apporter à la loi d’accises sur les bières. Je demanderai le renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet. Je ne demande pas l’insertion au Moniteur, parce que la chambre a résolu qu’il n’y aurait plus de pétition sur le projet de loi relatif aux bières insérée au Moniteur.
M. Maertens, - Je demande le même renvoi pour la pétition des brasseurs de Bruges, et je la recommande à l’attention toute spéciale de la section centrale, d’autant plus qu’elle contient des observations très étendues et très importantes sur la matière.
- Le renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi sur les bières est adopté.
« Les fabricants de Tournay demandent des mesures protectrices contre l’importation par l’Angleterre de vêtements confectionnés. »
M. Savart-Martel. - La requête dont s’agit émane de plusieurs des principaux fabricants de Tournay. Elle intéresse aussi un nombre considérable d’ouvriers qui sont exposés à se trouver sans ouvrage.
J’invoque donc la sollicitude de la chambre.
Je demande l’envoi non seulement à la commission d’industrie, mais aussi à la section centrale chargée de l’examen des droits d’entrée.
Je demande aussi l’impression au Moniteur, puisqu’il s’agit d’un objet d’intérêt général.
- Le double renvoi demandé par M. Savart et l’insertion au Moniteur sont adoptés.
M. Cogels. - J’ai l’honneur de vous présenter le rapport sur le projet de loi relatif à la canalisation de la Campine.
M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué. A quel jour la chambre veut-elle en fixer la discussion ?
M. de Theux. - Je proposerai de la fixer après celle du budget des finances.
M. Delehaye. - Je rappellerai à la chambre qu’elle a déjà mis à son ordre du jour le projet de loi relatif aux traitements des membres de l’ordre judiciaire. Je demande que l’on s’occupe avant tout de la discussion de ce projet, et qu’on ne la recule pas de nouveau, comme le propose l’honorable M. de Theux.
M. de Theux. - Messieurs, la discussion du projet de loi relatif à la canalisation de la Campine ne peut être de longue durée.
Les principes ont déjà été déposés dans la loi d’emprunt. Il ne s’agit plus que d’une loi organique, sur laquelle la section centrale est d’accord avec le gouvernement. Sa discussion ne retardera donc pas celle du projet sur les traitements de l’ordre judiciaire. Je ferai d’ailleurs remarquer qu’après ce qu’a dit le gouvernement, que les nouveaux traitements ne pourraient prendre cours en 1843, un jour de retard ne peut rien faire.
M. Vanden Eynde. - Je demande également que la discussion du projet de loi sur lequel il vient de vous être fait rapport ne soit pas fixée de si tôt. Il importe de bien examiner la question, surtout en ce qui concerne le tracé du canal. Il y a eu, il y a quelques années, un projet de tracé formé par MM. les ingénieurs Masui et Teichman, que nous devons comparer avec le tracé proposé actuellement. Nous devons avoir quelques jours pour examiner ces deux projets. Quant à moi, je ne connais rien du premier, qui ne nous a pas été distribué et dont il ne reste plus d’exemplaires.
Je propose donc de fixer la discussion du projet de loi sur la Campine après celle de tous les budgets.
M. Delehaye. - Je ne sais pas si le projet de loi sur la canalisation de la Campine est de nature à entraîner une discussion bien longue. Si cette discussion ne devait pas se prolonger au-delà d’une séance, comme le dit l’honorable M. de Theux, je ne verrais pas d’inconvénient à lui donner la priorité. Mais je demande qu’on discute immédiatement après le projet sur l’ordre judiciaire ; déjà plusieurs projets ont eu la préférence sur celui-là ; je ferai cependant observer qu’il est attendu avec impatience par le pays et qu’il importe de mettre un terme à l’incertitude où on laisse nos magistrats sur leur sort.
M. d’Hoffschmidt. - Je suis certainement très favorable à la canalisation de la Campine, et je désire qu’elle ait lieu le plus tôt possible. Mais je ferai également observer que nous avons d’autres objets très importants à l’ordre du jour, et, entre autres, le projet de loi sur les sucres dont la discussion a été fixée immédiatement après celle du budget de l’intérieur. Nous avons aussi le budget des finances, dont le rapport est fait. Je crois que la discussion de ces objets nous mènera au-delà du temps où nous prenons ordinairement nos vacances de Noel. Je ne pense donc pas que nous puissions discuter le projet sur lequel il vient de vous être fait rapport, dans la semaine prochaine ; d’autant plus qu’il est probable que ce projet soulèvera une discussion qui durera plus d’une séance.
M. Cogels, rapporteur. - Messieurs, la question de tracé, dont vient de parler l’honorable M. Vanden Eynde, se trouve résolue ; c’est ce qu’il a probablement perdu de vue. Par la loi du 29 septembre 1842, On a a résolu implicitement la question du tracé, qui dès lors ne pourra plus soulever de longs débats.
Messieurs ; la discussion du projet de loi sur le canal de la Campine, pour autant que nous puissions en juger, ne durera certainement pas au-delà d’une séance ou de deux tout au plus. Je crois que les autres questions, telles que, celle sur les traitements des membres de l’ordre judiciaire et celle sur les sucres, prendraient beaucoup plus de temps.
Quant à moi, messieurs, je ne m’opposerai plus du tout maintenant à ce qu’on entame la discussion du projet de loi sur les sucres. Au contraire, je serai le premier à provoquer cette discussion, parce que la chambre pourra maintenant s’y livrer, sans être sous l’impression fâcheuse du déficit et des centimes additionnels. Mais je crois la discussion de ce projet trop importante pour la scinder, pour la commencer avant les vacances que nous prenons ordinairement à la Noel, et la reprendre après ces vacances. Le projet, au contraire, sur lequel je viens de vous faire rapport, ne nous prendra qu’une séance ou deux, et nous pourrions le discuter, si, après l’examen du budget des finances, il nous restait un jour ou deux libres avant nos vacances.
M. de Theux. - Messieurs, je voulais ajouter une observation, c’est que les fonds pour la canalisation de la Campine ont été faits par le dernier emprunt, et qu’il importe que le gouvernement soit fixé sur cet objet, pour qu’il puisse préparer la mise en adjudication, de manière à ce que tous les travaux soient achevés dans le courant de 1843, ce qui est très possible, si l’on ne diffère pas le vote du projet de loi.
Il est impossible, d’après la nature du rapport, que cette discussion dure plus d’une séance ; je ne pense pas même qu’elle prenne une séance entière.
M. Mercier. - Messieurs, je suis d’avis que l’on ne doit pas suspendre les délibérations du budget pour s’occuper d’autres questions. Je crois aussi qu’il est temps de nous occuper des projets de voies et moyens. Le dépenses sont toujours demandées avec beaucoup d’insistance, parce que certaines localités profitent des effets de ces dépenses ; mais on met beaucoup moins d’empressement à demander la discussion des projets de voies et moyens. Je crois, quant à moi, que les projets qui doivent nous procurer des ressources, et sur lesquels les rapports sont faits, doivent être discutés avant de s’occuper des projets qui concernent les dépenses. Je demanderai donc qu’on ne change pas l’ordre du jour fixé, quant aux projets de finances. L’époque à laquelle nous devons nous occuper de la loi des sucres est très rapprochée ; elle doit avoir lieu quinze jours après la discussion du budget des voies et moyens ; or, il est certain que ce délai sera écoulé lorsque vous aurez achevé l’examen du budget de l’intérieur, ou tout au moins de celui des finances. Il faudrait donc encore intervertir l’ordre du jour pour faire primer la discussion du projet sur lequel l’honorable M. Cogels vient de vous faire rapport.
Je demande que l’on ne change rien à l’ordre du jour, que l’on continue la discussion des budgets, et que l’on s’occupe ensuite de la loi sur les sucres.
M. Delehaye. - Je demande de mon côté, que la chambre maintienne sa décision quant au projet relatif aux traitements des membres de l’ordre judiciaire.
M. de Mérode. - Messieurs, j’appuie les observations de l’honorable M. Mercier. Tous les projets que l’on veut mettre à l’ordre du jour sont des projets de dépenses. Ainsi le projet sur les traitements des membres de l’ordre judiciaire est encore un objet de dépenses. Eh bien ! avant de voter les dépenses, il faut voter des recettes, et la loi des sucres est une des plus importantes pour cela. Quant à moi, je ne vote aucune dépense avant que les recettes ne soient faites. Ainsi je suis disposé à voter pour le projet relatif à la magistrature, mais seulement lorsque les voies et moyens seront faits.
M. Delehaye. - Je ne demande pas le contraire ; je demande uniquement le maintien de l’ordre du jour. Que l’on discute d’abord la loi sur les sucres ; je ne m’y oppose pas ; mais qu’ensuite on donne la priorité au projet relatif aux traitements des membres de l’ordre judiciaire, dont la mise à l’ordre du jour a été fixée depuis longtemps.
M. de Garcia. - Il est étonnant que l’on insiste pour maintenir à un ordre du jour très prochain la loi sur les traitements de la magistrature. Car enfin les fonds ne sont pas faits et lorsque la loi serait votée demain, vous ne pourriez la mettre à exécution. Procédons logiquement, et commençons par voter des recettes avant de voter des dépenses.
Quand on a fixé à l’ordre du jour le projet de loi sur les membres de l’ordre judiciaire, nous n’avions pas le rapport sur la loi des sucres, le rapport sur les voies et moyens. Mais aujourd’hui que nous avons ces rapports, abordons-en franchement la discussion, et faisons des ressources et des fonds pour l’objet que nous voulons atteindre, l’augmentation des traitements de la magistrature ; car, en vérité, ce n’est pas rendre service à la magistrature que de précipiter la discussion d’une loi qui, dans tous les cas ne peut pas encore recevoir son exécution. Quant à moi, je veux aussi cette loi, mais, je le répète, si nous voulons rendre service à la magistrature, votons d’abord des voies et moyens pour pouvoir la rétribuer convenablement.
M. Cogels, rapporteur. - J’ai déjà dit, messieurs, que je ne m’oppose pas le moins du monde à la discussion de la loi sur les sucres ; mais il s’agit de savoir si la chambre prendra des vacances, et si la chambre prend des vacances, comme elle a l’habitude de le faire, alors je pense qu’il lui est impossible de discuter la loi des sucres avant de se séparer ; car discuter la loi des sucres pendant deux jours pour suspendre ensuite cette discussion, ce serait perdre du temps. Si la question des sucres peut être discutée sans interruption, je serai le premier à y donner la priorité, et je n’ai demandé la mise à l’ordre du jour du projet sur lequel je viens de faire rapport que pour autant que nous eussions une couple de jours disponibles avant les vacances.
M. de Theux. - Je demanderai que l’on mette concurremment à l’ordre du jour le projet relatif au canal de la Campine et la question des sucres, sauf à décider ensuite, d’après le temps qui nous restera, auquel de ces deux objets nous voulons donner la priorité.
M. Delehaye. - Mais ce serait décider qu’on ne décide rien du tout, car la chambre est toujours libre de changer son ordre du jour. L’ordre du jour est fixé ; eh bien, maintenons-le ; quand nous en viendrons au projet concernant l’ordre judiciaire, la chambre verra ce qu’il y a à faire ; il sera encore temps alors de l’ajourner, si l’on croit que cet ajournement est nécessaire.
- La proposition de M. de Theux est mise aux voix ; deux épreuves sont douteuses.
Il est procédé au vote par appel nominal ; en voici le résultat :
70 membres prennent part au vote.
1 membre s’abstient.
40 adoptent.
30 rejettent.
En conséquence, la proposition est adoptée, et le projet de loi concernant le canal de la Campine est mis à l’ordre du jour après la discussion du budget des finances, sauf examen de la question de priorité, quant au projet de loi sur les sucres.
Ont voté l’adoption : MM. Brabant, Cogels, Cools, de Behr, Dechamps, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, Demonceau, de Muelenaere, de Nef, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, Donny, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Henot, Huveners, Lejeune, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Simons, Smits, Troye, Van Cutsem, Van Volxem, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et Raikem.
Ont voté le rejet : MM. David, Delehaye, Delfosse, Deprey, de Roo, Devaux, de Villegas, Savart-Martel, Dolez, Fallon, Fleussu, Hye-Hoys, Jadot, Jonet, Lange, Lebeau, Lys, Maertens, Malou, Mercier,. Orts, Pirson, Puissant, Raymaeckers, Scheyven, Sigart, Trentesaux, Vandenbossche, Vanden Eynden, Verhaegen.
M. de Mérode s’est abstenu.
M. le président invite M. de Mérode à faire connaître les motifs de son abstention.
M. de Mérode. - Je me suis abstenu parce que toutes ces motions d’ordre ne servent qu’à tuer le temps.
M. Lys (pour une motion d’ordre). - Je viens d’apprendre, messieurs, que les travaux du chemin de fer, sur la presque totalité de la route de la Vesdre, sont suspendus depuis le 15 du courant. Cela aurait eu lieu à la suite d’une visite de ces travaux faite par MM. les ingénieurs Teichmann et Vifquain. On n’aurait pas pu s’entendre sur les travaux extraordinaires, non seulement pour ceux qui sont faits, mais pour ceux qui restent à faire.
C’est là, messieurs, dans cette saison, un événement bien fâcheux pour la masse d’ouvriers qui était employée ; c’est là aussi une perte réelle pour l’Etat, car, si les travaux ne continuent, il sera impossible d’ouvrir les nouvelles stations au terme fixé par M. le ministre des travaux publics. Nous ne pourrons dès lois aller à Verviers au mois de mai, ni, par suite, à la frontière au mois de septembre. M. le ministre ne pourra, par suite, réaliser les augmentations des recettes prévues au budget et basées sur les nouvelles parties du chemin de fer mises en circulation. Voilà donc la partie de notre railway, décrétée depuis 1834, de nouveau retardée, et il est cependant reconnu que c’est la jonction au chemin de fer rhénan qui doit augmenter le revenu du chemin de fer par toutes les autres branches du réseau général.
On assure, messieurs, et j’ai peine à le croire, que ce serait le retard dans lequel serait l’administration supérieure d’approuver l’état des travaux à faire. Je demanderai à M. le ministre des renseignements.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, j’ai reçu ce matin plusieurs rapports concernant les travaux du chemin de fer de la Vesdre. J’ai reçu un rapport de l’inspecteur général des ponts et chaussées, auquel j’avais donné la mission d’aller examiner en détail tous les travaux, accompagné de M. l’inspecteur Vifquain, qui a la surveillance la plus spéciale, la plus directe, de ces travaux, et de M. le directeur des chemins de fer en exploitation, afin de pouvoir assurer le plus tôt possible la mise en exploitation jusqu’à Verviers et jusqu’à la frontière prussienne. Ce rapport, messieurs, me fait connaître que tout assure que l’exploitation de ces deux parties du chemin de fer de la Vesdre pourra avoir lieu aux époques que j’ai déjà indiquées dans le discours que j’ai prononcé à l’occasion de la mise en adjudication du chemin de fer de Tournay.
Mais, messieurs, j’ai reçu un autre rapport de l’ingénieur qui dirige les travaux, de M. l’ingénieur Petitjean, qui m’annonce effectivement qu’on vient de l’informer que les entrepreneurs des trois derniers lots de la section de la Vesdre auraient renvoyé leurs ouvriers ; cependant il n’annonce pas encore ce fait d’une manière tout à fait positive, et il me fait espérer, pour aujourd’hui même, un rapport circonstancié et tout à fait positif à cet égard. Mais, messieurs, toutes les mesures seront prises pour que cette manœuvre, si elle a réellement eu lieu de la part des entrepreneurs des trois derniers lots, pour que cette manœuvre ne puisse pas avoir d’effet sur l’achèvement des travaux.
Maintenant, s’il est vrai que les entrepreneurs ont réellement renvoyé les ouvriers au moment même où M. l’inspecteur général me proposait des mesures sages et équitables qui paraissent de nature à concilier les divers intérêts, et alors que déjà des solutions ont été données à l’égard des principaux points en litige, cela tient probablement à ce qu’il s’élève, relativement aux trois derniers lots, des questions que l’on prétend avoir plus ou moins d’analogie avec celles qui sont en ce moment soumises aux tribunaux, en ce qui concerne les trois premiers lots.
Il ne serait donc pas étonnant que l’on ait voulu ainsi influer peut-être sur la décision qui doit être prise très prochainement par l’autorité judiciaire sur le procès dont je viens d’entretenir la chambre.
M. Demonceau. - Messieurs, je ne savais pas que les travaux fussent suspendus sur les sections du chemin de fer de la Vesdre ; je croyais même pour certain que les entrepreneurs des 4°, 5° et 6° lots étaient d’accord avec le gouvernement.
M. le ministre des travaux publics qualifie indûment, selon moi, de manœuvre la conduite des entrepreneurs. Je déclare franchement que dans cette circonstance, si j’étais à la place des entrepreneurs, je ne travaillerais qu’autant que j’aurais la certitude d’être payé. On sait, messieurs que les entrepreneurs des premiers travaux sur les 1°, 2° et 3° sections ont exécuté les travaux, tels que les avaient commandés MM. les ingénieurs, et qu’ils sont aujourd’hui obligés de demander justice aux tribunaux pour obtenir le paiement de ces travaux. Les entrepreneurs qui ont encore des travaux à faire sont encore dans une position plus défavorable. Il y a des changements aux plans arrêtés par l’administration. Au lieu de faire des tranchées, on a arrêté des tunnels. Eh bien, c’est une question facile à décider. MM. de l’administration des ponts et chaussées doivent dire à M. le ministre : « La tranchée devait coûter autant ; le tunnel devra coûter autant ; si les entrepreneurs ne trouvent pas convenable d’accepter le forfait nouveau offert par le gouvernement, que celui-ci fasse achever les travaux à ses frais.» Mais, messieurs, ce n’est pas une raison pour que les entrepreneurs travaillent sans avoir la certitude d’être payés. Si nous étions en lieu et place de ces entrepreneurs, nous agirions comme eux ; nous dirions au gouvernement je veux bien travailler, mais à la condition que vous me paierez.
Voilà vraiment toute la question, et je supplie M. le ministre des travaux publics de vouloir bien se faire rendre compte de son administration, car je dois dire que, d’après les renseignements que j’ai reçus, dans le temps de tous côtés, il y a véritablement un grief à articuler à charge de l’administration des travaux publics.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - La chambre comprendra qu’en présence du procès très grave qui est pendant devant l’autorité judiciaire, en ce qui concerne les trois premiers lots, l’administration a dû être réservée, en ce qui touche les modifications au projet primitif des trois derniers lots de la section de la Vesdre. On aurait pu vouloir interpréter toute décision que l’administration aurait prise sur quelques-unes des réclamations relatives aux trois derniers lois, de manière à exercer une influence plus ou moins pernicieuse sur la décision judiciaire à intervenir à l’égard des trois premiers lots. Mais, je le répète de nouveau, l’administration est sur tous les points essentiels d’accord avec les entrepreneurs.
C’est donc à mon grand étonnement que j’ai appris ce matin, par le rapport de l’ingénieur Petitjean, que les entrepreneurs se seraient décidés tout à coup à renvoyer leurs ouvriers.
Messieurs, si tout à l’heure j’ai qualifié de manœuvre cette cessation de travaux, c’est qu’en présence des faits que je viens de rappeler, il me serait impossible de qualifier autrement le renvoi des ouvriers des trois derniers lots du chemin de fer de la Vesdre, s’il a réellement eu lieu, alors que l’autorité judiciaire ne va pas tarder à se prononcer sur les débats existants entre le gouvernement et les entrepreneurs, à l’égard des trois premiers lots.
M. Lys. - Je conviens, messieurs, que l’administration doit être très réservée ; mais pourquoi depuis le long terme écoulé, depuis que ces travaux sont reconnus nécessaires, n’a-t-elle point statué le mode de les opérer, et leur prix ?
Je ne vois pas, comme M. le ministre, une manœuvre de la part des entrepreneurs en cessant les travaux. Je vois là de la prudence, le soin de leurs intérêts.
Ils ont un exemple devant les yeux ; ce qui s’est fait avec les entrepreneurs des 1°, 2° et 3° sections. Ceux-ci ont fait les travaux, par marchés d’urgence avec l’ingénieur qui les dirigeait, et ces travaux étant faits, l’administration a refusé de les approuver. Qu’y a-t-il donc d’étonnant aujourd’hui que les entrepreneurs ne veuillent pas travailler sur marchés d’urgence, sans approbation ultérieure ?
M. Demonceau. - S’il est vrai, comme le dit M. le ministre des travaux publics, qu’il est d’accord avec les entrepreneurs des 4°, 5° et 6° lots, ceux-ci auraient tort d’avoir suspendu les travaux. Je reconnais volontiers la position difficile de M. le ministre, en présence du procès qu’il est obligé de soutenir contre d’autres entrepreneurs ; aussi je n’entends rien lui demander en ce qui peut concerner ce procès.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j’ai dit hier que je n’avais pas eu le temps de consulter les recueils de jurisprudence. Depuis, j’ai fait quelques recherches ; j’ai devant moi la première livraison d’un ouvrage qui est publié en ce moment par M. Delebecque.
La cour de cassation de Belgique a été appelée à examiner une question qui a beaucoup d’analogie avec celle que nous discutons depuis quelques jours ; je vais vous faire connaitre les faits et l’arrêt qui est intervenu ; vous verrez jusqu’à quel point la question est identiquement la même.
« Un sieur Eccrevisse avait réclamé contre l’inscription de quatre individus portés sur la liste électorale de la commune d’Eeeloo.
« Sa réclamation était fondée sur ce que, par eux-mêmes ni par aucune délégation que la loi autorisât, ni Alexandre Destappens, ni Lagaet, ni Spitael, ni Willems ne possédaient le droit d’être électeurs, et que s’ils avaient obtenu d’être portés sur le rôle des contributions, ce n’était qu’en y faisant figurer sous leurs noms respectifs, l’impôt personnel de leurs pères et mères, qui, de leur côté, se trouvaient n’en plus payer aucun de leur chef, pas plus que leurs autres enfants, qui cependant, comme les défendeurs, habitaient avec eux sous le même toit et en famille ; ce que le réclamant dénonçait au conseil comme une fraude à la loi et comme un fait dont la preuve devait résulter de la seule inspection des rôles de l’impôt personnel.
« Le fait de l’inscription des défendeurs au rôle de la contribution était constant et la somme payée était égale au cens voulu pour la commune d’Eccloo ; ainsi, quant à l’existence du fait en lui-même, rien n’était contesté, mais ce que la réclamation appelait le conseil communal à vérifier, c’était le point de savoir si le collège des bourgmestre et échevins, en prenant ce rôle pour base à l’égard des sieurs Destappens, Lagaet, Spitael et Willems, n’avait pas été trompé en ce que le rôle lui-même se serait trouvé infecté d’un vice qui frappait d’incapacité comme électeurs lesdits sieurs Destappens et autres.
« Ce qu’avait à faire le conseil, comme juge de première instance, était donc de rechercher non pas seulement si le paiement du cens requis pour être électeur et qui avait dicté la résolution du collège, avait été fait au nom des défendeurs ; mais si en réalité ce cens n’était pas dû par leurs pères et mères, de sorte que le paiement n’avait pu être fait par les enfants et sous leur nom qu’en fraude de la loi. Au lieu de procéder de la sorte, le conseil, considérant que d’après la déclaration du bourgmestre et des échevins, ils n’avaient porté sur la liste des électeurs que les individus qui, de leur chef ou par délégation, payaient le cens exigé par la loi, a maintenu sur cette liste les noms des sieurs Destappens, Willems, Lagaet et Spitael.
« Le 7 mai, Pierre Eccrevisse s’est pourvu en appel de cette décision devant la députation permanente du conseil provincial à Gand, où il a reproduit tous les moyens qu’il avait fait valoir devant le conseil communal d’Eecloo, et le 17 mai est intervenue la résolution suivante
« Gouvernement de la Flandre orientale ; la députation permanente du conseil provincial ; vu la requête du sieur Eccrevisse, juge de paix à Eecloo, reçue le 10 de ce mois, par laquelle il interjette appel de la décision du conseil communal d’Eccloo, du 30 avril dernier, à lui notifiée le trois de ce mois, rejetant sa réclamation contre l’inscription des sieurs Alexandre Destappens, Auguste Lagaet, Augustin Spitael et Honoré Willcms, du chef que la contribution personnelle qu’ils ont fait valoir pour former leur cens électoral frapperait sur les habitations et sur le mobilier de leurs parents, et que les déclarations, par suite desquelles les individus susnommés se trouvent imposés au rôle de ladite contribution, constitueraient une délégation déguisée de contributions, contraire à la loi vu l’art. 7 de la loi communale ;
« Attendu que pour être électeur communal à Eecloo, il faut, entre autres, verser au trésor de l’Etat, une somme de 30 fr. en contributions directes, patente comprise ;
« Attendu que les nommés Alexandre Destappens, Auguste Lagaet, Augustin Spitael et Honoré Willems figurent en nom personnel au rôle de la contribution personnelle de la ville d’Eecloo, pour l’année courante, chacun pour une somme supérieure au cens électoral ; qu’il n’est pas contesté qu’ils aient payé le cens en 1841, et que les autres qualités exigées pour être électeur ne leur sont pas non plus déniées ;
« Attendu que l’autorité administrative n’a pas à examiner la question de possession ou de propriété des objets constituant les bases de la contribution personnelle, lorsque cette possession ou cette propriété n’est pas réclamée par un ayant droit ;
« Arrête
« La décision du conseil communal d’Eecloo, dont appel, est maintenue. »
« Le procureur-général près la cour de cassation s’est pourvu, dans l’intérêt de la loi, contre cette décision. Il a dit dans son réquisitoire :
« On voit par cette résolution que la députation du conseil provincial de Gand décide en principe que dès qu’un individu figure, à concurrence du chiffre électoral, sur les rôles des contributions directes, il ne peut appartenir à l’autorité administrative, agissant soit à ce titre, soit à titre de juridiction, de se livrer à aucune recherche pour constater si la base de ce paiement existe ou n’existe pas.
« Un pareil principe aurait pour résultat d’ouvrir une voie sûre à la fraude, qu’il importe toujours d’écarter, surtout en cette matière, où l’on se la permettrait avec moins de scrupule qu’en aucune autre.
« Il s’ensuivrait en effet que la loi ayant départi aux conseils communaux et provinciaux des attributions spéciales pour la formation des listes d’électeurs, à l’exclusion des tribunaux ordinaires, et la cour de cassation ne pouvant entrer dans l’examen des faits, il n’existerait aucune autorité investie du pouvoir de connaître d’une fraude à la loi, quelque flagrante qu’elle fût.
« S’il était vrai que le fait matériel d’être porté aux rôles des contributions est constitutif du droit d’élire, jusqu’à ce qu’un tiers ayant droit réclame la possession ou la propriété des objets qui ont servi de base aux contributions directes de celui qui se présente comme électeur, il est évident qu’un père, riche propriétaire, qui, par une fraude à la loi, aurait fait porter sous les noms de ses fils, en les divisant, ses diverses propriétés susceptibles de servir d’assiette à l’impôt ; que le maître qui en aurait agi de même à l’égard de ses ouvriers, ne viendraient pas ensuite soulever une question de propriété destructive de leur propre ouvrage ; et par une conséquence ultérieure, il est non moins évident qu’il dépendrait de la volonté de toute personne, sans que nulle répression, nul contrôle fussent possibles, de se créer une phalange d’électeurs et de s’assurer de la majorité dans les élections, en faisant porter aux rôles des contributions directes, et sauf à payer pour eux, tel nombre d’individus habitant la commune, qu’il lui conviendrait de gagner à l’aide d’un sacrifice pécuniaire.
« Un résultat de cette nature est tellement contraire au bien public et au but des lois électorales, qu’il est impossible que ces lois aient entendu fournir les moyens d’y arriver en consacrant le principe dont il émane.
« Les collèges des bourgmestre et échevins sont chargés par elles, dans les termes les plus exprès, les plus absolus et les plus généraux, de toutes les opérations relatives à la formation des listes d’électeurs, les conseils communaux et provinciaux sont investis dans les mêmes termes du pouvoir de juger toutes les contestations auxquelles ces opérations peuvent donner lieu, et de là cette conséquence, qu’il appartient aux uns et aux autres, chacun dans le degré de la hiérarchie occupée par lui, de décider aux fins d’apprécier la capacité électorale, et sans autre effet que de constater cette capacité, toutes les questions de fait et de droit qui en dépendent. On ne peut apporter de limites à cette mission et à ce pouvoir, sous le rapport du droit de voter qu’un particulier prétendrait s’attribuer en vertu du cens électoral payé par lui, qu’autant que la loi contienne une disposition attachant à l’inscription matérielle sur les rôles et au paiement matériel du cens, une présomption juris et de jure que l’inscrit qui effectue ce paiement possède la capacité électorale. Or, non seulement semblable présomption, qui devrait être expresse, ne se trouve établie nulle part ; mais il est constant, au contraire, par les articles 7, 8. 9 et 10 de la loi du 30 mars 1836, comme par nos autres lois électorales, que le cens ne confère la capacité électorale que comme dérivant de la propriété ; que la propriété est la base fondamentale de cette capacité ; qu’elle seule crée le tire de l’électeur ; d’où l’on doit conclure qu’une inscription sur les rôles, qu’un paiement sans propriété ou fondé sur une propriété simulée, ne peuvent conférer aucun droit : en d’autres termes, que par le paiement en contributions directes du cens électoral qu’exige la loi, de celui qui réclame le titre d’électeur, il faut entendre un paiement effectué en vertu d’une obligation, un paiement dû par celui qui l’effectue ; c’est ce qu’indiquent d’ailleurs ces mots de la loi : paiement en contributions directes, puisque les contributions directes ne peuvent à ce titre être payées que par ceux, ni être reçus légalement que de ceux qui les doivent ; c’est ce que prouve encore cette circonstance, que celui qui aurait fait un paiement de contributions sans rien devoir de ce chef, et qui s’en serait prévalu pour se faire inscrire sur les listes électorales, aurait le droit, après avoir voté, de demander la restitution des deniers indûment versés dans le trésor de l’Etat, et pourrait ainsi user des privilèges de l’électeur sans en avoir supporté les charges, si ce n’est en apparence ; les faits matériels de l’inscription aux rôles et du paiement peuvent donc bien être considérés comme une simple présomption de capacité, mais de même que toutes les présomptions de ce genre, elle doit tomber devant la vérité, surtout quand de cette vérité sort la preuve qu’il a été commis une fraude à la loi ; et cette preuve existe, une fraude a été commise, la vérité contraire à la présomption dont une simple inscription aux rôles et un simple paiement forment la base, est manifeste, quand l’inscription et le paiement sont séparés de toute propriété, ou reposent sur une propriété simulée ; quand celui qui paie ne doit réellement rien, de sorte que son paiement n’est en réalité ni un paiement, puisque ce mot est le corrélatif d’une obligation, ni surtout un paiement en contributions directes, puisqu’elles sont à la charge d’un autre, et qu’ainsi le versement fait par lui au trésor public n’est ni celui dont parle, ni celui dont veut parler la loi. S’il en était autrement, et cette dernière observation confirme tout ce qui précède, ce serait en vain que la loi aurait précisé avec soin les cas où il est permis à une personne de déléguer son cens à une autre, on pourrait toujours opérer des délégations en dehors de ces cas ; ce qui implique pour les autorités chargées de former les listes et de juger les contestations électorales, le devoir de connaître des fraudes de ce genre et de repousser ceux qui s’en seraient fait un moyen d’usurper le titre d’électeur,
« Dans l’espèce, les défendeurs s’étaient fait inscrire aux rôles des contributions directes à raison de certaines propriétés ; ils avaient payé les contributions dues à raison de ces propriétés, et s’étaient fait à ce titre porter sur la liste des électeurs de leur commune ; mais la sincérité de leur inscription aux rôles des contributions directes, la réalité d’un paiement à eux propre, ou au moins l’existence de toute obligation en leur personne du chef de ces contributions et des propriétés sur lesquelles elles étaient assises, étaient contestées ; l’on soutenait que ces propriétés étaient possédées par leurs pères et mères, avec lesquels ils vivaient ; que les contributions étaient en réalité payées par ceux-ci, ou au moins dues par eux, et qu’ils avaient cessé de figurer au rôle, du jour où leurs enfants y avaient été inscrits ; si ces faits étaient vrais, ces derniers n’avaient eu aucun titre pour se faire porter sur la liste électorale, ils n’avaient pu s’y faire porter que par une délégation déguisée, faite en dehors de la loi, et partant, qu’en commettant une fraude à la loi ; le devoir de la députation permanente du conseil provincial à laquelle avaient été dénoncés de pareils faits, était donc de les vérifier, et, en s’y refusant, elle a méconnu les règles de sa compétence et expressément contrevenu aux art. 7, 8,10,13, 14 et 17 de la loi du 30 mars 1836. »
« La cour de cassation, par arrêt du 11 août 1842, a adopté en ces termes le réquisitoire de M. Leclercq :
« Attendu que, par la loi communale du 30 mars 1836, les collèges des bourgmestre et échevins sont chargés, dans les termes les plus exprès et les plus généraux, de toutes les opérations relatives à la formation des listes électorales, et que les conseils communaux, ainsi que les députations permanentes des conseils provinciaux, sont de même investis du pouvoir de juger toutes les contestations auxquelles ces opérations peuvent donner lieu ; qu’il s’ensuit évidemment qu’il appartient aux uns et aux autres, dans le degré respectif de hiérarchie, de décider toutes les questions de fait et de droit qui en dépendent, aux fins d’apprécier la capacité électorale, et sans autre effet que celui de constater cette capacité, toute d’intérêt public et indépendante du droit des tiers,
« Attendu que, dans l’espèce, devant la députation du conseil provincial, il avait été posé en fait par l’appelant que les intimés, fils de famille, ne versaient personnellement aucune somme dans le trésor de l’Etat mais qu’ils avaient été portés sur les rôles du receveur pour les contributions dues privativement par leurs pères respectifs, qui, seuls, étaient les chefs du ménage, et qui figuraient eux-mêmes sur les listes électorales du chef de leurs contributions foncières et patentes.
« Attendu que ce fait, s’il avait été établi, eût constitué une délégation déguisée, et par conséquent, une fraude à la loi, qui n’autorise la délégation des contributions que dans les cas spécifiés ; d’où il suit que la députation, en refusant de vérifier ce fait, a méconnu l’étendue de sa compétence et ainsi contrevenu formellement à l’art. 17 de la loi communale.
Par ces motifs, et attendu que la décision attaquée est passée en force de chose jugée par le désistement du pourvoi de Pierre Eccrevisse, électeur réclamant, casse et annule, dans l’intérêt de la loi, l’arrêté de la députation permanente du conseil provincial de la Flandre orientale, en date du 17 mai 1842 ; ordonne que le présent arrêt sera transcrit dans le registre de cette députation, et que mention en sera faite en marge de la minute de l’arrêté annulé. »
Dans le même ouvrage on fait également connaître la jurisprudence française qui est la même ; les lois françaises cependant sont rédigées d’une manière plus favorable à cette jurisprudence, car je vois que la loi du 19 avril 1831, art. 7, § 2, porte : La patente ne comptera que quand elle aura été prise et l’industrie exercée un an avant la clôture de la liste électorale.
Vous voyez quelle précaution a prise le législateur français.
M. de Garcia. - Messieurs, la discussion à laquelle a donné lieu l’incident soulevé par l’honorable M. Mercier, s’est incessamment agrandie, et a pris dans la séance d’hier des proportions telles que c’est à peine si l’on y reconnaît l’objet de l’incident posé par cet honorable membre.
Je ferai tous mes efforts pour ramener la question à son véritable point de vue, et pour écarter de la discussion tout ce qui ne lient point aux manœuvres frauduleuses employées dans l’exercice du droit électoral.
Pour atteindre ce but, nous posons les trois questions suivantes, qui embrassent et retracent, selon nous, toutes les fraudes et tous les abus signalés :
1° Sous l’empire de la loi actuelle, la qualité d’électeur, au point de vue du cens payé, peut-elle être annulée, sous le prétexte ou par le motif que l’électeur a exagéré sa contribution ?
2° En cas de solution négative à cette première question, est-il utile, est-il indispensable qu’une loi soit faite sur cet objet, et quelle devrait être la portée de cette loi ?
3° La nouvelle loi réclamée doit-elle atteindre, autant que possible toutes les manœuvres frauduleuses ou illicites employées dans l’exercice du droit électoral, ou simplement celle des contribuables pour se donner la qualité d’électeur ?
Voilà, messieurs, les véritables questions qui se présentent aujourd’hui à notre examen, et que nous devons chercher à résoudre nettement, en écartant de la discussion tout ce qui ne s’y rattache pas, ou qui peut offrir un caractère irritant.
Dans votre dernière séance, M. Lebeau a vivement attaqué l’opinion que j’avais émise sur les deux premières questions. L’honorable M. de Theux lui a répondu avec une telle force de logique et d’argumentation puisée dans les principes de nos lois constitutionnels et politiques, que je pourrais sans inconvénient renoncer à répondre aux arguments produits par l’honorable M. Lebeau.
Dans la séance d’hier j’ai été vivement attaqué sur l’opinion que j’ai émise dans cette enceinte. J’avais soutenu que, sous l’empire de la loi actuelle, les conseils communaux et les députations ne pouvaient connaître des causes du cens ; que les seules causes dont ils peuvent connaître étaient les causes immédiates, le fait du paiement au trésor du versement de la somme nécessaire pour acquérir la qualité d’électeur.
L’honorable M. Lebeau, pour combattre mon opinion, s’est livré à l’examen des conséquences de mon opinion plutôt qu’à l’examen des principes consignés dans la constitution et nos lois politiques. Je ne me propose pas de rentrer dans l’examen des principes constitutionnels et politiques, parce que l’honorable M. de Theux l’a fait avec une énergie et une solidité de raisonnement dont je ne suis pas capable. J’examinerai la question sous le point de vues des objections présentées par M. Lebeau. Il a fait des hypothèses, des suppositions et il en a tiré des conséquences qu’il a signalées comme absurdes. Messieurs, créer des hypothèses, des suppositions, c’est facile, en tirer des conséquences absurdes, c’est aussi facile. Quant à moi, je ne crois pas qu’il existe une seule institution qui, par des suppositions et des hypothèses, ne puisse conduire à l’absurde. Je vais prendre le premier corps de l’Etat, soyez convaincus que rien dans mes paroles n’aura pour but de l’attaquer. Je suppose que la cour de cassation se refuse, par une jurisprudence constante, à l’exécution d’une disposition de loi manifeste. Une supposition semblable est possible. Quelles en seront les conséquences ? Une monstruosité. Pourriez-vous conclure de là que le gouvernement ou la législature pourrait contraindre ce corps à obéir à la loi ? Evidemment non. Au surplus, messieurs, ne croyez pas que je veuille faire allusion à l’arrêt que vient de signaler M. le ministre de l’intérieur. Je ne regarde pas cela comme un arrêt qui viole une disposition formelle de la loi, bien que, pour mon compte, je ne partage pas l’opinion de la cour de cassation sur ce point du reste, cet arrêt est unique, et pour une espèce toute spéciale où ce corps a vu une délégation déguisée du cens électoral, délégation formellement interdite par la loi. Il peut être suivi d’autres arrêts donnant à la question une solution inverse.
L’honorable ministre de l’intérieur vous a lu hier une partie de la discussion qui avait eu lieu dans cette enceinte, à propos de la disposition de loi qu’il s’agit d’interpréter. Que résulte-t-il de cette discussion ? La question avait été formellement posée par l’honorable M. Pirmez, et tous les membres qui ont pris part à la discussion ont reconnu qu’il suffisait de payer le cens, de payer la patente, d’avoir fait la déclaration d’une base, de contribution correspondant au cens électoral, que le seul fait du versement au trésor d’une contribution déterminée donnait la qualité d’électeur.
L’honorable M. Pirmez, lors de la discussion de la loi électorale, avait formellement et directement posé la question qui nous occupe, il demandait ce qui se ferait si un contribuable enflant ses contributions, faisant une déclaration fictive ou, exagérée se procurait les qualités d’électeur ; il ajoutait que la loi manquerait son but si elle ne contenait une disposition de nature à prévenir cet abus, puisque des personnes qui, ne payant le cens que par suite de contributions qu’elles ne devraient pas réellement, prendraient part aux élections pour la commune, la province ou les chambres, L’honorable M. d’Huart et tous les orateurs qui prirent part à cette discussion s’opposèrent à une disposition semblable, observant que cet inconvénient ne leur paraissait ni évident, ni probable, et qu’on ne pouvait supposer qu’un contribuable payât des contributions exagérées ou supposées pour le plaisir d’être électeur.
L’honorable M. Lebeau se met à l’aise en présence d’une discussion aussi lumineuse sur la question qui nous occupe. Que dit cet honorable membre pour repousser l’évidence qui résulte de cette discussion ? Il prétend que toutes les observations présentées alors à la chambre n’étaient que des opinions individuelles. J’avoue qu’un tel raisonnement m’étonne étrangement. L’honorable M. Lebeau, qui est jurisconsulte. qui a exercé comme moi la profession d’avocat, sait que le meilleur élément de l’interprétation des lois sont les discussions auxquelles ces lois donnent lieu ; il sait que les meilleurs guides dans l’interprétation de nos codes sont les rapports et les discussions au conseil d’Etat et au corps législatif ; il sait que l’on n’a jamais considéré ces discours comme des opinions individuelles.
Je conçois que l’opinion d’un jurisconsulte, telle que celle qui a été invoquée hier, soit considérée comme une opinion individuelle. Mais lorsque le législateur fait une disposition, et que dans la discussion on a expliqué de quelle manière cette disposition doit être entendue, je ne puis considérer cela comme une opinion individuelle. Je dois au contraire admettre le sens donné dans cette discussion, surtout lorsqu’on ne s’y est pas opposé, surtout alors que l’honorable M. Lebeau, qui se trouvait dans cette enceinte, n’a pas protesté contre cette interprétation. Je conçois difficilement, après cela, que l’on considère ces observations comme une opinion individuelle. Quant à moi, je n’ai jamais vu traiter ainsi les discussions du conseil d’Etat et du corps législatif, qui ont amené ces chefs-d’œuvre de notre législation nos différents codes. On a toujours considéré ces discussions comme le véritable élément de l’interprétation des lois.
L’honorable M. Lebeau, pour combattre mon opinion, a créé, comme j’ai dit plus haut, des suppositions, des hypothèses, d’où il a fait découler des conséquences absurdes. L’une de ces suppositions, c’est qu’un individu riche ait une somme à sa disposition (je ne me rappelle plus les chiffres ; mais cela ne fait rien à l’affaire) ; il pourra créer tant d’électeurs dans la province de Namur, tant d’électeurs dans la province du Limbourg ; il pourra, avec son argent, créer cent électeurs. Quelle différence, ajoute l’honorable M. Lebeau, y a-t-il entre un homme qui, avec sa fortune, crée 100 électeurs, et celui qui, comme naguère en France, par suite du double vote dont il a fait la critique, représente 100 électeurs ?
La comparaison faite par l’honorable membre ne me paraît ni juste ni heureuse, outre que la supposition est improbable. J’ai beau créer 100 électeurs, l’honorable M. Lebeau, qui sait ce que c’est qu’une opération électorale, sait comme moi que je ne puis répondre de leur suffrage. L’honorable M. Lebeau sait que, dans la pratique, un électeur que l’on croit avoir vous tourne le dos. Différence évidente donc entre l’électeur français, auquel on a fait allusion, et l’homme riche qui, en Belgique, aurait créé cent électeurs.
On a supposé un autre exemple ; on a supposé au prolétaire, le premier individu venu qui prendrait, sans diplôme, la patente de médecin ; on a trouvé cela absurde. Quant à moi, je ne le trouve pas ainsi ; car si la loi n’y est pas obstative, qu’ayant, sinon une fortune au soleil, au moins une fortune en portefeuille, je veuille être électeur, et qu’à cette fin je prenne une patente de médecin, cela n’a rien de ridicule ; c’est un moyen d’acquérir la qualité d’électeur, et si la loi ne l’interdit, ce fait est licite.
M. Duvivier. - S’il a pris licence.
M. de Garcia. - Alors même que je n’ai pas pris mes licences, la loi actuelle ne m’empêche pas de prendre la patente, la loi n’interdit qu’une chose, l’exercice de la médecine sans diplôme et sans autorisation ; de même un médecin, muni de son diplôme, peut ne pas prendre de patente, s’il n’exerce pas. Vous ne pouvez, à propos du cens électoral, pousser vos investigations jusqu’à rechercher si celui qui a pris la patente de médecin exerce cette profession. Je maintiens donc ce que j’ai dit dans une précédente séance contre le système de la cour de cassation, soutenu par l’honorable M. Lebeau ; je dis qu’il conduirait à une inquisition, à une investigation vexatoire sur toutes les qualités. Sous ce point de vue, je n’ai rien à retirer de ce que j’ai dit antérieurement.
D’après ces considérations, je pense que la loi actuelle ne pourvoit pas à la répression des abus signalés par M. Mercier. Faut-il qu’une loi nouvelle pourvoie à ces abus ? Je le crois. Mais je voudrais que les cas de fraudes fussent parfaitement déterminés ; je voudrais que l’appréciation de ces actes fût attribuée à des corps au-dessus des influences politiques, Au surplus, dans ma manière de voir, il sera fort difficile de faire une loi qui atteigne directement et spécialement les abus signalés. Le moyen le plus facile et le plus efficace serait, je crois, celui auquel a fait allusion M. le ministre de l’intérieur. Je crois que l’on pourrait exiger que l’électeur payât pendant plusieurs années le cens électoral, avant de pouvoir exercer son droit d’électeur. Cette mesure préviendrait bien des abus, si pas tous. C’est une question de fortune, dira-t-on ; on payera plus longtemps ; cela n’est pas exact.
On ne se soumettra pas à payer pendant 3 ou 4 ans, par la raison toute simple qu’on ne pourra répondre de l’électeur pendant un espace de temps aussi long, alors que, d’après le système du scrutin secret, il est impossible qu’on réponde un instant du vote d’un électeur. Je considère donc le moyen indiqué par M. le ministre de l’intérieur comme le meilleur et le plus efficace.
M. le ministre, à propos de ce système, a soulevé une question de droit, celle de savoir si une disposition semblable ne devait pas être considérée comme entachée de rétroactivité. Quant à moi, je ne le pense pas. C’est une disposition réglementaire. Si vous admettez qu’il y a là rétroactivité, il n’est plus possible de faire des lois sur cette matière. Si vous voulez changer le cens, on dira : Vous n’en avez pas le droit ; vous me dépouilleriez de ma qualité, et dans cette hypothèse la loi électorale serait éternelle.
La troisième question est celle de savoir si la loi doit comprendre les illégalités signalées par l’honorable M. Demonceau, qui consistent en ce que les députations provinciales ne se conforment pas à la jurisprudence de la cour de cassation. Quant à moi, je crois que la loi devrait embrasser toutes les fraudes qui ont été signalées. Je crois que tous les membres de la chambre qui en connaissent d’autres devraient s’empresser de les indiquer, et qu’on devrait y porter remède dans une loi générale.
Contre le système que je défends, on a fait une argumentation qui a été répétée par un grand nombre d’orateurs. Si vous adoptez mon système, dit-on, vous substituez le fait au droit. Mais cet argument n’est qu’une pétition de principe. Quel est le fait ? c’est de payer la contribution. Quel est le droit ? C’est, par suite de ce fait, d’être électeur.
La loi veut-elle que l’on justifie des causes de ce paiement ? Je ne le vois nulle part. A ce point de vue, cet argument est donc une véritable pétition de principe. Il suppose résolu ce qui est à décider, savoir si le fait qui donne le droit d’électeur consiste dans le simple fait du paiement du cens ou dans l’appréciation de la base de la contribution.
Voyons où nous conduirait le système d’investigations que je combats. Supposons que l’on constate qu’un citoyen ne paye le cens électoral qu’à l’aide d’une patente pour une industrie qu’il n’exerce pas, et qu’on lui retire le droit de voter ; alors quelle sera la position de l’électeur qu’on déclarera ne pas devoir la contribution déclarée ; pour être juste il est évident qu’on devrait lui restituer ce qu’il aurait payé indument ; un système semblable, il faut le connaître, donnera lieu à des discussions et à des contestations interminables.
Je crois que l’on peut faire quelque chose pour prévenir ces fraudes, mais il m’est impossible de reconnaître que la loi actuelle les prévoit d’une manière convenable, et l’arrêt de la cour de cassation, que l’on a invoqué, n’a nullement changé ma manière de voir sur ce point. Si vous avez fait attention à tous les considérants et au réquisitoire, vous voyez que l’on distingue les cas dans lesquels la délégation a lieu. Il ne s’agit là que d’un cas particulier, d’une délégation indirecte. Si le cas s’était présenté différemment, et s’il s’était agi de statuer sur une patente supposée, je doute que la cour de cassation eût consacré le système qui a été soutenu dans cette enceinte.
Messieurs, les abus dont on a parlé ont été signalés comme très graves, comme très nombreux, comme existant dans beaucoup de localités. Quant à moi, je n’ai encore rien à ma connaissance qui me fasse croire qu’ils ont acquis ce degré d’intensité ; je désirerais que l’on voulût les préciser. Je crois que nous nous préoccupons d’abus qui sont loin d’être aussi considérables qu’on a semblé le croire ; abus qui, au surplus, ont toujours existé, on l’a reconnu. Puisque j’ai la parole, je dirai quelques mots en réponse à une observation qui vous a été présentée par l’honorable M. Savart.
L’honorable M. Savart a cru que l’action de la législature pouvait être paralysée par le cabinet. Sans supposer que le cabinet actuel fût dans cette intention, il vous a dit qu’il lui suffirait d’une clôture de session pour entraver constamment l’action de la législature.
Quant à moi, messieurs, je ne puis partager cette opinion. Tout cabinet dépend toujours de la chambre pour avoir les subsides. Si de telles manœuvres pouvaient entrer dans la pensée du cabinet, elles ne seraient pas de longue durée. L’année suivante, nous devrions voter les subsides, et les chambres pourraient les refuser aussi longtemps que le grief ne serait pas réparé.
Messieurs, en résumé, je pense que, sous l’empire de la loi actuelle, on ne peut faire cesser les abus existants, et qu’il est nécessaire d’y pourvoir par une loi spéciale. Je pense que cette loi doit prévoir tous les cas de fraude qui ont été signalés dans cette enceinte, autant toutefois que la loi peut atteindre la fraude, car la fraude échappe presque toujours à la loi.
Une observation me revient encore, et je ne puis la passer sous silence. On a dit : Vous substituez le fait au droit. J’ai déjà répondu au fond du raisonnement ; mais je dis que dans le système des lois actuelles, n’ayant pas défini nettement la fraude, n’ayant pas défini nettement les attributions des corps qui sont appelés à juger la validité de la qualité d’électeur, au point de vue du cens, je dis que si vous adoptiez le système défendu par l’honorable M. Lebeau, il serait désastreux. Comment, avec ce système, pourrais-je me pourvoir contre l’arbitraire d’une députation, contre l’arbitraire d’un conseil communal, dont les décisions en fait seraient inattaquables devant la cour de cassation ? Au moins c’est-là une question grave, s’il pourrait en être autrement.
Vous voyez, messieurs, que pour faire disparaître la fraude, pour éviter que l’on ne mette le fait au lieu du droit, vous livrez les citoyens à l’arbitraire. Car j’appelle arbitraire toute décision qui n’a pas une ligne de conduite, toute décision qui n’est pas prise en vertu d’un principe établi par une loi. Et je répète que si l’on adopte le système défendu par l’honorable M. Lebeau, on exposera les citoyens à des investigations, à des accusations et des inconvénients qui sont bien plus graves que ceux que l’on veut prévenir.
M. Orts. - Messieurs, un seul cri est parti de tous les bancs de cette chambre contre les manœuvres électorales que vous a dénoncées un honorable collègue, M. Mercier. Ces manœuvres ont été flétries par l’indignation nationale, car il y a unanimité, entre les représentants de la nation, sur tout ce qu’elles ont d’odieux, sur tout ce qu’elles ont de préjudiciable à la chose publique.
Unanimes dans notre désapprobation, le sommes-nous encore sur cette question : La loi électorale, telle qu’elle subsiste, est-elle suffisante pour déjouer les manœuvres dénoncées, ou toutes autres de même catégorie ?
Je n’aurais pas pris la parole dans cette discussion, si je n’avais cru nécessaire de prémunir la chambre contre l’argumentation que l’on a déduite de l’art. 4 de la loi électorale. De la manière dont l’honorable M. de Theux a interprété cet article, il résulterait, selon lui, que la triple catégorie de documents, à l’aide desquels le cens électoral doit être justifié, formerait ce que l’on est convenu d’appeler en droit la présomption légale, un présomption juris et de jure, qui exclut toute preuve contraire. Ces documents sont triples la quittance du contribuable, le rôle du receveur, les avertissements. Il faut qu’à l’aide de l’un de ces actes, l’électeur justifie qu’il paye le cens.
Maintenant, messieurs, est-ce à dire que l’on ne puisse jamais être admis à prouver que ces actes sont viciés dans leur source ? Non, messieurs, nous répondons à cela :
1° Que la présomption légale n’entraîne d’autres conséquences que de dispenser de toute autre preuve celui au profit duquel elle est introduite (art. 1552 du code civil).
2° Comme l’acte authentique, elle fait preuve par elle-même, comme loi elle ne peut être combattue par d’autres présomptions.
Mais suit-il de là qu’on ne puisse élever contre la présomption légale, comme on le peut contre l’acte authentique, l’exception de fraude, de dol, ou de simulation frauduleuse ?
Quoi, je serai repoussé par une fin de non-recevoir, lorsque j’établirai que les ACTES, ou les faits, auxquels la loi aura attribué une force probante, sont le fruit du mensonge, doivent leur existence à des manœuvres frauduleuses ?
Cela est inadmissible. La plus imposante, parmi les présomptions légales, est celle attachée à l’autorité de la chose jugée.
Eh bien, la loi elle-même ouvre la voie de rétractation des décisions judiciaires passées en force de chose jugée, lorsque la religion du juge a été surprise par des manœuvres frauduleuses.
L’art. 480 du code de procédure civile range parmi les ouvertures de requête civile :
1° Le dol personnel de la partie ;
2° La circonstance que l’on a jugé sur pièces reconnues fausses depuis le jugement ;
3° Celle que, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives, retenues par le fait de la partie.
Il y a plus, l’art. 4 veut que le cens soit justifié, au moyen d’un des trois éléments qu’il a spécifiés : rôles de contributions, quittances, avertissement.
Or, s’il est vrai que la propriété seule est la base de la capacité électorale ; s’il est vrai que le cens n’est que la représentation de cette propriété, n’est-il pas évident qu’une inscription sur les rôles de contribution, qu’une quittance de payement sans propriété ou sur une propriété simulée, est un acte frauduleux ?
Le système électoral qui nous régit, exclut le suffrage universel ; il exclut de la participation au suffrage le domaine de l’intelligence ; il ne s’attache qu’à une seule chose : la propriété immobilière ou mobilière ; la contribution que l’Etat prélève sur les revenus de cette propriété ne peut ni en augmenter ni en diminuer la valeur. C’est la propriété elle-même qui constitue la garantie exigée par la loi pour conférer à un citoyen la capacité électorale.
Soutenir que l’on peut être électeur en payant à l’Etat une partie des revenus d’une propriété que l’on n’a pas, c’est s’arroger un droit sans remplir la condition imposée à l’exercice de ce droit, savoir, la garantie résultant de la propriété.
Messieurs, il est un principe élémentaire, selon moi : connaître la loi, ce n’est pas faire des équivoques sur les termes ; c’est pénétrer son sens ; c’est apprécier sa force et sa portée.
On nous a dit : mais lors de la discussion sur la loi communale, l’honorable ministre des finances, M. d’Huart, a présenté un système qui n’est pas le vôtre. D’abord, je répondrai que lorsque j’ai pour moi tous les textes et l’esprit de la loi, et surtout les principes généraux du droit, ce ne seront pas des raisonnements isoles d’orateurs dont je respecte d’ailleurs le talent, qui feront dans mon opinion violence à ces principes.
On parle de discours d’orateurs du gouvernement, d’opinions de membres appartenant au corps législatif ; mais je citerai un cas bien mémorable : lors de la discussion du code pénal en France, il fut examiné si le duel était atteint par la loi sur l’homicide. Un orateur, M. de Monseignat, traitant cette question au corps législatif avec les plus grands développements, soutint que le duel était atteint par la loi sur l’homicide.
Eh bien ! messieurs, on a fort plus tenu compte de cette opinion ; on l’a combattue vivement et avec succès devant les cours d’assises. La cour de cassation, il est vrai, est revenue au principe défendu par M. de Monseignat ; mais dans notre pays même, j’ai entendu discuter cette question : Si le duel était atteint par les lois existantes ? Et en définitive, qu’a-t-on dit ? On a dit que l’opinion de M. de Monseignat était l’opinion d’un homme isolé et qu’il ne fallait en tenir aucun compte.
Mais ici, c’est aux principes généraux du droit en matière de fraude que je me réfère, et certes il ne peut pas dépendre d’une opinion de détruire ces mêmes principes dont l’empire est éternel.
Enfin, messieurs, s’il était possible qu’il y eût des doutes sur le véritable sens de l’art. 4, et je veux bien faire cette concession, rien n’empêche de fixer le sens de cet article par un nouveau projet de loi. Tout ce que j’ai dit, c’est dans le but de prémunir contre cette idée, qu’il suffirait de payer un cens, lors même que l’on n’aurait pas pour un centime de propriétés mobilières ou immobilières, pour s’arroger le droit d’électeur. Ce serait ce qu’on appelle acheter son droit en payant à la porte.
La loi électorale (art. 2), la loi provinciale (art. 5), la loi communale (art. 8), en restreignant à certains cas le droit de délégation du cens électoral d’une personne à une autre, protestent contre la doctrine qu’à l’aide du paiement du cens, sans que l’on soit propriétaire du fonds ou de l’industrie en raison desquels le cens serait dû, on pourrait s’arroger le droit de participer aux élections.
Impôts, contributions, supposent une dette. Or, celui qui ne possède pas l’objet qui est assujetti à la redevance, ne doit rien.
S’il paie ce qui n’est pas dû, le paiement est sujet à répétition.
D’où la conséquence que l’électeur de fabrique, qui, à l’aide d’un paiement de contributions qu’il ne doit pas, serait parvenu à se faire porter sur la liste électorale, pourrait, après avoir pris part aux élections, se faire restituer les sommes indûment payées.
De cette manière, il aurait participé au bénéfice sans supporter la charge.
Quoi de plus contraire aux premiers principes du droit et de la raison, qu’un pareil système ?
Mais, dit-on, quels moyens d’empêcher la fraude ?
Mon honorable ami, M. Lebeau, vous les a indiqués à la séance d’hier ; la comparaison de la déclaration des contribuables dans l’année de l’élection et dans le courant de celle qui la précède ; l’époque à laquelle ont été faites les déclarations supplétives et autres faits de ce genre.
Au gouvernement appartient le droit, je dirai même qu’au gouvernement incombe l’obligation d’ouvrir, sur des bases larges et loyales, l’enquête qui doit préparer les éléments de preuve de la fraude.
A lui la noble mission de découvrir les ateliers où se fabrique la fausse monnaie électorale.
Aux autorités communales et provinciales, l’obligation de vérifier la sincérité des listes électorales et d’agir dans le cercle des attributions que la loi leur confie (art. 12 et 13 de la loi électorale ; 13, 14, 15 et 17 de la loi communale ; 7, 8 et 9 de la loi provinciale.)
Qu’il me soit permis d’invoquer en terminant, les motifs du mémorable arrêt de la cour de cassation, du 11 août 1842, dont l’honorable ministre de l’intérieur vous a donné lecture, en les rapprochant du motif qui avait déterminé la décision de la députation permanente de la Flandre orientale, décision cassée et annulée par la cour suprême.
« Attendu (disait la députation permanente) que l’autorité administrative n’a pas à examiner la question de possession ou de propriété des objets constituant les bases de la contribution personnelle, lorsque cette possession ou cette propriété n’est pas réclamée par un ayant droit. » Les motifs de l’arrêt de la cour suprême que vous connaissez, ont fait justice de cette doctrine.
Ainsi, messieurs, en me résumant, je crois que l’art. 4 ne peut pas être entendu dans le sens que lui ont attribué mes honorables collègues, MM. de Theux et de Garcia. Je crois que s’il pouvait y avoir des doutes sur la véritable manière d’entendre cet article, s’il pouvait rester des lacunes dans la loi électorale concernant les moyens de prévenir, de frapper d’impuissance les fraudes et ceux qui s’y livrent, il faudrait saisir le plus tôt possible l’occasion de dissiper ces doutes, de combler ces lacunes. J’ai dit.
M. Lejeune. - Messieurs, je me suis associé instantanément à l’idée de réprimer les fraudes électorales. Je m’associe aussi aux regrets qui ont été exprimés dans cette enceinte, de ce que, à l’occasion des abus à corriger, on se soit livré non pas d’un côté, mais de plusieurs côtés de la chambre, à la discussion du système électoral lui-même, de la réforme électorale.
Je ne m’étonne pas, messieurs, qu’il y ait eu presque unanimité pour couper court à cette discussion ; ce qui m’a étonné, c’est d’entendre un honorable membre s’écrier : « Qui donc demande la réforme électorale ? » Comme si personne n’avait demandé la réforme, comme s’il n’en avait jamais été question devant vous. Qui donc demande la réforme électorale ?... A-t-on oublié cette époque où, au moyen de la réforme électorale, ou mit tout le pays en agitation ? Cette époque n’était-elle pas de nature à faire survivre quelques inquiétudes ?... Messieurs, je sais bien qu’un calme plat a succédé à l’orage, et je ne suis nullement disposé à rappeler les circonstances qui pourraient faire renaitre la tempête.
Il est très vrai, messieurs, comme l’a dit hier l’honorable M. Lebeau, que j’ai corroboré la déclaration qu’il existe des fraudes électorales ; mais je dois à la vérité de dire que je n’ai pas corroborer et que je n’ai pas pu corroborer la dénonciation de fraudes électorales du genre de celles qui ont été signalées par l’honorable M. Mercier, au degré où elles sembleraient exister d’après la discussion actuelle. Je dois déclarer que dans les localités qui me sont connues je n’ai pas appris l’existence de ce genre de fraude. Je ne connaissais que les faits qui ont été signalés aujourd’hui par M. le ministre de l’intérieur, c’est-à-dire le réquisitoire de M. le procureur-général Leclercq et l’arrêt de cassation insérés au Moniteur. Je dois ajouter que cette fraude concernait les listes électorales communales.
Il est possible que deux ou trois cas semblables, quant aux listes électorales communales, existent encore dans les localités que je connais ; mais en dehors de ces faits, je n’ai aucune connaissance des abus que l’on dit être si fréquents.
Messieurs, j’ai pris la parole à l’occasion des abus dénoncés par l’honorable M. Mercier, pour faire connaître d’autres fraudes électorales, et il doit être permis de signaler toutes celles que nous connaissons. Il paraît cependant que tous les membres n’ont pas été de cette opinion ; car lorsque des abus autres que ceux signalés par M. Mercier ont été dénoncés, tous les orateurs qui siègent de l’autre côté de la chambre ont été d’une unanimité étonnante pour dire que nous voulions déplacer la question.
Mais, messieurs, ce n’était pas, sans doute, déplacer la question, que de dire que nous sommes prêts à réprimer les fraudes électorales et de demander qu’on les réprime toutes.
Messieurs, la fraude que j’ai dénoncée, c’est l’inscription sur les listes électorales de citoyens qui ne paient pas le cens. Cette fraude est un véritable faux électoral ; mais comment atteindre cet abus ? D’un côté, M. le ministre de l’intérieur nous a dit que le gouvernement n’a qu’une action excessivement restreinte sur la confection des listes électorales. Je conviens qu’il en est ainsi, mais c’est le moment de rechercher s’il n’y a pas moyen d’augmenter l’action du gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur a cité le 1° paragraphe de l’art. 12 de la loi électorale ; mais il n’a pas lu le paragraphe 2. Cc dernier paragraphe porte : « De même, tout individu jouissant des droits civils et politiques, pourra réclamer contre chaque inscription indue. » Viennent alors les formalités à remplir.
Vous voyez, messieurs, que ce droit de réclamer est extrêmement étendu. La loi ne demande pas que l’on soit de la même commune, que l’on appartienne au même district, pour réclamer contre une inscription indue. Le législateur paraît avoir voulu surtout qu’il n’y eût pas sur les listes électorales des citoyens qui ne versent pas au trésor le cens électoral.
Le gouvernement, l’administration supérieure pourrait-elle, en vertu du deuxième paragraphe de l’art. 12, réclamer par ses agents contre les inscriptions indues ? Voilà une question que je me pose, et je conçois que la solution en est tout au moins fort douteuse ; mais y aurait-il des inconvénients à investir le gouvernement du droit de réclamer contre les inscriptions indues ? Je ne le pense pas. Je crois que c’est là un moyen qui mérite examen.
D’un autre côté, l’honorable M. de Theux, en dénonçant la même fraude électorale, a cru trouver un moyen de contrôle efficace dans une disposition d’après laquelle on déposerait au secrétariat des communes un extrait des rôles certifié conforme par le receveur des contributions. Ce moyen, messieurs, n’est certes pas à dédaigner ; mais je crois qu’il vaudrait mieux dire, en termes généraux, que les pièces justificatives du cens électoral doivent constamment rester annexées aux listes électorales dans les communes, pour que tout le monde puisse vérifier sur ces pièces si les électeurs inscrits paient réellement le cens électoral.
Toutefois, messieurs, ces moyens ne me paraissent pas suffisants. En effet, vous savez tous que dans les communes il y a une foule de personnes qui ne veulent pas faire usage du droit de réclamer, et surtout qui n’osent pas en faire usage ; qui préfèrent le repos, la tranquillité, au désagrément de se mettre en opposition avec les autorités communales.
Quoi qu’il en en soit, messieurs, j’insiste sur la nécessité de rechercher les moyens d’atteindre la fraude dont je viens de parler.
Un honorable membre qui a longuement parlé des abus signalés par l’honorable M. Mercier, m’a paru glisser trop légèrement sur tous les autres abus ; je crois que c’est un mal de vouloir à peine s’y arrêter, en déclarant qu’il est impossible de les atteindre ; alors même que cette impossibilité existerait, il me semble que nous devrions au moins exprimer un blâme, et ne pas nous refuser à rechercher les moyens de les réprimer.
Messieurs, il existe, par exemple, un abus dont je n’ai pas encore entendu parler dans cette enceinte, et qu’il sera peut-être fort difficile d’atteindre il y a cependant lieu de rechercher les moyens de l’empêcher.
Je veux parler du papier électoral. N’est-il pas à votre connaissance, messieurs, que dans beaucoup de collèges électoraux on s’est servi d’un papier particulier, d’une nuance telle qu’on n’en trouve pas de semblable dans l’arrondissement, et que se servant de ce papier pour faire des bulletins, des hommes puissants, qui ont beaucoup d’électeurs dans leur dépendance, ou qui inspirent des craintes, disent aux électeurs : Vous mettrez ce bulletin dans l’urne, je serai à côté du scrutin pour voir si vous le faites ; gare à vous si vous en mettez un autre. » Messieurs, c’est peut-être là la fraude la plus criminelle, car elle viole le secret du scrutin.
Cette fraude est bien plus fréquente que toutes celles qui ont été signalées jusqu’ici. Y a-t-il moyen de l’atteindre ? Pourrait-on faire un papier électoral officiel et seul admissible que le gouvernement serait chargé de distribuer en apposant même, au besoin, un timbre sur chaque bulletin distribué en blanc ? Je ne sais si ce moyen serait efficace pour réprimer complètement cette fraude ; mais quelque difficile qu’il soit de l’atteindre, c’est un devoir de chercher, de découvrir le moyen de la réprimer.
Messieurs, il a été parlé aussi, dans cette discussion, de la nécessité de réprimer les violences, les injures, les calomnies, en tant qu’elles peuvent porter atteinte à la liberté électorale. Je reconnais encore qu’il est difficile d’empêcher complètement ces abus ; mais il ne faut pas cependant se refuser à la recherche des moyens propres à les réprimer, car il n’y a plus de véritables élections possibles si la liberté électorale n’est pas garantie.
Si nous ne pouvions pas, messieurs, réprimer complètement la fraude, soyons au moins tous d’accord pour flétrir ces abus ; gardons-nous surtout de les atténuer, de les excuser, ce serait les encourager. Je ne citerai, pour terminer, qu’un seul exemple : Dire dans cette chambre qu’un prêtre, lorsqu’il se présente au collège électoral pour exercer ses droits politiques, sort de son caractère, de sa dignité et s’expose volontairement à toute espèce de mauvais traitements ; je dis, messieurs, que tenir un semblable langage, c’est excuser, c’est encourager les violences, plutôt que de les blâmer ; et je le répète, si nous ne pouvons pas faire une loi efficace pour empêcher complètement tous les abus, quels qu’ils soient, soyons au moins d’accord pour les blâmer. Le blâme unanime de la chambre des représentants ne serait pas sans effet sur le pays.
Messieurs, j’ai été étonné que l’on ait tant étendu le cercle de la question.
Par exemple, il me paraît que, puisque nous sommes tous d’accord sur la nécessité de réprimer les fraudes électorales, il n’y avait pas lieu de menacer le pays d’une révolution, d’une insurrection, des mauvais temps du Bas-Empire, de la dernière raison du peuple, et de que sais-je encore. S’il y en avait eu parmi nous qui eussent soutenu qu’il ne faut pas réprimer les fraudes, je conçois qu’on eût pu faire entrevoir toutes ces horreurs ; mais en présence de l’unanimité des opinions qui ont été exprimées, il me paraît qu’il n’y avait pas lieu de faire ces menaces au pays.
M. Delfosse. - Messieurs, je suis du nombre de ceux qui pensent que, sous la législation actuelle, il suffit, pour être électeur, de payer la somme à laquelle le cens électoral est fixé, et qu’il n’est nullement nécessaire de justifier de l’existence des bases de l’ impôt.
Les paroles qu’un honorable ministre des finances a prononcées dans cette enceinte, l’adhésion qu’elles ont paru rencontrer sur tous les bancs et, il faut bien le dire aussi, le texte même de la loi, tout donne à cette opinion un caractère de vérité auquel il est difficile de ne pas se rendre.
Il ne faut donc pas trop blâmer ceux qui, jusqu’à ce jour, ont fait usage du moyen dénoncé par l’honorable M. Mercier ; ils ont pu, non sans raison, s’y croire autorisés par la loi, et il en est peut-être qui ne l’ont employé que comme une mesure de représailles justifiée par les menées de leurs adversaires.
Tant que ce moyen, que je considère comme légal, mais qui n’en est pas moins un abus, n’a été mis en pratique que par quelques individus isolés et dans un petit nombre de localités, je conçois que les vices de la loi n’aient pas paru bien sensibles, la chose publique n’était pas en péril ; mais aujourd’hui que l’abus paraît se répandre partout, qu’il prend un caractère alarmant de généralité, qu’il pourrait saper nos instituions à leur base, notre devoir est d’y faire la plus sérieuse attention.
D’honorables collègues vous l’ont dit : La question agitée devient extraordinairement grave ; il s’agit de savoir si le corps électoral sera composé de citoyens qui présentent des garanties d’ordre, ou bien si chacun pourra, au moyen de quelqu’argent, y faire entrer ses créatures.
Il s’agit de savoir si la représentation nationale sera le produit d’un corps électoral loyalement composé, ou bien si elle sera l’œuvre de la fraude. Il s’agit de savoir, quoiqu’en ait dit tantôt l’honorable M. Lejeune, si la paix publique sera ou ne sera pas troublée.
Oui, messieurs, la question a cette gravité ; le jour où il serait démontré que la représentation nationale est l’œuvre de la fraude, ce jour là, on vous l’a encore dit, il n’y aurait plus de gouvernement représentatif, il n’y aurait plus de nationalité, il n’y aurait qu’un régime de fait, soumis à tous les caprices de la multitude.
M. le ministre de l’intérieur a reconnu comme nous la gravité de la question, mais il a paru croire que le mal a d’autres causes encore. Je blâme, a-t il dit, l’abus signalé par l’honorable M. Mercier, mais il faut blâmer aussi d’autres moyens, non moins mauvais, auxquels on a eu recours dans les élections ; il faut blâmer surtout l’accusation injuste, calomnieuse qui a été dirigée contre le clergé par un honorable député de Bruxelles.
Messieurs, c’est avec la plus grande peine que j’ai entendu un ministre, qui affectait, lors de son entrée au pouvoir, la prétention de concilier les esprits ; c’est avec la plus grande peine, dis-je, que je l’ai entendu prononcer des paroles qui ne sont propres qu’à réveiller des souvenirs irritants et entretenir l’esprit de discorde qui ne règne que trop dans le pays.
Si nous voulions récriminer, ne pourrions-nous pas dire à M. le ministre de l’intérieur : Oui, il y a eu de mauvais moyens employés dans les élections. Lorsqu’on nous accusait d’être des anarchistes, des républicains, des démolisseurs d’églises, c’était un mauvais moyen, c’était un mauvais moyen lorsqu’une circulaire émanée de l’évêché présentait le candidat qui nous était opposé comme le candidat des honnêtes gens. C’était encore un mauvais moyen, lorsque des places, qui ne devraient être données qu’au mérite, étaient promises à ceux qui montreraient le plus de zèle, qui rendraient le plus de services dans les élections ; c’était surtout un mauvais moyen, lorsque… mais je m’arrête ici pour ne pas compromettre des personnes qui ont le droit de compter sur ma discrétion.
M. le ministre de l’intérieur nous promet une enquête sur les fraudes électorales. Pour qui connaît M. le ministre, on peut prévoir d’avance quel sera le résultat de cette enquête : nous aurons tort, et nos adversaires auront raison. Que peut-on attendre d’une enquête sur les fraudes électorales dirigée par un ministre dont l’intervention active dans les élections est de notoriété publique, et sur les actes duquel l’enquête devrait surtout porter ?
Il y a d’ailleurs, en dehors de la loi, un remède contre les fraudes électorales, réelles ou prétendues, dont M. le ministre a parlé ; celles-là, la vigilance et le bon sens des électeurs peuvent les déjouer : on veut effrayer les électeurs de la dîme ! Eh bien, ils ont les pièces sous les yeux ; on leur parle d’un catéchisme publié à Namur, d’un livre réimprimé pour l’usage de l’université de Louvain ou du séminaire de Malines ; c’est à eux de voir si ces preuves, mises sous leurs yeux, sont suffisantes pour justifier l’accusation, et il faut bien convenir, messieurs, que ces pièces n’étaient pas sans importance, puisqu’un évêque a cru devoir déclarer publiquement que le rétablissement de la dîme n’entrait ni dans les intentions ni dans les vœux du clergé. Si l’on n’avait pas commis l’imprudence de laisser subsister, dans des livres réimprimés avec l’approbation des chefs du clergé, des choses qui ne sont plus de notre temps, aucun doute n’aurait pu naître dans les esprits, et la déclaration du respectable évêque de Namur aurait été complètement inutile.
Mais si les électeurs peuvent déjouer les fraudes, vraies ou prétendues, qui ont été signalées par M. le ministre de l’intérieur ; s’ils peuvent aussi déjouer celles que j’ai moi-même signalées tantôt, il n’en est pas de même de la fraude qui nous occupe en ce moment. Les électeurs auront beau se prémunir contre les bruits calomnieux, ils auront beau porter un jugement sain sur le mérite de ceux qui sollicitent leurs suffrages, ils succomberont inévitablement si l’on peut introduire dans le corps électoral une foule d’individus qui n’auraient d’autres titres que le peu d’argent que le premier ambitieux venu aurait eu l’idée de verser pour eux dans les caisses publiques. Si la représentation nationale ne faisait rien pour empêcher cette fraude, je le dis hautement, avec mon honorable ami M. Delehaye, une révolution serait possible, et elle serait légitime.
Comme je n’aime pas les révolutions, je me rallierai bien volontiers ; je regarderai comme un devoir de me rallier à toutes les mesures convenables que le gouvernement proposera dans le but d’empêcher la création de faux électeurs. Ce n’est pas sur des faits vagues, que chacun apprécie à sa manière et d’après son opinion, que l’enquête devrait porter, mais sur des faits matériels qui constatent le projet de créer un grand nombre de faux électeurs, et cette enquête est très facile ; on n’a qu’à demander aux receveurs une note fidèle de toutes les déclarations supplétives faites dans le courant de cette année, on pourra alors juger de toute la gravité du mal.
Et lorsque le mal nous sera bien connu, dans toute sa gravité, j’espère que nous nous réunirons tous, qu’il y aura unanimité dans cette chambre pour appliquer le remède ; ce n’est pas le moment de discuter sur des théories électorales ; ceux qui mêlent des théories électorales à cette discussion me paraissent ressembler à ces gens qui, assistant à un incendie, s’amuseraient, au lieu de porter de l’eau, à disserter sur le meilleur mode de construction. Un grand péril nous menace tous, il menace la société entière ; hâtons-nous de le conjurer ; plus tard nous pourrons parler, vous, en faveur du fractionnement des collèges électoraux, nous, en faveur de l’égalité du cens.
Je ne veux pas terminer, messieurs, sans dire un mot sur la question de savoir si les centimes additionnels provinciaux et communaux doivent être compris dans le cens électoral, question qui a été soulevée hier par l’honorable M. de Theux. Lorsque j’étais membre de la députation permanente de Liége, j’ai contribué à faire prévaloir sur cette question une doctrine opposée à l’arrêt de la cour de cassation, qui a été invoqué par l’honorable membre. Cet arrêt, étant unique, ne pouvait faire jurisprudence, et nous prétendons en outre que toutes les faces de la question n’avaient pas été soumises à la cour suprême. Je persiste encore dans l’opinion que j’ai émise alors, et j’en dirai les raisons quand la chambre voudra. Je reconnais, du reste, qu’il est à désirer que cette question reçoive, dans toutes les provinces, une solution uniforme, dans un sens ou dans l’autre.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, la discussion a duré déjà assez longtemps ; nous devons attendre, pour la continuer, qu’il nous soit soumis un projet de loi tendant à réprimer les fraudes doctorales. Mais, messieurs, je m’afflige sincèrement, comme tout bon citoyen doit s’affliger, de la tournure que prennent nos débats.
En vérité, on est tenté de croire qu’au moins on veut attribuer à nos débats des intentions que certes nous n’avons pas, mais qui tendent vraiment à la désunion des membres de la chambre et du pays tout entier.
D’après ce qui s’est dit dans cette enceinte, ne craignez-vous pas qu’un jour on ne transforme la Belgique en deux camps, en Belgique-ville et en Belgique-campagne, à l’exemple de ce qui s’est vu naguère en Suisse, où Bâle-ville s’est séparée de Bâle-campagne ? Ne craignez-vous pas qu’un jour les habitants des villes ne traitent les habitants des campagnes en parias (réclamations) ; oui en parias. Comment dans cette enceinte, ne vous a-t-on pas dit qu’un habitant des villes devrait être considéré, en matière politique au moins, comme ayant une valeur de 99/100, comparé à un habitant des campagnes ?
C’est-à-dire que vous donneriez 99 suffrages sur cent aux habitants des villes, parce qu’ils habitent la ville, et seulement un suffrage aux habitants des campagnes. Voilà une doctrine qui a été proférée dans cette enceinte ; n’est-ce pas dire aux campagnes : Nous voulons vous repousser ; vous n’aurez aucune espèce d’influence dans la nomination des membres de la chambre ; à nous habitants des villes appartient le droit de vous gouverner, de vous imposer, de vous écraser ! Prenez-y garde, c’est là le seul moyen qui pourrait amener une révolution. Je crois que si vous portiez les campagnards au désespoir, vous auriez lieu de vous en repentir.
Un membre. - Mais qui a dit cela ?
M. Eloy de Burdinne. - C’est l’honorable M. Devaux qui a dit la chose ; c’est du moins dans ce sens que j’ai compris les paroles qu’il a prononcées quand il s’est agi de modifier la loi communale. Elles sont d’ailleurs consignées au Moniteur, et chacun peut les revoir. Et je ne crois pas que je sois le seul qui ai interprété de cette manière les paroles de l’honorable membre.
Les campagnards sont patients mais, soyez-en persuadés, ne les poussez pas à l’extrême. La patience a ses bornes comme tout.
Enfin. je vous demande de laisser toutes ces questions irritantes pour chercher à nous unir et à ne pas fausser notre devise : l’union fait la force ; car au train dont nous allons, nous pourrions la changer et la remplacer par celle-ci : la désunion fait la faiblesse.
M. Devaux. - Je ne sais s’il n’est pas inutile de déclarer que je n’ai jamais proféré les paroles que me prête M. Eloy de Burdinne. Sa mémoire est complètement en défaut. Je n’ai pas même demandé qu’on ôtât aux campagnards le droit électoral fort largement proportionné dont ils jouissent. J’ai toujours demandé, en cette matière, le maintien de ce qui existe. Je ne sais où il prétend avoir trouvé que je voulais donner 99 voix aux habitants des villes et une aux campagnes dans les élections. M. Eloy doit m’avoir très mal compris, ou ses souvenirs sont très peu fidèles. A la vérité, je ne réclamerais jamais pour les campagnards, pas plus que pour d’autres, le privilège de la fraude.
M. Eloy de Burdinne. - Je crois avoir bien compris l’honorable M. Devaux, dans une séance où il s’agissait de réviser le mode de nomination des membres du conseil communal, du fractionnement des collèges. Si ma mémoire est fidèle, l’honorable député de Bruges vous aurait dit que, sur 100 suffrages, on devrait en attribuer 99 aux habitants des villes et un aux habitants des campagnes. Si ce ne sont pas là les expressions de l’honorable membre, je crois que les deux tiers à peu près de la chambre les ont comprises comme moi.
M. Devaux. - La mémoire de M. Eloy de Burdinne est complètement en défaut.
M. Dumortier. - J’aurais désiré rester étranger à ce débat, mais je ne puis, sans manquer à mon plus impérieux devoir, garder le silence, quand j’entends mettre en suspicion une partie notable de cette chambre, quand je vois présenter les abus dont on se plaint comme le résultat d’une vaste conspiration ourdie dans le but de fausser la représentation nationale. Dans un pareil état de choses, je me regarderais comme manquant à mon devoir si je ne protestais pas contre cette prétendue conspiration.
Messieurs, il faut qu’il existe quelques abus, puisqu’on s’en plaint ; mais pour moi, je ne les vois pas, je n’en ai pas entendu signaler dans aucune localité, à l’exception d’un village que nous a cité un honorable député de Liége.
Quand j’entends un autre député de Liége faire un appel à la tranquillité, adresser à M. le ministre de l’intérieur le reproche d’exciter l’irritation, et d’un autre côté lui et ses collègues présenter la moitié de cette assemblée comme voulant fausser la représentation nationale, le régime constitutionnel en Belgique…
M. Mercier. - Personne n’a dit cela.
M. Dumortier. - On nous a représentés comme voulant fausser le régime constitutionnel.
M. Mercier. - Personne n’a accusé une partie de cette assemblée.
M. Dumortier. - Je ne m’adresse pas à vous ; je ne vous réponds pas. Ceux à qui le réponds n’ont qu’à me comprendre. Je dis que quand on vient représenter la moitié du pays comme voulant fausser le régime constitutionnel et qu’on fait depuis trois jours allusion à l’opinion conservatrice, j’en tire la conséquence qu’on accuse ceux qui représentent ici cette partie du pays, cette opinion, de vouloir fausser la représentation nationale ; et je manquerais à mon devoir si je ne protestais de toute l’énergie de mon âme, de toutes les forces de mon intelligence contre une pareille accusation. Oui ! vous venez d’accuser la moitié du pays de vouloir conspirer contre l’autre. Vous vous plaignez d’un abus qui prend, dites-vous, un caractère de généralité ! C’est ce qu’il faut commencer par prouver, par établir. Si vous ne le voulez pas, ou si vous ne le pouvez pas, il faudra bien convenir que vous êtes responsables de l’accusation que vous avez lancée contre le ministre de l’intérieur, de vouloir jeter de l’irritation dans le pays : c’est à cette occasion que je me suis décidé à prendre la parole, parce que je voulais protester contre une pareille accusation.
Il est possible que quelques abus existent ; mais ces abus, je les ignore, je ne les ai pas rencontrés dans la partie du pays que j’habite. Prétendre que ces abus ont pris un caractère de généralité effrayant, qu’une partie du pays est occupée à fausser la représentation nationale, c’est abuser de notre patience ; c’est nous injurier, que de venir nous lancer à la figure une pareille accusation !
Messieurs, j’ai vu quelques abus en matière électorale, et je ne m’en suis pas plaint ; j’ai vu depuis plusieurs années des personnes placer une partie de leurs contributions sous le nom de diverses personnes qui n’étaient pas par leur fait électeur, je l’ai vu mais non dans les rangs de l’opinion que l’on accuse aujourd’hui.
Cependant je n’ai jamais entendu que personne se soit plaint. Je pourrais citer les faits, mais je ne le ferai pas ; on serait fort surpris si je le faisais. J’ai vu des fraudes de plus d’un genre, j’ai vu employer les moyens les plus déloyaux pour fausser les élections, répandre des pamphlets destinés à accréditer des faits de la fausseté la plus notoire. Dans l’un on disait qu’il était question d’établir 20 à 30 millions d’impôt au profit du clergé ; dans un autre, que la chambre des représentants était saisie d’un projet de loi ayant pour but de rétablir la dîme, ce fléau de l’agriculture ; ailleurs, que l’on allait nommer chaque curé bourgmestre.
Voilà des faits qui sont une fraude électorale bien plus grande que celle dont vous vous plaignez.
Si toujours j’ai été disposé à prêter l’appui de ma parole pour empêcher la création de faux électeurs, à plus forte raison le serai-je pour empêcher de fausser la confiance, la conviction des véritables électeurs. Eh bien, je le répète, voilà ce que nous avons vu. Mais on a été plus loin encore ; on a vu la calomnie et les assommeurs appelés dans les élections à l’appui d’une opinion. Et maintenant les personnes au profit desquelles toutes ces choses se sont passées, saisies subitement d’un beau puritanisme, viennent nous accuser de vouloir fausser le régime constitutionnel ! C’est trop fort ! Ah messieurs, il est par trop commode de vouloir cumuler ainsi les avantages du vice et les honneurs de la vertu ! Après avoir employé tous les moyens imaginables pour fausser les élections, retourner le reproche contre ses adversaires ! c’est un rôle qu’il fallait démasquer.
Messieurs, je ne pouvais, sans manquer à mon devoir, me dispenser de dévoiler une pareille tactique. J’ai protesté contre l’accusation qu’on nous lançait ; mon devoir est rempli, je m’assieds.
M. Savart-Martel. - Mon nom ayant été plusieurs fois prononcé dans les discours que vous venez d’entendre, j’ai cru devoir demander la parole. On m’a accusé d’avoir exagéré la gravité des abus qui ont été dénoncés, non pas par moi, car ce n’est pas moi qui le premier ai signalé le mal. L’honorable M. Delfosse a déjà rempli une partie de ma tâche, en soutenant l’opinion que j’ai émise et en faisant voir les conséquences des faits dont on s’est plaint.
Je dois faire observer que personne n’a dit qu’il existât une vaste conspiration ourdie par une partie de cette chambre pour fausser la représentation nationale, J’ai dit que si les faits dénoncés étaient vrais, cela dégénérerait en une espèce de conspiration contre le droit des électeurs, conspiration plus dangereuse que celle qui a été naguère déférée à la justice.
Je ne comprends pas comment mon honorable compatriote, mon ami, sinon politique, du moins mon ami de cœur, vient se fâcher de ce que nous attribuerions les abus dont on se plaint à un parti. Nous ne les attribuons pas plus à un parti qu’à l’autre, nous demandons que, si on les voit se produire, on les réprime. La chambre a été d’avis que si des abus existaient, il fallait y remédier. On a reconnu qu’il en existait, M. le ministre de l’intérieur a même dit qu’ils étaient anciens, S’il y a des abus, nous sommes tous d’accord pour les réprimer, pour discuter une loi qui atteindrait ce but sans toucher en rien au fond du droit électoral. Or, des honorables amis de M. Dumortier, parmi lesquels, je puis citer M. de Garcia, vous ont dit qu’il était aisé de parer aux abus signalés en déclarant par la loi que l’impôt ne sera compté pour le cens qu’autant qu’il aura été payé pendant deux on trois années. Je m’étonne je le répète, que mon honorable ami M. Dumortier, à qui je n’impute rien, vienne se fâcher contre la demande de répression des abus. Sa colère pourrait faire croire que les fraudes ont été commises dans l’intérêt d’un parti qui est le sien.
Personne ne l’a cru, du moins personne ne l’a dit. Qu’il nous soit permis de réclamer la même justice, de demander qu’on ne nous impute rien. Mais enfin, il y a des abus. S’il n’y avait pas d’abus, on ne ferait rien.
L’honorable M. Dumortier a protesté qu’il n’y avait pas d’abus, S’il résulte de l’enquête qu’il n’y a pas d’abus, il n’y aura rien de fait. S’il en résulte qu’il y a des abus, on emploiera les moyens anodins proposés par les amis de l’honorable M. Dumortier.
On a parlé de fraudes électorales. Je ne veux pas les indiquer toutes. Il y a eu des imputations si graves, si calomnieuses, qu’on a fait peser sur la tête de gens qui n’avaient jamais pensé à ce qu’on leur imputait, que vous auriez de la peine à y croire. Lisez les feuilles de province, vous y verrez que des gens pieux, attachés aux intérêts de la religion, à l’Eglise même, qui étaient marguilliers de leur paroisse, ont été traités comme s’ils n’appartenaient pas à la religion catholique, ont été traités de protestants. Cela est arrivé à d’honorables membres qui siègent dans cette enceinte.
Si les abus existent, je suis convaincu que l’honorable M. Dumortier est d’accord avec nous qu’il faut les réprimer. S’ils n’existent pas, nous aurons au moins dit au pays que nous avons vérifié le fait, et qu’il peut rester tranquille.
L’honorable M. Lejeune a dit que j’ai été trop avant, en disant que cela compromettait notre nationalité. Si les abus sont réels, si la représentation nationale était faussée, je crois sincèrement que nous finirions par nous donner des coups de fusil. Je n’aime pas les coups de fusil, ni pour moi ni pour les autres. (On rit.) Je préfère une loi dans le sens indiqué par M. le ministre de l’intérieur à des coups de fusil, si faibles qu’ils puissent être.
M. Dumortier (pour un fait personnel). - Je regrette que mon honorable collègue et ami M. Savart n’ait pas compris ma pensée. J’ai dit au contraire que je croyais que l’abus existait, mais qu’on s’en était plaint, mais qu’il n’avait pas le caractère de généralité qu’on a voulu lui donner, puisqu’on n’a signalé aucun fait. J’ai dit que je devais protester, au nom d’une grande partie du pays, contre l’accusation lancée contre elle d’une prétendue conspiration contre les libertés publiques. S’il y a des abus, je suis le premier à demander qu’on les réprime. Mais je veux que l’on réprime également les abus de la force et les abus de la ruse. (Approbation.) Je ne veux pas qu’un parti se donne l’appui des coups de bâton et des assommeurs.
M. Delfosse. - Personne n’en veut.
M. Dumortier. - Lorsque j’entends dire que des mesures doivent être prises contre les uns et non contre les autres, je réclame ; et je dis que des mesures doivent être prises contre les uns et contre les autres.
M. Brabant. - Je n’occuperai pas longtemps l’attention de la chambre. Je n’ai demandé la parole qu’à cause de l’allusion faite par l’honorable M. Delfosse au catéchisme qui a excité le bruit sur la dîme. Déjà connaissant la prudence et la sagesse de Mgr l’évêque de Namur, j’avais dit dans la discussion de la loi sur l’instruction primaire, que j’étais bien sûr que ce respectable prélat se hâterait de faire disparaître une pierre de scandale. Eh bien, je tiens en main l’ancien catéchisme ; réimprimé avec l’autorisation de l’évêque de Namur, en date du 26 septembre de cette année ; on y a fait disparaitre tout ce qui tient à la dîme. (Approbation.)
L’honorable M. Delfosse a mentionné lui-même la circulaire de ce prélat, où il proteste contre l’intention de vouloir jamais rétablir la dîme. Cependant la personne très respectable qui m’a envoyé le catéchisme en minute et le catéchisme imprimé, revêtu de l’approbation, laquelle n’a été donnée qu’après vérification des dernières épreuves, portant bon à tirer, m’informe qu’un imprimeur, qui n’a aucune qualité canonique, publie avec un nouveau titre, portant la date de 1844 (cela parait indiquer certaines intentions) une ancienne édition, contenant ce qui est relatif à la dîme.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande que la discussion soit close.
M. Mercier. - Je désire faire quelques observations en réponse à l’honorable M. Dumortier, qui crée des accusations mal fondées pour y répondre avec énergie. Je demande à dire quelques mots sur les accusations forgées par M. Dumortier.
M. Dumortier (pour un fait personnel). - Je crois qu’aucun membre de cette assemblée n’a lu droit d’accuser un de ses collègues de forger des accusations. Forger, c’est inventer, c’est l’accusation lancée contre la moitié de la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je demande que la discussion sur l’incident soit close aujourd’hui. Mais je ne m’oppose pas à ce que l’honorable membre prenne la parole.
M. le président. - Puisqu’on n’insiste pas sur la demande de clôture, la parole est à M. Mercier.
M. Mercier. - Je dis que l’honorable M. Dumortier forge des accusations, qu’il les crée à plaisir pour y répondre. Il est possible qu’il ait mal compris les orateurs qui ont parlé. Mais il me semble que tous ont pris à tâche d’éviter de donner à cette discussion un caractère de parti, et que, par conséquent, la réponse de l’honorable M. Dumortier est tout à fait hors de propos.
Lorsque j’ai cru de mon devoir de signaler à la chambre les abus qui se commettent, j’ai eu soin de déclarer que mes révélations ne s’appliquaient spécialement à aucune opinion ; en effet, je dois le dire avec franchise, je crois que dans les deux opinions on s’est plus ou moins servi des moyens que j’ai dénoncés ; ce n’est donc pas à une opinion exclusivement que l’on a attribué les fraudes auxquelles on demande de porter remède ; quand l’honorable M. Dumortier a dit qu’on attaquait la moitié de la chambre, n’était-ce pas pour se donner l’occasion de répondre à une accusation qui n’existe pas ? Car il n’est pas un seul membre qui ait imputé à une moitié de la chambre de vouloir profiter de ces fraudes. Je n’ai pas entendu de pareilles accusations.
Cependant, c’est à de telles imputations que l’honorable M. Dumortier a répondu, même en généralisant sa réponse. C’est contre cette réponse que je proteste, parce qu’elle n’a rien de fondé, qu’elle n’a point de cause. Je le déclare, je verrais avec un profond regret que cette discussion prît un caractère de parti. Quel que soit le parti qui doive profiter de la fraude, je veux qu’elle soit déjouée. J’espère que, sur ce point, il y aura unanimité dans cette chambre.
Je crois que l’honorable M. Dumortier s’est trompé, et de bonne foi ; mais il n’en est pas moins vrai que l’accusation n’existant pas, sa réplique tombe à faux. Quant aux fraudes signalées, elles ont été confirmées par le gouvernement, qui a déclaré qu’un directeur des contributions avait appelé l’attention du gouvernement sur ce point. Plusieurs membres ont signalé des communes, où l’on avait créé de faux électeurs. Il n’est pas possible de contester les abus. S’il y a une enquête, on les découvrira sans doute en très grand nombre.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Pirson. - Il est bien entendu qu’en demandant la clôture, nous persistons dans notre première intention, qui était de flétri non seulement les fraudes, mais encore les violences et tous les mauvais moyens. Nous devons donc, en finissant, engager M. le ministre de l’intérieur à nous présenter à cet égard un projet de loi assez à temps pour qu’il soit converti en loi, avant la révision des listes. J’insiste d’autant plus sur ce point, que si vous admettez que les patentes et la contribution personnelle et mobilière ne compteront à l’électeur qu’après qu’il les aura payées pendant quatre ans comme c’est tous les quatre ans que les membres de la chambre sont réélus, vous êtes sûrs alors qu’il n’y aura plus de faux électeurs, et vous pouvez admettre l’inscription comme conférant le droit électoral ; car vous ne pouvez supposer qu’on veuille payer indûment l’impôt, pendant quatre ans, pour être électeurs. Si vous admettez un système différent, vous donnez aux députations provinciales le droit absolu de rejeter qui bon leur semble. Il y aura réellement arbitraire. Par le moyen que j’indique, vous prévenez la fraude et l’arbitraire.
- La discussion est close.
La séance est levée à quatre heures et demie.