(Moniteur belge n°330, du 26 novembre 1842)
M. Kervyn fait l’appel nominal à 2 heures.
M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Kervyn communique les pièces de la correspondance.
« Le sieur Basile-Auguste Dardenne, aubergiste à Bruly, né à Brugnon (France), demande la naturalisation ordinaire. »
M. Dedecker. - J’ai l’honneur de présenter à la chambre le rapport de la section centrale chargée d’examiner la convention conclue entre l’Espagne et la Belgique.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La chambre en fixe la discussion à lundi.
M. Delehaye. - J’ai l’honneur de déposer le rapport de la section centrale chargée d’examiner le projet de loi tendant à augmenter le traitement de la cour des comptes.
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. le rapporteur propose de fixer la discussion de ce projet après celui relatif au traitement de l’ordre judiciaire.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - M. le ministre a proposé deux dispositions : un article 1er et un article 2.
Sur l’art. 1er la section centrale a fait un rapport. Elle en propose l’adoption, sauf une légère modification, consistant dans la prorogation au 31 décembre 1843, du terme fixé au 30 novembre dans le projet du gouvernement et la suppression du mot nécessaire. On conserve le mot utile, quant à la modification que le gouvernement pourra apporter à la disposition.
Quant à la seconde disposition, celle relative au seigle, la section centrale a été d’avis d’en faire l’objet d’un rapport séparé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je me rallie aux modifications proposées par la section centrale au premier article du projet, mais je crois devoir maintenir l’art. 2, en faisant droit toutefois à ce que je crois pouvoir considérer comme l’objection principale de la section centrale. Elle nous dit : vous proposez un projet renfermant deux dispositions dont l’une est temporaire et dont l’autre ne l’est pas. La seconde doit devenir une disposition permanente. Vous réunissez dans un même projet deux dispositions dissemblables. Je crois qu’il est facile de faire disparaître cette objection. C’est de rendre la deuxième disposition, que je trouve urgente, également temporaire.
La section centrale propose de fixer la durée de l’article 1er au 31 décembre 1843. Je propose d’ajouter à l’art. 2 un § 2, ainsi conçu
« Les pouvoirs résultant de la disposition qui précède, cesseront au 31 décembre 1843 s’ils ne sont renouvelés avant cette époque. »
De cette manière, l’art. 2 ayant la même durée que l’art. 1er devient aussi une mesure d’essai qui fait cesser une anomalie de la loi du 31 juillet 1834, sous l’empire de laquelle il se trouve que le froment est libre à l’entrée, tandis que le seigle, par exemple, est coté au prix de 14 fr. 58 centimes. Je pense, en général, que quand le seigle dépasse le prix de 12 fr. et que le froment est libre à l’entrée, il faut que le gouvernement puisse, en consultant les circonstances, permettre la libre entrée du seigle. C’est là le but de la disposition que j’avais proposée d’une manière permanente et que je rends temporaire. Nous faisons disparaître, je le répète, par une mesure d’essai, un des vices de la loi de 1834. Pour la faire subsister au-delà du 31 décembre 1843, il faudra une disposition nouvelle. Si cette disposition n’intervient pas., on rentrera dans le système de la loi du 31 juillet 1834.
M. le président. - Nous avons à statuer d’abord sur la disjonction proposée par la section centrale.
M. de La Coste. - Je ferai observer qu’il n’y a pas eu de délibération de la part de la section centrale sur le fond de l’article 2. Dans le cas où la chambre n’admettrait pas l’espèce de fin de non-recevoir présentée par la section centrale, il serait peut-être conforme à la manière ordinaire de procéder, de renvoyer le tout à la section centrale pour faire un rapport sur les deux articles, car elle ne s’est occupée de ce qui concerne le seigle que pour proposer la disjonction.
M. de Theux, rapporteur. - M. le ministre, tout en laissant subsister son projet primitif, propose une nouvelle disposition qui a pour but d’accorder temporairement, jusqu’au 31 décembre 1843, au gouvernement la faculté d’admettre le seigle à la libre importation, s’il le juge convenable. C’est une nouvelle disposition dont la chambre est saisie. Elle verra ce qu’elle voudra statuer sur le mode de délibération à suivre à l’égard de cette proposition nouvelle.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pense pas que la proposition que je viens de faire soit étrangère au premier projet. J’aurai sans doute mal été compris.
L’art. 2, que j’avais proposé, était ainsi conçu :
« Lorsqu’aux termes de la loi du 1 juillet 1834 le froment sera exempt de droits à l’entrée, le gouvernement pourra, par disposition ministérielle, soumettre le seigle au même régime. »
Cette disposition était présentée avec un caractère permanent. C’était une dérogation définitive à la loi du 31 juillet 1834. Que nous objecte la section centrale ? Vous ne pouvez pas mettre une disposition permanente dans un projet renfermant une disposition non permanente. Je fais droit à cette objection en rendant les deux dispositions temporaires. Il n’y a plus lieu à disjonction ; j’assigne le même terme à la deuxième proposition qu’à la première. Maintenant faut-il, pour le fond, renvoyer l’art. 2 à la section centrale, lui demander un rapport ? C’est à la chambre à en décider. Je voudrais savoir quelles sont les objections dont le fond a été l’objet. Quant à l’objection de forme, j’y fais droit.
M. de Theux. - M. le ministre, en faisant sa nouvelle proposition approuve les motifs qui ont porté la section centrale à demander que les deux dispositions ne fussent pas discutées simultanément.
Je dois le répéter, c’est une disposition nouvelle qui, à la vérité, était comprise en principe dans le projet primitif ; mais la section centrale n’avait pas à délibérer sur une mesure temporaire. Je tiens à justifier la marche que la section centrale à suivie. Maintenant la chambre se croit-elle en mesure de délibérer sur cette disposition modifiée ? Je n’ai pas, quant à moi, d’objection à y faire. Ce sera un travail de moins pour la section centrale.
M. Rodenbach. - Je ne vois aucun inconvénient à nous occuper de l’article 2 du projet du gouvernement. Comment, le froment, qui est l’aliment de la classe aisée, peut être importé sans droit, et le seigle, qui est l’aliment de la classe pauvre, qui est la matière première des distilleries, industrie qui doit rapporter plusieurs millions au trésor, d’après la nouvelle loi, vous ne voulez pas qu’il soit à un prix raisonnable ! Il est aujourd’hui au taux exorbitant de 14 fr. 38 c. ! C’est réellement, je ne veux pas dire une absurdité, mais une anomalie qu’on doit s’empresser de faire disparaître.
M. de La Coste. - Je partage les vues énoncées par l’honorable préopinant, je suis d’avis que la mesure doit avoir lieu ; je ferai seulement observer que, de la part de la section centrale, il n’y a eu sur cette disposition ni délibération ni rapport. M. le ministre de l’intérieur a dit qu’aucune objection ne s’était élevée sur le fond de la disposition, mais seulement sur le mode, dans les sections, cependant, on a présenté diverses observations : on a mis en discussion le taux de 12 fr., auquel, suivant M. le ministre, l’entrée pourrait être libre. Pour résoudre cette question avec plus de connaissance de cause, la section centrale avait demandé des états comparatifs des prix du seigle et du froment pendant une certaine période. Cette objection a été faite par la section dont M. le comte de Theux était rapporteur. La mienne fait celle-ci : Au lieu de laisser au gouvernement la faculté qu’il réclame, ne serait-il pas préférable de fixer positivement le taux auquel l’entrée du seigle serait libre. Voilà les points sur lesquels la section centrale aurait eu à s’expliquer si un membre n’avait pas proposé de scinder le projet. Mais, comme je l’ai dit en commençant, la section centrale n’a pas délibéré et n’a pas fait de rapport sur la disposition qui vous est proposée.
M. Manilius. - Nous avons souvent voté des lois d’urgence, sur lesquelles il n’y avait aucun rapport, et où il n’y avait pas de détails aussi étendus que ceux contenus dans l’exposé des motifs. Pour moi, je suis très satisfait de voir que M. le ministre de l’intérieur tienne tant à ce que l’on vote cette loi, qui est réellement très urgente.
L’exposé des motifs donne tous les apaisements désirables. Un rapport de la section centrale ne ferait pas connaître des faits plus saillants. Il y a d’ailleurs urgence de faire cesser l’état de choses actuel.
M. de Theux. - Plusieurs membres demandent quelle est la disposition définitive proposée par M. le ministre de l’intérieur, pour apprécier s’il y a lieu de la discuter immédiatement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je maintiens l’art. 2 en y ajoutant :
« Les pouvoirs qui résultent de la disposition qui précède, cesseront au 31 décembre 1843, s’ils ne sont renouvelés. »
Ainsi l’art. 2 est maintenu, et je lui attribue la même durée qu’à l’art. 1er ; je crois ainsi faire droit à l’objection principale de la section centrale. Je n’incrimine donc pas le travail de la section centrale. Si j’avais été prévenu par la section centrale de son objection, il est très probable que j’aurais changé le caractère de l’art. 2, en m’adressant à la section centrale même.
L’honorable M. Manilius vient de faire remarquer avec raison que dans les pièces jointes au projet de loi se trouvent tous les éléments. Il y a, par exemple (page 30), un tableau d’où il résulte que, sur une période de 3 ans 11 mois 8 jours, pendant laquelle l’entrée du froment a été libre, le seigle a été constamment, sauf pendant 4 mois 11 jours, soumis à un droit de 21 fr. 50 les 1,000 kilog. Vous voyez quelle disparate présente l’application de la loi. Cela tient à ce que le rapport entre le seigle et le froment a été mal calculé. C’est une erreur de fait. Nous ne sommes pas à même de la rectifier par une révision générale de la loi de 1834. Nous ne pouvons pas nous occuper de cette révision pendant cette session. Mais je propose de faire disparaître le grief principal contre cette loi, par une mesure d’essai extrêmement prudente, qui cessera le 31 décembre de l’année prochaine.
M. de Theux. - Je m’aperçois qu’on discute le fond ; or, il ne s’agit que d’une question de forme ; il s’agit de savoir si la section centrale devra présenter un rapport sur l’art. 2. Quant à moi, je ne fais pas cette proposition. Si personne ne la fait, il n’y a plus qu’à aborder la discussion au fond.
Je ferai seulement remarquer que la section centrale n’avait pas à s’occuper d’une disposition temporaire exceptionnelle sur le seigle, puisqu’elle avait sous les yeux l’exposé des motifs portant ce qui suit :
« Vous reconnaîtrez avec moi, messieurs, que la récolte a été très satisfaisante dans son ensemble, et que nulle autre disposition exceptionnelle que celle concernant l’orge, n’est réclamée quant à présent, par l’intérêt public. »
Cela justifie complètement la section centrale de n’avoir pas pris l’initiative d’une mesure temporaire. Elle n’avait à s’occuper que d’une proposition définitive aux termes du projet de loi.
M. le président. - J’invite les orateurs à se renfermer dans l’objet de la discussion, qui est la question de savoir s’il y a lieu au renvoi de l’art. 2 à la section centrale.
M. Eloy de Burdinne. - Ce n’est pas sur la question de savoir s’il y a lieu de mettre immédiatement à l’ordre du jour la proposition de M. le ministre, ou s’il y a lieu de la renvoyer à la section centrale, que j’ai demandé la parole. Mais je veux faire remarquer qu’en faisant toujours des bouts de loi, on ne parviendra jamais à résoudre les grands principes qui devraient être tranchés immédiatement.
Nous avons un moyen de régulariser d’une manière extrêmement simple le droit sur le froment et sur le seigle. C’est du système français que je veux parler. Le voici : Lorsque le droit sur le froment est, par exemple de 10, l’impôt est de 6 sur le seigle et de sur l’orge. Voilà une proportion graduée. En un mot, le taux du droit sur le froment est le régulateur du droit à percevoir sur le seigle et sur l’orge.
M. le président. - C’est le fond.
M. Eloy de Burdinne. - Je voulais faire remarquer qu’on pourrait résoudre la question autrement que d’une manière provisoire ; car de cette manière nous n’arriverons jamais à un résultat, et il nous faudra, à chaque session, consacrer 2 ou 3 séances à modifier les lois existantes.
Je ne fais pas de proposition ; mais j’appelle l’attention de la chambre sur le système très rationnel, qui est suivi en France.
M. Coghen. - Je me bornerai à faire remarquer que la proposition, amendée par M. le ministre de l’intérieur, peut être adoptée sans aucun danger, et qu’on peut par conséquent passer à la discussion, sans nouveau renvoi à la section centrale. Les documents que le gouvernement a publiés sont très complets. Les membres qui les ont lus se seront convaincus qu’il est facile, d’après ces documents, de se former une opinion.
M. de Garcia. - Il ne s’agit que d’une question de forme, dit-on ; mais on ne peut l’apprécier sans jeter un coup d’œil sur le fond.
On dit qu’il y a défaut d’harmonie entre le droit sur le froment et le droit sur le seigle. Mais le défaut de la loi, le défaut d’harmonie peut aussi bien venir de ce que le droit est mal assis sur le froment autant qu’on peut le prétendre sur le seigle. C’est là qu’est le fond de la question, le véritable point à examiner. An surplus, je ne m’oppose pas à ce qu’on passe à la discussion de la loi qui nous est soumise, mais je n’entends pas me lier pour l’avenir. Je ne veux pas poser de principe. Je ne veux pas qu’on vienne m’opposer mon vote lorsqu’il s’agira de réviser la loi de 1834. Au surplus, ce n’est qu’une loi d’essai. Mais, on le voit, la question de forme n’est pas insignifiante et tient au fond de la question. Elle ne peut s’apprécier qu’en voyant où est le vice de la loi de 1834, vice qui peut être dans le droit sur le froment aussi bien que dans le droit sur le seigle. D’après ces considérations, je crois que la question de forme est complètement dépendante de la question du fond.
- La chambre consultée, décide qu’il y a lieu de passer immédiatement à la discussion.
M. de Theux. - Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il connaît le prix du seigle sur les principaux marchés de l’Europe, et s’il a quelques renseignements sur la récolte des pays voisins. Ces questions ne me paraissent pas sans importance, parce qu’il pourrait arriver que, par la suppression entière du droit, il y eût une importation exagérée de seigle qui ferait fléchir les prix au-delà des intentions du gouvernement.
Ensuite, je demanderai si, d’après la proposition du ministre, la suppression du droit doit être entière, ou s’il entend avoir la faculté de modifier le droit actuel.
Enfin, je demanderai en quelle circonstance la libre entrée viendra à cesser.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il m’est impossible de fournir tous les renseignements que demande l’honorable préopinant. Mais je ne pense pas qu’ils soient nécessaires pour apprécier la disposition dont il s’agit.
Le prix du seigle est maintenant en Belgique de 14 fr. 58 c. L’honorable membre désirerait avoir quelques renseignements sur la récolte et sur le prix du seigle à l’étranger. J’ai dit tout à l’heure que le gouvernement n’userait du pouvoir qu’il demande qu’eu égard à certaines circonstances. S’il est constaté que la récolte du seigle à l’étranger a été abondante, et que le prix n’en est pas élevé, ce sera une circonstance qu’il prendra en considération pour ne pas user du pouvoir qu’il demande.
Je suis dans l’impossibilité de donner les renseignements demandés. Mais je ne conçois pas la nécessité de les donner avant le vote. Le gouvernement, je le répète aura égard à toutes les circonstances avant de se servir du pouvoir qu’il demande.
M. de Theux. - La suppression du droit sera-t-elle entière ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Oui, d’après la rédaction. Quant le froment sera libre à l’entrée, le gouvernement, en tenant compte de toutes les circonstances, verra, s’il y a lieu de soumettre le seigle à la même règle, c’est-à-dire de l’exempter du droit. On ne demande pas autre chose.
M. Eloy de Burdinne. - Dans l’exposé des motifs, MM. les ministres portent le produit du droit d’entrée à 90,000 fr. à raison de 4 fr, par 1.000 kilog., soit 32 centimes par hectolitre, centimes additionnels compris, les producteurs d’orge en Belgique payant en impôt foncier et accessoires plus de 50 centimes par hectolitre.
D’après la loi de 1834, qui fixe le droit d’entrée à 14 francs les 1,000 kilog. ou les 15 hectolitres, l’orge étrangère qui entre en Belgique donnerait au trésor 300,000 fr., dans la supposition qu’il en entre autant au droit de 14 que de 4 fr. ; avantage pour le trésor : 210,000 francs.
Dans mon opinion, que le droit d’entrée soit de 4 ou de 14 fr., l’étranger qui a un excédant en orge nous l’importera également vu que 14 fr. est un droit bien modéré, comparativement aux droits établis sur l’entrée de cette céréale en Angleterre et en France (il est moins d’un franc par hectolitre). Et comme, dans mon opinion, les droits de douanes se payent ordinairement partie par l’importateur et partie par le consommateur, en imposant les matières étrangères, l’Etat perçoit un impôt sur les producteurs étrangers, et c’est ce que font très bien nos voisins les Anglais et les Français (voir les tarifs), nous, au contraire, quand il s’agit d’impôts, nous ne savons les percevoir que sur nos propres concitoyens. Les économistes qui prônent la liberté du commerce nous entraînent dans une fausse voie et nous rendent dupes des autres nations.
On ne manquera pas d’arguments pour chercher à persuader qu’il est nécessaire de laisser entrer l’orge sans droit. On nous dira que :
1° La Belgique n’en produit pas assez pour sa consommation ;
2° L’orge est une matière première pour faire la bière ;
3° L’accise sur la bière donne un fort impôt à l’Etat ; on en doit favoriser la fabrication.
A la première observation, je répondrai que, pour faire augmenter la production dans le pays, on doit favoriser le producteur et le mettre à même de réaliser un bénéfice sur ses produits. C’est en imposant à l’entrée les produits similaires qu’on y parviendra ; c’est le système anglais et français. Ces nations ont plus d’expérience que nous, je crois que nous ferions bien de les imiter.
J’ajouterai en réponse à cet argument, que, d’après le principe, qu’on ne doit pas imposer les produits étrangers quand son pays n’en produit pas assez pour la consommation, on devrait insister sur la suppression de l’impôt sur le sel, parce que la Belgique n’en produit pas.
On me dira que l’impôt sur le sel est un droit d’accise ou de consommation. A cet argument, je répondrai que l’orge est la matière première employée à la fabrication d’une boisson frappée également d’un droit d’accise ou de consommation, en produisant l’orge à meilleur marché aux brasseurs, en renonçant à un droit d’entrée, c’est réduire l’impôt sur la consommation de la bière dans la supposition que les brasseurs tiennent compte aux consommateurs du meilleur marché de la matière première.
Remarquez, messieurs, que le prix de la bière ne marche pas d’après le prix des denrées employées à sa fabrication ; le prix en augmente ou en diminue d’une manière peu sensible.
Quand les grains sont chers, les brasseurs la font plus faible quand, au contraire, les grains sont à bon compte, ils la font un peu plus forte ; la différence du prix est peu sensible ; quand les grains sont à des prix élevés, les brasseurs gagnent moins, quand ils sont à bon compte ils gagnent beaucoup d’argent.
Mais, selon moi, le droit établi sur l’orge étrangère à raison de 14 fr. par hectolitre, dans la supposition même où ce droit fût supporté par le consommateur, il serait bien minime, il serait au plus de 32 centimes par hectolitre ; et dans la supposition où le droit serait supporté par part égale entre l’importateur et le consommateur, ce que je crois exacte, alors le droit par hectolitre ne serait que de 16 centimes ; ou plutôt il serait nul. On ferait la bière plus faible et la bière de luxe, telle que le faro et autres, étant plus faible, procurerait un bien-être, en ce sens qu’il y aurait moins d’individus de la classe ouvrière, dans les villes, bien entendu, qui s’enivreraient.
Je ferai remarquer que les brasseurs sont intéressés à favoriser la production de l’orge indigène, en ce sens que, si cette céréale venait à manquer, l’étranger n’en ayant obtenu qu’une demi-récolte et n’ayant pas d’excédant, ne nous en importerait pas et la Belgique ayant réduit la production de cette denrée, en la cultivant moins, même peut-être en ne la cultivant plus, alors le pays en manquerait complètement.
Je partage l’opinion de ceux qui voudraient voir diminuer l’impôt sur la bière, mais ce n’est pas au moyen de réduire le droit d’entrée sur la matière première que je le voudrais, mais bien en réduisant le droit d’accise. Malheureusement notre position financière ne nous permet pas d’y penser pour le moment et si, par suite de la révision de notre système de douane, nous parvenons un jour à augmenter nos recettes et les porter à un taux en comparaison avec nos voisins, alors, messieurs, je provoquerai une disposition législative tendant à réduire le droit de consommation sur la bière, mais après avoir fait disparaître le droit de consommation sur le sel, impôt impopulaire, impolitique, injuste et inique selon moi.
Je crois, messieurs, devoir vous faire remarquer une singulière contradiction dans les diverses dispositions financières qui nous sont soumises.
Le ministère vous propose une modification à la loi du 31 juillet 1834 sur la quotité du droit sur l’orge qui, par suite de son adoption, doit réduire la recette à faire sur cette denrée de 200,000 francs environ. (L’orge est une matière première pour fabriquer la bière.)
Sûrement en vue de faire diminuer le prix de la bière de 32 centimes environ par hectolitre ; en même temps il vous propose une augmentation de droit d’accise, sûrement en vue de reprendre de la main droite ce qu’il vous donne de la main gauche, disposition impopulaire, selon moi ; il était bien plus rationnel de ne pas augmenter un impôt, vu qu’en rentrant sous le régime de la loi du 31 juillet 1834, on obtenait le même résultat financier sans se rendre impopulaire.
Je crois en avoir dit assez pour justifier mon opinion, je dois cependant vous faire remarquer qu’il est d’une nécessité absolue d’aviser au moyen de rétablir la balance commerciale en Belgique, laquelle est désastreuse.
Les documents statistiques, fournis par les divers départements ministériels, constatent un déficit de 74 millions, somme ronde, résultat de notre commerce maritime et que l’avantage que nous obtenons de notre commerce par terre, rivières et canaux, quoiqu’il nous soit avantageux, est loin de rétablir l’équilibre en nous donnant en plus ce que nous avons en moins, résultat de notre commerce par mer, puisqu’au total notre déficit est d’environ 50 millions de francs annuellement. Pour rétablir l’équilibre, je ne vois qu’un moyen : c’est de réduire les importations ou bien d’augmenter nos exportations. Le premier moyen est, selon moi, le meilleur ; le second est problématique. En frappant d’impôt les produits étrangers, nous en diminuerons la consommation, Souvent le bon marché ruine par l’abus que l’on en fait dans la consommation.
Je répondrai d’avance à une objection qui probablement sera faite, c’est la suivante : on nous dira que les chambres de commerce et MM. les gouverneurs sont en majorité pour l’adoption du projet du gouvernement, ergo, il est considéré comme avantageux au pays par les autorités consultées qui ont répondu aux ministres.
S’il y a quelque chose qui m’a étonné, c’est qu’il n’y ait pas eu presque unanimité pour accueillir la proposition.
Quand il s’agit de diminuer les impôts, on est toujours disposé à donner une pleine et entière adhésion.
Que le ministre propose la suppression de l’impôt sur le sel, qu’il consulte les gouverneurs, tous les collèges et toutes les administrations du pays, je suis intimement convaincu que tous les rapports seraient favorables et la proposition acceptée avec reconnaissance.
Si en proposant la modification à la loi de 1834 sur l’orge, M. le ministre avait dit aux administrations auxquelles il s’est adressé que le trésor devait percevoir des centimes additionnels sur les impôts pour suppléer au déficit, je doute que les réponses eussent été aussi favorables.
M. Coghen. - Messieurs, quant à l’article 1er, qui concerne l’orge, je crois que le droit proposé par le gouvernement et accueilli par la section centrale peut être adopté. C’est une légère protection en faveur de l’agriculture, et certes il faut la protéger, car elle paie des impôts considérables. Quant au seigle, il s’est glissé, en effet, une erreur dans la loi de 1834, et cette erreur provient de ce qu’on a changé, par des amendements, les bases de l’impôt sur le froment. Sans cela, dans le projet primitif la proportion était calculée, pour le seigle, à deux tiers de la valeur du froment. Cette proportion à été dérangée par les propositions nouvelles qui ont surgi ; c’est ce qui fait que la loi renferme une anomalie qu’il faut absolument faire disparaître. Une loi générale nous est soumise ; j’espère que, dans le cours de la session, on pourra s’en occuper et rectifier ce qu’il y a d’irrégulier dans la loi de 1834, et aussi ce qu’il y a d’irrégulier dans toutes ces lois temporaires qui laissent de l’incertitude dans l’esprit du commerce et des producteurs.
L’honorable M. de Theux a élevé un doute quant à la valeur du seigle à l’étranger, quant au produit de la récolte, quant à l’effet que le projet en discussion pourrait produire sur nos prix par des importations considérables. Si je suis bien informé, nous avons peu à craindre de fortes importations de seigle. Aujourd’hui il n’y en a presque pas, parce que le droit est excessif. Toutefois, pour mettre de grands intérêts, des intérêts vitaux du pays à l’abri de toute secousse possible, ne pourrait-on pas rédiger l’art. 2 dans ce sens :
« Lorsqu’aux termes de la loi du 31 juillet 1834, le froment sera exempt de droit à l’entrée, le gouvernement pourra, le prix du seigle excédant 12 fr. par hectolitre, par disposition ministérielle, soumettre le seigle au même régime. »
Messieurs, en limitant le prix à 12 fr, l’agriculture aura la certitude qu’il n’y aura pas d’importations excessives, et que ses droits, ses grands intérêts seront à l’abri d’une secousse possible. Si cette rédaction était adoptée, je pense qu’elle répondrait à toutes les exigences et calmerait toutes les inquiétudes.
M. Rodenbach. - Messieurs, si la Belgique produisait suffisamment d’orge pour la consommation du pays, les arguments que vient de faire valoir l’honorable M. Eloy de Burdinne seraient on ne peut plus justes. Mais le pays n’en produit pas suffisamment, et tous les terrains ne conviennent pas à sa culture. Il est vrai que dans les poldres on cultive considérablement d’orge ; c’est pour ainsi dire le grenier de la Belgique pour l’orge nécessaire à nos fabriques. Mais, d’un autre côté, il y a peut-être plus de la moitié de la Belgique qui ne peut produire de bonne orge. Une preuve de l’insuffisance de la production du pays, c’est que nous n’exportons pas un seul kilogramme d’orge, tandis que dans les dernières années il en est entré une moyenne de 20 millions de kilogrammes.
Ainsi, imposer l’orge à 14 fr. comme le voudrait l’honorable M. Eloy de Burdinne, ce serait vraiment exorbitant, ce serait dire : Nous voulons détruire la majeure partie des brasseries qui existent.
Car alors la bière deviendrait une boisson de luxe, il faudrait la payer au prix des vins ordinaires.
D’ailleurs en présence de l’augmentation de 10 centimes additionnels proposée sur les bières dans le budget des voies et moyens, en présence d’un autre projet qui change le mode de l’impôt et l’élève de 40 à 50 p. c,, sur certaines espèces de bières, sur les bières faibles conviendrait-il d’établir encore des droits excessifs sur l’orge ? On finirait de cette manière par anéantir une industrie importante, et rendre impossible l’emploi d’une boisson qui est salutaire à la classe ouvrière. Cette industrie rapporte actuellement au pays 6 millions et demi ; on veut, par les nouvelles propositions qui vous sont faites, qu’elle rapporte environ 8 millions. Je crois, en présence de ces nouvelles propositions que l’établissement d’un droit de 14 fr. sur l’orge, au lieu d’être favorable au pays, lui serait très nuisible.
Je crois donc devoir donner mon adhésion au droit de 4 fr. Vous avez même vu, par les avis officiels recueillis dans les provinces, qu’il ne faudrait pas imposer l’orge à l’entrée ; mais, comme le trésor réclame des ressources nouvelles, et que le droit de 4 fr. peut rapporter 100,000 fr., je lui donnerai mon assentiment.
Je viens de dire que l’établissement de ce droit est contraire aux avis de toutes les provinces. Je ferai de plus observer que la récolte n’a pas été abondante. Vous voyez aussi, par des rapports officiels, que dans la Flandre orientale, qui est une des parties les plus fertiles du pays, il n’y a eu que les trois quarts d’une récolte, et que dans la province de Liége il n’y a eu qu’une demi-récolte. Dès lors il me semble que le ministère aurait mieux réussi à faire adopter ses nouvelles propositions, quant à la bière, s’il n’avait pas demandé une majoration de droits à l’entrée sur l’orge. Du reste, je le répète, je ne m’y opposerai pas, parce qu’il faut tâcher de combler le déficit.
M. de La Coste. - Messieurs, notre système de douanes est celui d’une protection modérée ; ainsi je ne suis pas du tout opposé à ce qu’on accorde protection à la production de l’orge. Mais il me semble que le législateur est solidaire de ses actes passés et qu’il doit rester conséquent avec lui-même.
La question est de savoir si, en portant le principe de protection, il y a lieu à son application dans les circonstances actuelles.
Lorsqu’on a mis sur l’orge un droit de 14 francs, en 1834, le prix était descendu jusqu’à 6 fr. 40 l’hectolitre. Elle avait été vendue à ce prix au marché de Bruxelles. Les prix moyens constatés par les renseignements de M. le ministre de l’intérieur ont été, pour cette année, de 8 fr. 45 pour une sorte et de 8 fr. 61 pour l’autre. C’est ce qui a déterminé alors l’établissement d’un droit de 14 fr. Dès lors, je ne crois pas qu’il y ait lieu de revenir à ce droit car les circonstances sont tout autres.
En 1839, c’est encore ce qui a été dit dans vos discussions ; le prix avait atteint 13 fr. 50 ; cela veut dire qu’il s’était élevé jusque-là sur quelques-uns de nos marchés ; mais, le prix moyen, constaté également par M. le ministre de l’intérieur, a été pour une espèce de 11 fr. 45 c. et pour l’autre de 12 fr. 01. C’est alors que l’on a adopté le droit de 4 fr. et peu de temps après, on a entièrement aboli le droit d’entrée ; on l’a réduit à un simple droit de balance.
Dans le moment actuel, au marché de Louvain de la dernière semaine, l’orge s’est encore vendue 11 fr. 85. Il y a très peu de différence entre ce prix et celui de 1839, puisque l’espèce qui se vendait, terme moyen, 12 fr. en 1839, se vend aujourd’hui 11 fr. 85. Je ne vois dès lors pas de motifs pour revenir au droit de 4 fr, j’en vois d’autant moins que l’ensemble des mesures financières qui nous ont été présentées, est extrêmement menaçant pour une industrie qui n’est déjà pas en voie de prospérité, et qui cependant est importante pour le pays, importante pour le peuple, je veux parler de la fabrication de la bière.
Malheureusement le peuple s’habitue de plus en plus à l’usage du café, boisson excitante et peu salubre, et à celui des spiritueux, et par suite la consommation de la bière diminue. Cette consommation est encore entravée par l’espèce de guerre de douane que se font les villes. Car, en entendant souvent invoquer une union douanière, l’idée me vient involontairement qu’il en faudrait une entre les villes. Plusieurs d’entre elles chargent, outre-mesure, les denrées produites par d’autres ; il en est même qui accordent à leurs propres produits des primes d’exportation, et il en résulte une entrave très marquante à certaines industries ; et entre autres celle de la bière souffre considérablement dans quelque localités.
Je pense donc que nous devons éviter tout ce qui tend à rendre la position de cette industrie plus défavorable encore. Messieurs, je conçois les nécessités de l’Etat, et je n’entends pas me prononcer d’avance contre les mesures financières auxquelles j’ai fait allusion ; mais, certes, je ne les adopterai qu’après que tous les autres moyens auront été examinés et épuisés.
Pour revenir à l’objet qui nous occupe, je pense, en résumé, qu’il n’y a guère de motifs en ce moment, pour modifier le droit sur l’orge qui est la matière première de la bière, en sorte que cette augmentation devient une aggravation du système financier qu’on nous a soumis. Je préférerais qu’on n’en eût pas fait la proposition. Je ne vois cependant pas de motifs suffisants, si la chambre se décide pour la proposition qui lui est faite, de rejeter l’ensemble de la loi, parce que je crois qu’effectivement la mesure, quant au seigle, est très nécessaire et très raisonnable en principe.
Seulement, dans ma section, on eût désiré que le gouvernement ne se fût pas réservé la latitude qu’il réclame. Si le ministère n’adopte pas cette observation dans la séance actuelle, et je ne vois pas pourquoi il s’y opposerait, j’espère au moins qu’il en tiendra note pour, lorsqu’il s’agira de renouveler cette disposition, nous présenter quelque chose de plus précis et de plus positif.
En matière de céréales, toute latitude de ce genre a de grands inconvénients. Il faut que l’agriculture, que le commerce sachent d’avance à quoi s’en tenir. Je pense même qu’une semblable latitude quoiqu’un gouvernement puisse y voir une certaine autorité flatteuse pour ceux qui l’exercent, n’est pas au fond un avantage réel pour lui. Certes, je suis intimement convaincu que la latitude que vous accorderiez aujourd’hui ne donnerait, dans les mains de M. le ministre de l’intérieur ou de ceux qui travaillent sous sa direction, lieu à aucun abus ; mais cependant l’expérience démontre que ces sortes de latitudes peuvent donner lieu à des abus.
On aurait donc voulu, dans ma section, qu’au lieu de demander cette latitude, le gouvernement eût déterminé les circonstances dans lesquelles le seigle serait libre de droits à l’entrée.
La proposition de M. Coghen tendrait à affranchir le seigle du droit d’entrée, lorsque le froment est libre et lorsque le seigle atteint le prix de 12 francs ; je préférerais une disposition conçue à peu près dans les termes suivants :
« Lorsque le froment est libre à l’entrée, le seigle le sera également, pourvu que le prix moyen s’en élève à 12 fr. au moins. »
M. Cogels. - Messieurs, les lois transitoires qu’on vient nous proposer au début de chaque session, par dérogation à la loi de 1834 sur les céréales, prouvent que cette loi ne satisfait plus aux besoins du pays. Le gouvernement avait déjà senti l’insuffisance de la loi de 1834, lorsque, il y a plus de deux ans, il nous présenta un projet tendant à modifier presque toutes les dispositions de la législation existante. Ce nouveau projet a été examiné par les sections ; la section centrale a été formée, et si l’examen en section centrale n’a pas eu lieu, c’est que cette section désirait connaître d’abord les avis des chambres de commerce et des commissions d’agriculture. Je crois que tous ces avis doivent être maintenant parvenus au gouvernement, et il me paraît dès lors que la section centrale pourrait reprendre ses travaux. Ce serait là une chose extrêmement utile, car, ainsi que l’ont fort bien dit les honorables MM. Coghen et de La Coste, rien n’est fâcheux pour le commerce et l’agriculture comme ces lois transitoires qu’il faut modifier à chaque instant.
C’est surtout pour l’orge que la loi doit être modifiée le plus souvent, car, ainsi que l’a dit l’honorable M. Coghen, lorsque le droit a été fixé invariablement à 14 francs, l’orge était à un peu extrêmement bas, et l’on ne prévoyait pas alors qu’elle se serait élevée au taux où on l’a vue depuis et par suite duquel on a jugé nécessaire de supprimer tout droit. Maintenant l’on trouve qu’un droit de 4 francs offre une protection suffisante, mais qui nous dit, messieurs, que d’ici à quelque temps cette protection ne sera pas trop faible, qui nous dit qu’elle ne sera peut-être pas trop forte ?
Je voudrais donc qu’il y eût pour l’orge, comme pour les autres céréales, une échelle mobile, en tant que nous continuions à adopter le système d’une échelle mobile pour le froment et le seigle. Je voudrais également que l’on rétablît la proportion entre le seigle et le froment d’une manière telle que l’exige le prix ordinaire de ces deux denrées.
Eh bien, messieurs, le projet de loi de 1840 me paraissait satisfaire à tous ces besoins, ce n’est pas maintenant le lieu de discuter le mérite de ce projet, mais il me paraît que nous ne devrions pas davantage en retarder l’examen, surtout lorsque nous sommes à la veille de réformer entièrement notre législation commerciale ; nous ne pouvons pas, en révisant cette législation, laisser subsister une lacune pour ce qui concerne les grains.
Quant à l’orge, messieurs, il est vrai qu’il y a peu de provinces qui la produisent, mais il faut prendre en considération que les localités qui produisent le plus d’orge sont précisément celles qui ont été le plus malheureuses ; ce sont les poldres, où les cultivateurs ont éprouvé le plus de pertes et où ils se trouvent aussi dans une position tout à fait exceptionnelle vis-à-vis des cultivateurs hollandais qui les avoisinent. En effet, messieurs, dans nos poldres les terres sont à un prix assez élevé et les baux le sont également. Ainsi, une terre en Belgique se loue 28 florins courant, c’est-à-dire 24 florins des Pays-Bas, l’arpent, tandis qu’en Hollande, à une demi-lieue de là, une terre de même qualité ne se loue que 12 ou 13 florins. Vous concevez dès lors que les cultivateurs hollandais ont un très grand avantage sur les nôtres. Je ne veux pas pour cela qu’on établisse un droit qui élève trop fortement le prix d’une matière première dont une de nos industries a besoin, mais je voudrais un système qui garantît les cultivateurs contre les chances de tous ces mouvements de hausse et de baisse, qui leur donnât une protection permanente.
J’appuierai le projet du gouvernement comme mesure transitoire, mais je désire que la section centrale du projet de loi sur les céréales puisse le plus tôt possible s’occuper de ce projet important.
M. de Theux. - Je désire également, messieurs, que l’on examine à fond quelle est la juste proportion entre le prix moyen du seigle et le prix moyen du froment, et que, s’il y a lieu, l’on apporte une modification définitive à la loi du 31 juillet 1834, car je ne suis pas non plus partisan des mesures exceptionnelles, surtout dans les circonstances ordinaires. Des mesures exceptionnelles sont souvent nécessaires, lorsqu’il y a lieu de craindre des événements extraordinaires, tels qu’une guerre ou une non-réussite de la récolte, qui puisse amener en quelque sorte une disette. Dans des circonstances pareilles, il n’y a des ressources que dans des lois transitoires, mais hors de cas semblables il faut que la législation soit stable, que les propriétaires, les cultivateurs et les négociants sachent à quoi s’en tenir, et que des lois temporaires ne viennent pas à tout moment bouleverser les divers intérêts.
J’ai entendu dire que lorsque le prix moyen du seigle est au-dessus de 12 fr., cette denrée doit nécessairement être libre à l’entrée. Messieurs, je ne puis pas laisser passer sans observation cette assertion, car si ma mémoire m’est fidèle, il résulte des statistiques que, pour un nombre très grand d’années, le prix moyen du seigle est de 12 fr. 5 c. Or, messieurs, ce n’est point lorsqu’une denrée est à son prix moyen, qu’il faut laisser libre l’entrée de cette même denrée. Ce serait un motif pour abaisser le droit d’importation, mais non pas pour passer d’un droit protecteur élevé, tel que celui de 21 fr. 80 c., à une exemption de tous droits.
Je dois, messieurs, vous faire une autre observation ; c’est que le seigle est la production de provinces les moins fertiles et que la paille de seigle est indispensable à la prospérité de l’agriculture dans ces provinces. Il n’en est pas de même de la culture du froment ; la paille du froment n’est jamais convertie en engrais ; elle sert à la nourriture du bétail ou à d’autres usages, mais c’est la paille de seigle qui produit véritablement de l’engrais.
On a aussi parlé de l’intérêt des distilleries ; mais il est un intérêt supérieur à celui des distilleries, c’est celui de la culture. En effet, par quel motif a-t-on toujours voulu la prospérité des distilleries, si ce n’est principalement pour favoriser l’agriculture ? Il ne faudrait donc pas par des mesures mal entendues porter préjudice à l’agriculture, sous prétexte d’être utile aux distilleries.
En ce qui concerne la mesure transitoire dont nous nous occupons, je ferai remarquer d’abord qu’il y a antinomie entre l’article 1er et l’art. 2 du projet ; d’après l’art. 1er., le gouvernement peut apporter des modifications au droit existant ; or, par gouvernement on entend toujours un arrêté royal contresigné par un ministre responsable ; d’après l’art. 2, cependant il suffirait d’une simple disposition ministérielle pour permettre la libre entrée du seigle ; je crois que cela serait tout à fait irrégulier.
Il est une autre opposition entre ces deux articles : d’après l’art. 1er, le gouvernement se réserve la faculté de modifier le droit de 4 fr., suivant les circonstances ; il résulte de là que le gouvernement pourrait augmenter ou diminuer le droit ; quant au seigle, au contraire, l’art. 2 place le gouvernement dans cette alternative absolue ou de maintenir le droit de 21 fr. 50 c., établi par la loi, ou de le supprimer complètement ; il n’y a point d’intermédiaire. Cependant il peut se présenter des cas où il serait très utile de ne point supprimer entièrement le droit, mais de l’abaisser, et ce serait peut-être là le plus sûr moyen de parer à l’inconvénient qui pourrait résulter d’une importation instantanée fort considérable, si tant était qu’il y eût une différence de prix très grande entre le seigle de la Belgique et celui des pays voisins.
Je bornerai ici mes observations, messieurs, parce que cette matière devra être discutée à fond, lorsque nous nous occuperons de la révision de la loi du 31 juillet 1834, ou tout au moins de la proposition dont la section centrale est restée saisie.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, si je prends la parole, c’est pour répondre quelques mots aux orateurs qui viennent d’émettre leur opinion sur le projet de loi. J’ai cru entendre que l’on considérait le droit de 14 fr. par 1,000 kil. comme exorbitant. On ne fait pas attention que le droit de 14 fr. sur 1000 kilogrammes représente 15 hectolitres ; le droit est donc d’environ 1 fr. par hectolitre.
La Belgique est le pays où on peut introduire l’orge parmi le droit le plus minime, et au droit de 14 fr., pas de doute, l’excédant ou le trop plein des autres nations en orge sera toujours introduit en Belgique, vu que notre tarif sur l’entrée des céréales est le plus modéré.
Je ne considère pas cet impôt comme protecteur, mais bien comme un moyen d’alimenter le trésor. Je vais comparer le tarif belge avec le tarif français, régulateur du droit d’entrée sur le froment, lequel est, à son tour, le régulateur du droit sur le seigle et sur l’orge, c’est-à-dire que, lorsque le froment paie un droit, le seigle paie 60 p. c. du droit établi sur le froment, et l’orge 50 p.c., quand le froment est coté taux moyen sur les marchés régulateurs de 23 fr. 1 c. à 24 fr. l’hectolitre.
Le froment est libre à l’entrée, ainsi que le seigle et l’orge.
Le froment coté de 20 francs un centime à 23 francs, paie un droit d’entrée, taux moyen, de 2 francs par hectolitre, plus 25 centimes de droit de balance.
Le seigle paie, à raison de 60 p. c., 1 fr. 20 cent., plus 25 centimes de droit de balance par hectolitre.
Le froment, coté de 15 francs 1 centime à 20 francs, paie un droit d’entrée en France (taux moyen) de 7 francs 50 centimes en principal, soit les 1,000 kilogrammes, 95 fr. 75 cent.
Alors l’orge paie, à raison de 50 p. c., 46 fr. 87 cent, aussi taux moyen par 1,000 kilogrammes. Notez bien que le prix du froment, coté à 15 fr. 1 cent, jusqu’à 16 fr. paie un droit d’entrée de 10 fr. 50 cent, par hectolitre, ou 131 fr. 25 cent. par 1,000 kil., et l’orge paie, par 1,000 kilog., à raison de 50 p. c., le droit de 65 fr. 62 1/2 cent.
Voyons présentement le tarif belge de 1834 ; comparons-le avec le tarif français : le froment étant coté à 20 fr. au-dessus, ne paye aucun droit d’entrée, tandis qu’en France il paye 2 fr. par hectolitre ou 25 fr. par 1,000. ; coté de 15 à 20 fr., il paye 37 fr. 50 c. en Belgique, par 1,000 kilogrammes soit par hectolitre 5 fr. ; en France 7 50 ou 93 fr. 75 c.
L’orge paye un droit fixe et permanent en Belgique ; en France il paye, d’après le droit sur le froment, 50 p. c.
Si en Belgique nous adoptions le mode français, non pas le taux du droit, mais bien le système régulateur du droit sur l’orge, et que le droit sur le froment serait le régulateur du droit à percevoir sur l’orge à l’entrée, nous aurions pour résultat que le froment coté à 20 fr. et au-dessus, l’orge serait libre à l’entrée, quand en France il payerait 44 francs par 1,000 kil. Quand le froment serait imposé à l’entrée à raison de 37 fr. 50 c. les 1,000 kilogrammes, l’orge payerait à l’entrée en Belgique 50 p. c. du droit établi sur le froment ; soit 18 fr. 75 c. par 1,000 kilogrammes, 1 fr. 25 c. quand il payerait d’après le tarif français, il doit 46 fr. 87.
Ah ! messieurs, sortons de l’ornière dans laquelle nous sommes entrés ; cessons de suivre le système que nous avons adopté ; abandonnons le principe de percevoir la presque totalité des impôts sur vos propres concitoyens ; faisons comme nos voisins : frappons l’impôt à l’entrée les marchandises qu’ils nous importent le plus souvent ; les droits de douanes pèsent en partie sur les importateurs, et quelquefois ils le payent intégralement.
M. Mast de Vries. - Messieurs, l’année dernière, la chambre a adopté une disposition aux termes de laquelle l’entrée de l’orge a été déclarée libre, c’est-à-dire que l’entrée de l’orge a été permise, moyennant un droit de balance de 50 c. par mille kilogrammes.
Quelles sont les raisons qui ont engagé la chambre à porter cette disposition ? Ces raisons existaient-elles encore cette année ? Voilà la seule question qu’il s’agit d’examiner en ce moment.
L’année dernière, d’après les documents qui nous ont été fournis par M. le ministre de l’intérieur, le prix moyen de l’orge a été de 10 fr. 90 c., et cette année, ce prix est descendu seulement jusqu’à 10 fr. 42 c.
Et veuillez remarquer, messieurs, que la moyenne, quant à l’année actuelle, ne comporte pas les droits perçus pendant les derniers mois de l’année ; or, il suffit de jeter les yeux sur les tableaux, pour se convaincre que c’est ordinairement dans les derniers mois de l’année que le prix de l’orge renchérit. Ce fait est tellement vrai qu’au mois de septembre de cette année, le prix de l’orge s’est élevé jusqu’à 11 fr. 51 c., tandis qu’il n’a été que de 10 fr. 60 c. pour le mois précédent.
Messieurs, le moment est-il bien opportun pour imposer un droit à l’entrée de l’orge, lorsque les brasseries se trouvent menacées d’une surtaxe de 10 centimes et d’un brouhaha dans leur ménage, qui ne les rendrait plus possibles ? Je ne le pense pas, je partage l’opinion de tous les brasseurs de la Belgique qui, dans une pétition qu’ils nous ont adressée récemment, vous conjurent de ne pas admettre le droit sur l’orge. Ainsi, à mon avis, quels que soient les besoins du trésor, ce n’est pas sur l’entrée de l’orge qu’on peut songer à établir des droits.
L’honorable préopinant, messieurs, vous a dit : « Voyez la quantité considérable d’orge étrangère qui a été introduite dans le pays, » mais il ne vous dit pas que si la Belgique n’avait pas reçu cette orge étrangère, on aurait fabriqué beaucoup moins de bière ; il ne vous a pas dit qu’au lieu de gagner quelques milliers de francs sur l’entrée de l’orge, le trésor public a gagné deux millions sur la fabrication de la bière, moyennant la libre importation de l’orge.
Ainsi il est vrai de dire que si l’on restreint le chiffre de l’importation de l’orge étrangère, c’est le trésor public surtout qui doit en pâlir, par le déficit qui doit en résulter dans le produit de l’impôt sur la fabrication de la bière.
D’après ces considérations, je pense que la chambre ne doit pas sanctionner le projet du gouvernement, et je propose la prorogation pour une année de la loi qui a été votée l’année dernière, c’est-à-dire que je demande que l’orge puisse être introduite en Belgique moyennant un droit de balance de 50 centimes par mille kilogrammes.
M. Lys. - Je ne voulais point prendre la parole dans la discussion générale, mais bien sur l’art. 1er ; mais voyant discuter les articles, je crois devoir prendre la parole actuellement. Ayant été le seul opposant dans la section centrale, à l’art. 1er de la loi proposée, j’éprouve le besoin de vous faire part des motifs de cette opposition.
Sous l’empire de la loi de 1834, l’orge était frappée à l’entrée d’un droit de 14 fr. par 1,000 kilog.
Une loi du 3 janvier 1839 abaissa temporairement ce droit d’entrée à 4 fr., par le motif principal que l’orge matière première de deux industries importantes pour le pays, n’est point produite chez nous en quantité suffisante pour les besoins de la consommation.
Une autre loi du 26 septembre 1839, soumit l’entrée de cette céréale à un simple droit de balance de 50 centimes.
Cette dernière loi fut renouvelée en 1840 et 1841.
Après avoir joui pendant trois années de la libre entrée, le gouvernement vient vous proposer de la frapper de nouveau du droit de 4 fr. par 1,000 kilog.
Les mêmes motifs qui avaient fait exempter cette céréale de tous droits, à trois reprises consécutives, existent encore aujourd’hui, il n’est pas produit chez nous en plus grande quantité et le prix de 1842 est le même que celui de 1841. Pourquoi donc cet impôt, dont elle a été exemptée pour 1840, 41 et 42, par trois votes de la législature ?
Rien ne peut justifier cette augmentation, car l’enquête qu’a provoquée le gouvernement à ce sujet, lui a démontré que les motifs qui ont provoqué les lois temporaires pour 1840, 41 et 42 continuent à exister, puisque l’orge, récoltée dans le royaume, ne suffit guère aux besoins du pays.
En effet, messieurs, des neufs gouverneurs qui ont été consultés, huit opinent pour le maintien de la libre entrée. Les commissaires des districts de ces huit provinces, les chambres de commerce, les commissaires d’agriculture sont d’accord avec eux, à l’exception du commissaire de district de Nivelles.
Je ne comprends pas le motif qui a engagé le gouvernement à ne pas se rallier à une pareille enquête, qu’il avait lui-même provoquée.
On ne peut rien opposer à cette enquête.
Dira-t-on peut-être que, quand il s’agit d’une réduction d’impôts, les administrations des provinces sont toujours disposées à l’accueillir ?
Ce serait faire injure aux chefs de ces administrations. La plupart appartiennent aux deux chambres, ils connaissent ainsi les besoins du trésor, et ils n’ont pu donner leur avis qu’en pleine connaissance de cause.
Il n’y a, je le répète, messieurs, aucun motif de changer l’état des choses existant ; c’est pourquoi je me rallie volontiers à l’amendement proposé par l’honorable préopinant, que je voulais proposer moi-même.
Remarquez encore, messieurs, que l’on ne propose aucun changement aux droits d’entrée sur l’avoine, malgré qu’il soit reconnu que la récolte de l’année dernière n’est pas suffisante pour les besoins du pays. C’est là un motif de plus pour la libre entrée de l’orge.
Quant à la mesure proposée pour le seigle, c’est une mesure de justice, qui a déjà été trop longtemps retardée, et j’y donne de tout cœur mon assentiment.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close.
M. le président. - Nous passons à la discussion des articles.
M. le président. - Quant à l’art. 1er, M. le ministre de l’intérieur s’est rallie à la proposition de la section centrale. Elle est ainsi conçue :
« Par dérogation à la loi du 31 juillet 1834, l’entrée de l’orge sera soumise au droit de 4 francs par 1,000 kilogrammes, et ce jusqu’au 31 décembre 1843 inclus, à moins que le gouvernement ne juge utile de modifier ce droit avant cette époque. »
Voici l’amendement proposé par M. Mast de Vries :
« La loi du 6 décembre 1841 relativement à l’entrée de l’orge, est prorogée jusqu’au 31 décembre 1843. »
- L’amendement étant appuyé est mis en discussion.
M. de La Coste. - Au lieu du mot modifier dans la section qui m’a nommé son rapporteur on aurait préféré le mot réduire parce que il paraîtrait résulter de l’expression employée dans le projet que le gouvernement pourrait hausser le droit jusqu’à concurrence de 14 francs et même indéfiniment. Cette latitude me paraît exorbitante, si c’est ainsi que l’entend M. le ministre, je proposerai de supprimer la fin de l’article à partir de ces mots : à moins que, etc. Si le gouvernement juge utile de modifier le droit avant l’époque fixée, il fera comme aujourd’hui, il s’adressera à la législature.
- L’amendement de M. Mast de Vries est mis aux voix.
Il n’est pas adopté.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. de La Coste a désiré avoir une explication au sujet du dernier membre de l’art. 1er. Il réserve au gouvernement la faculté de modifier le droit. Ce mot est général et s’entend d’une réduction aussi bien que d’une augmentation. L’honorable membre demande si le gouvernement pourrait pousser l’augmentation jusqu’à dépasser la limité de 14 fr. posée par la loi du 31 juillet 1834. Je ne pense pas qu’il se présente des circonstances telles qu’il faille dépasser le chiffre de la loi de 1834. Il y a des limites qui résultent de la force des choses, et celle-là est de ce genre.
« Art. 1er. Par dérogation à la loi du 31 juillet 1834, l’entrée de l’orge sera soumise au de 4 fr. par 1,000 kil., et ce jusqu’au 31 décembre 1843 inclus, à moins que le gouvernement ne juge utile de modifier ce droit avant cette époque. »
- Par suite de la proposition de M. de La Coste, cet article est mis aux voix par division.
Les deux parties sont successivement adoptées. L’ensemble de l’article est également adopté.
M. le président. - « Art. 2. Lorsqu’aux termes de la loi du 31 juillet 1834, le froment sera exempt de droits à l’entrée, le gouvernement pourra, par disposition ministérielle, soumettre le seigle au même régime.
« Les pouvoirs résultant de la disposition qui précède cesseront au 31 décembre 1843, s’ils ne sont renouvelés avant cette époque. »
M. Coghen propose de modifier de la manière suivante le paragraphe premier.
« Lorsqu’aux termes de la loi du 31 juillet 1834, le froment sera sans droit à l’entrée, le gouvernement pourra, le prix de seigle excédant 12 fr. l’hectolitre, soumettre le seigle au même régime. »
M. Coghen. - Je crois pouvoir m’en rapporter aux développements que j’ai donnés à mon amendement, lorsque j’ai pris la première fois la parole. Toutefois, je dois une réponse à M. de Theux. En proposant la limite de 12 francs, je suis resté dans la proportion de la valeur du seigle à la valeur du froment. Quand le froment est à 20 francs, il est libre à l’entrée ; pour rester rigoureusement dans la proportion, le seigle devrait être à 13 fr. pour entrer librement. Mais considérant que le seigle est la nourriture de la classe malheureuse, j’ai cru qu’on pouvait et même qu’on devait en permettre la libre entrée un peu au-dessous de la proportion ordinaire. J’ai cru pouvoir proposer de la fixer ainsi, parce que dans ma pensée, le prix de 12 fr. suffit à la culture. Le cultivateur, même au haut prix des taux actuels, n’aurait pas à se plaindre, s’il tirait 12 fr. de l’hectolitre de seigle. Je connais trop l’importance de la protection qu’il faut accorder à cette source vitale de la prospérité publique, pour jamais faire de proposition qui soit de nature à la diminuer
M. de Theux, rapporteur. - Je suis d’avis avec l’honorable préopinant que, si le cultivateur pouvait toujours obtenir 12 fr. de l’hectolitre de seigle, son sort serait avantageux. Mais il ne le sera pas si le seigle ne va jamais au-delà de 12 fr. et que souvent il s’abaisse à 8 ou 9 fr. Voilà le double point de vue sous lequel il faut envisager la question. C’est pour cela que quand le seigle est à 12 ou 13 fr., on peut encore conserver un droit quelconque, mais moindre que celui de 21, 50 existant d’après la loi du 31 juillet 1834. Voilà en quel point nous différons.
L’honorable membre dit que le seigle est la nourriture habituelle de la classe pauvre. Cela est inexact, car dans beaucoup de villes et de communes la classe pauvre ne se nourrit que de froment. Le seigle est la nourriture le la classe pauvre dans les localités qui ne produisent guère que du seigle, mais dans l’intérêt même de la classe pauvre de ces localités, il faut que le prix du seigle ne soit pas avili, car l’ouvrier trouve plus facilement de l’occupation quand le prix du seigle est convenable que quand il tombe trop bas parce que la prospérité de l’agriculture donne du travail à cette classe qui consomme le seigle.
L’observation générale de l’honorable préopinant n’est donc pas exacte, et la conséquence qu’il en tire pourrait aller en sens inverse du but qu’on se propose. Je me rappelle qu’en 1822 et 1825 le prix du seigle descendit très bas, la classe ouvrière était moins à l’aise, était même dans la misère. Aujourd’hui elle ne l’est pas. Voilà la différence que je voulais faire ressortir.
Je demanderai à l’honorable membre si, par son amendement, il entend que le gouvernement ne pourrait pas abaisser seulement ce droit, et s’il doit passer directement du droit existant à la libre entrée.
M. Rodenbach. - Au commencement de la séance, j’ai appuyé l’art. 2 proposé par le gouvernement. Je persiste dans cette opinion. A cette occasion, je ferai remarquer que dans les mercuriales publiées dans le Moniteur, il y a souvent des erreurs. J’en citerai une très grande. Dans la ville de Mons, depuis plusieurs mois, les seigles étaient cotés à 10 francs l’hectolitre. Je connais un négociant qui s’est rendu sur les lieux pour en acheter, le seigle était ailleurs à 12 et 13 francs. Mais, à son grand étonnement, en lui a demandé 12 et 13 francs. C’est une erreur de la part de la régence. Ce sont de fausses mercuriales qui induisent les spéculateurs en erreur. Je prierai M. le ministre d’y faire attention. On ne peut pas ainsi tromper le commerce. Hier, dans la mercuriale publiée par le Moniteur, le seigle était coté à 14-46, 14 50 et 14-90 dans plusieurs villes, tandis qu’à Mons, le prix était coté à 11-22. Je ne sais si ce n’est pas pour attirer les étrangers.
M. Coghen. - Je n’ignore pas qu’heureusement dans certaines localités la classe pauvre se nourrit de froment, je voudrais que cela fût général, mais il est de fait que le seigle est la nourriture la plus générale de la classe peu fortunée. L’honorable membre me demande si le gouvernement. d’après mon amendement, pourrait établir un droit moindre que celui de 21 fr. 50 c. Non, parce que la proportion de la valeur du seigle à la valeur du froment, est comme 2 est à 3. Le seigle vaut toujours un tiers moins que le froment. Si le froment, qui est la nourriture de la classe riche, à 20 fr. est libre à l’entrée, pourquoi voulez-vous frapper d’un droit ce qui constitue la nourriture de la classe pauvre ? Non, dans ma pensée, dès l’instant que le seigle est à 12 fr., il doit être libre à l’entrée, et le gouvernement ne peut pas le soumettre à un droit.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. de Theux a reproduit de nouveau une observation concernant les mots par disposition ministérielle. Il s’est demandé si la mesure ne devait pas être prise par arrêté royal. Si le projet de loi contient les mots par disposition ministérielle, cela tient à ce qu’aux termes de la loi du 31 juillet 1834 toutes les mesures doivent être prises par disposition ministérielle insérée au Moniteur. Mais je conçois qu’ici il s’agit d’une mesure toute particulière. Je ne m’oppose donc pas au retranchement de ces mots. Il y aura un arrêté royal, ce qui paraît offrir plus de garanties.
Une seconde observation, sur laquelle l’honorable membré est revenu, est celle-ci : Pourra-t-on soumettre le seigle à un droit moindre de 21 fr. ? Non. Comme l’a dit l’honorable M. Coghen, le seigle, dans ce cas, sera affranchi de tout droit ; il sera libre à l’entrée. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait changer les termes de l’art. 2.
- L’amendement de M. Coghen est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
Les articles 2 et 3 sont successivement adoptés dans les termes suivants :
« Art. 2. Lorsqu’aux termes de la loi du 31 juillet 1834, le froment sera exempt de droits à l’entrée, le gouvernement pourra soumettre le seigle au même régime.
« Les pouvoirs résultant de la disposition qui précède cesseront au 1er décembre 1843, s’ils ne sont renouvelés avant cette époque. »
« Art. 3. La présente, loi sera obligatoire le 3ème jour après sa promulgation.
Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi, qui est adopté à l’unanimité des 58 membres présents.
Ce sont : MM. Angillis, Brabant, de la Coste, Cogels, Coghen, Cools, Coppieters, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Nef, de Potter, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, de Theux, Savart-Martel, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumont. Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Hye-Hoys, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lejeune, Lys, Maertens, Matou, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Morel-Danheel, Nothomb, Osy, Pirmez, Pirson, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Scheyven, Sigart, Smits, Thienpont, Van Cutsem, Van den Eynde, Vandensteen, Vanderbelen, Van Volxem, Wallaert et Zoude.
M. Demonceau, au nom de la section centrale chargée de l’examen du projet de loi de budget, pour l’exercice 1843, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport, et sur la proposition de M. Rodenbach, met à l’ordre du jour de mardi prochain, le projet de loi de budget des voies et moyens.
M. Dumortier. - Le budget des voies et moyens intéresse au plus haut point tous les habitants du pays. Il serait à désirer que l’honorable rapporteur indiquât les conclusions de la section centrale, afin que le pays les connût. Cela servirait aussi à notre instruction pour la discussion qui aura lieu ultérieurement.
M. Demonceau. - La section centrale a été unanime pour proposer le rejet des centimes additionnels aux contributions foncière, personnelle et des patentes. Elle a été divisée sur l’adoption ou le rejet des centimes additionnels sur la bière. Quatre membres ont été d’avis de les rejeter. Trois ont pensé qu’on devait les admettre.
Quant aux droits d’enregistrement, d’hypothèque, de succession et de greffe, la majorité de la section centrale a admis 4 centimes additionnels sur les droits d’enregistrement, de succession et de greffe ; mais elle a rejeté les centimes additionnels sur les droits d’hypothèque.
La section centrale a ensuite procédé à la rectification du tableau. Vous y verrez que, sauf erreur qui peut avoir échappé à ceux qui se sont chargés de faire l’addition, le chiffre que propose la section centrale pour être affecté aux dépenses de l’exercice 1843, s’élève à 109,412,881.
Le projet de budget des dépenses s’élève à 110,486,091 francs 63 c.
Le déficit serait de 1,073,210 fr. 63 c.
La section centrale a procédé à l’examen du tableau, d’après les prévisions à espérer des lois aujourd’hui en vigueur. Enfin la section centrale vous dit qu’il dépend de vous de voter toutes les lois proposées, faites par le gouvernement, ou d’en examiner au moins, une grande partie. Dans l’opinion de la section centrale, si vous parvenez à voter, avant l’ouverture de l’exercice, certaines lois en instruction, vous pourrez combler le déficit, et présumer même un boni, qui peut-être suffirait pour couvrir les dépenses que le gouvernement vous dit vouloir appliquer à des dépenses non prévues.
- La séance est levée à 4 heures et demie.