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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 7 septembre 1842

(Moniteur belge n°251, du 8 septembre 1842)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Kervyn fait l’appel nominal à midi et quart, et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Il donne ensuite lecture d’une lettre de M. Simons, qui, étant retenu chez lui par suite de la perte qu’il vient de faire de son fils, s’excuse de ne pouvoir assister à la séance.

- Pris pour information.

Projet de loi qui détache les hameaux d'Ombret, Ponthier et Rawsa de la commune d'Amay, et les érige en commune distincte sous le nom d'Ombret-Rawsa

Rapport de la section centrale

M. Raikem dépose le rapport sur le projet de loi tendant à séparer de la commune d’Amay les hameaux d’Ombret et Rawsa (province de Liége).

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce rapport.

Projet de loi sur les secrétaires communaux

Motion d’ordre

M. Donny. - Messieurs, les secrétaires communaux d’un grand nombre de communes rurales ont adressé des pétitions à la chambre, qui a décidé que ces pétitions seraient déposées sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux secrétaires communaux et ensuite renvoyées au ministre de l’intérieur. Comme il est bien certain que nous n’allons plus nous occuper dans cette session du projet de loi dont il s’agit, je demande que la deuxième partie de la décision de la chambre, que je viens de rappeler, soit exécutée immédiatement, c’est-à-dire que les pétitions soient immédiatement renvoyées à M. le ministre de l’intérieur.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi autorisant le gouvernement à ouvrir un emprunt

Discussion générale

M. Lange. - Messieurs, le gouvernement nous propose un projet de loi tendant à l’autoriser à ouvrir un emprunt en une ou plusieurs fois, jusqu’à concurrence de 35,500,000 fr. Les fonds empruntés seront affectés à la construction de routes pavées et ferrées dans la province du Luxembourg. jusqu’à concurrence de 2 millions de fr., et à l’achèvement de l’entrepôt d’Anvers, jusqu’à concurrence de 1,500,000 fr. Pour ce qui est de ces deux propositions, je me réserve mon vote ; j’attendrai la fin de la discussion ; je verrai l’accueil que l’on fera à d’autres propositions que je sais devoir surgir dans cette enceinte, et qui me paraissent tout aussi opportunes ; je veux parler de la canalisation de la Campine, en faveur de laquelle la section centrale a déjà pris l’initiative ; je veux parler aussi du raccordement des deux railways du Midi, en faveur duquel la question de principe a été résolue affirmativement en 1834 et dont l’utilité nous a été démontrée dans un écrit, œuvre de l’honorable M. Dumortier, et qui vous a été distribué récemment.

Quant à la somme de 30 millions, aujourd’hui réduite à 28,250,000 francs, pétitionnée par le gouvernement, pour compléter l’achèvement des ligues décrétées du chemin de fer, pour parer à toutes les dépenses imprévues, et fermer ainsi définitivement la voie des emprunts ; quant à cette somme, je la voterai, car il est de principe que celui qui veut la fin doit nécessairement vouloir les moyens.

Néanmoins, à cette occasion, je crois devoir revenir sur le tarif du transport des voyageurs sur la ligne du Midi. Dans la séance du 22 février dernier, j’ai dit que tant que la ligne du Midi avait peu d’étendue, je concevais qu’il y eût une certaine différence entre les prix établis pour cette ligne et ceux des autres lignes, à cause des frais comparativement plus élevés qu’entraînait nécessairement son exploitation ; mais j’ajoutais que du jour où cette ligne s’était étendue jusqu’à Mons, c’est-à-dire sur une distance de 60 kilomètres ou de 16 kilomètres de plus que n’en a la ligne de Bruxelles à Anvers, il m’était dès lors impossible de découvrir la raison de la différence qui a été établie entre les prix de la ligne du Midi et ceux des autres lignes. J’établis alors, par des calculs comparatifs et proportionnels, combien cette différence était grande.

Dans la séance du 24 du même mois, M. le ministre des travaux publics, tout en reconnaissant la justesse de mes calculs, l’exactitude de leurs résultats, crut cependant devoir en critiquer l’application, par la raison, disait-il, que je n’avais pas tenu compte du détour que le tracé du chemin de fer oblige à faire dans les directions de Bruxelles vers Liége et vers Gand ; mes calculs restent donc entiers pour la ligne de Bruxelles à Anvers, et en tenant compte des 20 kilomètres de Bruxelles à Malines, qui constituent le détour à faire sur les lignes de Liége et de Gand, je n’en établis pas moins une différence réelle entre les prix de la ligne du Midi et ceux des autres lignes. Mais il est un de mes calculs qui n’a pas été attaqué par M. le ministre des travaux publics, et c’est sur celui-là que j’appelle de nouveau son attention.

Par son arrêté du 17 août 1841, M. le ministre des travaux publies fixe de 17 à 18 centimes par lieue le prix du transport des voyageurs par wagons. La commission établie pour la révision des tarifs proposait 20 centimes ; cette proposition de la commission fut repoussée par M. le ministre comme trop élevée ; comment se fait-il donc que le 10 décembre de la même année, M. le ministre fixe le prix pour la ligne du Midi à 22 centimes 91 centièmes par lieue kilométrique ? Il est vrai que, par son arrêté du 22 mars 1842, quelque temps après que j’eus l’honneur de prendre la parole, et lorsque la ligne du Midi ne s’étendait pas au-delà de Mons, M. le ministre des travaux publics abaissa le prix des wagons de 2 fr. 75 c. à 2 50 ; la moyenne se trouva donc ainsi réduite à 20 centimes 85 centièmes, de 22 centimes 91 centièmes qu’elle était auparavant ; mais ce n’était là, messieurs, qu’une demi-justice. En effet, cette moyenne de 20 centimes 83 centièmes était encore plus élevée que la moyenne de 20 centièmes, proposée par la commission et repoussée par M. le ministre comme trop élevée ; elle était plus élevée surtout que la moyenne de 17 à 18 centimes que M. le ministre avait adoptée et constamment maintenue pour toutes les autres lignes du chemin de fer.

Dans le courant du mois dernier, la ligne du Midi a atteint les dernières limites ; elle touche maintenant aux frontières de France ; elle compte 80 kilomètres d’étendue ; je comptais dès lors, à mon tour, sur l’application pleine et entière du tarif du 18 août 1841, en vigueur sur toutes les autres lignes. Je me trompais, et je me trompais doublement.

En effet, messieurs, on n’applique pas à la ligne du Midi le tarif du 17 août 1841, on ne maintient pas même celui du 13 décembre de la même année, mais on renchérit de plus belle, on traite les voyageurs sur la ligne du Midi en véritables parias.

En décembre 1841, au lieu de 17 à 18 centimes, on vous fait payer 22 centimes 91 centièmes ; en mars 1842, une lueur de justice apparaît, on ne nous fait plus payer que 20 centimes 83 centièmes, toujours au lieu de 17 à 18 cent. ; mais cette lueur de justice s’éclipse bientôt, et aujourd’hui ce n’est plus 17 à 18 cent., ce n’est plus 20 cent. 83 centièmes, ce n’est plus même 22 cent. 91 centièmes c’est 23 cent. 43 centièmes que l’on exige de nous par wagon et par lieue de 5,000 mètres, puisque nous payons 3 fr. 75 cent. de Bruxelles à Quiévrain par wagons.

Je pourrais aussi entrer, messieurs, dans des développements en ce qui concerne le prix des chars-à-bancs et des diligences, mais je craindrais de devenir fastidieux. Je me bornerai donc à signaler à la chambre les résultats de mes calculs. Par le même tarif du 17 août 1841, M. le ministre des travaux publics a fixé à 50 cent. la moyenne des chars-à-bancs par lieue kilométrique ; la ligne du Midi compte 80 kilomètres, et l’on paie 5 fr. 25 c. ; la moyenne est donc de 32 cent. 81 centièmes, au lieu de 30 centimes.

Pour les diligences, la moyenne est fixée de 37 à 38 centimes. Eh bien, on paie sur la ligne du Midi 7 francs pour les diligences ; la moyenne est donc de 45 centimes 75 centièmes, au lieu de 37 à 38 centimes. Et je ne crois pas inutile de faire remarquer ici que la commission établie pour la vérification des tarifs avait proposé 40 centimes comme moyenne pour les diligences et que M. le ministre des travaux publics a repoussé aussi ce taux de 40 centimes comme trop élevé.

Messieurs, je n’en dirai pas davantage ; mais j’attends de la sollicitude et de la justice de M. le ministre des travaux publics, que son tarif du 17 août 1841, religieusement suivi sur les lignes du Nord, de l’Est et de l’ouest, soit légalement appliqué à la ligne du Midi.

Avant de terminer, j’appellerai aussi l’attention de M. le ministre des travaux publics sur un fait qui m’a été signalé. Il paraîtrait qu’un quart des convois de Quiévrain à Mons serait dépourvu de wagons. S’il en était ainsi, ce serait un véritable abus qu’il faudrait d’autant plus réprimer que cette mesure frapperait directement la plus pauvre des classes de la société.

M. Osy. - Il est à regretter que MM. les ingénieurs se soient trompés d’une somme si considérable pour l’achèvement du chemin de fer, mais je suis charmé que M. le ministre ait pu nous rassurer pour l’avenir et que la somme de 28 millions 250,000 fr. que nous allons voter suffira, et espérons qu’il n’y aura plus de mécompte et que ce sera le dernier emprunt pour ce grand ouvrage national. Mats je dois appuyer l’honorable M. d’Hoffschmidt et engager le ministre à faire tous ses efforts pour achever le plus tôt possible toutes les sections et surtout pour toucher bientôt à l’Allemagne, et de ne faire des ouvrages de luxe, comme celui de vouloir couvrir la station du Nord à Bruxelles, que lorsque le chemin de fer payera ses intérêts, et ainsi de ne faire que le strict nécessaire.

Pour ce qui est du Luxembourg, je voterai avec plaisir et comme acte de justice, les deux millions demandés pour les voies de communication ; mais je demanderai au ministre si, au moyen de ce subside, il n’y aurait pas moyen de s’arranger avec l’ancienne société pour continuer le canal de Meuse et Moselle, et je pense que cette communication par eau serait plus avantageuse au Luxembourg que des routes ferrées. J’espère que M. le ministre pourra nous dire s’il y a espoir de voir reprendre cette belle conception joindre ces deux rivières.

Il est prouvé, par le rapport de la section centrale, que l’entrepôt d’Anvers paye plus que ses frais d’entretien, ses intérêts et l’amortissement de l’emprunt de fr. 700,000, et a donné, en 1841, un excédant dépassant 4,000 fr. ; et le premier trimestre de cette année, sur celui de l’année dernière, a donné un nouvel excédant de 11,000 fr. J’engagerai M. le ministre des finances à vous communiquer les renseignements qu’il vient encore de recevoir de la commission de l’entrepôt, et vous serez convaincus que la somme de 1,500 mille fr. qu’on vous demande pour le parachèvement de ce bâtiment sera plutôt une ressource qu’une charge pour le trésor.

Il est démontré aujourd’hui que l’entrepôt ne peut plus suffire aux besoins du commerce, et comme l’intention du ministère est de déclarer finalement l’entrepôt territoire neutre, pas de doute que toutes les marchandises arrivant de l’étranger y seront déposées jusqu’à ce que les propriétaires se décident de les vendre a la consommation ou de les exporter en transit pour l’Allemagne et la Suisse : commerce que nous espérons de récupérer lorsque nous aurons atteint avec notre chemin de fer les frontières prussiennes.

L’entrepôt sert aussi pour des réexportations par mer, et il est probable que, de plus en plus, nous augmenterons notre commerce de grains et graines, et déjà aujourd’hui les embarras du commerce anglais font qu’il nous arrive en consignation des grains venant des ports anglais et qui peut-être plus tard seront réexportés en Angleterre après avoir payé d’assez grands frais de magasinage. Il n’y a pas de ports mieux situé qu’Anvers pour être entrepôt du Nord pour les autres parties de l’Europe, mais il nous faut un local où la douane n’a rien à y voir. Ce commerce si intéressant augmente notre navigation, notre main-d’œuvre, et ainsi, indirectement, donne encore des avantages au trésor.

Le chemin de fer achevé nous amènera aussi le commerce de transit d’Allemagne, Suisse et même de France, maintenant que nous avons organisé des départs réguliers à voile pour les Etats-Unis, l’Amérique du sud, et nos relations avec les Indes Orientales devront aussi augmenter, si nous parvenons à favoriser les importations directes, et lorsque nous aurons, dès le début de la session prochaine, adopté un bon système commercial, aujourd’hui tout le monde est d’accord que la question est mûre, et on ne diffère que sur quelques différences de tarifs ; lorsque nous aurons un bon système, notre marine marchande prendra un grand développement, mais encore il nous faudra des locaux pour nos importations, et il est plus que temps de mettre la main à l’œuvre, car sans cela nous pourrions voir les chemins de fer achevés et le bon effet de notre système commercial, si vivement réclamé, avant de voir l’achèvement de l’entrepôt, et comme l’année est déjà très avancée, ce ne sera que vers la fin de l’année 1844 que nous pourrons utiliser les nouveaux bâtiments, et en ajournant cette dépense qui sera productive, il sera à craindre que la session prochaine se passera sans décision, et alors l’achèvement pourrait nous reculer à 1846. Pas de question n’est mieux étudiée que celle-ci et dont les besoins se font si vivement sentir, et rarement vous voterez une dépense qui aura tant de chance d’être favorable au trésor.

Aujourd’hui notre entrepôt, comme avant 1830, ne suffit plus aux besoins du commerce, et la douane a dû accorder les avantages de l’entrepôt libre à des entrepôts particuliers, ce qui ne rapporte rien au trésor, augmente beaucoup la surveillance de la douane et expose toujours à la fraude, tandis que l’entrepôt libre, isolé et bien surveillé, rend toute fraude impossible.

Il est donc démontré que notre entrepôt est insuffisant, et lorsque d’ici à 2 ans nous aurons atteint les frontières prussiennes, le besoin se fera tellement sentir que nous aurions des regrets d’avoir perdu un temps précieux, et ainsi je puis en toute confiance vous engager, dans l’intérêt du trésor et du commerce, à ne pas accueillir le projet d’ajournement de la section centrale et comme il faudra aussi près de 2 ans pour achever l’édifice que nous vous demandons, je ne puis assez vous engager d’examiner maintenant mûrement cette question, et de décréter dès à présent la construction demandée par le ministère, pour que, quand notre communication avec le Rhin sera ouverte, vous ayiez à l’Escaut des locaux suffisants pour recevoir les marchandises qui doivent servir à notre commerce de transit, qui alimentera votre beau port d’Anvers, et augmentera les revenus du chemin de fer, et qui en aura besoin pour qu’un jour il ne soit plus une charge pour le trésor et aider au développement de notre navigation et commerce.

Il me reste à vous faire observer qu’ayant voté cette année une loi pour faciliter le transport en transit, de marchandises venant ou partant par le chemin de fer, la régence d’Anvers a dû faire un arrangement avec le ministère des travaux publics pour que l’arrivée et le départ se fasse de l’intérieur de l’entrepôt même, la surveillance ainsi sera facile, évitera toute fraude, et si vous ne décrétiez dès à présent la construction demandée, l’arrangement fait ne pourra pas avoir de suite, et le vœu de la loi de 1834 ne sera pas accompli ; car on avait bien décrété que le chemin de fer commencerait à l’Escaut, et nous pourrions ainsi atteindre toutes les frontières avant de voir achevé le point de départ.

Ainsi, vous voyez, messieurs, que la construction, ou pour mieux dire l’achèvement de l’entrepôt, est notoirement lié à l’achèvement des chemins de fer, que je suis persuadé que vous ne voudrez pas de l’ajournement proposé.

Lorsqu’avant 1830 on a construit l’entrepôt actuel, mais qui n’a été achevé qu’en 1831 ou 1832, notre ancien souverain avait une si haute opinion de notre commerce qu’il n’a pas hésité, comme particulier, de garantir aux actionnaires 5 p. c. d’intérêt, et aujourd’hui nous dépassons déjà ce revenu et le local est beaucoup inférieur aux besoins du commerce.

Ayant perdu, lors de la révolution, notre commerce et nos communications avec l’Allemagne, nous avons dû chercher d’autres voies, et maintenant que nous sommes sur le point d’en jouir, achevons en temps les anciens plans et tâchons de récupérer le temps perdu.

Je suis charmé de voir que la section centrale, à l’unanimité, vous propose de voter la somme de 1,750,000 fr. pour la canalisation de la Campine. Je ne doute pas que la chambre l’admettra également. Vous allez tirer du néant, une grande partie de la province d’Anvers et du Limbourg, et en dotant cette partie intéressante du pays de voies de communications faciles, peu dispendieuses, vous créerez pour ainsi dire une nouvelle province, et un vaste terrain vague augmentera la richesse du pays, et avant peu, j’en suis persuadé, en réunissant l’Escaut à la Meuse, vous verrez des landes incultes se transformer en champs fertiles et donner de l’occupation à une nombreuse population, et comme les terres ne font qu’augmenter en valeur et les baux arriver à un taux exorbitant dans nos provinces cultivées, on trouvera dans ces parties du pays des terres vierges qui bien vite seront habitées par ceux qui, dans leurs provinces, ne trouvent plus des moyens d’existence, et comme la population augmente considérablement, il faut chercher les moyens d’émigration d’une province à l’autre, ce qui est bien préférable à ces émigrations lointaines et chanceuses qu’entreprennent les Allemands, et dont nous avons vu cette année, à Anvers, des familles nombreuses.

Hâtons-nous donc de donner chez nous de l’occupation et des moyens d’existence avant que les Belges ne songent à imiter le funeste exemple de ses voisins.

Depuis plusieurs années les produits de la terre ont tellement augmenté que, pour les grains, nous sommes devenus tributaires de l’étranger, et au lieu d’être exportateurs, nous sommes presque toujours importateurs. Ainsi la fertilisation de la Campine nous procurera de nouveaux moyens pour diminuer nos importations et pour suffire à nos besoins.

Cette année, dans aucun pays de l’Europe le froment n’a été aussi cher que chez nous.

Je profiterai de l’occasion pour renouveler ma demande à M. le ministre des finances, pour nous présenter dès l’ouverture de la session prochaine un projet de loi pour la formation d’une commission d’amortissement et pour diriger en même temps les fonds de dépôt et consignations, et j’espère qu’il prendra des engagements formels à ce sujet, ainsi que de nous présenter une loi sur la comptabilité, et pour que la cour des comptes puisse entièrement remplir le but de son institution et de pouvoir avoir surtout le contrôle des recettes, qui est nulle pour cet établissement, et devrait être pour nous la garantie d’une bonne administration financière.

A cette occasion, comme on avait parlé dans ma section, qu’on avait fait un nouvel arrangement avec la banque de Belgique, j’ai voulu m’assurer si, en vertu de la loi de 1839, cet établissement continuait jusqu’au remboursement des 4 millions à payer 5 p. c. d’intérêt ; d’autant plus qu’au budget voté, nous avons porté de ce chef une recette de 200.000 fr.

Comme on assure dans le public que l’intérêt est réduit à 2 p. c. et n’ayant pu recevoir de la cour des comptes aucun renseignement, je demanderai à M. le ministre s’il est intervenu avec la banque une nouvelle convention, et si effectivement de ce chef nous aurons un déficit (erratum au Moniteur belge, n°252 du 9 septembre 1842 : ) de 120,000 fr. à supporter.

Je conçois qu’il est onéreux pour la banque de payer 5 p. c. lorsque le taux de l’intérêt est 3 1/2 à 4 p. c,, mais c’est en vertu d’une loi ; et s’il ne convenait pas à la banque de payer cet intérêt élevé, libre à elle de rembourser et nous réduirions nos bons du trésor, qui, avec les frais, nous coûtent près de 5 p. c.

Je prierai aussi M. le ministre de nous dire si c’est son intention de vendre nos domaines qui pourraient servir à l’amortissement de nos dettes et ainsi soulager d’autant notre trésor.

D’après les états déposés au bureau, je vois que nous avons des domaines de trois natures

1° Forêts dont on calcule la valeur à fr. 27,000,000

2° Terres et bâtiments, 500,000

3° Routes foncières, donnant annuellement un revenu de 66,500 soit au denier 20 près de un million trois cent mille francs.

La valeur totale de nos domaines sont donc évalués à près de vingt-neuf millions, et en les vendant successivement, ces fonds pourraient servir à l’amortissement de notre dette et de grever notre budget.

J’insiste d’autant plus sur la valeur de ces domaines qu’ils sont onéreux pour le trésor, car tandis que nous allons encore emprunter à 5 p. c., nous avons là un capital de 27 millions, qui ne rapporte, brut, que 330,000 fr. Et si j’en déduis seulement pour les agents forestiers la somme de 85,000 fr., il ne reste qu’une somme de 245,000 fr. Ainsi, pas 1 p. c. de revenu ; les terres et bâtiments produisent seulement 17,000 fr., soit, sur la somme de 500,000 francs, qu’un revenu de 3 1/4 à 3 1/2 p. c.

Ensuite, si ces propriétés étaient vendues, l’impôt foncier augmenterait et l’enregistrement par des mutations, et même par des droits de succession, car depuis qu’on a aboli le serment, il paraît que les fonds publics au porteur qui se trouvent dans les successions collatérales, se déclarent bien rarement.

Je crois donc, messieurs, qu’après ces détails vous insisterez avec moi à engager le gouvernement de nous proposer une loi pour la vente des domaines, et que vous serez convaincus comme moi, que ce sera une excellente opération financière.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, l’honorable préopinant m’a adressé cinq questions. La première relative à l’entrepôt d’Anvers ; la seconde, relative à la nomination d’une commission d’amortissement ; la troisième, relative à la loi de comptabilité ; la quatrième, relative au prêt qui a été fait à la banque de Belgique ; la cinquième, relative à la vente des domaines. Je vais tacher de répondre succinctement à ccs différentes questions.

Quant à l’entrepôt d’Anvers, je crois qu’il sera plus convenable de présenter les nouveaux renseignements que j’ai touchant cet établissement, lorsqu’il s’agira de l’article du projet de loi relatif à l’entrepôt. C’est pour ne pas embarrasser la discussion générale que je ne crois devoir rien dire à cet égard en ce moment,

Quant à la commission d’amortissement, le gouvernement n’est pas encore fixé à ce sujet. Une foule de considérations militent pour et contre l’institution d’une semblable commission ; toutefois, je pense que je pourrai faire connaître la résolution qui aura été prise à cet égard par le cabinet, lors de la discussion du budget des voies et moyens. Ce sera alors l’occasion de parler plus amplement sur cet objet.

Quant à la loi de comptabilité, elle est prête, elle pourra être présentée à l’ouverture de la session prochaine, en même temps qu’une loi corollaire, relative à la cour des comptes, laquelle est également achevée.

Quant à la banque de Belgique, il n’y a pas eu, messieurs, réduction d’intérêt, comme le pense l’honorable préopinant. Il y a eu offre, de la part de la banque de Belgique, de rembourser le capital en entier, et de le laisser en compte courant, ce que j’ai cru très convenable d’accepter, parce que d’abord il est toujours utile à un gouvernement d’avoir un fonds à sa disposition, et qu’en second lieu, il y avait une autre circonstance déterminante. Lorsque la banque de Belgique a augmenté son capital de 10 millions, elle a demandé à M. le ministre des finances d’alors de vouloir bien déclarer qu’il renonçait à toute action sur ces nouveaux capitaux pour la garantie du prêt de 4 millions ; le ministre des finances, M. Mercier, a fait cette renonciation ; moi, j’ai exigé que le prêt de l’Etat fût garanti par les anciens comme par le nouveau capital, c’est-à-dire par 30 millions.

Les quatre millions prêtés à la banque de Belgique sont donc à ma disposition, et je puis en disposer dès demain ; mais en les retirant, je devrai nécessairement les déposer dans la caisse du caissier général de l’Etat, où ils seraient improductifs d’intérêts.

Un membre. - Mais diminuez votre emprunt de 4 millions.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, quand même le gouvernement aurait 10, 15 millions à sa disposition de cette manière, ce ne serait pas un moyen de diminuer l’import de l’emprunt.

Les quatre millions prêtés à la banque de Belgique doivent diminuer d’autant la dette flottante ; c’est l’intention de la loi, c’est une opération toute régulière, et je ne comprends véritablement pas les interruptions qui se sont fait jour tout à l’heure à cette occasion, car c’est un acte très convenable et de bonne administration que j’ai posé.

Qui pouvait empêcher la banque de Belgique de rembourser immédiatement ? Personne. Or, je préfère gagner 2 p. c. à ne rien gagner du tout car, en définitive, quand les quatre millions seront dans les caisses de l’Etat, ils y seront improductifs d’intérêt ; mais ces quatre millions, comme je l’ai déjà dit, sont destinés à diminuer d’autant la dette flottante, parce que c’est au moyen de bons du trésor que les quatre millions ont été avancés à la banque de Belgique.

Quant à la vente des domaines, il y a beaucoup à dire pour et contre. Mais il me semble que cette question ne peut pas être traitée incidemment. D’ailleurs, je ferai remarquer à l’honorable préopinant que la vente des domaines ne produirait pas une ressource immédiate, en tant qu’elle pourrait diminuer l’importance de l’emprunt, car si vous voulez vendre avec bénéfice pour l’Etat, il faut accorder de longs délais, des délais de 8, 9, 10 ans, et conséquemment la chambre appréciera convenablement que le produit de la vente des domaines ne pourrait pas venir en déduction de l’emprunt. C’est une ressource future qui ne peut qu’ajouter au crédit de l’Etat.

M. de Theux. - Messieurs, en voyant réclamer de la législature une somme de 30 millions pour l’achèvement du chemin de fer, je dois exprimer le regret que j’éprouve, que le ministère n’ait pas voulu proposer les 1,500,000 fr. nécessaires pour acheter le chemin de fer du Limbourg.

Messieurs, vous avez tous reçu une pétition du conseil communal de Hasselt, aujourd’hui chef-lieu du Limbourg. Dans cette pétition on a exposé la triste situation de la seule industrie de la province, de l’industrie des distilleries on vous a montrée en même temps combien cette industrie rapportait de droits au trésor, et quelle influence elle exerçait sur l’agriculture et, en particulier, sur l’éducation du bétail.

Eh bien, messieurs, il est à craindre que si ce chemin de fer tarde longtemps à être exécuté, cette industrie ne périclite complètement, et ce serait là non seulement une grande calamité pour la province, mais ce serait même un mal pour le pays.

Dans cette même pétition, on a exposé, par des faits et par des chiffres, que le chemin de fer dont il s’agit produirait nécessairement son intérêt !

Et la raison en est que ce chemin ne se trouve en concurrence avec aucun autre embranchement du chemin de fer, car il serait seul dans cette direction ; en outre, il ne se trouve en concurrence avec aucune voie navigable. Or, on sait que les chemins de fer établis dans de telles conditions ont toujours de grandes chances de prospérité, en ce qui concerne le transport des marchandises.

Toutefois, j’espère que ce que le gouvernement n’a pas cru devoir faire en ce moment, il le fera à une époque peu éloignée ; que notamment ce chemin de fer obtiendra, sinon la priorité, tout au moins la concurrence avec d’autres chemins de fer, s’il en était réellement encore en projet.

En effet, messieurs, le Limbourg n’a obtenu pour l’établissement de son chemin de fer qu’une somme de 1,200,000 fr., et je prie mes honorables collègues de vouloir bien se rappeler combien de millions ont été dépensés dans les autres provinces, et certainement ils ne trouveront pas déraisonnable la demande d’une somme de 1,500,000 fr., pour achever le chemin de fer dans la province du Limbourg.

En ce qui concerne la canalisation de la Campine et les routes à construire dans le Luxembourg, je donnerai mon assentiment à la proposition comprise dans le rapport de la section centrale. Il est évident que ces travaux ont pour objet de donner de nouveaux développements à l’agriculture et à la population agricole. Eh bien, messieurs, je dis que cela est d’une haute importance, car la population agricole vient nécessairement au secours de la population industrielle, en ce sens qu’elle consomme les produits de l’industrie ; et qu’on veuille bien le remarquer, le marché intérieur, pour la Belgique surtout, est le principal débouché de l’industrie. On sait combien il est difficile d’obtenir des débouchés à l’étranger. Donc, plus il y a de consommateurs, plus les consommateurs sont dans une condition d’aisance, plus l’industrie trouve de véritables soutiens.

D’autre part, les populations industrielles ont besoin de céréales, ont besoin de bétail pour leur nourriture, et c’est toujours la population agricole qui leur fournit les moyens d’alimentation.

C’est aussi principalement dans cette population qu’on trouve, en temps de danger, des soldats pour la défense du pays ; car il est malheureusement reconnu que les populations industrielles fournissent le moins de soldats à l’Etat. La raison en est simple, c’est que ce genre de travail affaiblit nécessairement les forces physiques, et que conséquemment cette génération d’ouvriers industriels va toujours en décroissant. Par ces diverses considérations, il est de la plus haute utilité d’amener le défrichement des terrains encore incultes dans les provinces d’Anvers et du Limbourg, aussi bien que dans celle du Luxembourg,

J’attendrai la discussion sur l’amendement présenté par la section centrale, en ce qui concerne la canalisation de la Campine, pour répondre à la fin de non-recevoir qu’on lui a opposée, et aussi pour justifier dans ses détails le projet de la section centrale. Je crois que cette tâche ne sera pas difficile à remplir ; je démontrerai que jamais travaux plus productifs que ceux-là n’ont été entrepris par l’Etat. Je ne veux pas anticiper sur la discussion de cet amendement. Je craindrais que les considérations que je pourrais faire valoir, si je les présentais dans la discussion générale, ne fussent perdues de vue au moment du vote.

M. Pirmez. - A chaque loi d’emprunt qui vous a été présentée, j’ai toujours tâché d’attirer l’attention de la chambre sur une partie des ressources de l’Etat et de la décider à en user, je veux parler de ce qui reste invendu des bois domaniaux. Tout à l’heure l’honorable ministre des finances, sur l’interpellation de l’honorable M. Osy, a répondu que sur ce point les avis étaient partagés. Pour moi, je ne comprends pas comment sur de pareilles questions il puisse y avoir des doutes. Vous empruntez à 5 pour cent pour acheter une propriété, car le chemin de fer est une propriété et vous conservez des propriétés qui ne produisent pas un pour cent. Je ne puis concevoir que, sous ce point de vue, il puisse y avoir des doutes sur la nécessité d’aliéner nos biens nationaux. Non seulement ces propriétés ne produisent qu’un pour cent, mais vous vous privez, en les conservant, d’une foule de ressources qui dépasseraient de beaucoup ce produit, d’abord par les impôts qu’elles ne donnent pas et ensuite par les droits de mutation dont le produit est considérable. Car si vous calculiez les impôts et les droits de mutation que les propriétés particulières donnent à l’Etat, vous verriez qu’en peu de temps l’Etat devient propriétaire de tout.

L’honorable ministre des finances a dit : Il est impossible de faire usage maintenant de ces propriétés, c’est de l’argent qui nous faut sur-le-champ. Mais les Hollandais ont fait de l’argent au moment même lorsqu’ils ont mis en vente les propriétés de la Belgique. Ils ont touche réellement la valeur de la propriété au moyen des bons qu’ils ont vendus sur-le-champ et avec lesquels on pouvait acheter les propriétés mises en vente. Je veux parler des los-renten. Je ne vois pas qu’il soit impossible d’émettre une pareille rente qui serait remboursable par la vente des domaines. Dès aujourd’hui vous pourriez toucher la valeur des domaines. Il n’est donc pas vrai de dire que vous ne pourriez pas toucher dès aujourd’hui la valeur des propriétés que vous vendriez. Remarquez que nous sommes dans un temps très favorable pour vendre des propriétés, car nous sommes en pleine paix.

La propriété foncière a une valeur considérable, elle est extrêmement recherchée. Si nous voulons user de ces ressources, c’est dans ce moment qu’il faut le faire. D ailleurs l’inaliénabilité de la propriété foncière n’est plus soutenable, elle doit aller à qui en tire le plus de fruit ? Si vous ne l’aliénez pas, elle donne extrêmement peu de fruits ; la preuve c’est que des propriétés estimées 27 millions ne rapportent que 270 mille francs. J’ai vu dans le rapport qu’il y avait des propriétés domaniales qu’on croyait inaliénables. Pour moi, je crois que toutes celles qui ne sont pas nécessaires pour un service public, qui ne rapportent qu’une rente, sont toutes aliénables. Si on considère sur quoi est basée cette distinction du rapport, on voit que c’est seulement parce que beaucoup de personnes s’opposent, contre toute raison, à la vente de ces propriétés.

Comme l’honorable ministre des finances dit que c’est une question extrêmement contestée, je suppose qu’on reproduira les raisons qu’on a déjà données pour empêcher cette vente qui serait si favorable aux intérêts du fisc. On a prétendu qu’on ne trouverait pas d’acheteurs. Voyez si toutes les propriétés qu’on met en vente en Belgique ne trouvent pas d’acquéreurs. Si, sous le gouvernement hollandais, certaines propriétés domaniales n’ont pas trouvé d’acheteurs, c’est qu’on en avait mis une masse énorme en vente. Vous remarquerez qu’il est bien possible que certains administrateurs ne voulaient pas qu’on les vendît, et pour empêcher qu’elles ne fussent vendues, comme elles étaient soumises à l’estimation, en auront fait considérablement élever la valeur pour empêcher la vente. Si le gouvernement n’y faisait attention, cela se reproduirait infailliblement.

On a dit aussi, alors, que la Belgique manquerait de bois. Si c’est sous le rapport du combustible qu’on a exprimé cette crainte, je crois que ce n’est pas une chose que nous ayons à redouter, car nous sommes heureusement traversés par une couche de houille dans toute la largeur du royaume. S’il est un pays qui doive peu craindre de manquer de combustible, c’est certainement la Belgique, où les communications permettent de le faire arriver partout. Si c’est pour les constructions qu’on craint de manquer de bois, je dirai que nous sommes voisins de la mer, et que les bois de constructions arrivent en abondance dans nos ports.

On a été jusqu’à dire que les défrichements changeraient la température et que la hauteur des cours d’eau pourrait diminuer si on défrichait une plus grande quantité de bois. Sous ce point de vue, on peut répondre par l’exemple de l’Angleterre, où depuis un siècle les 15/16èmes des forêts ont été défrichés, comme cela arrive toujours dans les pays où la civilisation fait des progrès rapides. Cependant on ne s’aperçoit pas que la température y ait changé, du moins ce n’est pas d’une manière nuisible.

Et quant à la jauge de la hauteur des cours d’eau, on n’a pas vu qu’il y eût de différence. Du reste, si cela est à craindre, vous avez toujours droit d’empêcher qu’on ne défriche, comme cela se pratique en France. La France vend quelquefois des propriétés nationales ; dans les contrats de vente, il est stipulé qu’il n’est pas permis de défricher certains bois. Vous pourriez user de ce moyen, si tant est que cela convienne ; moi, je ne le crois pas. Mais si vous craignez des changements de température, et une diminution de la hauteur des cours d’eau, vous pourriez stipuler qu’on ne pourra défricher.

On a dit aussi que ces bois étaient soumis à des droits d’usage de parcours, de feuillées, de couper certaines essences de bois, droits qu’on a établis dans les temps où l’on cherchait la destruction des bois. Je crois que c’est précisément par cette raison que ces bois sont soumis à des droits d’usage, qu’il faudrait les vendre pour donner plus de valeur aux propriétés. Les bois ainsi en commun ne peuvent pas acquérir la valeur de propriétés livrées à un seul propriétaire. Cette communauté est une destruction de la propriété. Par là on n’entend pas qu’il faut ôter aux usagers leur droit, mais seulement la régler. La loi sur le cantonnement règle ce droit, elle donne aux usagers une plus grande valeur qu’ils n’en ont, et par le droit de parcours, et par tous ces droits qui sont la ruine de la propriété. Vous venez d’interpréter la loi sur le cantonnement d’une manière favorable pour les usagers, en donnant à ceux-ci le droit de recourir aux anciens titres ; les usagers ont donc tout à gagner dans ce partage.

J’espère que le gouvernement usera enfin de ses ressources et que nous n’irons pas emprunter à 5 p. c. pour acheter des propriétés, quand nous en avons qui ne rapportent qu’un pour cent. Je sais qu’on a l’idée d’affecter ces bois à une destination spéciale, qu’on voulait les affecter à la construction du canal de Meuse et Moselle. Je compte bien que la nation ne souffrira pas une pareille distraction, mais que toutes ces ressources seront employées pour le pays entier.

M. de Baillet. - Messieurs, les conclusions de la section centrale prouvent, ce qui, du reste, a été démontré par plusieurs décision de la chambre, que la première de toutes les conditions pour obtenir, c’est de demander ; de demander non pas une fois, mais chaque jour et à propos de tout.

La constance de l’honorable M. Peeters va être récompensée. On pourra commencer enfin les travaux de canalisation de la Campine ; à Dieu ne plaise que je blâme ce que je regarde comme d’étroite justice ! En donnant des routes au Luxembourg, en canalisant la Campine, vous ferez non seulement acte d’équité, mais vous mettrez certaines parties du pays à même de subvenir, pour leur part, aux dépenses énormes créées en faveur d’autres parties plus favorisées.

Messieurs, l’arrondissement que j’ai l’honneur de représenter ici est un des arrondissements de la Belgique pour lesquels rien n’a été fait. Il est connu au budget pour ce qu’il paye et à peine pour ce qu’il coûte. Nous demandons peu pourtant, et ce que nous demandons ce n’est pas pour nous seuls, c’est pour toute une contrée riche, puissante et à laquelle manquent seuls les moyens d’exploitation. La richesse est à fleur de terre chez nous ; ce que nous demandons c’est le moyen de l’utiliser.

Vous avez sillonné certaines provinces de lignes de fer. Nous avons payé pour que vos voyageurs se promènent en quelques heures et sans fatigue de la frontière du midi à celle du nord, de la mer au Rhin. Vos marchandises sont rapidement transportées dans toutes les directions. Nous payons, nous, et nos produits, nos fers, nos fontes, nos pierres, nos marbres, restent sans débouché parce que les frais de transport doublent le prix de la matière.

Ce que nous demandons, ce n’est pas que vous contractiez pour d’onéreux emprunts ; la voie des emprunts n’a été déjà que trop profondément creusée. Ce que nous demandons, c’est que l’Etat, ne pouvant tout faire par lui-même, appelle enfin l’industrie privée, les capitaux du pays à compléter son œuvre.

Messieurs, déjà depuis longtemps la chambre est saisie d’une proposition, aux termes de laquelle l’Etat garantirait un minimum d’intérêt pour de grands travaux d’utilité publique reconnue et à entreprendre par des compagnies. Un remarquable rapport sur cette proposition vous a été fait par l’honorable M. Dechamps. Quand nous avons demandé la mise à l’ordre du jour des conclusions de ce rapport, on nous a renvoyés à la discussion du projet de loi sur l’emprunt de 32 millions ; nous y voici, et la section centrale a à peine daigné nous entendre, et si nous le permettons, on nous ajournera à un prochain emprunt.

Ou se lasse de tout ; on se lasse surtout de payer pour que d’autres profitent. Nous en sommes là, messieurs. Disposés que nous sommes à admirer nos chemins dé fer, ces somptueuses stations qui figurent dans vos évaluations hasardées pour un, deux et trois millions, nous en sommes venus à vous demander ce que tout cela nous rapporte. Ennemi, autant que qui que ce soit, de l’esprit de clocher, je me lasse moi-même de donner l’argent de mes commettants, qui attendent, à ceux qui déjà ont tant reçu.

Quand je parle de la garantie d’un minimum d’intérêt à assurer par l’Etat pour de grands travaux d’utilité publique, j’ai un objet spécial en vue, je ne le nierai pas ; c’est le chemin de fer d’entre Sambre et Meuse. Mais que des objets d’une utilité aussi incontestable soient indiqués, et je serai prêt à leur accorder mon appui. Le chemin de fer d’entre Sambre et Meuse, que nous ne demandons pas à l’Etat de construire, pour lequel nous demandons seulement à l’Etat un appui indispensable, c’est la vie pour toute une contrée, pour une contrée étouffée aujourd’hui sous une richesse improductive. Nous sommes modestes, messieurs, nous nous contentons des miettes de l’énorme gâteau si largement partagé entre trois ou quatre provinces. Je sais que l’on va me répondre, et ce sont les bien rentés qui me répondront ainsi, qu’il n’y a rien de commun entre un emprunt et une garantie d’intérêt ; que l’emprunt est à l’ordre du jour et que la garantie de minimum d’intérêt à accorder pour de grands travaux d’utilité publique n’y est pas. Voulez-vous savoir, messieurs, quelle est la véritable différence entre l’emprunt que vous allez voter et ce que nous demandons ? La voici :

Vous voterez un emprunt avec commission de banque, intérêts quasi usuraires et remboursement onéreux. Ce que nous demandons c’est aussi un emprunt, mais un emprunt fait sur nous-mêmes ; un emprunt sans commission de banque, à un intérêt minime et seulement éventuel et sans remboursement du capital emprunté. Ne pouvez-vous faire cela pour nous que vous avez conviés à tant faire pour les autres ?

Messieurs, je ne pousserai pas l’exigence trop loin, je ne demanderai pas, comme la province d’Anvers, que vous preniez sur l’emprunt de quoi terminer la construction d’un entrepôt ; comme la province du Luxembourg, que vous décrétiez immédiatement la dépense de routes dont les études ne sont pas terminées ; comme la Campine, que vous commenciez ce qui est promis depuis Philippe le Bon ; comme les députés de Tournay, que vous votiez un petit embranchement de chemin de fer de six à sept millions. J’ajournerai mes prétentions à la session prochaine, mais je subornerai mon vote sur l’emprunt à une condition absolue.

Si le ministère ne déclare pas qu’il comprend nos besoins, qu’il reconnaît, je ne dirai pas l’utilité, mais l’indispensabilité du chemin de fer d’entre Sambre et Meuse, s’il ne s’engage pas à accepter, à provoquer même dans la session prochaine la discussion sur le rapport de l’honorable M. Dechamps, je voterai contre l’emprunt. Et si la promesse que je pourrais obtenir n’était pas tenue, je déclare, comme le faisait dernièrement l’honorable M. Peeters, dont l’exemple me paraît bon à suivre, que je voterai aveuglement contre toutes dépenses pour travaux publics. Il est temps que chacun en Belgique ait sa part, à moins que l’on ne veuille fractionner le pays et, par suite, cette chambre en deux camps : les privilégiés et les victimes.

M. Huveners. - Messieurs, je ne répéterai pas tout ce qui a été dit dans cette enceinte en faveur de la canalisation de la Campine ; je ne rappellerai pas les promesses, les assurances même, qui ont été données à différentes reprises par tous les ministères qui se sont succédé ; je n’énumérerai plus les différents titres que la Campine, et surtout le Limbourg, peut invoquer en sa faveur ; je ne reviendrai plus sur les tristes, sur les énormes sacrifices qui lui ont été imposés dans l’intérêt général. Je ferai seulement remarquer que la Campine a contribué aux immenses travaux publics exécutés dans le reste de la Belgique, sans en profiter et sans en obtenir une compensation qui lui est due en toute justice. L’honorable ministre des travaux publics nous l’a dit lui-même dans la séance du 21 février. dernier : « D’honorables députes du Limbourg, de la Campine et du Luxembourg, nous disait-il, vous ont entretenus des intérêts de leurs localités, qui exigent sans doute toute notre sollicitude ; ces localités, par leur situation, sont privées des bienfaits du chemin de fer, et je dois le reconnaître elles ont bien quelques droits à une compensation. » Il suffit d’avoir appelé l’attention de la chambre sur ces différents points ; pour le moment je n’entrerai pas dans plus de développements.

Je me bornerai à signaler quelques-uns des nombreux avantages que vous procurerez à la Belgique par la canalisation de la Campine.

Vous rendrez à la culture au moins 150,000 hectares de bruyères. Vous doterez la Belgique d’un nouveau pays de Waes ; vous créerez une nouvelle province, vous améliorerez le sort de 200,000 habitants, et cela tout en produisant un bénéfice certain au trésor par l’augmentation des impôts.

Vous procurerez de nouveaux débouchés, surtout aux provinces de Liége et de Namur : ces provinces expédieront leurs fers, leurs fontes, leurs chaudières, leurs tôles, leurs machines, leurs pierres, leur marbre, et surtout leur chaux et leurs houilles ; Anvers livrera des denrées coloniales et des cendres de mer servant d’engrais ; la Campine, ses bois de sapin et les produits de la culture, excédant la consommation.

M. le ministre des finances nous a dit, dans la séance d’hier, que le gouvernement ne pouvait se rallier au projet de la section centrale parce que cette section propose des travaux qui n’ont pas été décrétés en principe ; M. le ministre des travaux publics, de son côté. nous disait que la canalisation de la Campine n’était pas seulement utile mais nécessaire, mais qu’il ne pouvait l’appuyer avant que les différents projets en présence aient été mûrement examinés.

Ces motifs me touchent peu ; je pense que plus d’une fois des crédits ont été demandés au même moment qu’on proposait des travaux ; je dirai même que le projet en discussion nous en fournit l’exemple.

Quant à l’objection de l’honorable ministre des travaux publics, elle ne me paraît pas fondée ; je ne doute nullement de ses bonnes intentions et de la sincérité des paroles bienveillantes qu’il a prononcées, mais je ne conçois pour le motif pour lequel il ne peut appuyer notre demande. Il n’entre certes pas dans les vues de M. le ministre de faire faire, de nouveau, un cinquième projet. Eh bien, les trois premiers projets dont il nous a fait connaître la dimension, ne diffèrent en aucun point, quant à la première section, celle de Bocholt à la Pierre-Bleue, parce qu’il n’y a pas d’écluse sur cette section, qui doit servir d’alimentation à toutes les autres sections et par laquelle on doit nécessairement commencer les travaux : il n’y a donc que le quatrième projet à petite dimension qui diffère des trois autres ; il n’y a donc qu’un choix à faire entre deux projets : ce choix ne me paraît pas si difficile, d’autant plus que les auteurs des différents projets ont fait valoir les raisons qui militent tant pour l’un que pour l’autre système ; je conjure donc le gouvernement de se prononcer, de se rallier à la proposition de la section centrale, ou d’en proposer une autre ; et, si cela est impossible, qu’il appuie au moins le crédit demandé, en se réservant toute liberté, quant à la dimension. Je pense que la chambre ne reculera pas devant un pareil amendement, j’ai confiance en elle, elle a trop souvent témoigné et de son intérêt et de sa vive sympathie pour la malheureuse Campine. Je termine par une dernière considération, qui, je pense, mérite toute votre attention. Le Luxembourg et le Limbourg ont été unis et frappés du même malheur ; la chambre, je l’espère, ne voudra point les séparer lorsqu’il s’agit de faire un acte de justice, de leur accorder quelques faveurs.

Les députés du Luxembourg et du Limbourg se sont toujours en quelque sorte identifiés ; dans tous leurs discours, vous voyez leurs intérêts confondus ; les députés du Limbourg défendent constamment les droits du Luxembourg, et ceux du Luxembourg ne cessent de soutenir les justes prétentions du Limbourg. Hier encore l’honorable M. d’Hoffschmidt prit chaudement la défense de notre cause, je l’en remercie sincèrement ; il l’a défendue, j’ose le dire, autant que celle du Luxembourg, qui du reste n’en a pas besoin. Je ne m’explique point comment les membres du cabinet, et il y a parmi eux des Luxembourgeois, n’ont point compris la canalisation dans le projet, c’est sans doute involontairement ; je ne puis l’attribuer qu’à un oubli qu’on aura hâte de réparer. J’ai dit.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, si je prends la parole, c’est sans espoir de rallier à mon opinion la majorité de la chambre ; mais voulant motiver mon vote, j’ai cru qu’il était de mon devoir de vous donner les motifs qui me portent à refuser mon approbation au nouvel emprunt pour la construction des chemins de fer.

Si le gouvernement n’avait pas d’autres ressources que celles qu’on nous propose, je lui dirais : Économisez sur d’autres dépenses, créez-vous de nouvelles ressources ; vendez vos biens ou faites-vous payer de ce qui vous est dû.

Mais lever des capitaux pour faire des travaux qui seront sans produits, et vu notre position financière, je ne puis assumer l’immense responsabilité qui doit peser sur la majorité qui, par son vote, grève le pays d’une dette qui, par la suite et dans un temps très rapproché, nécessitera la majoration des impôts, de telle manière qu’on les verra doubler avant deux ans.

On nous dit que parmi trente millions nous demandés on achèvera les chemins de fer décrétés en 1839. On nous a dit : votez 82 millions, et nous aurons la somme nécessaire pour achever les chemins de fer.

Deux ans après on revient à la charge et on nous signale une erreur de 30 millions et plus.

En 1844 que nous dira-t-on ? Dieu le sait ; je ne serais pas étonné qu’on vînt nous dire alors : encore un petit effort, votez un petit emprunt nouveau de 40 à 50 millions, et nous parachèverons nos chemins de fer. Ah ! messieurs ne perdon s pas de vue que pendant la session de 1841 à 1842 nous avons compromis les finances du pays d’environ 80 millions et plus, résultat des votes de la chambre.

D’abord, n’avons-nous pas voté des dépenses :

1° Pour l’acquisition de la British-Queen ;

2° De l’allocation pour le canal de Zelzaete ;

5° Du chef des indemnités ;

4° Du sacrifice fait par la convention avec la France ;

5° Convention avec Bruxelles ;

6° Et finalement en votant l’emprunt qui vous est demandé.

Je vais faire ressortir les calculs erronés des ingénieurs.

En 1833, la route de Liége à la Prusse devait coûter 5 millions ; en 1839, nouveau devis, porté d’abord à 19 millions, mais réduit par le conseil du génie à 18 millions ; et, en 1842, le nouveau génie porte cette dépense à 30 millions 600 mille francs.

De deux choses l’une : ou on a trompé en 1833 et 1839 la législature et le gouvernement ; ou bien nos ingénieurs sont incapables d’apprécier les dépenses à faire pour construction. Et pour l’un ou l’autre de ces deux motifs, il est permis de ne pas croire à ce qu’ils nous disent en 1842.

Je crois que, comme je l’ai dit il y a un moment, la législature sera appelée à voter de nouveaux subsides pour les chemins de fer, et que finalement on reconnaîtra, mais trop tard, que le pays s’est laissé entraîner à des dépenses ruineuses et au-dessus de ses moyens.

Cette position, je l’ai prévue ; je m’y suis opposé dans le temps ; conséquent avec mes antécédents, je dois refuser mon approbation à l’emprunt qui nous est demandé pour être employé aux travaux du chemin de fer.

Comme je n’aurai pas voté les dépenses extraordinaires, lorsque l’on demandera d’augmenter les impôts, je serai en droit de voter contre.

En résumé ; je refuse d’assumer une responsabilité terrible, celle d’avoir compromis les finances du pays, de devoir recourir à écraser les contribuables d’impôts, et en final, de mécontenter les trois quarts de la nation.

Je serais cependant disposé à voter des fonds pour la construction de chemins empierrés (ainsi que pour la construction de canaux dans la Campine ), parce que je suis convaincu que toute dépense pour construction de routes empierrées, est une dépense qui doit produire un intérêt très élevé. Il ne faut pas considérer seulement le produit des barrières ; il faut faire aussi attention aux bâtiments qui s’élèvent sur les routes, au commerce qui s’y établit, à la plus value des propriétés, aux mutations qui se font sur une très grande échelle. Tout cela fait que les routes empierrées donnent indirectement un produit considérable à l’Etat. Ainsi il est certain que les propriétés qui obtiennent des routes acquièrent une valeur considérable et sont susceptibles de recevoir une augmentation de la contribution foncière.

Vous vous êtes aperçus, je crois, comme moi, que les chemins de fer décrétés ne sont encore rien, si l’on écoute les réclamations qui surgissent de toutes parts. Un honorable député de Mons vous a parlé, il n’y a qu’un instant, d’un nouveau chemin de fer à construire afin de relier avec Tournay la route de Bruxelles à Mons. Voila une nouvelle demande de chemin de fer ; et cette nouvelle demande va nous entraîner à une dépense encore très considérable. Mais cela ne suffira pas. On vous dit que ce nouveau chemin de fer va rapprocher notre capitale de la France. Sans doute, la ligne droite est toujours la plus courte. Ce chemin sera plus court que celui de Bruxelles à la France, par Gand et Courtrai. Mais, je le répète, cela ne suffira pas. Pour être conséquent, et pour rapprocher la France de l’Allemagne, et favoriser le commerce de transit, on demandera la construction d’un chemin de fer de Namur à Liége. Vous avez entendu un autre député vous parler d’un autre petit bout de chemin de fer. Il s’agit de prolonger le chemin de fer de St.-Trond à Hasselt. Voilà donc, de compte fait, trois nouveaux chemins de fer qui vous sont demandés.

On vous demande encore autre chose : On vous demande de garantir un intérêt de 4 p.c. pour un chemin de fer entre Sambre et Meuse. Mais on ne se bornera pas là. En établissant un chemin de fer de Tirlemont à Huy, vous reliez le Luxembourg au chemin de fer ; car une grande quantité de routes va se diriger de Huy, dans le Luxembourg. Voilà encore un chemin de fer extrêmement utile dans l’intérêt général et que certes on demandera.

Bref, je ne sais trop où nous marchons.

On nous a dit qu’une société était disposée à se charger de la construction du chemin de fer de Jurbise à Tournay. On objecte que cela nuira au chemin de fer de l’Etat. C’est possible. Mais il sera encore plus nuisible aux intérêts du trésor que ce chemin de fer soit construit aux frais de l’Etat. Je pense donc qu’il conviendrait de concéder la construction de ce nouveau chemin de fer à la société qui voudrait le construire à ses frais.

S’il est une chose que nous devons regretter tous, c’est que tous nos chemins de fer n’aient pas été construits par concession. Le gouvernement aurait pu donner des subsides, et il aurait fait une excellente affaire. Une société aurait construit le chemin de fer en dépensant la moitié de ce qu’a dépensé le gouvernement. C’est ainsi que je connais des blocs de pierre qui ont été confectionnés pour les travaux sur la Vesdre, livres à l’entrepreneur à raison de 30 fr., et payés par le gouvernement 60 fr. D’autres pierres d’une qualité supérieure payées par le gouvernement 120 fr. avaient été livrées à 65 fr. par le tailleur de pierres. Vous voyez, par là, comme le gouvernement paye cher. C’est assez naturel, dans le siècle où nous vivons, Quand ou prend à tout le monde, on ne prend à personne. On tire de l’Etat tout ce qu’on peut. C’est ce qui se fait partout. Je n’ose pas dire dans la chambre. Mais ne sommes-nous pas tous disposés à puiser un peu dans le trésor, sauf à le remplir ensuite par un emprunt ? N’est-ce pas ainsi que les choses se passent ?

A la vérité, on nous dit que le chemin de fer sera achevé moyennant une dépense de 153 millions et quelques centaines de mille francs. Pour moi, j’ai sous les yeux un calcul d’où il résulte que le chemin de fer coûtera, y compris l’emprunt demandé, au-delà de 200,000,000. On ne tient pas compte du reçu qu’on donne de l’argent qu’on reçoit. On ne calcule pas que, quand on reçoit 50 millions on donne pour 55 millions d’obligations. On ne tient pas compte des intérêts des capitaux.

Je ne serais vraiment pas étonné que les chemins de fer, quand ils seront complètement achevés, revinssent à la Belgique à 250 millions. En effet, vous le savez, lors des premiers travaux on disait que sur certains points la dépense avait été au-dessous des prévisions. Mais qu’a-t-on fait ? Pour achever le chemin de fer, après que la circulation avait commencé, on a dépensé autant qu’on avait dépensé auparavant. C’est ce qui est arrivé notamment sur la route de Malines à Louvain.

Le chemin de fer de Liège à la frontière prussienne est évalué maintenant 30,600,000 fr. Mais, moyennant cette somme, il ne sera qu’ébauché. Vous aurez les avalanches, les mille et un accidents auxquels il faudra porter remède. Je ne serais pas étonné que cette partie du chemin de fer coûtât 50 millions. Je sais que je suis mauvais prophète. Quand vous avez voté le chemin de fer, je disais que « les ingénieurs s’étaient trompés de moitié dans leurs devis. » On me répondait : « Il s’agit de travaux que vous ne connaissez pas, vous ne savez ce que vous dites. »

Malheureusement je n’avais que trop bien deviné. Je crains fort d’avoir bien deviné encore aujourd’hui. Je fais des vœux pour que je me trompe, lorsque je dis que les dépenses du chemin de fer s’élèveront à 250 millions, pour autant que vous vous en teniez aux lignes décrétées. Autrement, je ne sais où nous irions. Ne perdons pas de vue que nous marchons à pas de géant, je ne dirai pas vers la prospérité, mais vers la ruine du pays.

Ne perdons pas de vue que nous augmentons notre dette tous les ans, que nous diminuons nos ressources aussi tous les ans, qu’au point où, nous en sommes nous devons encore 5 à 6 cent millions de francs ; et que si nous continuons à marcher comme nous le faisons depuis quelque temps, je ne serais pas étonné que notre dette s’élevât à près d’un milliard.

(Moniteur belge n°254, du 11 septembre 1842) M. Desmet. - Pour ce qui concerne le principal point de l’emprunt, l’achèvement du chemin de fer, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de choses à dire. C’est le résultat des votes de la chambre. Vous avez voté des millions pour le chemin de fer ; il faut les payer. On ne peut espérer que les millions vont tomber du ciel, comme la manne, dans le trésor de l’Etat. Cependant ceux qui ont voté des millions se sont quelquefois trompés. Quand on a discuté le chemin de fer,, on a dit qu’il coûterait un demi-million par lieue ; l’opposition disait qu’il aurait coûte deux millions. Si l’on avait cru l’opposition, on n’aurait pas été aussi facile à voter tant de chemins de fer, par assis et levé, comme on l’a fait en mainte occasion. On ne croyait pas que, dans certaines parties, le chemin de fer aurait coûté de 4 à 5 millions ; on croyait qu’il aurait coûté peu de chose, un demi-million par lieue. Ceux qui ont voté le chemin de fer croyaient aux promesses du ministère ; on promettait alors de gros intérêts ; on assurait que le produit du chemin de fer aurait non seulement couvert les frais d’entretien, mais qu’il aurait donné un gros intérêt au trésor. On allait tellement loin qu’on a osé avancer qu’une grande part des voies et moyens aurait été faite par les bénéfices du chemin de fer.

On sait qu’on s’est grandement trompé ; au lieu de produire quelque intérêt de l’énorme capital qu’on y a employé, on aura grande peine de couvrir annuellement les dépenses d’entretien et de restauration.

Messieurs, non seulement le chemin de fer coûtera plus de deux millions la lieue, mais il faut encore prendre en considération les restaurations continuelles que l’on doit y faire. Déjà vous avez eu deux grandes restaurations.

Quand dans le temps nous avons dit que les billes en bois tendre ne dureraient que deux ou trois ans, on s’est moqué de nous, on nous a dit qu’elles dureraient autant que du bois de chêne ; le gouvernement doit voir maintenant combien il s’est trompé.

Ce que je viens de dire des billes, on pourrait le dire du renouvellement des rails. Ces recouvrements sont beaucoup trop nombreux. Je le répète donc, c’est la restauration des chemins de fer qui coûte surtout beaucoup.

Messieurs, il est vrai que le moyen des emprunts est très facile. Si l’on avait dû avoir recours à des augmentations d’impôts, on n’aurait pas voté aussi facilement de nombreux chemins de fer. Mais je vous prie de penser que si l’on conclut facilement un emprunt, plus tard il faut le rembourser, il faut en payer les intérêts. Remarquez que la Belgique a déjà une dette annuelle de 27 millions. Vous allez l’augmenter de 2 millions ; hier vous avez voté une rente perpétuelle de 300,00 fr. au profit d’une ville, de manière que vous allez avoir l’année prochaine à payer une dette de 30 millions, c’est-à dire du tiers de votre budget. Je ne sais comment le gouvernement n’est pas effrayé de voir un aussi petit pays, qui n’avait jamais eu de dettes, grevé d’une charge pareille.

Messieurs, j’en viens maintenant aux deux propositions secondaires qui sont celles qui concernent la Campine et le Luxembourg. J’appuierai ces deux propositions.

D’abord, quant au Luxembourg, nous devons considérer que cette province n’a rien gagné à la dépense énorme faite pour la construction des chemins de fer, que d’un autre côté elle a considérablement perdu par le démembrement.

Si j’appuie les travaux que l’on propose de faire dans le Luxembourg, c’est que j’y vois, d’ailleurs, l’intérêt général du pays. Je crois que le pays tout entier, aussi bien que la province, a besoin de communications nouvelles dans le Luxembourg pour le transport du fer et des ardoises que produit cette partie du pays. Aujourd’hui vous devez employer des ardoises étrangères, tandis que celles du Luxembourg sont aussi bonnes, sinon meilleures ; mais à défaut de communications, vous ne pouvez faire usage de ce que vous avez chez vous.

Il en est de même pour le fer. Le fer que produit le Luxembourg a une qualité qui ne se rencontre pas dans les autres fers du pays ; il n’y a que le Nord de l’Allemagne qui en produise de cette qualité. C’est parce que la fonte en a lieu par le charbon de bois, qualité essentiellement nécessaire pour les aciers et tous les objets pour lesquels on a besoin le fer dur. Vous ne pouvez faire arriver ce fer chez vous, et cependant vous en avez besoin pour faire du bon acier, de bons outils.

J’appuie donc fortement la demande de crédit pour la construction de communications dans le Luxembourg, communications se dirigeant aussi bien vers la France que vers notre propre pays.

Mais, messieurs, je crois qu’il y a quelque chose de plus que des routes à faire pour le Luxembourg. L’industrie, dans cette province, est dans une grande souffrance, et particulièrement en ce qui concerne les fers.

C’est à tel point que cette province a eu jusqu’à 25 hauts fourneaux en activité, tandis qu’il n’y en a plus un seul qui marche aujourd’hui. Je crois donc qu’il faudrait s’entendre avec l’étranger, et faire un traité qui servirait les deux pays, car aujourd’hui nous sommes réellement dupes de nos voisins, qui viennent chercher chez nous les moyens pour lutter contre nous et détruire nos branches industrielles.

Il est certain que si la Lorraine n’avait pas aujourd’hui vos charbons de bois, elle ne pourrait pas vous faire tant de tort pour les fontes. Mais je le dis, il faut absolument s’entendre avec la France. Les Français ont besoin de nous, et nous avons besoin des Français. Si l’on s’entendait avec cette nation, on pourrait introduire dans la Lorraine les fontes luxembourgeoises et les ardoises, comme nous recevons les ardoises françaises ; une communauté de marché est d’une première nécessité pour les deux pays, la France a besoin de nous comme nous avons besoin d’elle sous le rapport commercial et industriel.

En ce qui concerne la Campine, j’appuierai aussi le crédit qui vous est demandé pour sa canalisation. Mais je vois la Campine sous un point de vue plus élevé encore. J’y vois des milliers d’hectares à livrer à la culture. Or, de quoi se plaint-on aujourd’hui, et avec raison ? C’est que depuis que la population est si forte, il y a manque de céréales. Si vous aviez le malheur d’avoir une mauvaise moisson, vous pourriez craindre de voir une disette dans le pays, si d’autres contrées ne venaient à son secours.

Et, à ce sujet, je dois attirer l’attention du gouvernement sur un point. Je ne sais si au département de l’intérieur on a déjà pris des informations pour savoir quel est le montant de la récolte de cette année. Messieurs, il est vrai que le grain de cette année est d’excellente qualité, qu’il est plus pesant que celui d’autres années, mais je crois que le gouvernement fera acte de prudence en s’informant dans les communes à quoi on peut évaluer la moisson. J’attire sur ce point l’attention du chef du département de l’intérieur, parce qu’il me semble que le prix du grain tel qu’il est établi dans la loi pour en arrêter la sortie est trop élevé, et j’oserai même insister, dans le cas d’une nécessité reconnue, pour que cette loi soit modifiée par ordonnance ou arrêté royal pendant la vacance des chambres.

Messieurs, pour en revenir à la Campine, je dirai que livrer cette contrée à la culture, c’est faire acte de haute administration, c’est faire un acte qui appartient à notre époque. Dans tous les grands règnes, on s’est occupé à rendre fertile la Campine. Sous Charles-Quint, on a eu le projet de la canaliser ; il en a été de même sous le règne d’Albert et d’Isabelle. L’empereur lui-même, quand il a conçu ce grand projet de canal du Nord, avait en vue de rendre fertile la Campine.

Messieurs, cette Campine est, d’après moi, tellement intéressante, que si on pouvait la rendre à la culture, et quand on aura, par des moyens d’écoulement et d’irrigation, rendu fertiles beaucoup de prairies qui aujourd’hui sont des marécages ; on ne sera plus tributaire de la Hollande pour le bétail qui nous est livré annuellement en grande quantité.

Il est certain que la qualité de bétail qui nous vient de la Campine est très bonne, si pas meilleure que celle qui nous vient de la Hollande. Eh bien ! si vous aviez de bons pâturages dans la Campine, vous ne seriez pas tributaires de la Hollande qui, comme je viens de le dire, nous enlève d’énormes sommes pour le bétail que nous tirons de ce pays.

J’appuierai donc l’amendement proposé par la section centrale ; je l’appuierai sous ce point de vue que je veux dès aujourd’hui, par le vote de la somme demandée, consacrer le principe de la canalisation de la Campine. Si l’on ne consacre pas ce principe, il arrivera ce qui est arrivé dans les autres siècles, on ne fera rien.

Messieurs, je crois que si la Campine était fertilisée, elle augmenterait de 10,000 hectolitres la production du grain du pays, et dans un moment où la population augmente considérablement, il est d’une nécessité indispensable qu’on puisse trouver des moyens pour augmenter la subsistance.

Messieurs, quand je dis que j’appuierai l’amendement de la section centrale et la proposition telle qu’elle est conçue, je dois déclarer cependant que j’y mets certaines restrictions. Je voudrais que l’on fît intervenir dans la dépense les provinces, les communes et les propriétés intéressées ; mais je voudrais qu’on laissât le gouvernement libre de faire les travaux tels qu’il les jugera nécessaires. Et, en effet, on n’est pas encore fixé sur la nature de ces travaux, on ne sait pas s’il faudra un canal à petite ou à grande dimension. Je ne voudrais donc pas insérer dans le projet une disposition par laquelle le canal devrait se faire à petites sections.

il est aussi à remarquer que si vous voulez attirer une population dans une contrée, il n’y a qu’à y faire un canal à grandes sections. Eh bien ! il est nécessaire d’augmenter la population de la Campine, car sous bien des rapports il est nécessaire actuellement de ne pas laisser trop accumuler la population dans les villes et de l’éparpiller autant que possible dans le plat pays.

Messieurs, il y un moyen pour le gouvernement d’arriver à retirer des ressources de la Campine. Aujourd’hui les biens des communes y sont considérés comme vagues ; ils ne paient aucune contribution. Cependant vous avez vu que dès que le génie civil avait fait un plan de canalisation de la Campine, des propriétés qui n’avaient aucune valeur, ont été portées à 2 ou 3 cents francs l’hectare. Lorsque le gouvernement aura pris une résolution quant à la canalisation, je crois qu’il devra faire cadastrer ces terrains vagues et leur faire supporter l’impôt ; et dès que l’on verra les biens communaux imposés, ils seront mis en vente.

Messieurs, en appuyant fortement le principe de la canalisation de la Campine, je ne veux toutefois pas que ce travail soit confié à une société. Je crois qu’une telle mesure serait fort nuisible au pays et surtout à la Campine. Il faut que le gouvernement fasse cet ouvrage, et je crois, d’ailleurs, que l’intérêt de la somme employée sera largement couvert.

Messieurs, quand on vote continuellement tant de dépenses considérables, quand on voit que le chemin de fer nous a coûté tant de millions, et que toutes les parties du pays ont contribué à ces dépenses, il faut être juste et vouloir que chaque partie du pays en retire quelque avantage. Je ne parlerai pas ici de ma localité, je sais que ce n’est pas le moment ; mais je dois attirer l’attention du gouvernement sur deux objets.

Je parlerai d’abord du plan de canalisation générale que l’on nous a dit avoir été fait par M. l’ingénieur Vifquain. Jusqu’à présent nous n’avons pas encore vu ce travail. Je voudrais que M. le ministre eu hâtât l’impression pendant la vacance, pour qu’il pût nous être distribué au moment de notre rentrée.

Messieurs, il est un second objet sur lequel j’appelle la sollicitude du gouvernement, c’est la proposition de MM. Zoude et Puissant, qui tend à ce que le gouvernement vienne en aide à l’industrie particulière qui se présenterait pour exécuter des travaux publics dans les contrées qui n’ont pas eu la faveur d’avoir leurs ouvrages faits sur le trésor de l’Etat, je veux parler de la garantie d’un minimum d’intérêt pour les capitaux que ces travaux coûteront. J’espère bien que cette proposition sera appuyée par le gouvernement, car il faut cependant, s’il veut rester populaire, qu’il soit juste, et je vous le demande, messieurs, y a-t-il justice que telle ou telle contrée paye pour des travaux dont elle n’a aucun bénéfice et que rien ne serait fait pour elle. C’est bien peu de chose qu’on demande que la garantie du minimum d’intérêt et si vous voulez que la nationalité du pays se maintienne, il ne faut pas froisser les intérêts de certaines localités en satisfaisant à ce qu’exigent les besoins d’autres localités.

Eh bien, messieurs, qu’est-ce qu’on nous demande ? C’est qu’il soit porté tous les ans une certaine somme au budget pour garantir un minimum d’intérêt aux sociétés qui se chargeront de l’exécution de travaux d’utilité publique.

Ainsi, messieurs, il y a deux objets sur lesquels j’appelle l’attention du gouvernement, ce sont d’abord les travaux de canalisation, c’est ensuite la garantie d’un minimum d’intérêt, pour travaux d’utilité publique.

(Moniteur belge n°251, du 8 septembre 1842) M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - L’honorable M. Lange se trompe lorsqu’il pense que j’ai repoussé absolument les propositions du tarif et les chiffres que m’a proposés dans le temps la commission. Messieurs, la commission des tarifs avait proposé dans son rapport de fixer la proportion des prix entre les diverses voitures du chemin de fer à 2, 3 et 4, c’est-à-dire à 2 pour les wagons, à 3 pour les chars-à-bancs et à 4 pour les diligences ; elle avait proposé de fixer les prix par lieues parcourues à 20 centimes pour les wagons, à 30 centimes pour les chars-à-bancs et à 40 centimes pour les diligences. J’ai adopté en principe l’une et l’autre de ces propositions, mais j’ai cru qu’il fallait aussi respecter un peu les habitudes qui avaient été prises.

Le tarif existant fixait à 15 centimes le prix des wagons ; j’ai pensé que ce serait un changement trop brusque que d’élever ce prix tout à coup de 15 à 20 centimes et j’ai dès lors diminué jusqu’à 18 ou 17 centimes le prix de 20 centimes proposé par la commission. En ce qui touche les chars-à-bancs, j’ai de suite adopté le chiffre de 30 centimes, parce que les chars-à-bancs avaient reçu depuis quelque temps des améliorations qui permettaient que les prix en fussent élevés. Enfin, messieurs, en ce qui concernait le prix des diligences, j’ai abaissé quelque peu le prix de 40 centimes, parce que ses diligences, à raison des améliorations apportées aux chars-à-bancs et au bas prix qui existait précédemment pour ces dernières voitures, se trouvaient en quelque sorte abandonnés. Il a donc fallu rétablir un peu la proportion à l’avantage des diligences, afin d’engager les voyageurs à se porter vers ces voitures qui rapportent le plus au trésor. Le but que je voulais atteindre a été réellement atteint, car auparavant on ne comptait guère qu’une diligence par convoi, tandis que depuis l’on en compte 3 et 4.

Quant à la ligne du Midi, j’ai déjà expliqué dans une autre discussion comment il se fait que les tarifs de cette ligne sont quelque peu plus élevés que ceux des autres lignes.

J’ai dit alors que lorsque des nouvelles sections sont mises en exploitation, on y applique les bases des tarifs existants, mais en les combinant d’abord avec les prix des voitures publiques existants sur les routes ordinaires en concurrence avec la section ouverte à la circulation ; j’ai fait remarquer que de cette combinaison il résultait souvent une légère augmentation pour cette section ; d’un autre côté, j’ai aussi appelé l’attention de l’honorable M. Lange sur les détours qui existent sur certaines lignes, et dont il faut bien tenir compte ; j’ai fait remarquer que les voyageurs qui vont par le chemin de fer de Bruxelles à Liége ou à Gand, Bruges et Ostende, doivent faire plusieurs lieues de plus que par les routes ordinaires. L’on comprendra aisément qu’il faut tenir compte de ces détours dans la fixation des prix. L’on comprendra aussi que la réduction à opérer de ce chef, ne peut pas être faite entièrement pour le cas dont je parle, par exemple sur la section de Bruxelles à Malines, mais qu’il faut la faire porter sur toute la ligne, puisque sans cela il y aurait zéro à payer de Bruxelles à Malines.

Une partie de la différence est donc prise sur le trajet de Bruxelles à Malines, et, comme je l’ai déjà expliqué dans le temps, on peut d’autant mieux le faire que Malines se trouve être le point central d’une grande partie de nos chemins de fer ; que les convois de Bruxelles à Malines sont toujours fort nombreux et que dès lors on peut se retrouver sur la quantité des produits.

En ce qui concerne le tarif établi actuellement et provisoirement pour la ligne de Mons à Quiévrain, il est vrai de dire qu’il est un peu plus élevé que les autres, mais cela est dû aux mêmes causes que j’ai eu l’honneur de signaler.

Les prix de Bruxelles à Mons sont restés les mêmes, il n’y a eu changement que de Mons à Quiévrain, où l’on payait auparavant pour les diligences ordinaires 2 francs à l’intérieur et 2 fr. 50 dans le coupé. Eh bien, messieurs, le tarif qui était et qui est resté en vigueur pour la ligne de Bruxelles à Mons fixait le prix des diligences à 5 fr ; à ces 5 fr., on a ajouté les 2 fr. qui formaient le prix des voitures ordinaires, à l’intérieur, et l’on est arrivé ainsi au prix de 7 fr.

On ne paie donc pour les voitures de première classe du chemin de fer que le prix des diligences ordinaires, à l’intérieur et l’on a en outre l’avantage de la vitesse.

- Pour les wagons, messieurs, on a pris 62 1/2 p.c. du prix des diligences ordinaires à l’intérieur, c’est-à-dire 1 fr. 25 c.

Ensuite, messieurs, il y a aussi une chose à prendre en grande considération sur cette section de Mons à Quiévrain ; il faut tenir comptes des nombreuses stations intermédiaires qui y existent, et qui sont nécessitées par la grande population et la grande industrie que l’on trouve entre Mons et Quiévrain. De Mons à Quiévrain il n’y a que quatre lieues de distance et il y a quatre stations intermédiaires. Cela n’existe sur aucune autre ligne.

En ce qui touche le quart des convois qui se trouvaient dépourvus de wagons, ainsi que l’a annoncé l’honorable M. Lange, je dois reconnaître qu’à raison du grand mouvement qui s’est produit pendant le mois d’août sur le chemin de fer, mouvement qui a fait monter la recette de ce mois à 836,000 fr, qu’à raison de ce grand mouvement nous avons manqué sur plusieurs sections dans certains moments, de matériel, à tel point que nous avons dû quelquefois approprier au transport des voyageurs des voitures destinées au transport du bétail. Il en est résulté, messieurs, que sur la ligne du midi, l’administration du chemin de fer a dû faire un essai en quelque sorte forcé, mais qui a eu cependant un succès complet et a prouvé la justesse des vues que cette administration avait depuis longtemps.

Messieurs, le convoi qui part à 9 heures et 1/2 de Quiévrain, et à 10 heures 1/4 de Mons, est aussi celui qui transporte les dépêches arrivées par la malle estafette de France ; ce convoi, il fallait chercher à en accélérer la marche le plus possible. Or, l’administration avait remarqué qu’ayant lieu dans le milieu de la journée, il n’était presque pas fréquenté par les voyageurs des wagons ; et cela se comprend : les voyageurs des wagons appartiennent particulièrement à la classe ouvrière, et ceux là voyagent surtout le matin et le soir, et ne parcourent guère que de petites distances. Pour que les dépêches de France pussent arriver plus tôt à leur destination, on a, pour le convoi dont il s’agit, diminué le nombre des haltes, et comme, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, on manquait de matériel sur plusieurs sections, on a borné en même temps la composition de ce quatrième convoi aux chars à bancs et aux diligences. Il en est résulté que ce convoi ayant pu de cette manière acquérir plus de vitesse dans sa marche, et les voyageurs ayant pu être rendus bien plus tôt à leur destination ; il en est résulté dis-je, que ce convoi a donné le double de la recette que produisent les autres convois de la journée. C’est là un résultat réellement avantageux pour le trésor, que je délibère en ce moment sur la question de savoir s’il faut maintenir ce que le manque de matériel nous a forcé d’essayer.

Mais, je le répète, il faut toujours avoir égard, lorsqu’on compare le prix des tarifs sur diverses lignes, aux détours que les tracés eux-mêmes forcent les voyageurs de faire. C’est ainsi que bientôt la section de Courtrai à Mouscron, et celle de Mouscron à Tournay vont être mises en exploitation ; eh bien, on reconnaîtra qu’on ne peut pas appliquer lieue par lieue les bases de tarification aux voyageurs qui iront de Tournay à Bruxelles, car ils auront deux détours, le détour de Tournay par Mouscron sur Courtray, et ensuite le détour par Malines de Courtray à Bruxelles.

Un honorable membre a demandé quelle était la situation du gouvernement à l’égard du canal de Meuse et Moselle. Messieurs, le gouvernement a eu un procès à soutenir contre la société concessionnaire qui refusait d’exécuter le canal. Le gouvernement vient de gagner le procès, il y a peu de temps, devant le tribunal de Bruxelles ; la société a été condamnée à l’exécution du canal, et le gouvernement a été admis, à défaut de l’exécution par la société, à exécuter lui-même le canal et à se faire fournir les fonds par celle-ci. Le délai d’appel n’étant pas encore expiré, on ignore si la société appellera on non de ce jugement.

L’honorable M. Eloy de Burdinne est revenu sur les majorations de demandes de crédit pour l’achèvement des chemins de fer décrétés. Il a parlé des erreurs des ingénieurs ; il a rappelé les estimations de 1833 et de 1840, et il les a mises en regard de celles de 1842.

Messieurs, je crois que les estimations de 1833 n’ont besoin d’aucune espèce de justification. En 1833, on n’avait encore construit aucun chemin de fer en Belgique, on n’en avait presque pas construit même dans les autres pays. Il n’est dès lors pas étonnant qu’on n’ait pas pu prévoir exactement à combien la dépense s’élèverait. En 1840, on avait plus d’expérience, mais comme je l’ai fait remarquer à la section centrale, les principales différences proviennent des lignes à travaux extraordinaires et considérables qui étaient à peine commencées, et à l’égard desquels les projets de détails n’étaient pas à beaucoup près terminés.

Il faut tenir compte aussi des difficultés sans nombre que les ingénieurs ont eu à vaincre pour exécuter ces travaux ; il faut également tenir compte des plus grandes sommes qu’il a fallu payer pour l’achat des terrains. Et en effet, pour ne vous en citer qu’un exemple, et un exemple récent, le gouvernement vient d’être condamné par le tribunal de Bruges à payer pour 2 ares 65 centiares de terrain, 48,000 francs, soit 600,000 francs environ l’hectare. Après cela, l’on avouera qu’il n’était pas possible aux ingénieurs de prévoir de pareilles évaluations.

Ce qu’on ne pouvait prévoir non plus, ce sont les nombreux travaux qu’on aurait eu à exécuter pour les nombreuses usines qui longent le chemin de fer, et surtout dans la Vesdre. Vous savez, messieurs, que la Vesdre est entièrement semée d’usines très vastes. Eh bien, il a bien fallu donner à ces usines les communications qu’on leur enlevait par la traverse du chemin de fer ; il a fallu aussi leur rendre les eaux dont on les privait, et pour cela il a fallu faire toutes espèces de travaux non prévus en 1840, et au sujet de la plupart desquels le gouvernement a essuyé des condamnations de la part des tribunaux.

L’honorable M. Eloy de Burdinne a posé ce dilemme : ou les ingénieurs ont trompé les chambres ou ils sont incapables. Messieurs, ni l’une ni l’autre partie de ce dilemme n’est vrai ; je viens de prouver par ce peu de mots que les ingénieurs n’ont pas trompé et qu’il ne leur était pas possible de prévoir les sommes qu’il faut dépenser pour le chemin de fer, alors que les projets de détail n’étaient pas encore élaborés.

D’un autre côté, messieurs, je crois que nos ingénieurs ont donné assez de preuves de leur capacité, pour qu’on ne puisse pas les taxés d’incapables, partout à l’étranger on leur rend cette justice. Je viens même d’en recevoir une preuve convaincante, il y a peu de jours la société concessionnaire du chemin de fer de la Loire (d’Arbézieux à Roanne) m’a adressé une lettre dans laquelle elle me supplie de vouloir accorder un mois de congé à M. l’ingénieur Maus qui a dirigé les plans inclinés, pour aller donner à la société des conseils pour les plans inclinés qu’elle doit établir. Ainsi vous voyez que les ingénieurs de France s’adressent à ceux de Belgique, pour avoir les conseils de ses ingénieurs ; ceux-ci sont donc loin d’être incapables.

L’honorable membre a aussi parlé des routes empierrées ; il vous a dit que c’étaient là des routes qui, indépendamment du revenu qu’elles produisaient par les barrières, donnaient encore des revenus indirects par le bien qu’elles faisaient à l’agriculture et à l’industrie. Mais, messieurs, n’en est-il pas de même du chemin de fer ? Et ce qui le prouve mieux que toute autre chose, c’est ce que l’honorable membre vous a dit lui-même ; il vous a fait l’énumération des chemins de fer qu’on demandait de tous côtés, et remarquez-le bien, ces demandes ne sont appuyées que sur des intérêts industriels et commerciaux. Eh bien, si l’on demande des chemins de fer de tous côtés, c’est parce que les chemins de fer font indirectement du bien à tout le monde.

Messieurs, un honorable membre est revenu sur la distribution du mémoire de M. Vifquain. J’ai le regret de devoir dire à la chambre que le mémoire ne peut pas encore être distribué ; mais cependant je puis ajouter que M. Vifquain m’a donné l’assurance formelle qu’il pourra être distribué au commencement d’octobre, et j’aurai soin de l’adresser immédiatement à domicile à MM. les membres de la chambre.

M. Raymaeckers. - D’après le projet de loi présenté par M. le ministre des finances, la somme que le gouvernement propose d’emprunter est affectée : 1° jusqu’à concurrence de 28 ou 30 millions à l’achèvement des lignes décrétées du chemin de fer ; 2° jusqu’à concurrence de deux millions à la construction des routes dans le Luxembourg, et 3° jusqu’à concurrence de 1,500,000 francs au parachèvement de l’entrepôt d’Anvers ; cette destination spéciale exclut conséquemment la construction de tous autres travaux ; les habitants de la province de Limbourg ont dû dès lors être surpris que le ministère, qui a montré tant de sollicitude envers certaines provinces, était si peu soucieux des intérêts de la province du Limbourg. Les Flandres viennent d’être dotées du canal de Zelzaete, la ville de Bruxelles reçoit à charge du trésor public un subside de 300,000 francs par an, destiné à faire cesser les embarras financiers ; 1,500,000 francs sont demandés pour le parachèvement de l’entrepôt d’Anvers, deux millions pour la construction de routes dans le Luxembourg.

Cet acte de générosité ne pouvait dispenser le ministère de saisir l’occasion du nouvel emprunt pour gratifier la province de Limbourg d’une communication dont le besoin se fait si vivement sentir ; la canalisation de la Campine, le prolongement du chemin de fer jusqu’à Hasselt ont été signalés depuis longtemps comme destinés à dédommager les habitants du Limbourg des sacrifices qu’on leur a imposés dans l’intérêt général du pays ; si l’on excepte la construction de quelques chemins d’un intérêt secondaire, rien n’a été fait jusqu’à présent pour imprimer à cette province la richesse et la fertilité qui la mettront à même de rivaliser avec les autres provinces du royaume ; il serait inutile de faire ressortir la grande utilité qui résultera non seulement pour les provinces d’Anvers et de Limbourg, en particulier, mais en général pour tout le royaume, de l’établissement d’un canal destiné à lier l’Escaut au Suid-Willems-Vaart et à la Meuse ; cette utilité a été démontrée différentes fois jusqu’à la dernière évidence au sein des conseils provinciaux d’Anvers et de Limbourg ; le gouvernement la reconnaît ; M. le ministre des travaux publics a encore déclaré, dans la séance d’hier, qu’il juge la canalisation de la Campine nécessaire dans l’intérêt général du pays, et cependant il montre si peu de disposition pour mettre la main à l’œuvre ; depuis trois ans on n’a cessé de nous répéter que le corps des ponts-et-chaussées est occupé à faire un rapport sur les canaux et rivières, qui contiendra un chapitre spécial sur la canalisation de la Campine ; le rapport, jusqu’à présent, n’a pas été communiqué aux chambres. En disant qu’il n’a pas été communiqué, je me trompe peut-être, il a été en effet déposé sur le bureau de la chambre il y a trois ou quatre mois ; mais ce dépôt, messieurs, nous le savons, n’est qu’un leurre ; jusqu’à présent le rapport n’est pas imprimé, il n’est pas même rédigé ou achevé, et le ministère continue de répondre aux députations, qui lui sont envoyées du Limbourg et d’Anvers, ce que lui et ses prédécesseurs nous ont répondu depuis trois ans : qu’à la prochaine session les chambres recevront une communication ou seront saisies d’une proposition. Mais cette promesse ne sera pas plus exécutée que les précédentes, car si le ministère avait l’intention sérieuse de canaliser la Campine, il ne pourrait se dispenser d’affecter une partie de l’emprunt aux dépenses qu’entraîneront ces travaux. Si, par suite des lenteurs qu’a apportées le corps des ponts et chaussées dans la confection des plans et devis, on n’est point arrêté sur les dimensions du canal, rien n’empêchait de consacrer le principe de la canalisation dans le projet de loi et d’y affecter une certaine somme, sauf à ajourner l’emprunt de cette partie jusqu’au moment de l’exécution des travaux ; car ne perdons pas de vue que l’emprunt sera fait par termes, au fur et à mesure des besoins, et que dès lors il n’y avait aucune nécessité de grever le trésor de l’Etat du capital dont l’emploi ne deviendra nécessaire que lorsque les travaux seront en exécution ; le ministère ne peut, dès lors, se justifier de n’avoir rien alloué dans l’emprunt pour la canalisation de la Campine ; il y avait analogie parfaite entre le Luxembourg et le Limbourg : en dotant le Luxembourg de deux millions, il devait assigner une part égale au Limbourg ; aussi la section centrale, plus profondément pénétrée des sentiments d’une bonne justice distributive, a pris l’initiative en affectant une somme de 1,750,000 francs pour la canalisation de la Campine ; les habitants de la province de Limbourg puiseront au moins dans cette proposition la conviction que si leurs intérêts restent méconnus par le gouvernement, les mandataires de la nation, en autorisant de nouvelles charges, cherchent à faire concourir toutes les parties du pays au bénéfice qui doit en résulter. Eh, messieurs, veuillez le remarquer, d’après les renseignements recueillis par la section centrale, ce projet si gigantesque, dont l’exécution devait engloutir des capitaux immenses, sera réalisé au moyen de 3,200,000 fr. Je le demande, si en raison de légers sacrifices que le gouvernement supportera dans cette dépense, il était permis au ministère de priver la Campine plus longtemps d’une communication si éminemment utile, je ne puis m’empêcher de signaler un second fait qui démontre le peu de sympathie que le ministère porte à la province de Limbourg.

Il a été décrété, par la loi du 26 mai 1837, que le Limbourg sera rattaché par un chemin de fer au système général des railways ; il est vrai que depuis cette époque on a construit un bout qui part du tronc principal à Landen et s’étend jusqu’à Saint-Trond, ville située sur l’extrême frontière de la province, mais jusqu’à présent il n’y a que cette seule commune qui retire quelque utilité de la voie ferrée. On conviendra cependant avec moi que le gouvernement méconnaîtrait singulièrement le vœu de la législature en alléguant qu’il a satisfait par la construction de cet embranchement, dont la dépense n’a monté qu’à 1,200,000 francs, à toutes les obligations qui lui étaient imposées par la loi du 26 mai 1837. Les chambres, en votant cette loi, ont voulu faire participer au système général des chemins de fer, non pas une seule localité mais la province de Limbourg en général ; il serait par trop absurde de supposer qu’il serait entré dans l’intention de la législature de créer un chemin de fer pour une seule ville d’une population de 8,000 âmes, et n’ayant d’autres établissements industriels que trois fabriques de sucre ; ce n’est que par le prolongement jusqu’à Hasselt que le chemin de fer dans le Limbourg peut fructifier et devenir d’une utilité réelle à la province ; le mémoire qui vient d’être distribué aux chambres de la part du conseil communal de Hasselt le démontre à la dernière évidence. D’après des chiffres officiels puisés au bureau des accises et de l’octroi, le mouvement des marchandises, tant en importation qu’en exportation qui s’opère, année commune, dans la seule ville de Hasselt monte à 45 millions de kilog., indépendamment des objets expédiés par les diligences et du transport du bétail nombreux alimenté par les distilleries ; les recettes résultant de ce mouvement donneront infailliblement un bénéfice important au trésor, car la dépense résultant de cette construction n’est évaluée qu’à 1,500,000 fr. ; elle sera même réduite à 1,400,000 fr., par suite d’un subside offert par la ville de Hasselt ; cette somme est bien minime en raison des avantages immenses qui en résulteront pour la province et particulièrement pour la ville de Hasselt ; car ainsi qu’il a été prouvé par le mémoire auquel je viens de faire allusion, si le prolongement du chemin de fer ne s’opère pas, les nombreuses usines qui ont existé depuis tant d’années, et qui forment la seule ressource de la ville de Hasselt, sont frappées de mort par l’impossibilité de pouvoir soutenir la concurrence avec des établissements similaires qui travaillent dans des conditions plus avantageuses, par suite de l’économie qu’ils trouvent dans le transport de leurs produits et des matières premières. M. le ministre est au surplus convaincu de la grande utilité de ce prolongement, puisqu’il l’a fait figurer sur la carte annexée au rapport distribué récemment aux chambres ; il ne peut pas non plus révoquer en doute le bénéfice qui en résultera pour le trésor ; les renseignements qui lui ont été fournis doivent lui donner tous ses apaisements à cet égard, et les 104,000 fr. produits pendant 1841, par l’embranchement de Landen à Saint-Trond, quoique cet embranchement n’ait coûté que 1,200,000 fr prouvent au surplus que le trésor retirera un grand avantage du prolongement jusqu’à Hasselt, qui forme le centre du commerce et de l’industrie de la province du Limbourg. D’après tous ces faits, il est réellement surprenant que le ministère en réclamant de la législature 30 millions pour l’achèvement du chemin de fer, n’ait point compris dans cet emprunt la somme de 1,400,000 francs pour le prolongement de la route ferrée jusqu’à Hasselt. Si, contre mon attente, la province de Limbourg reste exclue de tout bénéfice du nouvel emprunt, je ne balancerai pas de voter contre le projet de loi.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, le gouvernement nous propose un nouvel emprunt de 33 millions 500 mille francs. Je ne puis dissimuler l’impression pénible qu’a produite sur moi cette proposition inattendue d’accroître encore notre dette publique.

Le pays, à la naissance de son indépendance, n’était en quelque sorte grevé d’aucune dette.

Un état de paix armé dispendieux mais inévitable la fit naître.

La reconnaissance de notre indépendance par l’Europe fut le prix d’une dette qui n’était pas la nôtre.

La Belgique, à peine constituée, songea à réaliser une communication éminemment nationale d’Anvers au Rhin, dont le projet nous avait été légué par nos pères, qu’ils avaient vainement tenté d’exécuter. Cette communication devait s’exécuter au moyen d’un canal ; on substitua aux voies navigables le système des chemins de fer récemment inventés. Un arrêté royal contresigné par notre honorable collègue, M. de Theux, du 21 mars 1832, mit en adjudication la concession d’un chemin de fer d’Anvers à Liége. Le devis estimatif de l’exécution dressé par les ingénieurs Simons et de Ridder était de 4,982,215 fl. des Pays-Bas, y compris les plans inclinés. Le tarif proposé était de 10 cents pour les marchandises en général, de 6 à 8 cents pour les marchandises pondéreuses et de fr. 9-20 par personne d’Anvers à Liège ; nous avons fait quelques progrès depuis ce temps.

En 1833 MM. Simons et de Ridder publièrent un mémoire important, car c’est sous son impression que la chambre vota la loi du 1er mai 1834. Le devis estimatif d’Anvers à Verviers et d’Anvers à Bruxelles de 16,500,000 francs.

L’intérêt de cette somme calculé avec les dépenses d’entretien et d’administration, des recettes et des péages établissait un chiffre de dépense annuelle de 1,200,000 francs.

Le revenu présumé, le moins élevé, était de 1,475,000 fr.

Le revenu compensait donc largement la dépense ; ce mémoire tendait à établir que le chemin de fer devait être exécuté par l’Etat. Le parlement, eu égard, si je ne me trompe, à l’importance politique de la communication proposée et aux calculs avantageux qui lui étaient présentés, adopta en 1834, après une mémorable discussion, l’exécution par l’Etat.

Le devis estimatif de la ligne d’Anvers à Bruxelles avec double voie, et d’Anvers à la frontière prussienne était de 17,990,000 fr. Par suite d’une réserve prise au sénat à propos d’une loi de concessions et de péages, le gouvernement nous présenta le 8 mai 1837, un projet de loi pour un chemin de fer à exécuter par l’Etat, de Gand à Tournay et à la frontière de France par Courtray. La discussion de ce projet modifia complètement le caractère du chemin de fer ; il ne s’agit plus dès lors seulement d’une grande communication d’intérêt général. L’intérêt provincial fut mis en jeu. Les provinces où la grande communication d’intérêt général ne passait pas voulurent en avoir chacune un lambeau ; sans réfléchir aux immenses dépenses dont le pays allait être grevé, chaque province s’adjugea un chemin de fer, et afin de l’avoir plus sûrement, on le vota à charge de l’Etat ; la question de savoir si les routes en fer d’intérêt secondaire au moins devaient être abandonnées aux compagnies, question qui avait soulevé de si longues discussions en 1834, ne fut plus même agitée, ou fut à peine agitée.

Le Luxembourg même obtint son chemin de fer ; et comme on le savait inexécutable, inutile, on ajouta cette réserve, que le tracé serait fixé par une loi ultérieure.

Les prévisions des avant-projets des lignes votées en 1834 et en 1837, y compris le matériel des lignes décrétées en 1834, s’élevait à 58,490,000 fr. ; la dépense est maintenant calculée à 153,870,905 francs. C’est un petit mécompte d’environ 85 millions, en tenant compte du matériel.

On nous demande 30,000,000 pour la suite de la section d’Ans à la frontière ; on nous demande donc pour cette seule section à peu près le double des prévisions de la dépense de toute la ligne d’Anvers à Bruxelles et d’Anvers à Verviers ; ces prévisions étaient de 16,500,000 fr. ; c’est cependant sous l’impression de ce chiffre, que nous avons voté la loi de 1834.

L’honorable M. Nothomb, dans une note de son rapport du 22 novembre 1839, qu’il a publié lorsqu’il était ministre des travaux publics, émet l’opinion que la législature n’a pas entendu renfermer le gouvernement d’une manière absolue dans la limite des devis des avant-projets, puisqu’elle a rejeté un amendement de l’honorable M. de Theux ainsi conçu :

« Le gouvernement ne pourra commencer l’exécution des sections autres que celles mentionnées au présent article (art. 2 de la loi de 1834), qu’autant que les devis estimatifs de la section de Louvain à Liége n’aient pas été dépassés. »

Je conçois que si les dépenses n’avaient dépassé les devis que de quelques cent mille francs, il n’y aurait pas à se plaindre ; car comme on ne procède ici que par millions, quelques cent mille francs paraissent peu de chose. Mais les dépenses ont été triples du devis. C’est ce que je ne puis assez blâmer, car je dirai avec l’honorable M. Eloy de Burdinne que ceux qui nous ont induits en erreur ou ignoraient les questions dont ils sont venus nous entretenir, ou ont cherché à atténuer les dépenses, afin de nous y engager plus sûrement.

Le gouvernement nous demande pour le moment 30,000,000 fr. pour achever le chemin de fer. On nous disait la même chose lors de la discussion de l’emprunt de 86,000,000 fr. ; cet emprunt était destiné à achever le chemin de fer.

Quant à moi, je pense que si nous ne prenons pas de mesures pour contrôler l’emploi de cet emprunt, il ne sera pas le dernier qui nous sera imposé pour achever le chemin de fer.

Mon honorable ami, le comte de Mérode, disait, il y a peu de jours, que tant qu’on abandonnerait à la discrétion des ingénieurs décorés, en raison de l’argent qu’ils dévorent, des frais de construction portés à près d’un million par kilomètre, il ne voterait pas, je crois, de dépenses nouvelles ; je dis, moi, que tant que le ministre des travaux publies sera seul chargé de lutter contre les prétentions du corps des ingénieurs, qui dispose de nos emprunts selon son bon plaisir, je ne puis compter que l’emprunt que nous votons sera le dernier destiné au chemin de fer.

Les dépenses ont dépassé les prévisions de près de 80 millions ; qui peut nous assurer que ces 30 millions suffiront ? M. le ministre aura beau m’en assurer, que mes doutes subsisteraient encore.

Quand nous votons les dépenses de l’Etat, nous analysons les budgets dans leurs détails les plus minces. Le moindre crédit est disséqué. L’allocation la plus insignifiante est rejetée, si on n’en justifie pas le chiffre ; et quand il s’agit du chemin de fer, nous puisons à pleines mains, par la voie onéreuse de l’emprunt, dans les poches des contribuables, pour livrer des millions à la discrétion des ingénieurs sans détail des dépenses présumées nécessaires.

Je pense que le moyen de prévenir le retour de mécomptes aussi nuisibles au trésor serait d’exiger un état détaillé de l’emploi de l’emprunt, ou bien qu’une commission fût chargée de procéder à une enquête sur les dépenses nécessaires pour achever le chemin de fer. Je me bornerai, pour le moment, à mettre cette idée en avant, qui mérite réflexion.

Je viens de dire que les détails nous manquaient ; je remarque cependant, au rapport de l’honorable M. Desmaisières, une estimation pour la nouvelle station du Nord à Bruxelles ; on l’estime à 1,315,000 fr. ; mais qui peut nous assurer que ce chiffre, tout énorme qu’il est, ne sera pas dépassé, ce qui sera très facile, puisqu’il n’existe pas de détails de dépenses ?

Je remarque encore pour les stations de Duffel, Contich, Vieux-Dieu et Anvers une somme de fr. 1,966,000 ; abandonnant pour les trois premières petites stations une somme de 166,000 fr., qui semble plus que suffisante, je trouve 1,800,000 fr. pour la seule station d’Anvers ; on dit que c’est pour construire une station intérieure. La station située, telle quelle est, a suffi jusqu’à présent ; on pourrait y ajouter les constructions manquantes ; pourquoi le gouvernement nous propose-t-il une dépense aussi exorbitante sans motifs que je puisse envisager comme sérieux, quand le pays est surchargé, comme il l’est, d’autres dépenses indispensables pour les travaux publics.

On nous demande 1,075,000 fr. pour une station à Charleroy ; mais cette dépense me semble hors de toute proportion avec une ville de troisième classe comme Charleroy.

Je le répète encore, les dépenses pour stations sont exorbitantes, et sont en désaccord complet avec notre état financier. On ne devrait faire que le nécessaire, l’utile ; et on sacrifie des sommes immenses, à la vanité des ingénieurs, à quelques exigences locales.

Je ne puis en dire davantage pour les dépenses qui restent à faire, n’ayant pas de renseignements suffisants. Mais je dirai quelques mots des dépenses effectuées sur la ligne de la Vesdre ; on dit que l’imprévu a dépassé toutes les prévisions, quant à la dépense il en est cependant, et de très fortes, qu’on aurait pu éviter, ce me semble. Pourquoi a-t-on toléré que les entrepreneurs s’écartassent des cahiers des charges pour aller chercher fort loin des terres nécessaires à un remblai, tandis qu’il était stipulé qu’ils devaient les prendre à peu de distance dans le lit du canal de Meuse et Moselle projeté. N’est-il pas résulté de cette déviation du cahier des charges, que le gouvernement s’est trouvé livré à la merci de exigences des entrepreneurs, auxquels il a fallu payer des sommes considérables et supplément ?

Pourquoi, sous la commune d’Angleur, a-t-on dirigé la route vers les usines de la société de la Vieille-Montagne, ce qui a nécessité la construction de 27 arches qui ne sont utiles qu’à cette usine, tandis qu’on aurait pu éviter cette dépense ?

Pourquoi exécute-t-on les massifs de maçonnerie en pierres taillées au lieu de moellons, luxe inutile, qui coûte 90 p. ce. de plus à l’Etat, c’est-à-dire des sommes très considérables ? Je pourrais pousser plus loin ces observations, quant à la ligue de la Vesdre, mais je n’irai pas plus loin.

J’ajouterai cependant quelques mots sur l’administration. Le système de gestion du chemin de fer doit tendre à se conformer à l’art. 5 de la loi de 1834. Cet article est ainsi conçu :

« Les produits de la route serviront à couvrir les intérêts et l’amortissement de l’emprunt ainsi que les dépenses annuelles d’entretien et d’administration. »

Les péages sont-ils assez élevés pour que cet article de la loi de 1834 soit exécuté. L’intérêt du pays exige cependant qu’il le soit, et cet article doit recevoir son exécution ; pourquoi nos péages sont-ils beaucoup moins élevés que dans les provinces rhénanes ? Le taux de ce pays devrait convenir au nôtre, ce me semble ; il n’y a donc pas lieu, selon moi, de diminuer le prix des places sur le chemin de fer du Midi, comme l’a demandé M. Lange. Il y aurait lieu plutôt d’élever le prix des places sur le chemin de fer du Nord au taux du prix établi sur la ligne du Midi. Il y aurait d’ailleurs encore des moyens de rendre le chemin de fer moins onéreux : beaucoup d’économies pourraient être introduites dans l’administration. Pourquoi ce personnel double et triple de celui qui, dit-on, existe en Angleterre, pays qu’on nous cite toujours comme modèle en fait de chemins de fer ? pourquoi ne pas mettre la confection du coak en adjudication ? ou au moins pourquoi ne le confectionne-t-il pas près des fosses d’extraction ? Le charbon pèserait 40 p. c de moins pour le transporter à pied d’œuvre. Il y aurait là de vraies économies à réaliser. Il existe dans les magasins de Malines des approvisionnements immenses, trop considérables, dont le pays paie les intérêts avec usure, puisque l’on me disait, que des masses énormes de draps s’y mangent aux vers ; quand on demande les motifs de ces approvisionnements absurdes, on vous répond ingénument, que c’était afin d’épuiser les crédits. Il semblerait réellement que tout ce qui n’est pas dépensé est perdu, et c’est ainsi que le crédit du pays s’épuise aussi.

Les paroles que je viens de prononcer n’ont pas un but d’opposition au cabinet ; mon seul désir est de voir mettre un terme aux emprunts, parce que je ne veux pas que mon pays soit surchargé d’impôts onéreux ; car c’est là la suite inévitable de ces grandes mesures, quand elles ne sont pas motivées par des besoins bien réels.

Je voterai donc l’emprunt, au moins en ce qui concerne l’achèvement du chemin de fer, en engageant le gouvernement à mettre plus de fermeté à introduire des économies, qui n’accommodent peut-être pas tout le monde.

Messieurs, on a remarqué avec étonnement que les travaux du chemin de fer s’exécutaient le dimanche, sans motifs d’urgence. Des travaux exigés par les entrepreneurs les jours du repos chrétien constituent, selon moi, une violation à la liberté de conscience, une atteinte grave à la morale publique. En effet, l’ouvrier consciencieux se trouve privé de participer aux bénéfices des travaux, dont le pays supporte la charge. L’ouvrier moins consciencieux, tenté d’ailleurs par le besoin de subsister, prend l’habitude de faire ce qu’il croit être le mal, et finit par négliger tous ses devoirs. J’espère donc que M. le ministre prendra des mesures efficaces pour faire cesser cet état de choses, en introduisant quelque clause à cet effet dans les cahiers des charges.

Quant aux propositions de comprendre le Luxembourg et la Campine dans l’emprunt, je ne pourrai m’y rallier d’une manière absolue ; ces dépenses ne me semblent pas assez urgentes pour que nous contractions des emprunts en leur faveur.

Mais, me dira-t-on, on a voté un chemin de fer au Luxembourg. Je répondrai qu’il serait en voie d’exécution s’il était exécutable ; il n’est donc rien dû de ce chef cette province, on ne peut lui donner l’impossible. On désire remplacer un chemin de fer inexécutable par une allocation pour des routes ; mais le Luxembourg a-t-il pour le moment encore besoin de routes après les routes nombreuses qui ont été exécutées sous le ministère de M. Nothomb ? Dépourvu de renseignements, il m’est impossible de voter des fonds sans en connaître l’emploi.

Le conseil provincial du Luxembourg, dans une requête au Roi du 19 octobre 1836, s’exprimait ainsi : « Sire, le conseil provincial attache la plus haute importance l’achèvement du canal de Meuse et Moselle. Il est profondément convaincu que l’établissement de cette grande communication est le meilleur moyen de vivifier le commerce, etc. Enfin, Sire, si les autres provinces vont bientôt être sillonnées des chemins de fer, avantage immense dont le Luxembourg seul sera privé, n’est-il pas juste dès lors que le canal de Meuse et Moselle lui serve de dédommagement ? »

Le conseil provincial envisageait donc le canal comme la voie de communication la plus importance, et comme destinée à lui servir de compensation pour les avantages des chemins de fer.

N’y aurait-il donc pas lieu d’appliquer les deux millions proposés, pour le canal de Meuse et Moselle, dont le gouvernement devra finir par se charger ?

Les éclaircissements que donnera le gouvernement décideront de mon vote.

Quant au canal de la Campine, je me suis dit : La circonstance est-elle bien opportune pour grever encore davantage le pays de nouvelles dépenses ?

N’y a-t-il pas lieu de l’ajourner ? l’ajournement m’a semblé ce qu’il y avait de plus sage ; j’y ajouterai un motif puissant ; les travaux immenses que nous avons entrepris depuis 8 ans cesseront d’ici à quelque temps. Que ferons-nous alors de ces milliers d’ouvriers qui se sont habitués à exister aux dépens de nos emprunts ? Ne sera-t-il pas alors fort utile d’avoir encore quelque chose à faire pour rendre la transition moins pénible. Cette pensée me semble très sérieuse, et doit nous engager à ne pas entamer tant de travaux à la fois, et à en ajourner quelques-uns.

Quant à l’entrepôt d’Anvers, j’adopterai les conclusions de la section centrale.

Messieurs, je dirai encore un mot sur les demandes nouvelles de travaux publics qui surgissent de toute part ; au train où en vont les choses, je commence à craindre une deuxième édition du vote de 1837. Alors, à propos d’une proposition du gouvernement, des amendements suscités par des influences d’intérêt provincial, grevèrent l’Etat de dépenses énormes, au moyen de l’accord le plus touchant entre toutes ces influences, En sera-ce encore de même en cette circonstance ? J’espère que non pour le bonheur du pays.

Anvers veut un entrepôt ;

Le Luxembourg, 2 millions pour ses communications ;

Tournay, un second chemin de fer ;

Charleroy, une garantie d’intérêt pour un chemin de fer ;

Le Limbourg, la continuation du chemin de fer de St-Trond jusqu’à Hasselt ;

La Campine, un canal.

Si ces prétentions réussissent à prévaloir, que deviendront les finances du pays ? Il faudra en définitive avoir recours à une augmentation de charges publiques considérable, qui deviendront des plus pénibles pour le pays. J’espère que la chambre ne se pliera pas à toutes ces exigences, et qu’elle les repoussera au moins en partie, en se rappelant que la Belgique n’est pas une mine d’or.

M. Zoude. - Lors du prêt de 4 millions des conditions ont été imposées à la banque, des devoirs ont été commandés aux commissaires du gouvernement pour surveiller l’exécution de ces conditions ; par l’une d’elles non seulement il est défendu à la banque d’exiger des établissements industriels sous son patronage, aucun paiement qui pourrait compromettre leur existence, mais il lui est encore prescrit de venir au secours de ceux qui en auraient un besoin indispensable.

Par un autre article des conditions, il lui est encore enjoint d’user de ménagements convenables à l’égard des personnes débitrices par compte, suivant les circonstances et leur position respective. La banque a rempli religieusement les obligations qui lui ont été imposées.

Elle a soutenu les établissements industriels et l’existence de la masse d’ouvriers qui en dépendent n’a pas été compromise un instant.

Elle a fait, parmi garantie, de nouvelles avances lorsque les besoins en ont été dûment constatés, et par le travail qu’elle a alimenté, l’ordre public a été maintenu.

Les ménagements commandés envers les débiteurs dont la position élevée aurait pu être compromise par des poursuites, ont été observés avec tout le soin et la délicatesse qu’a pu permettre l’élévation du chiffre dont ils étaient débiteurs et nonobstant une somme de 1 1/2 million à peu près est encore due par sept d’entre eux.

Comme commissaire du gouvernement avec mon honorable collègue et ami M. Desmet, nous pouvons garantir l’exactitude de ces faits.

Mais lorsqu’une société, violant ses statuts, est venue par une manœuvre jalouse se jeter dans le champ des escomptes, dans le but évident d’enrayer la banque, alors celle-ci ne pouvant plus supporter l’intérêt élevé de 5 p. c., a offert au ministre le remboursement intégral du prêt, en ne lui laissant pas ignorer, qu’affranchie désormais de toutes les conditions qui lui avaient été imposées, elle agirait envers les établissements industriels, comme envers ses débiteurs par compte, suivant qu’elle le jugerait utile à ses intérêts.

Que cependant, si on consentait à lui laisser cette somme à un taux raisonnable, elle continuerait à agir envers ses débiteurs comme par le passé.

M. le ministre, en homme prudent et éclairé, accepta l’offre sous la condition d’un remboursement intégral, quand les besoins du trésor l’exigeraient.

S’il eût accepté ce remboursement, le versement en eut été fait immédiatement à la société générale où le capital n’eût été productif d’aucun intérêt et où il échappait d’ailleurs à toute surveillance comme tous les fonds appartenant à l’Etat, parce que toujours le caissier général a décliné la compétence de la cour des comptes, tandis que dans les caisses de la banque de Belgique, le capital est constamment représenté en écus ou en bonnes valeurs escomptées, sur lesquels les commissaires du gouvernement exercent un contrôle permanent.

Il ne vous échappera pas d’ailleurs, messieurs, que pour améliorer une créance considérable de l’Etat, la banque a fait une avance de 2 millions à l’établissement de Seraing ; à défaut de ce subside, Il eût fallu recourir à la liquidation, et l’établissement le plus important du royaume, d’une réputation européenne, eût été anéanti et les créanciers du gouvernement compromis.

Après cette explication il me sera permis, à mon tour, d’interpeller M. le ministre des finances et de lui demander jusqu’à quel point, il a fait droit aux observations que la section centrale du budget des finances lui a adressées par mon organe en décembre dernier, sur la situation anormale du trésor vis-à-vis son caissier et notamment en ce qui concerne les fonds de la caisse d’épargnes, dont le gouvernement est moralement responsable ; la section centrale lui disait que dans tous les pays où de semblables caisses existent, les fonds en sont employés en achats de rentes sur l’Etat, ce qui en même temps qu’il donne de la sécurité aux déposants, contribue à améliorer le crédit public.

Si cette mesure d’ordre avait été adoptée en Belgique, l’imprudence de la société générale dans un procès où elle a succombé avec raison à Arlon, n’aurait pas inspiré de crainte sur les conséquences que cette cause pouvait entraîner.

Vous savez, messieurs, qu’un homme respectable du Luxembourg M. le baron de Marche avait versé près de 90 mille fr. dans la caisse de son agent, à Arlon, que cet agent infidèle est disparu, emportant avec lui les fonds de la caisse d’épargne et une partie des fonds de l’Etat.

Sous divers prétextes d’instruction la société générale voulut refuser le remboursement du fonds confié à son agent ; heureusement pour elle et pour le pays peut-être elle a succombé, car en cas de gain, son crédit n’eût pas seulement été ruiné dans le Luxembourg, mais très probablement détruit complètement dans tout le royaume. Or, peut-on sans trembler penser aux conséquences terribles qui seraient résultées de la demande de remboursement qui serait venue de partout à la fois.

Messieurs, je ne soulèverai pas le voile qui couvre l’abîme dans lequel la société générale eût alors entraîné l’Etat, sa profondeur ne peut guère être mesurée que par ceux d’entre vous qui connaissent l’énormité du chiffre de la caisse d’épargne.

M. le président m’impose le silence, je m’arrête et propose de passer à l’ordre du jour, à moins que M. le président ne veuille ordonner le comité secret. (voir au sujet de l’intervention du président, la motion d’ordre de la séance du 8 septembre 1842)

M. le ministre des finances (M. Smits) - Messieurs, je n’ai à répondre qu’à une demande qui m’a été adressée par l’honorable préopinant ; il m’a demandé si le gouvernement s’est occupé des questions qu’il a posées dans un rapport de je ne sais quelle date ; si le gouvernement avait pris des mesures de surveillance à l’égard du caissier de l’Etat ; s’il en avait pris, en ce qui concerne la caisse d’épargne.

Messieurs, le gouvernement a une entière confiance dans le caissier de l’Etat et il n’a pas de mesures à prendre à son égard. Quant à la caisse d’épargne, la société générale étant une société particulière, le gouvernement n’a pas à s’en occuper.

M. Osy. - Messieurs, je dois remercier M. le ministre des finances de l’empressement qu’il a mis à répondre aux diverses demandes que j’avais eu l’honneur de lui adresser.

Quant à ce qui regarde la banque de Belgique, je ne dirai plus qu’un mot : C’est que la loi du 1er janvier 1839, obligeait le gouvernement à faire payer un intérêt de 5 p. c. Certes, la banque de Belgique, étant en droit de rembourser le capital qui lui avait été avancé, quand elle le jugeait convenable ; le gouvernement a donc bien fait d’accepter le remboursement, mais ce dont je le blâme c’est de laisser ces fonds oisifs, ne produisant qu’un intérêt de 2p. c.

Le gouvernement a donc très bien fait de se faire rembourser par la banque, mais ce que j’ai blâmé, c’est d’avoir laissé oisifs ces 4 millions à 2 p. c. d’intérêt, alors que la loi fixait l’intérêt du prêt à 5. Nous avons aujourd’hui 11 millions de bons du trésor en circulation, il eût été plus convenable d’en réduire le chiffre à sept millions et d’employer le prêt qui avait été fait à la banque à en rembourser quatre millions,

M. le ministre des finances (M. Smits) - Ainsi que vient de le dire l’honorable préopinant, la loi qui ordonne le prêt à faire à la banque de Belgique ne s’oppose pas au remboursement. La banque ayant offert ce remboursement, j’ai dû l’accepter. Ensuite, rien ne devait m’empêcher de lui laisser la somme à 2 p. c- d’intérêt, au lieu de la verser entre les mains du caissier de l’Etat, où elle serait improductive d’intérêt.

M. Osy. - Il aurait mieux valu diminuer d’autant les bons du trésor.

M. le ministre des finances (M. Smits) - C’est mon intention. La dette flottante s’élève à 22 millions ; je puis, d’après la loi, émettre des bons jusqu’à concurrence de cette somme ; eh bien, j’étais résolu de n’en émettre que jusqu’à concurrence de 18 millions. Mais, incontestablement aussi, il est plus avantageux pour l’Etat d’avoir une somme de 4 millions à sa disposition, et produisant 2 p. c. d’intérêt, que de les avoir sans intérêt dans les mains du caissier de l’Etat.

Au reste, le gouvernement et les chambres doivent se féliciter de cet état de choses, car quand on a prêté 4 millions à la banque, beaucoup de membres croyaient que c’était à fonds perdus ; heureusement cet établissement s’est relevé, il a gagné la confiance et le crédit, et aujourd’hui aucun créancier n’a rien à craindre. C’est un établissement solide qui marche avec prudence et qui mérite toute confiance, et j’ajouterai toute la sollicitude de la chambre et du gouvernement.

M. Lebeau. - Je renoncerai à la parole, car l’opinion que je me proposais d’exprimer l’a été par l’honorable préopinant, et j’adhère entièrement à ce qu’il a dit.

Je ferai seulement observer qu’il y aurait beaucoup à dire sur le droit que M. le ministre des finances s’attribue d’opérer un placement quand des fonds sont rentrés au trésor. Je crois que ce droit est très contestable et que M. le ministre, en opérant un placement semblable, pourrait gravement compromettre sa responsabilité. Il n’avait pas plus le droit de faire un placement en fonds du trésor dans un établissement, pour lequel je dirai en passant que j’ai prouvé ma bienveillance autrement que par des paroles et dont je n’ai en ce moment que du bien à dire, que dans aucun autre. Si ce précédent passait sans protestation, il en résulterait que chaque ministre des finances qui aurait à sa disposition des sommes dont il n’aurait pas à faire immédiatement l’application, pourrait les prêter non seulement à une institution comme la banque de Belgique, mais à tout établissement privé, en stipulant un intérêt quelconque. Je crois que le gouvernement n’a pas le droit d’agir ainsi ; je crois de plus que le fait d’avoir consenti à un pareil emploi de fonds en se bornant à exiger un intérêt de 2 p. c., alors qu’au même instant nous étions probablement obligés de faire un appel au public et aux capitalistes pour avoir de l’argent contre des bons du trésor, à 4 et à 5 p. c. d’intérêt, est un fait difficile à justifier, au point de vue purement administratif et abstraction faite de toute question de localité, de convenance et de délicatesse.

M. Delehaye. - J’avais demandé la parole pour exprimer mon opinion sur un acte qui a été posé par M. le ministre des finances, mais les observations que je me proposais de soumettre à la chambre ont en grande partie été présentées par les honorables préopinants. Il est un fait cependant qui n’a pas été relevé. Quand un débiteur rend à un créancier ce qui lui a été prêté, c’est qu’il n’a plus besoin du prêt qui lui a été fait, et le créancier, quand on lui offre de rembourser, est obligé de recevoir. Mais quand la banque imposa au gouvernement l’obligation de recevoir le remboursement du prêt de 4 millions ou de le lui laisser à 2 p. c., il est étonnant que le gouvernement n’ait pas exigé qu’on lui remboursât aussi d’autres sommes qu’il avait prêtées sans intérêt.

Quand le gouvernement a prêté ces quatre millions à la banque, ce fut pour la tirer d’un mauvais pas. Indépendamment de ce prêt, je sais que d’autres fonds ont été accordés à la banque sans intérêt. A moins que ces fonds n’aient été remboursés, voici ce que je me serais dit à la place du gouvernement. La banque n’est plus reconnaissante de ce qu’on a fait pour elle, elle exige que nous lui laissions les quatre millions à 2 p. c., ou que nous en acceptions immédiatement le remboursement. Eh bien, j’exigerais, de mon côté, qu’elle rembourse les autres sommes que je lui ai prêtées, et pour lesquelles elle ne paie aucun intérêt. Je crois que le gouvernement sentira qu’il est de la dignité du pays d’exiger le remboursement des sommes avancées sans intérêt. Je crois que ces sommes montent à un million.

Messieurs, c’est presque la menace à la bouche qu’on est venu exiger la conservation des 4 millions à 2 p c. ! J’aurais exigé alors non seulement le remboursement de ces 4 millions, mais aussi, celui des millions que je viens d’y indiquer.

C’est une chose assez étrange, on donne un très mauvais exemple en disant que le gouvernement a pu enfreindre les lois pour maintenir l’ordre public ; car ici, ainsi que l’a dit M. Lebeau, il n’était pas permis à M. le ministre des finances de disposer des fonds prêtés à la banque. Il est fort étrange, dis-je qu’un gouvernement enfreigne les lois, et cela par suite de menaces. Vous avez entendu ce qu’a dit M. Zoude ; si le gouvernement n’avait pas consenti à laisser les 4 millions à la banque à 2 p. c., elle faisait un mauvais parti à l’établissement de Seraing et les ouvriers venaient à Bruxelles compromettre l’ordre et la tranquillité. Moi qui appartiens à une ville industrielle et qui tiens à cœur à ce que l’ordre y soit maintenu, si on me disait : nous sommes dans une gène extrême, de grandes concessions ont été faites à un établissement de Bruxelles, pourquoi ne nous ferait-on pas les mêmes concessions et que je répondisse : le gouvernement a cédé à la peur, que ferait-on ? On me dirait : nous aussi nous pouvons le menacer ; dans ce cas que ferait le gouvernement si les fabricants de Gand mettaient sur le pavé leurs nombreux ouvriers ? C’est un événement que pour ma part je ferai en sorte d’empêcher, je ferai tous mes efforts pour que l’ordre soit maintenu, mais le gouvernement qui a cédé à la menace en conservant à la banque le prêt de 4 millions avec réduction d’intérêt à 2 pour cent, ne s’expose-t-il pas à précipiter le pays dans un désordre extrême ? Je n’en dirai pas davantage sur cette question.

Il importe qu’un gouvernement se tienne toujours à l’abri de la loi, car c’est là qu’il trouve sa force. C’est quand on méconnaît les lois qu’on avoue sa faiblesse. Respectons les lois et le désordre ne sera pas à craindre.

M. le ministre des finances (M. Smits) - Je dois déclarer qu’il n’y a pas eu de menaces de la part de la banque. J’ai écouté les paroles de M. Zoude avec autant d’attention que l’honorable M. Delehaye, et je n’ai pas entendu qu’il ait parlé de menaces ; s’il l’eût fait, il y aurait eu inexactitude de sa part. Il n’a parlé que du remboursement que j’ai accepté et que j’ai bien fait d’accepter.

M. Delehaye. - Quelques honorables collègues avaient compris comme moi que dans les paroles de M. Zoude il avait été question de menaces qui auraient été adressées au gouvernement par la banque.

M. Zoude. - Vous avez mal compris ; il n’en est rien.

M. Delehaye. - S’il n’y a pas eu de menaces, j’en félicite le gouvernement ; mais c’est ce que beaucoup de collègues avaient compris comme moi.

Je dirai maintenant un mot de la proposition d’emprunt dont vous être saisi par le gouvernement pour faire face à diverses dépenses et notamment à celles que nécessite l’achèvement des lignes du chemin de fer. Il n’entre pas dans mes intentions d’examiner s’il y a exagération, si le gouvernement n’a pas été induit en erreur quand il a cru que le coût du chemin de fer n’irait pas au delà de telle somme, il est certain qu’il y a un déficit de 28 millions pour l’achèvement du chemin de fer. Je ne pousserai pas l’opposition jusqu’à refuser les fonds pour des travaux qui ont été décrétés par la législature. Je crois donc que l’emprunt demande pour l’achèvement du chemin de fer doit être autorisé. Je lui donnerai mon assentiment.

La section centrale a proposé d’allouer des fonds pour la canalisation de la Campine. Je ne crois pas qu’on puisse faire des travaux plus utiles. Quelle que soit la position fâcheuse de nos finances, je dirai que ce seront des fonds extrêmement bien placés que ceux qu’on emploiera à la canalisation de la Campine, car la construction de ce canal augmentera les ressources du pays en augmentant sa richesse, cette nouvelle voie de communication ne tardera pas à combler et au-delà la dépense qu’elle aura occasionnée.

D’autres membres ont demandé des fonds pour la construction d’un chemin de fer de Jurbise à Tournay. Je ne puis, comme M. Dumortier, vous faire apprécier l’importance de cette communication, mais il me suffit de jeter les yeux sur la carte pour en reconnaître l’utilité. Ce chemin doit-il être construit actuellement ? Je voudrais que la chose fût possible, mais dans l’impossibilité de savoir comment on fera face à la dépense, je ne puis lui donner mon vote, si l’on ne décrète pas en même temps la vente des biens domaniaux. Je pense avec l’honorable M. Pirmez, que cette vente est nécessaire. On en a évalué le produit à 240,000 fr., ou 1 p. c. de leur valeur. C’est le produit qu’on en aurait par les contributions, produit que viendraient encore augmenter les droits de mutation et de succession, qui arrivent de vingt en vingt années. Le pays gagnerait à les vendre, et, de plus, nous épargnerions les frais d’exploitation, qui sont assez importants.

Je refuserai donc pour cet objet toute demande d’allocation qui ne serait pas précédée de la vente des biens domaniaux. Je reconnais l’utilité de cette communication, Mais je ne l’appuierai que pour autant qu’elle doive être construite avec des deniers provenant de la vente de nos domaines.

Une autre observation a été faite à laquelle je réservais ma réponse pour la fin. C’est relativement à la construction de routes dans le Luxembourg. Je ne puis pas admettre les motifs sur lesquels on a appuyé la proposition qui vous est faite d’accorder une allocation pour cet objet. La loi de 1837 avait, il est vrai, décrété l’exécution d’un chemin de fer dans le Luxembourg, mais il fut aussitôt reconnu que ce chemin de fer ne serait d’aucune utilité pour le pays. Je ne sache pas qu’un chemin de fer soit fait dans l’intérêt exclusif d’une province. Tous ont été faits dans l’intérêt général du pays ; et il ne servirait à rien au pays qu’un chemin de fer fût fait dans le Luxembourg. Je n’admets pas qu’un chemin de fer puisse être construit dans l’intérêt d’une localité ; car s’il pouvait en être ainsi, nous avons des contrées autrement importantes que le Luxembourg qui auraient droit d’en réclamer. Que diriez-vous si les pays de Waes, d’Alost, de Renaix venaient vous dire : Nous n’avons pas un seul mètre de chemin de fer, et vous, vous en avez décrété pour le Luxembourg ; que répondriez-vous ?

M. d’Huart. - Vous avez l’Escaut et le canal de Zelzaete.

M. Delehaye. - Je remercie l’honorable membre de m’avoir interrompu ; je lui demanderai ce que l’Escaut vous a coûté ? c’est un don de la nature. Il y a plus : L’Escaut donnait un produit considérable à la province, ce produit nous a été enlevé par la révolution à nous Flamands. En effet, vous savez, messieurs, que le roi Guillaume nous avait concédé les produits de ce fleuve. Ne citez donc pas l’Escaut car vous profitez de ses produits qui sont versés dans les caisses de l’Etat. Cet exemple est donc mal choisi.

On invoque en faveur du Luxembourg, la cession d’une partie de cette province à la Hollande. Mais nous souffrons autant de cette cession que le Luxembourg belge. Examinez les votes ; vous verrez que les députés des Flandres se sont opposés à la cession dans la même proportion que les députés des autres provinces. Si j’accorde deux millions pour construction de routes, dans le Luxembourg, ce n’est pas par les motifs qui ont été allégués ; ces motifs me paraissent très dangereux.

Ce qui m’engage à voter pour les travaux réclamés en faveur du Luxembourg, c’est l’intérêt général qui se rattache à ces constructions ; mais non l’intérêt de localité ; en effet, prétendre qu’il faille faire des sacrifices pour une localité qui ne serait point favorisée d’une ligne de railway, c’est engager une grande partie du pays à venir nous adresser des réclamations.

Quant aux autres travaux dont je reconnais l’utilité, je leur donnerai mon assentiment, du moment qu’on aura décrété la vente de biens domaniaux ; leur produit permettra au gouvernement de doter le pays de travaux très utiles, comme il pourra en même temps faire toutes les constructions vivement sollicitées par les localités qui constamment sont menacées d’inondation.

Lorsque j’ai été interrompu au commencement de mon discours, je voulais demander à M. le ministre des finances, à quelle époque on avait remboursé les 4 millions. Je le prie de répondre actuellement à ma demande.

M. le ministre des finances (M. Smits) - En avril.

M. Delehaye. - Il y a donc déjà une perte sensible, et peut-être même depuis a-t-on déjà émis des bons du trésor.

M. Rogier. - Le nouvel emprunt présenté à la chambre a surpris beaucoup de membres. Je suis au nombre de ceux que ce nouvel emprunt a surpris. J’avoue très franchement qu’en proposant en 1840, à la chambre, le vote d’un crédit considérable pour l’achèvement du chemin de fer, j’avais alors la conviction que cette somme considérable serait suffisante. Mes raisons de croire à la suffisance du crédit, je les puisais dans un travail auquel à la vérité je n’avais présidé en aucune manière, mais dans lequel je devais avoir toute confiance, puisqu’il avait été préparé par les ingénieurs, les inspecteurs et par le ministre enfin, qui était à la tête de l’administration des travaux publics à cette époque.

Par la lettre du 16 avril 1840, c’est-à-dire trois jours avant sa sortie du ministère, l’honorable M. Nothomb écrivait à son collègue des finances qu’un emprunt de 70 millions serait nécessaire pour pourvoir à l’achèvement des chemins le fer et à la construction des routes empierrées, décrétées par des lois antérieures. Cette lettre fut imprimée à la suite du rapport de l’honorable M. Demonceau. Il résultait de la lettre de l’honorable M. Nothomb, qu’une somme de 66 millions serait suffisante pour l’achèvement de tous les chemins de fer. Encore, sur cette somme, le ministre d’alors croyait qu’on pourrait employer 4,720,000 fr. pour la construction des routes ordinaires. Ce qui réduisait à 62 millions la somme demandé pour le chemin de fer. Eh bien, la chambre m’accorda au-delà 7 millions en plus : 69 millions 472 mille francs furent votés pour le chemin de fer.

Ainsi, alors que la somme nécessaire, supposée par mon honorable prédécesseur, fut augmentée par la chambre de plus de 7 millions, j’avais le droit de croire, d’assurer à la chambre que la somme demandée serait probablement la dernière. Toutefois je ne m’étais pas fait complètement illusion. Je n’entreprends pas ici ma défense. Je pourrais me considérer comme hors de cause dans cette question, au point de vue ministériel. Les évaluations soumises à la chambre n’étaient pas mon ouvrage ; elles étaient arrêtées, quand je suis entré au ministère. Cependant je ne prétends pas décliner la part de responsabilité qui peut retomber sur moi, du chef de la défense de ces évaluations. Mais enfin voici ce que je disais à la chambre, dans une de ses premières séances : « Si vous accordez au gouvernement la somme qu’il demande, vous lui fermez en quelque sorte la porte à de nouveaux emprunts. Je ne prends pas pendant ici l’engagement de terminer le chemin de fer avec les sommes réclamées ; je n’affirme pas que ces grands travaux n’exigeront pas d’autres crédits ; mais j’espère que nous n’en aurons pas besoin. » (Séance du 2 juin 1840.)

Ainsi vous voyez avec quelle réserve nous nous sommes exprimé, lors du dernier emprunt. Dans notre opinion, il était possible encore que de nouveaux crédits fussent nécessaires. Mais nous pensions qu’il pourrait y être pourvu par d’autres ressources par des emprunts. Aujourd’hui que d’autres ressources n’ont pas été découvertes, il faudra bien encore recourir (et cette fois il semble que c’est la dernière) à un nouvel emprunt.

On dit qu’une fatalité est attachée à tous les travaux publics entrepris par le gouvernement. C’est un honorable membre qui l’a dit dans la séance d’hier. Il trouve que les travaux exécutés par le gouvernement lui coûtent toujours trop cher, que toutes les prévisions sont constamment dépassées. La fatalité, si fatalité il y a n’est pas pour les travaux du gouvernement seul. Cette fatalité pèse d’abord sur les particuliers. Il n’y a pas de particulier qui n’entreprenne quelque travail, sans que ses prévisions soient dépassées. Le contraire est au moins très rare.

Ensuite les sociétés concessionnaires ne sont pas plus habiles que le gouvernement. Si vous rapprochez les estimations des travaux entrepris par les sociétés concessionnaires des dépenses définitives, vous verrez que les sociétés n’échappent pas plus à la fatalité que le gouvernement. Il y a des exemples sans nombre de travaux qui ont coûté plus du double, plus du triple des évaluations primitives.

Je citerai quelques exemples. Je les prendrai de préférence en Angleterre, où le système des concessions particulières fleurit depuis longtemps, et où le gouvernement en général n’intervient pas directement dans les travaux publics.

Je rappellerai d’abord les 23 canaux du midi de l’Angleterre.

L’estimation première était de 317,000 fr, par lieue. La dépense réelle et définitive a été de 792,000 par lieue.

Pour le canal de Forth et Clyde, en Ecosse (12 lieues), l’estimation première était 150,000 liv. st. Onze actes successifs du parlement ont autorisé de nouvelles dépenses qui se sont élevées de 150,000 liv, st. à 541,000 liv. st. ; soit 4 fois et demie l’estimation première. Pour le chemin de fer de Liverpool à Manchester plus particulièrement connu sur le continent, l’estimation première était de 510,000 liv. st. Le parlement a dû, par 5 actes successifs, autoriser de nouvelles dépenses pour ce chemin de fer, de telle manière que les sommes définitivement dépensées se sont élevées à 1,500,000 liv. st.

De Londres à Birmingham, la dépense réelle a été plus que doublée des évaluations.

De Londres Greenwich, l’estimation était de 400,000 l. st. La dépense a été de 1,500,000 l. st.

De Leipsig à Dresde, on assure que la dépense réelle a été double des évaluations.

De Paris à Saint-Germain, l’estimation était de 3,900,000 fr. La dépense réelle a dépassé 14 millions.

Le chemin de fer de Paris à Versailles (rive gauche) a été construit, comme on sait, par une société particulière. Les travaux avaient été évalués a 6,700,000 fr. La dépense a été de 18 millions.

Si l’on avait des doutes sur l’exactitude de ces derniers chiffres, je communiquerais des documents officiels d’où je les ai tirés, ce sont les rapports même des administrateurs qui n’ont pas intérêt à exagérer la dépense.

On pourrait multiplier les exemples.

Ce n’est pas que je veuille excuser à tous égards ce qui a été fait en Belgique. Je reconnais qu’après six ans d’expérience, en 1840, on aurait dû fournir au gouvernement des estimations plus exactes. Sous ce rapport certains reproches ne seraient pas dénués de fondement.

Mais il faut être juste pour tout le monde. A commencer par le chemin de fer, il ne faut pas l’accuser d’avoir absorbé des sommes considérables, d’avoir dépassé énormément les prévisions, d’avoir créé un gouffre dans le trésor public. Il ne faut accuser qui que ce soit d’ignorance ou de mauvaise foi. Quant à l’ignorance dont on accuserait les ingénieurs, les travaux du chemin de fer, on peut le dire, ont révélé des talents dignes d’honorer tout les pays. S’il n’a pas été donné à quelques-uns de ces hommes d’assister au couronnement de l’œuvre qu’ils avaient si glorieusement commencé, ce n’est pas une raison de se livrer contre eux à des attaques injustes. Je parle entre autres de l’ingénieur qui avait été chargé des travaux de la Vesdre. Il est aujourd’hui dans la disgrâce. Je crois que cette disgrâce est un événement fâcheux et peu mérité par lui. Quiconque a eu l’occasion de travailler avec cet homme distingué, avec cet homme qui en dépasse de très loin d’autres qui ont apprécié bien légèrement les services qu’il a rendus, quiconque, dis-je, a été en rapport avec un pareil homme, peut dire que la Belgique serait trop heureuse d’en compter un grand nombre tel que lui dans son sein, que le ministre serait trop heureux, s’il pouvait toujours conserver autour de lui de pareils talents, de pareils lumières et de pareilles probités.

Eh bien ! ces ingénieurs dont j’ai parlé tout à l’heure, ont proposé, en 1833, un chemin de fer, mais, dans de certaines limites, un chemin de fer raisonnable ; un grand travail, à la vérité, mais qui n’avait rien en soi d’exagéré. Il s’agissait, messieurs, de lier l’Escaut au Rhin, de donner un port de mer à l’Allemagne, d’attirer en Belgique le transit de ce pays. Il s’agissait, messieurs, d’un chemin de fer limité, établi sur de larges bases, je le reconnais, mais qui ne devait pas entraîner le trésor dans des dépenses aussi considérables que celles qu’il a dû subir depuis.

Le chemin de fer proposé en 1833 comportait une longueur de 58 lieues, et une dépense de 23 millions, non compris le matériel ni les stations. Dans la discussion, messieurs, le chemin de fer s’accrut d’une longueur de quinze lieues, parce que l’on voulut que la loi consacrât immédiatement le principe d’un chemin de fer passant par le Hainaut. Voilà donc l’œuvre première accrue de quinze lieues.

En 1837, messieurs, l’engouement avait été croissant. En 1834, beaucoup de personnes repoussaient le chemin de fer comme un fléau. En 1837, tout le monde voulait des chemins de fer. En 1840 tout le monde en voulait encore, et enfin en 1842, ce chemin de fer que l’on nous représente quelquefois encore aujourd’hui comme une lèpre pour le pays, comme une source de ruine pour le trésor, c’est à qui s’en disputera un morceau.

Eh bien, en 1837 c’est la chambre qui entraîna le ministère qui n’eut pas la force de lui résister, dans de nouvelles créations, dans de nouvelles dépenses. Aux 58 lieues primitives accrues de 15 lieues pendant la discussion, on ajouta 37 lieues nouvelles qui durent accroître dans la même proportion la dépense. Outre ces 37 lieues nouvelles, le ministère décréta trois stations dans la ville de Bruxelles. Une seule station suffisait. On en ajouta deux nouvelles, et cela pour se donner le plaisir de planter Bruxelles au milieu des chemins de fer, de couper en deux le chemin de fer, de, de diviser ce qui aurait dû rester indivisible.

Voilà comment les dépenses se sont successivement accrues et comment l’on est souverainement injuste de venir reprocher soit aux ingénieurs, soit aux administrations antérieures, d’avoir entraîné le pays dans des dépenses qui dépassent les prévisions premières. C’est la chambre qui a voulu ces dépenses. Quant à moi je ne lui en fais pas un reproche ; mais je combattrai tous les reproches qui s’adresseraient aux ingénieurs, attendu que, s’il y a eu des exagérations, ces exagérations n’ont pas été leur fait.

Les reproches, au reste, portent eux-mêmes le cachet de l’exagération. Un honorable préopinant, répétant les paroles d’un de ses honorables amis, vient de nous dire que le chemin de fer coûterait un million par kilomètre. Je crois avoir bien compris M. de Man.

M. de Man d’Attenrode. - J’ai parlé de la ligne de la Vesdre.

M. Rogier. - C’est différent, je croyais que vous aviez parlé du chemin de fer en général, et dans ce cas il y aurait eu une exagération qui dépassait toutes les bornes.

Messieurs, le chemin de fer primitif, ainsi que je vous l’ai dit, aurait entraîné le trésor dans une dépense évaluée d’abord à 23 millions. Mais si je la double, et si j’arrive à une somme de 46 millions, on avouera que cette dépense pouvait facilement être supportée par le trésor.

Aujourd’hui, d’après de nouvelles évaluations, il y aura 153 millions à dépenser. En 1840, nous avions pensé que 125 millions suffiraient. La dépense en plus se divise de la manière suivante : pour les lignes tant en construction qu’en exploitation l’on demande 17,900,000 fr. ; pour les stations l’on demande 6,420,000, et enfin pour le matériel on demande une augmentation de 5,060,000 fr.

Je dois remarquer que ces différentes augmentations réunies présentent en total une somme de 29,381,000 fr., et que cependant on ne demande que 28,206,000.

M. Demonceau. - Si l’honorable M. Rogier le permet, je lui expliquerai d’où provient la différence ; c’est que les prévisions de 1840 étaient inférieures aux sommes votées.

M. Rogier. - Messieurs, j’ai dit qu’en 1840 l’expérience de 6 années aurait dû mettre MM. les ingénieurs dans la possibilité de se rapprocher davantage, dans leurs évaluations, de la dépense réelle. Cependant il faut remarquer que tout n’a pas été mécompte dans les calculs faits en 1840, et que des travaux entièrement imprévus doivent être exécutés à l’aide du nouvel emprunt.

Ainsi pour la route d’Ans à la frontière de Prusse, en 1840 il n’était pas question d’une double voie ; aujourd’hui l’on propose une double voie sur cette longueur de 9 lieues. De la, messieurs, une augmentation de dépenses dont il serait injuste de rendre responsable les auteurs des évaluations de 1840. Je ne sais pas à quelle somme s’élèvera la dépense de cette double voie, mais certainement en le portant à 2 ou 3 millions, on n’exagère pas.

M. Demonceau. - Si l’honorable M. Rogier veut bien me le permettre, je lui dirai qu’il trouvera les documents sur le bureau.

M. Rogier. - Maintenant, en 1840, entre Louvain et Tirlemont, il n’avait pas été question de construire un double souterrain, de doubler le souterrain de Cumptich. Je veux bien reconnaître qu’il peut être utile de construire ce double souterrain, mais la dépense qui doit en résulter n’avait pas été comprise dans les évaluations de 1840. Or : on évalue la dépense de ce second souterrain à 800,000 francs. Il me semble que cette évaluation est vraiment exagérée ; car le premier souterrain, alors que tous les travaux étaient à faire, qu’il y avait à opérer des épuisements très coûteux, qui ne seront plus à faire aujourd’hui, n’a coûté que 700,000 fr.

Lors de la construction du premier souterrain, messieurs, la brique coûtait 6 fr. 50 par mille ; aujourd’hui on la porte à 11 fr. Je ne sais d’où provient cette différence entre le prix de 1833 et le prix actuel.

Il y a aussi en fait de travaux entièrement nouveaux et non prévus aux évaluations de 1840, un embranchement à Liége, qui doit coûter un million. Il n’était pas question à cette époque de faire un embranchement à Liège ; au moins ce travail n’a été nullement prévu dans le projet d’emprunt de 1840.

M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Il n’a pas été prévu, mais il en était question.

M. Rogier. - Messieurs, la station du nord de Bruxelles, cette station dont pour ma part je n’ai pu approuver en principe l’établissement, cette station qui, combinée avec celle du Midi, a été si malheureusement imaginée pour établir une solution de continuité au milieu de noue railway national, la station du Nord était portée pour une dépense de 500,000 fr. On demande une augmentation de 815,000 fr. pour cette station. Je ne sais quels travaux on veut y faire.

Je ne sais si un jour ou l’autre la force des choses n’obligera pas le gouvernement (ce sera encore une force à subir) à réunir ce qui n’aurait jamais dû être divisé. Je me demande si, lorsque le midi tout entier du pays joint au mouvement de la France, sera dans la nécessité de s’arrêter à Bruxelles pour reprendre les lignes de l’Est et du Nord, que le mouvement des voyageurs, le mouvement commercial augmentera, l’on pourra résister aux plaintes qui s’élèveront de toutes parts contre l’inconvénient énorme de mettre pied à terre à Bruxelles et d’y séjourner plus ou moins longtemps pour reprendre ensuite le chemin de fer. L’avenir n’obligera-t-il pas au gouvernement à rendre au chemin de fer le caractère un et indivisible, qu’il n’aurait jamais dû perdre, dans quelles conditions se trouvera alors la station du Nord, à laquelle vous allez appliquer des sommes aussi considérables ? Je sais que cette station est, à un certain point de vue, bien établie, si elle peut devenir définitive. Quant à moi j’ai procédé durant mon administration, dans l’hypothèse que cette station serait maintenue. Mais je dois dire que je n’ai jamais cru que l’on devrait y faire des bâtiments pour une somme de 1,300,000 fr. J’avais établi un concours entre divers architectes chargés de présenter un plan ; je ne sais ce qu’est devenu ce concours ; mais si je suis bien informé, il s’agirait d’élever un bâtiment colossal qui ne comprendrait pas moins de cinq cents fenêtres ; ce serait une espèce de caserne monstre, dont je ne comprends pas la destination ; mais une personne m’a assuré, avoir vu le plan, et avoir compté 500 fenêtres. Quant à moi je désire qu’un pareil plan ne voie jamais le jour.

Messieurs, pour le matériel, c’est ici que MM. les ingénieurs ont été larges, ont agi d’une manière tout a fait libérale. Les locomotives sont évaluées à 50,000 fr. chacune, y compris les tenders et tous les accessoires, l’année dernière on avait demandé 130 locomotives ; aujourd’hui on en demande 180 ; c’est-à dire 50 locomotives de plus entraînant une dépense de 2,500,000 fr. Eh bien, messieurs, je crois pouvoir démontrer que ces 50 locomotives de plus sont complètement inutiles, et ne peuvent entraîner que de graves inconvénients.

Elles sont complètement inutiles. En effet, les 126 locomotives actuellement existantes ont amplement suffi aux parcours de 1841. D’après les tableaux fournis par M. le ministre des travaux publics, le parcours général de toutes les lignes a été de 298,000 lieues, supposons 300,000 lieues parcourues par 126 locomotives, cela fait environ 2,260 lieues par chaque locomotive, c’est-à-dire 6 à 7 lieues par jour et par locomotive. Eh bien, messieurs, il n’est pas raisonnable de ne pas exiger davantage d’une locomotive, il faut qu’une locomotive commue un cheval, gagne ce qu’on appelle son avoine ; eh bien, une locomotive qui ne fait pas 6 à 7 lieues par jour, ne gagne pas l’intérêt de ce qu’elle a coûté et ses frais de nourriture et l’entretien.

En Angleterre, d’après le rapport même de M. le ministre, les locomotives parcourent 30 à 40 lieues par jour ; eh bien, je suppose que les nôtres ne parcourent que 20 lieues par jour ; évidemment ce n’est pas exiger trop d’une locomotive que d’exiger qu’elle fasse tous les jours, par exemple, le voyage de Bruxelles à Anvers et le retour d’Anvers à Bruxelles. Eh bien, messieurs, 150 locomotives faisant 20 lieues par jour feraient pendant les 365 jours de l’année un million 95 mille lieues. Or, je demande, lorsque le parcours a été en 1841, de 300 mille lieues, à quoi vous serviraient 180 locomotives lorsque 150 peuvent faire 1 million de lieues, c’est-à-dire 3 fois plus que le parcours de 1841.

Je sais bien que sur 150 locomotives il en est de malades, il en est en réparation, il en est aussi en réserve, mais j’en supprime 50, soit pour celles qui sont en réparation, soit pour celles qu’il faut tenir en réserve, et je crois que c’est beaucoup. Il restera donc 100 locomotives qui, ne faisant que 20 lieues par jour, accompliront encore plus de deux fois le parcours de 1841. Or, au besoin une locomotive pourrait très bien faire 25 ou 30 lieues par jour.

Ainsi, messieurs, je trouve qu’il y a vraiment du luxe dans la demande d’un crédit de 2,500,000 fr. pour l’achat de 50 locomotives nouvelles, Si, à l’avenir, 50 locomotives de plus sont nécessaires, c’est que les parcours seront considérablement augmentés, et alors ce ne sera plus aux emprunts qu’il faudra demander les moyens de couvrir la dépense, mais à l’exploitation du chemin de fer elle-même.

Il faut en effet qu’il vienne un temps où le chemin de fer se suffise complètement à lui-même. Quant à moi, j’ai toujours désiré que cette époque arrivât le plus tôt possible ; j’ai toujours voulu que le chemin de fer produisît tout ce qu’il peut produire ; on peut différer sur les moyens d’atteindre ce but, mais quant au but en lui-même, je crois que nous sommes tous d’accord sur la nécessité de faire produire beaucoup au chemin de fer.

Remarquez ensuite, messieurs, qu’il y a des inconvénients à avoir un matériel aussi disproportionné au besoin du service ; ce matériel exigera des remises nouvelles ; toutes les locomotives ne seront pas en courses ; beaucoup devront se reposer dans des locaux convenables, sous de bons abris ; de là des dépenses nouvelles indépendamment des capitaux engloutis dans ce surcroît de matériel.

Quant à moi, messieurs, à moins que M. le ministre des travaux publics ne me donne à cet égard des lumières, qui me manquent complètement, il me sera impossible de voter les 2,500,000 fr. demandés pour l’achat de 50 nouvelles locomotives.

Quant aux wagons des marchandises, il y a, messieurs, une autre exagération. On demande 500 wagons nouveaux pour les petites marchandises dites de diligence. Cependant, d’après le rapport de M. le ministre des travaux publics, il paraîtrait que l’on veut renoncer au transport en détail des marchandises ; il paraîtrait que M. le ministre partage l’opinion que le gouvernement ne doit pas se charger de cette espèce de transport ; il paraîtrait qu’il regrette infiniment que l’on ait renoncé au mode primitif de 1839, qui consistait à louer des wagons ou des parties de wagons à des entrepreneurs, et qu’il pense qu’il faudra revenir à ce mode. Mais si vous voulez renoncer au transport en détail, il ne vous faut pas cinq cents wagons nouveaux pour ce mode de transport. Dans l’état actuel il suffit largement de deux wagons de cette espèce par convoi. Pour la section de Bruxelles à Anvers, je suppose deux wagons au convoi qui va à Anvers et deux wagons au convoi qui en vient ; voilà quatre wagons eh bien, je double ce nombre, j’en donne 8 ; j’en donne même 9 pour arriver à un calcul plus saisissable. J’aurais ainsi un wagon par lieue, et comme nous avons 112 lieues de chemin de fer, il en résulte que cent douze wagons suffisent pour desservir complètement le transport des petites marchandises ; si maintenant vous renoncez au transport en détail, que vous considérez comme onéreux, il ne vous faudrait même plus ce nombre de 112 wagons et cependant vous venez demander 500 wagons nouveaux. En vérité, messieurs, on n’a jamais disposé d’une manière aussi libérale des fonds du trésor ; 500 wagons nouveaux coûteront un million. Il faudra de plus, de nouvelles remises pour placer cet attirail formidable.

Ainsi, messieurs, si je donne mon approbation, dans certaines limites, au projet d’emprunt qui nous est soumis, je ne m’associe pas aveuglément à toutes les dépenses proposées ; je contribuerai volontiers à les circonscrire dans des bornes sages. Plutôt que d’autoriser des dépenses inutiles, j’aimerais mieux qu’une partie de l’emprunt demandé fût consacrée à agrandir le chemin de fer dans certaines directions.

Il faut, messieurs, qu’on ne perde pas de vue ce principe que beaucoup de dépenses du chemin de fer doivent être couvertes par les produits du chemin de fer lui-même et non plus au moyen d’emprunts. Ce système serait beaucoup trop commode. Il faut faire produire au chemin de fer tout ce qu’il peut produire ; il faut qu’il produise de quoi couvrir les dépenses courantes. C’est là ce que j’ai toujours pensé ; je l’ai répété à satiété.

On a parlé, messieurs, des tarifs ; c’est une matière sur laquelle je ne reviendrai pas en ce moment. M. le ministre a sa manière de voir, j’ai la mienne à laquelle je n’ai pas renoncé ; au contraire, tout ce qui a été dit, tout ce qui a été écrit à cet égard m’a confirmé dans l’opinion que le système que j’ai mis en avant était en général le meilleur qui eût été suivi jusqu’alors. Je ne reviendrai pas sur une discussion qui pourrait prendre un caractère pénible et entraîner la chambre plus loin qu’elle ne voudrait aller.

Je dirai quelques mots des demandes qui ont surgi à la suite du projet d’emprunt. En 1840 je disais : Tâchons de fermer la porte à de nouveaux emprunts, car si de nouveaux emprunts sont demandés à l’avenir, de nouvelles exigences se produiront. Ce que j’ai prévu est arrivé ; un nouvel emprunt est demandé et de nouvelles exigences surgissent de toutes parts. Au nombre de ces exigences figurent les demandes faites pour la Campine et pour le Luxembourg, et celle qui sera probablement produite en faveur d’une nouvelle ligne entre Tournai et Jurbise ou Soignies. (Je ne sais pas lequel de ces deux points sera préféré.)

Quant à la Campine, je n’ai pas besoin de dire à la chambre que je m’associerai avec le plus grand empressement à tous les travaux à exécuter dans cette partie si intéressante de notre pays ; je regrette seulement que pour, éclairer la chambre, on ne soit pas parvenu à distraire au moins du travail général de M. Vifquain et à faire imprimer la partie qui concerne la Campine. Cela aurait pu nous mettre à même de voter en connaissance de cause, tandis qu’aujourd’hui nous voterons un peu en aveugles. Néanmoins j’adopterai le crédit proposé pour cet objet par la section centrale.

Quant an Luxembourg, je n’ai jamais considéré comme sérieux, je pense, le chemin de fer qui doit être, aux termes de la loi de 1837, construit dans cette province. Cependant, puisqu’on en est à faire le partage du trésor public, le Luxembourg a des droits ; il a d’abord la loi pour lui, et je crois même qu’indépendamment de cela il a des droits réels.

M. d’Huart. - Croyez-vous que ce soit utile ?

M. Rogier. - Je crois qu’en général les routes sont utiles partout. Cependant je ferai remarquer que le Luxembourg n’a pas été le plus mal partagé depuis quelques années.

L’honorable M. de Theux a signalé le prolongement d’une ligne du chemin de fer vers Hasselt. Je considère ce prolongement comme très utile ; je reconnais que le Limbourg a droit à toute la sollicitude de la chambre ; je crois que le prolongement du chemin de fer de Saint-Trond jusqu’à Hasselt serait d’une exécution facile, relativement peu coûteuse et serait une chose très utile, non seulement pour le Limbourg, mais pour le pays en général ; je crois que cette section serait d’un bon rapport, sinon pour les voyageurs, au moins et certainement pour les marchandises de toute espèce.

Enfin, vient la section à laquelle l’honorable M. Dumortier, je le souhaite, pourra donner son nom, la section de Tournay à Jurbise ou Soignies.

L’honorable M. Dumortier a rappelé que, lors de la discussion de 1834, j’avais pris des engagements à l’égard de cette ligne ; j’ai relu, messieurs, les débats de 1834, et je vous avoue que je n’y ai pas trouvé la trace d’un engagement pris vis-à-vis de l’honorable M. Dumortier, ou de qui que ce soit pour cette ligne. Quoi qu’il en soit, je n’en reconnais pas moins l’utilité réelle de cette section, qui lierait Tournay et Lille directement à la capitale, en même temps qu’elle rattacherait le Hainaut aux Flandres. J’ignore la dépense à laquelle cette ligne pourra donner lieu ; mais en principe je la considère comme utile, et je ne demanderais pas mieux que de pouvoir m’associer à l’honorable M. Dumortier dans cette circonstance ; mais toutefois il faut calculer, peser ce que peuvent supporter nos forces, et vraiment, pour ma part, je suis effrayé de la situation du trésor public.

Depuis l’ouverture de cette session, nous avons largement moissonné dans le trésor public, brèches sur brèches y ont été faites ; mais quant aux canaux destinés à faire arriver l’argent au trésor, un seul peut-être a été ouvert, et l’on ne peut encore savoir ce qu’il y apportera. Messieurs, il serait très important, et sous ce rapport je ne puis assez engager le ministère à fixer attentivement les yeux sur notre situation financière ; il serait très important d’apporter des remèdes énergiques à cette situation. Nous ne pouvons pas continuer à administrer les affaires du pays en aveugles, en prodigues. Je suis partisan des dépenses utiles, je ne recule pas devant ce rôle, mais en même temps je suis grand partisan aussi des ressources propres à couvrir ces dépenses ; je veux que d’abord le trésor public soit dans une bonne situation ; eh bien, une semblable situation n’existe pas, il faut que le ministère ait la force de la créer. Je suis convaincu qu’à l’ouverture de la prochaine session, nous serons en présence d’une situation financière mauvaise, qui fera regretter à quelques-uns d’entre nous peut-être d’avoir voté plusieurs des dépenses qui ont été proposées dans la session actuelle, sans avoir créé en même temps les moyens d’y faire face.

Messieurs, il faut que l’année prochaine soit une année de réparation envers le trésor public auquel de graves préjudices ont été apportés dans le cours de cette session. Je suis en droit de tenir ce langage. Lorsque j’occupais momentanément le pouvoir, mes amis et moi n’avons pas reculé devant la tâche ingrate de demander de nouveaux impôts. La chambre ne les a pas tous accordés ; mais le ministère avait fait son devoir ; j’aime à croire que le ministère qui l’a remplacé remplira les siens ; qu’il ne recule pas devant des moyens raisonnables, sagement combinés, pour tirer le trésor public de ses embarras, et dès maintenant je puis, dans cette limite, lui promettre l’appui de mon vote, malgré les dissentiments politiques qui nous séparent maintenant et qui nous sépareront sans doute encore dans la prochaine session.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Peeters dépose un rapport sur un projet de loi tendant à ouvrir un crédit supplémentaire au département des travaux publics.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La séance est levée à 5 heures moins un quart.