(Moniteur belge n°232, du 20 août 1842)
(Présidence de M. Fallon.)
M. Kervyn procède à l’appel nominal à midi et un quart.
M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Kervyn présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les fabricants de draps, de fils et de tissus de laine, de l’arrondissement de Verviers, réclament des mesures de protection pour les industries lainière et métallurgique. »
- Sur la demande de M. Lys, la commission des pétitions à laquelle cette requête est renvoyée, est invitée à en faire l’objet d’un prompt rapport.
M. le président. - L’ordre du jour appelle en premier lieu la discussion du projet de loi concernant la sortie des pommes de terre. L’article unique du projet est ainsi conçu :
« Le gouvernement est autorisé à prohiber, par arrêté royal, la sortie des pommes de terre et de leurs fécules.
« La présente loi, ainsi que toute mesure prise en vertu de pouvoirs qu’elle confère, viendra à cesser le 31 août 1843. »
M. Manilius. - Si je demande la parole, ce n’est certainement pas pour m’opposer au projet de loi, que je considère, au contraire, comme un grand bienfait pour les classes peu aisées ; mais je crois que le gouvernement devrait aussi être autorisé à supprimer les droits d’entrée sur les pommes de terre. Je ferai remarquer à l’assemblée que lorsqu’on juge à propos de défendre la sortie des céréales, on supprime en même temps les droits d’entrée.
Je crois, messieurs, que le droit d’entrée sur les pommes de terre ne devrait pas exister ; ce droit est surtout nuisible aux provinces flamandes, qui sont obligées de tirer beaucoup de pommes de terre de l’extérieur.
Je proposerai donc d’ajouter au premier paragraphe de l’article, ce qui suit : et à supprimer les droits d’entrée. Je crois que cette proposition ne rencontrera aucune opposition. S’il en était autrement, je sue réserve de présenter d’autres observations.
M. Rodenbach. - Je me suis joint à l’honorable M. Manilius pour proposer l’amendement qu’il vient de présenter : Cette année, il est plus nécessaire que jamais de prendre des mesures pour que les pommes de terre soient au meilleur marché possible. D’ailleurs, la suppression du droit n’occasionnera pas une grande perte au trésor, puisque les pommes de terre ne paient que 5 p. c.
Je crois, messieurs, qu’il serait urgent que le sénat se réunît le plus tôt possible pour s’occuper du projet de loi que nous allons voter ; cela est d’autant plus urgent qu’aujourd’hui, au marché de Bruxelles, le prix des pommes de terre a augmenté de 2 francs. Par suite de la grande sécheresse, la récolte des pommes de terre sera extrêmement faible surtout dans le nord de la Flandre occidentale.
Le projet qui nous est soumis ne sortira ses effets que jusqu’au 31 août ; comme la chambre n’est ordinairement pas réunie au mois d’août, je crois qu’il vaudrait mieux fixer l’expiration de la loi au 31 décembre.
M. Osy. - J’appuie également l’amendement de M. Manilius, mais je crois qu’il faudrait laisser subsister un léger droit de balance, pour que l’on puisse dresser les statistiques. On pourrait fixer ce droit à cinq centimes par hectolitre. Je propose cet amendement.
Je profite de cette occasion pour appeler l’attention du gouvernement sur la nécessité de réviser les lois des céréales. Depuis plusieurs mois, le froment entre sans droits, tandis que le seigle paie des droits élevés. Il y a donc sous ce rapport une grande erreur dans la loi. Je désire que, dans la session prochaine, la législation sur les céréales soit révisée.
M. Manilius. - Je consens à ce que l’on admette un droit de balance de 5 centimes. Cependant les autres légumes ne paient aucun droit, pas même un droit de balance.
M. Desmet. - Je crois, messieurs, qu’il n’est pas nécessaire d’entraver l’importation des pommes de terre par l’établissement d’un droit de balance. Cette année, les pommes de terre ont manqué presque partout, non seulement en Belgique, mais encore en Hollande, en Zélande et en France. Je crois donc qu’il faut laisser les plus grandes facilités à l’importation ; un droit de balance gênera.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cela ne gênera pas l’importation. Il faudrait dire : et à réduire le droit d’entrée à 5 centimes par hectolitre.
- La proposition de M. Manilius, telle qu’elle est modifiée par MM. Osy et le ministre de l’intérieur, est mise aux voix et adoptée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) déclare se rallier à l’amendement de M. Rodenbach, qui tend à substituer le 31décembre au 31 août.
- Cet amendement est adopté.
La chambre décide que, vu l’urgence, elle passera immédiatement au vote définitif du projet.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’article unique du projet de loi, qui est adopté à l’unanimité par les 61 membres présents. Ce sont : MM. de La Coste, Cogels, Cools, Coppieters, de Baillet, de Behr, Dedecker, de Florisone, de Garcia de la Vega, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Potter, de Renesse, de Roo, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Savart, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne Hye-Hoys, Huveners, Jadot, Kervyn, Lange, Lebeau, Lys, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Osy, Peeters, Pirson, Raikem. Raymaeckers, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Thienpont, Trentesaux, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude et Fallon.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable M. Mast de Vries m’a fait hier une interpellation, au sujet de la loi du 6 décembre 1841, qui permet l’entrée de l’orge. Je dois supposer que l’honorable membre devait perdre de vue que cette loi est en vigueur jusqu’au 30 novembre prochain ; les chambres devant se réunir de plein droit le deuxième mardi de novembre, le gouvernement pourra, dans l’intervalle, provoquer une nouvelle mesure, s’il la juge nécessaire ; d’ici là, il aura recueilli tous les renseignements sur la récolte de l’orge, renseignements qui lui manquent en ce moment.
M. Mast de Vries. - Messieurs, je savais bien que la loi sur l’orge n’expire qu’au mois de novembre prochain ; mais je ferai remarquer à M. le ministre que si le commerce n’avait pas dès présent la certitude que la loi sera renouvelée, aucun négociant ne pourrait faire des acquisitions. Le fait est tellement vrai que le prix de l’orge augmente de jour en jour dans une proportion assez forte ; ce prix est déjà plus élevé qu’il ne l’était l’année dernière, lorsque nous avons fait la loi. Il y aurait donc de graves inconvénients à attendre le mois de novembre pour proroger la loi sur l’orge.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je crois que rien ne presse pour prendre une détermination sur l’orge. Comme l’a dit M. le ministre de l’intérieur, nous serons réunis avant le 30 novembre, et c’est alors seulement que nous pourrons juger s’il y a des dispositions à prendre sur l’orge.
Au surplus, je ferai remarquer que quelques mesures que vous preniez sur l’orge il n’entrera ni plus ni moins d’orge dans le pays. L’orge en France n’est pas consommé en proportion des besoins de ce pays ; il y a un excédant considérable d’orge en France ; eh bien ! les Français, qui ont trop de cette denrée, viendront la vendre en Belgique et paieront l’impôt. La Prusse et même la Hollande qui produisent beaucoup plus d’orge encore que leurs besoins ne l’exigent viendront également déverser leur orge en Belgique et paieront le droit.
Messieurs, lorsqu’on impose les produits de notre industrie à l’étranger, que nous disent les industriels du pays ? Ils nous disent : « L’étranger nous empêche d’aller vendre nos produits chez eux, parce que nous devons lui payer des droits pour les y introduire. » Eh bien, nous devons agir de même à l’égard de l’étranger, c’est celui qui importe un produit dans un pays, qui doit payer le droit d’entrée. Nous sommas le seul pays dont le tarif soit assez bas, pour espérer de recevoir les orges étrangères. Le négociant français, qui a trop d’orge, ne pourra pas le déverser en Angleterre, puisqu’il doit payer le double du droit qu’il doit payer en Belgique. La Prusse, la Suède, la Pologne même, préfèreront également se défaire de cette denrée en Belgique, à l’importer en Angleterre, par le motif que je viens d’indiquer.
Par ces considérations, je ne veux pas qu’on prive encore le trésor d’au moins 160,000 fr. qu’on perçoit actuellement sur l’orge. Il y a quelque chose qui doit étonner, ce sont toujours nos propres industries que nous frappons, nous ne savons pas, à l’exemple des puissances voisines, percevoir des impôts sur les autres nations ; pour lever de l’argent, nous accordons toujours la préférence à nos propres concitoyens. C’est un système désastreux dont malheureusement nous ne sortirons qu’en compromettant les finances du pays. Prenez-y garde, messieurs, au train dont nous marchons, je ne serais pas étonné qu’un jour nous ne puissions plus trouver le moyen de faire face à nos dépenses, même en les réduisant considérablement ; mais chacun de nous voudrait diminuer les impôts et augmenter les dépenses. En ce moment encore n’êtes-vous pas saisis d’une demande d’emprunt dont vous devrez desservir les intérêts ? (L’ordre du jour ! l’ordre du jour !)
Je demande qu’on ajourne au mois de novembre la discussion de la question de l’orge. On nous dit que le prix de l’orge est augmenté ; cela peut-être dans la localité à laquelle appartient l’honorable préopinant ; pour moi je viens d’un pays qui produit de l’orge ; eh bien, l’orge y est encore dans les magasins, on ne peut pas s’est défaire. (L’ordre du jour ! l’ordre du jour !)
M. le président. - Nous sommes arrivés à l’article 16
« Art. 16. Les frais de l’instruction primaire sont à la charge des communes. La somme nécessaire à cet objet sera portée annuellement au budget communal parmi les dépenses obligatoires dont il est parlé à l’art. 131 de la loi communale. »
- Adopté.
M. le président. - M. le ministre de l’intérieur a proposé d’intercaler entre cet article et l’art. 17 la disposition suivante :
« Le traitement de l’instituteur est fixé par le conseil communal, sous l’approbation de la députation permanente, et sauf recours au Roi. Ce traitement ne peut être moindre de 200 fr. L’instituteur a droit, en outre, à une habitation ou à une indemnité de logement à fixer, de commun accord, sauf recours à la députation, en cas de dissentiment. »
M. Devaux. - Messieurs, je demande à faire une observation qui ne se rapporte pas précisément à cet article ; il me semble qu’il y a une lacune dans la loi. On impose les frais de l’instruction primaire comme obligatoires au conseil communal c’est à-dire que si le conseil s’y refuse, on les portera d’office ; mais après qu’on les aura portés d’office au budget communal, que fera-t-on, si le conseil communal ne nomme pas d’instituteur ; c’est une disposition sur laquelle on peut revenir plus tard ; je veux seulement prévenir qu’il y a une lacune, en ce sens que la députation permanente pourra porter d’office la dépense de l’instruction primaire ; mais si le conseil communal est de mauvaise volonté, il pourra ne pas nommer d’instituteur, et par conséquent le budget communal resterait sans application ; c’est une lacune à laquelle je crois qu’on fera bien de réfléchir ; nous pourrons y revenir, lorsqu’on s’occupera de la nomination des instituteurs.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est cela.
M. d’Huart. - Messieurs, je ne sais si le minimum de 200 fr. qu’on propose de fixer, ne sera pas une charge trop lourde pour une foule de communes. Il y a des communes qui ont à peine une population de 200 âmes, et qui sont dénuées de ressources ; certes, si vous allez obliger toutes ces communes à porter dans leurs budgets une somme de 200 fr. pour l’instituteur, vous empirerez, me semble-t-il, l’état financier de ces communes. Je demanderai sur ce point une explication. J’en demanderai aussi une sur ces mots : sauf recours au Roi. Qu’entend-on par là ? Est ce que la commune nomme l’instituteur, sous l’approbation de la députation, sauf recours au Roi ?
Un membre. - Ces mots ne s’appliquent qu’à la fixation du traitement.
M. d’Huart. - Ainsi le Roi pourrait modifier la proposition du conseil communal, dont le chiffre serait supérieur à celui qui a été fixé par la députation permanente. (Oui !)
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, le traitement de l’instituteur doit être au minimum de 200 fr., mais il ne s’ensuit pas que le traitement doive être prélevé tout entier sur les fonds communaux. Il y a des cas où la province, où l’Etat viendra au secours des communes pauvres, c’est une question qui sera traitée à l’art. 18. J’ai fait imprimer un amendement qu’on distribue en ce moment et que j’expliquerai tout à l’heure, quand on viendra à l’article 18.
M. de Theux. - Messieurs, il me paraît que la fixation d’un minimum n’est pas indispensable, alors qu’en vertu de la loi il peut y avoir recours au Roi, quant au traitement ; en effet, ce recours sera une espèce de garantie. Le conseil communal propose un traitement, la députation trouve que le traitement est insuffisant, et n’approuve pas la fixation ; et, dans ce cas, le conseil communal sera tenu d’augmenter le chiffre, si le Roi trouve que la commune a eu tort, de ne pas fixer le traitement à un taux plus élevé. Si la députation approuve le chiffre arrêté par le conseil, et que l’inspecteur ne le trouve pas suffisant, le Roi pourra, sur la réclamation de ce fonctionnaire, majorer le traitement, nonobstant la fixation arrêtée par le conseil communal et par la députation. Il y a donc là toute espèce de garantie.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, dans toutes les lois sur l’instruction primaire, on a fixé un minimum. On a cru par cette disposition donner une sécurité aux instituteurs. Il faut, messieurs, que l’enseignement primaire soit une véritable carrière. Je ne vois pas qu’une somme de 200 francs puisse être considérée comme bien forte, même dans les communes les plus pauvres du pays, du moment qu’il est entendu que ces communes pauvres ne seront pas abandonnées à elles-mêmes, et qu’en cas d’insuffisance constatée de leurs ressources, la province ou, à son défaut, l’Etat viendra à leur secours. Je pense qu’il faut laisser subsister le minimum de 200 fr.
M. de Theux. - Il est bien certain que si l’instituteur n’avait d’autres ressources que le traitement de 200 francs et une indemnité de logement, il aurait grand’peine à subsister. Je dirai que dans ce cas le traitement de 200 francs ne serait pas suffisant. Mais il faut tenir compte des minervales. Il est telle commune où ces minervales peuvent être considérables parce que la population est grande, et dont les ressources sont très modiques. Il me semble que le minimum ne peut constituer qu’un embarras.
Je ferai observer qu’il est bien peu de communes dont l’impôt foncier s’élève à un taux tel que les deux centimes additionnels puissent produire 200 fr., de sorte que la plupart des communes devront s’adresser au gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est anticiper sur la discussion de l’art. 18.
L’honorable membre se trompe, s’il pense qu’on ne prendra en considération que la contribution foncière pour imposer les 2 centimes additionnels, ces centimes additionnels porteront sur toutes les contributions directes. La question dont il s’agit est celle de savoir s’il faut fixer un minimum. Pour moi, je le pense. Si vous ne le faites pas, le gouvernement sera obligé de le faire par mesure générale.
On dit : il est des communes où les rétributions des élèves donneront un revenu considérable. Remarquez que pour fixer la rétribution des élèves, les communes prendront en considération le traitement fixe de l’instituteur. La rétribution des pères de famille et des pauvres sera plus ou moins forte, selon que le traitement sera plus ou moins élevé. De sorte qu’objecter les minervales, c’est au fond ne pas prouver qu’il ne faut pas fixer un minimum de traitement, parce que la commune aura soin de le prendre en considération dans la fixation de la rétribution à exiger, soit pour les enfants pauvres, soit des pères de famille.
M. Cogels. - Je ferai remarquer que dans le projet de 1834, le minimum était de 300 francs. Nous l’avons réduit à 200 francs, en vertu des considérations présentées par M. d’Huart, parce que plusieurs communes ont une population extrêmement petite. Mais il en est une autre qu’il ne faut pas perdre de vue. C’est que plusieurs communes pourront se réunir, soit que leur population, soit que leurs ressources ne soient pas suffisantes pour entretenir une école. Ainsi 200 francs ne seront pas toujours à charge d’une seule commune. Quand trois communes voisines se réuniront pour établir une école, chacune n’aura à supporter que un tiers de 200 francs.
M. de Mérode. - Si plus tard il y a nécessité de fixer un minimum on le fera, mais il ne faut pas le faire d’avance. En vérité, je crois que les hommes du gouvernement n’ont aucune idée des finances d’un pays. Ils nous précipiteront, si on les laisse faire, ils nous précipiteront dans un désordre complet ; nous sommes déjà assez avancés, nous finirons par être sans ressources.
Avant que M. le ministre ne nous ait proposé d’autres voies et moyens, je ne voterai pas de minimum, parce que ce serait engager l’Etat dans des dépenses.
M. Lebeau. - Il a été déjà répondu à l’observation très fondée de l’honorable M. d’Huart, quant à la fixation d’un minimum. Ce sont les petites communes surtout qui l’ont préoccupé. L’honorable M. Cogels a fait voir que la loi avait été au devant de cette observation, en autorisant plusieurs communes à se réunir pour constituer une école à frais communs. Je ferai remarquer en outre que la loi permet à une commune d’adopter une école privée qui aurait déjà, par elle-même, des ressources ; cette école privée serait soumise à des dépenses moindres que celles qui résulteraient d’une école communale spéciale. Il y a ensuite le recours vers la province et vers le gouvernement. Je crois extrêmement utile d’établir un minimum, parce qu’il faut faire des fonctions d’instituteur une carrière. Il faut donner au moins la garantie que si un instituteur va s’établir dans une commune, il y a une limite au-dessous de laquelle on ne peut pas faire descendre son traitement, quelles que soient les influences communales, et que cette limite est fixée car la loi. Je crois que cela est absolument indispensable. La commission de 1834…
M. de Theux. - Je demande la parole.
M. Lebeau. - Je ne dis pas que M. de Theux se soit mis en contradiction avec lui-même. Il pourrait avoir eu alors une opinion et avoir été amené par la réflexion à modifier sa manière de voir sur cette question de détail. La commission de 1834 avait fixé le minimum à 300 fr., elle avait garanti à l’instituteur que, quelles que fussent les relations qui pourraient exister entre les autorités communales et lui, son traitement ne pourrait pas descendre au dessous d’une somme déterminée. Il est bon qu’il y ait dans la loi une limite qui soit une garantie pour l’instituteur. Il me semble que, quant aux inconvénients qu’on paraît redouter, la loi y a pourvu.
M. de Theux. - Je ne prends la parole que pour m’expliquer sur le projet de 1834. Les membres qui l’ont invoqué ne l’ont pas étudié au fond, et ce n’est pas étonnant, car ils n’étaient pas membres de la commission. Ce projet, par son art. 13, fixait à 300 fr. le minimum du traitement de l’instituteur ; mais il est à remarquer que ce traitement e pouvait être majoré d’office ni par le gouvernement, ni par l’autorité provinciale ; et en second lieu, cette disposition n’était applicable qu’aux communes qui demandaient des subsides, par conséquent aux communes pauvres. Car pour les autres, pour celles qui avaient les moyens d’organiser à leurs frais l’instruction communale, elles fixaient le traitement de leurs instituteurs comme bon leur semblait, sans aucune intervention d’une autorité quelconque et de la loi.
On a dit qu’une commune pourrait s’exempter de payer le minimum de traitement et de donner une indemnité de logement en adoptant une école privée. En fixant ce minimum par la loi à 200 fr., vous poussez ces communes à adopter des établissements privés. Je ne pense pas que ce soit le but de l’honorable membre.
Quant à moi, je ne vois dans ce chiffre qu’une question de finances. Je veux convenablement rétribuer les instituteurs, c’est le moyen d’en avoir de bons, et je désire qu’il y en ait dans toutes les communes.
L’observation que j’ai faite, c’est que dans une commune où il y a beaucoup d’enfants capables de payer la rétribution, il ne me semble pas nécessaire d’assurer un minimum de 200 fr. à l’instituteur. Dans ce moment il y a plusieurs instituteurs qui ne touchent pas ce minimum de traitement des communes. Il est même des communes où plusieurs instituteurs peuvent exister concurremment sans avoir de subside. La chambre décidera.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je pense qu’il faut à l’instituteur un traitement fixe, et de plus le revenu éventuel des rétributions. Je vous étonnerais peut-être en ajoutant que l’existence d’un traitement fixe est à l’avantage des communes. En effet, ce traitement fixe ne sera pas toujours payé par la commune. Il sera payé par elle quand elle aura des revenus suffisants. Mais quand ses revenus seront insuffisants, c’est la province, et même l’Etat, qui contribueront au paiement du traitement fixe. Vous voyez que, loin d’augmenter les charges des communes, vous les diminuez, puisque par la fixation d’un traitement vous amenez l’intervention de la province et de l’Etat. L’observation de M. de Theux n’est donc pas fondée, lorsqu’il vous a présenté la fixation et même l’existence d’un traitement comme devant aggraver la position financière des communes. C’est à l’avantage de la commune, parce que si l’instituteur ne devait recevoir que les rétributions individuelles, la province et l’Etat ne seraient jamais appelés à intervenir pécuniairement.
M. de Theux. - C’est alors une charge provinciale !
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C’est une charge provinciale, et quelquefois une charge de l’Etat.
Je crois avoir démontré que la fixation d’un minimum de traitement et l’existence d’un traitement fixe n’est pas au désavantage de la commune ; je dis que ce n’est pas non plus au désavantage de l’instruction primaire en elle-même. Je suppose qu’il puisse n’y avoir pas de traitement fixe, et que les frais doivent être faits à l’aide de rétributions individuelles, vous aurez une lutte dans les communes pour obtenir l’instruction au moindre prix possible ; il s’agira en effet de mettre tous les frais de l’instruction primaire à charge des pères de famille. C’est ce qu’il ne faut pas faire. (Réclamations.)
Il faut admettre un traitement fixe et inscrire un minimum dans la loi. Tout cela sera à l’avantage des pères de famille qui prendront le traitement fixe en considération quand ils détermineront le taux de la rétribution par élève. (Interruption.)
Nous ne fixons ni la rétribution à payer par les pères de famille, ni celle à payer pour les pauvres. Tout cela est abandonné aux circonstances, au conseil communal, sauf le recours aux autorités supérieures. (Interruption.)
Je regrette de ne pas avoir ici en ce moment l’ouvrage de M. Lorrain, j’en aurais lu certains passages pour vous prouver à quels moyens frauduleux on a eu recours en France pour échapper à certaines dispositions de la loi de 1833. Si vous ne fixez pas de minimum, les conseils communaux fixeront le traitement à la somme la plus minime ; il en résultera d’abord que la province et l’Etat ne seront plus appelés à venir au secours de la commune.
En second lieu, vous aurez rendu l’instruction primaire impopulaire, en ce que vous en aurez fait retomber tous les frais sur les pères de famille. Or chacun sait qu’il est moins dur de devoir payer une somme par commune et collectivement, que de la payer individuellement, chacun de sa poche. Il ne faut pas mettre l’instruction primaire aux prises avec certains intérêts individuels.
Moi, je regarde la loi comme très sagement combinée. Traitement fixe : minimum 200 fr. ; rétribution des élèves à fixer par le conseil communal, qui aura soin de prendre en considération la somme déjà allouée à l’instituteur pour son traitement.
Je dis que le minimum de 200 fr. ne sera pas une somme considérable, même pour les communes les plus pauvres. En effet, en jetant les yeux sur les revenus des instituteurs (p. 54-55 de mon rapport), vous voyez que les instituteurs ont un revenu en argent, en moyenne, de 589 fr. 35 c., et qu’en général le revenu des instituteurs dans la campagne est de 350 à 400 fr.
Je ne puis assez insister sur ce point. Si vous fixez un minimum de 200 fr. lorsque les revenus de la commune ne lui permettront pas de le payer, la province et l’Etat viendront à son aide. Vous voyez donc que vous aurez fait quelque chose d’avantageux pour la commune.
M. de La Coste. - J’allais faire une partie des observations que vous a présentées M. le ministre de l’intérieur, c’est-à-dire que pour qu’il y ait une bonne instruction primaire, il est essentiel qu’il y ait un traitement fixe, afin que les frais d’éducation à la charge des parents soient fixés avec modération, C’est dans ce sens que par un acte antérieur, qui a été cité par M. le ministre de l’intérieur, les états provinciaux avaient été chargés de fixer le minimum du traitement des instituteurs par classes, et le maximum de la rétribution des parents. Ainsi, vous voyez qu’il y avait un minimum pour le traitement et un maximum pour la rétribution. C’était tout à fait dans le sens des observations de M. le ministre de l’intérieur.
Voici ce qui constitue la différence : il y avait différentes classes. Remarquez que la fixation d’un minimum, sans égard aux différentes classes, n’atteint pas le but pour les communes très considérables ; et pour les très petites communes, cela peut avoir quelquefois quelque inconvénient. Pour les communes considérables, cela n’atteint pas le but parce que là un traitement de 200 fr. serait trop insignifiant.
La division en classes laissée aux députations qui connaissent les localités et les ressources des communes me paraît infiniment meilleure. Je présenterai un amendement dans ce sens, d’autant plus que le gouvernement restant maître de contrôler le travail de la députation, il n’y aura aucun inconvénient à craindre.
M. d’Huart. - On a cité avec raison l’état de l’instruction primaire dans la province de Namur. Eh bien, je puis déclarer avec certitude à l’assemblée que dans l’immense majorité des communes, les instituteurs ne reçoivent qu’un traitement de beaucoup inférieur à 200 fr. Si vous imposez aux communes des charges excessives (et 200 fr., ainsi que l’a démontré l’honorable M. Mast de Vries, peuvent être une charge extraordinaire pour certaines communes), vous rendrez votre loi impopulaire vous arriverez à un but contraire, à celui que vous vous êtes proposé, et qui a été indiqué par l’honorable M. de Theux ; c’est-à-dire que, pour se soustraire à la dépense, on tâchera d’avoir des écoles privées, et on éludera tout à fait la loi.
Mais, dit M. le ministre de l’intérieur, un minimum est tout a fait dans l’intérêt des communes, car si la commune n’a pas le moyen de le payer, la province et l’Etat y pourvoiront. Je répondrai à cela qu’avant de recourir à la province et à l’Etat, on aura recours aux centimes additionnels. Aux nombreux centimes qui grèvent déjà les communes. Il faudra ajouter deux centimes additionnels qui souvent seront insuffisants. Mais, dit-on, à défaut du minimum proposé, le conseil communal tâchera de réduire à presque rien le traitement fixe de l’instituteur. Cela est impossible d’après la rédaction proposée, en supposant même qu’on supprime la fixation du minimum, puisque ce sera soumis à la députation permanente et ensuite au Roi. Ainsi les conseils communaux qui ne voudraient pas exécuter la loi ne réussiraient pas dans leur tentative ; le recours au gouvernement amènerait la contribution qu’il doit supporter à raison de leurs ressources.
On a dit qu’il faut faire payer, autant que possible, les communes à la décharge des pères de famille. Je ferai observer que d’après une des dispositions du projet de loi, les indigents ne payent pas. Il est assez juste que les pères de famille qui peuvent payer les frais de l’éducation de leurs enfants, les payent. Je ne vois pas pourquoi dans chaque commune, on déchargerait, au détriment de la commune, les pères de famille parmi lesquels se trouvent des hommes tout à fait aisés.
Un honorable membre a proposé de laisser à la députation permanente le soin de fixer le minimum dans chaque province. Je crois qu’il conviendrait d’adopter cette proposition. Les députations sont juges compétentes de la situation des communes ; elles fixeront le minimum d’après cette situation.
Je regrette de devoir combattre une disposition à laquelle M. le ministre de l’intérieur paraît tenir beaucoup. Mais en acquit de mon devoir, j’ai dû faire connaître des faits qui sont à ma connaissance et les inconvénients qui résulteraient de la loi, contrairement aux bonnes intentions de M. le ministre de l’intérieur.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je pense qu’il y a lieu de ne pas fixer de chiffre ; je base cette opinion sur ce que dans beaucoup de localités le minimum de 200 francs est trop élevé ; les besoins, quant à l’existence des instituteurs, sont extrêmement variables ; dans certaines communes les instituteurs cumulent les emplois de sacristain et d’organiste, et quand ils jouissent de cet avantage, un traitement de 200 fr. est inutile.
J’appuierai donc les observations de l’honorable M. d’Huart, qui semble préférer que le taux du traitement de l’instituteur soit fixé, d’après les besoins, par la députation provinciale.
M. Verhaegen. - L’honorable M. de Man vient de nous donner le mot de l’énigme ; d’après le discours de l’honorable membre, on ne veut pour instituteurs que des sacristains. Voilà au moins de la franchise.
M. de Theux. - Je demande la parole.
M. d’Huart. - Je la demande aussi.
M. Verhaegen. - Ce n’est pas moi qui ai donné matière à ce débat.
M. d’Huart. - Ni moi non plus.
M. Verhaegen. - Je ne m’adresse pas à l’honorable M. d’Huart.
M. d’Huart. - Vous parlez de l’énigme de cette discussion.
M. Verhaegen. - Il me sera bien permis, je pense, de dire l’impression qu’a faite sur moi le discours de M. de Man. J’étais hier de l’opinion de M. le ministre de l’intérieur, sur la question des inspecteurs civils, et je suis au regret que M. le ministre ne l’ait point maintenue.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas abandonné mon opinion. Vous avez oublié ou vous n’avez pas écouté les développements, qui ont été donnés, de l’amendement qui a été adopté hier.
M. Verhaegen. - Je dis que d’après cet amendement les inspecteurs ne sont pas ce qu’ils devaient être. Dans votre première opinion, les inspecteurs devaient être des hommes dévoués à l’instruction et au gouvernement, travaillant depuis le 1er janvier jusqu’au 31 décembre. Oui, telle était votre opinion : elle a été combattue par l’honorable M. d’Huart, et nous savons quelle solution a eu ce débat.
Hier, on a écrit dans la loi la nécessité d’avoir des inspecteurs, et on n’a pas voulu d’inspecteurs ; aujourd’hui on y écrit le besoin d’avoir des instituteurs et de bons instituteurs, et au fond on n’en veut point, il est évident pour moi qu’on ne veut pas que l’école communale entre en concurrence avec certaines écoles privées.
Je reviens à ma première observation. M. de Man a-t-il dit, oui ou non, que ce sont des places réservées aux sacristains ? Reste-t-il du doute sur la tendance ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je dirai simplement qu’au second vote, j’espère démontrer à l’honorable préopinant qu’il est dans l’erreur, quant au sens de l’amendement qui a été adopté hier.
M. de Theux. - M. Verhaegen croit avoir dévoilé le but secret de la proposition que j’ai faite. Je déclare que je n’autorise en aucune manière M. Verhaegen, ni quelque membre que ce soit, à prêter à mes propositions ou à mes paroles, un autre but que celui que je leur ai moi-même assigné ; et en ce qui concerne ce que vous a dit l’honorable M. de Man, je déclare que n’avais pas même songé à cette circonstance qu’il y avait des instituteurs qui en même temps réunissaient les fonctions de sacristain. Mais je réponds à l’honorable M. Verhaegen, et je dis qu’en maintenant ce minimum d’appointements, qu’il semble vouloir conserver pour écarter les sacristains de l’école primaire, il n’y arrivera pas, parce que si un instituteur, dans une commune, est en même temps sacristain, il sera maintenu comme sacristain, s’il remplit cette fonction à la satisfaction du curé et comme instituteur, s’il remplit cette fonction à la satisfaction de la commune. C’est ce qui peut se rencontrer ; et, à ma connaissance, il est des personnes qui remplissent parfaitement ces doubles fonctions. La commune acceptera le sacristain comme instituteur privé, et de cette manière son école échappera à toute espèce de surveillance et d’inspection. Ainsi, l’honorable M. Verhaegen, en maintenant le minimum de 200 fr. dans la loi, pourra faire échapper l’école du sacristain à toute espèce de surveillance.
M. le président.- La parole est à M. d’Huart pour un fait personnel.
M. d’Huart. - Ce n’est pas précisément pour un fait personnel ; car je suis certain que l’honorable M. Verhaegen n’a rien voulu dire qui me fût personnel, qui pût m’être désagréable. Mais je dois dire que l’honorable membre est dans un esprit de défiance tel qu’il suspecte les meilleures intentions. Car, je le déclare, tout ce que j’ai dit m’a été suggéré par un vif désir de voir la loi la meilleure possible, et telle quelle puisse atteindre le but que nous nous proposons. J’ai craint qu’il n’en fût pas ainsi, si nous laissions subsister une obligation qui pourrait porter les communes à éluder la loi, pour éviter le paiement d’une somme qui paraît minime, mais qui cependant est très considérable pour certaines d’entre elles.
J’invite l’honorable M. Verhaegen à avoir plus de confiance en nous, et à être assuré que si nous avons une opinion contraire à la sienne, nous n’avons pas pour cela d’arrière-pensée qui contrarierait le but évident que nous avons tous, et qui est d’avoir une loi aussi bonne, aussi impartiale que possible.
M. Dedecker. - Messieurs, je me propose aussi de voter contre la fixation d’un minimum d’intérêt, et je sens le besoin de déclarer que je n’ai en aucune façon l’arrière-pensée dont a parlé l’honorable M. Verhaegen.
Du reste, messieurs, je crois que ce qu’a dit l’honorable M. de Man ne doit pas être regardé comme une plaisanterie. En Allemagne, beaucoup d’instituteurs sont en même temps sacristains ou chautres. Il me paraît d’ailleurs que si nous voulons l’exécution de la loi, que si nous voulons que l’influence religieuse ait son libre cours en matière d’instruction primaire, nous ne devons pas regarder comme un mal, qu’il s’établisse des rapports entre le curé et l’instituteur.
M. Verhaegen. - Messieurs, je pense que l’honorable M. d’Huart ne m’a pas compris. Je n’ai pas suspecté le moins du monde ses intentions ; mais quand on avance un fait, il m’est permis d’en tirer des conséquences. Je n’ai pas raisonné dans le vague ; j’ai entendu prononcer par l’honorable M. de Man des paroles qui m’ont frappé, et j’en ai tiré les conséquences que je devais en tirer, à savoir qu’on voulait diminuer la concurrence en facilitant l’entrée des sacristains dans l’enseignement primaire.
Maintenant, il est évident, et je supplie l’honorable M. d’Huart de faire à cet égard des réflexions, que si la commune ne peut donner à son instituteur qu’une très petite somme, une somme en dessous de 200 fr., force sera à cette commune de prendre comme instituteur le sacristain et si un homme qui a des connaissances se présentait pour remplir la place, il serait écarté, par cela seul que les appointements ne seraient pas en rapport avec sa position.
Je vois donc dans la proposition que défend l’honorable M. de Man, le moyen d’éviter la concurrence à ceux que lui-même a indiqués.
M. Devaux. - Messieurs, en France, la loi fixe le minimum des appointements de l’instituteur primaire à 500 fr., si je me le rappelle bien.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb). - A 250 fr. pour les écoles inferieures et à 400 fr. pour les écoles plus élevées.
M. Devaux. - Ma mémoire n’est pas aussi fraîche quant aux autres législations ; mais je crois qu’elles fixent aussi un minimum.
La loi de 1834 fixait ce minimum à 300 fr.
Il me semble désirable, messieurs, de maintenir un minimum dans la loi, comme garantie du sort des instituteurs et en même temps pour obvier à beaucoup de difficultés.
On nous dit que si une commune est grande, il y aura des minervales. Oui, mais dans les communes populeuses l’instituteur ne se contentera pas de 200 fr. Vous ne risquez donc rien d’écrire ce minimum dans la loi ; c’est une précaution que l’on prend pour les communes peu étendues, et pour ces communes 200 francs ne sont pas trop ; le rapport du gouvernement vous prouve qu’en général le revenu d’un instituteur campagnard est de 350 à 400 francs.
Ou nous dit, messieurs, qu’il y a des instituteurs qui ne reçoivent pas aujourd’hui 200 fr. ; mais ce n’est pas une raison car que faisons-nous ? Nous voulons améliorer l’instruction primaire. On cite la province de Namur ; on dit que c’est celle où l’instruction est la plus répandue. Oui mais cela ne prouve pas qu’il n’y ait beaucoup d’améliorations à introduire dans cette province ; ce qui le prouve, c’est la statistique des miliciens qui savent lire, écrire et compter.
M. d’Huart. - Il y a dix-neuf ans de cela.
M. Devaux. - Il s’agit de la statistique de 1841 ; par conséquent de miliciens qui fréquentaient les écoles en 1836, époque à laquelle l’instruction dans la province de Namur était, à peu de choses prés, ce qu’elle est aujourd’hui. Eh bien ! il n’y a eu que 31 miliciens sur cent qui aient déclaré savoir lire, écrire et compter ; et nous devons supposer qu’il y a exagération dans ce chiffre.
Ceci vous prouve qu’il faut améliorer l’instruction, même dans la province de Namur, et vous ne l’améliorerez pas si vous n’améliorez pas la position des instituteurs. C’est la raison qui me fait désirer qu’on fixe un minimum. Le minimum de 200 francs est d’ailleurs inférieur à celui fixé en France, où il y a des communes bien pauvres, plus pauvres que les nôtres.
Je ne veux certainement pas exclure les sacristains ni les organistes des fonctions d’instituteur ; mais je désire que l’instituteur sache toujours que sa besogne n’est pas une besogne accessoire ; et, vous le savez très bien, les hommes mesurent l’importance de leurs fonctions au profit qu’ils en retirent.
Un honorable membre s’est récrié contre les charges nouvelles qui allaient résulter de la loi. Quant à moi, je ne connais pas le moyen d’améliorer l’instruction primaire sans charges nouvelles Si vous faites un jour une loi sur l’instruction moyenne, vous devrez encore augmenter les charges, ou vous n’améliorerez pas.
Il n’y a qu’une branche d’instruction qu’on puisse améliorer en faisant des économies, mais je ne sais pas si vous voudriez de cette amélioration ; c’est l’instruction supérieure ; bien certainement vous amélioreriez cette instruction en réduisant le nombre des universités ; mais, je le répète, je ne crois pas que vous voudriez y consentir.
Je crois donc que la nécessité d’améliorer l’instruction primaire doit vous porter à fixer ce minimum, qui d’ailleurs n’est pas excessif ; les données statistiques vous le prouvent. Il faut rassurer l’instituteur primaire sur sa position.
Messieurs, j’ai eu occasion de me trouver en rapport avec beaucoup de personnes attachées à l’instruction publique, professant, donnant des leçons. J’ai été chargé dans le temps d’enquêtes à cet égard, lorsqu’il s’agissait de nominations. Je me suis trouvé en rapport avec plus de 50 personnes donnant des leçons dans les écoles, et j’ai vu que la crainte qu’ils avaient sur leur sort en présence de cette estimation de leurs appointements qui étaient laissée tout à fait à l’arbitraire des communes, était très puissante sur eux et qu’ils demandaient à changer, rien que parce qu’ils prévoyaient une disposition économique de la commune, qui diminuerait leur traitement. Eh bien, le minimum prévient ce nouveau danger, en ce sens que l’instituteur a toujours un sort assuré.
Je crois que cela est tout à fait dans l’intérêt de l’instruction primaire. Si vous voulez, comme le porte une des dispositions du projet de loi, établir des caisses de prévoyance pour les instituteurs et assurer leur avenir, je crois que l’une des premières mesures à prendre en leur faveur, est de fixer un minimum pour leur traitement. Le minimum proposé n’est pas exagéré ; il sera dépassé dans beaucoup de communes, dans la plupart des communes.
M. de Man d’Attenrode. - L’honorable M. Verhaegen s’effraie de ce que les instituteurs communaux jouissent quelquefois du cumul des fonctions de sacristain et d’organiste ; il semblerait réellement que les fonctions de sacristain et d’organiste sont exclusives d’un bon instituteur, il semblerait que l’honorable membre ignore cette circonstance, qui est des plus ordinaires, et des plus heureuses pour l’instruction, parce qu’elle aide à faire marcher une école, et des plus favorables pour les communes, parce qu’elle vient en aide à ses finances.
Si l’honorable membre redoute tant l’influence des fonctions de sacristain pour l’instituteur, s’il la considère comme si pernicieuse, je l’engagerai à proposer l’incompatibilité de ces fonctions.
L’honorable M. Devaux est venu arguer de la statistique qui a été dressée à l’occasion de la levée de la milice, sur le nombre de ceux qui savent lire et écrire ; il en a tiré la conséquence que l’instruction primaire avait fait peu de progrès sous le régime de la liberté de l’instruction. Je répondrai à l’honorable député, et je suis à même de le faire, puisque j’ai contribué à faire cette statistique en interrogeant les miliciens comme commissaire de milice ; je dirai à l’honorable membre que cette statistique est des plus inexactes, parce que beaucoup de miliciens craignent de répondre qu’ils savent lire et écrire, se figurant que cela les obligera à servir comme caporaux, et à ne pas jouir des congés qui sont si fréquents dans notre armée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous êtes dans cette alternative : Il faut inscrire dans la loi le principe d’un traitement fixe et déterminer un minimum, ou bien vous vous engagez dans des luttes très fâcheuses pour la fixation des rétributions individuelles. Je dis qu’il faut éviter ces luttes. Il faut à l’instituteur un revenu convenable. Si vous ne lui assurez pas une partie de ce revenu au moyen d’un traitement fixe et au moyen d’un minimum indiqué dans la loi, il faudra obtenir ce revenu au moyen de rétributions individuelles. Maintenant, rendons-nous bien compte de la position de l’instituteur dans les communes rurales. Les écoles communales ne sont pas ouvertes toute l’année dans ces communes, comme dans les villes. Cela est impossible. Les écoles sont forcément suspendues pendant une partie de l’année, dans la majorité de ces communes. Vous n’obtiendrez pas que les écoles soient fréquentées du 1er janvier au 31 décembre.
Je suppose maintenant un instituteur à qui l’on donne un traitement très minime, et réduit presque à zéro, il faudra lui assurer un revenu suffisant tout pour l’année entière. Les pères de famille payent la rétribution par mois ; mais ils trouveront cette rétribution extrêmement élevée, parce que l’instituteur n’ayant pas de traitement fixe, la rétribution sera calculée de manière à indemniser l’instituteur, non seulement pendant les mois d’école, mais pendant l’année tout entière. Il leur paraîtra qu’ils paient double, pour me servir d’une expression très simple, mais très vraie. Le traitement fixe aura un avantage : il permettra que la rétribution individuelle soit peu élevée, et soit si peu élevée que le père de famille ne se considère que comme payant pour les mois où réellement l’école se tient. Voila pourquoi il faut, outre ses rétributions, un traitement véritablement assurée et cela ne peut être que par l’établissement d’un minimum.
Je voudrais, moi, que les instituteurs n’eussent qu’un traitement fixe ; leur position en serait infiniment pus belle, non seulement sous le rapport de la sécurité, mais aussi sous celui de la dignité. Je sais que cela ne se peut pas, aussi je ne le demande point ; je sais qu’on ne peut pas admettre un système où l’instituteur n’aurait qu’un traitement fixe, mais aussi il ne faut pas non plus se laisser entraîner à un autre système, où il n’y aurait plus qu’une rétribution ; or, l’on arriverait à ce dernier système par la suppression du minimum ; je suis donc forcé de persister dans la proposition que j’ai faite et qui se trouve dans la loi française, ainsi que dans le projet de 1834.
M. de Mérode. - L’honorable M. d’Huart vous a parlé de beaucoup de communes où l’instruction est bien organisée et où l’instituteur ne reçoit pas un traitement fixe de 200 francs.
Si beaucoup d’enfants n’ont pas appris à lire et écrire dans des communes, ce n’est pas la faute de l’instituteur, mais c’est l’indifférence des parents et la paresse de certains écoliers qui ne se soucient pas d’apprendre.
D’après ce qui a été dit, messieurs, par certains honorables préopinants, il semble qu’on ne sait réellement pas ce que c’est qu’un village. Il y a une foule de villages où l’on a toutes les peines du monde à organiser ce qui est nécessaire pour avoir une église, une maison commune, un instituteur ; et l’on est souvent très heureux de pouvoir faire remplir les fonctions d’instituteur par le sacristain, qui est quelquefois aussi organiste, alors qu’il y a un orgue, et il n’en existe peut-être pas dans la moitié des villages du pays. On parle véritablement ici comme des citadins qui n’ont jamais vu une commune rurale, et l’on traite le trésor public comme s’il était inépuisable. On dit : « L’Etat y pourvoira lorsque les communes ne pourront pas y pourvoir. » Mais c’est là une supposition absurde, car l’Etat ne peut pas enrichir toutes les communes du royaume, puisque c’est l’ensemble de ces communes qui constitue l’Etat.
Puisque, notamment dans la province de Namur, il est beaucoup d’écoles qui marchent très bien sans que les instituteurs reçoivent un traitement fixe de 200 fr., je crois qu’il ne faut pas établir ce minimum dans la loi, mais qu’il faut attendre ce que l’expérience nous apprendra à cet égard. Je crois qu’il ne faut pas ainsi décréter toujours des dépenses pour lesquelles on ne propose d’autres voies et moyens que des emprunts.
M. Dumortier. - Messieurs, ce qu’a dit l’honorable M. d’Huart, de la province de Namur, s’applique complètement à une partie de la province du Hainaut. Je connais dans le Hainaut une foule de communes où l’instituteur ne reçoit aucun traitement ; cependant on peut dire que c’est dans la province du Hainaut que l’instruction est portée au plus haut degré de prospérité, Sous le gouvernement hollandais, le Hainaut était déjà considéré, sous ce rapport, comme une province modèle.
L’honorable M. Devaux a dit que depuis la révolution l’instruction n’a pas fait de progrès, mais c’est là une erreur des plus graves.
M. Devaux - Je n’ai pas dit cela.
M. Dumortier. - Vous l’avez donné à entendre.
Eh bien, je crois qu’à aucune époque l’instruction primaire, moyenne et supérieure n’ont été ce qu’elles sont aujourd’hui. Si vous comparez les tableaux de la population des écoles qui ont été publiés sous le gouvernement hollandais avec ce qui existe aujourd’hui vous verrez que le nombre des élèves a triplé dans le Hainaut, notamment, qui sous l’ancien gouvernement était déjà cité comme la province où l’instruction était la plus florissante ; le nombre des écoles a augmenté d’une manière vraiment miraculeuse depuis la révolution. Et cela pourquoi ? Parce que sous le gouvernement hollandais on vivait sous le régime du monopole et que beaucoup de parents préféraient ne pas donner d’instruction à leurs enfants, que de les soumettre au régime du monopole.
Je dis donc que c’est une grave erreur, de croire que l’on ne puisse rien faire que par des moyens semblables à ceux que l’on employait sous le gouvernement hollandais ; nous avons fait beaucoup plus au moyen de la liberté.
Dans les communes du Hainaut dont je parlais tout à l’heure et où l’instituteur ne reçoit pas un centime de traitement, tous les enfants pauvres sont cependant instruits. Et savez-vous, messieurs, comment l’on procède ? On paie pour chaque enfant pauvre un escalin de Brabant par mois, c’est-à-dire 7 sous de Brabant, moyennant quoi l’instituteur donne l’instruction à ces enfants. Eh bien, messieurs, lorsque vous aurez assuré aux instituteurs un traitement fixe, il faudra encore payer cet escalin pour chaque enfant pauvre, de sorte qu’il y aura évidemment double emploi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On ne paiera plus cela.
M. Dumortier. - On le paiera encore, et cela résulte du projet de loi qui nous est soumis. On le paiera, soit sur les fonds du bureau de bienfaisance, soit sur les fonds de la commune.
Ainsi, messieurs, indépendamment de ce qu’on paie aujourd’hui, il faudra encore donner à l’instituteur un traitement fixe de 200 fr. au moins. Mais savez-vous bien que pour beaucoup de communes 200 fr. sont une somme considérable. Avec 200 francs on peut améliorer les chemins vicinaux, construire des ponceaux, faire beaucoup de choses très utiles à la commune.
Je ne suis pas du tout effrayé, messieurs, de ce que des sacristains, des bedeaux rempliraient les fonctions d’instituteurs, s’ils ont la capacité nécessaire pour les remplir convenablement. Au moins, dans ce cas, les parents auraient des garanties morales et religieuses que des instituteurs largement rétribués n’offriront peut-être pas toujours.
La loi que nous faisons a pour but d’améliorer l’enseignement primaire ; je crois, messieurs, que ce but sera atteint, mais je ne pense pas du tout que pour cela il soit nécessaire de créer des traitements comme ceux que l’on veut établir,
Savez-vous, messieurs, ce qui arrivera ? c’est que beaucoup de communes auxquelles vous voulez imposer cette nouvelle charge de 200 francs par an, ne voulant point s’imposer des centimes additionnels pour faire face à cette dépense, retrancheront les 200 fr. du subside qu’ils accordent aux pauvres vicaires dont le traitement est de 500 francs, Je suis convaincu que ce n’est pas là le but que l’on veut atteindre, mais la mesure qui vous est proposée aura infailliblement ce résultat. Or, personne n’ignore combien la position des vicaires en Belgique est malheureuse ; l’honorable M. Verhaegen a plusieurs fois pris leur défense, et je l’en remercie sincèrement. (On rit.)
M. Verhaegen. - Cela n’est pas du tout risible ; cela est fort juste.
M. Dumortier. - Je ne le dis pas non plus d’une manière risible.
M. Verhaegen. - Je le sais bien. C’est à d’autres que mon observation s’adresse.
M. Dumortier. - Je dis donc que la mesure aura ce résultat que les communes, qui visent en général à l’économie, rogneront aux vicaires les 200 francs que vous voulez les forcer de payer aux instituteurs.
Je crois, messieurs, qu’il vaudrait beaucoup mieux laisser marcher sous ce rapport les choses comme elles marchent maintenant. Je crois qu’il faut laisser aussi quelque chose aux communes. Vouloir ainsi tout réglementer, ne laisser aucune liberté aux communes, c’est véritablement douter du pays, c’est douter de l’avenir. Je demande donc, comme l’honorable M. d’Huart, la suppression du paragraphe en discussion, et je crois que les choses en marcheront beaucoup mieux.
M. Rogier. - Messieurs, je considère une position convenable à donner aux instituteurs comme une condition essentielle d’une bonne loi sur l’instruction primaire. Je l’ai déjà dit, dans mon opinion, toute l’instruction primaire réside dans la personne des instituteurs ; si l’instituteur est bon, l’instruction sera bonne ; si l’instituteur est mauvais, de quelques précautions administratives et religieuses que vous entouriez l’instruction, elle sera mauvaise. Or, quelle est la première condition pour obtenir de bons instituteurs ? C’est de leur assurer un sort convenable.
On vient de dire que l’instruction primaire est florissante dans plusieurs provinces, que tout marche au mieux, qu’il ne faut rien changer à l’état de choses actuel. Mais s’il en est ainsi, à quoi bon faire une loi ? Il me semble que quand nous faisons une loi sur l’instruction primaire, c’est pour améliorer l’instruction primaire. Si c’est tout uniment pour conserver le statu quo, qu’on laisse subsister le statu quo, et qu’on ne fasse pas de loi ; et qu’on ne jette pas peut-être dans le pays de nouveaux germes de discorde et de désunion. Si donc, on fait une loi, c’est pour améliorer l’instruction primaire ; or, pour améliorer l’instruction primaire, il faut améliorer la position des instituteurs, et on ne peut le faire qu’en leur donnant par la loi certaines garanties. Eh bien, messieurs, la garantie à laquelle l’instituteur tient d’abord, c’est celle qui doit assurer son existence.
Si vous ne fixez pas de traitement minimum, qu’arrivera-t-il ? C’est que beaucoup de jeunes gens, ne sachant pas quel sort leur est réservé dans la carrière de l’enseignement, ne se dévoueront pas à cette carrière. C’est qu’on désertera les écoles normales où doivent à l’avenir se former les instituteurs primaires.
On vient de parler du sort des vicaires et des desservants ; mais le sort des instituteurs dans les communes rurales est bien au-dessous de celui des vicaires et des desservants. Quant à moi, je veux que le sort des vicaires, des desservants soit heureux ; j’ai contribué pour ma part, comme ancien ministre de l’intérieur, à doubler le traitement de tous les chapelains ; je l’ai fait avec grand plaisir, et je le ferais encore si l’occasion m’en était donnée. Mais l’instituteur a droit aussi à notre sollicitude. Il a son humble bien-être à maintenir, sa petite considération à conserver. Je connais beaucoup d’instituteurs communaux qui se trouvent dans un état voisin de la misère, et sous le rapport matériel, la position des desservants et des vicaires ne peut pas supporter la comparaison avec celle des instituteurs communaux qui sont souvent chargés d’une nombreuse famille, et que n’ont pas les ministres du culte.
Si vous ne fixez point de minimum dans la loi, messieurs, il y aura presque chaque année des luttes entre les conseils communaux et les instituteurs. L’instituteur a naturellement ses envieux dans la commune, il a parfois pour ennemi soit le bourgmestre, soit un échevin ; eh bien, chaque année son traitement sera remis en question, pour peu qu’il ait eu le malheur de déplaire à l’un ou à l’autre membre du conseil.
On vient de dire que ceux qui parlaient d’accorder un traitement de 200 francs à l’instituteur, c’est-à-dire 60 centimes par jour, voulaient prodiguer encore une fois l’argent de l’Etat. D’abord il s’agit ici de l’argent de la commune ; la province vient ensuite au secours de la commune, et l’Etat n’arrive qu’en dernière ligne.
En second lieu, si l’on craint cette tendance du gouvernement à prodiguer l’argent du trésor, eh bien c’est pour cela qu’il faut poser une limite dans la loi ; car si l’on retranche le minimum légal, le gouvernement restera maître de fixer le minimum ; or, s’il y a des tendances libérales, il pourra fixer le minimum à 300 fr. par exemple ; donc, dans le système de ceux qui se défient du gouvernement, il est bon qu’on fixe une limite à sa libéralité.
Cette somme dans une commune riche ne sera pas exorbitante ; dans une commune pauvre, au contraire,, il est indispensable que le traitement de l’instituteur soit établi à un taux raisonnable, parce que, dans ces communes pauvres, l’instituteur ne jouit pas de fortes rétributions. Plus la commune est petite et pauvre, moins est grand le nombre des élèves payants fréquentant l’école. C’est donc dans ces localités, où le soin de l’instituteur est des plus précaires, qu’il est nécessaire de fixer un minimum.
Pour ces communes pauvres, qu’arrivera-t-il, si leurs ressources sont insuffisantes ? Elles s’adresseront à la province, et la province comblera l’insuffisance de leurs budgets, comme elle le fait souvent pour les suppléments de traitement des vicaires. Car, quoi que la législature ait porté le traitement intégral des vicaires au budget de l’État, les communes ont généralement continué à porter dans leurs budgets des suppléments de traitement aux vicaires d’un minimum de 200 fr. Ainsi le sort des vicaires est singulièrement amélioré, puisqu’ils ont gagné outre l’avantage d’être payés en totalité par l’Etat, celui d’un supplément payé par les communes ; eh bien, lorsque des communes pauvres sont gênées pour payer ce supplément, elles demandent un subside à la province, qui souvent le lui accorde ; c’est du moins ce qui arrivait dans la province que j’ai eu l’honneur d’administrer.
Eh bien, ce qu’on fait pour les traitements des vicaires, on le fera pour les traitements des instituteurs. La proposition mérite à tous égards d’être adoptée par la chambre. Dans le projet de 1834, on avait fixe le minimum à 300 fr., et alors on ne trouvait pas à cette disposition les inconvénients qu’on croit y voir aujourd’hui. D’ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que d’après l’art. 1er du projet, deux ou trois communes peuvent se réunir pour fonder une école, et dès lors la part contributive de chaque commune sera réduite à 100 fr., ou même à une somme moindre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, il m’a semblé résulter des observations qui ont été faites par plusieurs membres, que cette proposition est considérée comme une innovation. Il est bien vrai, messieurs, que, dans un grand nombre de communes l’administration communale ne paie pas directement 200 fr. à l’instituteur ; mais les communes reçoivent des suppléments quelquefois de la province et très souvent de l’Etat. J’ai trouvé au ministère de l’intérieur ce principe consacré qu’il fallait, autant que possible, que le traitement de l’instituteur fût au moins de 200 fr. ; de sorte que chaque fois qu’un instituteur qui ne jouit pas d’un traitement de 200 fr. fait un appel à l’intervention de l’Etat, le gouvernement examine si cet instituteur a des émoluments considérables ; s’il ne jouit pas d’émoluments suffisants, on porte son traitement à 200 fr., à l’aide d’un supplément sur les fonds de l’Etat. (Interruption, réclamation.) Je le répète, pour employer les fonds portés au budget pour l’enseignement primaire, le gouvernement a admis le principe que l’instituteur doit avoir au moins un traitement de 200 fr. Ce n’est donc pas une innovation, comme on l’a supposé.
Il s’agit ou de communes riches ou de communes pauvres. S’il s’agit de communes riches, le minimum de 200 fr. n’est pas trop élevé ; s’il s’agit de communes pauvres, il est indispensable que le minimum soit appliqué, parce que dans ces communes les pères de famille ne sont pas en état de payer individuellement des rétributions considérables. (Interruption.) Je soutiens que c’est précisément à cause des communes pauvres qu’il faut fixer un minimum de traitement.
Depuis que je m’occupe d’instruction primaire, ce qui m’a frappé, ce qui est résulté pour moi des relations que j’ai pu avoir avec des instituteurs, c’est qu’il n’y a pas en ce moment de carrière pour l’enseignement primaire ; c’est là ce qui les désole, les décourage ; or je crois qu’il y a deux moyens de leur faire une carrière.
Le premier moyen est l’institution des caisses de prévoyance. Le gouvernement en a pris l’initiative. Le deuxième moyen consiste dans l’adoption d’une disposition législative consacrant le principe d’un traitement fixe pour l’instituteur, avec indication d’un minimum. Je regarde ces deux mesures comme de nature à faire faire les plus grands progrès à l’enseignement primaire ; la position de l’instituteur ne sera plus précaire comme elle l’est maintenant, ce sera une véritable carrière.
M. de Brouckere. - Que la chambre me permette de mettre sous ses yeux un renseignement statistique qui pourra lui être d’un grand secours pour la solution de la question qui s’agite en ce moment. Il résulte d’un calcul que je viens de faire que, dans la province d’Anvers, chaque instituteur touche aujourd’hui, terme moyen, une somme de 170 à 180 fr. en espèces, en additionnant les sommes allouées sur le trésor public, sur les fonds provinciaux, sur les caisses communales et sur les budgets des bureaux de bienfaisance.
M. Dubus (aîné). - Ce calcul me semble plaider contre la proposition de M. le ministre. D’après cette moyenne établie sur les traitements globaux des instituteurs de la province d’Anvers, il est clair que beaucoup d’instituteurs dans cette province, n’ont pas un traitement de 200 francs. Or, quelle est la proposition du gouvernement ? Elle tend à établir un minimum de 200 francs, c’est-à-dire à porter le traitement à ce taux-là où il est à un taux inférieur ; là où l’on ne portera pas le traitement à ce taux, l’administration le portera d’office ; c’est précisément ce que nous ne voulons pas ; nous ne voulons pas qu’on puisse obliger une commune à payer un traitement alors que cette dépense n’est pas nécessaire.
M. Lebeau. - Messieurs, je regarde cette disposition comme une des plus importantes de la loi ; sans vouloir manquer au respect que je dois aux intentions de mes honorables collègues, j’ose dire que quand on a connaissance de l’état de l’enseignement primaire et des conditions par lesquelles cet enseignement peut s’améliorer, on ne peut se dissimuler que le rejet de la proposition peut contribuer à rendre la loi inefficace. Je n’attaque les intentions de personne, mais je déclare qu’aux yeux de beaucoup d’amis de l’instruction primaire, le vote que nous allons émettre sera en quelque sorte une épreuve décisive de la sollicitude que chacun de nous montre pour l’enseignement primaire.
Messieurs, on parle toujours dans cette chambre de conciliation, de rapprochement, d’esprit de concession. Ce n’est pas, dit-on, une loi politique que la chambre fait, mais une loi sociale.
Eh bien, je ne sais par quelle fatalité il va peut-être arriver que dans cette circonstance, comme dans beaucoup d’autres, si nous procédons par appel nominal, nous nous diviserons en deux camps bien tranchés. Si ce n’est qu’une question purement sociale, pourquoi la moitié de mes honorables collègues qui siègent à droite ne se lèverait-elle pas avec nos honorables collègues qui siègent à gauche ? Je prévois, je crains, puissé-je me tromper ! que pour prouver à la nation combien l’esprit de conciliation fait de progrès dans cette chambre et quelle fusion il a opérée dans les divers partis, nous allons nous trouver encore parqués en deux fractions à peu près égales. Cela doit paraître déplorable aux yeux des amis et prôneurs de la conciliation.
Veuillez remarquer, messieurs, combien l’opinion à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir met peu de politique dans cette discussion, combien elle se laisse dominer exclusivement par l’importance de l’objet soumis à nos débats ! Cette opinion, qu’on a accusée d’être tracassière, de faire une opposition systématique à la présente loi, se montre en ce moment aussi ministérielle que le ministère lui-même, se montre aussi gouvernementale que le gouvernement lui-même, encourage de tous ses efforts la persistance de M. le ministre de l’intérieur à soutenir une des dispositions que je regarde comme une des plus importantes de la loi. Voilà, ce me semble, comment on doit agir, quand on veut faire une loi d’intérêt social, sans préoccupations politiques.
L’honorable M. d’Huart, et je ne crois pas devoir prendre des précautions oratoires à son égard, il sait quels sont mes rapports d’estime avec lui, et s’il y avait, lorsque je combats son opinion quelque chose de blessant dans mes paroles, je les retirerais à l’instant ; l’honorable M. d’Huart a argumenté de son expérience ; mon honorable collègue me permettra d’invoquer aussi la mienne.
Certainement dans la province de Namur, le traitement de 200 francs a été, et est peut-être encore l’exception ; mais je dois déclarer que l’exception est devenue moins rare, depuis que j’ai eu l’honneur de présider à l’administration de cette province, et grâce au concours aussi actif qu’éclairé que m’a prêté à cet égard la députation provinciale. Je me plais à croire que les choses ont continué à marcher dans ce sens, depuis que l’honorable M. d’Huart a pris les rênes de cette même administration provinciale.
Lorsque je suis arrivé à Namur, j’ai eu l’occasion de constater que dans certains budgets communaux il y avait parfois des traitements d’instituteur, à charge de la caisse communale, de 20 à 30 francs, alors qu’on se partageait annuellement de 1,500 à 2,000 francs d’affouage, et lorsque la province et le gouvernement avaient la bonhomie de se substituer à la sollicitude communale, pour accorder un traitement à l’instituteur.
Je me suis empressé de faire sentir que ces communes manquaient à tous leurs devoirs envers l’instruction publique. Nous les avons menacées de faire retirer le subside de l’Etat et de retirer ou de refuser tout subside de la province, si elles ne voulaient pas se conduire d’une manière plus convenable envers l’instituteur. Quelquefois nous avons réussi, mais souvent, faute de moyens de contrainte, nos efforts sont restés sans résultat.
Voilà un état de choses que l’honorable membre ne voudrait assurément pas voir se perpétuer.
Messieurs, je vous prie de remarquer qu’en créant un minimum de 200 francs, vous avez créé en même temps les moyens d’y pourvoir. Il ne faut pas vous effrayer du nouveau système de centimes additionnels. Il ne faut pas croire que vous allez écraser les communes qui ne seraient pas, par leurs ressources ordinaires, en état de faire un traitement de 200 francs à leur instituteur. On nous a fait remarquer que sur une somme de dix mille francs d’impôt direct, les 2 centimes additionnels produiraient deux cents francs. Une commune qui paye dix mille francs d’impôt direct n’est pas une commune pauvre. Si vous répartissez la somme de 200 fr. sur les habitants, à commencer par les propriétaires, assurément vous ne rançonnerez trop durement personne.
Si vous supposez l’impôt direct s’élevant à 5 mille francs, en supposant qu’on porte les centimes additionnels au maximum, ce qui n’est pas nécessaire pour avoir droit au subside de la province et de l’Etat, le produit de ces centimes additionnels serait de 100 fr. Est-ce là un chiffre exorbitant pour les contribuables d’une commune aisée ? L’avantage que je vois dans ce moyen, c’est qu’il atteint tout le monde, non seulement le père de famille, mais le riche célibataire, et à ce propos, je devrais compter sur le concours de l’honorable M. de Garcia. (On rit.) Les célibataires ne pourront pas se retrancher dans leur égoïsme ; ils ne pourront pas dire : « Je n’ai pas d’enfant, peu m’importe l’insuffisance des ressources de la commune, je ne veux rien donner pour l’entretien des écoles, car je n’ai personne à y envoyer. » Au point de vue de l’intérêt général, cette disposition est très utile, Il faudra que le célibataire riche fasse son offrande pour l’instruction des enfants. En combinant avec prudence ce système avec les subsides de la province et de l’Etat, nous obtiendrons d’excellents résultats.
Des honorables membres ont parlé de l’intervention de la députation permanente, pour rassurer la chambre dans la tendance des communes à se montrer très parcimonieuses dans la fixation du traitement de l’instituteur. Il faut mettre aussi rarement qu’il est possible la députation en conflit avec les communes. C’est un mauvais moyen d’assurer les bonnes relations qui doivent exister entre la députation et les communes, que de l’obliger à majorer les traitements dans le budget communal. C’est un acte hostile qui altère toujours l’harmonie qu’il est si désirable de voir présider à ces relations. Il faut le moins possible mettre les députations dans cette position.
Je ne serai pas non plus sans quelque défiance aussi sur la tendance des députations ; car si elles élèvent le traitement de l’instituteur, elles sauront que par là elles peuvent obliger la province à intervenir, et cette crainte peut les rendre, sinon plus parcimonieuses, au moins un peu trop circonspectes. Ce sentiment pourrait agir à leur insu.
Il faut donc un minimum.
On a parlé de vacances ; on a dit que, dans l’état actuel, nos écoles avaient des vacances d’un mois à six semaines en été. Je peux le déclarer qu’il y a des écoles qui ne sont tenues que pendant cinq ou six mois. Pourquoi ? Parce qu’en général l’instituteur n’a pas grand zèle et doit, pendant une partie de l’année, chercher d’autres moyens d’existence. Voilà ce qui est à ma connaissance. La position de l’instituteur est généralement misérable. Ce n’est que par exception que cette position est enviée ; c’est dans des communes riches et qui montrent de la sollicitude pour l’instruction publique, ce qui est l’exception.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je prie la chambre de me pardonner cette insistance. J’attache la plus grande importance à cette disposition. La chambre s’en convaincra quand nous examinerons l’article 18. Peut-être ferait-on bien de tenir jusque-là ce paragraphe en suspens, car je démontrerai que l’art. 18 ne peut être exécuté qu’en fixant le minimum d’un traitement.
Plusieurs voix. - Il faut en finir maintenant.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ferai ressortir la connexité qu’il y a entre cet article et le § 2 de l’art. 18.
Je ne puis assez le répéter, il faut que l’instituteur ait une véritable carrière. Jetez les yeux sur la quatrième partie de mon rapport, vous y trouverez le relevé comparatif des revenus des instituteurs avant 1830 et depuis et vous verrez qu’ils ont généralement diminué. Je ne puis vous donner lecture de tous ces chiffres.
Si vous ne fixez pas de minimum, il y aura une tendance dans les communes à faire en sorte que l’instituteur n’ait, en majeure partie d’autre revenu que la rétribution des enfants. Elle devra alors être considérable, les pères de famille chercheront à s’y soustraire et n’enverront leurs enfants à l’école que pendant une partie de l’année. Sa rétribution se payant par mois, on enverra les enfants 6 mois à l’école, pour ne payer que six mois la rétribution mensuelle. Que deviendra l’instituteur, quelle sera sa position ? Rien ne sera plus précaire.
Il verra dépeupler sou école par une spéculation, que je ne veux pas qualifier, des pères de famille, mais qui existera. Il ne faut pas nous faire illusion sur les habitudes de la campagne, sut les dispositions des pères de famille. Il faut que la loi fixe un minimum, assure une certaine position à l’instituteur. Très souvent, surtout dans les communes très pauvres, les rétributions ne sont qu’une espèce de supplément, et ces rétributions sont précaires, peuvent cesser du jour au lendemain. Aucun père de famille n’étant tenu de payer pour l’année entière, ils donneront vacance à leurs enfants, ils les réclameront à l’époque de la moisson et les garderont une partie de l’année, pour faire cette spéculation que j’ai dénoncée tout à l’heure.
Si la chambre n’était pas assez éclairée, je demanderais qu’on le laissât en suspens à cause de la connexité entre ce paragraphe et l’art. 18. (Interruption.)
Vous verrez, quand nous discuterons l’art. 18, que par le système d’intervention que consacre cette disposition, la charge de la commune est moindre qu’on ne le suppose. Le minimum donne ouverture à l’intervention de la province et de l’Etat, quand il est constaté que la commune ne peut pas subvenir à ce minimum.
M. de La Coste. - Je n’accepterai pas le vote sur cette disposition comme une épreuve du degré d’importance que chacun de nous attache à l’instruction primaire. Pour ma part, j’ai assez expliqué l’importance que j’y attache, et si on remontait plus haut, on en trouverait quelques preuves. Mais c’est précisément pour cela que je verrais avec regret, dans ce que nous allons faire, tout ce qui pourrait rendre l’instruction primaire moins populaire. Sans vouloir attacher l’idée que je vais énoncer à l’opinion que viennent de défendre M. Lebeau et M. le ministre de l'intérieur, je ne veux pas qu’elle devienne un épouvantail pour les cultivateurs ; car il ne faut pas se dissimuler que les centimes additionnels tombent en définitive sur eux. Tel est l’état réel des choses, et le pouvoir législatif ne pourrait y rien changer. Ceci ne souffre d’exception qu’à l’égard de quelques propriétés non susceptibles de location ou du moins qui ne sont pas louées d’ordinaire.
Je pense aussi qu’il fait ce que j’ai souvent entendu réclamer à ma droite, avoir une certaine confiance dans les députations permanentes. Quand, en 1830, on voulait donner un nouveau développement à l’instruction primaire, on a eu cette confiance, et je ne vois rien dans les circonstances actuelles qui pourrait engager à ne plus la leur témoigner.
Je pense avec M. le ministre de l’intérieur que les fonctions d’instituteur doivent offrir aux personnes qui s’y consacrent une carrière proportionnée à leur état dans la société, mais pour atteindre ce but, il faudrait établir une classification comme on l’avait fait en 1830, afin qu’il y eût une perspective d’avancement.
C’est là un motif de plus pour désirer un travail préalable de la députation de chaque province qui fixerait le minimum sous l’approbation du Roi. On éviterait par là, tout aussi bien qu’en fixant le maximum dès à présent, les contacts entre les députations et les administrations locales. Les députations n’auraient point en effet à travailler, pour ainsi dire, individuellement avec chaque commune. Un minimum serait fixé, mais on aurait égard, dans la fixation aux circonstances, propres à chaque province, rien n’empêcherait que cette fixation se fît par classe. Si les députations agréaient cette idée, je suis intimement convaincu qu’on atteindrait ainsi le but qu’on se propose mieux, et plus sûrement qu’en insérant le minimum dans la loi.
Quant à l’absence de moyens coercitifs dont se plaint l’honorable M. Lebeau, elle n’existera plus, puisque la loi donne au gouvernement les moyens de vaincre les résistances des communes. Si mes vues étaient admises, le minimum serait toujours, en résultat, fixé à la satisfaction du gouvernement, puisque vous en chargeriez la députation, sauf son approbation, et les traitements réglés sur cette base seraient acquittés sans difficulté, puisque ces dépenses, lorsqu’elles sont dans les termes de la loi, deviennent obligatoires.
En conséquence, je dépose un amendement destiné à remplacer, dans la disposition du projet, les mots : « Le minimum du traitement ne peut être moindre de 200 francs. » Cet amendement est ainsi conçu :
« Le minimum du traitement sera fixé, dans chaque province, par la députation permanente, sous l’approbation du Roi. »
M. Dumortier. - J’ai certainement, en matière d’instruction, fait mes preuves autant que qui que ce soit dans cette enceinte ; je dois donc repousser les insinuations émises tout à l’heure sur la portée du vote que nous allons émettre. On a dit que ce serait l’épreuve de la sollicitude que chacun de nous a pour l’instruction primaire. Ce serait dire que nous qui ne votons pas pour la proposition, n’avons aucune sollicitude pour l’instruction primaire. Je repousse cette insinuation, je ne l’accepte en aucune manière ; j’ai prouvé autant que personne le cas que je fais de l’instruction ; mais dans cette matière ne nous est-il pas permis d’envisager l’instruction sous deux points de vue différents ? Quelle différence y a-t-il entre vous et moi ? il y a cette différence que d’après votre système, ii faut que l’instituteur soit indifférent au plus ou moins grand nombre d’élèves payants dans son école. Moi, je n’y suis pas indifférent, je veux qu’il ait d’autant plus de traitement qu’il aura un plus grand nombre d’élèves dans son école. Si donc je renversais la question, je pourrais dire que ce sont ceux qui voteront contre la proposition qui prouveront leur véritable sollicitude pour l’instruction des masses.
Ce n’est pas au moyen d’un traitement qu’on alléchera l’instituteur. Si vous allouez à l’instituteur une somme à raison du nombre de ses élèves, vous lui ferez faire des efforts pour augmenter le nombre des élèves de son école. Remarquez que quand l’instituteur aura un traitement de 200 fr., si ce traitement équivaut à ce que pouvait payer un nombre assez faible d’élèves qu’il avait auparavant, la commune lui donnera un traitement pour ne rien faire et un subside par élève pour faire. Il y aura double emploi, ce sera comme si vous donniez un ministre un traitement pour le plaisir d’être ministre et un traitement pour administrer ; au juge, un traitement pour revêtir la robe de juge et un traitement pour juger. Ce serait le rétablissement des épices.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Les épices, ce n’était pas si mauvais.
M. Dumortier. - Quant à moi, je n’en suis pas partisan, j’approuve beaucoup la loi française qui les a supprimées. Je crois qu’il est peu de personnes dans cette assemblée qui en voulussent le rétablissement.
Je dis que le moyen de stimuler le zèle de l’instituteur est de lui donner un traitement d’autant plus élevé qu’il a un plus grand nombre d’élèves. C’est ce système qui a été adopté depuis la révolution et qui fait que, depuis lors, le nombre des élèves est doublé. Si les communes veulent maintenir le traitement de l’instituteur, laissez-leur en la faculté ; mais pourquoi voulez-vous les y contraindre ? Dans la province que l’habite, beaucoup de communes ont cessé de donner un traitement à l’instituteur, et cependant celui-ci vit aussi bien que par le passé, parce qu’il a redoublé de zèle et qu’il a récupéré par le nombre de ses élèves ce qu’il a perdu du côté du traitement.
On a dit qu’avec le système de la rétribution seule, les parents n’enverront leurs enfants à l’école que pendant quelques mois de l’année. Je répondrai sur ce point à M. le ministre que, quoi qu’il fasse, quel que soit le système qu’il adopte, les parents n’enverront pas leurs enfants à l’école pendant les mois d’été ; car, pour eux, le premier besoin est de vivre ; vous ne pouvez pas en faire des rentiers. Ils ont besoin du travail de leurs enfants pendant les mois d’été, afin de pouvoir vivre.
Vous le voyez donc, il n’y a absolument aucun motif dans le véritable intérêt de l’instruction pour adopter le traitement fixe comme obligatoire. Laissez donc à cet égard toute liberté aux communes.
Un honorable préopinant a dit que la moyenne du traitement des instituteurs de la province d’Anvers était de 170 fr. ; mais si vous remarquez que cette moyenne comprend les traitements des instituteurs des villes d’Anvers, Malines, Turnhout, etc., vous comprendrez que la moyenne des instituteurs de campagne est de beaucoup inférieure.
La plupart des instituteurs ont un local gratuit. Ils toucheront, indépendamment d’un traitement fixe, dont on veut fixer le minimum à 200 fr., la rétribution de tous les parents qui ont le moyen de la payer, et une indemnité du bureau de bienfaisance.
En fixant ce minimum, vous augmenteriez, pour beaucoup de communes le traitement des instituteurs. Pour beaucoup de communes, cent francs c’est quelque chose, Vous ne pouvez vous faite une idée des discussions auxquelles donne lieu, dans beaucoup de conseils communaux, une majoration de traitements de 60 fr. Les communes de notre province, à la différence de celles de Namur et du Luxembourg, n’ont aucuns biens communaux. Il faut qu’elles aient recours aux centimes additionnels pour faire face à toutes leurs dépenses. Déjà elles sont accablées de centimes additionnels. Pourquoi voulez-vous augmenter les centimes additionnels, alors que le système actuel n’a donné lieu à aucune réclamation depuis la révolution ? Il en est résulté, au contraire, une immense amélioration ; c’est un fait auquel on n’a pas cherché à répondre. Ayez donc foi dans ce système, et ne le changez pas contre un autre, qui a été reconnu moins bon sous le gouvernement précédent.
M. de Garcia. - L’honorable M. Lebeau, m’a fait l’honneur de me citer, je ne sais trop à propos de quoi. Il s’agissait du traitement des instituteurs ; il s’agissait des centimes additionnels pour faire face à cette dépense, et à propos de cela, M. Lebeau a dit qu’il serait difficile que je refuse mon concours à la mesure proposée par le gouvernement, puisque les célibataires devront y contribuer. Je ne sais si M. Lebeau a voulu faire de l’esprit ou de l’argumentation.
Je n’y vois ni l’un ni l’autre.
M. Lebeau. - C’est que je suis resté trop fidèle à mon sujet. (Rire sur quelques bancs.)
M. de Garcia. - Je ne sais si l’honorable M. Lebeau était mieux inspiré dans une séance précédente, et puisque j’ai la parole, je répondrai à ce qu’a dit hier cet honorable membre des inspecteurs honoraires des chemins vicinaux. D’après son dire, et le dire de M. Lebeau doit avoir du poids comme ancien gouverneur, des inspecteurs de la catégorie de ceux auxquels il a fait allusion, qui auraient répondu qu’on n’avait rien à exiger d’eux, parce qu’ils ne recevaient pas de traitement ; cette affirmation m’a étonné. J’ai été aussi dans l’administration. J’ai connu beaucoup d’inspecteurs des chemins vicinaux qui n’étaient pas salariés et qui remplissaient leurs fonctions avec beaucoup de zèle. Je croirais manquer aux convenances et à ce que je dois à ces honorables citoyens si je ne les défendais dans cette enceinte. Ils m’ont dit souvent que s’ils n’agissaient pas, s’ils ne faisaient rien pour concourir à l’entretien des chemins vicinaux, c’est qu’on ne donnait pas suite à leurs procès-verbaux, et cela se conçoit, puisqu’il n’y avait pas de loi pour régler la matière, et que le pouvoir n’était pas armé à cet égard.
M. le président. - La parole est M. Lebeau.
M. Lebeau. - J’y renonce, M. le président ; cela n’en vaut pas la peine.
M. de Brouckere. - J’ai dit tout à l’heure que le moyen des subsides alloués aux instituteurs de la province d’Anvers par l’Etat, la province, les communes et les bureaux de bienfaisance étaient de 170 à 180 francs ; mais je vous prie de remarquer que cette moyenne est calculée sur toutes les institutions primaires communales ou libres. On s’est emparé de ce chiffre pour combattre la proposition du gouvernement ; je vais donner d’autres chiffres. Je suis curieux de voir si on les trouvera également contraires à la proposition du ministre, je les puise dans la même province.
Il y a dans la province d’Anvers 147 communes ; 124 de ces communes allouent des appointements à leurs instituteur, et la somme totale de ces appointements donnés par les communes, monte à 44,125 fr. Les bureaux de bienfaisance donnent 17,094 fr. 60 c., cela fait terme moyen pour chaque instituteur communal, plus de 370 fr.
M. Dumortier. - Rétributions comprises.
M. de Brouckere. - Non, sans comprendre aucune rétribution. Si vous voulez le calcul avec les rétributions, je vous le donnerai.
Je répète : les subsides donnés par la commune et par les bureaux le bienfaisance seuls font monter, terme moyen, les appointements des instituteurs à 370 fr. ; maintenant il faut ajouter à cela les subsides donnés par la province et les subsides donnés par le gouvernement. Ces subsides pour la province d’Anvers, montent à plus de 17,000 fr. et pour les communes rurales à plus de 10,000 fr. Cela fait, terme moyen, pour les instituteurs communaux, au- delà de 400 fr.
M. d’Huart. - Le but que se propose l’honorable M. Lebeau, est, j’en suis convaincu, d’avoir dans nos communes les meilleures écoles possibles. Eh bien ! je n’ai pas d’autre but, seulement le chemin pour aller à ce but, nous le prenons d’une manière différente.
Messieurs, je crois (et je n’ai pas besoin de dire que c’est de très bonne foi, je suis persuadé que personne n’en doute), qu’en fixant le minimum de 200 fr. dans la loi, vous allez contre le but que vous vous proposez, et que dans beaucoup de cas vous rendrez plus mauvaise la position de l’instituteur. J’ai cette conviction, et c’est ce qui me fait prendre la parole.
L’honorable M. de Brouckere vient de vous donner des chiffres, et il vous a ajouté qu’il était curieux de voir ce qu’on répondrait à ces chiffres. Il vous a dit que les appointements des instituteurs de la province d’Anvers, allaient à 370 fr. et au-delà.
Eh bien ! ne craignez-vous pas qu’en fixant un minimum de 200 fr., vous n’engagiez les administrations à en revenir à ce minimum, en alléguant que le législateur a cru que des appointements de 200 fr. étaient suffisants. Ce serait un très grand mal.
Je crois, comme vous, que la position des instituteurs mérite toute notre sollicitude, que dans plus d’une commune cette position est mauvaise, que ceux qui la remplissent sont malheureux ; mais je le répète, je crains qu’en fixant ce minimum à 200 fr., vous ne nuisiez aux instituteurs.
Maintenant, voulez-vous avoir une garantie ? Eh bien, acceptez l’amendement de l’honorable M. de la Coste. Par cet amendement les députations qui connaissent leurs provinces établiront différentes classes d’appointements, selon les communes ; elles fixeront peut-être 100 francs comme minimum pour certaines communes, et pour d’autres, comme pour celles dont a parlé l’honorable M. de Brouckere, elles porteront le minimum de 4 à 500 fr., et elles feront bien.
L’amendement de l’honorable M. de la Coste me paraît de nature tout concilier. Vous laisseriez fixer les appointements des instituteurs par les personnes qui connaissent le mieux les moyens financiers des communes, et le minimum qui doit être fixé pour chacune. Quant à moi, je préfère ce moyen à celui que propose le projet, et j’engage les honorables membres qui craignent que nous ne nous divisions en deux camps, à adopter ce terme moyen, qui peut nous mettre d’accord et qui fait atteindre le but que l’on s’est proposé.
M. Lebeau. - Je ferai observer que l’amendement de l’honorable M. de la Coste ne fait que continuer la législation existante ; il est conforme aux prescriptions des lois communale et provinciale.
M. de Theux. - Je demanderai si, avec l’amendement de l’honorable M. de la Coste les traitements doivent être uniformes pour toute la province. Je crois que d’après cet amendement la députation pourra fixer différents minimum suivant les différentes catégories de communes.
M. de La Coste. - Mon amendement n’est peut-être pas clair. Mais, dans mon intention, il dépendrait de la députation, d’accord avec le gouvernement, de fixer soit un minimum unique pour toutes les communes d’une province, soit un minimum différent pour chacune des classes dans lesquelles elles seraient divisées. Ce serait un travail à faire, des bases à poser dans chaque province/
M. de Theux. - C’est ainsi que je l’avais compris.
M. le président. - Je vais mettre l’amendement de M. de la Coste aux voix.
M. Dubus (aîné). - J’ai remarqué que d’honorables membres de cette assemblée voulaient rejeter tout minimum. Ces honorables membres se trouveront embarrassés de voter en premier lieu sur l’amendement de l’honorable M. de la Coste, qu’elles préfèrent cependant au projet du gouvernement. Il me semble qu’il vaudrait mieux mettre d’abord aux voix la suppression d’un minimum.
M. d’Huart. - Dans ce cas, ceux d’entre nous qui veulent un minimum déterminé par la députation, devront voter contre la suppression du minimum. Quant à moi, d’après les observations qui ont été faites, je déclare que je désire qu’un minimum soit fixé, mais qu’il le soit par la députation permanente.
M. de Brouckere. - Toute difficulté serait levée, si la chambre voulait permettre que l’on votât, comme on fait lorsqu’il s’agit de sommes d’argent. On commence par le chiffre le plus élevé. Eh bien ! commençons par voter sur la proposition du gouvernement. Si cette proposition. est adoptée, l’amendement de M. de la Coste vient à tomber. Quant à moi, si la proposition du gouvernement est rejetée, je déclare que je voterai pour l’amendement de M. de la Coste.
M. Dumortier. - Moi, je déclare que je suis contraire à ce qu’on fixe un minimum dans la loi. Mais si la majorité veut qu’il y ait un minimum fixé, je préfère qu’il le soit par la loi que par la députation. Il n’y a qu’un moyen de sortir de la difficulté, c’est de mettre aux voix la question de principe : y aura-t-il un minimum fixé dans la loi ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il vaudrait effectivement mieux de procéder par question de principe. Mats il faudrait d’abord mettre aux voix cette question : y aura-t-il un minimum de traitement ? Et en second lieu, ce minimum sera-t-il fixé par la loi ou par la députation permanente sous l’approbation du Roi.
M. Devaux. - Il est bien entendu que si la chambre décide qu’il y aura un minimum fixé dans la loi, ce minimum devra être celui de 200 fr. Je suppose que, puisque la discussion est close, on ne peut plus faire de proposition, quant aux chiffres.
Plusieurs membres. - Non ! non.
M. le président. - Je mets, aux voix la question : Y aura-t-il un minimum de traitement ?
- Cette question est résolue affirmativement par assis et levé.
M. le président. - Je mets aux voix la seconde question : Le minimum sera-t-il fixé par la loi ? Si la question est résolue affirmativement, le chiffre de 200 fr. fixé dans le projet sera voté.
M. de La Coste - Il n’y a qu’à mettre aux voix la partie de l’article ainsi conçu : « ce traitement ne peut être moindre de 200 francs. » (Oui ! Oui !)
M. le président. - En ce cas, je mets aux voix cette partie de l’article.
- L’appel nominal est réclamé.
Il est procédé au vote par appel nominal ;
72 membres prennent part au vote,
43 votent l’adoption.
28 votent le rejet.
1 (M de Mérode), s’abstient.
Ont voté l’adoption : MM. Cogels, Coghen, Cools, de Baillet, de Behr, de Brouckere, Delfosse, Demonceau, de Renesse, de Terbecq, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Savart-Martel, Donny, Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Huveners, Jadot, Jonet, Kervyn Lange, Lebeau, Lys, Mast de Vries, Nothomb, Orts. Osy, Pirmez, Pirson, Raymaeckers, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Troye, Van Cutsem. Verhaegen, Zoude et Fallon.
Ont voté le rejet : MM. de La Coste, Coppieters, Dedecker, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Potter, de Roo, de Sécus, Desmet, de Theux, d’Huart, Dubus (aîné), Dubus (Bernard), Dumortier, Hye-Hoys, Malou, Peeters, Raikem, Rodenbach, Thienpont, Trentesaux, Van den Eynde, Vandensteen, Van Hoobrouck, Vilain XIIII, Wallaert.
M. de Mérode. - Je me suis abstenu, parce que je ne savais pas ce qui valait mieux, la proposition de M. le ministre ou celle de M. de la Coste.
M. de Garcia. - Messieurs, l’article porte que le traitement de l’instituteur est fixé par le conseil communal, mais comme plusieurs communes peuvent se réunir pour établir une école, ne faudrait-il pas ajouter : « ou par les conseils communaux réunis » ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Quand le cas se présentera, la résolution sera successivement soumise au vote de chaque conseil communal intéressé, mais non pas aux différents conseils communaux réunis, cela serait contraire à la loi.
M. de Garcia. - Si la chose est entendue ainsi, je n’insiste pas.
- L’article est adopté.
« Art. 17. Le fonds dont il est parlé à l’article précédent est destiné.
« 1° A la construction ou à l’entretien du bâtiment d’école ;
« 2° A l’achat des meubles et des livres nécessaires ;
« 3° A fournir à l’instituteur communal un traitement qui ne pourra être moindre de 200 fr.
« 4° A payer, à défaut du bureau de bienfaisance, la rétribution due pour les enfants indigents. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Dans le 1er § il faut dire : à l’article 16, au lieu de : à l’article précédent, puisqu’il y a un art. 16 nouveau.
Ensuite j’ai proposé de rédiger le § 3 de la manière suivante :
« A fournir à l’instituteur communal son traitement et, le cas échéant, l’indemnité de logement. »
Ce changement est une conséquence de l’adoption de l’article précédent.
M. Savart-Martel. - Je prends uniquement la parole pour demander quel est le sens des mots : à défaut du bureau de bienfaisance. Je crois que déjà la loi de 1836 renfermait des expressions semblables à l’égard des enfants trouvés, et cette disposition a donné lieu à de grandes divisions entre les bureaux de bienfaisance et les administrations communales. Il arrive souvent que les bureaux de bienfaisance renvoient à l’administration communale et l’administration communale au bureau de bienfaisance
Il me semble qu’une explication est ici nécessaire, parce que l’article qui nous occupe pourrait donner lieu à un inconvénient semblable. Il est dit d’un côté que c’est une charge communale, et d’un autre côté l’on dit : à défaut du bureau de bienfaisance ; il me semble qu’il y a là une espèce de contradiction.
M. Dumortier. - Messieurs, nous sommes maintenant examiner le 4ème paragraphe de l’art. 17 et ce paragraphe constitue réellement un double emploi avec l’article que nous venons de voter.
Comment les choses se passaient-elles sous le gouvernement précédent ? Les instituteurs avaient un traitement fixe. Depuis lors ce traitement fixe a été supprimé, on l’a remplacé par une rétribution proportionnée au nombre des élèves.
Eh bien, d’après l’art. 17, l’état de choses antérieur à la révolution serait rétabli et l’on maintiendrait en même temps l’état de choses, qui l’a remplacé, c’est-à-dire que l’on maintiendrait la rétribution proportionnelle et qu’on y ajouterait un traitement fixe.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. Dumortier pense que nous faisons en ce moment pour les instituteurs plus qu’on ne faisait pour eux avant 1830, et plus que ce qu’on a fait depuis. L’honorable membre est complètement dans l’erreur. En général, les instituteurs (je ne parle pas de quelques exceptions) ont deux genres de revenus :. d’abord un traitement fixe et en deuxième lieu une rétribution par élève. (Non, non.)
Ceux qui disent non seront bien forcés de convenir qu’ils généralisent l’exception. Qu’il soit permis à quelqu’un qui connaît la statistique du royaume entier, de dire que le cas où l’instituteur n’a pas en même temps un traitement fixe et une rétribution peu élève, est une exception.
M. Dumortier. - Lorsqu’il a un traitement fixe, il n’a pas de rétribution pour les enfants pauvres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je vais m’expliquer si ce point, et l’honorable membre verra que la contradiction qu’il signalée tout à l’heure n’existe pas. L’honorable membre a dit que la loi actuelle fait plus pour les instituteurs qu’on ne faisait pour eux avant 1830. Voici, messieurs, ce que porte l’art. 5 de l’arrêté royal du 2 mai 1830 :
« Il est accordé aux instituteurs… ;
« 1° La jouissance d’une habitation et d’un jardin (nous avons retranché le jardin) ;
« 2° Un traitement fixe ;
« 3° Une rétribution proportionnelle au nombre d’enfants qui fréquentent les écoles, laquelle sera payée, soit sur les revenu communaux, soit par les parents des enfants, soit, en ce qui concerne les enfants pauvres, par les établissements de charité qui pourvoient à leur entretien. »
L’art. 7 du même arrêté admet même le principe d’un minimum de traitement à fixer par la députation.
Vous voyez donc, messieurs, que le système que nous voulons consacrer par la loi, c’est le système qui existe de fait généralement dans le pays, je dis : généralement, parce qu’il peut y avoir quelques exceptions.
Maintenant, messieurs, qu’est-il arrivé dans plusieurs communes ? C’est qu’on a dit à l’instituteur : « Nous vous donnerons un traitement de 300 francs, par exemple, et moyennant ce traitement vous vous chargerez en même temps des enfants pauvres. » Eh bien, messieurs, que fera-t-on à l’avenir ? Mais on divisera la somme ; on dira : « Autrefois nous vous donnions 300 francs ; maintenant nous vous donnons un traitement de 200 francs et de plus une subvention du 100 francs pour vous charger des enfants pauvres. »
M. Dumortier. - Ainsi s’il y a 200 enfants pauvres, vous donnerez un franc par enfant.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je pourrais à l’instant même citer une commune où c’est ainsi que la loi s’exécuterait et l’honorable M. Eloy de Burdinne pourrait confirmer le fait, car c’est précisément la commune de Burdinne dont je veux parler.
L’instituteur de cette commune reçoit aujourd’hui 300 francs, et à l’avenir on divisera la somme comme je le disais ; on lui donnera 200 fr. à titre de traitement fixe et 100 fr, à titre de subvention pour les enfants pauvres. Remarquez bien, messieurs, que sur l’observation de l’honorable M. Devaux, nous avons eu soin d’ajouter à l’art. 6, après le mot de rétribution celui de subvention. L’instituteur pourra donc recevoir une subvention globale pour tous les enfants pauvres, tout aussi bien qu’une rétribution individuelle pour chaque enfant.
Quant à la question faite par l’honorable M. Savart, je pense qu’autant que possible, on se conformera aux usages existants. Il y aura peut-être des difficultés avec quelques bureaux de bienfaisance, mais il est impossible d’éviter cela. En général, on se conformera aux usages établis.
M. Dumortier. - Ce que vient de dire M. le ministre justifie complètement l’observation que j’avais faite. Dès que vous admettez qu’on donnera 200 fr. d’un côté et 100 fr. de l’autre, vous reconnaissez évidemment qu’il y a double emploi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je n’ai pas dit que cela arrivera toujours. Il est possible aussi que l’on accorde 150 fr. pour les pauvres, et 150 fr. de traitement, en réclamant de la province ou de l’Etat le complément de 50 francs.
Je dis qu’il n’y a pas contradiction entre la loi nouvelle et ce qui existe de fait aujourd’hui ; je dis, au contraire, que la loi ne fera que maintenir l’état actuel des choses, que ce n’est pas une innovation que nous proposons, mais une régularisation.
M. Eloy de Burdinne. - Avant d’émettre mon vote, j’ai consulté M. le ministre sur la question de savoir si, lorsqu’une commune alloue, par exemple, une somme de 300 fr. pour l’enseignement des pauvres, elle serait encore astreinte à payer le traitement de 200 francs. M. le ministre de l’intérieur m’a répondu que non, que l’on considérerait une partie de cette somme comme constituant le traitement légal de 200 francs, et le reste comme subvention pour l’enseignement des pauvres. C’est ce qui m’a engagé à voter pour la proposition ministérielle.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Le gouvernement accorde à une commune, par exemple, un subside de 50 francs comme supplément de traitement à l’instituteur primaire ; cette commune ne se refusera pas à considérer, dans le cas qui vient d’être cité, 150 francs comme subvention aux pauvres, et 150 francs comme traitement à l’instituteur.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, j’ai un doute sur une difficulté à laquelle peuvent donner lieu les §§ 3 et 4 de l’article. D’après ces paragraphes, il faudra qu’il y ait toujours pour l’instituteur communal un traitement fixe, et en second lieu, qu’il y ait des rétributions perçues du chef des enfants indigents. Or, il y a des instituteurs qui, non seulement, sont rétribués d’une autre manière, mais qui encore, d’après la règle de leur institution, ne peuvent pas accepter les conditions que fait cet article.
Je citerai les frères de la doctrine chrétienne. Il y a des communes en Belgique qui ont choisi pour instituteurs communaux des frères de la doctrine chrétienne. On leur paie un traitement fixe, mais s’il fallait diviser leurs émoluments en traitement fixe d’une part, et en une rétribution calculée à raison du nombre des enfants indigents, d’autre part, ces instituteurs ne pourraient pas se soumettre à cette condition, ils devraient renoncer à leurs fonctions d’instructeur communal.
A-t-il été dans l’intention de M. le ministre et de la section centrale de mettre les frères de la doctrine chrétienne dans l’impossibilité d’accepter les fonctions d’instituteur communal ? Je ne vois pas que les §§ 3 et 4 soient compatibles avec la règle de leur institution.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, l’honorable préopinant a tort de considérer les frères de la doctrine chrétienne, là où l’on a recours à eux, comme des instituteurs proprement dits ; leurs établissements sont des établissements subventionnés, et l’on se bornera à allouer une somme à ces établissements, de sorte que l’article ne s’applique qu’aux instituteurs proprement dits, et non aux frères de la doctrine chrétienne. Ainsi, l’instituteur proprement dit recevra un traitement fixe, et en outre, s’il est chargé de l’instruction des enfants indigents, une rétribution calculée d’après le nombre de ces enfants. Là où il n’est pas chargé de l’instruction des pauvres, la commune donnera une subvention pour cet objet à l’établissement, par exemple, desservi par les frères de la doctrine chrétienne, lesquels se contenteront d’un subside pour tous les enfants pauvres. Il n’y a aucune contradiction dans la loi.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, je ne me fais pas une idée bien nette de la distinction que vient d’établir M. le ministre. Je citerai la ville de Bouillon. Le conseil communal de cette ville a confié l’école communale à des frères de la doctrine chrétienne ; il leur a fourni un local et leur paie à chacun un traitement de 600 fr. ; moyennant ce traitement, les frères donnent l’instruction gratuite à tous les enfants. Je ne sais si on peut appeler un semblable établissement un établissement subventionné car la commune fournit le local et fait tous les autres frais de l’enseignement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J’admets même ce cas, je suppose un arrangement de ce genre : les frères de la doctrine chrétienne ont institué, d’accord avec la commune, une école ; eh bien, il sera libre à ces frères de renoncer à la rétribution, il est toujours libre à l’instituteur de dire : je me contente de 600 fr., et je renonce au reste.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, je comprends fort bien que si on conserve aux pères de la doctrine chrétienne le traitement qui leur suffit maintenant, ils pourront renoncer à un surcroit d’avantages, et par conséquent à la rétribution ; mais si vous votez l’article, il dépendra de l’autorité supérieure de contraindre la commune de diviser ce traitement, de ne plus accorder qu’une partie du traitement aux frères de la doctrine chrétienne, et d’obliger ceux-ci de s’adresser au bureau de bienfaisance pour le surplus. Car remarquez bien que la commune ne paye l’une et l’autre rétribution ; vous voterez le traitement fixe à charge des communes, et la rétribution, du chef des enfants pauvres, à la charge des bureaux de bienfaisance. Je dis que cette disposition absolue aura pour résultat d’éloigner les frères de la doctrine chrétienne des communes qui auraient tant d’intérêt à les conserver comme instituteur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ceci n’entre pas dans mes intentions ; je ne trouve pas que la disposition du n° 4 soit si absolue. Je suppose le cas cité par l’honorable préopinant.
Il est intervenu à Bouillon un arrangement entre la commune et les frères de la doctrine chrétienne qui y sont chargés de l’enseignement primaire. Les frères se contentent de 600 fr. par instituteur. D’après leurs statuts ils ne peuvent pas percevoir de rétributions scolaires. Maintenant est-il dit dans la loi que nécessairement on paiera pour les pauvres une rétribution par élève ? Mais non, c’est sur l’observation qui a été faite par l’honorable M. Devaux que nous avons fait un changement au dernier § de l’art. 5 ; il y est dit qu’à raison de l’instruction des enfants pauvres, on paiera soit une subvention, soit une rétribution par élève.
Comment appliquera-t-on la loi à l’école de Bouillon, desservie par des frères de la doctrine chrétienne ; on leur payera les 600 fr., à titre de traitement ou de subvention, et tout sera dit. Je ne trouve, je le répète, aucune contradiction dans la loi. Le § 4 de l’article n’est pas absolu, comme le suppose l’honorable préopinant, et s’il pouvait l’être il y aurait lieu de faire un changement de rédaction.
M. Mast de Vries. - Je désire avoir une explication. Qu’entend-on par enfant pauvre ? Sont-ce les enfants des parents lui participent aux secours du bureau de bienfaisance ? S’il en est ainsi, la charge à supporter par les bureaux de bienfaisance sera considérable dans certaines localités. Ainsi, à Lierre, l’école des pauvres est fréquentée par deux cents enfants ; le bureau des hospices aura donc à payer une rétribution de 1,200 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette observation aurait mieux trouvé sa place à l’art. 5, c’est par erreur que l’honorable préopinant suppose que nous avons fixé à 6 fr. par tête la rétribution ; nous n’avons pas fixé le nombre d’enfants qui seront réputés pauvres et la rétribution à payer par tête.
Je répondrai cependant à l’honorable préopinant qui a demandé si nous considérions comme enfants pauvres devant recevoir l’instruction gratuitement, seulement les enfants des familles qui reçoivent des secours des bureaux le bienfaisance ; je dirai : non ; cette règle n’est pas inscrite d’une manière absolue dans la loi, c’est la députation permanente qui, de concert avec le conseil communal et sauf recours au Roi, fixera le nombre d’enfants qui doivent recevoir l’instruction gratuite.
M. Devaux. - Messieurs, je comprends maintenant le n° 4 de l’art. 17, en ce sens que si, par exemple, une commune a fait une convention avec un instituteur, si elle lui donne un subside global, à condition de recevoir les enfants pauvres, elle n’aura plus de rétribution à payer, non plus que le bureau de bienfaisance.
Quant à la détermination, dans la loi, de ce que c’est qu’un enfant pauvre ; cela n’est pas possible, ce point doit être abandonné à l’autorité administrative. sur l’avis du conseil communal.
M. Desmet. - J’ai demandé la parole, lorsque j’ai entendu M. le ministre de l’intérieur dire que le écoles des frères de la doctrine chrétienne doivent être considérées, non comme écoles communales, mais seulement comme écoles subventionnées.
Il me semble qu’il y aurait une espèce de privilège au détriment de ces écoles. Si on veut mettre ces écoles des frères sur une autre ligne que les écoles communales, on va gêner la liberté communale. En ce moment, la ville d’Arlon veut aussi confier ses écoles à des frères de la doctrine chrétienne.
On ne pourrait pas améliorer l’école comme école communale, mais seulement comme école subventionnée ; vous arrêtez la liberté des communes de donner la préférence aux frères de la doctrine chrétienne. C’est ce que ne devrait pas faire l’art. 17.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - L’honorable M. Desmet pense qu’il faut, dans certains cas, considérer un établissement de frères de la doctrine chrétienne comme un établissement communal proprement dit. Je pense que ceci n’est pas dans l’intérêt des frères de la doctrine chrétienne. L’honorable membre perd de vue l’art. 5 de la loi. Nous avons les établissements communaux proprement dits, pour lesquels nous aurons à examiner la question de nomination et de suspension des instituteurs. Pourquoi voulez-vous considérer les établissements des frères comme établissements communaux dans la stricte rigueur du terme ? Vous feriez naître la question de la nomination et de la révocation de ces instituteurs. Un établissement de frères ne peut être qu’un établissement subventionné, adopté par la commune. Il est de leur intérêt qu’il en soit ainsi.
M. Savart-Martel. - J’ai demandé la parole pour appeler l’attention de la chambre sur la disposition relative aux dépenses qui sont à la charge des bureaux de bienfaisance. Si je ne me suis trompé, on a dit ce qu’on entendait par indigent ; et les choses se réduisent à des termes bien simples. A Tournay, sur 24 mille habitants, 16 mille reçoivent des secours du bureau de bienfaisance. Les bureaux de charité établissent, chaque année, la liste des pauvres reconnus, sauf réclamation. Sont réputés indigents les familles inscrites aux bureaux de charité. C’est à ceux-là seuls que s’applique le § 4 de l’art. 17. Si c’est ainsi qu’on l’entend, je suis d’accord avec M. le ministre.
Mais si le conseil provincial devait fixer le nombre de pauvres auxquels l’instruction serait donnée gratuitement, cela entraînerait de grandes difficultés dans la pratique. Il n’y a pas de semaine où on ne reçoive des réclamations pour admettre tel ou tel individu à participer aux secours du bureau de bienfaisance. Si chaque fois qu’on a recours aux bureaux de charité, on devrait s’adresser au conseil communal et à la députation provinciale, pour savoir si tel ou tel est pauvre, cela multiplierait à tel point les écritures que cela en serait déraisonnable. Le principe, le voici : Dès que quelqu’un est reconnu se trouver sur la liste des pauvres du bureau de bienfaisance, il a droit à l’instruction gratuite.
Voilà la matrice où nous devons chercher les pauvres proprement dits.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La liste est formée de cent enfants qui doivent recevoir l’instruction gratuite. Sur 100 enfants 70 sont inscrits sur la liste des familles recevant des secours. La liste est dressée par le conseil communal et approuvée la députation. Pour ces 70 enfants, le bureau de bienfaisance fera les frais de l’enseignement, et pour les 30 dont les parents ne sont pas inscrits sur la liste des familles auxquelles on donne des secours, ce sera le conseil communal qui devra payer la rétribution. Le bureau de bienfaisance aura le droit de dire : il n’y a à ma charge que les enfants dont les parents reçoivent des secours.
Voilà comme j’entends la loi ; s’il y a doute, nous pourrons revenir là-dessus au second vote.
M. de Garcia. - Je crois, comme l’honorable M. Devaux, qu’il faut laisser à l’administration communale, sauf l’approbation de la députation du conseil provincial, le soin de dresser la liste de ceux qui doivent recevoir l’instruction gratuitement. On a parlé de ceux qui reçoivent des secours du bureau de bienfaisance. Je ferai observer qu’il en est qui n’ont pas besoin de pain, mais dont les enfants ont besoin d’instruction et qui n’ont pas d’argent pour en faire les frais. Laissez à l’autorité communale le soin de dresser la liste des enfants pauvres ; si un malheureux n’y est pas porté parce qu’il a quelques ennemis dans l’administration communale, ii réclamera près de la députation, qui lui fera droit.
M. Malou. - Le n° 4 présente deux questions bien distinctes : Qui désignera ceux qui recevront l’instruction gratuite ? et qui paiera ? Quant à la désignation, nous sommes tous d’accord pour l’accorder à l’autorité administrative, car nous reconnaissons l’impossibilité de décider dans la loi qui sera qualifié d’indigent. La deuxième question mérite de fixer l’attention de la chambre. Je veux parler de la question de responsabilité.
Qui paiera pour les pauvres, dans quels cas sera-ce le bureau de bienfaisance, dans quels cas sera-ce la commune ? Remarquez que la rédaction de l’art. 4 ne décide pas cette question, du moins pas d’une manière assez claire, assez complète.
Souvent il s’est présenté des difficultés de cette nature. M. le ministre a cru avoir trouvé moyen de décider la question soulevé par M. Savart, en disant que les enfants dont les parents reçoivent les secours du bureau de bienfaisance seraient instruits aux frais du bureau de bienfaisance. Il a posé cette hypothèse : Sur 100 enfants devant recevoir l’instruction gratuitement, 70 sont inscrits au bureau de bienfaisance. Cette supposition serait très juste, cette application de la loi pourrait se réaliser si les ressources des bureaux de bienfaisance étaient indéfinies. Comme elles ne le sont pas, quand le bureau de bienfaisance aura distribué ses revenus à ces 70 enfants, il ne pourra plus subvenir aux frais d’école de ces enfants. Il n’y a aucune disposition qui règle dans ce cas le mode de responsabilité. Je désire que cela soit clairement détermine. D’ici au second vote on pourra formuler une disposition dans ce sens.
M. Orts. - Le § 16 de l’art. 131 de la loi communale nous offre une disposition dont l’objet a de l’analogie avec celui dont il s’agit. On pourrait en profiter pour formuler une disposition additionnelle.
On mettrait, par analogie, aux frais des communes tout ce que les bureaux de bienfaisance ne pourraient pas payer.
M. Savart-Martel. - C’est de droit.
M. Dubus (aîné). - Il y aura lieu de revenir là-dessus au second vote de l’art. 5 ; car de l’article que nous voulons, il résulte que la dépense de l’enseignement des enfants indigents est mise à la charge des bureaux de bienfaisance, et d’après l’art. 5, ce sont des autorités autres que le bureau de bienfaisance qui décident quels sont les enfants indigents. D’après cet article, les bureaux de bienfaisance ne sont pas même consultés. On a établi pour le cas dont nous nous occupons, un mode diamétralement opposé à celui établi par les lois en vigueur, pour la distribution des secours publics. Aujourd’hui, ce sont exclusivement les bureaux de bienfaisance qui décident quels sont ceux qui ont droit de participer à ces secours, et ce sont eux qui les distribuent. Ici ce sont des autorités étrangères aux bureaux de bienfaisance qui décident quels sont ceux qui ont droit à l’instruction gratuite et les renvoient aux bureaux de bienfaisance pour que ces bureaux en fassent les frais.
J’ai peine à me rendre raison de cette disposition, quand je la compare avec ce qui se pratique dans les autres matières ; car les bureaux de bienfaisance sont mieux à même de connaître la véritable situation de ceux à qui des distributions de secours publics sont faites ; ils sont en rapport avec les bureaux de charité formés dans tous les quartiers, connaissent les ressources et les moyens de chaque individu ; tandis que le conseil communal, composé d’un petit nombre de personnes, n’est véritablement pas à même de constater ces faits, la députation du conseil provincial l’est encore moins. Ces autorités devront décider au hasard, tandis que le bureau de bienfaisance aurait prononcé après avoir constaté les faits.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Il n’est pas exact de dire, comme le pense l’honorable préopinant, que les frais d’enseignement gratuit à donner aux pauvres seront nécessairement à la charge des bureaux de bienfaisance. Ils ne le seront que dans certains cas. Il n’est pas dit au § 4 de l’art. 17 que le subside sera toujours payé par le bureau de bienfaisance. Il est dit qu’à défaut du bureau de bienfaisance, le subside sera payé par la commune.
Du reste, on pourra examiner de plus près la question au second vote.
M. Dubus (aîné). - Dans la plupart des villes, c’est l’administration communale qui fait les frais de l’enseignement primaire des pauvres. Elle a institué des écoles ; elle paie aux instituteurs un traitement qui doit suffire à leurs besoins. Tous les pauvres sont reçus dans ces écoles sans rétribution. Il en est ainsi à Tournay. Résultera-t-de l’art. 17 que le conseil communal de Tournay sera fondé à demander au bureau de bienfaisance une indemnité pour l’instruction qu’il fait donner aux enfants pauvres ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne pense pas que ce puisse être une conséquence rigoureuse de l’application de l’art. 17.
Il y aura une addition à faire au n° 4. D’après le changement apporté à l’art. 5, il y aura des cas, et cela arrivera le plus souvent, où l’on ne payera pas une rétribution par élève, mais une subvention. Il faut donc, après le mot rétribution, ajouter les mots ou la subvention.
M. Lebeau. - Je dois dire que l’honorable M. Dubus assigne au § en discussion une portée que je ne crois pas qu’il ait. Cet article ne crée pas, quant aux bureaux de bienfaisance, un droit nouveau, il ne fait que consacrer le maintien de l’usage existant aujourd’hui. Je vous prie de remarquer d’ailleurs que les bureaux de bienfaisance ne sont pas à la merci des administrations communales. Dans les villes, leur budget est soumis à l’administration communale, mais en cas de contestation à la députation permanente. Dans les communes rurales, c’est la députation permanente qui approuve leur budget, l’administration communale n’a que le droit de remontrance.
- L’art. 17 est mis aux voix et adopté, sauf à y revenir au second vote.
M. le président. - La chambre passe à l’art. 18 (nouvelle rédaction proposée par M. le ministre de l’intérieur). Il est ainsi conçu :
« Art. 18. A défaut de fondations, donations ou legs, qui assurent un local et un traitement à l’instituteur, le conseil communal y pourvoira, au moyen d’une allocation sur son budget.
« L’intervention de la province, à l’aide de subsides, n’est obligatoire que lorsqu’il est constaté que l’allocation de la commune en faveur de l’instruction primaire égale le produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, sans toutefois que cette allocation puisse être inférieure au crédit voté pour cet objet au budget communal de 1842.
« L’intervention de l’Etat, à l’aide de subsides, n’est obligatoire que lorsqu’il est constaté que la commune a satisfait à la disposition précédente et que l’allocation provinciale en faveur de l’enseignement primaire égale le produit de deux centimes additionnels, au principal des contributions directes, sans toutefois que ladite allocation puisse être inférieure au crédit voté pour cet objet au budget provincial de 1842.
« Chaque année il sera annexé à la proposition du budget, un état détaillé de l’emploi des fonds alloués pour l’instruction primaire, pendant l’année précédente, tant par l’Etat que par les provinces et les communes. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Cette disposition a une certaine importante ; je réclame toute votre attention. Le projet de 1834 se bornait à dire : « Art. 7. Si le conseil ne défère pas à cette injonction, la députation permanente, sur le rapport de la commission, portera d’office, au budget communal, une somme pour l’érection de l’école, et déterminera le subside provincial, s’il y a lieu. En cas de contestation entre le conseil municipal et la commission, la députation permanente décidera. »
« Art. 15. En cas d’insuffisance des ressources des provinces, il leur sera alloué des subsides sur le trésor public pour contribuer aux dépenses de l’instruction primaire. »
Rien de plus vague que ces dispositions. Il nous a semblé qu’il serait désirable que certaines règles fussent fixées, d’après lesquelles on reconnût si la commune et la province ont fait ce qu’on peut légitimement exiger d’elles.
La loi française renfermait (art. 13) des dispositions que nous avions cru d’abord faire passer dans le projet de loi. L’art. 18, n’étant guère que la reproduction de l’art. 15 de la loi française, j’ai pris des renseignements sur la manière dont cet article est exécuté en France. Il m’a été démontré qu’il est rédigé en des termes trop absolus ; qu’en France même, on a été forcé, dans l’application, d’en atténuer la portée. La loi française portait, comme l’art. 18 : « Si les centimes ainsi imposés aux communes et aux départements (trois aux communes et deux aux départements) ne suffisent pas aux besoins de l’instruction primaire, le ministre de l’instruction publique y pourvoira au moyen d’une subvention prélevée sur le crédit qui sera porté annuellement pour l’instruction primaire au budget de l’Etat. »
Vous voyez que l’Etat ne pouvait pas intervenir avant que le produit des centimes additionnels départementaux (2 centimes additionnels) se trouvât épuisé, et que la province ne pouvait pas non plus intervenir avant que le produit des centimes communaux (3 centimes additionnels) se trouvât épuisé. Je crois qu’en cela, on était allé trop loin ; aussi n’applique-t-on pas à la rigueur cette disposition de la loi française. Je pense que l’Etat peut, dans tous les cas, intervenir ; mais il faut poser des principes d’après lesquels il doit être permis à la commune de réclamer le concours de la province, à la province de réclamer le concours du trésor public. C’est dans ce sens que la disposition nouvelle est rédigée ; je la crois de nature à rallier toutes les opinions. Je pense qu’elle fait droit à plusieurs objections présentées par l’honorable M. Devaux, il y a déjà quelques jours.
Le 1er § porte : « A défaut de fondations, donations ou legs, qui assurent un local et un traitement à l’instituteur, le conseil communal y pourvoira, au moyen d’une allocution sur son budget.»
M. Dumortier. - Vous allez ruiner les communes,
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous allez voir que non.
Vous concevez qu’il faut dire quelle doit être cette allocation portée au budget. Nous avons tout à l’heure fixé le minimum du traitement de l’instituteur à 200 fr. Posons ce cas : je suppose que le traitement de l’instituteur soit fixé à 200 fr. et que les 2 centimes additionnels communaux ne produisent que la somme de 150 fr., alors la commune aura le droit de réclamer l’intervention de la province. Mais rien n’empêche que les provinces interviennent à raison de certaines circonstances. C’est précisément cette faculté d’intervention qui n’existait pas dans l’ancienne rédaction.
Maintenant, à son tour, la province a le droit d’exiger que le trésor public intervienne, lorsqu’elle prouve que les sacrifices qu’elle fait pour l’enseignement primaire égalent le produit de deux centimes additionnels sur le principal des contributions directes. Je vais, messieurs, éclairer ce système par les faits.
Je prends les budgets provinciaux de 1842.
La province de Namur a porté à son budget une somme de 26,000 francs pour l’instruction primaire. Le produit de deux centimes additionnels donnerait une somme de 27,279 francs. Vous voyez donc que la province de Namur fait, pour l’instruction primaire, un sacrifice à peu prés égal au produit de 2 centimes additionnels. Il y aura égalité parfaite par le budget nouveau, attendu que cette province va donner un subside pour l’institution d’une caisse de prévoyance. Eh bien ! la province de Namur a le droit de demander que l’Etat intervienne. Néanmoins, je le répète, quand même cela n’existerait pas, l’Etat pourrait intervenir ; ce ne serait plus qu’une faculté (En note de page, le Moniteur reprend le tableau que M. le ministre avait sous les yeux en donnant ces explications ; Parmi les chiffres, se trouvent (a) les sommes affectées par province à l’instruction primaire en 1842, (b) les subsides de l’Etat en 1842 pour chacun d’entre elles. En (c), le total du budget provincial pour 1842 :
Anvers : (a) 10,000 (b) 32,900 (c) 488,141 52
Brabant : (a) 33,800 (b) 46,300 (c) 4,323,341 52
Flandre occidentale : (a) 14,800 (b) 32,300 (c) 604,872 72
Flandre orientale : (a) 12,450 (b) 28,300 (c) 858,378 04
Hainaut : (a) 49,000 (b) 37,000 (c) 1,271,935 71
Liége : (a) 38,500 (b) 63,000 (c) 1,376,403 77
Limbourg : (a) 12,000 (b) 24,000 (c) 143,855 53
Luxembourg (a) 17,000 (b) 30,000 (c) 231,627 35
Namur (a) 26,000 (b) 41,000 (c) 487,791 88. (Fin de la note))
La province de Luxembourg affecte à l’instruction primaire une somme de 17,000 fr. Le produit de 2 centimes additionnels ne donnerait qu’une somme de 12,712 fr. 09 c. Vous voyez donc que la province de Luxembourg est allée au-delà.
Vous allez maintenant comprendre pourquoi j’ai ajouté au 5 qu’il faut que les sacrifices faits par la province égalent le produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, sans toutefois que cette allocution puisse être inférieure au crédit voté pour cet objet au budget de 1842. Si je n’avais pas pris cette précaution, la province de Luxembourg aurait eu droit à l’intervention pécuniaire de l’Etat en réduisant les sacrifices qu’elle fait en ce moment pour l’instruction primaire.
La province de Limbourg affecte à l’instruction primaire une somme de 12,000 fr. Le produit de 2 centimes additionnels donne celle de 12,660 fr. Vous voyez que la province de Limbourg est également dans cette position qui lui donne le droit de dire à l’Etat : Je réclame votre intervention.
La province de Liége affecte à l’instruction primaire une somme de 38,500 fr. ; le produit de 2 centimes additionnels au principal des contributions directes donne une somme de 49.490 fr. Vous voyez que la province de Liége présente une différence d’environ 11,000 fr. entre le produit des 2 centimes additionnels et les sacrifices qu’elle fait réellement. La province de Liége n’a donc pas droit, comme les trois provinces que je viens de citer, de dire à l’Etat : Vous m’accorderez nécessairement l’intervention du trésor public. Néanmoins l’Etat peut accorder cette intervention, tenir compte de certaines circonstances et arriver graduellement à faire élever la somme des sacrifices que cette province fait pour l’instruction primaire.
Je vous ai cité, messieurs, les trois provinces où dès à présent les sacrifices que l’on fait égalent le produit de 2 centimes additionnels au principal des contributions directes. Il est bon que je vous dise ce que l’Etat fait maintenant pour ces provinces, ce qu’il fait pour chacune des autres provinces. (Mouvement d’impatience, rumeurs.) Ces détails sont indispensables pour apprécier la disposition qui vous est soumise.
Je reprends :
Province de Namur. J’ai dit que la somme portée au budget de 1842 pour l’instruction primaire est de 26,000 fr. ; que le produit de 2 centimes additionnels serait de 27,279 fr. L’Etat donne à cette province 41,000 fr. pour l’instruction primaire.
Province de Luxembourg. La somme affectée à l’instruction primaire est de 17,000 fr. ; le produit de 2 centimes additionnels serait de 12,000 fr, ; l’Etat donne des subsides à concurrence d’une somme de 30,000 fr.
Province de Limbourg. La somme affectée à l’instruction primaire est de 12,000 fr. ; le produit de 2 centimes additionnels serait de 12,660 fr. ; l’Etat donne des subsides s’élevant à 24,000 fr,
Province de Liége. J’ai dit que la province de Liége affectait à l’instruction primaire 38,500 fr, tandis que le produit de 2 centimes additionnels serait de 49.490 fr. ; l’Etat donne à cette province 63,000 fr. de subsides. (Marques d’étonnement.) Eh bien, messieurs, il faut que l’Etat puisse dire à cette province : Je consens à faire pour vous ce que j’ai fait jusqu’à présent ; je consens à vous donner des subsides à concurrence d’une somme de 63,000 fr., mais il faut arriver graduellement à faire ce que font trois autres provinces moins importantes, et dont deux surtout sont moins riches que la province de Liége.
Province de Hainaut. Le Hainaut affecte à l’instruction primaire une somme de 49,000 fr. ; le produit de 2 centimes additionnels donnerait une somme de 84,438 fr. Vous voyez que la différence est grande. L’Etat donne à cette province un subside de 37,000 fr.
M. Dumortier. - Je demande la parole. Il est bien facile de répondre à cela.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne vois pas ce qu’il y a à répondre à ces renseignements.
M. Dumortier. - C’est excessivement simple : c’est que les provinces de Limbourg et de Luxembourg n’ont jamais été cadastrées, tandis que, par suite du cadastre, l’impôt dans le Hainaut a été triplé.
M. de Garcia. - La province de Namur a été cadastrée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne vois pas la portée de cette observation incidente.
Je répète : Le Hainaut reçoit un subside de 37.000 fr. ; il porte à son budget 49.000 fr. pour l’instruction ; le produit de 2 centimes additionnels produirait 84,438 fr. Ce n’est pas une raison pour demander au Hainaut de porter immédiatement les sacrifices que cette province fait pour l’instruction à 84,000 francs, mais dans cette situation, je dis que le Hainaut n’a pas le droit d’exiger l’intervention de l’Etat. Néanmoins, cette intervention sera continuée facultativement par l’Etat.
Flandre occidentale. La Flandre orientale reçoit de l’Etat un subside de 28,300 fr. ; elle porte à son budget une somme de 12,450 fr. ; le produit de 2 centimes additionnels serait de 92,701 fr. Je répète encore ce que je disais tout à l’heure ; on n’exigera pas de cette province quelle porte les sacrifices qu’elle fait pour l’instruction primaire à 92,701 fr. ; mais cette province de son côté, ne sera pas non plus dans la position d’exiger de l’Etat des sacrifices.
Flandre occidentale. La Flandre occidentale reçoit un subside de 32,500 fr. ; elle ne porte à son budget que 14,800 fr. pour l’instruction primaire ; 2 centimes additionnels produiraient 73,925 fr. 14 c. Je fais ici la même observation.
Brabant. Le Brabant reçoit 46,300 fr. de subsides de l’Etat pour l’instruction primaire. Il porte à son budget 33,800 fr. ; 2 centimes additionnels donneraient 100,091 fr.
Province d’Anvers. Enfin la province d’Anvers reçoit de l’Etat 32,900 fr. ; elle porte à son budget seulement 10,000 fr. ; le produit de 2 centimes additionnels donnerait 53,854 fr. 7 c.
L’intention du gouvernement doit être naturellement de maintenir, autant que possible, tout ce qui existe, de donner des subsides où il en a donné jusqu’à présent. Mais il faut que l’Etat ait le moyen de dire aux provinces qui ne font pas des sacrifices assez considérables, d’augmenter ces sacrifices. C’est là tout le but de la disposition ; elle pose un principe qui manquait jusqu’à présent.
Trois provinces sont dès à présent dans les termes de la disposition qui vous est soumise : le Limbourg, le Luxembourg et Namur. Les sacrifices que chacune de ces trois provinces font pour l’instruction primaire égale, ou à peu près, et même dans le Luxembourg surpasse le produit de 2 centimes additionnels aux contributions directes. Eh bien, pour être équitable, il faut reconnaître que ces provinces ont le droit de dire : les sacrifices que je fais égalent le produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, et dès lors je réclame l’intervention de l’Etat.
La province de Liège se trouve dans une position que j’appellerai intermédiaire. Elle reçoit de l’Etat 63,000 francs ; elle porte à son budget un somme de 38,000 fr. ; le produit de 2 centimes additionnels donnerait 49,000 bancs, c’est-à-dire 11,000 francs de plus. Liége n’a pas encore le droit de dire à l’Etat : une intervention pécuniaire de votre part est un droit pour moi. Néanmoins, elle approche de cette situation.
Cinq autres provinces, le Hainaut, la Flandre orientale, la Flandre occidentale, le Brabant et Anvers, font des sacrifices plus ou moins considérables, mais qui sont loin d’atteindre le produit de 2 centimes additionnels. L’Etat leur continuera les subsides, mais il leur exposera que les sacrifices qu’elles font pour l’instruction primaire sont loin d’être en rapport avec leurs ressources. Il leur citera l’exemple de Liége, et surtout du Limbourg, du Luxembourg et de Namur, mais néanmoins en tenant compte d’une chose : c’est que si ces provinces exposent qu’il est pourvu à l’instruction primaire par des établissements privés, il n’y aura pas lieu à réclamer d’elles des sacrifices plus considérables ; ce sera une chose à constater.
Vous voyez, messieurs, par ce tableau qui voit le jour pour la première fois, qu’il n’y a aucun principe fixe dans la répartition des sommes que vous portez chaque année au budget. Les provinces qui font le plus ne sont pas celles qui reçoivent le plus de l’Etat. Nous avons pensé qu’il fallait un principe ; eh bien ! l’intervention de la part de l’Etat n’est obligatoire que lorsque les sacrifices faits par une province égalent le produit de 2 centimes additionnels aux contributions directes. Néanmoins, à raison des circonstances, d’usages consacrés, l’Etat continuera à intervenir, mais il cherchera à amener peu à peu une augmentation progressive des sacrifices que font les provinces.
Je n’ai pas un travail de ce genre pour les communes ; il me serait même bien difficile de m’en procurer un semblable. Mais je pense que généralement les communes font des sacrifices qui atteignent à peu près le produit de deux centimes additionnels.
M. Peeters. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
M. le président. - Voulez-vous interrompre la discussion ?
M. Peeters. - Non.
M. le président. - Quelqu’un demande-t il encore la parole sur l’art. 18, présenté par M. le ministre ?
- Personne ne demandant la parole, je le déclare adopté.
(Moniteur belge n°233, du 21 août 1842) M. Peeters. - Il y a à peu près deux ans et demi, lorsque nous discutions l’emprunt de 86 millions, que j’eus l’honneur de proposer la chambre un amendement tendant à allouer 10 millions pour les canaux et rivières, et notamment pour la canalisation de la Campine. On me répondit à cette époque que la Campine méritait toute l’attention du gouvernement, que la justice distributive plaidait en sa faveur, mais que le moment n’était pas venu de voter des fonds pour cette canalisation, qu’un ingénieur avait été chargé de faire un travail sur les canaux et rivières du pays, que bientôt ce travail serait imprimé et distribué, que par conséquent, on ne pouvait pas encore adopter ma proposition qui fut envoyée à la section centrale dont elle n’est jamais revenue. Toutefois M. le ministre des travaux publics d’alors me promit formellement que le premier projet dont on s’occuperait serait la canalisation de la Campine. Les 86 millions sont dépensés, on nous demande un nouvel emprunt de 35 millions pour parachever le chemin de fer construit avec un luxe effrayant et pour quelques routes à construire dans le Luxembourg, et, malgré toutes les promesses des gouvernements qui se sont succédé, la malheureuse Campine ne se trouve pas encore comprise pour un centime dans cet emprunt.
Autrefois, messieurs, le roi Guillaume, pressé par le commerce d’Anvers, fit faire une étude sur le projet de joindre par un canal l’Escaut au Rhin. Le roi Guillaume, qui n’avait pas l’intention de faire ce canal, en chargea un ingénieur qui avait beaucoup travaillé, mais qui n’avait jamais rien su achever ; aussi jusqu’ici le rapport de cet ingénieur n’a pas paru. Notre gouvernement aurait-il par hasard les mêmes mauvaises intentions du roi Guillaume, serait-ce le deuxième volume de ce rapport que nous attendons ?
Messieurs, je reviens aujourd’hui de la Campine, et je puis vous dire que le projet d’emprunt, où ce malheureux pays est de nouveau entièrement oublié, y a fait l’impression la plus pénible, tout le monde se demande si c’est ainsi que l’on veut récompenser nos loyaux services, le dévouement que nous avons montré à la révolution et dont le souvenir est rappelé par les nombreux drapeaux d’honneur que possèdent presque toutes nos communes, et la résignation avec laquelle nous avons supposé les logements militaires pendant 6 années consécutives.
Quant à moi, messieurs, je pouvais comprendre que M. le ministre des travaux publics, qui est maintenant habitué à voyager sur de bons chemins de fer, à voir de superbes tunnels, des ponts magnifiques construits à grands frais et qui ruineront le pays, je comprends, dis je, que M. le ministre des travaux publics, habitué à être complimenté et fêté à toutes ces belles inaugurations du chemin de fer, n’ait pas le temps de venir voir les bruyères de la Campine et de s’occuper de sa canalisation ; mais j’espérais au moins que d’autres membres du cabinet, qui ont montré antérieurement tant de sympathies pour la Campine, n’auraient pas proposé un nouvel emprunt sans y comprendre quelque chose pour deux provinces qui ont tant de titres à faire valoir, car la province d’Anvers seule aurait à réclamer plus de 7 millions pour avoir seulement la moitié de ce qu’on a dépensé dans d’autres provinces depuis la révolution, et la province du Limbourg, vous l’avez mutilée dans l’intérêt de la généralité.
On trouve de l’argent pour faire un canal d’écoulement dans les Flandres, mais on ne trouve pas un centime pour la Campine, et cela après les promesses solennelles qu’on nous a faites, alors que nous avons dû abandonner la moitié d’une province dans l’intérêt de la généralité des habitants du pays. On nous disait alors qu’il fallait faire quelque chose en faveur de la province du Limbourg, à laquelle la force de choses nous obligeait à faire une si large blessure, qu’il fallait canaliser la Campine, y faire des routes, et qu’ainsi, matériellement parlant, l’on pouvait regagner, en fertilisant ces immenses bruyères, ce que le traité de paix nous devait enlever. Toutes ces promesses faites dans des temps malheureux, on les a oubliées ; l’on préfère construire, pour le chemin de fer dans les pays riches, de superbes tunnels, et des ponts d’un million et demi ; est-ce là de la justice distributive des gouvernements constitutionnels ?
Je demande à M. le ministre où en est le rapport sur la canalisation de la Campine ; qu’il s’explique catégoriquement sur ce qu’il compte faite pour la Campine, décidé que je suis de prendre moi-même l’initiative, pour un projet de loi que j’espère bien faire adopter par la chambre, malgré les dispositions peu favorables du gouvernement.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - L’honorable préopinant s’étonne que l’on n’ait pas compris, dans le projet d’emprunt soumis à la chambre, une somme pour la canalisation de la Campine. J’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de m’expliquer dans cette chambre à l’égard de la canalisation de la Campine ; plusieurs fois, en répondant à d’autres interpellations du même honorable membre, j’ai toujours dit et je pense encore que la canalisation de la Campine est une œuvre éminemment utile, je dirai même nécessaire au pays. En canalisant la Campine, nous acquerrons en quelque sorte une nouvelle province. Mais, messieurs, avant d’exécuter de pareils ouvrages qui se s’attachent au système général des voies navigables du pays, il faut qu’ils aient reçu une instruction complète. Le rapport que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau de la chambre, le rapport de l’ingénieur Vifquain, qui a été charge de faire l’étude des travaux de canalisation et de l’amélioration des voies navigables de tout le pays, ce rapport n’est malheureusement pas encore distribué. Je conviens qu’il y a eu quelque retard dans cette distribution, mais je dois dire cependant que ce n’est pas faute, de ma part, d’avoir constamment stimule le zèle de l’auteur qui, du reste, n’a pas pu être dispensé des autres grands travaux qui lui incombent en sa qualité d’inspecteur divisionnaire.
Cc rapport, messieurs, est très volumineux. M. Vifquain, pour répondre au désir que je lui avais exprimé plusieurs fois, de le recevoir promptement, me l’avait transmis à peine achevé et sans s’être donné le temps nécessaire pour le revoir. De là est résulté qu’il doit le revoir en même temps que l’impression s’en fait. C’est ce qui retarde cette impression. J’ai écrit encore hier à cet ingénieur de me faire connaître dans les vingt-quatre heures quel jour la distribution pourra avoir lieu ; aussitôt qu’il m’aura répondu, ce qui ne peut manquer d’avoir lieu ce soir ou demain matin, je ferai connaître la réponse à la chambre. Mais, je le répète, le gouvernement ne pouvait pas comprendre dans l’emprunt qu’il vous a demandé pour l’achèvement des chemins de fer décrétés, une somme pour la canalisation de la Campine, alors que les études n’étaient pas entièrement terminées. J’ai eu l’honneur de faire connaître a la chambre que le travail de M. Vifquain, dont on demande et dont je presse moi-même, de tous mes moyens, l’impression et la distribution, ne constituait qu’un travail préliminaire ; qu’il ne pouvait pas même être considéré comme émanant du gouvernement ; qu’on ne devait y voir que l’opinion personnelle de l’ingénieur qui l’a soumis au gouvernement, et qu’enfin le gouvernement ne le remettait à la chambre que pour que chacun put l’étudier et faite ses observations. Je le répète, en ce qui me concerne, je ne perdrai pas un instant pour faire l’étude complète, tant de la canalisation de la Campine que de l’amélioration des diverses voies navigables du pays. Ce sont la des questions trop importantes pour que je ne mette pas tous mes soins et tout l’empressement possible à les étudier, de manière à me mettre en état de demander au Roi l’autorisation de vous soumettre incessamment des propositions à leur égard.
M. Dumortier. - Puisque l’on fait ici valoir les intérêts et les droits des diverses parties de la Belgique, je croirais manquer à mes devoirs si je ne témoignais aussi ma surprise de ce que l’on n’a pas compris une somme quelconque dans l’emprunt pour le parachèvement de l’embranchement qui doit joindre deux ligues importantes du chemin de fer, embranchement qui nous avait été promis en 1834 et qui est de la plus haute importance.
Et remarquez bien, messieurs, qu’il ne s’agit point ici d’une dépense improductive, mais d’une dépense qui serait au contraire une des plus productives que l’on puisse faire en matière de travaux publics. Car s’il est vrai quelquefois qu’un chemin de fer parallèle aux canaux n’a pas de grandes chances de production, il est très vrai aussi qu’un chemin de fer opposé à des canaux est toujours très productif. Eh bien, je répète que j’ai été très surpris de ne pas voir figurer dans le projet d’emprunt une somme pour l’embranchement dont il s’agit. Je serais certainement très aise de voir exécuter la canalisation de la Campine mais je voudrais bien aussi que l’on fît quelque chose pour la localité qui m’a envoyé dans cette enceinte. Nous avons le malheur ne pas être représenté au ministère. M. le ministre des travaux publics est Flamand, il a fait voter le canal de Zelzaete ; MM. les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères sont Luxembourgeois, ils ont adjugé deux millions au Luxembourg dans le projet de loi sur l’emprunt ; M. le ministre des finances est Anversois et il fait insérer dans le projet une somme d’un million et demi pour l’entrepôt d’Anvers ; ainsi chacun soigne pour soi ; mais nous, qui, comme je le disais tout à l’heure, ne sommes pas représentes dans le ministère, nous ne pouvons rien obtenir. Cependant l’arrondissement de Tournay a 250,000 habitants, et s’il fallait rappeler les services que nous avons rendus à la révolution, nous pourrions dire, par exemple, que les deux forteresses qui ont le premières secoué le joug hollandais sont précisément les forteresses d’Ath et de Tournay, que le chemin de fer dont il s’agit devrait traverser.
Puisqu’on invoque toujours la Campine, je crois que nous serions bien mal avisés de ne pas invoquer aussi le droits de notre localité. D’ailleurs, d’après les données qui ont été présentées en 1834 par l’honorable M. Rogier, il est manifeste que le chemin de fer que nous demandons, et qui nous a été formellement promis, doit être un des plus productifs du pays, et cela serait très facile à démontrer si nous pouvions discuter maintenant cette question.
Il semble, en vérité, qu’une espèce de mauvais génie tend à diviser de plus en plus le pays en provinces wallonnes et provinces flamandes. Vous avez un chemin de fer qui vient d’Anvers à Tournay, vous en avez un autre qui va de Bruxelles à Mons ; entre ces deux lignes il y a une lacune de huit lieues que l’on pourrait combler sans avoir un seul ouvrage d’art à construire, sans avoir même un pont à faire ; il n’y a peut ainsi dire qu’à placer les rails et nous ne pouvons pas obtenir cet embranchement qui réunirait les deux lignes principales du chemin de fer.
Cependant cette réunion nous a été promise depuis 1834, elle est dans l’intérêt de la capitale, dans l’intérêt du pays tout entier.
Je crois, messieurs, que lorsqu’on réclame pour d’autres parties du pays, lorsqu’on propose un projet d’emprunt dans lequel on comprend des sommes pour plusieurs autres localités, j’aurais manqué à mon devoir, si je n’avais appelé l’attention du gouvernement et de la chambre sur un embranchement qui nous est promis depuis 8 ans, et dont la construction serait de la plus haute utilité pour le pays entier, en même temps qu’elle serait évidemment productive pour le trésor.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne veux pas anticiper sur une discussion qui n’est pas encore ouverte ; mais cependant je ne veux pas non plus qu’on accrédite l’opinion que certaines dispositions qui se trouvent dans le projet de loi d’emprunt sont dues à la présence de deux Luxembourgeois dans le cabinet. Je prouverai que le Luxembourg est dans une position toute spéciale ; il a un titre il faut qu’on établisse que d’autres provinces ont également un titre pour elles. Je dis que dès lors le gouvernement se trouve, par rapport à la loi du 26 mai 1837, dans cette situation-ci : cette loi stipule qu’il y aura un chemin de fer dans le Luxembourg. Eh bien ! des deux choses l’une : ou vous ferez ce chemin de fer, ou vous ferez autre chose en compensation ; qu’on me prouve que la position est identique relativement aux autres questions de travaux publics qu’on a citées et sur lesquelles je ne dois pas me prononcer en ce moment.
M. Peeters. - Les explications de M. le ministre des travaux publics ne m’ont pas satisfait ; il a dit, comme toujours, que le rapport n’est pas terminé ; mais je demanderai à M. le ministre de l’intérieur si les routes auxquelles on veut consacrer les millions dans le Luxembourg ont été étudiées. Quand chaque membre de cette chambre est venu dans le temps réclamer et a obtenu un bout de chemin de fer pour sa localité, la question avait-elle été assez étudiée ? Le rapport avait-il été fait ? Non, et la preuve, c’est qu’on vient maintenant demander 35 nouveaux millions pour le chemin de fer.
L’honorable M. Dumortier se plaint de ce qu’on ne fasse pas de travaux dans sa province. J’ai prouvé dans une autre circonstance que dans le Hainaut l’on a déjà dépensé 22 millions pour le chemin du fer ; j’ai prouvé, par des chiffres incontestables, que la province d’Anvers était celle pour laquelle on ait fait le moins ; malgré ces chiffres, malgré la démarche solennelle faite par deux députations du conseil provincial, on ne propose pas un centime pour la Campine !
Au reste, maintenant que je vois que le gouvernement nous abandonne, je saurai remplir mes devoirs de député ; je prendrai l’initiative en présentant un projet de loi, et je suis persuadé que j’obtiendrai de la justice de mes honorables collègues ce que le gouvernement paraît vouloir nous refuser.
M. de Theux. - Je ne veux pas prolonger cette discussion, mais je ne puis que me joindre à l’honorable M. Peeters pour dire que les habitants du Limbourg seront désagréablement surpris de voir que l’accomplissement des promesses qui leur ont été faites depuis longtemps est encore ajourné.
- La séance est levée à 5 heures.