Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 juin 1842

(Moniteur belge n°165, du 14 juin 1842)

(Présidence de M. de Behr)

Appel nominal

M. Kervyn fait l'appel nominal à deux heures.

Pièces adressées à la chambre

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

M. David. – Je crois entendre à la lecture du procès-verbal, que la loi sur les péages dont j’ai obtenu la discussion immédiatement après le vote sur l’amendement de M. de Theux, allait être remise après la discussion de l’amendement de l’honorable M. de Brouckere.

Messieurs, je désire qu’on ne revienne pas sur la fixation de l’ordre du jour. Nos bulletins de convocation fixaient la discussion de la loi des péages entre l’amendement de M. de Theux et celui de M. de Brouckere. J’en demande le maintien.

M. le président. – Cela se trouve indiqué de cette manière dans le procès-verbal et dans les bulletins de convocation.

M. David. – C’est bien, M. le président.

- Personne ne demandant plus la parole, le procès-verbal est approuvé.

M. Kervyn analyse les pièces de la correspondance :

Pièces adressées à la chambre

« Les administrateurs de la société gantoise dite : De Tal is gansch’t Volk appelle l’attention de la chambre sur un passage contenu dans plusieurs pétitions qui lui ont été adressées en 1840 et par lesquels on demandait qu’il fût établi dans chaque université de l’Etat une chaire pour la langue et la littérature flamande. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l’enseignement supérieur.


« Le sieur Cordier, secrétaire des communes d’Autreppe et de Roisin, demande que des dispositions de nature à améliorer la position des secrétaires communaux soient introduites dans le projet de loi tendant à modifier la loi communale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


« Le sieur Van Ophem expose que la chambre a renvoyé au département de la justice une pétition qu’il avait adressée en 1836, pour que le gouvernement présente un projet de loi tendant à réduire au taux légal l’intérêt de l’argent prêté par les monts-de-piété ; il renouvelle sa demande. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi qui autorise le gouvernement à apporter des modifications au régime d'importation et de transport de marchandises en transit

Rapport de la section centrale

M. de Foere, rapporteur. - Messieurs, il y a une demi-heure seulement que la section centrale a terminé ses délibérations sur le projet de loi tendant à modifier le régime de transit, relativement à l’importation et aux transports des marchandises. La section centrale m’a fait l’honneur de me nommer rapporteur de ce projet de loi ; mais elle n’a pas décidé que le rapport en fût présenté dans la séance de ce jour. Il n’en a pas même été question. Cependant si la chambre désire que je lui présente un rapport verbal, je me conformerai à sa décision.

Plusieurs membres. – Le rapport verbal.

M. de Foere. – Messieurs, il résulte des rapports des sections particulières et des explications qui ont été fournies par M. le ministre des finances à la section centrale, que quelques sections avaient donné au projet de loi une portée qui dépassait de beaucoup son objet et son but. Il s’agit uniquement d’accorder au gouvernement, pendant une année, le pouvoir de faciliter l’importation et le transport des marchandises de transit, ou de faire disparaître quelques formalités qui entravent, sous la législation actuelle, le transit. Le gouvernement demande ce pouvoir à titre d’essai ou d’expérience. Le projet de loi, restreint dans ces bornes, a été adopté à l’unanimité par la section centrale.

Afin de faire cesser les doutes qui s’étaient élevés dans quelques sections qui s’étaient opposées au projet de loi, la section centrale a apporté un léger changement à l’art. 1er du projet du gouvernement. Cet article était conçu en ces termes : « Le gouvernement pourra apporter au régime d’importation, de transit direct et de transit par entrepôt, telles modifications qu’il jugera favorables au commerce et compatibles avec les intérêts du trésor et de l’industrie nationale. » La section centrale propose la rédaction suivante : « Le gouvernement pourra apporter au régime d’importation et de transport des marchandises, de transit direct et de transit par entrepôt, telles modifications qu’il jugera favorable au commerce et compatibles avec les intérêts du trésor et de l’industrie nationale. »

Si la chambre est disposée à écouter immédiatement le projet de loi, la section centrale, de son côté, tâchera de soutenir son rapport.

M. David. – Messieurs, il me semble que cette question soulève d’autres questions bien graves ; nous avons des comparaisons à établir ; nous devons fixer le prix pour ce transit ; il ne suffit pas de décider le transit, le transit n’aura pas lieu si l’on ne fixe pas des prix qui rendent possible la concurrence avec la Hollande. Il n’est pas possible de discuter en ce moment un projet semblable.

M. le président. - Il ne s’agit ici que d’une formalité, on ne touche pas au tarif.

M. David. - Je demande qu’on fasse imprimer le rapport et qu’on nous laisse le temps de l’examiner.

M. Rodenbach. – Il paraît que ce n’est qu’une simple formalité. L’honorable préopinant se contentera sans doute de l’insertion au Moniteur, cette insertion est de droit puisque le rapport vient d’être fait à la ch. On pouvait dès lors discuter le projet dans la séance de demain. Quand l’honorable préopinant aura lu le rapport dans le Moniteur, il verra qu’il ne s’agit que d’une pure formalité, et que le projet ne doit pas soulever de difficulté.

M. David. – Je demande qu’on fixe la discussion du projet après celle de la loi sur les péages.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. – Quelques membres ont demandé la discussion de la loi sur les péages des canaux et rivières. La section centrale est convoquée pour demain à 11 heures.

Proposition de loi accordant une garantie d'intérêt pour les concessions de routes, de canaux et de chemins de fer

Rapport de la section centrale

M. Dechamps, au nom d’une section centrale, dépose le rapport sur la proposition de MM. Zoude, Seron et Puissant sur la garantie d’un minimum d’intérêt pour les travaux publics.

- Le rapport sera imprimée et distribué ; la discussion en sera fixée ultérieurement.

Interpellation

Avancement des officiers polonais dans les rangs de l'armée

M. de Mérode. – L’interpellation que j’adresse à M. le ministre de la guerre concerne douze officiers de l’armée belge, Polonais de naissance, qui, voyant dans la cause que défendait la Belgique encore exposée à des chances périlleuses, une analogie intime avec celle de leur patrie native se sont rangés sous le drapeau de notre affranchissement. On profite de la forme originaire des brevets pour leur ôter un rang d’ancienneté que les années leur ont acquis ensuite. Je le demande, messieurs, est-ce là comprendre la loi du 22 septembre 1831 ? Quoi, c’est après onze années de service, que l’on place des officiers dans une position moins favorable que ceux qui, en 1839, furent admis définitivement comme la loi le permettait pour des militaires qui n’appartenaient point à une autre armée. Le véritable article applicable aux anciens officiers belges polonais, c’est l’article 1er de cette loi de 1831, et non pas l’article 2.

On m’opposera, je le sais, le texte des brevets. Onze années subséquentes ne permettent plus de leur donner un sens injuste. Après ce laps de temps il y a eu évidemment admission tacite, définitive. Une interprétation contraire, une interprétation légale, rigide contre le droit réel, est bonne à l’usage d’un méchant payeur qui se raccroche à toute forme quelconque, afin de ne point solder une dette légitime. Elle n’est pas digne d’un gouvernement, elle n’est pas digne d’une nation, elle n’est pas digne de l’esprit généreux qui doit animer le soldat. Il y a ici autre chose que le mesquin intérêt de quelques officiers nés sur notre sol qui auraient un concurrent de plus ou de moins dans la liste d’ancienneté : l’amour-propre de tout Belge tenant à honneur, l’exercice de l’hospitalité envers de courageux proscrits dont le titre de proscription est celui qui pouvait nous frapper nous-mêmes pour avoir voulu une patrie.

Messieurs, c’est dans les actes émanés d’un ministre de la guerre que l’on devrait rencontrer, plus qu’ailleurs, le sentiment dont je parle, et malheureusement, je ne l’y trouve pas dans le rapport au Roi du 25 mai dernier. J’y remarque le style de légiste sec et froid, quand il traite une question d‘hypothèque ou de mur mitoyen. Je n’y vois pas la sympathie vive, profonde, sincère, qui doit animer le chef administrateur d’une armée dont la bannière fut aussi maintenue par le concours de la résistance polonaise de 1830. Je regrette que la bienveillance envers les Polonais soit si mesurée, et je vois que lorsqu’il s’agit de les secourir conformément aux vœux du pays, le soulagement que peut accorder le département de la guerre n’est fourni qu’avec une réserve méticuleuse à l’excès. Nous avons des millions pour percer des rochers, élever des remblais énormes, comment ne trouverions-nous pas quelques milliers de francs, afin d’aider pour notre faible part de nobles misères. Quand on blesse douze braves officiers polonais auxquels on ne reproche rien, car l’inconduite ou d’indiscipline ne m’auront jamais pour appui, on humilie le nom belge pour un mesquin et faux calcul d’ancienneté, et si l’on doit subir l’effet outré d’une légalité trop discourtoise, que M. le ministre y porte remède par l’avancement au choix. Le pouvoir royal peut ici tout mettre d’accord, car il existe dans l’intérêt général, et l’ancienneté exclusive n’est pas plus utile à l’organisation militaire qu’à celle de toutes les autres branches du service public. Jamais le libre choix du prince ne sera plus loyalement applicable que dans l’occasion où il s’agit, non de quelques hommes, mais des procédés entre deux peuples, dont l’un a échappé au naufrage qui a fait périr l’autre. Je désire connaître quelles sont à cet égard les intentions de M. le ministre de la guerre.

Puisque j’ai la parole je l’entretiendra itérativement du couchage des soldats. Dans une de nos garnisons 80 hommes sur 300 ont couché par terre sans lits pendant deux mois, et aujourd’hui 25 ou 30 hommes continuent indéfiniment à prendre ainsi leur repos. Il est inconcevable que l’on ne puisse pas mieux traiter les jeunes gens que l’on appelle au service de l’Etat.

M. Lys. – Je partage avec l’honorable comte de Mérode la vive sympathie qui l’anime envers les officiers polonais ; mais je n’entends point qu’on déroge en leur faveur à une disposition ministérielle qui a statué que les officiers ne prennent rang dans l’armée que du jour de leur nomination définitive. J’approuve donc, pour autant qu’il est en moi, l’arrêté royal que le ministre de la guerre a provoqué, et je dis qu’il ne pouvais agir autrement sans renoncer à tous les précédents.

Cette disposition ministérielle avait d’ailleurs été prise après l’avis donné par une commission nommée dans chaque régiment, et l’examen du rapport par une commission centrale.

Après le licenciement des corps francs et des gardes civiques, bon nombre d’officiers ont été admis avec leurs grades pour la durée de la guerre.

Mais quand ils ont voulu obtenir une nomination définitive, ils ont dû perdre leur ancienneté, et plusieurs ont même dû descendre d’un grade.

Une centaine d’officiers, presque tous Belges, se trouvent dans ce cas.

Je vous citerai les capitaines d’infanterie de Keuzier, Brasseur, Devillers, Govaerts, qui, quoique capitaines depuis le 20 août 1832, n’ont été admis à prendre rang que du 6 février 1837.

Plusieurs Polonais sont aussi dans ce cas.

Ainsi le colonel des chasseurs à cheval Lruzewicki, qui datait du 19 juillet 1831, n’a été admis à prendre rang qu’au 18 août 1836.

Je dis donc, messieurs, qu’il est bien de donner aux officiers polonais un grade effectif, mais qu’on ne doit les classer dans ce grade que comme on a fait pour les Belges et les autres Polonais.

Toute autre manière d’agir serait une préférence au détriment des officiers actuellement en fonctions, et ce serait là une faveur, une véritable injustice. Cette disposition ministérielle avait d’ailleurs été prise après l’avis donné par une commission nommée dans chaque régiment et l’examen du rapport par une commission centrale.

M. de Man d’Attenrode. – Messieurs, je viens prêter mon appui aux paroles que vient de prononcer mon honorable ami et collègue, le comte de Mérode, en faveur de quelques officiers nés Polonais, naturalisés Belges. Il y a dix ans, nous fument heureux d’admettre dans notre armée, qui alors manquait d’officiers expérimentés, des hommes qui avaient fait leurs preuves en sortant couverts de gloire d’une lutte gigantesque ; ils furent admis en vertu de l’art. 1 de la loi du 22 septembre 1831, qui ne pose pas la limite de la durée de la guerre, car je soutiens qu’ils ne peuvent l’avoir été en vertu de l’art. 3, car cet article ne concerne que les officiers qui nous offraient leurs services sans renoncer à leurs grades dans leur patrie ! Or, vous savez, messieurs, si les Polonais ont conservé une patrie ! Ces officiers furent donc admis en vertu de cet article 1, ainsi conçu : « Le Roi est autorisé à prendre au service de l’Etat tel nombre d’officiers étrangers, qu’il jugera utile. » Mais leurs brevets firent rédigés dans le sens de l’art. 3, qu’il est impossible de leur appliquer.

Ils s’inquiétèrent peu dans le principe de la forme irrationnelle de leurs brevets ; on songeait peu à cette époque à des controverses de légalité ; on ne songeait qu’à des combats plus sérieux, mais en général on a déployé plus de franchise. Il leur suffisant d’ailleurs, pour être en repos sur leur avenir de se savoir au service de la loyauté belge. Ils se contentèrent donc de servir le pays, là se bornèrent leurs prétentions !

Plus tard les chefs du département de la guerre, les généraux Evain et Willmar, s’apercevant de ce que leur position pouvait avoir d’irrégulier, se décidèrent à déterminer leur ancienneté par une promotion. C’est la connaissance de ce projet qui empêcha les intéressés de réclamer leur admission définitive pendant plusieurs années, admission qu’ils auraient obtenue incontestablement depuis nombre d’années.

Les honorables général Evain et Willmar se retirèrent sans avoir mis leur projet à exécution. Les intéressés continuèrent à avoir foi dans ces bonnes dispositions et manquèrent ainsi maintes occasions où ils airaient pu être admis définitivement, et notamment en 1839 où beaucoup d’étrangers le furent. Ils se berçaient toujours de l’espérance de la promesse d’une promotion.

Je conçois que ces engagements ne sont pas personnels à l’honorable ministre de la guerre, mais la loyauté n’exige-te-elle pas que les engagements de ses prédécesseurs soient pris en considération par lui ? Le gouvernement savait leur intention de rester au service du pays, il savait pourquoi ils ne réclamaient pas de brevets définitifs. Y aurait-il de la loyauté, après avoir laissé servir ces officiers pendant 10 ans, d’user de certaines dispositions légales très contestables d’ailleurs, pour leur dire tout sèchement : Vos neuf années de service ne seront prises en aucune considération pour fixer votre ancienneté ; des officiers qui n’ont pas la moitié de vos années de service seront classés à l’annuaire avant vous.

Si on voulait les traiter de la sorte, il fallait les prévenir plus tôt du sort qu’on leur préparait.

On s’est basé dans le rapport du 25 mai, sur ce que 150 officiers belges auraient perdu jusqu’à 7 années d’ancienneté par les mêmes causes.

Cette comparaison n’est pas exacte ; car les Belges en question n’ont perdu que les années passées dans les corps francs, au premier banc de la garde civique, ou aux régiments de réserve, qui ont été créés pour le remplacer. Or, il est concevable que le service dans ces corps dont la formation était provisoire pour la durée de la guerre ne fût pas mise en ligne de compte avec le service dans l’armée permanente, et que les officiers qui passèrent de la garde civique ou des régiments de réserve dans l’armée permanente ne comptassent leur ancienneté que du jour de leur admission dans l’armée.

Mais il n’en est pas de même de ces douze officiers polonais naturalisés belges, leur service en entier date de leur admission dans l’armée de ligne.

J’espérais que ces motifs, qui ont été développés déjà, eussent amené M. le ministre à nous présenter un projet de loi pour régulariser cette position, qui n’a d’autre cause que la situation irrégulière d’un pays qui se constitue ; mais il n’en a pas été ainsi, un arrêté royal, précédé d’un rapport, fixe l’ancienneté de ces officiers à l’année 1841. Je ne veux pas entrer dans l’examen de ce que cet arrêté peu avoir de peu constitutionnel ; car on aurait pu trouver des motifs tout aussi valables pour fixer cette ancienneté à 1839 où beaucoup d’officiers furent admis définitivement et d’emblée, ou plutôt antérieurement. Je pense donc qu’un projet de loi eut été préférable. Cependant j’accepte cet arrêté ; je renonce à le combattre. Mais puisque M. le ministre le juge comme moi rigoureux, dans son rapport, et qu’il annonce la possibilité d’en atténuer la rigueur par des promotions, je lui demanderai qu’il veuille bien ne pas oublier les dispositions de ses prédécesseurs, dispositions qui ont empêché ces officiers de réclamer la régularisation de leurs brevets depuis nombre d’années, dispositions qui constituent des engagements que j’envisage comme sérieux pour lui.

Je terminerai en ajoutant que notre Belgique a toujours joui d’une réputation de loyauté, de reconnaissance ; ce serait bien malgré moi que ces titres à l’estime des autres peuples reçussent quelqu’atteinte.

M. Pirson. – Les officiers polonais ont sans doute les sympathies de tous les membres de cette chambre indistinctement ; mais quand on traite ces Polonais exactement de la même manière que les nationaux, je ne vois pas en vérité de quoi ils auraient à se plaindre.

J’adhère à tout ce qu’a dit mon honorable ami, M. Lys, et je dirai qu’en mon particulier j’ai été chargé de requêtes de plus de 10 officiers nationaux qui ont aussi réclamé contre les mesures prises à leur égard par le département de la guerre ; ces officiers avaient été admis définitivement, mais on ne leur a compté leurs services qu’à compter du jour de leur admission définitive. Le ministre a toujours répondu que c’était une mesure générale applicable à tous et qu’il ne pouvait y être fait d’exception. Je ne vois pas dès lors de quoi les officiers polonais pourraient se plaindre. Ils ont été accueillis en Belgique très favorablement ; ils nous ont servis, il est vrai, et nous leur devons beaucoup de reconnaissance sous ce rapport. Mais les officiers du pays, dont les services remontent aux premiers temps de la révolution et dont un grand nombre ont été blessés dans les premières affaires, méritent tout autant de considération ; cependant on ne leur a compté, comme aux officiers polonais, leur ancienneté qu’à dater du jour de leur admission définitive ; et encore pour MM. les Polonais on a rétrogradé d’une année ; c’est là une faveur qu’on n’a pas accordée aux nationaux. M. le ministre de la guerre a sans doute quelques mots à répondre ; lorsqu’il l’aura fait, je demande qu’on passe à l’ordre du jour.

M. le ministre de la guerre (de Liem) – Messieurs, les officiers étrangers, admis pour la durée de la guerre, ont, au mois de septembre dernier, fait distribuer à MM. Les membres de la chambre des représentants un mémoire ayant pour objet de les faire admettre définitivement dans l’armée, avec la faveur de prendre rang d’ancienneté à dater de leur admission provisoire. Ces étranges prétentions ont justement alarmé les officiers indigènes qui, craignant de voir prendre une mesure préjudiciable à leurs droits, ont adressé de vives réclamations au département de la guerre.

L’une de ces réclamations, transmise par l’un des principaux chefs de l’armée, et que je soumets à l’appréciation de la chambre, était conçue en ces termes :

« A M. le ministre de la guerre, à Bruxelles,

« M. le ministre,

« Je lis dans l’Observateur du 25 de ce mois, que les officiers polonais, admis pour la durée de la guerre, en vertu de la loi du 22 septembre 1831, ont fait distribuer aux membres de la chambre des représentants une note dans laquelle ils cherchent à éluder les prescriptions positives d’une loi qu’ils ont dû connaître lors de leur admission dans nos rangs, et dont l’application a été faite à une foule d’officiers belges qui se sont trouvés dans la même position que ces MM. les Polonais, et qui, outre leurs titres communs avec ces derniers, avaient encore celui d’être régnicoles et d’avoir pris part aux glorieux dangers de notre révolution.

« Je prends en conséquence la respectueuse liberté de soumettre à votre haute appréciation les quelques considérations suivantes :

« Si le gouvernement, lors de l’admission dans notre armée et surtout dans les armes spéciales, n’a point exigé d’eux les épreuves et les examens prescrits pour nous, n’est-ce pas parce qu’il ne considéra leur présence dans nos rangs que comme tout à fait provisoire, n’est-ce pas encore pour le même motif que l’on se montra si généreux de grades envers ces messieurs, et que l’on se contenta, pour leur admission en classement, de simples certificats délivrés non par le gouvernement de Varsovie, mais par des autorités à ce plus ou moins compétentes, au moment des déplorables revers de leur armée, et alors même que celle-ci avait déposé les armes sur le sol étranger ?

« Serait-il juste, en accordant à ces messieurs, leur classement définitif dans l’armée belge, de leur conserver une ancienneté de grade que la loi leur refuse, et alors surtout que retenus par des motifs qu’il ne m’est pas permis d’apprécier ici, ils ont attendu pour se faire naturaliser Belges que le terme fatal, fixé par la loi du 3 juin 1839 fût passé ?

« D’ailleurs, en supposant que, dans la question en litige, la sympathie puisse l’emporter sur le droit, quelle perturbation, que de complications la concession aux prétentions de ces messieurs n’amènerait-elle pas ? leur qualité d’étrangers, hôte de la Belgique, peut-elle leur valoir des privilèges, des bénéfices, qui, en vertu de la loi ont été refusés aux enfants du pays, à ces cent quatre-vingt-trois officiers de tout rang qui, pour être définitivement admis dans l’armée, ont dû perdre leur ancienneté, et dont plusieurs ont même été forcés de descendre d’un grade ? Que répondre alors aux justes réclamations qui surgiraient, de toutes parts, comment alors, bien qu’on ait agi en vertu de la loi, ne pas rapporter tout ce qui, dans l’espèce, a été fait depuis onze années, et ne pas rétablir dans leur rang et ancienneté non seulement tous les officiers belges susmentionnés, mais aussi ces officiers polonais, à qui leur confiance dans notre avenir politique, ainsi que leur estime et leur reconnaissance envers la Belgique ont depuis longtemps fait solliciter et obtenir des lettres de naturalisation, en subissant le sacrifice d’ancienneté que la loi exigeait d’eux.

« Enfin, l’admission définitive des Polonais, tout en leur faisant subir cette perte d’ancienneté, n’est-elle pas encore une assez belle part, n’est-ce pas encore une assez belle preuve de la générosité de notre gouvernement, pour qu’en toute raison, en toute justice, ils n’aient qu’à s’en féliciter et à lui en vouer une éternelle reconnaissance ? Que ces messieurs tiennent donc compte de l’immense différence qui existe entre les bénéfices éventuels de leur positon provisoire actuelle, et ceux permanents de la position définitive dont on veut bien les doter.

« Telles sont, M. le ministre, les considérations que j’ai pensé opportun de soumettre à votre haute appréciation : ces messieurs les Polonais on cru en appeler à l’intervention des chambres et de la publicité ; pour moi, je crois suivre une voie plus militaire, en remettant en toute confiance la défense de nos droits aux mains du chef de l’armée.

« J’ai l’honneur, etc. »

Telle était l’opinion générale, dans l’armée, sur l’admission des officiers étrangers. Elle s’appuyait sur les lois et les précédents en ce que sur 183 officiers admis définitivement, il y en avait 150 Belges, dont beaucoup ont dû descendre des premiers aux 500ème et 600ème rangs ; d’autres ont dû renoncer à leur grade pour rentrer définitivement avec un grade inférieur.

Si, parmi eux, quelques-uns étaient sans services antérieurs, ils avaient acquis d’autres droits à toute la sollicitude du pays, ceux d’avoir combattu pour son indépendance.

Du reste, la chambre elle-même, dans la loi sur les pensions, a décidé que les services rendus à l’étranger, ne pouvaient compter en Belgique.

Je pense que cet exposé, ainsi que le rapport qui a été inséré au Moniteur du 5 de ce mois, suffiront pour convaincre l’honorable comte de Mérode que la mesure qui a dû être prise pour l’admission de quelques officiers étrangers, était la seule légale et la seule possible.

M. de Mérode. – M. Pirson et M. le ministre de la guerre n’ont rien répondu aux observations de M. de Man d’Attenrode. Les officiers belges appartenant à l’armée permanente n’ont pas perdu d’ancienneté. Les officiers assez nombreux qu’on a cités n’avaient que des grades provisoires. Je puis aussi bien que personne connaître ce qui en est, car j’ai signé un grand nombre de leurs brevets, et il a toujours été bien entendu que tous ces grades donnés dans les premiers moments sans connaissance de cause suffisante n’étaient que provisoires. Aucun d’eux, en outre, n’a perdu une ancienneté de 11 années. Leur position se trouve donc de toute manière loin d’être semblable à celle des officiers pour lesquels je réclame ; après cela, si l’on ne veut que la légalité, du genre le plus étroit, je n’insisterai pas, mais je n’en penserai pas moins qu’il est impolitique, maladroit et peu honorable pour le pays de traiter avec un semblable rigorisme ces 12 officiers polonais.

M. Pirson. – Je ne répondrai à M. de Mérode qu’en demande l’ordre du jour. Ce que nous a lu M. le ministre de la guerre répond suffisamment à tout ce qu’il a dit. Je dois admirer la sympathie de M. de Mérode qui a toujours protégé les Polonais, de toute manière, qui est venu constamment à leur secours. Il y a beaucoup de personnes qui ont fait ma même chose. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il serait inutile de continuer une discussion qui n’est fondée sur rien, car il n’y a pas de proposition. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour.

M. de Mérode. – j’ai parlé aussi du couchage des soldats, car je ne m’occupe pas seulement des Polonais.

M. Verhaegen. – Voilà le correctif !

M. de Mérode. – Je n’ai jamais parlé par correctif.

Dernièrement j’ai fait observer que plusieurs soldats étaient couchés par terre dans de mauvaises casernes. Il arrive que des rats courent sur la figure de ces soldats. (On rit.)

Vous riez, mais moi je ne ris pas quand je parle de la position dans laquelle on laisse nos soldats. Quatre-vingt hommes sur 300 ont couché par terre. Nous avions des lits pour 80 mille hommes, comment se fait-il que nous en manquons aujourd’hui que notre armée est considérablement réduite ?

Si, l’année prochaine, chaque soldat de notre armée n’a pas son lit, comme cela est en Prusse et en France, je m’opposerai à toute loi sur la milice, je ne voterai pas le contingent d’un seul homme.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, je demande à dire encore un mot, je demande que M. le ministre veuille bien me répondre, me dire si les engagements que ses prédécesseurs ont pris en ajournant l’admission définitive des officiers polonais par des promesses de promotion seront comptés pour rien.

M. le ministre de la guerre (de Liem) - La chambre comprendra que ‘ai n’ai aucune réponse à faire à l’honorable préopinant. Le gouvernement doit être libre dans les promotions.

Motion d'ordre

M. le ministre de l'intérieur (M. Nothomb) – L’honorable M. Delehaye avait annoncé les interpellations qu’il se proposait d’adresser aujourd’hui à M. le ministre des affaires étrangères, et que M. le ministre des affaires étrangères avait acceptées. Malheureusement, M. le ministre des affaires étrangères a dû s’absenter hier, il sera de retour dans quelques jours ; il pourra être alors donné suite aux interpellations annoncées.

M. Delehaye. Je consens à ajourner mes interpellations jusqu’à ce que M. le ministre des affaires étrangères puisse assister à la séance.

Proposition de loi apportant des modifications à la loi communale, en ce qui concerne le fractionnement des collèges électoraux

Discussion générale

M. Lys. - Je ne prends la parole que pour motiver mon vote qui sera négatif.

Les dispositions de l'art. 5 de la loi du 30 mars 1836, servent à garantir des intérêts opposés, tandis que les additions proposées tendent à désunir des intérêts communs.

La division des grandes villes en quartiers électoraux, procédant chacun à une élection partielle des membres du conseil municipal, aura pour résultat de mettre ces conseillers à la merci des électeurs, et à entendre le ministère, c'était pour délivrer les bourgmestres de cette suggestion qu'il voulait apporter des changements à la loi de 1836.

Il est inutile, messieurs, d'en dire davantage sur ce point, à cet égard la démonstration la plus complète vous a déjà été présentée.

Il est tout aussi inutile de vous entretenir de l'esprit de rivalité que vous allez introduire dans la commune. L'honorable M. Devaux et après lui l'honorable M. Dolez vous en ont fait le tableau le plus vrai. Ce sera surtout dans les villes de moyenne importance, que les résultats de cette rivalité seront désastreux, et en effet, messieurs, si dans une province on peut diviser les faveurs, en donnant à chaque district une part égale, cela ne peut avoir lieu dans la plupart des communes ; vous ne pouvez multiplier les constructions de manière à en faire dans chaque quartier, par exemple, l'établissement d'un puits artésien, d'un marché couvert, alors vous serez forcés d'y renoncer, parce que chaque quartier voudra les avoir.

La répartition des conseillers à élire étant faite dans chaque section, d'après la population, servira beaucoup à donner à la minorité des électeurs dans une commune les avantages que perdra ainsi la majorité. Plusieurs orateurs vous en ont déjà donné la preuve, et je vais vous la rendre plus sensible par un exemple.

Dans les villes de fabrique, les ouvriers forment la grande majorité des habitants, la ville que j'habite compte près de vingt mille âmes, et dans ce nombre 15 mille prolétaires au moins, ainsi les trois quarts.

Certains quartiers de cette ville logent une forte partie de ces ouvriers ; la répartition se faisant d'après la population, il en résultera qu'un quartier très populeux sera précisément celui qui comptera le plus petit nombre d'électeurs, et ce sera ce dernier qui, d'après le projet de l'honorable M. de Theux, fournira le plus de conseillers à la commune. Vous voyez, messieurs, que c'est là une anomalie révoltante, et de ce seul chef ce projet doit être repoussé.

Vous trouverez le même résultat dans la ville de Bruxelles, ainsi que l'a démontré l'honorable M. Dolez, et on peut l'appliquer aussi à la ville de Liège ; pour celle-ci, cela ne forme pas le plus léger doute.

L'honorable M. Devaux vous a aussi mathématiquement démontré que dans certains cas encore la minorité ferait la loi à la majorité, ce qui ne doit jamais exister.

Personne n'a pu détruire la force de ses chiffres ; aussi l'honorable rapporteur n'a-t-il nullement tenté de le faire ; M. le ministre de l'intérieur a voulu à son tour présenter ses calculs, mais il n'a pas été heureux ; car dans son système, ce n'était plus la minorité qui triomphait, car il y avait majorité, et du côté du nombre des électeurs et du côté du nombre des sections.

La loi actuelle ne laisse rien à désirer ; la majorité nomme les représentants de la commune ; pour obtenir cette majorité, nul système exclusif ne pourrait réussir ; et, en effet, messieurs, pour réunir cette majorité, l'on est forcé de prendre les notabilités, les personnes les plus méritantes dans chaque quartier.

Aucune plainte, depuis six ans que la loi existe n'a retenti dans aucune partie de la Belgique ; comment se fait-il donc que le ministère ait pu s'associer à un aussi malencontreux projet ? Une transaction avait eu lieu en 1836, de guerre lasse pour ainsi dire, et cela n'était pas extraordinaire après trois années de discussion. Le ministère et ceux qui soutenaient ses propositions, d'un côté, et l'opposition, de l'autre, adoptèrent un système moyen. Aujourd'hui, messieurs, il n'en est pas ainsi. Y aurait-il une transaction d’un nouveau genre ? Le ministère, afin de procurer l’adoption de son projet de loi pour les bourgmestres, se serait-il engagé à soutenir le projet de l'honorable M. de Theux ? C'est là une question que l'on ne fait en voyant le ministère appuyer ce projet de loi, et je vous en abandonne la solution.

C'est donc ainsi, messieurs, que l'on veut consolider le pouvoir central ? est-ce bien ainsi que l'on constitue le pouvoir fort ?

Ce que vous avez déjà fait à la base vous servira-t-il, lorsqu'auprès du pouvoir législatif, le gouvernement, loin de conserver sa dignité, se prosterne devant les exigences de ce qu'il craint être la majorité.

Non, messieurs, la faiblesse se communiquera du sommet à la base. La désaffection des électeurs de la commune pourra en être la suite, et les ministres du Roi seront les auteurs de ce changement, parce qu'ils n'auront pas fait respecter le pouvoir exécutif, parce qu'ils auront voulu ignorer que la monarchie ne peut être le meilleur des gouvernements que quand l'affection est son principe et son effet.

M. de Theux**.** - Je commencerai par m’expliquer sur les amendements proposés. Celui de M. le ministre de l'intérieur consiste à fixer le maximum du nombre des sections à huit. Cet amendement n'a rien de contraire à ce que j'ai dit dans cette discussion, c'est même l'expression légale de ma pensée. Je n'ai donc rien à dire sur cet amendement. L'amendement de MM. de Mérode et Rodenbach, qui réduit le minimum du nombre des sections à trois au lieu de quatre ne présente non plus aucune difficulté. Depuis que j'ai modifié ma proposition de manière à ce que l'élection ne fût pas alternative mais simultanée, la division en quatre sections nécessaire alors ne l’est plus dans le système de renouvellement par moitié dans chacune des sections. Sous ce rapport je n’ai donc rien à objecter à l’amendement.

En ce qui concerne le chiffre de 12 mille habitons, j'aurais préféré celui de quatre mille que j'ai proposé ; cependant je voterai pour le chiffre de 12 mille, afin de ne pas créer de division et comptant sur l'expérience et la faculté laissée à la députation provinciale de demander l'application de ce principe à d autres communes, ce que pourra faire le Roi sur cette demande.

Je dois dire que je n'ai pas été touché de l'observation du petit nombre d'électeurs dans les communes de 4 mille habitants. En effet, j'ai parcouru l'état de population et l'état du nombre des électeurs des différentes communes du royaume. Voici quel a été le résultat de cet examen. C'est que dans 1459 communes, c'est-à-dire dans plus des trois cinquièmes des communes du royaume, le nombre des électeurs varie de 25 à 60, et un très grand nombre de communes n'ont que 25 électeurs ; cependant ce collège est appelé à élire soit neuf, soit sept conseillers par moitié, c'est-à-dire, de 4 à 5 conseillers. Dans ces 1,459 communes, la population est loin d'atteindre le chiffre de 6,000 âmes, ainsi dans les communes de 4 mille habitants, le nombre des électeurs, même là où il est le plus faible, dépasse encore pour chacune des trois sections la moyenne du nombre d'électeurs des trois cinquièmes de nos communes. Il n'y aurait donc aucun inconvénient pratique, jamais il n'y aurait moins de 40 ou 59 électeurs pour chacune des trois sections, et l'on conviendra sans doute que 40 ou 59 électeurs suffisent pour nommer un ou deux conseillers au renouvellement par moitié, ainsi que cela eût été pratiqué avec ma proposition.

Il y d'autant moins de difficulté que dans ces communes le cens est plus élevé ; conséquemment le nombre des électeurs qui est d'ailleurs supérieur à la moyenne des trois cinquièmes de nos communes aurait présenté un gage assuré de bons choix. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas un motif de nous diviser.

Je voterai pour l'amendement déposé par MM. de Mérode et Rodenbach.

Je ne répèterai pas ce que j'ai dit dans les précédentes séances. Je me bornerai à rencontrer les objections présentées aujourd'hui et spécialement à répondre à la difficulté soulevée par l'honorable M. Verhaegen.

Un honorable député de Verviers vient encore de dire que, d'après mon système, les quartiers populeux, c'est-à-dire habités par les ouvriers, conséquemment ayant moins d'électeurs, auront cependant à nommer un nombre de conseillers égal et peut-être supérieur à celui des autres quartiers de la ville. Je ferai remarquer que si cela se présente dans un quartier, les autres quartiers rétabliront l'équilibre et au-delà ; de manière qu'il n'aura jamais la prépondérance dans le conseil. J'ajouterai que cette circonstance n'est pas une difficulté, mais une considération en faveur de ma proposition.

En effet, le gouvernement et d'autres personnes qui s'occupent des intérêts des classes pauvres ont accusé de négligence quelques administrations communales à l'égard des quartiers populeux habités par les classes pauvres, sous le rapport des mesures d'assainissement. Si ces quartiers avaient une représentation plus forte...

Plusieurs membres. - Citez des faits !

M. de Theux. - Je pourrais citer une proposition faite il y a quelques années par le gouvernement. M. Rogier avait demande un crédit de cent mille francs dans cette vue.

M. Rogier. - Et vous n'en avez pas voulu.

M. de Theux. - Vous voyez que le gouvernement avait songé à ces quartiers populeux.

Quant à la disproportion du nombre des conseillers avec celui des électeurs, ce n'est pas une difficulté, parce que chaque quartier de ville pouvait être assimilé au canton de la province, il ne faut pas avoir égard à la quantité d'électeurs, mais à la quantité d'habitants. C'est le système admis pour les élections provinciales et pour les élections des chambres.

L’honorable M. Verhaegen a prétendu que mon système était en opposition avec l'article 5 de la loi communale. L'article 5 de la loi communale, dit-il, a eu uniquement pour objet de permettre aux députations des conseils provinciaux d'attribuer un représentant à une section détachée d'une commune, dans le cas seulement où elle aurait des intérêts spéciaux ; par exemple, s'il s'agissait d'une section, ayant formé primitivement une commune indépendante et ayant été depuis réunie à une autre commune. Tel n'est pas le sens de l'art. 5, il s'applique à toutes les sections de communes détachées, soit qu'elles aient des biens distincts ou qu'elles n'en aient pas, et c'est ainsi que cette disposition a reçu son application.

On a objecté que dans le système du fractionnement on multiplierait les élections, en ce sens qu'un même candidat pourrait être élu par plusieurs collèges dans la même commune. Ce cas sera très rare. Et lorsqu'il y aura lieu à élire un conseiller par suite d'une double élection, cette élection ne souffrira jamais de grandes difficultés. Je ferai remarquer que, loin de multiplier les élections, le projet tend à les diminuer. En effet, d'après la disposition exceptionnelle de l'art. 5, il faut nécessairement que tous les électeurs prennent part à deux élections, lorsqu’un conseiller est attribué à une section distincte. Ainsi, à Gand, il faut que tous les électeurs procèdent d’abord à l'élection pour la section extra muros, et ensuite ils procèdent à l'élection des conseillers attribués à la ville. Cette double élection ne sera plus nécessaire ; elle disparaîtra pour les grandes communes. Dès lors, loin d'augmenter les élections, on en diminuera le nombre.

Ensuite, en cas de ballotage, on ne sera plus obligé de réunir tous les électeurs de la commune. Dans le cas de renouvellement, pour une place de conseiller qui viendrait à vaquer, on ne sera plus obligé de convoquer tous les électeurs ; on ne convoquera que les électeurs d'une section.

Mais, dit on, vous allez diviser les communes en deux partis nettement tranchés. Déjà vous le voyez, ajoute-t-on, cette division existe dans la chambre. Je n'admets pas cette assertion comme vraie. D'abord rien n'empêchera une section qui préférera une opinion modérée à celle qu'on qualifierait d'extrême, d'élire un représentant de cette opinion. C'est ce qui arrivera. Je pense même que les hommes modérés auront plus de chance dans le nouveau système que dans le système actuel. Quant à moi, je n'en fais aucun doute. Je ne puis non plus admettre que la chambre soit divisée en deux opinions, sans aucune nuance intermédiaire. Il est certain qu'il y a des nuances intermédiaires. Nous en avons eu la preuve dans plusieurs discussions. Des projets subissent des modifications avant le vote. Ce n'est qu'au vote que la chambre se partage en deux, parce que là il n'y a pas d'intermédiaire possible. Mais dans tous les travaux préparatoires, l'influence de cette opinion intermédiaire se fait nécessairement sentir.

On a dit (cette objection serait la plus grave si elle était fondée) que le projet envoyé au sénat empêchait l'adoption du projet actuel. En effet, vous avez modifié l'art. 2, en ce qui concerne le bourgmestre. Aujourd'hui, dit-on, vous viendriez le modifier en ce qui concerne l'assemblée des électeurs. D'abord je dis que si une modification était nécessaire, il n'y aurait aucune impossibilité, parce que l'article statue sur deux objets distincts : la nomination du bourgmestre et la nomination des conseillers. Rien ne s'oppose à ce qu'on s'occupe du bourgmestre dans un projet, et dans l'autre des conseillers. Mais je n'ai pas besoin de recourir à ce raisonnement, à ce moyen, parce que je prouverai qu'il n'y a rien à changer à l'art. 2.

L'art. 2 de la loi communale porte que les conseillers seront élus directement par l'assemblée des électeurs de la commune.

Quel est le sens de cette disposition ? Uniquement que les conseillers seront élus directement. Mais cet article ne tranche pas la question de savoir s'il y aura autant de collèges que de quartiers, ou si les électeurs ne devront former qu'un seul collège. La preuve, je la trouve dans l'art. 5, invoqué par l'honorable M. Verhaegen en faveur de son opinion. Il dit que, pour les élections exceptionnelles, autorisées par cet article, tous les électeurs de la commune doivent y concourir.

M. Verhaegen. - Je demande la parole.

M. de Theux. - Cela prouve bien que l'art.. 2 ne prescrit pas que les électeurs forment un seul collège. En effet, si cela eût été prescrit par l'art. 2, il eût été inutile de le répéter à l'art. 5.

Mais il y a plus, c'est que la loi française à laquelle la disposition sur le fractionnement est empruntée porte également à l'art. 10 :« Les conseillers municipaux sont élus par l'assemblée des électeurs communaux. » L'art. 43 porte : « L'assemblée des électeurs est convoquée, etc. » Et cependant l'art. 44 porte : « Dans les communes de 2,500 habitants et plus les électeurs sont divisés en sections. » De même notre article 2 porte : « Les conseillers sont élus directement par l'assemblée des électeurs de la commune. » Et l'art. portera que dans les communes de 12,000 habitants et au-delà les électeurs se diviseront en plusieurs collèges, Vous voyez qu'il est impossible de tirer aucun parti de la rédaction de l'art. 2. Ainsi la rédaction de l'art. 2 peut rester comme elle est et l'art. 5 modifié recevra sa pleine et entière application,

Je n'en dirai pas davantage, parce que je ne pourrais que répéter les observations que j'ai faites précédemment.

M. Orts. - Je demande la parole, non pas pour rentrer dans la discussion de tous les arguments qui vous ont été développés avant-hier par mes honorables amis, mais pour répondre à un fait extrêmement grave, qu'a avancé l'honorable M. de Mérode, à la séance de samedi. Malheureusement, je suis arrivé quelques minutes après qu'il avait avancé ce fait. Je suis obligé, comme échevin de la ville de Bruxelles, spécialement chargé de l'instruction publique, de détruire l'impression fâcheuse qu’auraient pu produire les allégués de cet honorable collègue, dont je vais donner lecture.

Il s'est exprimé ainsi :

« Quoi qu'on en dise, j'ai peine à croire que nos grandes cités possèdent une véritable représentation communale. A Bruxelles et à Liége, par exemple, aucune école où l'éducation religieuse des enfants est l’objet d’une vive sollicitude ne se trouve appuyée par les régences. Les frères des écoles chrétiennes, dont douze établissements sont largement entretenus par la ville de Paris, manquent dans ces grandes villes belges, du moindre encouragement donné par l'autorité communale. Et cependant quand il s'agit d'éducation, ne voit-on pas la plupart des pères et des mères de famille préférer les établissements dirigés par la religion à ceux qui n'offrent que la science et le vague de la morale purement humaine. Si la généralité des habitants de Bruxelles ou de Liége désire qu'on élève leurs enfants dans l'indifférence religieuse, ils sont, j'en conviens parfaitement servis par les conceptions émanant de leurs hôtels de ville ; ils recueilleront l'avantage d'avoir bientôt une postérité sachant exclusivement lire, écrie et chiffrer, sans rien de plus substantiel pour les jeunes âmes. Si telle est la volonté de nos concitoyens de Bruxelles et de Liége, je ne puis ni ne veux m'y opposer par aucune combinaison électorale mensongère. »

Telle n'est pas la volonté des magistrats chargés de l'administration municipale de Bruxelles ; heureusement pour moi, il me sera facile de vous le prouver.

Indépendamment des écoles fondées du temps du royaume des Pays-Bas, 2 écoles nouvelles ont été établies à Bruxelles depuis 1830, par les soins de l'administration communale ; pourquoi ce soin ? Parce que la loi fait à l'autorité municipale une obligation de surveiller l'instruction publique. Voyez jusqu'où va la prévoyance de la loi communale. C'est le conseil communal tout entier, et non pas simplement le collège échevinal, qui est chargé de nommer les instituteurs et leurs adjoints, C'est là une garantie d'un bon choix. Mais serait-il vrai qu'on se borne dans ces écoles à enseigner le vague de la morale ? Serait-il vrai que l'enseignement religieux est nul dans les écoles de la ville ? Non, les règlements sont là pour répondre. D’après ces règlements, toutes les classes commencent et finissent par les prières consacrées par l'Eglise. D'après ces règlements, deux fois par semaine les instituteurs sont chargés d'enseigner la doctrine chrétienne. Ces règlements sont observés avec exactitude. Les progrès des jeunes gens ont été plus d'une fois remarqués par les ecclésiastiques, lorsque ces jeunes gens ont été dans le cas d’accomplir leur premier devoir de religion, de faire leur première communion. Messieurs c'est vous en dire assez quant à l'état de l'instruction dans ces écoles.

Voyous maintenant, messieurs, s'il y a quelque fondement dans le reproche articulé par l'honorable comte de Mérode et qui consiste en ce qu'a Bruxelles on n'aurait pas accordé aux écoles des frères des indemnités comme on leur en accorde à Paris.

Messieurs, la ville de Bruxelles gênée dans ses affaires, obérée comme vous ne le savez que trop, fait pour ses quatre écoles tout ce qui lui est possible de faire. Ces quatre écoles lui coûtent 14615 francs pour les traitements du corps enseignant. Or, si la ville de .Bruxelles n'a pas accordé de subside aux frères des écoles chrétiennes, c'est que l'intérêt de ses propres écoles le réclamait impérieusement. Mais vous allez voir que toutes les fois qu'il s'agit d’institutions autres que celles qu'elle-même a établies, la ville de Bruxelles sait venir au secours du clergé et donner des subsides aux établissements qu'il dirige.

C'est ainsi qu'elle assure annuellement une indemnité de 1,060 francs à l'école dominicale dirigée longtemps par l'abbé Van Brabant et aujourd'hui par l'abbé Van Dorselaer. C :est ainsi qu'elle alloue tous les ans mille francs à l’école des jeunes filles dirigée par M. l'abbé Van Dorselaer.

Ce sont là des établissements purement d'instruction. Il en est d'autres encore où l'on donne l’enseignement joint à d’autres soins. Je veux parler de l’institut des sourds et muets dirigé par le vénérable père Bernardin, auquel la ville attribue annuellement 6,000 fr. ; de l'institut des sourdes et muettes, dirigé par une ancienne religieuse, auquel la ville accorde 600 fr. Je sais que dans ces établissements, on enseigne non seulement les principes de la religion, mais aussi ce qu'il importe de savoir en fait de connaissances positives.

Il existe maintenant une circonstance que je suis dans le cas de pouvoir citer, parce que j'y suis pour quelque chose. Il avait été établi à Bruxelles, sous le gouvernement des Pays-Bas, des écoles gardiennes ; il y en avait quatre, dirigées par une société particulière. Un respectable ecclésiastique, M. Becq, jugea nécessaire de fonder une nouvelle école gardienne sous le nom d’Asile de Charité dans un de ces quartiers populaires où le besoin d’un pareil établissement se fait le plus vivement sentir, le quartier des Maroles. Cette école, instituée par M. le curé des Minimes, prospère. M. le curé des Minimes adressa, il y quelques mois, une demande au conseil communal de Bruxelles, afin d’obtenir une indemnité. Cette demande fut renvoyée à l'avis de la section de l'instruction publique que j'avais l'honneur de présider, elle y fut favorablement accueillie. Elle fut donc présentée au conseil communal composé de 31 membres ; tous ne siégeaient pas ce jour-là, il est vrai, mais ils étaient en grand nombre, lorsque le 4 avril, à l'unanimité, le conseil communal accueillit la demande et assura à l'école gardienne sous la direction de M. le curé Becq, un subside de 530 fr., qui est précisément la somme qu'elle alloue à chacune des autres écoles gardiennes.

Maintenant, messieurs, qu'il me soit permis de vous soumettre ici une réflexion.

C'est pour un de ces quartiers reculés, pour un de ces quartiers où la population n'est pas dans l'aisance, que le respectable curé des Minimes réclama ce subside. Croyez-vous, messieurs, que les conseillers communaux de la ville de Bruxelles, appartenant à différentes sections de cette ville, aient envisagé cette demande comme étant d'un intérêt isolé ? Non, messieurs, ils ont bien vu là-dedans une demande faite en faveur d'un quartier, mais ils savaient bien qu'ils n'étaient pas les magistrats d'un quartier, mais de la commune entière et que dès lors la prospérité de tous les quartiers dont elle se compose devait être l'objet de tous leurs soins les plus assidus.

Vous voyez donc, messieurs, à quoi se réduit cet argument, qu'il faut faire coïncider l'élection des conseillers communaux avec les intérêts spéciaux de quartier ou de rue qui peuvent se présenter. Je livre à votre appréciation les conséquences à déduire de ces faits.

Je ne reviendrai pas sur toutes les autres raisons qui ont été développées contre le projet ; mais je crois pouvoir terminer par cette réflexion. Je ne suis pas de ceux qui pensent que lorsqu'on attaque une administration dont ils ont l'honneur de faire partie et aux actes de laquelle ils ont concouru, il soit permis de se retrancher dans le mutisme. J'ai parlé parce que c'était mon devoir de le faire ; j'espère que la chambre sera convaincue que les motifs d'intérêts locaux, d'intérêts de clocher que l'on donne ne sont que des prétextes. Les véritables motifs qui ont guidé ceux qui proposent le projet du fractionnement vous ont été signalés. Vous les répéter après tout ce que mes honorables amis vous ont dit, serait abuser de vos moments.

Je voterai contre le projet.

M. Sigart**.** - Messieurs, jeune encore dans la carrière parlementaire et peu versé dans les matières administratives, il ne m'appartient point de descendre dans le fond de la question qui vous est soumise. Cette tâche a d'ailleurs été remplie avec un grand bonheur par d'autres plus exercés. Mais il m'est permis de scruter le but de la loi et de rechercher ses résultats. Là je puiserai les moyens de justifier mon vote.

Il ne faut pas de grands efforts pour saisir le but de la mesure : elle ne doit s'appliquer que là où la population excède 12,000 habitants. Elle ne s'adresse donc qu'aux villes, elle doit faire disparaître cette unanimité de vues si déplorable selon un de nos collègues, elle doit permettre l'entrée du conseil à des personnes que repousserait la majorité des électeurs que l'on appelle coterie ; elle doit permettre le choix des échevins parmi les conseillers, représentant la minorité ; permettre de faire gouverner par cette minorité. Avec le fractionnement, on trouvera moyen d'obtenir la matière échevinale et même de dominer les conseils. Désormais les élections pourront être faussées, désormais les hommes les plus antipathiques à la majorité pourront lui être imposés.

Pourquoi nos villes sont-elles ainsi traitées ? Ce n'est pas à vous, messieurs, que je dois le dire : adresses, subsides à des établissements d'instruction, surtout élections à cette chambre ; voilà pourquoi les villes doivent être mises hors de la loi commune. La majorité régnera au sénat, règnera à cette chambre, règnera aux conseils provinciaux, règnera partout même dans les conseils des petites communes ; mais dans les villes, c'est le contraire, c'est là minorité qui doit se faire jour. Sous prétexte que les minorités ne doivent pas être opprimées, on veut assurer leur triomphe. Le gouvernement des minorités, c'est le corollaire du gouvernement représentatif, ce n'est pas le gouvernement absolu, c'est bien pis, car le gouvernement absolu a de bonnes faces encore, le gouvernement des minorités, messieurs, ne vous effrayez pas du mot, c'est le seul propre ; le gouvernement des minorités, c'est l'oligarchie.

C'est donc l'oligarchie ou la domination du petit nombre qui va s'établir dans les villes. C'est donc la guerre à la majorité dans les villes ; mais, messieurs, le gant qu'on leur jette, pensez-vous qu'elles ne le ramasseront pas, pensez-vous que l'opinion ne va pas se dresser pour arriver à la hauteur de la situation. Je crois que nos adversaires sont sincères dans leurs protestations, je crois qu'ils ne veulent pas de réaction ultérieure. Je mets de côté, je tiens pour insignifiantes les indiscrétions d'un zèle trop ardent, celles de certaine presse ; mais, messieurs, pensez-vous qu'il soit possible de s'arrêter. Il faudrait pour cela se résigner au triomphe de l'esprit des villes. On ne s'y résignera pas, la compression augmentera la force, la résistance, la résistance nécessitera une plus grande compression. Ce qu'on aura gagné d'un côté on le perdra de l'autre. Les prochaines élections à cette chambre seront menaçantes ; alors on s'effrayera, on ira de mesure en mesure. Je dirais tout... on ira... jusqu'a un coup d'Etat inclusivement. C'est une pente fatale, C’est la pente qu'a suivie la restauration, au bas est l'abîme où elle s'est engloutie.

On a beau calomnier les nations : elles valent mieux qu'on ne l'a dit. L’intérêt matériel les touche sans doute ; mais cet intérêt n'est pas leur seule idole. Elles ont, pour vivre, besoin d'un certain, luxe. Il leur faut de la gloire ou de la liberté ; c'est même à l'endroit de leurs besoins moraux que les nations sont les plus chatouilleuses On peut, sans trop de danger, blesser les intérêts matériels, les, intérêts moraux ne souffrent aucune offense. C'est ce qu'est venu démontrer en 1830 une révolution qui a éclaté au milieu d'une prospérité industrielle inouïe.

Voulez-vous fortifier notre nationalité, faites que la nation soit fière d'elle-même. Faites qu'elle puisse montrer à l'étranger ses institutions ; faites que les autres peuples ne puissent, même de loin, comparer les leurs aux nôtres. Ainsi vous développerez l'orgueil national, ainsi vous enfanterez, vous exalterez le patriotisme. Ailleurs, les nationalités sont cimentées par le temps, l'habitude, la communauté de revers ou de triomphes. Nous autres nés d'hier, nous ne tenons à rien, nous n'avons pas de cohésion. Diversité de langues, diversité de mœurs, diversité d'idées, il y a juxtaposition d'hommes, il n'y a pas encore adhérence.

Je suis de ceux qui préfèrent leur pays à tout autre, même à ceux qui sont mieux favorisés du côté de la gloire et de la richesse. Ce sentiment, messieurs, c'est le vôtre. Mais sommes-nous sûrs de rester autant encore attachés à notre patrie lorsqu'elle sera dégradée par la perte de ses libertés. A nous pourtant, à nous, représentants de la nation, notre culte doit être celui de la patrie, mais si ce culte peut s'attiédir, alors que son objet serait avili si nous ne sommes pas sûrs de nous-mêmes, qu'arrivera-t-il pour ceux dont les devoirs sont moins étendus ? Que feront les villes humiliées, blessées, irritées ? Le mécontentement éclatera-t-il avec violence ? Mais si une explosion avait lieu, qui arrêterait ses ravages ? n'est-ce pas dans les villes que se trouvent toutes les forces, force d'activité, force de richesse, force d'intelligence. Que feraient contre elles les campagnes ? Elles ne feraient que des Vendées, des Vendées impuissante. Les villes ont le monopole des révolutions.

Mais, on peut le croire, on n'ira pas jusque là, le mécontentement restera sourd : l'expérience de ce que coûte une révolution, même qui réussit, pourra retenir. Sera-ce mieux ? On gémira en silence, on s'indignera tout bas. Le mal va changer de nature : la nationalité va perdre aux villes, dès lors elle est près de périr. A la première commotion politique les éléments divers vont se séparer. Le nord tournera les bras vers la Hollande, le midi vers la France. C'est à vous à savoir, messieurs, si vous voulez arriver à pareil résultat.

M. Verhaegen**.** - Messieurs, à la fin de la dernière séance on avait annoncé qu'on rencontrerait de front les divers moyens que j'avais fait valoir, et qu'on démontrerait que le système de l'honorable M. de Theux pouvait très bien se concilier avec celui qui a été consacré par le premier projet, lequel se trouve en ce moment soumis à l'appréciation du sénat ; j'ai été étonné, après un engagement si solennel, de voir que mes honorables contradicteurs sont restés en défaut de me répondre. L'honorable M. de Theux lui-même n'a rien répondu aux nombreux arguments dont j'ai fait emploi.

Messieurs, j'ai dit à l'honorable M. de Theux que, non seulement son projet n'était pas nécessaire, puisqu'aucun abus n'avait été signalé, j'ai même démontré que son projet était dangereux, attendu qu'il donnait lieu aux plus graves inconvénients. Ce que j'ai dit se trouve consigné dans le Moniteur ; et l'honorable M. de Theux ne s'est pas donné la peine de le rencontrer.

Messieurs, les raisons ou plutôt les prétextes que l'on avait fait valoir pour faire adopter le premier projet de loi sont autant de raisons pour renverser la proposition de M. de Theux, dont nous nous occupons en ce moment.

Lors de la discussion du premier projet on a fait valoir la nécessité de la centralisation. On voulait un pouvoir central, un pouvoir fort, or le fractionnement est le contraire de la centralisation.

On voulait, par le premier projet, l'unité dans le pouvoir ; le second projet est le contraire. Le second projet amènera cette absurdité, et je supplie l'honorable M. de Theux de me répondre catégoriquement, et de ne pas tourner la question ; le second projet aura pour résultat cette absurdité que vous aurez dans un conseil communal la moitié des membres dont l'élection sera le résultat de l'unité, et dont l'autre moitié sera le résultat du fractionnement. Car au mois d'octobre on ne procède qu'au renouvellement de la moitié des conseillers communaux. Cette moitié sera renouvelée conformément au projet de M. de Theux ; et l'autre moitié, qui est le résultat du principe de l'unité, restera subsister. C'est là une absurdité, une absurdité palpable ; à moins toutefois que M. de Theux ne vienne nous dire qu'il s'est trompé, et qu'il insérera dans la loi un petit article additionnel pour renouveler les conseils communaux en entier. Nous arriverons peut-être là avant la fin de la discussion.

Par le premier projet vous avez voulu soustraire le bourgmestre à l'influence des électeurs ; c'était là votre grand prétexte ; et vous allez mettre les échevins sous l'influence directe des électeurs d'un quartier ! Je vous demande si, après avoir donné ce motif pour faire adopter le premier projet, vous ne devriez pas reculer, alors que vous présentez le système du fractionnement.

Vous vouliez, lors du premier projet, diminuer les luttes électorales et vous allez les quadrupler. . .

Vous vouliez calmer les esprits, rendre les luttes moins vives ; aujourd’hui vous allez aigrir les esprits, rendre les luttes plus vives que jamais ; je vous l'ai démontré et vous n'avez pas répondu à mes arguments. D'après les intentions bien patentes, il n'y aura plus dans les élections des gens modérés, de ces gens indifférents en matière politique. Les partis présenteront leurs candidats, et il n'y aura plus que des extrêmes appartenant à l'une ou à l'autre opinion, qui entreront dans le conseil. Impossible de répondre à cet argument.

On voulait par le premier projet empêcher qu'on ne forçât les mains au gouvernement dans le choix du bourgmestre, et vous mettez le gouvernement dans le cas d'avoir les mains forcées pour les échevins. Car lorsque les huit ou dix sections d'une ville donneront leur voix unanime à quatre personnes déterminées qu'elles veulent avoir pour échevins, le gouvernement aura la main forcée ; il n'osera contrarier le choix des électeurs. Vous vouliez vous soustraire à l'influence des électeurs pour le bourgmestre et vous créez une influence dix fois plus forte, alors qu'il s'agit des échevins.

Vous vouliez, par le premier projet, éviter les germes de discorde et vous les créez directement par le deuxième projet.

Vous vouliez éviter les coteries et vous les créez ; car, ainsi que je vous l'ai dit, les coteries se perdent dans les masses, mais elles opèrent à leur aise, quand les élections seront sur une petite échelle. L'honorable M. de Theux laisse tout cela de côté et alors qu’il n'indique aucun inconvénient qui soit le résultat de la loi actuelle, il ne veut pas voir les dangers éminents qui se rencontrent dans son projet.

On disait et on a répété tantôt, non seulement que la proposition de M. de Theux donne lieu aux plus graves inconvénients mais qu'il en résulte des absurdités. En effet, dans un quartier populeux où il y aura moins d'électeurs que dans un autre quartier, il y aura plus de députés au conseil communal que dans cet autre quartier. A Verviers, par exemple, il y a un quartier où il y a beaucoup d'ouvriers, une population très grande ; comme le nombre des conseillers est fixé d'après la population, ce quartier nommera plus de conseillers, quoiqu'il ne renferme peut-être que le quart du nombre des électeurs d un autre, quartier. Que répond à cela l'honorable M. de Theux ? Il dit : « L’équilibre sera rétabli par les autres quartiers » ce qui veut dire que la minorité fera la loi à la majorité. C'est là un aveu bien caractérisé.

Mais messieurs, l'amendement de l'honorable M. de Mérode, auquel se rallie M. de Theux (je ne sais pas, si M. le ministre de l'intérieur s'y rallie également, et je ne serais pas fâché de le savoir ; il s’est rallié jusqu'à présent à tout ce qui est parti des bancs opposés aux nôtres ; M. de Theux s’y rallie et j'ai dès lors des raisons de croire que l’honorable M. Nothomb s’y ralliera aussi, cela doit être ; il doit le faire pour être conséquent ;) eh bien, cet amendement est encore la preuve la plus forte que je puisse avoir qu'il s'agit d'une guerre faite aux grandes villes, que ce ne sont que les grandes villes que l'on a en vue. Or, messieurs, je le demande, une semblable mesure peut-elle être considérée comme une loi ? Il me semble qu'une loi doit concerner la généralité, et par votre projet avec l'amendement de M. de Mérode vous mettez les grandes villes hors du droit commun. Vous ne faites donc pas une loi ; vous faites une disposition exceptionnelle pour quelques grandes villes. En d'autres termes dans les grandes villes les élections n'ont pas répondu à votre attente et vous venez faire un essai. Cet essai pourra ne pas remplir non plus votre attente et vous en viendrez peut-être à d'autres expédients. Mais c'est là l'idée fixe ; les grandes villes ont opéré contrairement à l'opinion que l'on embrasse, il faut tâcher de leur donner une autre impulsion ; le moyen que l'on croit propre à leur donner une autre impulsion, c'est le fractionnement, et quelles que soient les absurdités qu'il amène il faut le faire passer.

Je n'en dirai pas davantage sur le fond de la question ; mes arguments sont restés intacts ; je puis dire que l'honorable M. de Theux n'y a répondu sous aucun rapport.

Mais, messieurs, je maintiens ce que j'ai dit dans la dernière séance (et c'est là je pense, le terrain sur lequel l'honorable M. de Theux aurait dû se placer en me combattant face à face et en rencontrant mes arguments sans les tourner) j'ai dit que de la manière dont nous avons opéré et surtout par suite de la décision qui a été prise par la chambre sur un incident que nous avions soulevé, il était impossible d'admettre le deuxième projet, le fractionnement. Il y a, messieurs (et veuillez, s'il vous plaît, ne pas le perdre de vue), il y a trois projets de lois distincts ; vous ne pouvez plus réunir ces trois projets, vous ne pouvez plus revenir sur votre propre fait ; vous avez obtenu de la chambre une décision contrairement à tout ce que nous avons fait valoir sur l'incident ; subissez maintenant les conséquences de cette décision.

Il y a donc trois projets distincts : Par le premier de ces projets, qu'avez vous fait ? (et vous ne pouvez plus toucher à ce projet, sans porter atteinte à la prérogative de l'autre chambre), par le premier projet que la chambre a adopté et qu'elle a renvoyé au sénat, elle a porté une seule modification à la disposition de l'article 2, qui ne s'occupe que des électeurs et du mode des élections ; cet article portait :

« Le Roi nomme le bourgmestre et les échevins dans le sein du conseil. »

Par dérogation à cet article, vous avez fait admettre dans le premier projet de loi, renvoyé au sénat, que le Roi peut néanmoins nommer le bourgmestre parmi les électeurs da la commune. Tout le reste fait partie du projet renvoyé au sénat, car si vous voulez soutenir le contraire, vous deviez dire que vous avez renvoyé au sénat une œuvre tout à fait imparfaite.

Voulez-vous avoir une preuve nouvelle de ce que j'avance ? Ce sont les termes dont vous vous êtes servis dans votre dérogation, termes dont M. de Theux doit bien apprécier la portée puisqu'ils lui appartiennent. Vous avez dit dans votre dérogation : « Néanmoins le Roi pourra nommer le bourgmestre parmi les électeurs de la commune. » Le mot néanmoins, qui est un correctif de ce qui précède vous démontre à l'évidence que l'art. 2, dans son principe, a continué à subsister ; il faut donc, pour qu'il y ait œuvre parfait, que vous admettiez que la disposition renvoyée au sénat est conçue en ces termes :

« Les conseillers sont élus directement par les électeurs de la commune.

« Néanmoins le Roi peut nommer le bourgmestre parmi les électeurs de la commune. »

Ainsi, messieurs, cette dérogation qui permet au Roi de nommer le bourgmestre parmi les électeurs de la commune, a confirmé le principe général qui était écrit au commencement de l'art 2, article qui, dans son ensemble, constitue votre premier projet, soumis à l'appréciation du sénat.

« Mais, dit l'honorable M. de Theux, il n'y a rien à changer à cet article 2, et si cela était nécessaire, nous pourrions faire encore un petit changement à cet article. » Je répondrai d'abord à cette dernière observation, et je dirai que c'est là une singulière manière de procéder. Quoi, dans une affaire aussi importante pour le pays, le besoin du changement proposé a échappé à la sollicitude du ministère : le ministère ne s'en est pas même douté, et il a fallu la perspicacité de l'honorable M. de Theux pour prendre l'initiative et formuler le projet du fractionnement, et après avoir employé tous ses efforts, après avoir obtenu une décision sur l'incident, après avoir fait déclarer par la chambre qu'il y avait autant de projets distincts, la réflexion venant un peu tard, on dit qu'on fera encore un changement à l'article 2 ; pour être d'accord avec vous-mêmes, si vous voulez changer l'art. 2, vous devriez présenter un projet nouveau, car vous avez voulu que tous les changements proposés fussent considérés comme des projets distincts.

Pour agir d'une manière régulière, vous devriez prier le sénat de considérer l'envoi de votre premier projet comme non avenu et l'engager à vous renvoyer ce premier projet pour y ajouter quelque chose que vous avez oublié.

Le premier projet concerne les élections et le mode des élections ; le principe fondamental quant à l'élection des conseillers est maintenu ; vous y avez seulement établi une dérogation en ce qui concerne la nomination du bourgmestre. La chambre a rempli sa tâche, elle est dessaisie du premier projet, la chambre haute en est saisie. Nous n'avons plus à nous occuper de cela ; l'art. 2 ne peut plus fixer notre attention ; nous en sommes à l'art. 5 ; c'est une modification à l'art. 5 qui fait l'objet du deuxième projet.

Mais ce à quoi on .n'a pas jugé à propos de répondre, c'est que l'art. 5 ne s occupe ni des électeurs, ni du mode des élections ; l'art. 5 ne s'occupe que des éligibles. L'art. 5 (et dès le principe on s'est trompé sur ce point capital), l’art. 5 n’est pas une dérogation a l'art. 2 ; l'art. 5 porte seulement que dans certains cas, des fractions de communes, des hameaux, seront représentés dans le conseil communal par des conseillers pris dans leur sein.

Ainsi la disposition de l'art. 5 ne se rattache qu'à ceux qui doivent être élus, tandis que la disposition de l’art. 2 se rattache à ceux qui doivent élire. Donc, le deuxième projet, qui se rapporte à l'art. 5 ne peut avoir pour objet que ceux qui sont dans le cas d'être élus. Je m'attendais bien, messieurs, à ne pas voir nos adversaires se mettre sur le véritable terrain ; mais je les ramène sur ce terrain et les convie à m'y suivre.

L'art. 5 dit qu'alors qu'on le jugera nécessaire dans des circonstances données, les fractions de communes seront représentées par des conseillers pris dans le sein de ces fractions. Mais le principe de l'élection a tellement fixé l'attention du législateur qu'il répète dans le paragraphe que dans ces cas même tous les électeurs de la commune concourent ensemble à l'élection.

Ce sont ces mots dont l'auteur de la proposition argumente cependant pour dire que le paragraphe 5 de l’art. 2 ne renferme pas le principe que j'invoque à l'appui de mon système ; mais ce paragraphe n'est qu'une précaution que le législateur a prise et sur laquelle on ne peut pas équivoquer. Comment peut-on former un doute sérieux sur le sens de ces mots : les conseillers sont élus directement par l'assemblée des électeurs de la commune ? D'après l'honorable M. de Theux, cela veut dire que les conseillers, soit qu'on les divise, soit qu'on ne les divise pas, doivent être élus directement par les électeurs ; ce n'est que le principe de l'élection directe, qui est proclamé dans l'article de la loi ; si l'on fractionne et que dans chaque section séparée les électeurs nomment les conseillers, l'élection sera directe et le principe recevra son application.

Mais il ne s'agit pas de cela, l'art. 2 dit que les conseillers sont élus directement par l'assemblée des électeurs de la commune, c'est-à-dire que tous les conseillers doivent être élus par tous les électeurs, et il n'est pas permis de faire nommer quelques conseillers par quelques électeurs seulement.

Or, messieurs, voici une conséquence qui va découler du système de l'honorable M. de Theux. Il y a 10 sections dans une ville ; 9 sections seront exclues de l'élection qui se fera dans la 10ème. Et vous prétendez que par votre proposition vous ne violez pas l'art. 2 de la loi, qui veut que tous les conseillers soient élus directement par l'assemblée des électeurs de la commune.

Je croirais faire injure aux lumières de la chambre, si j'insistais davantage sur ce point. Il serait fort curieux de voir paraître une loi où d'un côté l'on mettrait les conseillers sont élus directement par l'assemblée des électeurs, et où, d'autre part, on insérerait la disposition du gouvernement !

J'avoue que je serais honteux de concourir à l'introduction dans une loi de deux dispositions aussi diamétralement opposées. Si l'honorable M. de Theux ne touche pas à l'art. 5 de la loi, il ne peut faire consacrer le principe qui fait l’objet du projet de loi en discussion.

Il y a plus encore ; d'après l'art. 5 de la loi, la députation permanente peut, dans les communes composées de plusieurs sections ou hameaux détachés, déterminer le nombre des conseillers à élire parmi les éligibles de chaque section ou hameau ; mais, dans ce cas encore, tous les électeurs de la commune concourent ensemble à l'élection.

Vous allez apprécier par un exemple l'absurdité du système de l'honorable M. de Theux.

Je suppose un homme qui se trouve à une lieue et demie de distance de la commune-mère, et je connais des hommes qui se trouvent dans cette position. La députation permanente décide qu'il y aura pour ce hameau un tel nombre de conseillers. Vous allez croire que les électeurs de ce hameau, séparés d'une lieue et demie de la commune-mère pourront voter chez eux. Pas du tout, ils doivent se rendre au village chef-lieu pour nommer leurs représentants spéciaux.

Mais lorsqu'il s'agit d'une commune qui ne sera pas composée de hameaux séparés, mais qui formera une agglomération plus ou moins considérable, commune où par conséquent tous les électeurs sont ensemble et où il n'y a aucun inconvénient à venir à un seul bureau, l'honorable M. de Theux veut que cette commune soit fractionnée, il veut des bureaux distincts.

Ainsi, là où il y a la plus grande facilité pour réunir les électeurs, on les divise ; on les réunit là où ils peuvent être éloignés les uns des autres d'une lieue et demie. Il m'est permis de dire que cela est absurde. C'est le contraire qu'il faudrait faire. Quand on porte une loi, on ne doit pas au moins froisser le sens commun, on ne doit pas poser une absurdité semblable.

On maintient l'art. 5 de la loi, on conserve l'éligibilité ; mais on veut une petite addition quant au mode d'élection. Je vous ai démontré, messieurs, que la chose était impossible, que ce serait revenir sur vos pas, que ce serait relativement à un projet dont l'autre chambre se trouve saisie.

Mais, dit l'honorable M. de Theux, et c'est par là que je termine, la loi française contient les mêmes dispositions ; pourquoi dès lors n'avoir pas pu les proposer ici, et pourquoi la chambre ne les adopterait-elle pas comme le fit la chambre de France ?

Il n'y a qu'une petite différence et en même temps une grande difficulté : c'est que la loi française est une et indivisible. Nous vous avons demandé ce qui avait été fait en France ; nous avons demandé qu'on soumît à la législature un système complet comprenant toutes les modifications à la loi communale ; mais vous avez rejeté cette demande, et vous avez fait autant de projets qu'il y avait de modifications. Dès lors vous n'êtes plus dans la position où était la législature en France. Vous avez opéré par parties, et la dérogation que vous avez faite à la loi, par votre premier projet, maintenant voté et envoyé à l'autre chambre, vous ne pouvez plus y toucher, vous devez respecter votre œuvre. Quant au second projet, qui ne devait s'attacher qu'aux éligibles, il devrait avoir maintenant pour objet de changer le mode d'élection. La loi française ne peut venir au secours de l'honorable M. de Theux. L'impasse dans lequel il se trouve, il se l'est créée à lui-même. Ce n'est pas à nous qu'il peut en adresser le reproche. Nous avions demandé que toutes les modifications ne fussent qu'un seul et même projet, on nous a répondu par un refus ; eh bien, qu'on subisse maintenant les conséquences de cette résolution.

On aura beau équivoquer, tous les arguments que j'ai fait valoir avant-hier, je le répète, sont restés debout, l'honorable M. de Theux n'a répondu sérieusement à aucune de mes observations. J’ai dit.

M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour répondre quelques mots à l'honorable M. Orts. L'honorable député de Bruxelles a dit dans son discours que la ville avait accordé un subside de 6,000 fr. à l'institut royal des sourds-muets et des aveugles, je ferai remarquer à cet honorable député que c'est une erreur ; on n'accorde pas de subside à cet établissement. C'est par suite d'une convention faite entre la ville de Bruxelles et le vénérable M. Triest, que l’institut dont il s'agit doit habiller, nourrir et instruire tous les enfants pauvres sourds muets de Bruxelles ; c'est un contrat très onéreux, car je pense que les élèves de cette catégorie qui y sont ne paient pas même 200 fr. par an, pour être nourris, habillés, recevoir l'instruction et apprendre un métier, qui les mette à même de pourvoir plus tard à leur subsistance dans la société.

Il est encore à ma connaissance qu'outre les 600 francs qui font l'objet de la convention dont je viens de parler, on avait promis aux directeurs de l’établissement de leur fournir un logement ; mais jusqu'à présent la ville ne leur a pas accordé ce logement. Je dirai que sans leurs produits de l'exposition et de la loterie qui ont fait un assez grand bruit en Belgique, l'établissement dont il s'agit n'existerait plus à Bruxelles ; la misère l'en aurait éloigné, tandis que, dans tous les pays de l'Europe, l'on protège l'instruction et l'éducation des sourds-muets et des aveugles. Je suis cependant persuadé que si la ville de Bruxelles était dans le cas de pouvoir accorder un subside considérable, elle s'empresserait de l'allouer en faveur de l'humanité souffrante.

Je n'avais demandé la parole que pour relever l'assertion émise par l'honorable M. Orts, que la ville de Bruxelles accordait un subside à l'institut des sourds-muets et des aveugles ; l'honorable membre est complètement dans l'erreur, l'allocation de 6,000 fr. est, comme on l'a vu, le résultat d'une convention qui est ruineuse pour l'institution.

Messieurs, puisque j'ai la parole, je dirai deux mots a l'honorable préopinant, qui a parlé de l'amendement de M. de Mérode

Je dois déclarer que c’est moi qui l'ai conçu la veille du jour où M. de Mérode a parlé. C'est l'honorable M. Devaux qui m'en a donné l'idée, quanti il a dit que dans les communes de quatre mille âmes, on verrait des sections de 20 à 25 électeurs qui iraient déposer leur bulletin. Je partageai l'opinion qu'il émit à cet égard, je taxai même la proposition d'absurde, l'expression était peut-être trop forte. Mais j'ai été frappé de l'objection et dans le moment même j'ai conçu l’idée de présenter un amendement en limitant le fractionnement aux communes de 12,000 habitants, et je déclarai que je voterais contre la loi si on n'admettait pas un amendement dans ce sens. Le lendemain M. de Mérode a parlé et a présenté mon amendement en y ajoutant sa signature.

Ce n'est pas pour réclamer l'honneur d'avoir fait l'amendement que je fais cette observation, car il est attaqué de toutes parts, mais pour la vérité.

M. Orts. - Je demande la parole. Je trouve au budget de la ville de Bruxelles, Subside à l'institut des sourds muets 6,000 fr. ; Subside à l'institut des sourdes muettes 600 fr. Maintenant voici pourquoi je l'ai cité. C'était pour faire voir que la ville de Bruxelles s'est toujours empressée, d'après ses moyens, à concourir à toutes les institutions soit de charité, soit d'instruction publique, et que lorsque les établissements étaient dirigés par de respectables ecclésiastiques elle trouvait une garantie du bon emploi de ses fonds. Même, avant de parler du subside accordé a l'institut des sourds et muets, j'ai cité l'école dominicale et une autre école dirigée par un ecclésiastique, afin de faire voir que la ville accordait des subsides aux établissements dirigés par des ecclésiastiques aussi bien qu'aux autres. J'ai voulu répondre à l'objection de M. de Mérode et prouver qu'il était inexact de dire que la ville de Bruxelles ne favorisait que les établissements d'enseignement où la religion était tenue pour zéro, comme l'avait insinué l’honorable comte. Je n'ai pas cru pouvoir laisser passer cette assertion, dans l'intérêt de la ville où j'ai l'honneur de remplir les fonctions d'échevins.

M. de Mérode. - Messieurs, des observations qui vous ont été présentées contradictoirement aux miennes, par l'honorable M. Orts, il résulte que l'autorité communale, sur une somme de vingt-cinq mille francs, alloue trois ou quatre mille francs aux écoles où l'instruction religieuse est l'objet d'une vive sollicitude (ce sont là les expressions dont je me suis servi). Je considère comme étant dans cette catégorie l'école de M. Vandorselaer et une autre citée par M. Orts. Quant aux quatre écoles qui absorbent la très grande partie du subside, on y donne, dit-on, deux fois par semaine, l'instruction religieuse. Mais quelle est l'autorité ecclésiastique compétente chargée de ce soin et qui approuve sérieusement cette instruction ? c'est ce que nous ignorons. Et m'est-il interdit de croire que l'éducation religieuse donnée dans les quatre établissements, complètement entretenus par la ville, est superficielle ? Or le superficiel en ce genre approche quelquefois de zéro. C'est mon opinion et l'opinion de tous les pères de famille qui comprennent l'importance de l'éducation religieuse et y mettent un grand prix. Ensuite la ville, gênée, dit M. Orts, dans ses finances et qui n'a rien à donner aux frères des écoles chrétiennes, fournit trente mille francs à l'université urbaine, que je ne viens pas critiquer, mais qui ne passe aux yeux de personne pour un établissement où l'instruction religieuse est l'objet d'une vive sollicitude.

Ainsi donc, messieurs, sur une somme de cinquante mille francs l'instruction que j'estime en première ligne, avec un nombre si considérable de parents, reçoit deux ou trois mille francs. Si j'ai commis une erreur dans mes observations contredites par M. Orts, vous voyez qu'elle est légère. Au surplus je n'attaque pas les intentions de mon collègue échevin de Bruxelles, chargé des écoles. Ses paroles indiquent de la bonne volonté. Je l'engage donc à vouloir bien examiner si les effets y répondent et je ne demande pas mieux que d'avoir ultérieurement occasion de lui adresser sur cette matière, mes félicitations.

M. Orts. - Je ne veux pas entrer dans l'examen de ce que fait la ville de Bruxelles pour l'université qui y est établie ; mais il me suffira de répondre à l'honorable comte de Mérode que la ville de Bruxelles fait pour ses écoles tout ce que ses finances lui permettent de faire. J'ajouterai qu'il est étrange qu'il vienne taxer de superficiel un enseignement qui ne craindrait pas de lutter contre celui donne dans d'autres établissements.

Lors du dernier concours des institutions primaires, deux des quatre écoles de Bruxelles ont obtenu des prix et vous savez que c'était un concours général des écoles de la province. Ce fait parle plus haut que ce qu'on pourrait dire contre ces établissements. On y donne un enseignement aussi solide qu'il doit l’être, non seulement en ce qui concerne les sciences, mais en ce qui concerne la morale et la religion.

M. Verhaegen. - Je demande la parole pour dire un seul mot.

C'est que cela semble l'exposé de motifs d'un projet que nous allons discuter bientôt. Ce que je vois encore, c'est qu'on a l'intention de discréditer nos écoles et de les faire tomber. Mais j'espère que le public de Bruxelles aura assez de bon sens pour ne pas se laisser prendre à des paroles que je ne qualifie pas, pour ne pas encourir le reproche qu'a encouru naguère mon honorable ami qui siège à mes côtés.

Pour ce qui est de l'université de Bruxelles, je ne dirai qu'un mot, c'est que sur le banc des ministres se trouve un homme qui beaucoup mieux que moi peut la défendre, car il en est président.

M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) - L'université de Bruxelles n'a pas besoin d'être défendue. Elle n'a pas été attaquée, car l'honorable comte de Mérode a dit qu'il rendait hommage aux efforts de M. Orts, en ce qui concerne l'enseignement dans la ville de Bruxelles.

Je ferai une observation en réponse à M. Verhaegen. Je n'ai actuellement pas l'honneur d'être président du conseil d'administration de cette université. Je l'ai été et je ne le regrette pas. Je l'ai été en qualité d'échevin délégué par le bourgmestre d'alors et ensuite comme bourgmestre moi-même. Mais ayant cessé d'être bourgmestre, j'ai cessé d'être président de l'université, ce que sait parfaitement M. Verhaegen, car d'après les statuts de cet établissement, c'est au bourgmestre qu'appartient la présidence.

Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture 1

M. le président. - Personne ne s'y oppose, je déclare la discussion générale close.

Demain nous passerons à la discussion des articles.

- La séance est levée à 4 heures et demie.