(Moniteur belge n°162, du 11 juin 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l'appel nominal à midi et quart.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse analyse les pièces de la correspondance.
« Le sieur Denambraide, entrepreneur de travaux publics à Bruxelles, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le paiement de ce qui lui revient du chef de travaux exécutés avant 1830, par ordre du gouvernement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le comité directeur de l'association pour le progrès de l'industrie linière demande 1° le retrait de toutes les concessions faites à la France ; 2° la révision du tarif pour assurer à l'industrie le marché intérieur ; 3° l'adoption immédiate du système des droits différentiels en faveur du pavillon national. »
M. Rodenbach. - Cette pétition, comme vous le voyez par son analyse, est de la plus haute importance, Si elle n'était pas si longue, si elle ne devait pas occuper trop longtemps la chambre, j’en demanderais la lecture ; car elle mérite de fixer l'attention du pays et de ses représentants.
Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission d'industrie, à MM. les ministres de l'intérieur, des finances et des affaires étrangères et qu'elle soit insérée au Moniteur.
- La proposition de M. Rodenbach, appuyée par M. Manilius est mise aux voix et adoptée.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) présente un projet de loi de crédit supplémentaire de 50,000 fr. à prélever sur les fonds restant disponibles au budget de l'exercice 1840, ayant pour objet de pourvoir au payement des créances arriérées relatives à des travaux et des fournitures de mobilier à l'hôtel du ministère de la guerre et à des achats pour complément du mobilier nécessaire à cet hôtel.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le renvoie à l'examen de la section centrale du budget de la guerre.
M. Verhaegen. - Depuis quelques jours, je désirais adresser une interpellation à M. le ministre de la guerre. Mais comme il n'était pas présent, j'ai été obligé de la remettre à la séance de ce jour. La chambre a été saisie, il y a quelque temps, d'une pétition de M. Tack, qui se plaignait de ce qu'on lui avait enlevé son grade, ce qu'on avait violé a son égard une disposition formelle de la constitution.
M. Tack avait été dépouillé illégalement de son grade. En 1839, on lui a rendu son grade. M. Tack a demandé la conséquence de cette demande ; il a demandé qu'on lui payât ce qui lui était dû sur le pied du grade qu'on lui avait enlevé. Cette pétition a été renvoyée à la commission des pétitions ; M. Zoude a présenté le rapport au nom de cette commission, et a appuyé le système du réclamant. La chambre a renvoyé la pétition à M. le ministre de la guerre avec demande d'explications. Qu'a-t-il répondu ? Que déjà des explications avaient été données en 1837. Ces explications ne se trouvent nulle part. Ensuite, données en 1837, elles ne peuvent se rapporter à un grief qui date de 1839.
De deux choses l'une, ou bien, en 1839, on a donné à M. Tack un grade nouveau ; ou bien on lui a rendu ce qu'on lui avait enlevé à tort. Si on lui a rendu ce qu'on lui avait enlevé à tort il faut nécessairement que, pour être juste, on lui donne toutes les conséquences de ce qu’on lui a enlevé à tort. Si, au contraire, on lui a donné un grade nouveau, comme il n'y a pas de grade sans emploi, il faut lui en donner un. Or, on l'a mis en non-activité. Il est impossible qu’on sorte de ce dilemme.
Je voudrais que M. le ministre de la guerre nous donnât des explications, me réservant de prendre après ces explications les mesures que commanderont les circonstances.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - J'ai renvoyé aux explications données en 1837, croyant que ce document devait se trouver à la chambre. Puisqu'il ne s'y trouve pas, je le ferai rechercher au département de la guerre, et je le transmettrai à la chambre.
Quant à ce qu'a dit l'honorable préopinant, sur la position de M. Tack, je ferai observer que le gouvernement avait le droit de le mettre en non-activité, en lui donnant un grade, et qu'il n'était pas tenu de lui donner un emploi.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. Dubus (aîné). - Je demande l'ordre du jour. Si l'on veut faire une proposition, qu'on la dépose, aux termes du règlement, et qu'on ne vienne pas interrompre les travaux de la chambre.
M. Verhaegen. - La chambre a renvoyé une pétition à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explications. Qui veut la fin veut les moyens. Il faut bien que ces explications parviennent à la chambre.
M. le ministre de la guerre ne m'a pas probablement compris.
Je ne prétends pas qu'on ne puisse pas mettre un officier en non-activité. Mais je dis que M. Tack, à qui on a rendu un grade, dont il avait été dépouillé illégalement, a droit à recevoir le traitement attaché à ce grade pendant tout le temps pendant lequel il a été privé de son grade.
Je ne demande pas que M. le ministre s'explique séance tenante. Je demande qu’il prenne des renseignements et qu’il les transmette à la chambre.
M. Delfosse (pour une motion d'ordre). - La chambre a renvoyé il y a quelque temps à M. le ministre de la guerre avec demande d'explication la pétition d'une veuve qui se plaint de ce que son fils est retenu sous les drapeaux, en violation de la loi sur la milice. Elle avait misé un remplaçant qui a été congédié pour infirmité postérieure aux deux mois après l'entrée au corps. On sent que, si ce milicien est retenu illégalement sous les drapeaux, il est urgent que des explications soient données. Je prie M. le ministre de les donner le plut tôt possible.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Quel est le nom de cette veuve ?
M. Delfosse. - Je ne me le rappelle pas.
M. le ministre de la guerre (M. de Liem) - Je donnerai les explications, quand on m'aura donné le nom.
M. Delfosse. - M. le ministre n'aura pas besoin de longues recherches pour trouver cette pétition, la chambre ne lui a renvoyé que deux ou trois pétition de ce genre.
M. Sigart. - Divers bruits circulent sur le terme prochain de nos travaux. Il serait bon que la chambre ne restât pas dans l'incertitude.
Si un ajournement devait avoir lieu, j'appellerai votre attention sur un projet de loi urgent et qui reste en souffrance. Je veux parler du projet de loi relatif à la réduction de péages sur les rivières et canaux. Une sorte de fatalité semble s’attacher à ce projet de loi. Les rapporteurs sont nommés ; mais la section centrale n'a pas de président.
M. le président. - Quant à moi,. il m'est impossible de m'occuper d'autres objets que ceux qui occupent les sections centrales que je préside. Les sections centrales chargées de l'examen des projets de loi relatifs à l'enseignement primaire et aux affaires de la ville de Bruxelles, se réunissent demain. Nous avons aussi le projet de loi sur l'estampille et sur la répression de la fraude. MM. les vice-présidents sont également occupés.
M. de Garcia. - Cette loi est très courte, elle n'a qu'un article ; elle est urgente. Si l'un de MM. les vice-présidents voulait présider la section centrale, on pourrait faire le rapport et voter ce projet de loi, dans cette session.
M. David. - Il ne s'agit que d'une prolongation.
M. le président. - Je préside tous les jours deux sections centrales.
M. de Garcia. - Il y a les vice-présidents.
M. Dubus (aîné). - Il y a à peine trois jours que les sections ont terminé l’examen de ce projet de loi ; tandis que plusieurs sections centrales sont occupées à terminer l’examen de projets de loi importants, présentes à la chambre antérieurement et examinés depuis longtemps par les sections.
On ne peut pas aborder un projet avant d'avoir examiné ceux qui précèdent ; et je ferai remarquer que les membres qui font partie des sections centrales sont déjà obligés maintenant d’assister à deux réunions en un jour et ne quittent pour ainsi dire plus le Palais de la Nation.
M. Sigart. - Je n'accuse ni M. le président ni MM. les vice-présidents ; je sais fort bien qu'ils ont d'autres travaux. .Mais je ferai remarquer que le projet dont je parle sera complètement inutile, si l'on tarde encore à le discuter. Car les canaux vont être fermés pour le curage et alors il en sera de l'expérience cette année comme il en a été l'année dernière.
M. le président. - Si la chambre veut m'y autoriser, je chargerai M. le président d'âge de présider une section.
M. de Theux. - Ce serait un précédent à introduire ; quant à moi je m'y oppose ; je n'en vois pas la nécessité.
M. de La Coste. - Dès le début des discussions sur la loi communale, des membres de cette assemblée dont, sans m’associer à toutes leurs opinions, j’estime le caractère et les talents, se sont prononcés avec force contre la proposition qui nous occupe. Ils semblent n’y apercevoir qu’une question de parti. Quant à moi, je suis intiment persuadé que la loi proposée ne peut donner à aucun parti une prépondérance qu’il n’a pas dans les élections communales et ne peut y ôter à aucun parti la moindre part légitime d’influence.
C’est donc sous un tout autre point de vue que j’envisage la question.
La mesure proposée ne touche nullement aux franchises communales, aux franchises électorales. Elle n'ôte pas le moindre droit au moindre des habitants, elle ne limite leurs droits en rien. Ce sont toujours les mêmes hommes, avec les mêmes intérêts, avec les mêmes opinions, Que craignez-vous donc ? Les choix de ces hommes divisés par sections exprimeront-ils des besoins, des opinions qu'ils n'ont point ? Non, sans doute, Cette supposition serait absurde, mais des besoins, des opinions qui existent dans la population, et qui ne trouvent point à se manifester, qui sont comprimées, qui sont étouffées, trouveront des organes. Voilà tout ce qu'on pourrait craindre, voilà ce qu'il faut désirer.
Peu m'importe après cela, messieurs, de quelle nature sont ces besoins, ces opinions. Je ne veux pas même parler ici d'opinions politiques, car elles devraient être comptées pour bien peu de choses dans les élections communales. Mais enfin, appelez-la l’opinion quelconque qui manque d’organes, libérale, catholique, épuisez tout le vocabulaire de nos tristes divisions, elle est dans son droit quand elle vous demande sa part d’air, de jour, de liberté !
Voulez-vous savoir ce qu'il y a dans un pays de liberté ? Ne demandez pas ce qu'y peuvent les majorités, demandez si l'on y respecte les droits des minorités.
Mais, dit-on, enfin, introduisant dans les conseils on en troublera le bon accord, singulier accord que celui que nous établirions en excluant ceux qui ne penseraient pas comme nous. Vous appelez ceci la paix ; Ce n'est que le silence.
Il est bien évident, au surplus, que l'opinion quelconque qui dicte l'élection dans une commune selon le mode actuel, continuera à dominer dans le conseil, à moins que sa prépondérance ne soit tout à fait factice. Dans cette dernière hypothèse, certes personne ne soutiendra qu'il fallût maintenir cette prépondérance factice, ce mensonge de la loi ; dans l'hypothèse contraire, celle d'une prépondérance réelle, elle continuera à subsister, car l'opinion prépondérante aura la majorité, soit dans toutes les sections, soit dans le plus grand nombre. Seulement dans le dernier cas, la minorité aura ses organes dans le conseil, la majorité sera forcée de débattre les questions au lieu de les trancher. Ici, messieurs, nous touchons au nœud de la question.
Certes nul d'entre nous n'est assez aveugle, pour ne pas apprécier l'avantage de la stabilité des institutions ; mais il faut examiner quelles sont les conditions de cette stabilité.
Dans les Etats depuis longtemps constitués, où les institutions se sont formées historiquement, où elles ont jeté des racines profondes dans le passé et dans les mœurs, elles sont stables parce qu'elles sont.
Dans un Etat jeune, où les institutions ont dû être en grande partie empruntées à des peuples voisins ou à la théorie, leur stabilité doit reposer sur un autre fondement : le droit, il est en effet un droit au-dessus de celui que nous créons. Il ne naît point de la volonté arbitraire et mobile du législateur, mais de la nature même des choses
On se soumet à la majorité, non qu'elle ait toujours de son côté la raison, ni même la force, mais parce qu’il faut une fin à toute discussion. De là ce singulier privilège, qu'il faut pourtant bien subir, qu’à parfois un seul votant, peut-être le moins éclairé, de trancher une question qui partage une assemblée, qui partage un peuple.
Mais en admettant ce privilège, si exorbitant de la nature, il faut au moins ne pas le transporter au-delà de ses limites, ne pas attribuer à la majorité, outre le droit de décider, le droit exclusif de débattre.
Au plus grand nombre la décision : la discussion à tous.
Les formes représentatives ne changent rien à ces principes ; seulement à l'intervention directe des citoyens, elles subsistent des intermédiaires.
Il faut que la représentation se rapproche autant que possible de la réalité, que les représentants soit à l'image des représentés, afin qu'aucune opinion, aucun intérêt ne soit exclu du débat. Hors de là tout n'est que fiction, que despotisme sous un masque imposteur.
Dans nos chambres, dans nos assemblées provinciales, grâce aux subdivisions électorales, les divers intérêts, les diverses opinions ont chance d’être représentés, il en résulte une certaine pondération qui tourne au profit de la justice, au profit de la modération.
Dans nos villes l'élection est un seul flot qu'un souffle unique soulève.
En admettant dans cette élection le même principe que dans les élections générales et provinciales, nous serons conséquents. Personne ne doit craindre ou espérer que par là nous changerons l’esprit qui anime les élections communales ; ce sera toujours l'esprit de la classe moyenne. Ce que nous ferons, ce sera de rendre l'expression des opinions et des intérêts de cette classe importante, plus sincère, plus vraie, plus libre.
Je sais qu'on se plaint beaucoup de l'action qu'exercent les intérêts divergents des localités dans les assemblées où elles envoient des représentants distincts ; mais lorsque les élections se font en masse, ces intérêts cessent-ils d'exister ? Cessent-ils d'exercer leur action ? Loin de là, elle devient plus exclusive, plus impérieuse, de la part des intérêts qui ont le plus de partisans, les partisans les plus puissants ou les plus actifs ; ainsi il n'est pas remédié par l’élection en masse au mal dont l'on accuse l'élection fractionnaire : on ne s aperçoit pas que ce n'est pas tel ou tel mode d'élection, mais l'élection que l'on accuse.
Qui pourrait nier, en effet, que le système électif n'ait comme toute chose, ses inconvénients ?
Certes ce ne seraient pas ceux qui ont vu les élections de près. Mais au milieu de ces luttes, où peu d'hommes sont assez heureux, assez fermes, pour ne point laisser quelques débris de l’indépendance de leur pensée, de la noblesse de leur caractère, j'aperçois un symptôme consolant, je vois se développer une vertu curative de la chose publique (vis medicatrix reipublicœ) c’est la part qui est faite à la considération personnelle, à la considération méritée par une vie honorable, par des talents distingués, par les services rendus au pays. Aussi longtemps que cette part sera faite, l’indépendance sera possible et l’indépendance personnelle est le seul remède à l’influence exagérée des intérêts locaux.
Or, il est démontré à mes yeux que l’élection par sections est plus favorable aux choix de personnes qui ont cette indépendance, parce que le choix sera plus influencé par l’estime personnelle, moins par la brigue et l’esprit de parti.
Mais, dit-on, le gouvernement pourra porter toutes ses forces sur un point, déterminer dans un quartier des choix conformes à ses vues et y prendre tous les échevins. Un exemple souvent cité dans nos discussions actuelles répond à cette objection, l'exemple de Toulouse : un gouvernement bien plus fort que le nôtre n'a pu y exercer une semblable influence. Je ne crois donc pas, pour moi, que le gouvernement puisse exercer dans aucune section une influence contraire au vœu des habitants, et en supposant un tel résultat possible, l'intérêt du gouvernement ne serait pas de prendre dans une petite minorité factice les fonctionnaires dont le choix lui est déféré, car par là il manquerait son but, il donnerait le signal d'une lutte où son influence périrait.
On paraît craindre encore que la proposition en discussion ne cache des vues plus profondes, que ce ne soit un précédent, et, comme on l'a dit, un admirable jalon pour le système électoral en général ; mais c'est au contraire, le système électoral adopté qui forme précédent pour cette proposition. Il y a parfaite analogie et si la division, comme tout système, a ses inconvénients, ils sont bien moins grands dans une ville, au milieu du contact journalier des habitants, que dans la position plus isolée des circonscriptions territoriales qui concourent aux autres élections.
Au surplus, qu'il me soit permis de dire que ce n'est point réfuter la proposition que d'attaquer en elle ce qui n'y est point. Ce n'est donc point la réfuter que de parler d'un vote par rues, par numéros, d'une subdivision en un mot poussée à l'absurde, ou même seulement poussée à l'extrême. Si on craint véritablement qu'elle soit poussée à l'extrême, on peut y mettre des limites, et dès lors, l'objection disparaît. Si l'on craint que le gouvernement ne la modifie dans des vues particulières, on peut encore limiter le droit qu'aurait le gouvernement de la modifier. Toutes ces objections ne s'appliquent qu'à des détails, à des accessoires, et peuvent être levées par des sous-amendements.
Mais la véritable question c'est le principe, et je l'adopte non comme favorable à telle ou telle opinion, ce qui ne m'est pas démontré et m'inquiète peu, en cette occasion ; mais comme un principe de justice. Et si jamais, méconnaissant ce principe, en sens contraire, on venait réclamer l'élection en masse pour les conseils provinciaux, ce qui n'est pas interdit par la constitution et ne présenterait aucune difficulté d'exécution, alors je me trouverais dans les rangs opposés, dans les rangs de ceux qui demanderaient le maintien de l'élection fractionnaire, en faveur de l'opinion qui paraît la repousser aujourd'hui.
M. Devaux**.** - Messieurs, ce qu'on propose dans le projet de loi qui vous est soumis, c'est de changer non pas le fait mais la base même de l'institution communale. Dans les séances précédentes on demandait de la changer en ce qui concerne les bourgmestres ; aujourd’hui on vous demande de la changer en ce qui concerne la composition et l'esprit des conseils communaux. Dans la discussion qui a été close hier, on soutenait que les libertés communales résidaient dans les conseils communaux ; en changeant les dispositions relatives au bourgmestre, on ne touchait pas, disait-on, aux franchises communales, parce qu'on ne touchait pas aux conseils ; aujourd'hui, c'est précisément aux conseils qu'on veut toucher ; c'est un changement dans la composition des conseils que l'on réclame.
On avoue donc par cela même, que la question touche de très près à ce qu’on a appelé les franchises, les libertés communales. Je ne connais, quant à moi, rien de plus fondamental pour les institutions communales que l'origine même des conseils, que les élections. Changez le principe électoral ; et vous pouvez changer toute la nature de l'institution ; changez sa base électorale, et vous pouvez lui faire dire le contraire de ce que la loi communale a voulu.
Messieurs, il y a quelque chose d'extraordinaire dans le but, aujourd'hui avoué, de cette mesure. Ce qu'on veut, c'est de changer l'esprit des conseils communaux ; ce qu'on veut, c est de changer l'esprit des corps électifs. Vouloir changer les résultats électoraux, vouloir changer par une loi l'esprit des élections, c'est là une mesure radicale, c'est là une mesure extrême.
Une loi faite dans le dessein de changer l'esprit des élections, de changer leur résultat, quand cette loi touche à la composition des grands corps de l'Etat, c'est une révolution. La réforme électorale en Angleterre a été une véritable révolution faite par la loi. Ce qu'on nous propose aujourd’hui, c'est une révolution communale faite par la loi.
Messieurs, nous avons des divisions locales dans les chambres, et il n'est pas un d'entre nous qui ne s'en soit plaint ; nous avons des divisions locales dans les conseils provinciaux, et il n'est pas un d'entre nous qui ne les ait déplorées ; nous n'avons pas de divisions locales dans les communes ; la commune est la dernière subdivision du pays, et là les divisions locales n'étaient plus connues : là il y avait unité locale. Aujourd'hui l'on propose d'introduire de gaieté de coeur les divisions locales dans la commune, d’y introduire ce qui n'y a pas existé jusqu'aujourd'hui, l'esprit de quartier, l'esprit de section.
Il y a six ans que je suis membre du conseil communal d'une grande ville ; j'oserais dire que pendant ces six années, il ne s'est pas présente, à ma connaissance, une seule question qui ait donné lieu à des divisions de quartiers ; cependant on a fait de grandes constructions : une station du chemin de fer, des écoles, des casernes, etc., pas une seule fois, des divisions de quartier ne se sont élevées. Introduisez les élections par quartiers dans les conseils communaux et, dès l'année prochaine, dans le conseil dont je viens de parler, comme dans les autres, les intérêts fractionnaires, les divisions de quartiers prendront la place de l’unité de vue qui y a régné jusqu’à présent. Une fois l’intérêt de quartier s’est manifesté à Bruxelles, c’était à propos du palais de justice ; et je vous demande si vous n’avez pas gémi, si tous les habitants de Bruxelles n’ont pas gémi des résultats de cette lutte ? cette lutte, qui s’est présentée une seule fois, que vous allez perpétuer, que vous allez renouveler sans cesse dans toutes nos villes.
Que va-t-il arriver ? C’est que désormais dans les villes, rien de grand ne sera possible ; ou bien l’on fera trop, ou bien l’on fera trop peu. Chaque fois qu’il s’agira d’un grand établissement, d’une grande entreprise, la première question qui se présentera sera celle de savoir à quel quartier on donnera l’établissement, dans quel quartier on le construira. Voulez-vous construire un édifice, un monument utile, l’on vous contraindra, ou à en faire autant dans chaque quartier, ou à ne rien faire du tout. Un parc, comme celui de Bruxelles, dans le système qu’on propose, est une chose impossible ; savez-vous ce qu’on y substituerait ? On y ferait de petits jardins dans chaque quartier. Au lieu de faire quelques bonnes écoles il faudra faire beaucoup d’écoles, fussent-elles mauvaises ; une ville qui n’aura que le moyen de faire trois bonnes écoles, si elle a six sections, devra faire six écoles, dussent-elles être mauvaises. S’il s’agit de faire une station du chemin de fer, chacun voudra qu’elle soit établie dans son quartier, et comme il ne sera pas possible de l’établir partout à la fois, tous se refuseront à faire la dépense, et il y aura impossibilité de la faire.
Quelle sera maintenant la position du collège échevinal, si le projet est adapté ? Remarquez, messieurs, qu’au collège échevinal appartient l’initiative de tous les grands travaux. Quelle sera la position de l'échevin chargé des travaux publics ? S'il se présente une question où l'intérêt de la ville soit en opposition avec celui du quartier qui a élu cet échevin, il devra donner sa démission comme conseiller de ce quartier. Comment voulez-vous que si une semblable lutte s'élève, l'échevin puisse être impartial, entouré qu'il est à chaque instant des électeurs du seul quartier qui l'a nommé ? Plus le collège échevinal sera partial en faveur des quartiers qui ont élu ses membres, plus ces membres assureront leur réélection ; plus au contraire ils seront impartiaux à l'égard des quartiers qui les ont élus, plus ils affaibliront les chances qu'ils peuvent avoir d'être réélus.
Voyez aussi quels embarras peuvent naître pour le pouvoir ; vous vous êtes plaints des difficultés qu'éprouvait le pouvoir pour nommer le bourgmestre et les échevins ; mais vous ne remarquez pas que vous restreignez singulièrement le choix du gouvernement ; le gouvernement sera tenu maintenant de prendre en considération une circonstance toute nouvelle ; il devra examiner à quel quartier appartient tel conseiller auquel il voudrait conférer les fonctions d'échevin ; il ne pourra pas nommer deux échevins dans un même quartier, ces deux échevins fussent-ils les plus digues ; bien moins encore pourra-t-il nommer quatre échevins dans un même quartier : et cependant il peut se faire que les quatre membres du conseil qui sont les plus capables de remplir les fonctions d'échevins, aient été élus par le même quartier. Dans presque toutes les villes il y a un quartier où il y a le plus d'hommes capables, où il y a le plus d'hommes aisés, qui comptent naturellement aujourd'hui quelques conseillers de plus que les autres ; le gouvernement ne pourra pas choisir les conseillers les plus capables, alors qu'ils auront été nommés par ce quartier. Quand il aura à choisir un bourgmestre et des échevins, il faudra qu’il demande, non pas seulement, si le bourgmestre et les échevins sympathiseront avec le conseil, mais s'ils appartiennent à tel ou tel quartier de la ville, s'ils joueront tel ou tel rôle dans la lutte des sections.
Messieurs, on nous a cité la législation anglaise. D'abord je demanderai quelle est la législation anglaise ? Quant à moi, je vous avoue que je ne la connais pas ; je connais quelque chose de l'ancienne législation anglaise, mais la nouvelle législation communale anglaise, je confesse que je ne la connais pas et je ne sais pas si beaucoup d’honorables membres de l'assemblée la connaissent. Je suppose que ceux qui l'ont citée la connaissent, et je serais charmé qu'ils voulussent bien m'en communiquer le texte pour mon instruction, je leur en fais la prière. Je demanderai, par exemple, quelles sont en Angleterre les fonctions des conseillers communaux, je demanderai si la mesure que l'on propose s'applique en Angleterre à des corps communaux placés dans la même position que les nôtres, ayant les mêmes attributions ; si les membres de ces corps sont élus d'après le même mode que chez nous. Il y a bien des considérations, messieurs qui s'appliquent aux corps communaux anglais et qui ne s'appliquent pas aux nôtres ; d'abord en Angleterre il y a certaines villes dont les divers quartiers sont tellement séparés les uns des autres, qu'ils forment en quelque sorte chacun une ville à part ; ainsi, à Londres, la Cité forme en quelque sorte une ville à part, la séparation est tellement grande et si ancienne que ce serait presque une révolution que de vouloir réunir ces deux populations.
Il y a en Angleterre d'anciens privilèges dont jouissent les corps de métier et peut-être aussi les quartiers ; si réellement la mesure a été adoptée en Angleterre, n'est-ce pas qu'on a cédé à ce qui existait, on a cédé à l'esprit, aux habitudes des villes, telles qu'elles existaient.
Chez nous, au contraire, ce qu'on veut faire, ce n'est plus de conserver d'anciens usages, c'est de créer des obstacles, des divisions, un esprit qui n'existaient pas.
Vous avez vu, messieurs, comment en France cette innovation a paru dans la loi, à la suite d’une discussion très peu approfondie. Mais voudrait-on nous dire quels sont les effets de la loi en France ? A-t-on quelques renseignements là-dessus ? Les effets de la loi sont-ils bons en France ?
Si j'en crois des bruits qui me sont parvenus, les effets de la loi française sont détestables ; dans beaucoup de localités on s'en plaint beaucoup ; en France m'a-t-on dit, la loi a créé dans certaines villes des divisions déplorables entre les divers quartiers, elle a mis aux prises le quartier des industriels avec celui des nobles, celui des rentiers et celui des artisans. Elle a provoqué des luttes incessantes et qui chaque jour tendent à s’envenimer.
Autrefois, dit-on, les corps de métier avaient aussi leur existence séparée ; les corps de métiers se partageaient la ville. Je réponds que les communes du moyen-âge en Belgique, comme en Italie et ailleurs ont dû aux divisions des corps de métier entre eux des luttes sanglantes, des luttes qui ont jeté plusieurs fois ces villes dans le désordre et l'anarchie.
Mais, cette division en corps de métier, ce n'était pas une loi qui l'avait brusquement introduite ; aujourd’hui vous voulez créer des divisions qui n'existaient pas, vous voulez créer par la loi un esprit local tout nouveau.
Et quels sont donc, messieurs, les motifs à l'appui de ce changement ? Où sont les inconvénients du système actuel ? Où sont les faits ?
L’honorable auteur de la proposition convient qu'il ne lui faut pas de faits pour réformer les lois. Un autre honorable membre, qui siège derrière moi, et qui se dit partisan de la stabilité des lois, n'a pas besoin non plus qu on lui signale des faits, c'est au nom du droit qu'il veut réformer la loi. Si c'est là la stabilité qu'il veut, c'est la stabilité invoquée par tous les révolutionnaires ; toutes les révolutions se sont toujours faites au nom du droit ; un parti nouveau qui a momentanément la majorité, changera aujourd'hui, au nom du droit, les lois faites la veille par le parti vaincu, sauf à voir renverser demain les siennes par un autre parti, et toujours au nom du droit. Ainsi, si vous n'exigez pas de faits pour modifier les lois, vous vous placez sur un terrain mouvant, vous n'avez plus de stabilité aucune dans la législation.
Les divers quartiers, dira-t-on, ne sont pas suffisamment représentés dans les grandes villes. Premier fait à constater. Comment se fait-il qu'on ne nous apporte pas de preuves à cet égard, qu'on ne nous dise pas quelles sont les communes où des quartiers manquent de représentants ? Mais, je dirai que dans les villes, pour lesquelles j'ai pu en faire la vérification, les quartiers sont suffisamment représentés ; ils ne sont pas toujours également représentés, mais tous les quartiers n'ont pas une importance égale, ils n'ont pas tous le même nombre d'électeurs, ils n'ont pas tous les mêmes besoins ; mais ce qui est certain, c'est que tous les quartiers sont suffisamment représentés, et que surtout aucun d'eux n'est opprimé ou vexé par l'influence des autres.
Un honorable membre a dit que des communes se ruinaient, et que c'était un motif pour changer le mode d'élections.
J'avoue qu'il ne m’est pas possible de trouver le lien qui existe entre la situation financière des communes et la mesure qu'on propose. Quant à la situation financière des communes, on a présenté des projets pour remédier à ses vices vrais ou faux, ce que nous examinerons plus tard ; mais toujours est-il qu'on a présenté des projets ayant pour but de remédier à ce que la situation financière peut laisser à désirer.
Je dirai à cet égard que quand on parle de la situation financière des villes, il ne faut pas ainsi les blâmer en général. Quand on accuse les villes, on doit apporter des faits à l'appui de ces accusations ? Quelles preuves fournit-on ? Où sont les faits qui prouvent que toutes les villes se ruinent ?
Je désire que, pour nous éclairer sur la question de la situation financière, on veuille bien nous donner les éléments qui nous sont nécessaires pour résoudre cette question ; les pièces que M. le ministre de l'intérieur nous a communiquées ne suffisant pas, ce qu'il nous faut, le voici :
Il nous faut la situation des dettes des communes en 1830, la situation de leurs dettes en 1840, le montant des dettes qu'on a amorties dans l'intervalle, l'état des propriétés nouvelles que les villes se sont faites par leurs constructions et des propriétés anciennes qu'elles ont aliénées. Voilà les renseignements dont nous avons besoin, pour apprécier les situations financières des villes ; mais le tableau des produits de l'octroi ne peut être un élément d'appréciation, car une ville pourrait avoir vu ce produit s'accroître, parce que son industrie est plus prospère, en un mot parce qu'elle s'est enrichie ; de sorte que ce qu'on apporte comme preuve de la misère des villes est peut-être leur richesse.
Messieurs, un honorable membre qui a parlé hier veut, dans les élections, prévenir l'esprit de coterie ; je reviendrai tout à l'heure d'une manière spéciale sur ce sujet, et nous verrons quel rôle jouera l'esprit de coterie dans le système de la loi qu'on propose.
On s'est plaint de l'uniformité d'esprit qui règne dans les conseils communaux, on a dit que les diverses opinions n'y étaient pas représentées, on n'a oublié qu'une seule chose, c'est de prouver ce qu'on avançait ; quant à moi, je nie l'existence de cette uniformité d'opinion dans les conseils communaux ; je dis que chaque fois qu'il s'y élève une question politique, et c’est de la politique qu’on a voulu parler, je dis qu'il y a nuance ou diversité d'opinion. Il arrive, il est vrai, qu'il y a quelquefois dans les conseils une minorité qui garde le silence, mais cela ne prouve pas qu’il y a uniformité de pensée, cela prouve seulement qu'il y a une opinion qui n'a pas toujours assez de force pour dire tout ce qu'elle pense,; cela provient de ce que les mœurs publiques ne sont pas formées, ce n'est pas en changeant l'institution que vous les formerez davantage.
Dans la séance d'hier nous avons entendu deux orateurs en faveur du projet ; l'un approuve la loi, parce qu'il ne veut pas d'esprit politique dans les conseils ; l’autre, au contraire, lui donne son assentiment, parce que, selon lui, elle introduit un nouvel aliment politique dans la commune. Ainsi, le projet doit avoir à la fois pour effet d’empêcher les divisions politiques dans la commune, suivant l'un de ces orateurs, et pour les y provoquer, suivant l'autre.
Permettez-moi, messieurs, de jeter maintenant un coup d'œil sur le texte de la proposition.
D'abord, vous remarquerez, messieurs, que le nombre des sections qu'on pourra introduire dans une ville, n'est pas limité ; le gouvernement est armé du droit absolu de multiplier ces sections en tel nombre qu'il voudra ; seulement il ne pourra pas en introduire moins de quatre.
Voyez, messieurs, à quels résultats singuliers on arrive.
On part de la base de 4,000 habitants. Là où il y a 4,000 habitants, il faut 4 sections ; or combien 4,000 habitants donnent-ils d'électeurs ? Si nous consultons le rapport présenté au Roi par l’honorable M. Liedts, en sa qualité de ministre de l'intérieur, vous trouverez que dans les villes, il y a terme moyen, un électeur sur 30 habitants. Ainsi, dans la commune où il y aura 4,000 habitants, il y aura 120 électeurs. Or, le même rapport de l’honorable M. Liedts nous apprend que sur 100 électeurs communaux, il n’y a généralement que 56 qui votent. J’applique la proportion ; les 120 électeurs donneront 67 votants. Cela fait 17 votants par section. Voilà où conduit, à sa base même, le système de l’honorable M. de Theux. M. Dumortier veut exclure l’esprit de coterie des communes, et pour atteindre ce but, il admet des collèges électoraux de 17 votants.
Je vous le demande, messieurs, sera-ce encore là un conseil de la commune ? quand ce conseil sera composé de membres élus par 17, 20, 30 ou 40 électeurs, sera-ce encore une institution sérieuse ? Qu’en France, où l’on a de tout temps attaché peu de valeur aux institutions communales, où l’institution n’est pas entrée dans les mœurs, on veuille faire quelque chose qui ressemble à un conseil de préfecture, je le conçois ; mais je vous le demande, messieurs, un conseil communal sortant d'éléments semblables, et succédant aux conseils communaux qui ont existé jusqu’ici, pourrait-il encore jouir de la considération publique en Belgique ?
On s'est plaint beaucoup dans la discussion, de la dépendance du bourgmestre dans le conseil, on a dit que l'élection mettait l'élu à la discrétion des électeurs. Je conviens que, dans la commune, cette influence est plus grande que dans tout autre ordre d'élections, parce que là l'électeur est plus près de l'élu, l'électeur et l'élu se voient tous les jours. Mais je vous le demande, n'est-ce pas augmenter la dépendance de l’élu envers l’électeur, que de le mettre à la merci de 20, 30 ou 40 électeurs ? Si vous désirez que le conseil communal soit plus libre d'agir d'après les inspirations de sa propre conviction, ne faut-il pas plutôt étendre que restreindre le nombre des électeurs ?
En effet, ne sera-t-il pas plus libre s'il est nommé par deux cents électeurs que s'il et nommé par vingt ou trente électeurs ? Quand les élections sont ainsi réparties par quartiers, que l'on sait que les dix-sept ou vingt électeurs demeurent telle rue, tel numéro, ne sont-ils pas à la merci de trois ou quatre personnes ? le conseiller lui-même ne sera-t-il pas à la merci de trois ou quatre personnes influentes du quartier, qui n'ont qu'à compter 20 ou 30 électeurs pour se rendre maîtresse des élections ? Quand ces personnes auront quelque chose à demander au conseil, qu'il sera question d'un droit d'octroi qui les touchera, quelle sera la position du conseiller ? Par exemple, quand un brasseur, disposant de 20 voix, voudra qu’on s'oppose à une augmentation d'octroi sur la bière, je vous demande quelle sera la position du conseiller dont l'élection dépend de ces voix ?
La loi, telle qu'elle est rédigée par son auteur, ne contient aucune garantie. C'est une espèce de pouvoir dictatorial donné au gouvernement sur la matière électorale de la commune. Ce n'est pas la députation qui fait le partage, c'est le gouvernement qui fixe le nombre des sections. Ce nombre est illimité. On peut fractionner tant qu'on voudra ; on peut fractionner les villes en tel nombre de collèges, qu'il ne reste que dix électeurs par sections.
On n'a pas même voulu, tant on voulait étendre le pouvoir de changer les résultats électoraux ! on n'a pas même voulu de cette simple limitation de voisinage de la loi française, on ne veut plus que les quartiers soient fractionnés par sections de voisinage. Il faut que le gouvernement puise réunir tels et tels quartiers différents et les combiner ensemble de manière à faire une majorité. Cela résulte de la loi. Je ne puis pas penser que ce soit involontaire, l’expression de voisinage se trouve dans la loi française et M. de Theux l’a retranchée.
M. de Theux. - J'en ai donné les motifs. Ils sont dans le Moniteur.
M. Devaux. - M. de Theux a dit qu'on prendrait les divisions existantes.
Mais où cela est-il dit dans la loi ? un arrêté royal pourra créer des divisions, former des sections, réunir, par exemple, le faubourg de Namur avec celui de Laeken pour faire une section ; rien n'empêchera cela. Voilà les électeurs disséminés par petite fraction, pour donner au gouverneur, au bourgmestre, suivant l’occasion, le moyen de combiner ces petites fractions de manière à avoir toujours tel résultat. Quand ils s’agira de tel homme qu’on veut faire élire, on joindra telle partie de son quartier, telle autre partie d’un autre quartier qui lui est favorable ; quand il s’agira de tel homme qu’on voudra éloigner, on détachera de la section devant laquelle il se présente telle partie qui lui est favorable pour la remplacer par une partie défavorable. Voilà comment pourront se faire les élections.
Je demande si c’est avec cette prévoyance, avec cette précision, qu’on fait les lois électorales.
On ne voulait pas de nombreuses élections. L’honorable M. de Theux lui-même, l’ennemi des élections trop fréquentes, écarte de la disposition qu’il emprunte à la loi française, la partie de cette disposition qui empêche les élections de se renouveler souvent. Ainsi en France il faut deux jours d’intervalle entre les élections de deux sections. Tel homme qui jouit d’une grande considération pourrait être élu par deux ou trois sections, si les élections se faisaient toutes à la fois. Que fait l’auteur de la proposition ? Il fait voter tous les quartiers à la fois. Si des hommes ayant de l’influence dans les divers quartiers se présentent, ils seront élus dans diverses sections, il faudra de nouvelles élections, ces élections seront simultanées et le même résultat pourra se renouveler. Cependant l’honorable membre est grand ennemi du mouvement électoral.
On voulait à toute force conserver des bourgmestres existants, on voulait conserver trois ou quarte bourgmestres des grandes villes pour lesquels on craint. Il a fallu changer la loi communale, parce qu’ainsi l’exigeait l’intérêt de leur conservation. Mais que fait-on des conseillers communaux, on remet leur existence à tous en question. Si on laissait les élections se faire sous l’empire de la loi actuelle, vous auriez très peu de changements. Mais si le projet dont il s’agit est adopté, le sort de tous les conseillers est mis en question. Il n’est pas de conseiller qui ayant eu le suffrage de la majorité de la commune, puisse être sûr d’avoir le vote d’un quartier, d’un quartier qui n’existe pas encore et donc les limites doivent encore être fixées.
N’est-il pas vrai que nous avions dans notre loi communale une disposition bien préférable, bien plus sage qui avait les avantages administratifs qu’on cherche dans la disposition nouvelle et n’en avait pas les inconvénients. Ainsi l’article 5 de la loi communale permet à la députation provinciale, quand une section de commune n’est pas assez représentée dans le sein du conseil, de décider qu’un certain nombre de conseillers seront pris dans cette section, mais seront nommés par la généralité des électeurs de la commune. Il y a ainsi des hommes chargés plus spécialement de représenter cette section, mais qui sont en même temps les représentants de la commune entière. Ils sont en même temps liés à la généralité et à la partie. Ils ont une double mission.
C’est une très heureuse combinaison. Ce système existe dans un autre cas, dans la composition de la députation permanente. On a senti qu’il fallait que les divers arrondissements fussent plus ou moins représentés dans la députation. Eh bien, a-t-on donné à telle partie de l’assemblée provinciale le choix du représentant de tel arrondissement, et à telle autre partie de l’arrondissement le choix du représentant de tel autre arrondissement ? Non ; on a forcé l’assemblée entière de prendre dans les divers arrondissements, les membres de la députation, chargés de représenter jusqu’à un certain point les intérêts d’une partie de la province ; ils tiennent en même temps par leur élection, à la province et à l’arrondissement. Ce système est infiniment préférable à celui proposé.
Nous ne devons pas nous dépêcher d’emprunter des innovations à la législation française, en fait d’administration municipale, nous l’emportons de beaucoup sur la France. On n’a qu’à parcourir nos villes et les villes françaises pour se convaincre de l’incontestable supériorité de l’administration des villes belges.
L’art. 5, si on le trouve exceptionnel, si on trouve qu’il ne s’applique qu’à des exceptions trop rares, à des sections détachées, ce qui est fort douteux en fait, et d’après l’opinion de députations qui ont étendu la disposition, si on trouvait dis-je qu’il y a quelque chose à faire, on pourrait examiner s’il n’y a pas lieu d’étendre cette disposition aux villes, mais sans fractionner les collèges et faisant que les conseillers représentants des quartiers restent les élus de la commune entière.
Je vous ai signalé bien des inconvénients du projet présenté, mais je ne vous ai signalé encore que des inconvénients secondaires. Il me reste à vous signaler le plus grave de tous.
L’honorable M. Dumortier, dans la séance d’hier, avec une franchise à laquelle je rends hommage, vous a dit que ce qu’il voulait, était d’introduire quelques membres de la minorité dans les conseils, que ce n’était pas de changer la majorité, mais de créer une minorité dans le conseil. Je rends parfaitement justice aux intentions de cet honorable membre, mais il se trompe ; la loi va beaucoup au-delà du but qu’il se propose. La loi, savez-vous ce que c’est ? c’est une arme donnée à la minorité, pour se mettre au-dessus de la majorité. Vous avouerez que quand un système électoral va droit à ce résultat de mettre la minorité électorale au-dessus de la majorité, quelque avantage qu’il puisse présenter, ce système est jugé. Il est oppressif. Je crois que je n’aurai pas grand’peine à prouver que la proposition de M. de Theux tend à mettre la minorité au-dessus de la majorité, donne à la minorité les moyens de faire la loi à la majorité dans les élections.
Aujourd’hui pour former le conseil communal, il faut la majorité de tous les électeurs. Dans le système proposé, il ne faut que la majorité de quelques sections. Prenons la chambre, par exemple. Elle se compose de 95 membres, je suppose 100 pour avoir un chiffre rond. Voulez-vous donner à la minorité le moyen de dominer la majorité dans cette chambre ? Décidez que les lois ne se feront plus par la chambre entière réunie, mais par la chambre divisée en quatre sections de 25 membres chacune. Que faut-il alors ? Avoir la majorité dans trois sections, c’est-à-dire 13 voix dans trois sections, ou 39 voix. Ainsi avec 39 voix convenablement réparties on domine une assemblée entière de 100 personnes. Voilà le résultat du système qu’on vous propose.
Je vais vous donner un autre exemple, je ne fais que changer les chiffres. Je suppose une ville ayant 2,000 électeurs. La majorité est de 1,001 électeurs. Qu’on divise la ville en dix sections, l’opinion qui aura la majorité dans six sections aura la majorité dans le conseil. 101 voix dans une section y font la majorité. Au moyen de 606 voix on obtient donc la majorité dans six sections, ainsi dans le système de M. de Theux 606 électeurs font la loi à 2,000 ! C’est le gouvernement représentatif retourné contre lui-même. Une élection pareille, qui donne à la minorité le moyen de dominer la majorité, c’est une amère ironie ; c’est plus révoltant que l’absolutisme ; car l’absolutisme peut soutenir qu’il est dans l’esprit de la majorité. Ici c’est une minorité constatée qui triomphe ; un système qui donne à la minorité le moyen de dominer la majorité est un système qu’on peut qualifier de révoltant.
Ce qu’on essaie ici, on l’a essayé ailleurs. Voici ce que disait de cette substitution de la minorité à la majorité un homme dont la parole a un grand poids : « L’élection par la minorité (disait M. Royer-Collard) est un mensonge. Que si, sous prétexte d’organiser les collèges, on va jusqu’à vouloir charger la loi de transférer audacieusement les élections de la majorité à la minorité, ce qu’on lui demande ce n’est pas seulement la violation de la charte, ce n’est pas seulement un coup d’Etat contre le gouvernement représentatif, c’est un coup d’Etat contre la société ; c’est une révolution contre l’égalité, c’est la vraie contre-révolution. »
Voilà ce que disait M. Royer-Collard d’un système qui permettait à la minorité de dominer la majorité.
M. Dubus (aîné). – Quel système ?
M. Devaux. – Un système qui, comme je le disais, permettait à la minorité de dominer la majorité, comme le fait celui qu’on nous propose. Je l’ai prouvé par des chiffres qu’on ne réfutera pas.
M. de Theux, rapporteur. – J’y répondrai.
M. Devaux. – Fort bien, nous verrons.
Je voudrais bien dire sur ce projet de loi ma pensée tout entière, mais je voudrais aussi ne pas blesser des membres dont je respecte les opinions. Je conçois toutes les dissidences d’opinions. Je sais respecter les opinions les plus opposées aux miennes quand elles sont sincères ; je n’ai de mépris que pour ceux qui défendent des opinions, qu’ils ne partagent pas. Hier un honorable membre a déclaré que son intention n’était nullement de toucher à la loi électorale ; que si l’on proposait une modification à la loi électorale dans le même sens que la modification proposée à la loi communale, il la combattrait. Je crois pleinement à la sincérité de cette déclaration, mais permettez-moi d’ajouter qu’elle est fort isolée ; permettez-moi de vous dire que si plus tard on proposait cette réforme, il la combattrait sans doute ; mais qu’arriverait-il ? Que peut-être, comme dans d’autres circonstances, il se détacherait seul, ou presque seul, et que peut-être alors aussi il serait remplacé dans les rangs de ceux dont il se séparerait momentanément par des hommes sortis d’autres rangs qui diraient qu’ils ne voient dans la mesure proposée qu’une question purement administrative.
L’honorable M. de Theux n’a pas, je pense, été si loin ; il a dit qu’en faisant sa proposition à la chambre, il n’avait pas pensée à la réforme de la loi électorale. C’est possible, mais ce n’est pas s’engager beaucoup pour l’avenir. Cette question n’est pas venue, mais elle peut venir.
En France, lorsqu’en 1820 on a demandé le fractionnement des collèges départementaux, cette mesure d’où a fini par sortir une révolution, beaucoup des membres la représentaient comme purement administrative. Il fallait rapprocher l’urne électorale de l’électeur. L’électeur avait trop de peine. Trop peu d’électeurs se rendaient au chef-lieu du département. C’était par intérêt pour l’électeur qu’on créait de collèges d’arrondissement. Voilà ce que beaucoup d’orateurs disaient, quelques-uns probablement de bonne foi. Les partis ont en quelque sorte des impulsions instinctives. On ne s’avoue pas son but, mais on marche vers ce but. Chaque jour on fait un pas, une partie de ceux qui marchent ne découvrent le but que lorsqu’ils en sont déjà très rapprochés.
Je veux tout dire dans cette discussion : il y a une opinion dans cette chambre qui voit diminuer la majorité électorale qu’elle avait auparavant ; elle s’en afflige. Cela est naturel ; elle voudrait la conserver ; c’est naturel encore. Je conçois parfaitement que lorsqu’aux dernières élections, on a vu dans la plupart des villes les deux tiers des voix se prononcer contre les candidats appuyés par cette opinion et par le gouvernement, cela a dû lui faire une impression pénible. Mais lorsque dans la capitale, séjour de la noblesse catholique, avec tout l’appui du clergé, elle n’a pu réunir que 150 voix sur 900 ! je conçois qu’on se trouble, qu’on s’inquiète. Je conçois qu’on veuille retenir cette majorité ; mais il y a un grand danger dans les moyens dont on veut se servir à cet effet. Je remarque (je suis persuadé que plusieurs membres de cette opinion ne s’en aperçoivent pas), je remarque, dis-je, depuis quelque temps, une tendance à un système qui met la minorité au-dessus de la majorité. Plusieurs grands faits se sont passés qui décèlent cette tendance. Aussi vous avez vu, il y a un an, que lorsque, sur une question de cabinet, la majorité de cette chambre s’était prononcée dans un sens favorable au ministère d’alors, il a fallu que la minorité triomphât. A tout hasard, on s’est adressé à un corps qui s’est gravement compromis, et qui, peut-être un jour, regrettera vivement d’être intervenu dans cette question.
M. le ministre de l'intérieur est venu vous avouer qu'il était entré au ministère pour empêcher une majorité de se former ; avouant ainsi qu’il voyait une majorité arriver et que le gouvernement se faisait le soutien de la minorité.
Qu’avons-nous entendu à l’ouverture de la session ? nous avons vu dans la vérification des pouvoirs triompher, sur la permanence des listes, des doctrines qui mettent la minorité au-dessus de la majorité ; nous avons vu décider que dans des élections ou la voix d’un mineur, la voix de deux hommes incapables d’être électeurs avaient formé la majorité, cette majorité, c’est-à-dire en réalité la minorité, devait l’emporter. C’est toujours, vous le voyez, la même tendance.
C’est encore cette tendance que révèle le fractionnement des collèges électoraux réclamé par M. de Theux ; on voit que la majorité échappe dans les villes, et on veut faire prédominer la minorité.
On s’engage ainsi dans la guerre la plus imprudente ; on s’engage dans une guerre contre l’esprit des villes. Cette lutte, je n’hésite pas à le dire, est pleine de dangers pour ceux qui l’entreprennent. Les villes, savez-vous bien ce que c’est ? C’est la civilisation ; c’est l’industrie ; c’est la classe moyenne, la classe instruite ; c’est l’armée, c’est le tiers-état dans toute sa force. Les villes, ce sont les 99 centièmes de la forme morale de la société actuelle. Les villes ont de tout temps pour ainsi dire fait la force et la vie de la Belgique, il n’y a pas de pays où les villes soient si nombreuses et si rapprochées.
Il n’y en a pas où de tous temps elles aient exercé plus de prépondérance. Qu’on désire qu’elles ne soient pas sans contrepoids, je le conçois ; et que s’il y a dans le pays deux ou trois villes d’un esprit excentrique, on ne désespère pas de les contenir ; mais si les vingt ou trente principales villes de la Belgique sont amenées au même esprit, vous aurez beau faire, cet esprit finira pas envahir le gouvernement, le gouvernement y est condamné. Résignez-vous à cet avenir, car, pour l’empêcher, vous n’avez que des armes impuissantes : en envenimant la lutte, vous ne feriez qu’en grossir les conséquences. On ne fait pas la loi à une pareille force, car je me demande, où trouveriez-vous une force que vous puissiez opposer à l’esprit qui ait quelque force réelle et qui ne soit imprégné du même esprit. Il n’y a qu’une chose qui m’effraie dans cette guerre, c’est l’imprévoyance, c’est l’extrême faiblesse de ceux qui l’entreprennent.
Je voterai contre le projet de loi qui me paraît le commencement de cette guerre déclarée à l’esprit des villes, et qui consacre le principe électoral le plus odieux, celui qui donne à la minorité des électeurs les moyens de dominer la majorité. (Approbation.)
M. de Theux, rapporteur. - Malgré la vivacité des attaques dont le projet de fractionnement a été l'objet de la part du préopinant, je ne crains pas de dire que, s'il obtient la majorité dans la chambre, jamais projet ne sera plus populaire lorsqu'il aura reçu son exécution.
L'honorable membre nous dit qu'on s'attaque à l'esprit et à la composition des conseils communaux ; je répondrai que la loi rendra la liberté pratique du vote aux électeurs des grandes communes, liberté écrite dans la loi, mais qui n'existe pas en fait, parce qu’il est impossible qu'une réunion préparatoire ait lieu avec fruit, lorsque deux ou trois mille électeurs doivent y prendre part pour choisir un grand nombre de candidats. Or, quel est l'esprit des institutions représentatives, c'est à coup sûr la liberté du choix dans toute son étendue, dans toute sa vérité. Je pensé donc que, sous ce rapport, le projet est pleinement justifié.
La réforme électorale en Angleterre a été une révolution parlementaire ; c'est une révolution communale que nous introduisons. L’exemple est mal choisi. En Angleterre, messieurs, on touchait aux électeurs, on touchait au droit de nommer. On abolissait les privilèges des anciens bourgs, on touchait en un mot aux électeurs et aux éligibles. Ici, messieurs, rien n'est changé quant aux électeurs, rien n'est changé quant aux éligibles. Vous voyez donc que l'analogie n'existe en aucune manière.
La division des intérêts amènera des résultats extrêmes dans les conseils communaux ; tantôt on fera trop, tantôt on fera trop peu.
Ces craintes sont condamnées par ce qui s'est pratiqué dans les chambres et dans les conseils provinciaux. Dans les chambres on a fait de grandes choses ; on a également fait de grandes choses dans les conseils provinciaux.
En France, dit-on, le fractionnement des élections dans la commune a amené les déplorables résultats que l'on craint.
Je me suis informé auprès d'une personne qui était à même de connaître les résultats de la loi communale en France, et cette personne m'a déclaré qu'elle n'en connaissait pas d'inconvénients.
J'ajouterai que jusqu'en Angleterre on a remanié trois fois le bill des corporations en peu d'années ; si des inconvénients aussi graves que ceux qu'on veut vous faire craindre étaient résultés du système que nous vous présentons, certainement ce système aurait été le premier objet d'une réforme, mais il n'en rien été.
On s'est demandé quel était le système du bill des corporations en Angleterre ? Certes ce n'est pas à moi à en instruire l'honorable membre. Ce bill est imprimé, et je ne doute pas que l'honorable préopinant, qui s'occupe principalement de questions politiques, n'ait pris connaissance des institutions de l'Angleterre. Cependant je puis dire qu'en Angleterre l'élection est directe, et qu'en ce qui concerne les élections, c'était le même système que nous combattons aujourd'hui, que combattaient lord John Russell, lord Stanley et sir Robert Peel. Et ils se servaient des mêmes arguments dont nous nous sommes servis dans cette discussion.
Vous restreignez, dit-on, le choix du Roi pour les échevins. Je ne vois pas quelle espèce de restriction le projet apporte au choix du Roi. Je vois au contraire que, par le résultat pratique de la loi le choix du Roi sera bien plus libre qu'il ne l'est aujourd'hui ; et ici je rencontre cette autre objection, qu'aucun inconvénient n'est résulté de la loi de 1836. Les inconvénients pratiques qui sont résultés de cette loi en ce qui concerne le gouvernement, je les ai déjà signalés : c'est que dans plusieurs communes les élections avaient été telles que le gouvernement n'avait aucune espèce de choix. L'élection du conseil communal était en même temps l'élection indirecte du bourgmestre et des échevins. Ainsi le projet que nous défendons est, au contraire, de nature à faciliter le choix du Roi.
On a dû avouer que sous le régime de la loi de 1836 on avait vu un fâcheux exemple de la suprématie de l'intérêt de localité dans les grandes communes. Mais, messieurs, dans la discussion de la loi communale, en 1834, lorsque l'honorable M. Rogier était ministre de l'intérieur, il vous signalait déjà la domination de certaine partie d'une ville sur certaine autre partie, il vous donnait l'exemple d'une de nos grandes cités, et c'était un des motifs qu'il alléguait pour s'opposer à la nomination des échevins par le conseil ou sur la présentation de listes formées par le même conseil.
Ainsi, messieurs, nous défendons la réforme électorale dans les communes, non seulement au nom d'un grand principe d'équité qui doit, me semble-t-il, dominer toute législation et qui n’est pas susceptible de variation, comme on l’a dit, car ici ce n’est pas un principe arbitraire ; mais nous défendons aussi cette réforme par l’expérience des faits.
Ce que nous venons de dire répond à cette autre objection, que l'on n’a pas établi qu'il existât sous l'empire de la loi actuelle une uniformité d’opinion dans les conseils communaux. Je conviens volontiers que cette uniformité n’existe pas dans tous les conseils, mais je dis qu’elle existe dans plusieurs conseils et que c’est précisément par cette uniformité d’opinions que le gouvernement a été privé de toute la liberté d’action que la loi de 1836 voulait lui conférer. Car quand la loi décide que le Roi nomme le bourgmestre et les échevins dans le conseil, elle n’entend pas dire que la composition des conseils communaux sera telle que le Roi n’aura réellement plus aucun choix.
Le projet, dit-on, est plein d’arbitraire. Ainsi le fractionnement pour les élections communales va se faire selon le caprice de M. le ministre de l'intérieur. Il prendra telle rue dans telle section, telle autre rue dans une section tout à fait éloignée, et les électeurs de ces deux rues viendront se grouper pour former un collège électoral.
Messieurs, ce n’est pas ainsi que l’on combat une proposition de loi. Cet argument est, à mon avis, le plus faible de tous. Comment, lorsque le fractionnement devra se faire sur l’avis préalable des conseils provinciaux et de la députation permanente du conseil provincial, sous la responsabilité et le contreseing du ministre, qui lui-même vous a dit qu’il suivrait les divisions naturelles des quartiers et des sections, lorsque l’auteur du projet vous a fait la même déclaration, qu’il vous a exprimé la pensée et la portée de sa proposition ; je le demande, de pareilles suppositions sont-elles permises ? Et cela pour une loi qui doit recevoir son exécution, et son exécution complète, immédiatement.
En vain, messieurs, a-t-on cherché à vous effrayer en disant que si même la première répartition était faite d’après la raison, d’après ce qui existe dans les communes aujourd’hui, plus tard le gouvernement viendrait changer cette division lorsqu’il le trouverait convenable. Mais on oublie qu’aux termes du projet que j’ai présenté lorsque le gouvernement a adopté une première division entre les quartiers et les sections, le pouvoir du gouvernement est épuisé.
Il ne s’agit pas de remanier un premier fractionnement opéré. Et en effet, il serait impossible d’y procéder. Les dispositions de la loi s’y opposent de la manière la plus formelle.
On a été jusqu'à s'effrayer de la faculté laissée au Roi de désigner un nombre de conseillers à chaque section, en proportion de la population. Véritablement, messieurs, il y a de quoi s’étonner de cette frayeur. L’art. 19 de la loi communale, qui en 1836 n’a pas soulevé de graves objections, laissait au gouvernement bien d’autres pouvoirs. Le gouvernement déterminait, d’après la base de la population, le nombre d’échevins qu’aurait chaque commune ; il déterminait le nombre des conseillers qu’aurait chaque commune et le cens électoral d’après la population. Cette loi a été appliquée à 2500 communes, et nous sommes encore à attendre la première réclamation contre l’abus que le gouvernement a fait de cette faculté.
Au surplus, messieurs, cette première répartition faite, et d'ailleurs elle doit l’être d’après une règle précise et à laquelle il est impossible de contrevenir, car la population est un fait authentique officiel, la révision de cette répartition doit être faite par le pouvoir législatif, parce que le projet se rattache à l’art. 19 de la loi communale, qui déclare également que la première opération faite par le Roi, en ce qui concerne l’assignation du nombre des échevins et des conseillers, et la détermination du cens électoral dans les diverses communes d’après la population, tout cela est sujet à la révision, à l’expiration de la douzième année. Lorsque vous ferez cette révision, vous ferez également la répartition législative du nombre de conseillers par section.
J’ai eu beau déclarer qu’en assignant un minimum de quatre sections pour chaque commune, je n’entendais en aucune manière dire qu’on l’on augmenterait le nombre des sections en proportion de la population de la commune, de telle manière que pour une population de 40,000 âmes, il y aurait 40 sections ; j’ai, dès le premier moment que l’objection a été faite, protesté contre une simple éventualité ; et M. le ministre de l'intérieur a également protesté contre cette éventualité.
On vous a parlé d'un petit nombre d'électeurs qu'il y aurait dans chaque collège. Mais dans les communes populeuses, le nombre des électeurs est grand, parce qu'il y a beaucoup d'habitants aisés.
On a parlé de l'absence des électeurs aux élections communales. Mais ne voyez-vous pas que précisément cette absence prend sa source dans l'existence d'un collège unique pour l'élection d'une grande commune ? Quand un électeur ne pèse que pour sa quatre millième partie dans l'élection, il est peu tenté de perdre une journée pour assister aux élections. Mais lorsque, dans une section, on pourra élire un certain nombre de conseillers, que conséquemment le collège électoral sera moins nombreux, je pense que peu d'électeurs feront défaut ; et vous aurez alors une élection d’autant plus sincère, d’autant plus vraie que tous les électeurs auront concouru au résultat.
On a dit, messieurs, que le bourgmestre conseiller élu dans un quartier sera excessivement dépendant de ses mandataires. Pour moi, je ne crains pas de dire que le bourgmestre, en même temps conseiller, est, sous le régime de la loi actuelle, beaucoup plus dépendant qu'il ne le sera sous le système du fractionnement. En effet, messieurs, quelques estimables que puissent être ses qualités, il suffit qu’un seul de ses actes déplaise au parti dominant de la commune pour qu'il soit impitoyablement exclu.
Et ici je puis encore apporter l'autorité des faits. Nous sommes bien loin des élections communales, et déjà nous voyons la presse signale à l’animadversion des électeurs les bourgmestres les plus honorables, non seulement par leurs qualités publiques, mais aussi par leurs qualités privées.
Dans un quartier au contraire, dans une section, pensez-vous qu’un semblable esprit puisse dominer aussi facilement ? assurément non. Dans un quartier, messieurs, le bourgmestre sera d’autant plus sûr de sa réélection que ses qualités seront plus brillantes, plus distinguées. Il n’aura pas à craindre le résultat d’un vote librement émis ; ce vote sera bien apprécié par ses commettants, précisément parce que ces commettants auront confiance dans les lumières et le caractère de leur mandataire.
On demande de nouveau pourquoi nous n’avons pas reproduit la disposition de la loi française, qui fixe les élections d’une même commune à deux jours d’intervalle, et on a signalé l’inconvénient qui pourrait résulter des élections faites à même jour par les diverses sections, savoir qu’un conseiller pourrait être élu par plusieurs sections.
Déjà nous avons répondu à cette objection, que le système de la loi française présentait un inconvénient extrêmement grave, c’était de prolonger les élections dans une même commune pendant un grand nombre de jours. L’inconvénient qu’on a opposé à celui-là est de la moindre importance. En effet, qu’un conseiller soit élu dans deux sections, quel en sera le grave inconvénient ? Une des sections pourra être convoquée, si le conseil communal, si la députation permanente le juge nécessaire et cette élection d’une seule section, n’ayant pour objet qu’un seul conseiller, sera tellement pacifique, tellement simple qu’on s’en apercevra à peine dans la commune.
On vante la disposition exceptionnelle de l’article 5 de la loi de 1836, d’après laquelle un conseiller assigné à une section extra-muros, est cependant élu par tous les électeurs de la commune. Mais, messieurs, je ne trouve pas que cette disposition soit si équitable, car le conseiller ainsi élu ne représente pas la section extra muros, mais il lui est imposé ; nous en avons eu des exemples. Nous avons vu dans une ville élire pour une section extra-muros un conseiller qui avait exactement l’opinion politique dominante dans la ville, mais qui ne répondait en rien aux opinions de la section extra muros. Et pourquoi ce conseiller avait-il été nommé par la majorité du collège électoral ? précisément dans la crainte que ce conseiller extra-muros ne devînt échevin dans la ville.
La loi n’a pas seulement pour objet, dit-on, d’amener la représentation de la minorité et l’expression de ses vœux dans le conseil ; elle a bien plutôt pour objet de faire opprimer la majorité par la minorité. La majorité de quelques sections peut l’emporter sur la majorité des électeurs de la ville.
Cette objection, messieurs, est grave en apparence, mais elle est dénuée de fondement. La répartition des conseillers entre les diverses sections d’une commune ne doit pas se faire d’après le nombre d’électeurs habitant la section ou le quartier, mais elle doit se faire d’après la population de la section ou du quartier ; de la même manière que pour l’élection aux chambres, nous n’avons pas réparti dans le pays les représentants d’après le nombre des divers arrondissements. Telle est la prescription constitutionnelle, et c’est cette disposition constitutionnelle que nous étendons à la commue.
Toutes les objections que l’on a faites en ce point contre ma proposition, ne sont rien autre que la critique de la loi électorale des chambres que l’on semble cependant vouloir maintenir, ne sont rien autre que la critique de la loi provinciale. En effet, messieurs, pour les provinces aussi bien que pour les chambres, la répartition des conseillers se fait d’après la population ; et la répartition ainsi faite, c’est la majorité des électeurs de chaque canton, de chaque arrondissement, qui doit décider, et non pas la majorité des électeurs du pays, la majorité des électeurs de la province.
L’honorable M. Dumortier a seul, dit-on, protesté contre la réforme électorale. Moi, auteur de la proposition, je me suis bien gardé de déclarer que je n’entendais jamais toucher à la loi électorale pour les chambres.
En effet, messieurs, je ne l’ai pas déclaré, et je ne devais pas le déclarer mais ce que j’ai déclaré, c’est qu’en présentant le projet, je n’entendais poser aucune prémisse pour la réforme de la loi électorale. Et lorsque sur ce point j’ai gardé le silence, ce n’est pas que dans ma pensée il y eut lieu de réformer la loi électorale, mais c’est parce qu’il n’entre pas dans mes habitudes de me déclare sur les questions à venir.
Et ici, messieurs, je n’ai fait qu’imiter la prudence de l’honorable M. Lebeau, l’ami de M. Devaux que je combats en ce moment. Lorsque cet honorable membre, étant ministre des affaires étrangères, a été interpellé sur la question de la réforme électorale, qu’a-t-il répondu ? « Il ne s’en agit pas maintenant, mais nous ne pouvons enchaîner l’avenir, nous nous pouvons enchaîner notre opinion. Nous voulons conserver notre liberté. » Voilà ce qu’a répondu l’honorable M. Lebeau et ce que je réponds avec lui. On n’a pas plus de droit de tirer des inductions de ma réserve, qu’on n’avait de droit d’en tirer de la réserve de l’honorable M. Lebeau, et ici je lui rends le compliment qu’il m’avait adressé hier.
M. Lebeau. – Je n’ai pas proposé de réforme électorale.
M. de Theux. – J’ai déjà dit que la réforme électorale communale ne touche en rien la réforme de la loi électorale pour les chambres ; bien au contraire, ma proposition a pour but de mettre le système des élections communales en harmonie avec le système des élections pour les chambres. Dès lors je ne vois pas comment on peut s’obstiner à tirer de là des inductions telles que celles auxquelles on se livre.
« Les villes, a dit le même orateur, c’est tout ce qu’il y a de respectable, de fort ; les villes représentent les 99 centièmes du pays. » Messieurs, si nous voulions aussi montrer de la défiance, nous demanderions quelle est la conséquence à tirer de cette assertion ? C’est que la loi électorale est vicieuse, car les villes ne sont pas représentées dans la proportion des 99 centièmes de la population du royaume. « L’esprit des villes doit devenir l’esprit du gouvernement » ; mais si l’esprit des villes doit devenir l’esprit du gouvernement ce ne peut être que par les élections aux chambres ; il faut donc que l’esprit des villes soit représenté dans la proportion des 99 centièmes de la population ; or il faut pour cela la réforme électorale, il faut pour cela abaisser le cens des villes, il faut obliger les électeurs des campagnes à venir voter au chef-lieu de la province ; ce sont là des moyens de donner aux villes les 99 centièmes de la représentation nationale.
Voilà, messieurs, des assertions qui sont de nature à alimenter les défiances, et je m’étonne que lorsque l’on commet de semblables imprudences, on vienne aussi légèrement incriminer les intentions de ses adversaires.
M. de La Coste. - Messieurs, dans les paroles que j’ai prononcées au commencement de cette séance, j’ai invoqué le droit : un honorable membre m’a objecté que toutes les révolutions se sont faites au nom du droit ; mais, messieurs, il n’est pas une chose, quelque sacrée qu’elle soit, dont on n’eût abusé pour commettre les plus grands excès, pour donner lieu aux malheurs les plus déplorables, je ne vois pas que ce soit une raison pour ne plus invoquer ni le droit ni la religion, ni la liberté ; ni rien de ce qu’il y a de plus cher et de plus sacré sur la terre.
L’honorable M. Devaux a dit que ceux qui appuient l’amendement font la guerre aux villes ; mais je demanderai à l’honorable M. Devaux, qui a beaucoup de logique, si ce n’est pas là une véritable pétition de principes ? car la question est précisément de savoir si la mesure proposée est utile aux villes, ou si elle leur est contraire ; que l’on me démontre que la proposition est contraire aux villes, et je la repousserai. Je connais, moi, des cas où le système actuel est très funeste aux villes, non pas dans des questions politiques, mais dans des questions d’intérêt matériel, les seules qui concernent les conseils communaux.
L’honorable M. Devaux a soumis à la chambre des calculs où il a oublié de tenir compte d’une chose ; il a dit ; supposez qu’il y ait dans une commune 2001 électeurs divisés en 10 collèges, la majorité de chaque collège sera de 101 de sorte qu’avec 606 électeurs vous pouvez avoir la majorité dans six collèges et faire passer ainsi la majorité du côté de la minorité. Mais, messieurs l’honorable membre suppose non seulement que les 606 électeurs dont il parle sont répartis en nombre égal entre six collèges, mais il suppose encore que dans les autres collèges il n’y a pas de minorité, or c’est là une chose impossible. Lorsque l’on procède par hypothèse, il faut poser des hypothèses probables et non pas des hypothèses dont la réalisation est impossible.
L’honorable M. Devaux choisit pour exemple une ville où il y ait 2001 électeurs divisés en 10 collèges ; cela fait 200 électeurs par collège ; eh bien, supposez seulement une majorité moyenne de 120, il faudra 840 voix pour avoir la majorité dans 6 collèges, mais alors vous devez supposer une minorité quelconque dans les autres. Prenons seulement 60, cela donnera encore 240 voix. Donc pour obtenir le résultat supposé, pour le rendre quelque peu vraisemblable, il faut au moins que la prétendue minorité soi une véritable majorité, une majorité de 1080 contre 921.
J’abandonne ces calculs à la chambre. Quant à moi ils me paraissent détruire complètement ceux de l’honorable M. Devaux.
M. Devaux. - Je dois répondre un mot à l’honorable M. de La Coste. D’abord l’honorable membre demande s’il ne serait plus permis d’invoquer le droit, la religion, lorsque l’on fait des lois. Certainement, messieurs, lorsqu’on fait des lois, il faut prendre le droit pour règle de sa conduite ; mais je dis que quand l’on professe des principes de stabilité, la raison de droit, la théorie ne suffit pas pour renverser les institutions existantes ; je dis que lorsqu’on veut changer les institutions existantes, il faut démontrer qu’elles ont amené de mauvais résultats, et il ne suffit pas alors d’invoquer le droit, parce que toutes les majorités peuvent invoquer de prétendus droits ; des majorités peuvent renverser toutes les institutions du monde, au nom d’un principe aussi vague. Quand on veut changer les institutions qui existent, il faut prouver qu’elles fonctionnent mal, qu’elles portent de mauvais fruits. Admettre qu’on peut changer une législation existante au moyen de simples raisonnements théoriques, je dis que c’est se faire l’apologiste des bouleversements législatifs, que c’est livrer les institutions à des changements continuels, au caprice de toutes les majorités qui peuvent se succéder.
Quant aux calculs présentés par l’honorable membre, je n’ai qu’une simple réponse à y faire, c’est d’en appeler à l’arithmétique ; en présence de l’arithmétique, messieurs, invoquera-t-on le droit, il faut bien se rendre au résultat d’une addition ou d’une multiplication. Il est certain que quand vous avez dans une ville 2001 électeurs, répartis en dix collèges…
M. de Theux. - Il n’y aura pas dix collèges.
M. Devaux. – M. de Theux dit qu’il n’y aura pas dix collèges ; mais sa proposition ne s’oppose nullement à ce qu’il y en ait un pareil nombre, ni même un nombre plus grand. M. de Theux répond toujours par des protestations, il fait des lois avec des protestations (on rit) ; moi, j'aimerais mieux des lois avec des termes précis. Dans toute mon argumentation, j'ai prouvé que les dispositions proposées manquaient de précision, l’honorable M. de Theux ne m'a jamais répondu qu'en disant que telles n'étaient pas ses intentions ; mais il oublie toujours que tel est son projet.
Quant aux calculs que j'ai présentés, je dis que si vous avez 2000 électeurs partagés en dix collèges (et le nombre des collèges fût-il moindre, le résultat serait semblable), vous auriez dans chaque collège 200 électeurs ; qu’il nous suffira d'avoir la majorité dans six collèges pour avoir la majorité dans le conseil communal ; eh bien, il ne faut pour cela que 101 voix dans chacun de ces six collèges, ce qui fait 606 voix ; ainsi, avec 606 voix convenablement répartie, vous pourrez obtenir la majorité dans une commune où il y aura 2000 électeurs.
On objecte à cela qu'il y aura une minorité dans les autres collèges qu’il faut ajouter cette minorité aux 606 voix qui forment la majorité dont je viens de parler ; cela peut arriver, mais n'est pas indispensable ; il se peut que dans telle ville, il faudra sur 2000 électeurs, 7 ou 800 voix pour obtenir la majorité, mais ce n’est pas encore là une majorité, et il n’en est pas moins vrai qu’avec votre système, vous pouvez donner la majorité à la minorité et que tout ce qui est nécessaire pour triompher dans l’exemple cité, c’est 606 voix réparties dans six sections. Je dis qu’un système électoral qui renferme seulement la possibilité d’un résultat semblable est un système oppressif, puisqu’il permet à la minorité de se mettre au-dessus de la majorité.
M. Dubus (aîné). - Mais ce système existe pour la province.
M. Devaux. - Pour la chambre, pour la province, messieurs, il y a bien eu nécessité de faire nommer les députés par les diverses localités. On ne peut pas réunir tous les électeurs à Bruxelles pour faire nommer les membres des chambres ; il y a d'ailleurs dans le pays des intérêts divers qui doivent être représentés, mais dans les communes il n'y a pas eu jusqu'ici des intérêts différents dans les divers quartiers, cela n'existe pas ; ce serait la loi qui le créerait. Il y a toujours eu des intérêts d'arrondissements, mais ici vous créez, par votre propre fait des divisions toutes nouvelles, vous fractionnez l'unité de la commune, vous trouvez que l'élément primitif du pays n'est pas assez petit, vous y introduisez une division pour amener ce résultat, que le conseil communal ne représente plus l'esprit de la commune.
M. de La Coste. - Dans la supposition de M. Devaux, il faut admettre également une minorité dans les quatre autres bureaux, mais il faudrait qu’elle fût de 99 dans chaque collège, pour former avec les 606 voix des autres collèges une majorité de 1002. Mais, messieurs, la supposition de l’honorable membre n’est pas une hypothèse qui puisse se réaliser ; car pour cela il faudrait en quelque sorte trier les électeurs un à un ; c’est donc sur l’autre supposition que j’ai présentée que j’ai cru devoir appeler spécialement l’attention de la chambre.
M. Devaux. - Il n’en est pas moins vrai que 606 voix font la majorité dans six sections ; on ne détruira pas cela.
M. Rogier. - Messieurs, je me suis abstenu jusqu'à ce jour de prendre la parole dans cette discussion importante, où mon nom et mes actes ont été plusieurs fois rappelés. Ce n'est point pour présenter une apologie personnelle que je prends la parole ; je laisserai à part tous mes antécédents ; non que j'aie renoncé le moins du monde à aucun de mes principes, mais parce que si je devais revenir sur les antécédents, et pour moi-même et pour chacun de nous, il sortirait probablement de ma bouche des paroles trop désagréables pour plusieurs de mes collègues : j'ai voté, messieurs, contre le premier projet de loi, je voterai contre le deuxième projet, et je voterai également contre le troisième projet, qui a pour but des réformes dans la comptabilité communale.
J'appartiens, messieurs, à une opinion qui porte sur son drapeau : Ordre, liberté, progrès ; lors donc que je professe dans cette enceinte des principes de consistance, de stabilité politique, je n'entends point par là proclamer l'immobilité, le statu quo politique à perpétuité.
Non, messieurs, je suis ami des réformes, des innovations, mais c'est à une condition, à la condition que ces réformes soient démontrées utiles, que ces innovations soient nécessaires ne portent avec elle aucun danger, ne cachent surtout aucune arrière-pensée. Qu'on vienne proposer des innovations qui n’aient point ces derniers caractères, et je m’y associerai de bon cœur ; mais quand on vient proposer des innovations qui portent sur elles le cachet ineffaçable de la réaction, je les combattrai, messieurs, ces innovations, c’est du progrès en arrière, ce n’est pas du progrès en avant.
La loi qu'on nous propose, est-elle utile ? Doit-elle améliorer notre régime municipal ? Est-elle enfin tellement urgente qu'il faille la préférer, dans l'ordre de nos travaux, à beaucoup d'autres lois que je considère comme plus importantes et plus urgentes ?
Je dois répondre négativement à ces trois questions.
La proposition de l'honorable M. de Theux est-elle utile ? Messieurs, pour répondre à cette question, il faudrait se rappeler de quelle manière la proposition à été introduite dans cette enceinte.
Les réformes proposées par M. le ministre de l'intérieur étaient, au moins l’une d’elles, précédées d’une espèce d’enquête ; l’on avait constaté jusqu’à un certain point la nécessité de modifier la loi communale, en ce qui concerne le pouvoir exécutif. Mais quant à changer le système électoral, pour la formation des conseils communaux, je n’ai vu nulle part dans l’enquête la nécessité d’une telle réforme. M. le ministre de l'intérieur, qui sans doute, doit être attentif à tous les abus qui se passent dans les communes, et qui ne s’est pas fait faute de nous proposer des moyens de corriger ces abus, puisqu’il nous a apporté quatre projets à la fois, M. le ministre de l'intérieur n’a pas jugé devoir prendre l’initiative dans cette discussion ; j’ignore à l’heure qu’il est, quelle est son opinion. L’honorable ministre de l’intérieur a bien déclaré, dans le principe, que la proposition lui paraissait utile ; jusqu’ici nous attendons encore de sa part la démonstration de cette utilité.
Messieurs, on a bien voulu rappeler l’opinion que j’avais exprimée en 1834, sur la situation des certaines villes dont les habitants, dans quelques quartiers, ne parvenaient jamais à se faire représenter dans le conseil communal.
Je soutenais alors, contre l'opinion de beaucoup d'honorables membres, qu'au Roi devait appartenir l'élection directe des échevins dans le sein du conseil. D’honorables membres, M. Dechamps, entr'autres, voulaient que le Roi choisît le bourgmestre sur une liste de candidats ; c'était le système de beaucoup de membres ; l’honorable M. de Theux s'y était même rallié. Eh bien, je combattis ce système, je disais : il faut laisser au Roi la libre nomination du bourgmestre et des échevins, afin que, dans le cas où une minorité serait écrasée par la majorité dans un conseil, le gouvernement puisse en quelque sorte rétablir l’équilibre, en choisissant un échevin dans la minorité.
Voilà quel était le système que je défendais. Ce système était appuyé par M. le ministre de l'intérieur d'aujourd'hui ; il était combattu par d'honorables adversaires d’alors, qui soutenaient que nous n’avions pas à prendre souci de la minorité dans les communes, qu'il fallait que l'esprit des communes, quel qu'il fût, prévalût dans le conseil communal ; ici patriote, là même orangiste ; voilà jusqu'où on poussait alors la rigidité des principes, en ce qui concerne la liberté communale.
Eh bien, messieurs, l'abus que je signalais en 1834, il y a été porté remède par la loi de 1836. Il y a été porté, remède de deux manières, d'abord par l'art. 5 qui permet à la députation permanente d'assigner aux hameaux et aux sections séparés des communes, un certain nombre de conseillers ; on y a porté remède ensuite par la faculté laissée au gouvernement de nommer les bourgmestres et les échevins dans le conseil, sans liste de présentation.
Il est si vrai qu'on a porté remède à ces abus, que je n'ai pas ouï dire que dans aucune ville l'on se soit plaint que l'un ou l'autre quartier ait été privé de représentant dans le sein du conseil.
Je suis au regret de n'avoir pas sous les yeux des renseignements statistiques que je puisse offrir comme officiels ; en l'absence de ces documents, qui eussent jeté un si grand jour sur la question, j'ai dû m'en rapporter à la connaissance personnelle que je possède de ce qui s'est passé dans quelques localités.
Je faisais allusion en 1834 à la ville de Liége, je disais que cette ville avait un de ses quartiers dont les habitants n'avaient presque jamais pu se faire représenter au conseil communal, je parlais du quartier d'outre-Meuse, Eh bien, J'ai remarqué que depuis la loi de 1836, cinq à six habitants du quartier d'outre-Meuse figuraient dans le conseil communal de Liége ; dès lors le seul fait de l'exécution de la loi communale a obvié à l'abus que je signalais.
Maintenant pour la ville de Bruxelles, d'après les renseignements que j'ai dû puiser dans l'almanach, en l'absence de documents officiels, j'ai comparé le nombre des conseillers au nombre des sections, et j'ai trouvé que toutes les sections sont représentées dans le conseil communal ; à la vérité, elles ne sont pas représentées en nombre égal ; les sections les plus importantes, celles où il y a le plus de lumières, de richesses, d'industrie, possèdent au conseil un plus grand nombre de conseillers, mais enfin, toutes ont leurs représentants dans le conseil communal.
D'après le système de l'honorable M. de Theux, si je le comprends bien, nous arriverions, sous ce rapport, à de singuliers résultats.
La répartition des conseillers à élire sera faite, dit le § 1er d'après la population.
Est-ce à dire que les sections qui renferment le moins d'électeurs mais qui possèdent le plus d'habitants, c'est-à-dire les sections les plus pauvres, enverraient le plus grand nombre de conseillers au conseil communal ? Je crois que c'est la conséquence du § 1er.
Je suis grand ami des classes pauvres, je suis fort disposé à leur accorder toute espèce d'avantages matériels et moraux, mais j'avoue que je ne pousse pas l’esprit de liberté, le désir de popularité jusqu'à vouloir leur donner la prédominance dans les conseils communaux sur les classes éclairées, sur les classes industrielles et commerciales.
Eh bien, le § 1er de la proposition conduit à ce résultat que les sections les plus peuplées, c'est-à-dire, dans beaucoup de villes, les sections les plus pauvres, les sections qui ont beaucoup moins de riches, enverront au conseil communal beaucoup plus de conseillers que les sections riches et éclairées. Que penser d'un pareil système nous venant de la part d'un des chefs d'un parti qui se dit conservateur ?
Ainsi, messieurs, l'abus que je signalais en 1834 a cessé d'exister dans la localité à laquelle je faisais allusion ; un semblable abus ne s'est pas présenté dans d'autres localités, du moins on ne nous a pas fait connaître le nom ni le nombre des villes où l’abus existerait. Pas une pétition n’a été adressée à la chambre, pas une plainte, je pense, n’est parvenue au gouvernement.
Et d'ailleurs, messieurs, s'il y avait effectivement quelques abus, si certaines sections n'étaient pas représentées dans une proportion suffisante dans les conseils communaux, je dirais que les communes se trouvent absolument dans la même position que les provinces, que la chambre ; l’on pourrait trouver aussi que les villes ne sont pas représentées dans une proportion suffisante au sein des chambres ; l’on pourrait dire que les villes, par leurs richesses, par leur civilisation, par les arts, par leur force patriotique ont droit à une plus forte représentation dans cette chambre ; et cependant l’on ne vient pas demander pour les villes une plus forte représentation dans cette chambre.
Dans tous les cas, si cette injustice existait à l'égard de certaines sections dans quelques villes, je suis convaincu que, par le seul effet de la loi communale, on parviendrait à corriger ces imperfections. La loi de 1836 a déjà eu pour résultat de faire disparaître cette injustice dans la ville de Liége. Et l'on comprend aisément pourquoi cette injustice, partout où elle existe, doit nécessairement finir par être réparée. C'est que les électeurs , ou si vous voulez, le comité qui les dirige (il y en a dans tous les partis, comme vous savez), a intérêt à placer dans sa liste des candidats choisis dans toutes les sections, afin d'avoir le plus de voix possible.
Du reste, si l'on venait vous démontrer que systématiquement, invariablement certaines sections sont exclues du conseil dans certaines localités, eh bien, je serais le premier à m'associer à une réforme, mais à une réforme toute spéciale qui attribuerait, par exemple, à la députation permanente le droit d'assigner, dans ces localités, un certain nombre de conseillers aux sections déshéritées. Si l'on n'avait pas voulu changer radicalement l'esprit et le but de la loi électorale communale, voilà ce qu'on serait venu proposer ; voilà ce qu'on n'a pas fait, et sans vouloir offenser personne, j'en dirai franchement la raison, c'est que la mesure proposée et accompagnée du cortége des autres mesures, a une tout autre portée qu’une portée administrative ; il est maintenant démontré qu'elle a une portée toute politique.
Ainsi les inconvénients du système actuel sont nuls ; au moins ils ne sont pas constatés officiellement ; pas un seul inconvénient pratique n'a été indiqué ; dans tous les cas, s'il en existait, ils devraient être corrigés par des mesures spéciales, par des moyens qui ne sentent pas la réaction, la contre-révolution.
Messieurs, il est souvent question dans cette enceinte de l'esprit de clocher. Tous, tant que nous sommes, nous avons de la peine à nous défendre, quand l’occasion se présente, de dire un mot des localités qui nous ont envoyés dans cette chambre. Beaucoup de décisions, il faut le dire, sont prises par des vues d'intérêt local ; il suffit qu'un certain nombre d’intérêts locaux se coalisent pour faire triompher le principe d'une loi que quelquefois le pays n'adopterait pas. On considère donc que l'esprit de clocher est un inconvénient dans le sein d'une assemblée législative. C'est également un inconvénient dans les conseils provinciaux. On a quelquefois regretté que certaines provinces se laissent aller à faire des dépenses trop considérables, à construire trop de routes, à exécuter trop de travaux. D’où vient cet entraînement que je ne condamne pas d'une manière absolue, pour ma part ? De l'esprit de clocher. Savez-vous ce qui se passe dans les conseils provinciaux ? les conseillers s'accordent réciproquement la faveur d'une petite route. On se partage la caisse provinciale. Si on ne parvient pas à se donner à chacun une route, il arrive parfois que plus une route ne se fait dans la province, tout reste dans le statu quo.
Dans les villes, vous n'avez pas encore cette espèce de partage, de mise en commun des revenus en commun, vous n'avez pas encore ces transactions où chacun tâche d'attraper quelque chose pour soi et les siens. Mais ce système, vous allez l'introduire directement dans les conseils communaux. Ainsi, à l'avenir, les quartiers exigeront chacun pour eux un ouvrage quelconque, l'ouverture d'une rue, l'établissement d'une école, la construction d'une chapelle. Des réclamations seront adressées au mandataire spécial de telle paroisse ou tel quartier afin qu’il ait à mettre sa paroisse ou son quartier sur la même ligne que les autres.
Il y aura donc ou parfait accord entre les conseillers des divers quartiers, ou parfaite désunion : s'il y a désunion, le conseil ne fera rien, toutes les améliorations seront en souffrance. Si au contraire il y a parfaite union, il n'y aura certes pas là, contre les dépenses communales, le remède qu'on croit trouver dans la loi proposée. La caisse communale sera mise au pillage, ce sera à qui exigera qu'on fasse quelque dépense pour son quartier. Voilà un des résultats du système qu'on préconise, et sans doute ce ne sont pas de telles conséquences administratives qu'on veut obtenir.
Mais on a un autre but, un but plus élevé à atteindre, de manière qu’on ferme les yeux sur les inconvénients administratif.
On vient, dit-on, au secours de la minorité. On veut que la minorité soit représentée dans le sein du conseil communal. Je le veux aussi, la loi communale le veut aussi. Elle n'est nullement contraire à ce résultat, car dans tous les conseils communaux, il y a une minorité, il y a une opposition. Hier on regrettait d'une part qu'il n'y eût pas d'opposition dans les conseils communaux, et un instant après, on est venu citer un conseil communal où, disait-on, l'opposition était allée jusqu'à causer la mort d'un respectable bourgmestre ; on reprochait aux conseils communaux d'être d'une seule couleur, et ensuite on citait une ville où l'opposition aurait été tellement rude qu'elle avait forcé un bourgmestre à donner sa démission et à se retirer des affaires publiques. Partout il existe, dans les conseils communaux, une opposition vive, très vive et peut-être trop vive dans quelques-uns.
Si, messieurs, vous voulez prendre la défense de la minorité, je soutiens que le système actuel est favorable à la minorité. Avec une liste de quinze ou vingt membres, il faut qu'une opinion soit bien malheureuse pour ne pas parvenir à faire passer trois ou quatre des siens. Voyez ce qui est arrivé dans la ville de Bruxelles, aux dernières élections de la chambre.
Il y avait un assez grand nombre de représentants à nommer ; chaque opinion a pu placer le sien ; dans une ville où la majorité appartient incontestablement à une seule opinion, toute opinion a pu faire entrer son représentant dans la liste. Quand au contraire les électeurs n'ont eu à voter que sur un seul candidat, vous avez vu avec quel fracas est tombé le candidat de la minorité, et quelle immense majorité de voix il y a eu en faveur du candidat de l'opposition.
Je dis que si vous voulez garantir à la minorité d'être représentée dans le conseil, il vaut mieux qu’il y ait des listes nombreuses, que des listes de deux ou trois candidats, parce que, je le répète, dans les listes nombreuses, la minorité trouve toujours moyen d'introduire quelques membres qui lui appartiennent.
Je dis, messieurs, que je ne pouvais pas voir une loi purement administrative dans le projet présenté par l'honorable M. de Theux. Quand je vois les phases qu’ils a déjà subies, sans compter celles qu’il doit encore subir, je dois dire que son auteur n'avait pas, en le présentant, de pensées bien arrêtées au point de vue administratif. Le 14 mai dernier on proposait de faire voter les élections par série, mais à tour de rôle. Il y a quelques jours, on est venu dire qu'on renonçait à ce système, et proposer de faire voter toutes les sections simultanément. Le 14 mai, il fallait faire alterner les élections, parce qu’il y avait un grand inconvénient à mettre en mouvement une masse de trois à quatre mille électeurs, l'ordre public pouvait même s'en trouver compromis. Il y a trois jours ou est venu proposer de faire voter en une fois tous ces électeurs qu'on craignait, le 14 mai, de réunir en masse. Vous voyez qu'il n'y a pas accord entre la proposition d'un jour et celle du lendemain.
Messieurs, j'ai dit que cette loi avait un caractère politique, Plus je l'examine, plus je vois qu'elle a pour origine la défiance qu'inspirent les villes où règne un esprit qui ne convient pas à toutes les opinions. On cherche à combattre cet esprit, à l'éteindre par tous les moyens.
Celui qu'on propose n'est peut-être que le prélude de ceux qui nous sont réservés. On a chassé l'opinion libérale, à titre d'opinion indigne du gouvernement, on a fait tout ses efforts pour la chasser de la chambre. Tout récemment aux élections provinciales, nous avons vu cette opinion poursuivie dans la personne d'hommes très modérés. Mais l'opinion libérale s'est réfugiée dans nos villes où elle tient bon contre toutes les attaques, comme dans une citadelle inexpugnable. On veut aujourd'hui faire une brèche à cette citadelle. Il est possible que quelques soldats aventureux y pénètrent, mais je vous je prédis, le corps entier n'y pénétrera pas. Vous aurez beau essayer des lois de parti, d'expédient ou de circonstance, l'opinion libérale est au sein des villes, elle n'en sortira pas.
Je voudrais bien savoir d'ailleurs ce qu'on est en droit de reprocher aux villes. Qu'ont-elles fait pour mériter les antipathies de telle opinion, surtout pour que le gouvernement vînt s'associer à ces antipathies, à ces répugnances, à ces combats qu'on leur livre ? Les villes, vous ne pouvez le nier, sont le berceau de la révolution. Sans les efforts des municipalités, tous tant que vous êtes, vous gémiriez encore, et vous à qui je parle plus amèrement que d'autres, sous le joug hollandais ! Les campagnards ont aussi apporté le tribut de leur sang, sont venus joindre leurs efforts aux efforts des villes ; je suis loin de vouloir nier la reconnaissance que nous devons aux habitants des campagnes, mais ce sont les villes qui ont donné l'élan, l'ont soutenu, et ont fait triompher la révolution.
Les villes, à cette occasion, ont eu des dépenses très considérables à supporter. Entraînés ensuite par un plan d'amélioration, quelques-unes fait des dépenses extraordinaires. De ce chef, elles ont été l'objet d'accusations de toute espèce. A entendre certains orateurs on dirait que les villes ont été livrées à des dilapidateurs, à des magistrats sans ordre, sans économie, n'ayant à cœur que de ruiner les électeurs qui les avaient nommés.
Savez-vous pourquoi on veut jeter de la défaveur sur l'administration de nos villes ? C'est, non pas parce qu'elles sont prodigues, mais parce qu'elles sont libérales. Y a-t-il un ministère libéral ? on crie aussitôt : C'est un ministère dépensier, un ministère dilapidateur. Un conseil provincial est-il libéral ? dilapidateur. Un conseil communal est-il libéral ? dilapidateur des deniers publics. Voilà comment on traite nos magistrats municipaux. On ne tient aucun compte de la sagesse, du patriotisme des services rendus, des améliorations de toutes sortes que les villes ont reçues sous leur administration, des embarras dont les villes ont eu à sortir par suite de leurs efforts en faveur de la révolution.
Il n’y a pas de justice dans cette défiance que nos villes inspirent. Elles respectent l’ordre, les lois y sont exécutées comme elles ne le furent jamais, leur esprit est excellent, elles ont soutenu le gouvernement chaque fois qu’il a proposé une mesure patriotique, elles ont toujours suivi son élan ; malheureusement dans beaucoup de circonstances, les vœux de ces villes ont été froissés ; il n’en a pas été tenu compte. Elles ont été considérées comme n’existant pas.
La réforme que vous allez introduire jettera des germes nombreux de mécontentement dans les villes. Dieu préserve le pays d'agitations nouvelles ! Pour ma part, je le redoute beaucoup. Si vous voulez fournir un aliment permanent à l'opposition dans nos villes, vous ne pouvez rien faire de mieux que d'insérer au Bulletin officiel les deux ou trois lois que vous avez votées et que vous allez voter. Oui, vous posez l'art 1er du programme d'une opposition qui pourra jeter plus tard le pays dans de grands embarras.
Si la chambre n'avait rien de mieux à faire, si nous n'avions pas à nous occuper de réformes plus ou moins utiles, si tout ce qui était à faire était fait, je comprendrais qu'on s'occupât de la révision des lois provinciale et communale. Mais, en fait de loi à réformer, il me semble que s'il y a un tour de faveur à donner, ce devrait être pour les lois les plus anciennes. L'ancienneté pour une réforme est en quelque sorte un titre. Eh bien, je vais vous rappeler en peu de mots les réformes que nous avons à faire. Dès 1834, il a été présenté aux chambres un projet de réforme du code pénal. Ce code date de 1810. Depuis 1810, on a fait bien des progrès, les nécessités sociales ont pu changer, on a pu reconnaître la nécessité de modifications. Depuis 1834, la révision du code pénal est restée à l'état de projet. Je ne crois pas qu'il ait été examiné dans les sections,
M. Dubus (aîné). - Il a été renvoyé à l'examen des cours et tribunaux.
M. Rogier. - Je ne sais pas ce qu'ont fait les cours et tribunaux. On aurait pu leur rappeler que la chambre désirerait avoir leur avis.
La loi sur la milice intéresse aussi un grand nombre de personnes de la classe pauvre. C'est une des lois les plus onéreuses pour le peuple ; elle date de 1817, de 1820. Il y a beaucoup à réformer dans cette loi.
La garde civique, l'honorable M. de Garcia a dit que c'est parce qu'il voulait que son organisation fût bonne qu'il votait pour la nomination du bourgmestre en dehors du conseil. Eh bien, avant de régler le mode de nomination du bourgmestre, n'aurait-il pas fallu une loi qui réorganisât la garde civique. Voilà encore une institution qui réclame des réformes urgentes, et c'est une institution qui peut être très utile au pays.
Toutefois, avant d'aborder ces réformes, il faudrait que vous eussiez achevé vos propres institutions. La Belgique manque encore d'institutions capitales dont des projets sont soumis à la chambre depuis nombre d'années ; je veux parler de l'instruction publique ; c'est l'organisation du pays entier au point de vue intellectuel et moral. Voilà huit ans que le pays attend cette loi, et que de session en session un certain côté de la chambre en éloigne la discussion. Qu'on repousse la loi, qu'on dise, ainsi que l'a fait l'honorable rapporteur, que le gouvernement est incapable d'intervenir dans l'instruction, soit ; le pays saura à quoi s'en tenir ; les communes redoubleront d’efforts et les provinces les aideront pour ne pas abandonner l'instruction au bon plaisir d'une seule opinion.
Cette session de 1841-1842, qui devait être si féconde, où l'on devait bannir tout esprit de parti, va mourir péniblement stérile pour le pays. Vous qui êtes en ce moment à la tête, je ne dirai pas à la disposition d'une opinion qui a de la force dans cette chambre, il faudrait profiter de cette position transitoire pour donner au pays les institutions qui lui manquent.
M. Rodenbach. - Les rapports sont prêts.
M. Rogier. - Depuis 3 ou 4 ans, le rapport est toujours prêt ; il sera prêt au moment où nous nous séparerons. C'est une loi que vous deviez au pays avant de toucher aux institutions communale et provinciale.
Vos comptes, les comptes du pays, voilà onze ans qu'ils attendent une loi qui les règle. Quoi ! vous accusez les communes de mal tenir leur comptabilité ; vous demandez des lois à la chambre pour réviser la comptabilité communale ; les communes ne savent pas régler leurs comptes, et voilà 11 ans que la chambre est saisie des lois des comptes, sans avoir eu la force de les arrêter. Je ne viens pas pour cela demander la réforme de l'institution de la chambre. Je crois que l'institution de la chambre est bonne, quoique, depuis onze ans, elle n'ait pas adopté des lois de comptes ; mais je crois aussi qu'il ne faut pas réformer l'institution des communes, parce qu'il y a eu quelques abus dans leur comptabilité.
Vous allez avoir à vous occuper d'une loi bien importante où j’attends les partisans nouveaux, de la centralisation, du pouvoir central, du pouvoir fort ; je veux parler de la loi de la capitale. Vous voulez donner, dites-vous, du relief, de la force au pouvoir. Vous voulez le faire respecter. Moi aussi, je le veux, je l'ai toujours voulu, je le voudrai toujours ; je l'ai voulu dans la loi communale ; je le voudrai dans la loi de l'instruction publique ; je le voudrai dans la loi de la capitale, où vous avez tout à faire pour la centralisation. Car vous avez beau entourer la royauté d'un cortège de lois plus ou moins bien combinées, en vain dans vos lois vous donnerez de la force au gouvernement dans l'état où est la capitale : le pouvoir ne peut se poser noblement, honorablement devant le pays. La capitale où il siège est à l'état de faillite. Cette situation jette un fâcheux reflet sur le pays tout entier. On a rendu le pays responsable des malheurs d'une banque qui portait son nom. On le rend responsable des malheurs de la ville que la constitution a déclarée la capitale du royaume. C'est là que nous ajournons les partisans du pouvoir fort, de la centralisation.
Je ne m'associe pas à vos lois réactionnaires d'aujourd'hui, parce qu'elles ne donneront, suivant moi, ni force, ni relief au pouvoir ; parce qu’elle ne lui créeront que des embarras. Mais quand il s’agira de mesure en faveur de la capitale, nous pourrons nous donner la main, vous me trouverez sur les mêmes bancs, professant les mêmes principes qu’en 1834, 1835 et 1836.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Je ne veux pas récriminer à mon tour, je pourrais dire cependant que c'est encore le ministère actuel qui a osé porter devant cette chambre, entre autres la dernière question dont vient de vous entretenir l'honorable préopinant ; je pourrais ajouter que, quant aux autres questions dont il a parlé, c'est sous le ministère actuel que l'instruction de ces questions a été poussée jusqu'au dernier point. Le rapport sur l'instruction supérieure a été déposé, le rapport sur l'instruction primaire le sera probablement demain ; si nos travaux en sont arrivés là, c'est parce que le ministère actuel a présenté spontanément un rapport sur l'instruction primaire, rapport sans lequel le projet de loi était selon moi impossible, et la discussion, elle-même, impossible.
Je regrette avec l'honorable préopinant que la première loi qui a été votée hier, ait entraîné une si longue discussion, mais je pourrais dire : Pourquoi a-t-on donné une proportion démesurée à ce débat ? Pourquoi, à l'occasion du projet primitif, que la très grande majorité de cette chambre eût été disposée hier, je ne sais par quel revirement, à accepter, a-t-on, en dehors de cette chambre, remué le pays, créé des préventions contre lesquelles il a fallu lutter pendant un mois entier ! Cependant, je le répète, c'est ce projet primitif que, si nous avions voulu accepter une transaction, eût été voté à une très grande majorité. (Interruption.)
On me dit qu'on l'eût voté comme pis-aller ; mais vous l'auriez voté ; si l'amendement de M. Mercier avait été accepté par nous, la loi eût été adoptée à une majorité beaucoup plus forte qu'elle ne l'a été.
Et cependant ce projet, qui eût obtenu les deux tiers des voix, je n'en doute pas, est le même projet primitif avec lequel, je le répète, on a remué le pays en dehors de cette chambre.
Ce n'est donc pas à nous, messieurs, qu'il faut reprocher cette longue, trop longue discussion. (Murmures, interruptions.)
Tout à l’heure on m'engageait de ce côté à parler ; je désire, maintenant que je parle, qu'on veuille bien m'accorder ce qu'on accorde à tous les orateurs, le silence.
M. Rogier. - Je ne sais à qui vous vous adressez. Quant à moi, je vous écoute et je ne dis rien.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, je ne pense pas que la chambre veuille manquer à sa mission ; je ne regarde pas la session actuelle comme close ; j'espère que la chambre, après un ajournement devenu nécessaire, reprendra ses travaux et fera disparaître quelques-unes des questions indiquées par l'honorable préopinant. Je fais avec lui le vœu qu'il a émis, nous nous retrouverons probablement quelquefois sur le même terrain ; je l’espère, nous arriverons à une solution que désirent tous les hommes modérés, amis de leur pays.
J'ignore quels sont les vœux légitimes des villes qui ont été foulés aux pieds. Je me demande même où est cette lutte qu'on nous signale entre le gouvernement central et les grandes villes. Il fut un temps, messieurs, l'honorable préopinant doit se le rappeler, où il y avait une lutte entre le gouvernement central et les grandes villes. Cette lutte aujourd'hui n'existe plus ; en rappelant cette ancienne lutte, ce n'est pas que je veuille faire un reproche à l'honorable membre. Au contraire, je la rappelle comme un titre de gloire pour lui, cette lutte contre quelques villes, il l'acceptait en 1834 avec courage, avec fermeté ; alors il osait combattre certaines opinions qui s'associaient à ces luttes dans les grandes villes.
Cette loi, messieurs, n'est pas la guerre déclarée aux grandes villes. La proposition n'a pas été faite par le gouvernement, mais il l'accepte, et je dirai en peu de mots pourquoi.
Il faut, dit-on, que l'unité communale soit représentée, et elle l'est par des élections en quelque sorte faites en masse ; je crois, messieurs, qu'on se fait ici illusion. Ce sont les intérêts divers qui existent dans une commune qui doivent être représentés.
Dès lors, messieurs, qu'avons-nous à nous demander ? c'est de savoir quel est le mode d'élection qui constate le mieux, le plus sûrement la représentation des intérêts divers qui existent dans une grande commune.
Les honorables membres qui ont attaqué la proposition, ont reconnu la justesse de la pensée qui a dicte l'article 5 de la loi communale, article d'après lequel dans les communes composées de plusieurs sections ou hameaux détachés on peut assigner à chaque section ou hameau quelques conseillers qui n'en sont pas moins élus par les électeurs pris en masse.
Cet article s'applique principalement aux villages, aux campagnes. Ce que l’on fait pour les campagnes, on ne le fait pas pour les grandes villes du pays ; il faut ici un autre remède.
M. Delehaye. - On le fait à Gand.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - On le fait à Gand, où il y a une partie de la ville extra muros ; mais il n'en reste pas moins vrai que la ville de Gand qui, intra muros, à une population de 90,000 habitants, ne jouit pas du bénéfice dont jouissent les moindres communes rurales partagées en plusieurs sections, comprenant plusieurs villages.
Nous devons maintenant nous demander si dans cette ville de 90,000 habitants, il n'y a pas des intérêts distincts, correspondant à des subdivisions de quartiers. Voilà ce que nous avons à nous demander. Et je dis que qu'il est constaté, et on ne peut le nier, que dans toutes les grandes villes il y a des intérêts divers correspondant à l'antique division par quartiers, je dis que ces villes ne sont pas aujourd'hui, pour la représentation véritable, dans une position aussi favorable que le sont les communes rurales. Là est donc toute la question. (Interruption.)
Est-il vrai, oui ou non, qu'il y a dans nos grandes villes des intérêts divers, des intérêts distincts correspondant à la subdivision de ces villes par quartiers ? On ne saurait le nier ; on est forcé de répondre affirmativement.
Qu'arrive-t-il avec le mode actuel d'élections ? c'est un mouvement général qui détermine le choix des conseillers ; ce n'est pas une appréciation des intérêts qui existent dans ces villes par quartiers.
Maintenant qu'il me soit permis, aux chiffres de l'honorable M. Devaux, d'opposer un autre chiffre. Je suppose une ville où il y a 4,000 électeurs ; 2001 forment la majorité. Je suppose en outre cette ville subdivisée de tout temps, depuis longtemps, en 8 sections. Ces 2001 électeurs formant la majorité, peuvent très bien n'appartenir, qu'à cinq quartiers, par exemple. Eh bien ! ce sont ces 2001 électeurs appartenant à cinq sections seulement, qui disposent des destinées de la commune.
Un membre. - C'est la majorité des voix.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C'est la majorité des voix, dit-on. Il ne faut pas considérer, je le répète encore, d'une manière aussi abstraite, le choix électoral, l'action électorale dans la commune. Je dis que les 2001 électeurs appartenant à cinq quartiers, n'en sont pas moins étrangers aux intérêts des trois autres quartiers, lesquels restent ainsi sans représentation, sans organes.
Ainsi, une commune rurale composée de trois villages distants de quelques minutes, peut, aux termes de l'art. 5 avoir une représentation plus réelle qu’une ville composée de huit quartiers, par exemple, mais qui ne sont pas distants de quelques minutes l’un de l’autre, qui existent par juxtaposition.
On demande pourquoi il n'a pas été fait d'enquête sur cette question. Mais il serait bien difficile, messieurs, de faire une enquête sur une objection de ce genre. C'est une question que nous devons apprécier d'après l'expérience quotidienne de chacun de nous. Nous devons nous demander de quelle manière se font en ce moment les élections dans les grandes villes. Et je dois avouer, pour ma part, que, d'après l'expérience que j'ai acquise, c'est un mouvement général qui détermine le choix des conseillers communaux, et non pas l’appréciation des intérêts divers qui existent dans des grandes communes.
Ainsi, pour écarter la proposition qui vous est soumise, il faut soutenir qu'il n'existe pas dans les grandes communes des intérêts distincts correspondant à l'antique division de ces grandes communes en quartiers.
A mes yeux, la proposition n'a donc pas pour but, comme l'ont dit plusieurs honorables préopinant, d'assurer à la minorité la supériorité dans la commune. Selon moi, la proposition a pour but d'assurer une représentation dans la commune aux différents intérêts communaux qui y existent et qui correspondent, je suis forcé de le répéter, à l'antique subdivision par quartiers.
On vous l'a déjà dit plusieurs fois, messieurs, les élections nationales se font par subdivisions ; ce n'est pas la nation en masse qui vote, bien qu'un vote en masse ne soit pas une chose tout à fait impossible. Le président, aux Etats-Unis d'Amérique, est nommé par un vote en masse, au moyen des votes recueillis dans le pays tout entier. La représentation provinciale ne se forme pas par un vote en masse des électeurs de la province, mais par une subdivision de cantons. On a supposé qu'il y avait des intérêts divers, attachés à ces subdivisions.
Il n'y a que la commune où il y ait un vote en masse. Il faut donc en conclure que, dans les communes, il y a homogénéité parfaite d'intérêts, et non pas diversité d'intérêts. Or, en fait, on ne saurait nier que dans les communes il y a diversité d'intérêts, et que cette diversité d'intérêts correspond à une antique subdivision de la commune.
Vous avez, messieurs, un triple mouvement électoral : vous avez le mouvement électoral purement politique, qui amène la formation des chambres. Ce mouvement est purement politique ; il doit l'être ; avant tout ce sont des idées politiques, des idées générales qui dominent ici.
Vous avez un deuxième mouvement électoral, qui amène la formation des conseils provinciaux. Ici le mouvement électoral n'est plus politique ; c'est un mouvement électoral qui se détermine d'après l'appréciation d'intérêts qui sont censés correspondre à la subdivision de la province par cantons.
Vous avez enfin un dernier mouvement électoral, qui doit encore être moins politique que le mouvement électoral que nécessitent les élections provinciales, c'est-à-dire le mouvement électoral qui se produit dans la commune. Or, je dis qu'avec le mode d'élections actuellement en vigueur, ce mouvement électoral dans la commune, qui devrait être dépourvu de tout caractère politique, n'est qu'un mouvement général, purement politique : un mouvement qui jusqu'à un certain point se confond avec le mouvement électoral général qui doit produire la formation des chambres ; eh bien, cela ne doit pas être ; nous ne l'avons pas voulu. J'en appelle à vos discussions, à celle de la loi provinciale, par exemple : j'en appelle, entre autres, à cette disposition que vous avez eu soin d'inscrire dans plusieurs lois organiques et par laquelle vous déclarez les fonctions législatives incompatibles avec le mandant de conseiller provincial, par exemple.
Le mouvement qui, dans la commune, doit produire la formation du conseil communal est un mouvement, selon moi, en dehors de toute idée de politique générale ; c'est un mouvement qui doit avoir uniquement pour objet de donner satisfaction aux intérêts divers qui existent dans la commune. Or, je le demande de nouveau, est-ce ainsi que les choses se passent ? C'est cependant là qu'est toute la question, et je m'efforcerai d'y ramener sans cesse votre attention.
C'est très sincèrement que je veux que le mouvement électoral soit ce qu'il doit être ; je veux qu’il soit politique dans les élections pour la formation des chambres, mais je veux aussi que, dans les élections pour la composition des conseils communaux, le mouvement électoral ait uniquement pour but d'amener la représentation convenable des divers intérêts qui existent dans la commune.
Je ne crains pas, messieurs, la lutte que peut amener la représentation réelle des divers intérêts communaux, cette lutte est légitime, aussi légitime que celle qui existe dans les conseils provinciaux entre les intérêts des divers cantons de la province. Par exemple, l'arrangement qui a été fait par le conseil provincial de la Flandre orientale, et que l'on a signalé tout à l'heure, cet arrangement ne me semble pas injuste ; on est tombé d'accord pour faire six routes, une par district ; on a trouvé que dans chaque district il y avait au moins une route ayant un caractère de haute utilité et l'on à assigné, en conséquence, une route à chaque district. Je trouve que l'on a parfaitement bien fait ; je trouve qu'un conseil communal qui serait le résultat d'une élection par quartiers, ferait une chose parfaitement légitime, en assignant, par exemple, à chacun des 8 quartiers d'une grande ville, des améliorations importantes.
Un membre. - On en assignerait même à ceux qui n'ont rien.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C'est précisément à ceux qui n'ont rien qu'il faut donner.
Je ne suis donc pas du tout effrayé de la lutte, purement administrative, que peut amener dans l'intérieur des conseils communaux des grandes villes la représentation par quartiers. Je ne suis pas effrayé de cette lutte, parce qu'elle sera purement administrative et que cette lutte au fond est légitime, qu'elle existe dans les conseils provinciaux et que dès lors je ne vois pas pourquoi elle n'existerait pas également dans les conseils communaux.
Les conseils communaux, ainsi que les conseils provinciaux, sont des représentations administratives instituées en vue de certains intérêts locaux ; je veux qu'on rende aux conseils communaux leur véritable caractère de représentations administratives instituées, comme celles des conseils provinciaux, en vue des intérêts locaux.
Voilà, messieurs, en peu de mots quelques-uns des motifs qui m'ont engagé à ne pas repousser la proposition faite par l'honorable M. de Theux. Je demande bien pardon à la chambre d'avoir pris la parole, mais je devais le faire, entre autres, pour ne pas encourir les reproches que l'on aurait pu attacher à mon silence.
M. Osy. - Messieurs, je n'entrerai pas dans la discussion de la loi qui nous est présentée ; je dirai seulement que je suis contraire à cette loi. Mais comme il serait cependant possible qu'elle fût adoptée, je crois devoir soumettre une observation à l’honorable M. de Theux. L’art. 46 de la loi électorale prévoit le cas où un député serait nommé par plusieurs collèges à la fois ; eh bien, si la proposition de M. de Theux est adoptée, la même chose pourra se présenter dans les élections communales. Il me semble que l'honorable M. de Theux devrait, à cet égard, introduire une disposition dans son projet et qu'il ne suffit pas de dire : « on arrangera cela plus tard » ; je me borne à faire cette observation, car étant contraire au projet, il me semble que ce n'est pas à moi de présenter l'amendement dont je viens d'indiquer la nécessité.
M. de Theux. - Je donnerai une explication extrêmement simple : lorsque les pouvoirs du conseiller nommé par plusieurs quartiers auront été vérifiés par la députation permanente du conseil provincial et lorsque ce conseiller aura prêté serment, il déclarera pour quelle section il opte.
M. Osy. - Je crois qu'il ne faut pas abandonner cela à l’arbitraire d'une décision du gouvernement, il me semble que le cas devrait être prévu dans la loi, comme il l’a été dans la loi électorale pour les chambres.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Messieurs, j'ai entendu plusieurs fois exprimer des craintes sur le grand nombre de sections que l'on pourrait établir en vertu de la proposition. Il est dit dans cette proposition que le nombre des sections ne pourra être inférieur à 4 ; je propose d'ajouter : « il ne pourra être supérieur à 8. » Si la plus grande commune du royaume s'agrandissait, ce serait en vertu d'une loi et dans cette loi, l'augmentation du nombre des quartiers pourrait être autorisée.
(Moniteur belge n°163, du 12 juin 1842) M. Dolez. – Messieurs, ce n’a point été sans un profond sentiment de surprise que j’ai entendu tout à l’heure l’honorable ministre de l’intérieur reprocher à une partie de cette chambre la longueur de ses débats et surtout l’abandon du projet du gouvernement dans la loi que vous avez adoptée hier. Si de pareils reproches peuvent atteindre quelqu’un dans cette enceinte, c’est évidemment le ministère qui, par son impardonnable faiblesse, a permis aux débats de prendre des dimensions qu’ils n’avaient point d’abord ; ces dimensions étaient contraires à ses vœux et cependant c’est le ministère qui a consenti à effacer l’initiative royale devant les prétentions parties de certains bancs de cette chambre ; c’est le ministère qui, sans avoir l’intention de produire la question qui nous occupe en ce moment, n’a point hésité à se mettre encore sur ce point à la remorque de ceux qui le dirigent si évidemment aujourd’hui.
Un pareil spectacle est dangereux pour le pays, douloureux pour tous les amis de nos institutions ; il est dangereux pour le pays, car il nous montre, chose étrange et sans exemple dans les pays constitutionnels, il nous montre un gouvernement en dehors du ministère, car telle est, messieurs, la position qui nous est faite et je la déplore pour mon pays, je la déplore pour la dignité de cette chambre, je la déplore pour le gouvernement lui-même.
Messieurs, dès le début de la discussion de la loi communale, telle que les modifications de la section centrale l’ont faite, j’ai annoncé que je serais l’adversaire de la proposition qui nous occupe en ce moment ; je ne pouvais donc pas borner mon opposition à un simple vote ; je devais combattre le projet, et je viens remplir ce devoir, en quelques mots.
Messieurs, dans les discussions précédentes, nous avons entendu exprimer sur tous les bancs de cette chambre une pensée qui paraissait commune à tous ; c’était celle du danger de modifier trop légèrement les lois organiques d’un pays, surtout d’un pays jeune comme le nôtre. L’honorable M. Malou a parfaitement exprimé cette pensée, il l’a fait avec une profondeur de vues à laquelle je rends hommage et qui me porte à espérer que nous le compterons parmi les adversaires du projet.
Cependant, à côté de cette pensée, avouée par tous, que se passe-t-il en ce moment ? Nous voyons une loi organique, peut-être la plus importante de toutes, incidemment menacée de la plus grave des modifications, à prétexte de prétendus vices dans les élections communales, alors qu’aucune autorité n’est venue proclamer de semblables vices, alors que le gouvernement, qui est le plus à même d’en reconnaître l’existence et pour qui c’est un devoir de les signaler au pays lorsqu’il les découvre, alors que le gouvernement ne nous avait pas dit un seul mot à cet égard ; et cependant, lorsque l’honorable M. de Theux vient signaler ces prétendus vices, le gouvernement n’hésite pas un seul instant à les reconnaître ; ils grandissent tout à coup à ses yeux à ce point que tout à l’heure nous avons entendu le ministre de l’intérieur demander l’adoption de la proposition, dans l’intérêt bien entendu de nos villes. C’est occasionnellement et en vertu de l’initiative d’un membre de cette chambre envisageant la question au point de vue de ses préoccupations personnelles, que nous sommes appelés à modifier une disposition de la loi communale qui est de la plus haute importance.
Quels sont, messieurs, les vices que nos reprochons à la proposition ? Nous lui reprochons d’abord cette origine que je viens de signaler et ce reproche, fût-il le seul, suffirait à nos yeux pour en motiver le rejet. Mais il est de plus graves encore à lui adresser. Je la vois d’abord changeant les habitudes électorales du pays tout entier ; et c’est toujours un danger et un danger sérieux que de porter atteinte aux habitudes électorales d’un peuple. Et sous quelle forme cette atteinte se produit-elle ? est-ce sous une forme de progrès ? est-ce sous la forme d’une extension des droits électoraux ? Non, messieurs, c’est sous la forme d’une restriction évidente, je vais le démontrer.
Jusqu’ici chaque électeur communal avait à remplir une mission grande, étendue ; il avait à voter pour tous les représentants de la commune à laquelle il appartient quand il se rendait aux élections, il s’y rendait donc pour contribuer à l’organisation de l’administration communale tout entière. D’après le projet, au contraire, qu’arrivera-t-il ? c’est que cet électeur qui, d’après la loi en vigueur, est appelé à voter pour tous les représentants de la commune, verra son droit mutilé et ne sera plus appelé à voter que pour 3 ou 4 d’entre eux. Vous diminuez donc les droits que la loi de 1836 lui avait donnés. Vous enlevez à cet électeur non seulement un droit auquel il est habitué, mais un droit dont il n’a point abusé, un droit, que, soyez-en bien sûrs, il ne manquera point de revendiquer un jour.
Il est toujours dangereux, messieurs, de faire rétrograder un pays en ce qui concerne les droits électoraux et c’est à ce danger que nous entraîne la proposition que je combats.
Au moins, messieurs, ce projet si contraire aux intérêts moraux des électeurs, sera-t-il favorable à leurs intérêts matériels ? Est-il vrai, par exemple, comme le disait tout à l’heure, l’honorable ministre de l’intérieur, que ce projet aura pour résultat de donner une représentation plus égale à chacune des parties de la ville et par conséquent de mieux coordonner les intérêts des différents quartiers ?
Quant à moi, je crois que vous atteindrez un résultat diamétralement opposé.
Que se passe-t-il sous l’empire de cette loi communale à laquelle on veut porter de si rudes atteintes ? Aujourd’hui, chaque conseiller communal est le représentant de la commune toute entière ; il a donc un égal intérêt à ménager les prétentions des différentes quartiers de la commune, puisque tous ont pris part à son élection et seront appelés à contrôler lors d’une nouvelle élection l’usage qu’il a fait de leur mandat. Avec le projet présenté par l’honorable M. de Theux, qu’arrivera-t-il, au contraire ? c’est que chaque conseiller sera le représentant d’un quartier et que quand un conseiller voudra provoquer une mesure utile au quartier qu’il représente, il se trouvera seul contre les représentants de toutes les autres sections, qui, ne tenant aucun mandat des électeurs de ce quartier, ne se croiront obligés par aucun lien à respecter leurs vœux.
Vous aurez donc des luttes plus fréquentes pour des intérêts de quartier, mais vous n’aurez pas une justice distributive plus sage, plus désintéressées entre les diverses sections de la commune.
Il y a plus, le système qu’on vous présente comme un système de progrès, au point de vue administratif, ne sera qu’un système d’empêchements et d’entraves. En effet, messieurs, il arrivera presque toujours, quand une proposition sera faite dans l’intérêt d’un quartier que la majorité des autres sections se prononcera contre elle, si elles n’y entrevoient point un intérêt marqué pour elles-mêmes, ou si elles entrevoient un moyen d’augmenter d’une manière grandiose la splendeur de la partie de la ville à laquelle elles n’appartiennent point. Le projet de loi qui nous occupe sera donc obstatif au progrès, à l’exécution de toute grande conception dans l’intérêt de nos villes.
La loi proposée aura-t-elle du moins pour le gouvernement quelque avantage politique, qui puise appeler sur elle notre faveur ?
Je n’hésite point à soutenir le contraire.
Sera-t-il vrai, par exemple, comme on l’a dit hier, qu’on ne verra plus surgir de ces compositions de conseil, telles que celles dont a parlé l’honorable M. Dumortier ? sera-t-il vrai que le gouvernement n’aura plus désormais d’embarras de cette espèce ?
Je crois pour ma part que ces embarras seront encore beaucoup plus graves.
Si la loi qu’on vous propose avait existé au moment où eurent lieu les élections de Gand, auxquelles l’honorable M. Dumortier a fait allusion, que serait-il arrivé ? c’est que toutes les sections de la ville auraient porté leurs suffrages sur l’honorable M. Van Crombrugghe, et qu’en conséquence il y aurait eu dans les sections unanimité pour dire au gouvernement : voilà le seul représentant de la commune, voilà le seul homme que la commune veuille avoir à sa tête !
M. Delehaye. - C’est bien vrai.
M. Dolez. - Ainsi le gouvernement, avec la loi qu’on nous propose serait exposé à des luttes continuelles avec les villes qui seraient animées contre lui d’un esprit d’hostilité, et cette loi leur donnerait le moyen de se livrer aux plus imposantes manifestations. Vous dirai-je, messieurs, quelle sera la position des échevins s’ils émanent d’une élection par quartiers ?
Vous aurez des échevins représentants d’une section de la commune, et par conséquent, préoccupés, avant tout, des intérêts de la section à laquelle ils appartiennent.
Messieurs, on vous l’a déjà dit, il est d’habitude parmi nos administrations communales de répartir entre les divers échevins les attributions du collège échevinal. Il arrive, par exemple, dans presque toutes les villes, qu’un échevin est chargé spécialement du service des travaux publics, partie toujours importante.
Eh bien, par la seule force des choses, il arrivera que l’échevin chargé de cette partie se préoccupera toujours des projets qui intéresseront le quartier dont il est le représentant, et entravera ceux qui sembleront de nature à lui nuire, quelqu’avantageux qu’ils puissent être pour la commune considérée dans son ensemble. Il arrivera que le conseil échevinal n’aura plus l’indépendance nécessaire pour remplir la mission du pouvoir exécutif communal que vos institutions lui confèrent ; chacun des membres de ce collège se trouvant sous la dépendance directe et incessante des électeurs de son voisinage.
Et cependant, veuillez-vous le rappeler, messieurs, la loi que vous avez votée hier a été inspirée au gouvernement et à la majorité de cette chambre par le danger grave que présentait pour le bourgmestre sa dépendance des électeurs ; ce danger, qui vous effrayait hier pour le bourgmestre, vous voulez le centupler aujourd’hui pour les échevins, ses collaborateurs. Etrange logique des partis !
L’honorable M. de Theux est revenu à différentes reprises sur un argument qui lui plaisait fort, et qui est, je l’avoue, fort commode, parce qu’il dispense d’en donner d’autres.
Cet argument le voici : « Ce que je propose existe en France, et en France on ne s’en plaint pas. »
Je crois que c’est toujours une manière assez mauvaise d’argumenter dans cette enceinte que de dire : Telle chose se passe en France, ou en Angleterre, parce que les institutions d’un pays peuvent être parfaitement assorties à ses besoins, et aller fort mal aux besoins d’un autre pays.
Mais il y a plus, cette loi municipale française dont l’application, d’après le dire de l’honorable M. de Theux, n’aurait soulevé aucune réclamation, cette loi a déjà produit de très fâcheux résultats dans les grandes villes où s’agitaient des passions politiques ardentes. Je pourrais en citer des exemples. Elle a de plus été critiquée par les publicistes.
Que l’honorable auteur de la proposition veuille lire entre autres ce qu’en dit M. Béchard dans son traité sur la centralisation administrative, il y verra que cette partie de la loi française y est jugée de la manière la plus sévère et peut-être alors cessera-t-il de répéter que cette loi n’a soulevé aucune réclamation en France, qu’elle y est considérée comme le système le plus parfait qu’il est possible d’appliquer aux institutions municipales.
On a argumenté de notre loi provinciale. On a dit : Ce système que vous combattez aujourd’hui, vous l’avez adopté pour la province, ce système n’étant pas mauvais pour la province, doit être parfait pour la commune.
Messieurs, je crois qu’il existe une différence saillante entre la position de la province et celle de la commune ; je crois qu’il était pour l’une des besoins à satisfaire qui n’existent point pour l’autre. Dans la province, pourquoi a-t-il fallu fractionner les élections par canton ? Il l’a fallu d’abord et avant tout pour la facilité des électeurs. Nos provinces sont la plupart fort étendues ; c’eût été un inconvénient fort grave que d’obliger les électeurs, et surtout les électeurs éloignés, de se rendre au chef-lieu, pour l’exercice de leurs droits électoraux. De plus, n’est-il pas évident que l’opposition d’intérêts est plus marquée entre les divers cantons d’une province que celle qui peut accidentellement exister entre les différents quartiers d’une ville.
Qu’il s’agisse, par exemple, de la construction d’une route, d’un canal, il est d’une extrême importance pour un canton, que la route, le canal passe par son territoire, plutôt que par celui d’un autre. Il y a donc là des intérêts inévitablement et presque toujours opposés, et la loi a agi sagement en décrétant que les élections se feraient d’après ces divers intérêts.
Mais dans les villes cette opposition d’intérêts n’existe pas. Erige-t-on, par exemple, un monument dans un quartier quelconque de la ville ; tous les habitants participent au plaisir de le voir, au bonheur de penser que ce monument ajoute à la splendeur de la cité, il y a donc identité presque parfaite d’intérêts dans la commune, tandis que la diversité des intérêts est inévitable dans les cantons.
Et puis, s’il était vrai qu’il existât entre les différents quartiers d’une ville certaine nuance d’intérêt, croyez-vous qu’il serait d’un heureux exemple de la part du gouvernement et de la législature, de donner un aliment nouveau à cette différence d’intérêts et aux mesquines rivalités qu’elle engendre ? Ne croyez-vous pas qu’au point de vue gouvernemental, il est déplorable de voir un ministère encourager par sa parole, par ses doctrines, ces dissidences entre les différents quartiers ? N’est-ce pas une idée anti-gouvernementale que celle-là ?
Le projet, dans une de ses dispositions vitales, organise l’élection à la représentation communale d’après l’importance de la population et nullement d’après le nombre des électeurs. Qu’arrivera-t-il encore, en vertu de ce système ? C’est que les quartiers les plus insignifiants, les moins éclairés seront précisément ceux qui auront la plus forte représentation dans le conseil. A Bruxelles, ce seront les dépendances de la rue Haute, et le quartier des Marolles qui auront la plus large influence au sein du conseil communal !
Et ce système est adopté par M. le ministre de l'intérieur et par ses collègues parmi lesquels, je le dis avec un profond regret, se trouve un ancien bourgmestre de la capitale. (Interruption sur le banc où siège M. Dumortier.)
Je n’ai pas compris l’honorable M. Dumortier.
M. Dumortier. – Je disais que les habitants de la rue Haute valaient autant que les habitants des autres quartiers.
M. Dolez. – Oui, sans doute, mais comme tous les habitants ne participent pas aux droits électoraux, je dis que ceux qui sont appelés à participer à l’exercice de ces droits, sont censés résumer en eux la population, et que par conséquent, il ne faut pas avoir égard au chiffre de la population dans les élections, mis bien au nombre des électeurs qu’elle produit.
M. Lebeau. – C’est très vrai.
M. Dolez. – Vous appelez donc les quartiers qui ont le moins d’électeurs, et par suite moins de lumières, moins d’intelligence des intérêts moraux et matériels de la ville, à avoir le plus grand nombre de représentants communaux. Messieurs, je n’hésite pas à dire que c’est là une véritable monstruosité.
Au moment où l’honorable M. Dumortier m’a interrompu, j’exprimais le regret tout personnel de voir l’ancien bourgmestre de la capitale donner son adhésion à la loi que je combats. Peut-être l’appui que donne M. le ministre de l'intérieur à la loi en discussion est-il un appui isolé, et peut-être m’est-il permis d’espérer encore que M. le ministre de la justice ne sera pas d’accord sur ce point avec son collège.
M. le ministre de la justice (M. Van Volxem) – Nous sommes d’accord.
M. Dolez. – Si vous êtes d’accord, mon regret subsiste tout entier.
Enfin, messieurs, il est un autre argument auquel il importe de répondre. On nous a dit à différentes reprises : mais la disposition contre laquelle on réclame existe déjà partiellement dans la loi communale ; déjà pour les communes composées de différents hameaux, il existe un fractionnement d’élections.
Cela est vrai, et je crois qu’on a bien fait de l’établir dans les limite dans lesquelles la loi communale a circonscrit la mesure, c’est-à-dire là où il y a des hameaux. Là où il y a des intérêts opposés, quelles sont surtout les idées qui ont dicté cette disposition ? D’abord pour les villes, on a tenu compte de ce que le système des octrois est différent pour les sections extra muros et pour les sections intra muros. Pour les communes rurales qui ont des hameaux séparés, on s’est rappelé avec raison que ces hameaux ont des propriétés séparées qui se rattachent à leur ancienne division ; ces hameaux avaient formé jadis des communes distinctes, et elles ont été réunies ultérieurement à d’autres communes, tout en gardant leurs propriétés séparées. Le fractionnement était donc tout naturellement pour le hameau, puisque légalement il existe pour eux des intérêts distincts. Mais, messieurs, il n’existe absolument aucun motif pour étendre la mesure à toutes les communes du royaume.
Messieurs, je crois qu’il est inutile d’ajouter de nouveaux développements à ce que je viens d’avoir l’honneur de dire, pour motiver mon opposition au projet de loi. Je finirai par la pensée qui a servi de point de départ à mes observations. J’exprimerai de nouveau le regret profond de voir le gouvernement et la chambre se montrer si faciles, si prompts à modifier les lois organiques du pays. Messieurs, en cette matière, l’antiquité nous a légué un grand enseignement. Qu’il me soit permis de le rappeler à vos souvenirs comme un monument de prudence et de sagesse digne de trouver des imitateurs.
Licurgue, après avoir donné des lois au peuple de Sparte, le fit assembler sur la place publique, et, lui annonçant qu’il partait pour un long voyage, lui fit promettre qu’on ne changerait rien à ses lois avant son retour, et Licurgue, pour imprimer à la législation de son pays la stabilité qui fait la force des institutions humanes, se condamna à un exil perpétuel !
Je recommande cet exemple, dont le souvenir à traversé les siècles et est arrivé jusqu’à nous, aux méditations des hommes qui nous gouvernent !
(Moniteur belge, n°162, du 11 juin 1842) Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !
M. Verhaegen. - Il me semble que dans une discussion aussi importante, chacun doit avoir son tour de parole. Je n'ai pas parlé dans cette discussion. On veut prononcer la clôture, mais sur quoi ? Il y a la discussion générale et la discussion des articles. Veut-on clore la discussion générale ? Je n'ai pas parlé, tandis que des orateurs ont parlé deux fois. Je n'ai pas encore pu dire un mot, cependant je faisais partie de la section centrale. Le rapporteur, qui est l'auteur de la proposition, a parlé deux ou trois fois, moi, qui ai eu l'honneur de le combattre au sein de la section centrale, je voudrais le combattre au sein de la chambre. Il y aurait injustice à me refuser la parole. Si on insiste sur la clôture, je demande l'appel nominal.
M. de Mérode. - Messieurs, je déclare que si on clôt la discussion, je m'abstiendrai parce que je ne suis pas suffisamment éclairé.
M. Orts. - Je voudrais savoir si, en demandant la clôture, on entend interdire de prendre la parole sur chacun des articles qui composent la loi. Je n'ai pas parlé encore et mon intention est de prendre la parole sur l'article par lequel on propose de porter à huit années au lieu de six, le mandat de conseiller. Je pensé que, quand cette disposition serait mise en discussion, on obtiendrait la parole. Maintenant je demande que la discussion continue.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - La clôture ne termine rien. La discussion continuera sur chaque article, qu'on prononce ou qu'on ne prononce pas la clôture. Cependant, comme il y a deux questions, on pourrait clore la discussion générale, pour les discuter séparément.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, en demandant la clôture et en l'appuyant, c'est seulement de la discussion générale que j'entendais parler. Quant aux articles, on pourra émettre son opinion après le prononcé de la clôture. Cependant je ferai remarquer que si chacun de nous voulait parler une heure sur les articles, d'ici à un mois nous n'en aurions pas fini. Pourtant, comme on l'a déjà dit, le temps presse, il nous reste plusieurs projets très importants à discuter ; par ce motif, je pense que nous sommes restés trop longtemps sur la question du premier projet à laquelle nous avons consacré trois semaines de discussion, quand au bout de huit jours toutes les opinions étaient formées. Je crois que toutes les opinions sont également formées sur le projet dont il s'agit en ce moment et que nous ne faisons que perdre du temps, en prolongeant la discussion. Au surplus, je ferai remarquer que nous pourrons émettre nos opinions, si on ne les a pas reproduites dans la discussion générale, lorsque nous aborderons les articles.
M. de Theux. - Le projet contient deux propositions distinctes. Jusqu’ici on n'a en aucune manière discuté la question de la prolongation du mandat. Je pense qu'il vaut mieux continuer la discussion sur l'article premier et n'aborder la discussion de l’article 2 que quand l'article premier serait voté. De cette manière, il ne serait pas nécessaire d'avoir une discussion de détail.
M. Delfosse. - La question qui nous est soumise est l'une des plus graves dont la chambre puisse avoir à s'occuper ; et il n'y a pas d'exemple que l'on ait clos la discussion générale sur une question importante avant d'avoir entendu au mois une fois les orateurs qui désirent prendre la parole. M. Eloy de Burdinne vient de dire que les discours sont inutiles, que les opinions sont formées ; il est possible que l'opinion de M. Eloy soit formée, mais tout le monde n’a pas comme lui la science infuse ; l'honorable comte de Mérode vient de déclarer qu’il n'est pas suffisamment éclairé, d'autres membres peuvent se trouver dans le même cas, la chambre doit donc laisser continuer la discussion.
M. Eloy de Burdinne. - Je ferai remarquer au préopinant qu’il ne lui appartient pas d'avancer que je viens ici avec des opinions formées. Je m'éclaire de la discussion aussi bien et peut-être mieux, qu'il ne le fait lui-même. Il ne lui appartient pas de venir déverser l'injure sur un de ses collègues, c'est une insulte qui ne se tolérerait dans aucun parlement. Je demande votre rappel à l'ordre. Si quelque chose peut surprendre, c'est que le président n'ait pas rappelé M. Delfosse à l'ordre, qui s'est étrangement écarté des décences parlementaires.
M. Dubus (aîné). - Je demande que la discussion continue, mais je ferai remarquer que je trouve fort étrange qu'on se permette de dire à un membre de cette chambre qu'il vient d'ordinaire avec des opinions toutes faites et qu’il a la science infuse.
On se plaint de ce qu'on a dit que les opinions étaient formées alors que plusieurs orateurs ont pris la parole. Sans doute l'opinion de ces orateurs est formée ; pour ceux-là, la continuation de la discussion ne peut pas avoir pour but de s'éclairer, mais probablement d'éclairer les autres.
M. Delfosse. - Je n'ai pas l'habitude d'insulter mes collègues, je crois qu'il ne m'est jamais arrivé d'insulter quelqu'un dans cette enceinte, et si M. Eloy de Burdinne a été insulté, ce n'est pas par moi, mais par lui-même ; ce n'est pas moi, c'est lui qui a dit que les discours étaient inutiles, que les opinions étaient formées ; je n'ai fait en quelque sorte que reproduire sa pensée, ce n'est donc pas de moi c'est de lui que vient l’insulte, si insulte il y a.
Je ne sais, messieurs, si nos discours sont inutiles pour la chambre, mais à coup sûr ils ne le sont pas pour le pays qui nous jugera.
M. le président. - Il n'a pas dit qu'il avait la science infuse.
M. Lys. - Ce n'est pas une injure !
M. le président. - Ce n'est du moins pas parlementaire.
Du reste, on paraît maintenant d'accord de ne pas clore la discussion : elle est continuée à demain.
M. David. - Je me suis opposé à ce qu'on mît hier en discussion la prorogation des lois relatives aux péages et la police du chemin de fer ; j'ai demandé la remise à quelques jours parce que je me proposais de présenter quelques courtes observations. On pourrait mettre à l'ordre du jour de demain ce projet qui ne tiendra pas longtemps la chambre, car pour ma part je ne veux pas m'y opposer, mais seulement faire quelques observations.
M. le président. - Tous les membres ont quitté leurs places ; je ne puis consulter la chambre.
- La séance est levée à 4 1/2 heures.