(Moniteur belge n°56, du 25 février 1842)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l'appel nominal à midi et demi.
M. Dedecker donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l'analyse des pièces suivantes.
« Le sieur François Lebègue, né en France, demande la naturalisation. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le baron de Vivario demande qu'il soit pris des mesures répressives des abus du braconnage. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil général de l'administration des hospices et secours de la ville de Louvain réclament de nouveau l'interprétation de l'art. 131, n° 17 de la loi du 30 mars 1836, relatif à l'entretien des sourds-muets et des aveugles. »
- Même décision.
« Des distillateurs d'Ypres adressent des observations sur le nouveau projet de loi relatif aux distilleries. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l'examen du projet, et dépôt sur le bureau de renseignements.
Le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi relatif aux pensions militaires.
- Pris pour notification.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) dépose un projet de loi relatif aux émoluments des employés des postes, provenant du port des journaux.
- Il est donné acte à M. le ministre de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué. La chambre en ordonne le renvoi à la section centrale du budget des travaux publics, qui l’examinera comme commission spéciale.
M. de Renesse. - A la fin de la séance d'hier, un honorable représentant de Hasselt a appelé l'attention du gouvernement sur le prolongement du chemin de fer de St-Trond à Hasselt ; je crois devoir observer, à cet égard, que si nos moyens financiers permettaient d'étendre le chemin de fer dans la province de Limbourg, il faudrait, avant qu'une décision fût prise, que la direction à donner à cette voie ferrée fût soumise à une nouvelle enquête, faite dans la province ; que tous les arrondissements fussent appelés à donner leur avis, et alors seulement, le gouvernement et les chambres pourraient juger, en connaissance de cause, sur le mérite de l'une ou de l'autre direction. Je dirai, en outre, qu'avant l'exécution du traité de paix, le conseil provincial avait formellement demandé que le chemin de fer fût dirigé vers la partie populeuse de la province, où il y a environ 100,000 habitants très agglomérés, et non vers la Campine ; cette direction permettrait de donner plus d'importance au mouvement des voyageurs sur cette voie ferrée, et, par conséquent, devrait nécessairement avoir quelque influence sur la direction à donner au railway dans le Limbourg ; toutefois, je crois que, pour le moment, il est inutile de s'occuper de cet objet ; j'ai cependant cru devoir faire ma réserve, comme je l'ai déjà faite antérieurement sur la direction à donner à cette voie ferrée, en cas de son prolongement. Il me semble que ce qui serait le plus utile pour la généralité de cette province, ainsi que pour l'intérêt du commerce des provinces de Liége et de Namur, avec les provinces d'Anvers et les Flandres, ce serait de commencer le plus tôt possible la canalisation de la Campine, réclamée depuis si longtemps par ce pays, qui a tant de titres incontestables à être tiré de l'isolement où il se trouve et qui mérite bien que sa juste réclamation soit enfin accueillie favorablement par les chambres et le gouvernement je crois aussi que le gouvernement devrait, avant de proposer le prolongement du chemin de fer, faire droit aux demandes adressées par différentes parties de la province qui, jusqu'ici, n'ont obtenu que peu ou point de subsides pour construction de routes ; il ne faut pas que l'une partie de la province soit sacrifiée exclusivement à l'autre ; il faut une justice distributive, si le gouvernement et les chambres veulent être équitables.
M. Mast de Vries. - Messieurs,la divergence d'opinion, qui s'est manifestée dès le commencement de la discussion sur la grande question du chemin de fer, nous prouve que nous avons à résoudre une question réellement difficile, et qui demande à être sérieusement étudiée.
D'un côté, l'on a présenté le chemin de fer comme n'étant de nature à nous donner aucune espérance de bénéfice, et le même membre auquel je fais allusion a signalé les dépenses énormes qui seraient portées au budget pour le service du chemin de fer, dépenses qui s'élèveraient, d'après lui, de 7 à 8,000,000 de francs.
D'un autre côté, on nous a présenté le chemin de fer comme présentant dès aujourd'hui des résultats satisfaisant, résultats qui ne peuvent que s'améliorer dans l'avenir.
Je ne partage pas d'une manière exclusive ni l'une ni l'autre de ces deux opinions ; je ne pense pas, d'un côté, que le chemin de fer doive jamais donner lieu à un surcroît de dépense dans nos budgets ; je ne pense pas, d'autre part, que cette voie de communication soit appelée à nous donner des produits tels qu'ils puissent remplacer une partie de nos impôts.
J'ai donc quelques observations à faire, en réponse au discours qu'a prononcé hier l'honorable M. David. Je vais rencontrer quelques-uns des chiffres qu'il a mis en avant ; il ne me sera pas difficile de prouver qu'il s'est trompé grandement, que ses chiffres sont inexacts de moitié.
Messieurs, l’honorable membre est parti de ce principe ; il a dit : Les chemins de fer en exploitation ont coûté aujourd’hui 64 millions ; pour couvrir ces 64 millions produisent déjà, toutes dépenses prélevées, un intérêt de 3 p. c.
Messieurs, les chemins de fer en exploitation ne coûtent pas 64 millions, mais ils coûtent 70 millions. Ce n'est pas tout : à ces 70 millions il faut ajouter la perte de l'intérêt sur la moyenne de 6 ou 7 années d'exploitation ; or, cette moyenne est de 32 millions, admettant les calculs de l'honorable M. David pour toute cette période, il y a perte, 2 p. c. de soit 600,000 fr. et plus.
Donc au chiffre de 70 millions il faut ajouter encore une somme de 600,000 fr. et plus, répétée 6 ou 7 fois, soit une somme de 4 millions. C'est donc sur un chiffre de 74 millions que l'honorable M. David aurait dû opérer.
Messieurs, l'honorable M. David vous a dit que l'exploitation devrait se faire de telle manière que les convois devaient être complets, qu'il fallait, entre autres les composer de 100 tonneaux de houille, et ensuite, en faisant ses calculs, il vous a dit :
« 100 tonneaux de houille, transportés de Ans sur Anvers, à raison de 11 francs, donnent une somme de 1,100 francs. »
Mais de cette somme il y a à défalquer les frais qui s'élèvent, d'après les renseignements fournis par la commission, à 15 francs par lieue ; ce qui, sur 22 lieues, faisait 330 fr. et laisse ainsi un bénéfice de 6 à 700 francs.
J'ai dit que l'honorable membre s'était trompé de moitié, et c'est ce que je vais le prouver.
Si vous prenez 15 francs par lieue, ces 15 francs couvrent les frais d'exploitation ; mais il faut ajouter à ces 15 francs une somme pour les intérêts des capitaux qui ont été employés. C'est environ 15 autres francs par lieue, de manière que c'est
Néanmoins, les calculs de l'honorable M. David présenteraient un bénéfice remarquable. Mais pour que ce bénéfice fût une réalité, il faudrait que les waggons qui transportent une marchandise pussent arrivés à leur destination, trouver une charge pour le retour. Mais qu'arrive-t-il ? C'est que, dans la plupart des cas, ces waggons sont obligés de s'en retourner à vide. Je m'en vais vous dire pourquoi.
J'ai sous les yeux le tableau général du mouvement des grosses marchandises pendant l'année 1841, et je m'en vais appliquer mes calculs à des localités que l'honorable M. David connaît parfaitement bien.
Je commence par Tirlemont :
On a expédié d'Ans à Tirlemont 11,456,000 kilogrammes de marchandises, et on a expédié de Tirlemont vers Ans 464,000 kil. de manière que sur 23 transports d'Ans à Tirlemont, il y en a qui retournent à vide ; pour ces 22 parcours, il faut également calculer les frais de transport à raison de 50 francs par lieue ; vous arriverez dès lors à un chiffre de 60 francs, au lieu du chiffre de 15 qu'avait avancé l'honorable membre. Ainsi, l'honorable M. David est tombé ici dans une grande erreur.
Autre exemple :
On a expédié d'Ans à Anvers, 5,425,000 kilogr., et d'Anvers vers Ans, 15,993,000 kilogr., c'est-à-dire que si le chemin de fer avait un magasin central, au bout de chaque station où l'on pût déposer et reprendre les marchandises, il y aurait encore 2 sur 3 qui ne trouveront rien à Ans pour Anvers.
Ainsi, si vous voulez appliquer le chiffre, vous venez qu'il faudrait ajouter 20 francs aux 30 francs dont je viens de parler, même entre les points les plus favorables, entre Ans et Anvers.
Le tableau que je tiens à la main donne un mouvement général de 152 millions de kilog., expédiés en 1841 : ce tableau est le complément de ce que l'honorable M. David a demandé. Hier, il a opéré sur un chiffre plus considérable ; mais le tableau dont je parle peut être regardé comme officiel.
Vous voyez, messieurs, qu'en prenant les points les plus favorables, il y a évidemment perte, puisque la plus grande partie des convois doivent s'en retourner à vide. Ils doivent s'en retourner vide, parce qu'il est impossible de faire des magasins sur les points extrêmes. Si j'arrive au chemin de fer avec une partie de marchandises, j'exige et j'ai droit d'exiger qu'elles soient expédiées immédiatement, et j'en obtiens l'expédition.
Que résulte-t-il de cet état de choses ? C'est que les waggons sont obligés souvent de rouler à demi ou au quart de charge et ne produisent ainsi qu'une partie des sommes sur lesquelles l'honorable M. David opère et produisent des résultats extrêmement désavantageux. Pour établir ses calculs, l'honorable membre auquel je réponds, a argumenté d'une expédition de 100 tonneaux de marchandises. Mais expédie-t-on jamais 100 tonneaux à la fois ? Jamais, je viens de donner les raisons pour lesquelles la chose est impossible. La moyenne des charges est d'environ 2,000 kilog. au lieu de 4,000.
Il est fâcheux que l'honorable M. Rogier, ancien ministre des travaux publics veuille défendre, et je dirai même défendre à outrance le tarif du 10 avril.
Je ne pense pas, messieurs, que l'honorable M. Rogier quand il a adopté ce tarif, l'ait complètement étudié. Je crois qu'il y a eu de la part de cet honorable membre plutôt excès de confiance. S'il n'y avait pas eu excès de confiance, comment pouviez-vous vous rendre compte que sur les 667 stations qui sillonnent les différents parcours, il y en a 116 où des points rapprochés sont plus axés que les points plus extrêmes, et il y en a 171 où .il y a bénéfice à prendre des billets pour les stations intermédiaires.
Nous avons dit dans le rapport que cela avait augmenté le chiffre des voyageurs, et nous avons eu raison. Je persiste à soutenir que ce tarif n'a point été complètement étudié.
M. Rogier. - Votre tarif, le tarif de M. le ministre actuel, ainsi que celui de M. Nothomb, présentent les mêmes incohérences.
M. Mast de Vries. - Dans une séance précédente, je crois, à propos d'une réduction de péage sur un canal, M. Rogier a dit que la commission de tarif lui avait prêté des idées assez singulières, l'avait accusé de mettre le trésor en perte en disant qu'il demandait 5, 10 et 15 centimes pour le camionnage, tandis qu'on payait 25 centimes, et au delà, à l'entrepreneur de camionnage. Et l’honorable membre a fait observer que cela devait se comprendre de cette manière que le tarif des marchandises était trop élevé et qu'il avait compris dans le camionnage la réduction qu'il comptait faire de 10 p. c. sur le transport des marchandises.
En jetant les yeux sur le tableau que j'ai sous les yeux et que je puis considérer comme officiel, je remarque que sur 152 millions de kilogrammes qui ont été transportés, 28 millions de kilogrammes ont été transportés à une distance de 1 à 6 lieues, 48 millions de 8 à 12 lieues, 33 millions de 13 à 18 lieues, 30 millions de 19 à 23 lieues, 10 millions de 25 à 30 lieues et le reste de 31 à 42 lieues.
Ces chiffres représentent les 152 millions de kilog. transportés. La moyenne du parcours se trouve donc être établie à raison de 12 lieues.
Or, en appliquant les calculs qui ont été faits sur le camionnage, on trouve que la réduction n'est point de 10 p. c. comme M. Rogier le désirait, mais est réellement de 30 p. c., et ce, non pas au bénéfice du commerce, mais uniquement dans l'intérêt des camionneurs. Les résultats sont déplorables et ne peuvent se justifier, selon moi, que par l'excès de confiance de l'ancien ministre des travaux publics dans un travail généralement condamné aujourd'hui. J'ai dit.
M. David. - Revenant pour un instant à la séance d'hier, j'ai été extrêmement surpris d'entendre mon honorable collègue et ami, M. Demonceau, dire de son banc qu'il admettait l'exactitude de mes chiffres, mais qu'il en contestait la réalité. J'avoue que ce raisonnement, messieurs, surpasse mon intelligence. Je comprends que des phrases, que des mots sonores puissent être creux ou élastiques, mais des chiffres, messieurs, des chiffres…. Vous conviendrez pourtant qu'ils sont inflexibles, qu'ils ne se prêtent à rien. Ils ne sont ni libéraux ni catholiques.
Messieurs, pourquoi s'élève-t-il tant d'opposition dans cette enceinte lorsqu'il est question du transport des choses ? Je remarque que la même animosité ne se manifeste point quand il s'agit du transport de l'homme. Comment définir cette tendance, ou plutôt comment l'expliquer ? Et cependant c'est ce dernier transport qui, suivant moi, est souvent onéreux. Onéreux, messieurs, parce qu'on est obligé de transporter l'homme à heure fixe dans des voitures à peu près vides et qui, par leur poids, offrent, à peu de différence près, la même résistance à la traction. En effet, messieurs, la commission, page 61 de son deuxième rapport, vous dit qu'il s'est trouvé en moyenne dans chaque diligence 4 voyageurs, dans chaque char-à-banc 13 voyageurs et 12 dans les waggons. Je vous le demande, messieurs, quel poids cela ajoute-t-il au poids des voitures elles-mêmes ? Ce sont là, messieurs, les transports onéreux, parce qu’il ne dépend pas de l’administration de remplir ses voitures de voyageurs : pleines ou non, elles doivent partir chaque jour cinq ou six fois de Bruxelles pour Anvers et vice versa, trois ou quatre fois pour Gand et Ostende, etc., etc.
Pour les marchandises, messieurs, il en est tout autrement. Si l’on part avec des charges incomplètes, la faute en est à l’administration. C’est alors insouciance ou maladresse de sa part. J’ai dit, messieurs, que je m’occupais du dépouillement du tableau litt. D du troisième rapport. Eh bien, messieurs, voici deux exemples pris dans ce dépouillement. Il en résulte que, pendant les 8 mois du 1er avril au 1er décembre 1841, il n’a été transporté, en 244 jours, sur la section de Bruxelles à Malines que 7,095 tonneaux ; de Malines à Anvers 7,860 tonneaux, ou par jour, en moyenne, sur la section de Malines à Bruxelles, 29 tonneaux, et sur la section de Malines à Anvers 32 1/5 tonneaux ; et en retour d’Anvers à Malines 19,500 kil. et de Malines à Bruxelles, 14,639.
Comment s’expliquer qu’il ait fallu deux convois spéciaux de Malines à Anvers pendant une grande partie de cette période, et qu’on vienne encore ajouter aux frais de ces deux convois les 2/11 des frais des cinq convois de voyageurs, et cela pour un transport de 29 à 32 tonneaux dans un sens et 60 à 80 tonneaux dans l’autre ? Sont-ce là, messieurs, des convois multipliés utilement ? un convoi pouvait certainement suffire dans le sens où le mouvement est le plus fort.
Entre Malines et Gand, messieurs, il ne fallait pas de convoi spécial. Tous les transports dans un sens n’ont été que de 6 à 7,000 tonneaux, et dans l’autre de 4 à 5,000 tonneaux, pendant les 244 jours, du 1er avril au 1er décembre 1841.
Non, messieurs, on n’a jamais voulu, on ne veut pas encore transporter les marchandises avec économie.
Quand j’aurai terminé entièrement le dépouillement du tableau littera D, je l’enverrai au Moniteur avec prière de l’insérer, et si, comme je le crois, le commerce y trouve des renseignements précieux, je prierai M. le ministre des travaux publics de les compléter dans le prochain compte-rendu pour le premier trimestre et le dernier mois de 1841, d’y joindre un tableau semblable pour 1840 et de vouloir bien publier à la fin de chaque mois un tableau statistique semblable.
Il est à regretter que l’on ait abandonné la voie de la publicité dans laquelle était entré l’ancien ministre des travaux publics, M. Nothomb. Ce ministre, messieurs, n’était pas arrêté dans les frais de quelques feuilles d’impression. Vous vous rappellerez, messieurs, les nombreuses et intéressantes publications que nous lui devons, parmi lesquelles je puis citer ses comptes-rendus de 1837, 1838 et 1839, l’enquête du chemin du Hainaut, le rachat du canal de Charleroy, du canal de l’Espierre, la navigation de la Belgique vers Paris, ses publications sur les mines, etc., etc. A cette époque, messieurs, et pour me servir d’une expression un peu triviale, je puis dire que l’on jouait cartes sur table. On allait au devant des renseignements à donner aux chambres. Si l’on avait poursuivi cette marche abandonnée aussi par l’honorable M. Rogier, le procès du transport des hommes et de la marchandise serait aujourd’hui chose jugée.
Il y a, messieurs, deux camps bien tranchés dans cette chambre sur la question financière du chemin de fer. Leur réconciliation, cependant, ne paraît pas être bien éloignée. Tous deux conviennent maintenant que le chemin de fer est viable, qu’il n’est plus une utopie. Tous deux conviennent qu’il peut payer ses frais d’entretien, d’exploitation, de personnel, et même les intérêts de l’amortissement du capital engagé. Ce rapprochement, messieurs, est déjà une victoire remportée par le chemin de fer lui-même. On n’est plus divisé que sur les moyens de le faire produire. Les uns veulent le transport à bon marché des marchandises pondéreuses, et un prix modéré pour les marchandises du commerce en général. Les autres s’attachent au transport des hommes et au transport des marchandises du commerce de 2e et 3e catégorie à des prix élevés. Eh bien, nous sommes d’autant plus fort en n’approuvant pas les combinaisons de ces derniers que, pour les combattre, nous pouvons leur dire que les diligences et la 3e catégorie des marchandises, suivant leurs propres calculs, ne donnent que des pertes. Gardons-nous donc bien, messieurs, de nous engager dans une pareille voie. On a beau dire que la loi du 1er mai avait eu la toute puissance de prescrire un tel résultat, elle aurait bien dû nous relever les moyens d’y parvenir.
Il y a encore certaines petites choses que je voudrais bien faire remarquer. C’est que, parmi mes honorables adversaires, je vois figurer des hommes qui ne seraient pas fâcher de voir s’accroître les branches du chemin de fer, contre les avantages duquel ils démontrent une si grande défiance. Ainsi, l’on ne serait pas fâché de voir se prolonger la branche du chemin de fer de St-Trond (déjà si productive) jusqu’à Hasselt ; ainsi l’on demande le chemin de Jurbise. A côté des opinions que l’on émet, voilà un moyen fort ingénieux d’améliorer la position financière du railway.
Pour répondre en un mot à mes honorables contradicteurs de la séance d’hier et à mon honorable collège, M. d’Huart, qui a, je pense, fait entendre ces mots : et la dépense, je répondrai que la dépense réelle se trouve consignée dans le tableau, page 67 du 2e rapport de la commission, pour le 1er semestre 1841 ; qu’elle se trouve consignée pour l’exercice entier dans le tableau déposé par M. le ministre des travaux publics sur le bureau de la chambre, qui malheureusement ne se trouve pas imprimé, mais que cette dépense totale est reproduite globalement dans le 3e rapport de la même commission, page 116, montant à 4,386,946 fr. 66 c. Et pour simplifier la question et donner une plus grande latitude aux dépenses de l’administration, j’ai dit :
La somme allouée par les chambres pour couvrir toutes les dépenses de 1841, est de fr. 3,640,000
L’administration demande un supplément de fr. 817,000
Ensemble, fr. 4,457,000
Le ministre déclare qu’il a payé, au moyen de ces fonds, des charbons pour l’exercice 1840, pour une somme de 184,000 fr.
Cette somme doit donc être déduite des dépenses de 1841, ci 184,000 fr.
Reste donc définitivement et au maximum fr. 4,273,000.
Voici donc infailliblement et irrévocablement la dépense totale ; encore faut-il que l’on justifie envers M. le ministre, de l’emploi de 2 à 3 cent mille francs sur cette somme, qui n’est pas totalement épuisée.
La recette incontestable étant aussi de 6,226,333 fr. 66 c., l’excédant des recettes sur les dépenses est bien de 2 millions, à très peu de choses près ; ce qui répond à un intérêt de 3 p.c. pour un capital non pas de 63 millions, comme je l’ai dit, mais de 65 millions.
Je demanderai à mon honorable ami M. Demonceau s’il persiste à soutenir que j’ai avancé un fait erroné quand j’ai dit que la commission avait proposé une augmentation sur les prix. S’il me répond affirmativement, je présenterai avant la fin de la discussion du tableau des prix de transport calculé pour toutes les stations d’après les bases proposées par la commission, c'est-à-dire à dire à 5, à 7 1/2 et à 10 c, par 100 kil. et par lieue, pour le transport de station à station, et j'y ajouterai, comme le propose la commission, le remboursement des frais de camionnage. Je demanderai ensuite à la même commission ce qu'il faudra ajouter pour le factage, qu"elle a laissé indéterminé, comme vous pourrez vous en convaincre à la page 32.
Je dirai maintenant quelques mots à l'honorable M. Mast de Vries, sur l'attaque qu'il vient de livrer à mes chiffres.
D'abord, messieurs, vous conviendrez de l'immense difficulté qu'il y a de répondre à l'instant même par des chiffres à des chiffres presqu'insaisissables. M. Mast de Vries, lui, a eu tout le temps de poser ses calculs comme il a voulu. Mais je suis loin de renoncer à les rétorquer à la toute première occasion, et j'espère y réussir victorieusement.
Je me bornerai donc pour le moment à lui faire observer que mes calculs, à moi, ne portaient pas sur des bagatelles de 100 jusqu'a 1,000 kilog, de charbons. J'ai opéré sur de plus larges bases, j'ai compté sur des masses, et à coup sûr, dans ce sens, les chiffres de mon honorable ami ne sauraient être exacts.
Ensuite, messieurs, pourquoi donc l'honorable M. Mast de Vries s'obstinerait-il à me présenter le chiffre de 63 millions, dépensés pour les sections en activité, comme dépassé et allant à 70 millions. A qui donc suis-je obligé de croire, à lui ou aux documents plus ou moins officiels qui sont distribués à la chambre ?
M. Rogier. - J'ai à compléter la réponse que j'ai faite hier aux différents orateurs que vous avez entendus ; j'ajouterai quelques mots en réponse aux observations présentées dans la séance d'aujourd'hui.
Je commencerai par le discours de l'honorable M. Mast de Vries, D'après lui, les tarifs des voyageurs auraient été adoptés par moi avec trop de confiance. C'est en d'autres termes, en termes plus polis, la reproduction du reproche qu'on m'a adressé hier, d'avoir adopté ce tarif avec une extrême précipitation. Je tiens à justifier l'administration antérieure du reproche de légèreté et de précipitation dans l'admission des tarifs.
D'abord, quant à celui des voyageurs, il a été adopté avec si peu de précipitation que, pendant près d'une année entière, il a fait l'objet des études du ministère, que pendant tout ce temps, moi qu'on présente comme si pressé d'arriver à l'application de ce tarif pour faire de la popularité, j'ai dû résister aux instances des chefs d'administration qui réclamaient des réductions au tarif des waggons.
Voilà comment les choses se sont passées. A différentes reprises, pendant toute l'année, des instances très fortes ont été faites par l'administration en faveur de la réduction du tarif. Aussi n'ai-je pas été peu étonné de lire dans le rapport de M. le ministre des travaux publics que, 2 ou 3 mois après la mise à exécution, les employés de l'administration trouveraient tout mauvais dans ce tarif, trouvaient que l'Etat était entraîné dans des pertes très considérables.,
Pour le tarif des marchandises a-t-on agi avec précipitation ? Loin de là ; on a procédé avec une extrême réserve. C'est au mois de juillet 1840 que le premier essai a commencé, et c'est au mois de mars 1841 que l'essai a été complété.
La remise des marchandises à domicile avait toujours été considérée par l'administration comme une chose impossible et sujette à mille inconvénients.
On pensait que si le gouvernement se chargeait de pareille opération, il courrait les chances d'une multitude de procès à soutenir et d'avaries nombreuses à indemniser. C'était une complication de service inextricable pour les employés. Eh bien, qu'est-il arrivé ? On a commencé la remise à domicile par les marchandises dites de diligences, et toutes les prédictions mauvaises qu'on avait faites contre cet essai ne se sont pas réalisées ; il n'y a pas eu de procès, et quant aux avaries, s'il y en a eu, ce n'a été que pour des sommes insignifiantes. Ainsi, quant à la remise des petits paquets à domicile, l'essai commencé en 1840 a parfaitement réussi, à tel point que la commission du tarif n'a pas conseillé au gouvernement de se départir de ce système. On peut donc dire que la remise à domicile des marchandises dites de diligence, a reçu la sanction de l'expérience.
Eh bien, la question est absolument la même à mes yeux pour les grosses marchandises, dites de roulage, que pour les marchandises dites de diligence. Dès que l'administration a été trouvée capable de remettre à domicile des paquets de 1 à 100 kilog., elle est aussi capable de remettre les plus gros colis : qui peut le plus peut le moins ; si vous pouvez remettre à domicile 300,000 petits paquets, vous pouvez, à plus forte raison, transporter 100,000 gros paquets. Cet essai, commencé sur les petites marchandises, a été appliqué, à partir du mois de juin, en vertu d'un arrêté du mois de mars, aux grosses marchandises. Cet essai a-t-il réussi ? A-t-on eu tant de procès à soutenir, tant d'avaries à payer ? On n'a pas eu un seul procès. Je parlerai de la difficulté survenue entre l'administration et l’entrepreneur du camionnage de Liége ; mais avec le destinataire, avec le public, je le répète, on n'a pas eu un seul procès.
En quoi consistent les avaries qu'on a eu à payer ? Je demanderai à M. le ministre quel en est le chiffre. Je suis persuadé qu'il est très minime, comparé aux recettes considérables qu'on a faites.L'administration n'avait pas assez de confiance en elle-même, elle ne se jugeait pas assez favorablement ; elle est pleine de zèle, elle renferme des employés très intelligents, mais ils ont eu peur d'une besogne nouvelle, ils ont craint un encombrement d'affaires ; ils ont hésité devant cette innovation ; cependant l'innovation a eu lieu, et malgré le peu de confiance de plusieurs employés de l'administration dans la mesure, l'innovation a parfaitement réussi.
Il est même remarquable que, pour une administration si nouvelle, le succès ait été si complet dès le principe et ait présenté si peu d'inconvénients. Si les choses se sont ainsi passées la première année d'essai, nul doute que l'année suivante, avec l'expérience, on n'arrive encore à de meilleurs résultats.
On dit que le tarif des voyageurs du mois d'avril aurait été établi avec trop de confiance dans le calcul des employés qui l'auraient dressé, et qu'il présentait des incohérences notables. Mais je soutiens qu'il présentait beaucoup moins d'incohérences que le tarif de 1839 qu'il venait remplacer ; et je soutiens, en outre, que le tarif d'août 1841 renferme également beaucoup d'incohérences. Je vais le prouver par quelques exemples. Je ne veux récriminer ni contre M. le ministre Nothomb, ni contre M. le ministre Desmaisières. Je ferai seulement observer que je suis sur la défensive.
Le tarif de M. Nothomb reposait, d'après M. le ministre Desmaisières, sur les bases suivantes
40 c. pour les diligences par lieue.
25 c. pour les chars-à-bancs.
20 c. pour les waggons.
Vous pensez que lorsqu'on fera à chaque parcours l'application de ces prix on va trouver partout : Diligences 40 c. ; chars-a-bancs 25 c. ; waggons 20 c. En aucune façon. Voici quelles sont les résultats de ce tarif sur différents parcours : Diligences, au lieu de 40 c., tantôt 33, tantôt 50 c. par lieue ; chars-à-bancs, au lieu de 25 c., tantôt 20 c., tantôt 31 c. ; waggons, au lieu de 20 c., tantôt 17, tantôt 25 c. De sorte que sur certains parcours on payait plus dans les waggons qu'on ne payait dans les chars-à-bancs sur certains autres parcours. Voilà quelles étaient les incohérences du tarif de février 1839 ; ce sont ces imperfections que mon tarif a eu pour but de rectifier. Voilà comment, sans vouloir toucher au fonds même du tarif, j'ai été amené à faire pour les diligences et les chars-à-bancs, diverses diminutions et augmentations. Ce sont des rectifications que j'ai voulu introduire dans le tarif de M. Nothomb. Mais il n'y a eu, en principe, de réduction que sur les prix des waggons.
Les bases de mon tarif sont les suivantes :
40 centimes pour diligences, par lieue.
25 pour les chars-à-bancs.
15 pour les waggons.
Retrouve-t-on cette proportion sur tous les parcours ? N'y a-t-il pas quelques irrégularités ? Cela est possible. Mais sur tous les parcours principaux du chemin de fer, sur tous les parcours de station à station principale, cette proportion est restée invariablement la même. Ainsi de Bruxelles à Malines, de Malines à Anvers, de Malines à Termonde, de Termonde à Gand, de Gand à Bruges, de Bruges à Ostende, de Louvain à Tirlemont, de Tirlemont à Waremme, de Waremme à Ans, de Courtray à Gand, etc, partout sans exception, sur chacune de ces sections, les bases de mon tarif (40 c., 25 c. et 15 c, par lieue) se retrouvent invariablement. .
On a signalé des incohérences, des inégalités ; mais ces incohérences, ces inégalités existent surtout pour des parcours indirects, ou vers des stations qui n'ont entre elles que des rapports éloignés. Du reste rien n'était plus simple que de rectifier soit des erreurs matérielles, soit les autres erreurs que présenterait le tarif. Mais je soutiens qu'il était établi sur des bases régulières et fixes, beaucoup plus régulières et plus fixes que le tarif de 1839.
Pour le tarif qui a remplacé le mien, on pourrait croire qu'il est parfait, que les bases adoptées par M. le ministre des travaux publics sont restées invariablement les mêmes. Il n'en est rien. Cependant je n'accuse pas M. le ministre des travaux publics d'avoir accueilli avec légèreté les propositions qui lui ont été faites soit par la commission, soit par les bureaux.
La commission propose le tarif suivant :
40 c. pour les diligences, par lieue ;
30 c. pour les chars-à-bancs ;
20 c. pour les waggons.
M. le ministre des travaux publics a adopté le tarif suivant :
37 centimes pour les diligences, par lieue.
20 c. pour les chars-à-bancs,
17 à 18 c. pour les waggons.
Eh bien, cette proportion, vous pensez que vous allez la retrouver invariablement sur tous les points. Il n'en est rien. Les prix varient, pour les diligences, de 31 à 44 c. ; pour les chars-à-bancs de 25 à 31 c. ; pour les waggons de 15 à 20 c.
Ainsi vous voyez que s'il y avait des reproches d'irrégularité à adresser à un tarif, ce ne serait pas seulement contre le mien que ces reproches devraient être adressés, pour qu'on se piquât de justice et d'impartialité. Du reste ce sont là des irrégularités qu’il est toujours facile de rectifier, et qui n'ont en rien affecté la base principale du tarif adopté par moi.
Hier, j'ai établi que l'excédant des recettes pendant l'exercice 1841 avait été, sur les dépenses, de 891,000 fr. Les voyageurs figurent dans cet excédant de recettes, pour 66,000 fr. Les marchandises, au contraire, qui doivent particulièrement fixer notre attention, puisqu'elles sont en quelque sorte la base de la discussion, figurent dans cet excédant des recettes pour 824,000 fr. Mais, s'est-on écrié, mais la dépense ! Les dépenses, comparativement aux recettes, ou les a singulièrement exagérées, Je vais le prouver. Je dois te dire : je veux croire qu'aucun parti pris, aucune espèce d'hostilité politique n'a présidé à la rédaction, aux inspirations des différents rapports faits par la commission. Mais cependant on ne peut point se dissimuler que tous ses calculs se présentent sous un jour plus favorable au système qu'elle était chargée d'examiner. Quand il s'agit des dépenses du chemin de fer, on charge singulièrement le tableau, tandis que les couleurs deviennent légères et vaporeuses, quand il s'agit des recettes. Ainsi pour le produit des marchandises, le public n'a pu le connaître, nous-mêmes n'avons pu le connaître que dans ces derniers jours. Le tableau des recettes n'a été publié qu'avec le rapport de M. Peeters sur le crédit supplémentaire de 1841. Pourquoi entre-temps effrayer le public, jeter l'alarme parmi les capitalistes étrangers, et exagérer les dépenses du chemin de fer ? Pourquoi ne pas mettre à côté du mal, le remède, à côté de la dépense, la recette ? Les recettes on ne les a pas fait connaître ; le Moniteur ne les a pas reproduites. Je n’incrimine pas les intentions. Mais je dis que c'est un mal qu'on ait d'abord laissé ignorer que le transport des marchandises avait rapporté 824,000 fr. de plus que l’année précédente.
Mais, dit-on, si le transport des marchandises a rapporté 824,000 francs de plus, vous avez dépensé bien au-delà. Voila le raisonnement qu'on fait. Pour le soutenir, voici comment on procède : Au budget de 1841, il a été porté en plus que pour le budget de 1840, 350,000 fr. A la fin de 1841, on est venu demander un crédit supplémentaire de 817,000 fr. Il y a donc en 1841 sur 1840 un excédant de dépenses de 1,367,000 fr.
J'avoue que, pour ma part, j'ai été un peu effrayé quand j'ai vu mon successeur annoncer un crédit supplémentaire de 817,000 fr. Mais heureusement pour mon système, et je dirai heureusement pour le pays, ces 817,000 fr. n'ont pas été appliqués tout entiers ni à l'exercice 1841, ni aux marchandises. De ces 817,000 fr., il faut déduire 184,000 fr. qui doivent être imputés sur l'exercice 1840, et dont par conséquent l'exercice 1841 doit être déchargé.
M. le ministre des travaux publics doit se rappeler que ce n'est qu'à la demande de la section centrale qu'il a fait connaître que sur ces 817,000 fr., l'exercice 1840 avait à réclamer 184,000 fr. Voici une première somme dont il faut dégrever l'exercice 1841.
En examinant le tableau de situation du magasin central de Malines, j'ai été frappé d'un autre fait important, c'est qu'à la fin de décembre 1841 les approvisionnements y étaient bien plus considérables qu'à la fin de décembre 1840. Ils y figurent pour une somme de 100,000 à 200,000 fr. de plus. Encore une dépense où le transport des marchandises n'est absolument pour rien. Voilà déjà 400,000 fr. à déduire de 817,000 fr.
M. le ministre des travaux publics annonce que, dans son crédit supplémentaire, il y a une somme de 257,000 fr., dont on ne lui a pas encore rendu compte. Nous ignorons à quelles dépenses elle doit être affectée. Si ce sont des fournitures, le chemin de fer se sera enrichi en approvisionnement, ce qui n’est pas un mal, mais le nouveau système de transport ne sera pas comptable de cette dépense.
Que M. le ministre des travaux publics veuille bien nous dire à quoi ces 257, 700 fr., sur lesquels nous n’avons point encore de renseignements, ont été appliqués ; si je ne me trompe, ils appartiennent à l'art. 2, qui ne concerne pas le camionnage de marchandises mais la locomotion et la fourniture de toute espèce. Que nous défalquions toutes ces diverses sommes du crédit supplémentaire de 817,000 fr., et nous voyons que la position financière pour 1841 reste très bonne, et que ce serait à tort qu'on se serait effrayé de ce crédit supplémentaire.
Mais, messieurs, il y a une remarque à faire ; c'est que tous les calculs de la commission, si ceux que je viens de présenter sont exacts, c'est que tous les calculs de la commission tombent ; tous ces calculs reposent sur une base fausse, Car la commission a compté dans ses calculs ces 817,000 fr. de crédits supplémentaires comme réellement dépensés en 1841 ; elle est partie de cette base pour déclarer que la situation financière était mauvaise, que le nouveau système du transport des marchandises avait entraîné le pays à des dépenses exagérées, avait ruiné le trésor public ; et voilà comment la commission mal renseignée a établi ses calculs sur des bases entièrement inexactes.
Le camionnage, suivant l'honorable M. Demonceau, coûterait des millions au pays. Messieurs, la dépense pour le camionnage pendant l'année 1841, d'après le rapport même de la commission, s'est élevée à 257,202 fr. Voilà, messieurs, ce qui a été dépensé ; voilà ce qui a été remboursé aux entrepreneurs du camionnage, et dans cette somme, la station d'Ans figure pour la plus forte part. Or, la dépense faite à la station d'Ans était tout exceptionnelle, toute temporaire ; j'ai déjà reconnu, messieurs, que le système du camionnage appliqué d'Ans à Liége, était très onéreux pour le trésor. Aussi, dans mon opinion, il ne devait durer que très peu de temps. L'ingénieur m'avait donné l'assurance que quelques mois après l'application du système du camionnage, les plans inclinés d'Ans seraient ouverts aux marchandises. Dès lors j'ai cru que pour établir le système d'une manière uniforme et complète, on pouvait faire pendant quelque temps un sacrifice. Mais si l'ouverture des plans inclinés d' Ans n’eût pas eu lieu à l'époque fixée, je n'aurais certainement pas souffert que le trésor fût si longtemps en perte, et je ne vois pas pourquoi M. le ministre des travaux publics n'a pas fait rembourser depuis au commerce les avantages tout temporaires que je lui avais faits. Il est certain que l'avantage continué pendant près d'une année devenait alors une assez forte charge pour l'Etat.
L'honorable M. Demonceau n'a pas compris comment un administrateur avait pu accorder 4 fr. par tonneau pour le transport des marchandises de Liége à la station d'Ans. Mais je ne comprends pas comment un représentant, appartenant à une localité industrielle, a trouvé ce prix exagéré. Je crois, messieurs, que c'est un prix très bas, que 4 fr. par tonneau, pour le transport des marchandises depuis le centre et les faubourgs de Liége jusqu'à la station d'Ans. Je pense que le transport par les anciens entrepreneurs ne se faisait pas à ce prix. Eh bien, messieurs, croiriez-vous que l'administration n'a voulu donner à l'entrepreneur du camionnage qu'un franc par tonneau ?
M. Demonceau. - C'est ce que vous avez voulu vous-même.
M. Rogier. - Permettez. Le camionneur avait droit à 4 fr. par tonneau, quand il transportait les marchandises du bureau de Liége à la station d'Ans ; mais comme il lui arrivait souvent de prendre des marchandises au domicile de l'expéditeur, dans ce cas le gouvernement voulait que le camionneur ne reçût plus qu'un franc, alors même qu'il aurait été vendre les marchandises à une demi-lieue au-delà du bureau de Liége. Mais c'était là une prétention peu équitable de la part de l'administration.
M. Demonceau. - C'est ce que vous avez fait vous-même.
M. Rogier. - Ce n'est pas ce que j'ai fait. D'ailleurs, si j'avais fait cela, je n'aurais donc pas voulu enrichir le camionneur, puisque je lui aurais imposé un système vraiment désastreux. Il était impossible au camionneur, alors qu'il recevait 4 fr. pour aller du centre de Liége à la station d'Ans, de se contenter d'un franc, pour aller des faubourgs, d'une autre extrémité de la ville à la station. Il pouvait d'ailleurs échapper à cette clause onéreuse en faisant passer les marchandises par le bureau de Liége.
Du reste, ce n'est là qu'un point tout à fait secondaire dans la discussion. S'il y a eu des inconvénients pour la station d'Ans, si le trésor a été lésé, je répète que c'était là un inconvénient temporaire, que M. le ministre des travaux publics pouvait faire cesser, et qu'il y avait injustice à faire reporter à mon administration un état de choses qu'on aurait pu faire cesser tout de suite si on l'avait voulu.
J'ai dit, messieurs, qu’on avait cherché à rembrunir la situation de l'année 1841. C'est ainsi, par exemple, que M. le ministre des travaux publics annonce le 27 novembre dernier, en demandant les crédits supplémentaires, qu'il y a eu à parcourir pour l'année 1841, 69,500 lieues de plus que pour l'année 1840, c'est-à-dire plus d'un quart. On a demandé comment il y avait eu en 1841 69,500 lieues de plus à parcourir qu'en 1840. Alors sont venus les calculs de la commission des tarifs et ces 69,500 lieues ont été singulièrement réduites. Ce n'est plus 69,500 lieues de plus qu'on a eu à parcourir en 1841 ; ce n'est pas 303,733 lieues qu'on a parcourues, mais seulement 289,000 lieues, c'est-à-dire 16,735 lieues de moins que celles qu'annonçait M. le ministre des travaux publics. Or, 16,735 lieues de moins, à raison de 15 francs 25 c. par lieue (c'est le chiffre de la commission), donnent une somme de 244,000 francs, à déduire du crédit supplémentaire. Il y a eu ici exagération évidente dans les calculs de M. le ministre des travaux publics.
Pour les fournitures, il paraîtrait qu'en 1841 elles auraient pris un accroissement tout à fait extraordinaire. Ainsi en 1839, il avait été dépensé pour 498,000 fr. de fournitures, et pour 465,000 fr. de main d'œuvre. Le prix de la main d'œuvre par une corrélation assez naturelle se rapproche, comme on voit, du prix des fournitures ; en 1840, il a été dépensé 948,000 fr. en fournitures et 806,000 francs en main-d'œuvre. Encore même rapport, entre la main-d'œuvre et les fournitures.
Enfin en 1841, voilà les fournitures qui montent tout-à-coup de 948,000 fr. à 1,633,000 fr., tandis que la main-d'œuvre, qui donne en quelque sorte la mesure de la fourniture, reste au chiffre de 778,000 fr.
Je vois, messieurs, qu'on s'est largement approvisionné en 1841. Nous verrons ce qu'il en sera de l'exercice 1842. Je ne m'oppose pas à ce que M. le ministre des travaux publics approvisionne le chemin de fer en 1841, mais il ne faudrait pas faire payer à 1841 des approvisionnements qui ne seront consommés qu’en 1842.
Voici, messieurs, une autre exagération que je trouve dans le rapport de la commission.
Vous savez, messieurs, qu'à chaque convoi de voyageurs se trouve ordinairement jointe une ou deux voitures dans lesquelles on met les bagages et les petites marchandises. On peut soutenir que ces voitures, jointes à chaque convoi de voyageurs, dans l'état surtout où voyagent les convois, ne coûtent rien ou presque rien à l'administration, parce qu'elles ne font que compléter le poids utile des convois, lesquels ne transportent que rarement le nombre de voyageurs qu'ils pourraient transporter.
Eh bien, d'après le rapport de la commission, ces petites marchandises, transportées dans deux voitures, servant à compléter les convois, auraient entraîné des frais qui s'élevaient à 189,000 fr. S'il en est ainsi, combien va coûter le transport des grosses marchandises ? Car ces petites marchandises ne s'élèvent pas en poids à plus de 7 millions de kilogrammes, tandis que les grosses marchandises s'élèvent à 74 millions de kilogrammes par année. Eh bien, les grosses marchandises n'auraient coûté de transport que 295,000 fr., pas le double des petites marchandises, Ainsi 7 millions de kilogrammes de petites marchandises coûteraient 190,000 fr., et 74 millions de grosses marchandises ne coûteraient pas 300,000 fr.
Je dois donc dire qu'on a cherché à augmenter les dépenses du chemin de fer en ce qui concerne le transport des marchandises, Ou vous demandez trop pour les petites marchandises, ou évidemment, vous demandez trop peu pour les grosses marchandises. Or, je ne crains pas que la commission ait demandé trop peu pour les grosses marchandises.
M. Dumortier**.** - Oui ! oui ! elle a demandé trop peu.
M. Rogier. - Enfin., messieurs, on a présenté aussi sous les couleurs les plus noires le camionnage, Le camionnage a acquis en Belgique depuis quelque temps une sorte de célébrité. Parce qu'un ministre a cherché à rendre le chemin de fer le plus utile possible au plus de monde possible ; parce qu'il a fait remettre les petits et les gros paquets au domicile des destinataires, oh, messieurs, il a perdu l'avenir du chemin de fer, il a ruiné le trésor. Je suis sûr qu'aux yeux de certaines gens le camionnage est devenu une sorte de monstre dévorant ; aux yeux de certains autres je crois que le camionnage n'est pas encore une chose très claire ; beaucoup de personnes raisonnent sur le camionnage sans bien savoir ce que c'est. Je crois donc devoir citer ce que dit à cet égard un homme dont personne ne contestera la compétence en cette matière.
« On entend par camionnage et factage, dans l'industrie des transports, la livraison au domicile du destinataire des colis arrivés au siège de l'établissement, Le camionnage comporte les colis lourds et volumineux du commerce. Le mot factage s'applique plus particulièrement aux articles de messagerie, bagage, finances, papiers d'affaires, etc.
« Les entreprises de transports, messageries, bateaux à vapeur, roulage, font en général leur camionnage et leur factage, et les compagnies des chemins de fer anglais sont entrées également dans cette voie.
« Le roulage, en France, a en outre adopté l'usage d'aller chercher à domicile les colis qu'il doit expédier ; cela s'explique à la fois, et par la concurrence des commissionnaires et par le poids de ces colis, qui exigent souvent des véhicules particuliers.
« A Manchester, la compagnie du chemin de fer n'entretient pas moins de 100 chevaux pour la livraison à domicile et le service de la gare. »
« Le prix du camionnage et du factage est, dans les entreprises de messageries, l'objet d'un tarif particulier, mais les compagnies des chemins de fer anglais le cumulent avec le prix de transport ; ce mode nous paraît très préférable en ce qu'il simplifie les écritures. »
J'appellerai sur ces derniers mots l'attention de l'honorable M. Dumortier, qui a parlé hier de Manchester, Si la compagnie de Manchester emploie 150 chevaux, je ne m'étonne plus qu’elle puisse réduire le nombre de ses ouvriers.
Les détails dont je viens de donner lecture sont précieux, messieurs ; ils viennent d'un homme pratique, d'un homme qui a été longtemps directeur des messageries de France et qui est maintenant à la tête de la société du chemin de fer de Paris à Orléans, de M. Lecomte, en un mot.
Eh bien, messieurs, voici l'opinion de M. Lecomte sur l'utilité du camionnage et du factage faits par l'administration du chemin de fer.
« Une entreprise quelconque doit, avant tout, imprimer à ses opérations ce cachet de bon ordre qui facilite la surveillance et maintient la discipline ; or, rien ne serait plus contraire à ce principe, que l'admission dans l'intérieur des stations de chemins de fer de camionneurs étrangers, sur lesquels on n'aurait qu'une médiocre autorité. Il en résulterait nécessairement une grande confusion ; et la sécurité, dont le commerce a besoin avant tout, en serait diminuée d’une manière notable, Quand bien même, donc, il ne devrait résulter aucun bénéfice du service de camionnage et factage, nous le recommanderions encore comme mesure de bonne administration. »
Je m'en tiens, messieurs, à l'avis de cet administrateur distingué, de cet homme pratique.
Quoi qu'il en soi de tout ce qui précède, je vois encore avec plaisir, messieurs, que nous sommes sur le point de nous entendre ou au moins que nous ne sommes pas aussi éloignés l'un de l'autre, la commission et moi, qu'on pourrait le croire, si l'on s'en rapportait à ce qui a été écrit et dit par les membres de cette commission.
Si l'on s'en réfère à ce qu'a écrit la commission, tout serait mauvais, le tarif des voyageurs et le tarif des marchandises. Cependant le tarif adopté par mon successeur, sur la proposition de la commission, consacre les principes du mien ; et en ce qui concerne la remise à domicile des marchandises, l'honorable M. Demonceau croit lui-même que le camionnage a du bon ; à la fin de son discours d'hier, voici ce que disait l'honorable M. Demonceau :
« Je comprendrais, messieurs, un système de camionnage qui serait appliqué à certaines catégories de marchandises, mais la malheureuse idée d'aller chercher la houille aux houillères pour la transporter au domicile du destinataire, je n'aurais jamais cru qu'elle pût entrer dans la tête d'un administrateur quelconque. »
Ainsi, messieurs, il paraît qu'à part la houille, l'honorable M. Demonceau admettrait le camionnage pour les autres marchandises. Eh bien, messieurs, si le différend ne portait que sur la houille, je crois qu'il y aurait moyen de s'entendre. Je ne suis point absolu dans mes principes ; si l'on croit que le transport de la houille à domicile et la prise de la houille aux houillères présentent des inconvénients pratiques, eh bien, que l'on fasse exception pour les houilles, que le camionnage ne s'étende pas à cette marchandise ; mais au moins qu'on l'admette, ainsi que le désire l'honorable M. Demonceau pour les autres marchandises.
Ainsi, messieurs, on a blâmé hier, et on blâmé dans le rapport de la commission, en théorie, les essais qui ont été tentés par l'administration précédente, et quand on en vient à la pratique, on conseille le maintien de ces essais, on conseille l'application des principes suivis par l'administration précédente, j'ai donc raison de dire, messieurs, que nous ne sommes pas très loin de nous entendre.
Je n'ai point entendu, messieurs, établir des tarifs immuables, non susceptibles de perfectionnement ; je l'ai si peu entendu, que mes essais n'ont eu lien que pour trois mois, que les mesures prises par moi, pouvaient être revues, corrigées et augmentées au bout de trois mois ; je n'ai donc pas entendu arriver tout d'un coup à un régime parfait.
La commission a envisagé ces essais d'un œil très rigoureux ; pour ma part, je ne puis pas dire que j'ai trouvé une impartialité parfaite dans la manière dont la commission a procédé ; mais enfin, si en définitive on adopte sinon complètement, au moins en grande partie, le système que j'ai voulu introduire je fermerai volontiers les yeux sur la manière dont on sera arrivé à ce résultat.
Je suis convaincu que, dans l'état actuel des choses, il ne sera pas possible de revenir à l'ancien système du transport par tonneau et de station à station. Je crois que le nouveau système est déjà tellement entré dans les habitudes, dans les besoins du public, que ce serait en quelque sorte opérer une révolution commerciale que de bouleverser d’une manière complète ce nouveau système qui peut cependant encore être étudié et perfectionné successivement. La commission a montré beaucoup de zèle, elle s'est livrée à ce qu'il paraît, à des études profondes, très détaillées ; elle peut éclairer M. le ministre des travaux publics par de forts conseils ; seulement je demanderai à la commission, dans le cas ou serait de nouveau chargée d'examiner les effets des mesures introduites par moi, à titre d'essai, de ne plus s'en référer entièrement aux chiffres qui lui ont été fournis. Je crois qu'il est démontré à l’évidence que les rapports de la commission sont basés sur des chiffres entièrement inexacts en ce qui concerne les dépenses. Or, messieurs, les dépenses étaient la base principale de tous les calculs à faire par la commission.
M. Delfosse. - Mon intention n'est pas d'entrer dans l'examen des questions qui ont été débattues hier avec une vivacité telle que l'on aurait pu se croire reporté à l'année dernière, à l'époque l'on voulait renverser du ministère l'honorable M. Rogier et ses collègues ; alors, comme hier, on accusait cet honorable membre, bien à tort, selon moi, d'avoir sacrifié les intérêts du trésor à un vain désir de popularité ; alors, comme hier, on déclamait contre le chemin de fer, à la création duquel cet honorable membre doit être fier d'avoir attaché son nom.
Je n'ai demandé la parole que pour combattre une des propositions de la commission des tarifs et pour signaler à M. le ministre des travaux publics le danger qu'il y aurait de l'adopter.
Vous savez tous, messieurs, que, lorsqu'il a été question de construire le chemin de fer, on a fait sonner bien haut les avantages que le commerce et l'industrie en retireraient. Il s'agissait d'ouvrir une voie de communication à bon marché entre Anvers et Cologne pour enlever à la Hollande le transport des marchandises destinées à l'Allemagne ; le transport par le chemin de fer devait coûter moins que par le Rhin.
C'était là une considération puissante qui a exerce de l'influence sur la chambre, qui a engagé beaucoup de membres à se montrer favorables à un projet de nature à entraîner de grandes dépenses, mais offrant d'un autre côté d'amples compensations.
La commission des tarifs vient proposer aujourd'hui (voir page 31 de son rapport) d'établir comme minimum du tarif pour le transport des marchandises de la 2e catégorie, c'est-à-dire de celles qui activent le plus le transit et le commerce, 7 1/2 cent, par kilog, et par lieue de 5,000 mètres, non compris le camionnage, qui ne se ferait plus pour compte de l'Etat. Je n'ai rien à dire contre la suppression du camionnage aux frais de l'Etat, mais je dois m'élever avec force contre le chiffre que la commission propose comme minimum. 7 1/2 cent. par lieue, cela ferait 1 fr. 72 1/2 cent, pour les 23 lieues qui séparent Anvers de Liège ; si vous ajoutez à cette somme les frais de camionnage dans les deux villes, vous verrez que le transport d'Anvers à Liége ne coûterait pas moins de 2 fr. par 100 kilog., si la proposition de la commission était admise.
Eh bien, messieurs, il est de notoriété publique que ce prix de 2 fr. par 100 kilog. était précisément celui qui était payé avant l’établissement du chemin de fer, et alors l'on avait un avantage que l’on n'aura plus aujourd’hui, le négociant recevait les marchandises à la porte de son magasin, sans aucune espèce d’embarras.
Le coût du roulage d'Anvers à Cologne était autrefois de 3 fr. 25 c. par 100 kilogr, ; le coût du roulage de Liége à Cologne est en ce moment de 3 fr. 25 c. par 100 kilogr. Si vous ajoutez les 2 francs qu'il faudra payer pour le transport d'Anvers à Liége par le chemin de fer, il n'y aura plus, quant au prix, la moindre différence entre l'ancien et le nouveau mode de transport.
Si le chemin de fer était achevé jusqu'à Verviers, ce serait pis encore ; la distance entre Verviers et Anvers étant de 140 kilomètres, il faudrait payer 2 fr. 10 c. par 100 kilogr. pris à la station, et le coût du roulage de Verviers à Cologne étant le même que celui de Liége à Cologne, on paierait en définitive pour le transport d’Anvers à Cologne 5 fr. 35 c., au lieu de 5 fr. 25 c., de manière qu’il y aurait avantage à ne pas se servir du chemin de fer de Liége à Verviers.
Je vous le demande, messieurs, quelle serait l'utilité du chemin de fer pour le commerce et l'industrie, si cette voie de communication ne doit pas amener la plus légère baisse dans le prix des transports ? Comment pourrions-nous, je ne dirai pas l’emporter sur la Hollande, mais lutter contre elle ; et que deviendront les promesses faites ?
Mais, dit l'honorable M. Dumortier, et d'autres avec lui, il faut bien que le chemin de fer couvre ses frais : la loi et l'équité le veulent ainsi.
J'en demande bien pardon à l'honorable M. Dumortier, mais lorsque la loi a dit que les produits du chemin de fer serviraient à couvrir les intérêts et l'amortissement de l’emprunt, elle a voulu dire que les produits du chemin de fer seraient employés à cela, qu'ils n’auraient pas d'autre destination ; mais elle n'a pu ni voulu dire qu'il fallait nécessairement que les intérêts et l’amortissement de l'emprunt fussent couverts par les produits du chemin ; la loi n'a pu ni voulu ordonner l'impossible, et telle circonstance peut se présenter où il serait impossible, malgré tout ce que vous pourriez faire, d'élever les recettes du chemin de fer au niveau des dépenses.
L'élévation des tarifs ne conduit pas toujours au but qu’on se propose ; elle mène quelquefois au but contraire. C'est ainsi que l'élévation des tarifs pour les transports des marchandises pourrait faire revivre le roulage, et diminuer les produits du chemin, au lieu de les accroître. Si cela arrivait, vous devriez nécessairement recourir à un tarif plus modéré pour faire tomber le roulage une seconde fois. Je suis vraiment surpris que l'honorable M. Dumortier, qui a blâmé hier, avec tant d'énergie, les essais faits par M. Rogier, vienne nous proposer celui-là.
Mais, dit encore l'honorable M. Dumortier, pourquoi le contribuable qui n'est pas à la portée du chemin de fer, qui ne jouit pas du chemin de fer, devrait-il payer pour ceux qui en jouissent ? Pourquoi ? mais par une raison bien simple, parce que moi qui ne vais jamais dans le Luxembourg, je paie pour les routes qui se font dans cette province, parce que je paie pour la British-Queen**, bien que je n'aie pas l'intention d'aller en Amérique, et bien que je n’aie pas de marchandises à y envoyer, parce que je paie le poisson plus cher, pour favoriser les pêcheurs d'Ostende ; enfin pour mille autres causes que l'honorable M. Dumortier connaît aussi bien que moi.
En supposant même, messieurs, que la loi dût être entendue dans le sens indiqué par l'honorable M. Dumortier, est-ce en élevant les tarifs qu’on pourrait en assurer l’exécution. Mais, j’ai déjà eu l’honneur de le dire, l’élévation des tarifs n’est pas toujours une cause d’augmentation, elle peut être une cause de diminution des produits. Je trouve dans le discours même de l’honorable M. Dumortier un moyen beaucoup plus simple et plus raisonnable que celui qui est proposé par la commission, pour établir l’équilibre entre les recettes et les dépenses du chemin de fer.
L’honorable M. Dumortier a signalé un abus sur lequel, du reste, l’honorable M. Rogier a donné tout à l’heure quelques explications. Selon l’honorable M. Dumortier, il y aurait à la station d’Ans, où l’on ne transporte que 250 tonneaux par jour, 81 employés, tandis qu’il n’y en aurait que 18 au bureau de Manchester, où l’on transporte 1,000 tonneaux par jour. Si cette différence existe, l’abus serait criant. Mais il n’est pas le seul, je suis sûr qu’il y en a beaucoup d’autres ; on est effrayé lorsqu’on voit que les dépenses spéciales et variables d’un seul trimestre, pour le transport des marchandises, s’élèvent à la somme énorme de 186,296 fr., tandis que les dépenses de locomotion ne sont que de 133,000 et quelques francs.
C’est là que M. le ministre des travaux publics doit porter toute son attention, c’est en mettant un terme aux abus, et non en grevant le commerce et l’industrie, qui ont besoin au contraire de protection, qu’il faut rendre le chemin de fer plus productif.
Il y aurait d’ailleurs par trop d’injustice à faire peser sur les bonnes lignes du chemin de fer le déficit provenant des lignes peu fréquentées. Pourquoi, demanderai-je à mon tour à l’honorable M. Dumortier, moi habitant de Liége, devrais-je payer plus cher sur la ligne de Liége à Anvers, parce qu’il y aurait moins de recettes sur l’embranchement de Landen à St.-Trond ?
M. Osy. - Messieurs, je pense avec d’honorables préopinants qu’il y a effectivement dans l’administration dont nous nous occupons de très grands abus qu’il importe de réformer au plus tôt ; et à cet égard, je ne puis que me joindre à l’honorable M. de Theux, pour engager M. le ministre des travaux publics à conserver pendant quelques temps la commission du chemin de fer, tant pour continuer l’examen du tarif que pour porter ses investigations sur les dépenses considérables qu’absorbent le personnel et les transports.
Je prierai ensuite M. le ministre des travaux publics de vouloir bien faire en sorte, lorsqu’on arrêtera le tarif pour le transport des marchandises vers la Prusse, que ce tarif ne soit pas plus élevé que le prix du transport des marchandises par le Rhin.
Je crois que la différence en moins, qui résulterait de ce chef, pourrait être facilement compensée par une augmentation de 10 p.c. sur le transport des voyageurs.
Je ferai maintenant une autre observation. J’ai vu, dans le cahier transmis par la cour des comptes, que nous avions un receveur central ; ce receveur avait encore, l’année dernière, à rendre compte à cette cour d’une dépense de plus de six millions de francs. Il me paraît que nous pourrions nous passer de ce receveur ; la comptabilité serait plus facile, et certainement il y a plus que du danger à laisser une somme aussi considérable dans les mains d’un receveur qui n’est pas soumis à un contrôle.
Les chefs des stations versent tous les jours chez les receveurs du trésor, le montant de leurs recettes. Il me paraît qu’à l’exemple de ce qui se passe dans les douanes et dans les accises, les chefs des stations pourraient très bien payer les employés sous leurs ordres.
En ce qui concerne les grandes dépenses à faire pour la construction du chemin de fer, je crois qu’elles pourraient se liquider par voie de mandats à délivrer par M. le ministre des travaux publics, et qu’on pourrait dès lors supprimer un emploi qui n’est pas seulement onéreux, mais même dangereux par l’absence de cautionnement de la part du titulaire.
On pourrait augmenter les recettes du chemin de fer, en supprimant toutes les cartes qu’on accorde gratuitement à des voyageurs. J’ai souvent vu une foule de personnes qui voyageaient gratuitement avec de semblables cartes ; d’autres n’ont pas même cette carte, parce qu’ils sont commis, ou parce qu’ils sont employé du gouvernement.
Je pense, moi, que les employés de tous les grades, à commencer par le ministre lui-même, devraient payer leurs places sur le chemin de fer ; car, quand le ministre va en mission, il lui est payé des frais de route et de séjour. Et je dirai à cette occasion qu’un honorable collègue qui a été plusieurs fois au ministère, qui a été même à la tête de la direction des travaux publics, payait toujours sa place, quand il voyageait. C’est un bel exemple à suivre. J’appelle sur ce point l’attention de M. le ministre.
Je voudrai même que les employés des stations ne pussent voyager sans un ordre du chef de station, sans avoir une commission.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, je vais d’abord répondre à diverses observations qui ont été faites dans cette discussion. Je parlerai, en premier lieu, de la réclamation qu’a faite un honorable député de Verviers, en ce qui concerne la route de la Vesdre.
C’est une question que j’ai trouvée, lors de mon entrée au ministère, dans une situation compliquée et difficile. Cependant, après une instruction convenable, après avoir recueilli tous les documents et rapports nécessaires, pour arriver à une solution, j’ai adressé toutes les pièces de l’instruction au conseil des ponts et chaussées, par lettre du 25 novembre dernier ; j’espère que ce conseil pourra bientôt me remettre son rapport, et messieurs les actionnaires de cette route peuvent être certains que je continuerai à donner toute ma sollicitude à l’examen des questions graves que soulève leur réclamation, mais je dois les prévenir qu’avant tout j’aurai à examiner si la solution peut être administrative, ou si elle doit être judiciaire ou législative.
Un honorable député de Mons vous a présenté hier quelques observations et calculs sur le tarif de la ligne du Midi des chemins de fer, qu’il a comparé à celui qui est établi sur d’autres lignes.
Messieurs, je n’ai rien à dire sur les calculs et sur les résultats auxquels est arrivé cet honorable membre. Ces résultats sont exacts, ces calculs sont justes. Toutefois je dois lui faire observer qu’il n’a pas tenu compte des détours que le tracé du chemin de fer oblige de faire dans la direction de Bruxelles à Louvain et à Gand.
Il y a, messieurs, j’en conviens, dans le tarif du 17 août quelque incohérence, quelque disproportion entre les tarifs de plusieurs sections comparées les unes aux autres. Mais ces incohérences, qui sont, quoi qu’on en dise, plus nombreuses dans le tarif du 10 avril que dans tout autre, parce que la plupart sont dues à d’autres causes, mais les incohérences du tarif du 17 août ont dues aux détours dont je viens de parler, et aussi à un vice, si toutefois il y a vice, à un vice originel. Voici le système qui a été toujours suivi pour tous les tarifs qui ont été successivement établis. Au fur et à mesure qu’une section est venue à être livrée à l’exploitation, on a appliqué à cette section les bases qui avaient été adoptées pour les autres sections déjà en exploitation, mais en combinant ces bases avec les prix de transport existant sur les routes ordinaires que ces nouvelle sections étaient destinées à remplacer.
De là, il est arrivé nécessairement que sur telle section on s'est trouvé payer plus cher que sur telle autre, parce que les prix existants sur les routes ordinaires étaient plus élevés sur ces routes-là. Et que sur les routes qui faisaient concurrence aux autres sections. Et, je dois le dire, messieurs, c'était là une manière tout à fait rationnelle de procéder, car il fallait, avant tout, faire arriver les transports au chemin de fer. Les voyageurs se trompaient d'ailleurs toujours, par le fait de la mise en exploitation de ces sections du chemin de fer, mieux traités qu'ils ne l'étaient pour les routes ordinaires.
Ce n'est, messieurs, que lorsque toutes les lignes auront été mises en exploitation, qu'il sera possible d'arriver à un système complet ; mais alors il y aura à examiner d'abord si le tarif doit être uniforme pour toutes les sections, quel que soit le coût de construction, quel que soit le coût d'exploitation et quelque plus ou moins élevés que se trouveraient être, au moment de la mise en exploitation, les prix de transport sur les routes ordinaires auxquelles ces parties de chemin de fer se sont substituées. Dans le cas où l'on se déciderait pour un tarif uniforme, il faudrait encore voir, pour l'application des prix aux distances, s'il faut calculer la distance en ligne droite de clocher à clocher, ou bien prendre en considération soit la distance parcourue sur le chemin de fer, en tenant compte des détours par Malines et par Gand, soit la distance qu'on parcourait sur les routes ordinaires avant l'établissement du chemin de fer. Voilà les questions qui sont à examiner, mais qui ne pourront l'être que lorsque toutes les lignes pourront être mises en exploitation.
Je crois devoir faire connaître à l'honorable député de Mons, qui m'a présenté les observations auxquelles je réponds, que s'il faut tenir compte, dans la fixation des tarifs, des différents objets dont je viens de parler, s'il faut que le tarif soit proportionnel au coût de l'établissement, les lignes les plus favorisées aujourd'hui devront encore être dégrevées.
Messieurs, on a parlé aussi de la jonction de la ligne du Midi aux autres lignes dans Bruxelles. Il n'y a pas aujourd'hui de solution de continuité à Bruxelles pour les marchandises. Les marchandises se transportent au moyen de chevaux d'une station à l'autre par le chemin de fer de raccordement qui est établi. Mais il est vrai que pour les voyageurs il y a solution de continuité, parce que le chemin de raccordement, tel qu'il est, ne peut pas être employé d'une manière utile et convenable au transport des voyageurs.
Je dois faire observer que, pour le rendre propre au service des voyageurs, il faudrait faire une dépense qui monterait à plus de 500 mille francs, et qu'en outre il faudrait des dépenses d'exploitation beaucoup plus fortes que celles qui existent aujourd'hui.
Je dois dire de plus que la réclamation qu'a faite ici à cet égard l'honorable M. Sigart, est la première, la seule réclamation à ce sujet qui me soit parvenue depuis que je suis au ministère. Aussi, jusqu'ici j'ai dû croire qu'on ne demandait pas que cette ligne de raccordement fût employée au transport des voyageurs. C'est, du reste, une question que je ne refuse pas d'examiner.
Quant au défaut de surveillance que l'honorable M. Sigart a remarqué sur la ligne du Midi, en partant de Bruxelles, je le remercie sincèrement de l'observation qu'il m'en a faite, car on me fera toujours plaisir en me faisant connaître que mes employés ne suivent pas ponctuellement les ordres qui leur sont donnés.
L’honorable M. Eloy de Burdinne pense que je ne puis pas trop compter sur le produit actuel du chemin de fer, que j'ai calculé par mois être de 100,000 fr. par lieue, parce que, dit-il, les lignes actuellement exploitées sont celles les plus productives.
Je suis fâché de ne pas pouvoir être d'accord avec lui. Je pense, au contraire, que non seulement les lignes encore en construction, produiront, terme moyen, plus que les lignes actuellement exploitées, et feront même produire à ces lignes plus qu'elles ne produisent maintenant ; car on ne doit pas perdre de vue que, par la mise en exploitation des lignes aujourd'hui en construction, nous allons toucher à l'Allemagne et à la France.
On voit donc que je n'ai pas tort de compter sur ce résultat, que l'honorable membre trouve lui-même très beau, de cent mille francs par lieue.
Ensuite, je prie l'honorable membre de se tranquilliser en ce qui me regarde personnellement ; bien que j'aie lieu de compter sur ce résultat de cent mille fr. par lieue au moins, je ne m'endormirai pas. Je tiens à l'honneur d'arriver à mieux que cela, en remplissant fidèlement et loyalement mes devoirs envers le Roi et le pays.
Je l'ai déjà dit, je crois qu'il est de mon devoir d'apporter toute l'économie possible dans les dépenses et d'amener tout l'accroissement possible dans les recettes. Et quand je dis tout l’accroissement possible dans les recettes, je fais, par le mot possible dont je me sers, allusion aux intérêts de l'agriculture, de l'industrie et du commerce, qui doivent aussi désirer un grand produit dans les recettes que donnent les transports à l’intérieur, s'ils veulent que des faveurs puissent être accordées plus tard à l'exportation et au transit.
Messieurs, on a beaucoup critiqué le tarif du 3 février 1839, introduit par mon honorable avant-dernier prédécesseur. On a argumenté de ce que, lors de l'introduction de ce tarif, des diminutions avaient eu lieu sur le nombre des voyageurs, et on a attribué ces diminutions à ce que ces prix avaient été augmentés.
Mais, messieurs, on n'a pas fait attention à une chose bien essentielle, c'est l'époque à laquelle ce tarif a été introduit, Toute la chambre se souvient que l'année 1839 a été une année de crise politique et aussi une année de crise pour le commerce et l'industrie, qu'en conséquence, il y a eu moins de mouvement de voyageurs et de marchandises.
Tout le monde peut aussi avoir remarqué que, s'il y a eu dans les premières années des recettes produites par l'engouement de la nouveauté du chemin de fer, en 1839 on était arrivé près du terme de l'influence de cet engouement.
Messieurs, je ne crois pas devoir répondre en détail aux observations qui ont été faites en comparant le tarif du 17 août dernier, que j'ai arrêté et le tarif du 10 avril de l'honorable M. Rogier. Les résultats sont là ; l'accroissement du nombre des voyageurs est resté acquis et les recettes se sont beaucoup accrues.
Je crois qu'il suffit de ces résultats remarquables, pour démontrer à l'évidence que le tarif du 17 août, qui se rapproche plus du tarif du 3 février 1839 que de celui du 10 avril est de beaucoup préférable à ce dernier.
C'est à tort, selon moi, que l'honorable M. Rogier a argumenté en sa faveur des nombreux jours de mauvais temps qu'il a fait pendant que son tarif a été mis à exécution. Je soutiens, au contraire, que le mauvais temps a été favorable à son tarif, et voici comment je le prouve. D'abord l'honorable M. Rogier a porté ses diminutions les plus fortes sur les petites distances. Or, quels sont les voyageurs à petites distances ? C'est précisément la classe ouvrière et les gens de la campagne. Or, pour ces personnes-là, les péages du chemin de fer, quelque petits qu'ils soient, sont toujours sensibles, parce que leur bourse n'est pas bien garnie, et lorsqu'il fait beau, ils sont plutôt tentés de faire leur petit voyage à pied, tandis que quand il fait mauvais temps, ils sont obligés de se mettre en waggon.
Ensuite le mauvais temps a encore eu pour effet de faire que des voyageurs qui, s'il avait fait beau, se seraient mis en waggon, se sont mis en char-à-banc. Ainsi, vous le voyez, le mauvais temps a été plus favorable à son tarif que ne l'eût été le beau temps.
Quant aux marchandises, je suis à cet égard, à délibérer sur les rapports, si lumineux et si consciencieux, que m'a remis la commission, je crois donc ne pas devoir entrer dans des détails sur ce qui concerne les marchandises, et je mettrai bien certainement à profit tout ce qui a été dit pour et contre telle ou telle opinion dans cette discussion ; mais je dois cependant faire observer à l'honorable M. Rogier, qu'il me paraît tirer trop d'avantage en faveur des mesures qu'il a prises de l'augmentation du nombre des kilogrammes transportés par le chemin de fer, depuis l'introduction de son système de transport.
Je l'ai déjà dit dans une autre séance : toutes les fois qu'une nouvelle voie de communication est ouverte à la circulation, ce n'est pas tout d'abord que les relations s'établissent sur cette voie ; ce n'est que progressivement. Eh bien, voyons le tableau qui se trouve à la page 79 du premier recueil du rapport de la commission. Vous y voyez que par le premier système, pour les transports de station et station, et les remises à domicile par messagistes et commissionnaires, la progression a été telle que le total des transports s'est élevé en mars 1839, où il n'a été que de 584,502 kilogrammes, à 9,547,000 kilogrammes pour le mois de juillet 1840 ; la progression a continué pour le second système introduit par M. Rogier, en août 1840. Pendant les deux premiers mois de ce nouveau système, il y a eu toutefois diminution ; en juillet 1840, on avait transporté 9,547,000 kilog., en août 1840 ou n'a transporté que 6,999,577 kilog. Ensuite la progression a repris pour arriver, en février 1841 à son maximum,qui est de 15,244,633 kilog. ; et enfin par le troisième système, on est arrivé en novembre 1841 à un maximum de 15,842,390 kilog. Ainsi vous voyez que sous le troisième système la progression n'a été que de 600,000 kilogrammes.
Pour démontrer combien progressivement les transports augmentent sur les nouvelles voies de communication, je vous ai cité dans une autre séance et je vous citerai encore le canal de Charleroi, Là, le tarif n'a pas varié ; ce canal n'a produit que 600,000 francs en 1832, tandis qu'en 1841 il a produit 1,320,000 fr. Vous voyez combien les transports sont progressivement augmentés en peu d'années par la seule influence du développement des relations. Aussi je ne prétends aucunement que mon tarif du 17 août pour les voyageurs ait produit l’augmentation de ceux-ci relativement à 1840 ; mais toujours est-il qu'il n'en a pas fait perdre et qu'il a notablement accru les recettes. .
Je ne puis que remercier la section centrale de la manière loyale, scrupuleuse et approfondie avec laquelle elle a examiné le budget des travaux publics. Il est cependant dans son rapport quelques passages, très peu nombreux à la vérité, auxquels je dois répondre, afin de répondre en même temps à des insinuations malveillantes tirées de ces passages et en dehors et en dedans de cette chambre, et cela, j'en suis persuadé, contrairement aux intentions de la section centrale.
La section centrale vous dit dans son rapport :
« Quant à l'approbation des adjudications publiques, elle dépend naturellement de circonstances que l'administration seule est à même de vérifier ; on ne peut donc que s'en rapporter à sa prudence dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'elle doit avoir à cet égard.
« Du reste, le ministre doit avoir eu des motifs bien puissants d'user de cette latitude en désignant comme adjudicataire des travaux, l'auteur d'une soumission de 669,000 fr.
« Tandis qu'il en existait une de 611,000 fr.
« Ce qui présente une différence en plus de 58,000 fr.
« Comme le fait remarquer la Cour des Comptes, p. 36 de son rapport. »
Vous le savez, messieurs, toute latitude doit être accordée au ministre des travaux publics, parce qu'il ne suffit pas toujours, il est même quelquefois dangereux pour l'exécution et aussi pour le montant de la dépense des travaux de prendre le seul motif de ce qu’il a présenté la soumission la plus basse, tel ou tel entrepreneur incapable. La digue de Borgerweert offre un exemple bien frappant de la vérité de cette assertion. Là, pour avoir donné la préférence à un soumissionnaire qui différait de 100,000 fr. seulement avec le soumissionnaire immédiatement plus élevé, on a été amené à dépenser six à sept cent mille francs de plus.
Maintenant, pour le cas particulier dont il s'agit, je vais vous faire connaître quels ont été les résultats de l'adjudication sur laquelle j'ai été appelé à décider. La soumission du moindre soumissionnaire était en effet de 611,000 fr., et celle du soumissionnaire qui le suivait immédiatement après était de 669,000 fr.
Le rapport de l'ingénieur chef de service concluait ainsi : « Le rabais considérable effectué par le sieur sur une estimation peu susceptible d'en éprouver et la circonstance que cet entrepreneur n'a exécuté jusqu'à ce jour que des travaux d'une importance très secondaire me donnent la certitude qu'il ne pourrait mener l'entreprise à bonne fin, Je ne puis dès lors aviser à ce qu'il soit rendu adjudicataire, d'autant plus que ses cautions ne me paraissent pas offrir les garanties de solvabilité nécessaires et que lui-même est dépourvu des connaissances que l'on est en droit d'exiger pour l'exécution des travaux d'une importance aussi majeure. »
Voici maintenant ce que disait dans son rapport le directeur des chemins de fer en construction auquel l'ingénieur chef de service avait adressé le sien.
« Le rabais considérable d'environ 23 p. c, que la première soumission offre sur le détail estimatif dont les prix étaient moins élevés que ceux des deux autres sections adjugées le même jour, joint à cette circonstance que le sieur … n'a pas jusqu'ici exécuté des travaux d'une grande importance, ont engagé M. l'ingénieur en chef dans son rapport ci-joint en copie à proposer d'accorder l'entreprise au second soumissionnaire le sieur...
« A mon avis cependant, tout en partageant l'opinion de Mr... sur l'exagération du rabais et le défaut d'antécédents du sieur… je ne pense pas que l'administration puisse repousser cet entrepreneur dans le cas où il présenterait à l'agréation de votre département des cautions d'une solvabilité bien établie. »
En présence de ces deux rapports, que fallait-il faire, si ce n'est ce que j'ai fait ? J'ai donné l'ordre de faire savoir au soumissionnaire qu'il aurait à fournir de nouvelles cautions, Malgré les divers délais qui lui ont été accordés il est resté tout à fait en défaut de satisfaire à ma demande, C'est ce qui résulte de la note suivante du chef de division inscrite sur la minute de l'arrêté par lequel j'ai pris une décision : « Le sieur … ne s'étant pas présenté pour fournir de nouvelles cautions et le délai qui lui avait été fixé en conformité des ordres de M. le ministre étant expiré, je pense qu'il y a lieu d'adjuger l'entreprise conformément aux conclusions de M. l'ingénieur… »
J'ai appris depuis, messieurs, que ce soumissionnaire, qui du reste ne m'a fait aucune réclamation à cet égard, avait renoncé à l'entreprise, et qu'il n'avait pas répondu du tout à la demande de fournir d'autres cautions, parce qu'il trouvait qu'effectivement il avait fait un mauvais marché qu'il lui serait impossible d'amener à bonne fin.
Une autre observation, messieurs, que je trouve dans le rapport de la section centrale, est celle-ci :
« Des membres ont fait remarquer qu'il ne parait pas y avoir de contrôle suffisant au magasin central de Malines ; que ce contrôle ne saurait exister que lorsqu'il est exercé par des personnes en dehors de l'administration intéressée. Ils ont demandé pourquoi l'on n'avait pas donné suite à l'arrêté organique d'un contrôle pour le magasin dont il s'agit.
« La section centrale, après avoir entendu M. le ministre sur ce point, émet le vœu que le gouvernement avise aux moyens d'établir un contrôle indépendant et vigilant, tant pour la construction que pour l'exploitation du chemin de fer ; ce contrôle, qui lui paraît indispensable, ne peut jamais être trop sévère dans une entreprise aussi vaste par les travaux que par les dépenses dans lesquelles elle a engagé le pays. »
On pourrait croire, d'après cela, messieurs, qu'il n'y a actuellement pas de contrôle à l'égard de ce magasin central. Eh bien ! messieurs, au contraire, ce contrôle existe, et je puis vous démontrer, par la comparaison des divers articles de l'arrêté du 31 mars 1841 de mon honorable prédécesseur, par lequel il a cru introduire ce contrôle, qu'il ne faisait, par cet arrêté (que, je l'avoue, je n'ai pas exécuté et vous allez savoir pourquoi) qu'il ne faisait que confirmer tout ce qui existait dans les règlements alors en vigueur, si ce n'est qu'il substituait pour certaines parties du service le directeur de la régie et quelques-uns de ses employés au directeur de l'exploitation et à quelques-uns de ses employés : et comme vient de vous le faire remarquer l'honorable M. Osy, le directeur de la régie a lui-même besoin d'être contrôlé. Car il a des fonds très considérables à manier. C'est, messieurs, pour arriver à le contrôler pour faire vérifier sa caisse à l'improviste par des fonctionnaires attachés à mon administration centrale, que j'ai promu dernièrement le chef de bureau qui dirigeait en chef la comptabilité dans mon administration centrale, au grade de chef de division, afin qu'il fût assez élevé en grade pour pouvoir, sur les ordres qu'il recevait de ma part et qu'il recevrait à l'improviste, aller vérifier la caisse et les livres de l'agent comptable payeur du chemin de fer, qui est appelé directeur de la régie.
Messieurs, j'ai fait faire le travail de la comparaison de l'arrêté du 31 mars, par lequel on a prétendu organiser le contrôle qui n'existait pas, avec les règlements existant avant le 31 mars. Eh bien ! messieurs, comme je viens de vous le dire, à l'exception de cinq ou six articles nouveaux, qui sont portés, pour arriver à remplacer le directeur de l'exploitation et plusieurs de ses employés par le directeur de la régie et plusieurs de ses employés, je ne trouve de nouveau, de véritablement nouveau que le second paragraphe de l'article 50. Voici, messieurs, cet article 50 : « La commission d'ingénieurs (car il est bon que vous sachiez qu'il y a une commission d'ingénieurs chargée de la réception de toutes les fournitures qui vont au magasin central) ; la commission d'ingénieurs, chaque fois que le directeur de l'exploitation en donnera l'ordre, devra visiter le magasin central, afin de s’assurer que les objets dont le garde-magasin doit être dépositaire d'après le registre y existe, en bon état de conservation. »
Eh bien, ce premier paragraphe de l'article 50 de l'arrêté du 31 mars n'est autre chose que l'art. 36 du règlement qui existait auparavant. Mais voici un paragraphe nouveau. C'est le second,
« Le directeur de l'exploitation devra toutefois prévenir le directeur de la régie de sa visite, au moins huit jours d'avance. »
Voilà, messieurs, le contrôle qu'on introduisait par l'arrêté du 31 mars et que je me suis permis de ne pas exécuter.
Messieurs, j'en viens maintenant à un fait beaucoup plus grave. J'ai trouvé à la page 2 du rapport de la section centrale, sur les crédits supplémentaires, cette phrase :
« La majorité de la section centrale adopte en conséquence le crédit demandé à l'art. 2 ; mais elle fait remarquer qu'un transfert indirect a eu lieu d'un exercice à un autre, mode de procéder qui lui a paru peu régulier. »
Ici, messieurs, je dois le dire, c'est avec un sentiment pénible que je me vois forcé de m'expliquer sur ce point, et par l'insistance qu'a mise mon honorable prédécesseur à faire des observations peu obligeantes pour moi à la section centrale sur ce transfert irrégulier, et par l'espèce d'accusation à cet égard dont il vient encore de me rendre tout à l'heure l'objet.
Il doit cependant savoir, cet honorable membre, comment ce transfert irrégulier a eu lieu. Ce transfert irrégulier se divise en deux ; le premier est relatif à des imputations de fournitures faites en vertu de marchés passés en 1840, que l'on a transférés sur l'exercice 1841
Vous vous souvenez, messieurs, que lorsque mon honorable prédécesseur a présenté le budget de 1841, il avait dit dans une note des développements qu'il serait obligé de demander un crédit supplémentaire de 375,000 fr. pour l'exercice 1840, et qu'ensuite dans l'exposé des motifs de la loi de transfert qu'il est venu présenter, il a dit qu'on n'avait pas besoin de ce crédit supplémentaire.
Eh bien ! messieurs, ces 375,000 fr. étaient composés en partie de dépenses résultant, comme je viens de le dire, des marchés passés en 1840.
Jusque là la cour des comptes s'était toujours refusée à imputer autrement que sur l'exercice auquel appartenait la date du marché. Mais mon honorable prédécesseur a transmis à la cour des comptes des pièces pour liquider cette dépense sur l'exercice 1841. Une longue correspondance s'est engagée entre la cour des comptes et mon honorable prédécesseur sur ce point ; et enfin, répondant à une lettre qu’il lui avait écrite le 8 avril, la cour des comptes, par lettre du 30 avril, m'a fait connaître que, pour cette fois,elle apposait son visa, mais qu'elle me priait de me souvenir que dans ladite lettre du 8 avril, on promettait de ne plus imputer les fournitures venant des marchés,-que sur l'exercice auquel appartient la date du marché.
Il y a alors une autre partie dont se compose ce transfert, et celle-là ne m'appartient pas plus que l'autre. Je crois devoir laisser à mon honorable prédécesseur le soin de l'expliquer lui-même.
M. Rogier. - Je demande la parole pour un fait personnel. M. le ministre des travaux publics vient de parler de deux transferts, sur le premier desquels il a donné des explications ; quant au second, il s'est abstenu d'en donner, disant qu'il me laissait ce soin.
J'ignore pourquoi mon honorable successeur me laisse le soin de répondre sur ce transfert, je voudrais qu'il s'expliquât d'une manière plus catégorique sur ce point.
Lorsqu'il a annoncé qu'il était affecté d'un sentiment pénible, on ne pouvait s'attendre à des révélations plus ou moins pénibles aussi pour moi. Le silence que M. le ministre garde maintenant pourrait faire planer de singuliers doutes dans la chambre sur les actes de mon administration. Je conjure donc l'honorable M. Desmaisières de vouloir bien s'expliquer d'une manière plus catégorique sur le transfert auquel il vient de faire allusion. Je l'en prie, je pense même qu'il y est obligé par la loyauté.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Ainsi, vous le voulez.
M. Rogier. - Certainement.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, cette autre partie du transfert consiste en ce qu’on a changé les dates des pièces de liquidation. De la date de 1840, on a fait la date de 1841.
M. Rogier. - Peut-être M. le ministre des travaux publics trouvera-t-il mon intelligence un peu obtuse, mais je voudrais encore quelques explications de plus sur ce point. Car avoir changé les dates de certaines fournitures, mais c'est là, je crois, un fait qui se présente très souvent dans l'administration.
Je désire donc que M. le ministre des travaux publics, et il le doit, expose le fait en son entier, et qu'il ne se borne pas à certaines allusions plus ou moins perfides. J'exige des explications complètes sur ce point.
J'ignore à quel transfert M. le ministre veut faire allusion. Je suis entièrement étranger à ce changement de date. Je suis étranger à ce qui s'est passé à cet égard dans mes bureaux. Non pas que je veuille me retrancher derrière mes bureaux.
Je crois qu'un ministre doit prendre hardiment, résolument la responsabilité de ses actes sans se cacher derrière personne. Mais je somme M. le ministre des travaux publics de s'expliquer catégoriquement. Je crains qu'on ne veuille, par un silence calculé, donner une grande portée à un acte qui n'en a aucune.
Je suis bien convaincu de n'avoir posé aucun acte devant la publicité duquel j'aurais à reculer. Je suis bien convaincu que l'acte dont veut parler M. le ministre, aussitôt qu'il sera débarrassé du nuage dont on veut l'envelopper, s'expliquera très facilement et de manière à ne pas tourner à la confusion du ministère prédécesseur du ministère actuel.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, j'ai plusieurs des pièces ici ; je les déposerai sur le bureau, on y verra que non seulement des pièces de comptabilité, mais même des lettres ont été changées de date. Voici quelques-unes de ces pièces : (M. le ministre donne lecture de diverses pièces où la date de 1840 a été barrée et remplacée à l'encre rouge par celle de 1841. Il dépose les pièces sur le bureau).
M. Rogier. - Je prends acte du silence obstiné de M. le ministre.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Vous n'avez pas la parole, je vous prie de ne pas m'interrompre.
J'ai déposé les pièces sur le bureau et tous les membres de la chambre doivent reconnaître que si j'ai fait cette révélation, c'est l'honorable M.. Rogier qui, par les insinuations qu'il a eu la désobligeance de faire dans le sein de la section centrale et dans cette chambre, encore tout à l'heure, m'a forcé à faire connaître ces faits. Il a poussé cette désobligeance jusqu'à m'imputer le fait d'un transport irrégulier qui lui appartenait ; jusqu'à vouloir même qu'on me blâmât sévèrement à cet égard dans le rapport de la section centrale.
M. Rogier. - Le transfert dont il s'est agi dans la section centrale concerne une fourniture de charbon faite en 1840 et payée sur le budget de 1841. La section centrale a dit que cette manière de procéder était irrégulière.
Maintenant M. le ministre des travaux publics recule devant la révélation que je l'aurais forcé de faire par des insinuations désobligeantes.
Je ne sais aucun gré à M. le ministre de ses réticences. Il a commencé à vouloir expliquer l'acte dont il avait parlé ; mais il a trouvé la chose si misérable, qu'il s'est arrêté aussitôt et qu'il a pris le parti de déposer les pièces sur le bureau. Avec cela, messieurs, on fera du bruit dans le pays ; on dira que le ministre des travaux publics a été tellement généreux, qu'il n'a pas voulu faire connaître à la chambre des faits qui sont de nature à compromettre son prédécesseur.
Je ne sais quelles annotations un commis du ministère a pu faire aux pièces dont il s'agit, je ne sais s'il a substitué ou superposé des lettres rouges à des lettres noires, mais ce serait là une singulière manière de falsifier des pièces. D'ailleurs, messieurs, il n’est pas un seul d'entre vous qui ait mis les mains à l'administration et qui ne sache que ces sortes de transferts se font à tout moment et partout. Cela se fait dans tous les ministères, dans les gouvernements provinciaux ; cela se fait pour les budgets des tribunaux, pour les budgets des procureurs du roi ; lorsque le crédit d'un exercice est épuisé, il arrive très souvent qu'on reçoit encore telle ou telle fourniture et qu'on impute cette fourniture sur l'exercice suivant.
Ces choses se font partout, et il est probable qu'elles se seront même faites au département des travaux publics depuis que l'honorable M. Desmaisières est à la tête de ce département.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Si on le faisait, je ne le souffrirais pas.
M. Rogier. - Je suis persuadé que vous êtes un modèle de vertu administrative, mais cela ne vous autorise pas à inculper votre prédécesseur du chef d'un fait qui est tellement simple que l'on ne conçoit pas que vous puissiez en faire un grief. En vérité, si vous n'aviez pas d'autre reproche à me faire, vous auriez mieux fait pour vous même de ne pas en entretenir la chambre.
Du reste, messieurs, j'aime encore mieux la demi-révélation de M. le ministre des travaux publics, que les insinuations que l'on s'était permises. On avait annoncé que si j'attaquais M. le ministre des travaux publics, il me réservait un coup dont je ne me serais pas relevé. Je ne sais s'il me réserve un autre coup encore plus terrible que celui qu'il vient de me porter, mais quant à celui-ci, je crois que je pourrai très bien m'en relever.
M. Raymaeckers. - Je ne puis également laisser passer l'occasion de la discussion du budget des travaux publics, sans engager M. le ministre d'ordonner le plus tôt possible les études nécessaires pour prolonger un jour le chemin de fer de St-Trond jusqu'à Hasselt ; le Limbourg ne possède encore qu'une lieue de railway sur son territoire, et ainsi que le faisait remarquer l'année dernière l'honorable M. Rogier, ministre du cabinet précédent, ce serait un non-sens d'arrêter cette voie de communication à l'endroit où elle aboutit actuellement ; car ce n'est que par le prolongement jusqu'à Hasselt qu'elle peut devenir de quelque utilité à la province et que le trésor en retirera en même temps un produit assuré par le transport immenses des matières premières nécessitées par le grand nombre de distilleries établies en cette ville. J'ai été surpris d'entendre l'honorable comte de Renesse élever quelque doute sur la direction ultérieure à donner au chemin de fer dans le Limbourg. Je ne m'oppose aucunement à une enquête, car le résultat de cette enquête ne peut être incertain pour quiconque a la moindre connaissance de la province ; il sera démontré à la dernière évidence que tout autre prolongement que sur Hasselt, constituerait une charge immense pour le trésor sans produire la moindre utilité aux habitants ; Hasselt forme le chef-lieu de la province de Limbourg et le seul endroit où il existe des usines qui puissent retirer quelque utilité de ce prolongement et assurer un intérêt à l'égard du capital qui sera employé à sa construction ; Hasselt ne se trouve également qu'à une distance de deux lieues de Saint-Trond, de sorte que les frais ne seront guère élevés. La contrée à laquelle l'honorable comte de Renesse fait allusion (contrée qu'il a eu soin de ne pas nommer) se trouve au moins à quatre lieues de distance de St-Trond et ne possède aucun établissement industriel, de sorte que les frais seraient beaucoup plus importants et que le capital devrait au moins être doublé, sans avantage quelconque pour le pays. L'honorable comte de Renesse doit au surplus savoir que, dans le sein du conseil provincial, il ne s'est jamais élevé la moindre contestation sur la direction ultérieure du chemin de fer dans le Limbourg, le conseil a réclamé unanimement et en corps, près d'un auguste personnage, le prolongement sur Hasselt et, je le répète, pour tout homme impartial, c'est le seul prolongement qui puisse profiter à la province.
J'ai été non moins surpris d'entendre le comte de Renesse réclamer la priorité pour l'exécution d'autres travaux qu'il n'a pas nommés non plus. Je crois que le prolongement du chemin de fer jusqu'à Hasselt doit être place en première ligne, puisqu'il en résultera une plus grande somme de bien-être pour la province et qu'il est constant que les frais qui en résulteront seront couverts par les recettes, Je ne sais si le comte de Renesse pourrait donner la même assurance pour les travaux qu'il réclame, je ne puis en juger puisqu'il ne les a point indiqués, à l'exception cependant de la canalisation de la Campine, dont l'exécution, par son importance, ne peut sans doute obtenir la priorité sur le chemin de fer.
Au reste, messieurs, je ne suivrai point l'exemple de certains collègues pour m'opposer à l'exécution de travaux utiles à d'autres districts ; mais je n'aurais pas dû m'attendre à ce que l'on serait venu contester aujourd'hui l'utilité d'une communication réclamée par l'honorable M. de Theux dans l'intérêt du district de Hasselt.
M. Demonceau. - Messieurs, lorsqu'un collègue, qui se dit votre ami, suspecte vos intentions, il devient difficile de convaincre quand, d'avance, il a une opinion bien arrêtée ; je ne répondrai donc rien aux insinuations plus ou moins bienveillantes sur les intentions des membres de la commission. Je reconnais maintenant que nous avons été induits en erreur. J'ajoute, messieurs, que nous avons été trompés, quant à la somme de 184,000 fr. dont on a parlé, imputée par l'administration sur l'exercice 1841 ; tandis qu'elle aurait dû être payée sur 1840 ; mais à qui la faute, si nous nous sommes trompés à notre tour ? Ce n'est certainement pas la nôtre. D'après quels documents la commission a-t-elle opéré ? D'après les documents qui lui ont été transmis par l'administration du chemin de fer. Lisez, messieurs, tout le rapport de la commission, jamais elle n’a dit autre chose, sinon qu'elle opérait sur des documents dont elle n'assumait pas la responsabilité. Elle avait bien raison de faire cette réserve.
Mais, messieurs, tous nos calculs ne sont pas erronés ; pour cela seulement 184,000 fr. doivent disparaître de l'exercice 1841 et être reportés sur l'exercice 1840 ; l'exercice 1841 présentera 184,000 fr. de boni de plus que nous ne pensions. Mais, je le déclare encore une fois, la commission est d'autant moins coupable de s'être trompée à cet égard qu'elle a été trompée précisément par le fait de l’un de ceux qui attaquent avec le plus de violence son travail, et pour cause.
Nous vous avons dit, messieurs, que nous ne voulions pas du camionnage, tel qu'il est organisé, mais nous ne sommes pas exclusifs ; il peut se faire que le gouvernement trouve convenable l'établissement d'un camionnage pour certaines espèces de marchandises, D'ailleurs, le précédent ministre des travaux publics a eu soin de mettre son successeur dans l'impossibilité de rien changer, avant 1843, à ce qu'il avait établi à cet égard. Nous aurons beau donner des conseils au gouvernement, l'adjudication est faite et le gouvernement se croit engagé.
Cette adjudication du camionnage avait exigé beaucoup de dépenses, et nous l'avons fait remarquer, mais nous avions parlé de millions. Je n'ai pas non plus, messieurs, parlé de millions, ainsi que l'a avancé M. Rogier ; quand je cite des chiffres, je tiens à être exact, et c'est pour ce motif que, dans ce moment, je ne répondrai à aucun des calculs qui ont été posés ; je vérifierai ces chiffres et alors je présenterai les observations que je croirai devoir faire.
Nous avons dit, en général : nous ne voulons plus du camionnage, mais puisqu'il y a eu des adjudications, il faudra peut-être le subir, force sera pour nous de nous résigner.
A entendre quelques honorables membres, ne semblerait-il pas que je sois devenu l'ennemi du chemin de fer ? Mais j'en appelle à mes honorables collègues qui se disent aujourd'hui mes adversaires, qui se disent surtout plus libéraux que moi, quel est celui qui plus que moi a pris la défense du chemin de fer ; quel est celui qui a dit plus souvent que moi que le chemin de fer, bien administré, servirait le pays et couvrirait l'intérêt et l'amortissement des capitaux employés à sa construction ? Je dis encore, messieurs, que cela est possible, mais pas avec une administration aussi désastreuse que celle qui a établi le camionnage.
Voici, messieurs, comment j'entends l'exploitation. S'il était possible d'obtenir des voyageurs tout ce qui est nécessaire pour couvrir les intérêts et l'amortissement du capital employé à la construction du chemin de fer, je déclare que je voudrais, pour mon compte, transporter toutes les marchandises moyennant restitution des simples déboursés. Ainsi que l'on me propose un tarif qui fasse, comme le désire l'honorable M. David, tous les frais du chemin de fer sur les voyageurs, et je me joindrai à lui pour demander le transport des marchandises, pour rien ou presque rien.
Quelques honorables membres ont paru attacher une grande importance à ce que le prix du transport .des marchandises pondéreuses subît une forte réduction. Eh bien ! messieurs, si l'on adopte la proposition faite par la commission, la réduction pour ces marchandises sera de dix-huit p. c. ; il serait possible de faire une réduction encore plus forte si l'on pouvait arriver à compléter toujours les convois et les chargements. Mais savez-vous ce qui arrive ? c'est que la moyenne du poids chargé sur les waggons et de 2,200 kilogr. ; or, messieurs, appliquez le prix que nous proposons à 2,200 kilogr., et vous verrez quelle recette en résultera. C'est un changement complet qu'il faudrait ; pour qu'il soit complet, il doit être par waggon de 4,000 à 4,500 kil. Hier, je vous ai parlé, messieurs, d'un jugement résolu par un tribunal arbitral ; j’avais dis que je croyais ce jugement rendu contrairement aux intentions de l'honorable membre qui, étant ministre, a consenti à l'adjudication au profit du camionneur de Liége.
L'honorable M. Rogier, qui, dans notre opinion, n'avait stipulé que dix centimes par cent kilog., soit un franc par tonneau, trouve, me semble-il, que ce n'est pas trop que de payer quatre francs ; cependant il s'est arrêté partout à un chiffre très bas pour les prises à domicile, tandis qu'il a fixé un chiffre assez élevé pour rendre à domicile. C'est sans doute que l'administration supposait que le camionneur prendrait à domicile en faisant la remise à domicile, c'est-à-dire que la prise à domicile était envisagée sous un autre point de vue que la remise à domicile.
Aussi l'administration a plaidé. Les arbitres ont jugé le contraire de ce que M. Rogier a voulu. Telle est notre opinion, Mais, messieurs, je crois que M. le ministre des travaux publics fera bien de faire publier ce jugement arbitral. On verra alors si ce jugement est aussi légal qu'on pourrait le croire, est aussi bien motivé qu'il devrait l’être, pour convaincre M. Rogier et surtout la législature. Il ne s’agit pas de peu de choses, il s’agit d’une centaine de mille francs. Je sais que c’est assez peu important, alors qu’on a déjà fait beaucoup de pertes, probablement, ce sera encore un fait accompli.
(Moniteur belge n°57, du 26 février 1842) M. Pirmez. – Messieurs, la commission des tarifs dont je fais partie, a été fort attaquée dans cette discussion.
On lui a reproché d'être partiale et d'être animée de sentiments hostiles au ministère précédent.
Messieurs, il n'existe pas, dans les rapports de cette commission, une seule phrase qui puisse légitimer ces reproches. Dans l'examen des tarifs, la commission n'a fait que tirer des conséquences des documents qui lui ont été fournis. Le résultat de son travail ne peut être attaqué que dans le cas où les faits que contiennent ces documents ne seraient point exacts, mais s'ils le sont, les conséquences déduites par la commission sont justes, et ses chiffres vrais jusqu'au dernier centime.
Au surplus, les documents qui ont servi au travail de la commission, sont tous imprimés et joints aux rapports mêmes.
Un honorable député de Liége, a critiqué l'élévation du prix des tarifs proposés par la commission, et a dit que le transport de Liége à Anvers coûterait autant ou même plus qu'avant l'établissement du chemin de fer. Ce n'est pas là, dit-il, ce qu'on avait promis lorsqu'on discuta la loi des chemins de fer, dont on faisait sonner bien haut les avantages.
La commission n'a certes point eu égard à ce que chaque orateur a pu promettre dans la discussion de la loi sur le chemin de fer, ni examiné si on avait promis réellement que sur tous les points le parcours du chemin de fer coûterait moins que par les anciennes voies de communication, ni quel droit pouvaient donner de pareilles promesses. La commission a vu la loi qui veut que le chemin, de fer couvre ses frais, s'il est possible, et c'est pour atteindre ce but qu'elle a fait ses propositions.
Dans le cours de cette discussion, on a plusieurs fois dit que les bases proposées par la commission étaient trop élevées, et on a engagé le ministre a arrêter un tarif modéré.
Mais qu'est-ce qu'un tarif élevé et un tarif modéré sur le chemin de fer ?
Certes, pour juger si le prix de l'usage d'une chose est élevé ou non, il faut comparer le prix que coûte l'usage des choses toutes pareilles ; le prix que l'on consent à payer de l'usage de ces choses. Si l'on ne fait pas cette comparaison, comment peut-on prouver qu'un tarif est trop élevé ?
Or, il existe déjà en Europe une grande quantité de railways ; comparez le prix que coûte leur parcours avec celui proposé par la commission, et vous verrez que, s'il y a excès, c'est dans la faiblesse du prix proposé.
Les prix des tarifs des chemins de fer ont bien une autre importance que ceux des péages sur toute autre voie de communication. Sur celles-ci la traction ne s'opère pas aux frais de la nation ; sur celles-là tout le transport s'opère aux frais du contribuable, et le travail de la commission vous a fait connaître ce que coûte la traction sur le chemin de fer. Et il est bien évident que les pertes qu'on peut éprouver sur ces voies de communication sont hors de proportion avec celles que l'Etat veut éprouver sur toutes les autres. Le pays pourrait subir des pertes énormes si les tarifs sont mal conçus, les pertes croîtraient dans la proportion que les transports seraient considérables.
On a répété le mot d'un ministre qui avait dit précédemment que dans telle question c'était l'intérêt du trésor public et l'intérêt social qui se trouvaient en présence. Je n'ai jamais compris le sens de cette phrase. Je ne crois pas que l'intérêt de la société puisse être distinct de celui du trésor public, c'est-à-dire du contribuable. La vie d'une société, comme celle d'un individu, se compose de jouissance et de sacrifices. Le trésor public, les contributions qu’ils remplissent, voilà les sacrifices de la société belge. Le parcours du chemin de fer, voilà la jouissance qu'elle veut se procurer, mais si l'on ne consent point à payer cette jouissance ce qu'elle a coûté de sacrifices, évidemment la souffrance aura été plus grande que la jouissance dans cette opération, ou en d'autres termes le pays se sera appauvri.
Je sais bien qu'on dira qu'il existe des avantages indirects, mais il y a aussi des pertes indirectes. Comme les avantages indirects livrent un champ libre à toutes les imaginations, vous ne les nierez point, mais dans une question toute de chiffres, vous vous méfierez des exagérations.
Remarquez bien, messieurs, qu'un tarif par lequel la nation perdrait dans les transports, et qui serait beaucoup moins élevé que celui des chemins de fer de France et d'Allemagne, serait, sous certains rapports, un impôt payé par le contribuable belge, soit au profit des compagnies des chemins de fer français et allemands, soit au profit des producteurs et des consommateurs étrangers.
Il est évident que, pour opérer un transport de marchandises de l'intérieur de la France dans l'intérieur de l'Allemagne, les compagnies de ces deux pays auront la faculté de maintenir leurs prix élevés dans la proportion que la Belgique abaissera les siens, car c'est la combinaison, l'ensemble des trois prix qui décidera de la possibilité de l'opération, et dans le cas où les compagnies n'useraient pas de cette faculté, la perte du contribuable belge n'en serait pas moins partagée entre le producteur français et le consommateur allemand.
Sans doute, il existe aussi en Belgique des intérêts privés à qui la perte éprouvée par le trésor serait particulièrement profitable, et vous pouvez vous attendre qu'il sera fait des efforts continuels pour satisfaire ces intérêts. Ils parviendront peut-être à constituer le trésor en grande perte, car les intérêts privés ont une force immense quand ils sont aux prises avec le trésor public.
(Moniteur belge n°56, du 25 février 1842) M. Peeters. - Je commencerai par répondre à l’honorable M. Rogier que si le tableau des recettes ne se trouve pas annexé au rapport du budget des travaux publics, ce n’est pas ma faute, car j’ai examiné toutes les notes des observations faites par les différentes sections et par la section centrale, et je n’ai trouvé aucune présentant des traces qu’on ait demandé ce tableau. La première fois que j’en ai entendu parler, c’est quand j’ai lu le rapport sur le crédit supplémentaire ; aussi me suis-je empressé de demander ce tableau au ministre et de le joindre à mon rapport sur le crédit.
Lorsque la section centrale a fait une observation sur ce qu’on avait donné la préférence à un entrepreneur qui avait demandé 669,000 fr., sur un autre qui n’en avait demandé que 611,000 fr., elle n’avait pas les renseignements que vient de donner M. le ministre ; d’ailleurs, d’après la manière dont elle s’est exprimée, elle n’a pas jeté de blâme sur le gouvernement. Elle s’est bornée à dire qu’on devait avoir eu des motifs graves pour donner la préférence à un entrepreneur qui demandait 58,000 francs de plus. Elle a voulu par là seulement appeler l’attention du gouvernement sur cet objet, afin d’empêcher qu’un ingénieur ne puisse faire préférer l’un ou l’autre entrepreneur pour des motifs qui ne seraient pas dans l’intérêt du trésor.
Quant au contrôle du magasin central de Malines, quelques renseignements avaient été fournis à la section centrale, desquels il résultait qu’il n’était pas efficace. Plusieurs membres de la section centrale ont pensé que le contrôle n’était efficace ni à Malines, ni nulle part ailleurs, soit pour la construction, soit pour l’exploitation, parce que dans une entreprise aussi colossale, l’on n’était jusqu’ici parvenu à découvrir ou peu point d’abus. Voilà pourquoi la section centrale a appelé l’attention de M. le ministre sur ce point.
La section centrale a trouvé aussi irrégulier de transférer d’un exercice à un autre, sans autorisation de la chambre, et elle a été unanime pour appeler l’attention du ministre sur cet objet et lui faire voir qu’un transfert indirect aurait eu lieu. Je pense que c’est une chose bien grave et qu’on doit bien se garder de recommencer à l’avenir, car si on permet aux ministres de faire ainsi des transferts à volonté, il est inutile que nous discutions les budgets. Une fois qu’on commence à faire des transferts indirects et changer les dates des pièces, cela pourrait mener ce ministre à aller plus loin qu’il ne voudrait lui-même.
Le gouvernement doit exécuter rigoureusement ce que la chambre a prescrit. Si ses prévisions ne se trouvent pas suffisantes, qu’il demande un crédit supplémentaire, la chambre restera toujours juge et saura où l’on veut la mener.
La section centrale a aussi attiré l’attention du gouvernement sur le personnel du chemin de fer. Elle a pensé que le personnel était susceptible de réduction quant au nombre des employés et quant au traitement. Elle a pensé aussi que les appointements étaient assez élevés, qu’il était fort inutile de les doubler par les émoluments, comme on l’a fait quelquefois ; cette manière d’agir lui a paru peu régulière, surtout lorsqu’on considère qu’ainsi qu’il conste d’ailleurs des renseignements fournis par le ministre, page 66, annexes du rapport, que dans un arrêté de nomination on avait accordé à un employé trois mille francs de plus que le traitement attaché à son grade.
Je ne connais pas le fonctionnaire dont il s’agit, je ne sais pas quelle position il a quittée, mais je sais toujours qu’insérer une semblable mention dans un arrêté de nomination, est une chose fort grave, dont les conséquences sont tout à fait défavorables au trésor et je crois qu’on aurait trouvé des Belges assez capables qui auraient voulu se charger de cette besogne, au traitement attaché à ce grade. La section centrale a cru devoir appeler l’attention toute particulière de M. le ministre sur cet objet, elle l’a engagé beaucoup à établir un contrôle sévère sur les employés du chemin de fer qui sont assez bien payés pour qu’on exige qu’ils apportent dans leur service, zèle, activité, et la probité désirable.
La section centrale, a donc conclu à ce que le gouvernement avise au moyen de faire produire au chemin de fer les frais d’exploitation et d’entretien, ainsi que les intérêts du capital engagé, afin que cette institution ne devienne pas une charge pour le pays et conserve sa primitive popularité. Pour arriver à cette fin, il est indispensable d’introduire des économies dans l’administration du chemin de fer. Il faut considérer que les dépenses de construction dépassent partout les prévisions, et que, dans quelques sections, les prévisions seront doublées, et qu’on sera obligé de nous demander encore, sous peu de temps, plusieurs millions pour parachever le chemin de fer.
Vous devez ensuite vous attendre à voir augmenter de beaucoup les frais d’entretien, quand les billes et les rails seront usés. D’ailleurs, jusqu’ici, toutes les acquisitions de locomotives, de voitures et de waggons se font encore sur les frais de construction. Quand il faudra les remplacer, la dépense devra être prise sur l’entretien ordinaire ; et l’on peut en conclure que les frais d’entretien s’en trouveront augmentés au moins d’un tiers. J’en conclus, pour mon compte, que le tarif est encore beaucoup trop bas et que le chemin de fer, jusqu’ici, ne rapporte pas 2 p.c. sur les capitaux engagés. Il peut être fort agréable pour les habitants de quelques grandes villes de voyager à bon marché, commodément et avec grande célérité par le chemin de fer, pour la construction duquel ils ne contribuent en rien, car c’est la grande famille belge qui fait les frais de ce moyen commode de communication ; mais cela ne fait pas le compte des habitants des campagnes et des localités éloignées du chemin de fer, et qui appartiennent aussi à la grande famille belge et paient leurs contributions et doivent se faire traîner, à grands frais, à travers le sable et la boue.
L’honorable M. Delfosse a dit que la ville de Liége et les grandes villes contribueront aussi à la construction de routes dans d’autres provinces. Oui certainement, mais dans ces provinces, on ne dépense pas des 24 millions comme dans la province de Liége, chiffre qui sera augmenté bientôt d’un tiers. On dépensera pour le chemin de fer dans la province de Liége, 30 à 40 millions. Il en sera de même pour le Hainaut.
Et quand enfin on se décide à donner une petite route à des localités qui n’ont rien, savez-vous comment on procède ? On commence par exiger que la commune s’impose d’une vingtaine de centimes additionnels sur le foncier et le personnel. C’est ainsi que la commune que j’habite s’est imposée de 18 centimes pendant dix ans pour un bout de route décrété depuis six ans et qu’on ne paraît pas vouloir exécuter.
Cependant, quand on examine le résultat de ces différentes constructions, on doit reconnaître, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous le prouver par des chiffres dans une séance précédente, que les contributions des localités que traversent ces bouts de routes pavées sont doublées par suite de la plus-value qu’acquerront les propriétés, résultat que ne donne pas le chemin de fer qui a froissé au contraire les intérêts de plusieurs localités.
Je ne me suis jamais opposé à la construction du chemin de fer ; mais je veux que ceux qui en profitent en paient les frais. Quand je me rends chez moi de Bruxelles à Malines je suis commodément assis dans une bonne diligence. Je fais quatre heures en une demi-heure ce qui me coûte un franc 25 centimes, il me reste sept lieues à faire pour arriver chez moi, ce qui me coûte au moins sept francs en restant sept heures en route.
Dans un pays comme le nôtre, il ne peut pas y avoir de privilège. Je ne suis pas contre le chemin de fer, je le répète, mais je demande qu'on lui fasse produire pour se suffire, et même un peu plus, afin de pouvoir donner quelque chose à ceux qui n'ont rien ; les habitants des grandes villes ne peuvent pas jouir d'un privilège au détriment des campagnes.
J'appuie l'observation faite par l'honorable M. Osy. On m'a dit qu'il y avait des cartes privilégiées pour voyager gratuitement sur le chemin de fer ; qu'on avait vu, le premier de l'an, un jeune homme de 18 ans, accompagnant une jeune dame, voyageant gratuitement au moyen d'une carte semblable. Je demande la suppression immédiate de ces cartes. On devrait faire payer tout le monde, même les employés du chemin de fer. Si l'on voulait faire une exception, elle ne pourrait porter que sur les employés au service actif de l'exploitation, ou sur les employés chargés d'une mission spéciale, et alors ils devraient être porteurs de l'ordre de leur mission : il serait peut-être mieux de supprimer toute espèce de carte et de faire payer tout le monde.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable rapporteur sur les intentions de la section centrale ; j'ai rendu justice à ces intentions en répondant tout à l'heure aux diverses observations contenues dans son rapport. Ainsi, je n'ai rien à répondre à cet égard.
J'avais même dit d'abord que je croyais que la section centrale n'avait eu que des motifs de bienveillance, qu'elle avait voulu me donner l'éveil contre les subtilités dont je pourrais être l'objet.
En ce qui concerne les cartes pour voyager gratuitement, voici ce que j'ai trouvé institué au département des travaux publics, lorsque j'y suis entré. Les fonctionnaires de l'exploitation ne touchent aucune espèce d'indemnité de déplacement ; seulement, lorsqu'ils sont par leurs fonctions forcés de séjourner en dehors de leur résidence habituelle, ils touchent une indemnité de séjour ; mais jamais, ils n'ont d'indemnité de déplacement. D'un autre côté on leur a accordé le voyage gratuit, ce qui me paraît très juste. Comme il a souvent des mutations dans les employés attachés à l'exploitation, et qu'ils ne peuvent être reconnus par les gardes-convois, on leur a donné une carte qui puisse les faire connaître. Voilà ce que j'ai trouvé établi ; et aucune carte de cette espèce n'a été délivrée sous mon ministère, si ce n'est à des personnes qui rendaient des services à l'exploitation.
Mais j'ai appris comme les honorables membres qui m'ont interpellé sur ce point, que d'autres cartes de voyage gratuit avaient été données à des personnes qui n'appartiennent pas à l'administration du chemin de fer en exploitation. J'ai ici fait encore de la statistique. J'ai' ordonné que tous les gardes-convois fissent rapport, chaque jour, des personnes qui se seraient présentées sur les convois avec des cartes pour voyager gratuitement. J'ai reçu plusieurs rapports qui me signalent effectivement des personnes qui n'appartiennent pas à l'administration des chemins de fer en exploitation.
Déjà j'ai averti une de ces personnes, et je me propose d'écrire aux autres qu'elles aient à me renvoyer leur carte. Pour empêcher, du reste, qu'il n'en soit fait usage, je vais changer le mode. Je vais donner aux personnes qui sont employées ou rendent des services à l'exploitation des commissions qu'ils présenteront pour se faire reconnaître.
Je dois dire en outre que l'honorable rapporteur de la section centrale a rappelé une observation de cette section qui m'avait échappé ; elle est relative à un employé du chemin de fer à qui, indépendamment d'un traitement de 6000 fr. on avait donné 3000 fr. par an pour l'indemniser de la perte de son commerce, qu'il abandonnait pour entrer dans l'administration du chemin de fer. Je ne puis que déclarer de nouveau ici que ce fait ne m'appartient pas.
M. Lange. - Je n'ai demandé la parole que pour répondre un mot à M. le ministre des travaux publics, Il a bien voulu reconnaître la justesse de mes calculs, mais il en a critiqué l'application, parce que je ne tiens pas compte du détour qu'on fait pour aller à Malines. De 78 kilomètres, je déduirai 20 kilomètres, étendue du détour que l'on fait par Malines. Restera 58 kilomètres. Par une simple règle de proportion, je trouverai 2 fr. 52 c. au lieu, de 2 fr. 75 c. Voilà le calcul exact, un peu diminué si vous vous voulez. Il est vrai que, pour fiche de consolation, M. le ministre des, travaux publics nous promet que, pour la ligne du Midi, le prix sera augmenté, et que sur les trois autres lignes le prix sera diminué. Je ne m'en plaindrai pas ; car j'aime à croire que ce changement du tarif sera fait d'après les principes d'une justice distributive ; car je suis un de ceux qui désirent que les produits du chemin de fer servent non seulement à couvrir les dépenses, mais même à en servir les intérêts et à amortir le capital dépensé. Mais en attendant de nouveaux produits, pourquoi ne pas suivre le système établi pour toutes les lignes indistinctement. Quel est ce système ? Le voici : c'est l'arrêté du ministre des travaux publics qui fixe à 17 centimes et 1/2 le prix du transport en waggon par lieue kilométrique ; tellement que M. le ministre s'est fortement opposé à la demande des membres de la commission qui voulaient l’élever à 20 centimes. Voilà donc le ministre qui, en avril dernier, ne voulait pas que le prix du transport par waggon fût élevé à 20 centimes, qui l'élève à 23 centimes pour la ligne du Midi. Voilà ce que je ne puis m'expliquer.
M. Rogier. - J'attends de l'impartialité de mes collègues, qu'ils voudront consulter les pièces déposées sur le bureau. Je viens de les parcourir. Plusieurs collègues des deux côtés de la chambre les ont vues. Je me suis de plus en plus convaincu qu'il s'agit de la plus misérable affaire qui ait pu être soumise à la chambre ; il s'agit tout au plus de l’acte d'un commis subalterne chargé de la comptabilité. Il s'agit de l'imputation sur l'exercice suivant de fourniture de l'exercice précédent. Cela est généralement reçu dans tous les ministères, et si je suis bien informé, cela est reçu à la chambre même ; messieurs les questeurs, quand le budget d'une année est épuisé imputent sur l'année suivante les fournitures de l'année antérieure, ce sont des actes d'administration intérieure qui ne sortent pas des limites d'un chef de bureau. Cela ne passe pas même sous les yeux du ministre. Je suis convaincu qu'il y en a des milliers d'exemples dans les différents ministères. Le commis dont je prends la défense (car il ne s'agit que d'un commis inférieur) a si peu cru que cette imputation de dépenses sur l'exercice suivant lui était interdite, qu'il a indiqué le changement à l'encre rouge, sur la pièce comptable. Je ne sais si je ne serais forcé encore de revenir sur cette misérable affaire. Je vous engage, messieurs, à voir les pièces, à prendre des renseignements dans tous les ministères, auprès des secrétaires généraux ; je suis convaincu que vous apprendrez que le fait signalé comme une énormité par M. Desmaisières est admis dans tous les ministères.
En vérité, je rougis pour l'administration et la chambre d'avoir à entrer dans de pareilles explications.
M. Demonceau. - Sur cet incident je tiens à m'expliquer de la même manière que l'honorable M. Rogier. Un fait certain ; c'est que s'il y a des irrégularités elles ont été signalées par l'honorable M. Rogier. Dans quel but ? Dans le but de prouver que la commission s'était trompée. Celle-ci, messieurs, a agi d'après des documents authentiques émanés de l'administration ; elle ne pouvait donc se tromper ; ou bien, si elle s'est trompée, c'est qu'il y avait dans ces documents des irrégularités. Eh bien, ces documents sont le fait de M. Rogier. Pouvons-nous supposer que nous serions induits en erreur par des pièces émanées de l'administration et relatives à des dépenses liquidées et qui avaient été soumises au visa de la cour des comptes ? Je ne dis rien de plus ; toutefois je ne puis me dispenser de le dire encore, si nous avons été induits en erreur, si nous avons basé nos calculs sur des documents vicieux, c'est par le fait de l'honorable M. Rogier lui-même.
M. Dubus (aîné). - Des crédits votés par les trois branches du pouvoir législatif étaient épuisés. Des dépenses avaient été faites au-delà des crédits pour plusieurs centaines de mille francs. On a trouvé un moyen tout simple de faire face à ces dépenses ; ç'a été de les imputer sur l'exercice suivant, qui n'avait pas été voté pour les acquitter. On dit que c'est le moyen le plus simple et le plus innocent, qu'on ne peut administrer sans un pareil moyen, que cela se fait partout, dans toutes les administrations, même en ce qui concerne le budget de la chambre. Les questeurs, dit-on, sont coutumiers du fait.
Je pense que l'honorable membre qui avait avancé cette assertion aurait bien fait de la vérifier ; car il y a une circonstance qui dépose contre l'assertion : c'est que depuis plusieurs années les comptes ont toujours présenté un excédant plus ou moins considérable, de sorte qu'il n'a jamais été besoin d'employer un pareil moyen, Ainsi, il est impossible que le fait ait eu lieu en ce qui concerne la comptabilité de la chambre. Je demande qu'on recoure à tous les comptes qui nous ont été produits jusqu'à présent, et on verra que tous ont présenté un excédant. Il n'y a donc pas eu insuffisance de crédit, et dès lors, dans le cas même où on aurait pu être disposé à employer un pareil moyen d'acquitter des dépenses qui auraient été faites au-delà du crédit alloué, jamais on n'a eu besoin d'y recourir.
Je tenais à faire cette observation en réponse à ce qui avait été dit par l'honorable M. Rogier, que cela se fait ainsi, même en ce qui concerne la comptabilité de la chambre.
Du reste, je ne comprends pas comment on peut traiter de bagatelle un pareil système de comptabilité. Et véritablement je ne sais plus à quoi servent les budgets ni les règles auxquelles le gouvernement est astreint, s'il peut, pour se mettre au-dessus de ces règles, falsifier des pièces. Mais, messieurs, d'abord il n'est jamais permis de falsifier des pièces ; mais lorsqu'on les falsifie pour se soustraire à la loi, le fait est encore bien plus grave. Or, est-il vrai ou non que les pièces dont il s'agit ont été falsifiées pour se soustraie à la loi ?
Les ministres ne peuvent dépenser au-delà des allocations, et comme garantie qu'elles ne seront pas dépassées, comme garantie en faveur du trésor et des principes constitutionnels, la cour des comptes a été instituée, qui doit refuser son visa à toute dépense faite en dehors de ces allocations. Eh bien ! on aurait obtenu le visa de la cour des comptes en falsifiant des pièces.
Et on traite cela de bagatelles ! Eh bien, je pense qu'on ne saurait assez protester contre de pareils faits. Je crois qu'on ne saurait assez dire qu'on ne peut se les permettre.
Et dans quelles circonstances ces faits se sont-ils passés ?
Je vous prie de vous le rappeler. C'est au commencement de l’année, alors que la chambre était assemblée, et qu'il était du devoir du ministre de dire que les crédits étaient épuisés et de demander un supplément de crédit. Et c'est en définitive là qu'il fallait arriver, car c'est là qu'on en est venu. Seulement, on a présenté cette insuffisance de crédits comme si elle s'était présentée au budget de 1841, tandis que la vérité est qu'elle s'est présentée sur le budget de 1840.
Eh bien ! je crois que nous devons tous désirer que de pareils actes ne se reproduisent plus. Si on devait les tolérer, il y aurait plusieurs dispositions de vos lois et de votre constitution qui deviendraient complètement inutiles.
M. Devaux. - Messieurs, je ne me suis pas mêlé à la discussion du chemin de fer, par la raison que j'aime les discussions franches, les discussions qui avouent leur but et leurs motifs. Or, j'ai vu dans la discussion du chemin de fer une discussion politique déguisée. Vous le savez, je ne recule pas devant les discussions politiques, mais je les demande franches et ouvertes. Que vois-je ici, au contraire ? Des orateurs qui, lorsqu'on ouvre une discussion politique, ont la bouche close, mais qui aiment à faire de la politique passionnée en se cachant derrière des prétextes, derrière de prétendus griefs administratifs.
Aujourd'hui, messieurs, on a poussé l'indignité si loin, que quelle que soit ma répugnance à me mêler à de tels débats, je me vois obligé de rompre le silence pour dire que le fait dont il s'agit est en usage non seulement dans les ministères, mais dans les régences, dans les parquets, dans notre chambre même, dont l'honorable M. Dubus, qui vient de parler, est vice-président, et, comme tel, chargé de contrôler les opérations de comptabilité.
J'affirme que cet usage se pratique à la chambre comme partout. Car je viens de prendre des renseignements à l'instant même ; on vient de me dire au greffe que lorsqu'on présente un compte le premier janvier, pour la bibliothèque, par exemple, à laquelle nous accordons, je crois, un subside de 5,000 fr. ; si le compte du libraire est, je suppose, de 6,000 fr., on lui dit : Faites deux comptes, un de 5,000 fr. pour l'exercice passé, l'autre de 1,000 fr. pour l'exercice qui s'ouvre. Il n'y a pas ici un seul procureur du roi, un bourgmestre, qui puisse dire que de pareils faits ne se sont point passés dans son administration.
Dans les ministères la même chose se passe, notamment pour les petites dépenses, pour les meubles, pour les dépenses d'entretien, pour les approvisionnements. C'est là une chose qui se fait dans les bureaux à l'insu du ministre, et qui, dans les administrations, est passée en habitude.
Si on disait qu'il ne faut pas continuer ce système, qu'il n'est pas très régulier, je comprendrais très bien qu'on soutînt cette opinion. Mais qu'a voulu M. le ministre des travaux publics ? Il a voulu faire voir les choses comme extrêmement graves, comme un faux. Il a tout simplement insinué que son prédécesseur était un faussaire. Voilà l'indignité, messieurs, la passion politique, dans tout ce qu'elle a de plus laid, dans tout ce qu'elle a de plus hideux. Vraiment cela devrait faire rougir.
Messieurs, l'honorable M. Rogier aurait été absurde, car il aurait chargé précisément l'exercice auquel on reproche aujourd'hui d'être trop chargé. C'était l'année 1841 qu'il était de l'intérêt de l'honorable M. Rogier et de son système de dégrever, et c’était cette année qu'il chargeait aux dépens de 1840 qui appartenait en partie à son prédécesseur. Il aurait été facile à l'honorable M. Rogier de demander un crédit supplémentaire pour 1840, peut-être même de prouver que c'était de son prédécesseur que partait la nécessité de la dépense. Eh bien, non ; il aurait fait tout le contraire, il aurait, au profit de 1840, exercice dont le budget a été fait par son prédécesseur, grevé 1841, l'année de son propre budget, l'année où son système de tarif a été mis en pratique.
Je n'en dirai pas davantage. C'est, déjà vraiment trop sur un pareil sujet.
M. le ministre des travaux publics (M. Desmaisières) - Messieurs, l'honorable préopinant s'est servi, selon son habitude, de gros mots, des mots d'indignité, de misérable chicane, etc. Je ne lui répondrai pas. Je n'ai demandé la parole que pour qu'il soit bien constaté comment j'ai été amené à faire la révélation.
Messieurs, voici ce qui s'est passé, et j'en appelle à cet égard à la bonne foi des membres de la section centrale.
L'honorable M. Rogier a demandé à la section centrale qu'il fût inséré dans le rapport une phrase de blâme très forte pour moi, parce que je n'aurais pas demandé de crédit supplémentaire et que j'aurais fait un transfert irrégulier, à l'aide duquel j'aurai trompé la commission des tarifs. Et vous avez encore entendu tout à l'heure l'honorable M. Rogier m'accuser de ce transfert.
Eh bien, messieurs, ma longanimité a été poussée à bout, et il a bien fallu que je révèle les faits ; pour qu'on ne me les impute plus. Il a bien fallu que je les révèle, alors qu'on n'a pas voulu répondre en aucune manière à l'appel à la franchise et à la loyauté que j'ai fait pour que M. Rogier donnât lui-même les explications relatives à la seconde partie du transfert.
M. Rogier. - Messieurs, voici ce qui s'est passé dans la section centrale.
M. le ministre des travaux publics avait proposé un crédit supplémentaire de 817,000 francs pour l'exercice 1841, dans le but, suivant moi, de charger cet exercice pour mieux condamner le système que j'avais introduit.
Il a été découvert, messieurs, que sur ces 817,000 francs 184,000 appartenaient à l'exercice 1840, et voilà ce que j'ai voulu constater, parce qu'il est très important pour moi de démontrer que l'année 1841 n'avait pas coûté autant au chemin de fer qu'on le disait dans la demande de crédit supplémentaire.
Il était donc très important, à mon point de vue, de séparer cette somme de 184,000 fr. de celle de 817,000 qu'on demandait.
Je n'ai pas demandé qu'un blâme fût inséré dans le rapport contre M. le ministre des travaux publics. Je n'ai pas demandé cela. J'avais formulé mes observations dans ce sens ; j'avais dit : s'il y a eu un déficit de 184,000 fr. sur 1840, il fallait demander de ce chef un crédit supplémentaire sur l'exercice 1840. Je fais un appel au rapporteur de la section centrale ; je me suis borné à demander qu'on portât seulement une somme de 33,000 fr. sur l'exercice 1841. Et, en effet, c'était un mode plus régulier de procéder.
Maintenant, messieurs, l'autre affaire ne se lie en aucune manière à celle-ci. Il s'agit là des sommes diverses et de peu d'importance, qui s'élèvent en tout à 55,000 fr. Mais il ne s'agit pas du tout de la fourniture de charbon de 184,000 fr. Je ne sais si la même opération a été faite pour le charbon de 1840 ; je ne sais si on a fait faire aux fournisseurs des déclarations sur 1841, mais dans tous les cas, ce fait ne serait pas le mien.
Je ferai maintenant un appel direct à M. le ministre de l'intérieur. Je lui demanderai si, dans sa propre administration, tant ancienne qu’actuelle, le fait signalé par son collègue ne s'est pas souvent présenté. Je ferai le même appel à tous les membres de cette chambre qui ont été ministres, qui ont exercé des fonctions administratives ; je leur demanderai si ces faits ne se renouvellent pas très souvent et dans beaucoup des circonstances données.
Quant aux 184,000 fr., c'est une chose à part, je le répète, et qui n'a point rapport aux documents déposés sur le bureau
Je suis étonné, s'il s'agissait ici de récriminer contre des irrégularités administratives, que l'honorable M. Dubus, par exemple, qui se prend tout à coup aujourd'hui d'un renouvellement de rigorisme légal et constitutionnel, n'ait pas trouvé un mot à dire sur les irrégularités bien plus graves accumulées par les membres du ministère actuel.
Ainsi, lorsque M. le ministre de l'intérieur est venu déclarer à la chambre que, sans autorisation, en violation de la loi et des usages, il avait puisé dans les caisses du trésor la somme nécessaire pour payer la British Queen, pas un mot de blâme ne s'est élevé de la part de M. Dubus.
Lorsque M. le ministre de l'intérieur, autrefois ministre des travaux publics, et ayant pour collègue M. Desmaisières, a disposé, sous forme d'avance, d'une somme de deux millions au profit d'un industriel, on n'a pas dit un mot pour trouver cette opération irrégulière. Cependant on avait disposé de deux millions sur les fonds du chemin de fer sans autorisation aucune, en dehors de la loi.
Lorsque plus tard le même ministère a fait une avance d'un million à un établissement financier (je ne critique pas l'opération en elle-même), on n'a pas eu un mot de blâme pour cet acte irrégulier, illégal.
Lorsque ce même ministère, auquel appartenaient MM. Nothomb et Desmaisières, a fait des avances considérables en dehors du budget, à des industriels de Gand, pas un mot n'a été prononcé pour critiquer cette irrégularité.
Et c'est, messieurs, pour un acte de bureau, pour le fait d'un commis inférieur, pour un acte qui se présente tous les jours, que les susceptibilités constitutionnelles et légales sont venues se réveiller chez les membres restés si longtemps silencieux.
M. Dumortier**.** - Je n'ai jamais approuvé des actes inconstitutionnels en matière de comptabilité, de la part de quelque ministère que ce soit. Ce n'est donc pas à moi qu’on peut s'adresser le reproche que vient de lancer l'honorable préopinant.
Il importe, messieurs, de ne pas perdre de vue les faits dont il s'agit en ce moment. Quel est celui qui est venu ici appuyer un acte inconstitutionnel ? C'est précisément celui qui, au moyen de cet acte, a induit en erreur une commission dont il est venu ensuite blâmer amèrement le travail. Si la commission a erré, c'est précisément parce qu'elle a été trompée par un acte posé par celui –là même qui vient déverser le blâme sur elle.
M. Rogier**.** - Ce n'est pas cela.
M. Dumortier**.** - Vous avez dit que les calculs de la commission étaient erronés, que la commission n'avait pas tenu compte d'un transfert. Or, ce transfert c'est vous qui l'aviez fait. Il est par trop commode de poser des actes répréhensibles et de venir ensuite en rejeter la responsabilité sur autrui ; la commission et le ministère étaient parfaitement dans leur droit lorsqu'ils ont repoussé les attaques de M. Rogier.
Dans le sein de la section centrale, l'honorable M. Rogier a voulu faire désapprouver le projet présenté par le gouvernement, et tendant à lui accorder un crédit supplémentaire ; il aurait voulu qu’un crédit eût été demandé pour 1840, et un autre crédit pour 1841, mais comment est-il possible au ministre de venir demander un crédit pour 1840, alors que l’honorable M. Rogier avait imputé toute la dépense sur 1841 ? Le gouvernement ne pouvait pas faire autre chose que ce qu'il a fait. Je ne conçois pas que l'on vienne reprocher au gouvernement de ne pas avoir posé un acte que l'on avait rendu soi-même impossible.
On a dit que cette discussion avait pris un caractère politique. Loin de moi de lui faire prendre ce caractère et si elle l'avait pris, ce ne serait certes pas à nous qu'on pourrait le reprocher, Nous avons été attaqués d'abord par l'honorable M. David qui siège à côté de l'honorable M. Rogier, puis par l'honorable M. Rogier lui-même, il a bien fallu que nous nous défendions. Il serait pas trop commode, lorsqu'on a mal géré, lorsqu'on a dilapidé les deniers publics, de pouvoir faire retomber les fautes sur ses adversaires et de venir soulever des discussions semblables.
Cette discussion n'a rien de politique, messieurs, il s'agit d'une question d'argent, il s'agit d'un acte de mauvaise gestion, et celui qui l’a commis doit en porter la responsabilité, quel qu'il soit, la discussion ne peut avoir un caractère politique que pour les hommes qui veulent établir un lien de solidarité entre eux et ceux qui ont commis des actes aussi blâmables.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - J'ignore pourquoi l'honorable M. Rogier m'a pris pour ainsi dire à partie et pourquoi il a saisi cette occasion pour diriger, en quelque sorte, un acte d'accusation contre moi, pour énumérer un grand nombre d'actes qu'il a incriminés. Quant à l'un de ces actes, l'avance faite à la maison Cockerill, je considère cet acte comme parfaitement régulier, c'est ce que j'établirai s'il en était besoin.
Messieurs, il y a une chose qui me frappe, c'est que les incidents provoqués par quelques membres de l'ancien ministère sont ensuite en quelque sorte désavoués par eux lorsque les membres du cabinet actuel se trouvent forcés de donner des explications.
Le ministre actuel des travaux publics demande une somme de 800,000 fr. pour couvrir un déficit de pareille somme sur l'exercice 1841. L'honorable M. Rogier parvient à démontrer que sur ce déficit une somme de 180,000 fr. doit être mise à la charge de l'exercice 1840. Eh bien, je vous avoue qu'à sa place j'aurais laissé subsister la demande de crédit de 800,000 fr. pour 1841, plutôt que d'amener le fâcheux incident qui vient de se produire dans cette chambre, j'aurais laissé imputer toute la somme de 800,000 fr. sur l'exercice 1841 et je n'aurais pas pris l'initiative des révélations qu'on a forcé M. le ministre des travaux publics de faire et auxquelles, pour ma part, je n'attache pas une importance exagérée
M. Rogier. - Ces révélations ne concernent pas les 800,000 francs.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Vous me pardonnerez, une somme de 800.000 fr. était demandée par le ministre actuel des travaux publics. L'honorable M. Rogier ne voulant pas que l'on constatât un déficit de 800,000 fr. sur l'exercice 1841, a dit qu'il fallait déduire de cette somme 180,000 fr. pour les répartir sur l'exercice 1840.
M. Rogier. - Par la pensée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - C'est la même chose ; dès que vous souleviez la question d'une manière quelconque, on était amené à examiner le fait. C'est donc de votre faute si cet incident s'est présenté, et, je le répète, à votre place j'aurais laissé imputer le déficit de 800,000 fr. sur l'exercice 1841.
Maintenant, messieurs, il est possible qu'une somme de 180,000 francs doive être reportée sur l'exercice 1840. La chambre voudra bien se rappeler que j'avais dit que peut-être malgré l'extension donnée à l'exploitation du chemin de fer, on pourrait couvrir les frais d'exploitation pour 1840, au moyen de la somme de 3,090,000 francs, il m'a été extrêmement agréable de voir que cette somme avait suffi : aujourd'hui j'apprends que j'étais dans l’erreur et qu'il faut ajouter 180,000 fr. à la somme que je viens d'indiquer.
Il est impossible, messieurs, de couper d'une manière rigoureuse chaque exercice ; quoi que vous fassiez, vous serez toujours forcé de faire quelques-uns de ces transferts. Je ne me prononce pas sur celui dont il vient d'être question, je n'en connais pas les détails, mais je sais qu'il arrive souvent qu'une fourniture de charbon, par exemple, faite pour 6 mois, je suppose au commencement du dernier trimestre de 1840, sera imputée pour moitié sur cette année et pour l'autre moitié sur l'année 1841 ; il est très naturel qu'on dise alors au fournisseur de faire deux factures, l'une pour la moitié de la somme avec la date de 1840 et l'autre pour la seconde moitié avec la date de 1841 : Je ne sais pas si les choses se sont passées ainsi, mais je m'empresse de rendre ce témoignage à la chambre parce que je veux être juste.
Ce que je déplore, par dessus tout, c'est que des incidents de ce genre se renouvellent à chaque instant. Nous avons vu d'autres changements de ministère, mais alors on se montrait plus réservé à l'égard de ses successeurs.
Ceci me fournit l'occasion de rappeler à la chambre que, quant aux deux faits relatifs aux sommes avancés à la banque de Belgique et à l'industrie cotonnière, ce sont encore là des faits qui ont été dénoncés par le ministère d'avril 1840, à mon grand étonnement, car moi je n'aurais pas révélé des faits de cette nature, je me serais montré plus réservé.
Je dis donc, messieurs, que je vois avec un grand regret des incidents de ce genre se reproduire à tout moment, depuis quelques mois, et que selon moi cela ne peut pas tourner au profit du pouvoir ; ce que je tiens à constater, c'est que l'initiative ne vient pas du ministère.
M. Peeters. - Etant interpellé directement, je tiens à vous dire fidèlement comment les choses se sont passées à la section centrale.
Je dois vous faire remarquer d'abord que dans le projet primitif du gouvernement, l'on nous demandait simplement un crédit supplémentaire sur l'exercice de 1841 sans faire la moindre mention de ce transfert indirect ; lors de la première réunion de la section centrale pour le crédit supplémentaire, je n'étais pas présent, je me trouvais à une autre commission, de manière que je ne puis pas savoir qui est-ce qui a provoqué les explications qui ont été demandées à M. le ministre, et qui nous ont fait connaître le transfert dont il s'agit.
M. Rogier. - C'est moi.
M. Peeters. - Je pense donc que c'est M. Rogier qui, je sais pas pour quels motifs, a provoqué les explications que M. le ministre vient de nous donner sur ce transfert l'honorable M. Rogier a proposé à la section centrale une phrase dont je ne me rappelle plus les termes pour attirer l'attention de la chambre sur cet objet, qu'il croyait être fait pour charger l'exercice de 1841 ; tout ce que je sais, c'est que notre honorable président, M. de Behr, qui paraissait connaître l'affaire, avait fait remarquer à M. Rogier que cette observation tournerait contre lui-même, puisque ce transfert avait eu lieu sous son ministère, et que M. le ministre actuel ne pouvait plus demander un crédit supplémentaire sur 1840 pour des objets payés sur 1841.
- Sur la demande de plusieurs membres, la chambre prononce la clôture de la discussion générale du chap. IlI et de la demande de crédit supplémentaire.
La séance est levée à 5 heures ¼.