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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 13 janvier 1842

(Moniteur belge n°14, du 14 janvier 1842)

(Présidence de M. Fallon.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l'appel nominal à 2 heures.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des négociants et boutiquiers de la commune de Boom demandent une loi répressive des abus du colportage. »

- Renvoi à l'examen de la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la matière.


« Le sieur Léonard Meessen, étudiant en médecine, à Gand, né à Aix-la-Chapelle, demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des propriétaires et armateurs de bateaux de pêche de la commune de Blankenberghe demandent l'exécution seulement de l'embouchure du canal de Zelzaete, près de cette commune. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur la matière.


« Les greffiers des justices de paix de l'arrondissement de Gand renouvellent leur demande d'augmentation de traitement, »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi présenté par M. Verhaegen.


« L'administration communale de Maeseyck renouvelle sa demande à l'effet de réparer le plus tôt possible les débâcles causées par la Meuse aux hameaux de Heppeneert-la-Ville et d' Aldendyck. »

- Sur la proposition de M. Huveners, cette pétition est renvoyée à M. le ministre des travaux publics, ainsi qu'à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics pour l'exercice 1842.


« Le sieur J. Deken expose que depuis l'année 1835 il a été annuellement nommé expert pour la contribution personnelle dans différentes communes du contrôle d’Assche sans jouissance de l’indemnité allouée aux experts, et demande l’intervention de la chambre pour obtenir le paiement de sa solde. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale d'Hingeon (province de Namur), demande que le siége de la justice de paix du canton d'Huy soit fixé en la commune de Noville-les-Bois. »

- Renvoi à la commission chargée du projet de loi concernant la circonscription cantonale. »


M. de Villegas, retenu chez lui par une indisposition, s'excuse de ne pas pouvoir assister à la séance.

- Pris pour notification.


M. le président. - Hier on a renvoyé par erreur à la commission des pétitions une pétition concernant la circonscription cantonale ; s'il n'y a pas d'opposition, elle sera renvoyée à la commission chargée de l'examen du projet de loi sur la circonscription cantonale. (Appuyé.)

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Furnes

M. Orts (au nom de la commission de vérification de pouvoirs). - Messieurs, la commission désignée par le sort pour la vérification des pouvoirs de M. Jean de Prey, échevin de la ville de Furnes, élu membre de la chambre des représentants par le collège électoral du district de Furnes, le 21 décembre l841, a reconnu que toutes les opérations ont été régulières et que les formalités prescrites par la loi électorale ont été observées. Cependant elle a cru devoir vous soumettre une observation, relativement a la qualité de M. de Prey. M. de Prey est né en France, il a été naturalisé par arrêté du roi Guillaume, en date du 26 juin 1813, par conséquent antérieurement a la promulgation de la loi fondamentale des Pays-Bas, du 24 du mois d'août 1815.

Voici l'arrêté du roi Guillaume :

« Guillaume, par la grâce de Dieu, roi des Pays-Bas, prince d'Orange-Nassau, duc de Luxembourg, etc., etc.

« Sur la représentation qui nous a été faite par le sieur de Prey (Jean-Baptiste-Laurent), greffier de la justice de paix, né à …, royaume de France, demeurant à Fumes, département de la Lys, qu'à l'effet de pouvoir jouir de toutes les prérogatives attachées aux personnes nées dans la Belgique, il désirerait obtenir de notre munificence des lettres de naturalisation.

« Pris égard à ce qu'il habite les Pays-Bas depuis plusieurs années, qu'il s'y est marié, qu'il y possède des propriétés et qu'il il tient une conduite à l'abri de tout reproche.

« Sur le rapport de notre commissaire général de la justice,

« Nous avons bien voulu prendre en considération la supplique dudit sieur, et en conséquence nous avons par les présentes, signées de notre main, accordé comme nous accordons audit sieur Jean-Baptiste- Laurent Deprey, tous les droits dont il pourrait jouir, s'il était né dans la Belgique.

« Chargeons notre commissaire-général de la justice de faire tout ce qui est prescrit par notre arrêté du 24, décembre 1814, à l’effet que ledit sieur Jean-Baptiste-Laurent Deprey puisse obtenir, après qu'il aura payé les frais de timbre extraordinaire et ceux de l'enregistrement fixés par ledit arrêté, la remise des présentes lettres de naturalisation que nous avons fait munir de notre sceau. »

Un membre. - De quelle date est l'arrêté ?

M. Orts, rapporteur. - Il est du 26 juin 1815, époque à laquelle le roi Guillaume réunissait tous les pouvoirs.

Maintenant, il est attesté par les bourgmestre et échevins de Furnes que M. Deprey a constamment habité cette ville. Voilà le certificat du collège échevinal :

« Le collège des bourgmestre et échevin de la ville de Furnes, province de la Flandre occidentale, certifie que M. Jean-Baptiste-Laurent Deprey, né à Bambeke, département du Nord, en France, leur collègue au collège échevinal, naturalisé par arrêté de S. M. le roi des Pays-Bas, en date du vingt-six juin 1800 quinze, qui lui accorde « tous les droits dont il pourrait jouir, s'il était né dans la Belgique », est domicilié en cette ville, où il jouit des droits civils et politiques.

« Fait en séance du collège échevinal à Fumes, le 5 janvier 1842.

« Les bourgmestre et échevins,

« OLLEVIER.

« Par Ordonnance :

« PREGNOT. »

On avait élevé la question de savoir si l'art. 133 de la constitution, qui porte : « que les étrangers établis en Belgique avant le premier janvier 1814, et qui ont continué d'y être domiciliés, sont considérés comme Belges de naissance, à la condition de déclarer que leur intention est de jouir du bénéfice de la présente disposition n'était pas applicable à M. Deprey ; on a demandé si les étrangers qui avaient obtenu la naturalisation et qui par conséquent étaient habitants des Pays-Bas, devaient être considérés comme des Belges d'origine.

La question, messieurs, ne peut pas être douteuse, en présence surtout de l'art. 15 de la loi du 27 septembre 1835 sur les naturalisations, article qui porte :

« Les étrangers, qui ont obtenu l'indigénat ou la naturalisation sous le gouvernement des Pays-Bas, ne jouiront en Belgique des droits que ces actes leur ont conférés qu'autant qu'ils y étaient domiciliés au premier décembre 1830 et qu'ils y ont depuis lors conservé leur domicile. »

Ainsi, M. Deprey ayant été naturalisé sous le roi Guillaume, avec la mention expresse qu'il jouirait de tous les droits dont jouissent les indigènes nés en Belgique, il est évident que M., Deprey, aux termes de l'art. 15 de la loi du 27 septembre 1835, est en tout assimilé à un Belge d'origine, pour qu'il ait été domicilié au 1er décembre 1830 en Belgique et qu'il n'ait pas cessé depuis d'y conserver son domicile. Or, cette condition se rencontre dans la personne de M. Deprey ; cela résulte du certificat dont j'ai donné lecture tout à l'heure.

En conséquence, la commission a pensé que M. Deprey était éligible, comme s'il était un Belge d'origine ; et elle conclut à ce que M. Deprey soit proclamé membre de la chambre des représentants.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi interprétatif de l'article 442 du code de commerce

Discussion générale

M. Pirmez. - Messieurs, l'on ne peut contester l'existence du doute légal, il est constaté par l'autorité compétente.

Lors de la discussion de l'art. 23 de la loi sur l'organisation judiciaire, M. le ministre de la justice disait : « La loi interprétative décide sur un droit douteux. Elle n'est portée que lorsqu'il est devenu certain, par les décisions contraires des cours et tribunaux, que le sens de la première loi n'est pas claire. Et la loi interprétative ne fait que suppléer celle-ci. »

La section centrale ajoutait : Pour aller en interprétation, il faut qu'il y ait doute et doute bien constaté ; or, le doute est bien constaté, lorsque les cours, etc., etc.

Nous nous trouvons dans la circonstance indiquée par M. le ministre de la justice, la section centrale et la loi qui a été adoptée en conformité de leur opinion commune. Le doute légal existe, nous devons y suppléer par une disposition nouvelle, que l'on qualifie d’interprétative, mais qui peut être conçue en termes tout opposés à ceux de la loi actuelle. Un exemple rendra cette vérité plus sensible.

Supposez que, dans cette loi, il se soit glissé, d'après l'opinion d'un grand nombre de jurisconsultes, une faute de rédaction, et qu'une affirmation remplace ainsi une négation. Les cours d'appel et de cassation se mettent en opposition sur l'interprétation de cette loi. La disposition interprétative que vous porterez ne pourra-t-elle pas rétablir la négation et être ainsi conçue en termes tellement contradictoires avec le texte interprété ? Oui certainement. Et pourquoi ? Parce que le texte ancien ne vous lie en aucune manière ; il est douteux, c'est-à-dire que la volonté du législateur s'y trouve voilée, et c'est à celui-ci à manifester sa volonté, non par un simple acte interprétatif, applicable à un seul cas, mais par une loi à laquelle les cours et tribunaux sont tenus de se conformer pour le passé comme pour l'avenir. Et quelle que soit votre décision, qu'elle admette la négation ou l'affirmation, elle ne sera nécessairement, dans l'un comme dans l'autre cas, que la reproduction fidèle de la volonté primitive du législateur, et il ne sera permis à personne de la contester.

Cette loi comme toutes les autres doit certainement être empreinte de justice et de sagesse, et nous ne pouvons assez témoigner notre étonnement de l'opinion que nous entendons parfois émettre, que la chambre, tout en reconnaissant l'injustice et les funestes conséquences de l'un des deux systèmes, doit néanmoins le consacrer par son vote, parce que prétendument le texte douteux lui donnerait plus de vraisemblance que l'autre, quoique ce système ne renferme guère que des absurdités.

Mais qui sommes-nous donc pour tenir un pareil langage ? Pour déclarer que l'autorité compétente à l'effet de constater le doute légal s'est trompée ? Nous ne sommes pas des juges, messieurs, mais des législateurs que les électeurs envoient ici pour faire des lois et non pour juger, comme l'exprimait l'honorable M. Devaux, lors de la discussion de la loi sur l'organisation judiciaire.

Pourrions-nous, messieurs, sans tomber dans l'absurdité et sans compromettre notre dignité de législateurs et celle de la loi elle-même, déclarer avec une foule d'auteurs de droit, que le système que nous allons admettre, sans y être obligés (puisque le doute légal nous laisse table rase), est vraiment injuste et désastreux, mais que nous le convertirons néanmoins en loi pour le passé et pour l'avenir.

Il suffit d'énoncer une semblable proposition pour en démontrer le vice.

Mais est-ce bien véritablement, en juges et non pas en législateurs que la commission veut décider la question douteuse ? Examinons.

Quelle est-elle, cette question dont le doute est aujourd'hui légalement constaté ?

C'est tout simplement de savoir, si le créancier doit rapporter à la masse les sommes à lui payées par son débiteur après la cessation de payements.

Cette question a son siège dans l'art. 442 du code de commerce.

Or, a bien comprendre le rapport de la commission, l'on voit que c'est plutôt l’art. 441 qu'elle interprète.

Que son interprétation s'étende à cette dernière disposition (article 441), c'est ce qui n'est pas contestable. La commission prend elle-même le soin de nous le dire en ces termes :

« Il importe au surplus de remarquer que, d'après cette doctrine, l'art. 442 doit se combiner avec l'art. 441 et que l'interprétation dont il s'agit est nécessairement applicable à l'un et à l'autre ; en sorte que le caractère de notoriété publique que doit avoir la cessation de payement, pour opérer le dessaisissement du failli, est également indispensable, pour constater l'ouverture de la faillite et pour en fixer l'époque.

D'après la doctrine sur laquelle repose l'interprétation donnée à l'art. 442 par la commission, il y a donc nécessité de modifier également la rédaction de l'art. 441, lequel ne tombe pas cependant sous le doute légal.

Il faudra donc désormais lire l'art. 441 comme si le mot notable était ajouté à l'expression cessation de paiements.

Le texte de l'art. 411 doit donc nécessairement être modifié, la commission le déclare formellement, Mais pourquoi donc ne propose-t-elle pas cette modification ?

Nous ne pouvons pas, messieurs, laisser les justiciables dans l'incertitude à cet égard. Il ne faut pas que par-devant les tribunaux l’on vienne prétendre que, d'après l'esprit de notre nouvelle loi, le texte de l'art. 441 se trouve nécessairement modifié, et qu’on puisse soutenir, d'un autre côté, que si nous avions voulu apporter cette modification, nous n'eussions pas manqué de l'exprimer formellement.

La matière est d'une importance trop majeure pour que nous laissions volontairement subsister une pareille incertitude, qui ne manquerait pas d'exiger bientôt de nous une interprétation officielle de notre loi interprétative.

La commission doit donc s'exprimer catégoriquement dans la loi même.

Mais, dira-t-on, ce serait quitter le rôle de juges pour prendre celui de législateurs, l'art. 441 n'étant pas déclaré douteux par l’autorité compétente.

Peu importe que vous vous déniiez la qualité de législateur quand, dans votre rapport qui manifeste l'esprit de la loi, vous prenez cette qualité, en disant que vous ne pouvez pas modifier une disposition sans doute. L'important pour le justiciable, c’est qu'il ne reste pas d'équivoque, et qu'il sache si le texte de l'art. 441 est réellement modifié comme vous le dites dans votre rapport, sans le dire dans la loi.

Cette disposition est déjà la source d'une quantité trop considérable de procès pour que nous y ajoutions une incertitude de plus.

Il sera aussi nécessaire de savoir si la notoriété publique qui va être exigée à l'art. 441 sera également prescrite pour le passé comme pour l'avenir, si c'est une loi ordinaire ou une loi interprétative que nous entendons faire à cet égard.

Le rapport indique bien que son but principal est de démontrer que la cause des embarras judiciaires qui se sont produits n’est que la fausse entente de l'art, 441, et que le remède serait, d'après l'opinion de la commission (que nous nous réservons de combattre), dans la juste appréciation de cette disposition ; c’est pourquoi ses principaux efforts sont dirigés vers la saine interprétation dudit art. 441. Mais encore une fois nous le demandons, cette interprétation est-elle inévitable loi interprétative applicable aux causes non définitivement jugées ?

Les jugements et arrêts pour lesquels les délais de pourvoi ne sont pas expirés, pourraient-ils être cassés parce qu'ils n'auraient pas constaté que la cessation de paiements était notoire ?

Le système bâtard ou plutôt de confusion adopté par la commission ne permet pas de résoudre cette question.

Sa pensée est de modifier surtout l’art. 441, mais la qualité de juge qu'elle prétend seulement revêtir ne lui permet de toucher qu'à l’art. 442 devenu douteux, Et pourtant dans son rapport, se bornant à la qualité de législateur, elle y déclare qu'on doit lire le paragraphe de l'art. 441 avec le mot notoire.

Que lorsqu'il y aura cessation notoire de paiements.

Si elle se fût autorisée à faire ce changement dans la loi même au lieu de l'indiquer simplement dans son rapport ; elle eût bien plus facilement alors complété sa pensée. Il lui eût suffi de rédiger comme suit l'art. 442, en y conservant le mot faillite, sans être obligée d'y substituer une autre expression, qui, nous le démontrerons quand il en sera temps, n'est propre qu'à venir augmenter la confusion. Ayant, disons-nous, établir le principe de la notoriété puisque à l'art. 441, pour fixer l'époque de l’ouverture de la faillite, il eût suffi à la commission de dire à l'art. 442.

Le failli à compter du jour fixé pour l'ouverture de la faillite est dessaisi…

La volonté, toute la volonté de la commission, eût alors été clairement exprimée.

De quelle utilité peut-il être maintenant de ne pas modifier légalement le texte de l'art. 441, quoique ce soit réellement votre volonté... Les tribunaux auront plus de difficulté à découvrir cette volonté, voilà tout. Elle n'en existera pas moins comme loi, si le projet est adopté tel qu'il est proposé. Les conséquences en seront les mêmes, sauf que vous aurez en plus les inconvénients résultant de l'incertitude.

Voilà le résultat le plus clair de cette doctrine, d'après laquelle nous devons nous prononcer comme juges et non pas comme législateurs.

Vous comprenez, messieurs, de quelle importance il est, même sous ce seul rapport, de décider ce point préliminaire.

Si vous en statuez que comme juges, votre disposition peut-elle s’étendre au-delà du point litigieux entre les parties plaidantes ?

De quoi s’agit-il dans l’espèce ? De payement faits POSTERIEUREMENT à l’époque fixée pour l’ouverture de la faillite, des dettes contractées AVANT cette ouverture.

C’est ce deuxième et les deux derniers attendus de l’arrêt de la cour de Bruxelles ont eu soin d’expliquer nettement.

« Il s’agit, dit la cour, du payement d’une dette contractée avant la faillite… Le vendeur doit courir les mêmes risques que courent les autres créanciers, qui ont également fourni leurs biens, leur argent ou leurs marchandises… Ils doivent être tous placés sur la même ligne

Or, la cour d’appel de Bruxelles n’eût pas pu raisonner de cette manière, si la vente de faillis dont il est question dans l’espèce, eût été consentie après l’époque fixée pour l’ouverture de la faillite. La vente, d’après le système d’annulation générale de tous les actes, proposé par la commission, eût été complètement nulle par suite du dessaisissement, tout aussi bien que si elle eût été faite après le jugement déclaratif ; elle n’eût donc pu affecter les biens du failli. (Nous démontrerons ce point plus longuement et à l’évidence lois de la discussion du nouveau projet du gouvernement.)

Le vendeur, qui est ici le domaine, n’eût donc pas été placé sur la même ligne que les autres créanciers.

Dans le système de la commission, tous les autres actes seront également atteints par sa nouvelle disposition ; elle sort donc des attributions de juge qu’elle croit devoir usurper.

C’est ainsi que, contrairement à la décision de la cour d’appel de Bruxelles elle-même, cette nouvelle disposition non restreinte aux payements faits par le failli (seuls soumis au doute légal) annulera les restitutions de dépôt opérées après l’époque fixée pour l’ouverture de la faillite, et certainement le dépositaire ne viendra pas concourir avec les créanciers sur les autres biens du failli.

Elle annulera aussi les échanges faits postérieurement à la cessation de paiements, sans que l’échangiste, qui sera tenu de rapporter à la masse la valeur reçue du failli, puisse rien réclamer de celle qu’il aura fournie, à moins qu’il n’établisse (ce qui est éminemment difficile), qu’elle a tourné au bénéfice de la masse, auquel cas il ne sera pas mis sur la même ligne que les autres créanciers, puisqu’il devra recevoir soit plus, soit moins qu’eux.

Nous bornerons là ces exemples qui suffisent pour démontrer si vous voulez décider comme juges, vous devez vous renfermer dans les limites de la question du procès.

D’ailleurs la commission et les cours d’appel sont d’accord sur ce point, que l’égalité entre les co-créanciers antérieurs à la cessation de paiements, est le but de la loi existante. « On ne peut nier, dit la cour de Bruxelles, que ce ne soit dans ce but que les principales dispositions du code ont été portées. C’est surtout la fin de celles qui veulent qu’à compter du jour de l’ouverture de la faillite, le failli soit dessaisi de l’administration de ses biens. »

Si votre intention est d’outrepasser ce but, n’est-il pas évident que vous vous dépouillez de la toge de juge ? Ne redevenez-vous pas législateurs ?

Et, sous un autre point de vue, vous bornez-vous au rôle de juge, quand vous substituez au mot faillite de l’art. 442 l’expression cessation notoire de paiement, sans dire même, si cette cessation et si la notoriété doivent être déclarées par jugement, pour produire les effets que vous voulez ?

Nous nous réservons au surplus de démontrer plus tard toutes les contradictions et les injustices du système que nous combattons. Il s’agit plus particulièrement maintenant d’examiner s’il ne serait pas plus avantageux de joindre la présente discussion avec celle qui s’ouvrira bientôt sur la révision générale de la loi des faillites.

La nécessité de la révision de la loi sur les faillites, s’est manifestée depuis déjà un grand nombre d’années.

Et 1826, un projet de loi a été adopté sur cette matière par les Etats généraux et M. le ministre de la justice vient tout récemment de charger une commission spéciale de la rédaction d’un nouveau projet.

Il eût été vivement à désirer pour plusieurs motifs, que la chambre eût pu traiter toute cette matière en une seule fois. C’eût été une grande économie de temps, et nous eussions mieux pu embrasser la législation toute entière, et décider avec une plus grande connaissance de cause la question douteuse qui nous est soumise, tandis qu’en scindant notre travail, nous nous exposons à porter aujourd’hui un jugement peu conforme aux principes qu’un examen plus approfondi et plus général de la législation nous fera consacrer par la suite.

Si M. le ministre de la justice pouvait nous donner l’assurance que le travail de la commission spéciale dont nous venons de parler sera terminé, et qu’un projet général sur les faillites sera présenté à la chambre avant la fin de la session, je n’hésiterais pas à proposer l’ajournement de la discussion jusqu’à cette époque, et personne, je pense, n’y ferait opposition.

Quelque ardu que paraisse ce travail on ne doit pas considérer comme impossible de le voir achevé d’ici à quelques mois, les hommes distingués qui en sont chargés, pouvant d’ailleurs utiliser les dispositions adoptées par les Etats-généraux en 1826, et celles de la nouvelle loi française. Au surplus, messieurs, si M. le ministre de la justice ne peut nous donner cette certitude, ce sera à vous de fixer la marche à suivre. Quant à moi, je suis préparé à la discussion immédiate et je pense pouvoir vous démontrer qu’entre les deux opinions qui ont partagé les cours d’appel et de cassation, le choix ne peut être un instant douteux. Mais j’attendrai pour cela votre décision, sur le point de savoir si la question doit ou non être approfondie en attendant la présentation de la loi générale. Je me bornerai pour le moment à un examen rapide d’un troisième système présenté par votre commission. Je crois cet examen préliminaire utile, pour mieux vous faire apprécier la gravité du dissentiment, la nécessité de la jonction des deux rapports et le désordre qu’une décision précipitée pourrait apporter dans la législation commerciale, si la théorie du rapport de la commission venait à être sanctionnée par votre vote. Membre de cette commission et formant à moi seul la minorité, je tiens à honneur de remplir le devoir qui m’est imposé de tâcher d’éclairer la chambre, et aussi de prouver que si je ne me suis pas courbé devant une majorité aussi considérable d’hommes de science, c’est que le sens commun et les plus solides principes m’ont entraîné presque malgré moi à la résistance.

Les observations auxquelles je vais me borner en ce moment, en vous convainquant déjà de l’inadmissibilité du système intermédiaire, présenté par le rapport, vous feront sans doute désirer de ne pas traiter séparément ce seul point du régime des faillites, lequel est véritablement inséparable, des autres dispositions du code de commerce.

La nouvelle théorie présentée par la commission est tout entière dans cette proposition : Il ne saurait y avoir faillite sans la publicité qui s’y rattache. Il faut, pour qu’il y ait faillite, que la cessation de payements ait acquis la notoriété publique par suite d’une quantité d’actes patents et publics de refus de payement. Cette opinion résulte du rapprochement du code de commerce avec la déclaration royale du 18 septembre 1702, qui prononce la nullité de toutes cessions, transports…, s’ils ne sont faits dix jours au moins avant la faillite publiquement connue.

On ne conçoit guère qu’il soit possible d’avancer une pareille proposition en présence de plusieurs dispositions du code de commerce qui supposent évidemment le contraire.

Les rédacteurs de ce code avaient sous les yeux l’ordonnance du 18 septembre 1702, qui, en quelques lignes, parle deux fois de la publicité ; et ces rédacteurs n’en disent pas un mot, si ce n’est à l’art. 457, qui ordonne la publication du jugement déclaratif de la faillite. Or, ce n’est pas de la notoriété résultant de cette publication qu’entend certes parler la commission.

Comment ! il ne peut exister de cessation de paiements sans la publicité ou la notoriété ! Le négociant insolvable et qui, pendant plusieurs semaines, plusieurs mois, essuie des protêts successifs plus ou moins ignorés du public, ne devra donc faire sa déclaration au greffe du tribunal qu’après que son insolvabilité et les actes préindiqués seront devenus notoires ? mais pourquoi la loi, dans l’art 440, s’est-elle donné la peine d’ordonner au failli de faire cette déclaration dans les trois jours de la cessation de paiements. Qui eût jamais pu croire, avant la lecture du rapport, que le commerçant insolvable, qui essuie une mise en demeure de payer, n’est pas obligé dans les trois jours d’en faire la déclaration au greffe du tribunal ! Dans cette opinion, le législateur, au lieu de ces mots : le jour où il aura cessé ses paiements, sera compris dans les trois jours, aurait dû nécessairement dire : le jour où la notoriété de la cessation de paiements aura été acquise sera compris dans ces trois jours.

Un tel système mérite-t-il une discussion sérieuse, messieurs ? Non certainement. Nous n'avons pas besoin, pour en démontrer la fausseté, d'insister beaucoup, ni de pousser fort loin les conséquences.

Mettons l'art. 440, ainsi interprété, en rapport avec l'article 587 lui porte : « pourra être poursuivi comme banqueroutier simple et être déclaré tel.

Le failli qui n'aura pas fait au greffe la déclaration prescrite par l'art. 440.

Que dirait-on du prévenu qui, pour se justifier par-devant le tribunal correctionnel, tout en reconnaissant son état d'insolvabilité, à l’époque où il a subi un où plusieurs protêts, prétendrait que son refus ou ses refus de payement n'étaient pas alors notoires ? Peut-on soutenir que le ministère public serait obligé de faire venir une grande partie des habitants de la localité, pour déposer qu'à ladite époque ils avaient connaissance de la cessation de payements, sauf au prévenu, de son côte, à assigner tous les autres habitants pour attester qu'eux n'en ont jamais eu connaissance ?

L'art. 441 démontre, également, ainsi qu'on le verra tout à l'heure, que la notoriété n'était pas dans l'esprit du législateur.

L'art. 449 suppose que la faillite, qui, d'après l'argumentation du rapport, n'aurait jamais lieu que par la publicité, peut cependant ne venir à la connaissance du tribunal que par la requête d'un créancier. Mais évidemment, si la notoriété existe, les juges composant le tribunal de commerce le sauront, aussitôt que qui que ce soit, et ce serait au moins une superfluité dans la loi, de s'occuper de la requête d'un créancier, après la réception de laquelle le tribunal ne sera pas plus obligé de déclarer la faillite que sur la notoriété qui lui était acquise.

Bien plus, le créancier, ne pourra plus faire prononcer la faillite de son débiteur insolvable, avant que cette insolvabilité n'ait prétendûment acquis le caractère de notoriété publique, par la signification d'une certaine quantité d'actes, de mises en demeure ou de protêts. En vain, par sa correspondance, ou par d'autres pièces, il prouvera au tribunal l'impuissance du débiteur à satisfaire à ses obligations, et produira l'acte constatant son refus de payer ; on lui répondra par cette règle établie dans le rapport : Que dans le système du code en vigueur, il ne saurait y avoir de faillite sans la publicité qui s'y attache, et que la cessation de payements, ne peut résulter que d’actes patents et notoires ; que la notoriété est un caractère substantiel de la cessation de paiements, sans lequel celle-ci ne peut exister.

Le principal but de la loi sera donc éludé, c'est-à-dire qu'après l'époque de l'insolvabilité du débiteur constatée ; ses biens seront laissés entre ses mains.

Nous ne savons ce qu'on répondra pour le créancier à cette argumentation du débiteur.

Dira-t-on que ce système de notoriété ne concerne que les créanciers entre eux et nullement le failli ? Mais vous auriez alors deux ou trois genres différents de faillite, et il ne serait dès lors pas vrai, comme vous l'avancez, que dès qu'il y a faillite ou cessation de payements, il y a dessaisissement à l'égard des créanciers et des tiers.

Messieurs, lorsqu'on a parcouru les monuments de la jurisprudence, on est effrayé de l'incertitude qui y règne, relativement à l’époque à laquelle on peut dire que la faillite d'un commerçant a éclaté, c'est-à-dire quand sa cessation de paiements a eu lieu. Tout à cet égard est livré à l'arbitraire le plus pur, et la commission elle-même déclare que pendant un long espace de temps, les oracles de la justice se sont évidemment trompés, qu'il y a eu mauvaise entente de la loi et abus dans la fixation de l’époque de la cessation de paiement. C'est extrêmement effrayant, Si l'on considère que la ruine des négociants dépend souvent de l'appréciation d'une chose qui dans la pratique paraît être aussi douteuse. .Et si, comme le dit votre commission, le commerce en a pris l'alarme, ce n'est pas sans de légitimes motifs.

Mais, messieurs, la confusion si grande dont nous venons de parler, augmentera bien davantage encore, par les doutes nouveaux que le rapport de la commission jette, comme à plaisir, sur cette question.

Si l'on n'était pas d'accord sur l'époque de la cessation de paiements, l'on savait du moins ce que c'était que la cessation de paiements. L'on savait que ce n'était pas un ou plusieurs refus partiels, une gêne momentanée, une simple suspension, mais le refus de payer ou le défaut de paiement fondé sur l’insolvabilité du débiteur. C'est ainsi, d'ailleurs, que le définit clairement Locré, le rédacteur des procès-verbaux du conseil d'Etat. Mais aujourd'hui la théorie que la commission développe nous met dans l’impossibilité la plus absolue, de pouvoir dire ce que c’est que la cessation de paiements, et nous ne comprenons pas comment les tribunaux la reconnaîtront désormais.

Car, suivant qu’il convient à l’argumentation de l’honorable rapporteur, la cessation de paiement est exactement la même chose que la faillite, ou elle n’en est que la cause ou même que le signe caractéristique.

Tantôt elle ouvre seule, de plein droit, tantôt elle ne peut seule ouvrir la faillite, quoique dans les deux cas ce soit elle qui opère le dessaisissement à dater du jour où elle existe.

Ce n’est point une individualité, c’est un fait, mais un fait successif qui doit nécessairement se produire en plusieurs jours afin qu’il ait la publicité désirée par la commission, ce qui n’empêche pas toutefois celle-ci de parler du jour de la cessation de paiement.

« En résumé, porte le rapport, les actes mentionnés dans le § de l’ait. 441 ne sont que des éléments de la cessation de paiements, laquelle doit concourir avec eux (ses éléments) pour déterminer l’ouverture de la faillite. …. Cette cessation ne peut résulter que d’actes patents et notoires. »

Il ne faut pas croire, messieurs, que l’honorable rapporteur n’ait pas bien pesé toutes ses expressions. Il en a, au contraire, bien compris la valeur et la portée; et elles lui sont du plus grand secours dans ses raisonnements.

Pour nous, nous ne connaissons d’autres éléments de la cessation de paiements, que l’insolvabilité du débiteur et son défaut de payer. Les mises en demeure et autres actes ne sont que des moyens de preuve, des moyens de constater l’ouverture de la faillite, lorsqu’il y a réellement cessation de paiements, ou que la déclaration du failli la fait légalement présumer.

Le § 1er de l’art. 441 est formel à cet égard.

Le rapport avait besoin de poser cette fausse base pour en déduire cette conséquence que « La cessation de payement ne peut résulter que d’actes patents et notoires, qui donnent à la faillite le caractère de publicité.

Pour parvenir cette conséquence, il fallait bien dire que les actes prémentionnés sont des éléments de la cessation de paiements, et que ces éléments doivent même être publics (ce qui du reste ne se trouve nullement dans la loi), de sorte qu’on peut ainsi conclure qu’une chose qui se compose d’éléments publics revêt nécessairement le caractère de la publicité qu’il convient à la commission d’attribuer à la cessation de payements.

C’est là, dit la commission, tout son résumé; eh bien! ce résumé s’appuie sur une base doublement fausse, puisque, d’une part, la loi ne dit dans aucune de ses dispositions que les actes dont il s’agit doivent avoir certain degré de publicité, et lue, d’un autre côté, il est tout à lait inexact de prétendre que ces actes sont un des éléments constitutifs de la cessation de payements, laquelle cessation est un fait existant, indépendamment desdits actes, qui ne sont que la preuve de ce fait.

Tâchons de saisir par un exemple la pensée de la commission.

Un négociant reçoit chaque jour du mois de janvier une mise en demeure ou sommation de payer.

La première sommation pourra-t-elle âtre considérée comme patente et notoire ?

La commission ne le pense pas, parce que, dit-elle, il faut pour cela plusieurs refus de payements, comme la loi l’a indiqué, en employant le signe du pluriel.

Nous soutenons aussi la négative; mais par un autre motif : c’est parce que la loi qui est logique ne peut pas plus considérer comme patente et notoire au public une sommation d’huissier faite en présence ou en l’absence de deux témoins, qu’un testament reçu en présence de quatre témoins.

La seconde sommation, la troisième, la quatrième, la trentième, sera-t-elle, le jour de sa signification., plus patente et plus notoire que la première?

La commission professe l’opinion, et elle en fait même le fondement de tout son système, qu’après un certain nombre de mises eu demeure , ces actes deviendront nécessairement patents et notoires au public.

Quant à nous, nous contestons cette notoriété ; il se fait peut-être plus de deux cents actes de cette nature tous les jours à Bruxelles, sans que les voisins des débiteurs en aient connaissance, et j’en appelle à votre propre expérience. N’avez-vous pas maintes fois fait des emplettes dans des magasins de négocions qui, quelques temps après, sont tombés en faillite, sans que vous eussiez appris qu’ils eussent refusé de payer?

Au surplus, nous pouvons même supposer gratuitement comme un fait constant l’existence de la notoriété des mises en demeure, après un certain nombre de ces actes, sans pour cela admettre le moins du monde le système de la commission.

Supposons donc que la quinzième sommation, qui cependant d’après sa nature, doit être aussi secrète que les précédentes, donne nécessairement à celles-ci, comme à elle-même, le jour même de sa signification, le caractère de notoriété dont parle la commission. Quelles conséquences pourra-t-on en tirer?

Que la faillite existe et qu’elle sera ouverte dès le jour de cette quinzième sommation ?

Mais cette conséquence serait contraire au texte comme à l’esprit de la loi.

Car l’art. 441 porte en termes exprès, que ces actes sont sans influence, s’il n’y a pas cessation de paiements.

Ces actes peuvent donc exister en l’absence d’une cessation de payements, ils constatent alors tout au plus une simple suspension.

Ce 15, 30 ou 100 sommations publiées même à son de trompe ou dans les journaux, ne constituent donc ni faillite ni cessation de payements, et ce n’est qu’autant que cette première circonstance existera, que le code de commerce veut que les sommations précitées ou tous autres actes attestant le refus de payer puissent constater l’ouverture de la faillite.

Un négociant peut posséder un portefeuille et un magasin pour 300,000 fr. de valeurs et ne savoir pas, dans des temps difficiles surtout, faire face de suite à 100,000 fr. de dettes. La loi ne veut certainement pas que ce négociant puisse être considéré comme étant en état de faillite, et qu’il soit tenu, dans les trois jours, d’en faire la déclaration au greffe du tribunal de commerce (art. 440), que les scellés soient apposés sur ses livres, que le secret de ses lettres soit violé, etc.

Le refus de payer dans cette circonstance, quelque notoire et patent qu’il soit, ne constaterait pas autre chose qu’une suspension de paiements. Il faut, comme le dit fort bien la commission elle-même, une impuissance de payer, non pas temporaire et accidentelle, mais absolue et complète; en d’autres termes, il faut qu’il y ait insolvabilité, ou, ce qui en est l’équivalent, déclaration du failli.

Mais s’il est vrai, comme il vient d’être établi, que les mises en demeure et autres actes mentionnés à l’art. 441 peuvent exister, et même être rendus publics, sans qu’il y ait faillite ou cessation de payements, comment se fait-il que la commission leur attribue la vertu de constituer nécessairement l’état de faillite et de donner le caractère de notoriété à la cessation de paiements ?

N’est-ce pas là se mettre évidemment en contradiction, non seulement avec la loi, mais encore avec soi-même?

Et comment d’ailleurs dans un semblable système, fixer l’époque de l'ouverture d'une faillite lorsque la cessation de payements sera certaine ? Sera-ce au jour de la 15e sommation dont nous avons parlé ? Sera-ce avant ou après cette date ? C'est ce que les partisans de l'étrange théorie que nous combattons ne sauraient préciser.

Comment, au surplus, supposer que la loi valide les actes passés avec le commerçant insolvable le lendemain du premier refus de payer, et qu'elle annule généralement tous ceux de même nature, faits le surlendemain, trois, quatre, dix ou quinze jours plus tard ?

Et l'on fonde ce système sur cette étrangeté, que tel tantième refus de payer, sera nécessairement notoire au public le jour même de l'exploit, à la différence de ceux qui l'ont précédé !

Mais cette notoriété publique de la cessation de payements, comment la constaterez-vous ? c'est-à-dire, comment établirez-vous que l'insolvabilité est devenue notoire après tel tantième refus de payer ?

Par les mises en demeure ? Mais, vous en convenez, elles peuvent exister même en grand nombre en l'absence de la cessation de payement.

Prétendez-vous que le tribunal de commerce pourra la déclarer d'office, cette notoriété, en vertu de l'art. 449 du code de commerce ?

Mais, ne nous y trompons pas, si cette disposition investit les juges consulaires du pouvoir de constater la notoriété publique existante au moment de leur jugement, ce pouvoir que de sages jurisconsultes trouvent déjà exorbitant dans cette étroite limite, ne peut être étendu au-delà, et être exercé pour une époque antérieure, par des juges qui, n’ayant peut-être été revêtus de leurs fonctions qui postérieurement, viendraient illégalement constater une circonstance, dont ils n’ont eu connaissance que comme simples particuliers.

Non, messieurs, le jour fixe de l’existence de la notoriété publique de l’insolvabilité du débiteur, ne saurait être établi dans la pratique.

Et, s’il était vrai que la loi eût voulu dessaisir réellement le failli à dater du jour de la cessation de payements, afin de conserver l’égalité entre ses créanciers, ne serait-il pas absurde de prétendre que le créancier qui a reçu un payement après la quatrième mise en demeure, adressée au débiteur insolvable, ne devra pas rapporter à la masse à la différence du créancier qui aura été payé le jour suivant après la cinquième ou la quinzième sommation, sans distinction si l’un ou l’autre a reçu de bonne foi ?

Un négociant dont le passif est deux fois plus grand que l’actif, qui s’élève en tout à 20,000 fr., reçoit le 1er janvier de son banquier, une mise en demeure de payer justement la même somme de 20,000 Fr. qu’il lui doit. Le lendemain, le surlendemain ou quelques jours plus tard, il paie tous ses autres créanciers au détriment de son banquier. Eh bien, d’après le système de la commission, non seulement celui-ci ne pourra pas exiger le rapport des sommes payées à son préjudice, mais il ne pourra pas même faire déclarer la faillite de son débiteur. Et voulez-vous savoir pourquoi ?

Le rapport vous le dit, c’est par le motif que la loi a écrit au pluriel le mot payements.

Oui, messieurs, c’est avec de pareils raisonnements qu’on veut que nous, qui ne sommes pas des juges, nous allions déclarer aux oracles de la justice, qu’ils se sont évidemment et unanimement trompés pendant une longue série d’années et que nous leur disions : « Vous ne vous êtes pas suffisamment pénétrés de la pensée de la loi ; vos décisions n’en ont été qu’une mauvaise entente, un véritable abus. Vous n’avez pas remarqué que le mot paiements, dans l’article 441 du code de commerce, porte le signe du pluriel ; vous n’avez pas su distinguer comme nous, que la cessation de paiements s’identifie tantôt avec la faillite, qu’elle en diffère quelquefois comme la cause diffère de son effet, et que souvent elle n’en est que le signe caractéristique. Vous ne vous êtes pas aperçu que cette cessation de payements n’est pas individualité, que c’est un fait successif qui s’accomplit, non pas en un seul jour, mais en plusieurs jours, et que ce n’est qu’improprement que l’article 440 du code de commerce parle du jour où le débiteur aura cessé ses payements. Vous avez toujours pensé à tort que les sommations de payer et tous les autres actes dont il est question à l’article 441 n’étaient que des moyens de preuve de la faillite, tandis que ce sont les éléments ou parties substantielles de la chose elle-même. Vous avez eu tort de ne pas reconnaître plus tôt que la loi exige formellement la notoriété des actes précités, quoique le contraire résulte de cette expression de l’art. 441 « par la date de tous actes constatant le refus d’acquitter ou de payer des engagements de commerce ».

Est-ce sérieusement qu’on vous propose de tenir un pareil langage ?

Si le mode peu favorable de confection de nos lois nouvelles les rend susceptibles de beaucoup d’imperfection, au moins n’aggravons pas ce mal en l’étendant à la loi ancienne, par une interprétation qui la dénaturerait entièrement, et la mettrait en opposition avec son texte formel.

Insisterons-nous encore sur ce point pour discuter un moment la question de langage et de grammaire soulevée par le rapport ?

Nous en éprouvons quelque confusion, mais le rapport nous y oblige, en la présentant comme un de ses principaux arguments.

Le rapport tire le plus grand parti de ce que le mot payements est écrit au pluriel à l’art. 441.

Mais s’il était écrit au singulier, l’expression cessation de payement auraient-elle une autre signification ?

Pour prouver la négative, messieurs, il nous suffirait de jeter les yeux sur le rapport de la commission, où l’on voit souvent répétée et écrite alternativement avec un s et un t final l’expression cessation de payement à laquelle l’honorable rapporteur attache dans les deux cas la même signification.

Et c’est avec raison, puisque dans cette circonstance le mot payement employé au pluriel, a la même portée que s’il avait le signe du pluriel. Il signifie aussi bien un défaut complet ou absolu de payement, que l’expression cessation de travail exprimerait l’idée du chômage d’une quantité d’ouvriers qui refuseraient même séparément de travailler. Et si on voulait indiquer plusieurs refus, plusieurs défauts de payement ou de travail, ce ne sont pas ces derniers mots qui devraient prendre le signe du pluriel, mais bien les premiers.

Quand on dit qu’à tel établissement, à telle maison de commerce il y a suspension ou cessation de paiement (au singulier) cela ne signifie pas qu’il n’y a qu’un créancier qu’on refuse de payer. Et lorsque la loi a donné à ce dernier mot le signe du pluriel, elle n’a pas entendu dire que plusieurs créanciers s’étaient déjà présentés pour toucher le montant de leurs créances. Sa pensée était d’exprimer l’état du commerce qui, pour cause d’insolvabilité, est en défaut de payer, état qui existe aussi bien au premier qu’au second refus, et qui dès le principe peut être considéré comme une cessation absolue de tous paiements.

Il faut convenir, messieurs, que la théorie de la notoriété publique, est bien loin de se rencontrer dans la loi, si celle-ci n’offre pas pour l’étayer d’autres moyens d’argumentation.

Comment, d'ailleurs, concilier ce système qui ne peut être fondé que sur une suite d’actes constatant de nombreux refus de payer en présence de cette disposition de l’art. 441 : Son époque est fixée par la date DE TOUS ACTES constatant le refus de payer des engagements de commerce.

Ne voit-on pas que cette théorie est condamnée par cette disposition ?

Quelle serait la date ou l'époque de la faillite qui résulterait d’une succession nombreuse de protêts ayant tous une date différente ?

Ces observations vous convaincront, messieurs, que la notoriété publique dont il s'agit, n'a jamais pu entrer dans la pensée de la loi et que ce système ne pourrait pas même être mis en application. Et comme sans cette notoriété le système de la rétroactivité qui a jeté tant d’alarme dans le commerce ne serait, ainsi qu'on en convient, qu'une véritable monstruosité, vous adopterez, messieurs, l’opinion des cours de cassation.

Je dis à dessein des cours de cassation ; car quoiqu'une lecture peu attentive du rapport, puisse laisser croire que la cour de cassation de France, dont l'autorité y est invoquée, ne partage pas cette opinion, il n'en est pas moins vrai (et nous regrettons que ce fait n’ait pas été constaté dans le rapport), il n'en est pas moins vrai, que ce tribunal suprême, si haut placé dans l'estime publique, est d'accord sur ce point avec notre cour de cassation.

Votre commission, messieurs, cherche encore à justifier sa théorie par cette maxime : Que chacun doit s'informer de l’état de celui avec lequel il entre en affaire. Quicumalio contrahit, vel est, vel debet esse non ignarus conditionis ejus., et encore sur l'analogie qui existerait entre la question qui nous occupe et l’article 563 du code civil, ainsi conçu :

Les actes antérieurs à l'interdiction pourront être annulés, si la cause de l'interdiction existait notoirement à l’époque où ces actes ont été faits.

Jamais, messieurs, il n'a été fait de moins juste application d’un principe et d’une disposition légale.

Pour le prouver, je pourrais me contenter d'adresser cette question à la commission :

Est-ce sérieusement qu'à l'aide d'une citation latine, vous voulez persuader à la chambre, que le commerçant, au moment où il crée un billet à ordre (opération la plus fréquente du commerce) connaît ou doit connaître l'individu qui en sera porteur à l’échéance, et s’il en verse le montant entre les mains de ce dernier qui a subi quelques protêts, il devra payer une seconde fois.

Je m'empresse de répondre, pour la commission, qu'elle ne peut partage une aussi grande erreur, ni élever une prétention aussi contraire à la raison.

Mais alors que devient le système qui trouvait son appui dans la maxime précitée, si celle-ci, de l’aveu de la commission, ne peut recevoir son application aux actes les plus ordinaires du commerce ? Le système doit nécessairement s’écrouler comme manquant de base.

J'ai cherché l'origine, et je me suis bien fait expliquer la maxime dont nous nous occupons ; elle est tirée de la loi 19 aux Pandectes : De diversis regulis jauris. Liv. 50, tit. XVII. Si cette loi eût été citée tout entière dans le rapport, ou si la raison qu’en donne le jurisconsulte romain y eût été relatée ; on eût vu que cette règle est fondée sur ce motif, que celui qui contracte agit spontanément, que c’est volontairement qu’il s’expose, etc. La règle précitée peut donc (et encore selon les circonstances) s’appliquer à celui qui, comme dit la commission, entre en affaire spontanément. Mais je suis obligé de restituer un prêt, un dépôt au futur failli, de lui payer un billet, etc. Serai-je considéré comme ayant agi volontairement, spontanément ? Ne serait-il pas souverainement injuste et contraire à la logique de m’appliquer cette règle faite pour des cas différents.

Quand j'exécute une convention passée avec un non dessaisi, qui le devient prétendument après, sans l'intervention de la justice, ne suis-je pas dans la même position, que si c'était mon auteur eût traité, ou qui m'eût chargé de payer une somme ou un legs ? Or, dans ce cas peut-on m'appliquer la règle prémentionnée, en la supposant même applicable en matière de dessaisissement ? L'argumentation de la commission dit que oui et que le dessaisi, étant incapable de recevoir, je devrai le payer une seconde fois parce je suis censé connaître la condition de celui avec qui j’agis. Mais la commission ne cite que la première des deux lignes dont se compose la loi romaine qu’elle invoque. Si elle eût lu la seconde, elle eût vu que la décision tout opposée y est consacrée. En voici les termes : Heredi autem hoc imputari non potest, cum non sponte cum legatariis contrahit.

N'établissons pas si légèrement, messieurs, de nouveaux principes.

Prenons garde, d'ailleurs, de déclarer aujourd'hui en principe que l'on est toujours censé connaître l'état des affaires de celui avec qui l'on traite, tandis que, dans quelques jours, lorsque nous nous occuperons de la révision de la loi sur les faillites, vous proclamerez très vraisemblablement le principe contraire, beaucoup plus conforme à la raison et à la nature des choses. En se jouant ainsi des principes, on s’expose à tout bouleverser dans l’Etat. Le législateur ne saurait donc trop se mettre en garde à ce sujet. Et il faut vraiment être en disette d’arguments pour présenter comme applicable à l’état des affaires de quelqu’un une règle de droit qui ne concerne que la qualité, la condition, l’état ou la capacité de la personne elle-même… Certes, quand les jurisconsultes romains ont établi la règle dont il s’agit, d’après laquelle on est censé connaître l’état de la personne avec qui l’on contracte, ils n’ont jamais pu comprendre par là qu’on devait connaître l’état des affaires de cette personne. Cette maxime eût été trop déraisonnable pour pouvoir être écrite dans le code de la raison.

La commission, en prenant cette maxime pour base, n’a fondé son système que sur une équivoque. Le mot incapacité, dont elle fait usage vis-à-vis du failli, l’a induite en erreur. Elle a pensé que la faillite altérait la capacité civile du failli ; il n’en est rien, sa capacité personnelle ne change pas plus que celle de tout débiteur dont les biens seraient hypothéqués ou donnés en gage pour des sommes supérieures à leur valeur. Si dans le discours, on le qualifie d’incapable, c’est uniquement pour la facilité et pour ne point employer une locution plus longue. Cette incapacité personnelle existe tellement peu, que la jurisprudence admet tous les jours que le failli peut être tuteur.

Est-ce avec plus de raison, messieurs, que l’on avance que l’art. 503 du code civil, relatif à l’interdiction, présente la plus grande analogie avec l’espèce ?

Mais, ce n’est là qu’une nouvelle erreur, et d’ailleurs cette analogie existât-elle réellement, on ne pourrait logiquement en tirer la conséquence indiquée dans le rapport.

Mais l’analogie n’existe pas, et sur ce point, je me borne à citer ce passage de Locré, tom. IlI, p. 71, édit. de Tarlier.

Le dessaisissement porte sur les biens, l’interdiction sur les capacités naturelles ou civiles de la personne, il n’y a point d’analogie entre deux choses aussi essentiellement différentes…, etc.

La différence est en effet trop palpable, pour que nous ayons besoin d'insister à cet égard.

Supposons cependant gratuitement que l'analogie soit parfaite, qu'il y ait même identité entre celui qui a cessé ses paiements et l'interdit, et qu'il soit comme ce dernier (art. 509 du code civil) assimilé au mineur pour sa personne et pour ses biens : qu'en résultera-t-il ? Examinons.

Quel est le principal but du dessaisissement ? C'est au dire même des adversaires du projet primitif du gouvernement, de maintenir l’égalité entre les créanciers, d'empêcher que le plus diligent soit payé avant ou à l'exclusion des plus négligents.

Posons donc un exemple relatif au payement. Supposons quel soit un mineur qui me paie une dette de dix mille fr., et que cette somme lui appartienne ou qu'elle soit simplement un dépôt confié à son père défunt. Me voilà donc payé par une personne qui, depuis sa naissance, se trouve dans un état continuel de dessaisissement, n'ayant ni l'administration de ses propres biens, ni même la propriété de la somme donnée en payement.

Si je dépense de bonne foi cette somme, ou si je l'emploie à faire des payements, pourrai-je être tenu à la rapporter ?

L'article 1238 du code civil décide la négative en termes exprès.

Ainsi donc, en admettant l'analogie, le rapport ne pourrait être exigé que pour le cas où le créancier serait de mauvaise foi.

Prétendra-t-on qu'en matière de faillite il est impossible que le créancier soit de bonne foi ? Cette prétention ne serait pas plus fondée que les autres. La raison ne nous dit-elle pas que, même dans les circonstances les plus ordinaires, il arrive souvent qu’un créancier ignore, avant le jugement déclaratif de la faillite, la mauvaise situation des affaires de son débiteur. La loi française qui a aussi été rédigée par des hommes sages, admet cette hypothèse. Nous l'admettrons probablement nous-mêmes aussi dans la nouvelle loi dont s'occupe déjà la commission nommée par M. le ministre de la justice, et ce serait nous exposer à nous mettre en contradiction avec nous-mêmes que de décider en ce moment le contraire.

Le rapport parviendrait donc à établir qu'il y a véritable analogie entre la situation de celui qui cesse ses payements et le mineur ou l’interdit, que les payements reçus en argent et consommés de bonne foi, ne devraient pas être restitués à la masse.

El la raison ne nous dit-elle pas d'ailleurs, qu'en cas de parfaite analogie, la décision doit être la même ? Pour être logique donc la commission n'aurait-elle pas dû proposer la rédaction de l'article 442 comme donnant la faculté aux tribunaux et non pas comme leur imposant l'obligation d'annuler les payements faits après la cessation de payements, de même que l'art. 503 du code civil qu’on invoque, n'établit qu'une simple faculté d'annulation, en disant : Les actes pourront être annulés.

En lisant le rapport, et notamment cette phrase : Pour expliquer la loi avec clarté, votre commission a été d'avis d'ajouter à l’expression CESSATION DE PAYEMENT le mot NOTOIRE, on penserait qu'aucune modification n'est faite au texte de l'art. 442 et que toute l’explication consiste réellement dans l’addition du mot notoire : mais ce serait là une erreur et une erreur très grave.

La commission modifie d'une manière fort importante cette disposition, en substituant au mot faillite l’expression cessation de payements. Avec le mot faillite la date du dessaisissement était nettement déterminée par le tribunal, aussi bien dans le système des cours d’appel, que dans celui de la cour de cassation. Ici c’était le jour du jugement ; là, le jour fixé pour l’ouverture de la faillite, par la date de tous actes, constatant le refus d’acquitter ou de payer des engagements de commerce.

Mais la commission choisit un terme moyen, et elle n’ordonne pas que l’époque de la notoriété de la cessation de payement soit fixée par le tribunal. Le tribunal devra-t-il remplir ce devoir préalable, et comment déterminera-t-il l’époque ? ce ne sera certainement pas par la date de tous les actes constatant le refus d’acquitter des engagements de commerce puisque tous les actes de cette nature ne sont pas notoires au public ; comment donc faire ?

La nouvelle loi française, qui prend en considération l’époque de la cessation de payements, a bien soin, par son article 441, de charger le tribunal d’en déterminer la date.

La commission aurait bien pu porter une semblable prescription, mais elle aurait dû donner au tribunal quelques indications de nature à fixer la date de la notoriété publique, à l’instar de celles données par l’article 441 du code de commerce, pour la date de l’ouverture de la faillite ; mais la tâche n’eût pas été facile, car si la loi a cru pouvoir se dispenser de tracer des règles à cet égard, lorsque la notoriété publique a pris un caractère tellement évident et général, que les juges peuvent d’office en déclarer l’existence, au moment où ils prononcent leur jugement, elle ne pouvait laisser dans le vague les signes caractéristiques de cette notoriété, s’il se fût réellement agi d’en faire fixer par les tribunaux la date précise, à l’effet de maintenir respectivement ou annuler les actes qui la précèdent ou la suivent.

Pour se pénétrer de cette vérité, il suffit de se demander comment on parvient à établir l’existence de la notoriété publique d’une faillite.

Ecoutons Locré :

Le fait obscur de l'insolvabilité ne peut parvenir à la connaissance du public, qu'autant que le bilan soit affiché… La notoriété ne peut pas plus, en matière de faillite que dans toute autre, résulter de vaines rumeurs, de bruits vagues, souvent répandus par la malveillance, accueillis et grossis par la sottise et par la crédulité, de faits qui peuvent bien donner lieu a des soupçons, la plupart du temps mal fondés, mais qui ne produiront jamais l'évidence… La loi ne définit pas, elle ne peut pas définir cette notoriété qu'elle autorise à prendre pour guide. Le tribunal est libre de qualifier de notoriété publique un fait qui ne la comporte même pas, de prendre pour notoriété publique toutes les circonstances qu’il lui plaît, de prêter ce caractère aux protêts… Bien que le code veuille que rien de tout cela ne détermine l'ouverture de la faillite… N'est-ce point la perfection de l'arbitraire ?

La loi française a été plus sage. Elle n'a pas voulu de ce système de notoriété publique, qui est la chose la plus impossible dans la pratique. Elle a un autre système de notoriété pour certaines circonstances seulement. Elle n’en applique les effets qu’à chaque cas spécial, et lorsque la masse créancière ou les syndics de la faillite, administrent la preuve qu’au moment où il a agi, le défendeur avait connaissance de la cessation de paiements. Et ce système est infiniment plus raisonnable et à l’avantage de se trouver en harmonie avec l’article 503 du code civil invoqué par la commission. La nullité des actes dont il s’agit ne peut jamais être prononcé que lorsque la cessation de paiement était notoire à celui qui a agi avec le failli.

Je comprends bien que la commission, pour se tirer d’affaire, dira que le tribunal aura toujours soin, en fixant le jour de l’ouverture de la faillite, de déclarer que la notoriété publique, a pris son existence justement le même jour ; mais la difficulté n’est pas de déclarer que telle chose est, mais c’est de prouver qu’elle est.

Le système de la commission ne peut pas plus recevoir son application pour le passé que pour l’avenir, et ce qui est le plus extraordinaire, c’est qu’il ne peut même pas décider le cas litigieux pour lequel il y a aujourd’hui recours à votre autorité.

Vous allez, dit-on, décider comme juges, vous devez donc désirer connaître au moins quel sera l’effet de votre décision. Eh bien, messieurs, avec le système de la commission, il vous est impossible de deviner si le domaine devra ou non rapporter à la masse les sommes qu’il a reçues en paiement des sieurs Devalensart et comp., après l’époque fixée pour l’ouverture de la faillite.

Car il est plus que vraisemblable que le tribunal de Dinant n’aura pas, le 3 avril 1822, constaté que la cessation de payement était publiquement notoire au 28 février 1820, époque fixée par le jugement pour l’ouverture de la faillite.

Je n’ai pu me procurer le jugement du 3 avril 1822, mais cette vraisemblance acquiert un degré de certitude par le considérant suivant du jugement du même tribunal, du 17 mai 1828 :

« Attendu que, bien que le jugement qui déclare Devalensart, et Simon en faillite, ait fixé l’ouverture au 28 février 1820 (plus de 2 ans avant ce jugement, qui est du 3 avril 1822), il est constant néanmoins que les faillis sont, pendant cet intervalle, restés à la tête de leurs affaires, qu’ils ont continué à activer les forges de Thy-le-Château, à se procurer les matériaux nécessaires à cet effet, à vendre les fers qui en provenaient, et qu’ainsi, en fait, ils n’ont point été dessaisis de l’administration de leurs biens. »

Si la notoriété publique n’a pas été constatée, si elle n’a pas été prise en considération, comme le veut la commission, pour fixer l’ouverture de la faillite, dans quel embarras allez-vous placer les tribunaux ?

Ne pourra-t-on pas dire pour le domaine :

Le dessaisissement, d’après la loi interprétative, ne doit opérer que lorsque l’ouverture de la faillite a été fixée à l’époque de la cessation notoire de paiements ; or, l’ouverture de la faillite dans l’espèce, n’a pas été déterminée, d’après cette circonstance de la notoriété publique. Et la commission d’ailleurs, dit elle-même, dans son rapport (c’est donc là l’esprit de la loi interprétative) qu’on ne peut reporter cette ouverture, à l’effet d’opérer le dessaisissement au-delà de plusieurs mois, de plusieurs années, etc. Donc, pas de dessaisissement à l’époque où le domaine a reçu le paiement dont on demande l’annulation. Il faut donc fixer à nouveau l’ouverture de la faillite de Devalensart, afin d’y pouvoir appliquer la nouvelle loi, il faut en rapprocher l’époque jusqu’au jour de la notoriété, etc. Le tribunal dira : Attendu que la cessation de paiements n’a été notoire qu’à dater du … fixe définitivement l’ouverture de la faillite au…

Le tribunal se déjugera ; c’est possible, mais ainsi le veulent les nouveaux principes.

Peu importe encore de savoir quel tribunal sera appelé à décider cette nouvelle question de fait concernant la notoriété, le tribunal de Dinant et la cour étant dessaisis par l’arrêt de cassation, qui n’a prononcé que sur le principe admis à l’art. 442, et qui n’a pas eu à s’occuper de l’article 441 qu’il faut maintenant appliquer.

Eh, messieurs, quand le tribunal compétent sera trouvé, comment interprétera-t-il l’œuvre de la commission ? Si la notoriété est reportée à plusieurs mois, les cours n’infirmeront-elles pas le jugement d’après l’esprit de la loi nouvelle, bien marqué dans le rapport ? Seront-elles d’accord entre elles à ce sujet, et n’aurez-vous pas bientôt à interpréter votre loi interprétative, et cela dans la même espèce ! Pour nous, nous croyons que ce résultat est loin d’être invraisemblable.

Si, ce que nous ne pensons pas, le jugement déclaratif de la faillite de sieur Devalensart et comp. attestait que la notoriété publique existait déjà plus de deux ans avant le jugement, ne serait-ce pas la condamnation la plus solennelle du système de la commission, qui se fonde particulièrement sur ce motif qu’en exigeant la notoriété publique, on ne peut plus faire rétroagir les faillites au-delà de plusieurs mois, de plusieurs années ?

Et serait-il raisonnable, serait-il juste, en admettant le système de notoriété publique, de venir au secours des créanciers à qui cette notoriété était acquise, et qui sont ainsi inexcusables de ne pas provoquer le jugement déclaratif ? Comment faire supporter les funestes conséquences de cette négligence, à des tiers qui auront cru de bonne foi qu’il n’y avait pas cessation de payements, puisque les créanciers, le tribunal de commerce, le juge de paix, ont agi comme si la notoriété n’existait pas ?

D’un autre côté, s’il était vrai, comme on l’avance, que la loi a dû penser que le tribunal de commerce agirait toujours d’office, aussitôt qu’il y aurait notoriété publique, et que celle-ci seule doit opérer le dessaisissement, comment soutient-on le système de rétroactivité ? N’est-ce pas là une nouvelle contradiction ? la loi pouvait-elle croire que la faillite serait déclarée au moment même où elle deviendrait notoire, et croire tout à la fois que le dessaisissement attaché à la seule circonstance de la notoriété rétroagirait au-delà du jour du jugement ? Si, dans la pensée de la loi, le jugement déclaratif devait être prononcé aussitôt la notoriété publique acquise, ne serait-ce pas outrepasser l’esprit de la loi, que de reporter le dessaisissement à une époque antérieure à ce jugement ?

La volonté de la loi a été d’opérer le dessaisissement de droit au moment même où le jugement opère le dessaisissement de fait. Nous démontrerons, lors de la discussion du nouveau projet ministériel, cette vérité de la manière la plus évidente. Nous trouverons sa confirmation dans les discussions du conseil d’Etat. Nous nous bornerons en ce moment, où nous ne nous occupons que du rapport, à faire observer qu’il n’invoque qu’une fois ces discussions du conseil d’Etat, et c’est pour chercher à démontrer que l’article 494 du code de commerce enlève au débiteur la capacité d’ester en jugement, non pas à dater du jugement déclaratif, mais à partir du jour de la cessation de paiements.

Or, on se trompe encore évidemment sur ce point.

On voit, en effet, de la première rédaction de cet article, que l’intention des rédacteurs a été, comme les premiers mots de l’article le disent clairement, de ne faire courir les dessaisissements à cet égard, qu’à l’entrée en fonctions des agents ou syndics, puisque le premier projet portait… Et toute action qui serait intentée après la faillite AU PREJUDICE DES POUVOIRS DELEGUES PAR LA LOI AUX AGENTS OU SYNDICS, etc. Cette phrase incidence a été jugée inutile et a été supprimée comme telle. La discussion relative à cette disposition est toute favorable à cette interprétation, et l’on ne peut rien en déduire en faveur du système de la commission.

Avant d’en finir avec le rapport, nous ferons remarquer que l’honorable rapporteur se met fort à l’aise pour raisonner lorsqu’il dit que les partisans de la cour de cassation « confondent deux espèces de nullités différentes dans leurs principes, car l’incapacité est la cause immédiate de la nullité des actes passés après la cessation de payements, au lieu que les obligations antérieures ne sont annulées que sur des présomptions de fraude. »

Cette distinction n’est que subtile et ce raisonnement n’est qu'une pétition de principes : la solution de la question par la question.

Vous voulez prouver qu'au moment de la cessation de payement, il y a dessaisissement, même avant le jugement, qu'il y a incapacité du failli, et pour faire cette preuve, vous affirmez simplement qu'il y a réellement incapacité du failli et que la nullité procède de cette incapacité, - justement ce qui est en question et que vous devriez établir. Ce raisonnement ne prouve donc rien.

Le dessaisissement, dites-vous, engendre l'incapacité. Nous répondons et nous avons prouvé que le dessaisissement ne produit pas l'incapacité proprement dite. D’ailleurs cela importe peu, aussi longtemps qu'il n'est pas démontré que le dessaisissement n'est pas opéré avant le jugement déclaratif de la faillite.

L'incapacité engendre la nullité… mais l'art. 1238 du code civil maintient les payement faits par l'incapable lorsque les sommes payées ont été consommées de bonne foi, et vous voulez les annuler sous prétexte d'incapacité. D'un autre côté, s'il y a réellement nullité de tous actes par suite de l'incapacité, procédant du dessaisissement, pourquoi mettriez-vous celui qui a traité avec le failli, postérieurement au jour fixé pour l'ouverture de la faillite, sur la même ligne que celui qui a traité avant cette époque de prétendu dessaisissement ? Pourquoi donc ne pas prononcer la nullité ? Y aurait-il dans votre théorie deux espèces de dessaisissement ? L'un postérieur au jugement déclaratif qui annulerait complètement l'acte passé avec le failli, l’autre prenant date à l'époque fixée pour l'ouverture et n'opérant la nullité que pour partie, pour 50 p. c., par exemple, lorsque le passif est double de l'actif.

Dans l'espèce qui vous est soumise, le tribunal de Dinant nous apprend que les faillis out continué, pendant deux années, à fabriquer, à acheter et vendre. S'il y a dessaisissement antérieur, incapacité et nullité, toutes les opérations ne doivent-elles pas évidemment être frappées de cette nullité, comme si elles avaient eu lieu postérieurement au jugement déclaratif, et les conventions qui seront jugées nulles, pourront-elles donner une action aux contractants pour, après le rapport des valeurs qu'ils ont reçues du failli, venir partager avec les créanciers l'actif ainsi augmenté ? Non certainement, pas plus que s'ils avaient agi après le jugement déclaratif de la faillite, à moins, nous le répétons, que vous n'entendiez parler d'un autre dessaisissement, d'une autre incapacité et d'une autre nullité que celle connue jusqu'à ce jour.

Ces nombreux contractants n'auront d'autres recours que de prouver que la masse créancière s'est enrichie à leurs dépens, en établissant que les valeurs qu'ils ont fournies se retrouvent dans l'actif de la faillite, preuve le plus souvent impossible, et qui, s’il elle était faite, contrarierait directement le but de la commission. Il en résulterait même cette anomalie, que celui qui aurait traité après le prétendu dessaisissement, pourrait reprendre la chose entière, s'il la retrouvait dans l'actif ; tandis que le créancier antérieur à la cessation de payements ne le pourrait pas, quoiqu'il mérite plus de considération aux yeux de la loi.

On est effrayé des conséquences du projet de la commission.

Pour faciliter l'intelligence de la question, supposons que l'actif de la faillite dont il s'agit actuellement soit zéro, que le passif s'élève à 500,000 fr., et que le banquier des faillis leur ait délivré chaque mois une somme de 20,000 francs, contre des remises sur divers particuliers solvables, lesquelles furent régulièrement encaissées à leurs échéances. Les différentes remises ainsi fournies contre écus pendant les 25 mois qui se sont écoulés depuis l'ouverture de la faillite jusqu'au jugement déclaratif, s'élevant donc à 500,000 fr.

Cette dernière somme devra dès lors être rapportée à la masse par suite du dessaisissement, de l'incapacité des faillis et de la nullité de leurs opération avec le banquier qui, traitant au comptant ou sur les meilleurs valeurs, croyait bien opérer sûrement.

Après le rapport à la masse de ces 500,000 francs, pourra-t-il au moins concourir au partage avec les créanciers ? Il est évident que non, d'après l'exposé qui précède.

Avec ce système d'incapacité et de nullité, quel est le négociant qui oserait encore souscrire ou recevoir un billet à ordre de quelque importance ? Quel est celui d’entre nous-mêmes qui ne reculerait pas devant le danger de devoir payer deux fois de semblables effets de commerce ? S’il était admis par le législateur, qu’un premier payement fait au porteur avec la plus entière bonne foi pût être annulé, qui oserait encore surtout envoyer des fonds ou des remises à un correspondant ou un ami d’une autre ville, comme cela se pratique fréquemment pour faire honneur à ces billets ? Ce correspondant, cet ami, feront-ils l’enquête nécessaire pour s’assurer, au moment où il se présente, que le porteur qui vient peut-être lui-même d’une autre ville, n’est pas frappé de l’incapacité dont il s’agit ? et s’il est jugé plus tard que le porteur était dessaisi, qui condamnerez-vous à payer la seconde fois, du souscripteur ou de son correspondant ?

Je pense que si vous adoptiez le système de la commission, les effets de commerce seraient absolument impossibles. On n’aurait pas plus de sécurité en les encaissant qu'en les payant soi-même, puisqu’on courra également la chance d’en rapporter le montant à la masse créancière. Le créeur comme le tiers porteur, le premier, comme le dernier des endosseurs, le cédant et le cessionnaire, pourraient trouver leur ruine dans l’opération la plus simple et qui paraissait ne devoir présenter aucun danger.

Il suffit, au surplus, d'un peu de réflexion, pour se convaincre qu'il y aurait également impossibilité de faire la moindre opération de commerce.

Nous démontrerons ce point à l'évidence, lorsque nous examinerons le nouveau projet du gouvernement, lequel aurait des effets tout aussi désastreux et qui est moins soutenable encore que celui de la commission.

Je pense que ce projet auquel on ne pouvait guère s'attendre de la part du gouvernement devrait être soumis à l'examen d'une commission. C’est la question la plus grave d'économie commerciale que vous aurez jamais eu à décider. Et quoique je ne veuille pas discuter ce projet en ce moment, je crois cependant convenable de donner lecture de quelques lignes du discours que j’ai préparé contre ce système, afin de vous faire connaître l’opinion des membres du conseil d’Etat, lors de la rédaction de l’art. 442 du code de commerce, et le sens qu’ils ont attaché au mot faillite.

Les partisans du système des cours d’appel s’appuient en premier lieu et principalement sur la définition donnée de la faillite par l’art. 437 du code de commerce. C’est la base fondamentale de leur système. Mais, messieurs, cet article a-t-il bien réellement donné la définition du mot faillite ? Je réponds avec assurance que non : Il ne dit pas, en effet, que le mot faillite signifie toujours et exclusivement cessation de payement, qu’il n’a pas une signification plus étroite, comme la plupart des mots de notre langue, qui ont soit différentes acceptions, soit un sens plus large, soit un autre plus restreint ; tels que les mots biens, administrations, dessaisir ou saisir, employés dans le même article 442. Vous verrez, messieurs, que le mot faillite est encore employé dans une acception plus restreinte dans le langage usuel et dans certaines dispositions du code ; et pour en administrer la preuve, il faut nous rendre jusqu’au sein de l’assemblée du conseil d’Etat. Nous insisterons même un peu sur ce point à cause de l’importance, quoique puérile à nos yeux, qu'attachent nos contradicteurs à cette discussion. Je choisirai mes citations de manière à mettre plus en relief le but que la loi que nous discutons doit atteindre, et pour abréger encore davantage, je démontrerai en même temps et par le même moyen, que l’esprit de la loi existante et de celle que nous confectionnons doit être, non pas seulement de dessaisir le débiteur, mais principalement de saisir ses créanciers de l'administration de ses biens.

Sur ce dernier point, le texte de l'art. 7 du projet primitif et dont se prévalent nos honorables contradicteurs, serait à lui seul suffisant pour notre justification. Il ne porte pas en effet, que le débiteur est dessaisi, mais que les créanciers sont saisis, Les créanciers, disait en effet cet article, sont saisis de plein droit, a compter du jour de la faillite, etc.

C'est l'idée de saisir les créanciers qui domine aussi dans la discussion de la loi nouvelle. En parlant des ordonnances de 1673 et de 1702, M. de Segur dit que ces lois étaient assez sages et assez complètes pour le temps où elles ont été rendues, mais qu'une triste expérience avait démontré leur insuffisance au commencement de ce siècle. Les faillites, loin d'être un sujet de honte, étaient devenues un moyen de fortune dont on prenait à peine le soin de déguiser la source. Les transactions se faisaient sans aucune surveillance de l'autorité publique. La faillite qui n'était considérée que comme un malheur, tant que la fraude n'était pas prouvée, laissait le failli indépendant pour l'administration de ses biens.

L'insouciance des créanciers, qui étaient sans guide et sans appui, les plaçaient forcément dans la dépendance du débiteur.

Les syndics choisis dans les premiers moments de la faillite, quelquefois par des créanciers supposés, souvent par des amis ou parents du failli, presque toujours par un petit nombre de créanciers présents, qu’on désintéressait aux dépens des absents, déguisaient la malversation du failli, et forçaient les créanciers à des traités désastreux dont l’effet était d’ôter aux banqueroutiers la honte, à ses victimes les trois quarts de leur propriété, et de laisser au débiteur les moyens d’afficher un luxe insultant.

Les liquidations étaient livrées à des hommes qui voulaient les éterniser.

Il fallait mettre un frein à tous ces scandales, et l'un des moyens les plus efficaces fut de dessaisir le failli en droit et en fait de l'administration de ses biens, pour transporter cette administration sur le chef de ses créanciers ou des agents qui les remplacent.

Qu'on lise avec attention les discussions du conseil d'Etat et les discours des orateurs du gouvernement, et l'on verra que l'intention bien formelle des jurisconsultes distingués qui ont fourni le tribut de leurs lumières dans ces discussions, a été que l’administration de fait des biens du failli, passât à l’instant même ou s’opère le dessaisissement entre les mains de ses créanciers, et d’établir comme base la plus solide de leur œuvre, les principes de morale et de bonne foi, qui sont l’âme du commerce, et dont la violation est cependant flagrante dans le système des cours d’appel.

Dans la séance du conseil d'Etat du 26 février 1807, M. Béranger lit : qu'il est impossible de discuter l’article 442 là où il se trouvé placé. L’ordre naturel des idées exige qu’auparavant on décide si la faillite SERA DECLAREE PAR LE TRIBUNAL, dans quels cas et dans quelles formes elle sera déclarée.

Quand le système sera ainsi fixé, il deviendra plus facile de résoudre les diverses questions qui se sont élevées et de voir si et comment les créanciers DOIVENT ETRE SAISIS DE PLEIN DROIT (Législation civile, commerciale, et criminelle, par Locré. Bruxelles, 1837, tome 12, page 53.)

M. Cretel pense que l’article est à sa place, parce que c’est ici qu’il faut décider que l’administration appartiendra aux créanciers. (Ibid.)

Le conseil, dit M. Regnauld (de St-Jean-d’Angely), ne peut se dispenser dès à présent que le failli est exproprié et que ses biens passent dans la main d’un tiers qui les administre et l’écarte de sa gestion. (p. 54).

La section, disait M. Cretel, chargée avec M. de Ségur de la présentation du projet au conseil d’Etat, est partie du principe simple que les créanciers SONT SAISIS des biens, qu’en conséquence les biens ne doivent pas rester ENTRE LES MAINS DU FAILLI. Cependant, ajoutait-il, comment saisir les créanciers ?

Il existe deux moyens de prévenir les abus, c’est de confier à la justice l’administration des biens des faillis, ou de la donner à ses créanciers.

Cependant, disait encore M. Crétel dans la discussion, comme l’administration ne doit pas demeurer vacante, il ne reste qu’à mettre les biens sous un séquestre qui commencera l’expropriation. (p. 51).

Il est nécessaire, disait M. l’archichancelier, d’exprimer dans la rédaction que l’administration et la disposition ne peuvent être enlevées au débiteur qu’APRES QUE SON INSOLVABILITE AURA ETE CONSTATEE. (p. 52.)

M. Beugnot répondait que dans tous les cas il est impossible de dessaisir le failli à l’instant même, et avant d’avoir constaté son insolvabilité ; il suffirait au surplus, pour conserver les biens mobiliers, DE DONNER AUX CREANCIERS L’ADMINISTRATION DE CES BIENS. (p. 53)

Et ! messieurs, M. Beugnot avait bien raison et nous suivrons, j’espère, son avis, en faisant constater la conservation des meubles dans l’administration des créanciers et non pas dans le dessaisissement du débiteur. Car dans le système opposé, c’est-à-dire sans la supposition du dessaisissement du failli, sans l’administration des agents, c’est la perte ou le dépérissement des meubles que l’on veut et non pas leur conservation. Qui, en effet, recouvrerait les effets vendrait les marchandises qui se gâtent, etc. ?

L’expropriation provisoire, disait M. Cretel, est nécessaire pour que LES CREANCIERS PUISSENT ADMINISTRER SANS LE FAILLI QUI SOUVENT S’ABSENTE ET SE CACHE ?

C’est, messieurs, dans la séance du conseil d’Etat où ces observations ont été présentées sans contradiction et au même moment que la rédaction définitive de l’art. 442 du code de commerce, telle qu’elle existe aujourd’hui, a été proposée par M. Jaubert, et adoptée par le conseil, sans aucune autre observation que la suivante qui, à notre avis, n’est pas la moins importante. Je copie textuellement le procès-verbal.

M. Berlier dit que la rédaction de M. Jaubert est incomplète en ce qu’elle N’EXPLIQUE PAS QUI SERA SAISI DE L’ADMINISTRATION. (Ibid.)

M. Jaubert répond, QU’ON S’EN OCCUPERA EN REGLANT LE MODE D’ADMINISTRATION.

M. Regnauld de St-Jean-d’Angely admet la rédaction de M. Jaubert. (Ibid.)

Le conseil adopte cette rédaction. (Ibid.)

Voyons maintenant, messieurs, si notre disposition ne se trouve pas confirmée par ce qu’il s’est passé lorsque cette rédaction a été complétée comme l’entendait M. Berlier, en règlent le mode d’administration des biens du failli.

Le titre de l'administration des biens du failli a été présenté par M. de Ségur immédiatement après et dans la même séance du conseil d'Etat. Il a été livré à la discussion dans les séances suivantes des 28 février, 5 mars, 14 mars, 21 mars, 24 mars, 9 avril, 14 avril, 16 avril 1807.

En vous rapportant quelques extraits du procès-verbal de ces séances à l'appui de l'opinion que nous venons d'émettre, nous vous prierons, messieurs, de remarquer que l'expression faillite dont se sont servis les orateurs, n'a pas toujours signifié, comme on le soutient, cessation de payements. Nos citations atteindront ainsi un double but.

M. Treilhart s'exprime ainsi : Le tribunal seul peut indiquer les agents, il le faut laisser agir sans le concours des créanciers ; car on vient de voir que DANS LES PREMIERS MOMENTS DE LA FAILLITE, ce concours est illusoire et même dangereux.

Le conseil, ajoutait-il, voulait des agents, mais seulement DANS LES PREMIERS INSTANTS DE LA FAILLITE et pour les opérations qui ne souffrent pas de retard (p. 87).

Il s'agit bien évidemment dans ces phrases de la faillite déclarée par le tribunal et non pas de celle qui remonte à deux années antérieurement.

M. Defermon dit que le conseil ayant admis que le failli serait dessaisi, il n'est pas possible de ne pas créer A L'INSTANT MÊME une administration qui prenne soin de ses affaires. (p. 87.)

Peut-on trouver, messieurs, rien de plus décisif ?

M. Regnauld dit que l'opinion de M. Treilhard et celle de la section sont absolument les mêmes. (p. 87.)

M. Crétet ajoute qu'il faut bien pourvoir AU PREMIER MOMENT,

C'est un séquestre, dit M. Béranger, qu'on a demandé et que le conseil a voulu établir DANS LE PREMIER MOMENT DE LA FAILLITE. Le mot séquestre, continue-t-il, indique très bien les fonctions de celui QUI SERA NOMMÉ. (p. 89.)

A l'ouverture d'une faillite, dit M. Bégouen, il faut craindre les entreprises des véritables créanciers eux-mêmes, dont plusieurs se croient tout permis pour se faire payer ; souvent ils intimident le failli ou le séduisent et parviennent par leurs manœuvres a faire leur condition particulière plus avantageuse que celle de la masse. VOILA POURQUOI IL EST NÉCESSAIRE D'INSTITUER UNE AGENCE QUI CONSERVE POUR TOUS. (p. 89.)

Ainsi donc, messieurs, d'après l'avis de M. Régouen, c'était l'agence seule et non pas le simple dessaisissement du failli qui doit servir de garantie aux créanciers. C'est aussi, je l'espère, ce que vous déciderez, car le dessaisissement n'empêche pas le détournement, ou le dépérissement des effets, etc.

M. Defermon pense qu'on peut se réduire à cette idée si simple que les agents ne doivent être que les intermédiaires appelés pour un court espace de temps DANS LE PREMIER MOMENT DE LA FAILLITE, a l'effet de faire les opérations qui ne souffrent pas de retard. (p. 90.)

N'est-il pas évident, en effet, messieurs, que s'il y avait un intervalle comme le supposent les cours d'appel, entre le dessaisissement et la nomination des agents, les créanciers en souffriraient le plus grand préjudice ?

Car, comme disait encore M. Cretet, il faut veiller a la conservation des effets du portefeuille d'une échéance rapprochée, SOUS PEINE D'ENCOURIR UNE PÉREMPTION ; il faut vendre les marchandises et denrées dépérissantes, etc., (p. 95.)

M. Beugnot rappelle que le conseil a admis pour première base du projet le dessaisissement entier du failli. Au moment même de sa faillite, il n'était pas possible, ajoute-t-il, de transporter, SOUDAIN tout cet avoir du failli à des créanciers qui n'étaient connus ni vérifiés ; donc il a fallu le confier provisoirement à quelqu'un. Le conseil a, en conséquence, admis pour seconde base du projet une agence intermédiaire.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, il doit y avoir soudaineté, instantanéité du dessaisissement à la nomination des agents, AU MOMENT MEME DE LA FAILLITE, comme dit M. Beugnot. Expression qui certes ici ne peut signifier la cessation de paiements. Elle désigne évidemment l'état du débiteur au moment où les agents sont chargés de l'administration de ses biens.

Le conseil d'Etat n'ignorait pas plus que nous que dessaisir le débiteur, sans nommer en même temps un séquestre ou un administrateur, et laisser ainsi une longue vacance dans l'administration, c'eût été aller directement contre le but qu'on se proposait, C'eût été concourir à la dépréciation ou à la ruine des biens du failli au lieu de veiller à leur conservation. Aussi l'art. 457 du code de commerce, pour ne pas laisser d'intervalle entre l'administration du failli et celle des agents, ordonne-t-il l'exécution par provision du jugement même par défaut qui déclare la faillite du débiteur, bien qu’il pût résulter pour celui ci, qui était peut-être absent, les plus grands inconvénients d'un jugement qu'il fera peut-être réformer sur son opposition quelques jours après. En attendant, sa correspondance et les secrets de son commerce seront dévoilés a ses rivaux. Le législateur a dû être vivement frappé des conséquences fâcheuses qui pouvaient résulter pour les créanciers d'une administration DE QUELQUES JOURS DE PLUS de la part du débiteur pour exposer celui-ci à de si graves inconvénients, résultant de l'exécution provisoire ; et l'on voulait que ce même législateur permette de reporter le dessaisissement pendant des années entières, en laissant ainsi pendant un si long intervalle les biens du failli sans aucune administration !!

Messieurs, on est confus, en vérité, d'être obligé d'insister sur une chose aussi évidente. Cependant, comme c'est là le point délicat, je demanderai la permission de faire encore quelques citations, qui par leur propos ont le mérite de servir d'exposé des motifs à la loi que nous allons voter.

M. Beugnot, dans la séance du conseil d'Etat, disait : C'est au moment de l'ouverture de la faillite qu'il s'agissait de pourvoir au moment critique et qui influe sur tout le reste des opérations. Il s'agissait de découvrir le moyen d'empêcher le mal qu'il pouvait faire en ce moment ou se placent les divertissements d'effet, les actes frauduleux, les privilèges accordés aux créanciers au préjudice des autres.

Elle est fort ingénieuse cette idée de curateurs, c'est-à-dire d'individus, qui, par une sorte de fiction, prennent la place du failli, s'emparent de son avoir et l'administrent.

Il faut cependant pourvoir au moment de l'ouverture de la faillite.

C'est donc les créanciers qu'il faut appeler et le plus promptement possible. Mais il y a des délais pour cet appel, ET TOUT DÉLAI EST RUINEUX, et, comme on ne peut pas appeler sur-le-champ tous les créanciers, il en faut appeler quelques-uns, sous le nom de syndics provisoires.

L'établissement d'un séquestre provisoire semble à M. Berlier être la conséquence nécessaire de la saisine légale dont les créanciers doivent être investis DES LE PREMIER MOMENT DE LA FAILLITE, CAR SI LE DEBITEUR FAILLI EST INCONTINENT DESSAISI DE L'ADMINISTRATION DE SES BIENS, IL FAUT BIEN QUE QUELQU'UN EN SOIT AUSSITÔT CHARGÉ, SANS QUOI IL Y AURAIT PÉRIL POUR LA MASSE.

M. Bigot Preameneu dit : Le failli cessant, à compter DU JOUR DE LA FAILLITE D’ETRE A LA TETE DE DE SES AFFAIRES il est indispensable de prendre des mesures provisoires.

M. Cretet ajoutait. M. Theilhard admet lui-même que DES LE PREMIER INSTANT DE LA FAILLITE, les créanciers doivent être représentés par un agent.

M. Bigot Preameneu répondait : Pour comprendre l'institution des agents, il importe de distinguer entre les diverses époques de la faillite.

DANS LE PREMIER MOMENT LE FAILLI EST DESSAISI ET UN CURATEUR EST NOMMÉ, attendu que ses créanciers ne sont ni réunis, ni connus. Plus loin il ajoute : Le commerce désire un tiers agent DANS LES PREMIERS MOMENTS DE LA FAlLLITE.

Et M. Treilhard, en exposant au corps législatif les motifs de la loi s'énonçait ainsi : Vous avez vu qu'au premier moment où la faillite éclate, on s'assure de la personne et des biens du prévenu ; de la personne pour répondre des délits, des biens pour payer les créanciers (p. 251).

M. Tarrible, dans son discours au corps législatif, disait : DES L'INSTANT DE LA FAILLITE la loi dépouille le failli de l'administration de ses biens, ELLE LA REMETTE ENTRE LES MAINS DE DIVERS AGENTS qui, sous la surveillance de tribunaux, etc., (p. 265).

Peut-il, messieurs, rester le moindre doute, que dans l'intention des rédacteurs du code de commerce, l'époque de la faillite signifiait souvent autre chose que l'époque de la cessation de paiement et que le dessaisissement prenait seulement date au moment du jugement qui nomme les agents ?

Je termine ici ces citations, me réservant, si la chambre m'accorde postérieurement la parole, de combattre le nouveau projet du gouvernement, qui a tant d'affinité avec celui de la commission, mais qui, étant dépourvu du palliatif de la notoriété, a encore moins d'apparence de fondement.

- La séance est levée à 4 heures et demie.