(Moniteur belge n°353 du 18 décembre 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 2 heures.
M. de Villegas lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présenté l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« La chambre de commerce et des fabriques de Liége adresse des observations contre l’augmentation proposée du droit d’accise sur les bières et le café. »
« Même pétition des brasseurs du canton de Puers, concernant la bière. »
« Des débitants de boissons distillées de Houdeng-Goegnies (Hainaut) demandent l’abrogation de la loi du 18 mars 1838. »
« Même pétition des habitants de la commune de Leupegem (Audenaerde). »
« Les distillateurs de la ville de Bruges adressent des observations contre le projet d’augmentation du droit d’accise sur les genièvres. »
« Même pétition des distillateurs de Huy. »
« Le conseil communal de la ville de Bruges adresse des observations sur les modifications proposées au budget des voies et moyens en ce qui concerne l’octroi municipal sur les genièvres. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la section centrale du budget des voies et moyens. Elles seront en outre insérées au Moniteur.
« Les habitants de la commune de Beersse demandent l’adoption du projet de canalisation de la Campine. »
- Renvoi au ministre des travaux publics et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
« Les sieurs Delsart frères, peintres en équipage, demandent le payement de l'indemnité qu’ils prétendent leur revenir du chef de l’agression hollandaise. »
« Même pétition du sieur Vandewauwer, épicier et boulanger. »
M. le président fait connaître que la commission qui sera chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’acquisition du pont de Staelen est composée de MM. Donny, Coppieters, de Puydt, Simons et Lys.
M. le ministre de la justice (M. Leclercq) monte à la tribune et dépose un projet de loi interprétatif en matière de cautionnement.
- La chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet et le renvoi à l’examen des sections.
M. Pirson – Messieurs, j’ai fait à la séance d’hier une motion d’ordre, dans laquelle je persiste. Plusieurs honorables membres ont encore demandé la parole, mais vous savez, messieurs, de quelle manière se sont passées les deux séances d’hier et d’avant-hier, et je ne sais combien d’autres. Nous avons été témoins de beaucoup de personnalités ; ces personnalités sont tombées même sur des personnes étrangères à cette assemblée. Je crois que nous devons en finir. Je sais bien qu’il y a ici quelques membres qui ont été attaqués les uns d’une manière, les autres d’une autre manière, et qui auraient peut-être encore quelque chose à dire ; mais que résultera-t-il de leurs discours ? En serons-nous plus amis ? Nous connaîtrons-nous mieux que nous ne nous connaissons ? Nous occuperons-nous davantage des intérêts publics ? ne vous attendez-vous pas, messieurs, aux murmures de tous nos commettants, et qui est celui d’entre nous qui osât dire, la main sur la conscience, que ces murmures ne seraient pas fondés ?
Je persiste, messieurs, à demander que l’on passe à la discussion des articles.
M. Delfosse – J’ai réclamé hier, messieurs, contre la motion de l'honorable M. Pirson, et je croyais qu’elle avait été rejetée ; je réclame encore aujourd’hui contre cette motion. Plusieurs d’entre nous ont été très vivement attaqués ; moi-même j’ai été attaqué par trois orateurs ; par le député de Saint-Nicolas qui m’a accusé de préventions antireligieuses, par le député de Hasselt, qui m’a accusé d’exagération, et par le député de Verviers, qui m’a accusé d’être un homme du lendemain ; je tiens à repousser toutes ces attaques, à prouver qu’elle ne sont nullement fondées, et j’espère que la chambre sera assez juste pour ne pas me refuser la parole.
- La proposition de M. Pirson est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
M. Dechamps – Messieurs, lorsque M. le ministre de la justice, au caractère d’impartialité duquel je me plais à rendre hommage, lorsque M. le ministre de la justice, dans la séance d’hier, a fait un appel à notre modération, ou plutôt à notre générosité, puisqu’il a reconnu que nous avions été imprudemment attaqués les premiers, j’ai compris l’assentiment qui, sur quelques-uns de nos bancs, a accueilli ses paroles. Je comprends la fatigue de la chambre ; mais vous conviendrez, messieurs, que s’il est pénible d’entendre des débats irritants, il est plus pénible encore d’être forcé d’y prendre part, et si j’étais persuadé qu’en gardant le silence je ferais acte de véritable modération, bien certainement je renoncerais à la parole pour abréger une controverse que je regrette d’avoir vu soulever. Mais lorsque l’attaque a été tolérée, la défense a droit d’être écoutée avec respect.
Hier, messieurs, à la fin de la séance, la discussion est descendue à de proportions vraiment personnelles, et je le regrette sincèrement, ces sortes de discussion sont toujours fâcheuses, et je les ai toujours déplorées. Mais, messieurs, un point m’a frappé, j’ai été surpris que les interruptions, que l’espèce d’indignation qui s’est manifestée de plusieurs côtés, n’ait pas fait explosion plus tôt, car vous vous rappelez tous que, dans une séance précédente, l’honorable M. Delfosse a accusé des fonctionnaires qui n’étaient pas ici pour se défendre, qu’il a accusé ces fonctionnaires d’être des hommes intolérants, des hommes partiaux et mauvais ; ce sont bien là, je pense, des accusations odieuses, s’il en fût jamais, et je suis étonné, je le répète, que l’indignation que plusieurs ont manifestée vers la fin de la séance d’hier n’ait pas éclaté pendant le discours de l’honorable M. Delfosse.
Quand on est venu nous désigner, sous le nom de nos convictions religieuses, comme des hommes animés de l’esprit de parti, semant la désunion dans le pays par leurs exigences, pensez-vous, messieurs, que le silence nous était encore permis ; pensez-vous qu’en nous taisant, bien loin d’empêcher l’irritation de se produire, nous ne l’aurions pas excitée en autorisant les accusations dont nous avons été l’objet, en faisant croire que nous les acceptions ?
Messieurs, je vous le demande, depuis la formation du cabinet actuel dont nous connaissons tous les éléments, n’avons-nous pas donné un exemple et un exemple bien rare de modération, qui a été apprécié par tous les hommes sages du pays ? Lorsqu’un ministère se forme, surtout quand une fraction considérable de la chambre croit ne pas y être représentée, vous savez qu’il est dans les usages parlementaires de tous les pays de demander des explications au cabinet et sur sa constitution, et sur son programme et sur ses alliances.
Eh bien, messieurs, en présence de ce qui s’est passé depuis la fin de la dernière session, dites-le franchement, chacun ne devait-il pas s’attendre à ce que de semblables explications fussent demandées au ministère ; chacun ne devait-il pas s’attendre à voir se soulever dans cette enceinte une opposition loyale, sans taquinerie comme sans réticences ? Eh bien, cette opposition n’a pas été faite, ces interpellations n’ont pas eu lieu. Nous avons compris que la situation politique du pays était telle que nous devions faire des sacrifices à cet intérêt impérieux ; nous avons compris que derrière ces explications, derrière sa question ministérielle, l’esprit de parti aurait pu se lever.
Eh bien, messieurs, en présence d’une telle abnégation, en présence de cette modération dont je ne connais aucun exemple dans les fastes parlementaires, est-il concevable que ce soient précisément les membres qui, les premiers, auraient dû apprécier notre modération et s’en applaudir, que ce soient ceux-là qui sont venus nous forcer à les suivre sur un terrain que nous n’avons pas choisi, mais sur lequel nous sommes à l’aise ?
Vous le savez, messieurs, c’est un honorable député de Liége qui a ouvert ces débats que je regrette. Le discours de l’honorable M. Delfosse qui aurait certes légitimé une réplique très vive, avait été accueilli sans émotion, et ce gant qu’il avait jeté à ses adversaires, ses adversaires ne l’avaient pas ramassé, afin d’éloigner toute controverse irritante.
Et voilà qu’un honorable député de Bruxelles, comme impatienté de notre modération, s’est hâté de saisir le premier prétexte, comme l’a remarqué M. Cools pour venir ressusciter nos vieilles querelles.
Je le demande, messieurs, est-ce qu’une phrase tout incidentelle prononcée par l’honorable M. de Foere, est-ce qu’un blâme prononcé d’une manière dubitative et conditionnelle autorisait une accusation aussi généralisée ? L’honorable M. de Foere, dont la tolérance est connue, et auquel l’honorable M. Verhaegen a rendu hier justice, l’honorable de Foere n’était pas le dernier des membres de cette assemblée qui aurait dû être, je ne dirai pas l’objet, mais l’occasion de cette espèce de levée de boucliers ?
Je prie la chambre de ne pas se méprendre sur mes intentions ; dans tout ce que j’aurai encore l’honneur de lui dire, mon intention bien formelle est de ne pas m’adresser à une fraction de l’assemblée, de ne pas m’adresser à ce qu’on nomme un parti ; je veux tout simplement répondre aux discours des deux honorables députés de Liége et de Bruxelles ; je considère leurs opinions non pas comme les opinions d’un parti, mais comme des opinions purement personnelles. Chaque parti, messieurs, a son exagération, chaque parti a son extrême-gauche, et je ne veux pas rendre responsable une fraction de la chambre des opinions individuelles de quelques-uns de ses membres. Je prie aussi la chambre de bien comprendre que lorsque je parlerai du cabinet et de sa formation, mon intention n’est nullement de faire mettre le ministère en cause. Comme l’honorable ministre de la justice, je désire que le cabinet reste en dehors de ces débats, et mon intention n’est nullement de l'y faire entrer ; mais force me sera bien de parler du ministère actuel, comme d’un fait qui entre dans le cadre de mon discours.
Messieurs, si j’étais convaincu, comme l’honorable ministre de la justice, qu’il s’agit ici de deux partis en présence, d’une lutte corps à corps être deux fractions de la chambre, je sacrifierais mes convictions personnelles, je me tairais par esprit d’union. Mais il n’en est rien. Il ne s’agit pas ici de deux camps dont l’un se nommerait le camp catholique, et l’autre le camp libéral, mais seulement des imputations que deux honorables collègues ont dirigées contre nous et que nous ne pouvons pas accepter, sans manquer à notre devoir d’homme politique.
Certainement, s’il arrivait que la chambre se divisât ainsi en deux camps, nous devrions désespérer du pays ; comme en France, nous n’aurions plus que des majorités indécises et flottantes ; l’instabilité ministérielle ne ferait que s’accroître et l’irritation serait permanente dans notre pays, parce que l’anarchie serait permanente dans le parlement.
Depuis dix ans, les fractions modérées de la chambre se sont toujours unies pour former cette majorité parlementaire qui a dicté la constitution et nos lois, et qui a tant aidé à asseoir notre nationalité. Cet état de choses, je l’espère, ne cessera pas d’exister.
Messieurs, après le traité du 15 avril, j’avais véritablement compté qu’un esprit de conciliation se serait manifesté plus fortement et dans cette enceinte et dans le pays. Et en effet, tout était préparé pour cela ; Presque toutes les questions qui avaient divisé la chambre depuis 10 ans, s’éloignaient les unes après les autres.
Quant aux questions de politique extérieure, il n’y avait plus parmi nous ni partisans de la guerre, comme on les appelait, ni de partisans des concessions. Ces discussions qui avaient régné depuis le congrès, étaient apaisées. Il n’y avait plus qu’une seule politique extérieure pour la Belgique, la politique de nationalité, la politique de neutralité. Ces principes sont reconnus, admis par tous les Belges. Sur ce point aucune division n’existe plus.
Les lois provinciale et communale ont mis fin à cette grande division entre les partisans de la centralisation et les partisans de la décentralisation, question qui nous avaient partagés longtemps et qui maintenant n’a plus d’aliment.
Une seule question reste encore, la question de l’instruction publique. Eh bien, je suis convaincu que l’on est beaucoup plus divisés sur cette question par des mots que par des choses ; je suis certain que tous les hommes de bonne foi qui dans la loi de l’enseignement ne voudront qu’une seule chose, étendre les bienfaits d’une bonne et solide éducation, se tendront facilement la main.
La réforme électorale ! Je n’en parle pas. La réforme électorale, vous le savez et on l’a dit, n’est qu’une question de bruit. Je la considère comme enterrée, et si on la rappelle encore de loin en loin, comme pour mémoire, c’est parce que peut-être on veut que les électeurs sachent qu’on continuer à rester fidèle à son programme.
Tout était donc préparé pour une grande conciliation et dans les chambres et dans le pays. Toutes les questions irritantes s’éteignaient. Un ministère mixte se trouvait aux affaires ; dans ce cabinet, sur cinq membres, quatre étaient sortis des rangs du libéralisme modéré. A l’occasion du traité, une dislocation ministérielle a eu lieu, et les honorables MM. Ernst et d’Huart furent remplacés par MM. Raikem et Desmaisières.
Eh bien, vous vous souvenez, messieurs, que les membres du libéralisme modéré les plus influents ont alors reproché au ministère la couleur trop tranchée que ce ministère avait prise dans les derniers temps ; moi-même, guidé par le désir d’opérer un rapprochement j’ai émis le vœu qu’en se complétant, le ministère de M. de Theux pût donner satisfaction aux exigences libérales. On disait alors qu’un ministère mixte était celui indiqué par la situation. Le ministère dont je parle ne paraissait pas assez favorable à la conciliation, quoique l’opinion libérale y fût représentée par deux membres distingués, MM. Willmar et Nothomb.
Eh bien, qu’est-il arrivé ? c’est qu’un ministère composé d’éléments exclusifs est venu aux affaires. Je n’examine pas ce fait, je ne le critique pas ; je ne pèse pas les circonstances qui auraient pu le nécessiter ; comme je l’ai dit, je veux laisser toute question ministérielle en dehors de ce débat ; je ne fais que relater in fait que je rencontre dans ma marche ; or ce fait est l’arrivée aux affaires d’un ministère composé d’éléments exclusifs. Eh bien, les honorables membres auxquels je réponds, et qui avaient trouvé que le ministère précédent, composé dans presque toute sa durée, d’une majorité formée par l’opinion libérale modérée, n’était pas un ministère de conciliation ; ces honorables membres qui avaient attaqué ce ministère, non pas en considération de ses actes, mais en considération de ce que certaines influences, suivant eux, le dominaient trop exclusivement ; eh bien, ces mêmes membres ont trouvé tout simple qu’un ministère exclusif dirige aujourd’hui les affaires. L’honorable M. Verhaegen a soutenu que ces hommes nouveaux, comme il les appelle, que ce ministère, tel qu’il est composé, était le seul qui pût présenter des conditions « d’impartialité et de justice. »
Mais l’impartialité dans l’esprit de l’honorable membre, c’est donc l’exclusion. Je demande formellement à l’honorable M. Verhaegen quelle conduite il aurait tenue si un ministère exclusivement catholique était arrivé aux affaires après la chute du cabinet précédent ? De bonne foi, n’aurait-il pas dit que ce ministère était antiparlementaire, et que l’intolérance politique avait présidé à sa formation ?
Loin de moi la pensée que les ministres actuels ne puissent pas être des ministres animés de sentiments d’impartialité et de justice ; j’attends d’eux, au contraire, de l'impartialité et de la justice, et lorsque le ministère consacrera dans ses projets de loi les principes qui sont les miens, je le défendrai de toutes mes forces, et je le combattrai, comme je l’ai toujours fait, lorsque ses opinions ne seront pas en rapport avec les miennes.
Ainsi, j’attendrai, comme l’honorable M. Verhaegen, le ministère à ses actes ; c’est ma profession de foi, et je tiens à ce qu’on ne l’oublie pas.
Mais je parle d’un fait, et je demande à l’honorable député de Bruxelles si ce qu’il nomme de l’impartialité, n’est pas de la complète exclusion ?
Pour afficher de telles exigences, il faut, convenez-en, messieurs, qu’on ait bien compté sur notre modération ; il faut qu’on ait été convaincu que nous n’étions pas des hommes de parti, comme on nous désignait.
Si nous avions été des hommes de parti, si dans cette enceinte, nous avions été des catholiques avant d’être des députés belges, de bonne foi, en présence de ce qui s’est passé, en présence de la formation du cabinet, et en considération de ce seul fait, n’aurions-nous pas eu le droit constitutionnel, je ne dirai pas de nous armer de défiance, mais de venir faire à ce ministère une opposition loyale, franche, parlementaire ?
Eh bien, nous ne l’avons pas fait, parce que la position du pays demande du calme et de l’union ; parce que nous voulons juger les ministres par leurs actes, sans préoccupations personnelles.
Messieurs, vers la fin de la dernière session et depuis le commencement de celle-ci, jamais plus grand calme n’a régné dans l’assemblée, jusqu’au moment où l’on a soulevé ce fâcheux débat. L’honorable M. Verhaegen l’a dit : les susceptibilités de parti paraissaient endormies.
Ces susceptibilités paraissaient endormies, et pourquoi ? Reconnaissez-le avec franchise, c’est parce que ceux qui avaient eu le droit de se plaindre et d’accuser, ne se sont pas plaint, et n’ont pas accusé ; c’est parce que nous n’avons pas voulu semer l’irritation dans le pays, c’est parce que nous n’avons pas dirigé une opposition prématurée, systématique contre le ministère de M. Lebeau, comme on avait dirigé pendant de longues années une opposition systématique, personnelle, contre le ministère précédent, qui était comme nous l’avons prouvé, un ministère mixte, un ministère de conciliation.
Je le dis franchement aux honorables membres auxquels je réponds : vous auriez dû respecter notre silence ; vous auriez dû rendre justice à notre impartialité et à notre abnégation ; vous auriez dû garder une prudente défensive. Quand on a, ou qu’on croit avoir ses amis politiques au pouvoir, on devrait user de quelque dignité dans le triomphe qu’on s’attribue, et ne pas, se trompant de date, par une singulière distraction, venir accuser lorsqu’on devrait se défendre.
Messieurs, j’arrive à un passage du discours de l’honorable M. Verhaegen qui formera le thème de mes commentaires.
« Libéraux et catholiques ont été d’accord pour secouer le joug pour affranchir la religion opprimée ; le succès a dépassé leur attente ; à Dieu ne plaise que les libéraux n’aient été dupes !
« Au congrès, où l’opinion libérale était en grande majorité, toute satisfaction a été donnée aux intérêts de la religion, les libertés les plus larges ont été consacrées. Puissent ces libertés ne jamais être transformées en monopoles ! »
Vous remarquerez, messieurs, que ces phrases n’ont pas tout à fait cette allure franche dont l’honorable préopinant se vantait hier ; elles sont présentée sous une forme plus ou moins meilleure, mais le sens en est clair pour tout le monde.
L’honorable M. de Theux vous a rappelé hier des faits qu’on a trop oubliés et qu’on a eu soin de ne pas aborder ; il nous a dit qu’au congrès, lorsque notre constitution a été faite, la majorité catholique de cette assemblée a voté pour toutes les libertés politiques les plus larges, les plus entières. La liberté de la presse, vous vous en souvenez, a été défendue par les membres du clergé qui siégeaient au congrès, l’amendement de M. Devaux qui était le plus large, a été défendu par ces membres, et accepté par une grande majorité. Aucune voix ne s’est élevée contre la liberté de la presse ; eh bien, la liberté d’enseignement, la liberté des cultes, la liberté des associations, ont rencontré au congrès une forte minorité, une minorité de 60 membres, qui a toujours tâché de restreindre ces libertés, si pas de les annuler. Si la majorité du congrès n’avait pas été composée des éléments que l’on connait, probablement la constitution que nous avons tous juré de défendre aurait eu à sa base des principes bien différents.
Messieurs, je veux vous rappeler des faits d’une autre nature, mais qui sont aussi frappants d’évidence que ceux-là, et je suis convaincu qu’après les avoir vérifiés, vous nous demanderez comment il est possible, en présence de tels faits que l’on ait osé nous adresser les accusations que nous avons entendues dans les séances précédentes.
Le lendemain de cette révolution qu’on dit avoir été faite au profit exclusif d’un parti, le gouvernement provisoire s’installa ; gouvernement dictatorial, gouvernement qui pouvait donner au pays une impulsion dans telle ou telle direction, gouvernement dans lequel il était donc de l’intérêt des influences qui partageaient le pays, d’être représentées. Ce que je dis du gouvernement provisoire n’est pas une critique que je formule contre lui, car le gouvernement provisoire a bien mérité du pays, et s’il était attaqué, je le défendrais de toutes mes forces. C’est simplement un fait que je relate.
Eh bien comment ce gouvernement était-il composé ? L’opinion catholique s’y trouvait représentée par un seul membre, M. le comte de Mérode.
Le gouvernement organisa le premier ministère et ce ministère fut formé d’éléments exclusivement libéraux. Le congrès s’assemble ; il s’agit de la présidence, acte significatif pour une telle assemblée et pour un tel moment.
Eh bien, vous le savez, messieurs, la majorité du congrès aurait pu présenter un homme qui avait tous les titres pour la représenter, qui avait été le chef de l’opposition sous le gouvernement des Pays-Bas, qui s’était fat justement apprécier et par son beau caractère et par son talent distingué.
Cependant, ce n’est pas M. de Gerlache qui fut nommé ; la majorité catholique a elle-même porté l’une des sommités libérales au fauteuil de la présidence.
Vint la question de la régence ; cette espèce de royauté provisoire qu’il était si essentielle de remettre en des mains dignes ; là encore il y avait un nom populaire à présenter. Eh bien, c’est le président du congrès, le chef de l’opinion libérale, qui est proclamé régent du pays.
Sous la régence, deux ministères se forment ; dans ces deux ministères la couleur libérale domine sans altération.
Ainsi, messieurs, depuis la révolution jusqu’à l’avènement du Roi, les affaires intérieures du pays, les hautes fonctions ministérielles ont été exclusivement livrées à l’opinion libérale, et nous ne nous en sommes pas plaints.
La diplomatie, qui a joué un si grand rôle à cette époque difficile, la diplomatie a-t-elle offert des compensations à l’opinion catholique ? Nullement, messieurs, parmi ceux qui avaient ces immenses intérêts entre leurs mains, à Londres, à Paris, à la conférence, comptez-vous un seul nom catholique ? Aucun.
Depuis l’avènement du Roi, quatre ministères ont dirigé les affaires du pays ; deux ont été encore formés d’éléments exclusivement libéraux ; deux ont été composés d’éléments mixtes, mais de manière que, pendant la plus grande durée de ce règne ministériel, l’opinion libérale était en majorité dans le cabinet.
Relativement à la diplomatie, à l’heure où je parle, vous savez par qui elle se trouve représentée à Londres, à Paris, à Berlin, à Francfort et dans tous les grands centres d’influence politique.
Ainsi, depuis la révolution, nous avons eu cinq ministères appartenant, sans mélange, à l’élément libéral, et deux ministères mixtes où l’opinion catholique fut le plus souvent en minorité.
Et c’est en présence de pareils faits qu’on ose parler d’envahissement, d’esprit de parti, de domination religieuse pesant sur le pays ?
Je le dis avec conviction : Je ne comprends pas par quels moyens de fascination (c’est le mot) on soit parvenu à égarer une partie de l’opinion, jusqu’à transformer notre modération et notre tolérance politique en passions contraires, et cela quand les faits ont un tel caractère d’évidence.
Vous le savez messieurs l’organe de plus sérieux de l’opinion libérale est venu tardivement faire justice de tous les préjugés qu’on avait ainsi entretenus. La Revue nationale a dit que « les membres du gouvernement provisoire, ses ministres, ceux du régent, appartenaient à l’opinion libérale ; que les cadres de l’armée lui appartenaient presque tout entiers ; qu’elle est en majorité dans les rangs du barreau, de la magistrature et de l’administration. » Voilà ce qu’a établi la Revue nationale et ce que je viens de prouver par des faits, faits positifs qu’on en renversera pas ; faits en regard desquels je défie qu’on en oppose de même nature et de même valeur.
Messieurs, je vous avoue que lorsque j’ai entendu les discours des deux honorables députés de Bruxelles et de Liége, j’ai été profondément étonné, et vous avez dû l’être autant que moi ; j’ai été surpris qu’on pût méconnaître à ce point l’esprit de conciliation qui nous anime.
Je vous l’avouerai naïvement, ces discours m’ont fait croire un instant, et j’ai hâte d’ajouter que je me suis probablement trompé, m’ont fait croire qu’il y avait peut-être autre chose derrière les décorations du théâtre. Et en effet, ces honorables collègues ne pouvaient mieux faire, pour appuyer le ministère, que de s’en montrer quelque peu mécontent.
Si en France, par exemple, M. Garnier-Pagès et son parti appuyaient sans réserve un ministère quelconque, cet appui ne serait-il pas des plus compromettants ? par le motif qu’un ministère serait appuyé par l’extrême-gauche, ne serait-il pas à l’instant même abandonné par les conservateurs, par les centres ; par toutes les opinons modérées ? - Je ne croire rien dire de désobligeant à l’égard des honorables membres auxquels je m’adresse ; je pense qu’il n’auront pas à se plaindre de la comparaison ni sous le rapport du talent, ni sur le rapport des positions parlementaires occupées respectivement dans les chambres de ces deux pays. – Ces honorables collègues ont trop de franchise pour le nier, eu égard aux partis, tels que malheureusement on est convenu de les désigner ici, ils représentent bien chez nous les opinions extrêmes. Je dis donc qu’ils ne pouvaient pas témoigner plus de dévouement au ministère actuel, que de montrer des velléités d’opposition. Les ministres doivent leur en savoir gré. Mais on n’attend pas sans doute de nous assez de complaisance pour que nous fermions volontairement les yeux.
M. Delfosse – Je sens combien la chambre doit être impatiente d’arriver au terme d’une discussion qui dure depuis trois jours. Je comprends, comme il convient, les paroles que M. le ministre de la justice a fait entendre à l’ouverture de la séance d’hier ; mais le discours que j’ai prononcé à la séance du 8 de ce mois ayant été l’objet de vices attaques, je dois les repousser ; je le ferai en peu de mots, et, autant que possible, avec modération.
Le député de Saint-Nicolas, le premier qui m’a jeté le gant, a vu dans mon discours ce qui n’y est pas, ce que je n’ai pas eu l’intention d’y mettre. Il y a vu un blâme sur « la tendance trop religieuse » du dernier ministère et sur la faiblesse du cabinet actuel qui tolérerait cette tendance dans ses agents.
Je n’ai pas, messieurs, dit un mot dans mon discours de « la tendance trop religieuse » de l’ancien ministère. Ce que j’ai dit de ce ministère, et je ne rétracte aucune de mes paroles, c’est que j’avais désiré sa chute, c’est que je savais gré au cabinet actuel d’en avoir pris la place. J’ai dit aussi de ce ministère que pour lui, dans le choix des agents, le mérite était une chose secondaire, que la communauté de vues et d’opinions était tout. Voilà ce que j’ai dit.
Comment expliquer après cela le rapport qu’il a plu au député de Saint-Nicolas de trouver entre mon discours et le rejet de la proposition de réduire le traitement de notre envoyé à Rome, proposition que je n’ai pas faite, bien que l’honorable membre le dise, mais que j’ai appuyée et que j’appuierais encore. D’après l’honorable membre, c’est le discours qui a nui à la proposition ; sans le discours la proposition aurait reçu un meilleur accueil.
Que le député de Saint-Nicolas me permette de le lui dire, il a de ses collègues une idée bien peu favorable. Quoi, il pense que lorsqu’ils ont à se prononcer sur une proposition, ils n’examinent pas si elle est bonne ou mauvaise en elle-même, mais qu’ils l’adoptent ou le rejettent en considération de la personne par qui elle a été présentée. C’est là une opinion qui ne doit pas être très agréable à la chambre et dont je laisse toute la responsabilité à son auteur.
Le député de Saint-Nicolas a, dit-il, remarqué avec peine que nous ne nous arrêtions qu’aux questions religieuses, et cette remarque ou plutôt ce reproche, dont on appréciera bientôt la justesse, l’a conduit à douter de notre impartialité. Il veut bien nous faire la grâce de reconnaître que nos propositions d’économie sont inspirées par la situation critique de nos finances, mais il ne peut s’empêcher de croire que nous ne sommes pas tout à fait exempt « de prétentions antireligieuses. »
Le député de Saint-Nicolas devrait avoir la mémoire meilleure, il devrait se souvenir que nous avons proposé des réductions d’une autre matière que celles qui touchent aux questions religieuses ; il devrait se souvenir que dans une précédente séance je me suis élevé fortement contre le cumul à l’aide duquel quelques personnes touchent en même temps deux indemnités de séjour.
J’aime à croire que l’honorable membre reconnait cette fois encore que notre langage n’a été inspiré que par la situation critique de nos finances et nullement par prévention contre lui ni contre tout autre de ses collègues membre de la commission linière ou de toute autre commission.
Il devrait se souvenir que j’ai il y a peu de jours, voté contre le budget de la marine, parce que dans mon opinion, notre marine ne rend pas des services proportionnés aux dépenses qu’elle occasionne. Je faisais alors, dans un but d’économie, qui n’était sans doute inspiré par aucune prévention antireligieuse, violence au désir que j’ai d’appuyer le cabinet.
Il devrait se souvenir que lors du premier vote relatif aux consulats, dans un moment où, à quelques exceptions près, une partie de la chambre semblait se grouper autour du cabinet actuel, j’ai voté contre le chiffre du gouvernement, parce que, sans être opposé à l’établissement de nouveaux consulats, je ne voulais pas des majorations de traitement auxquelles on annonçait qu’une partie de ce chiffre était destinée. Si au second vote j’ai appuyé le cabinet, c’est parce que le gouvernement avait fait de lui-même deux réductions : l’une de 10,000 francs sur le chiffre des missions extraordinaires, et une autre de même somme sur le chiffre des consulats, c’est qu’il avait en outre pris l’engagement formel de ne majorer aucun traitement. Sans ces concessions, que j’ai regardées comme suffisantes, mon vote eût été une seconde fois négatif.
Le député de Saint-Nicolas doit voir par là que nous savons proposer d’autres économies que celles qui touchent aux questions religieuses. Qu’il attende encore un peu, il en aura de nouvelles preuves.
Mais quelles sont donc ces économies réclamées par nous et qui doivent nous faire soupçonner de préventions antireligieuses ? L’une a été réclamée par l’honorable abbé de Foere, qui vous a dit hier, avec sa bonne foi accoutumée, qu’il avait voté contre la majoration du traitement de l’archevêque de Malines, parce qu’il avait entrevu le but caché de cette majoration, parce qu’il ne voulait pas que l’archevêque servît de marchepied aux ministres. L’autre a été réclamée par ce même député de Thielt et par un député de Tournay que l’on n’accusera certes pas de préventions antireligieuses. La troisième a été réclamée par le député de Saint-Nicolas lui-même. Il est bien vrai que l’honorable membre qui déclare vouloir voter cette année contre les 100,000 francs du petit séminaire de Saint-Trond, a voté l’année dernière pour, et en vérité je ne sais pourquoi, car la raison que l’honorable membre donne du vote qu’il émettra cette année existait dans toute sa force pour le vote de l’année dernière.
Ainsi, voilà sur quoi repose l’accusation de préventions antireligieuses lancée si légèrement par le député de Saint-Nicolas contre deux de ses collègues. Elle repose sur des demandes de réduction que l’on supposait à tort, comme exclusives, et qui ont été également formées par des hommes dont les convictions religieuses ne peuvent être contestées.
Que le député de Saint-Nicolas le sache bien, nous avons la ferme intention de nous opposer à tous les abus, de quelque part qu’ils viennent, même à ceux qui se couvrent du manteau de la religion. Aucune association, ni la sienne, ni toute autre, ne pourra nous détourner de cette voie.
Qu’il sache bien qu’il lui sied mal de se poser en censeur de ses collègues. Nous ne recherchons pas nous quelles sont les causes de l’appui qu’il a donné, dans plusieurs circonstances, au dernière ministère, et qu’il se montre prêt à donner au cabinet actuel. Nous ne recherchons pas si le regret d’une position perdue n’y entre pour rien. Nous respectons ses intentions. Qu’il respecte les nôtres.
Je ne crois pas, messieurs, devoir répondre à ce qui a été dit par le député de Saint-Nicolas, et aussi par le député d’Ath, sur la portée dangereuse de nos discours, qui, d’après eux, donnent lieu à des débats irritants et divisent la chambre en deux camps ennemis. Ces honorables membres ont beaucoup de naïveté, s’ils pensent que la division de la chambre en deux camps est due à nos discours. Cette division existait avant nos discours, comme elle existera après ; elle est le profit d’une vieille lutte qui n’est pas sur le point de finir et qui résistera longtemps encore à toutes les tentatives de conciliation ; c’est la lutte de ceux qui veulent des privilèges contre ceux qui veulent l’égalité.
J’arrive, il est temps, au député de Hasselt.
L’autre jour, quand j’ai dit que j’avais trouvé l’ancien ministère mauvais, que j’avais désiré sa chute, que je savais gré au cabinet actuel d’en avoir pris la place, personne n’a demandé la parole pour proclamer bon ce ministère que je proclamais mauvais. Personne ne l’a demandée, ni le lendemain ni les jours suivants. C’est seulement le septième jour que M. de Theux, à défaut d’autre défenseur, est venu faire lui-même son apologie.
Mission difficile, messieurs, que l’apologie d’un ministre dont l’impopularité a été constatée par la joie universelle que sa chute a fait naître !
Mission difficile que l’apologie d’un ministre qui a fait tant de mal au pays !
Oui M. de Theux a fait beaucoup de mal au pays.
Il a disposé des emplois, ni en faveur des plus dignes, mais pour ceux qui affichaient le plus de dévouement, pour ceux qui, dans les élections, offraient le plus de suffrages. Vous avez beau nier, les faits sont là, chacun les connaît.
Il se prétendait religieux. Mais comme l’a fort bien dit l’honorable abbé de Foere, la religion n’était pour lui qu’un marchepied. (Réclamations.)
M. le président – Je prie l’orateur de s’interdire les personnalités.
M. Delfosse – On m’a attaqué, on a attaqué mes amis, je réponds, j’en ai le droit.
Et si jamais elle pouvait être compromise, elle l’eût été par les germes de démoralisation que son système avait jetés partout.
C'est lui qui, en laissant les sociétés anonymes se propager outre mesure… (Interruption.)
M. de Mérode – c’est tout le contraire.
M. Delfosse – C’est lui qui, en laissant se propager outre mesure les sociétés anonymes, a couvert le pays d’une plaie qu’il sera difficile de cicatriser.
C’est lui qui, par ses folles dépenses, a ouvert le gouffre du déficit.
C’est lui qui a mis dans la bouche royale des paroles à jamais déplorables.
C'est lui qui a poussé le pays à des démonstrations qui, dans sa pensée, n’étaient qu’une vaine parade.
C’est lui qui a fait des armements ruineux, sachant bien que notre armée assisteraitl’arme au bras à l’exécution du traité.
Vous avez joué là une indigne comédie. Et croyez-moi, ne faites pas votre apologie ; tâchez plutôt de vous faire oublier.
Vous m’avez accuser de manquer de modération. Il vous sied bien à vous de parler de modération, vous qui, à la dernière séance, avez poussé l’oubli des convenances aussi loin qu’il peut aller, vous qui avait attaqué avec une violence inouïe un fonctionnaire honoré du suffrage des ses concitoyens, jouissant de l’estime et de la confiance de ses collègues et qui, sous votre ministère même, a reçu une haute marque de bienveillance du gouvernement.
Vous avez, je le sais, des paroles mielleuses pour tout le monde. Mais désormais elles ne tromperont plus personne.
Et quoi dont ai-je manqué de modération ? et ici je réponds aussi au député d’Ath. Est-ce en disant que le ministère de M. de Theux était mauvais ? Mais c’est pour le dire hautement que j’ai été envoyé dans cette enceinte. Est-ce en félicitant le cabinet actuel sur son programme en tête duquel on lit «impartialité » ? Est-ce en exprimant le regret que cette partie du programme n’ait pas reçu partout une entière exécution ? est-ce en signalant les causes de ce mal, qui, selon moi, résident dans l’opposition sourde de quelques fonctionnaires dont l’adhésion au programme du ministère me paraît douteuse ? Est-ce en proclamant en principe qu’il est des positions politiques, et j’ai ajouté « heureusement fort rares », qu’un ministère prudent ne doit pas laisser à des hommes qui sont en dissentiment avec lui sur les questions vitales ?
Ce principe, je le sais, est contesté par beaucoup de mes amis politiques. Il a été contesté sur les bancs où je siège. Mais je ne sache pas qu’il l’ait été par moi. J’au pu blâmer l’abus ; jamais je n’ai nié le principe ; ce n’est pas, dans tous les cas, au ministre qui a fait de ce principe une application poussée jusqu’à l’abus qu’il appartient de me reprocher mon opinion sur ce point ; ce n’est pas non plus au ministère actuel à me la reprocher, lui qui, à peine entré aux affaires, a senti le besoin de déplacer le secrétaire-général du ministère de l'intérieur. S’il a pris cette mesure, il pouvait certes, tout en restant dans de justes bornes, en prendre quelques autres du même genre.
Quand donc aurait-je manqué de modération ? serait-ce quand, poussé à bout par les dénégations de M. le ministre de la justice, et ne voulant pas être accusé d’avancer des choses dénuées de preuves, j’ai nommé des fonctionnaires qui, dans ma pensée, ne se conformaient pas strictement au programme du ministère. Je l’ai fait à regret, et je crois l’avoir fait avec convenance. Je n’ai pas, moi, injurié ces fonctionnaires, comme on a injurié hier l’honorable M. Lyon. Je me suis borné à dire d’eux qu’ils avaient cherché à influencer les élections, qu’ils n’avaient pas observé cette neutralité dont je félicitais le ministère de s’être fait une loi.
M. le ministre de la justice m’a enveloppé hier dans un reproche adressé au député de Verviers. Il a dit que j’avais eu tort d’attaquer des absents. Ce reproche je ne puis pas l’accepter.
Les fonctionnaires publics ne sont jamais absents dans cette enceinte ; ils y sont représentés par le ministère, qui est là pour les défendre lorsqu’ils sont injustement attaqués. Chacun de nous a ce droit, et c’est une garantie pour la liberté, de signaler dans cette enceinte les abus de pouvoir que les fonctionnaires commettent. On a usé souvent de ce droit, et j’en userai toutes les fois que je le croirai utile.
« Mais, dit M. de Theux, vos plaintes ne sont nullement fondées. On peut les juger toutes par une seule, M. le gouverneur de la province de Liége, dont vous vous plaignez, s’est montré très conciliant ; c’est votre ami qui s’est montré exclusif, et il en a été justement puni. » Messieurs, pour être dans le vrai, il faut juger d’après l’ensemble des faits, et non d’après un fait isolé. Il faut aussi faire la part des positions. En 1838, l’opinion libérale était en majorité dans le sein de la députation permanente de la provinces de Liége. Alors M. le gouverneur fit tous ses efforts pour écarter M. Hubart ; alors on ne se montrait pas conciliant ; alors on ne lui offrait pas d’appuyer sa réélection, s’il voulait appuyer celle de ses collègues. En 1840, on lui a fait cette offre parce qu’on était parvenu à acquérir la majorité, parce que c’était un moyen de la conserver. Cette offre, M. Hubart ne pouvait l’accepter ; c’eût été trahir l’opinion à laquelle il appartient, c’eût été ôter à cette opinion les chances qu’elle avait de redevenir majorité ; il a refusé, il a fait son devoir. Je ne blâme pas ceux qui, ayant une opinion contraire à la sienne, se sont opposés à sa réélection ; ils ont aussi fait leur devoir. Mais M. le gouverneur, fonctionnaire sous un ministère qui se déclarait neutre, n’aurait pas dû se mêler à eux. Je loue son offre, mais je le blâme de ne pas être resté neutre après le refus.
Du reste je déclare être entièrement satisfait de l’assurance qui a été donné par M. le ministre de la justice, que le gouvernement veillerait avec soin à l’exécution de son programme.
Nous ne sommes pas exigeants, non ; nous ne demandons pas au gouvernement son appui ; nous ne lui demandons que de l’impartialité ; nous différons en cela de M. de Theux, qui voudrait le faire intervenir dans les élections ; quii lui crie : Repoussez M. Delfosse et ses amis ; dites à vos fonctionnaires de les repousser, car M. Delfosse et ses amis veulent la réforme électorale, et la réforme, c’est votre chute. Place alors aux amis de M. Delfosse.
MM. les ministres auront sans doute beaucoup ri de cette menace ; ils ne s’attendent pas, je pense, à rester au pouvoir jusqu’à ce que la réforme électorale, ce grand acte de justice s’accomplisse ; le jour où elle s’accomplira, il faudra que je le reconnaisse, car je ne puis prendre mes désirs pour des réalités, n’est encore que trop éloigné.
M. de Theux se trompe, s’il croit que je vais, comme lui, traiter cette grave question en quelques mots ; de pareilles questions ne doivent pas être traités légèrement, elles méritent les honneurs d’une discussion approfondie ; lorsque la chambre voudra la mettre à l’ordre du jour, je dirai tout ce que j’en pense avec ma franchise accoutumée.
Je ne crois pas, messieurs, devoir répondre, je vous fatiguerais trop, aux diverses observations que le député d’Ath vous a soumises ; je dois cependant protester hautement contre le dédain avec lequel il a parlé de la réforme électorale, qu’il a osé qualifier de « question enterrée » ; ce n’est pas sur ce ton qu’il convient de parler d’une réforme demandée dans un grand nombre de pétitions couvertes des signatures les plus honorables ; je ne puis non plus accepter la comparaison que le député d’Ath a faite entre l’extrême-gauche et l’honorable M. Verhaegen et moi ; M. Garnier-Pagès est un homme au caractère et au beau talent duquel je rends toute la justice qui leur est due ; mais il y a un abîme entre les opinions de M. Garnier-Pagès et les nôtres ; M. Garnier-Pagès veut la république, nous, nous voulons la monarchie, nous voulons ce qui existe, rien d’autre, toute insinuation contraire serait une calomnie.
Je ne veux pas non plus terminer sans répondre un mot au député de Verviers, qui m’a adressé le ridicule reproche d’être un homme du lendemain ; j’ignore quels si grands services le député de Verviers a rendus à la cause de la révolution ; tout ce que je sais de lui, c’est qu’en 1830 il était avocat à Herve, petite ville où il y a une justice de paix, et qu’il a rendu à la révolution le service d’accepter la présidence du tribunal de Verviers ; quant à moi, puisque le député de Verviers me force à en parler, j’ai été un des premiers à organiser à Liége une compagnie de garde civique, on m’a vu à sa tête dans les moments les plus périlleux, et on peut demander à Liége si je suis un de ceux qui, à cette époque, ont montré le moins de courage et de patriotisme.
M. de Mérode – Je commencerai quelques observations très courtes par une rectification de termes indispensables si l’ion veut se comprendre. Il s’agit des mots « catholiques » et « libéraux », que l’on met sans cesse en présence comme représentant deux opinions divergentes ; tandis que les idées catholiques et les idées libérales prises dans la naturelle et bonne acception de ce dernier mot ne sont nullement contraires.
Ce que se combat à la vérité, c'est la doctrine catholique et la doctrine rationaliste ; je n’entreprendrai pas de les définir, chacun connait dans cette enceinte leur différence, mais parmi les rationalistes comme parmi les catholiques, il en est de plus ou moins libéraux, c’est-à-dire de plus ou moins larges dans leur respect pour les droits de l’humanité en général et de chaque homme en particulier.
Nous avons sous le rapport gouvernemental en Belgique des catholiques et des rationalistes ultralibéraux, c’est-à-dire qui considèrent comme un bien le gouvernement le plus faible possible. Nous avons des catholiques et des rationalistes qui pensent qu’un gouvernement, quel qu’il soit, a besoin d’une autorité établie sur une base solide et pas trop limitée pour défendre l’ordre social.
Un honorable préopinant parle souvent de la religion de ses pères ; s’il veut la défendre, qu’il se mette avec les amis de feu son honorable père et qu’il ne les attaque pas constamment ; s’il veut la battre en brèche, qu’il n’invoque pas des souvenirs avec lesquels son langage est sans cesse en contradiction. Quant à moi, messieurs, soit dit en passant, l’expression religion de nos pères me touche peu ; je suis soumis à l’Eglise de Rome parce qu’elle est, à mes yeux, gardienne du véritable et complet christianisme et non par routine filiale. Si mes pères ont professé la même foi, tant mieux pour eux, je me félicite seulement d’avoir été par leur intermédiaire facilement instruit de ce qui m’était essentiel de connaître. Du reste, s’ils m’avaient mal dirigé, je ne me croirais pas forcé de suivre une fausse impulsion.
Messieurs, j’en viens le plus tôt possible aux faits ; il y a en Belgique des catholiques et des rationalistes. Parmi ceux-ci très peu dans notre pays persistent jusqu’à l’heure suprême dans la confiance qu’ils suivent une bonne voie, ce qui n’empêche pas, que pendant leur vie plusieurs d’entre eux ne fassent plus ou moins d’efforts pour diminuer l’influence de la religion de leurs pères. Ainsi, comme l’Eglise est fondée sur une hiérarchie, ils attaquent les chefs de l’Eglise, et semblent animés du plus beau zèle pour leurs subordonnés dans les fonctions ecclésiastiques inférieures. Il y a en Belgique cinq évêques et un archevêque-cardinal, leur part dans un budget de 3 millions 200 mille francs concernant le culte catholique, est de 103 mille francs. Assurément on conviendra qu’un évêque, obligé de faire de fréquentes tournées, dans un vaste diocèse, ne possède pas une dotation excessive, lorsqu’on lui alloue 15 mille francs. Ou il faut déclarer que la dignité de cardinal ne sera jamais accordée à un Belge privé de fortune personnelle, ou il faut se soumettre aux usages européens, d’après lesquels cette dignité est considérée comme hors ligne, même aux yeux des rationalistes, qui vivent dans le monde réel et ne font pas à leur fantaisie un monde imaginaire.
Les rapports de l’Eglise avec l’Etat en Belgique se fondent dans tout ce que la constitution ou d’autres lois n’ont pas réglé sur les usages de l’empire, dont la Belgique faisait partie à l’époque du concordat. Napoléon et aussi le gouvernement français actuel, d’accord à cet égard avec le Saint-Siège, ont jugé et jugent convenable que le traitement d’un cardinal soit de 30 mille francs. Nous l’avons adopté parce qu’il était sans exagération appliqué par un pouvoir antérieur à nous, et non point comme on l’a dit, à cause d’un motif particulier à celui qui l’a exprimé pour son compte personnel, c’est-à-dire afin d’amener l’augmentation du traitement du ministre, poste avec lequel celui de cardinal n’a aucun rapport. L’un, en effet, a un caractère exclusivement belge, l’autre un caractère d’universalité extérieure, qui ne permet pas de l’assujettir plus que les postes diplomatiques aux règles d’un maximum d’ordre interne que le pays détermine exclusivement selon les convenances propres.
Pour mon compte, je le déclare, si le chapeau rouge était exclusivement belge, je ne lui accorderais rien de plus qu’à un portefeuille de ministre, mais je ne veux pas qu’un Belge revêtu d’une dignité connue du monde entier soit dans une condition inférieure à ses pairs, uniquement parce qu’il appartient à mon pays. Qui, d’ailleurs, ignore, messieurs, qu’un subside exceptionnel appliqué à une seule personne placée à la tête d’une classe très nombreuse, ne peut jamais constituer une surcharge appréciable dans un budget ? Retranchez de celui du culte catholique les dix mille francs attribués non à un membre du clergé mais au cardinalat, c’est-à-dire à une part que l’Eglise belge peut prendre dans l’élection d’une des autorités les plus puissantes du monde sur l’opinion, qu’aurez-vous gagné ? je ne conçois pas vraiment qu’on puisse revenir sur une affaire si simple et dont la solution n’a eu lieu qu’après une discussion plus que suffisante pour la bien comprendre et la mettre hors de contestation ultérieure.
A l’égard de la dépense demandée pour le petit séminaire de Saint-Trond, je dirai que pour conserver en Belgique la religion des pères de l’honorable M. Verhaegen, il ne suffit pas de rétribuer davantage les desservants et vicaires, il faut d’abord pouvoir les recruter dans les rangs d’une jeunesse élevée avec l’amour très spécial de cette religion. Tous ceux qui ont étudié sérieusement la question de l’éducation savent combien il importe aux grands séminaires d’être soutenus par les écoles nommées petits séminaires. Combien en effet sort-il pour eux de sujets de nos athénées ? en est-il jusqu’à trois que l’on pourrait citer ? Le diocèse de Liége a perdu le petit séminaire de Rolduc par suite du traité, faut-il rendre à ce diocèse les moyens de posséder une autre petit séminaire ? Nous admettons l’affirmative. Toutefois l’économie exige que l’on mesure la somme selon les besoins, et qu’on s’abstienne d’un luxe inutile. Puisque nous abordons ici une question toute morale au fond et qui se lie avec celle des délits que la justice réprime, ne peut-on pas dire que ce qui concourt à former de bons prêtres pour les paroisses, contribue à diminuer et les crimes et les frais d’entretien des détenus ? De toute part l’expérience prouve que l’instruction populaire seule ne réduit pas le nombre des criminels. Un des hommes qui avait le plus de confiance dans cette instruction, le baron Charles Dupin, auteur de la carte des départements noirs, gris et blancs, sait et déclare maintenant que les département charbonnés de sa carte sont loin d’être les plus noircis par le vice et le crime. Vous voyez, messieurs, qu’en considérant même l’économie comme but, on peut accorder un subside nécessaire à un établissement religieux très important pour deux de nos provinces.
Messieurs, quelle a été l’origine de cette longue discussion que ne méritaient pas des dépenses au fond peu considérables ? A quelques doutes émis par M. de Foere sur l’utilité de la mission de M. le baron de Stassart et sur les motifs pour lesquels elle lui avait été donnée ; une piqûre d’épingles de l’honorable abbé nous a valu une riposte à perte de vue élaborée longuement par un député de Bruxelles ; riposte qui nous a successivement conduits jusqu’à la vente des biens nationaux, et, qui le croirait, jusqu’à l’idée d’effrayer les possesseurs actuels de ces biens à peu près avant autant de raison que si l’on essayait d’effrayer les descendants anglais des compagnons de Guillaume sur la jouissance des biens qui furent pris aux Saxons par les Normands.
Je n’aime pas qu’on amène les personnes étrangères à cette chambre dans nos discussions, parce qu’elles ne peuvent répondre elles-mêmes aux attaques dont elles sont l’objet. Je dirai seulement qu’une des plus malheureuses idées du gouvernement hollandais, fut la recherche inquisitoriale des biens de fabrique échappés à la grande spoliation révolutionnaire dont la Belgique fut témoin malgré elle. Certes nos pères l’ont assez prouvé, ils la repoussaient avec autant de justice que je repousserais la proposition de spolier les synagogues si les synagogues possédaient chez nous quelques propriétés. Qu’on ne s’imagine pas que les communes et les paroisses voient sans profond dépit cette espèce de traque fiscale qui, en définitive, a procuré de biens minces ressources au trésor des Pays-Bas, si l’on considère les centaines de millions qu’il a dépensés depuis vingt-cinq ans. Parmi les poursuivants à outrance de ces recherches odieuses ordonnées par le gouvernement déchu, malgré les décrets impériaux des meilleurs temps de l’empire, un employé de l’administration financière se distingua spécialement. Une classe nombreuse et respectable de citoyens conserve de ces vexations légales, si l’on veut, mais très inopportunes, un pénible souvenir ; est-il d’une sage politique de braver sa répugnance pour ces actes en décorant ceux qui s’y sont associés le plus activement ? Je ne le pense pas. Si l’avancement a récompensé leurs services d’autre genre et auxquels chacun peut applaudir parce qu’ils n’ont rien de blessant pour personne, cela suffirait à l’équité distributive, et le ministère actuel plus que tout autre devait se conduire avec réserve en ce sens.
Malgré ce que je viens de dire, je n’imiterai pas ceux qui ont enlevé à un général le traitement et le grade que le roi lui avait restitué dans la sphère de son pouvoir. Ancien ministre du roi, je puis blâmer fortement même quelquefois les propositions qui lui ont été soumises par ses ministres, mais sa signature apposée à un arrêté royal qui, de sa nature, n’est pas réformable, je l’ai respectée, je la respecte encore ; aussi me tairai-je désormais sur une faveur distinctive accordée conformément au droit de la couronne.
Messieurs, comme on a signalé quelque charivari qui a beaucoup effrayé une vieille dame dont la maison était près de la mienne, je dirai à propos de cette musique, que mes amis n’ont jamais employée, qu’elle n’est ni libérale, ni rationaliste, mais tout bonnement stupide. Heureusement elle semble tomber en désuétude. Ce qui malheureusement n’est tombé en désuétude, c’est le système des accusations absurdes dirigées contre des hommes qui ont été ministres et qui ont eu le tort de se défendre. Jugez, messieurs, par ce qui a été dit sur les sociétés anonymes, de la justice de ces accusations.
M. Coghen – Messieurs, j’avais demandé hier la parole, lorsque de violentes et injustes attaques s’étaient fait entendre contre un ancien fonctionnaire du ministère de finances, que j’avais appelé pour concourir avec moi à l’organisation de ce département.
L’honorable ministre des finances, M. Mercier, et l’honorable M. Fleussu y ont suffisamment répondu ; je crains que les observations que je pourrais présenter ne reproduisent trop vivement cette question qui devrait être à jamais exclue de cette enceinte, je renonce à la parole.
M. le président – La parole est à M. de Foere. (La clôture ! la clôture)
M. Nothomb – Est-ce que ce n’est pas assez ?
Plusieurs voix – La clôture !
D’autres voix – Parlez ! parlez !
M. Cools – J’ai demandé la parole.
M. le président – On a demandé la clôture ; il faut que je suive le règlement et que je mette la clôture aux voix.
M. Pirson – On ne la demande pas.
M. Cools – Je demande la parole contre la clôture. Lorsque j’ai demandé la parole, c’était pour un fait personnel. J’ai un mot à répondre à l’honorable député de Liége.
M. de Theux – Messieurs, vous avez entendu le discours d’un député de Liége qui m’est entièrement contraire. Je ne veux pas le suivre sur le terrain sur lequel il s’est placé, et je déclare que je ne prendrai pas une minute pour lui répondre. Je n’ai que quelques mots à dire.
M. le président – On demande la parole pour des faits personnels.
M. de Foere – Je l’ai aussi réclamée.
M. le président – Est-ce pour un fait personnel ?
M. de Foere – Je ne demande pas la parole pour un fait personnel, quoique j’aie autant de raison de la demander, de ce motif, que tout autre. Je ne considère pas la discussion actuelle comme se renfermant dans des faits personnels à moi ou à tout autre député ; c'est une discussion entre partis ; dans mon opinion, elle doit être radicalement vidée sur le terrain sur lequel elle a été posée par nos adversaires. C’est le seul moyen d’éviter pour l’avenir ces mêmes discussions. Si vous n’épuisez pas le débat actuel, vous verrez ces discussions se renouveler à chaque séance qui soulèvera les mêmes questions.
M. Doignon – J’ajouterai aux observations de l'honorable M. de Foere celle-ci : c’est que jusqu’à présent les débats ont été presque étrangers au budget de la justice. Pour ma part, je me propose de présenter des observations générales et qui se rapportent précisément à ce budget Je ne pense pas que, dans la discussion d’un budget, on puisse empêcher un membre de se livrer à des considérations générales sur ce même budget, et c’est sur ce point que je propose de parler. Je demande donc que la discussion continue.
- La clôture est mise aux voix et n’est pas adoptée.
La discussion continue. La parole est à M. de Foere.
(Moniteur n°354 du 19 décembre 1840) M. de Foere.- Avant de répliquer à l’honorable M. Verhaegen, je dois, messieurs, rectifier deux assertions qui viennent d’être produites par l’honorable député de Liége.
Il vous a dit d’abord que j’avais voté contre le traitement de l’archevêque de Malines.
M. Delfosse – Contre la majoration de traitement.
M. de Foere – Contre la majoration de traitement, si vous préférez ; c’est au fond la même chose.
J’ai dit, dans une séance précédente, que je n’ai pas voté pour cette majoration. Je me suis abstenu de voter dans cette discussion ; c’est dans ce sens que j’ai dit que je n’ai pas voté pour ce traitement.
Je n’ai pas voté contre et me suis abstenu par la raison que la discussion était close et que mon vote négatif eût pu être mal interprété.
M. Delfosse – Vous n’avez pas voté pour.
M. le président – N’interrompez pas l’orateur.
M. de Foere – Je n’ai pas voté contre.
Ensuite l’honorable député de Liége a encore prétendu que j’avais dit que la religion, entre les mains de M. de Theux, avait été un marchepied aux abus. C’est encore une erreur. J’ai dit que je n’avais pas voté pour l’augmentation du traitement de l’archevêque de Malines, parce que je m’étais aperçu que, dans la majorité qui a voté pour cette majoration, il se trouvait plusieurs membres qui se proposaient de faire de leur vote et de celui de la majorité le marchepied pour arriver à la majoration des traitements d’autres hauts fonctionnaires.
Voilà le véritable sens dans lequel j’ai prononcé ces paroles. Je ne voulais pas, je dois l’ajouter, que mon vote fût invoqué comme une autorité, dans le but d’augmenter le traitement des ministres ou d’autres hauts fonctionnaires, dans la situation dans laquelle se trouvaient les finances du pays.
Messieurs, dans la séance d’hier, l’honorable député de Bruxelles a répété plusieurs fois, en débutant, qu’il ne retranchait pas un mot du discours qu’il avait prononcé dans une séance précédente, qu’il maintenait toutes les assertions qu’il avait avancées dans cette dernière séance.
J’avais pris une part active dans la discussion sur l’établissement de nouveaux consulats rétribués. J’avais produit au grand jour les motifs pour lesquels je repoussais ces nouvelles dépenses comme inutiles. Mon honorable contradicteur n’avait pas pris la parole dans cette discussion. Une autre s’ouvre, et il lance contre nous les accusations les plus odieuses. Nous aurions rejeté des dépenses « utiles, indispensables, des dépenses que les intérêts généraux du pays réclament impérativement, et nous nous serions empressés d’admettre d’autres dépenses que rien ne peut justifier, si ce n’est l’esprit de parti. » Je cite ses propres paroles.
Dans ma réponse, je tâche de lui donner satisfaction pleine et entière sur les dépenses que j’ai admises et sur d’autres que j’ai rejetées. Je fonde ma défense et mes assertions sur les votes les plus incontestables connus, par la chambre tout entière et consignés dans nos annales parlementaires, faits devant lesquels l’esprit de parti le plus obstiné devrait au moins être exorable, et cependant mon contradicteur que, s’il se rétracte, je consentirai encore à traiter d’ « honorable », mon honorable contradicteur, dis-je, ne retranche rien du discours dans lequel il nous adresse les accusations les plus calomnieuses.
Etrange « justice », singulière « impartialité » qu’il dit, lui, inscrire sur sa bannière, alors que, convaincu, comme il devrait l’être, comme toute la chambre l’était, il persiste néanmoins dans ses accusations fausses et calomnieuses.
Etrange « abnégation de tout esprit de parti », qu’il réclame de tous les bancs de la chambre, alors qu’il s’obstine à m’accuser d’avoir prononcé des votes par esprit de parti, même des votes que je n’ai pas prononcés, et pour lesquels, dans la position que je tiens dans la société, il m’a fallu une abnégation presque surhumaine.
Messieurs, l’assemblée le sait, sous l’administration précédente je me suis opposé, par les mêmes motifs, aux dépenses de nouveaux consulats que cette administration voulait établir. Malgré l’évidence du fait, je suis traduit devant le pays comme une espèce de conspirateur contre ses intérêts. « Il faut bien, nous a-t-il dit, qu’une bonne fois le pays sache comment on comprend l’économie dans cette enceinte, après nous avoir accusé d’avoir rejeté par esprit de parti les dépenses les plus utiles, les plus indispensables, impérieusement réclamées par les intérêts généraux du pays.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que date ma conviction de l'obstination de l’esprit de parti ; nous savons depuis longtemps qu’il lui est plus commode de déclamer aveuglément que de discuter sur les faits les plus incontestables, plus commode de dénigrer impitoyablement ses adversaires que de tenir compte de ses propres convictions, plus commode enfin de vilipender la tribune parlementaire et la presse publique par d’infâmes calomnies que d’honorer nos institutions par des discussions dignes et sérieuses. Mais à chacun la responsabilité de ses œuvres. Oui, messieurs, que le pays sache une bonne fois de quel côté est l’esprit de parti. J’y consens. Si ce débat a été « malheureux », comme mon honorable antagoniste l’a qualifié, le pays saura faire retomber le malheur sur le parti qui a imprimé à ce débat le caractère le plus odieux.
La défense de la conduite parlementaire, que j’ai eu l’honneur de présenter à la chambre, était, j’ose le croire, tout à la fois ferme et modérée. Je l’avais posée sur le terrain de faits incontestés par tout autre membre de la chambre.
Quel était mon but en présentant ma défense ? Mon but unique était de pouvoir être encore de quelque utilité à la chambre et à mon pays ; car j’ai l’intime conviction qu’un homme de parti, qu’il soit assis sur les fauteuils du pouvoir ou sur les bancs de la chambre, est un homme sans action sur l’esprit de la chambre et du pays. Sa voix est repoussée par la conscience publique. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas voulu que mon honorable accusateur substituât sa position parlementaire à la mienne.
Il est, messieurs, dans la destinée de l’aveugle esprit de parti de tomber dans les pièges qu’il tend à d’autres. Cet encore sous ce rapport qu’il a justement qualifié ce débat de « malheureux » ; mais s’il est « malheureux », il l’est pour la cause qu’il défend. « Le ministère, dit-il, faisant droit aux réclamations incessantes de l’industrie et du commerce, met tout en œuvre pour faciliter nos exportations, agrandir le cercle de nos débouchés, faciliter nos relations à l’extérieur. Pour atteindre ce but, il propose de créer de nouveaux consulats et pour pourvoir aux dépenses, il porte une somme de 40,000 francs. » Jusqu’ici ce sont des assertions gratuites. Je les abandonne à leur propre valeur. J’ai combattu, non les intentions du ministère, mais la portée de sa proposition. Mais il ajoute : « La majorité dans laquelle on voit figurer des hommes qui auraient dû s’empresser de cicatriser les plaies que leur administration avait laissées ouvertes, a impitoyablement rejeté cette allocation. »
Messieurs, je ne suis pas chargé de la défense des honorables MM. de Theux et de Muelenaere qui font partie de cette majorité. Mais qu’ont-ils fait ces membres de l’ancienne administration, aujourd’hui députés et membres de la majorité accusée ? Qu’ont-ils fait pour mériter cette accusation ? Ils n’ont fait que continuer le système commercial que des hommes qui sont aujourd’hui au pouvoir ont établi, système que ces mêmes hommes ont continué de soutenir pendant l’administration précédente. C’est contre ce système et non au petit nombre de consuls qu’une grande fraction du pays attribue l’absence de débouchés. Ce système a été établi et défendu, dis-je, par des hommes qui sont aujourd’hui au pouvoir et qui ont dans leurs attributions le commerce, l’industrie et les traités internationaux.
C’est cependant ce même ministère que l’honorable membre défend, ce même ministère qui, dans l’opinion de la majorité du commerce du pays et dans les propres convictions, a ouvert les plaies dont l’administration précédente est accusée. Je vous le demande, est-il possible d’être plus malheureux dans ce débat ? Ce même malheur a encore pesé sur mon contradicteur, lorsqu’il a accusé une partie de la chambre de voter pour des dépenses que le ministère propose lui-même.
Après avoir débité un tissu d’assertions gratuites, de déclamations vagues, après avoir prétendu nous imposer ses conclusions arbitraires comme le résultat de son discours dans lequel il serait impossible de découvrir aucune trace de discussion et de raisonnement, après avoir dirigé contre nous les accusations les plus odieuses et dans le sens le plus positif, accusations dans lesquelles il a persiste hier encore, mon honorable contradicteur se reprochant, sans doute ses propos violents, nous a dit à la fin que cependant il ne suspecte les intentions de personne !!! »
Et, pour compléter cette série de contradictions, il est venu hier me gratifier du caractère d’homme « franc et loyal », tout en prétendant ne rien retrancher du discours, si injurieux à mon caractère, qu’il avait prononcé dans une séance précédente.
Messieurs, je repousse ces qualités d’homme « franc et loyal » dont mon honorable antagonisme me gratifie, si en même temps il persiste à dire, comme il l’a fait jusqu’à présent, que mes votes ont été dictés par l’esprit de parti et non par mes convictions consciencieuses. Je ne dirai pas : « Timeo Danaos et dona ferentes » ; j’ira plus loin : je dirai : « Respuo Danaos » et leurs présents.
La mesure d’extravagantes partialités n’est pas complète aux yeux de mon honorable contradicteur. Il s’est senti sous le poids d’une discussion sérieuse, que lui-même il avait fait dégénérer en odieuses personnalités. Dans sa justice et dans son impartialité, à lui, c’est moi qui l’aurais provoqué. Je m’étonne, messieurs, que l’honorable membre semble ignorer la distinction essentielle qui existe entre la cause et l’occasion d’un effet ; s’il ne l’ignore pas, c’est une nouvelle accusation fausse et injurieuse. En adressant au ministère mon interpellation conditionnelle, subordonnée à la vérité du fait, mon seul but a été d’arrêter le gouvernement dans la voie de l’abus, s’il existait.
Je savais très bien d’avance que le ministère m’aurait donné une réponse évasive. Mais il me suffisait de l’avoir averti, dans son propre intérêt, qu’un gouvernement de parti et de faction ne pouvait convenir au pays. Vous le savez, messieurs, je me suis toujours prononcé contre une politique intérieure qui fût obligée de chercher ses appuis dans les partis qui divisent le pays. J’ai fait tous les efforts pour que les partis se confondissent dans le même intérêt du pays. C’est dans ce but que j’ai blâmé hautement les destitutions quelconques, quel que fût le parti que les eût opérées et subies, lorsqu’elles avaient été motivées par des causes électorales. J’ai l’intime conviction que les gouvernements eux-mêmes jettent le pays et la chambre dans ces déplorables partis, lorsque, contre le développement constitutionnel de nos institutions électorales, il leur fait subir une violence qui détruit le vrai caractère d’un Etat représentatif.
Si maintenant l’honorable député de Bruxelles a méconnu le vrai but de mon interpellation, s’il l’a interprétée comme le fruit de l’esprit de parti, si sa susceptibilité a été trop éveillée parce que l’interpellation était relative à la mission extraordinaire de l’ancien administrateur de la province du Brabant, c’est peut-être parce que cet administrateur est la personnification même du parti auquel il appartient. Dans ce cas, il n’a qu’à accuser ses propres passions. Lorsque j’ai signalé l’abus, le parti auquel il se rattachait m’importait fort peu ; dans tout état de choses, je l’aurais dénoncé à la chambre et au pays.
J’ai dit.
(Moniteur n°353 du 18 décembre 1840) M. Cools – Messieurs, je dois dire quelques mots de réponse au député de Liége, qui m’a vivement attaqué dans cette séance. Cependant il est une partie de son discours que je ne relèverai pas. Ce sont les insinuations qu’il s’est permises, alors qu’il a fait entendre que des motifs d’intérêt personnel ne seraient pas étrangers à mes votes. Je puise les motifs de mes votes dans ma conscience et je laisse à mes commettants le soin d’en apprécier la valeur. C’est parce que les insinuations de cette nature me paraissent contraires aux convenances, à tous les usages parlementaires que j’ai hâte de repousser le reproche qu’il m’a adressé, d’avoir eu recours à des insinuations à son égard, en l’accusant de s’être laissé guider par des préventions antireligieuses. En parlant des discours qu’il a fait quelque fois entendre dans cette enceinte, je n’ai parlé que d’opinions trop exclusives, et lorsque j’ai signalé des préventions antireligieuses, mes paroles s’adressaient ailleurs. Cependant j’irai aujourd’hui plus loin. Je serai franc comme lui, sans employer les mêmes formes de langage. Oui, j’ai cru que l’honorable membre s’est quelquefois laissé influencer par l’esprit de parti ; mais entendons-nous. Chacun de nous a ses opinions, ses convictions, lorsque ces opinions revêtent une couleur trop exclusive, elles appartiennent aux partis.
Nous avons tous le droit de trouver mauvaises les opinions que nous ne partageons pas. Seulement, en attaquant ces opinions, nous ne calomnions pas les intentions. Nous croyons que les honorables membres qui se laissent influencer à leur insu par l’esprit de parti ne désirent travailler qu’au bien-être du pays, que s’ils emploient le langage de partis, c’est qu’ils en regardent les doctrines comme conformes aux intérêts généraux du pays.
En exposant mes croyances politiques, en indiquant quel est dans ces croyances la limite que je ne franchirai jamais, j’ai cru remplir un devoir, j’ai pensé faire une chose utile au pays. Si mes paroles avaient pu offenser quelqu’un, je serais au regret, mais je ne m’en repentirais pas parce qu’entre l’accomplissement d’un devoir et un désagrément personnel, je ne balancerais pas.
M. de Theux – Le député de Liége depuis le peu de temps qu’il siège dans cette enceinte m’a souvent attaqué avec amertume ; je ne m’en plaint point ; loi de là, je l’en remercie sincèrement ; ses louanges m’eussent sérieusement inquiété ; ses attaques, au contraire, me donnent la preuve que je suis demeuré fidèle à mes principes opposés aux siens. Ceci explique le silence que j’avais d’abord gardé sur le discours prononcé par l’honorable membre lors de la discussion du budget des dotations ; mais j’ai cru devoir rompre ce silence, lorsqu’à ces attaques sont venues se joindre celle d’un honorable député de Bruxelles ; alors j’ai saisi cette occasion de justifier tout à la fois et ma conduite comme ministre et ma conduite comme membre du congrès et de la majorité de cette chambre, majorité à laquelle je me fais gloire d’appartenir, malgré les injures dont elle a été tant de fois l’objet de la part du député de Bruxelles.
M. de Muelenaere – Il n’est ni dans mon caractère ni dans mes habitudes parlementaires de vouloir prolonger des débats que je considère comme profondément regrettables. Cependant, messieurs, un honorable préopinant venant de prononcer mon nom, j’éprouve le besoin de donner quelques explications. Je serai bref.
Je ne croyais pas, messieurs, que l’honorable député de Bruxelles eût fait allusion à moi et aux actes de mon administration dans le discours qu’il a prononcé.
M. Verhaegen – Je n’ai pas eu cette intention.
M. de Muelenaere – S’il n’a pas été dans l’intention de l’honorable membre de faire allusion à moi, je n’ai pas besoin de lui répondre. Toutefois, puisque j’ai la parole, je me permettrai de dire quelques mots sur un autre point.
On a donné, messieurs, des proportions réellement ridicules, j’ose le dire, et un caractère d’hostilité envers le cabinet à un vote qui était loin d’avoir cette portée ; je veux parler du vote relatif aux consulats.
D’abord, messieurs, je ne reconnaissais à aucun membre de cette assemblée le droit de me supposer des intentions, et surtout de me prêter des intentions autres que celles que j’explique moi-même.
Or, vous vous rappellerez tous que, lorsqu’il s’est agi du vote sur les consulats, j’ai demandé la parole et j’ai expliqué les motifs du vote que je me proposais d’émettre. Ces motifs, messieurs, me paraissaient entièrement rationnels : il y a à peu près cinq ans que le premier subside pour les consulats a été proposé à la chambre ; c’est moi-même qui ai proposé alors ce subside. A cette époque il eût été difficile, ou plutôt il eût été impossible de préciser l’emploi que l’on voulait faire du subside dont il s’agit, mais il m’a semblé que lorsque, pendant plusieurs années, on est venu successivement demander des augmentations pour établir de nouveaux consulats rétribués, il convenait que le gouvernement rentrât dans l’ordre normal.
Eh bien, messieurs, quel est ici l’ordre normal ? C’est de traiter l’institution des consulats comme on traite toutes les autres institutions tant à l’intérieur qu’à l’étranger. Quand on vient demander des fonds pour l’établissement de nouveaux fonctionnaires, ou bien lorsqu’on demande des fonds pour l’établissement d’une nouvelle mission à l’étranger, on vous explique, messieurs, quelles sont les intentions du gouvernement et quel est l’emploi que le gouvernement entend faire du subside demandé. J’ai donc demandé formellement, tout en déclarant que je ne m’opposais pas à ce que de nouveaux consuls rétribués fussent établis, j’ai demandé, dis-je, que le gouvernement fît à cet égard une proposition spéciale. Il est vrai, messieurs, que lundi M. le ministre des affaires étrangères est venu donner des explications ; eh bien, s’il avait fait de ces explications l’objet d’une proposition particulière, je le déclare, j’aurais voté les fonds demandés. Si M. le ministre des affaires étrangères nous présente des documents émanés de personnes compétentes ou des chambres de commerce, et qui prouvent la nécessité de l’établissement de nouveaux consulats, je m’empresserai de voter les fonds qu’il nous demandera à cet effet.
Voilà, messieurs, les motifs qui m’ont porté à voter la première fois et la seconde fois contre le crédit demandé ; mais par ce vote, je n’ai nullement entendu me prononcer en faveur de l’ancien ministère contre le ministère actuel. Le vote que j’ai émis n’a aucunement cette portée, c’est uniquement un vote d’argent. Je pense, je le répète, que, pour les consulats, on doit enfin rentrer dans l’ordre normal et que si l’on pensait qu’il était nécessaire d’établir de nouveaux consuls rétribués, il fallait faire une proposition spéciale pour cet objet.
M. le président – Nous rentrerons maintenant dans la discussion générale du budget de la justice. La parole est à M. Doignon.
M. Doignon – Le gouvernement, messieurs, dans le discours du trône, nous a annoncé que l’un de ses premiers soins serait d’apporter à nos lois civiles et criminelles les perfectionnements dont l’expérience a démontré l’utilité, de compléter notre système judiciaire en comblant les lacunes que nos institutions nouvelles réclament. Ne pourrait-on pas en ce moment nous faire connaître quels sont les perfectionnements que le gouvernement a le projet d’apporter à nos lois, quelles sont les lacunes qu’il est intentionné de remplir ?
L’article 139 de la constitution a déclaré qu’il serait pourvu par des lois séparées aux objets suivants :
La révision de la législation des faillites et des survis ;
La révision du code pénal militaire ;
La révision des codes.
Je rappellerai au gouvernement qu’il y a plus de six ans qu’un projet de modification du code pénal nous a été présenté ; ce projet doit avoir été renvoyé à l’examen des cours et tribunaux ; je demanderai où en est ce travail, quel en est le résultat ? il est temps, messieurs, que les pénalités soient enfin mises en harmonie avec les mœurs et l’époque actuelle. Il y a déjà longtemps que ce travail est terminé en France.
Quant à nos lois civiles, ce n’est selon moi qu’avec la plus grande circonspection, et d’une main délicate que l’on peut toucher à la législation existante, mais généralement il est reconnu cependant que des réformes pourraient être apportées à certaines procédures, telles que les expropriations, les faillites, les saisies et autres. En un mot, je demanderai donc au gouvernement ce qu’il a l’intention de faire en exécution des divers dispositions de l’article 139 de la constitution.
Je rappellerai aussi que la chambre est saisie depuis 4 ou 5 ans d’un projet de loi sur la circonscription des cantons de justice de paix. Il serait à désirer que ce projet pût être discuté dans cette session, et que le sénat pût terminer incessamment ses délibérations sur la loi relative à la compétence ; mais je ferai observer au gouvernement que le projet sur la circonspection qui a été présenté dans le temps est incomplet ; en attendant que nos arrangements territoriaux avec la Hollande fussent terminés, le gouvernement a laissé à l’écart dans le projet, ce qui concerne les cantons du Luxembourg et du Limbourg ; il importe en ce moment de compléter l’organisation du royaume, et j’engage le gouvernement à nous présenter un projet sur ce point.
Nous avons encore la loi sur le notariat, qui est attendue avec impatience ; le projet qui a été présenté par le gouvernement a jeté assez d’inquiétude, assez d’incertitude parmi les personnes qui exercent cette profession ; il est urgent que ces questions soient examinées et jugées par les chambres.
Messieurs, je viens aussi appuyer les observations qui ont été faites dans une autre séance par l’honorable M. de Mérode. D’après l’article 73 de la constitution, le gouvernement a le droit de remettre les peines prononcées par les juges. Certes, au gouvernement appartient le droit de commuer les peines ou de faire grâce. Mais, d’un autre côté, aux chambres appartient aussi le droit d’observer et de contrôler. Je fais cette observation, pour ne pas laisser ignorer au gouvernement que tous ces actes dans cet ordre de faits n’ont pas également été bien vus dans nos provinces ; qu’il est de ces actes qui ont excité une pénible surprise et qui ont produit dans l’esprit de nos populations un effet tout autre que celui qu’on devait en attendre. Je suppose que le gouvernement a été informé des scènes qui ont eu lieu à l’occasion de certaines commutations de peines. Il est à désirer que, dans ces cas, les commutations de peine prononcées par le gouvernement soient toujours confirmées par l’approbation générale.
Messieurs, en exécution de l’article 116 de la constitution, la cour des comptes nous a adressé tout récemment des observations sur tous les budgets. Ces observations, qui se rapportent à tous les budgets, sont intéressantes au plus haut degré. Si elles sont fondées, comme je le crois, MM. les ministres, malgré les budgets que nous votons, malgré les règles que nous leur traçons, pourraient dépenser ce qu’ils veulent, comment ils veulent, et cela sans une responsabilité réelle, sans qu’on puisse exercer un contrôle efficace. La cour des comptes se plaint de ce que relativement aux dépenses comme à l’égard des recettes, dans certains cas, les ministres lui refusent les renseignements nécessaires ou utiles.
Vous le savez, messieurs, la cour des comptes est chargée par la constitution d’examiner, de liquider et d’arrêter les comptes de l’Etat ; par conséquent, sa première attribution, c’est de procéder à l’examen de chaque dépense, d’en faire la vérification, d’en apprécier la légalité et de juger les imputations de crédits. Or, sans éclaircissements sur les faits, sans renseignements, sans documents, il est impossible de vérifier, de contrôler, de juger et d’arrêter quelque chose. La marche régulière de la cour des comptes est donc entravé par le fait du ministère ; il y a entre cette cour et le ministère un désaccord complet qu’il convient de faire cesser.
On ne dira pas que la cour des comptes est trop difficile, car je vois que, dans les cas de dissentiment ou d’urgence, elle ne se refuse pas à mettre des crédits à la disposition des ministres, sauf à faire ensuite la justification de la dépense ; mais cette justification est rendue impossible, par suite du refus, de la part des ministres, de donner des renseignements suffisants.
Pour vous donner une idée de ce qui se passe, je ne lirai que deux lignes du rapport de la cour des comptes :
« La cour le déclare donc avec une conviction profonde, exiger d’elle, dans l’état actuel des choses, des observations raisonnées, des vérifications exactes des faits de comptabilité, alors que les moyens lui échappent de toutes parts, qu’on le lui en fournit aucun assez positif pour être considéré comme complet ; alors qu’aucune mesure efficace pour combler ces lacune n’est prise, c’est exiger l’impossible, et autant vaudrait supprimer on intervention à la vérification des comptes que de la maintenir dans une obligation illusoire. »
C’est spécialement à l’égard de pensions que la cour des comptes réclame souvent des renseignements et je dois le die, le ministre de la guerre est le seul qui ait adhéré aux réclamations de la cour des comptes : tous les autres ministres lui opposent constamment un refus qui est obstiné selon moi.
La cour des comptes signale d’autres abus, je n’en indiquerai qu’un seul. Il paraît que les ministres, de leur autorité, sans aucune délégation du Roi, nomment à des emplois élevés, et conféreraient eux-mêmes des traitements. C’est là une atteinte, selon moi, à la prérogative royale, c’est une violation des articles 66 et 67 de la constitution.
Pour mon compte, je ne puis qu’approuver la conduite de la cour des comptes ; cette cour se souvient, et elle a raison de se souvenir, qu’elle est tout à fait indépendante du pouvoir exécutif, aussi indépendante que les grands corps de l’ordre judiciaire. Elle n’a pas de services à rendre au ministère, mais elle n’a que des arrêts à rendre vis-à-vis de lui, comme vis-à-vis des autres administrations de l’Etat : puisque cette cour est une émanation de la chambre, j’espère qu’elle lui donnera son appui.
Messieurs, je rappellerai le vœu qu’a exprimé un membre de cette chambre, l’honorable M. Verhaegen, un vœu qui m’a paru digne de remarque : celui de voir augmenter les traitements des desservants et des vicaires. Messieurs, d’où vient que c’est précisément lorsque ce vœu n’est pas réalisable, qu’on vient l’émettre dans cette enceinte ? C’est effectivement dans un moment où il y a un déficit énorme dans le trésor public, dans un moment où il est évident que, pour majorer les traitements, il faudrait augmenter encore les impôts et rendre dès lors plus vif le mécontentement des populations ; c’est dis-je, dans un pareil moment qu’on vient vous parler d’une majoration de traitement pour les desservants et les vicaires. Il est évident pour moi que cette mesure serait plutôt de nature à nuire au clergé et à porter atteinte à l’immense popularité dont il jouit.
Je crains bien que ce vœu ne soit mal interprété, et qu’on ne suppose à son auteur des vues tout à fait opposées à ses bonnes intentions.
L’on a aussi émis le vœu, dans la section centrale, que les traitements des membres de l’ordre judiciaire soient augmentés. Je me suis dans le temps associé à ce vœu. Mais il a été dit dans la section qu’il fallait en remettre la réalisation à des temps plus favorables ; il a été dit qu’il fallait avant tout que le gouvernement prît la résolution d’entrer dans la voie des économies ; il a été dit encore (et ce sont d’honorables magistrats qui, dans notre section, ont tenu ce langage) ; il a été dit qu’il serait sans doute pénible aux membres de la magistrature de voir augmenter les impôts, précisément pour majorer les traitements. J’aime à croire que tous nos magistrats partagent ces nobles sentiments.
On a invoqué, à cet égard, le discours du trône et les réponses que les deux chambres y ont faites. Je répondrai à cela qu’à cette époque nous ne connaissions pas l’état de nos finances, comme nous le connaissons aujourd’hui. C’est seulement depuis plusieurs jours après le discours du trône, après notre réponse à ce discours, que M. le ministre des finances est venu nous tracer le triste tableau de notre situation financière. Il me paraît donc que, dans un pareil état de choses, il n’y pas lieu de faire droit aux réclamations de la magistrature, du moins quant à présent.
L’honorable membre dont j’ai parlé tout à l’heure nous a reproché de vouloir faire des économies « quand même ». Messieurs, je ne crois pas que dans tout ce que nous vous avons dit, il y ait une seule parole de laquelle on puisse tirer une pareille conséquence. Nous avons dit au contraire qu’il fallait faire une distinction entre les dépenses, séparer les dépenses indispensables d’avec les dépenses de simple utilité et qui n’ont qu’un caractère secondaire. On a donc à cet égard dénaturé entièrement nos intentions.
Je me proposais aussi de dire quelques mots sur les débats si animés qui occupent la chambre depuis plusieurs jours ; je me réserve de présenter mes observations dans la discussion générale d’un autre budget.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, l’honorable préopinant a lu un extrait d’un rapport adressé à la chambre par la cour des comptes. La plupart des observations de la cour tombent sur les comptes des exercices antérieurs, des exercices 1835, 1836 et 1837. La cour des comptes fait allusion à des débats qu’elle a entamés avec les ministres précédents et avec le ministère actuel. L’honorable préopinant a dénoncé le fait comme s’appliquant au ministère actuel. Or, ces débats sont très anciens, ils remontent pour ainsi dire à l’origine de la cour des comptes.
M. Doignon – Et ils continuent.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Ils continuent, mais ils ne sont pas nés avec le ministère actuel.
Quant aux reproches qui ont été articulés par la cour des comptes, le moment de les discuter, et pour nous et pour nos prédécesseurs, se présentera lorsque la chambre voudra bien s’occuper de l’examen des comptes ; c’est alors que nous apprécierons les observations de la cour, et que nous y répondrons.
Mais une accusation que nous ne pouvons pas laisser passer sous silence et à laquelle nous devons répondre dès maintenant, c’est celle d’où il résulterait que le ministère méconnaît la prérogative royale en faisant des nominations d’employés supérieurs qui ne rentreraient pas dans ses attributions.
Cette accusation, en ce qui nous concerne, est dénuée de tout fondement. D’ailleurs la cour des comptes doit connaître ses devoirs. Si le ministère est sorti des siens, c’est à elle de le lui rappeler en refusant son visa. Mais il y aurait une sorte d’inconséquence à accorder son visa à une dépense demandée par le ministère et à lui reprocher ensuite de l’avoir faite irrégulièrement.
Je proteste, quant à moi, contre de pareilles accusations ; jamais le ministère ne sort de ses attributions, surtout lorsqu’il se trouve en présence de la prérogative royale, pour laquelle il ne cesse de professer le plus profond respect.
- La clôture de la discussion générale est prononcée. La chambre remet à demain la discussion des articles.
La séance est levée à 5 heures moins un quart.