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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 3 juin 1840

(Moniteur belge n°155 du 4 juin 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven procède à l’appel nominal à midi et demi. Il donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est adoptée.

M. Lejeune fait connaître l’analyse des pétitions suivantes :

Pièces adressées à la chambre

« Les administrations communes de Ronsele, Elst, Segelsem, Sainte-Marguerite, Oost-Eecloo et Heilegem demande que le traitement des desservants des succursales soit augmenté aux frais de l’Etat et à la décharge des communes. »

« Le sieur Pierre Latré, maçon à Arloye, demande que son fils Jean, milicien de 1837, soit renvoyé dans ses foyers comme tous ceux de sa classe.

« Le sieur Hubert Warnant, propriétaire à Dion (Namur), réclame contre une décision du conseil provincial qui oblige son fils au service de la milice. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Mast de Vries, M. Dubus (aîné), M. Desmet et M. Milcamps, au nom de la commission des naturalisations, déposent des rapports sur plusieurs demandes de naturalisations.

- La chambre en ordonne l’impression et la distribution.

M. Lejeune, au nom de la commission des naturalisations, dépose 24 projets de loi relatifs à des demandes de naturalisation ordinaire et 2 projets de loi relatifs à des demandes de grande naturalisation.

La chambre en ordonne l’impression et la distribution.

Rapport sur une pétition

M. Demonceau, rapporteur de la commission des finances – Messieurs, vous avez renvoyé à l’examen de la commission des finances, une pétition portant la date du 11 de ce mois, adressée à la chambre par les conseillers communaux de Dison et de Petit-Rechain, dans le but d’obtenir, par votre intervention, le payement de certaines sommes, résultant de condamnations judiciaires à charge du gouvernement.

Par cette pétition, les pétitionnaires réclament non seulement le montant des condamnations prononcées au profit des communes, dont l’administration leur est confiée ; mais ils témoignent le vif regret qu’ils éprouvent de devoir continuer à plaider, pour avoir condamnation définitive à charge de l’Etat, pour six créances absolument identiques, dues, en vertu des mêmes titres que les précédentes, et s’élevant ensemble à 36,361 francs 73.

La commission des finances ne doute aucunement de la réalité des prétentions des communes de Dison et Petit-Rechain puisque les administrateurs de ces communes joignent à leur demande des copies certifiées des pièces qui leur servent de base ; elle pense donc que le gouvernement devrait se hâter de vous proposer un crédit pour faire face à cette dette, si toutefois l’administration n’a pas le moyen d’y pourvoir ; elle est aussi d’avis que le gouvernement, après deux arrêts de la cour de cassation, ferait bien de réfléchir avant de continuer sa résistance aux prétentions des mêmes communes ; car, en définitif, l’Etat, en causant des frais nombreux aux communes et à leurs créanciers, supporte réellement la plus forte partie de ces frais.

- La commission des finances propose donc le renvoi de cette pétition à M. le ministre des finances.

Projet de loi autorisant un emprunt de 82,000,000 francs

Discussion générale

M. le président – La parole est à M. Pirson pour présenter un amendement.

M. Pirson – J’avais bien prévu qu’en l’absence d’une disposition, M. Le ministre ne pourrait se rallier à la proposition de la section centrale, parce qu’il y avait une grande disproportion entre la demande du gouvernement et ce que la section centrale accorde. Je pense qu’il faut accorder au ministère les moyens de pouvoir continuer, sans se ralentir, les travaux du chemin de fer. Je vous proposerai donc un amendement dans ce but.

Voici ce que dit la section centrale dans son rapport :

« En ne proposant de couvrir par l’emprunt qu’une somme de 40 millions pour la continuation des travaux des chemins de fer, la majorité de la section centrale n’entend en aucune manière prétendre que cette somme suffira pour son achèvement complet, elle ne révoque en doute aucun des calculs produits, elle ne les croit ni exagérés, ni erronés ; mais elle voit, par les pièces, que 60,000,000 environ doivent suffire à la mise en exploitation de toutes les lignes décrétées, qu’une partie des 6,000,000 destinés au complément du matériel et des stations peut être ajournée jusqu’en 1843, et qu’enfin plus de 12 millions peuvent, sans le moindre inconvénient, n’être dépensés qu’en 1842 ; elle pense donc que, d’ici au jour où le crédit qu’elle propose de voter sera épuisé, le gouvernement pourra trouver, 1°, dans la vente d’une partie des bois domaniaux, 2° dans l’encaisse de 1830, 3° dans ce qui peut être dû à l’Etat par la société général, du chef de redevance de la liste civile, etc., le moyen de pourvoir au surplus, supposé même qu’il s’élevât à 14, même à 10 millions, sans avoir besoin de recourir à un nouvel emprunt. »

Ce que dit ici la section centrale ne suffit pas pour le ministère ; il faut que le corps législatif assure au ministère qu’il trouvera toutes les ressources nécessaires pour continuer sans aucun ralentissement, les travaux du chemin de fer. Il ne faut pas qu’il y ait des sections qui soient victimes ; et il y en aurait indubitablement si l’on ne faisait pas cesser l’incertitude du ministère ; car M. le ministre des travaux publics vous a dit que, dans ce cas, il serait obligé de se ralentir. Voilà donc ce que je voudrais voir ajouter à la loi, ou consigner dans le procès-verbal :

« Quoique le montant de l’emprunt, vote par la présente loi, soit loin d’atteindre celui demandé par le gouvernement, les travaux des chemins de fer ne doivent se ralentir sur aucun point des lignes décrétées ; il sera pourvu au déficit soit par la rentrée de l’encaisse de la société générale, soit par les résultats actifs en faveur de la Belgique, de la liquidation d’Utrecht, soit par la vente des domaines nationaux, soit enfin par un supplément d’emprunt, si la rentrée des ressources du trésor se faisait attendre. »

Je dis plus ici que la section centrale. La section centrale ne parle pas d’un supplément d’emprunt. Le ministre hier vous disait qu’il n’était pas très parlementaire, en quelque sorte, de proposer d’ouvrir au gouvernement une porte pour en venir encore à de nouveaux emprunts. Sans doute c’était bien à nous à faire cette observation au ministère ; mais je trouve singulier que ce soit le ministère qui s’oppose en quelque sorte à ce qu’on lui donne des moyens. Pour moi je trouve que non seulement nous ne devons pas laisser une porte ouverte à de nouveaux emprunts, mais encore que nous devrions forcer, en quelque sorte, le ministère à faire rentrer toutes nos ressources et notamment celles qui sont en souffrance depuis si longtemps.

Et cependant si nos ressources ne rentraient pas assez tôt, si de nouvelles entraves s’opposaient à la rentrée des fonds, il faudrait nécessairement recourir à un nouvel emprunt ; il n’y a pas de doute à cet égard. Ainsi, je ne vois pas qu’on puisse s’opposer à ce que ma proposition soit consignée si non dans la loi, au moins dans le procès-verbal.

M. le président – La proposition de M. Pirson sera imprimée et distribuée.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je demanderai à M. le rapporteur de la section centrale si, dans l’opinion de cette section qui ajourne l’allocation de 14 ou 16 millions qu’elle juge cependant nécessaire pour l’entier achèvement des travaux au chemin de fer, l’adoption de l’amendement de M. Pirson ne serait pas nécessaire, si elle-même ne reconnaît pas qu’alors elle ajournerait les moyens de couvrir le crédit, il ne serait pas indispensable d’introduire le crédit même dans la loi. Ce qui serait le but de l’amendement de M. Pirson.

M. Demonceau, rapporteur – Pour ce que je pusse donne une réponse, au nom de la section centrale, vous concevez que la section centrale devrait avoir été réunie ; je ne puis donc exprimer ici qu’une opinion personnelle. Voici comment j’ai compris la pensée de la section centrale, et comment je crois l’avoir rendue ; la section centrale a admis cette théorie absolue, qu’il ne faut plus d’emprunt.

Elle a reconnu qu’il fallait une somme de 54 à 55 millions pour le complet achèvement du chemin de fer. Elle a pensé qu’il faut que le gouvernement soit mis, d’une manière quelconque, à même d’obtenir cette somme, sinon par un emprunt, au moins par d’autres moyens. Les moyens qu’elle a indiqués sont au nombre de trois.

Le premier est la vente des domaines. Lorsque la section centrale vous l’a proposée, elle n’a été que l’écho des sections de la chambre ; en cela donc la section centrale a rendu la pensée des sections. Le gouvernement a dit à la section centrale que la valeur des domaines était selon lui de 20 millions. La section centrale a cru qu’on pouvait les vendre au moins jusqu’à concurrence de la moitié, pour en employer le produit au complet achèvement du chemin de fer. Elle a pensé que substituer à un domaine du moyen-âge un domaine qu’elle considère à bon droit comme le domaine de la civilisation, ce n’était pas se ruiner pour créer, c’était au contraire créer une chose plus utile avec une chose moins productive.

Voilà l’opinion de la section centrale, du moins telle est la mienne. Je crois que ceux qui ont exprimé comme moi l’opinion qu’il serait prudent d’examiner s’il n’y aurait pas lieu de vendre les domaines jusqu’à concurrence d’une certaine somme, ont pensé que le produit de ces domaines serait employé plus utilement qu’il ne l’est aujourd’hui en l’affectant au chemin de fer.

La section centrale a dit ensuite que, sur l’encaisse de la société générale, on pourrait prélever une certaine somme pour les dépenses du chemin de fer. Je sais que cet encaisse est encore enlacé par diverses conventions faites par le gouvernement. Mais d’ici à 1842, époque à laquelle le chemin de fer aura besoin de la somme que nous proposons d’ajourner, le gouvernement prendra sans doute des mesures pour en finir avec la société générale. La section centrale a donc cru pouvoir espérer cette rentrée et indiquer ce moyen comme devant être réalisé avant deux ans.

Nous avons pensé aussi aux redevances de la liste civile. Nous n’ignorions pas que le gouvernement avait proposé une transaction pour appliquer ces redevances à l’achat d’une partie de la forêt de Soignes, mais sur ce point il y a un rapport de la section centrale, qui a été unanime pour refuser cet échange. Nous savons aussi que depuis il y a contestation devant les tribunaux. Mais nous devons présumer également que les contestations sur ce point pourront être vidées d’ici à 1842. Du moins nous devons l’espérer.

Puisque j’ai la parole, je dirai que la section centrale n’a pas eu l’intention d’entraver le moins du monde l’achèvement des travaux du chemin de fer. La section centrale aurait cru faire injure à la législature en supposant qu’elle voulût laisser inexécutées les lois qu’elle a votées ; elle a rappelé toutes les lois qui donnent lieu aux dépenses du chemin de fer. C’est au gouvernement que vous avez confié l’exécution de ces lois. Quand le gouvernement demande aux chambres les fonds qui lui sont nécessaires dans ce but, il doit compter sur l’appui des chambres. Mais, d’un autre côté, il doit user de son influence pour apporter aux dépenses du chemin de fer la plus grande économie possible.

Il est certain que les chambres devront allouer au gouvernement tous les fonds nécessaires pour le complet achèvement des travaux du chemin de fer. Je ne pense pas, pour mon compte, qu’il soit nécessaire que cela soit dans la loi. Il suffit que cela soit entendu.

M. le président – M. le ministre désirant connaître l’opinion de la section centrale, sur la proposition de M. Pirson, je crois qu’il n’y aurait pas d’inconvénient à ce qu’elle se réunît demain. M. le rapporteur ne pouvait, comme il l’a dit, que faire connaître son opinion personnelle.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – J’ai posé une question à M. le rapporteur de la section centrale, mais je n’ai pas voulu soulever une discussion sur la vente des domaines ; M. le rapporteur n’ayant pu me donner une réponse catégorique, je dois prendre sa déclaration telle qu’elle est relativement à la proposition faite par M. Pirson et que je trouve incomplète.

M. Nothomb – Je me renfermerai strictement dans l’incident. Il me semble en effet qu’il y a peut-être une lacune dans le projet de loi ; c’est ce que vous devez chercher à faire ressortir.

On propose de faire des fonds jusqu’à concurrence de 40 millions ; il y a d’engagé en ce moment pour 19 millions ; restent 21 millions à prendre sur ces fonds.

Il y a deux choses qu’il ne faut pas confondre : la première c’est l’ouverture du crédit, la seconde ce sont les fonds destinés à pourvoir en tout ou en partie aux crédits ouverts ; ce sont là deux choses distinctes. On peut ouvrir un crédit beaucoup plus considérable que les fonds que l’on fait en ce moment. En voici un exemple très remarquable.

Par la loi du 2 juin 1837 vous avez ouvert au gouvernement un nouveau crédit de 2 millions pour travaux de routes, mais par la même loi vous n’avez pas fait les fonds de ce crédit.

En vertu de cette loi, le gouvernement a pu adjuger des routes à concurrence de 2 millions, bien qu’il n’eût pas les fonds, et c’est par la loi que vous discutez actuellement que l’on fait seulement les fonds.

Je vous disais qu’il y avait déjà 19 millions d’engagés sur la somme de 40 ; qu’il ne reste que 21 millions de disponibles ; les adjudications qui restent à faire pour le chemin de fer sont les suivantes :

1° Les sections de Pepinster à la frontière de Prusse ;

2° Les sections de Mouscron à la frontière de France et à Tournay ;

3° Les sections de Châtelineau à Braine-le-Comte ;

4° La section de Bustiau, près de Mons, à la frontière de France ;

5° Il y a des stations dont l’établissement est indispensable, par exemple, la station des marchandises à Anvers.

Une voix – Il y a encore la section de Hennuyères à Braine-le-Comte : le souterrain.

M. Nothomb – Oui, une première adjudication n’a pas réussi.

Je suppose que les parties de chemins de fer indiquées ci-dessus et que quelques stations regardées comme urgentes soient adjugées, voilà 24 millions absorbés et toute la somme de 40 millions est engagée.

C’est ainsi que se présente la question de savoir ce que ferait le ministre, si d’autres travaux étaient à faire : Pourrait-il procéder à de nouvelles adjudications quoique n’ayant pas les fonds nécessaires ? Ou faut-il faire dans la loi les fonds jusqu’à concurrence de 40 millions et y ouvrir en principe un crédit plus considérable ? Voilà la question posée par M. Pirson, question digne d’un sérieux intérêt.

M. Dumortier – Je crois qu’il est possible de donner à la chambre et au ministre des travaux publics une explication suffisante relativement aux vues de plusieurs des membres de la section centrale, quand ils ont fixé le chiffre à 40 millions pour le chemin de fer.

Et d’abord je répondrai à M. Nothomb et à M. Pirson que le crédit n’est pas restrictif ; tout le monde a compris au contraire qu’il fallait que le gouvernement fût à même de terminer les chemins de fer décrétés par la chambre.

Quant à la question du chiffre, voici ce qui a été démontré dans la section centrale.

La somme à dépenser pour parfaire les chemins de fer s’élève approximativement à 53 millions ; si le gouvernement demande 54 millions, c’est à cause du matériel.

Dans ces 54 millions réclamés par le gouvernement se trouvent 13 millions et demi demandés pour compléter les sections aujourd’hui en activité de service. Or, voici les observations que j’ai eu l’honneur de présenter dans la section centrale, et qui ont été goûtées. Les sections des chemins de fer en activité de service marchent, et marchent à la satisfaction de chacun ; personne ne s’en plaint ; avant d’emprunter 14 millions pour améliorer encre les sections, il sera plus sage de mettre au même point toutes les autres sections décrétées par la loi. Eh bien, si vous déduisez des 54 millions demandés les 14 millions nécessaires pour compléter les sections en activité de services, il restera 40 millions.

Mais, remarquez-le bien, messieurs, ces 40 millions ne sont pas même nécessaires si l’on voulait mettre les sections à créer dans le même état que les sections déjà créées ; une somme de 30 à 35 millions serait suffisante pour atteindre ce but. Dans ma manière de voir, il me paraît qu’il est sage, avant de faire des dépenses que je regarde comme dépenses de luxe, de mettre toutes les sections décrétées par la loi sur le même pied que les sections en activité. Cela permettra au ministre des travaux publics de déployer toutes ses forces, tous ses capitaux, ou de mettre toutes les branches du chemin de fer en exploitation. Les millions que vous déverserez dans les branches à créer, rapporteront davantage que si elles étaient déversées dans les branches en activité.

Voilà ce qui explique comment le gouvernement pourra subvenir à tous les besoins avec 40 millions ; car il aura encore 7 millions de reste.

M. Nothomb – Mais, enfin, pourra-t-on adjuger au-delà ?

M. Dumortier – Le gouvernement ne peut adjuger au-delà de ce qu’il a entre les mains ; il ne pourra adjuger pour les 54 millions qui restent à faire. Quelle nécessité y a-t-il d’adjuger le matériel pour les sections qui ne sont pas commencées ; pour la section de Namur, par exemple, qui ne sera faite que dans deux ans ? Dans cet intervalle de temps vous avez des ressources immenses, ce qu’il ne faut pas perdre de vue.

Remarquez-le bien, messieurs, la société générale est débitrice envers la Belgique de sommes considérables ; la société générale doit à la Belgique, d’abord du chef du solde en caisse de 1830, une somme de 12 à 13 millions ; en deuxième lieu la société générale nous doit, du chef de la redevance envers la liste civile, une somme d’au moins 7 millions ; en troisième lieu, la société générale nous doit, du chef de la redevance envers le syndicat, jusqu’à ce jour, une somme de 10 millions, de manière que de ces trois chefs la société générale doit au trésor public plus de 30 millions

Eh bien, messieurs, je vous le demande, comme toutes les sections et la section centrale se le sont demandé, s’il faut pousser l’emprunt jusqu’à la dernière limite alors que, dans quelques années, nous aurons 30 millions dont nous ne saurons que faire ? Si nous agissions de cette manière, nous serions dans le cas de faire d’autant plus de dépenses que nous aurions là des fonds infructueux.

Je ne pense donc pas que nous devions, dès aujourd’hui, faire tous les fonds nécessaires pour achever complètement le chemin de fer, alors que, dans quelques années, nous aurons des ressources qui permettront au gouvernement d’achever tous les travaux qui resteront à faire, les doubles voies, les clôtures des stations, en un mot tous les travaux de complément.

Je vous ferai remarquer aussi, messieurs, et cette observation me paraît digne de toute votre attention, qu’une notable partie de l’excédant qui divise M. le ministre des travaux publics et la section centrale, qu’une notable partie de cet excédant consiste en constructions de stations ; or, plusieurs villes de la Belgique ont fait des sacrifices considérables pour leurs stations ; ainsi la ville de Bruges, la ville de Courtray, la ville d’Ostende, la ville de Tournay ont fait d’énormes sacrifices pour leurs stations ; je ne connais point le chiffre pour lequel les autres localités ont contribué, mais ce que je sais fort bien, c’est que le sacrifice que la ville de Tournay consent à faire équivaudra à une somme de 200,000 francs. Eh bien, messieurs, j’ai appris que d’autres villes entendent ne faire aucun sacrifice ; j’ai entendu dire particulièrement que la ville d’Anvers prétend obtenir une station intérieure sans bourse délier. Ce n’est point là de la justice distributive, si les villes dont nous avons l’honneur d’être représentant consentent à faire des sacrifices immenses, évidemment vous devez exiger des sacrifices analogues, de toutes celles qui veulent obtenir des stations intérieures, ou bien vous devez nous rembourser ce que nous avons donné, car il ne faut pas que nous soyons dans une plus mauvaise position parce que nous avons été de meilleure volonté.

Que le gouvernement pose comme exemple aux autres villes ce que nous avons fait, qu’il fasse contribuer les autres villes comme nous avons contribué, et alors il aura des ressources considérables. La station d’Anvers coûtera au moins un million, cependant il paraît que la ville d’Anvers n’entend pas donner un obole ; les 4 stations de Bruxelles (car Bruxelles n’aura pas moins de 4 stations : la station du Midi, la station du Chien Vert, la station du Nord et la station de l’Allée Verte), les 4 stations de Bruxelles coûteront 2 ou 3 millions, et je voudrais bien savoir quel est le capital donné par la ville de Bruxelles pour avoir ces 4 stations. Je le répète, lorsque certaines villes se sont imposé des sacrifices énormes pour avoir des stations, il est de toute justice que l’on fasse contribuer également les autres localités ou que l’on nous restitue ce que nous avons donné.

Je dis donc, messieurs, que 40 millions sont une somme plus que suffisante pour mettre toutes les parties du chemin de fer décrété dans l’état où se trouvent aujourd’hui les sections qui sont en exploitation. Or, tout le monde est complètement satisfait de ces stations, et lorsque les autres seront mises sur le même pied le chemin de fer pourra suffire à tous les besoins. Nous pouvons donc, sans aucun inconvénient, ajourner les autres dépenses, qui ne sont en quelque sorte que des dépenses de luxe, jusqu’à ce que nous ayons en main soit ce qui nous est dû par la société générale soit les autres ressources que nous pourrons trouver d’ici à quelques années. Lorsque toutes les sections seront en exploitation, il sera encore temps de pourvoir aux dépenses de luxe, soit au moyen des ressources dont je viens de parler, soit au moyen de l’excédant des produits du chemin de fer lui-même.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je me félicite, messieurs, d’avoir appelé l’attention de la section centrale, sur la proposition de l’honorable député de Dinant. Je vois maintenant, et surtout après le discours de l’honorable préopinant, qu’il est plus indispensable que jamais que tout au moins la loi d’exécution que nous discutons en ce moment renferme le crédit reconnu nécessaire pour l’achèvement des chemins de fer décrétés par la loi du 1er mars 1834 et celle du 26 mai 1837. L’on perd de vue, messieurs, la nature de la loi qui nous est soumise ; elle n’est qu’une loi d’exécution de deux lois antérieures. La loi du 1er mai 1834, en décrétant le chemin de fer, dit dans son article 3 :

« Les dépenses de cette exécution seront couvertes au moyen d’un emprunt qui sera ultérieurement réglé par une loi.

« En attendant la négociation de l’emprunt, il est ouvert un crédit de 10 millions, etc. »

La loi de 1837 disait, dans son article 3, à peu près la même chose :

« Il sera pourvu à cette dépense par les moyens qui ont été ou qui seront mis à la disposition du gouvernement pour l’exécution de la loi du 1er mai 1834. »

Eh bien, messieurs, quels étaient ces moyens ? C’était un emprunt et provisoirement des bons du trésor. Des bons du trésor ont été émis, des emprunts ont été négociés, mais ces emprunts ont été insuffisants ; il faut donc, aux termes de la loi du 26 mai 1837, que vous recouriez aux moyens qu’elle indique pour couvrir des dépenses que vous avez adoptées en principe. Si vous voulez l’exécution complète de vos propres lois, de votre propre ouvrage, il faut que, par l’emprunt nouveau que l’on demande, vous couvriez des dépenses reconnues par vous comme nécessaires, et comme parfaitement établies. Nous n’avons pas eu, messieurs, à discuter le bien-fondé des évaluations présentées par les ingénieurs et par mon honorable prédécesseur, nous n’avons pas été conduit à cette discussion parce que la section centrale qui a examiné le projet avec maturité a reconnu elle-même que ces évaluations n’étaient ni exagérées ni erronées, et qu’elle les accepte comme parfaitement exactes.

D’après le discours de l’honorable préopinant, l’exécution du chemin de fer se trouverait singulièrement compromise à le prendre dans son entier. Selon moi, avec les 21 millions non encore engagés sur les 40 qu’il propose de nous accorder, on pourrait achever toutes les lignes incomplètement, à la vérité on pourrait achever toutes les stations, incomplètement, c’est vrai encore, mais enfin, on pourrait tant bien que mal les achever toutes. C’est là une assertion ; je ne veux point la contester, mais je suis loin aussi de l’admettre ; pour entrer dans une discussion à cet égard, il faudrait faire et refaire des calculs auxquels je ne me suis pas livré et auxquels l’honorable préopinant s’est encore moins livré que moi.

M. Dumortier – Les tableaux sont là.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Les tableau supposent une dépense d’au-delà de 10 millions pour certains travaux de parachèvement, ce sont ces travaux que l’honorable préopinant voudrait voir ajourner, et dont la plus grande partie forme ce qu’il y a de plus urgent pour la bonne exploitation du chemin de fer.

Vous avez, messieurs, engagé déjà des capitaux considérables pour l’établissement du railway ; quelques-uns d’entre vous se plaignent de ce que ce railway ne rend pas au pays tout ce qu’il coûte, tout ce qu’en attendait le gouvernement ; eh bien, en vous demandant les moyens de parachever le chemin de fer, nous vous demandons en même temps les moyens de rendre le chemin de fer plus productif ; c’est en quelque sorte la dernière main mise à l’œuvre ; c’est la machine ajoutée à la fabrique, c’est la roue ajoutée à la voiture ; si vous engagez des capitaux dans une fabrique sans y ajouter la machine, si vous engagez des capitaux dans une voiture sans y ajouter la roue, je dis que vous faites une très mauvaise spéculation et qui mieux vaudrait ne rien faire du tout que de laisser ainsi dormir des capitaux improductifs.

Eh bien, messieurs, nous en sommes là : dans beaucoup de stations des constructions sont insuffisantes ; sur plusieurs lignes une seule voie est insuffisante ; il faut songer à l’avenir ; il ne faut pas qu’ici à deux ans, quand toute l’Allemagne, quand toute la France, quand une partie de l’Europe affluera sur notre railway, nous soyons pris au dépourvu ; il faut qu’alors nous ayons place pour recevoir cette quantité immense de voyageurs qui parcourront la Belgique.

La plus simple prévoyance exige donc que les travaux de parachèvement viennent en première ligne ou du moins sur la même ligne que les travaux de nouvelles sections qui ne peuvent rapporter que dans deux à trois ans au plus tôt. Quant à moi, pour être conciliant, je mettrais tous ces travaux sur la même ligne, mais je considérerais comme une très mauvaise spéculation, au point de vue financier du chemin de fer, d’ajourner les travaux de parachèvement, qui doivent mettre le chemin de fer à même de produire plus qu’il n’a produit jusqu’ici.

A cette occasion, messieurs, on a fait allusion aux sacrifices énormes que certaines villes se sont imposées pour attirer les stations du chemin de fer dans leur sein. Je n’ai point eu à stipuler avec ces villes ; j’ignore si elles se sont imposé des sacrifices en dehors de leurs ressources courantes, mais je suis bien aise qu’on ait fait publiquement allusion à une ville qui déjà, je crois, dans les sections, avait été soupçonnée de vouloir attirer chez elle une station sans concourir en aucune manière aux frais d’établissement de cette station.

Le chemin de fer décrété par la loi du 1er mai 1834, avait pour but de relier l’Escaut au Rhin ; ce but n’est pas encore atteint. A l’heure où nous sommes, le chemin de fer destiné à relier l’Escaut au Rhin est encore expirant au glacis de la ville d’Anvers. Il était dans les devoirs du gouvernement de conduire le chemin de fer à sa source, de l’amener de l’Escaut, et il eût été souverainement injuste d’exiger de la ville d’Anvers qu’elle contribuât dans des travaux que la loi met à la charge de l’Etat.

La ville d’Anvers, entraînée par l’engouement de certaines autres localités en faveur des stations intérieures a fait à plusieurs reprises des engagements avec le gouvernement, pour obtenir intra muros une station destinée aux voyageurs. On a dit que cette ville n’avait voulu s’imposer aucun sacrifice. Eh bien, dans le but d’obtenir cette station, elle avait fait un sacrifice d’un million, sacrifice tellement élevé, que la députation du conseil provincial eût probablement incliné à ne pas y donner son approbation, si une suite avait été donnée à la convention.

Dans cet état de choses, la station des voyageurs au sein d’Anvers a été ajournée. Mais force a été au gouvernement de pousser le chemin de fer jusqu’à l’Escaut, ainsi que la loi du 1er mai 1834 lui en imposait l’obligation.

Maintenant, en conduisant le chemin de fer jusqu’aux bassins d’Anvers, le gouvernement fait une grande économie ; car, quoiqu’en stricte justice, la ville d’Anvers ne dût contribuer en rien dans l’exécution de cet achèvement, je suis convaincu que le concours de cette ville, avec laquelle des négociations sont ouvertes, sera égal au moins à celui d’aucune des localités qu’on a citées.

Une considération particulière, celle même qui a engagé mon honorable prédécesseur à proposer dès maintenant les dépenses de parachèvement de certaines lignes et stations, est tirée des prix auxquels se trouvent les fers qui entrent dans les dépenses du railway. On a pensé qu’il était prudent de s’approvisionner de fer dans un moment où ces fers peuvent être achetés à des prix très avantageux.

J’en reviens à la question d’emprunt. Voici comment la section centrale l’explique dans son rapport :

« La législature a donc voulu et à dû vouloir, selon nous, que les ressources ordinaires de l’Etat ne fussent pas diverties de leur affectation véritable, pour être appliquées à des entreprises aussi grandioses ; c’est par l’emprunt, et par l’emprunt seul, qu’il était possible de faire face à des dépenses de cette nature : force est donc pour nous de le subir encore une fois : mais que ce soit la dernière ; tel est le vœu de l’unanimité des membres de la section centrale. »

Ainsi les dépenses de cette nature doivent être couvertes par l’emprunt et par l’emprunt seul. Comment dès lors veut-on nous renvoyer à d’autres ressources extraordinaires pour couvrir ces dépenses ? Vous reconnaissez que ces dépenses rentrent dans le domaine exclusif de l’emprunt, vous avouez que ces dépenses sont parfaitement bien établies ; l’on vous demande l’emprunt nécessaire pour le couvrir, et cependant de cet emprunt vous ne voulez accorder que 40 millions, alors que vous reconnaissiez que 54 millions et plus sont indispensables.

Messieurs, cette manière de procéder a, suivant moi, plusieurs inconvénients. Je les ai signalés, je n’y insisterai pas. Mais les inconvénients du projet de loi, en ce qui concerne l’insuffisance de crédit, ne sont pas les seuls, et j’en trouve un autre non moins grave dans le mode que l’on propose.

Je ne crois pas sortir de mon domaine, en abordant pour quelques instants cette discussion , attendu que comme la plus forte part de l’emprunt est destinée aux travaux publics, il importe beaucoup à mon département que cet emprunt se fasse aux meilleures conditions possibles.

Eh bien je ne puis m’empêcher de considérer comme très vicieux et très désavantageux le mode d’emprunt auquel la section centrale a cru devoir se rallier.

La section centrale veut imposer au gouvernement l’emprunt par voie de publicité et de concurrence, c’est-à-dire qu’à l’imitation de ce qui se fait pour certains travaux publics, la section centrale voudrait que le gouvernement appelât à lui un certain nombre d’adjudicataires dont chacun présenterait sa soumission, le gouvernement se réservant sans doute d’accorder la préférence au soumissionnaire le plus bas et qui offrirait le plus de garantie ; en un mot, la section centrale voudrait qu’on procédât dans l’adjudication de l’emprunt comme on procède dans l’adjudication des routes.

Je crois que c’est aller beaucoup trop loin que de vouloir procéder en matière d’emprunts, et surtout d’emprunts aussi considérables, comme on procède en matière de travaux publics. En matière de travaux publics, les sommes résultant de l’adjudication ne s’élèvent jamais qu’à deux ou trois millions au plus pour la Belgique, ce sont là d’ordinaire des adjudications considérables. Admettez qu’il puisse y en avoir de 7, 8 ou 10 millions, et alors vous courrez grand risque de rencontrer très peu d’adjudicataires ; que serait-ce, si vous faisiez un appel aux capitalistes de la Belgique, non pour une dépense de 7, 8 ou 10 millions, mais pour une dépense de 90 millions, ou même de 65 millions, pour me renfermer dans les limites de la section centrale ? Je crois que vous pourriez vous exposer à un échec complet ou que vous courriez le risque d’une coalition pire peut-être que l’absence de toute adjudication.

Pensez-vous, messieurs, qu’il y ait, je ne dirai pas en Belgique, mais en Europe, beaucoup de capitalistes à même de garantir à la Belgique le paiement de 65 à 70 millions ? L’on en cite un qui a l’habitude de figurer dans les emprunts ; il est possible que celui-là se présente, si toutefois il ne jugeait pas un tel mode d’intervention indigne de lui. Mais supposons que ce capitaliste se présente, quelle sera la concurrence ? Vous aurez un soumissionnaire ; mais la concurrence, je la cherche en vain. Direz-vous, que d’autres capitalistes moins considérables se réuniront pour faire concurrence à ce capitaliste colossal, eh bien, savez-vous ce qui pourra arriver ? ou ce capitaliste colossal absorbera les concurrents, ou bien ceux-ci seront forcés par l’insuffisance même de leurs ressources, de faire des conditions telles que le gouvernement ne les accepterait pas.

En un mot, il pourra arriver en Belgique ce qui est arriver dans un pays beaucoup plus puissant. Sous le ministère de l’illustre Casimir Périer, ce mode fut mis en avant en 1831 ; si je ne me trompe, l’on procéda par voie de concurrence et de publicité ; combien de concurrents se présentèrent-ils ? Deux ; le puissant capitaliste auquel je viens de faire allusion, et l’autre, une association de capitalistes moins considérables. Mais ni l’un ni l’autre des adjudicataires ne soumissionna au minimum fixé par le gouvernement, et l’emprunt ne peut avoir lieu, quelques jours après, le gouvernement fut obligé de livrer l’emprunt de la main à la main. On a cependant, dans le rapport de la section centrale, fait allusion à la loi qui avait décrété cet emprunt.

L’on dit que cette manière de procéder existe en Angleterre ; je le veux bien, mais l’Angleterre renferme de grands capitalistes ; l’Angleterre a des habitudes, des richesses que nous n’avons pas. En Hollande, pays où l’on a beaucoup emprunté, le mode d’emprunt par voie de concurrence et publicité n’est pas usité. Si je ne me trompe, la Hollande a, une seule fois et dans une circonstance récente, fait un essai d’emprunt par voie de publicité et de concurrence ; c’était pour la construction du chemin de fer d’Arnheim. Eh bien, ce mode n’a pas réussi, et la Hollande a été obligée de recourir à un autre.

Je ne veux pas dire que le mode d’emprunt par concurrence et publicité soit en tous cas mauvaise ; je ne la considère comme mauvaise qu’autant que vous l’imposeriez. Je crois que si vous voulez que le gouvernement emprunte à des conditions favorables, vous devez lui laisser les mains libres. Un emprunteur a déjà beaucoup à faire vis-à-vis du prêteur. Si vous allez dès l’abord faire connaître au prêteur les conditions dans lesquelles l’emprunteur devra se renfermer, ne voyez-vous pas que vous faites la part bien belle au prêteur, que vous empêchez le gouvernement de rechercher les combinaisons, d’employer tous les expédients auxquels il n’est pas de particulier qui n’ait recours quand il a un emprunt à faire.

Je dis qu’il serait dangereux pour l’emprunt même de ne pas laisser toute latitude au gouvernement entre les trois modes usités ; l’emprunt de la main à la main, par souscription, et enfin par voie de concurrence et de publicité. L’un et l’autre de ces modes peuvent avoir de bons côtés, mais leur mauvais côté serait d’être imposé par la loi au gouvernement.

Messieurs, bien que la section centrale ait reconnu le chiffre de 54 millions comme de tout point admissible, et même insuffisant, on ne peut se dissimuler que ce chiffre doit encore paraître très considérable, alors surtout qu’on le rapproche des dépenses déjà faites pour le chemin de fer. Ces dépenses, en effet, si les calculs sont exacts, s’élèveront, il faut bien le dire, pour l’achèvement complet de tous nos railways, jusqu’à concurrence de 125 millions de francs. C’est certainement là beaucoup d’argent, c’est certainement là une grosse somme pour un petit pays comme la Belgique. Mais remarquez qu’il s’agit ici d’une dépense qui ne se renouvelle pas tous les ans, comme beaucoup d’autres destinées à des services publics et qui a pour but de fonder une institution d’une utilité sans pareille dans le pays. L’armée, messieurs, est une institution qui coûte énormément au pays.

L’instruction publique, la douane et toutes ces administrations entraînent le pays dans des dépenses très considérables. La plupart de ces institutions coûtent même autant que le chemin de fer. Elles ont leur utilité ; à Dieu ne plaise que je la conteste. Je ne pense pas que personne soit disposé à la nier et encore moins à prouver son inutilité.

En Angleterre, où l’on apprécie à un haut degré l’utilité de ce genre d’institution, les capitaux qui y sont engagés ne sont pas de 125 millions, mais de 1,300 millions destinés à couvrir les dépenses d’environ 720 lieues de chemin de fer, soit 2 millions par lieue. En Belgique, si pour nos 125 millions nous avons 110 à 120 lieues de chemin de fer, ces routes nous auront coûté un million par lieue, c’est-à-dire la moitié de ce qu’elles ont coûté en Angleterre.

Les chemins de fer coûtent en Angleterre le double de ce qu’ils coûtent en Belgique, il n’est pas étonnant que les tarifs y soient aussi du double plus élevés que les tarifs de Belgique. Il y a une autre raison encore qui fait que les tarifs sont plus élevés en Angleterre qu’en Belgique. C’est que les chemins de fer y sont exploités par l’intérêt privé. En Belgique, au contraire, les chemins de fer sont exploités à un point de vue plus élevé, par l’intérêt général et pour l’intérêt général.

Que serait-il arrivé si en Belgique l’intérêt privé avait été chargé d’exécuter la ligne de chemin de fer ? L’intérêt privé se serait emparé des bonnes parties du pays, aurait exécuté, par exemple, la ligne de Bruxelles à Anvers, de Gand à Lille et peut-être quelque autre ligne productive, mais il aurait laissé en arrière les lignes présentant un médiocre revenu, et ne se serait jamais occupé des lignes qu’on peut appeler mauvaises.

Que fait l’intérêt général représenté par le gouvernement ? Il vient au secours de toutes les lignes, la prospérité de l’une supplée à l’insuffisance de l’autre, et consulte tous les intérêts ; il veut être utile à tous et partout.

M. Milcamps – Je demande la parole.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – L’intérêt public cherche à apporter bon marché dans les frais de transport, sécurité, rapidité et régularité dans le service ; l’intérêt privé procède bien autrement. Du moment qu’il a rempli les caisses, que lui importent la sécurité, la commodité des voyageurs ? S’il a le monopole, s’il s’enrichit, peu lui importent les intérêts généraux du pays. Enfin, l’intérêt privé profite seul des revenus de la chose qu’il exploite ; l’Etat, représentant l’intérêt public, fait tourner au profit de tous les revenus de la chose qu’il exploite.

C’est ici que j’aborderai la question du revenu du chemin de fer. Je sais qu’on a fortement contesté la productivité du chemin de fer. Après avoir nié, exagéré ses produits possibles, quelques-uns en sont venus à dire que le chemin de fer était ruineux pour le pays, que c’était une très mauvaise entreprise financière. Tout en faisant de pareilles plaintes à la charge du chemin de fer, je ne sache pas que quelqu’un ait oser parler de fermer cette plaie, de supprimer ce chancre, de vendre cette propriété onéreuse ; je crois que celui qui ferait cette proposition jouerait un côté passablement ridicule ou dangereux.

Messieurs, je ne me fais pas d’illusions sur les produits financiers des chemins de fer, je ne veux pas que la chambre s’en fasse.

J’ai toujours pensé, et je déclare que le chemin de fer, entre les mains de l’Etat, n’est pas une entreprise financière ; que son but suprême et définitif n’est pas de faire entrer le plus d’argent possible dans le trésor, mais de rapporter le plus d’utilité possible au pays.

Mais négligeons tous les avantages indirects que présente le chemin de fer, au point de vue de l’intérêt général, nous nous lançons pas dans le champ immense, inépuisable des hypothèses favorables à cette institution, examinons le chemin de fer au point de vue purement financier, purement mercantile. Le chemin de fer est-il onéreux au trésor ? Se suffit-il oui ou non à lui-même ? Comparons les recettes et les dépenses.

En 1839 treize sections ont été livrées à l’exploitation, trois dans un trimestre et les dix autres pendant l’année.

Les dix sections ont coûté, établissement des stations et matériel compris 45,318,000 francs.

Les trois sections ont coûté 4,223,000 francs.

Les treize sections ensemble : 49,541,000 francs.

Les recettes pendant le même exercice se sont élevées à 4,259,000 francs.

Les frais d’exploitation se sont élevés à 3,050,000 francs.

Différence en plus : fr. 1,200,000.

En rapprochant ces 1,200,000 francs des sommes engagées dans les sections exploitées pendant l’année et les trois sections exploitées pendant un trimestre, nous trouvons 2 2/3 p.c. destinés à couvrir les intérêts du capital engagé. Cela sans doute ne suffit pas. Pour que le chemin de fer se suffise entièrement à lui-même, pour qu’il fasse plus que les routes en pierre qui elles-mêmes ne se suffisent pas, il faudrait qu’il rapportât au moins 5 p.c., toute dépense d’exploitation payée.

Eh bien, messieurs, je ne suis pas sans espoir d’arriver à ce résultat. Si nous nous reportons à l’exercice 1840, bien que je n’aie pas un résultat complet à vous offrir, je puis déjà vous démontrer que les produits du chemin de fer sont de nature à aller toujours croissant, alors que les dépenses d’exploitation, toute proportion gardée, iront en diminuant.

Pendant les quatre premiers mois de 1839, le chemin de fer n’avait rapporté que 800,000 francs, je néglige les centaines ; pendant les quatre premiers mois de 1840 il a rapporté 1,328,000 francs. L’augmentation pour ces quatre mois de 1840 sur 1839 est donc d’environ la moitié, soit 428,000 francs, et cependant la longueur exploitée en 1840 n’est d’environ que d’un cinquième de plus étendue que celle exploitée en 1839. Ainsi, augmentation du double dans les produits, tandis que l’augmentation des lignes en exploitation n’était que d’un cinquième.

Mais les frais d’exploitation ont augmenté en proportion de l’augmentation des produits. Eh bien ! ce résultat qui paraît assez rationnel au premier abord n’est cependant pas réel. Les dépenses d’exploitation de treize sections pendant les quatre premiers mois de 1840 ont été de 860,000 francs, c’est-à-dire de 66,000 francs par section ; tandis que pendant les quatre premiers mois de 1839, l’exploitation de dix sections ne comprenant qu’un transport de marchandises fort restreint a donné lieu à une dépenses de 818,000 ou de 82,000 francs par section, ce qui fait une économie de 16,000 francs par section.

Ainsi augmentation de recettes de moitié, diminution de dépense d’un cinquième.

Je dois faire connaître la source d’une pareille augmentation. On la trouve surtout dans l’accroissement du transport des marchandises. L’augmentation des recettes pour voyageurs a été de 20 p.c. égal à peu près à l’extension donnée au chemin de fer. L’augmentation des recettes pour marchandises a été bien autrement considérable. Les recettes pour transport de marchandises n’ont été pour les quatre premiers mois de 1839 que de 34,000 francs.

Elles ont été pour les quatre premiers mois de 1840 de 287,00, c’est-à-dire de 739 p.c. de plus qu’en 1839.

Craint-on que ce mouvement ascensionnel ne s’arrête ? A cet égard pour connaître l’avenir, interrogeons l’expérience du passé. Le bureau de Bruxelles pendant les huit premiers mois de l’exploitation de la première section n’avait rien reçu que 136,000 francs. Il reçut au même titre :

En 1836, 367,000 francs

En 1837, 473,000 francs

En 1838, 847,000 francs

En 1839, 959,000 francs

Le bureau d’Anvers, qui n’avait produit en 1836 (8 mois) que 279,000 a produit :

En 1837, 373,000 francs

En 1838, 455,000 francs

En 1839, 505,000 francs.

Le bureau de Gand a produit :

En 1837 (3 mois), 74,000 francs

En 1838, 380,000 francs

En 1839, 494,000 francs.

Croit-on que ce mouvement ascensionnel s’arrête quand notre chemin de fer sera achevé ; quand il touchera à Valenciennes, à Lille, à Cologne, à Verviers, à Mons ? Qui oserait assigner alors une limite au nombre des voyageurs ? Je ne le ferai pas ; je craindrais de tomber dans la même errer qu’en 1834, alors que je présentai sur les revenus probables du chemin de fer des évaluations devenus ridicules aujourd’hui, par leur modération.

Ce mouvement ascensionnel qui s’est manifesté pour les voyageurs se manifestera indubitablement aussi pour les marchandises. La marchandise suit le voyageur ; la chose suit la personne ; c’est une règle invariable dans ses résultats. Les quatre premiers mois de 1839, n’ont produit que 34,000 francs, et que les quatre premiers mois de 1840, ont produit 287,000 francs ; et cependant le transport des marchandises n’est encore, pour ainsi dire, qu’à l’état d’enfance incomplet, timide et tout à fait insuffisant. En prenant pour base ces quatre mois, on trouve que le transport des marchandises devait produire cette année 861,000 francs ; cependant, je ne crains pas de promettre que le transport des marchandises d’ici à un an produira au moins 1,200,000 francs, et je suis d’autant plus en droit de faire cette promesse que j’ai entre les mains la proposition d’un particulier qui offre de prendre le transport des marchandises sur le chemin de fer pendant douze mois pour 1,200,000 francs.

Nous n’avons pas encore chez nous l’expérience que nos voisins ont acquise quant au transport des marchandises ; j’ai dit que leur mouvement ascensionnel suit toujours l’augmentation des voyageurs. Prenons pour exemple le transport des voyageurs et des marchandises en Angleterre sur le chemin de fer de Liverpool à Manchester, chemin de fer en concurrence avec trois canaux. Voici ce que nous voyons :

Année 1834 :

Produit du transport des voyageurs : 110,000 liv. st.

Produit du transport des marchandises et du charbon : 88,000 liv. st.

Année 1835 :

Produit du transport des voyageurs : 120,000 liv. st.

Produit du transport des marchandises et du charbon : 97,000 liv. st.

Année 1836 :

Produit du transport des voyageurs : 147,000 liv. st.

Produit du transport des marchandises et du charbon : 114,000 liv. st.

Et remarquez que, sur le chemin de fer de Liverpool à Manchester, cette augmentation n’a eu lieu que par mouvement naturel, résultat de l’extension des affaires, tandis que chez nous, indépendamment de ce mouvement ascensionnel, il y a encore le mouvement extensionnel, si je puis m’exprimer ainsi, provenant de la mise en exploitation successive de nouvelles sections du chemin de fer. Le chemin de fer de Liverpool à Manchester n’a pas cette dernière ressource. Je sais qu’on dira que Liverpool et Manchester sont deux cités riches, puissantes, très peuplées, mas d’un autre côté est-ce peu de chose que de réunir à quelques temps l’un de l’autre des villes comme Bruxelles, Gand, Anvers, Lille, Liége, Cologne ? N’est-ce rien que les Flandres et les districts de Charleroy, de Mons, de Verviers, de Namur ? Connaît-on quelque part en Europe dans le monde une pareille agglomération de richesses industrielles, commerciales et agricoles ?

J’ai dit dans une autre circonstance que le chemin de fer, au point de vue du transport des marchandises n’avait pas rapporté encore ce qu’on était en droit d’en attendre. Je donnerai toute mon attention à cette partie de mon administration et j’ose promettre à la chambre que, sous ce rapport, le chemin de fer sera une source considérable de revenus.

Je me suis étendu un peu longuement sur les revenus financiers proprement dits du chemin de fer ; je ne sais s’il est nécessaire de faire ressortir encore les revenus indirects du chemin de fer, les résultats moraux et politiques. Ces résultats ont été contestés par un représentant à la justesse de l’esprit duquel je suis habitué à rendre hommage. Il me sera donc permis de défendre le chemin de fer sous ce dernier point de vue.

Il résulte du rapport si complet présenté par mon honorable prédécesseur, le 12 novembre dernier, que les voyageurs ont obtenu sur le chemin de fer une vitesse trois ou quatre fois supérieure à celle qu’ils obtenaient sur les routes ordinaires, et qu’il y a eu pour eux une économie de 33 p.c. sur le prix qu’ils auraient payé en prenant les messageries.

Je ne parle pas de l’économie du temps, chose si précieuse en tous pays, mais particulièrement dans un pays laborieux et économe à tous égards comme le nôtre.

Enfin (je ne vois pas pourquoi je ne le dirais pas) ne pouvons-nous pas citer au nombre des produits indirects du chemin de fer, l’agrément, la distraction, l’instruction qu’il procure aux habitants ? Rappelez-vous ce qu’il se passait il y a huit ou dix ans. Moi-même, et je me citerai comme exemple je sais qu’il y a dix ans, Ostende était pour moi un pays parfaitement inconnu. Je crois que beaucoup de collègues qui habitaient à la même distance de cette ville ne la connaissaient pas davantage. Il en était de même de Gand et d’Anvers, villes qui pour la plupart des populations étaient aussi inconnues, aussi inaccessibles, que le sont aujourd’hui les Etats-Unis et le Brésil. Je ne parle pas du petit nombre de personnes qui voyageaient en poste ou bien pour leurs affaires ; mais de ceux qui voyageaient pour leur plaisir, et de ceux à qui leurs affaires et leur possession de fortune ne permettaient ni de trouver le temps, ni de faire la dépense qu’exige les voyages par les messageries.

Eh bien, par le chemin de fer, tous les habitants pour ainsi dire ont été mis à même de connaître le pays. Aujourd’hui encore, malgré cette voie économique et rapide de communication, on est frappé du petit nombre de relations qui existent entre les provinces wallonnes et flamandes. Ainsi, dans ce nombre considérable de voyageurs qui se rendent de Liége à Malines, la plupart se dirigent vers Bruxelles et Anvers mais surtout vers Bruxelles ; il n’y en a qu’un très petit nombre qui se dirigent sur Gand. Si les relations entre Gand et Liége sont peu nombreuses alors qu’il y a un chemin de fer ; qu’étaient-elles alors qu’il n’y en avait pas ? Le chemin de fer apprendra aux Belges à se connaître les uns les autres.

Il est très utile que les habitants des provinces wallonnes aillent visiter leurs frères des provinces flamandes, très utile pour que les Flamands viennent serrer les mains des Wallons ; très utile que les populations manufacturières aillent visiter les populations consacrées à l’agriculture ; très utiles pour que les habitants de nos cités industrielles aillent visiter nos ports de mer, Ostende et Anvers et réciproquement. Pour l’Etat, il y a dans le chemin de fer des avantages matériels d’une portée immense. Par le chemin de fer, l’Etat a à sa disposition, tous les jours, dans toutes les directions, une force égale à celle d’environ mille chevaux, allant non pas au trot ordinaire, mais voyageant dans toutes les directions. Eh bien, ces mille chevaux, le gouvernement peut les employer dans mille circonstances : il peut les employer surtout pour le transport de ses troupes, pour le transport du matériel de l’administration de l’armée, pour le transport des lettres.

Et ce n’est pas peu de chose que les frais de transport des lettres en Belgique. Ajoutons que le nombre des lettres transportées doit s’augmenter proportionnellement à l’augmentation du nombre des voyageurs, et à la quantité des marchandises. La seule ligne de Birmingham à Londres, a donné en 1838, à la société anglaise, en port de lettres, un rapport égal à 410,000 francs. Je demande, messieurs, d’après cet exemple, ce que la Belgique peut attendre du transport des lettres lorsqu’elle deviendra le pays de transit entre les Etats-Unis, l’Angleterre, la France, l’Allemane, l’Europe en général.

En présence de pareilles considérations, il est permis d’avoir confiance dans l’avenir du chemin de fer, dans son efficacité pour la prospérité du pays : il faudrait vraiment, messieurs, désespérer de ceux qui en désespèrent ; nous ne sommes pas de ce nombre ; nous avons, nous, grande espérance dans le chemin de fer ; nous y avons pleine confiance. Vous ne voudrez pas, par une réserve dont vous appréciez maintenant la portée, entraver, arrêter l’élan imprimé à nos railways. Le chemin de fer a donné des ailes à la Belgique, vous ne couperez pas ces ailes ; vous fournirez au gouvernement les moyens d’arriver le plus promptement possible à mettre le pays en jouissance de ce qui fait l’objet de ses vœux les plus importants. Vous ne voudrez pas surtout qu’il soit réservé à une autre législature l’honneur de faire ce qu’on vous demande aujourd’hui.

M. Desmet – En lisant l’exposé des motifs joint au projet de loi qui est en discussion et le rapport de la section centrale sur ce même projet, je me suis dit que les rôles se trouvaient changés. Ordinairement le gouvernement a soin d’adoucir les couleurs de la situation financière du pays et de les rendre aussi satisfaisantes que possible ; aujourd’hui il ne le fait pas ainsi, il a rembruni tellement la position actuelle de nos finances, qu’elle devrait nous paraître désespérante ; la section centrale qui est l’organe de la chambre a, comme je viens de le dire, pris le rôle du gouvernement, elle a donné un tableau plus satisfaisant de nos finances et a fait pour ainsi dire la contrepartie du gouvernement en donnant quelque rassurance au pays. Je n’en dirai pas plus sur ces deux documents, mais je ne puis comprendre que, quand on est à la veille d’un emprunt aussi lourd que celui qu’on vous demande, on vienne vous faire un exposé si défavorable à l’état financier de la Belgique.

Quoi qu’il en puisse être, il sera un fait toujours constant que les divers emprunts que nous aurons contractés depuis le peu d’années que nous existons, auront produit une rente à charge de notre trésor d’au moins 22 millions. Je vois de plus qu’il y a un excédant de nos dépenses sur nos recettes, d’environ 20 millions, et qu’il y a une insuffisance de 8 millions de nos recettes ordinaires sur nos dépenses ; de sorte que nous devrons encore augmenter les voies et moyens ordinaires si nous voulons trouver les moyens de couvrir le chiffre de nos budgets des dépenses. Et, messieurs, veuillez le remarquer, toutes ces dépenses, tous ces emprunts, se font sans que vous connaissiez exactement la situation de vos finances, car jusqu’à cette heure vous n’avez encore liquidé ni vos dépenses, ni vos recettes, et aucun compte n’est encore arrêté. Vous dépensez toujours, vous empruntez toujours, et vous ne savez où vous êtes ni où vous allez. Pour répondre à ce fait, on vous a dit que la Hollande avait une dette de 50 millions, que la France en avait une d’autant, l’Angleterre une d’autant, etc. ; mais je ne parlerai que de la Hollande.

La dette de la Hollande ne date pas de quelques années ; elle date de l’entrée des Français dans ce royaume ; c’est par suite d’impôts forcés qu’elle a été créée ; vous savez comment elle a été réhabilitée ; toujours est-il que la Hollande n’a jamais fait autant de dettes que la Belgique en a fait depuis huit ou dix ans. Une chose surtout à considérer, comme je viens de le faire remarquer, c’est que toutes nos dettes et toutes nos dépenses se font dans que nous sachions comment ; nous ne connaissons pas la situation financière de l’Etat ; cependant on travaille toujours, on dépense toujours.

La grande dépense qui occasionne ces dettes est véritablement le chemin de fer ; c’est au chemin de fer qu’on doit cette énormité de dépenses. Il doit, dit-on, coûter 125 millions, ce qui est assez fort pour la petite Belgique ; mais quand on voit l’exposé complet des dépenses des travaux nécessaires, on y trouve qu’il coûtera 141 millions ; c’est assez étonnant que dans l’espace de 15 jours il y ait une telle variation dans les données du gouvernement ; quant à moi, je présume qu’il coûtera jusqu’à 150 millions ; n’est-ce pas trop fort pour notre petit pays ? et je crains fort que je ne me tromperai pas.

Non seulement vous aurez mis dans le chemin de fer un tel capital, mais il ne faut pas oublier de prendre en considération les dépenses annuelles qu’il occasionnera. Tout à l’heure on vient de dire qu’il allait produire deux et demi pour cent ; mais quand je consulte l’exposé, je trouve qu’il y a un déficit de 5 millions dans l’espace de 5 ans, depuis 1835 jusqu’au 1er mars de cette année, c’est-à-dire un déficit de 1 million par année.

Si les dépenses de restauration surpassent ainsi tous les ans les revenus, on peut comprendre où le chemin de fer conduira le pays.

Il ne s’agit pas seulement de calculer ce que coûtera le chemin de fer pour son premier établissement ; il faut encore calculer ce qu’il coûtera pour sa restauration annuelle. Il y a quatre ou cinq ans qu’il est en construction, et déjà on a été obligé de renouveler les traverses en bois : on a voulu faire croire que le bois blanc, que le peuplier du Canada, était aussi bon que le chêne ; mais l’expérience a prouvé le contraire. S’il y a un travail public qui exige beaucoup de travaux annuels, c’est par-dessus tout le chemin de fer ; il n’y a pas d’instants dans la journée où il ne coûte ; et au lieu d’avoir deux et demi p.c., il pourra bien vous arriver que vous aurez un million en déficit.

Mais, dit-on, plus il y aura de sections, plus le chemin de fer rapportera ; mais l’expérience, prouvant que les recettes ne sont pas en rapport avec les dépenses, ainsi plus on étendra les sections, et plus on étendra les pertes.

Toutefois, on espère beaucoup du chemin pour le transport des marchandises ; à cet égard-là, je ne partage pas les espérances conçues. J’ai entendu dire, par un négociant d’Anvers, que le chemin de fer vers l’Allemagne était absolument manqué ; que le tarif était trop élevé, que si l’on voulait lutter contre la navigation hollandaise, on devait diminuer le tarif du chemin de fer.

On dit encore que l’on n’a pas calculé les revenus indirects du chemin de fer ou ses avantages ? mais quels sont ces avantages ? On répond que ce sont les facilités offertes aux voyageurs ; eh bien, je dirai que, pour la généralité des voyageurs, les déplacements sont plus coûteux qu’auparavant ; je pouvais aller à Gand pour 4 francs ; maintenant il m’en coûte 8 et 10 francs. Qu’à ce sujet on consulte la généralité du pays, on apprendra combien les moyens de transport sont en souffrance. Avant l’existence du monopole gouvernemental du chemin de fer, on voyait nos routes couvertes de voitures publiques ; on avait toutes les heures de la journée la facilité de se mettre en route, enfin on jouissait en grand de l’avantage des messageries ; aujourd’hui, tout cela est anéanti, il y a des routes, et le nombre en est très grand, qui n’ont plus aucune voiture publique. Si vous voulez vous mettre en route, vous devez à grands frais et à une grande distance vous rendre à une station du chemin de fer.

On a parlé aussi des agréments du chemin de fer ; certainement sous le rapport de la vitesse il y a un agrément, mais il y en avait un plus grand lorsqu’il y avait des voitures sur toutes les routes et qu’on l’on pouvait se transporter à toute heure du jour partout où l’on voulait.

Messieurs, l’honorable M. Milcamps a mieux développé que moi ce qu’il y a de peu fondé dans les avantages que l’on attribue au chemin de fer, et l’on n’a répondu à cet honorable membre qu’en lui adressant un reproche que je qualifie, moi, de personnalité, on est allé jusqu’à lui dire qu’il ne remplissait pas bien son mandat, qu’il ne se conduisait pas comme député de la nation. Voici, messieurs, deux passages du discours de l’honorable membre auquel personne n’a répondu :

« Je concède à MM. les ministres que les chemins de fer sont destinés à relier l’Escaut et les ports d’Anvers et d’Ostende au Rhin. C’est là un fait qu’on ne peut nier.

« Mais quand ils nous disent que ces communications doivent nous assurer le commerce de transit avec l’Allemagne, non pas de ce transit qui consiste dans le simple passage instantané, par notre pays, de marchandises étrangères, mais de ce transit qui doit créer dans nos ports un vaste mouvement commercial, et nous mettre en relation avec les lieux de provenance, de marchandises et denrées qui constituent le commerce actuel, je réponds qu’ils se trompent.

« Voyez où nous en sommes ; selon vous vos nombreux chemins de fer sont destinés à rapprocher les hommes, à les civiliser, et vous y consacrez des millions.

« Eh bien ! il y a encore un autre et puissant moyen de civilisation indiqué par les économistes ; l’honorable M. de Foere ne cesse de vous le rappeler.

« C’est le commerce d’exportation.

« Le véritable commerce d’un pays, tel que la Belgique, couvert de nombreuses fabriques en tout genre, est celui d’échange.

« C’est ce commerce qui, indépendamment des richesses qu’il présente, déplace les hommes, les développe et les civilise.

« Politiquement parlant, l’exportation, en créant la marine marchande, aide au progrès de la marine militaire, et la marine militaire est le premier élément de la force politique des nations.

« Cette théorie n’est-elle pas aussi belle que celle de vos chemins de fer ? Pourquoi ne la mettriez-vous pas également en pratique ? Pourquoi, après ces travaux gigantesques de chemins de fer, n’encouragerez-vous pas, par d’énormes emprunts, la marine marchande et la marine militaire ?

« Vous avez imité les compagnies anglaises pour vos chemins de fer, vous avez rendu le gouvernement constructeur de machines, fondeur, voiturier.

« Je ne m’étonnerais pas que bientôt on vînt vous persuader, vous convaincre que le gouvernement doit faire quelque chose de plus grand, créer une marine marchande et une marine militaire. Dieu sait si on n’invoquera pas l’histoire ; n’a-t-on pas vu, sous l’administration de La Bourdonnaise, que « sans magasin, sans vivres, il parvint, par ses soins et sa constance, à former une escadre composée de 60 canons et de cinq navires armés en guerre, osa attaquer les Anglais, les battit, les poursuivit et les força à quitter la côte de Coromandel ; alla assiéger et prendre Madras, la première des colonies anglaises ? » Pourquoi la Belgique n’aurait-elle pas aussi ses moyens de gloire et de prospérité ?

« Ce n’est pas le conseil que je donne ; si j’en avais à donner, je les adresserais à la commission d’enquête ; je dirais dans un langage simple aux membres de cette commission : Vous appartenez à de provinces dont les intérêts sont opposés, difficiles à concilier ; sachez mettre de côté vos préoccupations personnelles et vous soumettre au joug de l’intérêt général, après avoir constaté les causes du dépérissement de l’industrie du commerce, attachez-vous aux moyens de les relever. Ces moyens ne consistent ni dans l’établissement de chemins de fer ; d’une marine militaire, mais à fabriquer à bon marché, seul moyen de vendre abondamment au dehors ; j’aime bien mieux voir à la porte de Hal la filature d’un honorable et estimable sénateur que toutes ces entreprises gigantesques de chemins de fer, de bateaux à vapeur, de marine militaire ; là est la cause seconde, car Dieu est la première de toutes les causes, là est le principe de vos chemins de fer, de votre marine.

« Augmenter son débit en diminuant les prix a toujours été un acte d’habilité. Pour diminuer les prix, il faut se rendre habile dans la fabrication, abaisser les prix des matières premières, du charbon qu’on y emploie ; empêcher la trop grande cherté des vivres, l’élévation des impôts, afin de diminuer le prix de la main-d’œuvre. Si ce n’est pas vers ce but que tendent les efforts de la commission, je le dis avec douleur, la Belgique n’offrira plus qu’isolement, rétrogradation et misère. »

Eh bien, messieurs, on n’a pas répondu un seul mot à ces passages et le discours de l’honorable membre en renferme au mois vingt autres qui sont dans le même cas. On s’est contenté de dire que M. Milcamps sortait de ses habitudes de modération, qui se faisait l’organe d’un intérêt de localité. Je trouve, moi, que le discours de cet honorable membre est plein de vérité et de bon raisonnement et qu’il n’est pas du tout sorti de ses habitudes.

On a dit encore, messieurs, qu’en Angleterre, les chemins de fer coûtent beaucoup plus qu’ici, mais on a omis d’ajouter qu’en Angleterre ce n’est pas l’Etat qui fait les chemins de fer, mais que ce sont les sociétés particulières ; or, nous ne nous sommes jamais levés contre les chemins de fer en eux-mêmes, nous ne nous sommes élevés que contre la construction et l’exploitation par l’Etat, parce que nous savons que tout ce qui se fait en régie se fait toujours moins bien et à plus haut prix que ce qui se fait par l’intérêt privé. C’est ce qu’on a bien compris en Angleterre, et c’est pour cela qu’on y a abandonné les chemins de fer à l’industrie particulière, c’est pour cela qu’il n’existe pas en Angleterre un monopole gouvernemental, que là, le gouvernement ne veut pas tout faire par lui-même.

Le chemin de fer, messieurs a ruiné une foule de localités qui vivaient auparavant du passage des diligences ou des voitures de roulage ; ces localités sont tout à fait expropriées ; elles ont perdu leur commerce, et au lieu de l’abondance qui y régnait jadis, on n’y rencontre plus que la misère ; depuis 30 à 40 je connais mon pays, et je puis assurer à la chambre que je ne l’ai jamais vu aussi misérable qu’il l’est aujourd’hui ; que l’on ne dise donc pas que le chemin de fer est populaire non, messieurs, le chemin de fer est loin d’être populaire ; allez dans les villes où il passe ; allez à Malines, à Bruges, à Louvain, et vous verrez s’il excite autre chose que des plaintes, partout on dit qu’il ne laisse en passant que de la fumée pour tout bénéfice.

Jusqu’à présent, messieurs, je n’ai pas voté les fonds qui nous ont été demandés pour le chemin de fer ; je ne voterai pas encore l’emprunt qu’on sollicite aujourd’hui. Car j’ai toujours envisagé le chemin de fer fait et exploité par l’Etat comme la lèpre du budget et dont les avantages pour le pays ne compenseraient jamais les dépenses qu’il aurait occasionnées.

Je me permettrai cependant de dire un mot à l’appui de la réduction proposée par la section centrale et des moyens qu’elle indique pour faire face au déficit du trésor. La section centrale pense qu’il conviendrait de vendre les propriétés du domaine qui nous restent ; je pense, messieurs, qu’on ne peut pas être contraire à ce projet ; les propriétés du domaine ne produisent certainement pas plus de 1 p.c. ; il est vrai que les revenus du domaine sont évalués à 2 ½ p.c. ; mais si vous tenez compte des frais d’administration, vous aurez la certitude, messieurs, que le revenu net ne s’élève pas au-delà de 1 p.c.

Eh bien vous allez emprunter à 5 ou 6 p.c., et vous conserveriez des propriétés qui donnent 1 p.c. ? Ce serait là la plus mauvaise des spéculations.

On objecte qu’il peut arriver un moment où nous aurions besoin de bois de construction, surtout pour la marine ; eh bien, messieurs, qu’on ait le courage de commencer à construire et l’on verra si le bois manquera.

Il y a encore dans le pays plus de chênes qu’on ne pense, et cela se comprend ; si l’on a défriché une grande quantité de bois, par contre on a, depuis quelques années, commencé à faire des plantations autour des terres labourées ; et l’on peut dire que ces plantations deviendront assez importantes pour remplacer suffisamment les forêts qui ont été défrichées.

L’honorable M. Duvivier vient de me faire remarquer que, dans ces plantations isolées, on a négliger le chêne ; c’est vrai, il y a quelque années, on avait, par un faux calcul, donné la préférence au bois tendres des peupliers du Canada ; mais on en est revenu ; on s’est aperçu que cette plantation faisait un tort immense aux champs cultivés et on commence généralement à remplacer cette plantation par celle du chêne.

On a dit aussi que les bois peuvent produire jusqu’à 5 p.c. : si cela était vrai, messieurs, nous verrions planter beaucoup de bois, mais il est certain que les bois sont loin de produire un semblable revenu.

M. d’Hoffschmidt – J’ai dit dans l’avenir.

M. Desmet – Dans le temps, messieurs, la Belgique produisait plus de céréales qu’il n’en fallait à la consommation, mais sa population augmentant tous les jours, il se pourrait bien que le manque des céréales se fit sentir plus tôt qu’on ne se l’imagine ; or, si les céréales manquent, il ne peut pas être utile de conserver des bois que l’on pourrait plus avantageusement livrer à l’agriculture.

D’ailleurs, dans tous les pays où l’on défriche les forêts, on s’en trouve très bien, surtout lorsqu’on remplace les forêts défrichées par des plantations autour des terres cultivées.

Je pense donc, messieurs, qu’il y aurait un grand avantage à vendre les propriétés domaniales qui nous restent.

Je partage aussi l’opinion de la section centrale qu’il faudrait faire l’emprunt par adjudication publique, l’abandonner à la concurrence ; alors, au moins on serait certain qu’une grande partie des sommes prêtées le seraient par des Belges, et quoique certaines personnes pensent qu’il vaut mieux attirer l’argent de l’étranger dans le pays, je suis d’avis, moi, que les emprunts font sortir plus d’agent du pays qu’il n’en font entrer.

M. le ministre des travaux publics a dit que dans d’autres pays on a fait l’essai de la concurrence et que l’on a échoué ; il a cité même le ministère de C. Périer. Si je suis bien informé, messieurs, du moment où l’emprunt a été proposé à la chambre, il y avait une telle affluence de souscripteurs, qu’à la chambre même, on a fait des offres pour l’emprunt ; cela provenait de ce que les amateurs craignaient la concurrence et l’adjudication publique, c’est-à-dire que les maisons spéculatives de France avaient tellement peur de la réussite de la concurrence publique, qu’elles se sont empressées de faire des offres et les offres qui ont été faites dans ce moment ont été très avantageuses pour l’Etat.

L’exemple du ministre a été mal cité et cité contre lui.

En Angleterre, messieurs, on a aussi parfaitement réussi chaque fois que l’on a fait un emprunt avec concurrence et publicité. Craindrait-on que le pays ne pût pas fournir ?

Messieurs, nous ne devons pas craindre les capitaux ne manqueront pas chez nous ; mais pour éviter tout mécompte, qu’on fasse l’emprunt avec prudence et modération et qu’au lieu d’emprunter tout à la fois, qu’on le fasse partiellement, alors vous serez sûrs de trouver facilement les sommes dans le pays et de les trouver à un bon taux.

Vous vous mettez en quelque sorte à la disposition d’un riche capitaliste, et quand vous tenez compte des commissions qu’il vous fait supporter et de toutes les charges qu’il a imposées à la Belgique, dans les divers prêts qu’’il nous a faits, je pense au moins, qu’on devrait commencer à ouvrir les yeux et ne pas être continuellement la dupe dans les emprunts que nous faisons.

Je pense donc, messieurs, que si nous devons subir l’emprunt, il faut le négocier avec concurrence et publicité. Quant au chiffre, je crois que celui que propose la section centrale est plus que suffisant. Je crois qu’il est déplorable de voir engloutir des sommes aussi considérables dans le chemin de fer, alors que les routes ordinaires et surtout les canaux sont complètement négligés, ce sont cependant les canaux qui sont le plus réellement utile au commerce

M. Cogels – Messieurs, c’est à regret que je me vois forcé d’aborder aujourd’hui la discussion qui vient de s’ouvrir. Je suis loin de contester l’utilité d’un emprunt, je suis loin de désapprouver l’emploi qu’on veut en faire ; mais si ces dépenses auxquelles il doit pourvoir ont une utilité incontestable, il y a d’autres dépenses qui, à mes yeux, ont un caractère plus urgent ; il ne suffit pas de consacrer annuellement de fortes sommes à l’achèvement de cette vaste entreprise, qu’on a décorée du titre de gloire de la révolution. C’est à réparer les maux que cette révolution à traînés à sa suite, qu’on doit s’attacher ; et tandis qu’on ne recule devant aucun sacrifice pour la consolidation de l’ordre de chose actuel, pour le développement de la prospérité nationale, on ne doit pas laisser succomber sous le poids de leurs misères les malheureuses populations qui n’ont recueilli aucun avantage des événements politiques de 1830 et qui ont dû seules en supporter tous les désastres.

Non, messieurs, il n’en sera pas ainsi ; j’en appelle à votre humanité. Tant que l’ordre actuel des choses n’avait pas reçu la sanction des traités, les victimes de nos désastres n’ont que faiblement élevé la voix ; mais bientôt leurs réclamations surgiront de toutes parts dans le pays comme au-delà des frontières. Vous savez quelles peuvent être les conséquences de réclamations d’un certain caractère. On se verrait peut-être forcé de céder à la menace ce que l’on aurait refusé à l’équité ; ce rôle serait peu digne d’un pays renommé pour sa bonne foi et sa générosité. J’ai foi dans les paroles que M. le ministre a fait entendre dans son exposé, et si je n’insiste pas avantage aujourd’hui sur la discussion immédiate de la loi dont j’ai provoqué la mise à l’ordre du jour, c’est que j’ai reconnu que cette loi est imparfaite, et que le ministère en a reconnu lui-même toute l’imperfection.

Il ne suffit pas de jeter un peu de baume sur les plaies de la révolution. Il faut les cicatriser. Il faut en effacer le souvenir. Ce n’est pas une loi d’aumône que nous demandons, c’est une loi de réparation, une loi de juste indemnité ; elle fera, j’en suis convaincu, l’objet de nos délibérations dans la prochaine session, et c'est dans cette conviction que j’aborde l’examen du projet de loi en discussion.

Nous avons quatre points essentiels à examiner ; le montant de l’emprunt, son emploi, le mode d’émission, le taux d’intérêt et le mode d’amortissement.

Les deux premiers points se tiennent étroitement, il est impossible de les discuter séparément. Ni le rapport de la section centrale, ni la discussion qui a eu lieu ne m’ont suffisamment éclairé sur la somme qu’il faudra accorder.

J’attendrai donc la discussion des articles, pour me prononcer à cet égard. Je dirai seulement que je crois fort imprudent de compter sur des rentrées fort éventuelles en ce moment, et qui pourront l’être encore longtemps pour l’achèvement des travaux du chemin de fer, car ces travaux doivent s’exécuter avec toute la célérité possible, restreinte cependant dans les limites d’une sage prévoyance, je dis « d’une sage prévoyance », car je ne pense pas qu’il soit dans les intentions du gouvernement de donner aux travaux une activité trop forte, d’imprimer à nos divers établissements métallurgiques une production exagérée ; en effet, une surexcitation d’activité, de production pourrait être suivie d’une réaction fâcheuse ; sous ce rapport nous devons nous en rapporter à la sagesse du gouvernement.

Il faut, du reste, si cet emprunt se fait avec concurrence et publicité, et si l’on a recours à une association de capitalistes ; il faut que cet emprunt puisse être considéré comme le dernier ; car dans presque tous les contrats avec les capitalistes, une des conditions expresses, c’est qu’on les garantisse contre tout nouveau emprunt tant que leur opération ne soit pas terminée.

Je pense qu’on pourrait retrancher beaucoup plus utilement de la somme pétitionnée celle qui est destinée a remboursement des bons du trésor. Ces bons du trésor, tels qu’ils sont maintenant, n’offrent aucun danger. Il est vrai qu’ils pourraient en présenter en cas d’une crise politique ou financière. On pourrait donc réserver pour la consolidation d’une partie de la dette flottante ces ressources éventuelles sur lesquelles on a compté, et qui cependant n’offriront pas des sommes aussi fortes que l’on s’en promet.

En effet, ainsi que l’a dit M. d’Hoffschmidt dans la séance d’hier, la vente des domaines ne peut se faire avec précipitation sans un mûr examen. Il serait probablement dangereux d’aliéner nos forêts, quand même le revenu en serait fort modique. Les motifs en ont été suffisamment expliqués dans la séance d’hier, je crois pouvoir dès lors me dispenser de les développer.

L’encaisse du trésor, si les renseignements que j’ai recueillis sont exacts, n’existe pas en espèces ; les fonds ont été convertis en dette de l’Etat 5 p.c. ou 4 p.c. Pour réaliser cette ressource il faudrait donc faire l’émission de ces fonds qui sont productifs, qui donnent un intérêt plus élevé que celui que vous serez obligés de payer pour l’emprunt que vous contracterez.

Il y aurait donc là une opération onéreuse. Je pense qu’il vaut beaucoup mieux réserver ces fonds pour les faire servir d’acheminement à l’opération dont l’honorable M. Desmaisières vous a parlé, la conversion de notre 5 p.c. qui est effectivement un embarras pour nos finances et qui arrête l’essor de toutes les autres valeurs dont se compose notre dette. J’aurai occasion de parler de ce point, lorsque je m’occuperai de l’intérêt et de l’amortissement.

La consolidation des bons du trésor pourrait d’ailleurs se faire sans emprunt. Cette consolidation s’est toujours opérée en Angleterre par des conversions facultatives pour les porteurs des bons du trésor. Ainsi, on a converti, en 1839, une somme de 3 millions de livres sterling ; en donnant 101,10 livres en rente 4 p.c. pour 100 livres billets de l’échiquier ; au mois d’août 1839, une nouvelle conversion de 4 millions de livres a eu lieu par 110 livres de 3 p.c. pour 100 livres convertis. Ces conversions ont été très avantageuses, elles n’ont entraîné aucun frais, et elles se sont faites sans amener la moindre perturbation dans le crédit.

On pourrait également retrancher la somme qui a été prêtée à la banque de Belgique, car je crois que l’on peut compter plus que jamais sur la rentrée exacte de cette somme, aux époques fixées par le prêt.

On peut retrancher aussi le montant du deuxième semestre de la rente de 5 millions de florins due à la Hollande, et de l’emprunt 4 p.c., car cet objet pourrait être régularisé lors de la discussion du budget de 1841.

Je m’occuperai maintenant du mode d’émission.

Nous avons trois modes d’émission. D’abord le traité par contrat privé ou de la main à la main ; ensuite la souscription publique, et enfin l’adjudication avec concurrence et publicité.

Le premier mode a été suivi par notre premier emprunt, et pour celui qui a été contracté en dernier lieu.

Tout le monde se rappelle la situation où était le pays, lorsque notre premier emprunt a été conclu. Nous nous trouvions sous la loi de la nécessité, et nous étions trop heureux alors d’avoir l’appui d’un banquier qui était regardé comme une sixième puissance. Eh bien, certainement l’appui de ce nom a donné à l’étranger une très grande confiance dans la consolidation de l'ordre des choses à peine établie, alors qu’aux yeux de bien des personnes, il semble péricliter.

Cependant ce traité a été très onéreux, et celui qui a été contracté en dernier lieu présente également des conditions fort onéreuses, je suis loin de blâmer l’honorable M. d’Huart, qui a conclu un emprunt ; je ne connais pas la position où se trouvait le trésor à cette époque ; il est possible qu’alors on ait cédé encore à la loi de la nécessité. Je suis convaincu que l’honorable M. d’Huart a mis à défendre dans cette circonstance les intérêts du pays tout le zèle possible ; et que s’il a passé par les conditions qu’on lui a imposées, c’est qu’il n’a pas pu mieux faire.

Cependant, chacun aura pu remarquer tout ce que renfermait d’onéreux l’article 3 du contrat qui oblige le trésor à faire 15 jours à l’avance, à chaque semestre, les fonds pour le montant des intérêts et celui de l’amortissement, pour ensuite disposer de ces mêmes fonds pour tous les intérêts payés à Bruxelles, à Anvers ou à Londres.

La maison dont je parle est chargée aussi de la moitié de l’amortissement de l’emprunt qui se fait par son entremise, opération sur laquelle elle a une commission d’un pour cent. Vous aurez pu remarquer que le service de ce emprunt, dont le principal monte annuellement à 2 millions et quelques milliers de francs, coûte au trésor 35,000 francs, ce qui représente 1 ¾ p.c. pour frais de gestion tandis que l’emprunt 4 p.c. ne coûte que 5,000 francs pour le même service.

Il y a encore d’autres clauses assez onéreuses qu’il est inutile d’énumérer ici, parce que chacun de vous a pu en prendre connaissance.

Chacun de vous, messieurs, aura pu remarquer aussi que la maison dont il s’agit s’est réservé toutes les garanties possibles contre la Belgique, tandis que la Belgique n’en a stipulé aucune à son égard. Vous aurez pu voir qu’il a été accordé à cette maison un crédit pour ainsi dire illimité.

Le second mode, celui par souscription publique, a été suivi avec un succès inespéré pour notre emprunt 4 p.c. Nos souscriptions se sont élevées à 691 millions, tandis que l’emprunt s’élevait à 30 millions. C’est peut-être cette exagération qui a nui à l’essor de ces mêmes fonds ; c’est là un des obstacles qui se sont opposés à ce que cet emprunt fût coté aux bourses étrangères. Car les maisons étrangères qui avaient fait souscrire pour leur compte ont obtenu une trop faible part de leur souscription, pour que le bénéfice pût compenser les frais occasionnés par les dépôts préalables, elles ont accordé immédiatement ce qu’elles avaient obtenu.

Reste maintenant l’adjudication avec publicité et concurrence. Comme M. le ministre des travaux publics s’est formé sur le mode de cette adjudication des idées erronées, je crois utile d’expliquer comment cela se pratique habituellement.

D’abord le gouvernement commence par faire connaître à l’avance qu’un emprunt sera offert à l’adjudication ; il laisse par là le temps, non pas à quelques banquiers isolés, mais à plusieurs banquiers de s’associer, de réunir les souscriptions de leurs divers correspondants qui ont une confiance illimitée dans leur sagesse, et qui souscrivent d’avance à l’emprunt, sans en connaître les conditions, ces conditions devant rester secrètes, jusqu’à ce que l’adjudication eût lieu. Une fois ces mesures préalables prises, le ministre ouvre l’adjudication.

Cette adjudication est précédée d’un dépôt de 2 ½ à 5 p.c., suivant l’importance de l’emprunt. On ne doit donc s’occuper aucunement de la solidité des soumissionnaires, car dans le cas où ils ne rempliraient pas les conditions stipulées dans le cahier des charges, ce dépôt est acquis à l’Etat à titre d’indemnité. Ordinairement, trois jours après l’adjudication, on fait le deuxième versement, après cela on délivre les certificats d’inscription. Presque toujours ces emprunts se font de manière que les versements puissent s’effectuer en 15 ou 20 payements. Ce n’est que quand le troisième payement est effectué, qu’on délivre les inscriptions ou titres au porteur qui représentent l’emprunt, en recevant toujours les deux premiers versements comme garantie ; vous voyez que le gouvernement s’assure ainsi toutes les garanties possible.

M. le ministre s’est trompé dans l’exposé qu’il vous a fait de ce qui s’est passé en France et en Hollande.

En France, il y a eu dix emprunts contractés depuis la restauration. Les deux premiers ont eu lieu en 1816 ou 1817 ; ils ont été fait de la main à la main avec une compagnie de banquiers, à des conditions onéreuses. On sait qu’en 1816 et 1817, la France était dans une position très critique. En 1818, deux emprunts encore furent contractés, sous le ministère Corvetto ; cette fois, ce fut par voie de souscription, mais non par souscription comme on l’entend aujourd’hui. Plusieurs compagnies étaient admises à faire leurs offres et on adjugeait à chacune de celles dont les offres étaient acceptées la part d’emprunt qu’elle avait soumissionnée. Tous les emprunts subséquents ont eu lieu avec publicité et concurrence, on s’est fait une loi de ne plus suivre d’autre mode. Le 10 juillet 1823, un emprunt de 23 millions de rentes représentant 460 millions de capital fut mis en adjudication ; le cours de la bourse était de 89-20 ; cependant les quatre maisons Rothschild offrirent un prix plus élevé, car elles se rendirent adjudicataires au prix de 89-55. Je crois inutile de faire l’historique des autres emprunts qui ont eu lieu. Je m’arrêté à celui dont a parlé M. le ministre des travaux publics. C’est l’emprunt contracté le 19 avril 1831 sous le ministère de Casimir Périer.

Voici comment les choses se sont passées :

« 28. L’adjudication de cet emprunt a été accompagnée d’un incident fort remarquable, que nous ne saurions passer sous silence, et que voici :

« Il ne se présenta, comme nous l’avons dit un peu plus haut, qu’une seule compagnie, laquelle était formée de la réunion de compagnies d’abord rivales ; et cette coalition financière, soit dit en passant, offre un contraste d’autant plus frappant avec le patriotisme des souscripteurs de ce même emprunt au pair, que le commerce et le trésor se retrouvaient à cette époque dans une très grande crise.

« Cette compagnie de coalition n’ayant d’abord offert que 82 francs de l’emprunt, le ministre déclara, au grand mécontentement des assistants, que l’adjudication n’aurait pas lieu, attendu que ce prix était inférieur à celui de 84 francs, minimum fixé par le ministère ; et, sur cette nouvelle, les fonds publics montèrent le même jour de plus de 3 francs. Ce fut donc, avec la plus grande surprise qu’on apprit, par le Moniteur du lendemain, que l’emprunt avait été adjugé à huis clos, par M. le baron Luis, au prix de son minimum ; et cette adjudication fut vivement attaquée par les journaux comme illégale, et de nature à compromettre gravement la responsabilité du ministre. »

Vous voyez donc que cette voie de concurrence et de publicité n’a pas eu les conséquences fâcheuses qu’on a citées, car on n’a pas dû attendre trois jours pour avoir des conditions onéreuses, mais le jour même, on a obtenu des compagnies coalisées les conditions imposées d’abord par le ministre. C’est lui qui a dicté les conditions, loin de les avoir subies.

Ceci est un cas exceptionnel, car tous les autres emprunts ont été faits avec concurrence et publicité, et l’usage qu’on en a fait n’a jamais eu des conséquences fâcheuses comme on l’a dit.

Vous vous rappelez d’ailleurs que c’est au 13 mars 1831 qu’a eu lieu l’avènement de Casimir Périer, qu’alors le 3 p.c. était descendu très bas, que la bourse était dans une perturbation générale, un partie du parquet avait suspendu ses payements ; le 3 p.c., descendu un instant jusqu’à 46 p.c., était remonté au-delà de 56, et le 5, après avoir été jusqu’à 74 ou 75, avait remonté dans la proportion. Cette hausse rapide, le souvenir des cours récents qui étaient de 10 p.c. inférieures, avait rendu les banquiers plus timides ; voilà d’où est née la coalition, elle n’est pas venue pour déjouer les combinaisons du gouvernement, mais parce qu’à cette époque les banquiers ne se sentaient pas assez forts pour s’engager isolément pour une somme aussi considérable, sept millions de rente environ, ou 140 millions de capital.

En Angleterre, tous les emprunts se font avec concurrence et publicité. Le dernier a eu lieu le 3 août 1835. Vous savez qu’en Angleterre le gouvernement ne se fixe pas un minimum, mais un maximum, car c’est celui qui, pour 100 livres sterling demande la moindre somme des valeurs offertes qui est déclaré adjudicataire. Le maximum du ministre était de 1,100 en 3 p.c. et consolidés, réduits et 13-7 en longues annuités, échéance de 1160. L’offre la plus favorable fut de 14-11 livres en annuités, la somme en consolidés restant invariable.

Le ministre décacheta les soumissions et son maximum, et déclara que toutes les soumissions le dépassant, l’emprunt ne pouvait être adjugé au prix offert. Le même soir la maison Rothschild et Montefiore qui avaient fait l’offre la plus favorable s’abouchèrent avec le ministre et l’emprunt de 15 millions de livres sterling fut conclu aux conditions imposées par le ministre. Là encore il n’est résulté aucun inconvénient de la concurrence et de la publicité.

Lorsqu’on emploie ce mode pour les moindres choses, pour l’adjudication des travaux publics, et qu’on en reconnaît l’utilité, je ne vois pas pourquoi on ne le suivrait pas pour un emprunt, affaire bien plus importante.

Je demande la permission de faire ici une digression à propos de la loi sur la refonte des monnaies. C’est l’examen du dernier arrêté pris en exécution de cette loi qui m’engage à appeler votre attention sur l’illégalité qu’il renferme.

Voici comment sont conçus les articles 2 et 3 de la loi sur la refonte des anciennes monnaies :

« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à faire effectuer la refonte desdites monnaies, tant de celles qui se trouvent déjà dans les caisses du trésor, que celles qui y rentreront, par suite des dispositions de l’article qui précède.

« Cette refonte se fera par les soins et sous les yeux de la commission des monnaies.

« Art. 3. Le gouvernement prendra les dispositions nécessaires pour la conversion de ces monnaies en monnaies légales, ou pour la vente des lingots qui en proviendront, après avoir fait constater le poids et le titre par commission ci-dessus mentionnée. »

Vous voyez donc que, d’après la loi, le gouvernement n’avait d’autorisation de faire vendre les anciennes monnaies qu’après avoir procédé à la fonte, les avoir converties en lingots et après que le titre et le poids des lingots eussent été dûment constatés par la commission des monnaies. Voici cependant ce qu’on fait : on met en adjudication ces anciennes monnaies, sans que la fonte en ait eu lieu et que le titre en ait été constaté. Que doit-il arriver ? C’est que le titre n’étant pas généralement connu, on ne se fie pas aux essais qu’on peut faire sur les petits échantillons qu’on délivre, et que dès lors on ne fera des soumissions qu’avec chance certaine de bénéfices, qu’on ne fera de soumission qu’au-dessous de la valeur réelle. Cela était-il nécessaire ? Pour une chose aussi invariable que les matières d’or et d’argent n’était-il pas plus simple de vendre les lingots qui devaient provenir de la fonte, ainsi que l’ordonnait la loi.

J’ai voulu rappeler l’attention de la chambre sur cet objet, dans la pensée que M. le ministre voudrait bien faire surseoir à l’adjudication annoncée pour le 15 de ce mois, et que je regarde comme illégale.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je demande la parole.

M. Cogels – Il faut du reste, lorsqu’on annonce une adjudication qu’elle soit franche, qu’elle soit sérieuse, que les soumissionnaires ne soient pas seuls liés et que si les offres dépassent le minimum fixé par le ministre on soit certain que l’offre la plus avantageuse sera toujours acceptée.

Voici une clause que je lis dans le même arrêté, et qui doit arrêter les offres de tout concurrent sérieux :

« Art. 5. Il sera dressé procès-verbal des offres qui auront été faites par les divers soumissionnaires, et M. le ministre des finances se réserve la faculté de les accepter immédiatement soit pour le tout, soit pour une partie seulement des espèces soumissionnées, ou d’ajourner l’adjudication définitive et d’admettre ultérieurement l’offre de prix plus avantageux, si le cas se présentait.

« Art. 6. Les adjudicataires devront prendre livraison, à Bruxelles, des monnaies qui leur auront été adjugées. »

Vous sentez que si on offrait l’emprunt à ces conditions, pas une seule compagnie ne se présenterait. Mais si vous offrez votre emprunt aux conditions toujours observées en France et en Angleterre, et dont vous pouvez trouver le détail dans le Moniteur du 6 juin 1823. Vous y verrez le modèle des soumissions et des certificats délivrés aux soumissionnaires. Je ne dirai pas que vous aurez la certitude d’avoir des concurrents, mais vous pouvez en avoir l’espoir fondé, car notre crédit est aussi bien établi que celui de tout autre pays. Si l’Angleterre et la France ont pu trouver des compagnies pour soumissionner des emprunts de 300 à 400 millions, nous pourrons bien en trouver pour un emprunt de 60 à 90 millions. Comme il est possible que le gouvernement ne se décide pas à faire l’emprunt en une fois, je veux lui laisser la faculté de la souscription publique, c’est le mode toujours adopté en Hollande.

Ici, je me permettrai de rectifier une erreur dans laquelle est tombé M. le ministre des travaux publics.

L’emprunt pour le chemin de fer d’Arnheim n’a pas été mis en adjudication avec concurrence et publicité, suivant le mode adopté en France et en Angleterre.

On a offert une souscription au public ; cette souscription avait lieu par parties de 500 mille florins. Celui qui offrait le prix le plus élevé avait l’adjudication de la partie soumissionnée dès qu’il avait dépassé le minimum fixé et il avait en même temps la faculté de prendre au même taux le reste de l’emprunt.

Voilà ce qui est arrivé. Il s’était fait des transactions sur les actions du chemin de fer avant leur émission (ces opérations sont celles qui ont lieu d’ordinaire au taux le plus élevé) à 115 et à 116. Les personnes qui avaient vendu des actions à ce taux firent souscrire au taux élevé de 112 ou 114, si ma mémoire est fidèle ; ce fut pour 500,000 florins seulement. Cette somme fut adjugée. Mais l’adjudicataire ne voulut pas souscrire pour une somme plus considérable de l’emprunt. L’adjudication fut remise à un époque plus éloignée ; elle eut lieu à 108, cours auquel tout le monde s’empressa d’y prendre part. Ainsi cet emprunt, fait avec une espèce de concurrence, eut plein succès.

Je comptais m’occuper du taux de l’intérêt et des moyens d’amortissement ; mais je craindrais d’abuser de l’attention de la chambre, et comme des observations à cet égard seront mieux à leur place dans la discussion des articles, je demanderai à la chambre de m’arrêter ici et d’ajourner mes observations sur ce point.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je tiens à répondre quelques mots aux assertions de l’honorable préopinant. J’avais dit que je n’abordais qu’avec une certaine réserve la discussion sur le mode d’effectuer l’emprunt, cette matière ne rentrant pas dans mes attributions. J’ai avancé quelques faits que le préopinant a pris sur lui de contester. Lorsqu’il a annoncé que j’avais commis plusieurs inexactitudes, plusieurs erreurs, je m’attendais à recevoir de sa part des renseignements tout à fait contraires à ceux que j’avais donnés, je n’ai donc pas été peu surpris de voir que les renseignements donnés par l’honorable orateur venaient au contraire confirmer les miens.

Il a dit que, dans les emprunts avec publicité et concurrence, l’usage est de déposer en garantie une certaine somme.

Je le veux bien mais je n’ai pas parlé des usages admis dans les adjudications d’emprunts avec publicité et concurrence. Ce mode peut varier à l’infini. L’honorable préopinant vient de dire que le mode suivi en France n’a pas été suivi récemment en Hollande. Du reste, je ne me suis pas occupé des conditions d’émission des emprunts avec publicité et concurrence, je n’ai donc pas commis d’erreur sur ce point.

La seconde erreur serait relative à l’emprunt ave publicité et concurrence tenté sous le ministère de Casimir Périer. J’avais dit qu’alors ce mode avait été tenté mais inutilement et que par suite d’une coalition, les soumissions avaient été inférieures au taux auquel le ministère avait cru pouvoir adjuger l’emprunt. Voilà ce que le préopinant est venu confirmer. Mais qu’est-il arrivé ? Le ministère n’était pas lié par la loi. Il l’a adjugé de la main à la main quelques jours après, ce qu’il n’aurait pu faire s’il eût été enchaîné à un seul mode, comme on demande que le ministère le soit ici.

M. Cogels – Le jour même.

M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Le jour même, soit. Cela ne fait que confirmer mon dire ; la date ne fait rien à l’affaire.

L’honorable membre a dit que j’avais commis une troisième erreur, quant à la Hollande ; j’avais dit qu’en Hollande on avait essayé de ce mode et qu’il avait fallu recourir à l’ancien. Il a contesté cette assertion ; et cependant il vous a dit qu’on avait essayé d’un mode d’adjudication qui n’avait pas réussi, puisque celui à qui on avait adjugé la totalité de l’emprunt l’a refusé, et qu’il a fallu procéder à une nouvelle combinaison. Mais cela ne vient-il pas à l’appui de ce que j’ai soutenu ; cela ne prouve-t-il pas qu’il ne faut pas lier le gouvernement à un seul mode.

Les renseignements qu’a donnés le préopinant ne font donc que confirmer les renseignements que j’avais donnés pour combattre le système qu’il défend.

M. Cogels (pour un fait personnel) – J’avais cru pouvoir rectifier ce qu’avait dit M. le ministre des travaux publics parce que ce n’était pas exact. M. le ministre avait dit qu’on devait adjuger un emprunt comme on adjuge des travaux publics, dans les adjudications de ce genre, on doit prendre en considération la solvabilité de l’adjudicataire ; mais ici la chose n’est pas essentielle ; le dépôt préalable est là.

Ensuite pour ce qui regarde l’emprunt contracté sous le ministère Périer, il y a réellement inexactitude dans ce que M. le ministre des travaux publics a dit, qu’après une tentative infructueuse d’emprunt avec publicité et concurrence, le gouvernement avait été obligé de contracter plusieurs jours après à des conditions onéreuses. L’emprunt a été accordé le même jour à 2 p.c. au-dessus du prix offert en premier lieu, au prix fixé par le gouvernement lui-même, ce ne sont pas là des conditions onéreuses.

Pour l’emprunt de la Hollande, on ne peut considérer comme un emprunt fait avec publicité et concurrence une souscription ouverte au public, ayant quelque affinité avec celle qui eut lieu sous le ministère Corvetto en France. J’ai dit que si l’adjudication avait échoué, ce n’était pas que l’on eût offert un prix trop bas, mais au contraire parce qu’on avait offert un prix trop élevé.

J’ai cru qu’il était de mon devoir de rectifier les erreurs que M. le ministre avait commises. Il est facile de comprendre que M. le ministre n’a parlé que d’après les renseignements qu’il a recueillis ; pour moi, je connais ces affaires pour y avoir pris part ou pour les avoir suivies, parce que c’est ma spécialité.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’honorable M. Cogels a pensé que le gouvernement avait commis une illégalité en autorisant la vente des anciennes monnaies provinciales, au lieu des lingots qui doivent provenir de la fonte de ces monnaies ; si l’on ne consultait que la lettre de la loi et non de son esprit, peut-être pourrait-on prétendre qu’il ne s’y est pas entièrement conformé. Mais quelle a été l’intention du législateur en stipulant que ces monnaies seraient fondues ? C’est bien certainement d’éviter que ces monnaies fussent remises en circulation.

Il n’a pas eu d’autre but. Dès lors le gouvernement ayant prévu de grandes difficultés à faire fondre préalablement ces monnaies et surtout à faire constater le titre réel des lingots qui devaient en provenir, après avoir consulté la commission des monnaies, après s’être entouré de tous les renseignements convenables, a décidé que les monnaies elles-mêmes seraient vendues, mais qu’elles ne sortiraient de ses mains qu’après avoir été converties en lingots. Je crois donc qu’il n’y a là aucune apparence d’illégalité et que le vœu de la loi a été dûment rempli.

L’honorable M. Cogels croit qu’une condition du cahier des charges aura un résultat nuisible et désavantageux. Je pense au contraire qu’il y a lieu de considérer cette condition comme ayant été dictée par la prévoyance et par une sage prudence Faut-il que le gouvernement soit tenu d’adjuger aux soumissionnaires, quel que soit le prix de la soumission ? Je crois que ce serait extrêmement inconsidéré.

Je puis citer à l’appui de mon opinion, un exemple qui n’est pas très éloigné de nous. En 1836, lorsque le gouvernement avait mis en adjudication la fourniture de 120,000 kilog. de flancs de cuivre, la soumission avait été très faible. Heureusement pour le gouvernement, il s’était réservé la faculté de ne pas prononcer l’adjudication si elle ne lui paraissait pas favorable ; il en a profité pour ne pas adjuger. L’honorable M. d’Huart, au commencement de 1837, a obtenu sur le taux de la soumission une réduction qui a produit pour l’Etat un bénéfice de 25,000 francs sur une opération qui n’avait pas l’importance de celle dont il s’agit aujourd’hui. On n’aurait pas obtenu ce résultat, si le gouvernement avait été dans l’obligation d’adjuger à quelque prix que ce fût.

Pour achever de répondre à l’honorable membre, je rappellerai que je n’ai pas prétendu que l’emprunt devait avoir lieu dans publicité et sans concurrence. Au contraire, j’ai déclaré que la publicité et la concurrence offraient beaucoup d’avantages ; mais je soutiens qu’il serait imprudent d’imposer par la loi au gouvernement l’obligation de contracter par ce mode.

Tout ce qu’a dit l’honorable M. Cogels tend à appuyer ce que j’ai moi-même exposé à cet égard. Il a fait connaître qu’en 1831 le gouvernement français, voulant faire un emprunt avec publicité et concurrence, n’avait pas réussi ; en effet, messieurs, la soumission avait été de 1 franc 90 centimes en dessous du minimum déterminé par le ministère. Que serait-il arrivé si le gouvernement français avait été lié par une disposition telle que celle dont la section centrale propose l’adoption ; il eût dû adjuger à 1 franc 90 centimes en dessous du minimum qu’il avait fixé et qu’il croyait pouvoir obtenir. Mais comme il avait la faculté de traiter directement, il en a usé, et il en est résulté un bénéfice pour l’Etat.

L’exemple de l’Angleterre est parfaitement analogue.

J’invoque ces deux exemples pour repousser la proposition de la section centrale, en tant qu’elle rendrait obligatoires la publicité et la concurrence.

M. d’Huart – Messieurs, la lecture de l’exposé des motifs présenté par M. le ministre des finances à l’appui de la loi concernant l’emprunt, a pu produire sur vos esprits une impression défavorable à l’égard de la situation des finances de l’Etat Cette impression, M. le ministre ne voulait nullement la produire, j’en suis convaincu et actuellement qu’il a lui-même renforcé par ses explications les observations rassurantes exposées par la section centrale, les inquiétudes ont dû cesser eu égard d’ailleurs aux chiffres d’un honorable préopinant qui s’est attaché à réintégrer les chiffres là où est leur véritable place. Cependant je me permettrai d’ajouter quelques mots à ce qui a été dit à ce sujet ; je n’entrerai pas dans des détails de chiffres qui fatigueraient trop votre attention, et je me bornerai à présenter deux ou trois résultats généraux facile à saisir pour prouver que depuis 1833 jusqu’à ce jour la situation financière n’a pas empiré.

En 1833, il s’est trouvé 15 millions d’insuffisance dans les ressources, et 15 millions de bons du trésor furent mis à la disposition du gouvernement pour faire face aux besoins.

Le ministre des finances actuel a trouvé que cette insuffisance des ressources s’était augmenté de 10 millions se composant des 4 millions prêtés à la banque de Belgique et du second semestre de l’emprunt 4 p.c. et de celui de la dette hollandaise pour les six derniers mois de 1840, montant ensemble à 6 millions.

Mais, messieurs, les 4 millions prêtés à la banque de Belgique sont garantis par des valeurs hypothécaires, et ils rapportent intérêt : nul doute dès lors que cette somme ne doive nullement être considéré comme un déficit.

En ce qui concerne le semestre de l’emprunt 4 p.c., je dirai qu’en bonne comptabilité les fonds du dernier semestre de 1840 ne doivent être faits qu’en 1841. En effet, en consultant les titres de cet emprunt, on trouvera que ce dernier semestre n’est exigible que le 1er janvier 1841 ; ainsi pour la régularité, il doit être porté dans le premier semestre de 1841, car peu importe que l’échéance arrive le 1er, le 20 ou le 30 janvier, elle appartient à cet exercice.

En ce qui concerne la dette hollandaise, il y a une légère différence, quant à l’échéance qui est fixée, je crois, au 31 décembre ; l’honorable M. Desmaisières, dans la séance d’hier, vous a fait entrevoir qu’il pourrait, d’ailleurs, exister plusieurs échéances postérieures différentes. Eh bien, en admettant même exclusivement le 31 décembre pour l’échéance du deuxième semestre, entier, de la dette hollandaise, le payement ne peut raisonnablement s’opérer que dans le commencement de l’année suivante, et ce serait agir anticipativement, que de faire les fonds en les affectant à l’exercice 1840.

Je dirai que nous préparerions d’ailleurs onéreusement et inutilement ces fonds parce que si les premiers mois d’un exercice sont les moins productifs, plus de 20 millions de dépense sont toujours en arrière alors sur l’exercice précédent, ce qui permet à la caisse de pourvoir à d’autres payements ; au surplus pendant les deux premières années des versements de l’emprunt pour le chemin de fer, les caisses se trouveront nanties de sommes plus que suffisantes pour effectuer le payement du semestre d’intérêts de la dette hollandaise.

Les choses ainsi considérées, en déduisant les dix millions dont je viens de parler des 25 millions trouvés d’une autre manière par M. le ministre des finances, nous revenons au point de départ de 1833, c’est-à-dire qu’après des difficultés de toute nature, des dépenses extraordinaires considérables, les ressources créées et exploitées pour le trésor ont pourvu à tout sans le secours de l’emprunt, ni sans augmentation de l’insuffisance primitive des 15 millions de bons du trésor ; et messieurs, pour couvrir, quand il en sera temps, ces 15 millions eux-mêmes, n’avons-nous pas des ressources certaines, extraordinaires, que trouvera le trésor ? ressources qui ont été déjà en partie énumérées par la section centrale et par plusieurs honorables préopinants. On a cité le capital de solde de l’ancien caissier, lequel capital ne tardera pas à être versé dans les caisses du trésor si l’on décide que le trésor doit réaliser plutôt que de continuer à en toucher les intérêts ; car il ne faut pas perdre de vue que ce n’est qu’un fonds mort pour le pays.

En second lieu, le règlement des redevances de la section centrale ne tardera pas non plus à avoir lieu, mais je ne suis pas d’avis que l’on enlève à ces redevances la destination projetée par le gouvernement. Vous vous rappellerez qu’une convention a été faite avec la section centrale pour appliquer jusqu’à due concurrence les sommes provenant de ces redevances, dans l’acquisition d’un magnifique domaine qui avoisine la capitale ; nous nourrissons l’espoir de vous convaincre que la rentrée de l’Etat dans la possession des restes de la forêt de Soignes, dont d’ailleurs les revenus nous profiteront annuellement, sera une mesure conforme à la dignité de la nation et à plusieurs grands intérêts qui s’allient à l’avenir du pays.

Mais, messieurs, une ressource sur laquelle nous avons le droit de compter, non pour les chemins de fer dont, selon moi, les dépenses et les recettes doivent continuer à être spéciales, ressource qui servira pour combler les embarras qui pourraient provenir de la dette flottante, laquelle restera assez élevée d’après le projet de la section centrale, auquel en ce point M. le ministre des finances s’est rallié, c’est la décision qui résultera de la liquidation avec la Hollande.

Enfin une somme notable, dont il n’a pas été parlé et qui nous est assurée, c’est la part de la Belgique dans le capital de 20 millions de florins qui, aux termes des statuts de la société générale, rentrera en 1849 dans les caisses du trésor.

Il y a neuf années à attendre pour obtenir cette somme ; mais neuf années sont bientôt écoulées, quand on songe que depuis dix ans déjà la Belgique a le bonheur d’exister comme Etat distinct et indépendant.

Je ne parlerai pas de la vente de nos forêts dont le prix devrait, selon plusieurs orateurs, servir à parfaire l’exécution des chemins de fer. Si l’on considère cette question exclusivement sous le rapport financier, point de vue sous lequel l’a examinée hier un député du Hainaut, si en un mot on ne veut considérer que la question d’argent, le revenu du moment, l’on sera tout à fait de l’avis de M. Pirmez qu’il faut vendre le peu de forêts qui nous reste ; mais des considérations d’un ordre plus élevé doivent diriger les législateurs ; les nations ne sont point comme les particuliers, destinées à vivre quelques jours, quelques années ; l’avenir le plus éloigné même doit les préoccuper sans cesse ; c’est donc dans les exigences de cet avenir et non dans quelques bénéfices immédiats qu’il faut surtout puiser sa détermination lorsqu’il s’agit de décider une question telle que celle de la vente, c’est-à-dire de la destruction de forêts créées par plusieurs siècles.

Quoi qu’il en soit, messieurs, comme pour vendre les domaines de l’Etat, une loi spéciale est nécessaire vu l’importance de la mesure, nous réserverons pour le cas où, contre notre attente, une telle loi sera présentée à la législature, le développement des considérations nombreuses qui doivent, selon nous, déterminer l’Etat à conserver entre ses mains protectrices la possession du peu de forêts nationales qui subsistent encore.

Ainsi que je le faisais remarquer tout à l’heure incidemment, d’après les déclarations du ministre des finances présentées dans la séance d’hier, il n’y a plus entre le gouvernement et la section centrale de divergence quant à l’importance de l’emprunt que sur la somme intégralement nécessaire au parachèvement des travaux du chemin de fer. Le désaccord toutefois résulte d’une différence notable de chiffres, puisqu’elle ne s’élève pas à moins de 15 millions. Les explications données par M. le ministre des travaux publics et les documents qui nous sont remis prouvent que pour les travaux à l’égard desquels on veut surseoir, il faut 15 millions ; ce serait donc 80 millions au lieu de 15 proposés par la section centrale, qu’il serait nécessaire d’allouer pour satisfaire à la demande actuelle du gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – 78 millions.

M. d’Huart – Je prends une somme ronde qui même d’après ce qu’a dit tout à l’heure M. le ministre des travaux publics, pourra aller à 81 millions. (L’orateur énumère ici les différents chiffres, non contestés et arrive à la somme de 80 millions.) Je n’hésite pas, messieurs, à appuyer la demande du gouvernement, regrettant de devoir être en désaccord avec la section centrale. Je ne veux point, messieurs, faire le procès aux lois que vous avez portées , vous avez décrété les chemins de fer, vous en avez déterminé l’étendue ; il faut que le gouvernement puisse les exécuter ainsi que tous leurs accessoires obligés. A cet égard je m’en rapporte aux documents produits par le ministre des travaux publics ; il vous a fait voir que l’emploi des 15 millions dont il s’agit, lequel serait rendu problématique par l’adoption de la réduction jugée possible à la section centrale, devait seul assurer aux chemins de fer les recettes considérables qu’il est appelé à produire ; que sans l’approbation des stations, l’augmentation du matériel, l’établissement de plusieurs doubles voies, tous ouvrages qui seraient ajournés à défaut des 15 millions contestés, les lignes déjà construites seraient considérablement affectées dans leurs produits.

Ainsi, messieurs, ce serait une parcimonie mal entendue, une économie qui irait en sens inverse du but que la section centrale veut atteindre, comme nous tous, à savoir le moins de charges possible.

Il faut donc donner au gouvernement une bonne fois les moyens d’en finir avec les travaux du chemin de fer ; il faut surtout fermer cette porte dont un honorable ministre a parlé hier et par laquelle nous verrions peut-être arriver plus tard avec la nécessité de procurer les 13 millions ajournés des demandes nouvelles et considérables que nous n’aurions peut-être pas la force de repousser. Car l’expérience de ce qui s’est passé à l’occasion de l'extension donnée au chemin de fer est là pour nous instruire à cet égard ; je crois, en un mot, que nous agirons sagement en déterminant dès aujourd’hui que nous consacrons comme dernière et définitive allocation la somme de 55 millions qui est encore nécessaire pour le parachèvement complet des travaux du chemin de fer. De cette manière le pays saura à quoi s’en tenir ; nous aurons mis un terme aux inquiétudes qui se sont élevées mal à propos peut-être sur les dernières limites des dépenses extraordinaires à résulter de notre gigantesque entreprise.

Ainsi que l’a dit M. le ministre des travaux publics les évaluations n’ont point été contestées, elles sont même admises par tout le monde ; eh bien, rapportons-nous à cette fixation et ne craignons pas de donner au gouvernement les sommes dont elle démontré la nécessité, imposons-lui la responsabilité formelle de terminer, au moyen de la totalité du crédit qu’il demande, les différentes lignes du chemin de fer décrétées, vivifiées de leurs importants et indispensables accessoires.

Mais, dira-t-on, en appuyant les conclusions de la section centrale, le trésor, vous l’avez établi vous-même, doit nécessairement récupérer des sommes importantes ; pourquoi emprunter dès aujourd’hui à des conditions plus ou moins lourdes, lorsque des ressources certaines nous sont acquises dans un avenir assez rapproché ?

Je l’ai déjà fait entendre tout à l’heure messieurs ; selon moi, il est prudent de faire du chemin de fer une affaire toute spéciale ou plutôt de le maintenir dans la position toute spéciale où il se trouve : ce sera un moyen certain de suivre plus facilement cette entreprise, dans les différents éléments qui s’y rattachent, d’apprécier mieux annuellement ses véritables dépenses et ses véritables produits ; et d’ailleurs, messieurs, ces ressources dont j’ai tout à l’heure complété l’énumération, elles proviennent de l’actif général ordinaire de l'Etat ; il serait irrégulier de les appliquer à un objet tout spécial d’une nature isolée et extraordinaire. N’est-il pas plus logique, n’est-il pas juste surtout d’appliquer ces ressources, quand elles seront disponibles, et si le trésor est dans la belle position que je me plais à entrevoir pour lui, ne sera-t-il pas éminemment juste et logique d’appliquer ces ressources ainsi que l’a dit M. le ministre des finances, à la conversion déjà projetée de notre emprunt 5 p.c. ? Cet emprunt a été contracté dans des circonstances difficiles ; il a été contracté (et il ne pouvait en être autrement) à des conditions que nous trouvons aujourd’hui onéreuses, quoiqu’alors il nous ait sauvé peut-être de grands périls ; cet emprunt, dis-je, a été contracté pour les besoins généraux de l’Etat, il est naturel que le fardeau en soit allégé au moyen des ressources provenant de l’actif général ordinaire de l’Etat. Si un jour en procédant ainsi, le trésor a devers lui des excédants de caisse qui lui facilitent, comme je l’espère, l’opération de la conversion de l'emprunt 5 p.c., notre prévoyance aura de la sorte assuré la réalisation d’une mesure de la plus haute importance pour les contribuables par la réduction notable qu’en ressentira le budget de la dette publique. Peut-être eût-il été convenable de conférer dès à présent au gouvernement la faculté légale de l’exécution de cette mesure.

D’après ces motifs, je voterai la somme de 80 millions qui, à mes yeux, est absolument indispensable pour que le gouvernement ait définitivement les moyens de terminer entièrement tous les travaux du chemin de fer.

Je me permettrai maintenant, messieurs, de vous exposer mon opinion sur un point à l’égard duquel la section centrale est en désaccord complet avec le gouvernement, j’entends parler de la liberté d’action plus ou moins grande qui doit être laissée au ministère pour l’exécution de la loi que nous discutons en ce moment. La section centrale voudrait qu’il fût stipulé expressément que l’emprunt ne pourra être conclu qu’avec publicité et concurrence, et elle a eu soin d’indiquer d’une manière assez précise que ce qu’elle entend avec publicité et concurrence, c’est le système des soumissions admises en adjudication publique en présence d’un minimum inconnu des soumissionnaires, d’après lequel se décide ensuite l’admission ou le rejet des soumissions proposées. Je pourrais presque me dispenser d’ajouter quelque chose à ce qui vient déjà d’être dit sur le danger de l’obligation impérative d’un semblable mode.

Ne voyez-vous pas, messieurs, que si vous rendez obligatoire une adjudication telle que celle-là, vous courez un double danger, celui de n’avoir point d’adjudication ou celui d’avoir une coalition entre tous les soumissionnaires. Cette éventualité est suffisamment prouvée par des faits cités, et ces faits n’ont pas été amoindris par les objections qui y ont été opposées. En France, en 1831, alors que le ministre des finances se serait contenté du taux de 84 pour un emprunt de 5 p.c., et que les soumissionnaires demandaient un prix inférieur de 2 p.c. au minimum fixé par le gouvernement, que serait-il arrivé s’il y avait eu dans la loi une disposition impérative comme celle que l’on voudrait nous faire adopter ? il n’y aurait point eu d’emprunt, car le gouvernement se serait trouvé dans l’impossibilité d’accepter comme il l’a fait, le même jour ou le lendemain, une offre majorée à 84 et présentée de la main à la main, et avant que l’on eût pu recourir à d’autres mesures, des intrigues financières, des moyens puissants et efficaces auraient amené une débâcle dans les fonds publics ; on se serait trouvé dans une détresse dont il eût été difficile de prévoir le dénouement.

Je dis donc qu’il importe de laisser à cet égard une plus grande liberté d’action au gouvernement.

D’ailleurs, messieurs, cette publicité et cette concurrence que vous voulez écrire en termes impératifs dans la loi, existent toujours sans que vous ne stipuliez rien à cet égard. La discussion et le vote de la loi ne constituent-ils pas une publicité suffisante, ne constituent-ils pas la plus grande publicité, une publicité européenne ? Croyez-vous que sur toutes les places de l’Europe on ne sait pas que vous discutez un emprunt ? partout où il peut se trouver des maisons qui soient en position de vous prêter des fonds, on saura que vous avez voté un emprunt, on en connaîtra l’importance, les garanties qu’il assure, les avantages qu’il peut offrir, on connaîtra tout cela à quelque distance que ce soit, aussi bien qu’à Bruxelles même. La publicité existe donc par la nature des choses. Il est inutile de la stipuler dans la loi. Quant à la concurrence, pensez-vous que le gouvernement ne soit pas intéressé à l’admettre, croyez-vous que le ministre des finances ne désire pas vivement qu’il lui parvienne des offres de plusieurs côtés et surtout de la part de maisons capables de faire honneur aux engagements qu’elles auraient soumissionnés ? La responsabilité ne doit-elle pas lui faire désirer qu’il lui parvienne le plus d’offres possible, afin qu’il arrive à un choix avantageux rendu possible par les effets de la concurrence la plus large ?

En parlant, messieurs, de l’emprunt à 3 p.c. qui a été contracté en 1838, un préopinant a critiqué une des stipulations qui ont été faites à l’égard de cet emprunt. Je lui sais gré de la manière obligeante avec laquelle il a présenté cette critique, j’y répondrai tout à l’heure. Il m’était revenu, messieurs, par quelques-uns de mes amis de cette chambre que, dans les sections, plusieurs personnes avaient cru remarquer que, dans la conclusion de l'emprunt à 3 p.c., fait en 1838, il avait été souscrit par le gouvernement à plusieurs conditions très onéreuses et qui pouvaient donner lieu à une sévère critique. Vous m’avez accordé, messieurs, pendant quatre ans et demi que j’ai été à la tête du département des finances, trop de confiance, une confiance surtout trop bienveillante pour que je n’eusse pas dû venir spontanément au devant de critiques soulevées ailleurs même que dans cette enceinte sur cette grave affaire. Il m’importait de dissiper tout doute, de démontrer clairement qu’à l’époque de la conclusion de l’emprunt de 1838, j’ai fait, en ma qualité de ministre des finances, tout ce qu’il était possible de faire pour amener le résultat le plus avantageux au pays.

D’après ce qui m’a été communiqué, trois points principaux auraient paru à quelques honorables collègues mériter cette critique sévère dont j’ai parlé tout à l’heure : 1° le prix obtenu et la commission accordée au prêteur ; 2° l’attribution d’opérer la moitié de l’amortissement, laissé au prêteur, et enfin, la faculté de cesser les versements de l’emprunt dans certains cas de guerre déterminés. C’est le 17 juin 1838, messieurs, que le contrat de l’emprunt 3 p.c. a été signé avec la maison Rothschild, sous la réserve de ratification ; à cette date l’intérêt des bons du trésor était offert à 4 ½ p.c. non compris la commission ; le trésor était dans la nécessité de se procurer 25 millions en échange de ce papier, aux termes des lois que vous aviez votées, et 10 millions 397 mille francs seulement avaient pu être produits par l’émission de bons du trésor aux conditions que je viens d’indiquer. Cela, messieurs, ne vous surprendra pas si vous vous reportez à cette époque : le roi Guillaume venait d’adhérer au traité du 15 novembre 1831 et l’aspect des conséquences qui devaient résulter de cette adhésion avait produit une espèce de panique parmi tous les capitalistes, panique que les événements ont parfaitement justifié. Le gouvernement se trouvait donc avec l’autorisation et la nécessité d’émettre pour 25 millions de bons du trésor dans l’impossibilité d’en placer pour plus de 10 millions, il se trouvait ainsi à découvert de 15 millions de francs. C’est dans ces circonstances, qui vous sont parfaitement connues, que le gouvernement devait contracter l’emprunt 3 p.c.

Mais voyons si les conditions auxquelles le gouvernement a fait cet emprunt sont réellement aussi onéreuses que quelques personnes pourraient le croire.

Pour nous rendre compte de cela, il suffit, messieurs, en ce qui concerne le premier point critiqué, le prix, d’examiner quelle était la cote des différents fonds publics belges à la bourse, des fonds publics consolidés, établis, cotés en grande partie, et qui, par là, doivent avoir une faveur bien plus grande qu’un nouveau fonds qui se propage toujours, en quelque sorte, à l’aventure, dans des circonstances telles que celles que j’ai rappelées tout à l’heure.

Eh bien, le 16 juin 1838 (il n’y a pas eu de bourse le 17, jour de fête), la dette 2 ½ p.c. était à 54 papier ; le 5 p.c. était à 101 argent, et le 4 p.c. à 92. Or, qu’on prennent pour base l’un ou l’autre de ces emprunts, et l’on trouvera dans les résultats que c’est l’emprunt 3 p.c. qui se présente le plus favorablement.

Si l’on doit s’étonner d’une chose, c’est que le gouvernement ait pu parvenir à contracter cet emprunt aux conditions qui ont été stipulées. En effet si l’on compare la dette 2 ½ p.c. au taux net du 3 p.c. on trouvera qu’il y a avantage de 5,45 p.c. ; si on la compare au 5 pour cent, on trouvera qu’il y a un avantage de 10,25 p.c. et cet avantage est de 2 p.c. par rapport à la dette 4 p.c.

Ainsi, comparativement à tous les emprunts portant un intérêt moindre ou plus élevé, il y a avantage pour le 3 p.c. Quant au prix, par conséquent, on ne peut conserver aucun doute que les intérêts de l’Etat n’aient été défendus avec beaucoup de soin, pour arriver à un semblable résultat.

Et d’ailleurs, les cours auxquels cet emprunt de 3 p.c. a été produit ultérieurement à la bourse, ont été presque constamment en-dessous du taux d’émission depuis le mois de juin 1838. Ceci seul serait une justification bien satisfaisante du taux de l’émission de l’emprunt.

Dans les comparaisons que je viens d’avoir l’honneur de vous soumettre, je n’ai pas même pris pour base le taux réel de l’émission. J’en soustrais la commission, et cependant cette commission doit être considérée comme un dédommagement au prêteur, qui n’altère en rien le taux de l’émission. Cette commission est de 2 ½ p.c., on la trouve élevée, elle peut produire un bénéfice considérable au prêteur. Mais celui-ci n’a-t-il pas eu des chances, des dangers à courir, et à quel titre les aurait-il bravés sans l’espoir fondé d’une compensation ?

Pour se rendre bien compte, messieurs, de la situation générale des opérations financières sur différentes bourses en juin 1838, que l’on veuille considérer le cours du 3 p.c. français à l’époque où a été conclu notre 3 p.c. ; l’on trouvera qu’il était à 80, tandis qu’il est aujourd’hui à 86. Vous voyez donc que les inquiétudes résultant de l’adhésion du roi Guillaume étaient réelles et générales, qu’elles se faisaient sentir non seulement en Belgique, mais encore dans les autres pays. Je pourrais à cet égard invoquer les taux des fonds publics dans d’autres bourses encore ; mais cela est inutile.

Pour en venir à ce qui touche cette commission de 2 ½ p.c., qui, je le reconnais, peut présenter un véritable bénéfice au prêteur, c’est une condition, en quelque sorte banale dans les contrats de l’espèce ; des Etats de premier ordre, des nations anciennes, bien plus puissantes que la Belgique ont dû passer par cette condition : les contrats conclus par la maison de Rothschild avec la France, la Prusse, la Russie, le Danemark et autre pays encore, tous ces contrats stipulent, je pense, cette commission de 2 ½ p.c.

Ne croyez pas, messieurs, que dans l’emprunt 3 p.c., il n’y ait pas eu ouverture à la concurrence. Ne croyez pas que le gouvernement belge n’eût pas vu avec plaisir affluer les soumissions de différents côtés ; nous n’avons pas, messieurs, attendu que la concurrence vînt d’elle-même, nous l’avons même provoquée, c’est peut-être grâce aux démarches d’un homme habile qui a été envoyé à Londres, démarches qui ont été activement secondées près des principales maisons de banque d’Angleterre par notre ministre plénipotentiaire. C’est, dis-je, grâce peut-être à l’effet de ces démarches que nous sommes parvenus à contracter l’emprunt 3 p.c.

Le second point sur lequel il paraît qu’il a été exprimé quelque regret, c’est la clause qui attribue au prêteur la moitié de l'opération de l’amortissement.

Je conçois l’immense importance qu’il y a pour un pays d’amortir sa dette par des rachats opérés directement. Ah ! messieurs, croyez-moi, si j’avais pu imposer la condition, si même au moyen d’un ½ sur le prix, j’avais pu obtenir l’opération entière de l’amortissement de la dette pour le gouvernement, je n’eusse pas manqué de le faire. Mais je n’étais pas seul pour traiter, et rappelez-vous encore les circonstances dans lesquelles on se trouvait ; il importe de tenir compte de ces circonstances, pour comprendre qu’on ne pouvait pas s’obstiner sur des conditions absolues dans ce moment. Toutefois, il y a eu une amélioration, comparativement aux contrats passés précédemment. Les contrats de l’emprunt 5 p.c. avaient attribué (et il le fallait bien on n’avait pu faire autrement alors) ces contrats avaient attribué l’amortissement intégral à la maison Rothschild. Eh bien, j’ai obtenu que du moins dans l’emprunt 3 p.c. la moitié de l’amortissement fût laissée aux soins du gouvernement belge. Ainsi cet objet important n’a pas été perdu de vue dans sa négociation.

Enfin, il est un troisième point (et ce point est grave), sur lequel des regrets paraissent également avoir été exprimés ; il s’agit de la faculté qui, aux termes du contrat, était réservée à M. Rothschild, de suspendre les versements restant à compléter dans le cas de certaine guerre. Je dis, dans le cas d’une « certaine guerre », car il importe que cette stipulation soit comprise dans le sens dans lequel elle est réellement écrite. Ce n’est pas d’une guerre avec la Hollande que dépendait la suspension du payement ; la suspension ne devenait applicable que dans le cas d’une guerre générale, alors qu’une puissance serait spontanément intervenue dans le conflit entre la Belgique et la Hollande, autrement qu’au gré de la conférence de Londres.

Eh bien, messieurs, je vous dirai tout simplement comment les choses se sont passées.

Les premiers mots que m’adressa M. Rothschild dans l’entretien préparatoire à la conclusion de l'emprunt que j’eus avec lui, furent de me demander si la Belgique ferait la guerre. « Car, dit-il, si j’étais persuadé que la Belgique fît la guerre, et qu’elle y employât les fonds que je vais mettre à sa disposition, je ne donnerais pas un denier, attendu que mes intérêts me défendent de contribuer même de la manière la plus indirecte à troubler la paix générale. »

Eh bien, je répondis avec franchise à M. Rothschild qu’alors même que l’emprunt ne devrait pas se conclure avec lui, je ne lui donnerais à cet égard aucune espèce d’indice qu’il n’y aurait pas de guerre. Je déclarai formellement que si les droits de la Belgique étaient méconnus et ainsi exigeaient la guerre, je ne craindrais pas de la provoquer. J’ajoutai, du reste, et ceci mérite toute votre attention, que nous ne demandions pas à emprunter pour faire la guerre ; que l’emprunt était exclusivement destiné, par les termes précis de la loi, à la continuation des travaux du chemin de fer.

Lorsque les principales conditions furent arrêtées, M. Rothschild me dit : « Puisque les fonds que vous voulez emprunter ne doivent pas servir pour faire la guerre, et qu’évidemment les travaux du chemin de fer seraient suspendus par la force des choses si la guerre éclatait, la raison commande que vous laissiez au moins introduire dans le contrat la faculté de ne plus faire de versement en cas de guerre. »

Il s’est alors élevé un débat sur la portée plus ou moins grande à donner à cette disposition, et il a été très explicitement établi que la clause ne serait applicable que dans le cas de guerre le plus grave, celui que j’ai indiqué tout à l’heure.

Ainsi, vous voyez que, si sur ce point délicat, il y a eu dans le contrat une stipulation qu’on aurait désiré ne pas y voir introduite, c’est qu’il a été impossible d’agit autrement.

Cette clause, du reste, n’est pas nouvelle ; elle n’a pas été inventée à l’occasion du contrat de l’emprunt 3 p.c. ; elle se trouve exprimée dans le contrat de la première partie de l’emprunt 5 p.c. Et alors la position était différente, puisque l’emprunt était destiné aux besoins généraux de l’Etat, y compris ceux de l’armée et de la défense du pays. Je n’ai pas à blâmer ceux qi ont conclu cet emprunt ; je dis même qu’ils ont rendu un immense service au pays, en contractant alors avec une maison dont le patronage pour notre crédit a été en quelque sorte pour nous l’appui d’une grande puissance.

Car il faut juger ces questions au point de vue de l’époque où l’on se trouvait, et je vous le demanderai si en 1831 et 1832 et en 1838 la position de la Belgique n’était pas de nature à inspirer de vives et légitimes craintes aux financiers qui voulaient bien nous confier leurs capitaux.

Maintenant, j’ai entendu l’honorable préopinant auquel je viens de répondre en partie ; je l’ai entendu déclarer qu’il y avait eu confiance extrême, danger peut-être à donner immédiatement à la maison de Rothschild les titres de l’emprunt, avant que les versements n’eussent été effectués.

Messieurs, le résultat a prouvé qu’il n’y avait eu aucun danger à cet égard, et je crois qu’on pouvait être parfaitement tranquille sur la solidité de la maison à laquelle étaient confiés ces titres.

Du reste, alors même que la maison eût fait de mauvaises affaires, la Belgique n’eût pas été désarmée, comme on semble le croire ; et d’ailleurs nous n’étions pas tout à fait sans garanties positives reçues à l’instant même, car immédiatement après la signature du contrat, je ne craignis pas de manifester à M. Rothschild dans quelle gêne se trouvait notre trésor public, confidence qui détermina le prêteur à verser le jour même dans les caisses de l’Etat et sans réclamer même un reçu de ma part, la somme énorme de 8 millions ; nous n’étions donc pas entièrement désarmés en fournissant les titres six semaines après, et la puissante maison avec laquelle nous venions de traiter au nom de la Belgique, lui réciproquait la confiance accordée.

Du reste, si dans des opérations de cette nature, on se refusait à user réciproquement de confiance, il serait impossible d’arriver à une solution. J’en appelle à cet égard à l’expérience des membres de cette chambre qui ont souvent traité de grands intérêts financiers.

J’ajouterai, messieurs, que la condition de fournir les titres avant d’avoir reçu tous les versements se trouve insérée dans des contrats passés par les plus grandes puissances avec la maison Rothschild, et qu’il n’en est résulté et ne pouvait en résulter le moindre embarras, ni la moindre difficulté.

J’espère, messieurs, qu’après ces développements sur lesquels je reviendrai, s’il est nécessaire, vous continuerez à être convaincus comme vous me l’avez témoigné dans maintes circonstances, que j’ai apporté tout le zèle possible dans la conduite et la conclusion de cette grande opération.

Un grand nombre de voix – C’est vrai ! c’est vrai !

M. Metz – Vous concevez facilement que la discussion profonde à laquelle viennent de se livrer les deux orateurs qui m’ont précédé, doit singulièrement diminuer la tâche, réduire les observations que je me proposais de vous soumettre ; ce n’est donc qu’une espèce d’explication de mon vote que je viens vous donner.

Je ne suis pas de ce gens que le mot emprunt effraie, de ces gens qui voient dans un emprunt un premier pas vers la banqueroute.

Je suis de ces hommes qui croient que l’emprunt, bien appliqué est une cause féconde de prospérité, un moyen d’appeler l’avenir au secours du présent, de décupler les ressources présentes pour les appliquer à faire de grandes choses que, sans le crédit, une nation serait obligée de remettre à des temps inconnus. Voilà comme je considère l’emprunt. C’est partant de ce point de vue que je donnerai mon adhésion à celui proposé aujourd’hui.

Qu’on ne croie pas que les emprunts même successifs réduisent le crédit dont une nation peut jouir, et pour le prouver les exemples ne manquent pas. Il n’y a guère plus qu’un siècle l’Angleterre n’avait pas plus de 900 millions de dettes. L’Angleterre alors était pauvre, elle n’avait pas cette immense industrie qui a pris un si grand développement. Depuis cette époque, sa dette s’est accrue jusqu’à 20 et quelques milliards. Et l’Angleterre est aujourd’hui riche, puissante, et son crédit est debout.

La France, depuis 1816, a augmenté le chiffre de sa dette de cent et tant de millions de rente, et elle a vu le cours de ses fonds s’élever de 57 à 116 ; c’est le chiffre auquel le cinq est coté aujourd’hui ; ne croyez pas que ce soient les emprunts que fait une nation pour exécuter des choses utiles qui puissent miner son crédit.

Le crédit d’une nation, comme l’a dit M. Pirmez, se trouve dans sa fortune, se trouve dans la loyauté qu’elle met dans l’accomplissement de ses engagements. Le crédit d’une nation, pour me servir de son expression, se trouve dans la poche des contribuables. La Belgique ne peut, certes, inspirer aucune inquiétude. Pour sa fortune, elle est hors de toute comparaison avec les nations qui l’environnent. La Belgique, outre la fertilité extraordinaire de son sol, a une richesse minéralogique immense, et personne ne doute de sa loyauté dans l’accomplissement de ses engagements financiers. Nous n’avons donc, sous ce rapport, rien à craindre pour la diminution de notre crédit dans l’emprunt que nous nous proposons de contracter. Je me rallierai au projet du gouvernement.

Il a pensé avec raison que la dette flottante pouvait être maintenue à un chiffre plus élevé qu’il ne l’avait proposé, et l’emprunt réduit d’autant, et en effet la dette flottante peut sans inconvénient être portée à 12 millions et au-delà, les ressources du trésor public donnant toujours les moyens de satisfaire aux échéances raisonnablement échelonnées. L’exemple de nos voisins aurait pu nous rassurer entièrement ; car, si nous examinons la situation financière de l’Angleterre et de la France, nous trouvons que l’Angleterre marche avec une dette flottante de 7 à 900 millions et que celle de la France varie de 3 à 400 millions environ ; j’approuve donc la manière de voir du gouvernement qui s’est rallié à la proposition de la section centrale de ce chef.

Maintenant il ne reste, quant au chiffre de l’emprunt, que la question du chemin de fer qui divise encore la section centrale et le gouvernement. L’honorable M. Cogels vous a dit qu’il fallait que l’emprunt dont il s’agit, fût le dernier. Je le désire ; cela sera-t-il ? Cela étant, on a raison de déclarer que notre emprunt sera le dernier, car si nous posons déjà le principe d’un nouvel emprunt dans celui que nous décrétons, soyez persuadés que cette prévision d’un autre emprunt réagira sur celui que nous allons contracter, parce que, dans l’espoir d’avoir un taux plus avantageux dans l’emprunt futur, on nous fera de moins bonnes conditions pour celui-ci.

Dès qu’il est établi que le chemin de fer nécessite l’emploi de la somme réclamée pour lui, il ne faut pas hésiter à la couvrir intégralement par l’emprunt.

Le chiffre demandé a été reconnu par tout le monde ; il a été déclaré par le ministre des travaux publics que 19 millions étaient déjà engagés, et il a été prouvé par lui qu’il devait pouvoir compter avec certitude sur la totalité de la somme qu’il demandait pour assurer le service du chemin de fer jusqu’à l’entier achèvement des travaux ; je me défie des ressources qu’on croit trouver dans l’encaisse de la société générale et dans la vente des domaines. L’encaisse est soumis à des conditions, à des difficultés qui ne permettent pas de compter avec précisions sur ce fonds pour acquitter des dépenses reconnues nécessaires, indispensables. D’ailleurs on a déjà prévu pour cet encaisse une destination plus utile que celle qu’on propose aujourd’hui, en le faisant servir à diminuer le chiffre de l’emprunt.

Quant à la question des domaines, je partagerai l’opinion de M. d’Hoffschmidt soutenue par M. d’Huart et que conteste M. Pirmez. Sans entrer dans le fond de cette question, qui est une question d’avenir qu’il ne faut pas résoudre par des raisons d’actualité qui flattent trop facilement ceux qui les produisent, sans vouloir traiter cette question délicate, je demanderai comment il se fait que le principe que cet honorable membre défend, ne soit pas appliqué autour de nous, comme il se fait que la France qui a 1500 mille hectares de forêts, ne s’empresse pas de les vendre pour amortir une partie considérable de sa dette publique ? On a cité l’Angleterre. Je demanderai à M. Pirmez comment il se fait qu’en Angleterre où le défrichement a été une conséquence naturelle, reconnue de la vente des bois domaniaux, tout tende maintenait à la conservation des forêts ; que tous les actes du gouvernement excitent à ce résultat ? C’est parce que l’Angleterre, puissance maritime, a senti le danger de laisser son sol dégarni de forêts ; c’est qu’appelée par les suites de la guerre à employer pour ses navires les bois inférieurs du Canada, elle a pu reconnaître qu’ils étaient hors d’usage au bout de quelques années.

Je demanderai à M. Pirmez comment il se fait que partout en France, on a considéré la conservation des bois, non seulement comme une question de salubrité publique dont on faisait beau jeu hier ici, mais encore comme intéressant le système de défense d’un pays. Croyez-vous que si la ville de Bruxelles était couverte par une ceinture de forêts, elle serait ouverte à la première armée qui viendrait nous envahir ? Sous le rapport stratégique, la question de défrichements recevrait une solution contraire au système soutenu hier par M. Pirmez.

J’arrive maintenant à un des points importants du projet, c’est la question de la concurrence et de la publicité. Je vois avec plaisir le gouvernement résister de tous ses moyens à la concurrence et à la publicité que la section centrale cherche à lui imposer. C’est une preuve palpable du zèle que les ministres apportent dans l’administration qui leur est confiée. Rien ne serait plus commode pour les ministres que de souscrire au moyen proposé par la section centrale.

On annonce partout que tel jour l’adjudication publique d’un emprunt va se faire en Belgique ; au jour indiqué on se réunit autour d’un tapis vert avec une urne dans laquelle sont déposées les soumissions cachetées renfermant les propositions des concurrents. Le ministre ouvre les soumissions et si les souscriptions ne vont pas au taux qu’il a fixé, il déclare que l’adjudication n’est pas approuvée ; si elles dépassent le chiffre qu’il a posé, la loi lui impose la forme à suivre, en adjugeant l’emprunt à celui qui a fait la soumission la plus élevée.

Mais le ministère a compris que dans une opération aussi immense, il ne devait pas se borner au rôle passif que veut lui imposer la section centrale et qui ne le soumet à aucune responsabilité.

Il a senti qu’il devait travailler par tous les moyens possibles à obtenir les conditions et le chiffre le plus avantageux pour le pays, et qu’il en est d’autres encore que celui préféré par la section centrale.

Pour réaliser un emprunt, il y a trois moyens. Du premier, la concurrence et la publicité il a été fait justice. On l’a dit avec raison, la publicité n’est-elle pas dans nos débats ? Tous les capitalismes ne savent-ils pas qu’un emprunt va être voté, voilà la publicité. Les prêteurs ne vous manqueront pas ; ils feront connaître au gouvernement les conditions auxquelles ils peuvent servir l’emprunt ; voilà la concurrence. Suivre pour une immense opération de cette nature le même mode d’adjudication, que pour la concession d’une route, messieurs, c’est, je crois, manquer à l’intérêt du pays. Il se présentera publiquement trois ou quatre individus pour soumissionner l’emprunt, mais auront-ils les mêmes moyens de soutenir le crédit du pays ? Seront-ils au même titre dignes de votre confiance, ne faut-il pas préférer l’un à l’autre, ne faut-il pas diriger l’emprunt ? voilà des choses que le ministère doit décider, mais dans une adjudication publique, et faite en bloc, vous êtes obligés à admettre ou à rejeter purement et simplement la proposition qui nous est soumise.

Et si par défiance du prêteur une soumission n’était pas approuvée ; le public qui ignorera le véritable motif, croira que le chiffre proposé n’était pas assez élevé pour le gouvernement, que le soumissionnaire n’a pas eu assez de confiance pour en proposer un supérieur, et de telles idées, en laissant supposer un échec dans l’emprunt, nuisent sensiblement au crédit d’un Etat.

Au reste, on l’a dit déjà, les exemples que l’on a cités prouvent à l’évidence que la publicité et la concurrence ne sont pas dans l’intérêt du pays, puisqu’en France après avoir essayé de la publicité et de la concurrence, on en est revenu dans plusieurs cas à traiter de la main à la main.

Il est une considération d’un poids immense dans cette question, c’est que si vous inscrivez dans la loi l’obligation d’adjuger l’emprunt avec publicité et concurrence vous liez les mains au ministère et vous provoquez par la force des choses une coalition entre les capitalistes, coalition impossible aujourd’hui parce que par le secret des négociations l’emprunt pourrait leur échapper.

Pourquoi introduire à la légère un mode nouveau d’emprunt lorsqu’on a lieu d’être satisfait du mode suivi jusqu’à présent ? Le premier, l’emprunt de 100 millions qui a assuré notre indépendance et a obtenu l’assentiment de tous ; l’emprunt de 30 millions réalisé par l’honorable M. d’Huart, a eu lieu par souscriptions volontaires. Ces souscriptions ont été faites avec tant d’empressement qu’il y a eu pour 671 millions et l’emprunt n’était que de 30 millions : ne peut-on pas suivre ce mode encore, qui, divisant l’emprunt, le rend plus accessible, qui appelle les capitaux du pays, ce qu’il faut rechercher, qui nationalise alors l’emprunt.

D’après cela pourquoi adopteriez-vous une forme nouvelle qui aurait pour résultat de faire échoir l’emprunt à une coalition.

Je dirai un mot de l’amortissement. On l’a imposé au gouvernement et le gouvernement l’émettrait avec raison pour être appliqué avec fruit, l’amortissement a besoin de la probe activité, et du discernement du gouvernement. Mais il ne faut pas nous dissimuler que notre amortissement est illusoire si nous trouvons annuellement dans nos budgets un excédant de dépenses sur les recettes. Que sert en effet d’amortir d’un côté, pour contracter de nouvelles dettes de l’autre, ce n’est que changer de créancier. Si nous avons une ferme volonté d’amortir, il faut au moins balancer à l’avenir les recettes et les dépenses : en Angleterre ce n’est que l’excédant des recettes que l’on consacre à l’amortissement.

Il est d’autant plus nécessaire de mettre de l'harmonie entre nos recettes et nos dépenses, et d’introduire des changements dans notre système financier que nous sommes menacés de voir disparaître bientôt de notre budget jusqu’à huit millions de recettes accidentelles ? Comment et par quels impôts cette somme sera-t-elle remplacée ? Notre système d’impôts doit devenir un objet d’études sérieuses pour M. le ministre des finances. Quant à moi, je suis étonné que dans un pays où la fortune publique et particulière ne le cèdent à celles d’aucun Etat, il soit des objets imposables qui ailleurs produisent au trésor des sommes considérables, et qui, chez nous, produisent beaucoup moins.

On sait ce que le sucre et le tabac versent au trésor français.

En Angleterre les droits s’élèvent :

Sur le tabac à 81 millions de francs ;

Sur le sucre, à 114 millions de francs ;

Sur la bière, à 131 millions de francs ;

Sur le thé (nous n’en consommons peu) à 118 millions de francs.

Ensemble : 444 millions de francs.

Mais voilà quatre articles qui produisent peu à la Belgique et qui livrent à l’Angleterre 444 millions, presque le tiers de son budget.

Il est donc d’importantes mesures financières à prendre si l’on veut que cet emprunt soit le dernier ; j’ai dit comme je voterai.

M. le président – Une proposition a été déposée, elle est renvoyée aux sections pour savoir si la lecture est autorisée.

- La séance est levée à 5 heures.