(Moniteur belge n°120 du 29 avril 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven fait l’appel nominal à une heure.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est adoptée.
M. Scheyven présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Henry Hofman, fabricant de grès à La Roche, demande une augmentation de droits d’entrée sur les poteries étrangères. »
- Renvoyé à la commission des pétitions.
« Le sieur Antoine, père de famille, militaire pensionné, demande que sa pension soit portée au taux de la loi du 24 mai 1838. »
- Renvoyé à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur les pensions militaires.
« Le conseil communal de Kempt demande que cette commune reçoive l’indemnité qui lui revient du chef des pertes qu’elle a essuyées par l’invasion hollandaise en 1831. »
M. Angillis – Messieurs, cette pétition émane de quelques-uns de nos bons amis du Limbourg. Les pétitionnaires demandent que la chambre prenne des mesures pour qu’ils reçoivent leur part du fonds que la législature a votés pour secourir les malheureuses victimes de l’invasion hollandaise.
Je demande qu’il plaise à la chambre de renvoyer cette requête à la commission des pétitions avec invitation de nous faire un rapport aussitôt que possible.
- Cette proposition est adoptée.
« Des propriétaires, membres d’administrations communales, industriels et autres habitants du bassin de Charleroy adressent des observations sur le projet de loi relatif à la réduction du tarif de la Sambre, et demandent que la chambre prenne une prompte décision dans cette affaire.
M. Pirmez – Je demanderai que la chambre veuille bien autoriser la lecture de cette pétition au commencement de cette séance, car elle n’aura plus aucun objet après le vote de la loi. La pétition est extrêmement courte, elle ne contient qu’une page d’écriture. »
La lecture est autorisée.
« Le général Lecharlier demande que la chambre fasse régulariser sa position dans l’armée.
Renvoyé à la commission des pétitions.
« Les sieurs E. et A. Desauw, à Lessines, demandent que l’aliénation des établissements modèles d’Uccle et de Meslin-l’Evêque ait lieu par adjudication publique. »
Cette pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant la vente des établissement dont il s’agit.
« Par divers messages en date du 27 avril, le sénat annonce à la chambre :
« 1° Qu’il a rejeté la prise en considération de la demande en grande naturalisation du général Mellinet ;
« 2° Qu’il a pris en considération les demandes de même nature formées par les sieurs Alexandre-François Vondenbusch, Pierre-Jean-Louis Vondenbusch, Denis Moles le Bailly d’Hont et Joseph Zurstrassen. »
Pris pour notification.
M. Raymaeckers monte à la tribune et faire le rapport suivant au nom de la commission qui a été chargée de vérifier les pouvoirs de M. Nothomb, élu membre de la chambre par le district d’Arlon - Messieurs, le collège électoral d’Arlon s’est réuni le 23 de ce mois pour procéder au remplacement de M. Nothomb nommé ministre plénipotentiaire près de la diète germanique ; 452 électeurs ont pris part au vote du collège qui s’est divisé en deux sections ; la majorité absolue était donc de 227.
Dans la première section, M. Nothomb a obtenu 133 suffrages. Dans la deuxième section, il en a obtenu 97 ; il a donc réuni en tout 230 voix.
Quatre billets blancs ont été trouvés dans l’urne.
Les autres voix, au nombre de 218, ont été données à M. Charles Metz.
Aucune réclamation ne nous est parvenue contre la validité de l’élection.
En conséquence, messieurs, la commission m’a chargé de vous proposer l’admission de M. Nothomb.
L’admission est prononcée.
M. de Florisone monte à la tribune et fait, au nom de la commission des pétitions, le rapport suivant - Messieurs, par une première pétition en date du 27 décembre 1838, M. Antoine de Marneffe, ancien major aux dragons de la garde impériale, commandant d’un corps franc dans la province du Limbourg, lors des événements de votre glorieuse révolution de 1830, demandait l’intervention de la chambre pour obtenir le remboursement des sommes avancées par lui, pour la solde de son corps franc, s’élevant à 5,123 francs 80 centimes, non comprise celle de messieurs les officiers qui ne furent point payés faute de fonds nécessaires.
Aucun rapport ne fut fait à la chambre sur cette pétition. M. de Marneffe ayant lui-même retiré les pièces qui y étaient jointes.
Actuellement, par une nouvelle pétition en date du 13 février 1840, le pétitionnaire réclame contre une décision de M. le ministre de la guerre, en date du 6 février dernier, lui annonçant qu’il ne peut être donné suite à sa demande de payement en l’absence de documents qui justifient ses prétentions à la charge du gouvernement.
Messieurs, le pétitionnaire a fournir plusieurs certificats qui attestent la part glorieuse qu’il prit aux mémorables journées de septembre, et de son activité en face de l’ennemi dans le Limbourg, et plusieurs pièces émanées du gouvernement provisoire, du gouverneur de la province du Limbourg, du commissaire du gouvernement provisoire dans les arrondissements de Maestricht et de Hasselt ; qui toutes sont relatives au corps francs sous ses ordres.
Messieurs, votre commission des pétitions, considérant que notre nationalité n’existerait pas sans l’intrépidité des défenseurs de la cause de l’indépendance, vu les réponses et observations du pétitionnaire, à l’honneur de vous proposer un nouveau renvoi à M. le ministre de la guerre, avec demande d’explications.
Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. Scheyven, conformément à la décision prise par la chambre, donne lecture de la pétition des habitants du bassin de Charleroy, relative à la réduction du péage sur la Sambre.
Personne ne demandant la parole pour la discussion générale, il est passé à la discussion de l’article unique du projet.
M. le président donne lecture des différentes propositions ; elles sont ainsi conçues :
Projet du gouvernement : « Le gouvernement est autorisé à réduire le tarif de la Sambre pour tous les articles ou quelques-uns, à concurrence d’une quotité qui ne pourra excéder la moitié des droits existants. »
Projet de la section centrale : « Le gouvernement est autorisé à apporter au tarif de la Sambre telles modifications qu’il jugera convenables. »
Amendement de M. d’Huart : « Le gouvernement est autorisé à réduire le tarif de la Sambre, à mesure que des réductions analogues seront simultanément opérées en France dans le tarif du cours de la même voie navigable entre les frontières belges et Paris.
« Il stipulera, du reste, les conditions qu’il jugera les plus utiles au trésor de l’Etat et à l’industrie du pays en général. »
Rédaction proposée subsidiairement par M. de Brouckere : « Le gouvernement est autorisé à réduire le tarif de la Sambre, dans la proportion la plus conforme aux intérêts du trésor public et de l'industrie du pays en général, et sauf à lui à exiger que des réductions aient lieu simultanément dans le tarif du cours de la même voie navigable entre les frontières belges et Paris. »
M. le président – M. le ministre se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je me suis expliqué hier à cet égard ; j’ai dit, messieurs, que je ne me montrerais pas plus exigeant que mon prédécesseur ; je n’ai pas de motifs non plus de me montrer moins exigeant que la section centrale. Je crois que la proposition de la section centrale donnerait au gouvernement plus de facilité pour arriver au but utile des négociations, et dès lors je crois devoir, sous le point de vue gouvernemental, appuyer cette proposition.
M. Angillis – Je pense, messieurs, que les deux amendements, proposés par les honorables MM. d’Huart et de Brouckere, sont également inutiles. En effet, la latitude sans limites que la section centrale propose de donner au gouvernement, est assez expliquée, assez limitée en quelque sorte dans le rapport même de cette section, pour que le gouvernement sache ce qu’il doit faire. Insérer dans la loi que le gouvernement doit user de la faculté qui lui est accordée de la manière qu’il jugera la plus utile aux intérêts de l’Etat et de l’industrie, c’est lui apprendre un catéchisme qu’il n’a jamais pu ignorer ; car ce sont là des règles que tout gouvernement doit avoir constamment devant les yeux ; jamais un gouvernement ne pourra se dispenser de suivre ces règles ; si l’on croyait que de semblables prescriptions dussent être insérées dans une loi, on arriverait à la conclusion qu’en l’absence de ces prescriptions, le gouvernement ne serait plus tenu à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir les intérêts de l’industrie et du trésor. C’est ce qui serait absurde.
Si le gouvernement voulait abuser de la latitude qu’il s’agit de lui donner, les amendements ne l’empêcheraient pas de le faire, car chacun peut comprendre à sa manière les intérêts du trésor et les intérêts de l’industrie. Dans l’impossibilité de tracer des règles certaines, d’indiquer la manière précise dont le gouvernement devrait faire usage de la faculté qui lui est attribuée par le projet, force vous est d’adopter purement et simplement la proposition de la section centrale. Le gouvernement est instruit par la discussion, il est instruit par la connaissance de ces devoirs ; il saura prendre les mesures qu’il jugera convenables, et agir d’après les circonstances, d’après les dispositions de nos voisins, pour concilier le double intérêt de l’Etat et de l’industrie.
Je pense donc, messieurs, que les deux amendements sont inutiles, et je les repoussera par mon vote.
M. d’Huart – L’honorable préopinant trouve qu’il va de soi que le gouvernement, en abaissant le tarif de la Sambre, stipulera les conditions qu’il jugera les plus utiles au trésor de l’Etat et à l’industrie ; il pense, par suite, que l’amendement proposé à cet égard est superflu, attendu que le ministère doit toujours avoir en vue les deux grands intérêts dont il s’agit.
Mais je prierai l’honorable membre de faire attention que la rédaction de la section centrale peut être considérée comme dérogeant à ce qu’il regarde comme un axiome, comme un principe dont on ne saurait s’écarter ; en effet, donner au gouvernement la faculté de réduire le tarif au taux qu’il jugera convenable, sans lui indiquer aucune condition de cette réduction, qui pourrait même s’étendre jusqu’à la suppression de tous droits, ce serait l’affranchir de l’obligation de tenir constamment compte des exigences du trésor et de l’industrie. Or, je demande, moi (et je crois que nous devons être tous d’accord sur ce point), je demande que le trésor ne soit point lésé par les mesures qui seront prises ; je demande que l’abaissement du droit soit calculé de telle manière que le trésor récupère par l’augmentation de la quantité des objets exportés ce qu’il perdra par la réduction du droit, c’est-à-dire, qu’en définitive, la perception soit au moins équivalente à ce qu’elle est aujourd’hui.
En ce qui concerne l’industrie, je m’en suis expliqué en donnant les motifs de ma proposition ; selon moi, il fait nécessairement régler les choses de manière à satisfaire les intérêts de Charleroy sans léser ceux de Mons.
C’est pour fixer l’attention du gouvernement sur ces deux points, que j’ai cru devoir les mentionner spécialement dans le deuxième paragraphe de ma proposition, laquelle ne m’a été inspirée par aucune espèce de défiance envers le gouvernement ; je n’ai d’autre but que de faire expliquer clairement par la législature ce qu’elle veut ; je demande qu’il soit dit positivement qu’en permettant au gouvernement d’abaisser le tarif, nous entendons que cet abaissement soit combiné avec les intérêts du trésor et avec ceux de l’industrie en général.
Il n’y a donc rien de fondé dans le reproche qui m’a été adressé, de vouloir enseigner au ministère un catéchisme, qu’il doit nécessairement avoir constamment devant les yeux, et je suis persuadé que le gouvernement ne peut voir dans les termes de ma proposition une défiance que je déclare d’ailleurs n’exister aucunement dans mes intentions.
M. de Brouckere, rapporteur – Je persiste à croire, messieurs, que ma rédaction la plus convenable est celle qui est présentée par la section centrale ; cette rédaction ne lie le gouvernement en aucune manière ; elle le laisse libre dans son action ; si elle ne parle point des intérêts du trésor, c’est parce que le ministre des finances, qui sera chargé de l’exécution de la loi, est le défenseur né des intérêts du trésor. Nous avons cru qu’il était complètement inutile de dire à celui qui est le véritable curateur du trésor : « dans les mesures que vous prendrez, n’oubliez pas celui dont vous êtes chargé de ménager les intérêts. »
Voilà pourquoi nous n’avons pas parlé du trésor public, et qu’il nous a paru inutile aussi de parler de l’industrie.
Cependant, puisque des scrupules se sont élevés, puisqu’il s’est trouvé dans la chambre quelques membres qui ont cru qu’il était bon de rappeler au gouvernement des devoirs que, quant à moi, je crois impossible qu’il perde de vue, je n’ai pas vu un grand inconvénient à ce qu’on parlât dans la loi du trésor public et de l’industrie ; c’était pour cela que j’avais substitué à la rédaction proposée par l’honorable M. d’Huart une autre rédaction qui, sans lier le gouvernement d’une manière précise, lui rappelât cependant les intérêts que je vient d’indiquer.
Voici quelle était ma rédaction :
« Le gouvernement est autorisé à réduire le tarif de la Sambre, dans la proportion la plus conforme aux intérêts du trésor public et de l'industrie du pays en général, et sauf à lui à exiger que des réductions aient lieu simultanément dans le tarif du cours de la même voie navigable entre les frontières belges et Paris. »
Je dois toutefois rappeler à la chambre qu’au moment où j’ai soumis cette rédaction, il se trouvait dans l’amendement de l’honorable M. d’Huart un mot qui m’avait quelque peu effrayé, et que l’honorable M. d’Huart a consenti lui-même à faire disparaître : c’est le mot « successivement ». C’est déjà, à mes yeux, une très grande amélioration.
J’ajouterai que l’honorable M. d’Huart a expliqué comment il entend le mot « analogues », qui, dans son opinion, n’a pas ici le même sens qu’aurait le mot « proportionnel ». L’amendement ainsi modifié, ainsi interprété par son honorable auteur, ne présente plus à mes yeux de grands inconvénients.
Je persiste dans mon opinion, je crois que la meilleure rédaction est celle de la section centrale ; mais subsidiairement, et alors que la chambre préférerait la rédaction de l'honorable M. d’Huart, je crois que le gouvernement serait à même de faire tout le bien que nous désirons voir s’opérer, par suite de la loi que nous allons voter.
Messieurs, il me reste à examiner dans quel ordre la chambre devrait voter les divers amendements ; je crois que, pour mettre tout le monde à l’aise, il faudrait agir comme nous le faisons lorsque nous discutons les budgets : il faudrait commencer par mettre aux voix celle des quatre rédactions qui donne le droit le plus étendu au gouvernement ; ce serait donc celle de la section centrale ; si elle n’était pas adoptée, on mettrait alors aux voix la rédaction que j’ai présentée subsidiairement ; en troisième lieu viendrait l’amendement de l’honorable M. d’Huart, auquel, en cas de rejet, succéderait enfin la proposition du gouvernement, qui est la plus restrictive des quatre.
M. Coghen – Messieurs, je suis charmé de voir qu’aucune voix ne s’est élevée contre le projet qui nous occupe. Nous avons à nous prononcer sur deux amendements. J’avoue que celui de l’honorable M. d’Huart, modifié déjà par le retranchement du mot « successivement », me conviendrait, avec la suppression d’un autre mot, le mot « analogues » ; me conviendrait, dis-je, tout autant que celui de l'honorable M. de Brouckere, ou la proposition de la section centrale.
Je désire qu’on abandonne au gouvernement, dans cette question, tous les intérêts du pays, les intérêts vitaux du commerce et du trésor : le gouvernement est le défenseur de ces intérêts ; c’est à lui à apprécier à quel point il peut, en ménageant les uns, sacrifier les autres.
Je crois qu’il conviendrait de mettre d’abord aux voix l’amendement de la section centrale ; s’il n’est pas accepté, on pourrait voter alors celui de l’honorable M. d’Huart, qui me convient, pourvu qu’on admette la suppression du mot « analogues », parce que ce mot, bien qu’expliqué par l’honorable membre, pourrait peut-être causer des embarras au gouvernement.
Pour le cas où cet amendement serait mis aux voix, je proposerai le retranchement du mot « analogues. »
M. Dumortier – Messieurs, je ne pense pas que la proposition de l’honorable préopinant ait beaucoup d’écho dans cette chambre ; je ne pense pas qu’il convienne à personne d’entre nous qu’on supprime le mot « analogues » dans l’amendement de l’honorable M. d’Huart, mot qui, à mon avis, est la seule sanction que l’on puisse introduire dans la loi.
En effet, du moment que le mot « analogues » ne se trouvera pas dans la loi, comme je le disais hier, les ministres et le trésor seront à ma merci des sociétés françaises, possesseurs des canaux de jonction, sociétés qui opéreront les moindres réductions possibles, attendu qu’elles les laisseront tout faire par le gouvernement belge. Pour ces sociétés, il importera fort peu que le gouvernement belge reçoive ou ne reçoive pas.
Je ne pense donc pas que nous puissions supprimer dans la loi le mot « analogues » ; il n’y a pour nous qu’une seule garantie possible, elle consiste dans l’analogie réciproque des réductions. A la vérité, le mot « analogues » ne peut pas s’entendre d’une réciprocité rigoureusement exacte, et c’est pour cela que l’honorable M. d’Huart a bien fait de se servir de l’expression « analogues ». Une réciprocité rigoureusement exacte, serait d’une difficulté inextricable dans l’exécution mais il n’en est pas moins vrai que le mot « analogues » a un sens dans la loi, c’est-à-dire qu’il y aura dans les deux pays analogie proportionnelle dans les réductions. Si vous n’avez pas cette stipulation, vous n’avez rien dans la loi ; le gouvernement se trouvera à la merci des sociétés voisines, et il pourra être tellement circonvenu qu’il aura peut-être plus tard une grande responsabilité à assumer dans cette assemblée.
Avec l’analogie, vous assurez au trésor public la garantie de l’intérêt privé. Quelle est cette garantie de l’intérêt privé ? C’est d’obtenir le plus de bénéfices possible. Nous ne devons pas vouloir faire toutes les réductions, tandis que l’intérêt privé ne les ferait pas.
Toute la sanction de la loi se trouve donc dans le mot « analogues », il y a donc lieu de le conserver dans la loi.
Quant à l’ordre de la discussion, je pense que l’amendement de l’honorable M. d’Huart doit avoir la priorité ; et la raison en est toute simple, c’est que cette proposition est un véritable amendement, tandis que l’autre amendement ne consiste que dans la suppression d’une phrase.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, il est assez indifférent pour le gouvernement de voir adopter par la chambre la proposition de la section centrale, ou l’amendement de l’honorable M. d’Huart. Si la chambre donnait son assentiment au projet de la section centrale, l’intention du gouvernement serait d’exécuter la loi précisément dans le sens indiqué dans l’amendement de l’honorable M. d’Huart. Nous n’exprimons donc aucune préférence pour l’une ou l’autre dans deux propositions.
M. Rodenbach – M. le ministre des finances vient de dire que le gouvernement se conformera, dans l’exécution de la loi, aux dispositions de l’amendement de l’honorable M. d’Huart ; eh bien, si telle est son intention, pourquoi adopterions-nous le projet de la section centrale ? Nous devons nous en tenir à l’amendement de M. d’Huart, puisque le gouvernement déclare vouloir le suivre.
M. Dubus (aîné) – Messieurs, l’amendement de la section centrale, qu’on a vanté sous le rapport de la rédaction, me paraît présenter au contraire une rédaction très vicieuse. C’est une disposition qui, dans des circonstances données, peut avoir une portée tout autre que celle qui est avouée et dans l’exposé des motifs du gouvernement et dans le rapport même de la section centrale.
En effet, la rédaction de la section centrale autoriserait à jamais tout espèce de modification qu’un ministère présent ou futur pourrait désirer apporter dans le tarif de la Sambre ; que ces modifications soient des augmentations de droit ou des diminutions, ou enfin la création de droits qui n’existent pas aujourd’hui, le gouvernement serait donc armé de la faculté de modifier à jamais, comme il le jugerait convenable, le tarif de la Sambre.
Voilà la portée de la proposition de la section centrale d’après ses termes, je dis d’après ces termes, car il n’en est pas ainsi d’après les motifs de la section centrale. Je pense que la rédaction d’un projet doit être mis en harmonie avec les motifs de la loi, et ne doit pas être conçue en termes tellement larges qu’un ministère futur puisse en abuser dans des vues entièrement opposées à celles qui ont présidé à la rédaction du projet de loi.
Je crois que c’est commettre une des fautes les plus graves que de rédiger une loi de cette portée ; je m’oppose donc à cette rédaction ; et quant à la question de savoir quelle est la proposition qui doit être mise la première aux voix, puisque la rédaction de la section centrale, si j’ai bien compris M. le ministre des finances est devenue la proposition principale, le règlement s’oppose à ce qu’on la mette la première aux voix. Remarquez qu’il ne s’agit pas de chiffres ; quand il s’agit de chiffres, d’après les précédents de la chambre, c’est le chiffre le plus élevé qui est mis le premier aux voix ; mais quand il s’agit d’un texte, on doit mettre aux voix l’amendement avant la proposition principale et en commençant par celui qui s’écarte le plus de cette proposition. On doit donc suivre un ordre inverse de celui qui est proposé.
Quant à la comparaison à faire entre l’amendement de M. d’Huart et celui de M. de Brouckere, je déclare que je préfère de beaucoup l’amendement de M. d’Huart, qui est plus explicite et tout à fait en harmonie avec les motifs qui ont déterminé le gouvernement et la section centrale. Je ferai porter la comparaison sur un point. La proposition de M. d’Huart fait une loi au gouvernement de n’accorder de réduction sur la partie belge de la Sambre que pour autant que nous obtenons en même temps une réduction sur les droits qui se paient sur la partie française. Cette condition est absolue dans l’amendement de M. d’Huart. Dans l’amendement de M. de Brouckere, la condition s’efface.
Voici quelle est la rédaction :
« … et sauf à lui à exiger que des réductions ont lieu simultanément dans le tarif du cours de la même voie navigable entre les frontières belges et Paris. »
Cette expression : « sauf » emporte seulement que le gouvernement pourra exiger, s’il le juge à propos, des réductions sans la Sambre française. Je ne comprends pas que « sauf » ait la signification d’exiger. Cependant la section centrale reconnaît que le gouvernement doit s’imposer cette loi. Voici les termes dans lesquels elle s’exprime :
« Enfin, messieurs, la réduction ne peut être accordée en Belgique que pour autant que les droits soient simultanément abaissés en France dans une juste proportion : j’ajouterai même qu’il y aurait imprudence de la part du gouvernement belge à la consentir avant d’avoir obtenu à cet égard des garanties pour l’avenir. »
Vous voyez que la section centrale entend que le gouvernement s’impose l’obligation de ne réduire les droits en Belgique qu’autant qu’ils soient simultanément réduits en France. Il est naturel que cela soit inséré dans le projet de loi.
M. de Brouckere – Afin de faire cesser toute espèce de désaccord dans la chambre, et d’après les explications données par M. le ministre des finances, je déclare retirer ma rédaction et je déclare de plus ne pas m’opposer à ce que l’amendement de M. d’Huart soit mis le premier aux voix.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – D’après les explications données par l’auteur de l’amendement, le gouvernement ne voit aucune difficulté à s’y rallier, car cet amendement n’est que la reproduction commentée, expliquée de la proposition de la section centrale, et je n’y voix ni plus ni moins que ce que dit cette proposition. Du reste, l’auteur de l’amendement a fort bien compris les intentions qui ont dicté le projet, intentions qui sont résumées dans le rapport de mon honorable prédécesseur :
« La réduction y est-il dit, doit se faire dans des proportions telles que Mons ne soit point exclu du marché destiné à être désormais commun.
« La réduction ne peut être accorée en Belgique que si les droits sont réduits en France dans une juste proportion.
« Enfin la réduction doit être telle que le trésor public n’en soit point lésé. »
Ce sont là autant de vérités incontestables. Ces observations se trouvent reproduites dans l’amendement qui devient le projet de loi. Nous n’avons donc aucun motif de nous y opposer.
M. Coghen – Je n’ai plus de motif pour demander la suppression du mot « analogues ». D’après la manière dont cette expression a été expliquée, et le gouvernement l’acceptant, je n’ai aucune observation à faire. Je dirai seulement que la chambre ne doit avoir aucune crainte sur ce qui se fera en France. On y a dépensé au-delà de 15 millions pour établir cette grande communication qui lie l’Escaut à Paris. Aujourd’hui, il est impossible d’en user, à cause de la cherté du péage. Le gouvernement belge réduirait la totalité du droit, que la position resterait la même, si les concessionnaires du canal de jonction de Sambre et Oise ne consentaient pas à faire une réduction. Leur résistance serait opposée à leurs intérêts.
Vote sur l’article et sur l’ensemble du projet de loi
L’amendement de M. d’Huart est mis aux voix. Il est ainsi conçu :
« Article unique. Le gouvernement est autorisé à réduire le tarif de la Sambre, à mesure que des réductions analogues seront simultanément opérées en France dans le tarif du cours de la même voie navigable entre les frontières belges et Paris.
« Il stipulera, du reste, les conditions qu’il jugera les plus utiles au trésor de l’Etat et à l’industrie du pays en général. »
Adopté.
On procède à l’appel nominal sur l’ensemble du projet. Il est adopté à l’unanimité des 59 membres qui ont répondu à l’appel.
Ce sont : MM. Angillis, Brabant, Coghen, de Brouckere, Dechamps, de Florisone, de Foere, de Garcia de la Vega, d’Huart, de Langhe, Delehaye, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Muelenaere, de Perceval, de Potter, de Puydt, de Renesse, de Roo, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Dubois, Dubus (aîné), B. Dubus, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Lange, Delfosse, Lys, Manilius, Mast de Vries, Metz, Morel-Danheel, Pirmez, Polfvliet, Raikem, Raymaeckers, Rodenbach, Sigart, Thienpont, Troye, Ullens, Van Cutsem, Vandenbossche, Vandenhove, Vanderbelen, Willmar, Dedecker et Fallon.
Cette proposition est ainsi conçue :
« Je propose qu’il soit nommé une commission chargée :
« 1° De rechercher les causes qui ont produit la situation fâcheuse dans laquelle se trouvent l’industrie et le commerce extérieur du pays ;
« 2° D’assigner les moyens les plus propres à remédier au mal qui, de tous les points de la Belgique, est signalé ;
« 3° De présenter à la chambre les bases du système commercial et naval qu’il conviendrait, dans l’intérêt de l’industrie du pays, d’établir.
« La commission sera composée de sept membres, nommés par la chambre et pris dans son sein. »
M. de Foere – Avant de passer aux développements de ma proposition, je ne crois pas inutile d’adresser au ministère une question, à laquelle je subordonne ma persistance dans ma proposition.
Ce qui a donné lieu à la proposition d’enquête commerciale que j’ai l’honneur de faire à la chambre, c’est la circulaire, accompagnée d’une lettre de notre ministre plénipotentiaire près la cour de Londres, qui a été envoyée par l’administration précédente, à nos chambres de commerce.
Il y avait progrès dans ce document. On y reconnaissait la cause du mal qui rongeait le pays. On avouait que le commerce du pays se livrait presque exclusivement à un commerce de commission. Ce fait avait été longtemps nié. Dans mon opinion, aussi longtemps que le pays n’exercerait qu’un commerce de commission, il aurait été impossible de développer notre industrie par le commerce extérieur.
Dans ce même document, des mesures étaient proposées aux négociants pour sortir de notre malaise commerciale et pour imprimer au commerce du pays plus d’activité. Mais ces mesures ne me semblaient pas de nature à atteindre le but. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé de nommer une commission d’enquête, afin de mettre un terme aux hésitations et aux incertitudes continuelles dans lesquelles le pays était traîné depuis la révolution en ce qui concerne son industrie d’exportation et son commerce extérieur, et afin de rechercher les moyens d’éclairer le gouvernement et la chambre sur le système commercial qu’il conviendrait aux intérêts du pays de suivre.
Le ministère actuel a prononcé, dans son programme, quelques paroles vagues, générales, sous le rapport de la protection dont le commerce et l’industrie du pays éprouvent le besoin. Si le nouveau cabinet déclare qu’il entend protéger le commerce maritime du pays, par les mêmes moyens par lesquels toutes les autres nations, sans exception aucune, protègent leur commerce dans l’intérêt de l’exportation de leur industrie, je renonce à ma proposition d’enquête ; alors, dans mon opinion, elle devient inutile.
Si, au contraire, le cabinet persiste dans une opinion de liberté commerciale ou dans un système de commerce fondé sur le transit, je crois qu’il est dans l’intérêt du pays d’adopter ma proposition d’enquête. Plusieurs systèmes de commerce sont en présence. Tel système peut donner au pays quelque prospérité, tandis que tel autre lui interdirait tout commerce extérieur et, par conséquent, toute industrie d’exportation. Le pays souffre d’ailleurs de cet état d’hésitation et d’incertitude dans lequel il est maintenant depuis longtemps. Il est urgent qu’il soit fixé sur les moyens d’établir des échanges à l’extérieur.
Je demande donc au ministère de donner un sens plus déterminé aux paroles vagues qu’il a prononcées dans son programme, et quels sont les moyens qu’il se propose d’employer pour donner à l’industrie les débouchés dont elle a besoin et qu’il lui a promis d’ouvrir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Puisque l’honorable préopinant subordonne la proposition qu’il veut soumettre à la chambre à l’interpellation qu’il vient de me faire, je crois devoir lui répondre deux mots.
L’honorable préopinant demande au gouvernement quel système d’économie sociale il se propose de suivre. Ma réponse est que, dans une matière de cette nature, où il s’agit de concilier tant d’intérêts divergents, il est impossible au gouvernement d’indiquer un système exclusif et invariable, un système dont il ne doive jamais dévier. Ce qui le prouve, c’est que l’honorable préopinant, qui veut que le gouvernement formule un système commercial et des règles dont il ne doive pas s’écarter, n’est pas d’accord avec un honorable sénateur qui a dirigé toutes ses études sur cet objet.
Les soins du gouvernement tendront constamment à examiner chaque cas spécial, et à chercher de bonne foi les moyens les plus propres à concilier les intérêts du commerce et de l’industrie. Il m’est impossible, comme il le serait à toute autre personne chargée de cette branche de l’administration d’indiquer dès à présent les moyens de protection à employer à l’égard de chaque espèce d’industrie. Tout ce que je puis promettre, c’est que je donnerai tous mes soins aux branches d’activité, qui paraissent en souffrance et que je m’appliquerai à leur rendre les éléments de prospérité qui leur manquent, d’après l’honorable préopinant.
Est-ce à dire que nous suivrons de point et point la marche adoptée par le cabinet qui se retire ? Nullement.
Je crois que l’ancien gouvernement avait les intentions les plus droites, les vues les plus utiles. Mais le ministre, chargé de cette partie de l’administration, ayant dans es seules mains plus que les attributions de deux ministères, était dans l’impossibilité de donner au commerce et à l’industrie tous les soins qu’il réclament.
Aujourd’hui que la séparation des deux ministères a eu lieu, je promets à la chambre et au pays de diriger tous mes soins vers les investigations relatives aux moyens de protection à employer à l’égard du commerce et de l’industrie. Quels sont ces moyens ? Il m’est impossible, comme il le serait à ceux qui seraient à ma place d’indiquer ces moyens lorsqu’à peine on a pris place au banc des ministres ?
M. Delehaye – Je pense que, dans l’intérêt de notre honorable collègue, M. de Foere, il ne s’agit pas pour le gouvernement de faire connaître toutes les mesures qu’il compte prendre, mais seulement quel système commercial il doit suivre. Je pense que tel est l’esprit de sa proposition. C’est dans cet esprit que je me permettrai d’adresser une interpellation à MM. les ministres.
Si j’ai fait de l'opposition à l’ancien gouvernement, c’est entre autres pour le motif qu’il n’avait aucun système commercial, et que plusieurs branches d’industrie en souffraient. Je ne veux pas récriminer contre l’ancien ministère ; car je n’ai pas l’habitude de m’attaquer aux personnes qui ne sont plus. Si l’ancien ministère avait accordé une protection efficace au commerce et à l’industrie, il aurait eu mon assentiment sur plusieurs points, et le nouveau ministère l’aura, je le déclare, s’il leur accorde cette protection.
Je pense que, dans l’intérêt du ministère, puisque son avènement a été considéré comme un bonheur pour la Belgique, il ferait bien de faire entendre quelques paroles de consolation en faveur de l’industrie linière et de l’industrie cotonnière.
L’ancien ministère avait présenté un projet de loi pour empêcher la fraude. Je demanderai au nouveau ministère s’il compte prendre des mesures dans ce but. Quant à moi, je suis convaincu que, quelques moyens qu’on emploie, on ne réussira pas à la prévenir à moins qu’on n’ait recours à l’estampille.
Je demande au ministère des explications à cet égard. Je viens de la province qui m’a député dans cette enceinte, et j’ai la conviction que si le ministère se prononçait en faveur de l’industrie, il serait béni par toutes les localités du pays.
M. Rodenbach – Je désirerais savoir si l’honorable député de Thielt persiste à demander la commission d’enquête, après la réponse que vient de lui faire l’honorable ministre de l’intérieur. Dans le cas de l’affirmative, je me réserve de prendre la parole après lui pour appuyer sa proposition.
M. de Brouckere – Mais la proposition n’est pas développée.
M. Rodenbach – Je croyais qu’elle l’avait été dans une précédente séance.
M. le président – La proposition de M. de Foere n’a pas encore été développée.
M. Rodenbach – Alors, je l’appuierai quand elle aura été développée.
M. F. de Mérode – Le meilleur moyen de soulager l’industrie cotonnière de Gand et des autres villes de la Flandre était d’amener la discussion de la loi des douanes présentée par l’honorable M. Desmaisières.
Maintenant que toute notre session est perdue, cette discussion ne viendra pas dans cette session. Je ne connais pas ce que le préopinant pourrait obtenir du ministère actuel ; il ne peut répondre actuellement et je ne sais comment il pourrait formuler le système réclamé par l’honorable M. de Foere. Au reste, je ne crois pas que l’industrie soit ni mieux ni plus mal traitée par les nouveaux ministres que par leurs prédécesseurs. Je crois que le nouveau cabinet mettra à soutenir l’industrie le même zèle que celui qui l’a précédé, mais il ne pourra empêcher que les retards occasionnés par les derniers événements ne nuisent à un projet qui pouvait amener des résultats favorables à l’industrie.
M. de Foere – L’honorable ministre de l'intérieur n’a encore articulé que des paroles vagues et générales sans rien préciser. Je ne lui avais pas demandé qu’il fixât son système commercial d’une manière invariable dans toutes ses applications secondaires. Certes, dans l’application de tous les détails, cette fixité de principes n’est pas possible. Mais dans tous les pays il existe un système commercial déterminé qui sert de règle générale et pour le gouvernement et pour le pays. C’est ce système que je demande à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien définir.
Je ne sais à quel propos M. le ministre de l'intérieur me reproche de n’être pas d’accord avec un honorable sénateur. Cette conformité d’opinion entre lui et moi existe ou non, je ne découvre pas le rapport de cette observation avec ma proposition d’enquête.
Le fait est cependant que je suis parfaitement d’accord avec l’honorable M. Cassiers sur les principes généraux. Quant à leur application aux questions de détail et de circonstance, nous en avons toujours ajourné l’examen.
Je ne conçois pas non plus la raison pour laquelle M. le ministre de l'intérieur, qui est membre de la chambre depuis le congrès, ne peut indiquer les moyens par lesquels il compte protéger le commerce et l’industrie. Ces moyens ont été tant de fois discutés dans cette chambre et par la presse qu’il est difficile de comprendre que l’honorable ministre n’a, à cet égard, aucune opinion arrêtée. Nous ne lui demandons qu’un aperçu des mesures que, dans son programme, il s’est proposé de prendre en faveur du commerce et de l’industrie et surtout en faveur de l’industrie d’exportation.
Si le ministère veut consentir à établir dans cette chambre une discussion sur les différents systèmes de commerce qui sont en présence. Je renoncerai encore à ma proposition d’enquête. Cette discussion ne serait pas sans utilité pour le pays. Il serait éclairé par les discussions des chambres et par les comparaisons qui s’établiraient entre tel et tel système. Je demande que nous discutions à fond la question. Jamais le gouvernement n’a sollicité d’avis des chambres de commerce ; jamais il n’y a eu d’enquête sur le système commercial. La chambre et le pays se trouvent dans la plus déplorable confusion d’opinions sur le système de commerce qu’il convient de suivre.
Si donc le ministère voulait consentir à ce qu’il s’établisse une discussion générale sur un système commercial à suivre, je ne persisterais pas dans mon proposition d’enquête. Je préférerais que la chambre s’éclairât elle-même.
M. de Theux – Messieurs, je ne veux pas prendre part au débat sur la nécessité d’une enquête ; mais je veux répondre au ministre de l'intérieur qui a dit que c’étaient les travaux multipliés des départements que nous avions l’honneur de diriger qui nous aurait empêcher de proposer les mesures utiles au commerce qu’il se réserve de présenter lui-même, lorsqu’il aura étudie les intérêts du commerce.
Je demanderai quelle est la question commerciale agitée et susceptible d’une solution immédiate devant laquelle nous avons reculé : ce n’est pas devant la question des droits différentiels ; la chambre elle-même a reconnu que le moment opportun n’était pas arrivé avant le traité du 19 avril pour en faire l’objet d’un acte législatif ; et depuis nous avons déclaré que nous étions prêts à discuter le traité de navigation avec la France et que lorsque ce traité serait discuté, nous discuterions à fond la question des droits différentiels.
Ce n’est pas devant la question linière qui a vivement préoccupé le pays pendant cette année : vous vous rappellerez qu’anciennement plusieurs motions ont été faites par des membres de cette chambre pour la résoudre et que la chambre a reculé devant les moyens proposés. Relativement à l’entrée des fils de lins, la chambre s’est bornée à adopter un droit plus protecteur, et ce projet de loi a été renvoyé au sénat qui en est encore saisi.
Nous avons institué une commission d’enquête pour examiner ce qui se rattache à l’industrie linière, et en particulier à la sortie des lins de même qu’à l’industrie agricole qui lui est connexe. La commission n’a pas encore fait son rapport, mais je ne doute pas que, d’après le personnel qui la compose, elle ne présente un travail intéressant et qui mettra la législature en état de prendre une décision.
Une troisième question très grave, qui a préoccupé une partie du pays, était relative à l’industrie cotonnière ; mais vous vous rappellerez qu’elle fut agitée en 1835 ; qu’à la suite d’un long débat la chambre rejeta le système de recherche et d’estampille réclamé principalement par les industriels de Gand. Depuis lors M. Desmaisières avait institué une commission chargé de rechercher les moyens les plus efficaces pour protéger cette industrie de même que d’autres industries contre les effets fâcheux de la fraude. Un projet de loi a été présenté à la chambre, mais il n’a pu être discuté.
Voilà les trois objets principaux qui divisaient les opinions.
Quant aux autres objets, la plupart ont reçu une décision. Ainsi le tarif des douanes a été presque entièrement révisé pendant notre administration. En 1834, sous le ministère qui nous avait précédé, la chambre avait pris l’initiative relativement à deux lois très importantes ; il s’agit des lois sur les toiles étrangères et sur les céréales étrangères ; et une résolution fut prise à cet égard.
J’oubliais une loi de transit que nous avons présentée et que la chambre a accueillie.
Vous voyez donc que notre ministère, non plus que les chambres, ne sont pas restés inactifs en ce qui concerne les intérêts du commerce et de l’industrie.
Il est vrai que trois questions restent à résoudre ; celles concernent les droits différentiels, l’industrie linière et la répression de la fraude.
Il est certain que des plaintes ont été formulées surtout depuis une année ; mais ces plaintes résultent d’une position qui est la conséquence des circonstances générales, car dans d’autres pays des plaintes fort vives se sont aussi fait entendre. La Belgique en particulier s’est trouvée dans des circonstances extrêmement difficiles qui ont dû agir sur son industrie et sur son commerce.
Je tenais à rappeler ces faits et ces circonstances. Il est très important pour les intérêts du pays que la question des droits différentiels soit discutée à fond ; que la question linière le soit également, ainsi que la loi relative à la fraude ; ce sera le moyen le plus efficace de mettre un terme à la division des opinions sur ces importantes matières.
M. le ministre de l’intérieur (M. Liedts) – Il a été loin de ma pensée de vouloir rien dire qui puisse inculper le ministère qui m’a précédé ; mais tout le monde comprendra, et l’honorable préopinant lui-même avouera qu’un administrateur qui réunit deux portefeuilles ne peut donner à chaque administration qu’il dirige ni le même temps, ni les mêmes soins que si elles étaient séparées. Voilà ce que j’ai dit ; et tout en rendant hommage à ses talents, je crois que j’ai pu le dire sans encourir le reproche d’avoir voulu l’inculper en quoi que ce soit.
Quant à l’honorable membre qui, depuis plusieurs années, fait entendre ses doléances relativement au système commercial que la Belgique devrait admettre, il n’a pas encore faire entendre les développements de son propre système. Il nous demande une discussion à cet égard ; mais cette discussion se trouvera naturellement amenée lorsque le traité de commerce avec la France vous sera soumis. A quoi conduirait la discussion d’une question posée d’une manière abstraite, ou sans application, qu’elle ait rapport aux droits différentiels ou à tout autre objet ? On discuterait pendant une année qu’il n’en résulterait pas un système complet de commerce ; car il n’y a pas de question qui comprenne tout le commerce, et toutes les circonstances du commerce, quelque généralité que l’on donne à l’expression de cette question ; tant il est vrai que la chambre ne pourra se décider que d’après des faits, d’après des circonstances.
Dans le commerce, il y a bien deux systèmes absolus : la liberté sans restriction, et le système prohibitif ; c’est entre ces deux systèmes que se trouve la vérité. Dire d’avance quel sera le système mixte que nous adopterons, cela nous est impossible ; tout ce que nous pouvons dire, c’est que nous examinerons les faits, c’est que nous tiendrons compte des circonstances, et que nous nous efforcerons d’en faire surgir les mesures les plus utiles au commerce et à l’industrie belges. Je ne recule pas devant une discussion générale, si l’honorable membre y tient, mais je demande qu’elle ait lieu à l’occasion du traité de commerce entre la France et la Belgique.
M. Rodenbach – En France le ministère acquiesce à ce qu’on nomme des commissions d’enquête ; pourquoi le ministère belge ne consentirait-il pas à ce que de pareilles commissions soient formées ?
M. de Brouckere – Mais la proposition de M. de Foere n’est pas développée.
M. Rodenbach – Il y a une crise flagrante en Belgique ; dans les Flandres les ouvriers sont sans ouvrage, ou leur labeur n’y reçoit pas le salaire convenable, et cette situation est déplorable. Si un bon rapport était fait par une commission d’enquête, ou bien si un conseil commercial, établi près d’un ministère, se chargeait spécialement d’examiner les causes de nos crises industrielles qui ruinent le pays, probablement on trouverait les moyens de remédier au mal. On ne doit pas craindre les lumières ; des hommes spéciaux, des hommes pratiques pourraient en donner aux ministres présents, comme ils auraient pu en donner aux ministres passés. Que le député de Thielt persiste dans sa proposition et il aura ma voix, car la misère est à son comble dans les Flandres.
Plusieurs membres – Vous exagérez !
M. Delehaye – Quoique les dernières paroles de l’honorable membre aient paru exciter des murmures, je dirai cependant comme lui, que la misère est à son comble dans certaines parties des Flandres.
M. d’Huart – Cela ne peut pas être.
M. Delehaye – Mais je ne dirai pas que la Belgique est dans une crise, puisqu’une crise est un mal passager : en France, il peut y avoir crise, et le mal se répare ; en Belgique le mal est permanent, il est inhérent au défaut du système. Lorsqu’en France la fabrication excède la consommation, une époque peut se présenter pour tous les produits ; mais chez nous de semblables occasions ne se rencontrent pas. Les Français peuvent introduire leurs fabricats en Belgique ; vous ne pouvez pas introduire les vôtres en France ; il n’y a pas réciprocité. Nous sommes dans une position commerciale des plus fâcheuses, et, à cet égard, je vous citerai l’opinion d’un Anglais. « En France et en Angleterre, dit-il, lorsque les marchandises fabriquées sont trop abondantes, on commence par en placer autant que possible dans le marché intérieur à des prix convenables ; puis on livre le reste à la Belgique à tous les prix qu’on peut en obtenir ». Vous comprenez tout ce qu’une telle concurrence a de redoutables pour nos produits similaires ; et de plus nous ne pouvons en faire autant chez nos voisins.
Je ne demande pas que le ministre de l’intérieur dise maintenant s’il adoptera un système prohibitif ou un système de liberté ; mais je demande qu’il adopte, comme en France et en Angleterre, un système protecteur. Sans doute qu’il ne faut pas des prohibitions absolues, ou une liberté illimitée, mais il faut des mesures qui permettent à l’industrie du pays de marche.
- M. Nothomb entre en séance et est admis à prêter serment
M. Dechamps – Messieurs, qu’il y ait malaise et souffrance dans notre industrie, que la Belgique n’ait point d’exportation ou du moins qu’elle n’en ait que peu, c’est une chose qui est pour moi évidente. Il ne suffit pas, messieurs, de se faire illusion, de nier le mal, pour y porter remède ; il faut envisager les faits tels qu’ils sont, il faut les encourager avec sang-froid, afin d’y porter remède avec courage et efficacité.
Sans doute, il ne faut rien exagérer, mais à ceux qui nient l’état de souffrance de l'industrie, je demanderai quelle est l’industrie, sinon celle de l'agriculture, qui, à l’heure qu’il est, soit encore debout ? Il y a quelques mois, une seule de nos grandes industries avait encore quelque apparence de prospérité, c’est l’industrie houillère ; aujourd’hui, la crise l’a atteinte comme les hauts-fourneaux et la forgerie, comme l’industrie linière, l’industrie cotonnière, et la draperie.
J’aurais voulu que M. le ministre eût fait entendre des paroles plus précises, plus positivement rassurantes, parce que l’industrie en Belgique, a besoin d’espérer, et les paroles de M. le ministre de l’intérieur n’ont pas eu un sens assez net, assez clair pour lui donner cette espérance dont elle a besoin. Je comprends très bien que le ministère ne peut pas formuler un système commerciale à l’improviste ; je comprends très bien qu’il ne peut pas déclarer s’il est prohibitionniste, ou s’il est libéral ; ce sont là des mots vagues qui ne recouvrent, pour ainsi dire, aucun sens pratique ; mais on n’ignore pas que dans la chambre, depuis plusieurs années, deux systèmes se trouvent en présence, non pas sous le rapport d’une protection douanière, plus ou moins large, mais sous le rapport du système d’exportation. L’ancien ministère, et c’est là un des motifs de l’opposition que lui ont faite plusieurs membres qui, sous d’autres rapports, étaient d’accord avec lui, l’ancien ministère avait adopté relativement au commerce d’exportation des principes de laisser faire et de laisser aller.
Le système commercial de l’ancien cabinet était, comme on l’a dit souvent, le système de 1822, c’est-à-dire un système créé pour un pays soumis à un régime colonial et que l’on a eu le tort d’appliquer à un pays n’ayant plus de colonies. Ce système consistait à attendre le commerce direct, des événements sans le provoquer par aucuns moyens. Dans l’opinion de l'ancien ministère, le commerce d’exportation se serait établi par la force même des choses, par suite de l’établissement de la ligne de transit, le chemin de fer ; tandis que nous soutenions qu’il fallait recourir à des mesures que l’expérience a dictées à toutes les nations commerciales, pour hâter le moment où le commerce direct s’établirait dans le pays. C’est ainsi que la question a été posée.
Cette question a été longtemps peu comprise, mais elle a considérablement grandi, et il faut avouer que la persistance, la ténacité de l'honorable auteur de la proposition ont été pour beaucoup dans le progrès qu’a fait l’opinion que je défends ; des préventions l’accueillirent longtemps, maintenant la chambre l’écoute, elle commence à comprendre, et elle ne tardera pas à être convaincue de l’importance, pour les intérêts belges, de s’occuper sérieusement de ces importantes questions.
Messieurs, la position de la Belgique est excessivement grave sous le rapport commercial. Vous savez que la Hollande, cette vieille rivale commerciale de la Belgique, que la Hollande a maintenant traité avec l’union douanière allemande, qu’elle a traité avec l’Angleterre et qu’elle est sur le point de réussir dans ses négociations avec la France ; si elle parvient à mener ses projets à bonne fin avant que nous ayons établi notre système à nous, avant que nous ayons traité avec les nations qui nous environnent, qu’arrivera-t-il ? C’est que les avantages que nous aurions dû retirer de notre chemin de fer, de notre transit, seront confisqués par la Hollande, c’est que nous arriverons trop tard.
Vous savez, messieurs, que la France elle-même projette maintenant l’établissement de voies qui la lient à l’Allemagne ; eh bien, si les hommes d’Etat de France qui ont conçu ce projet, parviennent à le réaliser, et si nous ne nous hâtons pas de créer un système commercial sur lequel les traités avec les nations commerçantes pourront seul s’appuyer, eh bien, encore une fois nous arriverons trop tard, nous serrons dans une impasse, il n’y aura plus pour nous ni transit, ni système commercial possible.
Je dis donc, messieurs, que la question soulevée par l’honorable M. de Foere est la plus importante de toutes celles qui pourront être posées de longtemps, et j’aurais voulu, pour cela, que le gouvernement se fût dessiné un peu plus qu’il ne l’a fait.
J’appuie, messieurs, un système commercial qui peut amener le commerce direct dans le pays, et j’appuie précisément un semblable système, parce que j’ai des opinions libérales et fait de commerce. Nos adversaires seront forcés, malgré eux, à adopter un système restrictif de douanes, précisément parce qu’ils n’auront pas voulu prendre des mesures propres à assurer à notre industrie des débouchés à l’extérieur. Ces débouchés sont le seul moyen d’avoir un système douanier libéral, car de deux choses l’une : ou l’industrie belge aura des débouchés à l’extérieur, et alors elle pourra admettre au partage de son marché intérieur les nations voisines, et alors elle devra forcément adopter un système prohibitif, afin de s’assurer au moins son marché intérieur. Ce sera là un triste remède, mais ce sera le seul qui nous restera, et nos adversaires y seront amenés malgré eux, si nous ne pouvons pas nous procurer des débouchés par un bon système d’exportation.
Je désire, messieurs, que le ministère s’explique sur les points que je vais lui soumettre. Je ne demande pas qu’il fasse des professions de foi sur un système général de commerce mais je voudrais savoir si le ministère est dans l’intention de suivre, à l’égard de l’établissement de relations directes, le système de laisser-aller qui a été reproché à l’ancien cabinet ; je voudrais savoir s’il partage l’opinion professée par ce cabinet, et qui consiste à soutenir qu’il n’est nécessaire de prendre aucune mesure pour amener le commerce direct dans le pays, mais que ce commerce direct doit d’établir par la seule force des choses, et par le seul achèvement de nos lignes de transit ?
M. d’Huart – L’ordre du jour, messieurs, appelait les développements de la proposition de M. de Foere. L’honorable membre a trouvé bon de faire précéder ces développements d’interpellations qu’il a adressées au ministère, et il a annoncé que, d’après les réponses qui seraient faites à ces interpellations, il se déciderait, soit à retirer sa proposition, soit à la développer. Le ministre a déjà répondu deux fois, et il me paraît que l’honorable membre doit dire maintenant s’il persiste à développer sa proposition, car s’il ne la retire pas, nous sommes en droit de le prier de passer à la tribune et de nous en donner les développements.
En ce moment on ne sait ce que nous discutons. Les uns parlent de commerce et de navigation, les autres critiquent les errements suivis par des ministères précédents ; une semblable marche est insolite, et je demande que nous passions à l’objet de l’ordre du jour, c’est-à-dire aux développements de la proposition de l’honorable M. de Foere, à moins que cette proposition ne soit retirée.
M. de Puydt – La motion que vient de faire l’honorable M. d’Huart est extrêmement juste. L’honorable M. de Foere a adressé au ministère une question, celle de savoir quel est le système commercial que le gouvernement compte suivre. Le gouvernement a répondu à cela la seule chose qu’il pouvait répondre, parce qu’en fait de systèmes commerciaux, il n’y en a que deux qui soient absolus, qui soient définis, le système prohibitif et le système de liberté ; il n’y a que ces deux systèmes sur lesquels on puisse se prononcer d’une manière positive, à l’égard desquels on puisse dire : J’adopterai celui-ci ou celui-là ; tous les autres sont mixtes, tous les autres tiennent de ces deux-là à la fois. Si vous voulez donc que l’on réponde à l’égard d’un système qui se trouve entre les deux extrêmes que je viens d’indiquer, il faut que vous précisiez vous-même le système à l’égard duquel vous demandez des explications, et c’est là le but que vous pouvez atteindre en développant votre proposition. Faites une proposition, développez-là, et alors le gouvernement pourra vous donner des explications ultérieures, mais jusque là il est impossible qu’il réponde autrement qu’il ne l’a fait.
M. de Foere – J’avais posé au ministère une deuxième question à la solution de laquelle je subordonnais le retrait de ma proposition. M. le ministre de l'intérieur m’a répondu que la discussion générale du système de commerce extérieur qui convient aux intérêts de la Belgique. Je demanderai donc au nouveau cabinet s’il se propose de prendre la défense de ce traité. Dans le cas affirmatif, je persisterai dans ma proposition d’enquête et je la développerai. S’il se propose d’abandonner ce traité, alors je m’associerai à la politique commerciale du cabinet.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Messieurs, je répondrai d’abord à la dernière interpellation de l’honorable M. de Foere, bien qu’elle ait été adressée à M. le ministre de l'intérieur. Le ministère étant tombé d’accord sur le point en discussion comme sur les points principaux qui doivent fixer sa politique, en répondant en mon nom, je crois répondre aussi au nom du cabinet.
L’honorable préopinant a demandé si le ministère soutiendrait le traité de navigation conclu avec la France et qui est soumis à la sanction de la chambre. Nous répondrons à cette question que, n’étant point les auteurs du traité, ne l’ayant point encore examiné dans son ensemble et dans ses détails, il nous est impossible de déclarer dès ce moment si nous soutiendrons ce traité.
Quand le moment de la discussion sera arrivé, nous serons préparés et nous nous en expliquerons avec franchise. Nous pourrons d’autant mieux le faire que le traité dont il s’agit est le résultat, un peu tardif à la vérité, mais toujours le résultat de négociations qui avaient été entamées avec la France, sous notre ministère.
Parmi les mesures d’intérêt commercial que l’honorable M. de Theux a bien voulu rappeler comme ayant été prises sous notre ministère, il a oublié d’en mentionner quelques-unes, et notamment la nomination de la commission spéciale qui a été chargée, en 1833 et 1834, d’établir des relations commerciales avec la France, relations qui ont abouti depuis à des mesures réciproques de douanes, et probablement encore au traité qu’il s’agira de discuter ultérieurement.
Un honorable député, tout en protestant de son amour pour le système de liberté commerciale, nous a adressé une autre interpellation. Il nous a demandé si nous étions partisans du commerce direct, il désire que nous nous expliquions franchement sur ce point ; suivant lui, les opinions dans la chambre seraient partagées sur cette question.
Messieurs, je n’ai jamais entendu dire que les opinions ne fussent pas unanimes sur les avantages que procure le commerce direct ; tout le monde est parfaitement d’accord sur la question de savoir s’il est plus avantageux de recevoir, d’expédier directement les marchandises, que de les recevoir et de les expédier par votre intermédiaire ou de seconde main.
Mais, dira-t-on, quels sont les moyens que vous vous proposez d’employer pour attirer dans le pays le commerce direct ?
Ici, messieurs, commencent les difficultés qu’on n’a pu résoudre jusqu’ici d’une manière satisfaisante. Mais je dois faire observer qu’aucun membre de cette chambre n’a non plus indiqué jusqu’à présent les moyens d’y parvenir. L’honorable M. de Foere qui, je pense, n’est pas parfaitement d’accord avec l’honorable M. Dechamps, s’est tu jusqu’ici sur ces moyens, bien qu’on l’ait provoqué plusieurs fois à formuler son système projet de loi.
Je ferai la même prière au préopinant. Je lui demanderai de vouloir bien indiquer aussi quels sont les moyens les plus propres, selon lui, à assurer au pays les avantages du commerce direct.
Il est toujours plus ou moins dangereux pour le gouvernement de se prononcer a priori dans les questions de ce genre. Nous devons donc nous borner à dire que nous chercherons avec soin, avec zèle, quelles sont les mesures les plus efficaces à employer dans cette circonstance, et que nous ferons tous nos efforts pour les réaliser, et pour les appliquer de la manière la plus utile aux intérêts généraux du pays.
Mais ce n’est pas alors que nous sommes arrivés depuis huit jours à peine aux affaires, et que nous y sommes arrivés par une circonstance imprévue et que nous n’avions nullement provoquée ; ce n’est pas de cet instant, dis-je, qu’on doit attendre de nous des miracles. Nous n’avons pas, d’ailleurs, la prétention d’apporter au pays des miracles.
Il n’est pas besoin de répéter périodiquement, tous les mois, tous les huit jours, que la misère est à son comble, que l’industrie est arrivée au dernier état de souffrance ; il n’est pas besoin de recourir à ces exagérations, pour exciter le zèle du gouvernement. Je crois qu’il y a un grand mal dans ces plaintes qui nous reviennent périodiquement. La mal existât-il au degré d’intensité où on le dépeint, il faudrait plutôt avoir soin de le voiler aux yeux de la nation, aux yeux de l’étranger, que d’étaler constamment les plaies du pays. D’ailleurs le pays est riche, le pays a de grandes ressources, au lieu de lui inspirer de la défiance pour lui-même, c’est la confiance qu’il faut lui rendre. Encouragez l’esprit de commerce ; encouragez les entreprises utiles ; aidez le gouvernement dans les mesures qu’il se propose de prendre, et vous donnerez, messieurs, à l’industrie et au commerce la confiance qui lui manque. C’est le rôle auquel je convie la chambre, et je pense que le conseil que je lui donne sera compris par elle. Je crois que les honorables membres, aux intentions desquels je rends d’ailleurs hommage, modèreront, dans l’intérêt même de l’industrie, ces plaintes incessantes qu’ils font retentir en son nom.
M. de Brouckere – Messieurs, j’ai demandé la parole parce que l’honorable orateur qui vient de parler est rentré dans une discussion que je regarde comme prématurée. Je voulais rappeler à la chambre la motion pleine de justesse et d’à-propos, qui a été faite par l’honorable M. d’Huart.
Messieurs, nous agissons au rebours de ce que nous devrions faire. L’honorable M. de Foere annonce une proposition à laquelle se rattachent de graves questions commerciales, et voilà que nous nous mettons à traiter la question, avant que l’honorable membre ait développé sa proposition ; l’honorable M. Rodenbach est allé même jusqu’à se prononcer pour la proposition dont il n’a pas encore entendu les développements.
Je demande donc que cette discussion cesse, et que l’honorable M. de Foere nous dise s’il veut oui ou non développer sa proposition.
Quant à moi, j’insiste beaucoup, pour qu’il veuille bien la développer, parce que je dois déclarer que je suis excessivement curieux d’entendre ces développements ; il doit s’y trouver quelque chose de très extraordinaire, car l’honorable M. de Foere en a peur lui-même. (Hilarité.) Oui, messieurs, il en a peur, il l’a prouvé quelquefois par la fuite, d’autres fois par le silence. Il est certain que voilà sept ou huit fois que l’honorable M. de Foere a occasion de développer sa proposition ; la moitié du temps, il s’est retiré de la séance ; et l’autre moitié, il a allégué des prétextes pour ne pas présenter ses développements. J’espère que nous serons plus heureux aujourd’hui, que l’honorable membre nous donnera satisfaction, et qu’il donnera enfin ses développements, si souvent annoncé et si souvent vainement attendus.
(Moniteur belge n°121 du 30 avril 1840) M. Rodenbach (pour un fait personnel) – M. le ministre des travaux publics a dit, dans son discours, que les plaintes que l’on fait entendre ici sur la misère qui règne dans le pays, et notamment dans les Flandres, sont exagérées. Je soutiens, moi, que je n’ai pas exagéré quand j’ai parlé de la crise de l’industrie linière et cotonnière dans les Flandres, ainsi que de la grande misère qui désole ces provinces. Consultez, messieurs, les députés de ces localités, qui sont présents, et ils vous diront tous qu’il n’y a pas eu de l’exagération dans mes paroles. J’interpelle même un magistrat de la Flandre occidentale haut placé, je le prie de déclarer si les faits que j’ai avancés ne sont pas conformes à la vérité ; je le prie de déclarer si la classe ouvrière n’éprouve pas des besoins réels. J’ajouterai même que, dans certains districts, les malheureux se rendent en groupe dans les fermiers pour demander du pain. Quand la classe ouvrière en est réduite à ce point de souffrance, y a-t-il de l'exagération à dire que la misère est à son comble ?
Voilà ce que j’avais à répondre à M. le ministre des travaux publics.
(Moniteur belge n°120 du 29 avril 1840) M. de Foere – Messieurs, je regrette que ma proposition ait jeté de l’ardeur dans la discussion. L’examen d’une question d’une aussi haute gravité devrait être exempt de toute l’effervescence parlementaire. Sans avoir peur des développements de ma proposition, comme l’a prétendu assez ridiculement M. de Brouckere, et sans lui demander conseil sur les mesures que je crois devoir prendre avant d’entrer dans ces développements, je me permettrai encore de demander au ministère et à la chambre si le traité de commerce avec la France sera bientôt livré à la discussion. Si la chambre était disposée à aborder bientôt cette discussion, je retirerai ma proposition. J’obtiendrai en grande partie mon but au moyen de cette discussion. M. le ministre des travaux publics ayant déclaré que l’opinion du cabinet n’était pas fixée sur le projet de traité conclu avec la France, l’enquête ne me semble plus revêtir, au même degré, ce caractère de haute nécessité que je lui ai d’abord attribué.
L’hésitation du nouveau cabinet nous fait espérer qu’il ne persistera pas dans une politique commerciale que nous considérons comme désastreuse pour le pays.
Il y a un autre progrès remarquable dans l’opinion du cabinet actuel. L’honorable ministre des travaux publics a déclaré que personne ne doute de la supériorité du commerce direct à l’égard de tout autre système ; or, cette opinion n’a point été toujours professée par l’honorable ministre, ni par ses amis politiques. Pendant longtemps ils avaient fondé leur espoir sur l’exportation de notre industrie par la navigation étrangère.
M. le président – Je ferai observer à l’honorable orateur que ces considérations sont étrangères à la motion d’ordre qui s’agite en ce moment.
M. de Foere – Je crois être en droit d’entrer dans ces considérations pour justifier ma résolution de persister ou non dans ma proposition.
Je dis donc qu’il y a progrès notable à l’égard de la grave question que nous discutons. Je demanderai à la chambre si, dans un court délai, elle veut mettre à l’ordre du jour le projet de traité conclu avec la France. Les grands principes de politique commerciale seront en présence sur ce terrain ; je dis les grands principes car il ne s’agit pas de questions de détail se rattachant à la protection d’industries particulières, c’est le choix du système commercial maritime qui est particulièrement en discussion. Après de longues hésitations qui ont exercé une influence très funeste sur notre industrie et sur notre commerce, il importe de se fixer sans retard sur les moyens les plus efficaces d’exporter au loin les produits de notre industrie. Je le répète, c’est là toute la question. Mon honorable ami, M. Dechamps vient, de son côté, de la préciser dans le même sens.
M. le ministre de l'intérieur ne peut se fixer sur ces moyens ; cependant ils sont déposés dans tous les traités de réciprocité conclus entre les nations européennes. Je défie qu’on m’en cite un seul qui ne soit pas basé sur le système des provenances directes. Il n’est donc pas si difficile de déclarer s’il entend, ou non, suivre la politique générale des autres nations, sauf à l’appliquer selon les besoins actuels du pays.
Le sénat, dans une discussion mémorable, qui a eu lieu dans sa séance du 13 février dernier, a reconnu qu’il existait dans les chambres et dans le gouvernement une confusion d’opinions déplorables relativement au système commercial, qui se trouvent en présence. En conséquence l’honorable sénateur de Verviers a déclaré qu’une enquête commerciale approfondie, forte, consciencieuse, était nécessaire. Mais l’on consent que la question qui en est l’objet soit discutée, lorsque le traité conclu avec la France sera mis à l’ordre du jour, et si cette discussion ne doit pas tarder d’arriver, je serais disposé à retirer ma proposition d’enquête.
M. de Muelenaere – Je n’ai pas demandé la parole pour entrer dans la discussion, mais pour répondre à une interpellation qui m’a été adressée par l’honorable M. Rodenbach. Je ne dirai pas avec l’honorable membre que la misère est à son comble dans le pays. Je craindrais qu’on ne me fît avec raison le reproche de mettre quelque exagération dans mes paroles. Je dois cependant déclarer qu’il y a malaise dans les Flandres et que la décadence de l’industrie linière y cause en ce moment de vives souffrances. Je m’empresse aussi d’ajouter que le ministère précédent, sur la demande même de l’honorable M. Rodenbach, avait déjà nommé une commission chargée d’aviser aux moyens de venir en aide à cette industrie. La nomination de cette commission aura-t-elle des résultats utiles. Je n’en sais rien. Dans tous les cas, je demanderai que le gouvernement porte toute son attention sur cette industrie si intéressante pour notre pays, et que la commission soit invitée à présenter le résultat de ses investigations dans le plus bref délai possible pour que nous puissions aviser aux moyens à prendre.
M. le ministre des travaux publics (M. Rogier) – Je ne sais si je dois expliquer les paroles que j’ai prononcées tout à l’heure. Je me suis plaint de l’exagération des termes dans lesquels on peignait la situation du pays, mais je n’ai pas nié qu’il y eût crise ; j’accepte volontiers l’interprétation donnée par l’honorable préopinant. Je l’accepte tout entière. Je désire qu’on ne se méprennent pas sur la portée de mes paroles.
M. Dumortier – Je suis de l’avis de M. de Muelenaere sur l’état de l’industrie en Belgique. Loin d’être dans un état prospère, elle est dans un grand malaise, et spécialement l’industrie linière ; elle mérite toute votre sollicitude. La crise à laquelle elle est en proie est telle qu’il nous sera bien difficile de l’en tirer, mais nous devons lui venir en aide jusqu’au dernier moment.
Là n’est pas la question. Dans la position actuelle, toutes les questions qui se rattachent à l’industrie se pressent autour de nous. Malheureusement cette chambre compte peu de personnes qui soient bien au courant des questions commerciales ; engager la discussion des traités de commerce dans cette situation, alors que la plupart des membres de cette assemblée n’ont pu s’entourer d’aucune espèce de lumière pour s’éclairer dans cette discussion, engager aujourd’hui la discussion de questions aussi graves, de la solution desquelles dépend tout l’avenir de la Belgique, c’est compromettre la question en elle-même, c’est compromettre l’avenir de la Belgique. C’est pour cela que j’insiste pour que la motion de M. de Foere soit discutée, je crois pouvoir donner d’excellents motifs pour la faire adopter.
Nous devons reconnaître que peu de personnes dans cette chambre, comme je le disais tout à l’heure, sont au courant des grandes questions industrielles. Pour les mettre au courant de ces questions, il est nécessaire de faire une enquête où elles soient élaborées, de cette manière ils pourront émettre un vote consciencieux et éclairé. Si, au contraire, vous vouliez examiner maintenant les projets de traité et de tarifs avant l’enquête, et si étant mal éclairés vous posiez de mauvais principes et faisiez de mauvaises lois, vous mettriez l’industrie dans l’impossibilité de se relever jamais, vous le frapperiez de mort, vous perdriez l’avenir du pays.
Il ne faut pas entamer légèrement la discussion de questions dont dépend l’avenir entier du pays et l’entamer surtout alors qu’on est dépourvu de tout document sur les vices du système qui prévaut.
Il est donc de toute nécessité qu’une enquête ait lieu, si nous voulons assurer l’avenir de notre industrie. Chacun de nous veut le bonheur du pays, la prospérité de notre industrie, mais, avant de prendre sur soi d’adopter une mesure, il faut être à même de connaître ce qu’il convient de faire. Il n’y a qu’un très petit nombre d’entre nous qui puissent parler a priori sur ces questions. Quand une enquête aura présenté le fort et le faible des arguments divers, il sera possible d’examiner la question avec une maturité digne d’elle et de lui donner une solution favorable, tandis qu’une discussion prématurée la compromettrait au plus haut degré.
J’invite M. de Foere a développer sa proposition.
M. le président – Je prie M. de Foere de déclarer s’il développe sa proposition ou s’il la retire.
(Moniteur n°126 du 5 mai 1840) M. de Foere développe sa proposition – Messieurs, la chambre des représentants a bien voulu accepter les développements dans lesquels je suis entré, lorsque j’ai eu l’honneur de lui soumettre ma proposition d’enquête commerciale. Je pourrais donc, à la rigueur, me dispenser de lui en présenter de nouveaux. Cependant, eu égard à l’importance de la proposition, je l’appuierai de quelques autres considérations.
Vous ne contesterez pas, messieurs, que le commerce extérieur doive être dirigé par un système de législation, puisé dans les intérêts du pays et fondé sur ses véritables besoins. Aussi toutes les parties de cette législation doivent se coordonner entre elles, tendre au même but et présenter les moyens efficaces de l’atteindre. Telle est la marche suivie par toutes les nations.
Le but spécial du commerce extérieur est, dans tous les pays, l’exportation des produits de l’industrie nationale. A ce titre, il mérite, à un haut degré, votre attention. Comme député du pays, vous devez à ce commerce une sollicitude toute particulière. Partout ailleurs il est soumis à une action protectrice, sûre et régulière. Sans point d’appui, sans moyens de développement, sans règle de conduite, position dans laquelle il se trouve chez nous, le commerce extérieur est livré, sans défense, à lui-même, arrêté par ses propres hésitations, entravé dans tous ses mouvements, et exploité par l’étranger. L’industrie, liée aux destinés du commerce extérieur, suit nécessairement ses phases de prospérité ou de décadence.
Notre séparation de la Hollande a changé la position commerciale de la Belgique. Privé de colonies, de relations commerciales régulièrement établies, de navigation de long cours, de société générale de commerce extérieur, le pays était en droit d’espérer que, dès les premiers moments de la révolution, le gouvernement se serait occupé du soin d’imprimer, dans l’intérêt de l’industrie nationale, au commerce extérieur une direction nouvelle et efficace. Ce devoir incombait aux hommes qui se sont succédés à l’administration générale des affaires. Les moyens ne leur manquaient pas. Ils étaient dans l’ordre historique et positif des choses. Il ne fallait pas recourir à de vaines théories, ni élucubrer des conceptions nouvelles, et, moins encore, livrer, comme on a fait, le commerce maritime aux chances du hasard, il suffisait de suivre la marche de toutes les nations maritimes et de copier leur législation. Dix années ont été perdues dans une inaction déplorable. Vous en connaissez les funestes effets. Ils sont devant vous. Aujourd’hui personne ne les nie.
Jamais, pendant cette période, les chambres de commerce n’ont été consultées sur le système maritime qui convenait à la nouvelle position et aux intérêts du pays. Malgré tous les efforts qui, depuis la révolution, ont été faits pour soumettre aux délibérations de la législature une proposition de cette importance, le pouvoir dirigeant s’y est constamment opposé. Aucune enquête n’a été instituée dans le but de rassembler les éléments de ce système. L’industrie d’exportation est aujourd’hui acculée aux dernières limites de sa perdition. Son unique moteur, le commerce, est réduit aux misérables affaires de commission. Le fait est encore avoué. Il a fallu que cette coupable incurie produisît l’effet du mal pour que la chambre eût recours à un moyen extrême d’y remédier. Ce moyen , c’est l’enquête commerciale.
La législature, n’étant pas dirigée par un système national de commerce, élabora, en outre, péniblement ses lois commerciales d’un ordre secondaire. Il n’en pouvait être autrement. Des principes contradictoires furent constamment en présence. Là où il n’y a ni ordre, ni harmonie, il y a conflit et anarchie. L’hésitation et l’inertie en sont le résultat.
Cependant il est juste de tenir compte de toutes les opinions. Un orateur ministériel nous avait souvent révélé, dans ses discours et dans les « Motifs du projet de loi sur le transit », que le système commercial du pays était fondé sur le transit. L’honorable membre devait en savoir quelque chose, puisque, depuis plusieurs années, il avait dirigé le bureau du commerce. Mais, dans la séance du 28 janvier dernier il présenta à la chambre une autre version du système gouvernemental. Selon lui, nous avons un système commercial, « un système, a-t-il dit, qu’il n’est pas nouveau, qui est ancien, qui a été créé par une loi de 1816, et qui a été amélioré par une loi de 1822. » Quoique la révolution eût renversé les bases sur lesquelles ce système de 1816 et de 1822 avait été fondé, quoique tous les rapports commerciaux, que ce système avait établis en Belgique, eussent été brisés en 1830 selon l’honorable député d’Anvers, ce même système conviendrait encore aujourd’hui à la position et aux intérêts du pays ? Cependant l’opposition que la Belgique dit à cette législation « n’est pas nouvelle ; elle est ancienne. » Dès qu’elle fut proposée aux états généraux, elle produisit une scission profonde entre les députés des deux grandes divisions du royaume. Si mes souvenirs sont exacts, un seul député des provinces méridionales adopta cette législation. Ce député était Anversois.
Je conçois que ce système convient encore à certains intérêts d’Anvers qui sont ailleurs qu’en Belgique et qui, au dépens du pays, cherchent à ériger cette ville en port anséatique. Dans la même séance du 28 janvier, M. Smits lui-même découvrit une parfaite similarité de position et d’intérêt entre les villes anséantiques et la Belgique toute entière !
Il est vrai, l’opposition belge à la législation de 1816 et 1822 se relâcha ; mais il n’y a, dans tout le pays, aucun homme versé dans la politique commerciale qui n’ait la profonde conviction que cette législation eût été non seulement stérile, mais très nuisible pour la Belgique, si, plus tard, de puissantes moyens de commerce et d’industrie n’y avaient point été ajoutés. En effet, une forte impulsion fut donné à la navigation de la Belgique. Son industrie trouva des moyens d’exportation dans le commerce extérieur et dans la navigation de la Hollande. Elle participa aux avantages de belles colonies. Une société puissance de commerce maritime fut érigée pour exporter les produits du pays. La Société générale fut créée à Bruxelles dans le but de favoriser, au moyen de ses avances, l’industrie du pays et d’en stimuler la production. Notre commerce d’exportation dans les colonies et sur les marchés de la Hollande fut constamment en progression. Ces combinaisons avec la législation de 1816 et 1822 sont entièrement rompues, et on ne craint pas de soutenir que ce système, qui, livré à lui-même, compromet notre marché intérieur, convient encore aujourd’hui aux intérêts du pays ! Je ne pense pas qu’il soit possible de prouver mieux la nécessité d’une enquête commerciale.
Ces étranges révélations, concernant le système commercial du pays, produisirent sur le sénat la même impression. Sa séance du 13 février fut, sous ce rapport, très remarquable. Plusieurs membres prononcèrent des discours que cette noble assemblée accueillit avec une faveur qui lui attira l’attention et les remerciements des hommes politiques du pays. Dans cette séance, l’honorable sénateur de Tournay soutient que nous n’avons pas de système commercial. « Nous n’avons pas, dit-il, de marche tracée ; nous vivons au jour le jour. Si un système a prévalu parfois, c’est le système anversois, système de transit et de commission. » Il en signale les suites funestes pour le pays. Il soutient, en outre, que déjà le gouvernement a compromis de graves intérêts en concluant avec la France un projet de traité de commerce et de navigation. Enfin, l’honorable sénateur demande que le pays sorte de ce déplorable état provisoire, et qu’il s’établisse une discussion approfondie sur les différents systèmes de commerce qui sont en présence, et notamment sur la liberté de commerce, les droits différentiels et les provenances directes.
Dans la même séance, l’honorable sénateur de Verviers fait peser l’autorité de sa parole sur les insoutenables assertions du gouvernement. « Quoi qu’on ait pu dire, dit-il, nous n’avons pas de système général de commerce, d’industrie et de navigation. » Il prouve son assertion, et, à son tour, il fait ressortir, à grands traits, les conséquences déplorables de la confusion de nos lois commerciales. Il qualifie la plupart des modifications qui ont été apportées la législation de 1816 et 1822 « d’espèce de pillage où le plus adroit ou le plus osé l’emportait sur les autres. »
Après avoir sondé toute la profondeur de la plaie que l’absence d’un système commercial a ouverte, l’honorable sénateur de Verviers déclare que, « pour parvenir à poser des principes généraux de politique commerciale, il faut entendre tous les intérêts. » Ceux qui croient que c’est une « bonne tactique parlementaire » de révoquer en doute tout ce que leurs adversaires affirment pourraient contester que ces dernières paroles de M. Biolley n’établissent pas la nécessité d’une enquête commerciale. Mais l’honorable sénateur leur a enlevé d’avance cette petite ressource. Il a ajouté : « Une enquête forte, consciencieuse, approfondie, me paraît indispensable. »
Dans la séance suivante, l’honorable sénateur de St-Nicolas entre dans l’arène. Ni les orgueilleux dédains d’une aveugle présomption, ni les railleries de l’esprit de parti n’ont pu abattre son courage. Il se présente avec cette intelligente persévérance qui décèle une conviction profonde et sans laquelle la vie parlementaire, engagée dans les grands débats, n’est qu’une grande niaiserie. Il prouve à l’évidence la nécessité de changer de législation commerciale ; car il démontre, par des faits incontestables, que celui de 1816 et 1822 n’est qu’un énorme anachronisme.
La très grande majorité du sénat a appuyé, par un assentiment bien prononcé, la nécessité de l'enquête. J’appelle, messieurs, votre attention sur cette conformité de conviction qui existe entre cette noble assemblée et cette fraction de la chambre qui voit, avec des regrets indicibles, l’état de dépérissement auquel des doctrines absurdes et des théories impuissances ont réduit l’industrie et le commerce du pays.
Afin d’établir plus clairement le besoin d’instituer une enquête commerciale, nous constaterons l’opinion du pays par celle des chambres de commerce. Celle d’Anvers n’a cessé de réclamer le statu quo. Elle est allée plus loin, elle a répudié la navigation nationale. L’Angleterre, la France, la Hollande ne pouvaient avoir de diplomates plus habiles. A l’heure qu’il est, le pays sait où ce statu quo l’a conduit. A coup sûr, ce n’est point ici que la fin couronne l’œuvre. Toutes les autres chambres de commerce n’ont cessé de réclamer un autre système commercial. Quelques-unes en ont souvent présenté les bases. D’autres, en signalant les causes du mal qui rongeait le pays, en ont indiqué les remèdes. Récemment, dans un lumineux mémoire, adressé le 30 août dernier, au gouvernement et imprimé dans le Moniteur par ordre de cette assemblée, la chambre de commerce de Liége expose, avec une grande précision, les causes de la détresse de notre industrie d’exportation et de l'impuissance de notre commerce extérieur.
Mais rien ne prouve mieux, messieurs, la nécessité de la mesure que je propose que vos propres hésitations, vos propres incertitudes dans lesquelles vous vous débattez, sans résultats, depuis la révolution. Vous reconnaissez les besoins du pays ; vous avouez le dépérissement progressif de sa prospérité matérielle ; vous n’avez cessé de demander, de toutes parts de la chambre, des débouchés, et jamais vous n’avez pu tomber d’accord sur les moyens de les atteindre. Vos perplexités vous ont fait même toujours reculer devant la discussion de ces moyens. Je sais bien que la proposition appartenait au pouvoir dirigeant, et à vous la coopération ; mais les incertitudes et l’impuissance de la chambre sont toujours là devant des questions vitales auxquelles le pays demande, avec autant d’anxiété que d’urgence, une prompte solution.
Enfin, les plus simples notions de la raison humaine nous autorisent à croire que la promesse d’atteindre un but implique nécessairement la connaissance des moyens. Or, dans son programme, le cabinet nouveau promet à l’industrie du pays des débouchés, et lorsque des interpellations lui sont adressées sur les moyens par lesquels il se propose de les ouvrir, il répond qu’il ne connaît pas encore ces moyens ! J’abandonne à l’esprit d’interprétation le soin d’expliquer ce singulier phénomène parlementaire ; mais si, après dix ans d’hésitations continuelles devant une question aussi vitale, le pouvoir, à qui appartient la direction des affaires, déclare ignorer encore les moyens de résoudre cette question, je vous le demande, messieurs, peut-il exister un motif plus puissant d’instituer une enquête qui a pour but :
1° De rechercher les causes qui ont produit la situation fâcheuse dans laquelle se trouvent l’industrie et le commerce extérieur du pays :
2° D’assigner les moyens les plus propres de remédier au mal qui, de tous les points de la Belgique, est signal,
3° De présenter à la chambre les bases du système commercial et naval qu’il conviendrait, dans l’intérêt de l’industrie du pays, d’établir.
J’ai dit.
- La proposition de M. de Foere est appuyée.
La chambre en ordonne l’impression et renvoie à demain la discussion de la prise en considération.
La séance est levée à 4 heures ¼.