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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 28 février 1840

(Moniteur belge n°60 du 29 février 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Lejeune fait l’appel nominal à une heure et quart.

La séance est ouverte.

M. B. Dubus lit le procès-verbal de la dernière séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Lejeune présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le comité cantonal de Copryck pour l’association nationale pour le progrès de l’industrie linière, demande des mesures protectrices de cette industrie. »

- Renvoi à MM. les ministre de l’intérieur et des finances.


« Des cultivateurs de lin de diverses communes du canton de Jodoigne et de la province de Liége adressent des observations contre les pétitions tendant à augmenter le droit de sortie sur les lins.

- Renvoi à MM. Les ministres de l’intérieur et des finances.


« Des fabricants de coton des provinces wallonnes déclarent adhérer à la demande des fabricants des Flandres tendant à ce qu’il soit pris des mesures en faveur de l’industrie cotonnière. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Victorien Carlier, milicien de 1838, appelé au tirage de la milice par deux communes, demande la suspension de son appel sous les armes ou un délai de quelques mois pour pourvoir à son remplacement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les fabricants de pianos de Bruxelles demandent de nouveau une augmentation de droits d’entrée sur les pianos étrangers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


Des habitants des communes de Baelen et Omen, Mackem, Baeleghem, Ninove, Gullegen, Heysr-op-den-Berg, Santbergen, Grimingen, Asper, Loenhout, Lienvenesche, Sicenhuyse, Bedelem, Winkel-St-Eloy, demandent le rétablissement de la langue flamande dans certaines provinces, pour les affaires de la commune et de la province.

- Renvoi à la commission des pétitions.


MM. Vanderbelen et Dubois demandent un congé de quelques jours.

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1840

Rapport de la section centrale

M. Brabant – J’ai l’honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le budget de la guerre (L’impression ! l’impression !)

M. le président – Le rapport sera imprimé et distribué. Quand désire-t-on en ouvrir la discussion ? Quelqu’un fait-il une proposition ?

M. Brabant – Je crois qu’il conviendrait de fixer cette discussion à lundi en huit, 8 mars.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – Le jour de la discussion dépendra du temps que l’impression exigera. Il est probable, d’après le temps que la rédaction du rapport a coûté, qu’il faudra aussi un temps plus ou moins long pour son examen.

M. de Puydt – Messieurs, je crois qu’il convient d’attendre, pour prendre une décision, que le rapport ait été imprimé et distribué. La section centrale s’est occupée pendant 3 mois de l’examen du budget ; l’on ne sait pas quelles sont les difficultés que le rapport peut soulever ; nous ne pourrons juger de cela que quand nous aurons reçu le rapport. Je propose donc d’attendre l’impression et la distribution de ce rapport, pour nous proposer sur la mise à l’ordre du jour du budget.

M. le ministre de la guerre (M. Willmar) – L’observation de l’honorable préopinant est au fond la même que la mienne. Cependant si l’on pouvait compter sur l’impression du rapport pour dimanche, par exemple, rien ne s’opposerait alors à ce qu’on mît provisoirement le budget de la guerre à l’ordre du jour pour lundi prochain en huit, sauf à revenir sur cette décision, si les circonstances l’exigeaient. (Oui ! oui !)

La chambre décide que le budget de la guerre pour l’année 1840 sera discutée lundi prochain en huit, 8 mars, sous les réserves ci-dessus.

Rapports sur des demandes en naturalisation

MM. Dubus (aîné), Desmet et Milcamps déposent successivement des rapports sur diverses demandes en naturalisation.

Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi sur le duel

Discussion générale

M. le président - La parole est à M. van Cutsem.

M. van Cutsem – Messieurs, si le duel est un crime aux yeux de la religion, de la morale, de la raison, de la conscience, s’il est condamné de tous les hommes, même de ceux qui s’en rendent coupables, s’il n’est qu’un reste de la barbarie des peuples du Nord, il n’en est pas moins vrai que nous ne devons pas perdre un moment de vue, en faisant une loi sur le duel, que nous avons à réprimer ce qu’il y a peut-être de plus rétif et de plus tenace dans l’esprit humain.

Si le duel n’était pas le résultat d’un fatal préjugé, nous n’aurions pas besoin de loi pour le réprimer ; nous pourrions dire à des catholiques : Votre sublime religion est la suprême des lois ; pour vous une loi humaine est inutile. Vous savez, que hors du cas de légitime défense, tuer votre semblable est un crime qui indigne le divin législateur ; vous ne le commettrez pas ; car vous ne sauriez le commettre sans mentir à votre conscience, sans manquer à votre foi. A ceux qui n’obéissent qu’à la seule raison, on pourrait dire qu’un coup d’épée, de pistolet, ne prouve rien en faveur ou contre celui qui le donne ou le reçoit, qu’il ne fera pas d’un fripon un honnête homme et d’un honnête homme un fripon.

Mais ce langage n’obtiendrait de l’effet qu’auprès des vrais chrétiens et de ces hommes libéraux qui prennent la simple raison pour guide.

Malheureusement les hommes ne sont pas tous chrétiens ni raisonnables ; d’où la nécessité de recourir à la protection du pouvoir, soit pour comprimer le débordement d’un préjugé funeste, et de déclarer à tous que le duel est un délit, un crime que les lois civiles punissent. Le duel doit être réprimé dans l’intérêt du repos de tous et de la morale ; ce fait est hors de toute contestation ; mais de quelle manière le législateur punira-t-il ce méfait pour empêcher à l’avenir sa perpétration, c’est ce sur quoi l’on a plus de peine à se mettre d’accord.

Ferons-nous comme le peuple anglais, qui applique la législation ordinaire aux cas de duel, ou comme la Prusse, l’Autriche, l’Espagne et d’autres pays qui ont des lois particulières pour la répression du duel, et comme nos ancêtres qui avaient eux aussi une législation spéciale pour punir les duellistes ? Pour moi, je pense que nous devons adopter une législation spéciale pour punir des méfaits d’une espèce toute particulière ; car s’il est vrai que le duel est un acte coupable, il n’en est pas moins certain qu’il a un caractère qui le différencie des crimes ; il n’a pas pour mobile la bassesse, la cupidité, ni la vilité des sentiments que l’on trouve dans le meurtre, dans l’assassinat ; il ne peut donc pas être mis sur la même ligne, ni être réprimé par les mêmes modalités.

En partant de ce principe, le législateur belge doit rechercher quel est le système pénal le plus propre à atteindre le but qu’il se propose par sa législation spéciale sur la répression du duel ; cette législation sera-t-elle d’une sévérité draconienne, devra-t-elle épouvanter les duellistes par l’énormité des peines qui les attendent s’ils cèdent à un funeste préjugé, ou devra-t-elle attaquer de front le prétendu honneur qu’invoquent trop habituellement les brétailleurs, combattre l’amour-propre par l’amour-propre, punir davantage les duellistes de peines morales qui blessent réellement la fatuité de ceux qui font profession de se mettre au-dessus des lois par une fierté mal entendue ?

Si nous voulons profiter des leçons du passé, nous voyons que les peines graves et sévères qui ont déjà été comminées pour empêcher le duel n’ont produit aucun effet. L’ordonnance du cardinal Albert, donné à Bruxelles le 2 novembre 1596, pour empêcher le duel entre militaires, renferme les peines les plus fortes qui aient jamais été établies contre les duellistes ; la provocation verbale ou par écrit était punie de la perte de tous grades militaires, de la confiscation des biens, de peines personnelles d’après la qualité des contrevenants et de perpétuelle infamie. Celui qui acceptait le duel qu’on lui proposait était puni des mêmes peines que celui qui lui portait le cartel, alors même qu’il ne se rendait pas sur les lieux du combat.

Les champions qui se rendaient sur le terrain, même sans se battre, étaient punis de mort ; les peines les plus horribles étaient réservées à ceux qui se battaient, à ceux qui tuaient leurs adversaires en duel, et à ceux mêmes qui succombaient en duel.

Ceux qui entraient dans des lieux sacrés après s’être battus en duel étaient punis de la peine commune contre les sorciers, le bûcher.

Ceux qui se chargeaient de pareils messages, ou qui auraient été convaincus d’avoir excité les parties à se battre en duel, étaient punis des mêmes peines que les duellistes et parfois de peines plus graves.

Ceux qui auraient eu connaissance de ce délit, qui en seraient témoins sans le révéler étaient également punis de peines très sévères.

Eh bien, l’histoire prouve que ces pénalités exorbitantes eurent un effet contraire à celui qu’on en attendait, et l’on a remarqué que, malgré la rigueur de l’état du cardinal, aucun militaire n’a refusé un cartel.

Ce fait ne prouve-t-il pas que toute action répréhensible à sa cause propre contre laquelle la loi doit sévir pour obtenir l’effet désiré ; en effet, l’un des motifs, le plus grand peut-être, qui empêche un homme d’honneur de refuser un cartel, est la crainte de passer pou un lâche, pour un homme qui craint la mort. Le législateur, en menaçant de la mort celui qui court au-devant d’elle, renforce encore le motif, le principe du duel. Car l’homme d’honneur, s’il refuse un cartel, en présence de cette menace, paraîtra craindre deux morts ; d’après ceci, il est évident que les peines morales, ceux qui blessent réellement la fatuité de ceux qui font profession de se mettre au-dessus des lois, sont les seules propres à empêcher le duel.

Les causes du duel se trouvent toujours dans une offense qui l’a précédé ; c’est parce que l’homme injurié se croit réduit à un état intolérable d’infériorité devant son agresseur, et c’est parce qu’il pense qu’il ne peut plus se rencontrer avec sûreté dans le même lieu avec lui sans être exposé à de nouvelles insultes, qu’il est convaincu qu’il doit nécessairement venger un affront qui le ferait considérer par ses concitoyens comme un être faible et misérable qu’on eut impunément fouler aux pieds.

S’il en est ainsi, n’est-il pas vrai de dire que si le législateur, au lieu d’abandonner à la personne injuriée la satisfaction de l’outrage qu’elle a reçu avait lui-même, par des lois sages, donné des moyens de satisfaction pour l’honneur offensé, on n’eût jamais vu naître le duel, qui n’a été et n’est encore qu’un supplément à l’insuffisance des lois.

L’expérience des temps et des faits est là pour prouver qu’il eût mieux valu de ne présenter un projet de loi sur le duel qu’après celui sur le répression de la calomnie et des injures, dont le premier n’est que le complément.

Le placard donné par le roi Philippe II, le 14 mars 1636, avant de punir le duel, sévissait contre les auteurs d’outrage, de calomnies et d’injures, prenait sous sa protection spéciale les personnes injuriées et ordonnait aux gouverneurs et chefs de districts de recevoir les plaintes des personnes offensées pour y faire droit d’après les circonstances, ce qui vous prouve que ce souverain pensait, comme moi, que le meilleur moyen d’empêcher le duel était de sévir contre ceux qui se rendaient coupables des faits qui y donnent lieu. Il est donc indispensable de remplir la lacune qui existe dans notre législation par des dispositions capable de protéger l’honneur ; en agissant ainsi, on verra diminuer l’usage des duels beaucoup plus que par toutes les lois de répression que vous pourrez faire pour empêcher la perpétration d’un fait qui ne prend son origine que dans le besoin d’être un homme honorable aux yeux de ces concitoyens et il cesserait même tout à fait si ces manifestations honoraires étaient exactement au titre de l’opinion et fidèlement administrées.

Avec de pareilles réparations, l’homme injurié regagne ce qu’il avait perdu, marche avec sécurité la tête levée, et la force des magistrats étant devenue la sienne, il ne sera tenté de lui renouveler une insulte dont la punition aura eu tant d’éclat. L’avantage que son oppresseur aura eu sur lui aura été de courte durée ; la peine qu’il aura subie sous les yeux de tant de témoins montrera qu’il n’est pas plus à craindre qu’un autre, et il ne restera rien de son insulte que le souvenir de son châtiment.

Avec une bonne loi sur la répression de la calomnie et des injuries, le duel n’aura pas plus lieu désormais pour venger une insulte qu’il n’a lieu aujourd’hui pour décider un procès civil, parce qu’il est évident que dès que la loi offrira un remède sûr contre les délits qui blessent l’honneur, on ne sera pas tenté de recourir à un moyen équivoque et dangereux, parce que le héros pas plus que le poltron n’aiment la douleur et la mort.

La difficulté de faire une pareille loi embarrasse, me dira-t-on, le législateur ; qu’on veille bien réfléchir un instant avec moi à cette loi, et on se convaincra peut être qu’elle n’est pas aussi difficile qu’elle paraît l’être au premier aspect ; en effet, quelle doit être cette loi ? Elle doit être, en matière d’honneur, la fidèle interprète de l’opinion publique ; tout ce qu’elle regarde comme attentatoire à l’honneur, regardez le comme tel. Un mot, un geste, un regarde suffisent-ils aux yeux du public pour constituer une insulte ? ce mot, ce geste, ce regard, doivent suffire à la justice pour constituer un délit.

Vous voyez donc, messieurs, que c’est le silence des lois qui réduit l’homme sage comme l’homme vain et léger à se protéger lui-même par le duel ; s’il en est ainsi, vous devrez regretter avec moi que nous n’ayons à nous occuper d’une loi sur la répression de la calomnie et des injures avant de débattre le projet de loi sur le duel.

Si la loi punissait les auteurs d’injures et de calomnies, on trouverait peu de duellistes, et par cela même, que la personne outragée obtiendrait satisfaction des lois de son pays, on devrait sévir plus fortement contre elle qu’aujourd’hui qu’elles ne lui en donnent aucune ; nouveau motif pour faire précéder la loi sur le duel par une loi sur la répression des injures et des calomnies. Dans le projet de loi du sénat le législateur a voulu punir ceux qui, par une injure quelconque, ont donné lieu à une provocation en duel ; dans celui de la section centrale, on ne réprime plus l’injure ou l’outrage, on ne sévit que contre celui qui aura excité au duel. La répression de l’offense, de la calomnie n’est que conditionnelle dans le projet du sénat puisqu’il faut une provocation pour qu’elle tombe sous l’application de la loi pénale ; l’injure, la calomnie ne sont pas punies dans le projet de la section centrale, et cependant nous venons de vous prouver que l’injure, que l’outrage, que la calomnie sont les seules causes du duel.

S’il en est ainsi, la loi qu’on vous propose n’atteindra pas le but qu’on en attend, celui de revenir plutôt que de réprimer le duel, parce qu’elle ne donne aucune satisfaction à ceux dont l’honneur a été outragé.

Le projet de loi du sénat et celui de la section centrale ne tiennent donc pas compte de la position dans laquelle se trouve une personne injuriée, ils perdent de vue que, si la législation ne venge pas l’homme outragé, il y a injustice à frapper celui qui demande en vain à la justice la réparation de l’outrage qu’il aurait subi, et qu’ils le rendent victime de l’imperfection des lois. Ces projets oublient que, pour être en droit d’exiger que l’homme ne tente pas de se faire justice à lui-même, il faut d’abord la lui garantir dans la loi.

Je voudrais que la funeste passion du duel trouvât un frein dans la loi sur le duel, mais je voudrais aussi qu’une loi prévînt la cause du duel qui est la répression de la calomnie et de l’injure.

Sans une loi sur la répression de la calomnie et de l’injure, il sera impossible d’empêcher le duel ; toutes les peines qu’on proposera seront inutiles, parce qu’il faut à l’honneur outragé, d’après certains esprits et caractères, une réparation qu’aucune loi humaine ne pourra l’empêcher de demander puisque les lois divines et celles de la sagesse et de la raison ne peuvent pas toujours atteindre ce but. L’homme condamné à l’emprisonnement, à la mort, à la dégradation civique, à la privation de ses droits civils, de ses emplois et de sa décoration, ne sera pas déshonoré, par suite du préjugé par les condamnations qu’il encourra, parce que vous n’empêcherez jamais que le fait avilisse l’homme et non pas la peine.

Le meilleur moyen, pour empêcher le duel, est donc la répression des injures ; et quand vous aurez fait cette loi, si vous voulez alors punir le duel, appliquez quelques-unes des peines énoncées au projet de loi.

En examinant les projets de loi du sénat et de la section centrale je ne puis m’empêcher de vous dire que ces projets ne sont pas assez mûris, que les auteurs de ces projets n’ont pas assez consulté l’expérience des autres nations, et qu’ils ont tranché les questions les plus délicates sur la matière. La loi ne laisse pas une latitude suffisante à l’arbitrage du juge ; elle ne tient pas compte des différentes espèces de duel auxquelles le législateur doit avoir égard pour établir une pénalité gradée, de manière à ce que le minimum de la peine ne se trouve pas en disproportion avec le moindre degré de culpabilité. C’est ainsi qu’elle devrait établir une distinction entre le duel où la mort de l’un des combattants devait résulter nécessairement des conditions du combat et celui où l’homicide n’est qu’accidentel ; outre la peine d’emprisonnement, prononcée à un degré plus élevé que dans les cas précédents, j’établirais de droit, à l’égard de l’auteur de l’homicide, la privation de tout ou partie des droits mentionnés à l’article 42 du code pénal. Le but de cette sévérité est d’empêcher surtout la perte de la vie de l’un des deux adversaires. Immédiatement après ces dispositions, on aurait dû classer celles qui concernent le duel, ensuite les peines contre les récidives, qui pourraient être du maximum, statué pour chaque cas.

La loi ne distingue pas encore les duels dans lesquels les usages reçus ont été observés de bonne foi, de ceux qui se sont passés avec déloyauté, et où le coupable d’homicide est un véritable assassin ; dans ce dernier cas, l’auteur des blessures et des homicides devrait être puni aux termes du code pénal.

La loi aurait dû définir aussi ce qu’elle entend pas le mot « armes », car, sans cette définition, si l’on prend le terme dans le sens de l’article 101 du code pénal, lorsque les parties (des paysans par exemple) sont convenus de se battre au couteau, au bâton, on devra dire aussi qu’ils se sont abattus au duel ; il faut donc définir le mot « armes » en disant qu’il ne comprend que les sabres, les épées et les pistolets ou autres armes à feu. On l’a fait ainsi dans le projet de loi présenté en 1829 à la chambre des pairs de France.

Je voudrais aussi que celui qui, dans un duel, après avoir essuyé le feu de son adversaire, n’aura pas fait usage de ses armes n’encoure aucune peine, parce qu’alors il n’y a pas de duel à proprement parler, car il n’y a de duel, duellum, bellum inter duos, que lorsqu’il y a attaque et défense réciproque, et parce que celui qui n’a pas fait usage de ses armes contre son adversaire, en tirant, par exemple, en l’air, se montre généreux, et cette générosité doit lui mériter une exemption de peine. Cette impunité est, du reste, le plus fort stimulant pour engager le combattant qui a essuyé le feu de son adversaire à ne pas tirer à son tour, à terminer la querelle par un acte de générosité. Il faut, dans cette occurrence, suivre le principe sur lequel repose l’impunité de celui qui interrompt spontanément la tentative.

Les peines que le projet du sénat voudrait voir établir contre le duel ordinaire sont trop sévères, parce que nous ne sommes plus au temps où la législation pouvait espérer d’intimider les citoyens par la sévérité des peines et d’empêcher ainsi les crimes ; à mon avis, le législateur ne devrait jamais attacher au duel ordinaire des peines infamantes, parce que jamais, d’après l’état actuel des rapports sociaux, on n’arrivera à faire regarder le duel comme un crime infamant ; l’homme le plus honorable peut avoir un moment d’égarement et se trouver contraint, malgré lui et par la force de l’opinion, à se battre en duel ; le législateur commettrait donc une faute en frappant d’une peine infamante une personne qui en aurait tué une autre en duel.

Je pense, avec la section centrale, qu’un emprisonnement de deux à cinq ans doit être réservée au cas de mort dans un duel ordinaire, aux combattants, et que les peines à prononcer dans les autres cas de duel ordinaire doivent être graduées sur l’ordre naturel des événements.

Je n’approuve pas le projet du sénat ni celui de la section centrale, qui punissent toute provocation sans distinction, parce qu’à mon avis si le duel ne s’en est pas suivi et que les deux adversaires se soient réconciliés, il ne faut pas réveiller, par des poursuites maladroites, une querelle assoupie. La poursuite judiciaire donnerait à l’affaire une importance qu’elle n’a pas eue, et irait même souvent directement contre son but. Pour ne pas faire de poursuite inutile ou imprudente, le ministère public ne devrait être autorisé à poursuivre les provocations que sur la dénonciation des provoqués.

Je pense aussi que c’est à tort que la section centrale veut supprimer de la loi la partie de l’article 19 qui donne au juge la faculté de diminuer la peine lorsqu’il croit qu’il y a des circonstances atténuantes en cause ; parce que la loi, au moyen de ce complément utile, n’est jamais menteuse en se proportionnant admirablement à tous les degrés de culpabilité. Qui ne voit, en effet, qu’on ne peut pas mettre sur la même ligne un homme qui se sera battu parce qu’il prétendra qu’on l’a touché ou qu’on lui a pris sa place au spectacle, que celui qui se bat contre le complice de sa femme adultère, ou pour venger un outrage fait à la pudeur de sa mère, de sa femme, de sa fille, de sa sœur non mariée ou veuve.

Quoique les réparations civiles soient de droit en vertu des principes généraux de notre législation, je crois qu’il n’en serait pas moins prudent de dire dans la loi que celui qui aurait arraché la vie à son antagonisme succède de plein droit à l’obligation où était le défunt de fournir des aliments aux personnes désignées par la loi, et que de plus il serait obligé de payer toutes les dettes du défunt sans que ses ayant droits dussent établir qu’il aurait pu les payer lui-même ; il suffirait que l’existence de la dette fût légalement constatée pour qu’elle dût être payée.

Avec une pareille disposition, celui qu’on provoquerait à se battre en duel pourrait dire ; Je ne me bats pas parce que je ne veux pas payer vos dettes et il prononcerait avec bien moins de répugnance de pareilles paroles que de dire : Je ne me bats pas parce que je crains la mort.

J’approuve les peines prononcées contre les témoins, parce que de cette manière ils seront plus difficiles à trouver, et les animosités pourront se calmer pendant ce temps.

Le projet du sénat ne tient aucun compte des différents degrés établis par notre système pénal en matière de récidive ; la justice et la politique commandent au législateur d’employer une plus grande sévérité contre les malfaiteurs qui, après avoir déjà subi une condamnation pour crime et délit, portent de nouvelles atteintes à l’ordre social, parce que la récidive prouve ordinairement que la première condamnation a été impuissante contre une inflexible perversité, mais ces principes ne sont pas applicables à celui qui, après avoir été condamné pour un crime, commet un délit ; s’ils ne lui sont pas applicables il serait injuste de condamner, comme le fait le projet du sénat, celui qui se trouverait moins coupable comme celui qui l’aurait été le plus.

La disposition de la section centrale serait à l’abri de toute critique, si le législateur se décide à punir indistinctement tous les méfaits commis en duel de peines correctionnelles ; mais s’il fait rentrer dans son système pénal des peines afflictives et infamantes, comme je le crois indispensable, pour les duels qui ne sont que des assassinats, alors il devra aussi établir une distinction entre celui qui commettra un second crime après la perpétuation d’un premier, entre celui qui aura commis un crime et plus tard un délit ; entre celui qui aura commis un délai et ensuite un crime, et entre celui qui, après avoir commis un premier délit, en commettra ensuite un second.

Je ne puis, messieurs, à l’occasion de la discussion du projet de loi sur le duel, m’empêcher de vous dire que, quelle que soit la nécessité de cette loi, j’aurais voulu que nous eussions eu à la discuter que lorsque le gouvernement aurait soumis à nos délibérations la révision du code pénal de l’empire, qui forme contraste avec nos institutions politiques, avec nos autres lois, et qui n’est pas de notre temps.

La France, la Suisse, l’Allemagne et la Hollande ont senti ou sentent la nécessité de réformer leurs législations pénales surannées et y travaillent ; seront-nous le seuls qui n’oserons pas entreprendre un grand et bel ouvrage, et continuerons-nous à faire des lois spéciales pour réviser un ancien système criminel, qui est, il est vrai, l’ouvrage d’un grand homme, mais aussi celui d’un monarque absolu.

Que ferons-nous, enfin, de toutes ces lois spéciales, les laisserons-nous subsister comme lois détachées et formant chacune un tout ? En agissant ainsi, vous rendrez plus difficile aux particuliers la connaissance de ces lois, et vous priverez le juge d’un puissant moyen d’interprétation. En effet, un code formé d’un seul jet, et dont les différentes parties se trouvent en rapport les uns avec les autres, offre aux tribunaux le précieux avantage de pouvoir comparer entre elles les diverses dispositions de cette loi générale et de parvenir de la sorte à saisir l’esprit d’une disposition douteuse, à connaître l’intention du législateur. Cet avantage serait perdu, s’il n’existait qu’une collection de lois spéciales, rendues à divers époques, d’après de principes souvent différents, et dont les dispositions ne se prêteront pas un appui mutuel.

J’appelle donc l’attention de M. le ministre de la justice et du gouvernement sur la nécessité de réviser notre code pénal actuel et de faire un tout de notre législation criminelle qui, à force d’être modifiée et changée tous les ans par des lois spéciales, par des bouts de lois, ne tient plus ensemble et finira bientôt par ne plus faire qu’un système pénal dans lequel règnera le plus beau désordre. J’ai dit.

M. A. Rodenbach – Messieurs, je n’ai demandé la parole que pour motiver mon vote.

L’honorable préopinant vient de prouver la nécessité d’une loi sur la calomnie et sur l’injure. J’invite également le M. le ministre de la justice de nous présenter cette loi, son prédécesseur nous en avait fait la promesse ; cette loi, à mes yeux, est indispensable.

Messieurs, je donnerai mon assentiment au principe du projet de loi modifié par la section centrale. Je suis aussi d’avis qu’il faut comminer des peines correctionnelles contre le duelliste, rien que des peines correctionnelles ; lorsqu’elles sont plus fortes, on ne les applique pas, car le préjugé est tellement enraciné en faveur du duel que nous avons vu les jurés acquitter constamment le spadassin, et le spadassin marcher la tête levée et fier de son impunité. Nous voyons journellement que des citoyens, honorables sous d’autres rapports, sont incarcérés pour de simples rixes, tandis que le bretteur de profession va, se ralliant avec impunité de ses exploits, lorsqu’il a blessé ou tué son adversaire. Il me semble que nous ne devons pas tolérer des choses aussi exorbitantes.

J’appuie fortement la disposition sur les témoins. Les témoins sont souvent la cause des duels, ce sont les complices du duelliste ; il est donc juste qu’on leur applique aussi une peine.

Messieurs, la loi que nous discutons est certes une loi très ardue ; elle sera vilipendée par les bretteurs, mais tous les honnêtes gens l’approuveront hautement.

M. de Puydt – Je n’ai à présenter à la chambre que des observations très générales et très courtes ; plutôt pour exprimer mes doutes, que pour émettre une opinion arrêtée

Envisageant la loi qui nous est soumise sous le rapport des principes qu’elle est appelée à consacrer, je dois avouer qu’elle a laissé dans mon esprit une confusion d’idée, telle que dans la perplexité où elle me jette, il n’et pas impossible d’adopter aucune de ses dispositions.

Le projet a pour but, soit d’empêcher le duel, soit d’en diminuer la fréquence, en punissant ceux qui s’y livrent.

Je me suis demandé, messieurs, si cette intention, toute louable qu’elle est, n’a pas placé les auteurs du projet à côté de la question, et si, considérant le duel comme l’effet de causes déterminées et faciles à caractériser, il ne serait pas plus rationnel de remonter à ces causes, pour essayer de les détruire, au lieu de faire des efforts plus ou moins sains pour en arrêter les conséquences.

En effet, qu’est-ce que le duel ? C’est un acte par lequel l’homme se place en dehors des lois et se fait justice par lui-même, pour venger des injures personnelles, repousser des attaques contre son honneur.

Il se place en dehors des lois ! Telle est la position apparente. Mais cela est-il bien vrai ? Y a-t-il des lois qui mettent l’honneur de l’homme et l’honneur militaire surtout à l’abri de toutes les injures ? Notre code est-il complet à cet égard, et peut-on dire avec raison que la législation humaine a posé des garanties suffisantes pour apaiser cette susceptibilité si respectable sans laquelle il n’y a pas de société possible ?

Je ne le crois pas, messieurs, et l’existence même du duel en est la preuve ; il a pour but de venger des injures personnelles ; pourquoi le maintiendrait-t-on si la loi était la sauvegarde de l’honneur ?

Je ne me dissimule pas combien la question est délicate, et c’est précisément pour cela qu’elle me semble devoir être traitée avec beaucoup de réserve. Je sais, par exemple, qu’il est infiniment plus facile de condamner le duel d’une manière absolue et de dire avec le plus grand nombre : « c’est un usage barbare, une manie funeste, fondé sur des préjugés et des vices d’éducation. »

Mais, d’un autre côté, ces prétendus préjugés existent, partout, ils ont traversé tous les siècles, ils résistent aux influences religieuses, aux influences politiques, à toutes les habitudes nouvelles de la civilisation. Il faut bien qu’ils tiennent à un principe vivace qui prend sa source dans la nature, principe qui mérite d’être recherché, apprécié. Ce ne sera donc pas en faisant de son examen une question de sentiment qu’on parviendra à démêler la vérité.

La civilisation, au milieu d’une infinité d’excellents résultats, a néanmoins produit une sorte d’hypocrisie de moralité qui nous empêche de reconnaître et d’avouer franchement les imperfections des institutions humaines. Nous voudrions voir tout prévu, tout réglé, et, quoiqu’il existe dans nos lois une lacune qui prive les citoyens d’une part de la protection que la société leur doit, ou aime mieux attribuer des désordres qui en résultent à des préjugés, à un faux point d’honneur, qu’à l’imprévoyance même de la société.

Il y a dans cette manière de juger une question aussi grave plus que de la légèreté.

Cependant l’usage du duel me paraît expliqué si l’on remonte à ses causes originelles.

Se faire justice à soi-même était le droit du sauvage, l’intérêt de sa conversation l’y obligeait.

Se faire justice à soi-même est une action condamnée par les lois de la société actuelle.

Mais pour que la société soit fondée à empêcher l’exercice de ce droit, il faut qu’elle y ait pourvu et qu’elle y supplée.

Voilà précisément où est la question, et je voudrais avoir examinée sans préventions par de plus habiles que moi, avant de prendre une décision définitive.

Le principe du duel, c’est-à-dire la réparation immédiate de l’offensé, si naturel à l’homme dans l’état sauvage, n’est entré dans les mœurs de l’homme social, qu’à défaut de garanties équivalentes à celles que chacun trouvait primitivement en soi.

Lorsque l’homme est passé de la vie isolée à l’association, il a compté rencontrer dans la loi, expression de la volonté de tous des sauvegardes pour les droits naturels, auxquels chaque individu a renoncé en faveur des droits de la société dont il venait faire partie. Il s’est dépouillé de ses habitudes natives pour revêtir les mœurs sociales dans l’espoir d’y trouver la protection la plus entière. Il faut donc que, dans aucune circonstance, il ne soit obligé de recourir à l’exercice des droits naturels, pour se garantir d’attaques auxquelles les défauts de la loi le livrent.

Aussi, lorsqu’il arrive, comme c’est ici le cas, que la législation imparfaite, nous expose à un danger qu’elle ne sait prévoir ni empêcher, il faut bien qu’abandonné de la sorte, entre le déshonneur d’une part, et l’indifférence du monde de l’autre, on obéisse à cette voix intérieure qui nous commande de recourir à un droit dont l’instinct n’a pu s’éteindre en nous.

Je dis que, sans la faculté de se faire justice soi-même, la loi vous laisse sans défense contre l’injure, et cela se comprend du reste. Les offenses qui blessent l’honneur et occasionnent le plus fréquemment le duel, nécessitent une réparation prompte instantanée même : les lentes formalités de lois expresses ne lui offriront jamais qu’une vengeance tardive et sans effet. C’est cette nature particulière de l’injure qui a toujours été l’écueil du législateur. Eh bien, ce que des lois expresses n’opéreront que difficilement, comment aurait-on pu l’obtenir par les dispositions plus ou moins vagues répandues dans nos codes ?

La cause du duel est donc dans la nature spéciale de certaines offenses, dans l’insuffisance et la lenteur des pénalités, et autant vaut dire, dans l’absence de toute action de la loi.

C’est par conséquent la société qui est coupable dans la question du duel, car la loi a été impuissante pour lui ôter tout prétexte d’existence.

Faites qu’on ne puisse être blessé dans son honneur sans que l’offenseur ne soit puni à l’instant même ; détruisez cette première cause d’un recours aux vengeances personnelles, et le duel tombera avec la nécessité qui en a maintenu le principe.

Dans cette manière de voir, je ne puis donc considérer le duel comme blâmable jusqu’à présent ; puisque on n’a rien fait pour le rendre inutile ou impossible.

Comme tout ce qui tient à l’humanité, le duel entraîne des inconvénients, mais en présence des lacunes de la loi dont j’ai parlé, est-il bien permis de dire qu’il n’a pas été le plus souvent un bienfait, et n’est-il pas, au contraire, plus salutaire que nuisible.

Les maux qu’il cause sont des maux partiels, des faits isolés. Quelques individus, quelques familles ont à en souffrir parfois. Mais le duel n’est-il pas un frein à la calomnie, un préservatif contre une multitude d’abus nuisibles à la société ; ne prévient-il pas enfin plus de malheurs qu’il n’en cause ?

Est-il permis de prévoir, messieurs, jusqu’où irait la licence de ce qu’on est convenu d’appeler la mauvaise presse, si le duel n’était pas là pour arrêter des écarts devant lesquels la loi se tait. Des familles n’aurait-elles pas alors bien autrement à souffrir par les lâches diffamations d’écrivains obscurs que l’impunité enhardirait ?

Le mal qui résulte du duel est ce qui nous frappe le plus sensiblement, et son influence sous ce point de vue est telle, qu’il ne reste en nous le plus souvent aucune disposition à chercher quel peut en être le bien. La préoccupation des inconvénients absorbe l’attention tout entière, du moins voilà la manière de juger la plus ordinaire. Mais nous, messieurs, qui sommes ici pour peser le vrai et le faux en dehors de ces influences, nous devons voir les choses comme elles sont. Nous devons voir le duel comme un mal jusqu’à présent tolérable, qu’il n’est permis de guérir qu’en mettant le corps social à l’abri des atteintes dont le duel est le préservatif.

Le duel a fait jusqu’à présent l’office de la loi ; il frappe ceux qu’elle ne frappe pas, voilà tout son tort.

Je désire, messieurs, qu’on ne se méprenne pas sur le but de ces observations.

Je ne veux pas faire l’apologie du duel pour le duel lui-même.

Il existe ! cela est incontestable, et pour qu’il se maintienne partout, malgré tant de dispositions législatives essayées dans divers pays, il faut bien qu’il soit fondé sur une nécessité que rien n’a pu détruire jusqu’à présent.

Voilà ce que j’ai voulu faire remarquer, pour mieux justifier l’opinion que je puis émettre dans la discussion de la loi.

Je suis profondément convaincu que cette question, déjà difficile quant au fond, le devient davantage encore par la manière dont on l’envisage sous le rapport moral.

Si l’on ne veut reconnaître la nécessité du duel et porter toute l’attention sur cette nécessité avant tout pour la faire cesser, j’ai peine à croire qu’on atteigne le but qu’on se propose.

Ce n’est pas le duel proprement dit, ce moyen actuel de répression des injures, sauvegarde unique de l’honneur, qu’il faut combattre directement, ce sont les délits poursuivis par le duel qu’il faut empêcher. Enfin, il faut substituer la loi au duel, qui jusqu’à présent a tenu lieu de loi.

Je résumerai donc en peu de mots ce que je viens de dire.

Le délit qu’on veut poursuivre n’est pas dans le duel, il est dans les injures et les offenses qui ont occasionné le duel.

Ce seraient donc ces faits qu’il faudrait caractériser et punir avant tout.

Le duel remplissant les lacunes des codes, on peut déplorer la nécessité de son existence, mais il n’est pas permis jusqu’à présent de le condamner et de le poursuivre comme s’il était lui-même un délit ; ce qui me paraîtrait un contresens.

La loi à faire devrait, par conséquent, s’attacher à protéger les personnes contre les attaques qui donnent lieu au duel ; mais à cela seul. Car, selon moi, le duel doit être toléré jusqu’à c qu’il cesse de lui-même.

Je sais combien cette tâche est difficile ; il est une nature d’offenses que les lois même les plus sévères seront longtemps à réprimer : c’est l’injure et la calomnie ; elles seules causent plus de maux à la société que le vol et l’assassinat. L’honneur militaire surtout, si fragile et si nécessaire au maintien de la force morale des armées, y est le plus exposé. Cependant les libertés de la Belgique sont si étendues que les lois doivent souvent rester muettes devant certains délits, de crainte de porter la moindre atteinte à ces libertés.

Parviendra-t-on, par le projet projeté, à éviter les écueils contre lesquels les législateurs ont généralement échoué jusqu’ici. Je ne vois pas que cela soit possible.

L’action du duel est mise en cause dans ce projet ; c’est contre cette action que les mesures sont directement portées, et c’est là ce qui m’a fait dire qu’on se plaçait à côté de la question.

Je le répète donc, si la loi est maintenue dans cet ordre d’idées, je ne pourrais l’adopter et je voterai contre.

M. F. de Mérode – Messieurs, l’honorable préopinant, pour justifier l’opinion qu’il vous a présentée, vous a cité les délits de la presse, et les injures débitées par cette voie. Or, je ne vois pas que le duel en ait le moins du monde fait justice. Ces délits continuent toujours et n’ont pas été réprimés par le moyen dont a parlé l’honorable préopinant.

Le but que nous devons tâcher d’attendre, c’est de diminuer les duels. Je sais bien qu’il est extrêmement difficile d’extirper ce genre de préjugé, mais il est possible, selon moi, de réduire beaucoup le nombre de duels, en les rendant plus périlleux, non seulement par les blessures qu’on peut recevoir dans un combat, mais encore par les conséquences pénales du combat.

C’est ce à quoi l’on a cherché à arriver par le projet qui nous est soumis. Il y a quelques-unes de ses dispositions que je n’approuve pas ; mais l’ensemble me paraît devoir nous faire atteindre le but que nous désirons tous, c’est-à-dire la diminution du nombre des duels, et si nous réduisons ce nombre de moitié, ce serait déjà un grand bienfait pour l’humanité. Depuis notre révolution, nous avons été témoins d’une foule de morts malheureuses par suite de duels, et cela n’a pas empêché les injures, et prévenu tous les inconvénients qui résultent de la calomnie.

Il faut donc chercher un autre moyen de réprimer ces délits, et je suis d’accord avec plusieurs honorables préopinants qu’il faut une loi sur les injures, mais cette loi peut être faite après la loi sur le duel. Comme nous sommes maintenant amenés à discuter cette dernière loi, si ne nous en occupions pas, nous risquerions de ne faire ni la loi sur les injures, ni la loi sur le duel.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, je ne me propose nullement d’entrer dans les détails qui ont été signalés par un honorable préopinant. Il me semble que la discussion de ces détails trouvera mieux sa place dans celle des articles du projet qui est maintenant soumis à la chambre.

Messieurs, avant d’envisager les questions générales que peut présenter cette loi, je crois qu’il est bon de rappeler à la chambre comment elle s’en trouve saisie.

En 1836, un projet de loi sur le duel fut présenté au sénat par un honorable sénateur M. le baron de Pélichy. Ce projet fut d’abord renvoyé à une commission et livré ensuite, dans le sénat, à la discussion publique à laquelle prit part mon honorable prédécesseur. Le projet primitif modifié fut transmis à la chambre qui le renvoyait dans les sections, et la section centrale s’en occupa ultérieurement.

Je ferai remarquer que la section centrale, tout en émettant le vœu qu’il intervînt une loi plus complète sur les injures et la calomnie, crût néanmoins qu’il y avait lieu dès maintenant de discuter le projet de loi sur le duel qui avait été transmis à la chambre par le sénat.

Messieurs, je dois faire observer ici que la question de savoir s le duel, ou plutôt si les résultats du duel sont permis par la législation actuellement en vigueur a été fortement controversée. Je n’entrerai pas dans cette controverse ; cependant je crois nécessaire de la signaler, parce que le discours d’un des honorables préopinants avait pour base la supposition que, sous l’empire de la législation actuelle, le duel est impuni ; c’est ce qui m’a paru résulter du discours de l’honorable membre ; la question, je le répète, est controversée, et chacun, dans les questions controversées, peut adopter l’opinion qu’il trouve la plus conforme à la législation, et qui lui paraît la plus raisonnable.

Cette question a été résolue d’abord par la cour de cassation de France sous la restauration, en ce sens que le duel, bien que « condamné par la morale et la religion », comme le disent les motifs des arrêts, n’était pas prévu par les lois actuelles, et que par suite, dans le cas d’un duel où l’on aurait observé la convention des parties, il n’y avait pas lieu à poursuites, ni criminelles, ni correctionnelles de ce chef.

Mais la jurisprudence même en France a changé en 1837. Sur un réquisitoire très lumineux de M. Dupin, la cour de cassation de France a décidé que les coups et blessures portés en duel, ainsi que la mort qui peut avoir été donnée dans un combat singulier, sont punis comme les coups et blessures et la mort donnée volontairement, par les dispositions du code pénal qui nous régit. Depuis lors, la cour de cassation a persisté dans cette opinion. La cour de cassation de France a même été plus loin ; elle a jugé que les témoins, quand ils se trouvaient dans le cas de l’article 60 du code pénal, devaient être poursuivis comme complices du duel. Ainsi, dans ces circonstances, on ne peut pas partir de ce point que le duel ne serait pas punis par nos lois.

En Belgique, la jurisprudence a assimilé l’homicide et les coups et blessures, qui sont le résultat du duel, à l’homicide et aux coups et blessures donnés volontairement. La cour de Liége a décidé dans ce sens. La cour supérieure de Bruxelles a aussi jugé de même. La question est venue ensuite devant la cour de cassation de Belgique. Cette cour a décidé, par un arrêt rendu dans l’intérêt de la loi, que la mort ainsi que les coups et blessures donnés en duel étaient punis par les lois portées contre le meurtre et les coups et blessures donnés volontairement.

Il s’est présenté une autre espèce lorsque déjà le sénat et même la chambre étaient saisis du projet dont il s’agit. En 1837, le 22 juin, la cour de cassation de Belgique a porté un arrêt en audience solennelle, chambres réunies, par lequel elle a cassé un arrêt de la cour de Bruxelles. Par suite de cet arrêt, il y a lieu à interprétation de la loi de la part du pouvoir législatif, en vertu des dispositions de la loi du 4 août 1832.

Ainsi, dans le moment actuel, si vous ne faisiez pas une loi nouvelle, vous seriez obligés de vous prononcer en interprétation de la loi, de décider si les coups et blessures et la mort donnés en duel, se trouvent punis par les dispositions qui nous régissent.

Il y avait donc nécessité de porter une loi. Comme les chambres étaient déjà saisies d’un projet, mon honorable prédécesseur a pensé qu’il n’y avait pas lieu de présenter un projet de loi d’interprétation, quoique tel dût être le résultat de la décision de la cour de cassation ; il a pensé que le projet actuel pouvait en tenir lieu. Vous voyez donc qu’il y a nécessité de porter des dispositions à l’égard du duel.

On ne doit pas rester dans ce conflit de jurisprudence, car devant tel corps de magistrats d’opinion que les coups et blessures, et la mort, donnés en duel, sont punis par les lois actuelles, les prévenus seraient condamnés ; tandis que devant d’autres corps d’opinion contraire, les prévenus seraient acquittés ; et cela non par suite de l’appréciation des faits, mais par suite des interprétations diverses données à la loi.

D’après ces diverses considérations, il ne peut y avoir de doute, à mon avis sur la nécessité de discuter la loi sur le duel. Je crois avoir démontré la nécessité de la loi à intervenir. Maintenant, je crois que je n’aurai pas grand’chose à dire sur l’observation qu’on a faite, qu’avant d’en venir à la loi sur le duel, il y aurait lieu de discuter un projet de loi sur la calomnie et les injures.

Je conçois que notre législation pénale a besoin d’améliorations dans la partie concernant les injures et la calomnie ; mais une pareille loi ne s’improvise pas, elle a besoin d’être mûrie, à tel point qu’on a même émis le doute qu’on pût la faire dans une loi parfaitement bonne. Parfaitement bonne, ce n’est pas dans les institutions humaines ; mais il fait faire la loi aussi parfaite que possible. Néanmoins, je ne pense pas que nous devions attendre la discussion de la loi sur les calomnies et les injures pour nous occuper de la loi sur le duel, car je crois avoir démontré la nécessité d’une loi pour faire cesser le conflit des jurisprudences. D’ailleurs, un projet de loi sur la calomnie et les injures ne peut empêcher tous les duels. Il faut, vous a-t-on dit, que l’injure soit réparée à l’instant. Comment voulez-vous réparer les injures à l’instant avec les formes judiciaires ? Ces formes, on doit les observer, sinon on risque de confondre l’innocent et le coupable, de décider quelquefois au hasard.

Il est impossible d’arriver à une réparation instantanée par la voie judiciaire. Cependant ce que vient de dire l’honorable M. de Puydt m’a rappelé les dispositions existantes dans un autre pays. Il se plaint de ce que la réparation n’est pas assez instantanée. Il a signalé les délits de la presse, comme un des moyens d’injure. Il résulterait de là que le vice serait autant dans la procédure que dans la disposition de la loi pénale. On sait que pour les délits soumis au jury, il faut suivre toutes les formes prescrites pour les actions criminelles, ils sont déférés à la chambre du conseil qui les renvoie à la chambre des mises en accusation, et c’est celle-ci qui renvoie les prévenus de délits devant la cour d’assises. Il résulterait des observations de l’honorable membre qu’il y a des vices non seulement dans la loi pénale, mais encore dans celle qui règle la procédure, et qu’il y aurait lieu d’y porter des améliorations, de saisir à l’instant les cours d’assises, les délits de calomnie commis par la voie de la presse.

Cette observation ne sera pas perdue. J’ai trouvé juste de rendre la procédure plus rapide. J’en ferai, autant que possible, l’objet de mes méditations. Mais je ne pense pas moins que les motifs énoncés ne sont aucun obstacle à ce qu’on discute la loi sur le duel.

Je ferai encore une observation sur ce point, qu’une loi sur les injures et la calomnie devrait précéder celle-ci. Il y a en France des lois votées en 1819 et 1822 contenant des dispositions très détaillées sur la diffamation. La jurisprudence et les monuments qui nous ont révélé les faits prouvent que cela n’a pas empêché les duels. Il y a donc nécessité d’avoir une loi sur le duel ou une loi interprétative du code pénal relativement aux faits qui son le résultat du duel.

Nous avons recouru à des dispositions spéciales, et je crois que nous avons bien fait. Je l’ai pensé quand j’ai eu l’honneur de présider la section centrale. Tout le système de ce projet consiste dans la question de savoir si on se bornera à appliquer aux coups et blessures graves portées en duel, et à la mort donnée en duel, des peines correctionnelles, ou bien si on laissera ces faits sous l’empire du droit commun en appliquant le code pénal.

Je pense qu’il y a lieu de se rattacher à la disposition proposée par la section centrale, de ne comminer que des peines correctionnelles. C’est le système que j’ai soutenu alors et que je soutiendrai encore aujourd’hui.

Quant aux détails, nous les examinerons lors de la discussion des articles.

M. de Puydt – L’honorable ministre de la justice a dit que j’étais parti de la supposition, que le duel avait été toujours impuni jusqu’ici. Je n’ai pas touché cette question. Je me suis borné à faire comprendre que, dans mon opinion, il y a insuffisance de la législation, en ce qui concerne les faits qui donnent fréquemment occasion au duel. Quant à la question de savoir si le duel est puni ou non par nos lois, ce qui, de l’aveu du ministre, est extrêmement controversé, je ne l’ai pas touchée.

Je ne puis pas laisser tomber, sans réponse, l’observation que M. le ministre a faite, en s’appuyant sur l’opinion que j’aurais émise. J’ai cité les délits d’injure de la mauvaise presse, les abus de la presse que pourrait arrêter ou prévenir le duel ; et considérant comme nécessaire de maintenir les libertés les plus larges, sans y porter la moindre atteinte, je trouvais là un écueil pour le législateur ; je n’ai donc pas prétendu qu’il fallût pour cela mettre un frein quelconque à la liberté de la presse ; je m’inscris contre l’observation du ministre lorsqu’il prend acte de mon opinion pour l’avenir. Je protesterai d’avance contre toutes lois concernant des mesures répressives, et qu’on voudrait fonder sur les idées que j’aurais émises aujourd’hui.

La liberté de la presse, qui a été une des causes de la révolution, et l’une de ses conquêtes, a donné lieu à des abus dans ce pays comme dans beaucoup d’autres : abus qui ont préoccupé les partisans les plus zélés de cette liberté. Je citerai à cet égard une opinion que vous ne récuserez pas, celle de Franklin qui fut l’ami de la liberté de la presse, comme de toutes les autres que notre constitution a consacrées. Les abus dont nous nous plaignons l’avaient également frappé ; mais il se serait gardé de proposer une loi pour les réprimer. Ses recherches à cet égard l’avaient conduit à préférer aux dispositions restrictives une espèce de compensation qu’il aurait appelé la « liberté du bâton ». Moi aussi, plutôt que d’avoir une loi sur cette matière, je préférerais la liberté du bâton. C’est pour cela que j’ai dit, dans mon premier discours, que je considérais le duel comme le seul préservatif qu’il y ait contre ces abus.

De toutes les observations des honorables préopinants, il résulte que la question est grave et controversée, et qu’il sera difficile de s’étendre sur ce point. Je ferai donc la proposition d’ajourner la discussion de cette loi jusqu’à la révision du code pénal. Je sais que la révision de ce code peut donner lieu à beaucoup de difficultés. Mais, comme du peu de discussion qu’il y a eu sur cette loi, il ressort évidemment que la question du duel est aussi fort ardue, faut-il nous exposer à une loi qui deviendra peut-être inutile par suite des modifications que nous apporterons au code pénal, et qui ôteront tout motif au duel, en prévenant l’injure.

Pour renfermer ma proposition dans des termes plus restreints, je demanderai l’ajournement de la discussion du projet de loi relatif au duel jusqu’à la révision de la législation sur l’injure et la calomnie.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Je ferai quelques observations en réponse à l’honorable préopinant à qui, à l’entendre, j’aurais prêté une pensée qu’il n’aurait pas eue. Je crois cependant avoir bien compris ce qu’a di l’honorable préopinant que la réparation des injures par la voie de la presse n’es pas assez instantanée, et que la procédure st lente.

M. de Puydt – Elle en peut et ne doit l’être davantage.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Dès lors il est inutile de porter une loi sur l’injure et la calomnie ; et c’est bien dans ce cas qu’il y a nécessité de discuter la loi sur le duel ou bien (puisqu’il faut porter une loi interprétative) de trancher la question de savoir si les résultats du duel sont ou non punis par le code pénal actuel. Je pense qu’il est préférable de porter des dispositions spéciales sur le duel. C’est aussi l’avis de mon prédécesseur.

Il m’a paru aussi que l’honorable préopinant a mal interprété ce que j’ai dit. A la manière dont il a, dans aucune intention mauvaise, retourné mon discours, il s’ensuivrait que j’aurais manifesté l’intention de porter atteinte à la liberté de la presse. Rien de semblable n’est venu à ma pensée. Mais la liberté est-elle la licence ? Et peut-on confondre ces deux mots ? Les amis de la plus grande liberté de la presse ne sont-ils pas tous d’accord, qu’il faut réprimer les abus de cette liberté ? N’avons-nous pas d’ailleurs toute garantie dans l’institution du jury ? Propose-t-on de porter atteinte à l’institution du jury ? En aucune manière. Ou bien je me serais bien mal expliqué, si mes paroles avaient pu être comprises en ce sens. Mais j’ai toujours compris qu’il y a lieu de réviser la législation sur la presse, qui est imparfaite en ce qu’elle n’est pas assez étendue et n’embrasse pas assez de cas.

Mais il ne faut pas confondre le mode de procédure avec la juridiction. On se plaint de ce que le mode actuel de procédure, offre trop de lenteur, et de ce qu’il ne peut assurer une répression instantanée de l’injure. Quand on veut modifier ce mode de procédure, porte-t-on atteinte à l’institution du jury, cette garantie de la liberté de la presse établie par la constitution ? Non. Mais on veut mettre le plus tôt possible la loi pénale à exécution, en portant les affaires de cette nature devant le jury.

Je crois qu’en disant que j’examinerais ce point, je n’ai nullement manifesté l’intention de porter atteinte à la liberté de la presse.

On a proposé d’ajourner la discussion jusqu’à la révision du code pénal. Mais il y a bientôt six ans que le projet de révision du code pénal a été présenté, circonstance qui avait échappé à un honorable membre qui reprochait au gouvernement de ne pas avoir présenté de projet de révision du code pénal.

En dernier lieu, on a parlé d’ajourner le projet de loi jusqu’à la discussion d’un projet de loi sur l’injure et la calomnie, dont vous n’êtes pas saisis. Je ne crois pas que cette proposition soit adoptée. Le sénat n’a pas pensé qu’il en dû être ainsi, puisqu’il a fait un projet de loi sur le duel.

Puisqu’on convient que, quelque parfaite que fût la loi que nous ferions sur l’injure et la calomnie, on ne peut empêcher ni prévenir tous les duels, je crois dans la circonstance où nous nous trouvons, en présence de la nécessité d’interpréter la loi, il y a lieu de s’occuper de la discussion du projet de loi spécial sur le duel.

M. Liedts, rapporteur – Messieurs, il a été écrit sur le duel tant de si belles pages pour et contre que, si je l’avais voulu, il m’eût été facile, sans faire aucun frais d’imagination, de faire un long discours dans l’un ou dans l’autre sens sur cette matière. Mais j’ai pensé que cela nous ferait perdre beaucoup de temps, sans nous rien apprendre de nouveau.

L’honorable député qui siège à ma droite (M. de Puydt) est arrivé à cette conclusion que le duel, dans l’état de nos mœurs et de notre civilisation, est nécessaire. Mais, pour être conséquent avec ce principe, il faudrait déposer une proposition pour déclarer le duel licite. Or, je crois que l’honorable membre aurait reculé le premier devant une semblable proposition.

L’assemblée, dans tous les cas, j’en ai la conviction, ne l’aurait pas admise. Je dis qu’il aurait dû faire cette proposition. Or veuillez examiner notre position : nous sommes dans la nécessité de nous prononcer sur la répression du duel ; il ne nous est pas libre de ne rien faire. La cour de cassation a décidé et continué à décider et continue à décider que le code pénal et toutes les peines qu’il commine contre les coups et blessures s’appliquent aux blessures faites au duel. Des cours d’appel, au contraire, ont décidé et continuent à décider le contraire. Il faut de toute nécessité faire cesser ce conflit Il faut que vous disiez de quelle manière vous voulez que le code pénal soit entendu. Ou bien vous avez l’option de faire une loi spéciale sur le duel. Mais il ne nous est pas libre de rester passifs. Dans cette nécessité, qu’est-il préférable de faire ? Evidemment une loi spéciale sur le duel ; car je ne pense pas qu’on veuille adopter le système adopté par la cour de cassation, système que je suis loin de blâmer comme juriste ; car je n’ai pas à examiner la question que la cour de cassation avait à résoudre. Mais du point de vue de législateur, je dis qu’il est déplorable d’appliquer le code pénal aux résultats du duel ; en effet ce système a pour conséquence de faire condamner, lorsque le duel a eu des résultats sans gravité, c’est-à-dire dans les cas de blessures légères, puisqu’alors l’affaire est soumise aux tribunaux correctionnels, et de faire acquitter ceux qui ont donné la mort ou causé des blessures graves en duel, puisqu’alors l’affaire est soumise au jury et que l’expérience a prouvé que dans ce cas-là il acquitte presque toujours.

Quant à la proposition qui aurait pour but de déclarer le duel licite, je ne sais vraiment pas si elle mérite que j’y réponde ; car la vie des citoyens n’est qu’un dépôt entre les mains du législateur ; il ne vous est pas permis d’en disposer comme bon vous semble ; ce n’est que pour la sûreté publique que vous pouvez en disposer. Et par une loi vous viendriez déclarer que le premier venu pourra disposer de la vie de son semblable, sans en rendre compte ; pour une injure souvent insignifiante, vous lui permettrez de lui enlever la vie ? Comment ! Quand un assassin est traduit devant les tribunaux, vous l’entourez de mille formalités protectrices, vous voulez qu’on examine avec le plus grand soin s’il est coupable, et vous voudriez que, pour une injure légère, on allât sur le terrain jouer sa vie sur un coup de dé, sans que l’autorité pût intervenir autrement que pour creuser une tombe pour la victime !

Ce serait une absurdité dans votre législation. Un système semblable, outre qu’il serait inhumain, serait contraire à la mission du législateur, je dirai même aux pouvoirs qui lui sont confiés.

N’osant ou ne voulant pas déclarer le duel licite, l’honorable député auquel je réponds, propose d’ajourner la discussion de la loi sur le duel jusqu’à la révision de la législation sur l’injure et sur la calomnie. Mais l’honorable membre a-t-il calculé toute la portée de cette proposition ? Sait-il si un conflit n’a pas lieu maintenant à l’occasion d’un duel, et si les combattants ou l’un d’eux n’est pas en prison, en attendant que le conflit soit vidé ? Voulez-vous que cet homme reste en prison jusqu’à la révision de la législation sur l’injure et la calomnie ? En supposant que ce cas n’existe pas maintenant, ne peut-il pas se présenter ? je suppose que la cour de Gand déclare qu’il n’y a pas lieu à suivre contre un individu du chef d’un duel qui a eu pour résultat la mort de l’un des combattants, et que la cour de cassation casse cet arrêt, vous voulez que s’il y a arrestation du coupable, il reste en prison jusqu’à la révision de la législation sur l’injure et la calomnie !

Ce cas pourra se présenter. Mais quand il ne se présenterait pas, vous ne pouvez tolérer l’abus dont nous sommes spectateurs, c’est-à-dire, que vous ne pouvez tolérer plus longtemps que des citoyens soient condamnés ou acquittés pour le même fait, selon la juridiction à laquelle ils sont soumis ; c’est un scandale dans la société qu’il faut faire disparaître le plus promptement possible. Que vous fassiez cesser ce scandale au moyen d’une interprétation du code pénal, ou d’une loi spéciale, toujours est-il que vous devez sortir de la position où vous vous trouvez.

La discussion générale est close.

M. le président – Avant d’aborder les articles, il y a lieu de s’occuper de la question d’ajournement.

M. de Puydt – Je retire ma proposition d’ajournement.

M. le président – Alors nous allons nous occuper des articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. La provocation en duel sera punie d’un emprisonnement de un mois à trois mois, et d’une amende de cent à cinq cent francs. »

M. van Cutsem – je proposerai à cet article l’amendement suivant :

« La provocation en duel sera punie sur la dénonciation de la partie provoquée de 6 jours à 3 mois et d’une amende de 16 francs à 500 francs. »

Il peut se faire qu’un homme gravement outragé, soit parce qu’on aurait attaqué l’honneur de sa mère, soit parce qu’on aurait attaqué l’honneur de ses proches, lance, dans un premier moment d’emportement, une provocation à la légère ; dans une circonstance pareille, un emprisonnement d’un mois sera trop fort.

Je propose de ne poursuivre le duel que sur la dénonciation de la personne provoque ; poursuivre toute provocation serait chose imprudente ; un individu en provoque un autre ; mais la réconciliation a lieu ; y aurait-il nécessité alors de poursuivre devant les tribunaux ? L’action du ministère public ferait plus de mal que de bien dans cette circonstance.

M. A. Rodenbach – Je demanderai à l’auteur de l’amendement s’il entend que dans aucun cas le ministère public ne pourra agir d’office contre le duelliste ? Telle est la conséquence de son amendement ; mais il serait fatal à la société qu’on ne puisse punir un homme querelleur et qui fait profession d’être un ferrailleur.

M. Milcamps – Je crois que nous ne pouvons admettre l’amendement de M. van Cutsem, dont l’adoption ferait cesser les effets qu’on attend de la loi Dans une loi difficile comme est une loi sur le duel, il faut laisser aux juges une grande latitude. La loi a bien fait de ne circonscrite par aucune expression sacramentelle le sens de ce mot « provocation », et dès qu’elle ne le fait pas, elle est nécessairement censée laisser aux juges une latitude suffisante pour décider d’après les circonstances si tels faits, tels propos, tels écrits constituent la provocation. D’après ces principes, je crois que cette latitude doit leur être également laissée quant à l’élévation de la peine ; je propose en conséquence de dire que la peine sera d’un emprisonnement de 10 jours à trois mois et d’une amende de 50 à 500 francs.

M. Van Cutsem – J’ai proposé mon amendement en ce sens que dans aucun cas, le ministère public ne pourra poursuivre si le provoqué ne porte plainte : L’ordre public n’est pas assez directement intéressé à la répression d’une provocation lorsque la partie provoquée ne fait aucune plainte.

J’ai encore fait ma proposition parce que je trouve que dans certains cas, on pourrait rendre ennemis des gens qui, sans les poursuites, se seraient pardonné volontiers une provocation qui n’aurait été que le résultat d’un moment d’irritation.

L’honorable préopinant est d’accord avec moi sur la nécessité de laisser beaucoup de latitude aux juges, nous ne différons que sur le taux de l’amende ; je crois qu’il y a des cas où 16 francs d’amende suffiraient pour punir, ainsi qu’un emprisonnement de 6 jours ; aussi je persiste dans mon amendement.

M. Vandenbossche – Je pense, messieurs, que nous pouvons adopter l’amendement de l’honorable M. Van Cutsem, puisque l’article premier ne parle que de la provocation qui n’est suivie d’aucun effet. Je suppose qu’une provocation qui n’est suivie d’aucun effet, mais qui aura été entendue par quelques personnes, soit dénoncée au procureur du Roi ; eh bien, le procureur du Roi devra poursuivre alors que la contestation entre le provocateur et le provoqué n’aurait peut-être duré qu’un instant ; il me semble que cela n’est pas admissible.

M. Dolez – Je ne puis, messieurs, admettre l’amendement proposé par l’honorable M. van Cutsem ; adopter cet amendement serait à mon sens biffer de la loi l’article premier ; car la matière, de l’aveu de tous les auteurs, est toute de préjugé ; or, pouvez-vous croire un seul instant que la partie provoquée aille jamais dénoncer au procureur du Roi la provocation dont elle aura été l’objet ? ce serait alors que le préjugé sur lequel se base le duel s’élèverait avec toute sa puissance pour qualifier de lâche celui qui aurait dénoncé une provocation en duel qui lui aurait été adressée.

Je crois donc que, dès l’instant où l’on reconnaît la nécessité d’une législation spéciale sur le duel, nécessité qui est évidente à mes yeux, il importe de maintenir l’article tel qu’il est proposé par la section centrale.

Cependant, messieurs, tout en combattant la proposition de l’honorable M. van Cutsem, je reconnais qu’il y a dans sa pense quelque chose de vrai, quelque chose de moral. Il est admis dans les principes du droit pénal qu’il faut toujours donner un encouragement, pour s’arrêter dans la voie du crime, à celui qui y entre ; c’est ainsi que notre code pénal ne punit la tentative de délit, la tentative de crime, que quand elle n’a manqué ses effets que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. Je comprends donc, avec l’honorable M. van Cutsem, qu’en matière de duel il importe aussi d’encourager l’auteur d’une provocation à revenir à des sentiments modérés, et je voudrais que la loi dit au provocateur : « Vous avez posé un fait blâmable aux yeux de la morale, aux yeux de la loi, mais arrêtez-vous, rétractez ce fait, la loi ne vous punira pas. »

Je pense qu’il serait utile de faire droit à cette partie de la pensée de l’honorable M. van Cutsem, et d’ajouter à l’article de la section centrale une disposition consacrant ce principe fondamental de notre législation pénale, que la provocation ne sera punie que quand elle n’aura manqué ses effets que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. D’après ce principe, le provocateur serait puni, lorsque le duel n’aurait été refusé par celui qui aurait été provoqué ; mais il ne serait pas puni, lorsqu’il aurait lui-même retiré sa provocation, lorsqu’il serait revenu à des sentiments modérés, à des sentiments raisonnables ; et en effet, dans ce cas, le fait ne serai pas punissable.

Je propose donc d’ajouter à l’article de la section centrale, la phrase suivante :

« Lorsqu’elle n’aura manqué ses effets que par des circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. »

M. Liedts, rapporteur – Je ne pense pas, messieurs, qu’il soit nécessaire de combattre l’amendement de l’honorable M. van Cutsem qui ne me paraît avoir aucune chance de succès ; en effet, cet amendement irait directement contre le but de l’article premier qui est tout à fait préventif. Nous avons pensé, messieurs, qu’il vaut mieux prévenir le délit que de le punir lorsqu’il a été commis ; or, si vous dites qu’il n’y aura poursuite que lorsque la personne provoquée aura dénoncée le provocateur, il est évident que jamais la provocation ne sera poursuivie, car celui qui dénoncerait une provocation dont il aurait été l’objet, passerait pour lâche aux yeux de tous ceux qui le connaissent.

Quant à la proposition faite par l’honorable M. Dolez, les développements que nous a donnés cet honorable membre, nous ont fait comprendre qu’il peut se présenter des circonstances telles qu’il faut laisser au juge une grande latitude pour l’abaissement de la peine, mais je ne vois pas que l’amendement tel qu’il est rédigé puisse atteindre ce but. En effet, que porte cet amendement ? Il porte que la provocation ne sera punissable que lorsqu’elle n’aura manqué ses effets que par une circonstance indépendante de la volonté de son auteur. Eh bien, remarquez, messieurs, que lorsque la provocation n’a pas été acceptée, elle manque par cela même ses effets par une circonstance indépendante de la volonté de son auteur, cependant, d’après les explications de l’honorable M. Dolez, lorsque la provocation n’aurait pas été acceptée, elle ne serait pas punissable.

Je concevrais fort bien, messieurs, que, dans un article qui se présentera plus loin, on considérât le retrait volontaire de la provocation comme une circonstance atténuante, mais par cela même que le cartel a été lancé, par cela même qu’un homme a été défié publiquement (comme c’est très souvent le cas), il faut que celui qui a fait la provocation soit soumis à une peine quelconque, alors même que la provocation a manqué ses effets par une cause qui n’est pas indépendant de la volonté de son auteur.

D’après ces considérations je ne pourrai pas accepter l’amendement tel qu’il est présenté.

M. Dolez – Je dois donner une simple explication qui prouvera à mon honorable collègue et ami, M. Liedts, qu’il a mal compris ma pensée.

Quant la provocation a été refusée par la personne qui en a été l’objet elle a manqué ses effets par une cause indépendante de la volonté de son auteur et dans ce cas le provocateur sera puni. Mon amendement n’a d’autre but que de faire appliquer au duel le principe consacré par le code pénal pour tous les crimes et délits en général, et voici ce que porte à cet égard l’article 2 du code pénal.

« Toute tentative de crime qui aura été manifestée par actes extérieurs et suivis d’un commencement d’exécution, si elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet que par des circonstances fortuites ou indépendantes de la volonté de l’auteur, est considérée comme le crime même. »

Eh bien, messieurs, c’est ce que je propose de faire pour le duel ; la provocation serait considérée comme une tentative et elle serait punie comme telle toutes les fois qu’elle n’aurait manqué ses effets que par une circonstance indépendante de la volonté de son auteur. J’ai proposé cet amendement pour répondre à cette pensée morale de l’honorable M. van Cutsem, qu’il faut encourager l’auteur de la provocation en duel à la retirer, et pour rentrer encore dans la pensée de la section centrale qui a voulu établir dans l’article premier une mesure bien plus préventive que répressive. Je crois que la chambre ne verra aucun inconvénient dans ma proposition et qu’elle y trouvera au contraire quelques avantages.

M. d’Huart – Messieurs, je donnerai mon assentiment à la proposition de l’honorable M. Dolez, parce qu’elle remédie en grande partie aux inconvénients qui résulteraient de la rédaction trop absolue du projet. Je donnerai également mon vote à la seconde partie de l’amendement de M. van Cutsem, qui tend à abaisser jusqu’à six jours le minimum de l’emprisonnement, minimum qui serait d’un mois d’après le projet de la section centrale. En cela j’abonderai tout à fait dans le sens des observations de l’honorable M. Milcamps ; je crois qu’il importe de laisser beaucoup de latitude au juge pour l’application de la peine, parce qu’on confère une latitude extraordinaire en ne définissant pas ce que c’est que la provocation, c’est-à-dire en lui laissant le pouvoir de considérer comme une provocation ce que bon lui semblera. Ce vague me paraît devoir se lier avec la faculté d’appliquer une peine très faible si le juge reconnaît qu’il y a des circonstances atténuantes.

L’honorable M. Milcamps, d’après les considérations qu’il a lui-même fait valoir, aurait pu se rallier à cette partie de la proposition de M. van Cutsem.

M. Milcamps – Je m’y rallie.

M. d’Huart – Mes observations deviennent donc inutiles sur ce point.

On a reproché, à la première partie de l’amendement de l’honorable M. van Cutsem, de rendre impossible la poursuite d’une provocation, attendu que la personne provoquée n’irait jamais se plaindre à la justice dans la crainte de passer pour lâche, de se faire décrier. Je crois que ce reproche n’est pas tout à fait aussi fondé qu’on a bien voulu le prétendre, car, d’après l’article qui suit immédiatement l’article premier, il est porté remède au mal que l’on soutient devoir nécessairement résulter de la disposition dont il s’agit. L’article 2 porte, en effet, que ceux qui auront décrié publiquement ou injurié une personne pour avoir refusé un duel, seront punis de la même peine que les provocateurs ; vous le voyez donc, messieurs, on ne laisserait pas impunies les injures lancées ultérieurement contre celui qui aurait déposé une plainte du chef d’une provocation qui lui aurait été adressée. Toutefois, je reconnais qu’il y aurait d’autres inconvénients dans l’adoption de cette première pare de l’amendement de M. van Cutsem, et je pense que les principaux avantages qui devaient en résulter, seront également obtenus par la proposition de M. Dolez. Je n’hésite donc pas à donner la préférence à cette dernière proposition.

M. Delehaye – Messieurs, la provocation la plus excusable est certainement celle qui est faite dans un moment d’emportement ; eh bien, si, dans un moment de colère, une personne en provoque une autre en duel et que celle-ci refuse, la personne qui aura fait la provocation ne peut plus se soustraire à la peine comminée par la loi.

Par ce motif, il me paraît impossible d’adopter l’amendement de l’honorable M. Dolez, et il me semble que la proposition de la section centrale est ce que nous pouvons adopter de mieux.

M. van Cutsem – Messieurs, j’ai demandé la parole pour me rallier à l’amendement de l’honorable M. Dolez ; cet amendement exprimant ma pense mieux que celui que j’ai proposé, je me désiste de mon amendement, quant à la première partie, bien entendu ; quant à la seconde partie, je crois qu’il faut que le juge ait une plus grande latitude que celle qu’on veut lui donner par l’article 1er du projet. C’est pour ce motif que je pense que la peine pourrait être abaissée à un emprisonnement de six jours et à une amende de 16 francs.

M. de Puydt – Je voudrais qu’on fût bien fixé sur ce qu’on entend par « provocation ». Je suppose que dans une discussion un peu vive, un individu donne un soufflet à un autre, et que celui qui a reçu le souffler provoque le premier en duel, quel sera le provocateur ? (Hilarité.) Cela n’est pas indifférent du tout, parce que j’ai vu cette question soulevée très fréquemment dans les duels, alors qu’il s’agissait de savoir qui aurait le choix des armes ou qui tirerait le premier. C’est ordinairement le provoqué qui a le choix des armes ou qui tire le premier ; or, il y a toujours eu doute sur le fait de savoir si la provocation résultait de l’injure ou de la demande de réparation. Ce doute est alors levé par le sort.

M. Dolez – Messieurs, il me semble que l’honorable M. de Puydt confond le provoqué avec l’offensé. Dans l’hypothèse qu’il a soumise, je comprends à merveille quel est l’offensé et je comprends avec autant de facilité quel est le provocateur. Une offense par voie de fait est infligée un homme ; eh bien quel est le but de la loi ? C’est de dire à cet homme : « Au lieu de recourir à la voie barbare du duel, recourez à la voie légale de la plainte devant les tribunaux. » Voilà le but de la loi. Eh bien, pour atteindre ce but, il faut que, quelque grave que soit le motif de la provocation en duel, il faut frapper cette provocation même. Sinon, vous rendriez la loi inutile. Sous prétexte de la gravité de l’offense, l’offensé dira qu’il a droit d’être provocateur sans encourir la peine comminée par la loi. L’offensé pourra s’adresser à la protection des lois ordinaires ; s’il ne recourt pas à la protection des lois, s’il s’adresse à la protection individuelle, la loi viendra le protéger contre ses propres écarts, en frappant la peine que vous aurez comminée contre l’auteur d’une protection en duel.

Je dois maintenant deux mots de réponse à l’honorable M. Delehaye. L’honorable membre a posé des hypothèses. Il vous a dit que dans un cas il n’y aurait pas de peine portée contre l’auteur d’une provocation, alors que la peine sera prononcée dans un autre cas alors que le fait sera excusable.

Mais, messieurs, en matière pénale, le juge apprécie non seulement le fait, mais encore la moralité du fait, et quoi que disent les lois, vous ne saurez jamais soustraire à la conscience du juge la moralité du fait.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Messieurs, trois questions d’abord se présentaient à examiner, mais il n’en reste plus que deux, depuis que M. van Cutsem a retiré son amendement.

La première question est celle de savoir s’il convient d’ajouter dans l’article la disposition qui a été proposée par l’honorable M. Dolez ; la seconde est celle de savoir s’il y a lieu de réduire la peine qui a été adoptée par le sénat et adoptée par a section centrale de la chambre.

Sur le premier point, le système de l’honorable député de Mons est d’appliquer les dispositions qui caractérisent les tentatives de crimes et délits en général. Ces dispositions se trouvent dans les articles 2 et 3 du code pénal :

« Article 2. Toute tentative de crime qui aura été manifestée par actes extérieurs et suivis d’un commencement d’exécution, si elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet que par des circonstances fortuites ou indépendantes de la volonté de l’auteur, est considérée comme le crime même. »

« Article 3. Les tentatives de délits ne sont considérées comme délits que dans les cas déterminés par une disposition spéciale de la loi. »

Ici, messieurs, la provocation est considérée comme un délit, et même toutes les dispositions proposées par la section centrale ne sont considérées que comme telles ; la provocation est punie, d’après le projet qui vous est soumis d’une peine correctionnelle dont le maximum est fixé à trois mois.

L’honorable député de Mons veut assimiler la provocation à la tentative du délit du duel. Ainsi la provocation serait considérée comme la tentative, et si cette tentative manquait son effet autrement par des circonstances fortuites et indépendantes de la volonté de l’auteur, elle ne serait pas punie.

Mais je ferai remarquer qu’à mon avis la provocation est différente de la tentative du délit du duel, tel qu’il sera qualifié par la loi, si la chambre adopte la proposition de la section centrale. C’est une peine attachée spécialement à cette provocation, et l’on peut voir dans le projet qu’on ne la considère pas comme une tentative du duel. Et cependant, pour rester dans le droit commun, comme l’a dit l’honorable préopinant auquel je réponds, ce serait en la considérant comme une tentative de duel, qu’il y aurait lieu d’ajouter dans l’article les expressions dont il s’agit Mais si nous la considérons comme un délit différent de la tentative de duel, il ne me paraît pas que, pour rester dans les termes du droit commun, on puisse ajouter ces expressions.

En proposant cette addition, l’honorable député de Mons a voulu parer à inconvénient qui avait été signalé par un honorable député de Courtray.

« On se sera réconcilié, dit-il, et partant ce qui aura été avancé dans un propos inconsidéré, n’aura plus aucun suite. Dans ce cas, conviendra-t-il de poursuivre ? »

Messieurs, dans l’opinion que je me suis faite du projet du sénat, je pense que le terme de « provocation » laisse une grande latitude au juge, et, dans cette espèce de lois, il faut bien en convenir, on doit laisser au juge toute la latitude possible, en la circonscrivant néanmoins dans de certaines limites.

Tout délit, comme l’a dit l’honorable député de Mons, s’apprécie par le fait et par l’intention. Or, dans mon opinion, je ne vois pas le délit de provocation dans des propos inconsidérés qui ont été prononcés lorsque les parties seraient de suite réconciliées ; à mon avis, ce n’est pas là une provocation en duel.

Mais lorsqu’on aura été plus loin, lorsqu’il y aurait eu un cartel, un écrit dans lequel on aura provoqué en duel, je conçois qu’on ne poursuive pas encore, si les parties se sont immédiatement réconciliées. Mais ne peut-il pas se rencontrer des circonstances qui rendent ce fait plus répréhensible que dans le cas où un propos inconsidéré peut avoir été repoussé par celui auquel on l’adressait. Il peut arriver enfin qu’un individu en vienne provoquer un autre et que celui-ci lui dise : « Vous êtes un fou, je ne me bats pas avec vous. » Et l’affaire n’aura pas eu d’autre suite, néanmoins ce sera alors une circonstance indépendante de la volonté de l’auteur qui aura empêché le duel, et dans ce cas on poursuivra le provocateur, on le condamnera.

Messieurs, je crois qu’il est plus convenable de laisser à la poursuite et au juge une grande latitude, et de s’en tenir à la disposition du projet. On y a conservé du vague, il est vrai, mais il était impossible d’y mettre plus de précision, parce qu’on ne peut pas prévoir absolument toutes les circonstances.

Les juge décideront quand il y aura provocation. Le ministère public, qui verra un propos inconsidéré dans une provocation, n’y trouvera pas matière à poursuivre. On remplira mieux le but qu’on se propose en ne tenant pas à une définition exacte.

Quant à la seconde question qui concerne la détermination de la peine, il y a un certain arbitraire de la part du législateur. Il est toujours impossible de graduer tellement les peines qu’elles soient absolument proportionnées aux délits. Il faut, cela est reconnu dans toutes les lois pénales, notamment dans celles qui ont succédé à la loi de 1791, laisser certaine latitude aux juges.

Il a paru à quelques honorables membres qu’on ne pouvait pas adopter la proposition du sénat. Mais remarquez que nous n’admettons l’existence de la provocation que quand le fait, joint à l’intention, présente un certain caractère de gravité. Le délit n’existant qu’avec ce caractère, il nous a semblé que les peines comminées par le projet du sénat n’étaient pas trop fortes. Si on trouvait bon de donner une plus grande latitude au juge, je laisserais à la chambre le soin d’en décider. Quant à moi il me paraîtrait que l’abaissement du minimum ferait croire qu’on attacherait le caractère de délit des faits n’ayant pas de gravité.

Il n’y a pas d’inconvénient à adopter l’article.

M. de Garcia – Je pense aussi qu’il faut adopter l’article proposé par la section centrale. L’amendement de M. Dolez ne ferait qu’embarrasser l’application de cet article. L’honorable M. de Puydt lui a demandé ce qu’il entendait par provocation. Quant à moi, je pense qu’il faut laisser un vague très considérable sur l’interprétation de ce qu’on doit entendre par provocation. Il faut laisser cette interprétation aux tribunaux. Si vous adoptez l’amendement de M. Dolez, les observations de M. de Puydt doivent recevoir leur application. Si vous demandez un commencement d’exécution, qu’arrivera-t-il dans une provocation où je donne un démenti à quelqu’un, où je lui dis : Vous êtes un polisson ? Direz-vous que c’est par un fait indépendant de ma volonté, que je ne puis aller sur le terrain.

M. Dolez – Ce n’est pas une provocation !

M. de Garcia – Je trouve là une provocation réelle. Quand vous aurez adopté l’article présenté par la section centrale, un fait comme cela que je viens de citer, un démenti formel donné dans un lieu public, une apostrophe de polisson, s’il est déféré aux tribunaux, les juges y trouveront une provocation, aux termes de l’article premier.

M. Dolez – M. de Garcia confond deux choses distinctes, la provocation en duel et l’offense dont s’occupe l’article 3. L’article 3 porte : « Celui qui a excité au duel ou, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation sera puni, etc. »

Il y aurait donc impossibilité pour les juges de consacrer cette flagrante erreur, de voir une provocation en duel là où il y aurait des faits d’injures condamnés par l’article 3.

L’article premier a pour objet d’obliger l’insulté à recourir à la protection des lois au lieu d’en appeler à son bras. Voilà le but de l’article premier. Restons dans ce but, cherchons à l’atteindre avec la section centrale. Mais ne frappons pas d’une peine injuste l’auteur d’une provocation, quand, reconnaissant son tort, il aura rétracté. Le ministre de la justice a dit que les tribunaux seraient juges de ce cas. Oui, je conçois cela quand la loi leur en laisse la latitude ; mais quand elle est conçue en termes impératifs, toutes les fois qu’il y aura un fait de provocation, le juge devra appliquer la loi, même à l’auteur qui aurait été assez sage pour se rétracter, c’est-à-dire à un fait qui aura perdu tout caractère de criminalité. Pour que l’article premier reste moral, il faut admettre le tempérament que j’ai proposé : ne pas l’admettre serait méconnaître le principe fondamental de notre droit pénal. Quand celui qui est sur la voie du crime s’arrête par le fait de sa volonté, jamais la loi pénale ne le frappe. Je demande, pour rester dans les principes généraux du droit et pour laisser son caractère moral à l’article premier qu’on adopte l’amendement que j’ai proposé.

M. van Cutsem – Si vous n’adoptez pas mon amendement, il arrivera que quand la personne qui aura provoqué comparaîtra, et qu’on établira qu’une réconciliation s’est effectuée, le tribunal devra acquitter le provocateur. Je vous demande s’il ne vaudrait pas beaucoup mieux que le provocateur fût acquitté par la loi même que par le juge dont la volonté peut toujours être arbitraire.

Je demanderai encore s’il n’eût pas mieux valu que la loi acquittât le provocateur plutôt que le juge, pour éviter au ministère public une masse de poursuites inutiles et au trésor une masse de frais. Qu’arrivera-t-il si le juge et non la loi doit acquitter le provocateur qui a retiré sa provocation ? Une fois la citation lancée le prévenu comparaîtra, les témoins et les parties viendront dire qu’on s’est réconcilié ; les frais n’en auront pas moins été faits, les poursuites n’en auront pas moins eu lieu ; le juge devra acquitter.

Il serait plus prudent que la loi acquittât au lieu du juge.

M. Liedts, rapporteur – je crois que l’amendement de M. Dolez est fondé sur ce que cet honorable membre considère la provocation en duel comme une simple tentative de délit. La section centrale a voulu ériger la provocation en délit, en faire un délit sui generis, un délit spécial qui est consommé par cela seul que la provocation a eu lieu. Remarquez que la provocation, de même que l’offense qui amène la provocation, a deux caractères distincts, l’un n’intéresse que l’individu, l’autre blesse l’intérêt public. Quand vous adressez à un individu une expression outrageante, cette expression blesse aussi l’intérêt général ? Vous auriez beau retirer plus tard votre expression outrageante, le code pénal ne vous en punirait pas moins. De même, une fois la provocation lancée, quand elle a tous les caractères d’une véritable provocation, il est de l’intérêt public qu’elle soit punie, comme il es de l’intérêt public qu’une offense soit punie alors même qu’elle est retirée. Pour être conséquent avec vous-mêmes, si vous adoptez l’amendement de M. Dolez, vous devrez statuer que quand quelqu’un aura calomnié une autre personne, et de cette manière donné lieu à une provocation, il ne sera pas punissable s’il retire ses expressions. Vous bouleverser ainsi tous les principes des lois pénales. Un fait retiré n’est pas moins punissable, s’il constitue un délai d’après la loi. C’est sous ce point que la section centrale a considéré la provocation et qu’elle a voulu que si elle est faite sérieusement et avec intention, celui qui en est l’auteur, bien qu’il la retire, n’est reste pas moins punissable.

M. Dolez – Je demande la permission d’ajouter deux mots pour faire remarquer à l’honorable rapporteur qu’il se trompe sur la véritable portée de l’article premier. Il est bien moins une disposition répressive qu’une disposition préventive. Il vous disait que le but de l’article premier n’était pas de punir directement la provocation, mais d’empêcher le duel de s’accomplir. S’il est préventif, il fait concevoir la manière la plus préventive possible. Quelle est la portée de mon amendement ? D’engager l’auteur d’une provocation à la retirer. Toute disposition qui aura cet effet rentrera dans le but que se propose l’article premier, ce but si louable de prévenir le duel.

L’article 3 est plus répressif que préventif ; le délit est consommé ; le fait de l’injure est posé, il a produit ses effets contre la partie qui en a été l’objet. Le retrait de l’injure ne doit pas suffire pour l’excuser, parce que l’effet est produit. Mais là n’est pas le mal ; le mal commence quand le duel va s’accomplir ; tout engagement à le prévenir doit être le but du législateur.

M. Vandenbossche – On dit qu’on veut laisser de la latitude aux juges, tandis que l’article est impératif. Ne pourrait-on pas laisser cette latitude dans la loi même, et dire : « La provocation en duel pourra être poursuivie et punie », au lieu de dire « sera punie » ?

Ainsi le juge sera libre, et avant même de citer le provocateur en justice, il pourra décider sur la moralité de la provocation. Je proposerai de dire « Le provocateur en duel pourra être poursuivi et puni, etc ? »

M. de Garcia – D’après les explications de l’honorable M. Dolez sur l’interprétation de la provocation, j’avoue que mes observations étaient inutiles. Je trouve qu’il y a des inconvénients à ne voir la provocation que dans un cartel de bouche ou par écrit. Quant à moi, j’avoue que je regarde l’expression le « polisson » ou le fait de cracher à la figure d’un homme comme un cartel, comme une provocation. Au surplus, les tribunaux ne seront pas embarrassés, puisque d’après les explications qui ont été données il est entendu que c’est un cartel seul qui constitue la provocation.

M. de Muelenaere – Il est vrai que l’article premier est purement préventif. Le législateur veut, autant que possible, empêcher les duels ou en diminuer le nombre. Dès lors, d’après l’honorable M. Dolez, il faudrait encourager à retirer les provocations. Mais on tombera ainsi dans un grave inconvénient ; car si vous admettez l’amendement de cet honorable membre, il est résultera que toute provocation qui aura manqué son effet, uniquement par des circonstances fortuites indépendantes de la volonté du provocateur sera punissable, tandis que toute autre provocation ne sera pas punissable. Or ce sera précisément les provocations qui ne tomberont pas sous le coups de la loi qui auront produit le plus grand scandale.

Je suppose, comme l’a fait M. le ministre de la justice, qu’un individu vous provoque en duel dans un moment de colère et que vous lui répondiez : « Mon cher, je ne veux pas me battre en duel. » Voilà une provocation qui aura manqué son effet par des circonstances fortuites indépendantes de la volonté de son auteur. Cette provocation qui n’aura été que l’effet d’un moment d’irritation,sera punissable d’après la loi.

Je supposerai maintenant un cas où la provocation, d’après l’amendement proposé, ne serait pas punissable. Une provocation a lieu dans un lieu public ; elle produit du retentissement dans toute une ville, elle cause le plus grand scandale ; les témoins sont nommés ; on est sur le point de se battre. Après que la provocation a produit le plus grand scandale pendant plusieurs jours, le provocateur retire sa provocation : le duel n’a pas lieu. Voilà une provocation non punissable d’après la loi, si l’amendement est adopté.

M. Dolez – Le duel est évité.

M. de Muelenaere - Sans doute, mais le duel est également évité quand la provocation manque ses effets par des circonstances fortuites, indépendantes de la volonté du provocateur.

Une provocation donnée dans un moment d’irritation, sans retentissement, entre deux amis qui se seront réconciliés aussitôt après sera punissable.

M. Dolez – Elle sera inconnue.

M. de Muelenaere – Oui, peut-être ; mais si elle est connue elle tombera sous le coup de la loi, tandis qu’une provocation qui aura causé un grand scandale, qui aura été pendant deux jours le sujet des conversations de toute une ville, ne sera pas punissable d’après la loi.

Il me semble que c’est là un grand inconvénient.

C’est sous ce rapport que, sauf éclaircissements ultérieurs, je ne pourrai donner mon assentiment à la proposition de l’honorable M. Dolez.

Il me semble que dans tout cela il convient de laisser beaucoup de latitude aux juges, surtout aussi longtemps que le duel n’a pas eu lieu, et lorsqu’il ne s’agit que d’une simple provocation. Mais je ne saurais admettre un amendement qui aurait des effets tels que ceux que je viens de signaler.

M. Liedts, rapporteur – Je ne sais s’il est nécessaire d’insister beaucoup sur le rejet de l’amendement de l’honorable M. Vandenbossche. Je ne concevrais pas que le législateur déclarât qu’un fait constitue un délit, et qu’il dît en même temps qu’on pourra punir ce fait ou ne pas le punir. Ce serait inouï dans les annales de la législation.

M. d’Huart – Les observations de l’honorable M. de Muelenaere ne me paraissent pas de nature à changer mon opinion favorable à l’amendement de l’honorable M. Dolez.

En effet, je pense que la loi que nous discutons a pour but d’empêcher le duel, qu’elle n’a pas même d’autre but ; or il est évident que, dans l’exemple cité par l’honorable M. de Muelenaere, ce but sera atteint même avec l’amendement de M. Dolez ; nous aurons empêché ainsi le duel et c’est tout ce que nous voulons. Mais, dit M. de Muelenaere, une provocation qui aura fait beaucoup de scandale ne sera pas punissable, parce qu’elle aura été ensuite retirée. Remarquez qu’à cet égard (la section centrale l’a dit, M. le ministre de la justice l’a répété) nous sommes tous d’accord, nous admettons qu’il faut compléter la législation sur les offenses, par une loi sur la diffamation, sur l’injure, par une loi spéciale sur la calomnie ; or lorsque nous aurons porté cette loi, nous rendrons punissable le scandale dont a parlé l’honorable M. de Muelenaere ; s’il y a injure, s’il y a outrage, nous les punirons par la loi mentionnée dans le rapport même de la section centrale. Mas vouloir dépasser le but avoué de la loi, actuellement en discussion, qui est de prévenir et d’empêcher le duel, ce serait tomber dans la confusion.

Je persiste donc à croire que nous devons nous borner à introduire dans la loi des disposions tendant à prévenir le duel, et comme l’amendement de l’honorable M. Dolez concourt efficacement à ce but d’une manière humaine et morale, je persiste à le regarder comme bon et utile.

M. Dolez – Je crois que la loi a un autre but que de prévenir le duel ; elle aussi pour but de punir les provocations et d’empêcher qu’on ne puisse provoquer à la légère, et à toute occasion. Comment ! on pourra provoquer quelqu’un, et il suffira de lui dire ensuite : « Pardon, je me suis trompé. » Ou bien un individu, après en avoir provoqué un autre, qui aura déclaré ne vouloir pas se battre, lui dira : « Vous êtes un lâche ; » puis il le quittera, et le lendemain, il ira dire : « Maintenant que j’ai atteint mon but, je retire ma provocation. » Et cet individu-là ne sera pas punissable ? Ce serait cependant le résultat de l’amendement. Je voterai contre cet amendement, qui laisserait impunies l’injure et la provocation.

M. de Muelenaere – L’honorable M. d’Huart paraît avoir mal compris mes observations. Je n’ai pas parlé d’injure et de diffamation qui produiraient du scandale, parce que je fais une distinction entre l’offense et la provocation. Mais j’ai fait remarquer que tandis qu’une provocation, en quelque sorte fort innocente et qui n’a été suivie d’aucun effet, est punissable aux termes de la loi, une provocation qui a eu beaucoup de retentissement et qui a causé un grand scandale n’est pas punissable d’après l’amendement, parce que le provocateur déclare qu’il la retire. Il me semble que c’est un assez grave inconvénient. Je crois qu’il vaut mieux maintenir l’article, et laisser aux tribunaux à décider s’il y a eu provocation en duel ; car, quoi qu’on dise, à moins qu’il n’y ait eu provocation écrite ou verbale, en termes formels, les tribunaux seront juges de la question de savoir si les faits soumis à leur appréciation constituent ce qu’on peut appeler une provocation en duel.

M. van Cutsem – J’appuie l’amendement de l’honorable M. Vandenbossche. Si la loi est impérative, il est certain, malgré ce qu’a dit M. le ministre de la justice, que le juge ne pourra pas se dispenser de condamner.

L’insertion dans la loi du mot « pourra » n’est pas nouveau dans les lois.

Quand on a voulu laisser aux juges la faculté de punir ou de ne pas punir, le législateur s’est toujours servi du mot « pourra » ; il est usité dans les lois françaises, pourquoi ne l’introduirait-on pas dans notre loi ?

M. Liedts, rapporteur – Je m’étonne de voir le député de Courtray soutenir l’amendement de M. Vandenbossche. Vous remarquerez que le député d’Alost voudrait que le ministère public fût libre de poursuivre ou de ne pas poursuivre le provocateur, ce qui serait sans exemple. Vous pouvez déclarer ou ne pas déclarer que le fait de la provocation est un délit. Mais si la loi la considère comme un délit, alors la poursuite de ce délit ne peut pas plus être facultative que celle de tout autre délit, bien entendu lorsque, dans la conviction du parquet, le fait remplit toutes les conditions d’une véritable provocation au duel. La loi ne serait pas plus logique si elle disait que « la provocation pourra être punie » ; car on conçoit bien la faculté laissée au juge d’appliquer la peine depuis le minimum jusqu’au maximum mais on ne comprend pas que le fait étant constant et déclaré délit par la loi, il soit loisible au juge d’appliquer ou de ne pas appliquer la loi ; dans ce cas ce n’est pas pour le juge une faculté de punir, c’est un devoir.

M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Il faut prévenir autant qu’il est possible les duels, et on a remarqué que le meilleur moyen de les prévenir était de prévenir les provocations elles-mêmes, et pour cela il faut les punir. Le député d’Alost ne veut pas qu’elles soient toujours punies, et pour mettre le juge plus à l’aise, il propose de substituer le mot « pourra » au mot « sera ». je ne sais si les observations de cet honorable membre méritent d’être réfutées.

Quand il est impossible d’avoir des dispositions législatives précises, un grand jurisconsulte a dit : « Alors l’arbitraire du juge est moins à craindre que l’arbitraire de la loi. « Il vaut donc mieux ne pas définir la provocation parce que, dans cette situation, le juge ne condamnera que quand il trouvera une provocation réelle ; de même le ministère public, qui comprend ses devoirs, ne poursuivra que quand il verra une véritable provocation, à moins qu’il n’y ait plainte ou partie civile ; ainsi nous ne rencontrons pas d’inconvénients dans la loi.

L’honorable député de Mons a dit : « Si vous n’adoptez pas ma proposition, vous heurtez les principes du droit ; » mais, a répondu l’honorable rapporteur : « Vous heurtez les principes de la loi même en considérant la provocation comme une tentative de duel ; puisque vous avez fait de la provocation un délit particulier, il ne s’agit plus de la considérer comme tentative de délit. »

Il ne peut y avoir lieu à application de la peine, dit-on, quand il y aura rétractation, mais à quelle époque interviendra cette rétractation ? Si elle vient à l’instant même on considérera la provocation comme un propos inconsidéré ; mais si la rétraction n’intervient qu’après, la provocation sera un délit. Aussitôt que la provocation aura eu lieu, le délit existe ; la police judiciaire pourra agir ou pourra même, s’il en est besoins, recourir à l’emprisonnement préalable du chef du délit de provocation, avant qu’on en vienne aux effets, et, par ce moyen, empêcherait le duel projeté.

Je crois que, sous tous les rapports, on ne saurait admettre les amendements qui ont été proposés, et qu’il y a lieu de s’en tenir simplement au projet.

- De toutes parts on demande la clôture ; mais la chambre n’étant plus en nombre suffisant pour délibérer, la suite de la discussion est renvoyée à demain.

La séance est levée à 5 heures.