(Moniteur belge n° 51 du 20 février 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune fait l’appel nominal à 1 heure un quart.
La séance est ouverte.
M. Mast de Vries lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. Lejeune présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Des habitants des communes de Rottelaire, Melle et Anvers demandent le rétablissement de l’usage de la langue flamande dans certaines provinces pour les affaires de la commune et de la province. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Warnant, ex-maréchal des logis de gendarmerie, demande que sa pension soit portée au taux de celles accordées par la nouvelle loi. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi.
« Le conseil communal de Lommel demande que la chambre adopte, dans le projet de circonscription cantonale, la disposition qui maintient cette commune dans le canton de Brée. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Les conseils communaux et habitants des communes de Oostroosbeke et Bove-Kerke demandent qu’il soit pris des mesures protectrices de l’industrie linière.
- Renvoi à MM. les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères et des finances.
M. Delehaye – Dans cette pétition, postérieure à la résolution prise par M. le ministre de l'intérieur, relativement à la commission d’enquête, il est dit que les membres de cette commission inspirent très peu de confiance. Je ne suis pas étonné que la composition de cette commission donne lieu à des réclamations de la part de l’industrie linière, alors qu’elle compte deux étrangers sur les cinq membres. Je ne puis donc me refuser à partager l’opinion qu’expriment à cet égard les pétitionnaires. On a mis tant de temps à nommer cette commission que j’ai peine à croire qu’on ait de bonnes intentions. Toutefois ces intentions, fussent-elles bonnes, je crois que l’on ne prendrait qu’une résolution tout à fait tardive puisque beaucoup de tisserands et de fileurs n’ont aucun moyen d’existence. Il ne me reste donc qu’à prier M. le ministre d’imprimer aux travaux de la commission la célérité que réclame la position malheureuse de ceux qui se livrent à l’industrie linière.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ne sais pas comment on peut dire que la commission n’inspire pas de confiance. Je suis de ceux qui pensent que cette commission inspire la plus entière confiance. On dit que deux membres sont étrangers au pays. Mais je suis étonné que l’on n’ait pas opposé à l’un d’eux sa qualité d’étranger, lorsqu’il a été nommé membre du comité de l’industrie linière. Je pense que tout homme qui a rendu des services au pays, et qui est instruit, est apte à faire partie d’une commission d’enquête. Aucun article de la constitution et des lois n’exige la qualité de Belge, pour faire partie d’une commission d’enquête que le gouvernement nomme pour s’éclairer. On ne peut contester que les deux étrangers qui font partie de la commission ne soient des hommes distingués par leurs lumières.
M. Delehaye – Je ne connais ni l’un ni l’autre ; je n’ai fait qu’énoncer l’opinion des pétitionnaires. Je dirai, pour répondre à M. le ministre, que si un comité n’ayant aucune action sur le pays, avait jugé convenable d’appeler un étranger dans son sein, ce ne serait pas une raison pour que le gouvernement nommât cet étranger membre d’une commission d’enquête.
M. de Foere – Avant de vous présenter ma motion d’ordre, dont l’objet est, dans mon opinion de la plus haute importance par le bien-être du pays, j’éprouve le besoin de la dégager de quelques préjugés qui pourraient entraver son succès.
Il est un usage parlementaire que je voudrais voir pratiquer par cette chambre, que, dans d’autres sessions, j’ai cherché inutilement à introduire dans nos délibérations, mais auquel, pour ma part, je me suis conformé et auquel je me conformerai encore dans la circonstance actuelle. Cet usage est celui de ne pas présenter des motions d’ordre d’une haute portée qu’avec la condition expresse, soit d’en avertir la chambre un jour ou deux d’avance, soit, lorsqu’elle n’aura point été avertie, de ne pas obliger la chambre de décider immédiatement sur la motion, et, si la majorité le désire, de lui laisser un jour ou deux le temps de réfléchir.
Le même ordre devrait être suivi à l’égard des interpellations de quelque importance, qui sont adressées aux ministres. Je dois cependant avancer que les interpellations brusques n’ont pas un caractère aussi dangereux que les motions d’ordre, attendu que les ministres, s’ils croient devoir prendre les questions proposées en considération, ne pourraient être obligés, dans l’intérêt même du pays, de leur donner une réponse immédiate. Cependant, s’ils croient devoir délibérer sur les interpellations, ils sont obligés envers le pays de répondre après un jour ou deux de réflexion et de donner à la chambre une réponse sincère et loyale, sans chercher à éluder les questions et sans convenir d’avance avec leurs majorités de proposer l’ordre du jour lorsqu’ils auront donné aux interpellations une réponse évasive. Lorsque les interpellations ou les motions d’ordre ont pour but les intérêts majeurs du pays, les efforts que font les minorités pour défendre ces intérêts sont étouffés par la force matérielle des majorités. Cette tactique déloyale forme toujours le caractère de tout ministère qui, au lieu de marcher droitement vers le but général du bien-être du pays, est préoccupé de l'idée mesquine et étroite de sa propre conservation.
Un autre préjugé, si je ne le dissipais pas, pourrait aussi faire péricliter le succès de la motion que, dans l’intérêt du pays tout entier, j’aurai l’honneur de vous présenter. On semble croire que j’ai pour but de renverser l’administration actuelle. Je vous dois à cet égard de dire toute ma pensée. Depuis deux ans, j’ai retiré ma confiance aux hommes qui sont actuellement au pouvoir. Si d’autres hommes, n’importe lesquels, l’avaient occupé, tout en suivant le même système de politique commerciale, ma conscience de député m’aurait imposé le même devoir, et me l’imposerait encore aujourd’hui envers d’autres hommes, si, imbus du même système, ils venaient à recueillir la succession des ministres actuels. La raison en est que, dans ma conviction profonde, ce système mène directement le pays à sa ruine commerciale et industrielle.
En votant contre les budgets et même, pour être conséquent, contre les crédits provisoires, parce qu’ils font partie des budgets, mon but direct et immédiat n’est pas le renversement du ministère ; je le déclare ouvertement et sincèrement ; je désire, au contraire, le maintenir en faisant, en même temps, des efforts incessants pour convaincre le ministère et la chambre du système excessivement pernicieux qui a été suivi jusqu’ici et qui est à la veille d’être sanctionné par le projet du traité de commerce et de navigation provisoirement conclu avec la France, système qui est tout à fait dans l’intérêt de l’industrie et du commerce étrangers, et qui, s’il était définitivement adopté, serait, dans ma conviction, la mort des mêmes intérêts du pays. Si donc le ministère échangeait sa politique commerciale contre celle qui est généralement suivie par toutes les autres nations et qu’une longue expérience a prouvé être la seule admissible, politique commerciale que depuis six ans je propose et défends dans cette chambre, je n’aurais plus aucune raison péremptoire pour faire au ministère actuel une opposition de principes ou de système de gouvernement. Mais je dois déclarer en même temps que, si l’administration actuelle prétendait persister dans ses déplorables errements, il n’y a aucun autre ministère que je ne lui préférasse, si cet autre prenait pour base de sa politique commerciale et navale les principes que deux siècles d’expérience générale ont consacrés et mis en pratique, et n’eût pas l’inconcevable prétention de faire mieux que toutes les autres nations industrielles, commerciales et maritimes.
Mes votes, messieurs, n’ont pas le caractère d’une opposition de parti, moins encore d’une opposition de coterie. Jamais pendant toute ma carrière parlementaire, je n’ai aspiré au pouvoir. Je n’ai appartenu à aucun parti, ni à aucune coterie ; or, ce sont les partis politiques qui aspirent au pouvoir. Je n’appartiens pas même au parti que par opposition au parti « libéral », on désigne faussement et maladroitement dans l’intérêt de certains hommes qui se posent comme hommes du pouvoir et qui s’en préparent les voies ; je n’appartiens pas même, dis-je, au parti que l’on désigne sous le nom de « catholique ». je serais le premier à m’opposer à toute prétention exorbitante ou injuste que ce dernier parti, s’il existait, élèverait. Je m’y opposerais dans les vrais intérêts de la religion du pays. J’ai la conviction intime que toute volonté excentrique que ce parti manifesterait, tournerait à la longue contre les intérêts vrais et stables de la religion. Mais aussi ce parti, s’il existe, a, comme tout autre, ses droits constitutionnels, et ceux-là je les défendrai tant que je siègerai dans cette chambre. Mon opposition n’est donc pas une opposition aux hommes qui occupent le pouvoir, mais aux principes, aux systèmes qu’ils adoptent lorsque leurs systèmes me paraissent nuisibles, aux vrais intérêts du pays. Là donc mes votes se trouvent quelquefois confondus avec d’autres qui sont les effets d’autres causes, il serait injuste de ne pas admettre la distinction entre les motifs qui ont dicté les uns et les autres.
J’arrive maintenant, messieurs, aux motifs de la motion que j’ai eu l’honneur de vous proposer.
J’ai souvent énoncé dans cette chambre que l’opinion que le commerce extérieur du pays se bornait presque tout entier au commerce de commission. Cette opinion a été contestée par des membres de cette chambre et par le ministère même. Aujourd’hui elle n’est plus contestable ; elle est dans l’aveu même du gouvernement. Les deux lettres adressées par le ministère de l'intérieur, à nos chambres de commerce, et dont il a été question dans la séance d’hier, affirment, de la manière la plus claire et la plus positive, que le haut commerce « se borne presque exclusivement au commerce de commission. » Cette situation du pays, messieurs, je ne dois pas vous le dire, est déplorable. Mais sur qui pèse la responsabilité de cette fâcheuse position ? L’honorable ministre de l’intérieur en accuse, dans sa lettre le pays. « Il est loin, dit, de posséder, au même degré l’esprit de commerce actif et entreprenant qui distingue certaines autres nations. »
Dans sa lettre, que M. le ministre de l'intérieur a fait sienne, notre ministre plénipotentiaire à Londres va beaucoup plus loin. Il accuse le pays « de manquer, pour assurer de nombreuses exportations, de véritables négociants instruits, entreprenants, actifs … doués de cette persévérance sans laquelle on ne mène rien à bien … Les grandes entreprises font peur en Belgique, et l’on préfère un petit bénéfice certain aux chances d’un grand profit accompagné de quelque incertitude ou de quelques danger. »
Ce blâme jeté sur nos négociations est injuste et même absurde. Si le pays ne possède pas au même degré l’esprit de commerce actif et entreprenant qui distingue certaines autres nations, quelle en est la véritable cause ? c’est que vous ne placez pas les négociants du pays dans la même position favorable dans laquelle toutes les autres nations placent les leurs. Nos négociants ont la certitude que si, dans la condition que vous leur faites par le système commercial que vous suivez, ils avaient l’imprudence de se livrer aux opérations lointaines que vous leur conseillez, ils courraient directement à leur ruine.
Quels sont des moyens que le ministère propose pour transformer nos négociants en « véritables négociants », en « négociants instruits, entreprenants et actifs », pour les faire sortir de leur déplorable commerce de commission, auquel il se livrent presque exclusivement, et pour assurer au pays de nombreuses exportations ? Dans la séance d’hier, vous l’avez entendu, messieurs, ce sont les échantillons !!
Il faut être complètement étranger l’étude de l’histoire commerciale, à la marche du commerce extérieur et aux opérations commerciales, pour présenter un semblable moyen d’arriver aux buts que le gouvernement veut atteindre et que je viens de signaler. Comment, ; messieurs, ce serait par des échantillons des produits de notre industrie susceptibles d’être exportés et envoyés à nos consuls établis dans les pays lointains, que l’on donnerait les capacités nécessaires à nos négociants, que l’on en ferait de « véritables négociants, des négociants instruits, actifs et entreprenants », que l’on donnerait « à un degré suffisant, l’esprit de commerce actif et entreprenant qui distingue certaines autres nations », que l’on romprait leurs habitudes de commerce de commission et que l’on « assurerait au pays de nombreuses exportations ». On présente ce remède en présence du système commercial suivi par le ministère, système qui permet à tous les négociants étrangers et indigènes d’importer dans nos ports des cotons, des cafés, des sucres et toute autre marchandise coloniale, des entrepôts de Rotterdam, du Havre, de Londres et de Liverpool, par conséquent, sans distinction de provenances directes ou indirectes, et sans que la navigation nationale soit suffisamment protégée pour l’importation de la plupart de ces articles.
C’est en présence de ce système que l’on voudrait envoyer nos négociants à Bahia, à Manille, à Singapore, à Canton, pour rapporter de ces contrées éloignées des cotons, des sucres, des cafés et autres marchandises coloniales qui, importées dans nos ports, trouveraient nos marchés et nos entrepôts remplis des mêmes articles, importés des entrepôts d’Europe ! C’est en présence de ce système, plus largement établi encore par l’article 4 du projet de traité de commerce et de navigation à conclure avec la France, que le ministère propose d’expédier à nos agents commerciaux des échantillons de notre industrie, afin d’établir un commerce direct avec ces contrées éloignées, de fournir à nos négociations des moyens d’échange et « d’assurer à l’industrie du pays des exportations nombreuses ! »
Il n’est pas un seul négociant du pays qui ne soit pas directement intéressé au commerce de commission, qui ne sache que ce soit là une véritable dérision. C’est professer ouvertement l’absence de toute notion en matière de commerce extérieure d’échanges.
Messieurs, le mal existe ; il est grand, il est profond ; il ne peut plus être contesté ; il est avoué ouvertement par le gouvernement. « Notre commerce se borne presque exclusivement au commerce de commission. » C’est là un mal radical qu’il faut extirper. Notre industrie d’exportation en souffre cruellement.
Je vous proposerai donc, pour motion d’ordre, de nommer une commission chargée :
1° De rechercher les causes qui ont produit la situation fâcheuse dans laquelle se trouvent l’industrie et le commerce extérieur du pays ;
2° D’assigner les moyens les plus propres à remédier au mal qui est signalé sur tous les points de la Belgique ;
3° De présenter les bases du système commercial et naval qu’il conviendrait, dans l’intérêt de l’industrie et du commerce du pays, d’établir.
La commission sera investie du pouvoir d’interroger les chambres de commerces des principales villes du pays et de recueillir leurs opinions.
La commission sera composée de sept membres. Cinq seront nommés par la chambre et pris dans son sein. Les deux autres membres seront nommés par le sénat, et pris également dans cette assemblée.
Le moyen que je propose, de relever notre industrie et notre commerce extérieur, est conforme aux usages parlementaires, suivis, dans des cas semblables, dans d’autres pays. Il vous donne aussi l’assurance qu’il tend à maintenir l’administration actuelle ; car, si le ministère se croit trop avancé dans son système commercial pour reculer, il pourra couvrir la retraite de son opinion, sous le système commercial qui pourrait être présenté par la commission et adopté par la chambre. J’ai dit.
M. le président – J’invite M. de Foere à déposer sa motion d’ordre sur le bureau.
M. Rogier – Si la chambre veut bien me le permettre, en attendant que la prétendue motion d’ordre soit déposée sur le bureau, je répondrai quelques mots à l’exposé des motifs qui l’a précédée.
Déjà deux fois aujourd’hui, on a peint le commerce et l’industrie du pays, comme dans une situation misérable, comme arrivés à l’état d’agonie. Trop souvent, suivant moi, on fait retentir ces sortes de plaintes.
A force de répéter que l’industrie du pays est mourante, que le commerce est dans une situation déplorable, non seulement l’étranger, mais encore le pays, finiront par croire à ces exagérations, et, il y aurait là de quoi amener le commerce et l’industrie à l’état déplorable où on les dépeint.
Au lieu de stimuler le zèle, d’encourager les efforts du commerce et de l’industrie, de pousser nos négociants dans une voie où ils ne sont pas entre entrés, on accuse le système commercial du gouvernement de maux qui n’existent pas, ou de maux qui, s’ils existaient, ne serait pas le résultat de ce système. Je crois qu’il y aurait une autre conduite à tenir. Je crois que la chambre devrait repousser ces plaintes exagérées et qui ne peuvent produire que de très fâcheux effets.
Sous le rapport de l’enquête (car il ne s’agit de rien moins que d’une enquête), je pourrais appuyer la motion d’ordre. Puisqu’à chaque instant, on représente le commerce et l’industrie comme réduits à un état misérable, il peut être utile que le pays et l’étranger sachent à quoi s’en tenir.
Je crois que l’enquête n’aurait que des résultats avantageux et opposés à ceux dont on ne cesse de parler. Sous ce rapport, j’appellerai l’enquête de mes vœux.
Sans doute, certaines industries sont souffrantes. Mais cet état de choses n’est pas particuliers à notre pays. De tous temps, dans tous les pays, le commerce et l’industrie sont d’ailleurs portés à se plaindre. Au lieu d’accueillir légèrement ces plaintes, il faudrait éclairer le commerce, le stimuler, l’encourager à ne pas désespérer de lui-même.
Aussi, je serai disposé à appuyer la motion d’ordre, en ce qui concerne la demande d’enquête. Mais comme ce sera là un événement grave dans le pays, je crois que la chambre ne prendra pas cette mesure à la légère. Si j’appuie la motion d’ordre, je dis dans quel but ; c’est aussi à la condition que la proposition passera par toute la filière que le règlement a fort sagement imposé aux propositions émanant des membres de la chambre.
Dans tous les cas : l’enquête sera plutôt dans les attributions du gouvernement que dans celles de la chambre. Une preuve de ce que j’avance, c’est que l’honorable membre veut attribuer à la chambre le droit de nommer dans la commission des membres du sénat. Si le sénat s’opposait à ces nominations, la chambre se trouverait dans une fausse position vis-à-vis de ce corps.
M. le président – M. de Foere propose de nommer une commission, en en prenant les membres parmi ceux de la chambre et du sénat, et qui serait chargée de rechercher les causes qui placent l’industrie et le commerce du pays dans la déplorable situation où ils sont : d’indiquer les moyens de parer au mal, et de présenter les véritables bases qui conviennent au commerce et à l’industrie du pays.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Déjà fréquemment on s’est plaint dans cette chambre de cette multitude de motions d’ordre qui surgissent à l’ouverture de nos séances, et dont le résultat le plus clair est de jeter le désordre dans nos délibérations, d’en suspendre le cours, et de priver le pays des lois qu’il attend.
J’ai lieu de m’étonner que l’honorable membre propose d’instituer une commission d’enquête sur une question qu’il prétend posséder à fond ; il avait une marche plus simple à suivre ; c’était de formuler un projet de loi ; ce projet aurait été examiné dans les sections ; et si son auteur parvenait à le faire prendre en considération, il sera renvoyé aux chambres de commerce et à votre commission d’industrie ; de cette façon on aurait à délibérer sur quelque chose de positif.
Mais que veut-on faire en ce moment ? L’homme qui, à ce qu’il nous a dit plusieurs fois, possède le mieux la science du commerce maritime, fait aujourd’hui l’aveu de son ignorance en proposant une commission d’enquête qui serait chargée de rechercher le véritable système à suivre ! Un homme sûr de ses connaissances ferait usage de son initiative et ne ferait pas appel aux renseignements d’autrui. Quant à ce que ce membre a dit du gouvernement, je lui répondrai que le gouvernement est parfaitement libre ; que s’il était convaincu que le système préconisé par ce membre est celui qui doit assurer la prospérité du pays, il n’hésiterait pas à prendre l’initiative. Je n’entreprendrai pas la réfutation de plusieurs des considérations concernant le commerce et l’industrie, exposées par l’auteur de la motion ; car ce serait entrer dans une fausse voie ; nous attendons que l’on arrive à la discussion du système des droits différentiels et des provenances directes pour répondre une fois pour toutes à ce qui a été avancé sur ce système.
Je ne puis qu’appuyé les réflexions de l’honorable député d’Anvers sur les plaintes incessantes que l’on fait à cette tribune et qui ont pour but de faire croire au pays que sa situation est pire qu’elle n’est. Par ces plaintes, on croit flatter des intérêts, car il est agréable d’entendre dire qu’il est des moyens d’augmenter sa richesse et son aisance : tout cela est fort beau, mais fort dangereux quand on ne peut proposer des moyens assurés, efficaces, pour revivifier quelques industries qui ne peuvent pas prendre tout leur développement. Que les membres qui se croient assez éclairés prennent donc l’initiative d’une proposition de loi, soit sur les droits différentiels, soit sur toute autre matière ; cette proposition sera examinée. Telle est la ressource que la constitution laisse aux membres des chambres qui sont persuadés avoir des connaissances utiles au pays ; mais que l’on s’abstienne des motions d’ordre, car sans cela nous serions obligés d’appeler l’attention de la chambre sur cet abus, pour y porter remède.
Il n’est pas possible de voir, avec indifférence, gaspiller le temps de la chambre.
M. Delehaye – M. le ministre de l'intérieur fait à la chambre le reproche de gaspiller le temps.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Pas à la chambre en corps.
M. Delehaye – Le droit de faire des motions appartient aux membres de la chambre. L’industrie, dit le ministre, que l’on dépeint dans une situation fâcheuse, ne souffre réellement pas autant qu’on l’assure : s’il en était ainsi, je demanderais au ministre comment il se fait qu’il ait engagé la société de commerce d’Anvers à enlever le trop plein des marchandises de nos fabriques ? Il est tel fabricant qui a pour 60 et 100 mille francs de marchandises fabriquées de plus qu’en 1838. Et il faut que les ouvriers désertent les ateliers, à cause du trop plein.
Par votre démarche près de la société de commerce d’Anvers, vous avez avoué que les débouchés étaient trop restreints ; et vous avez été obligés d’accorder à cette société une prime pour le trop plein qu’elle prendrait.
Les plaintes que l’on fait entendre sur l’état de notre industrie ne sont pas fondées ! Mais il n’y a pas un individu appartenant aux classes les plus respectables des Flandres qui n’ait réclamé. Un tel concours, un tel témoignage ne prouve que trop que notre industrie est dans un état déplorable.
Mais, dites-vous encore, il ne fait pas réclamer pour que l’étranger ne connaisse pas notre institution. Mais l’étranger connaît notre situation tout aussi bien que nous connaissons la sienne ; et toutes nos réclamations n’aggravent pas le mal.
M. Verhaegen – L’honorable M. Rogier a pensé qu’il y avait de l’exagération de la part de ceux qui présentaient des plaintes, qui peignaient l’industrie souffrante ; messieurs, si nous avons fait hier une motion, ce n’est pas que nous avions des raisons pour partager à tous égards l’opinion de ceux qui présentaient ces plaintes : mais, comme vous le savez, il nous importait de connaître si le gouvernement partageait l’opinion de ceux qui adressaient des réclamations à la chambre. Les interpellations que nous avons faites au gouvernement nous ont prouvé que, s’il y a exagération, et que si les plaintes ont fait effet sur le pays, il fallait attribuer et les exagérations et les plaintes au gouvernement lui-même.
Dans les documents signalés hier, nous avons trouvé la preuve que le gouvernement n’a voulu se disculper du reproche qu’on lui adressait qu’en adressant ces reproches à nos négociants et à nos industriels ; ainsi le reproche, que faisait tout à l’heure M. Rogier, doit s’adresser au gouvernement et pas à moi.
Le document que j’ai cité hier dépeint notre industrie comme étant en souffrance ; mais il attribue cette souffrance à l’impéritie de nos négociants, à leur ignorance, à leur défaut d’activité ; et il finit pas dire que le commerce de la Belgique est celui de commission.
L’honorable M. de Foere combat, depuis longtemps, le système du gouvernement. Ses efforts ont été incessants pour obtenir des résultats ; il s’est trouvé dans l’impossibilité d’atteindre son but.
Et, quoi qu’en ait dit le ministre, l’honorable M. de Foere ne fait pas aujourd’hui l’aveu de son ignorance ; car ce n’est pas lui qui fait les majorités ; il demande seulement un moyen d’éclairer les majorités.
Il y a ici une question controversée à décider : l’honorable M. de Foere n’est pas d’accord avec le ministre sur un point capital ; les choses sont maintenant dessinées ; le document de M. Van de Weyer pose la question en termes non équivoques : le ministre adopte le document, puisqu’il l’envoie aux chambres de commerce, et qu’il a eu l’imprudence de le publier.
Qui donc peut décider la question ? Puisqu’on n’est pas d’accord il faut un tiers ; et ce tiers sera la commission demandée par M. de Foere.
Il faut bien que l’on éclaircisse les difficultés. Le commerce et l’industrie doivent faire la base de notre prospérité. Nous trouvons fort étrange que l’on traite d’exagération tout ce qui a été dit dans cette enceinte ; car, quels sont les juges compétents de l’état de l’industrie, si ce ne sont les industriels ? Que le gouvernement suive une conduite franche dans cette circonstance ; qu’il soumette ses opinions à des hommes capables de les apprécier.
Que l’on décide, en un mot, entre l’opinion de l'honorable M. de Foere, clairement énoncée, et l’opinion du cabinet, laquelle paraît être aujourd’hui celle qui est exprimée dans la lettre de notre ambassadeur à Londres. Ce n’est pas sans raison, en effet, que l’honorable M. Delehaye a insisté hier sur la motion que j’avais faite, et qu’il a demandé au ministère s’il approuve l’opinion exprimée dans la lettre de M. Van de Weyer ; il faut bien que le gouvernement approuve cette opinion, puisque la lettre a été envoyée aux chambres de commerce et qu’elle a reçu de la publicité.
M. le ministre de l’intérieur s’est plaint des motions d’ordre, il s’est donc aussi plaint de moi, puisque hier j’ai fait une motion d’ordre ; on nous engage à user de notre initiative, et quand nous usons de notre initiative, on nous reproche de faire des motions d’ordre, de jeter le désordre dans nos délibérations, d’entraver la marche des affaires. Il faut bien cependant que l’opposition qui, elle aussi, croit agir consciencieusement, puisse au moins exprimer son opinion, alors que tout semble abandonné à la merci des événements, alors que tout est abandonné à la majorité ; il faut bien, dis-je, que dans de semblables circonstances l’opposition puisse au moins faire entendre sa voix, surtout lorsque dans une discussion récente on nous a appris comment les majorités se font. (Réclamations.)
M. le président – Je dois inviter l’orateur à respecter la majorité de la chambre.
M. Verhaegen – Je ne dis rien contre la majorité de la chambre ; je réponds à une observation de M. le ministre de l'intérieur qui est une véritable injure pour la chambre. Il nous sera bien permis, je pense, de nous tenir sur la défensive, à moins que la chambre ne juge à propos de nous ôter la parole ; s’il en était ainsi, nous nous résignerions encore.
Ce que j’ai dit, messieurs, n’est que le résultat de l'opinion exprimée par le ministère lui-même. Il y a quelques temps, répondant à un membre du cabinet, nous disions que nous savions maintenant comment un ministère qui n’a pas pour lui l’opinion du pays, pourrait avoir la majorité dans les chambres, et ce que nous disions dans cette circonstance n’était que la conséquence directes des paroles prononcées par le ministère. Lorsqu’après cela le ministère se vante d’avoir la majorité, il devrait bien au moins ne pas chercher à fermer la bouche à ceux qui ne partagent pas son opinion. C’est cependant là le but que l’on atteindrait en empêchant les motions d’ordre. Eh bien, messieurs, aussi longtemps que la chambre ne nous forcera pas au silence, nous ferons, chaque fois que l’occasion s’en présentera, des motions d’ordre pour faire rentrer le ministère dans la voie que lui indiquent les intérêts du pays ; et si la chambre nous ôtait la parole, nous aurions au moins la consolation d’avoir fait notre devoir.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – L’honorable préopinant a dit avec raison, messieurs, qu’en blâmant les motions d’ordre, j’avais compris dans ce blâme la motion qu’il a faite hier. J’ai, en effet, entendu désapprouver cette motion parce qu’à mes yeux, elle n’avait aucun côté utile. Souvent on a insisté dans cette chambre pour la discussion de tel ou tel projet de loi ; quant à nous, nous avons toujours demandé que la chambre voulût activer ses travaux, nous avons toujours dit que c’était là le seule moyen de vider l’arriéré dont la chambre est encombrée. C’est dans cette pensée, messieurs, que nous nous élevons contre cette multitude de motions d’ordre, que nous protestons autant qu’il est en notre pouvoir contre la perte de temps qu’elles occasionnent et que nous déclinons d’avance la responsabilité du retard qu’éprouve la discussion de telle ou telle proposition.
En faisant uniquement attention à la question industrielle, je vous ferai remarquer, messieurs, qu’un projet de loi a été présenté par M. le ministre des finances pour la répression de la fraude ; au lieu d’accélérer les travaux pour en venir à l’examen de ce projet on nous fait perdre notre temps en incidents, en débats, en discours qui ne peuvent amener aucun résultat utile.
Lorsque nous avons dit que l’on avait tort de crier à la misère du pays, nous avons été dans le vrai ; mais il ne s’ensuit pas, messieurs, que j’ai voulu dire par là qu’aucune industrie, qu’aucun intérêt n’ait à se plaindre. Telle n’a pas été notre pensée, et la preuve que nous pensons qu’il y a quelque chose à faire, c’est que le gouvernement, en mainte circonstance, a pris l’initiative ; on vous a rappelé, par exemple, une mesure qu’a prise le département de l’intérieur et qui a même reçu l’approbation d’un honorable préopinant ; je viens de vous rappeler, à mon tour, le projet de loi pour la répression de la fraude.
On désire la discussion de la question des droits différentiels et des provenances directes. Eh bien, nous avons déclaré fréquemment que nous appelons cette discussion, mais que nous la voulons utile, fructueuse, et nous avons indiqué un projet de loi à l’occasion duquel elle se présentera tout naturellement : c’est le projet qui concerne les traités de navigation. Que l’honorable auteur de la proposition d’enquête dépose un projet de loi, que ce projet de loi, si la chambre le prend en considération, devienne l’objet d’une enquête de cette manière, on avancera les travaux de la chambre, mais en instituant une commission d’enquête sans préciser l’objet dont elle aura à s’occuper, on n’obtiendra aucun résultat.
On a encore parlé de la publication de certains documents qui serait le fait du ministère ; nous ne pouvons qu’opposer à cette assertion la dénégation la plus formelle, et répéter à l’appui de cette dénégation, qu’avant tout interpellation, j’avais déjà minuté une lettre aux chambres de commerce et aux sociétés auxquelles le document dont il s’agit avait été communiqué pour leur témoigner mon étonnement de la publicité donnée à ce document, qui était confidentiel comme beaucoup d’autres documents qui ont été communiqués à ces corps, sans que, pour cela, le gouvernement ait entendu émettre une opinion sur leur contenu. Les documents de cette nature sont livrés à l’appréciation des intéressés, pour lesquelles ils deviennent un objet de méditation, des pièces où ils puisent des renseignements utiles si elles en renferment.
Au surplus, messieurs, j’ai déjà dit fréquemment que le commerce maritime de la Belgique n’est pas encore parvenu à sa maturité ; sans doute, ce commerce a des progrès à faire, et cela n’est pas étonnant : comment voudrait-on, lorsque le pays vient à peine d’obtenir la paix, lorsque l’Escaut a été fermé pendant plusieurs années, lorsque toutes nos relations maritimes ont été interrompues, par suite de la séparation de la Belgique et de la Hollande, comment voudrait-on que le commerce maritime eût atteint son apogée ; mais j’ai exprimé la confiance, et je suis loin de ne plus avoir cette confiance, que le commerce maritime fera, d’année en année, des progrès sensibles, alors même que rien ne serait changé, ni dans le système de droits différentiels, ni dans le système des provenances directes.
Si néanmoins on croit qu’il y a quelque chose à faire sous ce rapport, que l’on formule un projet de loi.
On a parlé, messieurs, de la manière dont se forme la majorité dans les chambres ; j’ai déjà répondu suffisamment à des assertions de cette nature, et les murmures avec lesquels la chambre a accueilli les paroles que l’honorable préopinant a prononcées à cet égard me dispensent de rien ajouter sur ce point. Nous soumettons notre conduite à l’appréciation et des chambres, et du pays, et quoi qu’on en dise, nous n’admettons nullement que le jugement du pays soit différent de celui des chambres ; nous reconnaissons pour les organes légitimes de la nation, les chambres élues constitutionnellement.
M. F. de Mérode – Messieurs, hier, nous avons eu une sorte de motion d’ordre, à propos d’une pièce qui a été communiquée officieusement aux chambres de commerce, et publiée sans l’assentiment de M. le ministre de l'intérieur qui vous l’a dit hier positivement. Aujourd’hui, une autre motion d’ordre surgit inopinément au commencement de la séance. Je n’ai point à discuter maintenant pour ou contre le système de M. de Foere. Mais je m’élève contre l’opportunité de sa motion. Je suis loin de penser que l’on ne puisse rien faire pour l’industrie. J’ai déjà déclaré que j’étais partisan de toutes mesures qui tendraient à assurer à l’industrie du pays la plus large part possible dans le marché intérieur. J’ai appuyé, à ce sujet, une opinion manifestée par l’honorable M. Delehaye. Mais pour atteindre le but, que nous désirons l’un et l’autre, il faut procéder avec méthode ; une chambre ne peut, sans le plus grave inconvénient, éparpiller ses discussions sur tout espèce de sujets ; or, quel rapport y a-t-il entre l’objet à l’ordre du jour et celui dont on est venu vous occuper sans avertissement préalable ? Nous sommes saisis d’un projet de loi sur la répression plus certaine de la contrebande. Nous avons des traités de commerce à examiner et à ratifier. C’est alors, messieurs, que nous pourrons utilement et à propos, et sans perdre de temps à explorer la question qui maintenant dérangerait nos travaux.
M. de Foere – L’honorable ministre de l’intérieur m’a accusé de jeter le désordre dans nos délibérations en présentant des motions d’ordre. Pour décider cette question et me justifier du reproche qu’il m’adresse, je n’ai qu’à invoquer le règlement de la chambre. C’est ce règlement qui établit l’ordre de nos délibérations. Or, il est permis à chaque membre de cette chambre de présenter des motions d’ordre. Les antécédents de la chambre en ont d’ailleurs établi l’usage sans réclamation.
S’il y a du véritable désordre dans nos délibérations et dans nos votes, c’est le fait du ministère. Il nous a fait délibérer et voter le projet des primes à accorder aux constructions navales et sur celui de l’exportation de nos farines. Or, j’ai soutenu et je soutiens encore qu’il était impossible de délibérer sur ces deux projets et de les voter en connaissance de cause, sans que la chambre connût le système commercial que le gouvernement voudra établir définitivement. Ces projets avaient une connexité très intime avec l’un ou l’autre des systèmes commerciaux qui pourraient prévaloir. Il en est de même du projet de 4 millions proposés pour achever la construction du chemin de fer sur le territoire de la Prusse. Le sort de ce projet doit dépendre du système commercial que la législature veut adopter. Si c’est celui du gouvernement, il y a, selon moi, une nécessité indispensable de rejeter le projet. Si c’est le système des autres nations, le projet peut avoir des chances de succès.
J’aurais dû, selon le ministre, formuler un projet de loi et le proposer à la chambre.
Dans une séance récente, en répondant au même reproche, je vous ai déjà dit que, depuis six ans, à l’occasion de la discussion du chemin de fer, j’ai présenté à la chambre un projet de loi sur la matière. Ce projet a été développé ; la chambre a ordonné l’impression du projet et des développements. Ils sont restés ensevelis dans les documents de la chambre. Je ne conçois pas que l’on reproduise si gratuitement les mêmes insinuations. A cette occasion, je déclare retirer ce projet de loi pour deux motifs : je sais quel sort il subirait dans la situation actuelle de la chambre, et il a besoin d’être retiré et approprié aux besoins que les événements survenus et les circonstances actuelles ont fait naître.
Il aurait fallu, dit le ministre, user de votre droit d’initiative et présenter un projet de loi sur le système commercial qui conviendrait aux intérêts du pays, et lorsque ces projets sont présentés, on vous objecte alors qu’il convient que des projets de lois sur des matières aussi importantes émanent du gouvernement. C’est toujours l’une ou l’autre fin de non recevoir que l’on objecte pour repousser la discussion des projets que le ministère même aurait provoqués et pour éluder le droit d’initiative que la chambre possède.
Nous attendrons, a dit encore le ministre, la discussion du traité de commerce et de navigation, alors l’occasion sera régulièrement offerte de discuter les divers systèmes commerciaux qui sont en présence et d’adopter celui qui conviendra aux intérêts du pays.
C’est encore une autre fin de non recevoir que M. le ministre ne cesse d’opposer. La discussion de ces traités de commerce et de navigation est constamment reculée. En attendant, notre industrie et notre commerce intérieur souffrent cruellement, et marchent rapidement vers leur ruine. Il est d’ailleurs d’une nécessité absolue, qu’avant la discussion de ces importants traités, la chambre soit munie de renseignements capables d’éclairer la discussion et de motiver les votes. Or, le gouvernement, malgré la haute portée de ces traités, ne les a accompagnés d’aucun exposé de motifs ; et la commission, qui a été chargée de les examiner, nous a présenté un rapport incomplet, insignifiant, dépourvu de tout renseignement, qu’un projet de loi aussi important réclamait impérieusement.
La commission que j’ai proposée a pour but de remplir cette lacune. Si elle est nommée, elle sera à même de fournir à la chambre tous les renseignements préalables que la discussion des traités de commerce et de navigation exige avec tant de rigueur. Au surplus, contrairement aux usages si sagement établis dans tous les autres pays, le gouvernement a eu la prétention exorbitante de procédera la conclusion provisoire de ces traités, sans avoir consulté aucun corps constitué et compétent sur la matière. C’est une autre raison pour justifier la nécessité de la commission que je propose, commission qui remplira le but que le gouvernement a si témérairement repoussée.
Enfin, M. le ministre craint que ma proposition ne fasse croire au pays que le mal est plus grand qu’il n’est réellement.
Cette sollicitude est devenue inutile. Les plaintes surgissent de toutes parts. Il est impossible de cacher la profondeur de la plaie. Il vaut mieux la regarder en face et en rechercher, sans pusillanimité, les remèdes. Le mémoire lumineux que la chambre de commerce de Liége a adressé à la chambre et au gouvernement parle assez haut. Il expose franchement et ouvertement le mal qui ronge l’industrie et le commerce du pays. Il serait désormais inutile de fermer les yeux sur les besoins urgents du pays.
Je ne répondrai pas aux insinuations peu convenables que M. le ministre a fait entendre. Mon intention n’est pas de jeter de l’aigreur dans une discussion de cette importance.
M. le président – Avant de statuer sur la proposition de M. de Foere, il faudrait qu’il s’expliquât : M. de Foere demande qu’une commission soit nommée, mais nommée par qui ?
M. de Foere – Par la chambre.
M. le président – Dans ce cas, c’est une proposition ; il faut en faire le dépôt sur le bureau ; elle sera renvoyée aux sections qui en autoriseront la lecture s’il y a lieu.
M. de Foere – Il ne s’agit pas d’une proposition, mais d’une motion d’ordre à laquelle ces formalités ne sont point applicables. On prend une décision immédiate sur les motions d’ordre.
M. le président – Une motion d’ordre a pour objet de régulariser les travaux de la chambre ; votre proposition n’a pas ce caractère ; elle doit être renvoyée aux sections.
M. de Foere – Je le répète, d’après le texte et l’esprit du règlement, les propositions de loi sont les seules qui doivent subir les formalités dont parle M. le président.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Pas du tout.
M. de Foere – Les motions d’ordre sont des questions d’un autre genre qui ne sont pas soumises à ces formalités.
M. le président – Je rappellerai à M. de Foere un antécédent. Lorsqu’il s’est agi de statuer sur les naturalisations, l’on a demandé qu’on abrégeât le mode de procéder ; M. Lejeune a fait une proposition, il s’est conformé aux règlement en déposant sa proposition sur le bureau.
M. Lebeau – Il existe un autre antécédent ; ce sont les adresses qui n’ont jamais été votées séance tenante ; elles ont toujours été renvoyées aux sections.
M. de Puydt – Je demande la parole pour une véritable motion d’ordre. (Hilarité).
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, le règlement n’est pas douteux sur la question qui nous occupe. L’article 35 porte que « chaque membre qui voudra faire une proposition, la signera et la déposera sur le bureau pour être communiquée immédiatement dans les sections de la chambre. » Il ne s’agit pas seulement de propositions de loi, mais il s’agit de toute proposition quelconque. L’article est formel.
M. de Puydt – Messieurs, la chambre ne peut pas s’entendre, parce qu’elle n’est pas dans l’état normal. La proposition qui a été faite par l’honorable M. de Foere aurait dû être déposée sur le bureau ; elle aurait dû ensuite, conformément au règlement, être renvoyée aux sections, pour qu’elle en autorisassent ou non la lecture ; et ce n’est qu’au moment où il aurait été question de la prise en considération, qu’on aurait dû se livrer à la discussion qui vient d’avoir lieu.
Je demande donc qu’on rentre dans le règlement, et que la proposition soit renvoyée aux sections, pour savoir si elles en autorisent la lecture.
M. de Foere – Je me rallie à la proposition de M. de Puydt.
M. Dumortier – Messieurs, je conçois qu’on puisse soutenir dans le sens rigoureux du règlement qu’une proposition d’enquête doive passer par la filière qu’on vient d’indiquer, c’est-à-dire qu’elle doive être déposée sur le bureau, puis renvoyée aux sections, puis soumise à la prise en considération ; en un mot qu’elle suive toutes les tribulations que le gouvernement impose aux membres qui usent de leur droit d’initiative.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – C’est le règlement de la chambre qui prescrit ces formalités.
M. Dumortier – De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’une proposition qui a été développée et sur laquelle on a discuté pendant deux heures ; et l’on veut renvoyer maintenant la proposition aux sections pour qu’elles en autorisent la lecture ? Mais c’est un non sens. Il est bien plus sage de prendre actuellement une décision sur la proposition, et, pour mon compte, je crois que la motion ne mérite pas le dédain de la chambre ; je pense qu’elle doit être prise en considération, non pas qu’il faille l’adopter dans tous ses termes, car je ne crois pas que la chambre ait le droit d’investir d’un pareil mandat les membres d’une autre chambre, mais à cela près la proposition me paraît très rationnelle.
Messieurs ; l’on ne peut disconvenir d’un fait, c’est qu’il règne un immense malaise dans le pays. Allez dans toutes les localités, et partout vous entendrez des plaintes sur la situation du commerce du pays, sur le système commercial suivi par le gouvernement. C’est ce que l’enquête établira, si on la fait.
Eh bien, qu’avons-nous à faire ? Nous n’avons qu’une marche à suivre, c’est d’ouvrir une enquête pour constater l’état souffrant de l'industrie en Belgique, et le moyen d’y porter remède.
Pour mon compte, j’appelle de tous mes vœux une pareille enquête, et spécialement en ce qui concerne l’industrie linière, car on ne peut se dissimuler que cette question est d’une portée immense, et que de sa solution dépend l’avenir de plusieurs de nos provinces. On ne peut pas se dissimuler non plus que chacun de nous se trouve dans un état de perplexité sur la manière dont il doit marcher dans une pareille question.
Il est bien vivement à désirer que la marche que nous aurons à suivre dans la grave question de l'industrie linière, nous soit tracée par les résultats d’une enquête. Si jamais enquête commerciale fut nécessaire c’est certainement pour la question de l’industrie linière. Aujourd’hui que les filatures à la mécanique tendent à réduire à la misère plusieurs centaines de milliers d’habitants du pays, il importe d’aviser aux moyens d’empêcher un pareil désastre.
Je pense donc qu’il y a lieu de prendre la motion en considération. Si dès l’origine on en avait demandé le renvoi aux sections, je ne me serais pas opposé à ce renvoi, mais maintenant que la proposition a été lue, relue, qu’elle a été développée et discutée, la renvoyer aux sections pour qu’elles en autorisassent la lecture, c’est véritablement un non-sens !
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, ce que demande l’honorable M. Dumortier, c’est une véritable prime en faveur de ceux qui violent le règlement, car il est bien reconnu maintenant que l’honorable M. de Foere, par la réserve dans laquelle il s’est enveloppé au début de son discours, a laissé dans l’attente tout le monde, y compris le président, et ce n’est qu’après avoir discuté la motion d’ordre pendant plus d’une demi-heure, qu’on est arrivé à la découverte qu’il s’agit d’une véritable proposition de loi.
L’honorable M. Dumortier vous dit : « Vous avez entendu la proposition, il en a été donné lecture ; dès lors, il n’y a plus de raison de se conformer au règlement ; vous allez procéder d’une manière illogique. »
Je pense, messieurs, que si vous procédiez d’une autre manière, vous poseriez l’antécédent le plus grave. Il serait à désirer, comme on la déjà fait remarquer que le règlement soit observé et strictement observé dans l’intérêt de nos travaux. Ce ne sont pas les membres du gouvernement, bien qu’ils aient le droit d’être entendus quand ils le demandent, qui donnent l’exemple des incidents qui se renouvellent chaque jour. Il y a un article formel du règlement qui porte, qu’à la fin de chaque séance, la chambre fixe son ordre du jour pour la séance du lendemain. Nous arrivons ici, préparés sur les objets que la chambre a mis à l’ordre du jour, plusieurs d’entre nous comptent prendre la parole, et tout d’un coup on leur enlève en quelque sorte le fruit des études auxquelles ils se sont livrés, par des motions d’ordre qui suspendent la discussion à laquelle il voulaient prendre part.
Moi je dis que c’est là une chose très grave qu’il faut éviter. Loin de demander qu’on affranchisse la proposition de M. de Foere des formalités prescrites par le règlement, je demande formellement qu’elles soient observées, afin de ne pas donner un encouragement à ceux qui le violent.
M. Pirmez – C’est en donnant à la proposition un nom qui n’est pas le sien, qu’on a parvenu à la faire discuter. Si vous ne la renvoyez pas aux sections, pour voir si elles en autoriseront la lecture, ce sera une espèce d’encouragement que vous donnerez à tous ceux qui ne voudront pas suivre le règlement et qui voudront faire violence à la chambre.
Je demande donc le renvoi aux sections pour décider si la proposition sera lue.
- Le renvoi aux sections est ordonné.
M. le président – L’article unique du projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. Il est alloué au chapitre V, article 1er du budget du département de l’intérieur, pour l’exercice de 1840, un crédit supplémentaire de 100,000 francs, comme subside pour l’érection d’un petit séminaire à Saint-Trond. »
M Delfosse – Messieurs, lors de la discussion du budget du ministère de la justice, plusieurs de mes honorables collègues avaient demandé que l’on augmentât le traitement des membres de l’ordre judiciaire. Vous vous souvenez tous, messieurs, que M. le ministre de la justice, sans s’opposer au fond à cette demande, parvint toutefois à l’écarter par la considération que l’état actuel du trésor ne permettait pas d’y faire droit.
Je n’ai pas à examiner en ce moment l’utilité de la proposition qui vous était faite alors ; je veux seulement constater un fait, le fait de la déclaration de M. le ministre, de l'espèce d’aveu sorti de sa bouche, que nos finances ne seraient pas dans un état très satisfaisant. Cette déclaration, qui est d’ailleurs confirmée par les doléances du commerce et de l’industrie, doit nous servir d’avertissement, elle doit nous engager à être extrêmement sévères dans l’emploi des deniers des contribuables, à ne pas admettre légèrement des dépenses nouvelles.
Je suis étonné, messieurs, qu’après une déclaration aussi explicite, on vienne nous demande un subside de 100,000 francs pour le petit séminaire de Rolduc ; je suis étonné surtout que l’on donne clairement à entendre que cette somme ne suffira pas, qu’il faudra ultérieurement en voter d’autres qui, réunies à la première, s’élèveront au moins à 300,000 francs.
Je concevrais cette demande si elle était appuyée sur une disposition législative quelconque, mais on reconnaît qu’aucune loi ne met les dépenses de ce genre à la charge de l’Etat. La section centrale la décidé ainsi à l’unanimité. On ne prétend pas même que les ressources de M. l’évêque de Liége seraient insuffisantes ; on ne produit d’ailleurs aucune pièce qui puisse faire apprécier sa situation financière. C’est à titre d’équité et de convenance qu’on lui offre un subside aussi considérable ; on le lui offre parce que les dépenses qu’il doit faire pour transférer à Saint-Trond son petit séminaire de Rolduc, sont une suite de l’exécution du traité des 24 articles.
Prenons-y garde, messieurs, cette considération peut nous mener loin. Le traité qui nous a séparé d’une partie de nos frères, de ceux qui avaient combattu comme nous et avec nous pour l’indépendance du pays, a froissé bien d’autres intérêts que ceux de M. l’évêque de Liége. Parcourez le Luxembourg, parcourez le Limbourg, parcourez les provinces voisines, interrogez les habitants, vous en trouverez des milliers qui déplorent amèrement les suites de ce fatal traité ; que de relations commerciales interrompues, messieurs, que d’établissements créés à grands frais, ruinés ou près de l'être, que de fortunes compromises.
Si l’équité et la convenance exigent que vous indemnisiez M. l’évêque de Liége, l’équité et la convenance exigent aussi que vous indemnisiez tous ceux qui souffrent au même titre que lui ; mais s’ils se présentaient tous, vous seriez effrayés du grand nombre, et vous reculeriez devant la dépense.
Ne faisons d’exception pour personne ; messieurs, n’ayons pas deux poids et deux mesures ; on invoque, je le sais, à l’appui de la demande du subside, l’utilité dont le petit séminaire de Rolduc est pour le pays ; cette utilité, je ne la nierai pas ; mais je ferai remarquer à la chambre qu’il est dans le pays beaucoup d’établissements d’instruction également importants, également utiles, pour lesquels on est loin de montrer la même sollicitude.
Je vous avouerai aussi, messieurs, que ce n’est pas sans une peine profonde que je vois M. l’évêque de Liége s’engager dans une voie que je regarde comme déplorable. Je veux parler de l’abus qu’il fait de son influence pour soutenir le ministère actuel qui, de son côté, ne sait rien lui refuser. C’est ainsi qu’en même temps que défense est faite, lors de la dernière élection de Liége, aux employés du gouvernement de voter pour moi, une circulaire émanée du secrétaire de l'évêché invitait tous les curés à faire tous leurs efforts pour le succès de mon concurrent.
De pareilles circulaires, messieurs, placent le clergé dans la plus fausse position. S’il obéit, le voilà en lutte ouverte avec beaucoup de catholiques de bonne foi qui ne suivent dans les élections que les inspirations de leur conscience ; s’il n’obéit pas, le voilà en désaccord avec son chef, autre mal aussi grave. Plusieurs n’ont pas obéi, plusieurs gémissent du rôle qu’on voudrait leur faire jouer, mais ils gémissent tout bas, car eux aussi sont amovibles, et on pourrait faire bien leur appliquer le système de destitution que les ministres ont présenté dans une occasion récente comme le meilleur moyen de gouvernement.
Je ne m’étendrai pas davantage sur ce sujet. Il est très grave, messieurs, je le livre à vos méditations.
Je vote contre la proposition faite par la section centrale. Je le fais avec d’autant moins de répugnance, que je suis convaincu que M. l’évêque de Liége trouvera le moyen de couvrir la dépense dans les ressources qu’il a à sa disposition, ressources qui sont grandes et se grossissent chaque jour de donations nouvelles ; je suis convaincu aussi qu’en cas de besoin la bourse des fidèles ne lui ferait pas défaut.
M. Simons – Dans une de nos précédentes séances, j’ai eu l’honneur de faire connaître mon opinion sur le crédit extraordinaire pour la translation du petit séminaire de Rolduc à Saint-Trond.
A cette occasion, je me suis permis de vous exposer les considérations d’équité, je dirai même de haute convenance qui militent, avec tant de force, en faveur de cette demande.
Pour ne pas abuser de vos moments précieux, je ne puis que m’y référer. Je crois pouvoir me dispenser d’entrer, à cet égard, dans de nouveaux détails, d’autant plus que la section centrale, qui a mis un soin tout particulier à instruire cette affaire, nous a fourni tous les renseignements propres à nous mettre à même de nous prononcer en pleine connaissance de cause.
Un fait principal domine la question sur laquelle nous avons à nous prononcer. C’est à ce point de vue qu’il faut se placer pour la résoudre.
La translation de cet établissement, éminemment utile pour les deux provinces qui forment le diocèse de Liége, est une suite, une conséquence directe et absolue du traité de paix avec la Hollande ; voilà le point culminant qui domine toute la question, dans laquelle nous devons nous renfermer.
Eh bien, en parlant de là, demandons-nous : Est-il équitable, n’est-il pas dans les convenances que la généralité du pays supporte une partie de la dépense que cette translation forcée occasionne à l’administration du grand séminaire de Liége ? Poser la question, c’est la résoudre, et, pour ma part, je croirai réellement faire injure aux sentiments d’équité dont les membres de cette assemblée ont si souvent donné des preuves dans des cas analogues, si je doutais le moins du monde de la solution que vous y donnerez.
La plupart des sections, conséquentes avec les antécédents de la chambre, y ont déjà répondu affirmativement, avant même qu’elles n’eussent sous les yeux les renseignements importants recueillis par la section centrale ; celle-ci, de son côté y a donné une solution favorable, à l’unanimité de ses membres ; à notre tour, j’aime à m’en persuader, nous donnerons derechef la preuve que l’impartialité et l’équité, qui ont invariablement notre boussole parlementaire, nous dirigeront encore dans cette occasion.
Des considérations identiques vous ont déterminés à imposer au trésor des charges infiniment plus importantes, notamment le rachat des péages sur l’Escaut, etc. ; vous n’avez même pas reculé devant aucune considération d’intérêt particulier lorsque vous avez décrété des dispositions avantageuses en faveur de l’industrie luxembourgeoise ; traiterez-vous moins favorablement le Limbourg ? Jusqu’a ce jour, rien, absolument rien n’a été fait pour cette malheureuse province, ni pour la partie cédée, ni pour celle conservée à la Belgique ; refuserez-vous, dans cette occurrence, de lui tendre une main secourable pour le rétablissement d’une institution aussi éminemment utile, et à laquelle sa population attache le plus haut prix ? Oui, messieurs, la province a un intérêt tout particulier à la conservation de cet établissement, parce qu’en fait d’instruction moyenne tout y est à créer ; Elle a perdu son bel athénée de Maestricht, et plusieurs autres établissements d’instruction moyenne lui ont été enlevés par le fatal morcellement qu’elle a subi. Pour la remettre en possession de cet établissement qu’elle vient de perdre, vous ne lui refuserez pas votre concours, vous ne reculerez pas devant le sacrifice qu’on réclame d’autant moins que ceux que s’impose l’administration du grand séminaire sont infiniment plus considérables.
En effet, il résulte du rapport de votre section centrale et des pièces qui lui ont été communiquées, que l’administration du grand séminaire fait l’abandon tout entier du beau domaine de Rolduc avec toutes ses ap et dépendances, bien que la donation lui en fût faite sans charge ni affectation spéciale aucune.
Et quel est le résultat pour elle de cet abandon, C’est l’échange d’une belle propriété lucrative contre un établissement qui, ne consistant qu’en bâtiments, ne produira absolument rien, mais sera au contraire une charge, par les frais d’entretien auxquels ces bâtiments donneront nécessairement lieu, tandis que la ferme, les vois et terres qui dépendaient de Rolduc, et qui ont été vendus pour plus de 250 mille francs donnaient annuellement un revenu plus que suffisant pour salarier les nombreux professeurs de l’établissement.
Elle suppléera de ses propres deniers, sur ce qui reste de disponible de ce prix de vente, jusqu’à concurrence de 200,000 francs, afin d’atteindre avec le subside accordé à charge du trésor, le montant du devis estimatif de la bâtisse projetée.
Elle se chargera en sus de l’érection du bâtiment pour l’école normale et de plusieurs autres dépenses à faire pour approprier les bâtiments de l’abbaye de Saint-Trond à sa nouvelle destination, toutes ces dépenses ne sont pas comprises dans le chiffre global de 536,000 francs du devis estimatif.
Voilà les sacrifices dans lesquels l’administration du grand séminaire est entraînée par suite du traité de paix.
En présence d’une perte aussi notable et de sacrifices aussi importants que s’impose cette administration, le subside, pour combler le déficit que laisse le total de la dépense, n’est sans doute pas exorbitant.
Au reste, messieurs, il ne s’agit pour le moment que de se prononcer sur le chiffre de 100,000 francs, pétitionné par le gouvernement. N’anticipons pas sur les déterminations ultérieures à prendre pour combler le déficit éventuel que laissera l’adjudication des travaux. Cet avenir n’est pas encore de notre domaine. Il appartient tout entier et sans réserve aux législatures subséquentes, qui pourront se prononcer alors avec d’autant plus d’assurance, que, par suite de l'adjudication publique des travaux, le chiffre exact du déficit sera connu.
Celui de la vente des bâtiments à Rolduc sera également connu ; de manière qu’alors nous ne serons plus dans le vague. On aura l’adjudication du chiffre exact qui constituera en définitive le déficit, et l’on pourra pour le surplus agir ainsi qu’on le jugera convenable.
Mais, disent quelques membres, nous ne voulons pas prendre d’engagement en sus du chiffre qui nous est pétitionné ; nous nous prononçons pour le crédit demandé, mais nous n’entendons pas là nous engager à rien pour le surplus du subside postulé par l’administration du grand séminaire.
D’autres membres, tout en votant l’allocation, voudraient y ajouter la restriction que ce ne sera que comme subside unique.
Pour donner, à cet égard, aux uns et aux autres, tout apaisement, je me permettrai quelques réflexions qui prouveront à l’évidence, me paraît-il, que la réserve que veulent les uns est de droit, et par suite qu’il est absolument inutile de l’exprimer, et que la restriction que veulent les autres est inefficace, même en quelque sorte diamétralement contraire à la constitution et, comme telle, inadmissible.
Il s’ensuit que la divergence que nous remarquons à cet égard dans les opinions émises par les sections n’est qu’apparente : en réalité toutes ont été d’accord sur le fond de la chose qui forme l’objet de nos délibérations.
En effet, de quoi s’agit-il au fond pour le moment ? D’un crédit extraordinaire de 100,000 francs à accorder à l’administration du grand séminaire de Liége, pour l’aider à faire face à la dépense que nécessitera la translation forcée de son petit séminaire du sol abandonné à la Hollande pour le rétablir sur le territoire belge.
En votant ce chiffre, la législature ne sera et n’engage le trésor que taxativement pour la somme qui forme l’objet de l’allocation. J’ajouterai que, même constitutionnellement, la législature ne peut s’engager à rien de plus.
En effet, aux termes de la constitution, les chambres votent tous les ans les budgets. Les allocations que la législature accorde chaque année ne sont donc qu’annales, et par suite elle ne peuvent en aucune manière lier les législatures subséquentes.
Les réserves que quelques membres veulent mettre à leur vote sont donc, je le répète, de droit. Nous ne prenons d’engagement absolu et ne pouvons en prendre que pour le chiffre qui forme l’objet du crédit. Les exercices subséquents ne sont pas de notre domaine, il ne peut donc y avoir d’engagement formel.
Nous ne pouvons pas davantage restreindre cette faculté des législatures qui nous succéderont, en ce sens que, lors même que nous déclarerions que ce n’est que comme subside unique que ce crédit serait alloué, nous ne pourrions pas empêcher les législatures subséquentes de le renouveler pour les exercices à venir.
La restriction dont il s’agit serait donc tout à fait inopérante et inefficace ; pourquoi ? Parce que nous ne pouvons vinculer la faculté, que chaque législature tient de la constitution, de voter les budgets ainsi qu’elle le jugera convenable.
En vain nous ajouterions que ce n’est qu’un subside unique, nous n’empêcherions pas par là les législatures qui nous remplaceront à en juger autrement.
D’après ces considérations, je voterai pour le crédit dont il s’agit.
M. Delehaye – Messieurs, l’allocation de 300,000 francs demandée par le département de l’intérieur, et destinée à monseigneur l’évêque de Liége, à l’effet de l'aider à construire un petit séminaire en remplacement de celui de Rolduc, soulève deux questions bien distinctes. La première, celle de savoir si en droit nous sommes tenus à fournir le subside. La seconde, celle : y a-t-il convenance ou obligation morale à l’accorder.
Quant à la première, nulle disposition (Erratum, Moniteur du 21 février 1840 :) dans les lois concernant la matière ne met à charge du pays non pas seulement la construction, mais même l’entretien des petits séminaires.
La loi du 25 ventôse an XII déclare que, dans chaque arrondissement métropolitain, il y aura une maison d’instruction pour ceux qui se destinent à l’état ecclésiastique.
Cette disposition n’est pas applicable à la demande de monseigneur l’évêque.
L’ordonnance de Blois, article 25, l’édit d’avril 1749, article premier, la loi du 28 germinal an X, article 11, accordent aux archevêques et évêques le droit d’établir, avec l’autorisation du gouvernement, un seul séminaire.
Ce séminaire est le seul établissement destiné à l’instruction que la loi provinciale, article 69 §9, met à charge de la province.
Un séminaire est un établissement d’instruction supérieure, où l’on n’admet que ceux qui, ayant fait les humanités, se destinent à entrer dans les ordres sacrés. C’est là que l’on enseigne la théologie.
Tout autre établissement, sous quelque dénomination qu’on le désigne, soit comme petit séminaire, soit comme collège épiscopal, n’étant point destiné exclusivement à ceux qui plus tard entreront dans l’état ecclésiastique, ne saurait invoquer les dispositions des lois et décrets que je viens d’invoquer.
En effet, les petits séminaires ou collèges épiscopaux reçoivent généralement tous ceux qui désirent suivre plus tard l’enseignement supérieur, soit dans une université, soit dans un séminaire ; c’est un établissement d’instruction moyenne, et monseigneur l’évêque de Liége lui-même en est convenu, puisque, comme il l’a dit, cet établissement n’est pas seulement destiné à former de bons ecclésiastiques, mais aussi de bon secrétaires de commune, de bons bourgmestres, etc.
Ce serait donc à tort que l’on assimilerait le petit séminaire de Rolduc à un séminaire, et, comme tel, il n’a droit à aucun subside.
Vient la deuxième question : Sommes-nous tenus moralement à porter au budget l’allocation demandée ?
D’abord se présente la question d’indemnité.
Une indemnité suppose un dommage causé par un fait posé par celui qui en a tiré quelque profit ; c’est le traité de paix qui enlève à monseigneur l’évêque de Liége le petit séminaire de Rolduc.
Ce fait a entraîné un grand dommage pour tout le pays ; les riches et les pauvres, tous y ont perdu. Et si monseigneur l’évêque de Liége a vu rétrécir par là sa juridiction, la nation a subi un dommage plus considérable. Blessée dans son affection et peut-être dans son honneur, la Belgique a vu s’éloigner des hommes à qui elle devait en grande partie son indépendance.
Tous nous avons perdu par le traité de paix, et l’Etat, de ce chef, ne doit aucune indemnité, car l’Etat comprend tout ceux qui seraient en droit de la réclamer.
Serait-ce à titre de subside que l’on pourrait réclamer la somme de 300,000 francs ?
La loi sur les patentes ne fait aucune distinction entre les petits séminaires, les collèges épiscopaux et les autres établissements d’instruction moyenne, tous sont soumis au même droit ; qu’ils soient dirigés par des laïques ou des ecclésiastiques, la liberté d’enseignement décrétée par la constitution ne permet de faire aucun distinction.
Si un particulier désirant former un établissement d’instruction se présentait à la législature pour en obtenir un subside, certainement vous le repousseriez de crainte de porter atteinte au principe constitutionnel. Monseigneur de Liége ne saurait invoquer une position plus favorable que toute personne qui se propose d’ériger un établissement de ce genre.
Je pense, au contraire, qu’il est moins que tout autre à même de réclamer un pareil secours.
En effet, messieurs, les collèges épiscopaux envisagés uniquement sous les rapports des effets pécuniaires qu’ils produisent, constituent une spéculation très avantageuse.
Tous les collèges ou petits séminaires que je connais, rapportent beaucoup à ceux qui les ont établis.
La bonne morale qu’on y prêche, l’instruction que l’on y donne, toute autre influence qui domine dans le pays, attirent dans ces établissements un grand nombre d’élèves.
Le prix de la pension n’est guère moindre qu’ailleurs, cependant les frais sont loin d’égaler ceux qu’un établissement de même genre impose au propriétaire. Ce dernier a beaucoup de professeurs à payer ; quelques-uns reçoivent, outre la nourriture, jusqu’à 2,000 et 3,000 francs par an.
Dans un collège épiscopal, les professeurs sont, pour la plupart, des séminaristes auxquels on ne donne guère plus qu’aux vicaires ou aux curés de second rang.
De ce chef donc il y a une différence toute à l’avantage de collèges épiscopaux.
Les évêques, en outre, investis déjà de la confiance d’un grand nombre de parents, obtiennent des faveurs que l’on refuserait à des particuliers.
Un appel fait à des âmes charitables fournira amplement tout ce qui sera nécessaire à la construction du petit séminaire.
N’avons-nous pas vu, en effet, messieurs, tout récemment encore, que plusieurs dons ont été faits à monseigneur de Liége que le gouvernement l’a autorisé à accepter ; et la riche succession d’un homme vertueux qui a siégé avec la plupart de nous au congrès national, ne suffirait-elle pas à la construction d’un établissement qui, sous le rapport du bénéfice, doit produire un résultat avantageux ?
L’allocation demandée par M. le ministre, si elle était adoptée par la chambre, messieurs, produira dans le pays l’impression la plus pénible. Combien de fois, messieurs, par suite de la situation du trésor, n’avez-vous pas dû repousser les demandes les plus légitimes ?
Des vois généreuses ont réclamé un amélioration au sort des vicaires et curés de campagnes, connus sous le nom de desservants. Vous avez dû repousser leurs demandes ; cependant nuit et jour, ces hommes vraiment utiles veillent au bien-être de leurs paroissiens, partagent avec l’indigent un traitement qui leur permet à peine de vivre ; ils n’ont rien obtenu et ne se plaignent pas.
Le commerce et l’industrie sont aux abois ; par le traité de paix, ils ont perdu le riche débouché que leur présentaient les provinces cédées ; la classe ouvrière est sans travail, elle a recours à la mendicité pour prolonger une existence pénible ; on voit des malheureux en bandes, au nombre de 15 à 20, assiéger des fermes pour obtenir un morceau de pain ; et jusqu’ici qu’a-t-on fait pour eux ?
Tout récemment encore, une mesure déplorable a été prise par le gouvernement : par arrêté du 6 décembre dernier, la solde des officiers de la réserve a été diminuée considérablement ; la pénurie du trésor justifiait peut-être cette diminution, mas ce serait un contraste bien révoltant, que de donner 300,000 francs pour l’érection d’un petit séminaire, alors que vous condamnez à une position voisine de l’indigence ceux qui auraient versé leur sang pour le pays.
Il y a quelque temps le séminaire de Gand réclamait un agrandissement, le chapitre a tenu compte de la pénible situation du trésor, il n’a rien demandé aux chambres, il a fait l’acquisition à ses frais ; que l’évêque de Liége imite cet exemple, et il aura rendu un service signalé à la religion et au pays.
Comme député et comme catholique, je crois devoir refuser mon vote au subside demandé.
M. Lys – Je n’entrerai point, messieurs, dans la discussion de la question ; si une indemnité est due à l’évêque de Liége, du chef de la translation du petit séminaire de Rolduc à Saint-Trond, car on paraît unanimement d’accord qu’en droit une indemnité n’est pas due.
Il en est de même de la question de savoir : si l’Etat est obligé d’intervenir dans les dépenses pour ce qui concerne les petits séminaires, la section centrale l’ayant résolue négativement à l’unanimité.
Ainsi, il n’existe aucune obligation, ni pour l’Etat, ni pour les provinces et les communes, d’intervenir dans les dépenses qui concernent les petits séminaires.
Je n’entrerai, de même, dans la discussion de la question de savoir : si l’évêque de Liége peut demander un subside, comme un droit résultant de l’exécution du traité de paix.
A mes yeux, il n’en est encore dû de ce chef, et ceux qui se baseraient sur un pareil antécédent, nous feraient surgir une masse de demandes à titre de pertes essuyées par suite du traité, qui mettraient bientôt nos finances dans le plus triste état, car vous ne pourriez avoir deux poids et deux mesures ; ce qui serait dû de ce chef à l’évêque de Liége, serait aussi dû aux divers particuliers.
Ainsi, messieurs, de l’aveu même de votre section centrale, aveu qui a été unanime, en droit, nous ne devons rien à l’évêque de Liége, tout ce que vous lui allouerez sera une pure libéralité.
Reste donc la seule question de savoir : s’il est convenable, si l’équité exige d’allouer un subside ?
Et à cet égard je réponds affirmativement.
Ma réponse affirmative est fondée sur ce qu’un petit séminaire est une chose non seulement utile mais nécessaire, sur ce que l’évêque de Liége doit se pourvoir d’un petit séminaire pour remplacer celui de Rolduc dont il est prouvé, privation qui ne résulte pas de son fait, mais d’un cas de force majeure ; que s’agissant ici d’un établissement d’instruction, l’Etat ne peut se dispenser de fournir un subside.
Mais ce subside ne doit être qu’un secours ; l’évêque de Liége n’y pas plus de droit que n’a tout autre particulier qui fait des pertes et au secours duquel l’Etat croirait devoir venir, pour l’aider à les supporter.
L’Etat ne peut être tenu de fournir un subside qui réponde au vaste établissement que veut créer l’évêque de Liége à Saint-Trond. Ce n’est point seulement un petit séminaire que le collège ou plutôt l’athénée qui va se constituer, auquel on attache un personnel de 20 à 25 professeurs, e à côté duquel on érige une église dont le plan répond à la grandeur de l’établissement.
Vous avez, messieurs, donné les plus grandes preuves de générosité toutes les fois qu’il a été question du clergé catholiques.
Les ministres du Roi, qui sont les premiers fonctionnaires de l’Etat, sont moins rétribués que le cardinal-archevêque de Malines.
Il vous avait été démontré que le chiffre relatif aux dépenses diverses, littera B du chapitre V au budget de l’intérieur, surpassait les besoins de plus de 125 mille francs, et cependant vous l’avez alloué sans la plus légère opposition ; je désire que cet excédant soit employé à améliorer le sort des desservants et des vicaires, partie du clergé la moins rétribuée et la plus utile.
Cette générosité, messieurs, doit avoir son point d’arrêt, sans quoi elle deviendrait une injustice pour les autres établissements de l’Etat.
Ce grand établissement que possède l’évêque de Liége à Rolduc, l’établissement de Saint-Roch, véritable petit séminaire, quoi qu’on en dise, vous prouvent que le clergé en Belgique a constitué complètement l’enseignement primaire, moyen et supérieur.
Le clergé connaît parfaitement qu’on ne peut construire solidement si les bases ne sont assurées ; de là, messieurs, l’état toujours prospère de l’université catholique ; elle est le couronnement d’une construction qui a tous ses échelons parfaitement organisés ; de là aussi sa supériorité sur les universités de l’Etat, car chez elles l’enseignement manque dans sa base, l’instruction primaire et l’instruction moyenne aux frais de l’Etat restant non organisées. Je vous l’ai dit, messieurs, bien loin de blâmer le clergé d’avoir complètement organisé son enseignement ; je le loue, au contraire, pour son zèle et son activité, mais en est-il de même du gouvernement ? Qu’a-t-il fait jusqu’à présent pour organiser l’enseignement au vœu formel de la constitution ? Je sais, messieurs, qu’on va me répondre que les projets de loi à cet égard sont présentes, qu’ils restent dans les cartons, mais MM. les ministres sont aussi membres de cette chambre, et usant de leur double pouvoir, n’auraient-ils pu les faire arriver à l’ordre du jour, s’ils en avaient vivement témoigné le désir ?
Il s’agit ici, messieurs, d’un subside qui vous est demandé, en faveur d’un établissement d’instruction moyenne, établissement que l’Etat doit considérer comme un établissement particulier. Le chiffre de cent mille francs comme subside unique me semble répondre aux titres du réclamant à obtenir un secours par motif d’équité, seul motif qu’il puisse faire valoir.
Ce chiffre paraîtra considérable, si vous remarquez qu’au budget de l’Etat une misérable somme de 113 mille francs figure pour subsidier tout l’enseignement moyen fourni par les communes pour tout le royaume.
Ainsi, messieurs, pendant que vous laisseriez en souffrance les collèges, institués par les communes, une seule institution particulière, un seul collège, envers lequel vous exercez un acte de générosité, ne se contenterait point d’une somme de cent mille francs !
Vous feriez, lorsque vous ne devez rien, beaucoup plus que si la loi vous obligeait à un secours envers l’évêché de Liége ; et en peu de mots, je puis le démontrer.
La loi du 18 germinal an X, et le décret du 30 décembre 1809 , établissent que les grosses réparations ou les reconstructions à faire aux églises cathédrales, aux palais épiscopaux et aux séminaires diocésains, restent à charge des provinces, lorsque les revenus des fabriques sont insuffisants ; mais alors, l’évêque doit fournir l’état sommaire des revenus et des dépenses de sa fabrique, en faisant la déclaration des revenus qui restent libres, après les dépenses ordinaires de la célébration du culte.
Ainsi messieurs, dans le cas ci-dessus, lorsque les provinces sont tenues à la reconstruction, il faut faire la preuve de la nécessité et de l’insuffisance des revenus ordinaires pour y faire face.
Et ici, lorsque l’Etat n’est tenu à rien, lorsqu’il s’agit d’un petit séminaire, il n’y a rien à prouver ; l’on se contente de vous faire le tableau de renseignements communiqués à la section centrale, dans lequel figurent les bâtiments à jardins de Rolduc pour une chétive somme de 70 mille francs, et l’on se propose de bâtir à Saint-Trond pour 536 mille ; on ne rapporte pas même le titre en donation du domaine de Rolduc. De la valeur de ce domaine, l’on fait déduction de 40 mille francs de charges anciennes, qui n’existaient probablement plus et de 55 mille francs pour des énormes réparations : extinction de charges et réparations qui avaient eu lieu, avant la vente des fermes, bois et terre pour la somme de 237 mille francs. On va jusqu’à la déduction de 70 mille francs pour le capital de la rente de 2,800 francs, prix de l’acquisition de St-Trond, tout en convenant plus tard que la ville fournira annuellement 2,200 francs, et on finit par dire que le diocèse n’aura en définitive que 138 mille francs de toute la donation de l’abbaye de Rolduc : Grave erreur, messieurs, car s’il possédait Rolduc libre de charges, et les réparations achevées et payées avant la vente, toute la valeur de Rolduc, c’est-à-dire les 237 mille francs et la valeur des bâtiments sont à la disposition de l'évêque de Liége ; et il devient inutile de vous dire, messieurs, que sans votre secours, sans aucun subside, ce prélat parviendra à rétablir l’athénée de Rolduc à St-Trond ; cela fait honneur à son administration et prouve la confiance qu’il sait mériter, mais cela doit aussi vous engager à ne rien faire, en accordant un subside, qu’un acte d’équité.
Je ferai ici l’observation que monseigneur l’évêque de Liége pouvait obtenir un local renfermant la même étendue de terrain qui ne lui aurait rien coûté, où il trouvait au moins une église toute bâtie.
Là, messieurs, il y avait une grande économie :
1° Le prix d’acquisition ;
2° Une église bâtie.
Enfin, cet établissement qui est l’ancien couvent de religieuses à Herve, rapprochait l’établissement du petit séminaire du grand séminaire du diocèse.
Le local que je désigne donnait tous les avantages que l’on puisse trouver à Saint-Trond ; et en outre, messieurs, l’établissement de Herve aurait été exempt d’une charge très onéreuse qu’il rencontrera à Saint-Trond, celle de l’octroi municipal.
Je ne parlerai point, messieurs, des pertes qu’a faites anciennement l’évêché de Liége. Que le gouvernement français, comme on le dit dans le rapport, lui ait pris un petit séminaire : il a pris bien autre chose ; il a enlevé tous les biens du clergé ; il est donc inutile de rappeler cette perte, autant vaudrait dire que le gouvernement français a aussi pris le palais épiscopal de Liége ; bornons-nous à parler des pertes qui résultent du fatal traité, elles sont assez graves. Témoin celle dont il s’agit, et disons que si toutes les infortunes qui en sont les suites, doivent recevoir des secours, vous pourriez bien établir, pour y faire face, des additionnels à vos contributions déjà si onéreuses.
Et à la vue de nos budgets, devant continuer des contributions qui dépassent toutes limites, pourriez-vous, je le répète, au seul titre d’équité, accorder au-delà de ce que celle-ci exige, et grever ainsi le pays ; grever ainsi vos contribuables, qui perdent eux-mêmes, par l’enlèvement d’une partie notable de leurs frères, par la perte des débouchés intérieurs, pertes que rien n’a, jusqu’à présent, compensées ?
Je dis donc, avec le rapporteur de votre section centrale, qu’il ne faut pas ouvrir la porte à des demandes incessantes d’indemnités ou de subsides ; que si l’évêque de Liége a souffert par suite du traité de paix, d’autres personnes se trouvent encore dans le même cas ; et certes, si l’on indemnise l’un, la justice exige que l’on indemnise aussi les autres.
Vous n’aurez pas seulement à faire face au subsides, suites inévitables du traités ; vous avez bien d’autres plaies à cicatriser ; je me bornerai à citer les pertes provenant de l’agression hollandaise, par suite de l’incendie à Anvers et de l’inondation des polders, par suite de l’attaque de Bruxelles dans les journées de septembre et par suite de l'invasion de 1831, et enfin les réclamations des villes par suite des pillages de 1830, 1831 et 1834.
Je vous le demande, messieurs, toutes les personnes qui ont été victimes d’événements qu’elles n’ont pu prévoir ni empêcher, ne méritent-elles pas des subsides ? Ces subsides ne devront-ils pas être aussi complets que ceux que vous accorderez à l’évêque de Liége, et n’y aurait-il pas injustice de ne leur accorder qu’un chétif secours lorsque vous auriez accordé à ce prélat tout ce qu’il vous aurait demandé ?
D’après ces considérations, messieurs, il me semble que si vous ne voulez pas vous borner à des velléités d’économies, si vous ne voulez pas suivre la route des prodigalités dans laquelle on veut vous entraîner, vous adopterez un amendement ou la rédaction de la proposition comme suit :
« Une somme de cent mille francs sur le budget de l’intérieur exercice 1840, est accordée à l’évêque de Liége, comme subside unique, à titre de l’érection d’un petit séminaire à Saint-trond en remplacement de celui qui existe à Roldux, commune cédée à la Hollande. »
Répondant à un honorable préopinant, j’ajouterai que ce n’est pas une réserve que je demande à la chambre, mais c’est une décision.
En votant le chiffre demandé sans réserve, vous donneriez, pour ainsi dire, l’assurance à M. l’évêque de Liége, qu’il pourrait compter sur un nouveau subside, car il ne vous a pas laissé ignorer qu’il ne demandait pas à l’Etat, cette seule somme de cent mille francs, mais qu’il continuerait à demander jusqu’à ce que la somme de trois cent mille francs et plus, fût remplie.
- L’amendement de M. Lys est appuyé.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – L’honorable préopinant, auteur de l’amendement, a reconnu la justice de la demande dont le gouvernement vous a saisis ; seulement, messieurs, il vous propose de déclarer que ce subside sera unique. Nous croyons que cette limitation ne doit pas trouver sa place dans la loi, parce qu’il dépendra toujours des chambres de refuser ou d’allouer de nouveaux subsides, quoi qu’on ait décidé dans la circonstance actuelle. Lorsque nous avons demandé 100,000 francs, nous n’avons pas entendu nous engager pour les demandes qui pourraient vous être faites ultérieurement, bien que, dans notre pensée, l’équité prescrive de les allouer. Mais l’adoption de l’amendement proposé n’empêcherait pas le ministère de faire d’autres demandes, vous ne seriez pas liés pour l’avenir. Je dis que cet amendement est complètement inutile, parce qu’il ne s’agit pas ici d’édifice construit aux frais de l’Etat ; si c’était le gouvernement qui adjugeât les constructions, il devrait de toute nécessité savoir la limite du crédit dont il peut disposer, parce que, sans cela, l’Etat serait exposé à avoir un bâtiment inachevé, dont il ne pourrait pas se servir. Il en est autrement du bâtiment dont il s’agit. Si plus tard les chambres refusaient d’allouer d’autres subsides, il faudrait que l’évêché s’adressât à la piété des fidèles pour pourvoir au complément de l’édifice, si tant est que cette adresse pût être efficace dans les circonstances présentes.
Il ne faut pas perdre de vue que l’évêché de Liége a subi, à la lettre, l’expropriation de son petit séminaire, comme conséquence du traité, parce qu’il lui est impossible de conserver cet établissement sur le territoire du royaume des Pays-Bas. Dès lors, n’est-il pas équitable que la nation vienne au secours du diocèse ?
Veuillez remarquer qu’il s’agit d’un établissement public, et, ainsi que l’a dit l’honorable M. Lys, les petits séminaires sont en quelque sorte aussi nécessaires que les grands séminaires eux-mêmes. C’est ainsi que, malgré les termes équivoques de la loi du 25 ventôse an XII, il a été reconnu en France qu’il pouvait y avoir des petits séminaires dans tous les diocèses, Il y en avait aussi dans tous les diocèses de la Belgique.
Je dirai plus, c’est que les arrêts organiques du concordat de 1827, conclut sous le gouvernement des Pays-Bas, admettaient la division des séminaires et grands et petits séminaires. Indépendamment de l’exécution du concordat en ce sens, le simple bon sens l’indiquait. L’éducation du prêtre est une éducation à part ; elle ne peut être confondue avec l’éducation des laïques. Il est certain que, pour la vocation ecclésiastique, il faut prendre les jeunes gens dès leur début dans les études.
En France, le gouvernement avait été beaucoup plus loin ; il avait alloué pour l’éducation du clergé des bourses très considérables, applicables aux petits séminaires. Pourquoi l’a-t-il fait ? C’est qu’il y avait, dans le corps ecclésiastique, une lacune à laquelle il était de l'intérêt public de pourvoir. Cela était d’ailleurs dans l’esprit de dispositions légales antérieures. Les lois du 11 août et du 2 novembre 1789 justifient parfaitement l’allocation de sommes pour l’éducation du clergé, même dans les petits séminaires. La loi du 11 août 1789 contient cette disposition :
« Toutes les dîmes sont abolies, sauf à aviser aux moyens de subvenir d’une autre manière à la dépense du culte divin, à l’entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises et presbytères, et à tous les établissements, séminaires, collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l’entretien desquels elles sont affectées.
La loi du 2 novembre 1789, qui exproprie le clergé de ses propriétés, pose expressément le principe général de l’intervention de l’Etat pour subvenir aux frais du culte, frais dans lesquels sont évidemment compris les établissements nécessaires pour l’éducation des ecclésiastiques.
Cette loi est ainsi conçue :
« L’assemblée générale décrète :
« 1° Que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres sous la surveillance et d’après les instructions de la province. »
La loi du 11 août 1789, comme je viens de le dire, fait mention des séminaires auxquels les dîmes étaient précédemment affectées.
Le diocèse de Liége, par suite de ces lois, fut successivement exproprié de son grand et de son petit séminaire. Le grand séminaire a été rétabli par suite de différentes donations qui ont été autorisées. Le petit séminaire de Rolduc a été donné à l’évêché de Liége, et cette donation a été autorisée par le gouvernement des Pays-Bas. Le diocèse se trouve, par une conséquence directe du traité, exproprié du petit séminaire ; il y a nécessité urgente d’y pourvoir. De quelle manière le fera-t-on ? Sera-ce uniquement en ayant recours à la piété des fidèles ? Sera-ce concurremment avec un subside de l’Etat ? il est de toute évidence qu’il y a une équité rigoureuse de la part de l’Etat à subvenir à cette dépense ?
Veuillez remarquer que, quand même la chambre allouerait successivement les trois subsides de 100,000 francs, qui d’après l’exposé du gouvernement pourraient être réclamés, elle laisserait encore à la charge du diocèse une somme de 200,000 francs. La dépense à la charge du diocèse de Liége serait bien plus considérable encore s’il s’agissait d’obtenir un établissement équivalent à celui qu’il possède actuellement à Rolduc. En effet, à cet établissement se trouve jointe une école normale, dont il n’est nullement question dans la demande qui nous occupe.
En outre, il y a des frais considérables de transport de Rolduc à Saint-Trond. On sent parfaitement qu’on ne peut transporter un établissement semblable sans des dépenses considérables.
On dit que la vente de l’établissement de Rolduc fournira une somme quelconque qui pourra être employée à couvrir les dépenses de l’érection du petit séminaire à Saint-Trond. Cette assertion est vraie ; mais veuillez remarquer qu’il s’agit de vendre des propriétés productives d’intérêts, tandis que les 200,000 francs que dépensera le diocèse de Liége pour la translation du petit séminaire à Saint-Trond, seront improductives d’intérêts, de telle manière qu’en raison de ces 200,000 francs et des autres frais qu’il restera à faire, il est vrai de dire que le diocèse de Liége interviendra pour la moitié dans la création de l’établissement de Saint-Trond.
On a dit que, lors de la discussion du budget de la justice, on a écarté une motion d’augmentation de traitements, parce que les budgets n’offrent pas dans le moment actuel des ressources suffisantes. Ceci est une question tout à fait à part. on a fait remarquer avec justice qu’il s’agissait de faire une révision des traitements, non seulement dans l’ordre judiciaire, mais encore dans l’ordre administratif, et que le moment de faire cette révision n’était pas encore arrivé. Il s’agissait là d’une augmentation considérable et définitive aux budgets. Ce n’est pas 100,000 francs qui aurait fallu, mais une somme énorme, si on avait dû satisfaire aux réclamations faites quant à l’ordre judiciaire et quant à l’ordre administratif.
Au surplus, nous n’avons pas dit qu’on ne devait avoir aucun égard aux réclamations de ce genre. Nous avons seulement demandé l’ajournement de cette question.
Mais pour l’objet particulier actuellement en discussion, il ne peut être question d’ajournement, c’est là une question d’une grande urgence.
L’évacuation du petit séminaire devant avoir lieu dans les deux années à partir du traité, il faut pourvoir immédiatement à l’appropriation d’un autre local.
On a répété dans cette discussion qu’il ne s’agissait pas seulement d’un séminaire, mais aussi d’un collège. C’est là une erreur, puisque la plupart des élèves qui entrent au petit séminaire de Rolduc embrassent l’état ecclésiastique. Je ne parle pas ici de l’école normale, puisqu’il n’est pas question de cet établissement; je parle des élèves de l’enseignement moyen. La vérité est que tous, avant d’être admis, sont interrogés sur leur vocation pour l’état ecclésiastique ; mais il est évident que, parmi un grand nombre de jeunes gens entrés de bonne heure dans un tel établissement, quelques-uns, dans un âge plus avancé, ne se sentent plus leur vocation primitive. C’est là un fait inévitable, quelque précaution qu’on prennent pour qu’il en soit autrement.
Il ne s’agit pas ici d’accorder une faveur à l’évêque de Liége, ni au diocèse de Liége ; il ne s’agit absolument que d’une demande fondée sur les considérations d’équité les plus puissantes. Il n’y a dans cette question absolument rien de personnel à l’administrateur du diocèse de Liége.
C’est l’intérêt du culte dans le diocèse de Liége qu’il faut prendre uniquement en considération. C’est donc bien à tort qu’on a fait mention de certaine circulaire qui paraît avoir été lancée au sujet des élections. Cette affaire n’a rien de commun avec l’objet en discussion ; il est d’ailleurs à remarquer que de semblables invitations de la part des chefs de diocèse n’ont pas plus d’influence que celles émanées de certains comités d’électeurs, qui croient exercer dans le pays un grande influence morale. Les votes sont libres, ils sont secrets, et à l’abri de tout contrôle.
L’honorable M. Lys a parlé d’une autre ville, où le petit séminaire aurait pu être transféré. Je n’ai aucune connaissance du fait signalé par l’honorable membre ; mais il est hors de doute que si l’on avait pu trouver ailleurs tout ce qui est nécessaire pour l’établissement du petit séminaire, on se serait épargné une dépense de 200,000 francs au moins à la charge du diocèse et la peine de s’adresser au gouvernement et à la législature pour obtenir un subside.
Par ces diverses considérations, je persiste dans la proposition que j’ai eu l’honneur de vous présenter, et que la section centrale vous présente également.
M. Verhaegen – Messieurs, je voterai et contre l’amendement de l’honorable M. Lys, et contre le projet du gouvernement ; et je sens le besoin de vous donner les motifs qui m’engagent à voter ainsi. Vous voudrez bien m’accorder un moment votre attention.
Depuis longtemps, messieurs, nous avons mis de la modération dans nos paroles ; nous avons laissé passer bien des choses ; mais lorsque la mesure est comble, force nous est de parler et de renouveler notre opposition.
L’année dernière, nous nous sommes élevés contre la demande d’allocation de 45,000 francs pour indemnité et frais de voyage à l’archevêque de Malines, et contre la demande de 30 mille francs pour traitement du même archevêque. Nous n’avons pas rencontré beaucoup de sympathie à cet égard ; et cependant l’on a reconnu que nous avions raison.
Depuis, messieurs, plusieurs circonstances se sont présentées dans lesquelles nous avons vu clairement qu’on avait l’intention de favoriser certaines classes au détriment de la généralité. Bien souvent nous nous sommes tu dans l’espoir qu’enfin la balance pencherait d’une manière égale, mais, nous le craignons, nous nous sommes trompés.
Dans le budget de l'intérieur on a proposé cette année une augmentation énorme dans l’intérêt du clergé ; nous avons gardé le silence ; et nous l’avons gardé parce que nous avons pensé que cette augmentation était destinée à améliorer la condition du bas clergé : Dieu veuille que nous n’ayons pas à regretter d’avoir gardé le silence !
D’autres privilèges avaient fixé notre attention. Dans le budget des travaux publics, nous avons trouvé des traces d’un privilège énorme, effrayant : j’entends parler de celui de la franchise des lettres, du droit de contreseing. Ceux qui aujourd’hui répudient la qualité de fonctionnaires, s’en arrogent cependant les avantages ; toutefois nous n’avons rien dit encore. Nous avons été guidé dans cette circonstance par un esprit de conciliation qui nous semble avoir amené aucun résultat.
Aujourd’hui, c’est un nouveau subside qu’on demande, et ce subside doit être suivi d’autres : c’est un nouveau privilège ; je dirai plus, c’est une atteinte portée à la liberté de l’enseignement, c’est la destruction de la libre concurrence dans l’enseignement.
Cette question, messieurs, est beaucoup plus grave qu’on ne le pense. Ce n’est pas une question d’argent seulement ; c’est une question de principes ; que dis-je, c’est une question constitutionnelle ; elle tient à la liberté de l’enseignement et à tout ce qui s’y rattache.
Voyez, messieurs, de quelle manière les choses se passent. On a rappelé tantôt la proposition que j’avais faite en 1837, d’alléger la position de la magistrature : qu’ai-je obtenu, malgré mes réclamations réitérées ? Rien. On m’a objecté, et souvent objecté, que les ressources du pays ne permettaient pas de faire ce qui était juste ; car on reconnaissait la justice de ma proposition. Dieu sait quand la chambre s’en occupera. Je ne veux pas parcourir tous les faits qui se rapprochent de celui-là ; mais je m’occuperai d’un fait que vous avez encore présent à la mémoire.
N’a-t-on pas vu, lors de la discussion du budget de l’intérieur, de l’opposition contre une allocation pour la gendarmerie nationale établie à Bruxelles ? M. le ministre a faiblement soutenu cette allocation, et la chambre l’a rejetée ; cependant il s’agissait non seulement d’un établissement qui était dans l’intérêt de la capitale, mais il s’agissait encore d’un établissement dans l’intérêt de la généralité, car il était question d’ajouter à la gendarmerie de Bruxelles une école pour former des gendarmes pour le pays : la somme a été rejetée du budget ; vous vous souvenez que pour les fêtes nationales on a poussé l’économie jusqu’à rejeter du crédit une faible somme.
S’agit-il de faire un acte de justice pour tout le monde, on recule. Depuis 1832 on a présenté un projet de loi qui a pour objet de réparer en général les torts que les événements de la révolution ont occasionnés : on a proposé en 1832, de faire pour tout le monde ce qu’on voudrait ne faire aujourd’hui que pour l’évêque de Liége ; depuis lors on n’a pas cessé de réclamer ; et cependant à peine a-t-on pu obtenir que la loi d’indemnité fût discutée après le budget de la guerre. Mais depuis quelques jours l’évêque de Liége réclame ; l’affaire paraît urgente ; on passe sur tout, et le projet est discuté. Et voilà la justice distributive !
Disons-le franchement, il n’y a de justice que pour les classes privilégiées ; car, pour les autres, on les abandonne.
Il est une partie du discours de M. Simons qui a fixé mon attention ; elle concerne le point culminant de la question. Pour justifier la demande de l’évêque de Liége, il a dit : « Voyez tous les établissements d’instruction moyenne enlevés à nos provinces ; tous ces établissements sont sur les territoires cédés ! » Eh bien, que ne demandez-vous des subsides pour l’instruction moyenne ordinaire ? pourquoi restreignez-vous votre demande à l’instruction ecclésiastique ? s’il faut de la justice, venez donc demander de remplacer les établissements d’instruction moyenne que le Limbourg a perdus. Mais vous ne voulez pas des établissements laïcs ; vous voulez des petits séminaires. Vous voulez que l’instruction moyenne soit entre les mains du clergé ; voilà le but, et voilà la prétention contre laquelle nous nous élevons. C’est la destruction de la libre concurrence de l’enseignement que l’on veut ; la proposition qui est faite n’a pas d’autre but ; car les fonds des fidèles ne manqueraient pas s’il s’agissait d’un établissement pieux.
Nous avons à établir d’abord que ce que l’on appelle le petit séminaire de Rolduc, que l’on veut transférer aujourd’hui à Saint-Trond, n’est rien autre chose qu’un collège ordinaire sous la direction de l’évêque de Liége ; et je n’aurai besoin, pour établir ma proposition, que d’invoquer le rapport de la section centrale et ce qu’a dit tantôt le ministre de l’intérieur.
Ce prétendu séminaire, n’avait-il pas son école normale ? et ne voit-on pas évidemment qu’il n’est pas destiné à former des ecclésiastiques, mais qu’il est destiné à l’instruction de la généralité des jeunes gens ? iIl en est de ce petit séminaire comme de tous les autres petits séminaires que nous connaissons ; comme du petit séminaire de Bonne Espérance, comme du petit séminaire à Malines, comme du petit séminaire de St-Roch à Liége, lesquels ont tous des écoles normales pour donner des professeurs dans le plat pays, afin que l’instruction y reçoive la direction de ceux qui tiennent les rênes du gouvernement. Voilà la marche suivie ; et c’est contre cette marche que nous venons faire opposition.
Les trois quarts des élèves qui sortent des petits séminaires que j’ai cités n’embrassent pas l’état ecclésiastique ; personne ne contredira ce fait.
Il est encore un avantage que l’on retire de ces établissements ; c’est de créer en leur faveur des privilèges au détriment de la généralité, car au moyen des petits séminaires, on arrive jusqu’a des dispenses en matière de milice et en matière d’autres charges publiques.
Je dois, messieurs, répondre ici à une observation qui a été faite par M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre de l'intérieur a prétendu que la loi reconnaît les petits séminaires ; qu’en France la chose a toujours été entendue ainsi, et que le gouvernement français n’a jamais cessé de protéger les petits séminaires. Quant à la loi, messieurs, elle est claire et précise ; si M. le ministre s’était donné la peine de l’examiner avec attention, il y aurait vu que non seulement la loi ne reconnaît pas les petits séminaires, mais qu’elle déclare même que le gouvernement reste étranger aux séminaires. On nous a parlé tantôt de la loi du 23 ventôse an XII ; eh bien, qu’a-t-elle établi, cette loi ? Dans son article premier, elle dit qu’il y aura dans chaque arrondissement métropolitain, sous le nom de séminaire, une maison d’instruction pour ceux qui se destinent à l’état ecclésiastique, et d’après l’article 7 de la même loi, cet établissement est un établissement national constituant la propriété du gouvernement. La loi du 18 germinal an X s’est occupée des séminaires proprement dits, non pas des petits séminaires, dont aucune loi ne s’occupe et dont aucune loi ne devait s’occuper ; la loi du 18 germinal an X dit, dans son article 4, que l’évêque pourra avoir un chapitre dans la cathédrale et un séminaire. Le législateur de l’an X a donc voulu que chaque évêché pût avoir un séminaire, mais il a voulu aussi que le gouvernement ne fût pour rien dans la dotation de ce séminaire. Ainsi chaque diocèse peut avoir un séminaire, mais le gouvernement ne s’en occupe pas, le gouvernement ne le dote pas.
Croirez-vous après cela, messieurs, que le gouvernement, qui n’a pas même à s’occuper des séminaires diocésains, puisse s’occuper des petits séminaires ? Je défie M. le ministre de l'intérieur, et quiconque m’entend, de citer une seule loi qui ait jamais parlé de petits séminaires.
Si, sous la restauration en France, alors que certains principes paraissaient aussi dominer dans ce pays, on est sorti des dispositions législatives pour venir au secours des petits séminaires, ou, en d’autres termes, des collèges qui étaient dans la dépendance des évêques, ce n’est pas là un précédent que l’on puisse invoquer en Belgique en 1840, c’est un précédent que nous avons le droit de répudier, notre constitution à la main, car les principes que l’on voudrait appliquer en s’appuyer sur de pareils précédents, ces principes porteraient une atteinte grave à la liberté de l’enseignement.
Revenons donc au véritable état de la question, et allons droit au but. Car enfin si le subside doit être accordé, il faut bien que le pays sache de quelle manière les opinions se sont formées dans cette enceinte. La question principale, c’est celle de la nature de l’établissement ; eh bien, cet établissement n’est pas un séminaire, mais un collège dans lequel on admet tous les jeunes gens, quelle que soit leur destination pour la suite ; ce qui le prouve, c’est cette lettre ou plutôt ce sont ces paroles indiscrètes qui sont échappées à l’évêque de Liége dans les motifs qu’il a présentés au gouvernement à l’appui de sa demande. Pour rattacher sa demande à un objet d’utilité générale, l’évêque de Liége a dit lui-même qu’il ne sortira pas seulement de cet établissement des jeunes gens qui se destinent à l’état ecclésiastique, mais qu’il en sortira aussi des jeunes gens instituteurs (et en effet l’école normale doit avoir ce but), qu’il en sortira aussi de bons secrétaires et de bons bourgmestres. Voilà, messieurs, où l’on veut en venir : ces bons secrétaires et ces bons bourgmestres suivront ensuite l’impulsion que leur aura donné le chef suprême. Cela rentre parfaitement dans les théories qui ont été développées récemment dans cette fameuse brochure que chacun de nous peut apprécier. C’est pour produire ces exagérations que nous devons voter des fonds, c’est nous qui devons jeter les bases d’un semblable système. Quant à moi, messieurs, à Dieu ne plaise que j’y prête jamais les mains !
En droit, messieurs, il est évident que nous ne sommes tenus à rien ; aucune loi n’est applicable ; au contraire, les lois que je viens de citer excluent formellement l’intervention du gouvernement dans la dotation des séminaires.
Y a-t-il maintenant convenance, comme a semblé le croire l’honorable M. Lys, qui a présenté un amendement ; y a-t-il convenance à venir au secours de l’évêque de Liége par le motif que le territoire sur lequel se trouvait son établissement de Rolduc a été séparé de la Belgique, par suite du malheureux traité des 24 articles ? Eh, messieurs, ainsi qu’on nous l’a dit, si cette considération devait suffire pour faire accorder à l’évêque de Liége ce qu’il vient nous demander, la même considération militerait pour quiconque a eu à souffrir par suite du traité des 24 articles. Vous auriez donc à indemniser les industriels séparés de leurs usines, et les fonctionnaires privés de leurs fonctions ; vous auriez à reconstituer les fortunes compromises, à réparer les désastres qui ont en quelque sorte servi de base à l’établissement de notre nationalité. Tout cela, messieurs, doit faire l’objet de sérieuses méditations, et il ne faut, dans tous les cas, pas accorder à l’un ce qu’on refuserait aux autres, car ce serait là une injustice et une injustice flagrante, d’autant plus que parmi ceux qui pourraient réclamer, et dont on vous a déjà signalé quelques-uns, il en est beaucoup qui sont dans une position plus fâcheuse que l’évêque de Liége, qui ne manque pas de ressources. Pour accorder à quelqu’un la faveur d’un subside, il faut deux conditions qui sont essentielles : il faut d’abord que celui qui réclame le subside soit dans le besoin ; s’il a des ressources à lui, ces ressources doivent lui donner ce que, dans d’autres circonstances, il pourrait demander ; il faut, en second lieu, que la demande ait un objet d’utilité générale. Or, comment le besoin de celui qui réclame en ce moment pourrait-il être constaté ? Il ne saurait l’être que par le budget de l’évêché. Il faudrait que ce budget constatât que les fonds qui se trouvent à la disposition de l’évêque de Liége ne sont pas suffisants pour pourvoir à ce qui serait considéré comme un objet de nécessité évidente. Eh bien, l’on se garderait bien de produire un semblable budget, car je me rappelle que, dans une circonstance à peu près analogue, il fut fait au conseil provincial du Brabant une demande à l’égard de laquelle on réclama les budgets de l’archevêché, qui ne furent jamais produits. La première condition, indispensable pour que l’on puisse venir demander une faveur, n’existe donc pas.
La deuxième condition nécessaire, c’est qu’il y ait utilité, mais utilité générale à accorder l’objet de la demande. Est-il donc utile, est-il nécessaire, messieurs, que cet établissement de Rolduc, dont vous connaissez la nature, nature que l’on n’oserait pas contester, est-il nécessaire que cet établissement soit transféré à Saint-Trond, alors qu’il en existe un du même genre à Liége ?
M. Fleussu – Vous voulez parler du collège de St-Roch ; c’est un séminaire.
M. Verhaegen – Il y a donc un séminaire à Liége et un petit séminaire à Rolduc, ce qui établit déjà la distinction que tantôt on ne voulait pas reconnaître, et dont j’ai soutenu l’existence d’après la loi.
Eh bien, si l’évêque de Liége veut des collèges qui soient sous sa dépendance, s’il veut s’emparer entièrement de l’instruction moyenne, comme il cherche depuis longtemps à le faire, qu’il prenne sur ses propres ressources les fonds qui lui sont nécessaires pour atteindre ce but, mais qu’il ne vienne pas demander ces fonds à ceux qui ne partagent pas son opinion. Comment voulez-vous que moi, par exemple, qui veut franchement la liberté de l’instruction, j’aille voter des subsides qui doivent servir à concentrer de plus en plus le monopole de cette instruction entre les mains d’un parti ? Comment voulez-vous que j’aille fournir des armes comme moi-même et que j’aille contribuer à l’établissement d’un système inconstitutionnel dont je ne veux pas ?
Vous voyez, messieurs, qu’en définitive l’utilité générale que l’on prétend se rattacher à la demande de l’évêque de Liége se réduit à une utilité toute particulière, et qu’il s’agit ici, non pas de l’intérêt du pays, mais de l’intérêt d’une opinion.
Il est utile, dit-on, de cicatriser les plaies qu’a faites le traité des 24 articles ; mais alors, messieurs, il faut cicatriser toutes les plaies. Si l’on veut une loi générale, si l’on veut un système général d’indemnités, qu’on le propose, mais qu’on ne cherche pas à faire obtenir à l’un ce qu’on refuse à tous les autres.
Eh, messieurs, si nous avions à nous occuper directement des conséquences du malheureux traité des 24 articles, nous dirions à ceux qui viennent aujourd’hui l’invoquer pour obtenir des subsides, que c’est peut-être à la conduite qu’ils ont tenue dans certaines circonstances que nous devons la défaveur avec laquelle nous avons été traités par la conférence ; ne se rappelle-t-on pas encore le trop fameux mandement, je pourrais dire l’ordre du jour, qui nous a valu l’animadversion de la Prusse, que nous avions si grand intérêt à ménager ?
Ce sont cependant ceux qui ont posé des faits de cette nature qui viennent aujourd’hui prétendre qu’il faut cicatriser les plaies que le traité des 24 articles a laissées. Messieurs, si vous adoptez le système qu’on vous propose, vous portez une atteinte grave à la liberté de l’enseignement.
Vous détruisez les établissements analogues, mais qui sont dirigés dans un autre esprit ; en donnant des subsides aux collèges dirigés par des ecclésiastiques, vous détruisez les collèges des villes ; car la concurrence n’est plus égale. Comment voulez-vous, alors que les établissements ecclésiastiques ont tous les moyens possibles de faire prévaloir leur opinion, alors que vous leur donner l’or à pleines mains et que vous refusez des secours aux établissements laïcs ; comment voulez-vous que la libre concurrence existe ? ce qui me faisait dite tout à l’heure que j’étais étonné de ne pas voir l’honorable M. Simons, qui avait parlé de l’anéantissement des établissements d’enseignement moyen dans le Limbourg, généraliser sa proposition, en demandant des subsides pour les établissements qui ne sont pas dirigés par l’autorité ecclésiastique supérieure.
La liberté d’enseignement est écrite dans notre constitution, ; mais admettons-le franchement et sans arrière-pensée ; combattons à armes égales ; que la libre concurrence soit seule la base de tout ce que l’instruction doit amener, et qu’on ne donne pas aux uns ce qu’on refuse aux autres.
Il n’y a donc aucune loi qui autorise l’allocation d’un subside en faveur de l’évêque de Liége. Il n’y a aucune considération, d’après moi, qui soit de nature à faire une exception à raison de cette demande ; cette exception serait contraire aux principes fondamentaux de la constitution, en matière de liberté d’enseignement.
Et d’ailleurs, car pour remplir ma tache, je dirai ici toute ma pensée, s’il s’agissait de la demande d’un évêque qui s’associât franchement à la constitution que la Belgique s’est donnée et aux principes qui lui servent de base, d’un évêque qui restât dans les bornes de son saint ministère, pourrait peut-être recevoir un accueil favorable.
Mais tout repousse la demande faite par l’évêque de Liége.
Quels seraient en effet ses titres à la bienveillance des représentants de la nation ?
Serait-ce la conduite qu’il a tenue peu de temps avant la révolution, dont il n’a pas dépendu de lui d’arrêter la marche ?
Serait-ce le trop fameux mandement qu’on pourrait appeler un autre ordre du jour, qui a excité l’attention de la Prusse par le blâme démesuré qu’il déversait sur son gouvernement, et qui n’a pas peu contribué à nous rendre cette puissance très défavorable dans nos démêlés avec la Hollande ?
Serait-ce pour l’arrogance qu’il a montrée dans les affaires de Tilff en annonçant que si, le jour qu’il a fixé, l’ordonnance de la députation des états n’était pas annulée, il se rendrait à Tilff, se mettrait à la tête de la mission, prêcherait publiquement, et qu’il verrait alors ce qu’on feraient ?
La menace a produit son effet, car avant le délai fatal l’ordonnance était annulée et la constitution violée, car l’autorité communale était dans son droit.
Serait-ce pour avoir, lors des dernières élections, compromis l’épiscopat et le gouvernement, par une circulaire adressée à tous les ecclésiastiques de son diocèse pour leur imposer un candidat de son choix, circulaire qui, certes, n’est pas un document de charité chrétienne ?
Serait-ce enfin pour avoir montré dans ses écrits, dans ses brochures l’intention d’accaparer le monopole de l’instruction ?
Voudrait-on déjà lui fournir les moyens d’atteindre son but ?
Car, d’après quelques mots indiscrets de S.G., ce n’est pas seulement de l’instruction des jeunes ecclésiastiques qu’il veut s’occuper dans son petit séminaire ; il serait destiné à former des jeunes instituteurs, des secrétaires, des bourgmestres.
Si les chambres accueillaient les prétentions de l’évêque de Liége, les chambres et le gouvernement fortifieraient l’idée qu’on marche en Belgique à la remorque d’un parti, et ce parti est loin d’avoir l’assentiment de la nation ; la Belgique aiment la religion de leurs pères, mais ils veulent une religion éclairée.
Si monseigneur pouvait atteindre son but, il réaliserait un jour son vœu d’être le grand électeur des provinces liégeoises.
Le projet de loi peut être considéré par le ministère comme une bonne fortune pour raffermir son pouvoir qui chancelle ; mais il sera considéré comme un fléau pour le pays. (A demain ! à demain !)
- La séance est levée à 4 heures 3 quarts.