(Moniteur belge n°35 du 4 février 1840)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven procède à l’appel nominal une heure un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance de vendredi dernier, dont la rédaction est adoptée ; il fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Pierre-Joseph Delguste réclame une indemnité du chef des pertes que sa propriété a éprouvées par le creusement du canal de Pommeroeul à Antoing. »
« Des habitants de Renaix demandent qu’il soit adopté des mesures légales, en vertu de l’article 23 de la constitution, pour rétablir la langue flamande dans les administrations de certaines parties du royaume.
« Le sieur Joseph Remy adjudicataire d’une section de route de Charleroy à Philippeville, demande une indemnité pour les dégradations extraordinaires survenues par suite de l’arrêté royal en date du 1er décembre dernier autorisant une majoration sur la charge des voitures. »
« Des habitants des communes de Péruwelz, Roucourt, etc. demandent que le gouvernement accorde la concession d’un pont sur le canal de Pommeroeul à Antoing, demandée par le sieur Medol à Roncourt. »
« L’administration communale de Treignes (Namur), réclame contre une décision du conseil provincial de Namur, qui mandate d’office sur la caisse communale en faveur de douaniers, résidant à Treignes, du chef de leurs parts affouagères. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission.
« Le conseil charbonnier du bassin de Charleroy adresse des observations sur le projet de loi relatif à l’institution d’un conseil de prud’hommes. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi.
« Le comité national, pour le progrès de l'industrie linière du canton de Grammont, propose des modifications aux droits d’entrée sur les lins. »
- La chambre renvoie cette pétition à la commission avec demande d’un prompt rapport, et en ordonne l’insertion au Moniteur.
« Deux fabricants de pipes de terre à fumer, à Maeseyck, demandent que les pipes de terre venant de l’étranger, soient prohibées à l’entrée. »
M. Scheyven – Je demande le renvoi de cette pétition à la commission d’industrie. L’industrie des fabricants de pipes de terre est en souffrance, parce que sous l’ancien gouvernement les pipes de terres ont été prohibées à l’entrée. Depuis la séparation, cette législation a continué d’exister en Hollande. Par suite de l’exécution du traité, ces fabricants ont perdu leurs débouchés non seulement en Hollande, mais encore dans la partie cédée du Limbourg. Ici, au contraire, une modification a été apportée à la loi, en ce sens qu’il a été établi un droit qui ne permet pas aux fabricants du pays de soutenir la concurrence avec les fabricants de pipes de la Hollande.
Je demande le renvoi à la commission d’industrie, afin qu’elle examine s’il convient ou non d’apporter une modification à la loi.
- La pétition est renvoyée à la commission d’industrie.
M. de Potter fait connaître par lettre adressée à M. le président qu’une indisposition l’empêche de prendre part aux travaux de la chambre.
Pris pour notification.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) présente trois projets de loi de transfert.
La chambre donne acte à M. le ministre des travaux publics de la présentation de ces projets de loi, et en ordonne l’impression et la distribution.
M. le président – La chambre a maintenant à statuer sur le renvoi de ces projets de loi.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je propose de les renvoyer à la section centrale qui a été chargée de l’examen du budget des travaux publics.
M. d’Huart – Il me semble que ces projets de loi devraient plutôt être renvoyés à la commission des finances. C’est une mesure d’ordre, un changement dans les budgets : diminution d’un côté et augmentation de l’autre. Je crois que la commission des finances a été instituée pour examiner les projets de loi de cette nature.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Jusqu’ici les projets de loi de ce genre ont été renvoyés à la section centrale qui a examiné le budget auquel les transferts ont rapport. Il ne m’est pas démontré qu’il faille ici déroger à l’usage adopté.
- La chambre consultée ordonne le renvoi des projets de loi à la section centrale du budget des travaux publics, qui sera chargée de les examiner comme commission.
M. Van Cutsem, rapporteur de la commission des pétitions – Messieurs, plusieurs habitants notables de la commune d’Aeltre, province de Flandre orientale, se sont adressés à la chambre pour lui faire connaître la position malheureuse dans laquelle se trouvent les tisserands et les fileuses de cette commune, par suite de la décadence de l'industrie linière, il y a quelques années encore la ressource de la classe ouvrière des deux Flandres, et pour la prier de venir au secours de cette classe intéressante de la société : les auteurs de cette pétition, sans limiter les moyens que la chambre croira devoir employer pour empêcher l’anéantissement complet de cette industrie, en proposent deux, à savoir : l’augmentation des droits sur les fils étrangers à leur entrée en Belgique et la prohibition de l’exportation des lins de la Belgique, ou au moins l’exportation des lins avec des droits fort élevés.
Pour ce qui concerne l’importance de l’industrie linière en Belgique, la commission des pétitions est convaincue avec les auteurs de la pétitions que l’industrie linière est une des principales sources de la richesse de la Belgique, et qu’elle se trouve en ce moment dans une position bien pénible ; et comment pourrait-il en être autrement, lorsque chacun sait que notre pays produit annuellement 128,000,000 de kilogrammes de lin vert, que quarante à trente mille hectares sur 3,422,575 hectares qui constituent la surface totale de la Belgique sont ensemencées tous les ans pour donner ce produit, que ces 128,000,000 de kilogrammes de lin vert ont, par la manipulation et la fabrication, une valeur de soixante et dix millions de francs, et lorsqu’on sait encore que depuis 1825 jusqu’à ce jour, le prix de la matière première a toujours été en raison inverse du prix de la matière fabriquée, que l’on achetait en 1825 à quatorze sols la quantité de lin qu’on paye aujourd’hui trente sols ; que la toile se vend à 10 ou 15 pour cent à meilleur marché aujourd’hui qu’en 1825, que la Belgique a vu importer chez elle, en 1838, pour 1,747,452 kilogrammes de fil de toute espèce, qu’elle n’en a exporté que pour 1,324,015, qu’elle voit diminuer tous les ans l’exportation de ses toiles et augmenter le chiffre des toiles étrangères introduites en Belgique, lorsqu’on sait enfin que le tisserand ne gagne plus la moitié d’une journée de travail évaluée en temps ordinaire à 1 franc, que la meilleure fileuse ne gagne plus que 15 centimes par jour, tandis qu’elle devrait gagner de 30 à 50 centimes pendant ce même espace ?
D’après ce que je viens de vous exposer, l’état de décadence de l’industrie linière doit, en même temps que son importance, être évident pour tous ; mais ce qui paraît moins facile à établir, ce sont les moyens à employer pour secourir cette industrie, pour empêcher sa perte totale.
L’ancienne industrie linière, qui est celle pour laquelle les pétitionnaires demandent votre appui, se trouve, de l’avis de la commission des pétitions, dont je suis aujourd’hui l’organe, dans un état de gêne et de décadence, parce que les fabricants de toile des Flandres, effrayés du bas prix des toiles de fil mécanique, ont voulu rivaliser de bon marché avec ces toiles aux dépens de la qualité, parce que les fils et les toiles anglais leur font une forte concurrence : vous n’aurez pas de peine à admettre cette dernière raison, quand nous vous dirons que les Anglais ont importé en France, en 1825 seulement, 161 kilogrammes de fil et 1,009 kilogrammes de toile, et qu’en 1839 ils y ont vendu 3,199,917 de fil et 473,460 kilogrammes de toile, tandis que nous livrions pour ainsi dire exclusivement ces marchandises à ce pays avant l’Angleterre, parce qu’on a importé, en Belgique, en 1838, pour 1,747,452 kilogrammes de fil étranger et de grandes quantités de toiles étrangères, parce que les toiles faites de fil à la mécanique faits en pays étrangers y arrivent en ne payant qu’un droit d’un demi pour cent, parce que la France n’admet ces fabricats chez elle qu’avec des droits très élevés et qu’elle est sur le point de les élever encore, et enfin parce que le prix de la matière première n’est plus en rapport avec le prix de la toile.
Quant aux moyens à employer pour empêcher la mauvaise fabrication des toiles, la commission pense que le gouvernement peut y aviser en prescrivant à tous les gouverneurs de province, de rappeler aux autorités municipales de leur ressort qu’ils ont à faire publier de nouveau le décret d’Albert et d’Isabelle, rendu le 2 mai 1615 et l’édit de Marie-Thérèse de juillet 1753 qui, n’ayant été abrogés par aucune loi sont encore en vigueur aujourd’hui, et en encourageant des associations particulières qui se chargeraient de surveiller la fabrication des toiles et de donner des primes d’encouragement à ceux qui fabriquent la meilleure et la plus belle toile, ainsi qu’à ceux qui la blanchissent le mieux.
Après avoir admis ces mesures pour améliorer la fabrication des toiles en Belgique, la commission des pétitions a cru qu’il appartenait aux grands pouvoirs de l’Etat de prendre une résolution pour empêcher l’étranger de réduire à rien cette intéressante industrie, et que le pouvoir exécutif devait proposer les moyens à cet effet, mais tout en ayant cette idée, elle a été d’avis qu’elle devait vous soumettre quelques considérations qui militent pour ou contre les mesures proposées par les auteurs de la pétition d’Aeltre.
Les pétitionnaires demandent que les droits perçus sur les fils étrangers à leur entrée en Belgique soient augmentés ; la commission des pétitions ayant égard, d’un côté, à ce que le droit perçu aujourd’hui en Belgique ne s’élève qu’à un demi pour cent et d’un autre côté que le chiffre des fils introduits, en 1838, en Belgique s’élève à 1,747,652 kilogrammes estime que l’emploi d’une quantité aussi forte de fil étranger n’a eu lieu qu’au préjudice de nos fileurs et fileuses, et que l’on ne s’est servi dans notre pays de ces fils étrangers que parce qu’on les livrait à la consommation à un prix de beaucoup inférieur à celui des fils indigènes faits à la main, qu’il n’y a qu’un moyen pour empêcher cette concurrence et que c’est d’augmenter par des droits le prix de ces fils étrangers, qu’en agissant ainsi, les fileurs et fileuses de la Belgique retrouveront une existence dans cette ancienne industrie, et que les fabriques où on travaille dans ce pays le fil de lin à la mécanique pourront ainsi y puiser le moyen de continuer leurs travaux.
La commission croit cependant qu’il est de son devoir en vous parlant des droits qu’elle vous propose sur les fils étrangers, de ne pas se taire sur une objection qu’on peut faire sur cette augmentation de droits et qui est la suivante : On prétend d’abord que les fils d’Allemagne, du Brunswick sont nécessaires aux fabricants de coutil de Turnhout, aux tisserands de Zele et de Lokeren pour le tissage des toiles à carreaux de fils dont les uns et les autres ont besoin, et que les fils de France sont nécessaires à la confection de la dentelle, et qu’en prélevant de grands droits sur ces produits, nous nuerions à notre industrie ; d’après elle, ces observations sont sans fondement, d’abord parce qu’on fait à Saint-Nicolas du fil qui peut servir à la fabrication des coutils et des tissus de Zele et de Lokeren, et ensuite parce que rien ne doit empêcher les industriels de ces localités de se concerter avec d’autres industriels pour qu’on augmente la fabrication de ce fil en Belgique ; en effet, de cette manière on gagnera une industrie de plus pour la Belgique, et les intéressés trouveront dans leur propre pays des fils qu’ils prennent aujourd’hui à deux cents lieues de leurs usines et qui, malgré leur bas prix, eu égard à la distance, aux commissions à payer et aux frais de transport les placent dans une condition inférieure à l’égard de leurs rivaux en industrie.
Pour ce qui regarde les fils de lins pour dentelle, qui se cotent couramment depuis 60 francs jusqu’à 1,800 francs la livre, quel que soit le droit à payer, il n’exerce qu’une influence insignifiante sur le prix du réseau ; de là cette objection ne peut nous arrêter.
Enfin, messieurs, il est évident, pour la commission, que l’introduction des fils et des toiles de l'étranger soit, en quelque soit, en gradation que lui trace le tarif, qu’elle diminue au fur et à mesure que les droits s’élèvent, ce qui lui prouve que là comme ailleurs, dans de certaines mesures, la supériorité de la fabrication est en raison de la protection que le législateur lui accorde.
En agissant ainsi, nous ne ferons que ce que fait la France, la Confédération commerciale de l’Allemagne et bien d’autres Etats ; pourquoi notre pays doit-il être ouvert à tous, tandis que l’on voit qu’on ne pénètre chez les autres nations qu’en payant des droits différentiels d’entrée ?
La commission pense toutefois que le droit sur les fils ne devrait pas s’élever à plus de 10 p.c.
La seconde question, celle du droit à prélever sur l’exportation des lins, a paru d’une difficulté telle à la commission des pétitions qu’elle se bornera à dire ce qui est en faveur du droit, et ce qui s’oppose à ce que ce droit soit perçu ; cette difficulté se concevra facilement quand on voudra prendre attention qu’on ne peut la résoudre sans sacrifier, au moins en apparence, l’une des deux industries indigènes, l’agriculture ou la fabrication des toiles à l’autre. Ceux qui veulent imposer les lins à leur sortie de Belgique s’appuient d’abord sur l’importance relative du commerce de lin et de la fabrication de toile ; ils soutiennent que puisque nous exportons annuellement pour environ vingt-huit millions de toile et seulement pour huit millions de lins, que puisque la main-d’œuvre est beaucoup plus considérablement sur un produit que sur l’autre, il est hors de doute que la fabrication de toile doit l’emporter sur le commerce de lin, et que s’il faut prendre quelque chose à une industrie pour le donner à l’autre, il fait prendre à l’industrie du marchand de lin pour le donner au fabricant de toile ; ils ajoutent encore à cette considération, que s’il est vrai que l’économie politique ne doit pas toujours être en Belgique ce qu’elle est en Angleterre, où on lui a donné une physionomie et une tendance exclusivement industrielles, où on veut que l’économie politique ne soit que la source des richesses sans avoir aucun égard au bien-être des travailleurs, mais qu’elle doit encore, comme nous l’enseignent les économistes italiens, s’occupent de bien-être général et avoir en vue l’intérêt moral et politique et faire de l'homme l’objet perpétuel de leur sollicitude et de leur étude, alors il faut encore que les producteurs de lin cèdent une partie de leur bénéfice à une classe industrielle de cinq ou six mille individus qui ne peuvent vivre sans ce sacrifice.
Les partisans de la même opinion disent que le sacrifice qu’on demande des producteurs et marchand de lin n’est qu’apparent, parce qu’en sacrifiant une partie du prix élevé, auquel ils vendent aujourd’hui leur lin, ils perdent seulement une partie de ce prix qu’ils auraient perçu encore trois ou quatre ans, tandis que maintenant ce prix élevé d’aujourd’hui, ils perdront beaucoup davantage plus tard, parce qu’une fois que le dehors aurait anéanti leur industrie linière, qui n’aurait pu faire concurrence sur les marchés de lin aux étrangers, le prix du lin aurait considérablement baissé, et qu’alors les fermiers auraient cessé de faire l’énorme bénéfice qu’ils obtiennent aujourd’hui, ceux qui professent toujours l’opinion que les lins doivent être imposés à leur sortie, disent encore que le fermier ne perdrait rien à la baisse des lins, parce que si ces prix baissent, ils n’auront plus à nourrir les fileuses et tisserands qui sont aujourd’hui sans ouvrage et qui leur enlèvent une partie de leur bénéfice.
Ils disent encore que le travail de trente journées de tisserands, qui s’occupent aussi à la terre, en même temps qu’ils s’adonnent à la fabrication de la toile, ne pouvant plus les nourrir que pendant quinze jours, ceux-ci seront obligés de quitter la campagne, de chercher une existence ailleurs, de laisser l’agriculture, qui a besoin de tant de bras, et que cette émigration diminuant les nombreuses populations des Flandres, rendrait son agriculture impossible.
Les partisans des droits à prélever sur l’exportation des lins pensent aussi que ces droits devraient être établis d’après la valeur du lin et d’après le plus ou moins de travail qu’il aurait subi, de telle manière que le lin vert serait le plus fortement imposé et à peu près sur la base suivante : les lins verts d’un droit de 4 francs par 10 kilogrammes, les lins teillés de 3 francs par 100 kilogrammes, les lins peignés ou sérancés de 2 francs les 100 kilogrammes. Ceux qui pensent que l’exportation des lins doit être imposée, pensent aussi que l’exportations des étoupes devrait être aussi imposée d’un droit de 25 p.c. d’après leur valeur.
A présent, ceux qui s’opposent à ce que les lins soient imposés à leur sortie de Belgique, disent que nous enlevons à l’agriculture un bénéfice certain qu’elle fait aujourd’hui sur l’exportation des lins, qu’en faisant tort au fermier nous ne sommes pas certains d’améliorer le sort du tisserand, puisque la matière première n’entre que pour un cinquième dans le produit de la toile, que si les nations qui viennent chez nous à un prix qui leur permettre de les y prendre, ils pourront les trouver en Russie, et l’Angleterre s’approvisionne, depuis plusieurs années, d’environ 90,000,000 de kilogrammes par an, en Zélande, en Frise, dans le pays de Groningue, dans la Frise orientale, dans le Hanovre, en Allemagne, en Egypte, en Irlande et en France, et que, s’il est vrai que l’Angleterre a besoin pour le moment de nos lins de quatre francs la pierre, elle pourra s’en passer si elle y était forcée par l’augmentation de prix.
La commission des pétitions, après avoir mûrement examiné et la position de l’industrie linière et les moyens qu’on pourrait employer pour la secourir, est d’avis que, sans rien préjuger sur ces moyens, il y a lieu de transmettre la pétition des habitants de la commune d’Aeltre à MM. les ministres de l’intérieur et des finances, avec invitation à ces hauts fonctionnaires de s’occuper immédiatement de la position malheureuse de l’industrie linière, et de soumettre à l’appréciation de la législature, dans un projet de loi, les moyens qu’elle propose ou tous autres qui seraient de nature à porter remède aux maux d’une population de cinq ou six mille âmes, menacée de succomber sous le poids de la misère qui l’accable.
M. le président – La commission propose le renvoi de la pétition à MM. les ministres de l'intérieur et des finances ?
M. Devaux – S’agit-il d’un renvoi pur et simple ?
M. Pirmez – Nous avons entendu que la commission des pétitions invitait le ministère à présenter un projet de loi d’après des bases qu’elle indique. Nous voudrions savoir s’il en est ainsi.
M. Van Cutsem, rapporteur – La commission propose le renvoi de la pétition à MM. Les ministres de l’intérieur et des finances, avec invitation de s’occuper immédiatement de la position malheureuse de l’industrie linière, et de soumettre à l’appréciation de la législature, dans un projet de loi, les moyens qu’elle propose ou tous autres qui seraient de nature à porter remède aux maux d’une population de 5 ou 6 cent mille âmes, menacée de succomber sous le poids de la misère qui l’accable.
M. Dumortier – S’il s’agit de renvoyer purement et simplement la pétition aux ministres de l’intérieur et des finances, je suis de l'avis de la commission. Si elle veut attirer sur cette pétition l’attention du ministère, je suis encore de son avis. Mais la demande d’inviter le ministère à présenter un projet de loi, d’après des bases indiquées ne me paraît pas admissible.
Si quelques membres jugent à propos de présenter un projet de loi, ils peuvent le faire, en vertu de leur droit d’initiative. Mais on ne peut demander au ministère de présenter un projet de loi, d’après des bases données. Ce ne serait pas convenable, ni constitutionnel ; car il faut laisser à cet égard toute latitude au ministère.
Je pense donc que cette partie des conclusions ne peut pas être adoptée.
M. le président – J’avais cru entendre que la commission invitait messieurs les ministres de l’intérieur et des finances à présenter un projet de loi, s’il y a lieu.
M. Van Cutsem, rapporteur – La commission a entendu que messieurs les ministres proposeraient soit les moyens qu’elle a indiqués, soit tous autres qu’elle jugerait à propos.
M. de Brouckere – Je demande le renvoi pur et simple de la pétition. (Appuyé ! appuyé !)
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je crois que l’on est d’accord pour demander le renvoi pur et simple de la pétition, et cela suffira ; car on attirerait l’attention du gouvernement sur cette pétition ; ce qui est sans doute le but que la commission s’est proposé.
M. Van Cutsem – Le but de la commission a été d’attirer l’attention du ministère sur les moyens énoncés dans le rapport ; et de l’engager à présenter un projet de loi, s’il y a lieu.
M. Mast de Vries – Les moyens seraient d’établir un droit sur les lins, et un droit de 25 p.c. ; sur les étoupes. Si les conclusions de la commission étaient adoptées, une loi serait présentée, pour imposer les lins à la sortie. Je crois qu’il faut s’en tenir à la proposition de l'honorable M. de Brouckere et ordonner le renvoi pur et simple de la pétition.
M. Van Cutsem, rapporteur – Le rapport dit que la question des droits à percevoir à la sortie des lins est difficile à résoudre, et il ne la résout pas. Mais la commission demande que son rapport et la pétition soient renvoyés à MM. les ministres de l’intérieur et des finances, et que ces ministres soient invités à présenter un projet de loi à la législature, s’ils le jugent convenable.
M. Liedts – Je demande la division de la question.
- La chambre consultée ordonne le renvoi pur et simple de la pétition à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.
M. Van Cutsem, rapporteur – Messieurs, plusieurs négociants et boutiquiers de la ville de Renaix se sont adressés à vous pour vous apprendre que les mesures prises jusqu’à ce jour, par le gouvernement belge, n’empêchent pas la circulation des monnaies françaises de billon dans ce pays, et pour vous faire connaître que des spéculateurs avides, profitant de la position malheureuse dans laquelle se trouvent nos industries linière et cotonnière, forcent nos ouvriers et nos petits fabricants à recevoir cette monnaie étrangère, pour sa valeur nominale, en paiement de leurs produits, les mêmes pétitionnaires assurent aussi que, si des mesures promptes et efficaces ne sont prises pour empêcher ces spéculations illicites, le pays sera bientôt inondé de monnaies étrangères, et qu’il en résultera une grande perte pour ses habitants.
Pour empêcher la circulation de cette monnaie de billon, les pétitionnaires vous prient de porter une loi, qui fasse payer un droit de 33 p.c. sur l’importation de ces monnaies en Belgique.
La commission des pétitions appelée à émettre son avis sur cette supplique, et sur la mesure à prendre pour empêcher la circulation d’une monnaie qui porte préjudice à un grand nombre d’industriels de la Belgique, a l’honneur de vous dire qu’il est de sa parfaite connaissance que le mal dont ces pétitionnaires se plaignent n’est pas exagéré qu’il est très vrai qu’il y a une telle circulation de monnaie de billon française dans les Flandres, que souvent le commerçant, lorsqu’on lui fait un payement de deux mille francs, reçoit cinq cents francs en sols, que des payements de cent et deux cents francs lui sont faits uniquement en sols de France, que le négociant, le fabricant, l’artisan ne peuvent à leur tour faire usage de ces monnaies étrangères, dans les changes qu’ils font, qu’en perdant trois pour cent sur leur valeur nominale, que cette réduction leur enlève une grande partie de leurs bénéfice et l’absorbe souvent dans son entier. La commission pense aussi qu’il est urgent que le gouvernement avise aux moyens à prendre pour empêcher que cette circulation se fasse plus longtemps au détriment de la Belgique ; toutefois elle ne peut appuyer la mesure proposée par ces pétitionnaires, parce que d’après elle, il n’attendrait pas le résultat désiré et que de plus elle serait pour ainsi dire inexécutable, à cause des difficultés qu’elle rencontrerait dans son exécution. La mesure proposée par ces pétitionnaires n’atteindrait pas le but désiré, parce que l’importation de monnaies françaises de billon pourrait se faire facilement par la fraude ; elle serait impraticable parce que la perception de ce droit à l’entrée en Belgique de ces monnaies gênerait considérablement le commerce de détail qui se fait à la frontière, entre la France et la Belgique avec cette monnaie française, à moins qu’on n’adopte des restrictions telles que ce droit ne serait pas perçu sur les monnaies mises en circulation dans une telle distance de la frontière, ce qui fournirait de nouvelles ressources à la fraude, et enfin parce qu’il faudrait encore exiger, dans cette loi, que les monnaies de billon françaises fussent munies de documents pour rentrer en France, documents qui seraient une nouvelle contribution à prélever sur le commerce, et qui, jointe à la perte du temps nécessaire pour se les procurer, finirait pas être plus nuisible au commerce que la circulation même des monnaies étrangères de billon.
Ayant égard et à la perte que le commerce fait par l’interdiction des monnaies françaises en Belgique, et aux inconvénients qui résulteraient de la mesure proposée par les pétitionnaires, la commission, après avoir mûrement délibéré, est d’avis que le meilleur moyen à adopter pour obvier à cette circulation de monnaie étrangère serait de renouveler avec la plus grande publicité possible les avis déjà donnés dans le temps par le gouvernement aux parties intéressées pour leur faire connaître que les monnaies de billon étrangères à la Belgique n’y ont pas de cours légal ou forcé, de prescrire aux receveurs du trésor, aux receveurs communaux, aux comptables des communes, à tous les agents du fisc qu’ils ne pourront recevoir en acquit des droits et des taxes à payer à l’Etat ou aux communes ; en prenant ces mesures et en joignant la suivante, l’envoi d’une centaine de mille francs en monnaie de billon belge dans l’arrondissement de Courtray, d’Ypres, et de Tournay ; il n’y a aucun doute que la circulation de monnaies étrangères dont le commerce des Flandres se plaint diminuerait à l’instant même ; car il est hors de doute que la circulation légale et sans perte empêcherait bientôt la circulation de monnaies étrangères qui n’y a lieu que parce que la monnaie de cuivre nationale manque dans les Flandres. Si le gouvernement voulait émettre dans les Flandres des monnaies de billon belge, il rendrait un grand service au commerce, et il y trouverait son propre compte, puisqu’il résulte des calculs faits par des gens à ce connaissant, qu’il gagnerait trente-trois mille francs sur une émission de cent mille francs de la monnaie de l’espèce réclamée.
Mue par ces différentes considérations, la commission prie la chambre de renvoyer la présente pétition à MM. les ministres de l’intérieur et des finances, avec invitation de prendre le plus tôt possible les mesures que la commission juge nécessaires pour empêcher le mal dont les pétitionnaires se plaignent, et toutes autres que ces hauts fonctionnaires croiront utiles pour obtenir la cessation d’un mal dont les impétrants se plaignent à si juste titre.
M. de Brouckere – C’est la même chose que tout à l’heure. La chambre doit prononcer le renvoi pur et simple.
M. Van Cutsem, rapporteur – La commission des pétitions s’est réunie aujourd’hui et a adopté, à la majorité, les conclusions que j’ai eu l’honneur d’indiquer.
M. de Langhe – La chambre peut les rejeter.
M. Van Cutsem, rapporteur – Je ne le conteste pas.
- La chambre consultée, ordonne le renvoi pur et simple de la pétition à MM. les ministres de l’intérieur et des finances.
M. Milcamps, rapporteur de la commission de vérification de pouvoirs – Messieurs, dans votre séance du 31 janvier dernier, vous avez chargé une commission de vérifier les pouvoirs de l’élu dans l’assemble électorale tenue à Liége, le 27 du même mois, pour le remplacement de feu M. Lesoinne, membre de la chambre des représentants, notre estimable collègue ; je viens vous rendre compte du résultat de l’examen que votre commission a fait de cette opération électorale.
L’arrondissement de Liége compte 2,332 électeurs.
D’après les procès-verbaux de cette élection, le nombre total des électeurs qui se sont présentés pour exercer leur droit électoral a été de 1854.
Ils ont été divisés en sept sections.
On a trouvé dans les urnes destinées à recevoir les suffrages :
Bulletins : 1,855.
Sept bulletins ont été annulés : 7.
Le nombre des votes valables a été de 1,848.
La majorité absolue est donc de 925.
M. Auguste Delfosse a obtenu 1,032 voix.
M Hanquet a obtenu 814 voix.
M. Delfosse ayant obtenu plus que la majorité absolue des suffrages, a été proclamé membre de la chambre des représentants.
Votre commission, messieurs, s’est assurée que les opérations électorales ont été régulières, qu’aucune réclamation contre ne s’est élevée ; en conséquence elle m’a chargé de vous proposer l’admission de M. Auguste Delfosse en qualité de membre de la chambre des représentants.
- Les conclusions de la commission sont adoptées ; en conséquence, M. Delfosse est proclamé membre de la chambre des représentants.
M. le président – Deux amendements ont été introduits dans ce budget : le premier sur la proposition de la section centrale, consiste à réduire de 50,000 francs à 30,000 francs le crédit relatif aux fêtes nationales.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ne chercherai pas à faire revenir la chambre sur son premier vote, parce que je prendrai les 10,000 francs nécessaires pour les courses de chevaux sur le chapitre de l’agriculture.
- L’amendement est définitivement adopté.
M. le président – Le second amendement qui a été introduit dans le projet consiste dans la suppression du crédit de 30,000 francs qui étaient destinés à la province de Brabant pour couvrir une partie de la dépense de la construction d’une caserne de gendarmerie.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, vous avez rejeté, lors du premier vote du budget, l’allocation de 30,000 francs proposée par le gouvernement, pour aider la province de Brabant à construire une caserne de gendarmerie. Vous me pardonnerez de venir appeler encore votre attention sur cette demande de subsides. Vous me le pardonnerez, j’espère, d’autant plus volontiers que je prends rarement la parole, et que je ne suis porté à en user que lorsque ma conscience de député semble m’obliger à vous signaler quelqu’intérêt froissé.
Vous avez cru devoir rejeter cette allocation, parce qu’il a semblé tout simple de laisser à la province une dépense que le paragraphe 21 de l’article 69 de la loi provinciale met à sa charge. Ce paragraphe est ainsi conçu :
« Le conseil provincial est tenu de porter à son budget : les frais de casernement de la gendarmerie. »
Toute la question consiste à savoir si ce paragraphe est applicable, et rigoureusement applicable dans cette circonstance. C’est ce que je vais me permettre d’examiner.
La loi charge la province des frais de casernement de la gendarmerie, cela est incontestable ; mais, quant à moi, j’entends que les frais que la loi met à charge de la province sont les frais du casernement des gendarmes nécessaires au service de la province ; or, le personnel de la gendarmerie, tel qu’il a été jusqu’à présent pour le Brabant, et proportionné au service des autres provinces, a suffi et le local qui sert jusqu’à présent est également suffisant.
Mais qu’est-il arrivé ? La position du chef-lieu de la province, qui est devenu le centre politique permanent du pays, a fait sentir la nécessité d’augmenter le personnel de la gendarmerie. Le gouvernement, le pouvoir central, a senti cette nécessité qui paraissait incontestable. L’autorité provinciale, au lieu de chercher à contester ce besoin, s’est mis à chercher les moyens de pourvoir à ces nouveaux besoins. Le conseil provincial a voté généreusement des sommes considérables ; le conseil municipal de Bruxelles, de son côté, a consenti à y contribuer, bien que la loi ne l’y obligeait pas rigoureusement. Maintenant la chambre se montrera-t-elle moins généreuse pour un service qui est tout d’intérêt général ? Maintiendra-t-elle son refus d’y contribuer pour la somme de 30,000 francs, peu considérable en comparaison des subsides votés par la province et par la commune ? j’ai trop de foi en votre justice pour que ma réclamation n’ait pas le résultat que j’en espère.
Mais supposons, à présent, que la province, moins bien disposée par votre vote défavorable, retire ses propositions et déclare que le service suffit à ses administrés, qu’en adviendra-t-il ? un préjudice incalculable à la sécurité publique, à la sécurité du pays tout entier. Qui d’entre nous voudrait se charger d’une responsabilité pareille ? Cependant, je le déclare, je croirais l’administration provinciale fondée à en agir ainsi, fondée à rejeter des dépenses, qui ne sont que d’un intérêt très secondaire pour la plupart de ses administrés, et cela est incontestable pour toutes les villes et commines du Brabant à l’exception de la capitale. J’aime donc à compter sur la justice de la chambre ; elle consentira à ce que l’Etat contribue à une dépense toute d’intérêt général, et que le paragraphe invoqué de la loi ne peut mettre rigoureusement à la charge de la province.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Dans la dernière séance, messieurs, j’ai soutenu la demande du crédit de 30,000 francs pour aider la province de Brabant dans la construction d’une caserne de gendarmerie. Je ne rentrerais pas dans les considérations que j’ai fait valoir alors, mais je dois déclarer que je ne puis admettre la doctrine qu’en cas de rejet du subside par la chambre, la province serait autorisée à refuser les fonds nécessaires pour pourvoir au logement de la gendarmerie ; nous devons protester contre cette doctrine, nous avons toujours soutenu que la dépense du casernement de la gendarmerie est obligatoire pour les provinces. Nous avons simplement fait valoir des considérations d’équité qui nous semblaient suffisantes pour engager la chambre à accorder le subside extraordinaire que nous demandions.
M. Dubus (aîné) – Je crois, messieurs, devoir répondre à un argument qu’on a fait valoir pour engager la chambre à revenir sur son vote. On a prétendu considérer, par exception, la dépense dont il s’agit comme étant ici d’intérêt général, parce que, a-t-on dit, la loi provinciale n’a eu en vue que le casernement des gendarmes nécessaires pour le service de la province ; mais, messieurs, les gendarmes ne font nulle part le service de la province, ils font le service dans la province. Or, il s’agit ici du casernement des gendarmes nécessaires au besoin du service dans la province du Brabant tout comme il s’agit ailleurs du casernement des gendarmes nécessaires au besoin du service dans telle ou telle autre province. Si l’on dit maintenant que le service est ici d’intérêt général, il faudrait en conclure précisément qu’il est partout d’intérêt général, et alors, messieurs, que faut-il faire ? Alors il faut revenir sur le vote émis en 1834, lorsque la question a été agitée, lorsque, dans l’intérêt de toutes les provinces, on avait soutenu que la dépense dont il s’agit devait être mise à la charge de l'Etat. La chambre a alors décidé le contraire et sa résolution est passée dans la loi provinciale. Eh bien, qu’on exécute cette loi, ou, si l’on veut y déroger, qu’on y déroge pour tout le monde, qu’on y déroge pour toutes les provinces, mais non pas pour une seule. Il me semble que cela est extrêmement simple. Si l’on juge qu’il convient que l’Etat intervienne dans ces dépenses, que l’on vote une disposition dans ce sens, mais que la disposition soit générale et non pas, je le répète, exceptionnelle ; qu’on n’établisse pas un privilège.
M. de Brouckere – Malgré ce que vient de dire l’honorable préopinant, je persiste à croire, messieurs, qu’il y a des raisons spéciales pour engager la chambre à voter le subside demandé pour la province de Brabant ; ces raisons, que nous avons fait valoir ne peuvent s’appliquer à aucune autre province. L’administration de la sûreté publique est établie à Bruxelles ; cette administration est bien plus dans l’intérêt général du pays que dans l’intérêt de la province de Brabant. Il est donc juste que le pays vienne en aide à la province alors qu’il s’agit de loger des gendarmes chargés du service général, en dehors du service de la province. Je crois, messieurs, que c’est là une raison déterminante, surtout lorsque vous considérez que la somme demandée est extrêmement minime en comparaison de ce que dépense la province. Il s’agit, en effet, pour la province, d’une dépense de 170,000 francs, tandis que l’on ne demande à l’Etat que 30,000 francs.
M. F. de Mérode – J’appuie les observations de l'honorable M. de Brouckere. Il me semble, messieurs, que la province de Brabant et surtout la ville de Bruxelles sont dans une position toute particulièrement, et que, lorsque la province fait un sacrifice aussi considérable que celui qui vient d’être indiqué, il ne faut pas compromettre un travail comme celui que l’on réclame par le refus d’une somme de 30,000 francs.
M. Dumortier – Je ferai remarquer à l’honorable comte de Mérode, que toutes les provinces pourraient invoquer leur position particulière, que toutes sont plus ou moins gênées dans leurs finances. Dans la loi provinciale qui nous régit, nous avons, après une longue discussion sur cette question, admis le principe que le casernement de la gendarmerie serait à la charge des provinces. Eh bien, messieurs, soyons conséquents avec nous-mêmes ; ne donnons pas l’exemple de la violation d’une loi que nous avons votée.
M. de Brouckere – Il n’est pas le moins du monde question de violer la loi ; dans beaucoup de cas, on a fait une chose absolument identique en venant au secours, soit de provinces, soit de villes, soit même d’établissements particuliers : pour cela, on n’a pas violé la loi. L’honorable M. Dumortier soutiendra-t-il, par exemple, que la loi ait été violée parce que la ville de Bruxelles, sans y être tenue en rien, a cédé gratuitement le terrain sur lequel la caserne doit être construite ? Eh bien, il n’y aura pas davantage violation de la loi si l’Etat, de son côté, intervient pour quelque chose dans la construction dont il s’agit.
M. Dumortier – Je ne prétendrai certainement pas que la loi ait été violée, parce que la ville de Bruxelles a donné le terrain nécessaire pour la construction de la caserne dont il s’agit, mais l’honorable membre ne prétendra pas non plus qu’il y ait eu violation de la loi lorsque le gouvernement a payé la compagnie des gardes de sûreté, qui devait être à la charge de la ville de Bruxelles. Je ferai remarquer que, lorsque la ville de Bruxelles a cédé le terrain nécessaire pour la caserne, elle n’a fait que donner en quelque sorte une compensation des frais que l’Etat a supportés pour elle en payant les grades de sûreté.
Qui qu’il en soit, messieurs, je crois qu’il faut rester dans les termes de la loi. L’honorable préopinant a beau dire que la province est ici dans une position spéciale ; au moyen de pareils arguments, on pourrait bouleverser tout le système de notre législation ; car chaque province qui demanderait un subside pourrait toujours dire qu’elle est dans une position spéciale. Ce que nous avons de mieux à faire, c’est de laisser à chacun la part qui lui incombe ; alors tout ira bien, tandis que, dans le cas contraire, il n’y aurait pas de raison qu’on ne mette pas successivement à la charge de l'Etat toutes les dépenses locales.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je dois dire, messieurs, que depuis 5 ou 6 ans le gouvernement ne paie plus les gardes de sûreté.
M. de Foere – Le gouvernement nous propose, messieurs, de déroger par voie de budget aux lois existantes. Je ne sais où nous conduirait ce système. Je soutiens qu’il est du devoir du gouvernement et de la chambre de se conformer aux lois établies. Il est extrêmement dangereux de poser de semblables antécédents. Ils conduisent à de nombreux abus qui, après, sont invoqués comme des exemples.
L’honorable député de Bruxelles a dit qu’il existait des raisons spéciales pour accorder le subside dont il s’agit à la province de Brabant ; mais dans la discussion qui a eu lieu lors du premier vote, on a prouvé que la province du Brabant et spécialement la ville de Bruxelles étaient compensées par des avantages que leur situation particulière leur offrait. Il est de principe que celui qui jouit des avantages d’une position doit aussi en supporter les désavantages.
Comme l’honorable M. Dubus l’a très bien fait remarquer, le service de la gendarmerie se fait partout dans l’intérêt de l’Etat ; les autres provinces sont sous ce rapport dans la même situation que celle du Brabant.
L’honorable député de Bruxelles a dit encore que déjà des exceptions sous ce rapport avaient été établies. Il a été encore prouvé, messieurs, que ces exceptions n’étaient pas identiques. Elles n’ont point été faites contre des lois existantes ; et quand bien même quelques-unes auraient été faites contrairement aux lois établies, il ne s’ensuivrait pas qu’il fallût le continuer. D’ailleurs on n’argumente pas d’abus. C’est un principe généralement reçu.
Si donc un abus a été commis, ce n’est pas un motif pour en commettre d’autres. Avec un pareil système on marche d’abus en abus.
M. Coghen – Je réclame, messieurs, le maintien du subside que le gouvernement a demandé pour aider la province dans la construction d’une caserne de gendarmerie. La ville de Bruxelles donne gratuitement 75,000 pieds de terrain, d’une valeur de 200,000 francs ; elle n’était nullement tenue de faire ce sacrifice, mais elle a voulu prouver sa bonne volonté, elle a voulu concourir, avec la province, à la construction de la caserne dont il s’agit, attendu que l’Etat promettait d’y concourir également.
Quant à la compagnie de sûreté, la ville de Bruxelles l’a prise à sa charge ; elle porte, de ce chef, à son budget, une somme de 70,000 francs, quoique cette dépense incombe çà l’Etat.
L’honorable M. de Foere dit qu’il ne faut pas déroger aux lois, que si l’on n’observait pas les lois on marcherait d’abus en abus. Je ne comprends pas le système de l'honorable membre ; nous sommes appelés ici à faire les lois, et quand nous y dérogeons, c’est que nous faisons une loi nouvelle, parce que nous jugeons que l’équité le réclame, qu’il est de notre devoir d’en agir ainsi.
Il est évident, messieurs, que la capitale a besoin d’une surveillance plus grande, d’une force armée plus grande que les autres localités, car c’est dans la capitale que toutes les passions viennent ordinairement se réunir et tâchent d’opérer des mouvements que nous avons tous intérêt à éviter.
J’appuie de toutes mes forces l’allocation demandée par le gouvernement.
M. Verhaegen – Je ne pense pas, messieurs, que nous dérogerions à une loi en accordant un subside pour l’établissement d’une nouvelle caserne de gendarmerie : J’appuie toutes les observations faites par l’honorable orateur qui a parlé le premier sur cet objet. D’après la loi, les frais de casernement de la gendarmerie sont à la charge des provinces, nous le reconnaissons ; mais il s’agit aujourd’hui d’augmenter de 26 le nombre des gendarmes qu’il y avait à Bruxelles, et il s’agit d’augmenter ce nombre en raison de circonstances spéciales dans lesquelles se trouve la province du Brabant et surtout la ville de Bruxelles qui est le siège du gouvernement, qui est, si je puis m’exprimer ainsi, le véritable théâtre de la politique. Maintenant, la province a voté une somme pour bâtir une caserne qui n’est nécessaire qu’en raison de l’augmentation extraordinaire du nombre d’hommes dont le gouvernement pense avoir besoin dans la province de Brabant ; l’honorable M. de Man a fait voir qu’il résulterait un grand inconvénient du refus du subside demandé par le gouvernement, parce que la province, à son tour, pourrait retirer les fonds qu’elle avait destinés à cette construction ; quoique M. le ministre de l'intérieur ait protesté contre cette opinion, il me semble que l’honorable membre avait raison ; le Brabant, comme les autres provinces, est obliger de subvenir aux frais de casernement, mais aux frais de casernement ordinaire. Alors qu’il plaît au gouvernement de faire des dépenses extraordinaires, en augmentant le nombre d’hommes, par suite de circonstances spéciales dans lesquelles le gouvernement se trouve, le Brabant pourrait dire : « J’ai une caserne, je ne suis pas obligé d’en faire une autre ; elle a suffi jusqu’à présent pour le service ordinaire ; le gouvernement demande autre chose ; à raison de circonstances spéciales, il fait en sorte que cette caserne ne soit pas assez grande. Si le gouvernement qui sent ce besoin, ne contribue pas dans les nouvelles constructions à faire, la province de son côté n’y contribuera pas non plus. » C’est ainsi que l’honorable M. de Man a raisonné, et cela me paraît assez logique.
Il y a une autre observation à faire. C’est que chaque fois qu’il s’agit d’accorder quelque chose au Brabant ou à la ville de Bruxelles, on se récrie : chaque fois qu’il s’agit de la capitale, on fait de l'opposition : on ne veut pas de capitale, mais quand il s’agit de charges, on les fait peser sur la capitale. Ainsi, dans l’espèce, alors que le gouvernement croit avoir besoin d’un plus grand nombre de gendarmes, à raison de la position spéciale de Bruxelles et du Brabant, tout est bien ; il faut augmenter le personnel de la gendarmerie ; mais quand il s’agit de subvenir à une partie de la dépense, il n’y a plus rien.
J’espère que la chambre appréciera les circonstances extraordinaires dans lesquelles le Brabant se trouve, et qu’elle accordera le crédit ; je le répète, elle ne dérogera nullement par là à une loi antérieure.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, je demande la parole pour persister dans la protestation que j’ai faite, qu’au gouvernement appartient le droit de fixer le nombre des gendarmes, qu’il considère comme nécessaire pour le maintien de la sûreté publique, et qu’il lui appartient aussi de fixer la résidence de la gendarmerie. Ce sont des principes que nous avons constamment soutenus, et dans lesquels nous devons persister parce que ce sont des principes conservateurs de l’ordre public ; mais tout en insistant sur ces principes, cela n’empêche pas que nous n’appuyions, comme nous avons déjà appuyé, la demande d’un subside extraordinaire pour la dépense dont il s’agit.
- La suppression du crédit de 30,000 francs est mise aux voix ; après une double épreuve, elle est définitivement adoptée.
M. le président – Voici les deux articles du projet de loi.
« Art. 1er. Le budget du département de l’intérieur pour l’exercice 1840 est fixé à la somme de 8,513,496 francs 20 centimes , conformément au tableau annexé à la présent loi. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa promulgation. »
Ces deux articles sont successivement adoptés.
En voici le résultat :
73 membres y prennent part.
63 répondent oui ;
9 répondent non.
1 membre (M. Lys) s’abstient.
En conséquence, le budget de l'intérieur pour 1840 est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Berger, Brabant, Coghen, Coppieters, de Behr, de Brouckere, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, Demonceau, de Nef, de Puydt, de Renesse, de Roo, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dolez, Donny, Dubus (aîné), B. Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Hye-Hoys, Jadot, Lange, Liedts, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Pirmez, Pirson, Polfvliet, Raikem, Raymaeckers, A. Rodenbach, Scheyven, Sigart, Simons, Smits, Thienpont, Ullens, Van Cutsem, Vandenhove, Vanderbelen, Van Volxem, Ch. Vilain XIIII, Willmar, Zoude, Cogels.
Ont répondu non : MM. de Foere, de Langhe, Delehaye, Doignon, Dumortier, Manilius, Puissant, Verhaegen et Dedecker.
M. Dubus (aîné) – Messieurs, une loi qui est attendue par le pays avec impatience est la loi sur les chemins vicinaux. J’ai eu dernièrement occasion d’appeler l’attention de la chambre sur ce point. Beaucoup de membres se rappelleront dans quelles circonstances la discussion de cette loi a été interrompue ; on en avait voté une partie, et on avait renvoyé divers amendements à la section centrale, lorsqu’un membre a fait observer que dans l’état de préoccupation politique du moment, la chambre ne pouvait donner à cette loi importante toute l’attention qu’elle méritait ; on en a proposé alors l’ajournement qui a été adopté.
Maintenant, il me semble que la chambre doit reprendre cette discussion. Dans la matinée d’hier, on a distribué à ceux des membres qui ne faisaient pas partie de la chambre la réimpression des différentes pièces relatives à ce projet, et on y ajouté pour tout le monde un tableau des amendements qui ont été introduits par la chambre dans les articles qu’elle a déjà discutés et votés.
Je désirerais donc que la chambre fût consultée sur le point de savoir s’il ne conviendrait pas de mettre la loi dont il s’agit à l’ordre du jour après les objets qui y sont déjà actuellement.
M. le président – Je me proposais d’appeler l’attention de la chambre sur les projets de loi qui pourraient être mis à l’ordre du jour. Indépendamment des projets de loi qui y sont déjà, voici les objets dont la chambre me paraît pouvoir s’occuper immédiatement. Vient en premier lieu la loi sur les bois étrangers, cette loi probablement ne prendra pas beaucoup de temps ; vient ensuite la proposition concernant les notaires de Neufchâteau ; d’après le rapport qui a été fait sur cette proposition, il ne s’agirait que de statuer sur la demande d’ajournement. Nous avons en troisième lieu la loi sur les chemins vicinaux, puis le projet de loi sur le duel qui nous a été renvoyé par le sénat, ensuite le projet de loi sur la compétence civile, et enfin les traités de commerce avec la France et la Porte ottomane.
M. Cogels – Messieurs, dans la séance du 18 janvier dernier, l’honorable M. Rogier a proposé de mettre à l’ordre du jour la question des indemnités, qui, je crois, a tous les titres qui réclament la priorité. D’abord, c’est le projet de loi le plus ancien, il a été proposé en 1833, et la commission a fait son rapport au mois de février 1836 ; depuis lors, la discussion en a toujours été suspendue. L’honorable M. Rogier vous a démontré alors toute l’urgence de ce projet, vous a fait voir tout l’intérêt qu’il y avait à arriver enfin à une solution.
Vous avez cru cependant devoir en voter l’ajournement, parce que la section centrale n’était plus complète et que le rapporteur ne faisait plus partie de la chambre. On a résolu que la section centrale serait complétée, qu’un nouveau rapporteur serait nommé et que les documents concernant cet objet seraient distribués aux membres qui ne faisaient pas partie de la chambre lorsque le projet de loi lui a été soumis. Maintenant que toutes les formalités ont été remplies, que les documents ont été distribués, que la section centrale a été complétée, le rapport a été nommé. C’est l’honorable M. F. de Mérode, qui a dit ne pas devoir faire de nouveau rapport, rien ne s’oppose à ce qu’on aborde la discussion d’un objet d’un aussi haut intérêt. Je demande qu’on fixe la discussion après le vote du budget de la guerre.
M. de Puydt – Puisqu’on est occupé à discuter la fixation de l'ordre du jour, je rappellerai à l’attention de la chambre la proposition de M. Corbisier relative aux légionnaires. Cette proposition date de huit ans, le rapport est fait ; le moment est venu de le discuter. La chambre se rappellera que l’année dernière, au moment où l’on croyait que l’on allait entrer en guerre, on a fait réimprimer toutes les pièces relatives à cette proposition, avec l’intention de la mettre en discussion. Qu’il ne soit pas dit qu’on ne se souvient des anciens militaires que quand on croit avoir besoin des services des nouveaux. C’est pour cela que je demande que cette discussion soit mise à l’ordre du jour après le budget de la guerre.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Après la loi sur les indemnités.
M. de Puydt – Oui ; j’y consens.
M. Dubus (aîné) – Je crois devoir insister d’autant plus sur la proposition que j’ai faite, que la chambre a en quelque sorte décidé la question l’an dernier. Elle a décidé que ce qu’il y avait de plus urgent, c’était de s’occuper de l’importante loi des chemins vicinaux ; elle en a commencé la discussion, malgré les circonstances dans lesquelles nous nous trouvions, et l’ajourna ensuite à cause de ces circonstances. Maintenant que ces circonstances ont cessé, nous devons lever l’ajournement et reprendre la discussion.
M. de Brouckere – Je suis loin de méconnaître l’importance de la loi concernant les chemins vicinaux ; mais celle dont vient de parler M. Cogels a plus d’importance encore : elle présent un caractère spécial d’urgence que n’a pas l’autre. J’appuie en conséquence la proposition de M. Cogels de mettre à l’ordre du jour la loi sur les indemnités. Au surplus, la chambre peut mettre l’un et l’autre projet à l’ordre du jour, sauf à décider plus tard auquel des deux elle donnera la priorité.
M. le président – M. Cogels a demandé que le projet de loi sur les indemnités fût mis à l’ordre du jour après le budget de la guerre. Comme il se passera deux ou trois semaines avant la discussion de ce budget, il y a lieu de régler l’ordre du jour pendant cet intervalle.
M. de Brouckere – Je modifie la proposition de M. Cogels en ce sens que le projet de loi sur les indemnités soit mis à l’ordre du jour dès aujourd’hui.
M. le ministre de l'intérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – M’en tenant à la proposition de M. Cogels, j’aurais insisté pour qu’on mît immédiatement en discussion le projet de loi sur les chemins vicinaux, prévoyant qu’il pourrait être voté avant le budget de la guerre. Il serait convenable, comme il est probable que les lois qui sont à l’ordre du jour ne nous tiendront pas longtemps, qu’on sût pas quoi on commencera quand on les aura votées.
M. de Brouckere – Je consens à ce que la chambre commence par la loi sur les chemins vicinaux, si seulement on veut décider qu’on mettra à l’ordre du jour la loi sur les indemnités.
- La proposition de M. Dubus est mis aux voix et adoptée.
En conséquence, le projet de loi concernant les chemins vicinaux est mis à l’ordre du jour après les objets qui y sont déjà, sans prélude de la discussion du budget de la guerre si elle pouvait avoir lieu.
La loi sur les indemnités est également mise à l’ordre du jour.
M. d’Huart – Je ne viens pas proposer de mettre immédiatement d’autres objets à l’ordre du jour ; avec ceux qu’on vient d’y porter nous avons de quoi employer plusieurs semaines ; mais je demande que les rapports sur les circonscriptions cantonales, comme on l’a fait pour le projet de loi concernant les chemins vicinaux soient réimprimés et distribués aux différents membres qui ne faisaient pas partie de la chambre quand ces rapports lui ont été soumis.
C’est un objet très urgent que cette loi de la circonscription judiciaire, et qu’il serait d’autant plus désirable de pouvoir discuter dans la session actuelle, que plusieurs projets importants qui en sont la conséquence ne peuvent être mis en délibération avant que celui-là ne soit voté. Au nombre de ces projets est la révision de la loi sur le notariat, révision extrêmement urgente, si l’on considère que bien des localités souffrent de l'état de choses actuel. Je pourrais citer tels cantons où le nombre des notaires est évidemment insuffisant pour les besoins du public, et pour lesquels le ministre de la justice se trouve en quelque sorte arrêté dans la nomination de nouveaux notaires, parce que l’ancienne loi française, en déterminant un nombre de notaires relativement à la population, a fait surgir des doutes sur la légalités de nouvelles nominations.
Cet état d’incertitude, nuisible au public, doit être modifié par une loi qui a été présentée par le gouvernement dès 1834. je voudrais donc qu’on pût aborder la loi des circonscriptions cantonales, pour arriver de suite, par une sorte de conséquence, à celle du notariat. Et si l’état de choses actuel devait durer encore au-delà de la présente session, je n’hésiterais pas à engager M. le ministre de la justice à compléter le nombre des notaires là où il le reconnaîtrait insuffisant, sans attendre plus longtemps que cette insuffisance soit reconnue par le vote même de la loi présentée ; en agissant ainsi, il ne ferait, du reste, que ce qu’a fait un de ses prédécesseurs, qui a tranché le doute au profit du public.
Pour le moment, je demande la réimpression des rapports sur les circonscriptions cantonales, afin que les nouveaux membres de la chambre puissent en recevoir un exemplaire, et se préparer à la discussion que je me réserve de provoquer ultérieurement.
M. le président – Plusieurs fois on a demandé que la loi sur les circonscriptions cantonales fût mise à l’ordre du jour, mais on ne l’a pas fait, parce qu’on devait d’abord s’occuper de la loi sur la compétence civile qui doit exercer une grande influence sur la circonscription des cantons. Si on imprimait maintenant les pièces relatives à la loi de circonscriptions cantonales, il faudrait les réimprimer plus tard ; d’ailleurs, les rapports devront être renvoyés à la commission qui aura besoin de revoir son travail après le vote de la loi sur la compétence civile, pour le mettre en rapport avec cette loi.
M. d’Huart – Je demande que la loi sur la compétence civile soit mise à l’ordre du jour, afin que tout le monde soi à même d’aborder cette loi quand tous es objets qui sont à l’ordre du jour seront épuisés.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – La loi relative à la compétence civile doit être votée avant qu’on n’aborde celle concernant la circonscription cantonale. Je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’on mette ce projet de loi à l’ordre du jour quand la chambre le jugera convenable. Mais je ferai observer qu’au nombre des projets de loi rappelés, se trouve celui relatif au duel, je crois que le rapport sur cette loi est plus ancien que celui sur la compétence. Il me semble qu’on pourrait s’occuper de ce projet et mettre à l’ordre du jour celui relatif à la compétence civile après la loi sur le duel.
Une observation a été faite sur l’insuffisance du nombre des notaires dans certaines localités. Une loi du 25 ventôse an XI fixe le nombre des notaires dans les cantons. Et il est vrai que certains cantons ont subi des modifications desquelles est résultée l’augmentation du nombre des notaires, parce que les cantons ont été augmentés depuis la loi du 25 ventôse an XI. Là se présente la question de savoir si dans ces cantons, où il s’est trouvé un plus grand nombre de notaires, par suite de l’étendue de leur ressort, on doit les restreindre à celui fixé par la loi du 25 ventôse, soit d’après la population soit d’après la circonscription cantonale. Quant à moi, je pense que, dès qu’on ne fait que remplacer des notaires préexistants, qui ont eu leur résidence fixée ensuite de cette loi et qui avaient cette résidence dans telle localité qui a changé de cantons, il n’y a pas de motif pour ne pas pourvoir à ce remplacement, car c’est toujours suivre l’esprit de la loi du 25 ventôse an XI.
Quant à d’autres localités le nombre de notaires a été dépassé. C’est un état préexistant, ; mais ce point mérite un examen plus spécial que celui que je viens de mentionner. Je pourrai examiner la question à l’égard de ce dernier cas, mais si on ne peut pas venir à la discussion d’un nouveau projet sur le notariat, dont on a également demandé la mise à l’ordre du jour, je crois que je pourrai pourvoir au remplacement de ceux qui sont dans la première des catégories dont je me suis occupé. Je crois pouvoir borner là mes observations sur les difficultés soulevées par l’honorable membre.
M. de Brouckere – L’honorable ministre de la justice vient de traiter plusieurs questions, et il en a tranché une qui mérite un examen plus approfondi que celui auquel il s’est livré. Selon le ministre, il y a aujourd’hui plus de notaires que ne le permet la loi du 25 ventôse, et il croit pouvoir perpétuer cet état de choses. C’est une question des plus graves, et c’est parce que je n’entends pas adhérer à cette opinion que j’ai pris la parole ; cependant je ne veux pas la combattre non plus, la question n’étant pas à l’ordre du jour. Le silence de la chambre pouvant être pris pour un assentiment, je tenais à dire que je ne donnais pas le mien.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – J’ai fait une distinction à l’égard des cantons qui avaient reçu une augmentation d’étendue de ressort, et où, par suite de cette étendue de ressort, le nombre des notaires était augmenté par canton, dans qu’il y ait, en réalité, augmentation du nombre des notaires existants ; à cet égard, on a suivi un ordre de choses préexistant, établi en vertu de la loi du 25 ventôse an XI. J’ai dit qu’à l’égard de ces notaires, on pourrait suivre l’état de choses préexistant et continuer à exécuter la loi dans le sens que j’ai indiqué. Mais, d’un autre côté, j’ai dit qu’il y avait lieu à un examen plus approfondi à l’égard des localités, où il n’a été introduit aucun changement dans l’étendue du ressort. Cependant le gouvernement, sans augmenter le nombre des notaires, a pu continuer à suivre l’état de choses établi depuis lors, et à faire les nominations au fut et à mesure des vacatures.
M. de Brouckere – J’avais très bien compris la distinction que vient de répéter M. le ministre de la justice. Mais, selon moi, la première question qu’il tranche mérite un examen aussi approfondi que la seconde. Sur cette première question, je déclare que je ne puis adhérer à son opinion.
M. F. de Mérode – Il est cependant nécessaire qu’on pourvoie aux services publics. Si M. le ministre de la justice trouve un moyen de mettre le nombre des notaires au niveau des besoins, il doit en faire usage. On parle sans cesse de lois dans cette enceinte, mais ces lois ne peuvent être faites à la fois, et je suis persuadé que nous ne pourrons, dans cette session, nous occuper de la loi relative aux notaires.
Je n’ai qu’un mot à ajouter relativement à une petite loi que j’ai présentée, d’accord avec mon honorable collègue, M. d’Hoffschmidt. Cette proposition est urgente et n’est pas de nature à entraîner de longues discussions. Je demanderai que M. le président la fasse examiner dans les sections et qu’au premier moment libre elle soit discutée dans la chambre.
- M. le président invite MM. les présidents des sections à les convoquer pour qu’elles s’occupent du projet indiqué par M. F. de Mérode.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – J’ai exposé quel est mon système, en présentant une distinction ; et en énonçant mon avis à la chambre, je l’ai fondé sur ce qu’en maintenant ce qui a existé en vertu de la loi du 25 ventôse an XI, on ne fera que continuer l’exécution de cette loi.
Si l’on admettait le doute élevé par l’honorable député de Bruxelles, il s’ensuivrait que, dans certaines villes, on ne pourrait nommer qu’un nombre de notaires très restreint. Dans certaines villes, on a réuni plusieurs justices de paix, on a investi un juge de paix du droit de connaître des affaires de deux cantons. On devrait donc restreindre le nombre des notaires et le réduire de moitié. Ainsi, l’on diminuerait encore le nombre de notaires si l’on n’exécute pas la loi du 25 ventôse dans le sens et de la manière que j’ai indiquée. Et c’est de cette manière que je continuerai d’exécuter la loi.
Je ne crois pas qu’on doive s’arrêter à un simple doute émis dans cette chambre. Vous concevez aisément que s’il en était ainsi, si sur un doute de cette nature un ministre ne pouvait agir, il serait impossible d’exécuter la loi et de marcher dans l’administration.
M. de Brouckere – Jamais il ne m’est entré dans la tête d’empêcher M. le ministre de marcher. Qu’il marche, personne ne l’en empêche. J’ai seulement dit qu’il avait tranché légèrement une question qui devait être examinée, et tant que je ne l’aurai pas examinée, je ne pouvais adhérer à la solution qu’il en avait donnée. Du reste, qu’il marche. Ma conclusion tend simplement à ce qu’on mette en discussion le projet de loi relatif aux notaires que l’on chercher toujours à ajourner, et que l’on devrait discuter immédiatement.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – L’honorable préopinant dit que j’ai décidé la question trop légèrement ; je puis dire à cet égard que même avant mon entrée au ministère, j’avais fait une étude approfondie de cette question. Je n’ai fait qu’indiquer sommairement à la chambre le résultat de l'étude que j’ai faire et l’opinion qui en est résultée. J’espère que le préopinant me permettra d’avoir une opinion aussi bien que lui.
M. de Brouckere – Je n’ai pas d’opinion à cet égard, je n’ai émis qu’un doute.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) – Mais alors pourquoi le préopinant a-t-il avancé que j’avais tranché la question bien légèrement, si ce n’est parce que je n’ai pas énoncé très longuement mon opinion ? Je ne sais pas si la légèreté d’une opinion dépend de la brièveté de ses motifs et si la profondeur d’une opinion dépend de la longueur du discours dans lequel on la développe.
Quant à moi je suis persuadé que, dans l’opinion que j’ai émise, la chambre n’aura vu ni de la légèreté ni un ton tranchant qui n’a jamais été dans mes habitudes.
M. le président – Par suite de la proposition de M. de Puydt, la chambre a maintenant à décider quel rang elle veut donner dans son ordre du jour au projet de loi relatif aux légionnaires.
M. Dubus (aîné) – J’insiste pour qu’après les objets à l’ordre du jour la chambre mette les lois sur la compétence civile et sur le duel.
M. le président – Cela est réglé.
M. Dubus (aîné) – Je ferai remarquer que la première de ces lois est la plus urgente, car d’elle dépendent d’autres lois. Il faut que cette loi soit faite pour que l’on s’occupe de la circonscription cantonale ; il faut que la circonscription cantonale soit réglée pour qu’en exécution de la loi sur l’organisation judiciaire, on puisse donner l’institution royale et l’inamovibilité aux juges de paix, car, dans l’état présent, nous manquons encore de la garantie constitutionnelle.
M. de Puydt – Je demanderai simplement que le projet de loi relatif aux légionnaires soit mis à l’ordre du jour, la chambre fixera ultérieurement l’ordre de la discussion.
M. Demonceau – Je demande que le bureau fasse distribuer aux nouveaux membres de la chambre les rapports relatifs à la compétence civile et au duel.
M. le président – J’ai demandé que la chambre fixât son ordre du jour afin que le bureau pût faire compléter les impressions de la chambre si elles ne sont pas en nombre suffisant pour être distribuées aux nouveaux membres.
- La proposition de M. de Puydt est mise aux voix et adoptée ; en conséquence le projet de loi relatif aux légionnaires est mis à l’ordre du jour.
M. le président – La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet de loi. La parole est à M. Donny.
M. Donny – Le but de la loi est excellent ; ce but est triple : on veut favoriser le commerce des céréales ; on veut favoriser en même temps la fabrication de la farine ; on veut enfin donner plus de développement à nos relations avec les contrées tropicales, plus de facilités à l’exportation de nos produits ; en d’autres termes, on veut donner plus d’activité au commerce direct. Ce dernier but est, à mes yeux, le plus important de ceux auxquels la loi veut atteindre, c’est le seul dont je vais vous entretenir.
Quand on fait tant que de proposer une mesure législative pour établir un commerce direct entre la Belgique et les contrées tropicales, on doit tout naturellement vouloir aussi que la marine nationale puisse prendre sa part de ce commerce. Voyons si la loi, telle que nous allons la voter, peut produire un semblable résultat.
Pour qu’il en soit ainsi, il faut nécessairement deux choses : il faut que la marine belge puisse exporter avec avantage les produits du pays ; il faut ensuite qu’elle puisse importer avec bénéfice les produits des tropiques dans nos ports. Si l’une et l’autre de ces conditions manque, il est impossible de lutter contre la marine étrangère, parce que celle-ci jouit du double avantage des importations et des exportations.
La loi qui nous est soumise tend à remplir la première de ces conditions, l’exportation de nos produit ; mais comment emploiera-t-on la deuxième condition, l’importation,, avec bénéfice, des tropiques dans nos ports ?
Le sucre de la Havane serait extrêmement propre à cet effet ; mais il paraît qu’il n’y faut pas songer, car l’on m’a donné l’assurance que nos navires sont repoussés, pour ainsi dire, de cette colonie espagnole, par de forts droits différentiels.
Le sucre du Brésil présente moins d’avantages pour l’importation que le sucre de la Havane. Cependant, si l’état actuel de choses s’était maintenu, on pourrait espérer de former, partiellement du moins, une cargaison de retour avec ce sucre, mais cet état de choses ne semble pas devoir être maintenu. En effet dans son traité avec la France, le gouvernement a sacrifié les droits différentiels qui protègent aujourd’hui les navires belges, quant à l’importation des sucres.
Le café serait encore un article extrêmement utile, pour former les cargaisons de retour de notre marine, si l’importation de ce café, sous le pavillon belge, était protégée par des droits différentiels, ; mais comme il n’en est pas ainsi, il est à croire qu’après le vote de la loi comme avant, Rotterdam continuera à nous expédier du café, qu’avec l’existence d’un droit différentiel nous irions nous-mêmes chercher au Brésil.
Je crains donc, messieurs, que la loi ne produira pas, pour notre navigation nationale, les bons effets qu’elle aurait pu produire avec un autre système. Malgré cela, je voterai en faveur du projet.
M. Van Cutsem – Messieurs, je ne puis donner mon assentiment au projet de loi que le gouvernement nous présente pour obtenir la libre exportation des farines provenant de grains étrangers, parce que, de la manière dont il est conçu, il ma paraît de nature à nuire aux intérêts généraux de l’agriculture et aux intérêts particuliers des meuniers et des fabricants de farine de la Belgique, parce que le projet de loi n’a pas pris des bases qui, tout en rendant la fraude impossible, eussent encore, été justes et équitables, et enfin parce que j’ai la conviction que ce projet, si vous le convertissez en loi, ne procurera pas à notre commerce maritime les avantages qu’il en attend.
Le projet de loi rend la fraude facile, ai-je dit, en même temps qu’il n’est ni juste ni équitable ; en effet, il n’y est pas dit quelle espèce de grains on prendra en entrepôt pour faire, de la farine blutée pour l’exportation, et cette énonciation était indispensable. Et vous le comprendrez facilement comme moi, messieurs, quand vous saurez que les blés d’Italie, de Naples, des Deux-Siciles, de la Sardaigne, de l’Espagne et les blés durs venant de la mer Noire, de l’Egypte et des autres échelles du Levant, peuvent rendre 90 kilogrammes de farine, tandis que les blés tendres de la Hollande, du Danemark, de la Russie, de la Pologne et autres lieux de provenances ne rendent que 68 à 69 kilogrammes.
D’après ceci, il me paraît évident, messieurs, que le gouvernement, avant de présenter son projet de loi, aurait dû faire fier par une commission d’hommes expérimentés dans la matière des grains le rendement des différents grains, pour classer dans son projet de loi ces mêmes rendements à peu près de la manière suivante : 1° rendement de la mouture de grains tendres non étuvés ; 2° de la mouture de grains étuvés ; 3° de la mouture des grains durs de leur essence ; 4° de la mouture des grains non étuvés, mais dont les farines sont étuvées.
Si le projet de loi déterminait ces différentes catégories de grains, il serait peut-être possible d’empêcher la fraude tout en étant juste et équitable ; si au contraire on néglige d’introduire dans la loi la distinction que je voudrais y voir, le commerce des grains et de farines de la Belgique sera toujours exposé à voir refluer sur les marchés intérieurs une masse de grains étrangers qui n’auraient pas acquitté ces droits, et qui ne peut être consommés en Belgique qu’en violation des lois sur les céréales ; si on ne range pas les grains étrangers en différentes catégories, on livrera à la consommation des farines de basse qualité, qui auront été remplacés dans l’exportation par des farines supérieures, provenant de grains indigènes ; cette substitution est fâcheuse parce qu’elle provoque des alarmes qui jettent une perturbation morale parmi les agriculteurs, et enfin parce qu’elle facilite la violation d’un autre loi, celle qui défend l’exportation des grains indigènes dans des circonstances données. La faculté qu’on laisse à l’entrepositaire de conserver le son dans le pays en acquittant seulement le quart du droit auquel est soumis le grain est une erreur et laisse un moyen de fraude sûr et facile pour écouler dans le pays les excédants de farine qui s’y introduiront sus la dénomination de son.
Le pays sera encombré de son, parce que cet objet est de trop peu de valeur pour supporter des frais de transport ; on encombrera le pays de résidus, qui, après avoir payé les droits, seront encore à plus bas prix que les résidus indigènes, puisqu’ils seront le produit de blé de moindre prix que les nôtres, et les fermiers belges, déjà encombrés de résidus dont ils ne savent que faire, seront forcés de fermer leurs usines.
D’après la loi céréale, du 31 juillet 1834, le son paye 15 francs les 100 kilogrammes à l’entrée ; c’est un droit protecteur ; d’après le projet de loi sur la mouture des grains exotiques, le son ne payera qu’un franc par 100 kilogrammes de droit d’importation, c’est là un droit non protecteur qui anéantit l’avantage que nos fermiers retireront du premier.
Pour rétablir l’équilibre, il faudrait que le droit sur le son provenant de la mouture de blés en entrepôt fût porté de 1 franc 75 à 2 francs les 100 kilogrammes, au lieu d’un franc ; de cette manière on protégerait peut-être une nouvelle branche d’industrie, et à coup sûr on ne nuirait pas à une industrie déjà établie.
Le projet de loi aurait dû encore, pour empêcher le mélange de matières hétérogènes ou de farines provenant d’autres grains à celles déclarées à l’exportation, dire que les grains à exporter devaient être conformes à des échantillons à déposer à l’entrepôt, échantillons qui seraient comparés aux farines à exporter par des experts entendus.
Vous voyez, messieurs, que le projet de loi tel qu’il vous est proposé nuira à nos industries, à notre agriculture, et qu’il ouvre une large porté à la fraude ; il me reste à présent à vous démontrer encore qu’il ne sera pas même utile au commerce maritime, car il est bien évident que si ce commerce réclame les exportations de nos fabricats et de nos produits, il ne demande que les exportations qui peuvent lui donner du bénéfice ; pour les autres, il n’en a que faire.
Ce transport de farines ne sera pas utile à notre commerce maritime, parce qu’il est impossible que notre commerce d’Anvers lutte pour l’exportation de ces produits avec l’Amérique du nord, qui connaît toujours avant nous, et qui peut fournir avant nous aux besoins des colonies qui consomment les farines que nous voulons y importer. S’il en est ainsi, il est évident que nous ne vendrons nos produits qu’avec perte dans les pays d’outre-mer, et qu’il ne nous restera plus que l’approvisionnement de l’Espagne et du Portugal, en concurrence avec l’Angleterre, lorsque ces pays manqueront de grains.
Que l’industrie pour laquelle on vous propose une loi s’organise en Belgique, lorsqu’elle aura fait des pertes sur ses exportations d’Amérique, et qu’elle n’aura plus qu’à approvisionner l’Espagne et le Portugal, elle fera des efforts pour prolonger son existence, et elle ne vivra alors qu’en exportant ou en important des grains en Belgique ou hors de Belgique d’après les mercuriales.
Le gouvernement, en autorisant l’établissement des sociétés anonymes, pour exercer l’industrie à la mouture des grains, a fait une grande faute d’après moi, il a cru, parce que l’Angleterre a de pareils établissements, que la Belgique pouvait en avoir aussi, sans songer que l’Angleterre peut faire ce commerce avec fruit parce qu’elle ferme ses colonies aux autres nations pour les approvisionner exclusivement, que nous n’avons pas de colonies et partant que nous ne pouvons trouver des avantages là où l’Angleterre en rencontre.
La faute est faite ; on veut l’atténuer, en vous proposant une loi qui soutiendra pendant quelque temps des établissements qui ne peuvent échapper à une ruine certaine pour les motifs que je viens d’énoncer, pour moi, je crois ne pas pouvoir prêter mon concours à une pareille loi, parce que, à la perte déjà faite par les actionnaires, je donnerais des moyens de l’augmenter encore à l’avenir et de la faire partager par une partie du commerce ; c’est ce que je veux éviter et c’est pour ce motif que je voterai contre la loi.
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, la loi qui vous est préposée ne viendrait-elle pas paralyser les effets bienveillants de la loi sur les céréales du 31 juillet 1834 ?
C’est ce que nous avons à examiner.
Dans mon opinion comme dans celle de presque toutes les commissions d’agriculture, et de plusieurs chambres de commerce du royaume, si la loi est adoptée telle qu’elle nous est soumise, c’est le retrait de la loi de 1834, qui a été conçue et provoquée autant dans l’intérêt du consommateur que dans celui du producteur, je dirai plus, dont les effets ont pour résultat d’être toujours à l’avantage de l’industrie, du commerce et du trésor, tandis qu’elle n’est avantageuse à l’agriculture que lorsque les céréales sont à bas prix.
Je m’abstiendrai, pour le moment, de vous démontrer l’exactitude ce que j’avance ici ; chacun de vous sait que, quand les agriculteurs sont dans un état d’aisance, ils consomment les produits de l’industrie, et que, lorsqu’ils sont dans la gêne, ils ne consomment presque rien. Alors, il en résulte gêne dans l’industrie qui fabrique pour la consommation intérieure, ainsi qu’au commerce ; la Belgique étant un pays agricole, la moitié de la nation est intéressée, tant directement qu’indirectement, à l’agriculture, et lorsque les céréales sont à vil prix, la moitié de la nation est forcée à ne pouvoir consommer qu’une bien faible portion des produits de l’industrie ; ce qui est nuisible aux industriels et aux commerçants.
La loi du 31 juillet 1834 n’est pas sans quelques inconvénients et ce n’est pas mon fait. Je crois que ce qui gêne le commerce, c’est la prohibition qui y fut introduite contre le gré de son auteur.
Une échelle graduée comme la loi française l’établit aurait été plus favorable au commerce et à l’industrie.
Si, comme je le crois, la moitié de la nation est intéressée à la prospérité de l'agriculture, elle doit mériter, et elle a droit à notre sollicitude. Un devoir nous est imposé et nous le remplirons ; nous examinerons attentivement si, en favorisant une industrie qui cherche à s’implanter en Belgique, nous ne nuisons pas à l’agriculture, source de toute prospérité de notre pays, en un mot comme en cent, si nous ne nuisons pas aux trois quarts de la population pour favoriser tout au plus le quatrième quart, résultat qui doit être le fruit de la loi sur les farines d’après l’opinion des commissions d’agriculture et de plusieurs chambres de commerce du royaume, comme on peut le voir dans leurs rapports mis à notre disposition. Si je devais vous donner la preuve de ce que j’avance ici, je devrais employer un temps trop long et qui excéderait les bornes d’un discours ; je me bornerai à vous faire remarquer que le salaire du cultivateur comme celui de l’ouvrier d’agriculture (là où il est payé en nature) est proportionné au prix des grains.
Je vous ferai aussi remarquer que le prix assez élevé des céréales est le résultat d’un déficit dans les récoltes de 1837, 1838 et 1839, et que les cultivateurs auraient eu plus de produits en obtenant une récolte ordinaire et en vendant ses grains, taux moyen à 15 francs, qu’en les vendant à 20 francs, aussi taux moyen, en ne récoltant que 2 tiers de récolte, comme cela a eu lieu presque généralement en Belgique en 1838 et 1839.
Si, dans l’intérêt de la cause que je défends, il est nécessaire de vous démontrer par des chiffres ce que je viens de vous avancer, je le ferai.
Messieurs, la question qui nous est soumise mérite, selon moi, toute notre attention ; plus on l’étudie et plus on en reconnaît les dangers, tant pour le pays que dans l’intérêt des industriels, qui se proposent de se livrer à cette industrie. A la vérité, la loi qui nous est proposée n’est qu’une loi d’essai, puisqu’elle doit n’avoir vie que pour un an, si elle n’est pas prorogée par la législature.
Ne perdons pas de vue, messieurs, que la Russie, la Pologne, le Danemark, se trouvent dans une position bien plus favorable que la Belgique pour entreprendre ce genre de négoce.
Dans ces localités, l’hectolitre de froment ne revient pas à neuf francs, tandis qu’en Belgique il revient au producteur à plus de treize francs, pouvant se procurer le grain à meilleur compte que nos industriels en farine ; il en résultera que nous ne pourrons soutenir la concurrence avec ces nations, et vous savez sans doute aussi bien que moi que la Russie favorise par des primes l’exportation des farines de froment, et ces froments ils les ont chez eux tandis que nous, pour la plus grande partie du temps, nous devons les faire chercher à l’étranger au moins pour la plus grande partie.
Je viens de dire qu’en Russie ce genre d’industrie y est établi.
Voici ce qui en démontre la preuve :
On mande de Saint-Pétersbourg le 3 octobre 1839.
Le ministre des finances publie une ordonnance par laquelle S.M. l’empereur accorde pendant un espace de 7 ans, non seulement l’exportation libre d’impôt de la farine de froment et du biscuit de la farine de froment ; mais encore une prime d’exportation sur ces articles, qui sera, pour les 4 premières années, de 30 copecks d’argent ; pour la cinquième de 20, pour la sixième de 15, et pour la septième de 10 copecks d’argent par tonneau, du poids de 5 à 6 puds. Je crois que cette ordonnance doit donner matière à réflexion ; évitons, surtout en votant cette loi, que l’on ne vienne, et cela dans un temps bien rapproché nous demander des encouragements en faveur des fariniers à l’américaine, ou que le gouvernement procure des débouchés pour le placement du trop plein.
Messieurs, j’aborderai la question sur un autre terrain, et je vous dirai que j’ai pour opinion que toute industrie (morale bien entendu) doit être protégée, mais que nulle ne doit l’être au préjudice de l’autre, à moins qu’elle ne soit considérée comme étant d’un intérêt plus général.
Pour vous démontrer que mes actes correspondent à mes paroles, et malgré les dangers que je prévois pour l’industrie agricole, en admettant la loi sur les farines, même après y avoir introduit les modifications que je crois devoir réclamer, je déclare que j’y donnerai mon assentiment si les modifications que je vais proposer obtiennent l’assentiment de la chambre.
Pour activer la solution de cette question, je commencerai par vous soumettre un amendement qui, selon moi, doit satisfaire les partisans de l’industrie des farines à l’américaine.
J’ai dit que j’y donnerai mon assentiment, pour autant cependant qu’on introduise dans la loi quelques dispositions nouvelles qui soient de nature à donner l’espoir que la fraude sera fort difficile. La rendre impossible n’est pas dans le pouvoir humain, comme le fit très bien observer la grande partie des chambres de commerce et des commissions d’agriculture qui ont été consultées sur ce projet de loi.
Da mihi legem, dabo tibi fraudem, dit un vieux proverbe. Lorsque nous serons aux articles, je proposerai de faire quelques ajoutes.
Voici mon amendement :
Je voudrais qu’à la suite de l’article 4 il soit ajouté la phrase suivante : lorsque le prix de l’hectolitre de froment sera coté à 24 francs et au-dessus.
Quand le prix du froment est à 4 francs, je ne vois pas d’inconvénient de voir laisser dans le pays 22 p.c., en d’autres termes, je crois qu’on peut autoriser la sortie de 78 kilogrammes de farines, quand on aura introduit 100 kilos de froment, pourvu, cependant, que ce froment soit de bonne qualité. Car on ne doit pas perdre de vue que si on introduisait 10 kilogrammes de froment germé, et que, par contre, on soit autorisé à reporter 78 kilos de farine de froment de bonne qualité, provenant de grains indigènes, il y aurait déficit, et cette opération serait au détriment du consommateur belge.
Il est reconnu que 100 hectolitres de froment germé ne contiennent pas la matière nutritive que renferment 70 hectolitres de froment non germé. Lorsque le froment est coté de 20 à 24 francs, au terme de la loi du 31 juillet 1824, les grains et farines étant libres à l’entrée et à la sortie, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de prendre des mesures en semblable circonstance. Mais lorsque le prix du froment est coté en dessous de 20 francs l’hectolitre, aux termes de la loi précitée, 1,000 kilogrammes de froment venant de l’étranger doivent un droit d’entrée, à raison de 37 francs 50 centimes, et lorsque l’hectolitre de froment est coté en dessous de 15 francs, il paie un droit d’entrée de 75 francs par 100 kilogrammes.
En adoptant l’article 4 tel qu’il nous est présenté, qui accorde sur 100 kilogrammes de grain retiré de l’entrepôt une décharge du droit d’entrée parmi réintégrant au même entrepôt 78 kilogrammes de farine destinée à l’exportation, il résulte qu’il reste de 20 à 22 p.c. de matière nutritive, de moindre qualité à la vérité, et cela sans droit ; les 10 centimes par 100 kilogrammes exigés par le deuxième paragraphe du même article 4 pour l’excédant ne sont qu’un simulacre de droit, vu que 100 kilogrammes de grains venant de l’étranger doivent 3 francs 75 centimes.
Si on ne modifie pas l’article 4, il en résultera un déficit de 36 francs 50 centimes, par 1,000 kilogrammes, résultat de cet excédant restant en Belgique, et cela au détriment du trésor et au détriment de l’agriculture qui a aussi des droits à une protection sage et bien entendue, principalement lorsque le prix des grains est au-dessous de 20 francs et qu’il serait injuste d’exiger du propriétaire belge, en contribution foncière, environ 2 francs par 100 kilogrammes de grains qu’il livre à la consommation, quand l’étranger jetterait dans la consommation aussi 100 kilogrammes de farine non de qualité à être exportée, moyennant un droit de 10 centimes ; ces 10 centimes sont le résultat d’une erreur, à ce qu’on m’a dit. Pour ces motifs et bien d’autres, dont je m’abstiendrai de vous entretenir pour le moment, je crois devoir vous proposer de prescrire qu’il soit reproduit 98 kilogrammes de farine propre à l’exportation, et l’entrepôt à raison de 100 kilogrammes de froment qui en sera sorti, quand le prix du froment sera coté à 20 francs et au-dessous.
On nous assure que de 100 kilogrammes de froment on ne peut tirer que 68 kilogrammes environ propres à l’exportation. Si ce fait est exact, alors l’industriel en farine remplacera la partie qui n’est pas de qualité à être exportée par des farines provenant de nos grains en échange de la partie qu’il laissera et livrera à la consommation du pays : ce qui serait un avantage, dit la chambre de commerce de Bruxelles ; ou bien si, comme on nous le fait pressentir, on y ajoutera de la craie, du plâtre moisi, des os réduits en farine ou d’autres matières hétérogènes, vous le savez tous, messieurs, l’industrie fait de grands progrès.
D’ailleurs, il y a un autre moyen, et que je considère comme juste et très équitable, s’il ne veut pas réintroduire en entrepôt la quantité exigée alors qu’il paie l’impôt voulu par la loi sur le déficit ; on ne peut s’en dispenser sans être taxé d’accorder un privilège aux commerçants de farines à l’américaine. Si vous accordez cette faveur à une industrie, vous finirez par l’accorder aux autres, et il en résultera le retrait de la loi du 31 juillet 1834 sur les céréales, et pour mon compte, j’ai la certitude que le projet de loi qui vous est soumis aura ce résultat.
Je ferai remarquer que, par mon amendement, j’évite qu’il reste de la grosse farine en Belgique en franchise de droit, quand les grains sont à bas prix, et cela au détriment du trésor et de l’agriculture ; que je laisse une libre circulation à ces farines quand le grain est au taux de libre entrée et de sortie, et que, dans l’intérêt du consommateur lorsque le grain est à un taux élevé, il en restera 20 p.c. environ en Belgique en franchise de droit.
En un mot, messieurs, je voudrais que la loi sur les farines fût en rapport avec la loi du 31 juillet 1834. S’il en est autrement, messieurs, la loi qui vous est soumise est le retrait de la législation sur les céréales à laquelle le consommateur belge doit l’avantage d’avoir mangé le pain à meilleur compte qu’on ne l’a mangé en Angleterre et en France depuis 18 mois environ.
Si mon amendement était adopté, on concilierait autant qu’il est moralement possible les intérêts de l'industrie avec ceux de l’agriculture et du trésor.
Je dois aussi faire remarquer que ma proposition est d’accord avec ce que demande la chambre de commerce d’Anvers, qui propose que, pour l’excédant restant dans le pays, il soit payé un droit proportionnel de douanes seulement aux termes de la loi du 31 juillet 1834, cette loi protectrice de l’agriculture, à la vérité, mais bien modérée, si on la compare à la loi française, comme je vais vous le démontrer, qui ne serait plus qu’un simulacre de protection, si vous adoptez la loi qui vous est soumise et dont les effets sont suspendus par les dispositions que vous avez prises l’année dernière et au commencement de cette session : modifications qui n’ont pas été apportées à la loi française par la législature de France, quoique le prix du blé soit plus élevé qu’en Belgique.
On nous parle souvent des encouragements accordés en Belgique en faveur de l’agriculture ; je vais vous mettre à même de juger combien peu l’agriculture est encouragée en Belgique, comparativement à ce qu’on fait en sa faveur en France.
Je vais vous donner lecture d’un tableau comparatif du droit d’entrée sur les céréales en France et en Belgique
Etat comparatif du tarif des douanes belges avec le tarif français
(par ligne, successivement ; prix du froment par hectolitre ; tarif belge, droit d’entrée ; tarif français, droit d’entrée par navire étranger ; tarif français, droit d’entrée par navire français :
12 francs : fr. 6 00 ; fr. 18 00 ; fr 16 78
13 francs : fr. 6 00 ; fr. 16 50 ; fr. 15 25
14 francs : fr. 6 00 ; fr. 15 00 ; fr. 13 75
15 francs : fr. 3 00 ; fr. 13 50 ; fr. 12 25
16 francs : fr. 3 00 ; fr. 12 00 ; fr. 10 75
17 francs : fr. 3 00 ; fr. 10 50 ; fr. 9 25
18 francs : fr. 3 00 ; fr. 9 00 ; fr. 7 75
19 francs : fr. 3 00 ; fr. 7 50 ; fr. 6 25
20 francs : libre à l’entrée ; fr. 6 00 ; fr. 4 75
21 francs : idem ; fr. 4 50 ; fr. 3 25
22 francs : idem ; fr. 3 50 ; fr. 2 25
23 francs : idem ; fr. 2 50 ; fr. 1 25
24 francs : libre à l’entrée et prohibé à la sortie ; ; fr 0 25.
N.B. L’hectolitre de froment coté à 24 francs en France peut entrer en payant 25 centimes de droit ; il peut sortir en payant un droit de 4 francs.
M. Mast de Vries – Messieurs, parmi les projets qui sont soumis à la chambre, il en est peu, je pense, qui aient subi un examen plus rigoureux que celui dont nous nous occupons en ce moment. Le gouvernement a voulu s’entourer de toutes les lumières, et pour cela il s’est adressé, à la fin de 1837, aux commissions d’agriculture et aux chambres de commerce pour les consulter sur un projet dont je vais vous faire connaître quelques dispositions que je ne retrouve plus dans le projet actuel.
D’abord le projet soumis aux commissions d’agriculture et aux chambres de commerce exigeait que l’on réintégrât dans les entrepôts 75 kilogrammes de farine pour 100 kilogrammes de blé ; ce chiffre de 75 kilogrammes avait été reconnu comme trop élevé par une grande partie des commissions d’agriculture et des chambres de commerce ; il y en avait qui fixaient le rendement à 60, d’autres ne le portaient même qu’à 50 ; cependant le gouvernement, dans le projet qui nous occupe, fixe le rendement à 78 kilogrammes. Evidemment ce chiffre est trop élevé ; d’après les renseignements que j’ai obtenus et d’après les avis des commissions d’agriculture et des chambres de commerce, que j’ai sous les yeux, il est impossible que 100 kilogrammes de blé donnent 78 kilogrammes de fleur farine, dite à l’américaine, propre à l’exportation.
Dans le premier projet, le terme fixé pour la réintégration des 75 kilogrammes de farine dans les entrepôts était de six mois ; ce terme a été reconnu trop long par les commissions d’agriculture et les chambres de commerce, il pouvait porter à des spéculations frauduleuses ; elles ont demandé qu’on le fixât à deux mois ; le gouvernement a encore fait droit à cette demande.
Quelques chambres de commerce avaient demandé que le son fût imposé comme le serait le grain à l’entrée dans le pays ; c’est probablement pour satisfaire à cette observation que le gouvernement a fixé le rendement à 78 p.c.
Eh bien, messieurs, malgré ces observations qu’elles faisaient contre le projet primitif du gouvernement, la grande majorité des commissions d’agriculture et des chambres de commerce n’en ont pas moins approuvé le projet, parce qu’elles le considéraient comme éminemment utile au pays. Sur huit commissions d’agriculture, quatre ont approuvé le projet, mais parmi les quatre qui ont émis un avis défavorable, il en est deux qui n’ont émis un semblable avis que parce qu’elles croyaient qu’il s’agissait de restituer les droits.
Sur 13 chambres de commerce, 10 ont approuvé le projet, et parmi les 3 qui ont voté dans un autre sens, il y en avait une encore qui croyait que le gouvernement voulait faire la restitution du droit.
Ainsi, messieurs, sur 21 avis, il n’y en a eu que 7 qui fussent favorables au projet primitif, et dans ces 7, il y en a 3 qui ne sont défavorables que parce que les corps qui les ont émis avaient mal saisi le sens du projet, de sorte que l’on peut dire que, sur les 21 commissions d’agriculture et chambres de commerce qui ont été consultées, 17 sont favorables au projet qui leur a été soumis et qui fixait le rendement à 75 p.c. en accordant un délai de six mois pour réintégrer ce rendement dans les entrepôts.
Pour comprendre toute l’importance du projet sous un autre rapport, il faut remarquer, messieurs, que 100 kilogrammes de froment, par exemple, achetés dans les ports du Nord, viennent recevoir ici une manipulation, navigation comprise, qui en double la valeur ; en effet 100 kilogrammes de froment s’achètent dans les ports de Nord communément de 12 à 15 francs, tandis que la farine qui en provient (75 kilogrammes), se vent environ dan les ports de l’Amérique. Les 100 kilogrammes ayant une valeur de 36 à 40 francs.
Nous avons, messieurs, trois établissements qui font de la farine ; si ces trois établissements peuvent prendre l’essor que nous devons désirer de leur voir prendre, ils pourront fournir annuellement la cargaison d’encombrement de cent à cent cinquante navires de deux cents tonneaux. J’entends toujours parler de droits différentiels pour favoriser notre navigation.
Eh bien, messieurs, ce qu’il faut faire avant tout pour notre navigation, c’est de lui procurer des chargements, car sans cela les navires belges qui voudraient aller dans les ports lointains auraient des frais doubles ; les marchandises qu’ils nous amèneraient devraient supporter les frais de venue et les frais de retour. Je n’hésite pas à dire, messieurs, que l’adoption de la loi donnant aux navires belges 150 charges par an, ce serait le plus grand avantage que vous puissiez procurer à notre navigation. On a semblé croire, messieurs, que le projet serait défavorable à l’agriculture ; je ne puis nullement partager cette manière de voir. Je pense, au contraire, que le projet aura de bons effets pour les intérêts agricoles du pays, et en cela, je suis d’accord, je puis le dire, avec la majorité des commissions d’agriculture. Voici, en effet, le résumé que M. le ministre nous a donné des avis de ces commissions.
La commission d’agriculture d’Anvers est favorable au projet ; celle du Brabant est défavorable au projet, parce qu’elle croit qu’il s’agit de la restitution du droit d’entrée ; la commission d’agriculture de la Flandre occidentale est favorable ; celle de la Flandre orientale est défavorable ; celle du Hainaut est favorable ; celle de Liége est favorable.
M. Eloy de Burdinne – C’est une erreur.
M. Mast de Vries – Mais, messieurs, voici ce que porte l’avis de la commission d’agriculture de Liége. (Ici, l’orateur lit un passage du résumé fourni par le ministère de l’intérieur sur l’avis de la commission d’agriculture, d’où il résulte qu’elle est favorable au projet.)
Les deux autres commissions d’agriculture son défavorables ; mais l’une d’elles a cru, comme celle du Brabant, qu’il s’agissait de restituer le droit.
Ainsi, messieurs, quatre commissions d’agriculture sont favorables au projet, deux sont défavorables, mais seulement parce qu’elles ont cru qu’il s’agissait de faire la restitution du droit, et il n’y en a que deux qui soient défavorables au projet en lui-même. Quant aux chambres de commerce, deux sont favorables au projet et trois seulement y sont contraires. Veuillez ne pas perdre de vue, messieurs, que ces avis ont été donnés dans la supposition que le rendement serait fixé à 75 pour cent, et qu’il serait accordé un délai de six mois pour le réintégrer dans les entrepôts, or, d’après le projet actuel le rendement sera de 78 et le délai ne sera que de deux mois.
Les considérations que je viens de faire valoir m’autoriseraient peut-être à soutenir que si le projet actuel était soumis aux commissions qui lui on été contraires, il recevrait leur assentiment, il y aurait ainsi unanimité pour son adoption.
Maintenant, messieurs, voici pourquoi je dis que le projet sera avantageux à l’agriculture. Je suppose qu’il vienne un moment où le grain se trouve dans les conditions où il se trouvait en 1833, lorsqu’il était à très bas prix. Eh bien, messieurs, si vous ne favorisez pas l’exportation des farines, il arriverait alors que vous n’auriez pas un seul débouché pour vos grains, tandis que si vous avez une industrie qui change les grains en farine, vous trouverez toujours à les exporter dans cet état ; le projet de loi tend donc à créer des débouchés pour les produits de notre agriculture elle-même. Je défendrai toujours les intérêts agricoles autant que l’honorable membre auquel je succède, mais je ne puis nullement partager sa manière de voir dans cette occasion.
Supposons maintenant, messieurs, que les trois établissements qui font de la farine acquièrent une prospérité telle qu’ils puissent consommer chacun 70,000 hectolitres de grain par an, ce serait 210,000 hectolitres pour les trois, soit 16,800,000 kilogrammes.
La reproduction dans l’entrepôt à raison de 78 p.c., au vœu de la loi, et la déduction de 4 p.c. pour freinte et élavage déduit, il resterait dans le pays environ 3,700,000 kilogrammes de résidu. Je fais la part aussi large que le désire l’honorable membre ; certes, il conviendra avec moi que dans ce chiffre il y aura au moins deux millions de kilogrammes de son qui sera livré à l’agriculture et servira à la nourriture des bestiaux ; il ne resterait donc qu’un million et demi de kilogrammes de farine fort commune ; eh bien, messieurs, c’est à peu près tout juste de quoi déjeuner un seul jour pour la population belge ; à coup sûr, il n’y aurait pas de quoi dîner, car nous consommons plus de 3 millions de kilogrammes par jour. Je vous laisse à juger si, même dans cette hypothèse, la loi peut porter la moindre atteinte ou avoir la moindre influence sur le prix des céréales.
(Moniteur belge n°36 du 5 février 1840) M. de Foere – Messieurs, si l’un des membres du cabinet est dans l’intention de parler sur la question importante qui a été soulevée par l’honorable M. Donny, je désirerais qu’il parlât avant moi ; afin de ne pas prolonger inutilement la discussion, je me réserverais la tâche de lui répliquer.
M. le président – M. Donny n’a pas présenté d’amendement, il a déclaré qui voterait pour la loi.
M. de Foere – L’honorable membre a prouvé que le projet de loi n’atteindrait pas le but principal qu’on en attend. Si les motifs qu’il a allégués pour établir son opinion étaient attaqués, je me propose de les justifier et de les corroborer.
M. Donny – Messieurs, le but de mon discours a été de démontrer que la loi ne produirait pas l’effet utile qu’elle pourrait produire avec un autre système ; mais j’ai déclaré, en finissant, que toutefois, je voterais pour la loi.
M. de Foere – Messieurs, si le gouvernement et la section centrale rattachaient le projet de loi en discussion à un système commercial tout autre que celui que le ministère tend à imposer au pays, ce projet faciliterait beaucoup son industrie, son commerce et sa navigation.
Dans une session précédente, j’ai moi-même provoqué ce projet de loi ; mais c’était dans l’intention de le combiner avec le système de l'importation des provenances directes. Alors ce projet pourrait atteindre le but principal qui lui est assigné par l’exposé des motifs du gouvernement, et par le rapport de la section centrale. Tel qu’il nous est présenté, sans être lié avec la politique commerciale établie chez toutes les autres nations, le projet ne peut produire aucun des résultats dans l’extension dans laquelle les auteurs du projet nous font espérer. Si le projet de loi faisait partie d’une législation commerciale, qui tend au même but, il produirait le principal résultat qui lui est attribué, et les deux autres qui lui sont supposés, suivraient le premier dans la même proportion. Je vais tâcher de prouver l’une et l’autre assertion.
Le premier but, qui est le plus important, que le gouvernement et la section centrale attribuent au projet de loi, est celui d’encourager la navigation lointaine du pays, en lui fournissant un article d’encombrement destiné à faciliter la sortie de nos navires et à combiner ces cargaisons de sortie avec des opérations extérieures auxquelles le commerce maritime voudrait se livrer.
Il importe d’abord de bien comprendre ce que c’est qu’un article d’encombrement. Ce n’est pas une marchandise destinée à former une cargaison entière, ce n’est qu’un moyen de compléter un chargement. Lorsque vous envoyez dans une contrée lointaine un navire chargé d’objets provenant de l’industrie nationale, tels que verreries, draps, toiles, etc., et que la cargaison du navire n’est pas complète au moyen de ces objets, vous prenez un ou plusieurs articles d’encouragement pour charger le navire au complet et lui faire produire la totalité de son fret.
Il importe ensuite de remarquer que la navigation n’est pas praticable, si elle a seulement des cargaisons de sortie ; il lui faut encore des cargaisons de retour. Les faits commerciaux maritimes ont prouvé ce principe ; il est généralement admis dans tous les pays.
Eh bien, le gouvernement, tout en voulant protéger la sortie de nos navires par un article d’encombrement, établit le système des provenances indirectes qui met obstacle à leurs cargaisons de retour. Avec ce système, le commerce du pays ne peut combiner avec certitude, ni même avec probabilité de succès, des opérations commerciales régulières. Afin de mieux faire passer ma conviction dans vos esprits, permettez-moi, messieurs, que je vous donne la définition des importations de provenances directes, et ensuite celle des importations de provenances indirectes.
Les produits d’un pays importés par les navires du même pays dans un autre sont des provenances directes. Si la nation chez laquelle ces produits sont ainsi importés jouit de la même faculté à l’égard de l’autre, le système des provenances directes est établi réciproquement entre les deux pays. L’une nation doit néanmoins se conformer au tarif de douanes de l’autre, et vice versa.
C’est ainsi que, dans tous les traités de commerce et de navigation, le système d’importation des provenances directes est établi. C’est en ce sens qu’il est entendu dans les discours et les documents de tous les parlements, ainsi que dans les écrits des auteurs qui ont traité cette matière importante.
C’est ainsi que le principe d’importation des provenances directes est établi dans les traités de commerce entre la Hollande et l’Angleterre, entre la Hollande et les Etats-Unis, entre la France et l’Angleterre, entre la France et les Etats-Unis, entre l’Angleterre et plusieurs nations secondaires.
La France peut importer en Angleterre, et réciproquement l’Angleterre peut importer en France, les produits de son propre sol, de sa propre industrie ; mais la France et l’Angleterre ne peuvent importer réciproquement l’une chez l’autre aucun article provenant d’un autre pays européen, ni des trois autres parties du monde, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique. L’Angleterre frappe ces articles de prohibition à l’importation. La France impose des droits prohibitifs. C’est ainsi que le même système est développé et pratiqué entre toutes les nations européennes, à la fois industrielles, commerçantes et maritimes.
Le système des provenances directes établi sur le droit et sur le fait, m’amène à redresser une erreur grave dans laquelle l’honorable ministre de l'intérieur est tombé, dans une séance précédente, en répondant à l’honorable M. Dumortier.
M. le ministre, saisissant mieux aujourd’hui toute l’importance du système des provenances directes, a essayé, dans cette séance, de prouver que l’importation des provenances directes, avait fait chez nous des progrès remarquables. Il a produit des chiffres ; or ces chiffres s’appliquaient presque tous à des provenances indirectes. C’étaient des articles importés chez nous par des navires étrangers qui n’appartiennent pas aux pays d’où ces articles étaient importés dans nos ports. Pour démontrer mieux l’erreur du ministre, j’éclaircirai le fait par un exemple. Les navires américains quittent leurs ports avec un chargement de farines et d’autres articles qu’il importent dans le Brésil ; ils sortent des ports du Brésil avec une cargaison de café, de sucre ou de cuirs, qu’ils viennent déverser dans nos ports. Ce sont ces importations indirectes que l’honorable ministre a confondues avec des importations directes. Ces importations auraient été directes, si des navires du Brésil, conformément au traité de commerce et de navigation qui existe entre ce pays et le nôtre, avaient importé chez nous lesdits articles.
Nous pourrions, au besoin, prouver par des chiffres que les importations de provenance directe n’ont fait chez nous aucun progrès. Mais il serait inutile de produire ces chiffres, attendu que, par la faute du gouvernement, notre marine marchande n’a fait aucun progrès et que ce progrès aurait dû nécessairement précéder, comme moyen, le progrès de l’importation des provenances directes.
Le système des provenances indirectes est défini et appliqué en ce sens qu’un pays donne la faculté à tous les autres pays maritimes d’importer dans ses ports, non pas seulement les produits de leur propre sol et de leur propre industrie, mais même les produits de toutes les autres contrées du monde. Tel est le système des importations de provenance indirecte.
C’est ce déplorable système qui est adopté chez nous et qui ne l’est nulle part ailleurs, ce système qui vous empêche d’échanger fréquemment vos produits contre les produits étrangers, et qui, par conséquent, s’oppose à leur exportation ; c’est encore ce système auquel le ministère veut donner une extension beaucoup plus considérable ; c’est ce système qui est ouvertement consacré par le traité de commerce et de navigation avec la France.
Voyons maintenant quels sont les résultats de ces deux systèmes. Voyons comment ils opèrent sur l’exportation de nos produits ou sur notre commerce d’échanges.
Le résultat est immense pour l’industrie et le commerce du pays, si vous consacrez le premier système, celui des provenances directes ; voici comment il opère par le développement des faits commerciaux mêmes.
L’Angleterre importe, chaque année et terme moyen, au Brésil pour 40,000,000 de cotonnades ; ses navires prennent au Brésil en échange, des sucres, des cafés, des cuirs, etc. Ils transportent ces articles, soit dans ses propres ports, soit dans les ports étrangers. Les Américains, de leur côté, importent au Brésil les produits de leur sol et de leur industrie, et viennent ensuite avec des cafés et d’autres articles approvisionner nos marchés.
Maintenant, de tous les côtés de la chambre, du côté du ministre, comme de celui de tous les députés, on demande sans cesse des débouchés pour notre industrie d’exportation. Or, si vous adoptiez le système de provenances directes, vous prendriez au Brésil une grande part dans l’importation des cotonnades anglaises, des farines américains et de tous articles que vous produisez concurremment avec toutes les nations industrielles. Ce système ne s’applique pas seulement au Brésil ; mais à tous les pays lointains qui, remarquez-le bien, sont les seuls débouchés nouveaux que vous puissiez encore ouvrir à votre industrie d’exportation. Alors les échanges commerciaux seraient possibles dans toute leur extension, parce que vous vous assureriez des cargaisons de sortie et de retour, sans lesquelles la navigation comme moyen indispensable du commerce extérieur est impraticable. Vous importeriez dans les pays lointains ce que ces pays ne produisent pas, et vous en rapporteriez, pour votre propre consommation, et pour votre propre commerce, les articles que vous, de votre côté, vous ne pouvez pas produire et dont vous éprouvez un besoin impérieux.
Avec le système des provenances indirectes, les échanges commerciaux, considérés comme commerce régulier et fréquent, sont impossibles.
La navigation étrangère, tout en exportant d’abord les produits de son industrie, vient déverser en masse dans vos ports et sur vos marchés les produits des contrées lointaines. Plus les autres nations industrielles et maritimes qui nous environnent trouvent des ports ouverts pour leurs importations indirectes plus aussi ils y trouvent de moyens d’exporter les articles de leur propre industrie, parce qu’elles ont toujours des cargaisons de sortie et de retour. Or, lorsque nos entrepôts et nos marchés sont abondamment approvisionnés par le commerce et la navigation de l’étranger, quelle marge reste-t-il à nos négociations pour s’assurer un bon placement de leurs cargaisons de retour ? C’est la raison pour laquelle, comme je ne cesse de vous le répéter, vous n’aurez jamais d’exportation régulière et fréquente de vos produits.
Messieurs, les pays lointains sont les seuls débouchés que vous avez ; vous ne pouvez pas compter sur un placement de vos articles sur les marchés du continent, sur les marchés des pays voisins. Vous avez beau contracter des traités de réciprocité, des traités de commerce et de navigation, vous n’en tirerez aucun avantage, car vous avez, à côté de ces traités les tarifs de douanes qui sont prohibitifs par les termes, ou prohibitifs par les droits.
Les nations qui nous avoisinent ne prennent chez nous que les articles dont elles éprouvent un besoin indispensable. Les seuls débouchés que vous puissiez encore ouvrir sont donc la consommation des populations lointaines chez qui vous pourrez non seulement importer vos farines, mais encore les autres articles de votre industrie.
Il est donc évident que toute votre industrie est directement intéressée à l’établissement du système d’importation de provenances directes comme seul moyen d’opérer des échanges commerciaux.
Le système du transit que vous prétendez ériger en base du système commercial du pays et auquel vous rattachez, comme moyen d’atteindre ce but, le système des provenances indirectes, ne peut être avantageux au pays. Il n’est profitable qu’à la seule localité d’Anvers où il put produire les misérables bénéfices de la commission et quelques autres, de peu d’importance, qui s’y rattachent.
Au surplus, messieurs, veuillez remarquer que, si vous établissez le système de provenances directes, ce système ne peut être en rien nuisible au commerce de transit de ce pays. La raison est que les provenances directes importées pour la consommation intérieure n’empêchent pas la navigation étrangère d’arriver dans nos ports avec des marchandises à transiter. Ces marchandises ne paient d’autres droits que les droits de balance, d’entreposage, et le péage sur vos routes et sur le chemin de fer. Vous voyez que ces marchandises à transiter ne peuvent souffrir en rien du système de provenance directe. Mais le gouvernement veut que ces marchandises étrangères, importées en transit, puissent se replier sur la consommation intérieure et viennent lutter contre les produits de votre propre pays et de votre propre commerce, sur les marchés intérieurs. Ce système, comme je crois l’avoir prouvé, serait contraire aux véritables intérêts de votre industrie, de votre commerce extérieur et de votre navigation, qui est le moyen le plus puissant d’exporter au loin les produits de votre industrie. Cette dernière assertion est prouvée par le mouvement de vos ports. Presque tous les navires étrangers qui fréquentent vos ports partent sur lest.
On nous dit que la navigation du Nord, qui vous apporte des bois, exporte quelques articles du pays par leurs retours. Mais ces exportations minimes ne peuvent entrer en ligne de compte avec les grandes exportations que vous feriez avec un autres système de commerce. Il est vrai, la navigation du Nord nous prend quelquefois du savon, du sucre, des verreries, des poteries, mais en très petite quantité. Ce sont des approvisionnements de ménage. Elle charge aussi des tuiles et de briques. Examinez la somme de ces exportations, et vous verrez qu’elles se réduisent presque à rien. Ces navires d’une contenance d’environ 200 à 300 tonneaux ne prennent, en retournant chez eux qu’un chargement de 3 à 4 tonneaux.
La France, la Hollande, l’Amérique du Nord ont des établissements de farines considérables. Ces nations les ont érigés exprès pour compléter des cargaisons de sortie. Pensez-vous que cette navigation étrangère vienne exporter de préférence ce même article de chez vous ? Votre mécompte serait déplorable. Au surplus, si vous prétendrez exporter des farines en cargaisons entières, comme article de commerce désabusez-vous encore ; les farines ne sont presque jamais autre chose qu’un article d’encombrement ; il ne peut servir qu’à compléter un chargement. Le seul avantage qu’il y ait à avoir des articles d’encombrement, c’est de pouvoir compléter des chargements. Si vous faites partir un navire de 200 tonneaux chargés d’articles de votre industrie jusqu’à concurrence de 150 tonneaux, vous complétez le chargement avec 50 tonneaux d’articles d’encombrement.
Messieurs, afin de protéger l’exportation des produits du pays par des cargaisons de retour, l’Angleterre réserve à sa navigation l’importation exclusive, non pas d’un seul article d’encombrement, mais de vingt-huit qui sont énumérés dans ses lois. A l’exception des navires qui appartiennent aux ports dont ces articles sont la provenance ou aux ports où ils auraient été une première fois déchargés, c’est la navigation anglaise qui jouit du monopole de leur importation.
Tels sont les moyens par lesquels les pays étrangers favorisent l’exportation de leurs produits, en combinant les sorties avec les retours.
Je m’arrêterai pour le moment à ces considérations que j’ai présentées, pour prouver que le principal but du projet de loi ne peut être atteint.
Quant au deuxième but qui est attribué au projet de loi et qui est celui de ramener chez nous le commerce des céréales que la loi du 31 juillet 1834 avait éloigné du pays, ce but sera atteint bien moins encore ; car le commerce général des céréales ne peut consister dans l’importation de grains qui convertis en farines, seront réexportés. Au surplus, je vous ai déjà signalé les conditions restrictives auxquelles l’exportation des farines sera assujettie et comme article d’encombrement et comme liée au système des provenances indirectes.
En ce qui concerne le troisième but du projet de loi, il ne peut être obtenu non plus. Ce but consiste à donner, par le projet de loi, d’immenses développements à nos nouveaux établissements de farines. Les considérations que j’ai eu l’honneur de vous présenter, vous prouvent assez que l’exportation de nos farines subira les entraves que nous impose pour les retours de notre navigation le système de l'importation des produits de provenance indirecte. Les farines n’étant qu’un article d’encombrement, c’est une autre restriction que leur exportation doit rencontrer. Il est d’ailleurs impossible ou très difficile d’en former un article de cargaison complète ; le prix des grains sur nos marchés et sur les marchés étrangers, et celui des farines sur les marchés lointains, sont assujettis à des fluctuations trop fréquentes et trop fortes.
Messieurs, je crois avoir prouvé que le projet de loi ne produira pas les résultats que le gouvernement et la section centrale en attendent ; cependant je voterai pour le projet ; il ne fera aucun mal. Il est d’ailleurs possible que la chambre établisse le système des provennaces directes, et alors la loi produira des résultats très favorables.
- La séance est levée à 5 heures.