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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 15 janvier 1840

(Moniteur belge n° 16 du 16 janvier 1840)

(Présidence de M. Fallon)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Scheyven procède à l’appel nominal à midi et demi. La séance est ouverte.

M. Cogels-Dubois, admis dans une précédente séance, prête serment.

M. Scheyven lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée. Il présente ensuite l’analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Des habitants de la commune de Novilles-les-Bois demandent que cette commune devienne le siège de la justice de paix du canton de Huy. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la circonscription cantonale.


« Le sieur Poncelet, notaire à Florenville, adresse des observations contre la proposition relative aux notaires de Neufchâteau. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition relative aux notaires de Neufchâteau.


« L’administration communale de la ville d’Eecloo adresse des observations contre le projet de déplacement du chemin de fer entre Gand et Bruges. »

- Renvoi à M. le ministre des travaux publics.


« Des négociants en grains d’Anvers adressent des observations sur le projet de loi relatif à l’exportation des farines. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l’exportation des farines.


« Le sieur Schoumacker, chef de pension à Bruxelles, demande que la chambre s’occupe de la loi relative à l’instruction primaire. »

« Le sieur Ruttens, détenu aux Alexiens à Louvain, se plaint d’être reclus sans certificat de médecin et de n’avoir jamais été visité par aucun officier de l’ordre judiciaire. »

- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission des pétitions.


« Le sieur Hulet renouvelle sa demande en naturalisation.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Les conseils communaux de Tamise, Saint-Gilles et Beveren (Flandre occidentale) adressent des observations contre les pétitions qui demandent la prohibition du lin à la sortie ou un droit élevé. »

- Sur la proposition de M. Cools, la chambre ordonne l’insertion dans le Moniteur des deux pétitions qui sont écrites en français. Elle envoie en outre les trois requêtes à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.


« Un grand nombre de négociants en toiles et fils de lin, de cultivateurs, tisserands et de notables demandent qu’il soit établi par une loi spéciale, des droits à la sortie sur les lins et les étoupes, et à l’entrée, des droits plus élevés sur les fils et les toiles venant de l’étranger.

- Sur la proposition de M. de Foere, cette pétition est renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.


« Des fabricants, négociants et voituriers de Turnhout adressent des observations contre le projet de loi relatif à la répression de la fraude en matière de douane. »

Sur la proposition de M. de Nef, la chambre ordonne l’insertion de cette pétition au Moniteur et la renvoie à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.


« Les conseils communaux de Potte, Herinnes, Pecq, Ohigies, Ramegnies, Escanaffles, Warcoing et Esquelmont réclament contre le canal de l’Espierre et protestent contre le dommage que l’élévation des eaux de l’Escaut causera aux propriétaires riverains de ce fleuve. »

- Sur la proposition de M. Dumortier, dépôt sur le bureau pendant la discussion relative au canal de l’Espierre.


« Le sieur P.-J. Nolet, nommé par la régence, receveur communal à Ingeyghem, réclame contre une décision de la députation permanente qui refuse de sanctionner sa nomination. »

« Des habitants d’Anvers, dont les propriétés ont été incendiées par le bombardement de cette ville, demandent que la chambre s’occupe de la loi relative aux indemnités. »

« Le sieur Herwyns, ancien conseiller de régence et négociant de Venloo, demande qu’il soit pris des mesures en faveur des habitants des parties cédées dont la fortune a été compromise par les événements politiques, et qui sont rentrés en Belgique. »

« Sept gardes civiques d’Anvers demandent que la loi sur la garde civique soit exécutée ou qu’ils soient remboursés de leur uniforme. »

- Ces quatre requêtes sont renvoyées à la commission des pétitions.


« Les greffiers des justices de paix de l’arrondissement de Dinant demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée de l’examen de la proposition de M. Verhaegen.


« Le sieur Lucien-Antoine Spinatch, adjudant sous-officier au 14e régiment de réserve, né en Suisse, demande la naturalisation. »

« Le sieur Jean-Adolphe Kolin, sergent au 14e régiment de réserve, né en Suisse, demande la naturalisation. »

« Le sieur Charles Rosselet, sergent-major au 2e régiment de chasseurs à pied, demande la naturalisation. »

« Le sieur Joseph Lignac, sergent de sapeurs-mineurs à Liége, né en France, demande la naturalisation. »

- Ces quatre pétitions sont renvoyées à M. le ministre de la justice.


M. Dechamps informe par lettre M. le président qu’une maladie grave de sa mère l’empêche de venir prendre part aux travaux de la chambre.

- Pris pour notification.


Le sénat fait connaître à la chambre, par plusieurs messages, qu’il a adopté les projets de loi suivants :

Projet de loi de budget de la dette publique et des dotations pour l’exercice 1840.

Projet de loi ouvrant des crédits et autorisant des transferts aux budgets du département de la justice des exercices 1837, 1838 et 1839.

Projet de loi de budget des voies et moyens pour l’exercice 1840.

Projet de loi du budget du département des affaires étrangères pour l’exercice 1840.

Le projet de loi ouvrant un crédit provisoire de deux millions au département de la guerre, pour les dépenses du mois de janvier 1840.

Le projet de loi du budget du département des finances pour l’exercice 1840.

Le projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’exercice 1840.

- Pris pour notification.

Projet de loi ouvrant un crédit pour pourvoir au payement du complément de la pension de la veuve Mersch.

Rapport de la section centrale

M. de Brouckere – Messieurs, je suis chargé de vous faire un rapport sur le projet de loi présenté par M. le ministre des finances, le 5 décembre 1838, tendant à ce qu’il soit ouvert au département des finances un crédit pour pourvoir au paiement du complément de la pension de la veuve Mersch. Je vous ferai ce rapport verbalement, parce que je crois que la chambre pourra prendre immédiatement une décision.

Le sieur Mersch, directeur honoraire de l’enregistrement et des domaines, conservateur des hypothèques à Liége, mourut le premier août 1835.

Le conseil d’administration de la caisse de retraite, appelé à examiner les droits à la pension de la veuve, estima que cette pension devait s’élever à 9,901 annuellement, à la charge pour elle de payer une somme de 3,456 francs 5 centimes, due à la caisse de retraite pour contributions extraordinaires sur le traitement de feu son mari, qui avait cessé d’être recouvrée à partir du deuxième semestre de 1830.

Mais, dans les discussions qui avaient eu lieu précédemment à la chambre, à l’occasion des demandes de crédits nécessaires au service de la caisse de retraite du département des finances, le taux illimité des pensions de cette caisse avait été vivement critiqué. Le ministre des finances (M. d’Huart) avait pris l’engagement de ne plus allouer de pensions qui excéderaient le maximum de 6,000 francs, fixé par la loi du 14 septembre 1814.

En conséquence, M. le ministre proposa à S.M., le 2 mai 1836, un arrêté qui statua que jusqu’à disposition ultérieure, il ne serait inscrit et payé, au profit de la dame veuve Mersch, qu’une pension de 6,000 francs. Cet arrêté disposait également que le recouvrement de la somme susmentionnée de 3,456 francs 5 centimes, serait provisoirement tenu en suspens.

La dame veuve Mersch adressa à la chambre une réclamation contre cet arrêté du 2 mai, réclamation que la chambre renvoya à M. le ministre des finances. Le ministre vit dans ce renvoi, qui eut lieu le 23 février 1838, une manifestation du désir qu’avait la majorité de la chambre que l’intégralité de la pension réclamée par la dame veuve Mersch lui fût payée. Il proposa donc, le 5 décembre 1838, un projet de loi qui avait pour but de demander une allocation de 9,871 francs 95 centimes, qui lui était nécessaire pour payer le complément de la pension, la différence entre 6,000 francs et 9,901 francs depuis le moment où la pension avait commencé à courir jusqu’à la fin de l’exercice 1838.

Mais voici comme M. le ministre des finances termine son exposé des motifs à l’appui du projet de loi :

« L’adoption de cette demande (dit-il) est non seulement nécessaire pour pouvoir faire droit à la réclamation de la veuve Mersch sous le rapport de la question d’argent, mais elle est encore indispensable pour le relevé de l’engagement pris par lui, et qui a motivé l’arrêté qu’on demande à faire rapporter, et enfin pour fixer le gouvernement sur l’application à donner aux dispositions du règlement du 29 mai 1822 en ce qui concerne les pensions dont la liquidation d’élève au-dessus du taux de 6,000 francs. »

Vous voyez donc que l’adoption du projet de loi n’aurait pas pour unique résultat de mettre le gouvernement à même de payer à la dame Mersch le complément de sa pension, telle qu’elle a été liquidée par le conseil d’administration de la caisse de retraite, mais qu’elle entraînerait implicitement l’autorisation pour le gouvernement d’allouer à l’avenir, sur ces causes, des pensions excédant 6,000 francs et pouvant aller à un taux illimité.

La section centrale ne pense pas qu’une question de cette gravité puisse être ainsi résolue d’une manière indirecte. Elle estime que cette question doit être, de la part de la chambre, l’objet d’un examen et d’une discussion spéciale. Or, cet examen et cette discussion auront nécessairement lieu, quand la chambre s’occupera de la loi générale des pensions. Cela est d’autant plus exact que nous avons acquis la certitude qu’une section a proposé à cette dernière loi un article additionnel ainsi conçu : « Tous les droits assurés aux fonctionnaires actuels de l’administration financière par les lois et règlements existant sur cette matière leur seront conservés pour la possession et la réversion », et qu’une autre section a proposé également un article additionnel tendant à maintenir tous les droits antérieurs des fonctionnaires, sauf que les pensions ne pourront dépasser le maximum de 6,000 francs, à l’exception de celles des ministres.

Il résulte de là que la section centrale, chargée d’examiner la loi générale des pensions, devra présenter une conclusion sur ces deux propositions.

En conséquence, nous croyons devoir vous proposer de renvoyer le projet de loi présenté le 5 décembre 1839 à la section centrale chargée de l’examen de la loi générale des pensions, qui comprendra ce projet de loi dans le rapport qu’elle a à vous faire.

Nous croyons aussi devoir vous faire une autre proposition ; c’est d’engager cette section à présenter son rapport dans le plus bref délai possible et de décider que la loi générale des pensions sera mise à l’ordre du jour immédiatement après les budgets.

M. le président – S’il n’y a pas d’opposition, je déclarerai les conclusions de la section centrale adoptées.

M. Dubus (aîné) – Ce doit être subordonné à l’hypothèse que nous serons mis en possession du rapport de la section centrale assez tôt pour pouvoir l’examiner.

M. de Brouckere – Oui certainement, c’est ainsi que l’entend la section centrale.

M. le président – Le travail de la section centrale est presque terminé.

M. de Behr – Avant de mettre la loi à l’ordre du jour, il faudrait avoir le rapport ; car il peut arriver qu’il s’élève des difficultés dans le sein de la commission.

M. Dumortier – J’ai été frappé de l’élévation du chiffre de la pension dont il s’agit. Il s’agit d’une pension de 9,901 francs pour une veuve ; et comme la pension d’une veuve est inférieure d’un tiers à celle qu’aurait eue son mari, M. Mersch aurait eu une pension de près de 15,000 francs. Comment, une pension de 15,000 francs ! 15,000 francs le traitement d’un gouverneur de province. J’appelle l’attention de l’assemblée sur l’élévation de ce chiffre, afin qu’elle ne soit pas prise à l’improviste, quand elle s’occupera de la loi générale des pensions.

En France, le maximum des pensions, même pour les ministres, est de 6,000 francs. Avec votre système de ne pas limiter le chiffres des pensions, si un de vos ambassadeurs au traitement de 80,000 francs venait à mourir, vous seriez obligés d’allouer à sa veuve une pension de 60,000 francs. La chambre comprendra d’après cela qu’elle doit être en garde contre le système qui consiste à ne pas fixer de maximum pour le chiffre des pensions. Pour moi, je crois que le maximum des pensions devrait être en Belgique comme en France de 6,000 francs.

M. de Brouckere – Il est à remarquer que M. Dumortier est entré dans le fond de la question, tandis que la question soulevée est relative au renvoi. Quant aux craintes sur les abus qui pourraient avoir lieu d’ici au moment où la loi sera révisée par les chambres, je ferai observer que le ministre des finances a pris l’engagement de ne plus accorder de pensions, sur la caisse des retraites, dépassant 6,000 francs ; et je crois que le ministre actuel des finances est lié par les engagements pris à cet égard, par son prédécesseur.

M. Dumortier – Ce que j’ai dit est pour montrer que la matière est grave. Je ne veux pas que d’ici à la décision législative personne vienne demander des pensions s’élevant à 15,000 francs.

M. le président – La chambre sera consultée relativement à l’époque de la discussion du projet sur les pensions quand le rapport en sera présenté.

M. de Brouckere – La section centrale chargée d’examiner la loi sur les pensions n’est plus complète : La cinquième section de mars 1838 avait nommé M. Corneli ; elle doit être invitée à le remplacer.


M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) annonce que son rapport sur les adjudications des sables de mer pour le chemin de fer est imprimé et qu’il sera distribué aux membres de l’assemblée demain.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1840

Discussion générale

M. de Puydt – Lorsque, dans une séance précédente, l’honorable ministre des travaux publics est venu, préalablement à toute attaque motivée, donner sur l’affaire du canal de l’Espierre les explications qu’il avait spontanément promises, il a osé espérer que par là il empêcherait tout débat dans cette chambre.

Moi-même, après avoir entendu ces explications si développées et si lumineuses, j’ai pensé à mon tour, dans ma conscience de représentant et d’ingénieur, que la discussion devenait impossible.

Je l’ai pensé comme représentant, parce qu’un acte d’administration, accompli sous la responsabilité d’un ministre, me paraît à l’abri de tout blâme du moment qu’il est justifié par des considérations d’intérêt général aussi évidentes, et sous la garantie des formes exigées par la loi et si religieusement observées qu’elles l’ont été dans cette circonstance, comme le prouvent les enquêtes et l’instruction minutieuse qui ont précédé la décision prise en faveur du canal de l’Espierre.

Je l’ai pensé comme ingénieur, parce que les faits matériels qui servent de motifs au projet, les calculs sur lesquels il se fonde, et les avantages promis au commerce et à l’industrie du pays, affectent si clairement le caractère de l’intérêt général et sont à mes yeux si vrais et si bien établis que les adversaires de ce canal n’ont plus de refuge que dans des calculs d’intérêts particuliers.

J’ai vu avec regret que nous étions dans l’erreur et que l’esprit de localité ne s’apaise pas aussi facilement, quand un espoir trompeur le pousse à l’opposition.

Cependant, messieurs, après deux jours de discussion et lorsque les organes de ceux qui se croient personnellement lésés par cette concession ont déroulé devant nous leurs griefs, j’étais à peu près décidé à me taire, et je n’ai pu voir, dans les moyens qu’ils ont fait valoir, que des arguments déjà produits, depuis plusieurs années, sous toutes les formes, arguments que l’instruction légale de cette affaire avait réduits à néant et que les explications du ministre venaient encore de combattre par avance.

Dans cet état de la question, que pouvait-il y avoir à dire, après tout ce qui avait été dit dans la séance du 26 décembre 1839. J’avoue que je me serais trouvé très embarrassé de prendre part à une discussion épuisée dès le premier jour, et qu’une aveugle obstination seule pouvait prolonger.

Mais, à la suite de ces premiers orateurs, vous avez entendu un honorable représentant de Courtray développer la question sous un autre aspect, et par des développements, sinon concluants, au moins très spécieux, nous sortir du cercle des intérêts privés, prétendument froissés, et appeler l’attention de la chambre sur des projets où les intérêts généraux de la Belgique et de la France se trouvaient mis en opposition.

Deux systèmes ont été exposés. L’un tout français, tendant à créer une grande navigation parallèle à la frontière ; destiné à lier le bassin de la Sambre avec la mer du Nord vers Dunkerque, dans le but d’anéantir la navigation intérieure de la Belgique : système dont le canal de l’Espierre serait à la fois le lien et le complément.

L’autre, tout belge, est destiné à paralyser les projets de la France, devant lier le Hainaut à la mer du Nord, au moyen des canaux de Bossuyt et de l’Yperlée ; système que le canal de l’Espierre rendrait impossible ou nul.

Dans cette nouvelle position de la question, je n’ai plus pensé qu’il fût convenable, qu’il fût possible de me taire : nous sommes entraînés dans une discussion où les considérations d’art sont tellement liées aux faits, que les conséquences à en tirer ne peuvent être exactes ou admissibles qu’en se déduisant d’un accord parfait entre les unes et les autres.

Or, comme la navigation intérieure des départements limitrophes de la France et celle de la Belgique ont fait l’objet spécial de mes études depuis 20 ans, je crois connaître assez les faits pour oser accepter le débat sur le terrain où l’honorable M. de Muelenaere l’a placé.

La tâche que je m’impose me paraît d’autant plus facile qu’elle permet de suivre un ordre méthodique qui nous livre chacune des questions séparément et dégagées des complications dont on les avait enveloppées depuis quelques temps.

Je m’efforcerai de prouver que non seulement il n’existe pas de projet de navigation en France pour atteindre le but dont il s’agit, mais que ce projet, en supposant qu’il eût jamais été conçu, est aujourd’hui rendu impossible par des empêchements invincibles : que dans tous les cas, il ne pourrait avoir les conséquences qu’on lui attribue.

Je m’efforcerai de prouver aussi que, si le projet de navigation à établir en Belgique, du Hainaut à la mer du Nord est possible physiquement, et sous le rapport de l’art, il est jusqu’à présent impossible commercialement, c’est-à-dire que le moment de les exécuter n’est pas encore venu.

Car, messieurs, chaque canal, chaque route à faire, a son temps propre pour devenir nécessaire. Les communications se font rarement a priori ; il faut une certaine maturité industrielle pour en justifier l’opportunité.

J’établirai ensuite que le canal de l’Espierre, qui se trouve essentiellement dans ces conditions de vitalité, est étranger aux divers projets dont il s’agit ; qu’il ne favorise pas ceux que la France pourrait, comme on le prétend, réaliser contre nous ; qu’il n’empêchera pas ceux que la Flandre paraît désirer de voir exécuter.

Pour ce qui regarde le canal de Bossuyt isolément, je démontrerai qu’il n’est d’aucune utilité actuelle ; que ce canal ne remplacerait pas celui de l’Espierre qui, dans tous les cas, comme je viens de le dire, n’en gênera pas la construction, lorsque le moment sera venu de le faire avec un avantage réel pour les Flandres.

Enfin, répondant à divers orateurs qui ont voulu démontrer que le canal de l’Espierre n’avait qu’une utilité restreinte au seul marché de Roubaix, je prouverai que cette utilité s’étend aussi au marché de Lille nonobstant ces calculs.

Occupons-nous d’abord du but caché qu’on a prêté à l’Espierre.

Le système dénoncé par l’honorable représentant de Courtray, a pour tout fondement un passage d’un mémoire publié en 1820 par M. Cordier, alors ingénieur en chef des ponts et chaussées du département du Nord.

Je vais messieurs, vous donner connaissance de ce passage.

« Les rivières et vallées du département du Nord vont parallèlement de l’ouest à l’est, et tombent en Belgique ; leur hauteur au-dessus du niveau de la mer est en raison de leur éloignement des côtes. Ainsi la vallée de la Sambre est de toutes la plus élevée ; celles de l’Escaut, de la Scarpe, de la Deule, de la Lys et de la Colme, sont de plus en plus basses. On peut considérer le cours de ces différentes rivières comme compris dans un plan qui passerait par une ligne tirée de Landrecies à la mer à Dunkerque, et serait incliné de l’ouest à l’est.

Landrecies est le point culminant et le nœud essentiel de la navigation du département du Nord. De ce point on peut ouvrir quatre canaux ; le premier de la Sambre à l’Oise par le Voireau ; le second de la Sambre à l’Escaut par la Selle ; le troisième en suivant la Sambre, et le quatrième de Landrecies à la grande et à la petite Helpe. On pourrait même, par un cinquième canal, remontrer la petite Helpe et arriver à la Meuse.

Le canal de la Sambre à l’Escaut serait conduit par la Selle au bassin rond sur la Sensée, où il amènerait à volonté toutes les eaux de la Sambre et des Helpes.

Supposons maintenant que tous ces travaux soient exécutés ; que le canal de la Sensée soit approfondi ; que toutes les eaux de la Sambre et de l’Escaut puissent être jetées par ce canal dans la Scarpe ; par la Deule dans le canal du nouveau fossé ; et par celui-ci dans l’Aa ; supposons encore qu’un nouveau canal part des Fontinettes, évite Saint-Omer, arrive à Watten et de Waten à Bourbourg en longeant l’Aa. Au moyen de ces constructions et améliorations, on serait maître de jeter sur une ville quelconque du département les eaux de toutes les rivières ; de faire suspendre la navigation de l’Escaut ou de la Lys en Belgique ; et d’imprimer à la navigation du nord un mouvement rapide inconnu dans toute autre localité.

Je considérerai ce système sous deux points de vue :

Sa possibilité physique et ses résultats hydrauliques. Sa possibilité commerciale et ses résultats commerciaux en ce qui concerne la Belgique.

L’intention annoncée dans le mémoire de M. Cordier, consisterait à réunir le bassin de la Sambre par un canal dirigé dans la vallée de la Seille affluent de l’Escaut, dont l’embouchure est à Douchy, pour dériver ensuite ces eaux et celles de l’Escaut supérieur vers le littoral du département du Nord. Le canal de la Sensée qui devrait servir de passage à cette dérivation à son embouchure un peu à l’amont de Bouchain.

Pour bien apprécier les résultats hydrauliques de ce projet, il faut commencer par se rendre compte de l’importance des écoulements.

Le bassin actuel de l’Escaut en France reçoit les eaux d’une surface de territoire d’environ 178 lieues carrées, mesurées sur la carte hydraulique des ponts et chaussées.

Ce sont les eaux de cette surface qui arrivaient autrefois en Belgique par Mortagne.

Le cours de la rivière dans cette étendue est d’à peu près 120,000 mètres.

Le bassin de l’Escaut est lié à ceux de l’Oise et de a Scarpe et de la Deule, par des canaux artificiels qui sont le canal de Saint-Quentin et le canal de la sensée.

Il faut déduire de la surface primitive du bassin, les plans compris dans le système d’alimentation des points de partage de ces deux canaux, ce qui a réduit les eaux arrivant aujourd’hui en Belgique, à celle d’une surface de 158 lieues carrées.

Quelle serait la diminution de ces eaux par suite du projet de M. Cordier ? Voilà une première question.

D’abord, toutes celles appartenant au terrain supérieur à l’embouchure de la Sensée et qui forment l’Escaut à l’amont de Bouchain : ce terrain est d’une surface de 31 lieues carrées.

Ensuite, celles du bassin affluant de la Seille, destiné à servir de communication entre la Sambre et l’Escaut. La Seille entrant dans l’Escaut, à deux lieues plus bas que la Sensée, devra être dérivée d’un pont plus élevé que son embouchure, de sorte que la partie inférieure de son bassin continuera à s’écouler dans le thalweg de l’Escaut ; mais nous supposerons que la totalité doit être perdue pour nous : c’est donc encore une surface de 11 lieues à ajouter au 31 lieues ci-dessus pour former le total de la surface à déduire.

La partie du bassin de l’Escaut dont les eaux continueraient à entrer en Belgique malgré l’exécution du projet, serait donc à 116 lieues, au lieu de 158 lieues. L’Escaut, à son arrivée à Mortagne, serait donc en apparence réduit aux 5/7 de son importance totale.

Je dis en apparence, parce que le produit d’eau n’est pas proportionnel aux surfaces, il est plus ou moins abondant selon la nature du terrain et sa forme. Toute la contrée, en remontant de Cambray vers les sources de l’Escaut, est un pays crayeux, découvert et qui produit peu d’eau ; on doit remarquer même que, sur un développement de 10 à 12 lieues à travers cette partie de son bassin, l’Escaut n’a pas un seul affluent ; tandis qu’à l’aval du canal de la Sensée il reçoit, par un grand nombre d’affluents, des eaux abondantes, et notamment celles du plateau de Landrecies, occupé par la forêt de Mormal ; c’est donc la partie du bassin située au-dessous du pont de dérivation proposée qui fournir proportionnellement la plus grande masse des eaux de la rivière ; et l’on peut dire que la portion de la surface de 2/7 à soustraire n’emporte peut-être pas un cinquième du produit total.

Quoi qu’il en soit, je n’hésite pas à déclarer que, dans cette situation, l’Escaut belge, loin de perdre ses moyens de navigation, pourra au contraire être canalisé d’une manière plus efficace ; et, pour faire juger par comparaison l’importance de la rivière à son arrivée à Mortagne serait alors ce quelle est aujourd’hui en sortant de Valenciennes ; or, personne ne s’avisera de dire que la navigation entre Valenciennes et Mortagne soit moins facile qu’après son entrée en Belgique. C’est au contraire là qu’elle est la plus active, puisque Condé est le nœud de trois directions différentes.

Sous le rapport hydraulique, le projet dont on nous a menacés, n’offre donc pas de danger réel pour l’Escaut ; il suffit, pour s’en convaincre, d’analyser ses résultats comme je viens de le faire.

Par des observations analogues, on peut juger de l’influence du même projet sur la Lys.

Le bassin de la Lys en France a une surface de 124 lieues 385. Mais les canaux de la ligne de Béthune à Saint-Omer absorbant déjà les eaux d’une surface de 35 ½ lieues, pour les déverser dans le bassin de l’Aa, il se trouve que la Lys n’amène en Belgique que les eaux d’une surface de 88 4/15 lieues.

La grande ligne de déviation mentionnée dans l’ouvrage de M. Cordier, n’exercerait aucune action nouvelle sur la Lys, puisqu’elle couperait cette rivière au même point où elle est coupée aujourd’hui, à Aire, ou déjà la portion supérieure du bassin de cette rivière est dérivée à ce point. D’après cela, la Lys reste intacte ; mais comme on a parlé plusieurs fois d’un canal de Hazebrouck à Bergues, et que par ce canal on peut supposer qu’une partie de la Lys serait facilement dérivée, j’ai cherché quelle en était l’importance, et je trouve en passant, pour point de dérivation, Merville, embouchure du canal actuel d’Hazebrouck que les eaux d’une surface de 13 lieues pouvaient être barrées à ce point.

Ainsi donc les eux de la Lys belge pourraient, dans ce cas, être diminuées dans la proportion de 88 4/5 à 75 3/10, c’est-à-dire, d’un peu plus d’un septième.

Voilà donc quel serait, pour nos rivières, les effets d’une entreprise présentée comme si funeste à l’avenir commercial : Un cinquième de moins sur la quantité d’eau que charrie l’Escaut, un septième de moins sur celle de la Lys.

Mais, d’un autre côté, considérez les conséquences de ce projet pour la France elle-même.

La Scarpe depuis Douay jusqu’à son embouchure, la Scarpe rivière toute française et l’une des branches navigables les plus utiles, perdrait le 2/3 de ses eaux.

La section de l’Escaut comprise entre Valenciennes et Bouchain, dont la navigation est si importante pour les établissement d’Anzin, de Vieux-Condé et de Doucky, se trouverait réduite au produit du ruisseau l’Escaillon, et aurait perdu par conséquent plus des ¾ de ses eaux.

Il résulte donc de là que si ce projet n’exerce aucune influence sous le rapport hydraulique sur nos voies navigables, il nuit au contraire au système de navigation de la France en créant deux lacunes qu’on ne remplirait que par des moyens artificiels.

Tous ces faits, messieurs, je les énonce positivement et non sous forme de doute. Chacun peut vérifier les calculs, apprécier les résultats que j’indique et rester convaincu que le détournement d’une partie des eaux du bassin de l’Escaut n’intéresse en rien l’état matériel et physique de la navigation en Belgique.

Voyons maintenant la possibilité d’exécution de ce projet.

M. Cordier, comme nous l’avons vu, dit, dans son mémoire : « Supposons que ces travaux soient exécutés » ; c’est-à-dire le canal de la Seille, qui doit réunir la Sambre à l’Escaut : ce canal, de sept lieues de longueur, dont la chute de près de 100 mètres, exigeraient 40 à 50 écluses, les unes à la suite des autres, et coûterait plus de 10 millions ; mais ceci nous importe peu : ce n’est pas dans la dépense qu’est l’obstacle.

« Supposons, ajoute M. Cordier, que le canal de la Sensée soit approfondi, que toutes les eaux de la Sambre et de l’Escaut puissent être jetées par le canal dans la Scarpe. »

« Puissent être jetées. » Remarquez l’expression ; car, en effet, ici est l’impossibilité. M. Cordier ne vous présente pas ses idées comme un projet à exécuter, mais comme un projet qu’on ne peut plus exécuter, qu’il regrette de voir impossible. C’est là le sens vrai de cette phrase, et en voici la preuve :

Le projet de canal de la Sensée fut conçu primitivement par Vauban, mais comme rigole d’écoulement et non comme canal navigable. Il fut revu par M. Laurent de Lyonne en 1783 ; rectifié en 1790 par les ponts et chaussées et réétudié de nouveau en 1810 ; on l’arrêta définitivement en 1817, d’après les propositions de M. Cordier.

Ce dernier projet consistait en un canal de niveau entre l’Escaut et la Scarpe en suivant les inflexions du sol ; l’abaissement du seuil de partage de ces deux rivières vers les sources de la Sensée permettant cette coupure.

Les eaux de l’Escaut supérieur et de la Scarpe auraient pu, au moyen de ce canal ainsi disposé, être rejetées à volonté sur Douay et Lille, ou sur Bouchain, Valenciennes et Condé.

Cependant le génie militaire, sans l’intervention duquel il est impossible de faire adopter des travaux qui peuvent intéresser aussi directement la défense des places frontières, s’est opposé formellement à cette disposition, et sur la proposition de M. le directeur général Rogniat, inspecteur-général du génie, on a décidé l’établissement d’un bief de passage pour le canal de la Sensée, élevé au-dessus des deux rivières, et dont la chute est rachetée à chaque extrémité par des écluses à sas pour descendre dans la Scarpe d’une part, et dans l’Escaut de l’autre. C’est ainsi que le canal a été fait en 1810.

La faculté qu’offrait le projet de M. Cordier de rejeter à volonté les eaux d’un côté ou de l’autre, pour augmenter les inondations défensives de différentes places, a paru au contraire un grand inconvénient, en ce que le canal de niveau, placé hors de l’influence des forteresses, pourrait servir à l’ennemi, pour détendre les inondations, ce qui faciliterait les travaux d’attaque au lieu de les gêner, comme le pensait M. Cordier.

Nous voyons donc, d’après la condition posée par le génie militaire, et suivant laquelle le canal de la Sensée a dû être exécuté, que le projet de détournement des eaux de l’Escaut supérieur, ne peut plus s’effectuer et c’est là ce qui fait dire à l’auteur du mémoire, obligé d’exécuter son projet ainsi modifié, que le canal de la Sensée devrait être « approfondi », c’est-à-dire que le bief de partage qui s’étend sur toute la longueur de ce canal serait creusé au niveau du buse aval des écluses de tête, ce qui équivaut presque à la construction d’un nouveau canal. Mais, encore une fois, qu’importe la grandeur et la difficulté des travaux : l’obstacle réel, c’est la condition imposée par le génie, qui ne peut être éludée.

Les principes de défense, dont la conservation est confiée en France au comité des fortifications, ne fléchissant devant aucune considération, M. Cordier lui-même en a vu un nouvel exemple, dans la résistance qu’il a éprouvée à cet égard pour l’adoption du canal de jonction de la Sambre à l’Oise,. Ce projet, bien utile cependant aux intérêts industriels de la France a été arrêté pendant quinze ans, parce qu’il présentait des dispositions nuisibles à la défense de la place de Landrecies : on n’est parvenu à surmonter l’opposition du comité, qu’en modifiant le niveau du bief de partage du nouveau canal, aux risques de compromettre le système d’alimentation de cette navigation ; mais il fallait une garantie pour la forteresse, et toutes les autres considérations ont également dû céder à celle-là seule.

Mais, messieurs, ce n’est pas tout, et nous ne sommes pas au bout des impossibilités de ce genre.

Cette ligne de navigation à diriger depuis la Sambre jusqu’à Dunkerque, est soumise à bien d’autres éventualités.

M. Cordier dit plus loin :

« Supposons (car ce sont toujours des suppositions qu’il nous présente), supposons encore qu’un nouveau canal parte des Fontinettes, évite Saint-Omer, arrive à Wallen et de Wallen à Bourbourg en longeant l’Aa. »

Pourquoi faut-il un nouveau canal sur ce point où la ligne navigable existe ?

C’est que cette ligne navigable qui n’a précisément entre Aire et la rivière d’Aa qu’une profondeur de 1 mètre 10 et souvent moins, ne remplirait pas le but.

Il faut donc lui donner une plus grande profondeur, et c’est là ce que nos honorables adversaires considèrent comme praticable, parce qu’ils ne connaissent pas les faits, M. Cordier les connaissait, lui, qui nous signale les obstacles dont son projet est hérissé. Néanmoins il tombe dans l’erreur à son tour, par l’indication des moyens d’y remédier.

Le canal d’Aire à Saint-Omer a été construit sous la direction et est resté sous la surveillance du génie militaire, quoiqu’il fasse partie d’une ligne navigable. A partir des Fontinettes, c’est-à-dire avant d’arriver à Saint-Omer, le niveau de son plafond est mis en rapport avec le repère des eaux d’inondation de la place. Cette condition a influé sur son tirant d’eau, réduit invariablement à 1 mètre 10 ; et c’est parce que M. Cordier en est convaincu qu’il propose un canal latéral aux canaux actuels, afin d’avoir la faculté de donner plus de profondeur à cette navigation.

Mais il oublie que faire un canal des Fontinettes à Watten, en évitant la place de Saint-Omer, c’est se placer dans la même position où il se trouvait avec le projet de canal de la Sensée à l’égard de Bouchain et de Douay : les mêmes principes de défense qui ont fait modifier le canal de la Sensée, qui ont fait modifier le canal de jonction de la Sambre à l’Oise et qui font maintenir l’état imparfait du canal d’Aire à Saint-Omer, empêcheront qu’il ne soit donné au profit du canal dont il s’agit ici pour éviter Saint-Omer, un approfondissement qui rendrait nulles toutes les précautions du génie militaire.

En effet, pour donner à ces canaux un plus grand mouillage, il y a deux moyens :

Approfondir le plafond :

Elever la flottaison en augmentant le relief des digues.

Le premier moyen est impraticable à cause du génie militaire : je pense qu’on ne contestera plus ce fait.

Le second moyen a d’autres inconvénients : d’abord, les canaux existant à l’aval de Saint-Omer servent au desséchement ; en surélevant leur plan de flottaison, on ne pourrait plus y introduire les eaux affluentes et une grande partie de ce pays se trouverait converti en marais.

Ensuite, la constitution du sol est telle, qu’on ferait difficilement un canal étanche du moment qu’il faudrait l’élever au-dessus du terrain naturel sur une grande longueur.

Enfin, le système d’alimentation dans ce cas exigerait des retenues supplémentaires, d’autant plus difficiles à obtenir, que les eaux n’appartiennent pas à la navigation seule, mais appartiennent aussi au génie militaire.

Rien n’autorise donc à croire à la possibilité d’amélioration dans la ligne des canaux existant entre la Scarpe et la mer par Béthune et Saint-Omer. Les mêmes causes auxquelles l’imperfection de ces canaux est due, deviennent également un obstacle au projet de M. Cordier, ainsi que cela résulte de ses propres explications. Nous en trouvons une nouvelle preuve dans les circonstances qui ont accompagné l’exécution du canal de la Bassée à Aire, canal qui forme un autre chaînon de cette ligne.

C’est en 1822, c’est-à-dire deux ans après la publication du mémoire de M. Cordier sur la navigation du département du Nord, que le canal d’Aire à la Bassée, destiné à rattacher la Deule aux canaux de Saint-Omer à Dunkerque, fut mis en adjudication.

« Il a été décidé, dit M. Huerne de Sommeuse, dans son ouvrage sur les canaux, par la commission mixte des corps royaux du génie et des ponts et chaussées, que le canal serait à point de partage, pour éviter qu’on pût, par sa direction, dériver les eaux de la haute Deule qui servent aux inondations de Lille. »

Vous voyez bien par tous ces faits, qu’il n’est pas possible de s’occuper de la construction ou de l’amélioration d’une seule branche des nombreux canaux dont se compose la navigation intérieure des départements limitrophes de la France, sans tomber sous la surveillance du génie militaire, sans que l’application des principes si absolus de la défense des forteresses n’influe sur le tracé, n’en fasse modifier le profil, et n’en limite les dimensions en profondeur.

La navigation intérieure dans les départements limitrophes de la France, malgré son importance pour le commerce, est aux yeux du gouvernement d’un intérêt secondaire : les faits que j’ai cités le prouvent.

Aussi tout ce que la France peut faire dans ces départements si riches et si productifs, c’est de multiplier les canaux et de compenser par le nombre le défaut des dimensions. Il existe en ce moment, pour aller de l’Escaut à Dunkerque par la France, deux voies, la Sensée et la Scarpe. Ces deux voies se bifurquent, à partir de la Deule : on peut alors à volonté se diriger sur Béthune ou sur la Lys supérieure. Cela n’empêche pas le gouvernement français d’accueillir, de favoriser les projets de nouvelles communications du même genre. Ainsi par exemple, le canal de Roubaix réuni à l’Espierre, offrira une troisième jonction entre l’Escaut et Dunkerque, jonction de même nature que les précédentes avec les mêmes défauts originels ; c’est une communication de plus, sans être une concurrence possible à la ligne des Flandres ; la France l’a encore accueillie et c’est là tout le secret des paroles profondes prononcées par Charles X lors de la pose d’une première pierre à l’écluse de Wambrechies. Il a dit que ce serait une communication de plus de l’Escaut à la mer ; mais il n’a pas dit qu’elle serait meilleure que les autres, parce que cela n’est ni ne peut être.

Si l’on fait plus tard un canal d’Hazebrouck à Bergues, chacune des communications précédentes aura une nouvelle branche qui leur sera commune ; mais cette fois encore la question de la concurrence pour les Flandres restera intacte, parce que le canal d’Hazebrouck se trouvera comme les autres dans le cercle d’action des forteresses dont la défense doit être assurée avant tout. Il y aura dans ce cas une ligne de plus vers Dunkerque, présentant des avantages aux localités comme toutes celles que l’on peut faire, mais ne présentant aucun avantage général au transit et aux expéditions de Mons à la mer.

Je crois, messieurs, en avoir dit assez sur cet objet : vous devez être convaincu comme moi maintenant que le prétendu projet attribué à M. Cordier n’était déjà plus un projet à l’époque où son ouvrage a été publié. La manière dont il en parle le prouve, et les faits que je vous ai cités vous donnent le sens véritable de ce passage de son mémoire, dont on s’est appuyé pour supposer un système nuisible au pays et qui serait le but caché du canal de l’Espierre.

En résumé, je crois avoir suffisamment établi et démontré que, même dans le cas d’exécution d’une dérivation des eaux de l’Escaut, il n’en résulterait cependant aucun préjudice pour notre navigation.

Quoiqu’il soit démontré par tout ce que je viens de dire que le système attribué à la France, par l’honorable député de Courtray n’existe pas, je dois cependant, pour rendre ma réfutation complète, en faire, ainsi que je l’ai annoncé, un nouvel examen sous le rapport commercial.

La navigation des départements du Nord de la France se rattache à celle de la Belgique par la Lys, l’Escaut, la Sambre et la Meuse.

Ces deux dernières jonctions ne font rien à la question actuelle ; nous ne nous occuperions que de l’Escaut et de la Lys.

L’usage commun des canaux des deux pays intéresse deux espèces de transport :

Ceux qui se font avec concurrence entre les producteurs français et belges, sur différents marchés ;

Ceux qui se font sans concurrence, soit par l’un, soit par l’autre pays.

Le système de canaux destinés à faire communiquer la Sambre avec Dunkerque, serait évidemment nuisible à la Belgique, dans la supposition que nous voulons bien faire ici de sa possibilité d’exécution :

1° S’il pouvait donner aux producteurs français des avantages nouveaux sur les marchés où nos producteurs font concurrence aux premiers ;

2° S’il pouvait nous exclure des marchés que nous exploitons seuls.

Les marchés que nous exploitons en concurrence avec la France sont au nombre de trois :

Lille et Roubaix, ou autrement dit, le centre du département du Nord ;

Dunkerque ;

Le bassin de la Seine.

Les marchés que nous exploitons sans concurrence se trouvent en Belgique : un seul pourrait être influencé par les modifications dont les canaux français sont susceptibles :

C’est le marché de la haute Lys.

Comme les transports communs vers ces différents lieux de consommation se composent de charbons de terre, les producteurs français nos concurrents sont les établissements d’Anzin, Vieux-Condé et Douchy.

Il faudrait, pour qu’un tort quelconque nous fût fait, que ces établissements pussent obtenir par le système de navigation supposé, des avantages nouveaux, que ne leur donne pas la navigation actuelle, ou que les producteurs belges rencontrassent dans les voies navigables existantes, des obstacles qu’aurait créé ce système.

La question ainsi posée, procédons à sa solution.

Ici, messieurs, c’est encore une fois à M. Cordier que j’aurai recours, et c’est à l’aide du mémoire dont nous avons déjà cité des passages que je vais détruire tous les doutes.

A la suite de ce que j’ai lu sur la description du mouvement des eaux, par les différents canaux énumérés, on trouve :

« Ces travaux ne sont point gigantesques et seraient soumissionnés par des compagnies, parce qu’on sait déjà en prévoir les avantages. Le commerce prendrait une extension extraordinaire : en huit jours on transporterait les bois et les marbres de la Sambre depuis Landrecies jusqu’à Dunkerque ou à Paris, et on ramènerait les marchandises qui seraient portées sur l’Oise et la Meuse. Cette navigation, surtout utile pendant le chômage du canal de Saint-Quentin, ouvrirait des débouchés à plusieurs arrondissements du Nord et de l’Aisne, privés de navigation.

Cet ensemble de canaux, liés entre eux et présentant une ligne continue, parallèlement à la frontière, depuis la Meuse jusqu’à la Lys et à la mer assurerait la défense du Nord, établirait une communication par eau prompte et sûre entre toutes les places ; en faciliterait les approvisionnements et décuplerait les moyens d’inondation. Nul projet ne serait plus utile, soit pendant la paix, soit pendant la guerre ; aucun ne pourrait être moins dispendieux, puisque l’Etat n’en ferait pas la dépense.

Tel devait être le but commercial du projet dont il s’agit ; et, vous le voyez, pas un mot dans tout cela n’intéresse les transports de notre navigation. Nous n’avons, et nous ne pouvons avoir aucune prétention que les échanges de marchandises mentionnés dans ce que je viens de lire viendraient contrarier ; il est question ici de marchés sur lesquels nous ne sommes pas en concurrence avec les producteurs français, dont cette navigation serait destinée à favoriser l’accès.

Cependant, c’est à cette seule énumération que se bornent les avantages, attribués par M. Cordier, à son système.

Jusque là, rien de plus inoffensif pour la Belgique que des canaux destinés à développer des exploitations dont les produits seraient transportés avec plus de facilités sur des lieux de consommation où nous ne fournissons jusqu’ici aucun produit similaire.

Mais, messieurs, pour avoir l’esprit tranquille à cet égard, j’ai poussé plus loin mes investigations, et j’ai consulté un ouvrage plus récent de ce même M. Cordier.

C’est un mémoire publié en 1838, sur le canal de jonction de la Sambre à l’Escaut, par la Seille. Canal annoncé dans l’ouvrage de 1820, comme devant faire partie du grand système qui nous occupe en ce moment ; et voici ce que j’y trouve sur le but commercial de cette communication, dans un chapitre où sont résumés les avantages du projet.

« Le canal de la Sambre à l’Escaut servirait au transport des bois de charpente, charbons de bois, des ardoises, des pierres, et procurerait au département du Nord, une économie d’un million par an.

« Les routes royales et départementales coûteraient moins des frais d’entretien ; les places de guerre de l’Escaut seraient approvisionnées à plus bas prix.

« L’influence de cette communication s’entendrait beaucoup au-delà des limites des départements du Nord et de l’Aise ; c’est par ce canal qu’arriveraient les ardoises de Fumery et les productions agricoles toujours à bas prix dans le département des Ardennes, et particulièrement les vins et les céréales des départements de la Meuse et de la Moselle.

« En échange, les arrondissements manufacturiers du Nord, plus commerçants et plus rapprochés de la mer, expédieraient dans les départements de l’est de la France, par le canal de la Sambre à l’Escaut, des huiles, du tabac, des étoffes, du sel, des vins du midi et toutes les denrées coloniales.

« En tous temps et dans le cas surtout d’une interruption de commerce entre la France, la Belgique et la Prusse, ce canal servirait au transport des charbons de terre français, des mines de l’Escaut dans les arrondissements d’Avesnes, etc., où l’on compte un grand nombre d’usines qui font usage de la houille.

« Ce canal augmenterait de moitié les produits de la Sambre canalisée. »

La pensée réelle de M. Cordier est parfaitement exprimée dans cet exposé : il a voulu rapprocher les arrondissements maritimes des départements du nord et du Pas-de-Calais, de l’arrondissement d’Avesnes, des départements de l’Aisne et des Ardennes.

Le fer, les bois de construction, les pierres, le marbre si abondants sur les bords de la Sambre française et de la Meuse, ne parviennent que difficilement ou pas du tout à Lille, Dunkerque ou Calais ; et dans ces dernières villes on s’approvisionne le plus souvent par mer, d’un grand nombre de produits, qu’avec de bonnes communications navigables on pourrait tirer des arrondissements voisins.

C’est là le but que désirent atteindre depuis longtemps les administrateurs du département du Nord et surtout l’ingénieur en chef des ponts et chaussées qui a si puissamment contribué à y améliorer la condition des voies de transport de toute nature.

Le commerce belge ne peut éprouver aucun dommage de la réalisation de ces vues, et si le projet de navigation parallèle à la frontière était possible, il est évident que, conçu dans ce but, il est loin de pouvoir nous porter préjudice.

Mais comme tout cela ne constitue que des preuves négatives, il faut bien chercher notre complète sécurité, dans l’examen même du mouvement des transports actuels après l’exécution du canal supposé, pour voir en quoi ces transports seraient influencés par les modifications que ce canal aurait apportées aux voies navigables dont nous nous servons aujourd’hui.

Voyons les différents marchés l’un après l’autre.

Dunkerque d’abord. Ce marché est à la vérité fermé aujourd’hui aux produits belges et aux produits français. N’importe, puisque nous sommes dans le champ des suppositions, nous admettrons que l’ancien état de choses se rétablisse.

Anzin et Mons fournissaient autrefois à Dunkerque une quantité de 100,000 tonneaux environ de houille, dont les deux tiers y étaient embarqués, à destination de Rouen, Nantes et Bordeaux, et l’autre tiers se consommait sur les lieux.

Tous ces transports, même ceux expédiés d’Anzin, se faisaient par l’Escaut belge, par Bruges et Nieuport, à cause de l’imperfection des canaux vers Saint-Omer.

Anzin a deux directions à sa disposition pour entrer dans la ligne de la Sensée vers Saint-Omer, c’est l’Escaut en remontant vers Bouchain, ou la Scarpe en remontant vers la Deule.

Mais nous avons vu que, par l’effet de la dérivation de l’Escaut supérieur, le cours de cette rivière est presqu’anéanti entre Valenciennes et Bouchain où serait le barrage. Anzin se trouve d’après cela presque isolé du reste de la France.

Singulier résultat d’un projet prétendument conçu pour donner à un centre de production aussi important une prépondérance sur la Belgique.

Resterait la voie de la Scarpe. Mais là aussi, il y a lacune, ou peu s’en faut, sur toute la distance de Mortagne à Douay.

Anzin serait donc forcé d’emprunter la ligne des canaux belges pour atteindre le marché de Dunkerque.

Les transports belges restent donc à l’égard de ce marché dans la même position qu’avant.

En ce qui concerne Lille et Roubaix, où nous arrivons aujourd’hui par la Scarpe en concurrence avec Anzin, il y aurait obstacle, tant pour les producteurs belges que pour les producteurs français ; mais comme le canal de l’Espierre nous ouvre une voie vers ce marché, plus favorable que la Scarpe, nous y acquerrons un avantage sur nos rivaux. Peut-on raisonnablement supposer que la France a voulu placer ses producteurs dans cette dépendance fâcheuse pour leurs intérêts ?

Vient maintenant le marché de la Seine, où Anzin et Mons transportent leurs produits par le haut Escaut et le canal de Saint-Quentin. Pour cette fois la route serait fermée aux uns comme aux autres par la lacune entre Valenciennes et Bouchain.

Ici, messieurs, la conséquence est plus bizarre encore, car voilà les consommateurs de l’intérieur de la France, voilà des établissements industriels qui absorbent plus de 500,000 tonneaux de charbon, entièrement privés de combustible par une combinaison destinée à accroître leur prospérité.

Est-il besoin, après cela de beaucoup d’efforts pour comprendre qu’un projet est impraticable du moment qu’il arrive à un résultat aussi absurde ?

Reste le marché de la haute Lys. Celui-là est plus que jamais hors d’atteinte pour Anzin. La Belgique continuera à l’exploiter sans concurrence désormais possible, soit par Gand en remontant la Lys, soit par le canal de Bossuyt, si elle juge à propos de le faire, soit par le canal de l’Espierre.

On dira peut-être que ces lacunes dans la navigation de l’Escaut et de la Scarpe seront remplies au moyen d’une alimentation artificielle fournies par les eaux retenues à Bouchain. Soit, je veux bien admettre cette hypothèse ; mais alors où est l’effet menaçant du système attribué à la France. On aura remplacé une navigation en lit de rivière sur une partie du cours de l’Escaut et de la Scarpe par une navigation en lit de canal ; navigation qui nous servirait à nous comme elle servirait à nos voisins.

De tout cela, il résulte que, sous le rapport commercial, il n’y a pas plus de danger pour la Belgique dans la dérivation du haut Escaut, que sous le rapport hydraulique.

A l’égard de Dunkerque, la Belgique conservera la possibilité éventuelle d’y reprendre ses anciens avantages.

A l’égard de Lille et Roubaix, la chance est en notre faveur.

La Lys reste dans sa position actuelle avec l’espoir d’améliorations entièrement à notre disposition.

Et comme l’intérieur de la France ne peut pas être privé de charbon, nous avons une garantie certaine dans l’intérêt des producteurs d’Anzin et des consommateurs du bassin de la Seine, que la France n’a pas voulu ni pu sérieusement vouloir la perte des uns et des autres.

Pourquoi s’appesantir davantage sur les résultats étrangers de projets plus étranges encore ?

Ou pour mieux dire, pourquoi s’obstiner plus longtemps dans ces recherches, et supposer un but qu’ils n’ont pu avoir à des projets reconnus impossibles ?

Mais ce n’est pas moi, messieurs, qui ai créé toutes ces questions sans solution raisonnable : elles découlent du système qui vous a été exposé ; j’ai dû les en déduire pour vous démontrer dans quelle série d’anomalies nous étions entraînés, loin de l’Espierre, dans cette discussion. Sortons de ce cercle vraiment fantastique et rentrons dans le vrai.

Mais avant d’en venir au canal de l’Espierre, j’ai à examiner en peu de mots la question du second système de l’honorable représentant de Courtray. Le système qu’il appelle national en opposition avec la prétendue ligne français appelée antinationale.

Il s’agit ici d’un projet de navigation pour joindre Mons à la mer du Nord.

Plus franc et plus expéditif que d’autres adversaires de la concession de l’Espierre, l’honorable représentant de Courtray nous dit que le canal de Bossuyt à Courtray, n’est proposé que comme la première section d’une ligne continue de l’Escaut vers la mer.

A la bonne heure, la question se simplifie par cette déclaration. Gand, Bruges, Ostende et Nieuport, qu’on avait ameutés contre l’Espierre, n’ont plus à s’en occuper : Le nouveau projet d’un canal, parallèle à la frontière par Courtray, Ypres, Knocke et Furnes, va déplacer l’opposition. Le débat restera concentré dans les Flandres où toutes ces rivalités intempestivement soulevées contre l’Espierre, trouveront un aliment en elles-mêmes, contre elles-mêmes.

Le canal doit il s’agit est-il possible : est-il utile au point de réclamer une exécution immédiate ?

Il est rare, messieurs, qu’un canal ne soit pas physiquement possible, les plus grandes difficultés de terrain peuvent être surmontées par les travaux de l’art : c’est une question de dépense.

Mais de ce qu’un canal est possible, il ne s’ensuit pas qu’il soit utile, un canal est utile généralement dans deux cas.

1° Lorsque l’état de l’agriculture, de l’industrie et du commerce d’une localité, sont assez prospères pour nécessiter une quantité de transports telle, qu’un péage imposé sur ces transports, puisse en laissant des avantages suffisants à la nouvelle voie sur les anciennes, procurer une recette convenable pour couvrir les dépenses annuelles et l’intérêt des fonds employés. C’est alors que l’industrie particulière peut elle-même subvenir à l’exécution.

2° Lorsque l’état de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, sans être actuellement assez prospère, se trouvent néanmoins dans une situation qui permet de juger que l’ouverture d’une voie navigable doit infailliblement en amener le développement. Dans ce cas, il est du devoir du gouvernement de proposer lui-même le canal aux frais de l’Etat. C’est là ce que j’appelle faire une communication a priori.

Je n’ai pas besoin de dire que cette hypothèse est difficile à justifier d’une manière évidente. Pour le moment, je ne considère le projet que sous le rapport des conditions relatives au premier cas, l’exécution par l’industrie elle-même et par suite de besoins existants.

Pour établir la ligne de l’Escaut à la mer par Courtray, Ypres et Furnes, il faut :

1° Construire deux canaux neufs à point de partage, l’un de l’Escaut à Courtray, l’autre de Menin à Ypres ;

2° Canaliser la Lys entre Courtray et Menin ;

3° Approfondir et élargir le canal d’Ypres à Knocke et faire les mêmes travaux sur le canal de Loo, de Knocke à Furnes.

La largeur au plafond du premier de ces canaux est de 6 mètres, la largeur du second est de 4 mètres.

L’un a un mouillage de 95 centimètres à 1 mètre 25 ; l’autre, un mouillage de 1 mètre 20 centimètres.

Ces dernières dimensions sont nécessitées par l’intérêt de l’agriculture : le repère des eaux a été fixé de la sorte hors des temps d’inondation pour la sécurité des terres voisines.

D’après le rapport des chambres de commerce les travaux de ces deux canaux neuf s’élèveraient à la somme de 10 millions environ : les autres travaux pour compléter la ligne porteraient la somme des dépenses à au moins douze millions.

L’intérêt de ce capital, l’entretien, l’administration exigeront une dépense annuelle de 750,000 francs au moins.

C’est à cette somme que devra s’élever la recette du péage.

Or, quelle est dans l’état actuel des choses, l’importance des transports ?

Cela se borne aux transports vers Dunkerque, réduits aujourd’hui à 36,000 tonneaux ; le marché de la Lys, qui ne comporte qu’un transport total de 50,000 tonneaux. En tout, 86,000 tonneaux.

C’est-à-dire qu’il faudrait faire payer par tonneau pour les transports destinés à la Lys trois francs.

Et pour les transports vers Dunkerque 17 francs, d’où il résulte que le fret pour Dunkerque serait triplé.

Ou plutôt il faudrait en conclure que le transport vers Dunkerque serait impossible en présence de la voie existante.

Un pareil canal est évidemment une entreprise sans avantages pour le commerce actuel ; donc elle n’a pas d’utilité démontrée.

Aura-t-elle une utilité dans l’avenir ? C’est là une question pour la solution de laquelle aucun de ceux qui ont appuyé la proposition n’a fourni d’éléments positifs.

En fait de calcul pour motiver un projet de communication, les raisonnements vagues sur l’influence exercée par les communications ne prouvent rien ; il faut des chiffres détaillés de faits réels. J’ai examiné les chiffres donnés par les chambres de commerce intéressées, et par les promoteurs de projets, je n’ai rien vu qui fût d’accord avec ce qui est, avec ce qu’on expédie et ce qu’on consomme. On a fait des hypothèses, et voilà tout.

Au reste, pour que l’on ne critique pas les chiffres de produits que j’indique, je dirai où je les puise.

Les transports actuels sur toute la longueur de la Lys sont évalués par l’auteur du projet de canalisation de cette rivière à 64,200 tonneaux, dont une partie se consomme dans la sphère d’activité de la navigation de Gand.

Ces mêmes transports sont évalués par la chambre de commerce de Gand à 43,200 tonneaux (pièces à l’appui des projets de canalisation de la Lys), suivant les extracteurs de Mons ; l’expédition la plus considérable pour la Lys, depuis Gand jusqu’à la frontière de la France est celle de 1829 ; elle s’est élevée à la quantité de 49,940 tonneaux.

Il n’y a donc rien de hasardé à porter les transports dans le cercle d’action d’une jonction de l’Escaut à la Lys à 50,000 tonneaux en maximum.

Si la base de mon calcul diffère essentiellement de celle du calcul de M. Verrue, c’est donc parce qu’il a pris des chiffres hypothétiques ; il a supposé un accroissement de consommation et le détournement d’une navigation qui suit aujourd’hui d’autres directions. Mais, messieurs, ce n’est pas ainsi qu’on calcule quand on ne veut pas se tromper.

J’ai fait des canaux dans ma vie, et j’ai surtout étudié beaucoup de projets tant en Belgique qu’en France, et je me suis constamment conformé à une règle qu’on observe rigoureusement en pareil cas ; c’est qu’il faut assurer ses calculs sur l’état rél de la masse des transports pour résoudre la question de remboursements et les intérêts du capital, parce que ce remboursement est la chose qui doit être positivement garantie, pour former le crédit de l’opération et pour démontrer la question d’utilité ; Il n’y a que les bénéfices qu’on rejette dans les éventualités. Voyez tous les projets qui se font en France, en Angleterre, en Amérique, quand cette règle est observée ils réussissent ; c’est son inobservation, au contraire, qui a entraîné la ruine de plusieurs entreprises, dont les projets peu étudiés se trouvaient basés sur une extension de marché au lieu de l’être sur le marché réel.

Il serait inutile, en présence de ces faits, de discuter les chiffres hypothéqués des différents projets de canaux présentés depuis le capitaine Alwin jusqu’à M. Verrue-Lafrancq inclusivement.

Les calculs ci-dessus, appliqués au canal de Bossuyt considéré isolément, nous conduisent aux mêmes conclusions.

La dépense de ce canal sera de quatre millions au moins ; je sais bien que l’un des promoteurs du projet ne l’évalue qu’à trois millions et demi à peu près ; mais en cela il n’est pas d’accord avec l’auteur du premier projet, ni avec les faits observés dans l’exécution des nombreux canaux construits en France et en Belgique depuis quelques années.

La dépense d’entretien, d’administration et d’alimentation est portée par l’auteur de la proposition à 118,000 francs. En y ajoutant l’intérêt, 200,000 francs. On a une charge annuelle de 318,000 francs. Nous ne la supposerons que de 300,000 francs.

Or, comme ce canal n’aurait d’autre marché à alimenter que celui de la Lys, dans certaines limites, en amont et en aval de Courtray, l’importance de ce marché sera certainement exagérée, si on la fixe à 50,000 tonneaux comme il est dit précédemment.

Il faudrait alors un péage de 6 francs par tonneau pour couvrir les frais. Certes, dans ces conditions, les transports ne suivraient pas la voie du canal et continueraient à aller par Gand.

Le canal de Bossuyt n’a donc réellement pas plus d’utilité commerciale actuelle, pris isolément, que réuni à la ligne vers Ypres et la mer ; puisque l’industrie particulière ne pourrait l’exécuter.

On dira sans doute aussi, qu’il y a une proposition pour le faire qui contrarie cette opinion.

A cela je répondrai, il y a eu un promoteur du projet, mais il n’y a et ne peut y avoir de soumissionnaire sérieux, il ne peut y avoir de concessionnaire. Un soumissionnaire sérieux aurait demandé un péage en proportion avec le transport réel, à moins d’être résolu à se ruiner. Ce qui n’est pas présumable ; il n’a demandé qu’un péage fictif précisément parce qu’il ne voulait pas donner suite à sa proposition et pour lui faire produire mieux l’effet qu’il avait en vue.

Je m’expliquerai un peu plus tard sur ce point ; il faut premièrement que j’aborde la question de l’Espierre considérée en elle-même.

Messieurs, je réclame encore un instant votre attention : nous voici arrivé à l’objet le plus important, et tout ce que j’ai dit précédemment s’y rattache plus ou moins.

Le canal de l’Espierre ne peut, quoiqu’on en ait dit, rien faire en faveur du projet d’écoulement de la Sambre à la mer en France, projet dont j’ai démontré l’impossibilité.

Par le canal de l’Espierre, on n’arrivera pas à faire jamais vers Dunkerque une meilleure navigation que celle existante, dont le commerce ne juge convenable de se servir. Je crois que cela est aussi incontestablement prouvé.

Le canal de l’Espierre résout une question indépendante de toute autre. Il a pour but d’améliorer la condition de nos transports vers Lille et Roubaix. C’est un but spécial ; un but qui est propre à ce canal seul.

Tout a été dit sur cet objet, je n’ajouterai aux développements donnés précédemment par l’honorable ministre des travaux publics, que quelques mots en réponse à des calculs reproduits dans la discussion quoique réfutés ailleurs antérieurement.

Pour le marché de Roubaix, tout le monde est d’accord que ce canal présente de grands avantages ! n’en parlons plus.

Pour le marché de Lille, les uns contestent ces avantages, les autres sont dans le doute.

Contester les avantages est une chose assez étrange en présence des efforts que font depuis plus de 10 ans, les consommateurs d’une part et les producteurs de l’autre.

Les consommateurs si intéressés à se procurer le charbon avec plus de facilité et à plus bas prix : les producteurs, gens éclairés, progressistes et accoutumés à provoquer, protéger et accomplir les entreprises les plus propres à développer les moyens industriels du pays. N’est-ce pas comme si l’on disait que ni les uns, ni les autres ne savent ce qu’ils disent ou ce qu’ils veulent ? Or, c’est ce qu’on ne peut raisonnablement admettre.

Mais deux mots et quelques chiffres suffiront pour expliquer les doutes.

Par les calculs faits sur le prix comparatif des transports de la Scarpe et de l’Espierre vers Lille, on est venu à croire qu’il n’y avait pas de bénéfice à se servir de la nouvelle voie. L’égalité n’est qu’apparente.

En effet, les calculs auxquels on s’est livré ne donnent que les dépenses, ou autrement dit, les débours à faire sur chaque route : ce n’est pas ce que paye le consommateur, c’est simplement ce que paye le batelier.

Ce que paie le consommateur, c’est ce qu’on appelle le fret.

Le fret se compose des dépenses, qu’on a calculées plus ou moins bien dans ces diverses comparaisons, et du bénéfice de l’expéditeur ou du batelier.

Ainsi, par exemple, quand, par les calculs de M. Mimerel représentant le commerce de Lille à la commission d’enquête de Courtray, les dépenses de la Scarpe ont été évaluées à 357 francs.

Et que par les calculs de M. Verrue, ces mêmes dépenses se trouvaient ne s’élever qu’à 2 francs 29 centimes.

Le fret sur Lille était cependant au taux de 4 francs.

Or, que les dépenses à faire par la route de l’Espierre soient comparativement plus ou moins rapprochées des calculs de M. Mimerel ou de M. Verrue, ce n’est pas dans les différences que je trouverai ma conclusion, mais dans les circonstances qui, indépendamment de ces dépenses, influent sur le fret.

C’est-à-dire la durée du voyage et le tonnage de la nouvelle navigation ; là est la source du bénéfice du batelier, lequel doit compléter le fret.

Pour aller de Mons à Lille par la Scarpe, il faut 20 jours avec des bateaux qui ont moins de 1 mètre 50 centimètres d’enfoncement.

Pour aller de Mons à Lille par le canal de l’Espierre, il faudra 9 jours, avec un enfoncement de 1 mètre 80 centimètres.

Le même batelier pourra donc faire plus qu’un nombre double de voyages par la nouvelle voie, et transporter d’avantages avec les mêmes frais. Là est toute la question.

Cet avantage-là, messieurs, échappe au calcul mais il est très grand et exerce une influence très marquée sur le fret et qui trompe souvent les ingénieurs et les industriels les plus éclairés.

Ainsi, par exemple, en 1817, lorsque l’on a achevé le canal de Mons à Condé, le fret par bateau allant de Mons à l’Escaut, était de 2,900 francs ; aussitôt après la construction de l’écluse de Thivenelle, et malgré le péage de 12 centimes par tonneau, le fret fut réduit à 1,900 francs.

On construisit ensuite l’écluse de Guelsin à l’embouchure du canal et dès qu’elle fut livrée à la navigation, le fret tomba à 900 francs.

Ce résultat trompa tous les calculs, et dans beaucoup de circonstances semblables la même chose est arrivée, toujours d’une manière inattendue.

Il est hors de doute que le fret sur Lille va se réduire par l’Espierre, par l’influence de considérations de même nature ; les frais de route qui ne sont qu’un élément du fret peuvent rester les mêmes pour Lille sur l’Espierre et sur la Scarpe, mais l’autre élément doit nécessairement être influencé par la différence de durée du voyage et par la différence du mouillage : deux circonstances majeures, que chacun de vous peut apprécier, c’est-à-dire :

Un nombre au moins double de voyages en un an.

Une plus grande charge par voyage par un canal où l’on pourra prendre 1 mètre 80 centimètres d’enfoncement, au lieu de la Scarpe, qui ne permet que 1 mètres 30 centimètres à 1 mètre 50 centimètres d’enfoncement.

D’après cela, on admettra, j’espère que le marché de Lille est tout aussi intéressé que celui de Roubaix, à l’adoption de ce projet.

Le canal de l’Espierre est donc éminemment utile aux intérêts généraux de la Belgique, c’est un canal de débouché pour d’immenses produits.

Il ne nuit à aucun intérêt local, puisqu’il ne déplace aucune industrie nationale, ne détourne la marché d’aucuns transports belges.

Il ne contrarie l’exécution d’aucun projet utile à d’autre localités ; car en admettant que le canal de Bossuyt puisse servir avec avantage le marché de la Lys, le canal de l’Espierre n’a pas de prétentions sur ce marché, de même que celui de Bossuyt, de l’aveu de ses promoteurs, n’a nulle prétention possible sur les marchés de Lille et Roubaix.

Donc, pas de motifs de rivalité entre eux. Donc, si le canal de Bossuyt pouvait se faire, il se ferait.

Dans cet état de choses, il est bien permis de demander sur quoi se fonde réellement l’opposition ; il est aussi permis de supposer à cette opposition un but et des instigateurs étrangers aux intérêts de la Belgique.

Mais on va l’a dit, messieurs, la raison de cette opposition est en France, et quoiqu’elle émane essentiellement d’intérêts privés, ceux-ci sont tellement puissants, que leur influence n’a rien qui doive surprendre pour peu qu’on soit au courant de quelques faits antérieurs bien propres à caractériser les événements dont nous sommes aujourd’hui les témoins.

Les opposants, ce sont les compagnies charbonnières d’Anzin et de Douchy ainsi que les concessionnaires des canaux de la Sensée, de la Deule, de la Scarpe et de la Lys canalisée.

Outre les pièces produites dans les enquêtes et dans la présente discussion, nous en avons de nombreuses preuves dans la conduite tenue par ces compagnies à d’autres époques.

Jamais une entreprise avantageuse à l’industrie belge n’a été annoncée sans que les uns ou les autres n’aient cherché à y apporter des obstacles.

La canalisation de la Sambre en France, et peut après, le canal de jonction de la Sambre à l’Oise, ont été en butte à des oppositions opiniâtres partant de cette source : je m’abstiendrai d’entrer à cet égard, dans aucun détail ; les faits sont trop connus. J’ai cependant besoin de les mentionner, comme je le fais en ce moment, pour appuyer le développement de mon opinion.

Cette opposition, qui, en d’autres temps, a mis en œuvre divers moyens, emploie ici le canal de Bossuyt pour arrêter, si possible, la concession de l’Espierre. Je n’hésite donc pas à dire que le canal de Bossuyt, qui probablement un jour sera une chose bonne à réaliser, n’a été inventé dans cette circonstance, que comme obstacle à une entreprise alarmante pour les intérêts signalés plus haut.

Et d’abord, messieurs, déjà une première fois une semblable manœuvre a été tentée dans un cas absolument identique ; ceci mérite d’être rapporté, et quoique le fait soit assez récent, il peut n’être pas connu de out le monde.

Lorsque le canal de jonction de la Sambre à l’Oise était en cours d’exécution, des exploitants du Borinage près de Mons, considérant que cette voie nouvelle allait leur susciter des concurrents redoutables sur le marché de la Seine, puisqu’elle ouvrait un débouché important aux charbonnages de Charleroy, conçurent le projet, non d’empêcher l’exécution de ce canal, ainsi que l’avaient essayé Anzin et le concessionnaire du canal de Saint-Quentin, mais de rattacher leurs exploitations à cette ligne de navigation au moyen d’une communication directe.

De là est né un projet de chemin de fer dirigé du Borinage vers la Sambre française à l’amont de Maubeuge ; projet dont la concession a été demandée par une compagnie.

Qu’est-il arrivé, messieurs ? C’est que les intérêts français mentionnés plus haut, si constamment opposés aux moyens de développements de l’industrie belge se sont émus de nouveau et se sont ligués contre le projet de chemin de fer proposé.

Les charbons de Mons, en se dirigeant vers la Sambre et l’Oise, devaient arriver à Paris avec plus d’avantages que par le canal de Saint-Quentin. Cela faisait une concurrence dangereuse à Anzin ; cela menaçait de dommages et de pertes le concessionnaire du canal de Saint-Quentin dont les péages se trouveraient réduits de toute la quantité de charbons de Mons allant actuellement par ce canal.

Tout aussitôt on a vu surgir contre le projet de chemin de fer proposé un canal de jonction de la Sambre à Mons : projet antérieur à la vérité, projet auquel les exploitants du Borinage avaient pensé, mais qui ne leur avait pas semblé remplir assez efficacement le but qu’il voulaient atteindre. Par ce projet, on pourrait également arriver à la jonction de la Sambre à l’Oise, mais en faisant un plus grand circuit.

Or, ce qui doit paraître remarquable, c’est que les promoteurs de ce canal, exhumé tout à coup en opposition au chemin de fer, sont précisément ceux qui ont poussé le canal de Bossuyt contre le canal de l’Espierre.

L’intention était la même, le moyen le même. Ce sont les mêmes hommes qui agissent plus ou moins ouvertement dans les deux cas. Aussi tenaient-ils le même langage, à deux époques différentes.

Le chemin de fer, disait-on en 1833, est une entreprise antinationale, c’est un ouvrage moitié français, moitié belge le canal, au contraire, entièrement sur le territoire belge, est un projet national.

Quel a été le résultat de ce conflit ? C’est que le chemin de fer arrêté par des difficultés qu’a soulevées le génie militaire, à cause de la place de Maubeuge, est encore aujourd’hui ajourné. Dans l’intervalle le canal a été mis en adjudication mais n’a pas été soumissionné, même par ceux qui l’avaient proposé. Cela devait inutile en effet du moment et aussi longtemps que le projet de chemin de fer restait en suspens.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – C’est précisément parce que j’ai été dupe une fois, que je ne veux pas l’être une seconde.

M. de Puydt – Eh bien, voilà précisément ce qui n’a fait dire tout à l’heure que le canal de Bossuyt, entreprise commercialement impossible aujourd’hui, n’aurait pas des soumissionnaires sérieux. – Que voulait-on ? embarrasser la marche de l’affaire de l’Espierre, jeter des doutes dans les esprits, rendre peut-être une décision impossible. On a réussi pendant quelques temps, mais, en définitive, la vérité s’est fait jour et l’Espierre a triomphé de ses adversaires ; dès ce moment, une soumission pour Bossuyt devenait sans objet ; aussi n’y a-t-il pas eu d’adjudicataire, quoiqu’il y ait eu une adjudication.

Cependant, messieurs, en émettant cette opinion, je dois à la vérité de déclarer que j’ai foi pleine et entière dans la sincérité des honorables membres de cette assemblée qui ont appuyé le canal de Bossuyt ; j’en dirai autant des chambres de commerce et des régences des diverses localités qui se sont prononcées dans le même sens.

Le canal de Bossuyt a été réclamé et défendu par tous comme une œuvre qu’ils ont réellement crue avantageuse au pays, parce qu’elle était désirée par ces localités.

Le désir a fait admettre sans autre examen la possibilité et partant l’utilité ; cette conviction a conduit a proclamé l’urgence. Arrivé là, le désir s’est, dans leur esprit, converti en droit, et du moment que le canal de l’Espierre pouvait être signalé comme portant atteinte à ce droit, il n’a pas fallu grand effort à ceux qui avaient intérêt d’exploiter cette disposition des esprits, pour changer son simple vœu dans l’origine, en plaintes et griefs.

On a parlé d’intrigues. Je ne sais en quoi cette accusation, à l’appui de laquelle on ne cite d’ailleurs aucun fait, peut être dirigée contre les partisans et les demandeurs du canal de l’Espierre.

Les nombreux consommateurs du département du Nord et les industriels du Hainaut qui veulent le canal de l’Espierre, ont demandé hautement et ouvertement l’exécution de cette communication pour leurs besoins et leurs intérêts réciproques.

Ils ont combattu publiquement leurs adversaires partout où ils les ont aperçus. Tous leurs actes se sont accomplis au grand jour. Ils n’avaient pas d’intentions à dissimuler, pas de but à cacher ; pas de démarches à dérober à la connaissance du pays. La raison et la justice sont pour eux, à quoi leur auraient servi des manœuvres déloyales ?

Mais l’intrigue est là où le but véritable se déguise, où l’instigateur se cache à l’ombre d’un intérêt qui n’est pas le sien ; intérêt qu’il soulève, qu’il excite, qu’il feint de servir avec sa volonté arrêtée d’avance de ne pas le satisfaire, après qu’il aura recueilli seul tout le fruit de cette tactique.

Sans vouloir renvoyer ces vagues accusations à ceux qui mettent de l’aigreur dans la défense du canal de Bossuyt, nous nous contenterons de leur dire : Oui, il y a de l’intrigue ; une intrigue dont votre bonne foi et vos louables intentions vous rendent dupes. En voulant protéger les intérêts de l’industrie et du commerce des Flandres, vous êtes, sans le savoir, les instruments de la cupidité de tiers, accoutumés à sacrifier à leur intérêts propres et privés, l’industrie et le commerce de la Belgique entière.

Nous ne nommerons personne ; mais, dans cette enceinte, il y assez d’honorables membres qui me comprennent pour n’avoir pas besoin d’en dire davantage.

Heureusement, messieurs, la vérité a percé les ténèbres, dont on l’avait enveloppée, et le canal de l’Espierre a surmonté les obstacles accumulés contre lui. Tous les hommes bien pensants qui veulent le progrès matériel du pays, doivent, dans cette circonstance, rendre hommage au ministre qui a eu le courage de braver des clameurs sans fondement réel pour accomplir un acte d’utilité nationale.

Je ne pousserai pas plus loin ces observations déjà trop étendues. Je pense en avoir dit assez pour justifier la concession de l’Espierre des attaques dirigées contre l’urgence si bien établie de cette entreprise et surtout pour vous mettre à même de réduire à leur juste valeur les accusations relatives au but caché qu’on a supposé.

Je souhaite dans l’intérêt des Flandres auxquelles je ne suis pas hostile, tant s’en faut, que le canal de Bossuyt et même celui de l’Yperlée puissent s’appuyer un jour sur des nécessités aussi évidentes que celles dont l’Espierre s’étaye : ces canaux n’auront pas besoin de promoteurs pour qu’on les adopte alors, ils trouveront en eux leur principe d’existence ; mais il ne faut pas que leur prétention de se produire avant terme, mette obstacle à la construction de ceux qui sont devenus un besoin bien démontré.

Je terminerai par quelques observations accessoires et qu’a fait naître la discussion.

D’abord, messieurs, je dirai que les commissions d’enquête ne décident pas l’utilité publique d’une route ou d’un canal, elles ne font qu’instruire l’affaire, entendre le pour et le contre et donner des avis motivés. C’est le gouvernement et le gouvernement seul qui décide, et quand il résulte des doutes de quelques points de l’enquête, au ministre appartient l’appréciation des circonstances qui établissent le doute. C’est ce qui est arrivé pour l’Espierre.

La question d’utilité a donné lieu à un partage de voix ; 7 membres se sont prononcés pour l’utilité, 7 se sont prononcés contre et 5 membres se sont abstenus.

Les motifs d’abstention sont étrangers à la question d’utilité ; ces honorables membres ne sachant pas si le canal de l’Espierre pouvait nuire aux fabriques de Gand, n’ont pas voulu voter.

De là je conclus qu’il y avait réellement dans la commission 12 voix pour l’Espierre.

En effet, si les 5 non votants avaient été contre l’utilité, ils auraient voté négativement, puisque par là ils obéissaient d’une part à leurs convictions et de l’autre ils se conformaient à leurs scrupules.

C’est donc parce qu’ils étaient favorables à l’utilité du canal qu’ils n’ont pas voté.

Quant à la valeur de l’abstention, la voici :

J’ai pris des informations sur l’importance de la consommation du charbon dans les fabriques.

Une fabrique moyenne, celle qui produit par an un million d’aunes d’étoffes, consomme pour six mille francs de charbon.

Or, le fret est pour un tiers dans cette dépense ; c’est donc une somme de deux mille francs qui peut, pour une quotité quelconque, être diminuée ou augmentée par l’usage de telle ou telle route. Nous avons vu par les pièces de l’enquête que le fret pourrait à Roubaix et Lille être diminué moyennement de 30 p.c. ; ce serait donc une diminution de dépense de 600 francs qui pourrait être opérée dans ce cas, pour une fabrique qui produit un million d’aunes d’étoffes, dans la supposition que le fret soit égal de part et d’autre à Gand et à Roubaix. Mais le fret sur Gand est au contraire plus favorable que sur Roubaix.

On a prétendu aussi qu’il n’y avait pas eu un délai suffisant pour l’adjudication : ceci n’est pas fondé.

Quand le gouvernement fait exécuter par adjudication publique un ouvrage dont ses ingénieurs ont fait le projet, le public ne connaît les détails de ce projet qu’au moment où l’adjudication est publiée. Il faut alors que les entrepreneurs fassent l’étude des détails du projet, l’étude des localités pour s’assurer du prix de la main-d’œuvre, du prix des matériaux, des transports, etc. Il faut enfin que le gouvernement accorde un délai proportionné à l’importance de l’ouvrage à faire.

Pour une concession, il n’en est pas de même, l’entreprise est connue par l’enquête et par le dépôt obligé des pièces du projet ; la moindre durée de ces enquêtes est de 4 à 5 mois ; dans mon opinion, il ne faudrait pas d’autre délai que celui nécessaire pour donner connaissance du jour de l’adjudication dans toute l’étendue du royaume ; et je crois que c’est pour obvier à une habitude de formalités que le ministre accordera davantage.

L’Espierre a occasionné une instruction de plusieurs années ; l’opposition même du canal de l’Espierre a dû obliger les intéressés à en étudier tous les détails ; il n’y avait pas besoin ici d’un délai de plus de 8 à 10 jours, c’est donc purement un prétexte que ce prétendu défaut de temps.

Je ne puis, messieurs, passer sous silence une observation que j’ai plusieurs fois entendue faire et dont on a semblé attendre un grand effet sur quelques esprits.

On a dit que si le ministre avait voulu, le canal de Bossuyt se serait fait conjointement avec celui de l’Espierre, en l’imposant comme condition au soumissionnaire de ce dernier projet.

Es-ce bien sérieusement, messieurs, qu’une semblable proposition serait mise en avant ? est-ce bien sérieusement qu’on voudrait exiger du concessionnaire de l’Espierre une sorte de «pot de vin » de quatre millions en faveur de Courtray ?

Quoi ! parce que le canal de l’Espierre est une entreprise d’une haute utilité, puisqu’elle sert de grands intérêts, vous voudriez la rançonner en désespoir de cause pour servir des intérêts plus minimes et presqu’imaginaires ?

Mais c’est là précisément ce qui vous condamne et si les calculs les plus positifs, si les raisonnement les plus logiques ne prouvaient à l’évidence que votre canal de Bossuyt n’est, sous certains rapports, qu’une conception malheureuse, à laquelle manquera toujours l’appui de l’industrie particulière, aussi longtemps que les intérêts qui la réclament ne seront pas assez importants pour couvrir les rais ; il suffirait de votre proposition pour démontrer son peu d’utilité actuelle et le peu de fondement des prétentions qu’on fait valoir ici.

N’est-ce pas d’ailleurs, renverser tous les principes d’équité que d’en agir ainsi ?

Vous avez considéré comme immorale la clause de l’article 18 de l’acte de concession du canal de la Sensée, qui consiste à « interdire la construction de tout canal parallèle dans un rayon de dix lieues » ; vous l’avez, dis-je, considéré comme immorale par l’article 3 de votre loi du 19 juillet 1832.

Cet article est ainsi conçu :

« Le gouvernement ne pourra stipuler en faveur des concessionnaires que d’autres communications ne pourront être établies dans un rayon déterminé. »

Cet article est fondé sur un principe de concurrence salutaire pour l’industrie. Il ne faut pas que l’avenir soit sacrifié au présent. Mais faut-il que l’industrie en progrès d’une partie du pays, que de grands intérêts actuels soient sacrifiés, aux espérances d’avenir d’une autre localité ?

Et vous, qui n’avez pas voulu consacrer par la loi des conditions d’exclusion, des conditions exorbitantes, on voudrait vous faire croire dans cette même loi, que le concessionnaire qui demande à appliquer un capital quelconque à l’exécution d’un ouvrage d’une utilité incontestable, et qui promet de couvrir les dépenses annuelles de cet ouvrage, sera tenu, sera obligé de dépenser quatre ou cinq fois le même capital pour aller exécuter dans un autre arrondissement ou dans une autre province un autre ouvrage dont les produits ne sont pas assurés.

Jamais on ne parviendra à faire consacrer par la chambre une pareille anomalie.

Ce serait une mesure monstrueuse, destructive de tout esprit d’entreprise et souverainement inique.

J’en viens, messieurs, à un dernier fait relatif à la navigation par les Flandres.

On espère qu’un jour cette navigation vers Dunkerque pourra être rétablie et aussi florissante qu’autrefois ; je le désire, mais je ne le crois pas.

Quoi qu’il en soit, si jamais cela arrive, craignons que des entraves n’y soient apportés par les localités mêmes, et je puise mes doutes, à cet égard, dans les actes de l’administration provinciale de la Flandre occidentale.

Le droit de tonnage perçu à Bruges et autres points est basé sur les dispositions de l’arrêté du 30 octobre 1819. on faisait payer avant 1839 sur les deux tiers de la contenance totale d’un bateau.

L’administration provinciale voulant augmenter ses ressources financières, a changé ces dispositions et pendant l’année 1839 on a perçu pour la contenance totale sans respect pour les lois.

De là, des réclamations de la part du commerce et même de la navigation maritime d’Ostende qui se trouve menacée par ces augmentations de péage. L’administration a compris que sa mesure était frappé d’illégalité. Elle a rapporté sa première décision, mais elle n’a pas fait droit aux réclamations. Un nouvel arrêté, exécutoire pour 1840, rétablit la base de l’impôt, mais en augmentant le tarif aggrave encore la charge.

En effet, pour un bateau de 150 tonneaux de contenance totale, on payait avant 1839, 5 francs.

Par arrêté exécuté en 1839, on a payé pour le même bateau, 7 francs 50 centimes.

Enfin, en vertu du nouvel arrêté pour 1840, ce même bateau payera 8 francs.

Voilà, messieurs, des mesures qui sont réellement propres à nuire à la navigation des Flandres.

M. de Foere – Messieurs, je vous ai dit dans une séance précédente que je ne voulais pas me prononcer sur le fond de la question qui se rattache à la concession du canal de l’Espierre, par la raison que je ne l’avais point encore mûrement examinée. J’ai eu depuis, le temps d’examiner les documents relatifs à cette question et la discussion parlementaire l’a entourée de nouvelles lumières. Il est résulté de cet examen, messieurs, une conviction qui me fait présenter cette question, et sous le rapport du fond et sous celui de la constitutionnalité, sous une face nouvelle.

Je n’ai trouvé dans les documents et dans les discussions contradictoires qu’une question de localités. Jamais, messieurs, je n’ai réduit des questions de cette importance à la mesquine proportion d’intérêts locaux opposés. Quel est le résultat de discussions placées sur un terrain aussi restreint ? C’est celui que vous avez toujours obtenu. La discussion est à peu près impossible et par vos votes avantagez les intérêts d’une localité, vous lésez les intérêts de l’autre, et vice versa. Ce n’est point ainsi, messieurs, que j’envisagerai cette question. Je l’examinerai sous le point de vue des intérêts généraux du pays auxquelles les localités particulières, même dans leur propre intérêt, doivent se résigner.

Dans le sens restreint dans lequel le ministère a posé la question, je dois la repousser. Les avantages qu’une partie du Hainaut peut retirer du canal de l’Espierre sont, dans mon opinion, loin de compenser les désavantages qui doivent en résulter pour les Flandres et sous le rapport de la navigation et sous celui du commerce et de l’industrie. C’est la question locale ; je n’entrerai pas dans le fond de la question ; je m’en rapporte d’ailleurs aux motifs qui ont déjà été développés par d’autres orateurs.

Si l’honorable ministre des travaux publics avait rattaché au canal de l’Espierre des résultats beaucoup plus généraux, des avantages d’une toute autre importance, s’il avait présenté les effets de ce canal dans leur extension, quoique député des Flandres, je n’aurais pas hésiter un instant d’accorder en dehors de la question constitutionnelle que je traiterai plus loin, mon approbation entière à la commission du canal de l’Espierre. Malheureusement le ministère lui-même s’oppose à cette extension d’avantages que produirait ce canal. Remarquez, messieurs, la position de cet immense centre d’industrie établi en France, à proximité de nos frontières. Cette fabrication est forcée de recevoir ses matières premières du pays du Havre par le roulage. Elle doit prendre le même moyen de transport pour l’exportation de ses produits. Si le ministère suivait un autre système commercial maritime, le pays pourrait participer en grande partie au transport de ces deux espèces de marchandises pour les conduire par nos voies navigables, les unes de nos ports de mer vers Roubaix, et Lille, les autres de ces centres de production vers Anvers et Ostende.

Il pourrait prendre aussi une grande part dans le commerce directe de ces marchandises soit en livrant aux fabriques du département du Nord une partie de ses matières premières, soit en plaçant à l’extérieur aussi bien par notre comme direct, les produits de ces fabriques. Par le système commercial que le gouvernement veut implanter dans le pays, presque tous ces avantages sont abandonnés à la navigation et au commerce étranger. Je me borne à indiquer ici cette combinaison. Je l’ai souvent développée dans cette chambre Je n’en dirai pas davantage, d’autant plus que le ministre refuse d’entrer dans le fond de cette discussion. Je passe donc à la question de constitutionnalité.

A mes yeux, messieurs, la concession du canal de l’Espierre a été accordée par le gouvernement contrairement à la constitution. Il y a, dans mon opinion, évidence sur cette question. Cependant je sacrifierai à cet égard mon opinion personnelle. J’accepterai le doute sur la constitutionnalité de cette concession. Je poserai en fait qu’il y a à cet égard divergence d’opinions parlementaires. Ce fait ne peut être et ne sera contesté par aucun membre de la chambre, attendu qu’il est prouvé que les uns croient, avec le ministère, que la concession du canal de l’Espierre a été faite conformément à la constitution, que les autres professent une opinion contraire.

Enfin, que d’autres encore n’ont à cet égard pas d’opinion arrêtée. La prémisse que je pose, sous le rapport du fait de ce conflit d’opinions contradictoires est incontestée et incontestable. J’ajouterai, comme prémisse, un autre fait qui n’est pas moins inattaquable, c’est qu’il résulte de l’opposition qui a été faite au canal de l’Espierre qu’avant que la concession ait eu lieu, que cette concession, si elle était faite par le gouvernement seul et sans intervention des chambres, était publiquement envisagée comme inconstitutionnelle, et qu’une partie considérable de l’opinion publique soutenait que la législature aurait eu à délibérer sur la question de savoir si le gouvernement avait à lui seul le droit constitutionnel de concéder ce canal. Le ministère ne peut prétexter sous ce rapport aucune ignorance.

Dans cette position inexpugnable de la question, quelle a été la conduite du ministère ? Il s’est constitué juge et partie dans cette question. Il a décidé, à lui seul, non seulement que le canal de l’Espierre n’est pas nuisible aux intérêts généraux du pays, mais encore qu’il a le pouvoir d’en faire la concession. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il blesse publiquement toutes les convenances politiques, qu’il foule aux pieds les égards qu’il devait à la constitution, au pays et à la représentation nationale et qu’il se croit assez fort de sa majorité parlementaire pour pouvoir secouer toute pudeur politique et constitutionnelle ; mais ce que vous n’avez peut-être pas assez pénétré, messieurs, ce sont les conséquences épouvantables, destructives de tout ordre, de toute sécurité, de toute garantie qui recèle dans son sein un semblable système gouvernemental. Si un ministère constitutionnel était investi du pouvoir de se constituer à la fois juge et partie dans ses propres actes, alors qu’ils sont, et avant même qu’il les pose, publiquement et avec fondement taxés d’inconstitutionnalité, la conséquence directe en serait qu’il n’existe plus de constitution, qu’elle n’est plus que le tourment des amis du pays et la risée de ses ennemis. En effet, messieurs, si ce pouvoir monstrueusement arbitraire pouvait être sanctionné par la législature, si un ministère quelconque avait à lui seul le droit d’interpréter, dans des questions importantes, la constitution du pays, alors que la constitutionnalité de ses actes est publiquement et solidement contestée, quel obstacle pourrait encore arrêter un ministère quelconque dans l’intervalle qui sépare les sessions parlementaires et même pendant les sessions, de nuire, aux plus graves intérêts du pays par des contrats dictés, soit par l’impéritie, soit par esprit de coterie et de faveur envers ses partisans et ses amis au-dedans, soit enfin par une coupable lâcheté envers de hautes influences du dehors.

Les ministères une fois investis d’un pouvoir aussi exorbitant, rencontreront-ils un frein dans les majorités des chambres ? L’histoire parlementaire de tous les pays n’est-elle pas là pour détruire une illusion aussi dangereuse ? Cette histoire ne prouve-t-elle pas à l’évidence que ces majorités se forment souvent par la corruption, par les emplois, par les faveurs, par les menaces, par les destitutions, par les intrigues, par la faiblesse, par l’impéritie et enfin par la puissante influence corruptive que tout ministère, par sa position, exerce sur les élections. Avant que ces majorités soient expulsées des représentations nationales et qu’elles soient devenues la honte et la réprobation générale, les plus graves intérêts du pays sont irrévocablement lésés : les maux sont devenus des faits accomplis. L’histoire parlementaire offre-t-elle à cet égard le moindre doute ? N’est-ce pas le flambeau de cette histoire à la main qui doit éclairer votre marche dans des questions de cette importance ? Cette même histoire ne vous enseigne-t-elle pas en outre que les ministères constitutionnels ne tentent jamais de coups d’Etat que lorsqu’ils comptent, soit sur la force morale de leurs majorités dévouées, soit sur la violence brutale des armes ? Pour repousser ces enseignements de l’histoire, même contemporaine, il faudrait vous livrer, messieurs, à une idéologie stupide, ou ouvrir sciemment l’œil d’un bandeau épais et marcher jusqu’à ce que vous tombiez, avec le pays, dans l’abîme.

Pour revenir ce malheur, il faut que vous fassiez, même dans le doute, respecter l’autorité sacrée de la constitution. Elle doit être la sauvegarde de l’ordre et des intérêts du pays. Il faut que, placée devant le pays comme un boucler impénétrable, elle le garantisse contre les excès du pouvoir exécutif contre les coups qu’un ministère arrogant, quelqu’il soit, pourrait porter soit à la représentation nationale, soit au pays tout entier.

Croyez-vous, messieurs, que, si l’administration actuelle n’eût pas compté sur la majorité parlementaire, il n’eût jamais osé s’arroger un pouvoir aussi monstrueux ? et la position du ministère n’explique-t-elle pas ouvertement le caractère exorbitant de prétention, de suffisance et d’arrogance avec lequel il s’est posé devant cette discussion ?

Les fameuses ordonnances de Polignac étaient aussi basées sur la charte. Le ministère de Charles X se constituait aussi juge et partie dans sa propre cause. Le roi Guillaume qui, dans un état constitutionnel, prétendait être tout à la fois roi et ministère, s’arrogeait le même pouvoir désordonné, lorsque, par ses nombreuses violations de la constitution, il tranchait, à lui seul, les questions sans entendre la partie contractante et intéressée. Vous savez les déplorables perturbations radicales, ils ont toujours eu pour résultat le renversement des ministères, aussitôt que la minorité parlementaire était parvenue, par sa persistance inaltérable, soit à déplacer la majorité, soit à flétrir ce ministère dans l’opinion publique.

Le ministère ne peut, pour se justifier, mettre en avant ses bonnes intentions, son opinion, sa conviction même que sa concession n’était pas contraire à la constitution ; tous les ministres qui ont abusé de leur pouvoir, en se constituant juges et parties dans leur propre cause, ont allégué les mêmes prétextes. Ce serait, d’ailleurs, par une prétention arrogante et absurde, placer ses propres convictions au-dessus de toutes les autres.

Si, messieurs, il était possible que la chambre consacrât un système de gouvernement aussi destructif de tout ordre et de toute garantie constitutionnelle ; si le pouvoir exécutif pouvait s’arroger le droit exorbitant d’exécuter, sans l’intervention de la législature, des actes, alors qu’avant leur exécution ils sont publiquement et solidement accusés d’inconstitutionnalité ; la constitution tout entière serait effacée. Dans les affaires publiques comme dans les affaires particulières, il n’y a plus ni droit, ni ordre, ni garantie possible, s’il est admis que l’on peut s’ériger en juge et partie dans sa propre cause.

M. Delehaye – Messieurs, si le gouvernement avait, dès le commencement de la révolution, accordé une partie de sa bienveillance à l’industrie et au commerce, peut-être ne serais-je point obligé, aujourd’hui, de m’opposer au canal de l’Espierre. Ces sentiments, non antipathiques, que l’on remarque encore dans quelques-unes de nos villes, pour le gouvernement déchu, et qu’on désigne sous le nom d’orangisme, ne sont que des sentiments de reconnaissance pour un gouvernement qui faisait tout pour favoriser le commerce et l’industrie.

J’ai déjà eu l’occasion de reprocher au gouvernement d’avoir laissé, dans un état de stagnation le commerce et l’industrie des Flandres, et malheureusement je trouve encore ici des motifs de lui reprocher de ne pas protéger des intérêts aussi vivaces.

Quoique député d’une ville de ces importantes contrées, j’aurais voté pour le canal si le gouvernement avait stipulé en faveur des intérêts des deux Flandres. Les députés de Courtray ont fait connaître avec clarté et talent les griefs des populations dont ils tiennent leur mandat ; ces griefs sont les mêmes contre le ministère de la part des deux Flandres.

Messieurs, par le nouveau canal la navigation de la Flandre orientale sera nécessairement diminuée ; tout ce que gagnera le département du Nord sera enlevé à la Flandre orientale, et ceux de la classe ouvrière qui vivent de la navigation, privés d’une partie de leurs ressources actuelles, seront livrés à la misère. Ce motif est déjà suffisant pour repousser le projet.

Mais il y en a d’autres plus puissant encore pour rejeter le canal. La ville de Gand s’adonne à l’industrie cotonnière ; par le canal de l’Espierre, vous allez accorder à la ville française, sa rivale, les charbons à plus bas prix ; et la position des Gantois restant la même, ils auront plus de difficultés pour lutter contre cette rivale.

Vous allez donc favoriser l’industrie cotonnière au détriment de la nôtre. De plus, en favorisant cette industrie cotonnière étrangère, vous allez encore nuire à l’industrie linière que vous voulez protéger, car vous savez (erratum Moniteur du 17 janvier 1840 :) que l’industrie cotonnière et l’industrie linière ont à lutter en France contre des industries similaires. Voilà des faits trop palpables pour qu’on puisse les contester. Quoique député de Gand, je le répète, j’aurais voté pour le canal si le gouvernement avait stipulé pour le commerce et pour l’industrie du pays : Pourquoi en effet, n’avoir pas demandé au gouvernement français que jamais le droit sur l’industrie linière ne sera augmenté ? Pourquoi n’avoir pas exigé de la France, puisque vous faisiez un canal pour elle, qu’elle recevra nos propres produits comme nous recevons les siens ?

Il existe contre le canal des appréhensions d’une autre nature. Nous allons être exposés à des inondations par suite de la construction de ce canal. La Flandre orientale, par sa position, reçoit les eaux du département du Nord ; elles nous arrivent par la Lys et par l’Escaut. Les eaux de la Lys ont un écoulement facile et le danger n’est pas de ce côté.

Mais l’autre partie des eaux du département du Nord qui nous arrivent pas l’Escaut n’ont pas un écoulement aussi facile : pour peu que la crue des eaux soit grande, qu’un dégel soit considérable, il y a crainte fondée d’inondation à Gand. Ces appréhensions existent aujourd’hui dans cette ville ; et je demanderai au gouvernement qu’il dissipe les craintes conçues à cet égard si elles ne sont pas fondées entièrement.

Messieurs, chose étrange, depuis neuf ans que nous sommes constitués, il ne s’est pas passé d’année sans que les villes de Gand, de Bruges, d’Ostende, aient fait entendre les justes réclamations en faveur de leur commerce et de leur industrie qui sont dans un état de souffrance si funeste à leurs populations, et même au pays entier.

Et cependant nous voyons la sollicitude du gouvernement se porter sur l’industrie houillère, la plus prospère de toutes nos industries. Les produits des extractions de houille ont tellement augmenté de prix qu’on voit la partie peu aisée de nos populations transir de froid pendant l’hiver. L’exploitation des houilles prospère depuis la révolution et lui doit tout ; c’est elle néanmoins que l’on veut encore favoriser.

Tels sont les motifs qui m’ont déterminé à voter contre le canal de l’Espierre ; j’aurais voté tout autrement si pour ériger ce canal on avait stipulé en faveur de l’industrie linière.

M. Desmet – Messieurs, le projet d’ouvrir, pour la Belgique, une nouvelle voie de transport vers la France, me procure l’occasion d’attirer votre attention sur la situation commerciale et industrielle de notre pays, sur la crise actuelle des productions, sur les besoins urgents d’agrandir le marché de nos divers produits et de nous créer des débouchés, et particulièrement sur ce qui se passe autour de nous et probablement sans nous, par rapport à des relations commerciales qui se négocient.

Vous aurez vu que depuis quelque temps les trois pays qui nous entourent se préparent à un rapprochement commercial et étendent, pour ainsi dire, leurs bras au-dessus de nous pour se donner la main et jeter les bases d’une association, ou celles des traités de commerce et de navigation, en nous laissant isolés au milieu d’eux.

Si de tels projets devaient se réaliser, quel sort devons-nous craindre, qui serait réservé à la Belgique ?

Par le fait seul du rapprochement et d’une communauté d’intérêts, ne devrions-nous pas craindre que le commerce réciproque de ces trois nations deviendrait de plus en plus important et dans la proportion qu’il s’étendrait, ne verrions-nous pas décroître nos relations que nous entretenons avec chacune d’elles et particulièrement avec celle avec laquelle nous en avons toujours eues d’intimes ?

Or, il est à remarquer que, dans l’état actuel des choses et dans un moment où la Belgique n’a encore qu’une petite marine marchande, qu’elle n’a point de colonies et qu’elle est sans ou n’a encore que très peu de relations avec les pays d’Outre-Mer, c’est précisément dans ces trois pays qu’elle a toutes ses relations et où elle fait presque toutes ses exportations. Si donc elle demeure isolée et en dehors du rapprochement que les trois nations voisines négocient actuellement, ses intérêts commerciaux seront étrangement compromis.

Sa sphère est déjà trop petite pour le développement de ses diverses branches d’industrie ; elle produit déjà trop pour la consommation qu’elle peut avoir chez elle : que deviendrait-elle donc, si elle voyait encore décroître les débouchés qu’elle possède chez les nations qui l’environnent ? Elle ne pourrait qu’étouffer dans sa prison ou se voir desséchée par un marasme pléthorique.

J’ai cru nécessaire de soumettre ces réflexions à vos méditations, et à celles du gouvernement, qui, je m’en flatte, y aura quelque égard ou aura probablement déjà pris ses mesures pour arrêter le coup et sauver le pays de la catastrophe que ses voisins lui préparent.

Il connaît la position périlleuse où le pays se trouve pour ce qui regarde ses intérêts commerciaux et industriels ; il connaît ses besoins ; il sait que c’est surtout le marché qui lui manque ; il sait aussi qu’il y a nécessité absolue de l’agrandir sur le territoire étranger, et il appréciera le flagrant de la lutte qui existe entre les nations marchandes et industrielles pour ne pas se hâter à développer par tous ses moyens, afin que la nôtre en sorte avec avantage.

Mais cette crise et ce combat à mort qui existe entre les peuples qui produisent et qui vendent, me donnent de plus en plus la conviction que nous devons employer tous les moyens qui nous sont possibles pour fabriquer du beau et du bon, et au plus bas prix, et qu’il faut surtout ne rien ménager pour faire arriver nos marchandises sur les marchés étrangers de la manière la plus facile et la plus économique ; qu’il faut donc soigner les voies de transport et de communication, et les rendre les plus directes, les plus commodes et les moins frayeuses.

Ce sont ces vues que j’ai toujours eues depuis qu’il a été question du nouveau canal vers un pays étranger et vers un centre de grande communication, et c’est pourquoi j’ai toujours été partisan du prolongement du canal de Roubaix jusque dans une de nos rivières.

Je n’ai pas seulement apprécié tous les avantages qu’auraient tirés de ce canal les exploitations qui portent l’aisance et la prospérité dans une province wallonne, mais j’ai surtout considéré tout le bien-être commercial qu’en aurait ressenti une grande partie de la province que je représente ici. J’ai dit qu’il fallait aller au-devant d’une nation qui voulait nous donner la main pour frayer une nouvelle voie de transport vers une partie de son territoire, qui aurait consommé en abondance les produits divers de nos exploitations agricoles et manufacturières…

Quoique j’aie de la sorte apprécié ce nouveau canal, et que le gouvernement, comme la majeure partie du pays, l’aient aussi considéré comme avantageux à la Belgique, cependant il a eu des opposants qui ont désapprouvé le projet, l’envisageant comme devait faire du tort à la navigation intérieure du pays, et particulièrement à celle des Flandres, et comme contrariant l’établissement du canal de Courtray.

On a déjà longuement répondu à ces objections ; mais comme elles constituent le principal objet de la controverse, je me permettrai d’émettre mon opinion à leur sujet.

Pour bien s’entendre et pouvoir clairement discuter cette question, il faut d’abord voir de quelle navigation dans l’intérieur il s’agit.

Il faut aussi l’examiner en présence des deux canaux projetés et apprécier quels changements dans la navigation leur exécution respective apporterait.

Avant d’aborder cette question, je dois cependant déclarer que, pour moi, ce ne sera jamais l’intérêt secondaire de la navigation dans l’intérieur, ou les intérêts particuliers de quelques localités dans le passage ou les arrivages des bateaux, qui m’arrêteront à procurer à l’avantage de notre agriculture, de nos manufactures ou de nos exploitations souterraines de nouvelles voies d’exportation vers les pays étrangers ; car, comme je l’ai dit, la difficulté n’existe point à produire, mais à vendre, et à vendre le plus avantageusement.

Par l’établissement du canal de l’Espierre, la navigation doit d’abord accroître sur nos eaux, sur le haut Escaut, depuis Mortagne jusqu’à Warcoing par Tournay.

Elle doit s’accroître, sinon de toute la partie de la navigation qui de la Belgique se fait en destination pour Lille et Roubaix, et qu’elle enlèvera aux eaux françaises, au moins de celle, qui se fait pour Roubaix et environs.

Déjà M. le ministre des travaux publics vous a fait voir toute l’importance de cette navigation en vous communiquant une relève du courant de l’année 1839. Le dossier qui nous a été distribué contient celui du courant de l’année 1837.

D’après le relevé officiel de l’octroi de la ville de Lille, dans le cours de l’année 1837, la Scarpe et la Deule ont voituré pour Lille 337,000 tonneaux, dont plus de deux tiers en charbon.

Et d’après le relevé officiel de l’octroi de la ville de Roubaix, cette ville en a consommé, sur cette quantité, 30,000 tonneaux.

L’industrie et la population de Tourcoing sont en analogie parfaite avec celles de Roubaix ; on peut donc évaluer sa consommation égale à celle de Roubaix.

Et comme les quatre cantons de Lannoy, Roubaix, Tourcoing et Waltrelois, comptent, dans leur ensemble, une population de 100,000 âmes, que Roubaix et Tourcoing en contiennent 40,000 ; admettre pour 60,000 habitants répandus dans les campagnes une consommation égale à celle faite par les 20,000 habitants de Roubaix, ce ne sera certainement pas exagérer le chiffre, surtout que ces campagnes sont aussi parsemées de fabriques et d’usines, qui consument beaucoup de charbon.

Ainsi, sur les 337,000 tonneaux que la Scarpe et la Deule amènent de Belgique au centre du département du Nord, le bassin manufacturier de Roubaix et de Tourcoing peut bien en réclamer 100,000.

Il est incontestable que cette partie de la navigation que vous enlèverez à votre voisin est déjà très importante ; aussi c’est ce qu’on reconnaît en France, car voyez ce qu’en dit M. Honnorez dans un mémoire qu’il a publié le 23 juillet 1835, où il dit entre autres, qui si jamais le canal de l’Espierre se fait, il y aura une révolution dans toute la navigation du département du Nord, qui tendra à faire tirer par Lille, Roubaix et Tourcoing, par un canal belge, tous les charbons qui leur arrivent aujourd’hui par les canaux français.

Il y aura donc, ajoute M. Honnorez, grand dommage pour la navigation française, et, par conséquent, dommage pour le trésor, dommage pour l’immense vallée de la Scarpe, dommage pour Condé, Douai et un grand nombre de communes de l’arrondissement de Douai et de Valenciennes, et enfin un énorme dommage pour les charbons français.

Voilà, messieurs, comment M. Honnorez envisage l’établissement du canal de l’Espierre pour le tort qu’il fera à la navigation française, et par conséquent les avantages qu’en retirera la navigation belge. Et vous savez que M. Honnorez est en état d’en juger.

Vous avez vu comme moi comment le conseil général du département du Nord envisage le nouveau canal du chef de la navigation, dans un rapport du 21 juillet 1834, qui se trouve aussi au dossier.

« Nous avons aujourd’hui, y est-il dit, un ensemble si sage, si bien combiné, si forcément possédé et défendu de canaux français, qui, sans rien emprunter au territoire français, et par une navigation toute intérieure et toute française, unit le grand centre de production des houilles avec le centre de fabrication où fleurissent Lille, Roubaix et Tourcoing !

« Quelle grande nécessité d’abandonner cette ligne de navigation qui est nôtre, qui ne révèle que de nous, sur laquelle s’élèvent nos forteresses, pour aller envoyer nos chargements en transit par Antoing et Tournay.

« Disons-le donc, nous avons une navigation toute nôtre ; c’es un ien dont nous devons être fiers et que l’étranger nous envie.

« La Belgique s’est trouvée, à l’égard de la France, dans la même position où l’on veut par imprévoyance nous mettre devant elle… »

Ces observations sont assez claires pour vous faire voir qu’elles sont les craintes que les Français ont de perdre une navigation si importante pour l’ouverture du canal de l’Espierre.

De la même manière, il a été envisagé en Belgique par ceux-là mêmes qui fréquentent les deux navigations françaises et belges, et qui trouvent leur unique existence dans la navigation.

Je veux parler des bateliers qui vous ont adressé une pétition, souscrite à Mons et Gand les 10 et 11 février 1834, en faveur du canal de l’Espierre et qui, après beaucoup de considération en faveur de cette navigation, se résument de la sorte : Nous demandons la navigation par le canal de l’Espierre, parce que par cette voie la navigation vers le département du Nord s’accroîtra, ainsi que la consommation des houilles belges ;

Que la navigation du haut Escaut belge et le passage par Tournay vont considérablement s’accroître par le creusement du nouveau canal, et que de ce chef c’est un avantage pour la Belgique au détriment de la France ; c’est un point incontestable.

Mais, répondrons les partisans du canal de Courtray, si le canal de l’Espierre est si avantageux pour la Belgique, le projet de celui que nous présentons pour le remplacer sera encore plus avantageux, puisqu’il reste plus longtemps sur le territoire belge et qu’il traverse un plus grand nombre de villes belges.

On pourrait peut-être adopter ce raisonnement et le trouver juste, s’il y avait possibilité d’établir qu’un canal pourrait être remplacé par un autre qui n’aurait pas la même direction et qu’il pourrait absolument servir au même usage, c’est-à-dire qu’on pourrait arriver aux mêmes destinations et y faire les transports avec la même facilité et les mêmes frais.

Mais, comme c’est une chose qui peut être mise sur la ligne de celles qu’on peut envisager comme impossible, du moins en pratique, je peux donc repousser le raisonnement et les conséquences qu’on veut en tirer.

Mais les adversaires mêmes du canal d’Espierre reconnaissent que le canal de Courtray ne peut pas remplacer celui-ci et qu’il ne procurera pas les mêmes avantages pour le transport en France des produits belges. Je pourrais vous citer beaucoup d’observations qu’ils ont faites à ce sujet, mais je me bornerai à vous présenter celles que les ingénieurs Vander Elst ont consignées dans un mémoire qu’ils vous ont adressé.

Ce mémoire porte la date de juillet 1839.

Pour démontrer que la navigation de la Belgique vers Roubaix et Lille se fera plus économiquement par la Scarpe et la haute Deule que par le canal de Courtray et la haute Lys, les ingénieurs Vander Elst posent d’abord un calcul par lequel ils établissent la différence qui existe entre le fret qu’entraîne la navigation par l’Espierre et Roubaix et celui par le canal de Bossuyt à Courtray.

Par la première voie, le fret s’élève à 4 francs 68 c., et par la seconde à 5 francs 85 c. par tonneau.

Il y a donc une différence en faveur du canal de l’Espierre de 1 franc 17 c. par tonneau.

Vous trouverez ce calcul établi dans tous ses détails, à la page 33 du mémoire.

Et à la page 11 de ce mémoire les mêmes ingénieurs démontrent, par un calcul qui est établi, comme le précédent, sur des données officielles, qu’il y a, dans le fret de la navigation par la Scarpe et la haute Deule, une différence avec celle par le canal d’Espierre pour arriver à Lille, de 2 francs 88 c. par tonneau en faveur de la ligne de la Scarpe.

Il y a donc un avantage sur le fret par la navigation de la Scarpe et de la Deule sur celui du canal de Courtray et de la haute Lys, de 4 francs 5 centimes au tonneau pour le transport des charbons du Borinage en destination de Lille et de ses environs.

Avec un tel avantage dans la dépense du fret, comment pourrait-on concevoir que les bateliers abandonneront les canaux de la Scarpe et de la Deule, pour aller prendre la route par Courtray et par la haute Lys ?

Il est donc clairement démontré que le canal de Courtray ne pourra jamais servir de voie pour le transport des houilles du Hainaut destinées pour Lille et le centre manufacturier de Roubaix et de Tourcoing ; et il est, par conséquent, incontestable que ce canal ne pourra jamais remplacer le canal de l’Espierre et procurer tous les avantages que l’exportation de nos produits vers la France retirera de ce dernier.

Messieurs, je crois donc qu’il vous est démontré que par le creusement du nouveau canal de l’Espierre, la navigation sur le haut Escaut belge en amont de Warcoing y trouvera de grands avantages et qu’au lieu d’y perdre, la navigation belge y gagnera considérablement.

Mais, objecte-t-on encore, le nouveau canal fera un tort immense à la navigation dans les deux Flandres et aurait pour conséquence d’enlever aux canaux et rivières belges, dans un avenir plus ou moins prochain, la navigation vers Dunkerque en la transportant dans les eaux françaises.

Je n’entrerai pas dans de grands détails pour vous démontrer que cette crainte n’a aucun fondement.

Déjà M. le ministre des travaux publics y a amplement répondu, et les explications qu’il vous a données sur cette objection doivent pleinement vous apaiser.

Il vous a fait voir de quelle petite importance est le transport des houilles vers Dunkerque, depuis le système des zones établi en France.

Les lois de douanes établissaient en France, il y a deux ans, un droit sur les charbons anglais, de 1 francs 10 c.

Et sur ceux belges, de 33 centimes.

Depuis, le tarif a changé, et aujourd’hui, les charbons anglais paient 55 centimes et les nôtres 16 ½ centimes. Ce nouvel état de choses a dérangé l’ancien équilibre. La différence de droit était il y a deux ans, en faveur de la Belgique de 77 centimes ; elle n’est plus à présent que de 38 ½.

Cette facilité apportée à l’introduction en France des charbons anglais a eu pour résultat immédiat de diminuer, le long du littoral de l’Océan, la consommation des charbons belges ; la navigation de Mons sur Dunkerque s’est immédiatement ralentie.

Aussi on a vu, si mes renseignements sont exacts, qu’en 1838 le nombre de bateaux qui sont passés dans les eaux des Flandres en destination pour Dunkerque n’a été que de 115.

Il vous a aussi communiqué les calculs de M. Woltier, ingénieur en chef de la province de Flandre orientale, qui a été spécialement chargé de l’étude du nouveau canal d’Espierre, qui a résolu cette question en posant les chiffres suivants :

La navigation de Mons vers Dunkerque coûte au tonneau : par les Flandres, 1 franc 60 c., par la Scarpe 3 francs 03 c., et par Roubaix 2 francs 18 c.

Il est vrai que ces péages peuvent être modifiés en faveur de la France, et que par conséquent les résultats seraient tout autres et pourraient devenir désavantageux à la navigation par les Flandres.

Mais à ce sujet, une circonstance ne vous échappera pas, et qui cependant donne une solution complète à la question : c’est celle que si les charbons devaient quitter les eaux belges pour prendre les eaux françaises, probablement, par celles-ci, la voie qui offrirait l’apparence de la plus légère économie serait préférée.

Cette voie ne serait pas celle de Roubaix. Ce serait celle de la Scarpe ; car, comme nous l’avons vu par les calculs des ingénieurs Vander Elst, il y aura une grande économie à donner la préférence à la voie par la Scarpe et la haute Deule pour conduire le charbon du Hainaut vers le centre du département du Nord.

Il est, comme vous le voyez, très facile à démontrer que le canal de l’Espierre, au lieu de porter quelqu’atteinte à la navigation belge, l’avantagera de beaucoup sur le haut Escaut, et cela au détriment de la navigation française.

Si la navigation dans les Flandres pouvait faire des pertes par l’exécution de l’un ou de l’autre des deux canaux en projet, ce serait certainement par celui de Courtray. Si ce canal s’établit, Audenaerde et Gand feront des pertes réelles, car aujourd’hui toutes les marchandises qui viennent de Mons et de Tournay en destination pour Courtray et environs, descendent l’Escaut jusqu’à Gand pour y entrer dans la Lys et la remonter jusqu’à Courtray.

Cette navigation est assez importante, car on compte qu’annuellement il passe au pont de Deynze sur la Lys pour 100,000 tonneaux de marchandises, et la perte ne se bornerait pas encore à tout ce qui passe aujourd’hui au pont de Deynze, mis elle serait nécessairement augmentée de tout ce qui descendrait la Lys et se rendrait en aval du pont de Deynze, car il y aura toujours ee l’avantage de prendre le canal de Courtray et de descendre la Lys jusqu’à tout près de la ville de Gand, et on prendra de préférence cette route à celle de l’Escaut pour éviter la remonte de la Lys qui est toujours très frayeuse.

C’est ce que les bateliers de Gand soutiennent de même dans la pétition qu’ils ont adressée à la chambre, ainsi que les chambres de commerce de Gand et de Bruges dans leurs avis qui nous ont été communiqués et la députation du conseil provincial de la Flandre orientale.

Si les villes d’Audenarde et de Gand perdent dans le passage des bateaux, si le canal de Bossuyt ne s’étend que jusqu’à Courtray, les villes de Bruges et de Nieuport perdront de même ; si, pour compléter le système, la jonction se fait de la Lys à l’Yperlée, en creusant un canal de Menin à Ypres, car alors toute la navigation du Hainaut vers Dunkerque prendrait la voie du canal de Courtray, de ceux de l’Yperlée et de Furnes pour entrer à Dunkerque par le canal de ce nom ; et au lieu de passer par Bruges, Nieuport, passerait par Courtray, Menin, Ypres et Furnes.

Si je fais ces remarques, ce n’est certainement pas pour critiquer le projet du canal de Courtray et la continuation jusqu’à Ypres, car je suis aussi partisan de cette nouvelle voie de transport, mais je le fais dans le seul but de vous démonter que ce ne sera jamais le canal de l’Espierre qui pourra faire du tort à la navigation sur les rivières et canaux dans les deux Flandres.

Mais on ajoute encore aux objections qu’un savant ingénieur français a prédit que par le creusement du canal de Roubaix, on aurait pu faire une révolution complète dans les eaux navigables des départements du Nord et du Pas-de-Calais, et faire une navigation directe de Lille à la mer du Nord.

Je ne pourrai pas dire comment cet ingénieur a entendu le système qui a avancé ; mais il ne faut que consulter le territoire de la partie française qui est entre Lille et les rives de la mer du Nord, pour vous convaincre que la direction vers la mer ne peut pas être tellement améliorée comme on voudrait le faire accroire.

Car, sur le territoire français, la seule autre direction et amélioration qu’on pourrait porter aux voies de navigation vers la mer du Nord, ce serait le complément du canal commencé, de la haute Lys française vers Hazebrouck par Merville, car il n’y a pas d’autre moyen de traverser les hautes montagnes qui se trouvent dans la direction de Cassel. Mais en ouvrant la carte, vous vous apercevrez de suite que le canal de Hazebrouck est dans une direction parallèle au canal de Neuffosse et de l’Aa canalisé, et qu’à une petite distance de ces canaux, on ne pourra pas, par conséquent, procurer l’amélioration dans la navigation vers la mer, comme on voudrait bien le faire présumer.

D’ailleurs, messieurs, veuillez encore une fois le remarquer, que ce n’est pas le canal de Roubaix qui pourra influencer dans cette amélioration de navigation et être la cause, en tout cas, que la Belgique ferait une perte sur ces canaux ; car si vous consultez encore la carte, vous verrez que jamais des transports qui se feraient du Hainaut vers Dunkerque, pour le canal d’Hazebrouck, ne prendraient pas la voie du canal d’Espierre, mais de préférence celle de la Scarpe ou de la Sensée, pour la haute Deule, les canaux de la Bassée et de la Laive ou de la Nieppe, entre celui de Hazebrouck.

Cette voie étant bien plus courte, plus facile et plus économique que celle par le canal de Roubaix, il est indubitablement assuré qu’elle sera préférée.

Il est donc encore une fois démontré que de ce chef notre navigation ne peut rien perdre, et c’est ainsi que les objections de la navigation tombent l’une après l’autre.

Une autre objection principale que les adversaires du canal de Roubaix font valoir, c’est celle, que le creusement de ce canal est un obstacle à la réalisation du projet du canal de Courtray, et que si le premier ne se fait pas, on pourra exécuter le dernier, autrement pas.

J’ai eu beau étudier la question et la tourner de tous les côtés, je n’ai pu me rendre compte de cette objection et de sa réalité. Jamais je ne pourrai voir que le canal de Courtray aurait de tels avantages du non creusement du canal de Roubaix, pour pouvoir en faire une condition de sine qua non d’exécution.

Nous vous avons fait voir déjà, que les canaux de l’Espierre et de Courtray ne sont pas dans des conditions de concurrence telles que la construction du premier puisse faire obstacle à l’établissement du second.

Nous vous avons aussi fait voir, et par les calculs même des adversaires du canal de Roubaix, des ingénieurs Vander Elst, qu’il y avait une économie considérable pour conduire les produits du Hainaut à Lille par le canal de Roubaix, au lieu que de suivre celui de Courtray.

Qu’il était donc de toute impossibilité d’admettre qu’il puisse y avoir concurrence entre les deux canaux pour approvisionner un article du département du Nord. Si ce n’est entre Warneton et Courtray.

Mais une si petite étendue de navigation pourra-elle jamais influencer sur la base des calculs pour une entreprise aussi coûteuse que celle du canal de Courtray ? Certainement personne ne pourra le démontrer.

Je finis en renouvelant mon opinion en faveur du canal de l’Espierre, parce que je vois dans ce canal une nouvelle et importante voie pour l’exportation des produits belges au pays étranger et vers un centre de grande consommation ; que la navigation belge, au lieu d’y perdre y gagnera, et qu’il me paraît de toute évidence que le canal ne peut présenter le moindre obstacle sérieux au creusement du canal de l’Escaut à Courtray.

Si je suis partisan du canal de Roubaix, parce que j’y vois un intérêt général pour le commerce, l’industrie et l’agriculture du pays ; je le suis aussi du canal de Courtray, parce que j’y vois aussi un intérêt pour cette ville et ses environs, et je fais des voeux pour qu’il puisse s’exécuter. Car certainement le détour que les produits de Tournay et de Mons doivent faire pour arriver à Courtray est considérable et frayeux outre toute mesure.

C’est ce qu’on a vu depuis plusieurs siècles, et que sous tous les gouvernements on a fait des études pour obtenir la jonction de la Lys à l’Escaut, entre Tournay et Audenarde, mais dont les projets ont toujours échoué par la presqu’impossibilité de l’exécution ; ou du moins par les grandes dépenses qu’elle devrait entraîner ; et dont était la cause principale, la difficulté du terrain que présentait le passage, et surtout l’énorme crête de partage qui s’offrait sur toute la ligne.

C’est encore pour ce motif que l’inspecteur des ponts et chaussées Vifquain a présenté le projet de jonction d’Eeke à Deynze, étant le premier point entre Tournay et Gand, qui montrât la possibilité d’atteindre le but.

Et si on ne trouve pas les moyens de donner suite au projet du canal de Bossuyt, je partage entièrement l’opinion de M. Vifquain, qu’il faut faire la jonction à Eeke. Elle n’entraînera point de si fortes dépenses, et elle procurera de grands avantages au bassin de la Lys entre Deynze et Courtray, car elle raccourcira encore de beaucoup le trajet. Messieurs, par suite des observations que vient de vous présenter l’honorable préopinant, j’ajouterai encore quelques mots à ce que j’ai dit sur le canal de l’Espierre.

Ce membre critique le canal, parce qu’il craint que sa jonction à l’Escaut produirait une plus grande quantité d’eau dans cette rivière et augmenterait les inondations dans les Flandres.

Si je ne partage pas entièrement cette crainte, je la trouve cependant plus fondée que celle qu’ont fait valoir d’autres adversaires du canal, en alléguant qu’il procurerait à la France la faculté de dériver les eaux de la Lys et de l’Escaut, et ainsi priver ces rivières des eaux dont elles ont besoin en Belgique pour la navigation.

C’est assez étrange que sur un point si important, les adversaires du canal de l’Espierre ne soient pas d’accord, que les uns avancent que ce canal enlèvera à la Belgique les eaux nécessaires à la navigation de la Lys et de l’Escaut et que d’autres craignent qu’il nous enverra trop d’eau et augmentera les inondations.

A la première objection, celle que les eaux de nos rivières pourront être dérivées par l’établissement du canal de l’Espierre, l’honorable M. de Puydt y a déjà amplement répondu et vous aura pleinement apaisé sur cette objection.

Il vous a fait voir que la crainte exposée par ces membres et sur quoi est basée la protestation de la députation du conseil provincial de la Flandre occidentale, que « par l’établissement du canal de l’Espierre le gouvernement français deviendrait le maître de jeter sur une ville quelconque du département du Nord, les eaux de toutes les rivières, de faire suspendre la navigation de l’Escaut ou de la Lys en Belgique, et d’imprimer à la navigation du Nord un mouvement rapide inconnu dans toute autre localité », que cette crainte, dis-je, n’a aucun fondement et est absolument chimérique.

Il vous a fait voir encore que le plan de l’ingénieur Cordier était purement hypothétique et que lui-même en a reconnu l’impossibilité.

Il serait difficile de vous le démontrer autrement que vous l’a fait M. de Puydt. Sa démonstration aussi vraie que lucide, vous a fait sentir que les suppositions faites par l’ingénieur français étaient toutes gratuites et que géologiquement envisagées ne présentaient aucune possibilité d’exécution.

Je n’y ajouterai que quelques mots pour vous faire remarquer que si même les suppositions de M. Cordier étaient réalisables, les résultats n’en pourront être que désavantageux à la France et jamais à la Belgique ; car je suppose qu’on puisse mettre des barrages dans la Lys et dans l’Escaut, dans quelques endroits des départements du Nord ou du Pas-de-Calais et sur la ligne indiquée par M. Cordier, de Landrecies vers la mer à Dunkerque, il en résulterait que les parties d’eau qui descendent en Belgique des parties de rivières qui se trouvent en amont de cette ligne, se jetteraient toutes dans les vallons qui sont entre elle et la mer et causeraient nécessairement des inondations tellement fortes et continues que tous ces territoires deviendraient des marais.

C’est ce que les habitants des rives des rivières du département du Nord et de celui du Pas-de-Calais, savent si bien que jamais ils ne laisseraient faire cet essai, même s’il se trouvait dans le cadre des choses possibles ; et ils le prouvent presque tous les ans, car il y a peu d’années qui se passent sans que de la France on reçoive en Belgique des plaintes sur ce que les eaux venant de ce pays ne s’échappent pas assez vite.

Et pour ce qui regarde la navigation que les plans supposés de M. Cordier pourraient enlever à la navigation de l’Escaut et de la Lys par la privation d’eau nécessaire, elle ne peut jamais être enlevée qu’aux parties de ces rivières qui sont en France, et ainsi priver leur propre navigation ; c’est ce qui est peu compréhensible, surtout que cette navigation est d’une première nécessité pour transporter les produits d’exploitation française.

Mais comme on craint, comme le député de Gand, que la jonction du canal de Roubaix à l’Escaut pourrait conduire par cette nouvelle voie, plus d’eau dans les Flandres, cette crainte est, en apparence, plus fondée, car on pourrait supposer que la basse Deule et la Marque pourraient, dans les saisons pluvieuses décharger leurs eaux dans l’Escaut et ainsi augmenter dans les Flandres la masse d’eau qu’elles reçoivent de France ; mais, en réalité, elle ne peut exister, et les suites qu’on craint ne peuvent avoir lieu ; car on voit dans le projet du canal de l’Espierre que ce canal devra être alimenté des eaux de l’Escaut, à l’aide d’une machine à vapeur, qui les ferait monter dans le canal artificiellement.

Je ferai remarquer à l’honorable préopinant que ce n’est pas là qu’on doit, en ce moment, chercher les causes des inondations dont les Flandres ont à se plaindre tous les ans, mais que c’est particulièrement dans les défauts d’écoulement qui existaient dans le haut Escaut et dans la Lys, et que si on y appliquait les remèdes tels qu’ils ont été prescrits par l’inspecteur des ponts et chaussés Vifquain, c’est-à-dire, si le gouvernement mettait entièrement à exécution ses plans de barrage, de redressement des sinuosités qui sont si multipliés dans l’Escaut, et surtout ceux qui complèteront le système au long de cette rivière, des eaux de dérivation par lesquels on pourrait facilement se décharger en temps des eaux abondantes de l’hiver et aussi par la séparation qui se ferait, entièrement isoler la navigation des voies qui serviraient à l’écoulement. A cet égard, l’ingénieur Vifquain a complètement compris les besoins de la rivière, et si on ne mettait point d’obstacle à l’exécution de ses projets, les rives de l’Escaut depuis nos frontières vers la France, jusqu’à Gand en ressentiront bientôt les heureux effets, et ceux qui a présent veulent s’y opposer sans aucune réserve plausible, seront de suite convaincus du tort qu’ils ont eu d’être contraires à un si excellent projet.

Je n’en dirai pas plus sur la question des eaux des Flandres, nous devrons encore en parler quand on traitera les améliorations à faire à l’Escaut, et les obligations que le gouvernement a contractées depuis qu’il a pris à lui cette rivière.

Messieurs, comme on voulait pousser les objections contre le canal de l’Espierre à outrance, on en a encore cherché une dans le barrage qui doit être établi sur le haut Escaut à Hauterive, on a dit que ce barrage, établi pour fournir la hauteur d’eau suffisante pour faire la jonction entre le canal et la rivière, allât en peu d’années ensabler l’Escaut aux environs du barrage.

D’abord, nous ferons remarquer que le barrage d’Hauterive est justement celui qui doit être établi pour le canal de Bossuyt, et non pas pour le canal de l’Espierre, dont l’embouchure est à une grande distance d’Hauterive.

D’ailleurs, qu’on mette à exécution les projets de M. Vifquain, on ne devra pas avoir peur des ensablements qui se formeraient dans le haut Escaut, les redressements et les canaux de dérivation ou l’écoulement en seront un remède efficace.

Messieurs, avant de terminer, je dois encore le répéter, je ne vois dans les objections qu’on fait contre le canal de l’Espierre, aucune qui soit fondée, et je m’étonne fortement qu’on trouve une telle opposition à une nouvelle voie d’exportation et qui nous procurera un nouveau débouché vers un pays qui est si important pour la consommation de nos produits, et justement dans un moment où de tous côtés les industriels comme les négociants de Belgique demandent l’agrandissement du marché et les moyens de se défaire de leurs marchandises.

M. de Puydt – On vient de parler de dangers d’inondations que l’on craint par l’Escaut, en conséquence de la construction du canal de l’Espierre ; ces craintes sont sans motifs. Le canal de l’Espierre réuni au canal de Roubaix, présente un point de partage, de sorte qu’il est impossible que les eaux remontent par là pour aller dans l’Escaut ; de manière qu’il est impossible que la Deule vienne dans l’Escaut. Dans le point de partage il y a des réserves d’eau pour les écluses, et chaque fois il ne passe qu’un bateau. Le canal de l’Espierre n’est pas un canal d’écoulement ; il n’y a pas de rivière qui y afflue. Il y a quelque chose de plus ; c’est que jamais il n’arrivera dans le canal que la quantité d’eau nécessaire à la navigation ; cela est réglé ; cela se manœuvre et ne présente aucune espèce de danger. M. Dumortier dira peut-être que le canal de l’Espierre nécessite des barrages dans l’Escaut ; mais si l’on fait des barrages dans l’Escaut, c’est pour en favoriser la navigation.

Je considère ces barrages comme très nécessaires à la navigation et je considère de plus les barrages comme ne pouvant nullement nuire à l’écoulement des eaux. C’est là une question d’art sur laquelle les hommes de l’art sont aujourd’hui parfaitement éclairés.

M. Pirson (pour une motion d'ordre) – Je voudrais faire remarquer à l’assemblée que la discussion a été jusqu’à présent à peu près oiseuse en ce qu’il n’y a point de proposition faite. Nous discutons sur l’exécution du canal de l’Espierre ; ce canal a été adjugé, le ministre nous a communiqué toutes les pièces, mais c’est là une simple communication qu’il a faite pour rendre compte de l’emploi fait par lui de la loi sur les péages que la chambre lui a accordé l’année dernière ; c’est en demandant la prorogation de cette loi qu’il a fait cette communication. Dans la séance du 20 décembre, la chambre a demandé des explications à M. le ministre. M. le ministre a donné ces explications et voilà tout ce qui existe sur le bureau ; maintenant trouvera-t-on que les explications de M. le ministre sont suffisantes ou qu’elles ne le sont pas ? Dans ce dernier cas, il faudrait en demander de nouvelles. Mais je crois que ce n’est pas là ce qu’ont en vue certains orateurs, surtout ceux qui sont tout à fait opposés au canal de l’Espierre. Je crois que ceux qui désapprouvent la concession doivent formuler une proposition quelconque et alors nous pourrons discuter cette proposition mais si l’on ne fait pas de proposition, je pense que nous devrons passer à l’ordre du jour car tout cette discussion est alors parfaitement inutile.

M. Dumortier – Messieurs, il y a dans les observations que vient de présenter l’honorable préopinant quelque chose de très vrai, c’est que cette discussion ne mène à rien, mais d’où provient que cette discussion ne mène à rien ? Cela provient de ce que le ministère, l’avant-veille de l’ouverture de la session, a adjugé le canal, alors qu’il aurait dû attendre.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il a usé de son droit.

M. Dumortier – Il n’a pas usé de son droit ; il n’avait pas le droit de faire ce qu’il a fait ; mais eût-il eu ce droit, il n’en serait pas moins vrai qu’il a manqué à son devoir : son devoir était de ne pas précipiter les choses.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je vous ferai une proposition.

M. Dumortier – Je ferai ce que je devrai faire ; je n’ai point de conseils à vous demander à cet égard. Vous avez abusé de votre position en venant l’avant-veille de la session adjuger le canal de l’Espierre, afin d’éviter la discussion des graves questions que soulevait le projet de ce canal, et lorsque vous venez maintenant nous dire que vous désirez cette discussion, c’est une comédie qu vous jouez.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Rien de plus simple, messieurs, que de venir dire ; Vous avez abusé de la loi, vous avez abusé de la confiance de la législature ; mais c’est précisément là qu’est la question. Nous soutenons que nous n’avons pas abusé de la loi du 19 juillet 1832, que ceux qui trouvent que nous en avons abusé, qu’il y a eu excès de pouvoir, que ceux-là fassent une proposition, je leur en fait l’invitation me joignant à cet égard à l’honorable M. Pirson ; mais que l’on cesse de résoudre la question par la question, que l’on cesse de poser en fait ce que nous nions et ce que nous espérons que la majorité de la chambre niera avec nous.

M. Dumortier – Il est un fait incontestable, c’est qu’il s’est passé dans l’affaire du canal de l’Espierre des choses qui jamais ne se sont vues en Belgique : 20 jours avant l’ouverture du parlement le gouvernement annonce l’adjudication, et à 17 jours de distance, 3 jours avant l’ouverture des chambres le canal est concédé, nonobstant les protestations réitérées des demandeurs en concession du canal de Bossuyt et des personnes qui avaient demandé la concession du canal de l’Espierre. Lorsque le gouvernement s’est conduit d’une pareille manière, lorsqu’il est passé au-dessus de toute espèce de convenance, de toute espèce de respect humain, lorsqu’il n’a accordé qu’un délai tellement court que ceux qui étaient dans le secret pouvaient seuls se présenter pour obtenir la concession, je le demande, sied-il bien au ministère de venir dire qu’il a usé de son droit ? Je le répète, si le droit que vous invoquez avait existé, vous n’en auriez pas moins trahi votre devoir ; mais ce droit vous ne l’aviez pas : un traité de commerce avait été conclu avec la France, ce traité devait être ratifié par la législature, il était de votre devoir d’attendre cette ratification.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Ou le gouvernement avait le droit de concéder le canal ou il ne l’avait pas ; s’il avait ce droit, lui seul était juge de la question de l’opportunité qu’il y avait de l’exercer, lui seul était juge de la question de savoir quel jour il devait en user ; si, au contraire, le gouvernement n’avait pas le droit d’adjuger le canal, alors tous les droits des chambres sont restés intacts, usez-en. Voilà le dilemme par lequel je réponds à l’honorable membre, qui a de nouveau décidé la question par la question en disant que la convention faite avec la France devait être soumise à la chambre.

Le gouvernement savait fort bien qu’il y aurait une discussion ; évidemment une question de cette importance qui avait été tenue en suspens depuis 15 ans ne pouvait pas échapper à une discussion. Le gouvernement le savait et il s’est préparé à cette discussion. Mais devait-il se présenter devant vous avec des faits non accomplis lorsqu’il avait le droit d’accomplir ces faits ? Ne lui aurait-on pas dit de nouveau alors : « La loi vous donne le droit d’agir, agissez donc, et ne venez pas demander un avis, une permission à la chambre ? » Nous n’avons pas demandé d’avis parce qu’un avis ne nous était pas nécessaire, nous avons fait ce que nous avions le droit de faire, en vertu de la loi du 19 juillet 1832 : nous avons agi dans l’intérêt du pays, nous avons bravé les préjugés parce que nous avions le pouvoir de les braver, parce qu’il était de notre devoir de les braver.

Maintenant que l’on aborde le fond de la question, que l’on fasse une proposition, nous en accepterons toutes les conséquences.

M. de Foere – Messieurs, il est vrai que nous discutons dans l’absence toute proposition ; mais une proposition n’est pas nécessaire. L’honorable membre de Dinant a oublié que nous sommes dans la discussion générale du budget des travaux publics ; or il a été convenu que dans la discussion générale des budgets, ce qui est, d’ailleurs, établi par nos usages, on pourrait attaquer les abus, les excès de pouvoir commis par le ministère. Certes, personne ne viendra contester ce droit à la représentation nationale. S’il était établi que nous ne pouvons plus signaler et discuter les abus dont le ministère se rend coupable, alors la représentation nationale deviendrait en grade partie inutile et il n’y aurait plus moyen de demander et d’obtenir le redressement des griefs et d’arrêter les excès du pouvoir exécutif.

Je conviens avec M. le ministre des travaux publics qu’il avait le droit d’avoir une opinion, une conviction même sur la constitutionnalité de la concession du canal de l’Espierre ; mais je lui conteste le droit d’exécuter, par la concession, sa propre conviction particulière, alors qu’une conviction contraire était publiquement établie dans le pays. Il n’est pas même nécessaire de prouver que nul ne peut être juge et partie dans sa cause ; l’évidence est saillante. J’ai signalé, dans la discussion, les conséquences désastreuses que recèle le principe contraire. Si le principe opposé était admis, les ministres, pour justifier leurs actes les plus exorbitants et les plus arbitraires, n’auraient plus qu’à alléguer leur conviction et nous dire ; J’étais convaincu de la constitutionnalité de mes actes, donc ils sont constitutionnels. Si un semblable système de défense était admis, il n’y aurait plus de garantie pour aucun intérêt du pays.

M. Dubus (aîné) – Je pense également, messieurs, qu’une proposition n’était pas nécessaire pour motiver la discussion à laquelle la chambre s’est livrée jusqu’ici. La discussion a été ouverte sur l’ensemble du budget des travaux publics, et si elle s’est établie spécialement sur la question du canal de l’Espierre, c’est que cette question a absorbé toute l’attention de la chambre. C’est donc par suite de l’importance même de la question que la discussion a porté jusqu’ici sur ce seul point, et il n’a point fallu de proposition pour amener ce résultat ; mais vraisemblablement une proposition arrivera par l’effet même de la discussion comme il pourrait en arriver sur d’autres points qui auraient fixé l’attention de la chambre.

Voilà, messieurs, ma manière de voir sur la motion de l’honorable député de Dinant.

Quant au dilemme dans lequel M. le ministre des travaux publics s’est retranché, je dirai que pour bien des députés et notamment pour moi, ce dilemme n’est nullement satisfaisant, que ce dilemme n’apaise pas la conscience de tout le monde. Il ne suffit pas de dire : « J’ai eu le droit de faire l’adjudication, ou je ne l’ai pas eu ; si je n’ai pas eu ce droit faites une proposition. » En admettant que le ministère eût le droit de concéder le canal, il resterait encore à examiner de quelle manière il en a usé, s’il en a usé avec une précipitation inusitée et dommageable pour les intérêts du pays ; à cet égard, il faudrait, dans tous les cas, donner des explications satisfaisantes à la législature.

Il ne suffit donc pas d’un dilemme pour se dispenser de donner des explications ; quant à moi, je déclare que ces explications me sont nécessaires ; mais même en présupposant que le ministre eût le droit de faire la concession sans une loi spéciale, je dis qu’il y a eu précipitation inusitée ; et, à cet égard, je n’ai trouvé d’autre explication de la part du ministre, sinon qu’il a accordé un délai de 17 jours, au lieu du délai de 8 jours, prescrit par les règlements. Eh bien, je dirai que l’examen des règlements sur la matière m’a donné une opinion tout opposée à celle-là ; j’y ai rencontré un article qui porte formellement que le demandeur en concession, c’est-à-dire celui qui connaît naturellement le travail, tous les dessins, tous les devis, puisque c’est son œuvre ; que ce demandeur, dis-je, peut réclamer le délai d’un mois pour se prononcer sur l’acceptation ou la non-acceptation du cahier des charges ; et pourquoi ce délai ?

Pour que le demandeur en concession puisse se livrer, dans le silence du cabinet, à l’étude approfondie du cahier des charges, avant de se lancer dans une entreprise considérable. Eh bien, messieurs, ceux qui veulent concourir avec le demandeur en concession, qui ont à étudier non seulement les conditions du cahier des charges, mais encore tout ce que connaît a priori le demandeur en concession, ceux-là, dis-je, n’auraient pas droit à un semblable délai : il suffirait de leur donner un délai de dix-sept jours. Mais c’est là une chose que je ne puis comprendre ; si l’on a jugé qu’un mois était nécessaire pour le demandeur en concession, il me semble qu’on doit en conclure qu’il fallait au moins six semaines pour le public.

Je ne puis pas comprendre, je l’avoue, cette manière de raisonner. Je dis que le ministre doit nous donner des explications sur les motifs qui peuvent l’avoir déterminé à un simple délai de 17 jours pour ceux qui voudraient concourir avec le demandeur en concession, il me semble que sans cela on est autorisé à croire que les dispositions des règlements n’ont pas de motifs ou que la concurrence a été impossible.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Il a été répondu à cette dernière observation : les règlements sont très bien faits, mais on vous les explique mal. Il est très vrai que le demandeur en concession peut, s’il ne se prononce pas de prime abord, réclamer un délai d’un mois ; mais s’il y a de prime abord acceptation ou refus de sa part, il n’y a plus lieu de lui accorder le délai d’un mois ; or, c’est précisément ce qui est arrivé ; et ce que j’ai longuement exposé à la chambre dans les explications que j’ai données, en réponse aux trois questions qui m’ont été posées par l’assemblée, de sorte qu’il n’est pas exact de dire que d’après les règlements il doit être nécessairement accordé un mois, dans tous les cas, au demandeur en concession ; le demandeur est tenu de se prononcer dans le mois, à moins qu’il ne se prononce plus tôt ; alors, il est inutile de laisser courir le délai d’un mois à moins que d’autres circonstances imprévues ne rendent nécessaire ce délai, et nous avons également prouvé que ces circonstances ne se sont pas présentées dans le cas dont il s’agit.

M. F. de Mérode – Messieurs, un honorable préopinant a dit que la discussion actuelle n’avait lieu qu’à l’occasion d’un abus qui aurait été commis par le gouvernement ; eh bien, messieurs, si cette discussion n’est qu’une discussion relative à un abus, nous devons être suffisamment éclairés. Voilà quatre jours entiers qu’on discute sur le canal de l’Espierre, et je crois qu’il serait fort difficile de présenter aucun argument nouveau, après les explications qui ont été données par M. le ministre des travaux publics d’une part, et après les réfutations de ceux qui n’admettent pas ces explications, d’autre part.

Messieurs, une des choses qui me prouvent combien les griefs qu’on a contre le canal de l’Espierre sont faibles, c’est la crainte qu’on a manifestée tout à l’heure, d’inondations pour la ville de Gand. En vérité, sans être ingénieur, je ne puis pas comprendre comment quelques écluses d’eau qu’on peut donner ou refuser à volonté, pourraient contribuer à l’inondation de la ville de Gand. Messieurs, quand on est obligé de recourir à des arguments de cette force, on avoue que l’attaque qu’on dirige contre un acte du ministère est bien faible.

On a dit aussi que le ministère a adjugé le canal la dernière extrémité, presque à la veille de l’ouverture de la session des chambres. Mais quelle a été la cause de cette lenteur ? Ce sont les précautions excessives que le ministère a prises ; ce sont les négociations pour la convention faite avec la France, qui ont fait reculer la concession jusqu’au moment de l’ouverture de la session, mais de ce retard forcé devait-il s’en suivre que le ministère dût ajourner indéfiniment l’exécution du canal ? Non sans doute ; il avait de bonnes raisons pour se décider en faveur de cette exécution, et il eût été pusillanime de sa part de s’arrêter devant de pareilles considérations.

En résumé, messieurs, chaque partie de la puissance publique a ses attributions ; si les diverses parties de cette puissance publique usurpent leurs attributions respectives, nous ne sortirons jamais de rien. Les tribunaux rendent des arrêtes plus ou moins bien motivés ; y a-t-il une autorité quelconque dans l’Etat, excepté les tribunaux supérieurs aux autres, qui s’ingère de redresser les arrêts des tribunaux ? Non, sans doute ; on considère la justice comme une autorité qui s’exerce dans son ensemble raisonnablement et avec équité, et l’on ne s’en occupe pas autrement.

Maintenant, si les attributions de la chambre consistent particulièrement dans ses fonctions législatives ; si néanmoins elle fait constamment de l’administration, ou qu’elle soulève une discussion sur chaque route, sur chaque canal, enfin sur chaque objet d’utilité publique que le gouvernement aura jugé convenable de faire exécuter, nous consacrerons tout notre temps à discuter longuement ce qui n’est pas de notre compétence.

Et ici je conçois très bien qu’à propos du canal de l’Espierre, l’on attaque le ministère ou qu’on motive l’adhésion qu’on lui donne ; les uns disent que le ministère a bien fait, d’autres disent qu’il a mal fait ; mais, en définitive, il faut bien que le ministère décide de pareilles questions, et je ne pense pas qu’on puisse entraîner les chambres dans des discussions interminables sur une affaire qui n’a pas l’importance qu’on a voulu lui donner, tandis que nous avons une foule de lois à faire, que l’intérêt du pays réclame avec instance.

M. Pirson – Je persiste à dire que tout ce qui vient d’être dit et tout ce qui sera dit, sera oiseux, si l’on ne fait pas une proposition relativement au canal de l’Espierre. Il faut donc déclarer ou que vous désapprouviez ce que le ministère a fait pour en empêcher l’exécution, ou que vous le considériez comme un fait accompli. Je parle à ceux qui ne veulent pas du canal de l’Espierre ; un refus de budget ne serait pas un moyen de sortir de la difficulté, car un refus de budget n’empêchera pas l’exécution du canal. Il faut donc trouver un autre moyen quelconque, et si l’on en trouve un, je m’y rallierai.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, je voulais faire l’observation que vient de soumettre l’honorable préopinant, sans qu’il l’approuve toutefois. Il y a beaucoup d’actes qui rentrent dans le contrôle des chambres, sans qu’elles puissent annuler l’acte ; dans ce cas, le fait reproché au ministère entraîne ce que l’honorable préopinant vient de vous indiquer, savoir le blâme du ministre qui a posé l’acte. Mais ce blâme n’empêche pas l’acte d’exister ; le blâme n’est plus qu’effet personnel que je saurai comprendre le cas échéant ; c’est par exemple le refus du budget. C’est là le gouvernement représentatif.

M. Dubus (aîné) – M. le ministre des travaux publics n’a pas compris la question que j’ai faite tout à l’heure ; je n’ai pas demandé pourquoi l’on n’avait pas accordé au demandeur en concession le délai d’un mois, mais j’ai demandé pourquoi, lorsqu’on a mis en adjudication le canal de l’Espierre, on n’avait pas accordé au public un mois pour concourir avec le demandeur en concession. S’il y avait nécessité, d’après les règlements, d’accorder un mois au demandeur en concession du canal de l’Espierre, lui qui connaissait son œuvre et qui n’avait qu’à se prononcer sur le cahier des charges, à plus forte raison devait-on donner un mois au public qui avait à se prononcer sur les devis, sur le détail du travail et sur ce même cahier des charges ; je ne comprends pas pourquoi l’on doit donner un mois à l’un et seulement 17 jours à l’autre.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Messieurs, il y a une distinction à faire ; l’arrêté sur les concessions accorde, à la vérité, un mois au demandeur en concession pour se prononcer sur le cahier des charges : c’est une règle générale qui a été introduite, quoiqu’il fût bien certain, ce que l’expérience a justifié que dans une infinité de cas particuliers, ce délai sont beaucoup trop long. En ce qui concerne les adjudications, il n’y a pas de règlement qui prescrive le délai d’un mois ; ainsi, en matière d’adjudication, le ministre peut fixer le délai qu’il juge convenable, suivant les circonstances, dans telle circonstance, il fixera un délai plus long que celui d’un mois ; dans telle autre circonstance, il fixera un délai moins long ; ce point est laissé à la bonne foi du ministre, à son appréciation.

M. Dumortier – Il est incontestable que des personnes qui voulaient se présenter pour l’adjudication du canal n’ont pas eu le temps suffisant pour en examiner les conditions. Ceci est d’autant plus incontestable que des protestations ont été déposées contre l’adjudication. Si un demandeur en concession a le droit de demander un mois pour examiner le cahier des charges, à plus forte raison doit-on l’accorder à ceux qui viennent prendre part à l’adjudication. On ne répondra pas à ce qu’a dit à cet égard mon honorable ami M. Dubus.

M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Lisez le règlement.

M. le président – L’assemblée paraît disposée à lever la séance.

La séance est levée à 4 heures ¾.