(Moniteur belge n°354 du 20 décembre 1839)
(Présidence de M. Fallon)
M. Lejeune procède à l’appel nominal à 1 heure ½.
M. Mast de Vries donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction en est adoptée.
M. Lejeune fait connaître l’analyse des pièces suivantes :
« Les administrations communales et des habitants des communes de Ruysselede, Somergem et Knesselaere demandent le maintien de la section actuelle du chemin de fer entre Gand et Bruges. »
- Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
« La régence de Tournay adresse des observations contre la pétition des exploitants de mines, banquiers, industriels, etc., de Mons, rectifie l’opinion qu’on lui prête, et persiste dans son opposition au canal de l’Espierre. »
- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.
« Les sieurs Mussner, Fariola, T’Schusschner, Geyet, capitaine d’infanterie ; Lomwitz, sergent-major au 10e de ligne, et veuve Buyckx, particulière, demandent que la chambre s’occupe de leur demande en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. le président – La discussion continue sur l’article unique du chapitre V.
Personne ne demandant plus la parole, cet article est mis aux voix et adopté en ces termes :
« Frais de voyage des agents du service extérieur ; frais de courriers, estafettes et courses diverses : fr. 70,000. »
« Art. unique. Frais à rembourser aux agents du service extérieur : fr. 75,000. »
- Adopté.
« Art. unique. Missions extraordinaires et dépenses imprévues : fr. 84,000. »
- Adopté.
« Art. unique. Pour faire face aux dépenses qui résulteront du traité de paix avec les Pays-Bas : fr. 100,000. »
- Adopté.
M. le président – Comme il y a eu des amendements, le second vote ne pourra avoir lieu que dans la séance de samedi.
M. d’Huart – Messieurs, je proposerai de fixer le second vote à demain ; je pense qu’il est dans l’intérêt public que le sénat puisse examiner et voter le budget des affaires étrangères le plus tôt possible ; le sénat est réuni, et nous ne lui avons envoyé jusqu’ici que 2 ou 3 projets ; il est désirable qu’il s’occupe incessamment du budget des affaires étrangères, puisqu’une quinzaine de jours nous sépare seulement de l’époque à laquelle il doit être mis à exécution.
- La proposition de M. d’Huart est adoptée ; en conséquence, le second vote du budget des affaires étrangères est fixé à demain.
M. le président – M. le ministre des finances se rallie-t-il à la rédaction de la section centrale ?
Des membres – M. le ministre des finances n’est pas présent.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – Je puis dire, au nom de mon collègue du département des finances, que le gouvernement se rallie à la rédaction de la section centrale.
M. le président – En conséquence, la discussion s’établira sur le projet de la section centrale. La discussion générale est ouverte. La parole est à M. de Foere.
M. de Brouckere – Je demanderai qu’on fasse prier M. le ministre des finances de se rendre dans l’assemblée ; il est impossible qu’on s’occupe de ce projet sans que M. le ministre soit présent.
M. Delehaye – En attendant l’arrivée du ministre des finances, j’aurai l’honneur de faire une motion d’ordre.
Dans une séance précédente, j’ai entretenu la chambre de ce qui était arrivé à des naufragés belges à Marseille, M. le ministre des relations extérieures nous a promis de prendre des renseignements à cet égard. Il m’est arrivé, de ce chef, des renseignements positifs, ils émanent de l’armateur même du navire ; et d’après ce qu’il me mande, il paraît que les faits sont assez graves pour mériter toute l’attention du ministre des relations extérieures.
En effet, le navire le Janus avait à bord plusieurs Belges. Ces individus se sont présentés à notre consul à Marseille ; ils ont d’abord été repoussés par le consul ; mais lorsqu’ils ont voulu se rendre à une autre destinations, ils se sont rendus chez le même consul, qui alors a reconnu leur qualité de Belges, et leur a fait payer des droits. Ce sont là des faits positifs, des faits pertinents, émanant de l’armateur même du Janus. J’ai cru devoir les signaler à M. le ministre des relations extérieures pour qu’il puisse en faire mention, en demandant des renseignements. Il est à présumé que le consul belge répondra qu’il n’a pu reconnaître la qualité de Belge à cinq de nos compatriotes qui se trouvaient à bord du navire naufragé ; mais à cela on pourra répondre que, lorsqu’il a reconnu la qualité de Belge, lorsqu’il s’agissait de viser leurs papiers, il pouvait bien leur reconnaître cette qualité quand ils se sont présentés une première fois chez lui.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, j’ai reçu une lettre de notre consul à Marseille qui, ayant eu connaissance de laquelle à laquelle il avait été en butte de la part d’un journal, s’est empressé d’écrire à l’éditeur de ce journal, qui, faisant droit à cette réclamation, a retracé ses inculpations à charge de notre consul. La lettre que j’ai reçue me paraît pleinement satisfaisante.
Voici les faits : Des Belges se trouvaient sur un bâtiment portant un autre pavillon que celui de la Belgique ; je crois que c’était le pavillon du Mecklembourg. Privés à Marseille, ils ont dû s’adresser au consul du Mecklembourg ; celui-ci a eu recours à notre consul, qui a dû, avant tout, s’assurer de la nationalité des individus qui réclamant son appui. Lorsque cette nationalité a été reconnue, il leur a prêté franchement son appui.
On parle de droits qui auraient été perçus, j’ignore cette circonstance ; mais si de ce chef il y a eu une réclamation fondée à faire, l’armateur qui aura payé les droits peut s’adresser au ministère, et le ministre s’empressera de demander des renseignements au consul.
M. Delehaye – Si M. le ministre veut communication des pièces, je m’empresserai de les lui remettre.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Il faut une réclamation.
La chambre reprend la discussion générale du projet de loi relatif aux bons du trésor.
M. de Foere – Messieurs, quand en 1833, la dette flottante a été créée, les opinions de la chambre se trouvaient dans la plus complète confusion sur la nature de cette dette, sur le mode d’exécution de ses valeurs et sur les avantages qui pouvaient résulter de cette émission pour le trésor public, pour le service journalier de la partie financière du gouvernement, pour les transactions du commerce et de l’industrie, pour les contribuables, et enfin pour l’état tout entier.
L’extrême divergence des opinions qui de part et d’autre étaient erronées, résultent particulièrement de ce que dans la discussion on perdait de vue la base sur laquelle le crédit public est exclusivement fondé, et de ce qu’on ignorait le mode d’émission des valeurs d’une dette flottante. Le gouvernement et la section centrale ne contribuèrent pas peu à augmenter cette confusion d’opinion, dans laquelle tous les principes de haute finance avaient été complètement oubliés.
La seule véritable base du crédit public étant entièrement négligée, la chambre de 1833 voulait que la dette flottante, qu’on sait aujourd’hui n’être autre chose qu’un emprunt, fût garantie par un autre emprunt.
Un membre proposait un emprunt de 60 millions, un autre en proposait un de 72 millions. Une commission fut nommée pour délibérer sur le mode de lever un emprunt dont le montant devait être fixé par elle. Je fus le seul membre qui s’opposa dans la discussion à ce dernier emprunt et au mode qu’on voulait employer, celui de la dette flottante. Mes efforts n’eurent qu’un succès partiel, important cependant pour le moment.
En établissant les véritables bases du crédit du pays, en dehors desquelles tout est métaphysique en matière de finances, je parvins à écarter l’emprunt de 60 à 72 millions. L’assemblée comprit que la dette flottante ne reposait pas sur une autre base que la dette consolidée et qu’il était absurde de contracter un emprunt pour en garantir un autre, parce que si la chambre décrétait un second emprunt pour en garantir un premier, elle devait faire un troisième emprunt pour garantir le second ; un quatrième pour garantir le troisième ; et ainsi de suite. La commission quoique déjà nommée, n’a jamais siégé et le pays a échappé au fléau de l’emprunt. Malheureusement pour le pays je ne pus obtenir aucun succès à l’égard de l’émission de notre dette flottante.
Un mode d’émission très vicieux et très désavantageux fut consacrée par la loi du 16 février. Malheureusement, tous les efforts que j’ai faits depuis pour faire adopter une autre circulation qui donnerait au pays tous les avantages que j’ai énumérés dans le commencement de mon discours et qu’on pouvait obtenir par le seule mode d’émission de la dette publique. La loi du 16 février a été votée.
Le gouvernement et la section centrale font encore servir cette loi comme règle d’émission de notre dette non consolidée. Il y a plus, le gouvernement et la section centrale, par les opinions qu’ils émettent sur cette dette, nous font rétrograder à la chambre de 1832. La dette flottante et les avantages qui s’y rattachent sont dénaturés au point d’être méconnaissables.
Je vais tâcher de rétablir le véritable caractère de la dette flottante, pour faire comprendre à la chambre combien il serait avantageux d’adopter un autre mode d’émission.
Je sais très bien que, dans la position actuelle de la chambre, tous mes efforts seront inutiles, mais je m’acquitterai de mon devoir de député, c’est le seul résultat auquel ma conscience aspire, quant à présent.
M. le ministre des finances, dans une séance précédente, répondit à l’honorable député de Courtrai, qu’il était trop bon financier pour ne pas savoir ce que c’est qu’une dette flottante ; et après lui avoir adressé ce compliment, le ministre lui apprend ce que c’est qu’une dette flottante, et voici la définition qu’il donne : Une dette flottante, dit-il, résulte d’une insuffisance de ressources pour couvrir les dépenses des exercices antérieurs. C’est une dette temporaire qu’on espère pouvoir couvrir avec les excédants de recettes des exercices qui vont suivre.
Vous savez, messieurs, que la définition d’un objet quelconque doit présenter le caractère particulier de l’objet dont il s’agit. Si la définition donnée peut aussi rentrer dans le caractère d’un autre objet, cette définition n’est pas exacte. Si la définition donnée à la dette flottante peut s’appliquer à une autre dette, ce n’est plus la définition de la dette flottante. Une dette flottante, dit-il, résulte d’une insuffisance de ressources pour couvrir les dépenses des exercices antérieurs ; mais la dette consolidée n’a pas d’autre objet. Pourquoi levez-vous des emprunts ? C’est parce que vous en avez besoin pour couvrir les dépenses des exercices antérieurs ou de l’exercice présent dont vous entrevoyez l’insuffisance de ressources.
C’est une dette temporaire qu’on espère pouvoir couvrir avec les excédants de recettes des exercices qui vont suivre les emprunts que vous levez et auxquels vous donnez la dénomination de dette consolidée, n’ont pas non plus d’autre destination.
Ainsi la définition que vous donnez à la dette flottante est exactement celle que vous devez donner à la dette consolidée.
C’est une chose déplorable de voir à quel point des notions aussi simples ont été méconnues.
La dette flottante est une institution que nous avons emprunté à l’Angleterre ainsi que la France. Là aussi la dette flottante est appelée floating.
Voici la véritable nature, le véritable caractère de cette dette ; elle n’est appelée dette flottante que parce que le chiffre flotte continuellement entre deux limites inconnues. Voilà le véritable caractère de la dette flottante.
On autorise le gouvernement à lever autant de fonds, mais on ne sait pas quels seront les besoins qui se manifesteront dans l’exercice courant, on ne sait pas jusqu’à quel point la dette flottante montera ; ce n’est pas pour autre chose qu’on l’appelle dette flottante, parce que, je le répète, elle flotte continuellement entre deux chiffres inconnus.
D’une année à l’autre, cette dette flotte également entre deux chiffres inconnus et inégaux. La dette consolidée, au contraire, a un chiffre continuellement connu. Ce sont des notions aussi simples qu’on parvient à dénaturer.
Il n’est pas nécessaire, messieurs, la discussion serait trop aride, d’entrer dans l’examen des opinions qu’a émises la section centrale dans son travail sur la dette flottante. Ce sont exactement les mêmes erreurs ; la nature et le caractère de la dette flottante sont entièrement méconnus.
Messieurs, quelle est, car il faut toujours en venir là, quelle est la véritable base du crédit public, qu’il s’agisse d’émettre des bons du trésor, des valeurs de la dette flottante ou de contracter un emprunt consolidé ? la véritable base du crédit public n’est autre chose que la solvabilité du débiteur et sa bonne volonté. C’est la même base que celle sur laquelle repose exclusivement le crédit privé.
Lorsque dernièrement un député de Bruxelles a dit que le crédit public de la Belgique était peut-être supérieur au crédit public de tous les autres pays ; je vous le demande, avez-vous besoin d’autre chose, d’autre principe pour garantir votre dette flottante et chercher à faire produire par un autre mode d’émission les avantages nombreux qui se rattachent à cette dette.
En 1815, l’Angleterre avait une dette flottante à peu près d’un million 700,000,000 de francs. Pensez-vous qu’elle songe à couvrir cette dette flottante par des emprunts ? Cette dette flottante a-t-elle besoin d’être garantie pour que les valeurs qui la représentent entrent en circulation ? Non, messieurs. On ne le fera jamais en Angleterre et en cela on agira dans l’intérêt du pays. De même, en France et en Prusse, on ne remboursera pas la dette publique aussi longtemps que le crédit public de ces nations repose sur la solidité de leurs ressources et la probité envers leurs créanciers. En dehors de ces bases, tout est nébuleuse théorie, tout est métaphysique. Nous n’avons besoin que de cette base, pour faire circuler nos bons du trésor à un intérêt de 2 ¼ à 2 ½ p.c. comme les valeurs de la dette flottante en Angleterre et en France. La Prusse a fait circuler les valeurs de la dette flottante, sans intérêt, et sur quelle base ? Celle de la confiance publique dans les ressources de la Prusse. Est-il possible d’en faire de même chez nous. Non, malheureusement pas encore. La confiance dans la solvabilité et la bonne volonté de la Prusse à payer est telle que, bien qu’on ne connaisse pas le chiffre de la dette consolidée de la Prusse, ce qui est très important, les 4 p.c. de cette puissance sont introuvables sur tous les marchés d’argent de l’Europe.
Messieurs, ces nations que je viens de citer ne rembourseront pas leur dette flottante, parce que ce serait un très grand désavantage pour le pays. La simple raison est que les valeurs de la dette flottante ne portant aucun intérêt en Prusse, n’en portent que 2 ¼ en Angleterre et 2 ½ en France. Si ces états remboursent par un emprunt la dette flottante, cet emprunt leur coûterait 4 ou 5 p.c.
Quels sont les avantages qui pourraient résulter pour le pays, d’un autre mode d’émission. Je vous ai déjà dit que l’avantage serait en premier lieu pour le trésor.
En émettant une dette flottante à 2 ½ ou 2 ¼, vous ne devrez pas continuer de payer un intérêt de 5 p.c. pour les bons du trésor. Vous avez même payé en 1833 7 p.c. et plus. Voilà le premier avantage ; le deuxième avantage serait dans la facilité plus grande des transactions financières ; le troisième serait celui que les banques de commerce et l’industrie en retireraient.
Les bons royaux en France et les billets de l’échiquier en Angleterre se transmettent de la main à la main sans aucune formalité de transfert dans toutes les transactions du commerce, de l’industrie et des banques. Vous savez que, quand l’argent intervient dans les échanges, c’est un instrument extrêmement lourd ; et lorsqu’il y a des valeurs en papier, émanant d’un état qui doit inspirer toute confiance, comme offrant par sa solvabilité et sa bonne volonté, toutes les garanties possibles de paiement, ces valeurs, qui se transportent plus facilement, sont préférées à l’argent même dans toutes les transactions du commerce, de l’industrie et des banques. C’est ce qui arrive en Angleterre et en France. Il en serait de même en Belgique, si la spéculation était la même. Ici les bons du trésor ne sont que des fonds publics. Il est vrai que, dans les transactions privées, il arrive parfois qu’on se paie au moyen de bons du trésor. Pourquoi ? Parce qu’ils reposent sur la seule base du crédit
Pour vous inspirer toute la confiance dont vous avez besoin pour vous faire adopter un autre mode d’émission, permettez-moi de vous rappeler que l’or et l’argent du monde entier ne suffiraient pas pour représenter les transactions qui se font chaque jour dans le commerce, et qui n’ont d’autre base que le crédit public ou privé.
Pourquoi la société générale place-t-elle avec beaucoup de facilité ses billets de banque ? Parce que le crédit de cette banque est généralement établi. Les billets de banque de la société générale équivalent à de l’argent pour tous ceux qui savent apprécier les transactions commerciales, financières et industrielles. Eh bien, le crédit d’un état comme la Belgique n’est-il pas infiniment supérieur au crédit d’une société particulière ? Si donc une société particulière parvient à ce résultat, sans attacher aucun intérêt à ses billets de banque, à plus forte raison pouvez-vous faire circuler vos bons du trésor comme ils circulent en France et en Angleterre.
Cette émission n’a d’autre base que la base du crédit. Vous pouvez faire circuler les bons du trésor dans les transactions financières, et si le gouvernement veut y attacher un intérêt, fut-il minime, ces bons passeront de main en main, et seront même préférés à l’argent.
Un autre avantage qui se rattache à ce mode d’émission, c’est que l’émission faite dans ce sens est tout à fait dans l’intérêt des contribuables. Lorsque vous émettrez des bons du trésor à 2 ½ ou à 2 ¼ au lieu de les émettre à 5 p.c., ce sera autant de diminué aux contributions de l’état. Et je maintiens que si dès 1833 vous aviez émis les bons du trésor pour couvrir les dépenses du chemin de fer, vous les auriez couvertes avec la moitié de l’intérêt que vous payez maintenant. (Rires d’incrédulité.)
La loi du 16 février est maintenue par la loi dont nous examinons maintenant les dispositions. Cette loi donne au ministère la faculté d’émettre des bons du trésor à 6 p.c. l’an, et avec un p.c. d’intérêt pour six mois. Ce qui fait 8 p.c. par an. Le ministère demande que cette loi serve de règle d’émissions pour les 12 millions de bons du trésor, et dans ses discours il ne demande qu’un intérêt de 5 p.c. Cependant la disposition de la loi du 16 février n’en est pas moins maintenue. Si le ministre éprouve des besoins, ce qu’il a dit dans le discours qui précède, le budget ne doit pas prévaloir sur la loi même. Ainsi la loi autorise le ministre des finances à émettre les bons du trésor à 8 p.c.
Si M. le ministre des affaires étrangères et de l'ntérieur voulait demander à nos ambassadeurs, en Angleterre, en France et en Prusse, un rapport exact sur le mode d’émission des billets de l’échiquier et des bons royaux, vous pourriez alors, par la seule inspection de ce rapport, adopter la meilleure règle pour émettre, dans l’intérêt du pays, des bons du trésor auxquels se rattachent tous les avantages qu’ils produisent dans les pays que je viens de nommer. Alors vous ne songeriez pas à rembourser votre dette flottante, parce que ce serait désavantageux pour le pays ; vous conserveriez la dette flottante, parce que le pays ne devrait payer que 2 ¼ d’intérêt, et que si vous la remboursiez, vous devriez emprunter au moins à 5 p.c.
Je ne combats par la construction du chemin de fer ; ce que je combats, c’est un mode d’émission vicieux et désavantageux pour le pays, qui a été maintenu jusqu’à présent. Comme je réclame depuis plusieurs années contre ce mode vicieux et désavantageux, je ne puis consentir à voter 12 millions de bons du trésor, alors que je n’en reconnais pas le besoin.
- MM. de Renesse, Lange et Milcamps renonce momentanément à la parole, pour que la discussion continue sur les questions soulevées par M. de Foere.
M. Angillis – Messieurs, lorsque M. de Foere expose à la chambre son système commercial et financier, je l’écoute toujours avec le plus grand plaisir, et même je partage beaucoup de ses opinions ; et, à cette occasion, je dirai que je vois avec peine, chaque fois que M. de Foere expose son système commercial, que M. le ministre, au lieu de répondre, étouffe la discussion par de misérables fin de non-recevoir. Toutefois, quand M. de Foere attaque la section centrale, pour le principe qu’elle a émis sur le caractère de la dette flottante, je ne suis plus de son avis, je deviens son adversaire.
Il y a deux sortes de dette flottante : une dette flottante temporaire destinée à couvrir, par des moyens de trésorerie, l’insuffisance du budget. Cette dette a été inventée pour combler les vides des caisses du trésor et pour pourvoir à des dépenses temporaires.
C’est ainsi que la dette flottante a été constituée en Belgique, en 1833. On pensait couvrir cette dette flottante avec les moyens ordinaires des recettes, avec l’excédant des recettes courantes. Voilà pour quels motifs on a adopté ce premier mode de dette flottante.
La section centrale a considéré la dette flottante telle qu’elle a été établie en Belgique ; c’est-à-dire comme une dette qui doit être remboursée, qui est exigible à des époques plus ou moins rapprochées, et qui peut être renouvelée plusieurs fois dans l’année. La dette flottante ainsi définie, on voit que les principes de la section centrale sont incontestables.
On a considéré la dette flottante sous ce point de vue, parce qu’il ne s’agissait que de ce mode d’émission ; elle a eu raison ; elle a saisi les véritables principes.
La dette flottante, considérée comme dette temporaire, n’est qu’une ressource artificielle ; c’est une abstraction de la monnaie métallique. Ce n’est pas un signe de richesse du pays ; c’est un signe du crédit du pays. Cette dette repose donc sur le crédit public.
Maintenant, M. de Foere voudrait établir une dette flottante de durée ; et il voudrait émettre 30 millions de bons du trésor. Voyez où ce système mènera ? A la première crise financière chacun viendrait pour demander le remboursement de ses 30 millions. Il y aurait un embarras épouvantable pour le trésor, et le crédit public serait tout à fait tombé.
En Angleterre on envisage ainsi la dette flottante, dit l’honorable M. de Foere : oui, car en Angleterre la dette publique est fondée sur le prestige du crédit public, qui est immense. Là, en cas de besoin, le trésor a recours aux établissements financiers ; mais ici nous n’avons pas de semblables établissements, et nous devons prendre tous les moyens pour pouvoir payer cette dette aux époques déterminées.
La différence entre les deux dettes flottantes n’est pas considérable ; elle consiste, cette différence, dans le mode d’émission : mais comme aucune section n’a fait de demande pour changer le mode d’émission, elle n’a pas pu proposer autre chose que celui du gouvernement.
La section centrale a été plus loin ; elle a appelé l’attention de la chambre et du gouvernement, sur ce que le gouvernement confondait en fait la dette flottante temporaire avec la dette flottante de durée. Voilà pourquoi la section centrale a adressé une espèce de reproche au gouvernement.
M. de Foere voudrait changer le système admis ; mais sommes-nous dans le cas de le faire ? Avant de changer de système, il faudrait connaître la véritable situation financière du pays, ce qui serait très difficile maintenant.
Dans quelques temps cette situation sera à la portée de tout le monde : nous discutons en ce moment au ministère des finances un projet de loi sur la comptabilité nationale, et un arrêté royal pour régler les rapports du trésor avec la cour des comptes, le caissier de l’état et tous les agents financiers. J’espère que ce projet de loi sera présenté sous peu, et j’engagerai la chambre à s’en occuper. Les comptes à régler le seront bientôt, quand la loi sera portée ; et, les comptes réglés, la situation du trésor sera claire pour tout le monde. C’est alors, et seulement alors que nous pourrons nous occuper du système de la dette flottante.
Voila le peu de mots que je me proposais de répondre à l’honorable M. de Foere ; me réservant de donner d’autres renseignements , si je le crois nécessaire, dans le courant de la discussion.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je veux simplement faire observer à l’honorable préopinant que son assertion n’est pas exacte, que je ne décline pas la discussion du système commercial de M. de Foere. J’ai dit, au contraire que, je ne reculais pas devant cette discussion, mais que je la réservais pour le moment où elle viendrait avec plus d’opportunité ; parce qu’à présent elle ne produirait aucun résultat.
M. de Brouckere – L’intention de la grande majorité est que l’on vide la question financière ; c’est là la véritable question que soulève le projet ; les autres ne sont qu’accessoires. Je demanderai donc que la chambre décide que les orateurs qui veulent traiter la question financière aient les premiers la parole.
M. le président – On peut considérer la discussion de la question financière comme la question générale. Les autres orateurs prendront la parole sur l’article premier.
- Cet avis de M. le président est adopté.
M. d’Huart – Messieurs, la question principale à examiner me paraît être celle de savoir si le mode proposé par le gouvernement, pour continuer les travaux du chemin de fer, est convenable, ou s’il ne fait pas chercher un mode différent. Or, il n’y a que deux moyens pour pourvoir aux besoins du chemin de fer, l’un par la dette flottante, l’autre par une dette dont le capital serait inscrit au grand-livre. M. de Foere préfère les bons du trésor à un emprunt définitif et, à cet égard, je suis de son avis, par la raison qu’un tel emprunt de quelqu’importance ne pourrait, en ce moment, se conclure qu’à des conditions onéreuses pour le pays. Le moyen proposé par le gouvernement, des bons du trésor, a donc été motivé sur des raisons que l’on peut saisir facilement.
Mais, dit M. de Foere, le mode d’émission usité est défectueux et nuisible aux intérêts du pays ; il ajoute que dans toutes les circonstances il l’a combattu. Il voudrait des bons du trésor qui seraient placés à 2 ½ pour cela ; cela serait sans doute fort avantageux, et nous devons désirer de connaître le système qui produirait un tel résultat ; j’engage l’honorable membre à nous initier à son moyen d’avoir de l’argent à d’aussi belles conditions. Les observations générales qu’il a présentées semblent indiquer la création d’un papier-monnaie portant intérêt. Est-ce là ce qu’il veut ; sont-ce des billets payables à vue qu’il préconise ? Si c’est là qu’il veut en venir, je dois m’y opposer de toutes mes forces. Un tel moyen ne saurait être sanctionné par nous. On pourrait, avec un pareil système, faire tomber la Belgique. Il suffirait que de grands capitalistes réunissent, le même jour, les 30 millions de bons du trésor et vinssent en demander le remboursement instantané. Que feriez-vous alors ? Vous suspendriez les paiements du trésor, c’est-à-dire qu’il tomberait dans une espèce d’état de faillite. Il suffit d’indiquer la possibilité d’un tel résultat pour repousser le moyen suggéré.
Ce ne serait jamais que dans une proportion extrêmement restreinte que l’on pourrait employer les billets à vue ; ce ne serait que lorsque les recettes ordinaires seraient tout à fait arrivées au niveau des dépenses, lorsqu’on aurait comblé tous les déficits antérieurs que l’on pourrait maintenir en circulation une petite dette flottante de 2, ou 4 millions portant un intérêt minime et remboursable à vue comme les billets de banque ; encore je ne suis pas certain qu’un pareil mode soit jamais conseillé par la prudence ; on pourrait craindre qu’à certaine moments, à une époque de l’année où les recettes ne se font pas aussi régulièrement qu’à d’autres époques, on ne vînt réclamer encore une fois les 4 millions de bons du trésor instantanément. Ce sont là des éventualités auxquelles il ne faut pas s’exposer ; il faut toujours éviter que le trésor soit dans la position de ne pas pouvoir faire face immédiatement à tous les engagements.
Ainsi, messieurs, si c’est un semblable système que suggère l’honorable membre, il est éminemment dangereux pour le pays.
Les bons de l’échiquier d’Angleterre, les bons royaux de France et de Russie, se transmettent, dit M. de Foere, sans aucune formalité, de la main à la main. Mais, messieurs, il en est de même pour nos bons du trésor ; ceux-ci se transmettent sans qu’il y ait aucune inscription à faire, puisqu’ils sont au porteur. Ils sont payables à l’échéance qui y est déterminée, mais ils peuvent se vendre à la bourse, et ils s’y vendent fréquemment ; ils peuvent entrer dans les transactions entre particuliers, et c’est ce qui a également lieu très souvent. L’honorable membre voudrait prétendre qu’on éprouve des difficultés à se procurer des bons du trésor ? Qu’il y a pour cela de grandes démarches à faire ? qu’il faut des écritures ? Il n’en est rien, messieurs ; les bons du trésor s’obtiennent avec la plus grande facilité : des avis successivement produits au Moniteur annoncent l’émission, indiquent les conditions ; on peut obtenir des bons au capital de mille francs ; on en avait même offert dans le temps d’un capital de 500 francs, mais on a renoncé à ce taux parce que personne n’en demandait pour une somme aussi minime. Après les avis dont je viens de parler, les personnes qui veulent obtenir des bons du trésor versent leurs fonds au chef-lieu de l’arrondissement, les agents de la banque donnent une quittance provisoire qui est remplacée quelques jours après par le titre visé à la cour des comptes. Y a-t-il quelque chose de plus simple, quelque chose de plus facile que ce mode d’émission ?
Vous le voyez donc, messieurs, en Belgique comme en France et en Angleterre, ceux qui ne veulent pas laisser dormir leurs fonds improductifs, peuvent très bien en retirer les intérêts en les plaçant en obligations de la dette non inscrite, c’est-à-dire en bons du trésor, qui offrent toutes les facilités possibles, puisqu’on en émet à 3, 6, 9 et 12 mois de date ; ainsi, les personnes qui ont devers elles des fonds dont l’emploi ne doit arriver que dans trois mois, par exemple, peuvent,, en attendant, les faire fructifier dans la dette flottante.
On dit, messieurs, que les billets de banque de la société générale circulent avec facilité, qu’ils sont considérés comme argent ; qu’on les préfère même à l’argent, à cause de la facilité qu’ils présentent sous le rapport du poids et du volume. Mais, messieurs, si les billets de banque circulent aussi facilement, c’est parce qu’ils sont en quelque sorte du numéraire, puisqu’il suffit de se présenter aux bureaux de la société générale pour obtenir des écus en échange de ces billets. Voilà ce qui explique pourquoi les billets de banque sont pris sans intérêt, tandis qu’on a quelquefois peine à placer des bons du trésor à échéance fixe avec un intérêt même assez élevé.
M. de Foere – Messieurs, l’honorable député de Courtrai, a maintenu ses observations à l’égard de la distinction qu’il établit entre une dette flottante temporaire et une dette flottante de durée. Cette distinction, messieurs, il la motive sur ce qu’une partie de la dette flottante doit être couverte au moyen des revenus de l’état pendant l’exercice courant, tandis qu’une autre partie de la dette flottante doit être tôt ou tard couverte par un emprunt consolidé.
Eh bien, je maintiens, messieurs, que cette distinction n’existe pas ; le véritable caractère d’une dette flottante consiste uniquement en ce que le chiffre en flotte continuellement entre deux termes tandis qu’un emprunt consolidé a toujours un chiffre positif. Dans tous les cas, c’est toujours le crédit public qui est la base de toute dette, soir dette flottante, soit dette consolidée ; ainsi, que vous émettiez votre dette flottante de telle ou telle manière, d’après tel ou tel mode, c’est toujours sur le crédit qu’elle reposera.
L’honorable député de Courtray a dit, messieurs, que le mode d’émission des bons du trésor que je voudrais voir admettre serait dangereux, attendu que les bons du trésor doivent être remboursés à échéance fixe. Eh bien, c’est précisément ce que je ne veux point. Je voudrais qu’on émît les bons du trésor comme on les émet en Angleterre, en France et même en Prusse. « Mais, dit l’honorable M. d’Huart, quel est ce mode d’émission ? » J’ai déjà dit, messieurs, que pour ne pas entrer dans une discussion longue, ardue et qui ne serait peut-être pas comprise, j’engageais M. le ministre des finances à demander à son collègue, le ministre des affaires étrangères, des rapports de nos ambassadeurs en France, en Angleterre et en Prusse, sur la manière dont la dette flottante de ces nations est émise. Certes, l’honorable député de Courtrai aurait raison de trouver mon système dangereux, si je voulais maintenir les dispositions de la loi du 16 février ; si je voulais maintenir l’intérêt de 5 p.c., car c’est de là qu’il résulte que les bons du trésor ne circulent pas. M. d’Huart a beau dire qu’ils circulent, je maintiens le contraire. Avec l’intérêt de 5 pour cent, ce sont les capitaux inactifs qui se placent dans les bons du trésor, tandis que si vous les émettiez avec l’intérêt de 2 ¼ ou 2 ½ p.c. et sans échéance, on y placerait les capitaux qui ne sont que temporairement sans emploi, dont on a besoin au bout de 15 jours ou un mois ; ceux qui auraient des fonds disponibles pour quelques semaines prendraient, en attendant, des bons du trésor pour jouir de l’intérêt qu’ils rapporteraient.
C’est précisément parce que je veux pas que les bons du trésor soient des fonds publics, mais des billets de circulation journalière, que je m’oppose au mode d’émission qui a été suivi jusqu’ici.
J’entends dire à côté de moi qu’on serait obligé de prendre les bons du trésor, que ce serait en faire des assignats. Loin de moi, messieurs, de vouloir créer un papier-monnaie obligatoire ; ce que je veux, ce sont des bons du trésor qui, par suite du mode de leur émission, seraient volontairement acceptées comme on accepte aujourd’hui les billets de banque, que personne n’est forcé de prendre ; ce que je veux, c’est que les bons du trésor ne soient pas des fonds publics ; et je dis qu’il serait possible d’émettre les bons du trésor avec un intérêt de 2 ¼ ou 2 ½ p.c., de telle manière qu’ils seraient un objet de circulation journalière, qu’ils seraient admis dans toutes les transactions avec plus de facilité, avec plus de confiance que ne sont admis aujourd’hui les billets de banque des sociétés particulières.
Voilà, messieurs, les observations que j’avais à présenter sur ce qui a été dit par les honorables membres qui m’ont combattu.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Messieurs, après les observations qui ont été faites en réponse au discours de l’honorable M. de Foere, par les honorable MM. Angillis et d’Huart, il me reste peu de choses à dire. L’honorable M. de Foere prétend que nos bons du trésor ne circulent pas ; eh bien, messieurs, il est tellement vrai qu’ils circulent et qu’ils circulent non seulement dans le pays, mais même à l’étranger, que je pourrais montrer des bons du trésor qui ont été endossés par des maisons d’Allemagne, d’Angleterre, de Naples et de France.
Vous voyez donc bien, messieurs, que nos bons du trésor circulent ?
Maintenant, messieurs, comme on l’a fort bien fait observer avant moi, l’honorable M. de Foere a toujours parlé du mode d’émission à substituer au mode d’émission qui a été suivi jusqu’ici ; il a beaucoup critiqué ce dernier mode, sans toutefois prouver que ses critiques étaient fondées, mais il s’est bien gardé de nous faire connaître le mode qu’il voudrait y substituer. Et lorsque, poussé jusque dans ses derniers retranchements, il a été obligé, en quelque sorte, sinon de nous exposer son système, du moins de nous faire connaître pourquoi il ne voulait pas le faire, il nous a répondu en donnant au ministre des finances le conseil de s’adresser à son collègue des affaires étrangères pour savoir quel était le mode suivi en Angleterre, en France et en Prusse. Mais, messieurs, je répondrai à cela que je n’ai pas eu besoin du conseil de l’honorable M. de Foere, pour m’informer de ce qui se passe à cet égard à l’étranger.
Messieurs, l’honorable M. de Foere a dit qu’en France on émettait des bons du trésor à 2 ou 3 p.c., tandis qu’ici nous devions les émettre à un taux plus élevé, taux que j’ai calculé dans les prévisions au terme moyen de 5 p.c.
Puisque l’honorable M. de Foere ne sait pas comment il se fait que dans d’autres pays on peut les obtenir à un taux moins élevé qu’on ne peut les obtenir chez nous, je vais le lui apprendre, et je vais le lui apprendre par des renseignements que je me suis procurés dès mon entrée au ministère, parce que je savais bien qu’il importait que le ministre des finances sût bien quels étaient les systèmes suivis par d’autres pays, nos devancier dans la création d’une dette flottante.
J’ai même en mains une note toute récente de l’émission actuelle du trésor de France.
Outre un grand nombre de millions de bons royaux qui se trouvent placés dans les mains de la banque de France (banque gouvernementale, où le gouvernement a toute espèce d’action), il y a 69 millions à la caisse d’amortissement, 10,900,000 francs à la caisse des prêts et consignations à six mois, et il ne reste en tout pour le public que trois millions à un an à 2 pour cent.
Eh bien, messieurs, vous sentez que, lorsque le chiffre de l’émission pour le public est réduit à 3 millions, par l’effet des trois placements que j’ai énumérés ; vous sentez, dis-je, qu’on peut les obtenir à un taux d’intérêt bien moindre que chez nous qui n’avons pas d’institutions gouvernementales de finances, telles que celles que j’ai indiquées. Nous avons bien une caisse de consignations, nous avons bien des fonds de cautionnement, mais ces fonds sont loin d’être aussi considérables qu’ils le sont en France.
Puisque j’ai la parole, j’ajouterai que l’émission des bons du trésor a un autre effet très avantageux pour notre pays, c’est que nous réussissions, au moyen des bons du trésor, à faire venir de l’argent de l’étranger ; car depuis que j’ai l’honneur d’être ministre des finances, j’ai déjà réussi à faire venir de l’étranger (ce qui a été extrêmement important dans le temps de crise que nous avons traversé cette année), j’ai réussi, dis-je, à faire venir de l’étranger 7 à 8 millions, et j’espère n’en pas rester là.
Vous voyez donc, messieurs, que la dette flottante produit toutes sortes d’avantages pour le pays, et que jusqu’ici on n’a articulé aucun désavantage qui en résulte ; je crois même que l’honorable M. de Foere, si je l’ai bien compris, a fait lui-même l’éloge du système de la création d’une dette flottante, et par conséquent, je n’ai rien à répondre de ce chef.
M. Demonceau, rapporteur – Messieurs, le système de l’honorable M. de Foere est une de ces théories belles, admirables même, mais impraticables selon moi. Il serait sans doute très avantageux à un état de trouver des prêteurs qui accepteraient ces valeurs sans intérêts ou avec un intérêt pour ainsi dire insignifiant. Mais quand l’honorable M. de Foere aura trouvé des prêteurs de cette catégorie, je serai de son avis, j’adopterai son système. Jusque-là je crois que le système du gouvernement est le seul qui soit le plus avantageux aux véritables intérêts du pays.
Toutefois, il est heureux pour la section centrale qu’elle soit d’accord avec l’honorable M. de Foere, quand il vous dit que toute dette est fondée sur le crédit public. J’ai copié textuellement les paroles sorties de la bouche de l’honorable M. de Foere. Voici ce qu’il nous a dit :
« La véritable base d’une dette flottante quelconque n’est autre que dans la solvabilité du débiteur, ses ressources, sa probité. »
Eh bien, messieurs, je crois que ce n’est pas être trop présomptueux que d’oser dire, au nom de la Belgique, qu’elle a de la solvabilité à offrir à ses créanciers, qu’elle a des ressources à offrir à ses créanciers, et qu’elle a surtout de la probité à leur offrir.
Ne distinguons donc pas entre une dette flottante, telle que l’entend l’honorable M. de Foere, et une dette consolidée. Qu’une dette soit flottante ou consolidée, aussi longtemps que le gouvernement a le bonheur d’inspirer la confiance à ses créanciers, il peut dormir en paix.
C’est aussi ce que vous a dit la section centrale, et à la différence de ce qui se passe dans les autres gouvernements, et surtout en Prusse où l’honorable M. de Foere nous a fait voyager, nous pouvons voir le véritable état de nos finances ; en Prusse, on ne pourrait rien y voir. Et, ce qui prouve qu’en Prusse on a besoin d’assigner en quelque sorte une obligation aux créanciers, pour accepter des bons du trésor, c’est qu’on impose aux receveurs des impôts l’obligation de recevoir ces bons en acquit des contributions. La Prusse a dit : « J’émets des bons du trésor ; mais vous pourrez me payer vos impôts avec ces bons du trésor ; c’est-à-dire, je constitue un papier-monnaie, et je l’accepte en payement. » Voilà ce qu’on appelle véritablement « assignat. »
L’honorable M. de Forer a parlé des avantages qui résulteraient de son système, et à cet égard il vous a cité une société puissante qui jouit d’un grand crédit.
On lui a déjà répondu sur ce point. Cette société a toujours par devers elle les fonds destinés à couvrir les valeurs émises en bons. Pourrait-on organiser le trésor de l’état sur le même pied ? Je ne le pense pas, tout en le désirant. D’ailleurs, si le gouvernement devait garder dans ses caisses l’équivalent de ses émissions, à quoi lui servirait d’avoir une dette flottante ? Vous voyez que la dette flottante doit avoir pour base la confiance. Aussitôt que le créancier est certain qu’à l’échéance, s’il ne reçoit pas d’argent, il recevra une valeur équivalente, je trouve qu’il y a sécurité pour le prêteur et tranquillité pour le gouvernement lui-même.
Une circonstance, messieurs, qui prouve à l’évidence de ce que je viens d’avancer, et qui est encore présente à vos souvenirs, c’est qu’une société financière avait aussi émis ses bons au porteur, et vous savez quel a été le résultat de ces bons au porteur. La société n’a pas trouvé dans ses caisses de quoi y faire honneur, et cet événement, que nous avons tous déploré, doit nous mettre en garde, quant à la circulation que nous avons à faire de nos bons du trésor, pour les répartir, ainsi que la loi le dit entre différentes destinations. Je le répète encore, inspirons de la confiance, et nous arriverons au résultat que désire M. de Foere, c’est-à-dire que nos bons du trésor, loin de se négocier à 5 ou 6 p.c., pourront descendre à 3 ou même à 2 ½ p.c. Il n’y a qu’à consulter les documents fournis par le gouvernement, il n’y a qu’à examiner les détails que nous avons eu des bons du trésor, pour confirmer ce que je viens d’avancer.
Je pense, messieurs, en avoir dit assez pour justifier la proposition de la section centrale.
M. Coghen – Messieurs, j’avais demandé la parole lorsque j’ai cru entendre que l’honorable abbé de Foere voulait créer un papier monnaie dont le cours aurait été forcé ; depuis les explications qu’il a données de sa pensée, je croyais inutile de répondre ; cependant, comme j’ai la parole, je dirai un mot.
L’honorable député nous a dit qu’il voudrait bien pouvoir aborder la discussion du système qu’il a conçu ; mais que cette discussion serait longue, qu’elle serait aride et qu’elle ne serait pas comprise. Ma foi, messieurs, je le remercie de la complaisance qu’il met à mesurer ainsi la portée de notre intelligence financière ; j’ai religieusement écouté ce qu’il a bien voulu déjà dire de son système, et je vous avoue que je n’en ai rien compris, et je crois que la plupart des membres de la chambre n’en n’ont rien compris non plus.
Le fait est que l’honorable abbé veut créer un papier, émis par l’état, portant intérêt, et qui ne serait pas un fonds public.
Je voudrais qu’il voulût démontrer quel caractère aurait une obligation émise par l’état, portant intérêt, quel caractère elle aurait autre que celui de fonds publics.
Si les obligations que l’honorable député de Thielt voulait créer sans échéance fixe portaient un intérêt de 2 p.c. qu’en résulterait-il ? C’est qu’on les prendrait en paiement, en escomptant la différence de l’intérêt du jour avec le taux qu’en porte l’effet ; ce serait une perte réelle pour le porteur.
Qu’en résulterait-il ? Que vous ne trouveriez pas de preneurs. L’état ne pourrait donc pas en émettre ; et, comme l’a dit M. Demonceau, on peut émettre des bons sans intérêt et sans échéance fixe, mais il faut trouver des gens qui veuillent s’en contenter jusqu’ici je n’en ai pas rencontré.
M. Desmet – Je crois qu’on a très bien compris M. de Foere ; mais son intention est d’introduire dans nos finances le système anglais. Il a dit que ce système est plus avantageux que celui de la Belgique. Je suis d’une opinion contraire. Je pense qu’il est plus dispendieux. Que fait-on en Angleterre ? on paie toutes les dépenses publiques avec des billets de l’échiquier. Ils portent intérêt, et cet intérêt est indiqué dans le billet. On a, en Angleterre comme en Belgique, des effets qui portent intérêt, mais on n’en fait pas le même usage ou du moins on les étend beaucoup plus loin. Car, comme je viens de le dire, c’est en billets de l’échiquier que consistent toutes les voies et moyens que les chambres accordent au chancelier de l’échiquier, et, pour couvrir, non pas l’insuffisance des revenus sur les dépenses de l’année, mais l’arriéré passif ou le déficit des caisses.
La création des billets de l’échiquier est encore autorisée à l’occasion des prêts ou avances que le gouvernement fait à des provinces, à des villes, à des paroisses, à des associations, etc., pour des travaux d’utilité publique, pour l’ouverture des routes ou des canaux.
Dans ces deux cas, les billets portent intérêts et sont négociables. Il n’en est pas de même d’une troisième espèce ; ce sont ceux que l’échiquier remet à la banque d’Angleterre, en garantie des sommes que cet établissement avance pour subvenir à l’insuffisance momentanée des recettes, ce qui a lieu à l’époque du paiement des arrérages des rentes. Ces derniers effets, souscrits à terme et ordinairement à trois mois, ne sont pas négociables et sont considérés comme un dépôt.
Mais, comme nous l’avons déjà dit, ces trois espèces de billets d’échiquier portent intérêt ; chacun de ces effets porte le taux de son intérêt, qui est réglé, par jour, par la trésorerie, d’après un maximum fixé dans l’acte qui autorise la création. Ce taux suit celui des autres effets publics ; il a été, lors du premier usage de ce moyen de crédit, de 6 à 7 et à 8 p.c. Depuis lors il a diminué, mais dans ce moment, il porte encore 3 p.c.
Vous voyez donc, messieurs, qu’il n’y a pas grande différence entre les billets d’échiquier et nos bons du trésor, et que ces deux effets portent intérêt ; la principale différence qu’il y a entre les effets anglais de la dette flottante et ceux de la Belgique, c’est que le capital qu’on peut émettre en Angleterre surpasse un milliard et que chez nous il ne va pas au-delà de vingt millions ; la différence est marquante, mais elle n’est pas en faveur du système anglais ; car certainement il est beaucoup plus dispendieux que celui suivi chez nous. Je pense donc que nous ne devons pas imiter les Anglais, et qu’au lieu d’entrer dans leurs vues d’émettre une si grande quantité d’effets, nous devons plutôt encore faire des efforts pour diminuer les nôtres, car il ne peut jamais être dans l’intérêt du trésor d’augmenter le passif des intérêts à payer, et ici je suis tout à fait de l’opinion de la section centrale qui fait aussi des vœux pour que la dette publique soit diminuée.
M. de Foere – L’honorable M. Coghen m’a prêté une intention que je n’ai pas exprimée. J’ai dit, quand on a demandé que je fisse connaître le mode d’émission en Angleterre, en France et en Prusse, qu’il vaudrait beaucoup mieux, pour que la chambre pût en juger d’une manière claire, qu’un rapport fût fait qui contînt l’exposé du mode employé dans ces trois états. Je n’ai nullement dit que les explications dans lesquelles je désirais entrer, ne seraient pas comprises par la chambre ; mais j’ai dit qu’il valait mieux que la chambre pût juger sur un rapport.
L’honorable membre a dit qu’il n’avait pas compris, et cependant il répond à plusieurs objections. C’est une contradiction flagrante. S’il n’avait pas compris, comment aurait-il pu répondre à mes objections ?
Si je présentais une thèse nouvelle, si c’était un système de mon invention, je comprendrais la défiance manifestée par plusieurs membres de la chambre, elle serait en quelque sorte fondée ; mais quand je parle d’un système pratiqué en Angleterre et en France, et surtout en Angleterre, où il date d’un siècle et où il est apprécié à tel point que toute la nation préfère ce mode d’émission à tout autre, quand je m’en réfère à ce mode, je ne comprends pas la défiance qu’on montre, car elle n’est pas fondée.
Une preuve que M. Coghen ne m’avait pas compris, c’est qu’il croyait que je voulais émettre des bons du trésor avec une circulation forcée. Je me suis, au contraire, prononcé contre un semblable système.
L’honorable ministre des finances vous a dit, à son tour, que les bons du trésor ont une circulation, et qu’il peut le prouver ; qu’ils sont pris en France et dans d’autres pays. Je vous ai dit déjà que je ne conteste pas que dans les transactions particulières minimes cette circulation n’ait eu lieu. Ce que je voulais, c’est que la circulation des bons du trésor fût plus générale, qu’ils entrassent chaque jour dans les transactions publiques. Mais je n’ai pas contesté qu’ils circulassent. Comme ils sont payables à Paris, quand vous avez des payements à faire à Paris, vous envoyez des bons du trésor. Ce n’est pas là une circulation journalière comme elle a lieu en France et en Angleterre. C’est à cette circulation qu’il faudrait en venir, que les capitaux de chaque jour, non destinés aux fonds publics, entrassent dans la circulation des bons du trésor. C’est alors que vous verriez ces bons du trésor avec un intérêt minime être pris par tous ceux qui ont confiance dans notre système.
Je n’ai pas prôné le système de Prusse, comme M. Demonceau l’a cru. Je ne pense pas qu’il faut commencer à émettre des bons sans intérêt. Dans la position du pays, cette circulation ne pourrait pas prendre ; mais si on y attachait un intérêt minime, je crois que les bons du trésor passeraient dans le circulation journalière et serviraient aux payements de chaque jour.
M. Mercier – Je ne suivrai pas différents orateurs sur le terrain des théories ; une semblable discussion me paraît tout à fait inutile, je regarde la création des bons du trésor pour une somme considérable, comme une fâcheuse nécessité à laquelle il faut se soumettre pour satisfaire aux exigences des services publics.
Un excédant de dépenses sur les recettes des exercices antérieurs a été constaté ; il s’élève à 14 millions.
4 millions ont été avancés à la banque de Belgique.
12 millions sont indispensables pour continuer les travaux du chemin de fer.
Il y a donc nécessité de créer par voie d’emprunt une ressource de 30 millions indispensable à l’état.
Les circonstances actuelles, sans être précisément défavorables à la conclusion d’un emprunt définitif, ne peuvent cependant que s’améliorer lorsque tous nos arrangements financiers avec la Hollande seront terminés.
Je pense donc qu’il est préférable d’avoir recours à un emprunt provisoire au moyen de bons du trésor et d’attendre encore pour contracter un nouvel emprunt.
Or, dans une émission de bons du trésor, ce n’est pas celui qui se trouve dans la nécessité d’emprunter qui impose l’intérêt des capitaux, mais c’est la concurrence des prêteurs qui le détermine. Quel que soit le mode d’émission, cette règle est invariable. Si la concurrence est faible par rapport aux capitaux demandés, l’intérêt sera élevé. Le contraire arrivera quand l’offre des capitaux est considérable et que la demande est restreinte.
Le gouvernement empruntera nécessairement au plus faible intérêt possible ; nous devons savoir la confiance qu’il n’offrira pas 4 ou 5 p.c. si des prêteurs se présentent moyennant un intérêt moins élevé.
Je bornerai là mes observations.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Il est ouvert au gouvernement un crédit de douze millions de francs. L’emploi de ce crédit se fera conformément aux dispositions mentionnées au n°3 de l’article 3 de la loi du 18 juin 1836 (Bulletin officiel, n°327), dans la proportion des besoins respectifs des travaux du chemin de fer et des routes pavées et ferrées, dont l’exécution a été autorisée par les lois du 2 mai 1836. (Bulletin officiel, n°213) et du 2 juin 1838 (Bulletin officiel, n°204).
M. de Renesse – Messieurs, à l’occasion du crédit demandé pour la continuation des besoins respectifs des travaux du chemin de fer, et des routes pavées et ferrées, je crois devoir rappeler particulièrement au souvenir de M. le ministre des travaux publics les paroles qu’il a prononcées dans une discussion malheureusement trop mémorable pour la Belgique ; M. le ministre disait alors : « La conférence nous a laissé les parties les moins fertiles du Luxembourg et du Limbourg, mais l’industrie belge les fertilisera ; il importe du reste à note honneur de les rendre heureuses et prospères, et que le Limbourg et le Luxembourg belges, n’envient jamais le sort du Luxembourg germanique et du Limbourg hollandais. » Ces paroles ont été alors soigneusement retenues par les habitants des parties belges de ces deux provinces, qui subissent, dans ce moment, les funestes conséquences de l’exécution du fatal traité ; non seulement, leurs intérêts les plus chers ont été froissés, mais aussi leurs ressources pécuniaires se sont particulièrement ressenties de la séparation de leurs territoires ; et par la cessation forcée de leurs anciennes relations, de nombreux intérêts sont actuellement en souffrance ; cette cessation immédiate de toutes les relations commerciales a aussi étendu sa fâcheuse influence sur le commerce et l’industrie de la province de Liége ; et, d’après le remarquable rapport de la chambre de commerce de Liège à M. le ministre de l'ntérieur, sur l’état de l’industrie et le commerce de cette province, le négoce de ce pays industriel a perdu au moins le quart de ses opérations commerciales par le morcellement de ces territoires, qui étaient un immense débouché pour la production de l’industrie liégeoise. Parmi les moyens indiqués pour relever l’industrie et le commerce languissants, cette chambre appelle l’attention du gouvernement, non seulement sur la nécessité que « les voies de communication et de transport, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, deviennent plus praticables et plus économiques, mais aussi pour que le gouvernement emploie tous ses efforts pour contracter au plus tôt des alliances commerciales réellement fructueuses, soi avec l’association allemande, soit avec la Hollande, et mieux encore avec l’une et l’autre de ces puissances. »
Aussi les conseils provinciaux des deux provinces morcelées, dans leur session de cette année, ont cru devoir appeler l’attention du gouvernement sur les nouveaux et nombreux besoins de ces provinces, sur les moyens de leur procurer des ressources nouvelles ; parmi ces moyens qui doivent amener un plus grand bien-être dans ces parties de la Belgique, est certes celui de la création de nouvelles communications, et particulièrement pour la province que j’ai l’honneur de représenter. On doit mettre en première ligne la canalisation de la Campine, qui contribuera à accélérer le défrichement et la fertilisation de plus de 50,000 hectares de bruyères, y attirera dans peu d’années une population plus nombreuse, et par conséquent plus agglomérée. J’ose appeler l’attention toute particulière du gouvernement sur la nécessité de s’occuper et de commencer au plus tôt l’exécution de ce grand travail, dont le résultat sera non seulement d’une importance majeure pour le Limbourg, mais encore pour la province d’Anvers.
A l’égard du crédit demandé pour la continuation des travaux du chemin de fer, je crois devoir faire observer qu’il ne doit être employé qu’à l’exécution des lignes principales vers l’Allemagne, vers la France, et vers un embranchement déjà actuellement en instruction, parce qu’il est de l’intérêt général, que la voie vers le midi et l’est s’exécute avant toute autre route secondaire. Je regrette, toutefois, que l’administration du chemin de fer ait apporté tant de retard à l’adjudication de ce railway vers la frontière prussienne ; c’était cependant l’un des points principaux, qui, lors de la première discussion sur l’établissement du chemin de fer, semblait obtenir la préférence sur tous les embranchements ; c’était vers ce but qu’étaient dirigés tous nos regards ; c’était le seul où nous pouvions espérer d’obtenir des arrangements commerciaux.
Je n’accorderai mon vote approbatif au crédit demandé, que pour autant que j’obtienne l’assurance positive, que l’exécution du chemin de fer sera continuée avec la plus grande activité vers les frontières de la Prusse et de la France, que l’on ne dirigera dorénavant les embranchements déjà décrétés, que vers les parties populeuses de provinces, pour qu’ils deviennent réellement productifs : qu’en outre, M. le ministre cherchera par tous les moyens à améliorer l’administration du chemin de fer, a amener des économies notables dans les frais de construction, et dans son exploitation, afin que ce chemin ferré ne soit point pour l’état une source continuelle de dépenses, au lieu de lui procurer des revenus et de se payer par lui-même comme on l’avait fait espérer.
Quant à l’échantillon du chemin de fer qui rattache actuellement la province de Limbourg à la voie principale, et qui traverse à peine une lieue du territoire de cette province, j’espère que le gouvernement, avant de prendre une résolution définitive sur le tracé à y suivre, voudra faire faire des études plus spéciales que celles qui ont eu lieu jusqu’ici, et ordonnera une enquête pour que tous les intérêts soient entendus, et que les habitants de la partie la plus populeuse, qui se croient lésés actuellement par la direction que le gouvernement semble vouloir donner à ce chemin de fer, puissent démontrer à l’évidence, que la direction indiquée par la très grande majorité du conseil provincial en 1837, devrait obtenir la préférence, ou du moins, comme j’espère que ce chemin de fer doit obtenir un prolongement, qu’il soit dirigé vers les cantons où il y a des populations agglomérées, où, par conséquent, il donnerait un plus grand produit, et ne serait pas une charge pour l’état, quoique la province de Limbourg aurait bien droit à quelques compensations, pour le sacrifice qu’elle a dû subir ; et d’autant plus que depuis 1834 elle n’a cessé de contribuer, pour une part assez forte, dans les sommes qui ont été appliquées à la construction des chemins de fer sans en obtenir jusqu’ici un grand avantage.
J’appellerai aussi l’attention toute particulière de M. le ministre des travaux publics sur les nouvelles propositions de construction de routes, faites par le conseil provincial de la province de Limbourg, dans la sessions de cette année ; routes qui, par suite du morcellement du territoire, doivent fournir de nouveaux moyens de communication entre les divers parties de cette province, ou la relier à d’autres.
Je crois devoir recommander, à cet égard, au gouvernement, la route qui doit établir une communication entre Hasselt et Maestricht ; en parcourant une partie de la Campine, elle contribuera à améliorer le bien-être matériel de cette partie de la province qui, jusqu’ici, a été entièrement privée de routes ; une autre route à exécuter sur le territoire de la province de Liège, qui doit lier la chaussée de Tongres vers Liége avec celle de Saint-Trond, près de la station du chemin de fer à Ans, par l’importance qu’elle aura, d’être mise au plus tôt en adjudication ; elle facilitera non seulement l’accès au chemin de fer à une partie de la population du Limbourg, mais établirait encore une communication facile aux houillères qui se trouvent sur les hauteurs de Liége, aux faubourgs de Saint-Laurent et de Sainte-Marguerite, car maintenant, pour y parvenir, il faut nécessairement passer par la ville de Liége, et gravir, pour revenir dans le Limbourg, la montagne de Sainte-Walburge qui, surtout en hiver, est très dangereuse pour les voitures et chariots chargés.
Depuis la séparation d’une partie de la province de Limbourg une nouvelle communication de Tongres vers Visé est aussi devenue indispensable ; elle établirait des relations plus faciles avec les houillères d’Oupeye dans la province de Liège, et mettrait la province de Limbourg en communication directe avec le district de Verviers, dont la partie qui a le plus besoin de grains, pourrait alors facilement s’approvisionner, à moindres frais , aux trois marchés du Limbourg.
En appelant l’attention toute particulière du gouvernement sur les besoins actuels de la province que j’ai l’honneur de représenter, j’espère qu’il se souviendra que, par l’organe de M. le ministre des travaux publics, lors de la discussion du traité de paix, il a formellement déclaré qu’il importait à l’honneur de la Belgique, par suite du cruel sacrifice que la province a dû subir dans l’intérêt général, de la rendre heureuse et prospère, afin qu’elle n’envie jamais le sort du Limbourg hollandais ; c’est donc en remplissant la promesse que la gouvernement a faite aux provinces morcelées, et en rétablissant dans un bref délai les relations commerciales, si nécessaires au bien-être matériel, tant des parties cédées que de celles restées à la Belgique, qu’il aura réparé en partie le mal dont elles souffrent actuellement par suite de l’exécution d’un traité qui, sous tous les rapports, est aussi fatal que ruineux pour la Belgique, et n’aurait jamais dû obtenir l’assentiment du gouvernement et des chambres.
M. Lange – Messieurs, à peine entré dans le sanctuaire de la législature, il y a de ma part plus que de la témérité à oser prendre part à des discussions profondes, ardues, dont la solution exige une connaissance parfaite de tout ce qui s’est dit et passé dans cette honorable enceinte, en remontant même aux séances mémorables du congrès national. Plus tard, je compte apporter mon contingent. Jaloux du bonheur de mon pays, soucieux, sans égoïsme, des intérêts particuliers de ma province, j’ose élever la voix un instant seulement, non pas pour briguer du gouvernement une faveur, mais pour réclamer de lui une justice, un droit acquis, un droit consacré par la loi du 1er mai 1834. C’est vous dire qu’il s’agit du chemin de fer, qu’il s’agit du nouveau crédit que l’on nous demande.
L’article 1er de la loi que je viens de citer est ainsi conçu :
« Il sera établi dans le royaume un système de chemin de fer ayant pour point central Malines et se dirigeant à l’est vers la frontière de Prusse, par Louvain, Liège et Verviers, au nord par Anvers ; à l’ouest sur Ostende, par Termonde, Gand et Bruges, et au midi sur Bruxelles et vers les frontières de France par le Hainaut. »
A cette fin divers crédits durent successivement mis à la disposition du gouvernement. Aussi, je dois le dire, la plupart des localités énumérées dans l’article 1er dont je viens d’avoir l’honneur de donner lecture, sont sillonnées par le chemin de fer.
J’en viens à me demander : Y a-t-il de la justice distributive ? pourquoi la province de Hainaut n’a-t-elle pas un seul mètre de railway gouvernemental ? Y a-t-il quelque chose qui puisse légitimer un pareil oubli ? Veut-on par hasard méconnaître la nature et l’abondance des productions de cette province qui réclame des communications promptes et faciles ? Voudrait-on méconnaître d’un autre côté que cette province est peut-être celle qui verse à l’état la plus forte somme de contributions ? Mais, dira-t-on, vos plaintes sont mal fondées, n’avez-vous pas la section de Bruxelles à Tubise, qui est au moment d’être livrée à la circulation ? n’a-t-on pas adjugé, il y a un mois, la section de Tubise à Hennuyères ? Cela est vrai, mais il a fallu cinq ans ; et pourquoi ? précisément pour s’arrêter à la ligne de la ligne de démarcation des provinces de Brabant et de Hainaut, à quelques mètres près.
On m’objectera peut-être : Vous oubliez donc que la section de Soignies à Jurbise a été mise en adjudication par le gouvernement, mais cette parcelle d’adjudication n’est-elle pas plutôt une dérision ? Quoi vous adjugez la section de Soignies à Jurbise, et vous ne songez à adjuger le chemin de fer ni de Jurbise à Mons, étendue de deux lieues, ni de Mons à Quiévrain, étendue de quatre lieues ! Vous faites plus, vous nous condamnez à ne nous servir en aucune manière de la section de Jurbise à Soignies, puisque de cette dernière ville au point où arrive le chemin de fer vers le Brabant, vous avez laissé une interruption de deux lieues encore environ.
Ainsi donc, au bout de six ans peut-être (puisque d’après le cahier des charges, quinze moins sont accordés pour l’achèvement de la section de Soignies à Jurbise), on pourra espérer que la province du Hainaut possédera dans toute son étendue 13,269 mètres 86 centimètres d’une utilité aucune.
Je me résume. En 1834 , la législature a voté l’érection du chemin de fer dans diverses provinces du royaume, au nombre desquelles est le Hainaut. Divers crédits ont été accordés à cet effet au gouvernement. La plupart des provinces sont dotées de chemins de fer, le Hainaut n’a rien.
Aujourd’hui, on demande un nouveau crédit ; eh bien, je l’appuierai de mon vote ; demain on ferait la même demande que je l’appuierais de même ; pourquoi ? parce que, comme j’ai eu l’honneur de le dire, je contribuerai toujours autant qu’il sera en mon pouvoir au bien-être général de mon pays. Mais les habitants du Hainaut font aussi partie de la grande famille ! Ils contribuent largement dans la répartition des impôts ; l’heure a sonné, je pense, où ils doivent obtenir une juste part dans la somme du bien-être général.
Je me rappelle que dans la discussion du budget des voies et moyens, à l’article « Postes », M. le ministre des travaux publics nous a dit : « On pourrait apporter des améliorations dans les moyens de transport par le chemin de fer qui va traverser toutes les provinces. » J’en accepte l’augure et je termine en adjurant M. le ministre des travaux publics de faire jouir enfin hic et nunc, pour ainsi dire, les habitants du Hainaut du droit que leur garantit un décret de la représentation nationale.
M. Milcamps – Messieurs, je déplore qu’au moment où l’industrie et le commerce éprouve une crise funeste, où tout le monde souffre, on vienne nous proposer de délibérer des emprunts, pour dévouer les sommes empruntés à la consommation.
La création des bons du trésor jusqu’à concurrence de douze millions est un véritable emprunt et n’a pas pour objet de faciliter le service de l’administration dans le sens qu’on attache à l’émission des bons du trésor ou à la dette flottante ; mais il est destiné à contribuer aux frais nécessaires pour couvrir, à l’exception de quelques localités, le pays de chemins de fer.
Mais, messieurs, ce n’est pas tant le mode, la forme de cet emprunt qui me touche, c’est sa destination, c’est l’emploi qu’on se propose d’en faire pour continuer simultanément des entreprises gigantesques. C’est cette tendance, si bien et tant de fois remarquée par l’honorable M. de Burdinne, à sacrifier à l’industrie et au commerce les intérêts de l’agriculture, je dirai, moi, ceux du consommateur, sans que, à en juger par les effets, l’industrie et le commerce en reçoivent de grands avantages.
J’éprouve le besoin d’avertir la chambre que mes observations ne portent pas sur le principe des lois qui ont décrété les chemins de fer. Mais sur l’exécution de ces lois, en ce sens que ces lois n’ont pas déterminé le temps pendant lequel les chemins seront exécutés ; elles ont supposé que l’activité des travaux dépendrait de la situation du pays, de son état financier, etc.
Messieurs, j’entends parler souvent dans cette enceinte d’économie politique. Je suis peu habile dans cette science, mais je m’en préoccupe ; l’économie politique est un science de faits et non d’abstraction.
Comme abstraction ou théoriquement, je dirai avec tout le monde que les routes, les chemins de fer, les canaux, les ponts, l’abolition des douanes intérieures, des péages, tout ce qui favorise les communications intérieures, est favorable à la richesse d’un pays et que ces principes s’appliquent au commerce extérieur comme au commerce intérieur.
Aussi, en présence de cette belle théorie, je ne m’étonne pas qu’on ait applaudi à l’idée d’une grande communication destinée à lier la Belgique à la France, à l’Allemagne, à l’Angleterre. J’ai voté avec vous, quoique je trouvasse la ligne vers l’Angleterre peu utile, j’ai voté, dis-je, avec vous ces trois grandes lignes, mais depuis vous avez cru devoir étendre le système de manière à élever à grands frais à la charge du trésor, des chemins de fer dans toutes les provinces, dans toutes les directions. A mes yeux, c’est une grande faute, dont pourtant je ne m’attends pas qu’on convienne.
J’examine les faits. Les faits sont-ils venus démontrer qu’en exécutant tout à la fois ces entreprises gigantesques, vous avez servi les intérêts généraux du pays ? Lorsque, avec tant d’insistance, jusqu’à même reprocher au gouvernement son inactivité et à l’accuser d’un mauvais vouloir, vous venez dans l’intérêt de vos localités forcer le gouvernement à accélérer les travaux sur tous les points, servez-vous les intérêts généraux du pays ?
Et d’abord, messieurs, quant aux communications intérieures, autres que les deux grandes lignes vers la Franc et l’Allemagne, je dirai que notre situation financière, la détresse du pays, ne vous permettraient pas et vous permettent moins encore aujourd’hui de faire ou de continuer ces travaux ; et à l’égard des grandes lignes vers la France et l’Allemagne, je dirai qu’il n’y avait pas urgence de pousser avec célérité les travaux, tant que la France et l’Allemagne étaient en arrière, ou plutôt tant que ces puissants états n’opéraient pas avec la même activité.
Dites-moi, je vous prie, les grands avantages que vous avez retiré des chemins de fer, c’est-à-dire, des millions que vous y avez consacrés ? Dites-moi ceux que vous croyez en retirer.
Jusqu’ici je vois bien que l’avantage qu’on a gagné est celui du temps. Mais je vous demanderai s’il importe tant à l’intérêt général que l’on fasse le trajet de Bruxelles à Liége, ou de Bruxelles à Ostende, en 4 ou 5 heures, au lieu d’y employer une journée ?
Le temps est précieux sans doute.
J’ai ouï dire qu’un avocat de Bruxelles, qui avait trois causes à plaider à Bruges, était parti de Bruxelles un jour le matin, avait plaidé ses trois causes et était revenu dîner le même jour à Bruxelles. Les lieux que le chemin traverse, la ville de Bruges, ont-ils tiré un avantage du voyage de cet avocat ? Je vous laisse la réponse. Mais ce résultat tient du merveilleux, du prodige, voilà l’illusion.
Eh bien, messieurs, je ne me fait pas illusion, j’examine les avantages matériels qu’on produit nos chemins de fer.
Je viens d’établir que le seul avantage que l’on ait gagné, est celui du temps.
Je veux bien qu’en fait, il y a eu économie des frais de transport pour les voyageurs, mais dites-moi, si ce n’a pas été au préjudice du trésor ? Du reste, je prédis que cette économie aura une courte durée. Dans un pays voisin, en France, on pense généralement que les tarifs doivent être combinés de telle sorte qu’un certain bénéfice provenant des voyageurs sert à abaisser à un taux modéré le transport des marchandises. Et si le gouvernement n’a pas encore proposé d’augmenter le tarif, je présume que c’est pour maintenir l’illusion de son entreprise. Quoi qu’il en soit, il m’est permis de dire que, dans l’établissement de s chemins de fer, le seul avantage que l’on ait gagné jusqu’ici est sous l’impression du désir d’aller sur un chemin de fer, de l’engouement de la mode.
Et c’est pour ce faible avantage que vous avez déjà décrété soixante-sept millions, j’en excepte six destinés aux toutes ; c’est pour ce faible avantage que vous nous faites aujourd’hui une proposition d’emprunt de douze millions ; c’est pour ce faible avantage que sous peu vous nous proposerez encore un emprunt de trente millions ; car on a dit, il n’y a pas longtemps, que les chemins de fer en projet coûteront cent dix millions, et cela n’a pas été et ne pouvait être contredit.
Suivons-nous en cela l’exemple des autres pays ? En France, le gouvernement avait projeté quatre grandes lignes qui, partant de Paris, comme centre, se dirigeraient l’une vers Londres et Bruxelles, la seconde vers l’Allemagne, par Strasbourg, la troisième vers la Méditerranée par Lyon et Marseille, la quatrième vers la Péninsule par Bordeaux ; c’était un système d’ensemble. Dans la dépense, la gouvernement français devait intervenir pour 280 millions. Le ministre s’effrayait de cette dépense. Je vous le demande, s’écriait le ministre, comment sera accueillie par la chambre la demande d’un crédit semblable ? Cependant il ne s’agissait d’exécuter ces chemins que par parties.
En Prusse, le gouvernement a autorisé de Cologne à la frontière belge un chemin de fer dont l’étendue n’excède par dix-neuf lieues, et on dit que le gouvernement intervient pour quatre millions dans les frais de cette construction.
Et chez nous, messieurs, dans notre faible Belgique, nous ne reculons pas devant une dépense de ces dix millions pour la construction de nos chemins de fer, et les localités intéressées se plaignent !
Encore, si la généralité en Belgique trouvait de l’avantage dans l’établissement de ces chemins, si chacun gagnait en bonheur véritable, en moralité, on regretterait moins ces énormes dépenses ; mais en est-il ainsi ?
Je n’entends vous parler que de ce que je connais, et ce que je vais dire, je prie qu’on ne l’attribue pas à une idée mesquine d’intérêt de localité.
Depuis neuf ans que j’ai l’honneur de siéger parmi vous, il ne m’est jamais arrivé de réclamer des avantages pour mon district, mais il m’est arrivé de sacrifier ses intérêts.
Quand il s’est agi de la lutte entre les raffineries de sucre et les sucreries de betterave, il m’importait de favoriser les sucreries de betterave, puisque mon district est presqu’exclusivement agricole, eh bien ! par respect pour d’anciennes fabriques , je me suis prononcé en faveur des raffineries de sucre, et les sucreries de betterave sont tombées !
Depuis quelques années le charbon est hors de prix. Chaque hiver, nous avons devant les yeux le spectacle d’individus transis de froid, qui meurent de froid. Qui est-ce qui sollicite ces prohibitions ou des droits d’entrée sur la houille étrangère ? Ce sont les producteurs et non les consommateurs. Ils disent : C’est pour l’intérêt de l’état, mais il est clair que c’est pour le leur uniquement.
Voilà pour les intérêts matériels.
Vous parlerai-je des intérêts moraux ?
L’établissement d’une seule université de l’état pouvait assurer à la Belgique un enseignement large et élevé. L’intérêt des deux grandes villes, dotées chacune d’une université, l’a emporté sur l’intérêt général, chaque année je vote les fonds pour ces deux institutions.
En agit-on ainsi à l’égard de mon district ?
Dernièrement il s’est agi de savoir si le chemin de fer de Namur se dirigeraient sur Tirlemont par Jodoigne et Perwez, chefs-lieux de cantons appartenant à mon district, ou si le chemin de Namur se dirigerait sur Tubise par Nivelles.
Chacune de ces deux directions fut défendue avec chaleur. La ville de Mons, la ville de Charleroy et tous leurs ressorts soutenaient que le chemin de Namur devait être dirigé sur Tubize par Nivelles.
Namur et Louvain défendaient la direction sur Tirlemont par Perwez et Jodoigne.
Je me suis abstenu parce que j’avais la conviction que l’adoption de l’une ou de l’autre des deux directions profiterait, soit à Perwez et à Jodoigne, soit à Nivelles et au canton de Genappe.
Ce n’est pas de cette manière que les choses se sont passées. Par un premier arrêté le gouvernement prononça contre Tirlemont, et par conséquent, contre Jodoigne et Perwez. Puis, par un second, il prononça contre Tubize, et par conséquent, contre Nivelles et ses cantons et le canton de Genappe.
Messieurs, je ne viens pas me plaindre de ce que le district de Nivelles n’a pas de chemin de fer, ce n’est pas tant la privation du chemin qui compromet et blesse les intérêts de ce district, c’est la direction qu’on lui a donnée.
Je viens me plaindre de ce que la direction donnée au chemin de fer de Namur, sur Braine-le-Comte enlève à la ville de Nivelles et à ses cantons et au canton de Genappe tous les avantages sociaux et commerciaux dont ils étaient en possession.
De tout temps, messieurs, la ville de Nivelles et Genappe voyaient arriver chez eux toutes les houilles de Marimont, les pierres et la chaux d’Arquennes et de Feluy, les houilles de Charleroy destinées pour Bruxelles.
La ville de Nivelles, pour la facilité du transport de ces marchandises, avait fait construire à ses frais des routes de Binche à Waterloo.
Les villages au midi et à l’est de Nivelles, dans lesquels étaient Seneffe, Arquennes et Feluy venaient s’approvisionner à Nivelles de marchandises de détail, elle florissait alors ; par son commerce d’étoffes et de dentelles, la construction du canal de Charleroy, si favorable à cette dernière ville et à tout le ressort de Charleroy, si favorable à Marimont, à Seneffe, à Feluy et à Arquennes, a porté un coup funeste à la ville de Nivelles. Dès ce moment ses routes devinrent désertes, elle n’avait pas de justes motifs de se plaindre, il était naturel que le canal se rapprochât des houillères et des carrières.
Mais les mêmes raisons n’existent pas pour un chemin de fer. Aujourd’hui que Charleroy, les communes de son ressort, entre autres Seneffe, Feluy et Arquennes ont le canal ; vous décidez qu’ils auront encore le chemin de fer, que ce chemin de fer suivra la direction du canal, qu’il passera à Seneffe, Feluy, Arquennes, Ecaussines, Braine-le-Comte, qui a déjà le chemin de Bruxelles à Mons, que ce canal passer à 2 ou 3 lieues de Nivelles et de Genappe ; vous anéantissez ainsi les rapports sociaux et commerciaux qui existaient entre une partie du district de Charleroy et Nivelles et entre une partie du même district et Genappe ; vous faites du district de Nivelles, renfermant une population de 120,000 âmes, un 32e de la population du royaume, une caste d’allaçores et de parias, qui ne doit plus avoir de rapports et de communication avec les autres arrondissements, mais est destinée à consommer ses produits.
Et une parcelle est prise sur le rapport des ingénieurs, sans que ceux-ci aient examiné les questions d’utilité générale, d’intérêt du trésor, de moralité, sans qu’ils aient examiné si cette direction n’allait pas froisser des intérêts acquis à la ville de Nivelles, à ses cantons, au canton de Genappe, ou du moins dont ils avaient la possession.
Et ce n’est pas seulement quant à Nivelles que ces questions n’ont pas été appréciées. Entendez-vous les réclamations de la ville de Charleroy et de sa chambre de commerce contre la direction de Namur vers Vieuxville, malgré portant que pour cette ville on ait ménage la possibilité d’un embranchement.
Que fait aux ingénieurs les intérêts privés d’une ville, qui n’est pas industrielle ? que leur importe son isolement ? de la priver de ses avantages, de la mettre en voie des progrès de l’industrie et du commerce qui font prospérer les localités voisines.
Croirez-vous, messieurs, qu’avant toute décision un grand industriel m’a dit : « Vous n’aurez pas le chemin de fer par Nivelles. » Bah ! « c’est moi qui vous le dit. » et ainsi dit, fut fait.
Et véritablement, messieurs, les ingénieurs ont voulu, au préjudice de la ville de Nivelles, de ses cantons, du canton de Genappe, qui perdaient tout, favoriser les houillères de Marimont, le village de Seneffe, les carrières de feluy, d’Arquennes et des Ecaussines, comme s’il ne suffisait pas à ces localités du canal pour le transport de la houille, des pierres et de la chaux. Là est toute la question. La question est de savoir s’il est plus utile de faire passer le chemin entre Seneffe et Feluy que par Nivelles.
Pour donner le change à cette question, les ingénieurs sont venus nous parler de l’ensemble de la direction de Namur à Mons, de réduction du trajet de Bruxelles à Mons, de Bruxelles à Namur, et Charleroy, de Namur et de Charleroy à Mons vers la France, et de l’économie tant de la ligne du Hainaut que de celle de Namur ; mais ce n’est pas la direction de Vieuxville sur Tubise par Nivelles qui devait augmenter considérablement le trajet et la dépense. Sans doute il y avait un plus grand trajet sur Tubize. Les voyageurs de Namur et de Charleroy, pour aller à Mons, auraient été retardés d’un demi-quart d’heure, les pauvres gens ! car pour Bruxelles, la distance était à peu près la même ; il y aurait eu un excédant de dépense, parce qu’il y avait un peu plus de chemin à construire ; mais par contre cette direction devait amener un concours de voyageurs plus considérable, puisque 25 à 30,000 âmes de population appartenant à Nivelles, à ses cantons et au canton de Genappe, auraient été appelés à parcourir le chemin de fer sans que ce chemin perdît rien d’ailleurs ; et puis n’avons-nous pas, comme les autres parties du pays, droit aux avantages que les cent dix millions employés au chemin de fer doivent procurer ?
Et qu’on ne dise pas qu’il y avait plus de difficultés à exécuter le chemin de fer sur Tubise par Nivelles. J’ai demandé la vérité à M. l’ingénieur Vifquain. Il m’a répondu que c’était une pure question d’intérêt de localité, qu’il n’y avait pas plus de difficultés à exécuter la direction sur Tubise que sur Braine-le-Comte.
Mais la grave question qui était à examiner et à apprécier, c’était celle de savoir si, en adoptant la direction sur Braine-le-Comte on ne froissait pas trop des intérêts dont Nivelles et le canton de Genappe avaient la possession.
Cicéron, pour enlever à une ville, à un citoyen ses avantages, exigeait la nécessité publique. Or, je demande où était, je ne dirai pas la nécessité publique, mais l’utilité générale de faire le chemin sur Braine-le-Comte plutôt que sur Tubise.
Il y a, messieurs, une utilité qui l’emporte sur tout, c’est celle des industriels. Oh ! je suis bien certain qu’on n’objectera pas que, pour diriger le chemin de fer sur Charleroy, en suivant la vallée de la Sambre, il y aura excédant de temps pour les voyageurs de Namur à Bruxelles et à Mons, et excédant de dépenses pour le trésor. Ces considérations si puissantes contre Nivelles seront sans valeur pour Charleroy.
Les arrêtés qui ont décrété les directions de Namur vers Vieuxville et de Vieuxville sur Braine-le-Comte sont-ils des actes du ministère ou seulement du ministère des travaux publics.
On nous a parlé dernièrement de ministère homogène, de l’unité ministérielle, de système, de programme.
Un ministère, messieurs, qui est formé d’une manière toute constitutionnelle, prend sa force dans sa responsabilité même. Toutes ses propositions, toutes ses mesures doivent être l’expression d’une délibération commune : le jour où cette harmonie cesserait serait celui de sa dissolution. C’est ainsi qu’en France l’on considère le ministère.
Mais c’est là l’essence d’un cabinet, c’est sa manière d’être, d’agir. Ce n’est pas le système ou le programme.
Je suis persuadé que, quant aux chemins de fer, le gouvernement a un système ; n’avez-vous pas entendu M. le ministre des travaux publics nous dire : « que politiquement parlant, le chemin de fer a été pour le pays d’un profit immense. » C’est là assurément une belle métaphore. Ne l’avez-vous pas entendu dire : « que la Belgique a fait parler d’elle, que toute nationalité nouvelle suppose une œuvre sociale, morale et matérielle. » Ce sont là, messieurs, de paroles séduisantes que le système seul peut comprendre.
Mais, messieurs, la Belgique avait déjà fait parler d’elle, par son activité dévorante, un besoin insatiable de mouvement ; elle a prouvé au monde qu’elle avait la puissance de créer des associations, des banques, des hauts fourneaux ; mais aussi qu’elle marchait vers un but inconnu, qu’elle n’avait pas la puissance de faire écouler ses produits.
On sait ce qui est advenu de ses associations, de ses banques, de ses hauts fourneaux. Le ciel veuille que le gouvernement qui, a aussi la puissance de créer cette grande œuvre de chemins de fer, ne marche pas aussi vers un but inconnu et sache utiliser son œuvre.
La France ne s’est pas encore prononcée sur la question des chemins de fer, et, en supposant que sa politique et non son intérêt commercial, la décide pour une ligne de Paris vers Bruxelles, son exécution ne demandera pas moins de sept ou huit années.
Cependant elle s’inquiète.
Bientôt le chemin de fer de Belgique sera en communication avec celui de Prusse. Qu’allez-vous faire ?
Sans doute les conseils ne vous manqueront pas, et je suis tenté de dire qu’il ne doit pas y avoir de gouvernement plus facile que le gouvernement représentatif, parce qu’il n’en est point où l’on reçoive plus de conseils, plus d’avertissements.
Déjà des membres de cette assemblée et, ce qui étonne, appartenant à des provinces dont les intérêts sont opposés, reproduisant les opinions qui ont été émises à la tribune française, vous font espérer qu’au moyen de son chemin de fer et de son magnifique port d’Anvers, la Belgique va faire le transport des marchandises jusqu’au cœur de l’Allemagne. Déjà ils engagent le gouvernement à entrer dans une association de douanes rivales de la France : ignorez-vous, messieurs, la sensation profonde que ces paroles ont faite à la tribune française. Et croyez-vous pouvoir entrer dans une association de douanes allemandes, sans altérer, au préjudice de la France, et à votre préjudice, les relations commerciales qui existent entre les deux pays ? Croyez-vous que vous n’allez pas éveiller les susceptibilités de la France ? croyez-vous pouvoir agir en pleine liberté. Je le désire, messieurs, mais je prévois des mécomptes.
Je n’ai pas l’habitude de donner des conseils au gouvernement, mais des motifs politiques d’une haute importance semblent conseiller d’agir avec prudence et de ne pas marcher à l’aventure. C’est pour ne rien précipiter, et déterminé par les considérations générales et particulières que j’ai fait valoir, que je voterai contre le projet de loi.
- La séance est levée à 4 heures ¾.