(Moniteur belge n°349 du 15 décembre 1839)
(Présidence de M. Fallon)
M. Scheyven procède à l’appel nominal.
M. B. Dubus lit le procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. Scheyven fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre :
« Le sieur Lambenet, fils notaire à Virton, adresse des observations contre la proposition de M. Zoude, relative aux notaires de Neufchâteau. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Des débitants de boissons distillées de la province d’Anvers, demandent la révision de la loi du 18 mars 1838. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« La chambre de commerce de Tournay adresse des observations en faveur de l’adjudication du canal de l’Espierre. »
- Renvoi à la section centrale des travaux publics.
M. Dumortier – Je viens de recevoir une pétition de la ville de Peruwelz. Elle demande la construction d’un pont qui la relie à la Belgique.
Quand on a établi le canal d’Antoing à Pommeroeul, on a détruit le pont qu’elle avait ; elle a maintenant un pont en fer ; en sorte que s’il arrivait malheur à ce pont, ce qui peut se réaliser, la ville de Peruwelz serait sans communication avec la Belgique.
Je déposerai sur le bureau la pétition ; elle me paraît parfaitement fondée en justice, et j’en demanderai le renvoi à la section centrale qui a été chargée de l’examen du budget des travaux publics.
M. Dolez – Je dois faire observer à la chambre que le rapport sur le budget des travaux publics est imprimé et qu’en conséquence, il serait à peu près impossible de satisfaire au vœu de M. Dumortier.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – La section centrale peut faire un rapport spécial.
M. Dumortier – Le canal de Peruwelz appartient à la Belgique ; il donne des produits au gouvernement ; c’est au gouvernement à construire le pont.
M. le ministre des travaux publics (M. Nothomb) – On peut renvoyer à la section centrale comme commission spéciale ; elle présentera un rapport, et je donnerai des renseignements.
- La proposition de M. Dumortier, ou le renvoi de la pétition à la section centrale des travaux publics, est adoptée.
M. Zoude dépose sur le bureau le rapport sur le budget du département des finances.
- L’impression en est ordonnée.
M. Van Hoobrouck dépose le rapport de la section centrale chargée de l’examen du budget des travaux publics.
M. Cools - Messieurs, on vient de nous distribuer un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à instituer des conseils de prud’hommes dans les principales villes du pays. Au moment où une crise industrielle pèse sur la Belgique, où les fabricants se trouvent dans la nécessité de renvoyer leurs ouvriers, vous concevez sans peine qu’il arrive souvent des collisions entre les maîtres et les ouvriers relativement à leurs engagements réciproques ; or, les conseils de prud’hommes ont pour objet de prévenir ces collisions et de maintenir l’union entre les fabricants et ceux qu’ils font travailler.
Cet objet est, de sa nature, urgent et a l’intérêt de l’actualité. Lorsque la crise industrielle s’est fait sentir l’année dernière, la ville de Saint-Nicolas a demandé un conseil de prud’hommes, d’autres villes ont fait la même demande ; mais le gouvernement ne peut satisfaire ces villes, parce que, d’après la constitution, aucun tribunal ne peut être institué qu’en vertu d’une loi. C’est pour lever cet obstacle que le gouvernement a proposé le projet de loi. Je prierai M. le président de mettre ce projet à l’ordre du jour dans les sections. Il ne peut soulever de difficultés, car tous les points réglementaires sont prévus par la législation française ; il ne s’agit que de savoir en quelles villes il faut ériger les conseils de prud’hommes.
M. le président – Les sections sont en ce moment occupées du projet de loi sur la refonte des anciennes monnaies provinciales. Je m’entendrai avec les présidents des sections pour mettre à l’ordre du jour, immédiatement après, le projet qui a pour objet la création du conseil de prud’hommes.
M. Cools – Dans le rapport présenté par M. de Behr sur le budget du ministère de la justice, je trouve que la section centrale a demandé que l’on s’occupât de la loi concernant la circonscription cantonale. J’appuie le vœu émis par la section centrale et je demanderai en outre que l’on s’occupe d’un projet présenté par M. A. Rodenbach, l’année dernière, et qui a pour but l’établissement d’un tribunal de plus dans la Flandre orientale. La proposition de cet honorable membre est un acte de haute justice et lorsque le moment sera venu d’aborder le fond de la question, j’appuierai la proposition de toutes mes forces. La justice de la demande m’a paru si bien démontrée, que j’ai voulu la faire mienne à mon entrée dans la chambre ; mais le règlement s’y oppose, puisque la proposition n’est pas abandonnée par son auteur. Quoi qu’il en soit, quand les objets les plus urgents à l’ordre du jour seront épuisés, je demanderai que l’on s’occupe du projet de M. A. Rodenbach, et d’un autre projet présenté par M. E. Desmet, tendant à créer deux arrondissements judiciaires dans l’arrondissement de Termonde, dont les centres seraient à Alost et à Saint-Nicolas.
M. le président – Quand les objets à l’ordre du jour seront épuisés, je prierai M. Cools de renouveler sa proposition ; alors la chambre statuera sur cette motion.
M. le ministre des finances (M. Desmaisières) – Dans la séance du 5 décembre 1838, mon honorable prédécesseur a présenté un projet de loi tendant à régulariser une pension rémunératoire à la veuve Mersch. Ce projet a été renvoyé à la section centrale comme commission spéciale ; mais cette commission est maintenant incomplète par l’absence de M. Verdussen ; je demanderai que la chambre invite le bureau à la compléter, et que le bureau invite la commission à s’occuper du projet de loi.
- Cette proposition est adoptée.
« Art. 1er. Traitement du ministre des affaires étrangères : fr. 21,000. »
M. de Langhe – Messieurs, contrairement à l’opinion de beaucoup de mes honorables amis, je pense qu’en présence des embarras financiers où nous nous trouvons, et qu’en perspective d’autres embarras qui nous menacent, la création d’un sixième ministère n’est pas une idée heureuse. J’applaudis cependant à la séparation du ministère des affaires étrangères et du ministère de l’intérieur ; je voudrais un remaniement entre les divers départements ministériels, de manière à donner une part de travail à chaque chef d’administration. Le ministère des affaires étrangères n’aurait pas de quoi occuper un homme d’état ; je le présume ainsi, et je crois qu’on aurait de la peine à me démontrer le contraire.
On nous dit que nos ministres ne s’entendent pas parfaitement entre eux, que le ministère n’est pas homogène ; pense-t-on qu’ils s’entendront mieux quand ils seront plus nombreux ? Je ne l’imagine pas, à moins que le nouveau ministre des affaires étrangères ne trouve le secret de réunir tous les autres ; si cela devait être, je ne regretterais pas la dépense de 30,000 francs qu’il en coûterait.
Si les ministres ne s’entendent pas ; étant au nombre de cinq, il y aura toujours une majorité ; dans le cas où ils seraient six, il pourrait y avoir partage, et alors il faudrait arriver à une dissolution du cabinet, ce qui est toujours un malheur pour le pays. Je propose donc de ne pas adopter l’article premier.
Je ferai une autre observation qui portera peut-être en même temps sur d’autres chapitres. On pense que plus notre diplomatie sera coûteuse, plus elle rendra de services ; je ne suis pas de cet avis ; je crois qu’une diplomatie où les traitements sont suffisants, mais modérés, peut rendre d’aussi grands services au pays que celle qui coûtera davantage. On verra, messieurs, ou peut-être on ne verra pas que les services rendus par notre diplomatie ne vaudront pas ce qu’ils auront coûté. Je désire me tromper, mais je crains beaucoup que mes prévisions ne se réalisent.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, j’ai expliqué hier sommairement les motifs qui nous déterminaient à proposer la création d’un sixième ministère. Un remaniement d’attributions, comme le propose l’honorable préopinant, ne pourrait pas amener les résultats que nous avons en vue ; ce serait une perturbation dans les divers départements ministériels qui, je le répète, n’amènerait pas les résultats désirés.
Je dois de nouveau protester, messieurs, contre l’allégation que les ministres ne s’entendraient pas entre eux. L’accord entre les divers membres du cabinet, je dois le dire, a été parfait sur tous les points ; et nous n’avons pas eu entre nous le cas auquel fait allusion l’honorable préopinant, celui d’un partage, car il n’est pas une résolution importante qui n’ait été adoptée à l’unanimité.
Sans doute, messieurs, nous ne devons pas nous arrêter à cette considération, que le cabinet pourrait se diviser en deux parties, trois contre trois ; s’il s’agissait d’une question importante sur laquelle il ne fût absolument pas possible de se mettre d’accord, il y aurait nécessairement une dissolution du cabinet ; mais la même chose peu se rencontrer lorsqu’il y a dissidence dans un cabinet composé de cinq membres, car les membres dissidents ne seraient pas obligés de se rallier à l’opinion des autres. La circonstance que le cabinet ne serait composé que de cinq membres n’aurait donc nullement pour effet d’entretenir un accord toujours parfait dans le ministère.
Après cela, messieurs, je ne puis pas soutenir que l’augmentation des membres du cabinet n’entraîne pas jusqu’à un certain point l’inconvénient de rendre la formation d’un ministère plus difficile, de donne plus de chances à la dissolution du cabinet ; mais quand la nécessité d’un certain nombre de ministres est démontrée, il faut bien admettre cette nécessité et en subir les conséquences.
M. Eloy de Burdinne – Je partage entière l’opinion de l’honorable M. de Langhe, que si cinq ministres ont suffi au moment où il y avait des affaires infiniment importantes, ils peuvent encore suffire aujourd’hui.
D’ailleurs, messieurs, est-ce bien au moment où nous diminuons continuellement nos ressources, est-ce bien au moment où nous créons continuellement des charges nouvelles ; est-ce bien en ce moment, dis-je, qu’il convient d’augmenter encore les dépenses de 30 ou 40 mille francs par la création d’un nouveau ministère ? Je ne le crois pas ; au surplus, comme le gouvernement consent de si bonne grâce à la réduction de nos ressources, je suis persuadé qu’il consentira aussi aux réductions que la chambre voudra adopter. Quant à moi, je déclare que je voterai toutes les diminutions qui me paraîtront justifiées.
M. Devaux – Je suis de ceux, messieurs, qui, au moment de la fusion des deux ministères, ont exprimé le regret que leur causait cette fusion ; je dois donc être aussi de ceux qui appuient la séparation des deux ministères.
Je pense que s’il pouvait rester quelques doutes à cet égard, il suffirait de se reporter aux événements qui se sont passés depuis quelques temps, pour être convaincus de la nécessité de la séparation. Je crois que nous avons acquis une expérience trop chèrement achetée des dangers de la fusion des deux ministères, pour que nous songions à la maintenir, et je pense que nous aurions fait une grande économie si les deux départements n’avaient pas été réunis. Si l’on conteste ce que je dis ici, je reviendrai sur cette opinion que j’ai déjà développée assez longuement lors de la discussion du traité de paix. Je pense, messieurs, que ce n’est pas trop d’un seul homme dans le cabinet pour veiller aux dangers extérieurs de la Belgique ; ce n’est pas trop d’un seul homme qui ait une politique extérieure, je dirai même qui ait une politique intérieure, car d’après les doctrines qui ont été exposées par deux ministres dans la discussion générale, il faudrait croire, d’après M. le ministre de la guerre, que les ministres entrent dans le cabinet sans s’inquiéter de la politique de leurs collègues ; et pour se renfermer dans la politique spéciale de leur département, il faudrait croire, d’après M. le ministre de l'ntérieur, que la politique du cabinet consiste à délibérer en commun, à mesure que les questions se présentent et à exécuter ensuite ce que la majorité à décidé. Je dis que si l’on admet de pareilles doctrines, que, quant à moi, je n’accepte pas, c’est une raison de plus pour qu’il y ait un homme qui soit responsable de la direction de la politique extérieure de son pays ; car si vous transportez la politique extérieure sous la responsabilité du cabinet, vous annihilez en grande partie la responsabilité morale du ministre des affaires étrangères. Ce motif se joint donc à ceux qui existaient antérieurement pour appuyer la séparation.
Messieurs, tout en appuyant la séparation, je dois dire que je ne suis pas de l’avis exprimé par quelques honorables membres dans les sections, que nécessairement la direction du commerce doive passer aux affaires étrangères. Je ne dis pas que cela soit mauvais en fait. Je conçois très bien qu’avec tel ministre le commerce passe aux affaires étrangères, comme je conçois aussi qu’avec tel autre ministre il en soit détaché ; mais je dis que ce serait faire une faute d’imposer au gouvernement la nécessité de joindre les deux attributions, je dis qu’il ne faut pas rendre la jonction indispensable.
En voici la raison : L’intérêt commercial est très grand, mais l’intérêt politique est très grand aussi ; ce sont deux intérêts différents, et si vous imposez la jonction, il s’ensuivra que, dans le choix du ministre des affaires étrangères, ou l’intérêt commercial, ou l’intérêt politique pourra être sacrifié. Il faut qu’aucun des deux ne le soit ; il faut que les deux intérêts aient chacun leur représentants. Aujourd’hui il existe deux directions du commerce, il en existe une au département de l’intérieur, il en existe une au département des affaires étrangères, et je crois que cela est utile, je crois qu’il ne faut pas que l’intérêt politique soit absorbé par l’intérêt commercial, comme aussi l’intérêt commercial ne doit pas, à son tour, être absorbé par l’intérêt politique. Si vous rendez la jonction indispensable, il pourrait arriver que telle alliance commerciale trouvât un défenseur dans le ministre des affaires étrangères, alors que la politique extérieure du pays serait contraire à cette alliance ; ou bien il pourrait arriver que telle alliance, tel rapprochement politique, contraire aux intérêts commerciaux du pays, fût soutenu par le même ministre. Il est d’ailleurs dans les bons principes que certaines attributions ministérielles puissent, suivant les circonstances passer d’un département à l’autre. Dans tous les cas, je pense que c’est là, une affaire de gouvernement à laquelle la chambre doit rester étrangère.
Maintenant, messieurs, je dirai un mot sur la forme dans laquelle cette question nous est présentée. Cette forme, je regrette de devoir le dire, je la trouve irrégulière, parce qu’on nous demande de voter des fonds pour un budget avec un ministre en blanc, je me trompe, on nous propose de voter des fonds pour deux budgets avec deux ministres en blanc, car nous ne savons pas pour lequel des deux ministères M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères optera. De sorte qu’il y a réellement en ce moment deux ministères en blanc ; nous votons de confiance, aveuglement des fonds pour deux ministères, et pour quels ministères ? Pour les deux ministères auxquels sont confiés les plus grands intérêts du pays, pour les deux principaux ministères du cabinet.
Je dis que cela est peu gouvernemental. Le principe du gouvernement représentatif c’est que l’action appartient à la couronne, le contrôle aux chambres ; si vous transportez l’action dans les chambres, vous pervertissez le gouvernement constitutionnel et vous le rapprochez très fort de l’oligarchique ou de l’anarchique. La couronne ne doit pas être mise dans la position de venir nous demander la permission de nommer un ministre ; le cabinet doit proposer, la couronne doit nommer ; mais après cela, le gouvernement ayant usé de son initiative, doit supporter le contrôle des chambres. C’est lorsqu’il s’agit de voter le traitement que vient le contrôle des chambres. C’est là ce qui se fait dans tous les pays constitutionnels : lorsque l’on crée des ministères nouveaux, on ne vient pas demander la permission aux chambres, on crée les ministères, on nomme les ministres et après cela on vient soutenir comme question de cabinet la nécessité de ces ministères, et les chambres allouent ou n’allouent pas les fonds. C’est ce qui s’est fait sous le ministère précédent : lors de la création du département des travaux publics, on n’est pas venu demander aux chambres la permission de créer ce ministère ; on a créé le ministère des travaux publics, on a nommé le ministre des travaux publics ; cette nomination entraînait nécessairement celle d’un secrétaire général ; la couronne a exercé son initiative et les chambres ont exercé leur contrôle.
C’est à cet égard, messieurs, que, tout en approuvant la séparation de ces deux département, j’ai dû faire mes réserves. Je suis habitué à défendre les principes gouvernementaux, depuis neuf ans je le fais, je le ferai toujours. Sans doute, quand il faut défendre ces principes contre ceux qui en sont les défenseurs les plus naturels, ce n’est pas un rôle agréable, mais je n’ai jamais choisi mon rôle pour l’agrément qu’il pouvait m’offrir ; je l’ai toujours choisi pour l’utilité du pays.
Messieurs, je rappellerai que, l’année dernière, j’ai donné mon vote en faveur de l’augmentation du traitement du cardinal-archevêque de Malines, avec cette condition que, dès que nous serions rentrés dans une position normale sous le rapport financier, le traitement des ministres serait porté au même taux. Lorsque j’ai exprimé cet avis, sur les divers bancs sur lesquels on appuyait le plus vivement cette augmentation, on a dit que c’était bien là l’intention de tout le monde. Quant à moi, je suis toujours dans la même disposition. Je conçois cependant que, pour cette année, il y a plusieurs raisons de ne pas proposer cette augmentation. Le budget actuel, dans mon opinion, n’est pas un budget normal, mais un budget transitoire. Toutefois, je désire que dès que nous aurons un budget normal, cette inégalité, cette supériorité du spirituel sur le temporel, qu’on a en quelque façon consacrée par cette augmentation de traitement, disparaisse.
J’énonce ces paroles uniquement pour que l’on prenne acte de ce que je persiste dans l’opinion que j’ai émise l’année dernière.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Messieurs, l’on a dit que nous avions à regretter la réunion des deux ministères, que nous avons fait une expérience fatale.
Je n’admets nullement cette assertion ; et certes, pour la combattre, il me suffit, messieurs, de reporter vos souvenirs sur les négociations qui ont eu lieu, alors que le ministère des affaires étrangères était isolé, et sur les résultats qu’on a obtenus à cette époque, et de les comparer avec ceux auxquels on est parvenu depuis que le département des affaires étrangères a été réuni à celui de l’intérieur.
Messieurs, c’est par les faits et non par des théories, qu’on peut juger une combinaison ; or, sous le rapport des faits, nous acceptons pleinement la comparaison.
L’on a de nouveau prétendu que, suivant ce que nous avions dit lors de la discussion du budget des voies et moyens, le ministère se dispensait d’avoir un système, que chacun des ministres agissait isolément.
A cela je crois avoir répondu de la manière la plus complète, en indiquant jusqu’à quel point il était nécessaire que des membres qui s’associent pour former un cabinet soient d’accord sur la politique à suivre.
Nous avons soutenu qu’il était indispensable d’être d’accord sur les principales questions qui devaient s’agiter dans un temps plus ou moins rapproché, mais qu’il n’était pas nécessaire de se mettre d’accord sur toutes les éventualités d’une longue carrière ministérielle. Et en effet, nous avons vu que partout où on a tenté ce parfait accord, on a échoué avec le système de programmes que mon honorable collègue, le ministre de la guerre, a si parfaitement combattu.
Au surplus, ce qui prouve qu’il y avait unité suffisante de vues et de système, c’est l’accord parfait qui n’a cessé de régner, pendant un espace de temps très considérable, entre les divers membres du cabinet. En effet, le cabinet formé en 1834 n’a été dissous en partie qu’en 1839 ; et depuis le remaniement qui a eu lieu au commencement de cette année, il ne s’est manifesté aucune dissidence dans le sein du cabinet. Voilà, je pense, un fait qui constitue une homogénéité suffisante. Et quand j’ai donné comme garantie de cette homogénéité les délibérations du conseil des ministres, j’ai été complètement dans le vrai, c’est là la véritable garantie de l’homogénéité dans un gouvernement.
On s’étonne de ce que nous demandions en quelque sorte un blanc-seing pour le ministère des affaires étrangères. Mais, messieurs, lorsque dans un état l’on vote un budget une année ou six mois à l’avance, ne donne-t-on pas également un blanc-seing ? car qu’est-ce qui garantit la durée d’un ministère pour dix-huit mois, pour deux ans. Certainement, s’il est un pays où le contrôle des chambres soit incessant sur les membres du cabinet, c’est en Belgique où le budget se vote presque à l’époque où l’exercice va commencer.
Ainsi, supposez que nous suivions ici une maxime qui a déjà été préconisée ; supposez, par exemple, que nous fassions voter le budget un an d’avance, comme la chose se pratique en France ; on aurait également le droit de se demander : « Mais le ministère subsistera-t-il en 1841 ? qui dépensera le budget qu’on vote aujourd’hui ? » Vous voyez, messieurs, où l’on va avec de semblables théories.
L’on a prétendu que nous avions abdiqué la prérogative de la couronne, en ne proposant pas au Roi la nomination d’un sixième ministre, avant d’avoir obtenu les fonds nécessaires. Nous n’envisageons pas ainsi la prérogative de la couronne ; sa prérogative consiste dans le droit d’initiative, et cette initiative, il l’a exercée. Il n’appartient pas à la couronne de disposer des fonds ; il faut un vote préalable des chambres. Je dis qu’il était beaucoup plus convenable de commencer par demander le traitement et les autres fonds nécessaires à un sixième ministère, que de procéder d’abord à la nomination d’un ministre qui serait venu en quelque sorte pétitionner un traitement.
C’est bien à tort qu’on a cité ce qui s’est passé lors de la formation du ministère des travaux publics ; alors, messieurs, on ne demandait pas de fonds pour la création d’un nouveau ministère ; on en demandait que les cinq traitements de ministres qui existaient auparavant. Et quant au remaniement d’attributions entre les divers ministères, ce remaniement était pleinement dans la prérogative royale, car il appartient au Roi de diviser les attributions ministérielles entre les divers membres du cabinet, comme il l’entend.
Voilà ce que j’appelle la prérogative royale ; mais quant à la dépense nécessaire pour un nombre plus ou moins considérable de ministres, il faut certainement le concours des chambres pour l’allocation des fonds.
M. A. Rodenbach – Messieurs, maintenant que nous avons la paix, nous devons employer tous nos efforts à obtenir autant d’économies que possible. Nous avons une dette d’au-delà de 210 millions ; nous avons pour plus de 20 millions de bons du trésor, et lors des dernières discussions, M. le ministre des finances a dû nous dire que plus tard, il faudrait probablement faire un nouvel emprunt.
Il ne peut donc être question d’augmenter les dépenses sans la plus stricte nécessité. Et déjà cependant un ministre d’état qui n’a pas, que je sache, renoncé à ses fonctions jusqu’ici, et qui, je le reconnais, n’a pas de traitement, vient réclamer une augmentation d’appointements pour les ministres qui ne la demandent pas. Je crains bien, messieurs, que le mot économie soit effacé du vocabulaire de certaines personnes.
Arrivons maintenant au ministère des affaires étrangères ; je dirai qu’il est indispensable d’adjoindre la direction du commerce à ce département. Vous avez vu que les sections des états-généraux en Hollande ont exprimé le vœu que la direction du commerce fût réunie aux affaires étrangères. Or, quand il s’agit de commerce, les Hollandais sont certainement compétents. Il est essentiel pour nous d’imiter leur exemple. Nous sommes aujourd’hui reconnus par toutes les puissances, et il est évident que les affaires commerciales vont prendre plus d’extension, plus d’activité que les affaires politiques.
Nous devons faire en sorte, messieurs, que la Belgique prospère, que son commerce soit florissant ; nous devons faire en sorte que personne ne regrette la révolution. Nous sommes dans une crise. Dans les Flandres, messieurs, l’industrie linière et l’industrie cotonnière sont en grande souffrance ; partout, il y a misère ; il y a souffrance à Verviers pour ses draps ; dans d’autres provinces, d’autres industries sont également dans une crise.
Voilà pourquoi il ne peut être nullement question d’augmentation de dépenses. Et comme il est essentiel qu’on porte une attention toute spéciale sur nos intérêts commerciaux, je donnerai mon approbation au nouveau ministère des affaires étrangères, mais à la condition, si qua non, qu’on y adjoigne la direction du commerce.
M. Devaux – Je commencerai par répondre à l’honorable M. Rodenbach que je ne suis pas ministre d’état avec ou sans traitement. Depuis neuf ans que je siège ici, j’ai vu les honneurs et les traitements passés devant moi.
M. d’Huart – C’est bien vrai.
M. Devaux – Et je les ai laissés aller sans porter envie à ceux à qui ils sont échus. S’il en a été ainsi pour le passé, j’espère qu’il en sera de même pour l’avenir.
Puisque j’ai la parole je répondrai un mot à M. le ministre de l'ntérieur.
J’ai dit que nous avions fait l’expérience, que c’était une mauvaise économie que d’avoir retranché un traitement de ministre. Voici mon idée : je pense que s’il y avait eu un ministre des affaires étrangères spécial, la politique du pays aurait été conduite avec plus de conséquence et plus d’utilité. C’est l’opinion que j’ai énoncée lors de la discussion du traité.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je demande la parole.
M. Devaux – S’il faut traiter la question en chiffres, je crois que la politique qui a été suivie coûte au pays deux millions de francs par an ; je pense que, dans la politique qui a été suivie, la dette aurait été réduite à quatre millions de florins et peut-être à trois millions. Voilà mon opinion ; voilà pourquoi j’ai dit que, suivant moi, l’expérience avait prouvé qu’on avait fait une mauvaise économie, en retranchant un traitement de ministre ; je ne dis pas qu’un ministre spécial, quel qu’il fût, eût adopté une politique meilleure ; je crois cependant que la facilité qu’on a eue en quelque sorte de transporter la responsabilité sur un être collectif, au lieu de la faire peser sur une seule tête, a affaibli la politique du gouvernement et n’a pas peu contribué à l’entraîner dans la mauvaise voie où il est entré, mauvaise voie que vous avons achetée non seulement de dommages pécuniaires, mais encore de dommages moraux dont l’effet n’est pas prêt à cesser.
M. de Brouckere – Messieurs, l’on est revenu au manque d’unité d’homogénéité dans le ministère, et je crois qu’on a eu tort, parce qu’en effet l’explication entre nous et le ministère a été extrêmement claire. Après ce que les ministres nous ont dit, nous n’avons plus rien à objecter. Nous avons expliqué ce que nous entendions par unité, homogénéité dans le ministère, et les ministres nous ont répondu que nous ne comprenions pas ce que voulaient dire ces mos ; ils nous ont dit que tous les points importants se discutent dans le conseil, et que la majorité l’emporte.
Voilà l’homogénéité dans son sens. A coup sûr cette homogénéité existe et elle existera dans tous les ministères possibles. Prenez les cinq hommes les plus opposés d’opinion, ; quand une question leur sera soumise et qu’ils auront à voter par oui ou non, il y aura toujours majorité. Je n’exagère en rien. C’est ainsi que le Moniteur rapporte la définition de M. le ministre. L’homogénéité, dit-il, consiste en ceci : tout discuter dans le conseil et, quand la majorité a décidé, exécuter loyalement sa décision.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – J’ai dit qu’il y avait unanimité dans le conseil.
M. de Brouckere – Vous avez dit : La majorité décide.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Dans certains cas.
M. de Brouckere – Vous avez dit que vous vous réunissiez en conseil et que la majorité décidait. Dans cette manière tous les ministères sont homogènes ; parce que, quand une question est mise aux voix dans un conseil composé de cinq membres, il y a toujours majorité.
On a dit quelques mots des programmes. On n’en veut pas ; c’est laisser la porte ouverte à toutes les ambitions. Les programmes gênent les ministres qui veulent à tout prix rester au pouvoir ; parce que, quand on a énoncé des principes, présenté un programme, on est obligé de s’y tenir ou de se retirer. Mais quand on n’a ni opinions arrêtées, ni système, ni principes, on peut tout faire sans jamais se trouver en contradiction avec soi-même. Je félicite Messieurs les ministres d’en agir ainsi. C’est dans leur intérêt, mais non dans l’intérêt du pays.
Je dois déclarer, et en cela je ne fais que répéter ce que je dis chaque année, que je suis parfaitement d’accord avec M. Devaux, en ce qui concerne le peu de respect que l’on a pour les prérogatives de la couronne. La tendance du gouvernement a toujours été de transporter le pouvoir dans la chambre. Dans les grandes occasions vous voyez toujours le gouvernement, au lieu d’agir et de nous laisser contrôler, venir demander : Comment voulez-vous que j’agisse ; ou bien dire : Me permettez-vous d’agir ainsi. Dans toutes les grandes occasions, vous le voyez se dégager de sa responsabilité et la faire peser sur la chambre. On me dira peut-être, vous êtes les représentants du pays, personne n’est plus capable de gouverner que vous.
Non, messieurs, quelques capables que soient les membres qui la composent, une chambre ne sera jamais apte à gouverner. Il faut que le gouvernement ait une pensée unique, que cette pensée domine et que cette pensée agisse. Après cela, comme on vous l’a dit, le contrôle appartient aux chambres. Dans le cas dont on a parlé, je crois qu’il eût été plus régulier que le gouvernement eût nommé le ministre avant de demander le traitement. La chambre eût pu juger, à propos du crédit demandé, si elle approuvait la nomination faite, car c’est en votant ou refusant les crédits demandés que les chambres doivent exprimer leur opinion.
Quoi qu’il en soit, pour ma part, je voterai le crédit demandé pour les appointements du ministre des affaires étrangères, et je rappellerai, à cette occasion, que je me suis plaint du jour où les deux ministères ont été réunis, je me suis plaint de cette réunion ; quant aux faits qui en ont été la suite, c’est au pays à les juger.
Il n’y a plus qu’un point sur lequel je veux dire quelques mots, c’est la réunion de la division du commerce au ministère des affaires étrangères. Il faut, selon moi, laisser cette question indécise.
Avec tel homme, j’en conviens ou cette réunion est avantageuse, mais avec tel autre, non. Dans telles circonstances la division du commerce sera utilement réunie au ministère des affaires étrangères, dans d’autres non. Encore une fois, laissons agir le gouvernement en ceci comme en d’autres choses, et plus tard nous contrôlerons.
M. Dumortier – C’est sans doute une chose bien singulière de voir le gouvernement demander aujourd’hui la création d’un sixième ministère, alors que les négociations politiques sont terminées. On l’avait déjà fait remarquer, on ne saurait le faire assez. Le ministre, pour répondre à cette objection toute de sens commun, a dit qu’il avait été engagé par ses collègues à assumer sur lui le fardeau du ministère des affaires étrangères en 1836. Mais, messieurs, si le ministre n’a pas bonne mémoire, je pourrai y suppléer. A cette époque, en effet, la réunion des deux ministères eut lieu, malgré les vives réclamations de cette assemblée, qui croyait à la nécessité de maintenir le département des affaires étrangères entre les mains d’un ministre spécial. Malgré ces vives réclamations, la réunion eut lieu. Cependant je me souviens qu’à cette époque le ministre des affaires étrangères n’hésita pas déclarer que, si les circonstances devenaient graves, si les négociations recommençaient, il ne voudrait pas prendre sur lui le fardeau de deux ministères, et qu’un ministre des affaires étrangères serait nommé.
Eh bien, messieurs, comment les choses se sont-elle passées ? Les circonstances sont devenus graves, le traité a été remis sur le tapis, et nous avons été menacés des plus grands maux, des plus grands sacrifices, et le ministre a voulu conserver ses deux portefeuilles ; il a voulu diriger à lui seul les négociations. Je partage l’opinion de M. Devaux, que l’économie dans ce cas a été une énorme dépense. Si un homme spécial et actif eût été chargé de la direction des négociations, il eût peut-être obtenu une immense réduction sur la dette, et nous eussions peut-être pu conserver le Limbourg et le Luxembourg. Dans les réunions, chacun apporte le tribut de ses connaissances spéciales, de ses recherches. Indépendamment des réunions du conseil que ne sont que temporaires et momentanées, il fallait au ministère des affaires étrangères une vue formelle, une vue permanente. C’est ce qui a manqué. Le ministre, quelle que soit d’ailleurs sa capacité, n’est jamais qu’un homme, et un homme ne peut pas embrasser ce qui est l’œuvre de deux hommes, les intérêts intérieurs du pays et ses intérêts extérieurs.
Qu’en est-il résulté ? c’est que les intérêts du pays à l’étranger ont éminemment souffert, c'est que nos affaires n’ont pas été conduites comme elles devaient l’être. C’est que l’activité qu’exigeraient les graves intérêts qui étaient en question n’a pas été déployée. J’ai d’autant plus le droit de parler ainsi aujourd’hui, que le ministre refuse encore aujourd’hui la communication de toutes les pièces qui ont servi de base aux négociations. Maintenant, vient-il dire, c’est par les faits qu’on peut nous juger. Je lui réponds, communiquez-nous les pièces, pour que nous puissions les juger, ces faits. Mais aussi longtemps que vous nous refusez communication des pièces, comment pouvez-vous indiquer les faits pour vous justifier. En présence de votre refus, c’est sur les résultats que nous vous jugerons, et, Dieu merci ! ils ne sont pas en votre faveur.
Comment, quand nous voyons la question de territoire, qui était la plus importante et la plus nationale, quand nous voyons que cette question n’a été introduite par le ministre que lorsque tout était conclu et arrêté, on viendra dire qu’on a fait tout ce qui était possible, et que la suppression du ministre des affaires étrangères, n’a pas été une calamité pour le pays ? C’est aller contrairement aux faits que de s’exprimer de la sorte.
Il n’était pas possible qu’un ministre à lui seul pût suivre concurremment avec nos affaires intérieures, nos affaires extérieures et toutes les complications qui n’ont pas manqué de surgir dans ces circonstances.
Vous comprenez que, d’après cela, mon intention n’est pas de m’opposer au rétablissement d’un ministre des affaires étrangères. Je déplore amèrement qu’on ne l’ait pas fait plus tôt. Je voterai aujourd’hui pour le rétablissement d’un ministère des affaires étrangères, cependant, je ne puis partager l’opinion de mes honorables collègues qui pensent qu’il n’est pas nécessaire d’adjoindre à ce ministère la direction du commerce. C’est que toutes les affaires étrangères pour nous se réduisent à des traités de commerce. La Belgique, frappée qu’elle est de neutralité, n’a à faire ni paix ni guerre. Toute la politique doit être expectative, elle doit se borner à examiner attentivement ce qui se fait. Quant à la partie active de sa politique, elle doit être essentiellement commerciale. Aujourd’hui, je le répète, nous n’avons plus à traiter de question de paix ou de guerre ; si vous ne placez pas les attributions commerciales dans le département des affaires étrangères, vous aurez un ministère sans nécessité, sans but, et quelque chose de plus fâcheux encore.
Comment les choses se passent-elles aujourd’hui en matière de commerce ? Une partie des opérations commerciales sont dans les attributions du ministère des affaires étrangères et une troisième partie dans les attributions du ministère des finances. C’est là un système bâtard qui ne peut pas exister. Ainsi le ministre des affaires étrangères sera en rapport avec les agents dépendant de son département pour les relations de peuple à peuple en ce qui concerne les intérêts commerciaux. Le ministre de l’intérieur sera en rapport avec les consuls également pour les intérêts commerciaux, et le ministre des finances sera en rapport avec l’un et l’autre pour la tarification des droits de douane. Voilà la partie la plus importante des intérêts du pays scindée en trois parties. Cela est-il raisonnable ? Si vous voulez faire fleurir notre industrie, ce n’est pas trop d’un homme qui s’en occupe activement.
La connexité des intérêts de tarification d’une part et des relations étrangères de l’autre est telle que c’est là surtout que doit se placer le centre de nos affaires commerciales.
Aujourd’hui la Belgique dans une espèce de blocus continental entre la France d’une part, qui repousse nos produits, et de l’autre la Hollande qui n’est pas sans arrière-pensée pour l’envahir. En présence de pareils faits, ce qui est nécessaire à notre industrie, c’est la création de débouchés, parce que déjà nous produisons au-delà de ce que nous pouvons consommer. C’est donc vers les relations extérieures que nous devons diriger nos efforts. Pour le commerce à l’intérieur, tout ce que le gouvernement a à faire, c’est d’examiner les statuts des sociétés anonymes et de voir s’il doit les approuver, accorder ensuite quelques subsides à diverses industries en souffrance dans des cas donnés ; voilà toutes nos affaires commerciales à l’intérieur, tandis que c’est à l’extérieur que viennent toutes nos opérations commerciales, car c’est vers la création de débouchés nouveaux et d’un système d’industrie entièrement neuf que nous devons diriger tous nos efforts. Or, vous n’arriverez jamais à ces résultats si votre ministre des affaires étrangères n’est pas aussi ministre du commerce.
Je vous demande ce qu’il fera s’il n’est pas le ministre du commerce. Aujourd’hui que nous n’avons à déclarer la guerre à personne puisque nous sommes neutres, que lui restera-t-il à faire ? Evidemment ce serait un non-sens ; et si je n’avais pas compris, d’après les paroles de M. le ministre de l'ntérieur, que l’on avait l’intention de réunir la partie commerciale aux affaires étrangères, je ne pourrais consentir à la création d’un ministère qui ne serait qu’un impôt pour le peuple.
On a soulevé une question constitutionnelle, celle de savoir si le gouvernement devait se présenter devant les chambres avec ou sans ministre des affaires étrangères. Pour moi, cela m’est indifférent ; car le ministère est, à mes yeux, à peu près comme le couteau de Jeannot : il répare ses pertes en lui-même, remplace un morceau par un autre et se perpétue ainsi. Il m’importe donc assez peu qu’il se présente avec un ministre des affaires étrangères ; mais ce qui ne m’est pas indifférent, c’est l’opinion énoncée par l’honorable M. Devaux, que, dans un gouvernement constitué comme le nôtre, au gouvernement appartient l’action, à la chambre le contrôle. En vérité, si tel est le rôle des chambres, si telle est la marche du gouvernement constitutionnel en Belgique, nous nous éloignons singulièrement de la volonté du congrès et de la constitution. On reproche au ministère de ne pas oser assez et je crois que demain nous allons l’accuser d’avoir trop osé. J’ai entendu beaucoup de député parler d’un fait : celui du canal de l’Espierre ; pourquoi se plaignent-ils à cette occasion ? Parce que le gouvernement a pris l’initiative et ne nous soumet plus une question entière. Vous voyez donc bien que, pour être conséquent avec lui-même, il faut que le gouvernement arrive avec des questions entières, non avec des questions préjugées. Si le gouvernement avait un système unique, il ne serait pas venu, d’une part, sans ministre des affaires étrangères, afin de savoir si vous en voulez oui ou non, et d’autre part, avec la question du canal de l’Espierre qui n’offre que cette petite difficulté que tout est terminé quand vous avez à voter.
Un membre – Eh bien on ne votera pas.
M. Dumortier – On ne votera pas ! que devient alors le contrôle des chambres ? Pour moi je ne veux pas d’un tel système, car c’est l’anéantissement du système représentatif pour y substituer le régime des gouvernements absolus. Dans un gouvernement sagement pondéré, il faut admettre le principe de tout gouvernement représentatif : le gouvernement du pays par le pays. Je ne prétends pas que les chambres doivent s’immiscer dans toutes les attributions des ministères ; mais je soutiens que tous les actes importants du gouvernement ne peuvent avoir lieu sans l’assentiment de la législature ; c’est dans ce sens que toute la constitution a été rédigée. Prenez des dispositions, et vous verrez que votre pouvoir ne se borne pas à contrôler, mais que vous avez aussi un pouvoir préventif. Je vous citerai un seul exemple, celui des questions financières, parce qu’à ces questions se rattachent toutes les questions de l’état. Le congrès a voulu qu’aucun paiement n’eût lieu dans le visa préalable de la cour des comptes qui est une émanation de la chambre des représentants. En présence d’un pareil fait, on voudrait réduire le rôle de la chambre à un simple contrôle qui ne s’exercerait qu’après que le gouvernement aurait opéré ? Evidemment ce n’est pas là le rôle que doit jouer la législature.
Je ne terminerai pas sans répondre quelques mots à l’honorable M. Fleussu au sujet de ce qu’il a dit dans la séance d’hier, relativement à la direction de nos affaires politiques dans les malheureux événements du commencement de cette année. M. Fleussu a pensé que c’est la chambre qui a perdu le pays par son adresse de 1831…
M. Fleussu – Je n’ai pas dit cela.
M. Dumortier – Je l’ai compris ainsi. Il a donné à entendre que c’était à la chambre principalement qu’était due la conclusion donnée à nos affaires.
M. Fleussu – Je n’ai pas dit un mot de cela.
M. Dumortier – C’est alors M. le ministre des affaires étrangères et de l'ntérieur qui l’a dit. (Réclamations au banc des ministres – Hilarité à laquelle prend part l’orateur lui-même.)
Peu importe au reste ; nous ne sommes plus à la séance d’hier : je répondrai à qui l’a dit.
Je dis, moi, que ce qui nous a perdus, ç’a été notre confiance dans le ministère ; ce qui nous a perdus, ç’a été notre confiance aveugle en certain ministre. Pour mon compte, j’ai partagé cette confiance et je le déplore amèrement. Lorsque l’an dernier, un de nos collègues, qui, depuis et à notre grand regret, a renoncé à la carrière parlementaire, lorsque M. Gendebien demanda des explications dans le but de savoir quelle serait la conduite du ministère dans le cas où la conférence nous imposerait des conditions onéreuses, je commis la faute de me lever pour défendre le ministre des affaires étrangères. Voilà ce qui nous a perdus. Je n’étais pas seul de cette opinion ; toute la chambre partageait cette confiance et c’est là ce qui nous a perdus. Depuis, mes yeux se sont dessillés, aussi voterai-je contre le budget de ce ministre qui, pour notre perte, nous avait inspiré une confiance qu’il a si mal justifiée.
M. F. de Mérode – Je dirai un seul mot en réponse à un honorable préopinant sur la manière dont il prétend que le gouvernement entend l’homogénéité du ministère. Il a dit que, lorsque les ministres sont en dissentiment sur une question, cette question se décide à la majorité ; il a dit que cette manière de procéder est mauvaise ; mais, messieurs, pour une question de premier ordre, comme celle de l’acceptation du traité, les ministres qui ne sont pas de l’avis de la majorité se séparent des autres. Pour les questions d’une importance moindre, comme il est évident que cinq hommes ne peuvent pas être toujours d’accord, elles sont résolues à la majorité.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ne puis que répéter qu’il est très douteux que quelqu’un eût voulu s’asseoir au banc des ministres avant de savoir s’il avait un traitement pour le ministère spécial des affaires étrangères.
On a demandé si notre intention état de réunir le commerce aux affaires étrangères ; à cet égard, il n’y a pas de résolution arrêtée ; il y a des considérations divers, les unes à l’appui de cette réunion, les autres dans un sens opposé. Cela doit nécessairement dépendre des circonstances ; car il est impossible, dans un gouvernement constitutionnel, d’enchaîner à perpétuité les attributions des différents ministères. Dans le moment actuel, je ne connais guère qu’un état où le commerce soit réuni au ministère des affaires étrangères : c’est la Hollande ; Encore doit-on l’attribuer à ce qu’en Hollande l’industrie a peu d’importance. Du reste, quelle que soit la détermination que le gouvernement prenne à cet égard, il est certain que le ministère des affaires étrangères doit être organisé de manière à donner une grande impulsion aux affaires commerciales. C’est par ce motif que nous avons organisé dans ce département une direction spéciale du commerce, à l’exemple d’autres états où il existe cependant un ministère du commerce, ou une réunion du commerce à un autre département.
On a persisté dans cette assertion, que la réunion du ministère des affaires étrangères au ministère de l’intérieur avait été funeste au pays. Un orateur a prétendu que, sans cette circonstance, la Belgique aurait conservé les parties du Limbourg et du Luxembourg qu’elle a été obligée de céder ; Quiconque a suivi de près les événements et a vu l’inefficacité des efforts tentés, doit avoir la conviction qu’un ministre des affaires étrangères, exclusivement occupé de la politique extérieure, n’aurait pas réussi davantage à conserver le territoire entier de ces deux provinces.
En ce qui concerne la dette, je dois reproduire ce que j’ai eu l’honneur de dire. Nous avons eu, antérieurement aux dernières négociations, des ministres des affaires étrangères qui n’avaient en quelque sorte d’autre attribution que de diriger la grande négociation relative à l’existence du pays, à la séparation de la Belgique d’avec la Hollande. A cette époque, ces ministres n’ont jamais pu obtenir la réduction de la dette à un chiffre moindre que celui fixé par le traité du 15 novembre.
Nous croyons pourvoir dire avec tout assurance que la question financière n’a nullement été négligée et que, si nous n’avons pas obtenu une plus forte réduction, c’est qu’il y avait réellement impossibilité d’arriver à ce résultat.
Nous croyons pouvoir dire avec toute assurance que la question financière n’a nullement été négligée, et que, si nous n’avons pas obtenu une plus forte réduction, c’est qu’il y avait réellement impossibilité d’arriver à ce résultat.
Lorsque nous avons dit que les affaires se délibèrent en conseil, nous n’avons pas dit que le ministre dirigeant un département, n’avait pas la directions spéciale de ce département, que nous n’imprimions pas, par exemple, la marche à la politique extérieure, que nous attendions les inspirations de nos collègues pour nous décider ; nullement. Nous assumons la responsabilité de la négociation. Nous avons fait tous les efforts qu’il était possible de faire. Quant au succès, on sait que, quand on traite avec les autres états, surtout avec de grandes puissances, on n’est pas maître de le réaliser selon ses vœux et selon ses espérances.
On a encore argumenté d’une phrase isolée, que l’on a détachée d’un discours que j’ai prononcé sur le budget des voies et moyens, en disant que la preuve la plus évidente qu’il n’y avait pas d’homogénéité dans le ministère, c’est que les questions s’y décidaient à la majorité des voix : cela n’est qu’un jeu de mots et pas autre chose. J’ai dit que, dans toutes les questions importantes, il y avait eu unanimité dans le conseil ; que si, sur les questions moins importantes, il y a simple majorité, ce n’est pas une nécessité pour les membres de la minorité de se séparer. Du reste, messieurs, telle unanimité si touchante, cette parfaite homogénéité que l’on a tant vantée, jusqu’à présent, je n’ai vu personne que se présentât pour la réaliser. Nous avons montré peu de respect pour les prérogatives de la couronne, a-t-on ajouté ; c’est dans les chambres que nous viendrions puiser des conseils pour les affaires dont la direction appartient à l’administration, au gouvernement ! Messieurs, il n’en est rien. Déjà vous avez entendu un orateur émettre une assertion diamétralement contraire, et prétendre que le ministère agissait alors qu’il aurait dû préalablement soumettre l’affaire aux chambres. A l’appui de cette opinion, il a cité entre autres le canal de Roubaix. Eh bien, ce canal de Roubaix, nous désirons de le voir en discussion. Lorsque nous en serons au budget des travaux publics, nous établirons que le gouvernement n’a pas excédé les bornes de ses attributions ; qu’il a agi conformément à la législation sur les travaux d’utilité publique, et les péages.
Je bornerai ici mes réponses.
M. Eloy de Burdinne – Lors de la discussion des voies et moyens, j’ai cru remarquer dans la chambre une disposition d’apporter des économies : chacun dans ce moment-là se prononçait pour éviter des dépenses dont on pourrait se passer. Mais, messieurs, je l’avoue, aujourd’hui que nous discutons les budgets des dépenses, il me paraît que les esprits sont bien changés, et que, loin d’apporter des économies, ce sont des dépenses nouvelles que l’on provoquerait. Vous venez d’entendre, comme moi, un orateur dire qu’il voulait un ministre de plus et qu’il fallait, pour l’avenir, augmenter les traitements des ministres. J’ai donc été trompé dans mes prévisions : nous allons suivre l’ornière dans laquelle nous sommes entrés depuis quelques années. Prenons-y garde, nous compromettrons les finances de notre pays, et le pays lui-même. D’après ce qui se passe je ne serais pas étonné que l’année prochaine on vienne vous demander un ministre du commerce. Si j’ai bien compris un orateur, il a singulièrement fait valoir la nécessité de traiter cette question.
Je suis loin de prétendre que le commerce n’a pas besoin de protection, ; que l’on ne doit pas rechercher dans les parages lointains des débouchés ; mais aussi je ne crois pas qu’un ministre particulier soi nécessaire pour cela. Toutefois, dans mes prévisions, je crois que l’année prochaine on viendra vous demander un ministre du commerce. Je ne serais pas surpris qu’on vous demandât également un ministre de la marine.
Vous savez que déjà on vous a fait des propositions pour créer une marine militaire, afin de protéger notre marine marchande ; je ne serais pas étonné que vous adoptiez la demande qu’on vous fera de créer une marine militaire, et par suite un ministre de la marine.
On vous en demandera peut-être encore un autre pour l’industrie. Un collègue me disait tout à l’heure qu’on pourrait bien en créer un pour l’agriculture ; quant à celui-là, je ne le crois pas,
Que l’agriculture n’est pas assez appréciée en Belgique. C’est un malheur dont l’industrie ne profite pas.
Le ministre des affaires étrangères nous a dit que lorsqu’un ministre traitait exclusivement des affaires extérieures du pays, il ne réussissait pas aussi bien que lorsqu’un ministre possédait deux portefeuilles ; : eh bien, quel intérêt avons-nous de créer deux ministres ? personne n’a contesté les assertions du ministres des affaires étrangères.
Messieurs, nous avons bien des dispositions de vouloir traiter les intérêts de la Belgique comme on traite les intérêts de la France, c’est-à-dire, sur une échelle énorme. Mais je crains que, quand nous serons au bout de l’échelle, nous ne tombions à terre et que nous nous cassions le cou. Croyez-moi, apportez de l’économie dans vos dépenses ; vous en avez besoin. Ne perdez pas de vue que vous allez dépenser plus de cent millions pour le chemin de fer. De toutes parts on exige des embranchements. Lors de la discussion des chemins de fer, je me suis prononcé et j’ai déclaré à la chambre que l’on dépenserait cent millions ; alors on a cru devoir me tourner en ridicule ; on reconnaît maintenant que j’ai bien calculé, et cela sans procédé chimique.
On nous a dit, messieurs, que si nous avions eu un ministre particulier lorsque l’on a traité nos intérêts avec la Hollande, nous aurions pu obtenir une diminution sur la dette ; mais actuellement vous aurez beau avoir un ministre spécial des affaires étrangères, la question est terminée ; on ne fera pas revenir le gouvernement hollandais sur la révision des comptes. Puisque tout est rentré dans le calme, que les affaires ne sont plus aussi multiples, je ne sais à quoi servirait une dépense de 30 à 40 mille francs pour établir un ministère. Si MM. les ministres veulent conserver les portefeuilles tels qu’ils les ont actuellement, ils rendront service au pays, et nous n’aurons pas lieu de nous repentir. Je voterai contre l’allocation.
M. Fleussu – J’avais demandé la parole quand je croyais à une attaque de mon honorable collègue et ami M. Dumortier ; mais il m’avait mal compris, et comme je crains d’avoir été également mal compris par d’autres, je crois devoir rappeler ce que j’ai dit.
J’ai fait observer qu’après l’adhésion du roi Guillaume il n’y avait qu’un choix à faire entre deux partis extrêmes : ou bien rompre le traité par les armes, ou reprendre les négociations ; j’ai ajouté que, le gouvernement étant partagé, on avait pris à la fois deux partis, mais qu’en renouant les négociations on a rencontré un obstacle qui a empêché de les mener à bien. J’ai rappelé l’acceptation du traité ; j’ai rappelé les provocations que l’on a faites pour obtenir la ratification du traité. J’ai fait remarquer que tous les faits posés devaient briser toutes les tentatives de la Belgique pour conserver le territoire.
Je n’ai pas traité la question de savoir s’il valait mieux recourir aux armes que de négocier ; je n’ai pas traité une question qui ne se présentait plus.
J’ai dit que les armements auxquels la Belgique s’était livrée n’avaient pas avancé les négociations, n’avaient pas influé sur la question de la dette.
J’ai la satisfaction de voir qu’un des honorables orateurs a adopté cette opinion, puisqu’il a soutenu que la dette aurait été diminuée à trois ou quatre millions si l’on n’avait pas suivi le système du ministère. Les puissances n’ont pas vu d’un fort bon œil un état créé hier vouloir tout obtenir par la force des armes. Il est très vraisemblable que les dispositions hostiles que nous avons montrées n’ont pas avancé les négociations en notre faveur.
Je dois ici adresser un reproche à l’honorable M. Dumortier. Nous attaquons souvent le ministère ; mais toutes les fois que nous verrons poser, par un membre de la chambre, des principes contraires à nos intentions, je le combattrai.
D’après les principes émis par l’honorable M. Dumortier, le gouvernement représentatif, surtout en Belgique, ne serait plus un véritable gouvernement constitutionnel, c’est dans les chambres qu’il veut placer le pouvoir exécutif. C’est là un grand mal, un mal dont la chambre ne s’est pas assez défendue. Nous aurons l’occasion, lorsqu’il s’agira de la loi sur le jury d’examen de démontrer que là aussi la chambre fait de l’administration. Or, dès que la chambre fait de l’administration, elle anéantit le pouvoir exécutif, elle le dérobe à la couronne. Lorsque la chambre fait de l’administration, elle paralyse entièrement la responsabilité ministérielle.
En effet, messieurs, lorsque vous dites aux ministres : « Voilà ce qu’il faut faire, » lorsque les ministres ne font plus qu’exécuter votre volonté, de quel droit viendrez-vous vous plaindre ensuite des actes du ministère ? Si vous voulez que le gouvernement représentatif soit une réalité, observez la constitution. La constitution a séparé les pouvoirs ; elle a voulu qu’il y eût un pouvoir législatif, un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire ; par suite de la latitude des principes qui nous guidaient lorsque nous avons fait la constitution, nous avons même créé d’autres pouvoirs encore, nous avons créé le pouvoir provincial et le pouvoir communal.
Maintenant, messieurs, revenant plus spécialement au budget des affaires étrangères, je dirai qu’il eût été désirable que le gouvernement, prenant l’initiative qui lui appartient, vous eût dit au moins quelles étaient les attributions qu’il veut donner à ce département. Sous ce rapport, je pense, comme l’honorable M. Dumortier, que notre rôle politique étant fini, qu’étant créés état neutre et ne pouvant par conséquent pas influer sur la politique de l’Europe, nous devrons nous borner à établir des relations commerciales. Je crois donc, sans que je veuille à cet égard faire une loi au gouvernement qu’il conviendrait de faire entrer le commerce et l’industrie dans les attributions du ministre des affaires étrangères. Ce sont là, messieurs, les seules observations que j’avais à présenter.
M. de Brouckere – Messieurs, je ne dirai que quelques mots, car je pense qu’il nous tarde d’arriver au vote. J’ai avancé que dans beaucoup d’occasions les ministres avaient fait bon marché des prérogatives royales, et j’ai ajouté encore qu’ils avaient abandonné cette prérogative à l’occasion de la création du ministère des affaires étrangères. Puisque l’on a contesté ce que j’ai dit à cet égard, je vous rappellerai, messieurs, ce que porte l’article 65 de la constitution. L’article 65 de la constitution porte que « Le Roi nomme et révoque ses ministres. » La constitution dit-elle que le Roi nommera cinq ministres ? Non. La constitution dit-elle que le nombre des ministres sera fixé et que le Roi ne pourra dépasser ce nombre sans l’autorisation de la législature ? Non. La constitution dit en général sans autre restriction : « Le Roi nomme et révoque ses ministres. »
Jusqu’ici le Roi a jugé à propos de ne nommer que cinq ministres, mais s’il croit qu’il est dans l’intérêt du pays de porter ce nombre de cinq à six, il en a le droit et il en a le droit sans demander l’autorisation de personne. Il est vrai que dans cette occasion comme dans toutes, le contrôle appartient aux chambres. Ainsi, si le Roi, usant de son droit, avait nommé plus de ministres qu’il n’en faut, nous eussions eu le droit de refuser les subsides, mais alors la couronne serait restée dans son droit et la chambre aussi. Aujourd’hui qu’est-il arrivé ? on a abdiqué les droits de la couronne ; au lieu de nommer un sixième ministre, on vient dire à la chambre : « Permettez-vous que le Roi nomme un sixième ministre ? » et on a si bien dit cela, que si aujourd’hui le vote de la chambre était négatif, que si la chambre refusait les 21,000 francs demandés, il n’y aurait plus moyen de nommer ce ministre. Eh bien, messieurs, c’est là le renversement de tous les principes de la constitution, c’est l’abandon le plus absolu des prérogatives de la couronne, c’est un antécédent fatal joint à tous les autres antécédents posés par le ministère. Dorénavant, messieurs, le Roi ne nommera plus de nouveaux ministres à moins qu’il ne plaise à la chambre de le lui permettre.
Je dois regretter, messieurs, que dans cette occasion, je ne sois pas de la même opinion que l’honorable M. Dumortier, mais je dois le dire, j’ai la conviction qu’il est d’autres membres encore qui partageront la manière de voir de ce dernier orateur. Et pourquoi ? Parce qu’on nous a habitués malheureusement à mettre le gouvernement dans la chambre, parce que depuis longtemps, dans toutes les circonstances graves où la décision eût dû venir du gouvernement, c’est à la chambre qu’on est venu la demander ; parce que très fréquemment (et ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’en plains, je pourrais invoquer à cet égard les paroles que l’ai prononcées il y a sept ou huit ans), parce que dans toutes les occasions, au lieu de prendre une résolution, on est venu dire à la chambre : « Voulez-vous me permettre de faire ce que la constitution me permet de faire ? » ou bien « Comment dois-je faire ? » Alors que c’était dans la pensée royale qu’on devait puiser ses inspirations et non dans la chambre.
M. Liedts – J’ai demandé la parole, messieurs, lorsque j’ai entendu professer l’hérésie constitutionnelle, qui vient d’être combattue. Je ne répéterai pas les arguments des honorables MM. de Brouckere et Fleussu, je me bornerai à y en ajouter un seul.
Messieurs, l’article 65 de la constitution ne peut pas être séparé de l’article 66, si l’on veut bien comprendre la prérogative royale, qui été mise en doute et que les ministres n’ont pas défendu.
Voici ce que porte l’article 66 :
« Le Roi confère les grades dans l’armée.
« Il nomme aux emplois d’administration générale et de relation extérieure, sauf les exceptions établies par les lois. »
« Il ne nomme à d’autres emplois qu’en vertu de la disposition expresse d’une loi. »
En combinant cet article avec l’article 65, on voit à l’évidence que le congrès national, qui les a portés, a classé les emplois publics , en commençant par les places de ministres jusqu’aux plus infimes en deux classes différentes, les unes que le Roi confère sans que la loi l’y autorise, et les autres qu’il ne peut conférer qu’en vertu de la loi. Eh bien, messieurs, dans la première catégorie se trouvent d’abord les places de ministre, les grades dans l’armée et les fonctions de relations extérieures.
Je demanderai aux ministres si, lorsqu’ils ont augmenté le nombre des généraux, lorsqu’il ont nommé un général étranger dans notre armée, ils sont venus demander à la chambre la permission de faire ces nominations ; si, lorsqu’ils ont nommé à une ambassade, ils ont toujours consulté la chambre d’avance, pour savoir si elle accorderait les fonds. Et s’ils l’avaient fait, ils auraient violé les principes de la constitution comme ils les violent en ce moment, en soutenant qu’avant de créer un sixième ministère, il faut que la chambre ait autorisé cette création. Savez-vous, messieurs, à quoi cela se réduit ? C’est à bouleverser les articles 65 et 66 de la constitution, à dire qu’à l’avance le Roi ne pourra plus nommer à aucune fonction avant que la loi du budget ne l’ait autorisé à le faire. C’est là une violation manifeste de la constitution.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Nous sommes véritablement au regret, messieurs, de devoir réfuter des doctrines qui sont en apparence très gouvernementales, ou plutôt de devoir réfuter la fausse interprétation qui a été donnée à nos paroles. Je n’ai jamais prétendu que le Roi n’eût point la pleine liberté de nommer des ministres. En effet, il a usé de cette faculté en différentes circonstances, par exemple, lorsqu’il a nommé des ministres d’état, et pourquoi ? Parce qu’il (manque quelques mots) Roi peut encore nommer des ministres à portefeuille, il peut créer non seulement un sixième ministère, mais 7, 8, 9 ou 10 ministères, s’il le juge convenable.
Assurément les nominations faites par le Roi seraient toutes constitutionnelles ; mais supposez, messieurs, que dix ministres viennent à se présenter devant les chambres et vous disent : « Le Roi a usé de la prérogative que lui confère l’article 65 de la constitution, nous demandons le traitement que le Roi nous a assigné par l’arrêté de notre nomination, nous n’avez pont à discuter ces traitements, ils doivent être portés d’office au budget, de la même manière que la liste civile. » Que diriez-vous d’une semblable prétention ? Evidemment, vous vous croiriez pleinement en droit de refuser les fonds. La cour des comptes ne liquiderait pas non plus les traitements de ces ministres, s’ils n’avaient point été portés au budget.
Eh bien, messieurs, c’est là la seule chose que j’ai soutenu, j’ai demandé s’il serait convenable qu’un ministère des affaires étrangères fût venu se présenter ici, avant qu’on n’eût alloué les fonds nécessaires à son département. Chacun peut apprécier les convenances comme il le juge à propos, mais je ne sais pas trop quel membre de la chambre serait très désireux de venir s’asseoir à côté de nous pour vous dire : « Messieurs, ayez la bonté de m’accorder un traitement. »
Du reste, messieurs, nous sommes tout à fait d’accord avec les honorables préopinants, quand ils disent que le Roi nomme les ministres comme il le veut, en aussi grand nombre qu’il le veut, et qu’il répartit leurs attributions comme il le veut ; mais, quant aux traitements, je maintiens qu’ils doivent être votés par les chambres. C’est la seule chose que j’aie dite, et, en cela, je crois ne m’être écarté en rien des principes constitutionnels.
M. Pirson – Messieurs, nous avons clôturé hier la discussion générale ; nous y sont rentrés aujourd’hui, et cela était nécessaire, car nous étions loin d’être d’accord, puisque personne n’avait encore dit son mot. Aujourd’hui nous paraissons encore bien loin d’être d’accord. Je ne parlerai pas des différentes opinions, je ne parlerai que d’une seule observation qui a été faite par l’honorable M. Devaux, et je vous prie, messieurs, de vouloir y faire une très grande attention.
Cette attention est absolument indispensable. M. Devaux vous a dit qu’il était nécessaire qu’il y eût un ministre des affaires étrangères qui ne fût occupé que de diplomatie, parce que si vous réunissiez le commerce et l’industrie à ce département, il pourrait arriver des circonstances où la question politique ne serait pas d’accord avec les exigences de nos intérêts matériels. Eh bien, c’est précisément cette considération qui doit nous déterminer à ne pas voter des fonds pour un ministre des affaires étrangères, uniquement chargé des affaires étrangères. En effet si la diplomatie peut venir attaquer notre liberté, dans ce que nous voudrions faire pour nos intérêts matériels, en ne consultant que nos intérêts propres et non ceux des provinces avoisinantes, je vous le demande, ceux qui nous ont sacrifiés par rapport au territoire, ne nous sacrifieraient-ils pas par rapport à nos intérêts matériels ? ceux qui nous ont abandonnés dans notre position extrême, ne vous abandonneraient-ils pas lorsqu’il serait question de nos intérêts matériels qui pourraient aussi contrarier les leurs ?
Eh bien, aussi longtemps que le Roi n’aura pas désigné le nombre des ministres qu’il veut avoir, qu’il n’aura pas déterminé leurs attributions et que ces attributions ne nous seront pas connues, je pense que nous ferons une chose bien sage et essentielle pour le pays de ne pas voter des fonds pour un sixième ministère.
Je crois donc que la première question à poser est celle-ci : La chambre fera-t-elle des fonds pour un sixième ministère, avant même qu’elle ne connaisse ni le titulaire, ni ses attributions ?
M. Dumortier – Messieurs, je ne puis pas admettre le principe qui a été énoncé tout à l’heure que, pour satisfaire à la prérogative royale, le gouvernement doit commercer par exécuter tous les actes, et que la chambre contrôle ensuite tous les faits. Dans ce système, le gouvernement poserait les causes de dépense d’une manière irrévocable, et quand les causes de dépense seraient effectuées, les ministres viendraient dire à la chambre : Nous vous demandons un bill d’indemnité pour ce que nous avons fait. Avec un pareil système, le vote de la chambre ne serait plus entier ; puisqu’on ne ferait un appel à votre intervention qu’après que l’acte aurait été posé, après que la cause de dépense aurait été effectuée.
On a argumenté de l’article de la constitution qui porte que le Roi nomme et révoque ses ministres ; mais il y a un autre article de la constitution qui porte que le Roi nomme les chefs d’administration et les autres fonctionnaires du gouvernement. Ainsi donc ce sera le gouvernement qui viendrait décider de toutes les dépenses, créer toutes les dépenses, et vous ne seriez plus que les contrôleurs de tout cela. C’est un système qu’il n’est pas possible d’admettre, et qu’on a pourtant préconisé.
Je tiens à faire ces observations, parce que mon honorable ami, M. Fleussu, a mal compris ma pensée lorsqu’il a dit que mon intention était de placer dans la chambre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Non, messieurs, je n’ai jamais eu cette pensée ; je ne voudrais jamais que le pouvoir d’exécuter vint se placer dans la chambre mais entre le pouvoir d’exécuter et celui de décider, il y a une différence immense. Le pouvoir de décider constitue le pouvoir législatif. Or, quand vous avez posé les prémisses, le subside n’est plus que la conséquence. Quand vous dites que le gouvernement a le pouvoir de poser les prémisses, vous abdiquez en sa faveur le pouvoir législatif, pour descendre au rôle d’une cour de contrôle, et rien de plus.
J’aurais voulu, messieurs, ne pas entendre soutenir ici les doctrines que je combats et qui sont le renversement du gouvernement constitutionnel. Je le dis avec conviction du jour où le gouvernement pourra poser les prémisses, il n’y aura plus de gouvernement constitutionnel, et, je le répète, nous ne serons plus qu’une cour de contrôle.
Messieurs, on a prétendu que la chambre faisait de l’administration, et en parlant de la sorte, on a fait allusion au jury d’examen. Eh bien, je demanderai à mon honorable collègue qui s’est exprimé ainsi et qui lui-même a fait partie du congrès, si le congrès n’a pas voulu que les membres de la cour des comptes fussent nommés par la chambre des représentants. Or, lorsque le congrès a voulu que les membres de la cour des comptes fusent nommés par la chambre des représentants, a-t-il voulu que la chambre administrât le pays ? non, messieurs, il a voulu seulement, dans une circonstance donnée, offrir une garantie à ce qu’il croyait l’utilité publique.
Et lorsque la constitution contient une disposition aussi formelle que celle relative à la cour des comptes, il ne me paraît pas raisonnable de venir prétendre que la chambre fait une nomination dans un cas absolument identique.
Je ne puis d’ailleurs partager cette opinion que de pareils actes émanés de la chambre des représentants paralysent la responsabilité ministérielle. Je ne puis pas comprendre la responsabilité ministérielle de cette manière. Si on entendait ainsi la responsabilité ministérielle, l’argument tendrait à réviser toute la constitution (manque quelques mots) Marchez, et plus tard nous viendrons avec la responsabilité ministérielle examiner vos actes.
Mais qu’est-ce que la responsabilité ministérielle ? Où sont donc les exemples de responsabilité ministérielle ? Il n’existe pas d’exemple de responsabilité ministérielle. Comment ! quand on a vu des ministres manquer à leurs engagements les plus sacrés, venir proclamer ici la nécessité de la défense du pays, et deux mois plus tard venir proposer la cession du territoire ; quand on a vu un fait aussi grave se passer, quand on a vu la foi jurée méprisée ; la responsabilité ministérielle a-t-elle été exécutée ? ainsi, messieurs, il faut en convenir, la responsabilité ministérielle n’est qu’un vain mot, et elle n’est pas une garantie en matière constitutionnelle. Il n’existe en matière constitutionnelle que des garanties antérieures aux actes. Voilà la meilleure garantie. Quant à la responsabilité ministérielle, elle n’existe que sur le papier en Belgique.
Prétendre que la responsabilité ministérielle peut nous sauver dans des cas semblables à ceux qu’on a allégués, évidemment c’est en faire une panacée universelle, un remède à tous les maux, et il ne resterait plus aucune espèce de garantie pour le pays.
Il faut donc reconnaître que l’action du pouvoir législatif en Belgique doit être le libre examen des actes du gouvernement, et que ce libre examen n’est jamais meilleur que lorsqu’il a lieu avant que les actes soient exécutés. Si, par exemple, le gouvernement, au lieu de résoudre à l’avance les questions relatives à la concession du canal de l’Espierre, à l’amnistie du général Vandersmissen, et à d’autres faits, nous avait saisis de ces questions, les choses n’en seraient que mieux dans le pays, et il y aurait moins de désunion entre le ministère et nous.
M. Desmet – Messieurs, personne ne met en doute qu’il appartient au pouvoir exécutif de nommer les ministres, et de régler le partage des attributions ; mais quand il s’agit de voter des fonds pour augmenter le nombre des départements, cette prérogative nous appartient.
J’ai voté dans ma section pour la création d’un sixième département, mais je l’ai fait à la condition qu’on lui adjoignît la direction du commerce ; car aujourd’hui l’objet le plus important pour le pays, ce sont ses relations commerciales.
Je voterai donc des fonds pour un ministère des affaires étrangères, sous la réserve qu’on réunira le commerce à ce département ; je voudrais à cet égard un déclaration positive du ministère ; car si le ministère des affaires étrangères ne devait plus recevoir ces attributions, je ne verrais aucune utilité dans sa création, et je ne voterais pas les fons qu’on demande.
M. Devaux – Messieurs, j’ai voulu seulement dire deux mots dans l’intérêt de la défense d’un principe qui me paraît méconnu et par M. le ministre de l'ntérieur et par l’honorable M. Dumortier.
Nous sommes d’accord avec M. le ministre de l'ntérieur sur ce point que bien certainement un traitement ne peut être alloué au ministre, sans l’assentiment des chambres : Cela est bien clair ; mais l’initiative appartient à la couronne, c’est la nomination du ministre. La couronne nomme le ministre et n’a pas besoin pour cela de l’autorisation de la chambre. Ce ministre nommé, s’il y a un traitement attaché à la place, le chambre contrôle par le vote du traitement, et le chiffre du traitement, et le ministre lui-même.
Aussi, je suis parfaitement d’accord avec M. le ministre de l'ntérieur, que la chambre vote le traitement ; que, parce que la couronne a nommé un ministre, ce n’est pas à dire que la chambre soit tenue de voter le traitement ; la chambre a le droit de contrôle ; mais je maintiens qu’elle n’a que ce droit, et qu’on fait une position peu digne à la couronne, en lui faisant solliciter une autorisation pour nommer un ministre ; elle a ce droit, elle peut l’exercer en vertu de l’initiative que lui attribue la constitution.
M. le ministre de l'ntérieur nous dit : Quel est le membre qui voudrait s’asseoir sur le banc ministériel avant que le traitement ne fût alloué ? Son collègue des travaux publics n’est-il pas venu s’asseoir sur le banc ministériel alors que la création de son ministère nécessitait des dépenses plus fortes que celle qu’on sollicite aujourd’hui ? Alors on était tout à fait dans les règles. On ne peut pas opposer une convenance personnelle à ce qui est régulier et constitutionnel. Je conçois qu’il est plus commode d’avoir un traitement et un budget tout votés, avant de s’asseoir sur les bancs ministériels.
M. le ministre de l'ntérieur vous a dit qu’il peut arriver qu’après qu’on a voté le budget d’une année, le ministère change, et que dès lors on pouvait voté des fonds pour des hommes qu’on ne connaissait pas.
Messieurs, il résulte des paroles du ministre, que la confiance qu’on accorde à un ministère, par le vote d’un budget d’une année, a des inconvénients ; et il conclut qu’il faut voter en aveugle. C’est mal prendre la question.
Je dirai à l’honorable M. Dumortier, que, suivant moi, la chambre a un tiers de souveraineté en fait de législation ; mais pour tous les pouvoirs que la constitution confère à la couronne, non seulement l’exécution des lois, mais le droit de nommer les ministres, de faire les traités, de déclarer la guerre, pour tous les pouvoirs, enfin que la constitution confère à la couronne, la chambre n’a absolument que le contrôle. Vous direz qu’il peut en résulter de grands maux, qu’un ministère peut faire beaucoup de mal et venir dire que le mal est fait. Cela est très vrai, un ministère peut faire beaucoup de mal, nous ne pouvons pas le prévenir.
Nous n’avons qu’un droit de contrôle, tels me paraissaient être les véritables principes du gouvernement représentatif. Si vous les intervertissez, si vous transportez dans les chambres ce qui apparient à la couronne, il n’y a plus de gouvernement, la liberté est compromise, car l’intérêt de la liberté exige l’exécution fidèle de la constitution qui a été aussi loin que possible ; il ne faut pas aller au-delà des limites qu’elle a posées. Respectez le pouvoir royal et respectez aussi notre droit de contrôle sur tous les actes de ce pouvoir.
M. le ministre de l'ntérieur et des affaires étrangères (M. de Theux) – Je ne conçois pas qu’on soutienne que nous venons demander pour le Roi et en son nom l’autorisation de nommer un ministre. Ce n’est pas là ce que nous demandons ; aucune de nos paroles n’a pu autoriser une semblable assertion. Tout ce que nous demandons, c’est l’allocation d’un traitement pour le ministre des affaires étrangères. C’est tellement vrai que, si l’allocation était refusée aujourd’hui même, le Roi pourrait procéder également à la nomination d’un ministre des affaires étrangères ; mais ce serait un ministre sans traitement. Voilà ce que nous avons soutenu et rien d’autre. Nous avons dit que nous avions présenté ainsi la demande de crédit, avant la nomination, par un motif de convenance. Je le répète, c’est en vain qu’on a reproduit l’exemple de ce qui s’est passé en 1837. Lors de la création du ministère des travaux publics, ce ministère était en dissolution ; quand il s’est réformé par suite du remplacement d’un de ses membres, et avec un remaniement des attributions, nous n’avions pas de nouveau traitement à demander. A la rigueur, on aurait pu procéder à la nomination d’un ministre des affaires étrangères avant qu’un traitement fût accordé ; cela pouvait se faire, mais ce sixième ministre ne se fût pas trouvé dans une position convenable.
Quant à ce que j’ai dit du vote annuel du budget, je ne prétends pas le moins du monde qu’on doive restreindre à moins d’une année, le vote de confiance qu’on accorde au ministère, mais j’ai dit que dans d’autres états constitutionnels, en France, par exemple, le budget est voté si longtemps d’avance qu’on peut dire qu’on ignore pour quels ministres on le vote, car les ministères qui durent deux ans ne sont pas si communs.
M. Dubus (aîné) – La question soulevée de la prérogative royale d’une part et de la prérogative de la chambre de l’autre, est d’une autre importance et d’une autre portée que celle à l’occasion de laquelle elle a été soulevée. Il semble qu’il ne soit question que de la nomination d’un ministre ; d’après l’honorable membre, qui a rappelé les articles de la constitution, la question s’étend beaucoup plus loin ; ce n’est pas seulement les ministres dont la nomination appartient au Roi, mais encore tous les employés d’administration générale, des relations extérieures, des officiers de l’armée, sauf les exceptions déterminées par la constitution et les lois. En admettant la doctrine des membres qui ont prétendu qu’il y avait erreur dans l’opinion de leurs adversaires et qu’on ne pouvait l’admettre sous peine de violer la prérogative royale, je vous demande quel sera le rôle de la chambre. Je prends un exemple dans le budget présenté par le ministre des finances. Le ministre a pensé qu’il y avait lieu de renforcer le système des douanes. Il propose une augmentation de dépenses de 200,000 francs environ. Eh bien voilà que le ministre doit être atteint et convaincu d’avoir violé la prérogative royale, car la nomination des employés des douanes appartient à la prérogative royale. Il fallait donc, à peine de violer la prérogative royale, commencer par faire toutes ces nominations, poser irrévocablement le principe de la dépense ; refusez-vous l’allocation, les employés seront sans traitement.
Avec ce commode système, on voudra toujours, quand on jugera une augmentation de dépense utile, préjuger, décider d’avance la question de la dépense ; le droit de contrôle sera illusoire, car nous n’examinerons pas avec pleine liberté d’agir et de décider, nous serons toujours entraînés à voter. Je sais que des personnes croient la chambre trop économe des deniers publics, trouvent qu’elle ne vote pas assez de dépenses.
Je partage une opinion tout à fait contraire. Je crois que le système qu’ont préconisé mes adversaires nous ferait entrer dans une voie diamétralement opposée à celle que nous devons suivre. Je proteste de toutes mes forces contre ce système.
J’entends que la prérogative royale conserve ses droits, et nous les nôtres. Quand le gouvernement propose une augmentation de dépenses, la prérogative royale use de son droit, et nous, quand nous examinons si cette augmentation est nécessaire et que nous ne la trouvons pas entièrement justifiée, et que nous nous opposons à ce que les contribuables supportent ce surcroît de dépense, nous usons de notre prérogative. Les questions se présentent entières. Afin de ménager les deniers du peuple, voilà comment j’entends la prérogative de la chambre et la prérogative royale.
M. Liedts – Je crois être de ceux qui ne dilapident pas les deniers de l’état. Je crois avoir souvent donné des preuves que j’en étais économe. Quant à la doctrine constitutionnelle professée par l’honorable membre, je ne puis l’admettre, je persiste plus que jamais dans celle que j’ai soutenue. Quand on ne peut pas attaquer directement le système des ses adversaires, on en outre les conséquences, c’est ce que vient de faire le député de Tournay. Comment, dit-il, vous permettez au gouvernement de nommer une nouvelle administration des douanes sans avoir demandé les fonds ? Je vais retourner l’argumentation contre lui. Je suppose que la chambre ait décrété qu’il y aura une armée de tant de mille hommes, il ne sera pas libre au Roi de nommer un général, à moins que le budget n’ait dit qu’il y aura tant généraux et que ce nombre soit incomplet. Le Roi, quand il a mis le pied sur le territoire, n’aurait pas pu nommer un ministère, parce que rien ne déterminait quel devait être le nombre des ministres.
Le congrès a mis le remède à côté du mal.
En l’absence d’une loi déterminant le nombre des employés d’administration générale, c’est au pouvoir exécutif à le fixer. Dans l’ordre judiciaire, il ne serait pas trop loisible au gouvernement de porter à 10 le nombre des juges là où il est de huit, parce que en vertu de la constitution, une loi a été portée qui détermine, article 66, quel sera le nombre des membres des cours et tribunaux. Si dans d’autres branches d’administration des abus peuvent être commis par le gouvernement, et qu’on veuille exercer un contrôle, qu’on détermine le nombre d’employés qu’il y aura dans telle administration.
Tant que cette loi n’existe pas, le seul droit de la chambre est de rejeter l’allocation des deniers nécessaires pour payer les employés nommés en dehors des besoins. Voilà la véritable théorie constitutionnelle telle que je la conçois. On ne pourrait pas citer un pays où l’on en use autrement que je viens de le dire. C’est ainsi que les choses se passent en Angleterre, où le parlement est si jaloux de ses droits.
- L’article premier est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à 4 1/2 heures.
Lundi à 11 heures, réunion pour se rendre au Te Deum.