(Moniteur belge du 29 novembre 1838, n°334)
(Président de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à 2 heures.
M B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :
« Le conseil communal de Liége demande l’abrogation de l’arrêté du 17 décembre 1819, qui confie à la direction des provinces les travaux en empierrements, en terrasses et en fascines le long de la Meuse. »
« Le conseil communal de la ville de Verviers demande des modifications à la loi sur les céréales, du 31 juillet 1834, devenues urgentes par la cherté des grains. »
- Renvoyé à la commission des pétitions.
M. de Behr – Comme l’objet de la pétition du conseil communal de Liége se rattache au budget des travaux publics, je demanderai qu’elle soit renvoyée à la section centrale qui sera chargée de l’examen du budget des travaux publics, et en même temps au ministre des travaux publics.
- La proposition est adoptée.
M. A. Rodenbach – Dans la pétition du conseil communal de Verviers on a parlé de la loi sur les céréales, et on y exprime le désir de voir changer la partie de cette loi relative au seigle : dans ce moment le pain est renchéri ; puisque la pétition parle en faveur du pauvre, je demanderai qu’on en fasse un prompt rapport.
M. le président – La pétition est renvoyée à la commission des pétitions, laquelle sera invitée à faire un prompt rapport.
M. le président – Nous en sommes à l’article 2 du projet de loi. Dans une précédente séance vous avez décidé que le droit sur les journaux serait maintenu, sauf les centimes additionnels. Il y a un amendement présenté par M. Doignon sur les annonces.
M. Demonceau, rapporteur – Je désire savoir de M. le ministre des finances, qui a demandé le maintien de la législation existante, si cette disposition s’étendra aux journaux venant de l’étranger. La section centrale a proposé de soumettre les journaux étrangers au même timbre que les journaux belges.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Par la disposition adoptée hier, nous avons maintenu la législation du timbre existante relativement aux journaux indigènes, moins les centimes additionnels ; et comme dans les centimes additionnels se trouvent compris les 6 pour cent pour différence monétaire, il sera nécessaire de supprimer explicitement les 6 pour cent, en faisant à l’article 9, ainsi conçu : « La majoration de 6 p.c. établie par la loi du 30 décembre 1832 pour différence monétaire ne sera plus ajoutée au montant des amendes fixes de contravention aux lois du timbre. » l’addition suivante : « ni les droits dont la quotité est déterminée par la législation en vigueur. »
Ainsi que vient de le faire remarquer M. le rapporteur, l’article 2 doit comprendre une disposition relative aux journaux étrangers. La section centrale propose, comme moi, de traiter ces journaux de même que les journaux belges ; aujourd’hui le droit est double sur les premiers, et il faut rapporter la disposition qui crée cette taxe.
Le timbre obligatoire, pour les annonces, et qui gêne beaucoup les journalistes, serait, selon un amendement de M. Doignon, assimilé au timbre de cinq centimes des affiches ; mais cette disposition ne dispenserait pas les journalistes de faire timbrer les minutes des annonces, ferait subsister leurs embarras et continuerait à les assujettir au contrôle des agents du fisc, ce qui les gêne plus que le droit lui-même puisque celui-ci est soldé par les intéressés. Voulant, autant qu’il m’est convenablement possible, avantager la presse et réaliser les bonnes dispositions que je lui ai témoignées dans tout le cours de cette discussion, je vous propose d’abroger l’article 4 de la loi du 31 mai 1824, qui oblige les journalistes à exiger que les minutes des annonces soient écrites sur papier timbré.
Je ne veux pas toutefois, messieurs, prôner bien haut cette concession par rapport au fisc ; la perte qui en résultera pour lui se sera pas très considérable ; car le timbre des annonces ne s’élève qu’à 20,000 fr. environ ; mais il n’en est pas moins vrai que, pour les journalistes, cette suppression sera un grand bienfait. Les annonces se tripleront, et on sait qu’elles peuvent être une source de grands produits pour les éditeurs de journaux.
Comme conséquence de ce que je viens de dire, je déposerai sur le bureau l’amendement suivant :
« Sont abrogés les articles 4 et 8 de la loi du 31 mai 1824. »
Cette disposition accorde aux journalistes la franchise du timbre pour les minutes d’annonces, et assimile les journaux étrangers aux journaux indigènes, quant au timbre.
M. Dumortier – J’ai demandé la parole pour faire remarquer à l’assemblée qu’hier on a émis un vote extrêmement précipité, et que réellement je n’ai pas bien compris de quoi il s’agissait. En effet, il est résulté de ce vote qu’on voulait faire un dégrèvement aux journaux ; on ne leur a pas donné celui qu’on voulait leur accorder. On n’a dégrevé qu’une seule chose ; et comme les centimes monétaires ne sont pas des centimes additionnels, il s’ensuit que nous avons conservé 6 p.c. pour différence monétaire. Cela prouve combien sont fâcheuses les propositions qui arrivent à la fin des séances. Heureusement que le ministre des finances fait un amendement qui tend à réparer ce que nous avons omis. Il en résulte toujours que nous n’avons pas bien compris ce que nous avons fait hier.
Maintenant, je tiens encore à expliquer à l’assemblée pourquoi dans la section centrale, nous tenions à conserver l’article 2. Des observations sont nécessaires actuellement, parce que nous aurons à faire d’autres propositions au second vote, et nous ne voulons pas qu’on nous dise : Il y a chose jugée.
La section centrale a reconnu qu’il y avait erreur dans l’article 2, qui est une copie de la loi française. Il contient deux bases, et en partant de la première ou de 12 ½ décimètres, il y a réellement irrégularité.
Lorsque nous avons fait la loi dans la section centrale, nous ne nous étions pas aperçus de l’erreur ; c’est au moment où le rapport était déposé et chez l’imprimeur, que le rapporteur nous a fait remarquer l’erreur, et nous lui avons dit : Eh bien, quand on en viendra à la discussion, vous en avertirez la chambre. Je tiens à faire cette rectification, parce que hier on s’est opposé à la demande du rapporteur.
Je la fais pour qu’au second vote on puisse revenir sur cette partie de la loi ; car le dégrèvement que nous avons accordé est insignifiant.
M. Demonceau, rapporteur – J’adhère volontiers aux modifications proposées par le ministre des finances. Je dois cependant faire remarquer que l’abrogation des articles de la loi du 31 mai 1824 a été proposée par la section centrale : il ne faut pas que le ministre puisse dire qu’il est plus libéral envers la presse que la section centrale elle-même ; qu’il marche parallèlement à la route qu’elle suit, cela suffira, car elle demande des choses très avantageuses aux journaux.
Voici, messieurs, le passage du rapport de la section centrale dont j’ai voulu parler :
« La section centrale, supposant que l’intention du gouvernement a sans doute été de soumettre au même droit les affiches manuscrites et les affiches imprimées, propose, pour faire cesser tout doute, la suppression du mot « imprimées », et comme l’augmentation est de peu d’importance, elle adopte le surplus de cet article. Mais elle ne peut se dispenser de saisir cette occasion pour dire un mot d’une disposition aujourd’hui en vigueur, et sur le contenu de laquelle le projet se tait. Nous entendons parler de l’article 4 de la loi du 31 mai 1824, par lequel il est exigé un timbre de dimension (qui sera de 40 centimes au moins pour toutes les minutes d’avis ou d’annonces à insérer dans les journaux, sous peine d’une amende de 5 florins à supporter par l’éditeur indépendamment du droit. Pourquoi exiger que la minute soit sur timbre, lorsque déjà l’éditeur supporte la charge du timbre destiné pour son journal ? Pourquoi (supposé qu’on veuille absolument un timbre) faut-il que ce timbre soit un timbre de dimension fixe à 40 centimes au moins, lorsque l’affiche destinée à être placardée est écrite ou imprimée sur un timbre de 5 centimes ?
« N’arrive-t-il pas le plus souvent que le coût du timbre de la minute de l’annonce est supérieur au prix à payer pour l’insertion ?
« La majorité de la section centrale pense que cette disposition devrait être révoquée, dans l’intérêt des éditeurs des journaux et des contribuables qui usent du moyen de l’annonce pour se faire connaître ou réclamer le plus petit objet perdu ; cependant, elle ne fait aucune proposition, mais elle appelle l’attention du gouvernement et de la chambre sur l’observation qui précède. »
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je ne sais, messieurs, quel peut être le but des observations que vous venez d’entendre ; l’honorable préopinant se plaint d’abord de ce que le ministre des finances ne se laisse pas traîner à la remorque par la section centrale ; ensuite il s’étend longuement sur la circonstance que la section centrale a indiqué la modification que je viens de proposer par la suppression du timbres des minutes d’annonces. J’ignore la conséquence que M. le rapporteur veut tirer de sa remarque ; tout ce que je lui répondrai, c’est que j’adhérerai aux propositions de la section centrale, quand je les jugerai bonnes, et que je les repousserai chaque fois que je croirai celles du gouvernement préférables.
J’ai déjà prouvé, du reste, que cette manière de procéder n’était pas sans utilité. Dans le cas actuel, j’ai trouvé que la réflexion exprimée par la section centrale, appuyée par d’honorables membres, était susceptible de recevoir suite, et j’ai proposé la modification qu’elle s’était bornée à indiquer, alors qu’elle pouvait nous la soumettre elle-même ; il doit donc sembler assez étranger que l’honorable rapporteur ne soit pas satisfait.
Je répondrais maintenant aux observations de l’honorable M. Dumortier relativement au dégrèvement que nous avons opéré et qu’il trouve insuffisant ; mais l’honorable M. Gendebien a fait remarquer avec raison qu’il convient de remettre au second vote toute discussion relative à l’article adopté dans la séance d’hier ; c’est ce que je ferai pour ma part, me réservant de démontrer à la chambre que la réduction opérée hier est beaucoup plus importante qu’elle ne le paraît au premier abord.
Puisque j’ai la parole, je dirai un mot sur un amendement qui n’a pas été retiré par son auteur, et qui, par conséquent, est encore en discussion bien qu’on ne l’ait pas reproduit dans cette séance ; je veux parler de l’amendement de l’honorable M. Rogier qui tend à exempter du timbre toutes les brochures, écrits périodiques ne paraissant pas plus de deux fois par moi. Il existe, messieurs, dans la loi du 9 vendémiaire an VI, une disposition analogue à celle proposée ; elle est conçue comme suit :
« Art. 57. Sont exceptés les ouvrages périodiques relatifs aux sciences et aux arts, ne paraissant qu’une fois par mois et contenant au moins deux feuilles d’impression. »
La première partie de la proposition de M. Rogier qui consiste à permettre aux écrits périodiques quelconques de paraître deux fois par mois au lieu d’une, sans être soumis au timbre, je la considère comme pouvant devenir dangereuse ; en effet, certains petits journaux qui paraissent maintenant assez difficilement une ou deux fois par semaine, pourraient fort bien alors ne paraître que tous les 15 jours et s’exempter ainsi du timbre ; or, messieurs, telle n’est pas l’intention de l’honorable M. Rogier, qui a voulu simplement favoriser la propagation des brochures scientifiques, littéraires et politiques, et ces sortes d’ouvrage ne paraissent en général qu’une fois par mois. La première partie de la proposition de M. Rogier ne leur procurerait aucun avantage.
La seconde partie de la disposition qui tend à permettre aux publications dont il s’agit de s’occuper de politique me parait encore inutile, parce que ces ouvrages ne traitent la politique que d’une manière générale et scientifique, et que dès lors ils se trouvent exemptes du timbre par la disposition citée, qui excepte du timbre les ouvrages périodiques qui sont relatifs au sciences. Ce que je dis est si vrai, que jamais les écrits quue l’honorable M. Rogier a en vue, bien que traitant de politique et même de la politique du jour, n’ont été soumis au timbre, pas plus sous le gouvernement précédent que sous le gouvernement actuel.
J’espèce que ces explications seront de nature à satisfaire l’honorable M. Rogier, et qu’il n’insistera pas davantage pour l’adoption d’un amendement qui pourrait nous entraîner plus loin que nous ne le voudrions, plus loin surtout que ne le voudrait l’auteur de la disposition lui-même.
M. Doignon – Messieurs, j’avais proposé un amendement tendant à opérer une réduction sur le droit des annonces et avis insérés dans les journaux ; aujourd’hui que M. le ministre propose lui-même l’abrogation totale de ce droit, je me rallie bien volontiers à sa proposition, d’autant plus que si je n’en ai pas fait une semblable, c’était uniquement parce que je craignais de na pas la voir adopter.
M. Rogier – J’ai proposé mon amendement, messieurs, parce que l’article 2 était conçu en termes tellement généraux, qu’on aurait pu croire qu’il abrogerait l’article de la loi de vendémiaire, dont M. le ministre des finances vient de nous donner lecture. De plus, cet article ne concerne que les écrits périodiques relatifs aux sciences et aux arts, si maintenant on veut considérer comme articles scientifiques ceux qui traitent de la politique journalière actuelle, si l’on entend que les publications mensuelles qui contiennent de semblables articles doivent être comprises dans l’exception établie par la loi de vendémiaire, alors mon amendement sera, en effet, inutile.
Dans tous les cas, je crois qu’il faut autant que possible encourager le développement de la presse grave, sérieuse, qui traite les questions avec l’étendue convenable. Ce qu’il y a de plus respectable dans la presse anglaise, c’est sans contredit la partie politique des publications dont il s’agit dans ce moment ; des ouvrages tels que la Revue d’Edimbourg, le Quarterly Review, méritent certainement d’être encouragés. En France, il se publie des écrits du même genre, qui s’occupent aussi de politique et où des députés très distingués déposent leurs pensées. Il serait vraiment contraire à tout l’esprit de la législation d’astreindre de semblables publications au droit du timbre.
Ne pourrait-on pas reproduire dans la loi qui nous occupe l’article de la loi de vendémiaire concernant ces sortes d’écrits, en supprimant les mots : « relatifs aux sciences et aux arts » ? Alors il serait évident qu’ils auraient le droit de s’occuper de politique sans être astreint au timbre.
Je ne sais s’il paraît aujourd’hui en Belgique des journaux de cette espèce, qui traitent de la politique…
Une voix – La Revue de Bruxelles.
M. Rogier – Je n’ai pas vu que la Revue de Bruxelles traitât des questions de politique journalière ; or, je voudrais que ces écrits pussent aller jusqu’à discuter les actes du ministère, les actes des chambres, comme cela se fait en France et en Angleterre.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, les écrits dont vient de parler l’honorable M. Rogier, rentrent évidemment dans les termes de l’article 57 de la loi de vendémiaire, car ces écrits ne donnent pas des nouvelles quotidiennes ; s’ils parlent des nouvelles du moment, ce n’est jamais que lorsqu’elles ont déjà été annoncées par les journaux quotidiens, et pour y appliquer des réflexions générales ; s’ils s’occupent des actes du gouvernement, c’est pour y appliquer les raisons de la science politique, et dès-lors ils doivent être considérés comme relatifs aux sciences ». Aussi, comme je l’ai déjà dit, ils n’ont jamais été sujets au timbre, même sous le gouvernement précédent ; jamais l’administration n’a eu la prétention de les y soumettre.
Je crois donc qu’il existe des garanties complètement suffisantes en faveur de la publication des ouvrages auxquels l’honorable M. Rogier s’intéresse avec raison, et qu’ils ne seront jamais astreints au timbre ; cela est, du reste, évident d’après la manière dont la loi s’exécute depuis 20 ans.
M. Demonceau, rapporteur – Il est tout-à-fait exact, messieurs, que la législation actuelle a toujours été interprétée comme le dit M. le ministre des finances, et que les écrits dont il s’agit sont exempts du timbre ; eh bien, nous proposons de maintenir cette législation par l’article 18 qui porte :
« Toutes les dispositions des lois existantes sur le timbre, en tant qu’il n’y est pas dérogé par la présente, continueront à recevoir leur exécution. »
Ainsi, messieurs, par l’adoption de cet article (adoption qui ne souffre, je pense, aucun doute), l’exemption dont les publications desquelles l’honorable M. Rogier a parlé, ont joui jusqu’ici, cette exemption sera formellement maintenue.
M. Rogier – Messieurs, après la déclaration que M. le ministre des finances vient de faire, savoir que l’article 57 de la loi de vendémiaire n’est pas appliquée aux revues périodiques qui s’occupent de politique, je n’insiste pas pour l’adoption de mon amendement. Au reste, j’y réfléchirai d’ici au second vote.
M. le président – Voici comment l’article 2 serait conçu, d’après la proposition de M. le ministre des finances :
« Sont abrogés les articles 4 et 8 de la loi du 31 mai 1824. »
M. Verhaegen – Messieurs, nous avons voulu faire acte de justice à l’égard de la presse nationale, qui a rendu des services éminents à la Belgique ; nous avons cru atteindre ce but ; peut-être nous sommes-nous trompés, et reviendrons-nous à d’autres dispositions, lors du second vote.
Tout en parlant de la presse belge, il importe aussi de dire un mot de la presse étrangère. La presse étrangère, messieurs, a rendu aussi de grands services à la cause belge, et rend encore tous les jours d’éminents services à cette cause ; et dans des circonstances toutes récentes nous avons vu quelles étaient les sympathies des journaux étrangers, et surtout des journaux français, à l’égard de la Belgique.
On propose d’abroger l’article 8 de la loi du 31 mai 1824, et de frapper les journaux étrangers du même timbre dont les journaux indigènes sont frappés chez nous.
On a été amené à cette abrogation par des considérations de justice ; mais il me semble qu’une autre considération devrait nous guider encore ; c’est celle qui est basée sur un système de réciprocité. Croirait-on, par exemple, qu’il serait juste que les journaux venant de pays où les nôtres ne paient pas un nouveau droit de timbre, en payassent un double en Belgique ? En France, messieurs, les journaux belges ne paient aucun droit de timbre.
Messieurs, lors de la discussion de la loi sur les douanés, alors qu’il s’agissait de soutenir le système de réciprocité, j’ai dit mon opinion sur la question des représailles. Aujourd’hui qu’il s’agit de charges, il faut user de représailles à l’égard des pays qui frappent nos produits, il faut aussi, pour être juste, user de réciprocité, lorsqu’il s’agit de faveurs.
Ainsi, lorsque nous ne sommes pas frappés d’un droit quelconque relativement aux journaux venant de la Belgique, et qui s’introduisent en pays étranger, est-il juste, est-il politique surtout, dans les circonstances actuelles, de frapper les journaux étrangers d’un nouveau droit en Belgique ?
Messieurs, j’ai balancé longtemps avant de vous faire ma proposition ; je m’étais fait plusieurs objections ; j’ai consulté plusieurs de mes collègues ; j’ai même soumis la question à quelques journalistes du pays ; c’est, messieurs, qu’après y avoir bien réfléchi, après m’être entouré de toutes les lumières possibles, que je me suis décidé enfin à présenter une ajoute à l’article 2. cette disposition additionnelle serait ainsi conçue :
« Toutefois, ne sont pas soumis au droit de timbre les journaux, gazettes, papiers-nouvelles, ouvrages périodiques, prix-courants, affiches, annonces et avis, venant de pays où les impressions belges de même nature sont admises et reçues sans être assujetties au droit d’un nouveau timbre. »
Vous voyez, messieurs, que je ne désigne aucun pays ; je demande seulement à poser un principe, à savoir qu’il y ait en cette matière réciprocité d’avantages. La réciprocité des avantages présente-t-elle des inconvénients ? Quant à moi, je ne le pense pas. Offrir des avantages à ceux qui nous en offrent, ne peut, à mon avis, présenter aucun inconvénient ; frapper d’un droit ceux qui ne nous frappent pas, c’est engager ceux qui ne nous frappent pas dans ce moment à nous frapper par la suite. Si , aujourd’hui, les journaux belges peuvent circuler librement en France et en d’autres pays, sans être assujettis à un nouveau droit de timbre, pourquoi donc les journaux français et autres ne pourraient-ils pas circuler librement en Belgique ? S’il est vrai que l’on désire une union intime entre tous les peuples ; s’il est vrai, comme on l’a dit, que les chemins de fer sont destinés à amener tôt ou tard une langue universelle, pourquoi la circulation des journaux de tous les pays, ne serait-elle pas destinée à communiquer les sympathies respectives des peuples et à opérer, par suite de cette circulation, le bien général ?
Il me semble, messieurs, que de ma proposition ne peut résulter qu’un bien universel ; qu’elle ne peut entraîner aucun inconvénient. Le seul inconvénient qu’on aurait pu reprocher à cette disposition est peut-être que les journaux indigènes auraient en à redouter la concurrence. C’est cette considération qui m’avait longtemps arrêté ; mais après y avoir réfléchi, j’ai reconnu que cette crainte n’a aucun fondement. Quelques-uns des intéressés (je ne dis pas tous, car je n’ai pas eu le temps de les consulter tous) m’ont donné par écrit leur opinion sur ma proposition et ils n’y trouvent aucun inconvénient. J’augure assez bien des journalistes belges pour croire qu’ils seront toujours à la hauteur de leur position. On a voulu faire des dispositions qui eussent pour résultat de forcer les petits journaux à se faire grands ; eh bien, il n’y a pas de mal à ce qu’il ait des dispositions grâce auxquelles les journaux, quels qu’ils soient, devront faire tout ce qui est en leur pouvoir pour se maintenir à la hauteur de leur mission. Je ne pense pas que nos journaux nationaux aient à craindre et craignent la concurrence des journaux français ; nous avons en Belgique tout ce que l’on peut trouver ailleurs.
Le prix des abonnements aux journaux dans les deux pays est une première réponse à ceux qui redouteraient pour nos journaux la concurrence des journaux français. Les journaux français, à quelques exceptions près, sont beaucoup plus chers que les journaux belges. Il y a d’ailleurs des frais de poste à payer, en ce qui concerne les journaux français. Indépendamment de cela, quand ces journaux arrivent en Belgique, quelquefois on les décalque. Ainsi ces journaux ont de grands désavantages, comparativement aux journaux indigènes. Finalement, nos journaux s’occupent presqu’exclusivement des affaires du pays, et sous ce rapport, il n’y a pas de doute qu’ils obtiennent la préférence sur les journaux étrangers. Ainsi, nos journaux belges n’ont nullement à craindre la concurrence des journaux étrangers.
Si donc mon amendement ne présente aucun inconvénient ; si cette disposition ne peut opérer que le bien général, elle peut être considérée comme étant d’un intérêt politique dans les circonstances où nous nous trouvons.
Par mon amendement, nous ne recevrons en Belgique que les journaux des pays où d’abord les journaux belges sont admis, et où ensuite ils sont admis sans être assujettis à un nouveau droit de timbre.
En un mot, je veux établir une réciprocité complète d’avantages ; et sous ce point de vue je ne puis que me réferer à l’opinion que j’ai précédemment développée quand il s’est agi de la réciprocité des charges. La justice exige que si d’une part l’on admet le système des représailles, quand il s’agit de charges, l’on admette d’autre part le système de la réciprocité, quand il s’agit d’avantages.
Ces motifs me paraissent de nature à engager la chambre à prendre mon amendement en sérieuse considération, voire même à y donner son assentiment.
- L’amendement de M. Verhaegen est appuyé.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, je viens m’opposer à l’amendement de l’honorable M. Verhaegen. Il me semble qu’en réduisant le droit au taux que nous proposons pour les journaux étrangers, nous leur accordons plus qu’ils ne pouvaient raisonnablement espérer. En effet, le droit dont, sous l’empire de la législation actuelle, les journaux étrangers sont frappés en Belgique est double de celui qui pèse aujourd’hui sur les journaux belges. Or, par suite du dégrèvement que nous proposons, les journaux français de certaines dimensions ne paieront plus, par exemple, que six centimes, dans le cas où ils paient aujourd’hui 15 centimes. Je vous le demande, messieurs, n’est-ce pas là un avantage considérable ?
L’honorable préopinant propose son amendement comme base d’un système de réciprocité. Il vous a dit que les journaux des pays où les journaux belges ne sont pas soumis à un doit de timbre, doivent entrer sans timbre en Belgique. L’honorable membre aurait mieux fait de proposer la suppression pure et simple de tout droit de timbre sur les journaux étrangers ; car tout le monde sais que, dans les pays qui nous avoisinent, il n’existe pas de droit de timbre sur les journaux belges. Ainsi, l’expression de réciprocité, dont on a parlé, serait inutile, et il serait mieux de déclarer tout de suite que nous faisons cadeau de tout le droit existant sur les journaux étrangers.
Mais, messieurs, cette réciprocité dont on vous entretient serait illusoire, car nos journaux ne vont pas en pays étranger, ou s’ils y entrent, c’est en si petit nombre qu’on peut considérer cela comme une exception insignifiante, tandis que les journaux étranger arrivent en assez grand nombre en Belgique.
On a dit que le prix de l’abonnement en France était, pour la presse nationale, une garantie contre la concurrence. Eh bien, c’est le contraire ; car, des journaux de Paris, plusieurs coûtent moins que les nôtres. Le prix d’abonnement de la Presse et du Siècle est de 40 fr. Etablissez, en supposant la suppression du droit sur ces journaux, leur prix de revient avec le port, ou plutôt supputez ce prix en supposant même le droit en Belgique sur les journaux étrangers égal au droit sur nos journaux, et vous verrez que, malgré ce timbre et le droit de transport par la poste, l’avantage sera presqu’en encore pour ces journaux étrangers.
Il faut se garder, messieurs, d’admettre ces sortes de réciprocités qui n’existeraient qu’en théorie, ce qui dans le cas présent, dénoterait de notre part peu de souci de la presse nationale ; presse nationale, messieurs, qu’il nous importe de soutenir et de développer ; à laquelle il est si nécessaire d’assurer des éléments de vie, et qu’il ne faut par conséquent point livrer aux chances d’une concurrence étrangère trop facile. Les motifs de la nécessité d’avoir une presse vraiment nationale n’ont pas besoin d’être développés, ils sont compris, et la chambre évitera soigneusement, j’en ai la certitude, d’admettre aucune mesure législative qui puisse offrir des dangers à cet égard. L’amendement de M. Verhaegen ne me paraît donc avoir aucune chance de succès, combattu seulement par les considérations sommaires que je viens d’exposer.
M. Pollénus – Je vais présenter quelques réflexions à l’appui de l’amendement de M. Verhaegen. Il me semble que, dans cette chambre, une proposition de la nature de celle dont il s’agit, doit être accueillie favorablement, surtout quand on se rappelle que depuis quelque temps la presse étrangère a rendu d’immenses services à la cause de la Belgique. Ceci est incontestable ; si, en présence de la proposition faite par M. Verhaegen tendant à établir une parfaite réciprocité pour les journaux étrangers, vous refusez à ces journaux les avantages que les pays d’où ils viennent offrent aux journaux belges, ne devez-vous pas craindre que les bonnes dispositions que nous ont montrées les journaux étrangers ne changent ? N’avons-nous pas intérêt à engager les journaux étrangers à s’occuper de nos institutions ? Combien de fois nos institutions n’ont-elles pas été calomniées parce qu’on ne les connaissait pas ! Nous avons donc intérêt à engager les journaux étranger à s’occuper de nos affaires.
Mais, dit-on, cette réciprocité que vous voulez établir n’amènera aucun résultat, parce que les journaux belges ne vont pas à l’étranger. C’est une erreur.
Donnez aux journaux étrangers l’espoir de voir augmenter le nombre de leurs abonnés dans notre pays, ce sera le moyen de les engager à s’occuper de nos affaires et à défendre nos intérêts.
Je n’ai pas entendu que le gouvernement ait signalé que le produit du timbre sur les journaux étrangers soit bien considérable. Je suis tenté de croire que ce ne serait pas un grand sacrifice pour le trésor, que d’établir la réciprocité que propose M. Verhaegen.
Je le répète, il est une considération qui me domine, c’est qu’il serait impolitique de repousser la proposition de M. Verhaegen, parce que les bonnes dispositions de la presse étrangère, pour nous, pourraient changer à notre détriment, et dans les circonstances où nous nous trouvons, il est de l’intérêt de la Belgique d’augmenter autant que possible le nombre de ses défenseurs.
M. F. de Mérode – En principe, j’adopte les idées que vient d’exprimer M. Pollénus, nous devons multiplier nos rapports avec ceux qui sont disposés à nous soutenir. Si la presse belge se trouvait dans la même position que la presse française, j’adopterais la proposition qui vous est faite ; mais nous n’avons en Belgique qu’une population de 4 millions d’habitants, nos journaux de grand format ont beaucoup de peine à se soutenir parce que le champ d’exploitation est étroit. Les journaux de Paris ont 10 ou 12 mille abonnés, il leur serait plus facile de donner leurs abonnements à bon compte que nous.
Si nous ne donnons aucune protection à nos journaux sur ceux de Paris, il leur sera impossible de soutenir la concurrence. Rien de mieux que la réciprocité, mais il ne faut pas qu’elle soit ruineuse d’une part et avantageuse de l’autre. La proposition de M. le ministre des finances assure un grand avantage aux journaux étrangers ; je suis disposé à l’admettre parce que je trouve inutile de les frapper d’un timbre plus fort que les journaux du pays ; mais si on leur fait payer le même timbre, on ne peut pas se plaindre.
La position particulière dans laquelle se trouvent nos journaux exige le maintien de cette disposition.
M. Demonceau, rapporteur – Je trouve qu’il y a justice à mettre les journaux étrangers sur la même ligne que les journaux du pays ; mais je ne sais pas si on doit aller aussi loin que le propose M. Verhaegen. Nous imposons les journaux du pays ; si nous accordons ensuite une entrée libre aux journaux étrangers, ce sera une singulière protection pour nos journaux ; nous leur ferons payer un droit de timbre quand nous ne le faisons pas pour les journaux étrangers. Je ne comprends pas l’avantage que la presse belge pourrait tirer de ce système.
Voyez l’avantage qu’aurait la presse étrangère ; si elle n’avait à supporter qu’un droit de poste, on pourrait aller imprimer les journaux à la frontière et frauder votre droit de timbre.
Je sais que l’on peut m’objecter qu’en France il faut faire timbrer le papier, à moins d’imprimer en fraude, ce qui diminue la force de mon argument.
Mais, comme a dit M. le ministre des finances, il y a en France des journaux dont le prix d’abonnement n’est que de 40 francs, et dont le format est plus grand que celui de nos journaux de 60 fr. ; il est évident que ces derniers ne pourraient pas soutenir la concurrence.
Je sais que nos journaux puisent dans les journaux étrangers des renseignements utiles ; si on pouvait exempter du timbre ceux qu’ils reçoivent en échange, on ferait chose avantageuse pour la presse belge, mais je ne crois pas qu’il puisse lui être indifférent de voir exempter de tout droit les journaux venant de l’étranger.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, j’ai fait remarquer que nous faisions la part assez large aux journaux étrangers et je me suis appuyé sur des chiffres. Il suffit de se reporter au tableau joint au projet de loi, pour voir que le Journal des Débats, par exemple, qui paie aujourd’hui 19 centimes, n’en paiera plus que 7. Je vous demande si cela est insuffisant.
Tout-à-l’heure, répondant à M. Verhaegen, j’ai fait voir que les journaux de Paris pourraient se placer à Bruxelles à un prix moins élever que les journaux belges. Cette simple considération suffit pour faire apprécier l’immense portée de l’amendement. Mais ne pourrait-il point s’établir sur les frontières, à Lille, par exemple, un journal qui aurait sa clientèle dans les deux pays, qui serait ainsi écrit par des Belges qui se transporteraient là ou à Valenciennes, et qui pourraient abaisser le prix d’abonnement beaucoup au-dessous des prix des journaux de Bruxelles ?
La proposition qui peut amener de semblables résultats est inadmissible. Il était utile que les journalistes belges pussent recevoir les journaux étrangers à un prix modéré. Nous avons pourvu à ce besoin en réduisant de 2/3 le timbre dont ces journaux étaient frappés. Allez plus loin, supprimer le droit entier, la concurrence étrangère serait nuisible à la presse belge, dont le champ d’exploitation est infiniment plus restreint que celui des journaux français que nous aurions particulièrement à craindre.
M. Gendebien – Le fisc est désintéressé dans cette question. Le ministre des finances n’a pas invoqué les intérêts du fisc ; c’est qu’en effet ils ne sont nullement en jeu ici. Il n’y a donc en présence que les intérêts des journaux belges, qu’on craint de voir sacrifier à la concurrence des journaux étrangers. Or, je vous prie de remarquer que lorsque j’ai proposé, il y a deux ans, de mettre le timbre des journaux étrangers au même taux que celui des journaux belges, c’étaient deux journalistes qui m’avaient engagé à en faire la proposition. Quand ils m’ont fait cette demande, elle m’a étonné, je dois l’avouer, comme l’amendement de M. Verhaegen paraît vous surprendre. Je leur dis : « Avez-vous un intérêt à ce qu’il soit apporté une diminution au droit de timbre des journaux étrangers qui feront plus facilement concurrence avec les journaux belges ? » Ils me répondirent : « Si vous voyiez la quantité de ports et de timbres que les journalistes sont obligés de payer pour leur correspondance avec les journaux étrangers, vous en seriez effrayé. Les journalistes belges, me dirent-ils, reçoivent plus de journaux étrangers à eux seuls que tout le reste des lecteurs belges. » C’est donc dans l’intérêt des journaux belges qu’il faut supprimer le timbre des journaux étrangers.
Un autre motif, c’est qu’il faut éviter que l’étranger établisse par réciprocité, un impôt de timbre sur nos journaux. S’il est vrai que nos journaux circulent peu à l’étranger, il est certain qu’ils circuleront encore moins, si on leur fait payer un droit de timbre.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Mais nous diminuons le droit de timbre sur les journaux étrangers.
M. Gendebien – Très bien ; mais on vous demande la réciprocité ; on vous dit, pour les pays qui ne font rien payer, pourquoi faites-vous payer ? ne craignez-vous pas les représailles ?
On vous a fait une objection qui s’évanouira devant une simple observation. Je puis, a-t-on dit, établir une imprimerie à Lille, y imprimer des journaux et les transporter en fraude en Belgique.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Pas en fraude ; légalement.
M. Gendebien – Légalement, soit. Mais songez qu’en France on n’imprime les journaux que sur du papier timbré préalablement. On ne s’exposera pas à payer de grosses amendes (car ces amendes sont très fortes) pour imprimer sur papier non timbré des journaux destinés à la Belgique, et d’autant plus que les journaux ne peuvent circuler en Belgique qu’avec un timbre.
Veuillez d’ailleurs bien le remarquer, l’amendement de l’honorable M. Verhaegen dit qu’on ne paiera pas un droit de timbre nouveau : ce qui suppose nécessairement l’existence d’un timbre étranger. Supprimez dont le droit sur les journaux déjà timbrés ; il restera, à la vérité, une fraude possible de la part des pays où les journaux ne sont pas timbrés ; mais ceux-là sont rares ; il n’y a guère que les Etats-Unis et la Suisse dans cette catégorie. Mais est-ce que les journaux des Etats-Unis écrits en langue anglaise, trouveraient beaucoup de lecteurs en Belgique ? Il en est de même pour les journaux suisses qui sont pour la plupart écrits en allemand. Je n’ai pas de relations dans ce pays ; mais, sauf les journaux de Genève, je ne sache pas qu’il y en ait d’écrits en d’autres langue qu’en allemand.
On s’épouvante à tort de la concurrence que les journaux étrangers peuvent faire aux journaux belges. On a dit qu’il y a en France des journaux à 40 francs. Remarquez que cela est le prix de Paris, et que pour la Belgique, il faut ajouter les frais de port. Ensuite ces journaux sont en petit nombre ; ce sont des feuilles qui s’impriment aux dépens de la liste civile ou plutôt aux dépens du budget de la police.
M. F. de Mérode – Et le Siècle ?
M. Gendebien – Je sais que le Siècle est dans une autre catégorie ; mais je ne conçois pas comment M. de Mérode craint de voir le Siècle répandu en Belgique.
M. F. de Mérode – Je ne le crains pas.
M. Gendebien – Dans son opinion, je désirerais voir le journal le Siècle répandu dans toute la Belgique.
En définitive, messieurs, nous sommes tous d’accord sur un pont, c’est que le fisc est désintéressé dans la question. Nous devrions être également d’accord sur l’autre point ; car si les journalistes étaient admis à s’expliquer devant vous, il vous diraient qu’une de leurs plus lourdes charges ce sont les frais de port et de timbre des journaux étrangers qu’ils reçoivent.
On s’est apitoyé sur la concurrence que les journaux français pourraient faire aux journaux belges ; mais chose singulière, pour les produits de France, dont les similaires sont prohibés en France, on a ouvert toutes les barrières belges, il n’y a pas longtemps de cela ; il n’y a guère que six mois. Pour les cristaux, pour les draps et autres produits français, dont les similaires de fabricat belge sont prohibés en France, on a levé la prohibition en Belgique. Je vous demande si c’est là un système conséquent de la part du gouvernement et de la part de ceux qui redoutent l’effet de la réciprocité du droit sur les journaux.
Dans un pays comme le nôtre, nous n’avons qu’un vœu à former, c’est qu’il y ait réciprocité complète, et sous tous les rapports, tant pour les intérêts industriels que pour les intérêts intellectuels. Nous ne pouvons qu’y gagner.
Je suis convaincu que pas un journal libéral ne se plaindra de me voir soutenir l’amendement de M. Verhaegen et que tous seraient satisfaits si la chambre l’adoptait.
M. Verhaegen – Ce que l’honorable M. Gendebien vient de dire est d’autant plus vrai que ceux des journaux que j’ai consultés sur cette question, m’ont répondu qu’ils trouvaient ma proposition très favorable à la presse belge et complètement conforme à la loyauté.
Ce que nous demandons, messieurs, n’est qu’un acte de justice à l’égard de la presse étrangère qui nous traite de la même manière.
Dans une autre discussion, toujours d’accord avec le système que je vous ai développé, j’ai demandé que les charges fussent réciproques, et je n’ai pas réussi. Aujourd’hui, je demande que les avantages soient réciproques, et l’on me repousse de nouveau ; mais, de la part de ceux qui me repoussent, il y a contradiction, tandis que chez moi, il y a unité d’opinion ; je demande qu’on traite les autres de la même manière qu’on nous traite nous-mêmes. C’est un principe d’équité qui doit, il me semble, servir de base à toute disposition législative.
Mais, dit le ministre des finances, nous avons fait beaucoup pour la presse étrangère ; nous avons même déjà fait trop.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je n’ai pas dit cela.
M. Verhaegen – A propos de la réduction du droit de timbre des journaux étrangers de 19 à 7 centimes, vous avez dit que nous avons déjà beaucoup fait ; je croyais que vous aviez ajouté que nous avions trop fait.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je ne puis trouver la réduction trop forte puisque c’est moi-même qui l’ai proposée.
M. Verhaegen – Quoi qu’il en soit, il faut se reporter aux motifs de l’arrêté de 1824. Pourquoi le gouvernement hollandais frappait-il d’un droit double les journaux étrangers ? c’était en haine de la France. Le gouvernement hollandais ne voulait pas des journaux français ; il savait quelle devait être leur influence, et il les frappait d’un droit inique, d’un droit exorbitant. Aujourd’hui, que veut-on ? faire justice. Pour cela il faut faire disparaître la disposition inique. Réduire de moitié les effets de cette disposition, ce n’est pas faire justice. Il n’y aura justice que quand vous traiterez les journaux étrangers comme les étrangers traitent nos journaux. L’honorable ministre des finances vous a dit tout-à-l’heure que ma proposition doit avoir pour résultat qu’aucun journal étranger ne paiera plus des droits de timbre, puisque dans tous les pays qui nous avoisinent, les journaux belges étant dispensés du droit de timbre, les journaux de ces pays seront également dispensés du droit de timbre en Belgique. Mais je puis rétorquer cet argument contre lui ; car, s’il est vrai que les journaux déjà timbrés dans un pays ne paient pas à l’étranger de nouveaux droits de timbre, c’est donc nous seuls qui soumettons les journaux étrangers à un droit exorbitant, contraire à tous les principes. Notre système est contraire aux principes de la matière qui forment le droit commun de toute l’Europe.
En dernière analyse que demandé-je par ma proposition ? Qu’on suive un principe d’équité et de justice. « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse à vous-même. » Voilà le principe qui doit nous régir. Voulez-vous que nos journaux soient frappés d’un droit de timbre à l’étranger ? Non, sans doute ; dès lors ne frappez pas d’un tel droit les journaux étrangers. C’est là un principe d’éternelle vérité qui doit nous guider non seulement dans nos relations intérieures, mais encore dans toutes nos relations quelles qu’elles soient et de quelque manière qu’on veuille les envisager.
M. Dubus (aîné) – Je n’adopterai pas la proposition de l’honorable M. Verhaegen. Je crois, en me prononçant ainsi, être d’accord avec le principe d’éternelle vérité, pour me servir de son expression ; car ne pas traiter la presse étrangère plus favorablement que la presse nationale, est un principe qui fait sur moi l’effet d’un principe d’éternelle vérité. On s’écarte donc de ce principe en adoptant l’amendement du préopinant. On prétend qu’il n’en résulte pas de désavantage pour la presse nationale ; cette question est du moins controversée entre les partisans de l’amendement.
Car si, d’une part, deux honorables membres viennent vous dire que les journalistes belges eux-mêmes demandent l’adoption de la proposition qui est faite, ce qui est au moins douteux pour moi, puisqu’il me vient de très bonne source qu’il y a des journalistes qui s’y opposent ; d’une autre part, l’honorable M. Pollénus voudrait faciliter aux journalistes étrangers les moyens d’augmenter chez nous leurs abonnés à cause des services qu’ils nous ont rendus et qu’ils peuvent nous rendre encore : M. Pollénus a donc l’opinion que cet amendement favoriserait la circulation des journaux étrangers au détriment des indigènes. Il est impossible que le nombre des abonnés des journaux étrangers s’accroisse sans que celui des journaux belges vienne à diminuer.
Il ne faut pas croire que les journalistes belges soient les seuls qui, dans le pays, reçoivent des journaux étrangers. D’ailleurs, pour être vrais, nous faisons tout ce que nous pouvons faire lorsque nous réduisons le droit sur les journaux étrangers au taux où nous réduisons le droit pour nos propres journaux.
Je viens de faire le calcul des avantages qui en résulteront pour les journaux étrangers. On vous a cité un journal qui est maintenant frappé d’un droit de 19 centimes, et on vous dit que, par l’effet de l’adoption de la proposition du gouvernement, le droit sera réduit à 7 centimes ; voilà par conséquent un dégrèvement de 63 p.c. (Erratum, Moniteur du 29 novembre 1838 :) Hier, vous avez prononcé sur diverses propositions faites en faveur de la presse nationale ; une proposition de M. Gendebien aurait accordé aux journaux belges une réduction de 66 p.c. sur le timbre, et vous l’avez rejetée. La proposition de M. Rodenbach et la mienne leur auraient valu une réduction de 50 p.c. et vous les avez encore rejetées. Vous n’avez admis, pour les journaux belges, qu’un dégrèvement de 25 p.c. :et maintenant que le gouvernement propose, en faveur des journaux étrangers, un dégrèvement de 63 p.c., on veut que vous décidiez que, pour ces journaux-là, ce n’est pas assez et qu’il faut une abrogation de tout droit de timbre !
On se borne, dit-on, à faire disparaitre une iniquité choquante ; en principe, il n’y a pas d’iniquité à traiter plus favorablement l’industrie belge que l’industrie étrangère ; mais disposer de tout impôt la presse étrangère, alors que vous frappez d’un impôt la presse nationale, c’est en cela qu’il y aurait iniquité.
M. Gendebien – Pas plus que M. Dubus, je ne veux traiter la presse étrangère plus favorablement que la presse belge, pas plus que nos voisins qui n’imposent point un droit de timbre sur nos journaux, ne veulent favoriser notre presse au détriment de leurs journaux. Tous nos voisins, ainsi que l’a dit le ministre des finances, ne perçoivent aucun droit sur les journaux belges. Nous nous remettons donc dans le droit commun par l’amendement, et voilà tout.
Je prie M. Dubus de remarquer que son argument peut-être rétorqué contre lui au grand détriment de notre presse. Si un jour les pays qui nous avoisinent suivent l’argument de M. Dubus, ils imposeront nos journaux ; ils diront : Nous ne voulons pas favoriser les journaux étrangers plus que les nôtres ; nous devons au contraire une protection à nos journaux. Dès qu’une fois ils seront entrés dans cette carrière, ils doubleront peut-être l’impôt du timbre sur les journaux belges. Vous voyez que par des idées aussi étroites, on arrive à des conséquences funestes à l’objet même qu’on prétend protéger.
Si nous demandons d’abolir le timbre sur les journaux étrangers, alors que les étrangers nous imposent des droits, on aurait trouver cela exorbitant. C’est aussi ce que nous disions quand on nous proposait d’admettre les marchandises de France, quand la France prohibe les produits similaires de la Belgique. Alors les reproches, adressés aujourd’hui à l’amendement de M. Verhaegen, étaient fondés ; et M. Dubus, qui combattait en ce temps-là avec nous le système du ministre et qui plaidait en faveur de la réciprocité, n’en veut plus aujourd’hui : étrange contradiction !
A moins de vouloir, pour se singulariser, prendre une position anormale, presque ridicule ; car lorsqu’on est seul dans le monde à soutenir un système, on est bien près du ridicule ; à moins de se livrer volontairement au ridicule, il faut adopter l’amendement de M. Verhaegen.
J’espère que vous ferez en Belgique ce qu’on a fait partout, ce que font les autres peuples qui nous environnent, gouvernés, les uns par des constitutions, les autres par le pouvoir absolu ; vous ne serez pas moins libéraux envers les journaux étrangers que le pouvoir absolu ne l’est pour les journaux belges.
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je tiens à faire une observation que je considère comme importante. Il semblerait, d’après ce que vous venez d’entendre, que l’étranger serait autorisé en bonne justice à trouver fort mauvaise la disposition que nous voulons admettre, et à frapper d’un droit de timbre les quelques journaux belges qui vont chez lui ; mais si l’étranger se conduisait ainsi, il serait souverainement injuste ; car, ainsi que l’a dit M. Dubus, nous réduisons de 63 p.c. l’impôt sur les journaux étrangers ; nos voisins doivent donc applaudir à la mesure toute libérale que nous allons prendre ; et je ne crois pas qu’ils puissent imposer notre presse sans commettre une grande iniquité.
On craint que la Belgique ne se singularise ; mais la législation existe ; nous ne faisons que l’amender ; la réciprocité ne saurait d’ailleurs exister ; il faut voir ici les choses en fait. Les journaux français entrent chez nous en assez grand nombre, et les journaux belges vont peu en France ; cela ne changera pas, parce que cet état de choses résulte de la consistance des pays ; ce serait donc devenir dupe d’un excès de libéralité que de faire ici de la réciprocité qui, au fond, n’en serait pas.
- La proposition de M. Verhaegen mise aux voix est rejetée.
L’amendement de M. le ministre des finances est adopté.
« Art. 3 (présenté par la section centrale et admis par le ministre.) Le droit des passeports et permis de ports d’armes de chasse est fixé comme suit :
« Pour les passeports à l’intérieur : fr. 2
« Pour les passeports à l’étranger : fr. 8
« Pour les permis de ports d’armes de chasse : fr. 30. »
- Adopté sans discussion.
« Art. 4 (présenté par la section centrale et admis par le ministre). Le droit de timbre des affiches est porté :
« Pour la feuille de 15 décimètres carrés de superficie et au-dessous : fr. 0 05
« Pour les feuilles d’une superficie supérieure à 15 décimètres, il sera payé en sus 1 centime par chaque 5 décimètres carrés complets. »
- Adopté.
Proposition du gouvernement
« Art. 5. Le droit de timbre des annonces et avis imprimés non destinés être affichés, sera :
« Pour la feuille de 30 décimètres carrés de superficie et au-dessus, de fr. 0 08
« Pour la demi-feuille, de fr. 0 04
« Pour le quart de feuille, de fr. 0 02
« Pour le demi-quart, cartes et autres de plus petite dimension, de fr. 0 01. »
Proposition de la section centrale
« Art. 5. Le droit de timbre des annonces et avis imprimés non destinés à être affichés, sera :
« Pour la feuille de 30 décimètres carrés de superficie et au-dessus, de fr. 0 08
« Pour la demi-feuille, de fr. 0 04
« Pour le quart de feuille, de fr. 0 02
« Pour le demi-quart, cartes et autres de plus petite dimension (à l’exception toutefois des adresses contenant la seule indication de nom ou de domicile, ou le simple avis de changement, qui continuent à être exceptées du timbre), de fr. 0 01. »
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, la proposition de la section centrale est, comme vous le voyez, absolument la même que celle du gouvernement, sauf une addition que je regarde comme tout-à-fait inutile ; elle propose d’ajouter : « à l’exception toutefois des adresses contenant la seule indication de nom ou de domicile, ou le simple avis de changement, qui continuent à être exceptées du timbre. »
La législation actuelle exempte ces sortes d’adresses du droit de timbre, et comme par l’article 18 nous proposons de maintenir toutes les dispositions existantes, en tant qu’il n’y est pas explicitement dérogé, il est évident que les adresses dont ils s’agit continueront à être exemptes du timbre. Je n’aurais pas fait d’observation à cet égard ; mais je crains que, puisque telle exemption a été formellement maintenue, telle autre qui ne l’aurait pas été de même n’existerait plus, quoiqu’elle se trouvât consacrée par la législation actuelle, que nous proposons de confirmer en termes généraux par l’article 18. Je demanderai à M. le rapporteur si, d’après cette observation, il ne pense pas, comme moi, que la disposition dont il s’agit doit être retranchée comme superflue.
M. Demonceau, rapporteur – Il me semble, messieurs, que l’explication qui vient d’être donnée par M. le ministre des finances rentre absolument dans les intentions de la section centrale. La section centrale avait cru que les mots : « demi-quart, cartes et autres de plus petite dimension, » auraient, par leur généralité, pu être considérées comme abrogeant l’exemption existante, et c’est pour cela qu’elle a proposé de rappeler cette exemption. J’aurai l’honneur de faire observer à M. le ministre des finances que les mots qui rappellent l’exemption se trouvant entre parenthèses, on ne pourrait pas conclure de ce rapport contre telle ou telle autre exemption de la législation actuelle, maintenue par l’article 18. Si cependant la chambre trouve que l’explication donnée par M. le ministre des finances est suffisante, je consens volontiers pour ma part à la suppression qu’il demande.
- La chambre consultée décide que les mots : « à l’exception, etc. » seront supprimés comme inutiles, et qu’il sera mentionné au procès-verbal que c’est dans ce sens que la suppression a été votée.
L’article 5, tel qu’il a été proposé par le gouvernement, est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 6. Les affiches, annonces et avis ne pourront être imprimés en Belgique avant le timbrage du papier.
« En cas de contravention, l’imprimeur encourra l’amende de cent francs prononcées par l’article 60 de la loi du 9 vendémiaire an VI, et les impressions seront lacérées.
« Les afficheurs et distributeurs seront passibles solidairement d’une amende de 10 à 100 francs.
« En cas de récidive, ils seront punis d’un emprisonneront de 1 à 15 jours. »
M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, je vais déposé sur le bureau un amendement assez important à l’article qui vient d’être mis en discussion, et je ne pense pas qu’il soit de nature à pouvoir être discuté avoir d’avoir été imprimé et distribué, et que chacun de vous ait pu l’examiner mûrement.
Je me rallie à la proposition de la section centrale, sauf le paragraphe 3 que je propose de rédiger de la manière suivante :
« L’imprimeur encourra, par chaque contravention, une amende de 100 fr., dont le recouvrement pourra être poursuivi par la voie de la contrainte par corps. Les objets soustraits au droit seront lacérés. »
Vous remarquerez, messieurs, que cet amendement renferme deux modifications au paragraphe proposé par la section centrale : d’abord, au lieu de « chaque exemplaire », je propose de dire « chaque contravention » ; il est possible que c’est dan ce sens que la section centrale a entendu le mot « exemplaires ». Je suppose qu’un imprimeur fasse circuler un même jour 100 exemplaires d’un objet non timbré ; on n’ira pas lui appliquer 100 amendes de 100 fr. ; c’et là une seule contravention qui ne doit être passible que d’une seule amende de 100 fr., et c’est pour éviter toute équivoque à cet égard que je propose d’employer le mot « contravention ».
L’autre modification consiste à établir que les contraventions pourront être poursuivies par la voie de la contrainte par corps. Voici, messieurs, le motif qui me porte à faire cette proposition : il est arrivé plusieurs fois que l’imprimeur, pris en défaut, était ce qu’on appelle vulgairement un « homme de paille », c’est-à-dire un homme qui n’a aucune espèce de solvabilité ; or, comme le recouvrement de l’amende ne pouvait être poursuivi par aucune peine corporelle, la loi manquait, dans ce cas, de toute sanction.
Or, du moment qu’on établit une pénalité, on doit vouloir qu’elle ne soit pas éludée, et le moyen d’atteindre ce but, c’est d’admettre la contrainte par corps. J’aurais pu vous présenter une disposition déterminant un emprisonnement de tel à tel autre temps ? Mais il me semble que le système auquel j’ai donné la préférence est plus simple et plus facile dans l’application.
- L’amendement de M. le ministre des finances sera imprimé et distribué.
La séance est levée à 5 heures moins un quart.