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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 29 novembre 1838

(Moniteur belge du 30 novembre 1838, n°335)

(Président de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M B. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre :

« Des habitants de la commune de Lokert (Flandre occidentale) demandent la construction d’une route pavée ou empierrée d’Ypres jusqu’à la frontière de France vers Bailleul. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loin autorisant des transferts de crédits au sein du budget du ministère de la justice

Dépôt

Projet de loi interprétatif de l'article 442 du code de commerce

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Ernst) dépose, accompagnés des exposés de leurs motifs, deux projets de loi : le premier ordonnant un transfert au budget du département de la justice de l’exercice 1837 et ouvrant un crédit supplémentaire au budget du même département, exercice 1838 ; le second, ayant pour objet l’interprétation de l’art. 442 du code de commerce.

La chambre ordonne l’impression et la distribution de ces deux projets de loi et des exposés de leurs motifs, et, sur la proposition de M. le ministre de la justice, renvoie le premier projet à l’examen de la section centrale du budget du département de la justice, et le second à une commission de sept membres qui sera nommée par le bureau.

Projet de loi modifiant le tarif général du timbre

Discussion des articles

Article 6

La discussion est ouverte sur l’article 6, ainsi conçu :

« Art. 6. (de la section centrale) Les journaux, affiches, annonces et avis ne pourront être imprimés en Belgique avant le timbrage du papier.

« Chaque exemplaire portera, outre le nom de l’imprimeur, l’indication de son domicile en Belgique.

« En cas de contravention, l’imprimeur encourra une amende de cent francs par chaque exemplaire.

« Les afficheurs et distributeurs seront punis chacun d’une amende de 11 à 15 francs, et pourront l’être, en outre, d’un emprisonnement de cinq jours au plus.

« La peine d’emprisonnement pendant cinq jours aura toujours lieu en cas de récidive. »

Amendement de M. le ministre des finances à l’article 6

« Je me rallie à la rédaction présentée par la section centrale, sauf que je propose de modifier le troisième paragraphe de cet article comme il suit :

« L’imprimeur encourra, pour chaque contravention, une amende de cet francs, dont le recouvrement pourra être poursuivi par la voie de la contrainte par corps ; les objets soustraits au droit seront lacérés. »

- L’article 6 du projet de la section centrale est adopté avec l’amendement proposé par M. le ministre des finances, amendement auquel la section centrale se rallie.

Articles 7 et 8

Les articles 7 et 8 sont successivement mis aux voix et adoptés ; ils sont ainsi conçus :

« Art. 7. Sont abrogés les dispositions des articles 6, 7 et 28 de la loi du 31 mai 1824, relativement aux actes sous seing privé portant bail, sous-bail, renouvellement, transfert ou rétrocession de bail de biens immeubles.

« Ces actes seront à l’avenir écrits sur papier de timbre de dimension, et rentreront sus l’application des dispositions générales des lois de l’enregistrement. »

« Art. 8. Les droits de timbre seront exempts de centimes additionnels. »

Article 9

La discussion est ouverte sur l’art. 9 ainsi conçu :

« Art. 9. La majoration de 6 p.c. établie par la loi du 30 décembre 1832, pour différence monétaire, ne sera plus ajoutée au montant des amendes fixes de contravention aux lois du timbre. »

M. le ministre des finances a proposé, par amendement, d’ajouter à cet article la disposition suivante :

« Ni aux droits dont la quotité reste réglée par la législation en vigueur. »

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Il m’a été fait, ce matin, une observation sur la rédaction un peu trop générale de l’addition que j’ai proposée à l’article 9 ; il m’a été demandé s’il ne serait pas possible de prétendre que ces mots : « ni aux droits dont la quotité reste réglée par la législation en vigueur », s’appliquent à toute espèce de droits.

Il est bien clair que nous n’avons en vue que les droits de timbre, puisque c’est d’une législation spéciale sur le timbre que nous nous occupons. Cependant il serait peut-être prudent de l’exprimer pour lever tout doute, et il pourrait s’en élever puisque l’observation m’en a été faite.

M. Demonceau, rapporteur – J’étais prêt à demander la parole pour faire la même observation. La différence monétaire s’applique non seulement au timbre, mais à l’enregistrement. En conservant la rédaction proposée, on croirait qu’elle s’applique aussi à l’enregistrement. J’approuve l’addition des mots : « droits de timbre » et toute l’addition proposée.

M. Lebeau – Je demanderai une explication : la réduction ne frappe-t-elle pas sur le timbre des accises et des douanes ?

M. Demonceau, rapporteur – En matière de douanes et d’accises, les timbres sont réglés par des lois spéciales ; la loi que nous faisons ne s’applique pas aux douanes ni aux matières de finances. Il ne peut y avoir de doute sur l’interprétation qu’on donne à la loi.

M. le président – Ainsi, à l’article 9, il faut ajouter ces mots : ni aux droits de timbre, dont la quotité reste fixée par la législation en vigueur. »

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Tous les doutes seraient, me semble-t-il, levés sur l’on disait :

« Ni aux droits de timbre dont la quotité reste réglée par la législation en vigueur sur la même matière. »

On ne peut pas dire ; « réglée par la présente loi », parce que des droits sont aussi établis par d’autres lois, et que c’est même pour ceux-là que la disposition est nécessaire. Ce que je propose tranche le doute, car il ne s’agit dans l’article 9 que du papier timbré et non du timbre d’accise et de douane ; celui-ci n’est d’ailleurs pas proprement un droit de timbre ; on dit timbre de quittance, quoique les expéditions d’accise et de douane ne soient pas timbrés par l’administration de l’enregistrement.

Du reste, comme il ya aura un second vote, je verra, d’ici à ce second vote, s’il y a lieu à chercher une rédaction plus précise que celle que je vous soumets en ce moment.

M. Demonceau, rapporteur – Vous voyez que se présente ici l’inconvénient que j’ai signalé quand on a discuté l’article 2. Quelle que soit la résolution que la chambre prenne, il faut rédiger un article 2 ; et alors l’amendement du ministre deviendra inutile. Lorsque nous aurons fixé, par une législation spéciale, le timbre, il y aura cet avantage, que ceux qui seront obligés d’étudier cette législation trouveront dans la loi tout ce qui convient au timbre.

L’article proposé par la section centrale réunit à lui tout seul les éléments de quatre lois différentes. Je le répète, il y a avantage à rédiger un article 2 dans cette loi, à peu près conforme à celui que présentait la section centrale. Il n’y a pas d’inconvénient à adopter l’amendement du ministre.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je ne vois pas la nécessité de rédiger un article pour le timbre des journaux. La loi, dit-on, avec un article 2 serait un code complet ; or, il n’en serait pas ainsi. Il faudrait toujours se référer aux lois anciennes, car il y a une foule de dispositions que nous maintenons par l’article 18 du projet.

En ce qui concerne la différence monétaire, il faudrait en faire mention quand même on écrirait un article relatif aux journaux, attendu qu’il y a d’autres timbres que nous ne voulons pas astreindre à la différence monétaire : certaines catégories de prospectus, par exemple, qui n’est pas exceptée du timbre ; par conséquent l’addition à l’article 9 est nécessaire.

- L’amendement du ministre est mis aux voix et adopté.

L’article 9, ainsi amendé, est adopté.

Articles 10 à 12

M. le président – Les articles 10, 11 et 12 ont été adoptés dans les précédentes séances.

Article 13

L’article 13 est ainsi conçu dans le projet du gouvernement :

« Aucune des peines prononcées dans les articles 10 et 11 ci-dessus ne pourra être au-dessous de cinq francs.

« Les contrevenants seront solidaires pour le paiement du droit et des amendes, sauf le recours de celui qui en aura fait l’avance pour ce qui ne sera pas à sa charge personnelle. »

La section centrale demande la suppression du second paragraphe.

M. Gendebien – Messieurs, je demande la suppression de l’article 13 tout entier. La loi a fixé l’amende pour contravention au timbre, au vingtième de la somme inscrite au billet, c’est-à-dire de 5 fr., quand l’effet est de 100 fr. ; mais, en fixant un minimum de 5 fr., il s’ensuit que pour un effet de 50 fr., vous doublez l’amende, en violation de la règle que vous venez de poser. Or, quels sont ceux qui signent des effets au-dessous de 100 fr. ? ce sont les détaillants, c’est le très petit commerce ; ce sont ceux dont les créanciers doutent de la solvabilité. Voilà les malheureux que vous exposez à une amende proportionnellement double de celle des gros capitalistes. Ce sont ceux qui auront des poursuites à essuyer pour défaut de paiement, et qui de plus auront à payer une énorme quantité de timbres. Je crois qu’il faut supprimer l’article. Il faut laisser les diverses catégories de citoyens dans les mêmes proportions d’égalité. Je ne vois aucun raison de doubler l’amende pour les effets de 50 fr. Par la suppression de l’article, vous resterez dans les règles de la justice et de l’équité.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Il est indispensable de s’arrêter à un minimum de l’amende ; car sans cela elle serait souvent à-peu-près nulle. Il faut qu’il y ait répression de la fraude, et une amende de 5 fr. n’est certes pas exorbitante. Si on s’en tenait absolument au vingtième, il y aurait, pour 20 fr. une amende de 1 fr. ; ce serait illusoire. S’il y avait un reproche à faire à cet article, c’est qu’il est trop modéré ; et en effet, une amende de 5 francs est à-peu-près insignifiante.

M. Demonceau, rapporteur – La section centrale a trouvé une grande amélioration dans la rédaction de la loi. Dans la législation en vigueur la moindre amende est de 30 fr., quand même le billet serait de 20 fr. Il faut bien s’arrêter quelque part, et je crois qu’il faut adopter la rédaction du ministre.

M. Gendebien – Messieurs, on a fait de bien futiles objections contre l’observation toute logique que j’ai présentée ; c’est qu’en effet il n’y a aucune bonne raison à alléguer pour le maintien de l’article. On dit qu’au-dessous de 5 fr. l’amende serait illusoire ; mais comment 2 ou 3 fr. d’amende seraient-ils plus illusoires pour un billet de 40 ou 60 fr. que 50 fr. pour un billet de 1,000 fr. ? le malheureux qui souscrit un billet de 40 ou 60 fr. ne sera-t-il pas aussi puni par une amende de 2 ou 3 fr. que tel millionnaire, qui fait des effets de 10, 15 ou 20 mille fr., le sera par une amende proportionnée à la somme qu’il aura voulu soustraire au trésor public ? Evidemment l’amende ne sera pas plus illusoire d’un côté que de l’autre, et le malheureux qui paiera 2 francs sera plus puni que le riche négociant qui paiera 50 ou 100 fr.

On dit qu’il faut bien s’arrêter quelque part. mais, messieurs, je ne vois pas la nécessite de s’arrêter à un chiffre déterminé ; il faut s’arrêter où la justice exige qu’on s’arrête ; or, la justice veut qu’on ne traite pas plus défavorablement ceux qui souscrivent des billets de 50 fr ; que ceux qui en font de 50 mille ; il faut que les peines soient égales pour le petit comme pour le grand, pour le fort comme pour le faible.

On spéculerait, dit-on, on ne ferait plus que de petits effets. Maos, messieurs, veuillez faire attention à une chose, c’est que tous les effets au-dessous de 250 fr. paient le même timbre ; par conséquent une semblable spéculation serait excessivement absurde, tout aussi absurde que les raisons alléguées contre ma réclamation.

M. le rapporteur dit que je m’arrête à 2 fr. 50 ; cela n’est pas exact ; je dis, au contraire, que l’amende doit être proportionnelle pour les plus petits effets comme pour les autres, et j’ajoute que l’amende sera aussi dure, plus dure même, lorsqu’elle ne sera que de un ou de deux francs que lorsqu’elle s’élèvera à 50 ou à 100 fr. par la raison toute simple que ce seront les malheureux, qui, ne souscrivant que de petits effets, paieront les petites amendes, tandis que les amendes plus fortes seront supportées par des personnes riches. La loi aura donc une sanction tout aussi efficace dans l’un cas que dans l’autre.

D’ailleurs, messieurs, ce n’est pas seulement l’amende qui sert de sanction à la loi, ce sont aussi les frais de poursuite, qui se paient aussi bien par celui qui n’a souscrit qu’un billet de 50 fr. que par celui qui en a fait un de 50,000 ; ces frais-là sont toujours les mêmes, il n’y a que l’amende qui soit différente. Sous ce rapport donc la charge qui pèse sur le malheureux est tout aussi lourde que celle que supporte l’homme riche ; elle est même plus forte parce que le négociant qui tire ou souscrit des effets peut éviter les poursuites en payant ou en stipulant que l’effet sera retourné sans frais en cas de protêt. Reste à savoir si, en adoptant le minimum de 5 francs, vous voudrez encore accabler davantage celui qui l’est déjà beaucoup trop, en raison même de l’exigüité de ses moyens.

Je pense donc, messieurs, que vous ne pouvez pas refuser la suppression de l’article 13, sans manquer aux premières règles de la justice et de l’équité.

M. Pirmez – Je ferai remarquer à l’honorable préopinant qu’il est absolument nécessaire que l’amende s’arrête quelque part, puisque le timbre lui-même s’arrête quelque part. Lorsqu’il y a un minimum pour le timbre, il faut bien qu’il y en ait un pour l’amende ; il faut bien que la peine soit jusqu’à un certain point proportionnée au montant de la fraude qui a été commise.

Pour être juste dans le sens de l’honorable préopinant, il faudrait créer un timbre dont le prix serait aussi varié que les sommes mêmes pour lesquelles on peut faire des effets, c’est-à-dire à l’infini. Or, ce n’est pas là ce qu’on a voulu, ce n’est probablement pas ce que voudrait l’honorable membre lui-même.

M. Verhaegen – Je partage, messieurs, l’opinion de l’honorable M. Gendebien, quant à l’utilité de la suppression de l’article 13 ; néanmoins je n’insisterai pas à cet égard, et je me bornerai à demander la suppression de la seconde partie de l’article. M. le ministre des finances dit qu’il y a une erreur de rédaction dans le premier paragraphe et qu’au lieu de : « aucune des amendes prononcées par les articles 10 et 11, » il faut dire « aucune des amendes prononcées par les articles 11 et 12, » de sorte que le deuxième paragraphe s’applique également dans le cas de l’article 10, où plusieurs individus sont frappés d’une seule amende ; mais lorsque deux personnes sont frappées chacun d’un amende particulière, je ne conçois pas qu’il puisse y avoir solidarité ; telle serait cependant la conséquence du deuxième paragraphe de l’article qui nous occupe. En effet, aux termes de l’article 11, l’accepteur d’une lettre de change écrite sur papier libre sera soumis à une amende du vingtième de la somme exprimée, indépendamment de celle de même quotité, encourue par le souscripteur, et, à défaut de souscripteur, par le premier endosser ; il y a donc là deux amendes bien distinctes, l’une qui frappe l’accepteur, et l’autre, le premier endosseur. Vous dites maintenant, à l’article 13, que les contrevenants seront solidaires, d’où la conséquence que l’accepteur sera non seulement tenu de payer l’amende qu’il aura encourue personnellement, mais qu’il devra encore payer celle qui aura été encourue par le premier endosseur, et ainsi vice versa, pour le premier endosseur à l’égard de l’accepteur. Je ne pense pas que cela puisse entrer dans l’intention de la chambre, et il me semble que si l’on veut maintenir la deuxième disposition de l’article 13 en tant qu’elle se rapporte à l’article 13, il faut tout au moins ne pas la rendre applicable au articles 11et 12.

M. Demonceau – Messieurs, les motifs qui viennent d’être développés par l’honorable M. Verhaegen, pour la suppression de la deuxième partie de l’article 13, sont aussi ceux qui ont engagé la section centrale à proposer la même suppression ; la section centrale a pensé qu’il suffisait de la solidarité établie par l’article 10, sans ajouter le deuxième paragraphe de l’article 13. Quoi qu’il en soit, je voudrais que M. le ministre des finances nous expliquât ce qu’il entend par « solidarité, sauf recours contre celui qui doit personnellement. »

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Je pense, messieurs, qu’il est inutile de répondre à nouveau à l’honorable M. Gendebien, relativement à l’amende qu’il veut maintenir proportionnelle, même pour les plus petites sommes ; je crois que l’honorable rapporteur de la section centrale, en faisant remarquer que le minimum de l’amende est aujourd’hui de 30 fr. a suffisamment prouvé que nous admettions, sous ce rapport, tout ce qu’il est raisonnablement possible de faire ; et vraiment je ne concevrais pas qu’on pût laisser descendre le montant de l’amende tellement bas, que dans certains cas elle serait inférieure au prix du timbre dont le contrevenant aurait dû se servir.

L’honorable membre a beaucoup parlé des pauvres et des riches ; je crois que ç’a été fort mal à propos, car les riches négociants font aussi bien de petits effets que les autres, et en général les pauvres ne font pas d’effet du tout.

Quant à la deuxième disposition de l’article, je comprends qu’on puisse s’élever contre la solidarité en ce qui concerne le recouvrement de l’amende, parce qu’elle est encourue séparément par deux contrevenants qui peuvent être poursuivis directement tous les deux ; mais, messieurs, si vous n’admettez pas, dans ce cas, la solidarité, vous obligerez l’administration à intenter chaque fois deux procès, ou à se trouver en présence de deux personnes au lieu d’une. C’est pour éviter cela que j’ai proposé la disposition dont il s’agit, qui permettrait au fisc de poursuivre le recouvrement des deux amendes contre celui des contrevenants qui serait le plus solvable.

M. Verhaegen – Messieurs, je comprends parfaitement que, lorsque plusieurs individus sont frappés d’une seule amende, l’administration peut s’adresser à l’un ou à l’autre pour le recouvrement de l’amende. Mais lorsqu’une amende est prononcée contre un individu, et un amende spéciale contre un autre individu, l’administration doit recouvrer chaque amende à la charge de celui que la chose concerne.

Pour le recouvrement du droit, l’observation est encore la même. Toutefois, je ne verrais pas un grand inconvénient à maintenir la solidarité, quant au recouvrement du droit ; mais je ne voudrais pas qu’elle fût conservée dans les cas des articles 11 et 12, en ce qui concerne les amendes.

M. Gendebien – Messieurs, un honorable préopinant vous a dit que le timbre s’arrêtait quelque part, et que par conséquent l’amende devait aussi s’arrêter à un minimum. Le timbre s’arrête en effet à 15 centimes pour 250 fr., grâce à un amendement que j’ai eu l’honneur de proposer et que la chambre a bien voulu admettre. Mais de ce que le timbre s’arrête à 250 francs, s’ensuit-il qu’on soit dispensé de rendre une bonne justice distributive entre tous les contribuables ? Il fallait nécessairement s’arrêter quelque part pour le timbre, parce qu’on serait arrivé, en définitive, à faire payer moins que la valeur du papier qui aurait servi à l’effet ; il fallait donc poser une limite et cette limite est le droit de 15 centimes.

Pour être juste, a dit le même honorable membre, il faudrait autoriser les timbres pour les plus petites sommes. Oui, sans doute, si l’on veut être rigoureusement juste. Mais ici l’injustice se rectifie ; elle n’est d’ailleurs pas grande, car les différences ne porteraient que sur quelques centimes. Mais il y a une grande différence entre 5 fr., 1 fr., 2 fr. et 2 fr. ½. Tel a le moyen de payer 3 ou 4 centimes de plus qu’il ne doit acquitter réellement, pour la somme qu’il se propose d’inscrire sur un billet, qui n’a pas le moyen de payer 5 francs, tandis que, d’après les règles de la justice, il n’en devrait payer que 2 ou 3.

Ainsi, il résulterait de l’observation de mon honorable contradicteur qu’une injustice doit nécessairement autoriser une seconde injustice, et une seconde injustice beaucoup plus criante, beaucoup plus palpable que la première.

On vous a dit, messieurs, d’un autre côté, qu’on avait réduit l’amende de 30 fr. à 5, que c’était tout ce qu’on pouvait raisonnablement faire. Mais, messieurs, cette réduction profite à tous. Pourquoi voulez-vous exclure du système nouveau que vous adoptez, non pas les pauvres qui ne souscrivent pas de billets, comme dit le ministre, mais le petit commerce qui, en général, fait seul de petits billets et qui ordinairement ne les fait que parce que sa solvabilité est douteuse et que le créancier veut avoir un gage au moins apparent de sa créance ?

Qu’on ne dise donc pas qu’il n’y a que les riches qui souscrivent des billets de 50 francs, et que les pauvres n’en font pas. Ce sont en général des gens très riches qui font souscrire à ceux-ci de semblables billets, parce qu’ils doutent de leur solvabilité. Si le malheureux, pour épargner 15 centimes, n’a pas pris de timbre, ou si même il n’a pas pu en prendre, vous le condamnerez à une amende de 5 fr. alors que son créancier, riche et inexorable, est souvent dispensé de payer le timbre pour un effet de 10,000 ou 20,000 fr. ; il a toujours soin de s’arranger de manière à ce que l’effet ne soit pas protesté ; il lui suffit de mettre sur l’effet : « retour sans frais » ; on ne fait pas protester l’effet, parce que le souscripteur est riche et qu’on a confiance en lui. Ainsi, précisément parce que cet homme est riche, il sera dispensé de payer l’amende, tandis que les souscripteurs d’effets au-dessous de 100 fr. paieront presque toujours l’amende précisément parce qu’ils sont pauvres.

On vous a dit encore qu’il pourrait résulter de mon système que l’amende pourrait être moindre que le timbre lui-même. Messieurs, le timbre des effets de 250 francs et au-dessous est de 15 centimes ; il me semble que ce serait s’occuper de cas infiniment rares que de supposer des effets au-dessous de 20 fr., de 10 fr. surtout de 3 fr ; l’amende sur un billet de 3 francs serait de 15 centimes. Or, a-t-il jamais entendu dire qu’on ait fait et qu’on ait laissé protester des billets de trois francs ? Ainsi, cette objection qu’on a faite à mon système, n’est pas plus fondée que les autres ; jamais l’amende ne pourra se trouver en-dessous du droit de timbre.

Je ne sais, messieurs, si mes paroles trouveront de la sympathie dans la chambre ; mais à coup sûr on aura beau dire et beau faire, je maintiendra que ma proposition est juste, et que dès l’instant qu’on pose un principe dans la loi, il faut en subir les conséquences car, sinon, vous établissez un privilège au profit des uns et au détriment des autres.

M. Dolez – Messieurs, je ne veux répondre que par une observation à ce que vient de dire l’honorable M. Gendebien. Sans doute, il faut, en établissant une pénalité, la proportionner à l’intérêt qu’avait celui qui a commis la contravention à la commettre ; mais, d’autre part, en établissant une peine, il faut la rendre efficace : c’est la première condition d’une pénalité, qu’une sanction soit donnée à la loi. Or, je pense que si l’on établissait une amende inférieure à 5 fr., la sanction de la loi serait illusoire.

M. Gendebien a dit encore qu’outre l’amende il fallait tenir compte des frais de justice que le contrevenant doit payer. Eh bien, ce cas arrive fort rarement. Sur cent contrevenants, 99 amendes se perçoivent sans poursuite, et les débats et les frais judiciaires n’ont lieu que lorsque le contrevenant lui-même a recours aux tribunaux.

M. Verdussen – Messieurs, je ne sais si je me trompe, mais je crois qu’il faut entièrement renoncer, comme le propose M. Verhaegen, au second paragraphe de l’article 13. D’après ce que M. le ministre des finances a dit, il paraît ne pas tenir beaucoup à conserver la solidarité, par rapport aux amendes. S’il consent effectivement au retranchement de cette solidarité dans le second paragraphe, il ne resterait plus que la solidarité pour le paiement du droit. Or, je crois qu’il est inutile de conserver cette disposition. En effet, le deuxième paragraphe parle des contrevenants ; il y a donc des hommes saisissables ; vous iriez les exempter de la solidarité, quant à l’amende, et vous maintiendriez la solidarité pour la bagatelle du droit. Il est certain que lorsque vous avez déjà un contrevenant, vous avez et le droit et l’amende ; mais la solidarité serait-elle étendue au double droit et à la double amende ? je ne pense pas que cela puise entrer dans les vues de M. le ministre des finances, ni de qui que ce soit.

D’après cela, je suis d’avis qu’il y a lieu de retrancher le second paragraphe d l’article 13, car il deviendrait illusoire et presque ridicule.

M. Van Volxem – Messieurs, il est évident qu’il est impossible de conserver la solidarité pour les amendes dans l’espèce qui nous occupe. Etablir cette solidarité, ce serait tout-à-fait sortir du droit commun. Il me semble, en effet, qu’il n’y a de solidarité de la part des débiteurs que pour une seule et même dette, et que dans ce cas seul chacun d’eux peut être tenu de payer cette même dette. Mais je ne pense pas qu’il soit possible de récupérer, à charge de différentes personnes, des dettes qui incombent à chacune d’elles séparément. Ainsi, quand il y a deux dette distinctes, il est possible, me semble-t-il, de grever l’un des débiteurs de l’obligation de payer aussi la dette de l’autre.

Lorsqu’il n’y a qu’une seule amende à recouvrer, je conçois alors que tous ceux qui ont contrevenu à la loi, soient solidairement tenus, vis-à-vis du fisc, de payer cette amende. Mais alors qu’il y a plusieurs amendes distinctes, dues par différentes personnes, ce n’est plus de la solidarité de cette espèce, c’est tout autre chose ; ce serait une obligation nouvelle, tout à fait indépendante de la solidarité ; ce serait que chacun des individus qui ont signé l’effet, deviendrait passible de la dette de l’autre. Il me semble donc qu’il est impossible de considérer ici comme solidaires ceux qui auraient souscrit un effet.

Quant au droit, la chose est bien différente. Le droit est unique et dû au fisc ; il ne peut pas être divisé. Jamais on ne s’avisera de demander deux fois le droit. il n’y a qu’un seul exemple du paiement d’un double droit : c’est lorsqu’on a négligé de faire enregistrer en temps utile un acte translatif d’une propriété immobilière ; alors on paie le droit, une fois pour l’enregistrement et une seconde fois à titre d’amende ; mais c’est là une disposition spéciale tout-à-fait étrangère à la matière qui nous occupe. Je n’en ai parlé que par analogie.

Il serait impossible, disais-je, de scinder le droit ; on ne pourrait pas demander la moitié à l’un et la moitié à l’autre. L’amende n’est due que par chacun de ceux qui ont commis la contravention. On ne peut donc pas maintenir la solidarité.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – En répondant à M. Verdussen, j’ai témoigné que je serais disposé à me rallier à un amendement qui aurait pour but de retrancher la solidarité quant aux amendes : cet amendement est déposé ; je m’y rallie.

Cependant, je veux vous indiquer que la disposition que j’avais présentée n’était pas si extraordinaire qu’on la qualifie. La loi française de 1834 porte absolument la même disposition ; ce qui prouve qu’on n’aura pas trouvé en France qu’elle était contraire au droit commun comme vient de le dire l’honorable préopinant.

L’article 21 de la loi française du 24 mai 1834 est ainsi conçu :

« les contrevenants seront solidaires pour le paiement du droit et des amendes, sauf le recours de celui qui en aura fait l’avance, pour ce qui ne sera pas à sa charge personnelle. »

C’est la même disposition que celle que j’ai présentée, et les amendes sont prononcées contre le souscripteur et l’accepteur, ou, à défaut d’accepteur, contre le premier endosseur. Mais il est inutile de prolonger le débat sur ce point, puisque je me rallie à la proposition de M. Verhaegen.

- L’article 13 du gouvernement est adopté avec la suppression des mots : « et des amendes », au deuxième paragraphe.

Article 14

« Art. 14. L’amende fixe de 30 fr., prononcée par les articles 26 de la loi du 13 brumaire an VII, et 6 de la loi du 6 prairial, même année, à l’égard des effets, billets et obligations au-dessous de 600 fr., écrits sur papier non timbré, est réduite au vingtième du montant de ces effets et obligations sans qu’elle puisse être inférieure à 5 fr. »

- Adopté.

Article 15

« Art. 15. Lorsqu’un effet, un billet ou une obligation aura été écrit sur du papier d’un timbre inférieur à celui prescrit, les amendes du vingtième prononcées tant par les dites lois que par les articles 10,11 et 12 de la présente, ne seront perçues que sur le montant de la somme excédant celle qui aurait pu être exprimée sans contravention, dans le papier employé, mais sans que chaque amende puisse être au-dessous de cinq francs.

« Les effets, billets et obligations écrits sur papier portant le timbre de dimension, ne seront assujettis à aucune amende, si ce n’est dans le cas d’insuffisance du prix du timbre et dans la proportion ci-dessus fixée. »

- Adopté.

Article 16

« Art. 16. Le recouvrement des droits de timbre et des amendes de contraventions y relatives sera poursuivi par voie de contrainte et sans assignation préalable devant le tribunal de premier instance.

« En cas d’opposition, les instances seront instruites et jugées selon les formes prescrites en matière de droit d’enregistrement. »

- Adopté.

Article 17

« Art. 17. Il sera ultérieurement statué par le Roi sur la forme et le types des nouveaux timbres, et sur l’emploi ou l’échange du papier frappé du timbre actuellement en usage.

- Adopté.

Article 18

« Art. 18. Toutes les dispositions des lois existantes sur le timbre, en tant qu’il n’y est pas dérogé par la présente, continueront à recevoir leur exécution. »

- Adopté.

Article 19

M. le président – Comment M. le ministre des finances veut-il rédiger l’article 19 pour fixer l’époque à laquelle la loi sera exécutoire ?

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – Messieurs, comme il devra se passer un certain temps avant que la loi soit votée par le sénat, et qu’il serait possible qu’on y introduisît des amendements, il est prudent de fixer au 1er avril l’époque à laquelle la loi sera exécutoire, parce qu’il y a des dispositions à prendre pour organiser le matériel nécessaire, changer les types, etc. Si la loi pouvait être votée d’ici à quinze jours, je proposerais de fixer son exécution au 1er mars ; mais je ne crois pas que cela soit possible, car le sénat n’est pas réuni ; il faut compter au moins trois semaines. Je ne crois donc pas, pour ce motif, pouvoir exécuter la loi dans un délai plus rapprochée que le 1er avril ; et je propose en conséquence de dire :

« Art. 19. La présente loi sera exécutoire le 1er avril 1839. »

M. Lebeau – Je pense qu’il vaut mieux supprimer l’article. Le gouvernement est maître de promulguer la loi quand il veut. Une disposition semblable est nécessaire quand il s’agit du budget des voies et moyens, parce que s’il était promulgué le 31 décembre, et qu’on ne le déclarât pas obligatoire le 1er janvier, il ne le serait que le 8. Mais ici c’est inutile. D’ailleurs le sénat peut amender la loi et la chambre ne pas s’accorder avec le sénat ; d’un autre côté, si le gouvernement a besoin d’un certain délai pour être en mesure de mettre la loi à exécution, il prendra cela en considération, et promulguera la loi un peu plus tard.

Le mieux est de ne pas insérer l’article 19 proposé.

M. le ministre des finances (M. d’Huart) – En proposant l’article 19, j’ai eu pour but de donner une garantie que la loi serait exécutée dans un délai déterminé. J’ai craint que si je ne faisais pas moi-même cette proposition, on ne la fît dans la chambre ; j’ai voulu aller au-devant. Mais je me rallierai volontiers à la motion de M. Lebeau.

M. Gendebien – Il y a cependant une chose à observer : c’est relativement aux journaux. Rien n’empêche qu’ils ne jouissent, à partir du 1er janvier, de l’infiniment petite faveur qui leur est faite. Quelque minime qu’elle soit, ce sera toujours un soulagement. Lors donc qu’on arrivera au second vote, on pourra statuer par amendement que la disposition qui les concerne sera mise à exécution à partir du 1er janvier prochain.

- L’article 19 est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

La chambre fixe à lundi prochain le vote définitif du projet de loi.

La séance est levée à 4 heures et demie.